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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 9 mars 1848

(Annales parlementaires de Belgique, session 1847-1848)

(Présidence de M. Verhaegen. vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1003) M. T'Kint de Naeyer fait l'appel nominal à 2 heures et un quart. Il donne ensuite lecture du procès-verbal de la séance d'hier. La rédaction est approuvée.

Il fait connaître l'analyse des pièces adressées à la chambre.

Pièces adressées à la chambre

« Le conseil communal de Liège demande des réformes dans l'ordre politique et dans l'ordre matériel. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Poncelet prie la chambre de s'occuper du projet de loi sur la garde civique. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet.


« Plusieurs habitants de Forges, se plaignant de la manière dont l'autorité communale a disposé des portions d'affouages, demandent que ces portions d'affouages soient restituées en nature ou en valeur et distribuées entre les habitants, conformément aux bases arrêtées par le conseil communal. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« L'administration communale de Stavelot demande que le canton de ce nom soit réuni à l'arrondissement administratif de Verviers. »

- Renvoi à la commission des circonscriptions cantonales.


« Le sieur Mauray, brasseur et cultivateur à Blaton, présente des observations concernant le projet de loi sur les irrigations. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet.


Par messages des 4 et 8 mars, le sénat informe la chambre qu'il a adopté :

1° Le budget de la justice ;

2° Le projet de loi ouvrant au département des finances un crédit supplémentaire de 58,243 fr. 14 c. ;

3° Le projet de loi qui supprime le fractionnement des collèges électoraux ;

4° Le projet de loi qui donne cours légal en Belgique à certaines monnaies étrangères ;

5° Le projet relatif à la péréquation générale de la contribution foncière.

- Pris pour notification.


Par dépêche du 4 mars, M. le ministre des finances adresse à la chambre des explications sur la pétition du conseil de fabrique de l'église de Lantremange.

- Dépôt au bureau des renseignements.


Il est fait hommage à la chambre par M.de Gobart, de deux exemplaires de sa brochure traitant du paupérisme.

- Dépôt à la bibliothèque.


Il est fait hommage à la chambre par M. D. Arnould, administrateur-inspecteur de l'université de Liège, de 10 exemplaires d'une statistique des monts-de-piété.

- Dépôt à la bibliothèque.

Ordre des travaux de la chambre

M. le président. - Les sections seront convoquées demain pour examiner les articles du projet de loi relatif à des crédits pour travaux publics, dont a parlé M. le ministre de l'intérieur dans la séance du 4 mars comme pouvant faire l'objet d'une loi spéciale.

M. Lesoinne. - On avait convoqué pour lundi la section centrale chargée d'examiner le projet de loi allouant un crédit pour l'achèvement des travaux du canal latéral à la Meuse. Comme elle n'a pu se réunir ce jour-là, je demanderai qu'elle soit également convoquée pour demain.

M. le président. - M. Liedts, qui s'est chargé de présider cette section centrale, n'est pas présent. Il sera informé de la demande de M. Lesoinne, et j'espère que la section centrale pourra également être convoquée pour demain.

Projet de loi sur les dépôts de mendicité et les écoles de réforme

Second vote des articles

La suppression de l'article 5 primitif et les amendements apportés à l'article 6 primitif (devenu article 5) sont définitivement adoptés.


« Art. 6. Les dispositions des articles 1, 2 et 3 de la présente loi, sont applicables aux établissements mentionnés dans l'article 5.

« Par exception à l'article 4, les enfants et les jeunes gens entrés volontairement ou transférés dans ces établissements à la suite d'une condamnation du chef de mendicité ou de vagabondage, seront retenus pendant six mois au moins, s'ils y sont pour la première fois, et au moins pendant un an, s'ils y sont entrés plus d'une fois.

« A l'âge de 18 ans accomplis, ils seront transférés dans les dépôts destinés aux adultes, si le ministre de la justice n'a pas autorisé la continuation de leur séjour dans les dépôts agricoles. »

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Je proposerai la suppression, au dernier paragraphe, des mots « dépôts agricoles » et leur remplacement par les mots « les établissements spéciaux ».

On a fait disparaître les mots « dépôts agricoles » d'autres articles, parce qu'ils ne pouvaient guère s'appliquer aux dépôts de jeunes filles ; il faut donc les remplacer aussi dans cet article.

- L'article modifié comme le propose M. le ministre est définitivement adopté.


Les autres amendements introduits dans le projet sont successivement adoptés sans discussion.

Vote sur l'ensemble du projet

Il est procédé au vote, par appel nominal, sur l'ensemble du projet, qui est adopté à l'unanimité des 61 membres qui prennent part au vote.

Deux membres (MM. Thienpont et Huveners) se sont abstenus.

Ont voté l'adoption : MM. Tielemans, T'Kint de Naeyer, Tremouroux, Van Cleemputte, Van Cutsem, Vandensteen, Verhaegen, Veydt, Zoude, Anspach, Biebuyck, Brabant, Broquet-Goblet, Cans, Cogels, d'Anethan, David, de Baillet-Latour, de Bonne, de Breyne, de Brouckere, Dechamps, de Chimay, Dedecker, de La Coste, Delfosse, d'Elhoungne, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Mérode, de Sécus, de Terbecq, de Theux, de T'Serclaes, du Roy de Blicquy, Eenens, Eloy de Burdinne, Faignart, Fallon, Frère-Orban, Gilson, Henot, Lange, Lebeau, Le Hon, Lejeune, Lesoinne, Loos, Lys, Malou, Mercier, Orban, Pirson, Raikem, Rodenbach, Rousselle, Scheyven, Sigart et Simons.

M. le président. - MM. Thienpont et Huveners qui se sont abstenus sont priés, aux termes du règlement, de faire connaître les motifs de leur abstention.

M. Thienpont. - Je me suis abstenu, parce que je n'ai pas assisté à la discussion.

M. Huveners. - Je me suis abstenu, parce qu'une indisposition m'a empêché d'assister à la discussion.

Projet de loi sur la réorganisation des monts-de-piété

Discussion générale

M. le président. - La discussion générale est ouverte.

M. T'Kint de Naeyer. - Messieurs, en jetant les yeux sur l'histoire des monts-de-piété, j'ai été frappé d'une chose, c'est que cette institution a rétrogradé au lieu de suivre le développement progressif de la société.

Au XVème siècle on prêtait gratuitement aux pauvres ; aujourd'hui on leur demande 12 à 15 p. c. Je constate le fait sans vouloir en tirer cependant des conclusions absolues. Je crois que les monts-de-piété, dans leur état actuel, font du bien en tant qu'ils empêchent un mal plus grand, mais cela ne suffit pas, il faut que la charité, qui a décoré ces établissements de son nom, préside avant tout à leurs opérations.

Le projet de loi qui vous est soumis, messieurs, réalise une amélioration importante en créant, par la capitalisation des bénéfices, une dotation qui permettra d'abaisser graduellement les intérêts jusqu'au taux légal de 5 pour cent.

Je regrette que la loi défende toute réduction ultérieure, d'autant plus que pour restituer à l'institution son véritable caractère on devrait se borner à exiger de l'emprunteur le remboursement du principal du prêt avec les frais qu'il a nécessités. Sans vouloir admettre ce principe dans (page 1004) toute son extension, je pense qu'il me sera facile de démontrer l’utilité du prêt gratuit dans une certaine limite et à certaines conditions. Le mont-de-piété de Gand est le seul en Belgique qui puisse à cet égard sertir d'exemple ; depuis deux siècles il jouit d'une dotation destinée à des prêts gratuits en faveur des pauvres.

Des philanthropes ont pensé que le prêt gratuit développerait l'imprudence, la paresse ou la débauche du peuple ; pour détruire ces objections, je demanderai à la chambre la permission de répéter quelques paroles pleines de bon sens du vénérable directeur du mont-de-piété de Gand.

« Mon Dieu, messieurs, disait-il à des économistes qui l'interrogeaient sur les abus que je viens de citer, depuis plus de quarante ans que je suis attaché à l'administration du mont-de-piété, je n'ai point encore remarqué les inconvénients que vous me signalez.

« J’ignore, il est vrai, beaucoup de choses que la science moderne vous a apprises ; je n'ai pour moi que mon expérience des choses et mon gros bon sens flamand. A mon avis le pauvre ne se défait pas volontiers de ses effets, par la raison bien simple qu'il en a fort peu, et que ce peu lui est, pour ainsi dire, indispensable. Le prêt réalisé, il arrive de deux choses l'une, ou le pauvre est laborieux, et le plus souvent il peut retirer son gage, ou il est paresseux et le gage est vendu faute de dégagement. La paresse et l'inconduite ne se trouvent donc guère favorisées. Quelquefois, il est vrai, cela peut, arriver ; mais si je m'en aperçois, je refuse de prêter. »

Je pourrais ajouter à l'appui de cette opinion celles du baron Charles Dupin, « forces productives et commerciales de la France », et je citerais comme exemples pratiques, outre Gand, Aix, Toulouse, Grenoble et Montpellier. Si les idées que je viens d'émettre étaient favorablement accueillies par l'assemblée, j'aurais l'honneur de proposer un amendement à l'article 11, afin qu'une partie de la dotation qu'il s'agit de créer soit affectée à des prêts gratuits en faveur des pauvres dont la moralité aurait été constatée, et pour des sommes qui n'excéderaient pas 12 fr. Les effets mobiliers seraient seuls acceptés en nantissement. Les objets d'or et d'argent ne pourraient dans aucun cas être admis.

Il ne faut pas se dissimuler que la dotation que l'on a en vue se formera très lentement avec un bénéfice annuel qui ne dépasse guère 1/2 p. c. Je crois qu'il serait facile d'augmenter ces bénéfices enjoignant aux opérations de prêt sur nantissement, une caisse d'escompte en faveur du petit commerce et des artisans. Les établissements de bienfaisance et les hospices versent généralement aux monts-de piété plus de fonds que ceux-ci ne peuvent en employer et une partie de ces fonds, au lieu d'être utilisée en prêts, est placée à la caisse d'épargne ou ailleurs. Ce fait a été constaté en 1835 par les députations permanentes que le ministre de la justice avait consultées sur un projet de réunion des caisses d'épargne aux monts-de-piété. J'appelle l'attention la plus sérieuse du gouvernement sur ce point ; le vice radical de nos institutions financières, c'est leur insuffisance ou peut-être leur inintelligence. Plus le prêt est considérable moins il est onéreux. Le petit commerçant, l'artisan, l'ouvrier, même avec une caution, n’ont d'autre recours que l'usurier.

Les sociétés amicales en Angleterre, la caisse d'avances à Hambourg, les prêts de confiance en Suisse ont réalisé depuis longtemps des améliorations qui sont impérieusement réclamées et qui ne peuvent plus être différées.

Il me reste à examiner une disposition très importante du projet de loi, c'est le remplacement des commissionnaires jurés de monts-de-piété par des bureaux auxiliaires. Je sais que des économistes distingués ont réclamé cette réforme, mais il me semble que dans la pratique elle soulève des objections sérieuses. Outre la dépense assez considérable qui doit résulter de l'établissement des bureaux auxiliaires, on détruit en même temps la garantie que les commissionnaires offraient à l'administration des monts-de-piété en se portant forts de l'exactitude de leur estimation.

L'emprunteur qui désire se cacher et qui est pressé perd un intermédiaire auquel il a recours volontairement, et souvent aussi parce que les avances excèdent en général les prêts consentis par le mont-de-piété. A Paris, ces avances présentent annuellement un excédant d'un million. Si la prime dont le public doit être soulagé est onéreuse, comment se fait-il que les 5/6 des engagements se fassent par l'intermédiaire des commissionnaires quand l'accès direct des monts-de-piété est ouvert à tout le monde ?

A côté d'un avantage assez problématique, il me semble qu'il y a le danger de ressusciter les prêteurs sur gages ; beaucoup de personnes redoutent surtout les formes bureaucratiques et la publicité.

Si l'épreuve qui a été faite à Liège paraît heureuse, elle a été moins décisive à Paris,

J'eusse préféré que la loi laissât les administrations communales juges de l'opportunité, de la nécessité qu'il pourrait y avoir dans certaines circonstances de supprimer les commissionnaires et de les remplacer par des bureaux auxiliaires. J'attendrai, pour me prononcer à ce sujet, le développement des motifs qui ont déterminé le gouvernement et la section centrale à proscrire définitivement des intermédiaires auxquels le public n'est, d'ailleurs, pas obligé de recourir, et qu'il abandonnera sans doute, si sa confiance est trompée.

Projet de loi relatif au mode de nomination des membres du jury d'examen universitaire

Dépôt

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) donne lecture du projet de loi suivant :

« Léopold, Roi des Belges,

« A tous présents et à venir, Salut.

« Vu l'article 2 de la loi du 8 avril 1844, concernant le mode de nomination du jury d'examen.

« Sur la proposition de Notre Ministre de l'intérieur et de l'avis de Notre conseil des Ministres,

« Nous avons arrêté et arrêtons :

« Notre Ministre de l'intérieur présentera, en Notre nom, aux chambres législatives, le projet de loi dont la teneur suit :

« Art. 1er. Les membres titulaires et suppléants des jurys d'examen pour les grades académiques seront nommés par le Roi pour les deux sessions de 1848.

« Art. 2. L'article 44 de la loi du 27 septembre 1835, sur l'enseignement supérieur, est remplacé par la disposition suivante :

« Art. 3. Il y a annuellement deux sessions des jurys s'ouvrant, l'une pendant les vacances de Pâques, l'autre pendant les grandes vacances.

« Les jours d'ouverture et de clôture des sessions seront fixés par le gouvernement. »

- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ce projet de loi. La chambre en ordonne l'impression et la distribution et le renvoi à l'examen des sections.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Le projet pourra être distribué ce soir.

M. le président. - En ce cas les sections seront invitées à s'en occuper demain.

Projet de loi sur la réorganisation des monts-de-piété

Discussion générale

M. de La Coste. - Messieurs, il y a un peu plus de vingt-deux ans que j'ai été appelé à m'occuper des questions qui forment en ce moment l'objet de vos délibérations. C'est à ce titre que je crois pouvoir appuyer près de vous quelques-unes des idées dont j’ai été le promoteur à cette époque.

Dès lors, messieurs, on sentait vivement la nécessité de porter son attention sur les institutions qui ont une influence sur le bien-être des classes inférieures de la société. Nous devons, messieurs, être animés des mêmes sentiments, et toute l'assemblée en est sans doute pénétrée.

Messieurs, les maisons particulières de prêt ont été reconnues donner lieu à beaucoup d'abus. Elles ont trop souvent pris le caractère de foyers d'usure et de recel. C'est pour obvier à ce double inconvénient que l'on a fait une exception aux lois générales qui régissent l'industrie dans notre pays et que l'on a placé le prêt sur gages sous la main de l'autorité publique.

Si le but que l'on se proposait n'a pas été complètement atteint, il ne faut en faire aucun reproche aux administrations sous l'autorité desquelles les monts-de-piété ont été placés ; il faut l’attribuer, je pense, à un certain vice, à une certaine complication qui a accompagné la création de ces établissements publics. On ne s'est pas borné, messieurs, à tendre vers le but principal qu'on se proposait. On y a joint des objets accessoires d'utilité. Ou a voulu que les monts-de-piété produisissent un bénéfice aux établissements de charité. On a voulu encore, ou plutôt cela s'est établi dans l'usage, que les monts-de-piété fussent des espèces de caisses de consignations et de dépôts pour les autres établissements publics.

Il est résulté de ces deux faits que les monts-de-piété n'ont pas offert à la classe laborieuse tous les avantages qu'ils devaient lui présenter ; d'une part, parce que recherchant un bénéfice au profit des hospices, on n'a pas tenu l'intérêt dans les limites qu'il n'eût point dû dépasser ; et, d'autre part, parce que ces établissements étant chargés de capitaux considérables, dont ils devaient servir l'intérêt, ne pouvaient pas souvent les employer d'une manière assez productive pour pouvoir payer ces intérêts sans embarrasser leur état financier.

Messieurs, le projet qui nous occupe tend, en grande partie, à remédier à cet inconvénient. C'est à quoi on parviendra en faisant en sorte que les monts-de-piété aient un capital qui leur appartienne en propre, et dont ils ne doivent pas payer l'intérêt. Mais peut-être devrait-on aller plus loin. Peut-être, et je le crois fermement, pour ma part, le gouvernement devrait-il prendre des mesures pour que ces établissements fussent débarrassés de tous les fonds dont ils sont encombrés sans aucune utilité pour eux et dans le seul but de procurer une facilité aux communes ou à d'autres administrations publiques.

Quant à l'inconvénient que présentent les maisons de prêts particulières sous le rapport du recel, il importe qu'il ne se reproduise en aucune façon dans les monts-de-piété. A l'époque à laquelle j'ai fait allusion, on avait cru devoir y remédier d'une manière beaucoup plus efficace par une disposition beaucoup plus sévère que celle qui vous est soumise maintenant ; ou plutôt on avait cru devoir appliquer aux monts-de-piété le droit commun, qui ordonne de restituer les objets perdus ou volés, sauf quelques exceptions établies par le Code et qui ne s'appliquent pas à l'espèce.

Maintenant, au contraire, on établit en faveur des monts-de-piété une dérogation au Code, non seulement quant aux points que je viens de citer, mais aussi quant au délai dans lequel on peut réclamer les objets perdus ou volés.

(page 1005) Ceci, messieurs, va directement contre le but qu'on s'était proposé sous l’ancien gouvernement. Peut-être a-t-on été obligé, par les réclamations que les monts-de-piété ont élevées, d'en revenir à ce principe. Cependant je n'ai pas encore à cet égard une conviction bien formée, et j'attendrai les observations qui pourront être échangées dans la discussion.

L'honorable M. T'Kint de Naeyer a parlé des prêts gratuits. C'était encore une des idées qui avaient mises en avant, qui avaient été recommandées dans le règlement de 1826. Je pense également que ces prêts peuvent avoir une grande utilité, lorsqu'ils se font avec le discernement, avec la précaution qui sont employées (à Gand, et je crois que cette substitution peut être recommandée sans être l'objet d'une disposition impérative).

A l'égard des bureaux auxiliaires dont l'honorable M. T'Kint de Naeyer s'est également occupé, c'est après avoir mûrement examiné les inconvénients du système qui est le plus généralement adopté, c'est-à-dire du système des commissionnaires jurés, que l'on a donné la préférence aux bureaux auxiliaires. A cette époque, messieurs, j'avais beaucoup plus présents à l'esprit que je ne l'ai maintenant, les motifs qui ont déterminé cette préférence, mais je les crois fondés. Je suis encore confirmé dans cette opinion par l'exemple qui nous a été fourni par le mont-de-piété de Liège.

Je ne pourrais donc me prononcer contre le système des bureaux auxiliaires, et eu faveur de celui des commissionnaires jurés, que si j'entendais des observations concluantes dans ce sens. Il serait possible que le système nouveau exigeât un certain temps et certaines gradations pour être introduit ; mais je le crois en général préférable au système actuel.

J'attendrai la discussion des articles pour me prononcer définitivement sur ces différents points.

M. d’Anethan. - Messieurs, les honorables orateurs que vous venez d'entendre ont, l'un et l'autre, reconnu l'utilité des monts-de-piété, et il serait, d'après moi, impossible de la nier. On ne peut pas empêcher le contrat de nantissement. On ne peut pas empêcher un individu qui a besoin d'emprunter de recourir à ce contrat, qui donne sécurité au prêteur et est pour l'emprunteur une source de crédit. Eh bien, dès l'instant où on reconnaît la nécessité des contrats de gage, il faut les entourer de certaines garanties. En France, messieurs, après la première révolution, on supprima les monts-de-piété, que l'on considéra comme des établissements privilégiés ; mais peu après cette suppression, des clameurs s'élevèrent de toutes parts, des abus scandaleux surgirent, et l'on fut forcé de revenir à l'ancienne législation. Avant d'en venir là, des tentatives avaient été faites. En l'an VII, on avait reconnu que pour fonder une maison de prêts sur gages, il fallait une autorisation du gouvernement ; mais, malgré cette autorisation, les maisons de prêts sur gage demeurèrent des établissements privés, et les abus ne cessèrent pas entièrement. Ils cessèrent seulement en l'an XIII, lorsque, dans l'intérêt de tous, on rétablit les anciens monts-de-piété. L'exemple de ce qui s'est passé en France, et l'exemple de ce qui se passe encore en Angleterre, et qui est l'objet de vives et justes critiques, démontrent la nécessité de maintenir les monts-de-piété.

Ce qui est important, messieurs, et ce que la loi proposée consacre, c'est de donner au gouvernement une autorité plus grande que celle qu'il a maintenant en vertu de la loi communale. La loi communale a modifié ce qui existait jadis ; elle a notamment modifié l'arrêté de 1826, auquel mon honorable ami, M. de La Coste, vient de faire allusion, cet arrête qui a été porté à la suite d'un rapport très remarquable d'une commission dont l'honorable membre faisait partie, accordait au gouvernement des pouvoirs beaucoup plus étendus que ceux qu'il possède aujourd'hui. Le projet qui est soumis à la chambre a pour but de rendre au gouvernement ce pouvoir qu'on n'aurait pas dû lui enlever et de le mettre à même de faire produire aux monts-de-piété tout le bien qu'ils sont destinés à produire. Cette partie du projet me paraît la plus importante de toutes.

L'honorable M. T'Kint de Naeyer a semblé regretter que les monts-de-piété, au lieu de suivre un mouvement de progrès, aient, au contraire, rétrogradé. L'honorable membre a dit que jadis les monts-de-piété prêtaient gratuitement et que maintenant ils prêtent à un intérêt en quelque sorte usuraire. Les monts-de-piété furent en effet institués principalement pour faire cesser l'usure. Ce fut un religieux qui les établit vers le milieu du XVème siècle ; il y parvint à l'aide de larges dotations et d'abondants secours de personnes pieuses et bienfaisantes. Ces établissements prêtèrent gratuitement, dans le principe ; mais ils ne purent pas le faire longtemps, parce que les dotations s'épuisèrent et ne furent pas suffisamment alimentées.

Les ressources des monts-de-piété se trouvèrent tellement réduites que si l'on avait suivi encore pendant quelque temps le système qui avait été adopté dès le principe, les établissements auraient probablement tous succombé.

On dut donc alors abandonner le prêt gratuit, du moins d'une manière générale, et recourir partiellement au prêt à intérêt. Mais ce serait une erreur de croire que le prêt gratuit n'existe plus nulle part. L'honorable M. T'Kint de Naeyer a rappelé que ce genre de prêt existe encore à Gand. Là, grâce à la dotation d'un respectable évêque le prêt gratuit est encore pratiqué jusqu'à concurrence de 12 fr. Il en est de même à Hambourg. A Paris, depuis 1845, il y a 800,000 fr. affectés annuellement aux prêts gratuits de 3 à 20 fr. Mais je n'ai pas trouvé de rapports .où l'on indiquât les résultats de ces prêts dans cette capitale.

A Gand, d'après les renseignements que j'ai consultés, les prêts gratuits n'ont pas produit tous les résultats qu'on en attendait. L'indigent même continue souvent à s'adresser aux commissionnaires du mont-de-piété, qui n'ont pas la faculté de consentir à des prêts gratuits au nom du mont-de-piété.

On voit dans l'ouvrage de notre honorable collègue M. Dedecker et dans l'ouvrage de M. Arnould qu'à Gand le nombre des prêts à intérêt, même pour des sommes inférieures à 12 fr. dépasse de beaucoup le nombre des prêts gratuits.

Du reste, la question des prêts gratuits est en quelque sorte prématurée ; car la faculté de faire des prêts gratuits dépend de la dotation. Dès que la dotation sera assez considérable pour couvrir les frais de régie, d'administration, on pourra, sinon faire des prêts gratuits, du moins diminuer notablement le taux des intérêts ; la question des prêts gratuits se confond avec la question de la dotation.

Si le projet de loi est voté, les monts-de-piété ne seront plus obligés de recevoir toutes les sommes que les hospices et les communes trouvent bon de verser dans la caisse des monts-de-piété qui en payent l'intérêt sans en avoir aucun besoin. Alors les bénéfices augmenteront et ils tourneront au profit de monts-de-piété, au lieu de tourner, comme aujourd'hui, au profit des autres établissements de bienfaisance ; les monts-de-piété, je le répète, sont maintenant obligés de recevoir, les fonds que leur donnent les communes, les hospices, les établissements de bienfaisance bien qu'ils n'en aient pas besoin, et souvent ils doivent leur payer un intérêt plus élevé que celui qu'ils en obtiennent par le placement de ces fonds à la caisse d'épargne. C'est une anomalie ; n'est-il pas ridicule d'enrichir un établissement de bienfaisance, au détriment d'un autre ?

Au reste, ce serait une erreur de croire que l'on perçoit sur les gages de minime valeur un intérêt usuraire. Les prêts de sommes inférieures à 5 fr. constituent, malgré l'intérêt que paye l'emprunteur, la mont-de-piété en perte. Ce n'est qu'à partir de 5 fr., d'après quelques auteurs, à partir de 12 fr. d'après d'autres, à partir même de 17 fr., d'après certains autres, que le mont-de-piété fait ses frais. D'après les calculs qui ont été faits, un gage, quel qu'il soit, coûte 15 centimes de frais pour l'inscription, la conservation, la restitution et le personnel, qu'il faut nécessairement compter.

Lorsque l'on prête un ou deux francs sur un gage qui est retiré au bout de 20 jours, par exemple, on ne paye qu'un centime d'intérêt à l'établissement, bien qu'il ait fait 15 centimes de frais. Cet intérêt de 1 cent, calculé pour toute l'année constituerait, il est vrai, un intérêt considérable. Mais le gage restant peu de temps, et c'est ce qui arrive ordinairement, l'établissement est constitué en perte, même en recevant des intérêts qui paraissent extrêmement élevés. Les monts-de-piété ne peuvent se maintenir dans une situation normale, qu'à l'aide des gages d'une certaine valeur qui leur restent pendant quelque temps, et sur lesquels ils peuvent faire un bénéfice, soit par les intérêts, soit par la vente. Mais les individus qui s'adressent aux monts-de-piété, pour obtenir des sommes très peu considérables, reçoivent en quelque sorte un prêt gratuit.

Messieurs, j'ai demandé la parole, lorsque j'ai entendu l'honorable M. T'Kint de Naeyer dire qu'il attendrait le cours de la discussion pour se prononcer à l'égard de l'article du projet de loi, concernant la suppression des commissionnaires.

Messieurs, si j'ai dit tout à l'heure que la partie la plus importante du projet était celle qui accordait au gouvernement un pouvoir plus étendu, je dois ajouter que la partie de la loi qui consiste dans la suppression des commissionnaires, me semble à peu près aussi importante.

En effet, ces commissionnaires n'offrent pas toutes les garanties que l'on trouve au mont-de-piété lui-même ; ils peuvent ne pas porter les gages au mont-de-piété, les conserver chez eux ; et dans ce cas a-t-on autant de sécurité pour la conservation et par suite l'identité de ces gages ?

Ces commissionnaires ont une double comptabilité, ils ont de nombreux intérêts à calculer, quelle garantie a-t-on de l'exactitude de ces calculs ? N’est-il pas évident, que des indigents illettrés peuvent être ainsi trompés d'une manière indigne ? Que dire ensuite de l'intérêt que ces commissionnaires perçoivent et qui est plus élevé que celui perçu par le mont-de-piété lui-même ?

Je pense donc que la suppression des commissionnaires est d'une grande utilité, et sera très avantageuse pour ceux qui doivent recourir aux monts-de-piété.

On dira peut-être : Mais on n'est pas forcé de recourir aux commissionnaires ; cela est vrai, on peut s'adresser directement aux monts-de-piété ; mais il faut prémunir les indigents contre les dangers qu'ils n'aperçoivent pas. Les commissionnaires, ne peuvent-ils pas employer certains moyens pour engager les individus à recourir à eux ? Ne peuvent-ils parfois accorder certaines facilités qui attirent les malheureux et finissent par leur être très nuisibles ?

Je crois que les bureaux auxiliaires qui, sans beaucoup de frais, remplaceront les commissionnaires, rendront des services bien plus grands que ne peuvent en rendre aujourd'hui les commissionnaires.

L'on s'effraye de la dépense à laquelle l'établissement des bureaux auxiliaires donnera lieu. .Messieurs, il suffit de jeter les yeux sur la note (page 1006) annexée au rapport de la section centrale, pour être complètement rassuré à cet égard.

D'ailleurs, on a l'exemple de ce qui s'est passé à Liège. Cet exemple doit faire cesser toute appréhension.

Il ne s'agit pas de réaliser pour la première fois une idée théorique, il s'agit de propager un fait pratique qui existe avec avantage dans une de nos villes.

On dit que beaucoup de personnes s'adressent aux commissionnaires, pour être plus sûres du secret. Mais, messieurs, en général, la clientèle des monts-de-piété ne craint pas la publicité ; mais si cette crainte existe, les bureaux auxiliaires seront là, pour remplacer les commissionnaires. Dans tous les cas, le secret est assuré aux individus par une disposition pénale contenue dans le projet de loi qui est en discussion.

En parlant des commissionnaires, je suis amené également à parler d'une disposition dont vous a entretenus mon honorable ami M. de La Coste, relativement aux objets volés. Je pense qu'à cet égard la suppression des commissionnaires est aussi une garantie pour la société. Le recel est moins à craindre dans les monts-de-piété que chez les commissionnaires.

Quant aux objets volés, l'honorable M. de La Coste a dit que l'arrêté du mois d'octobre 1826 avait laissé les monts-de-piété dans le droit commun, et que le projet de loi en discussion les en faisait sortir ; l'honorable membre a ajouté qu'il ignorait si l'arrêté de 1826 avait donné lieu à des inconvénients.

Messieurs, l'article de l'arrêté de 1826, qui mettait les monts-de-piété dans le droit commun, a été un obstacle à la mise en vigueur de cet arrêté ; l'arrêté de 1826, en consacrant le droit commun pour les monts-de-piété, commettait une véritable injustice. Cette disposition a été universellement repoussée, et l'arrêté de 1826, à cause de cette disposition, est resté en partie sans exécution dans plusieurs localités.

Messieurs, je pense que le projet de loi en discussion a fait une juste part et au propriétaire de l'objet volé et au mont-de-piété lui-même. Quelle est la législation sur ce point ? Le droit commun est celui-ci : en fait de meubles, la possession vaut titre ; ainsi le mont-de-piété, possédant l'objet, n'aurait pas besoin de justifier son titre.

Une exception existe dans le Code civil, et cette exception permet à l'individu auquel appartient l'objet, s'il a été volé ou perdu, de le reprendre sans en rembourser le prix.

Toutefois, cette exception au droit commun n'est pas elle-même générale, elle est en partie détruite par une nouvelle exception dans l'article 2280 du Code civil, qui porte que quand l'objet a été acheté dans un marché ou dans une foire, l'individu auquel il a été volé ne peut le réclamer qu'en en payant le prix.

Eh bien cette exception à l'exception si je puis parler ainsi, qu'on a admise lorsque l'objet a été acheté soit dans un marché, soit dans une foire ; cette exception on demande à l'appliquer aux monts-de-piété, et on la leur applique avec infiniment plus de raison qu'on ne l'applique en faveur d'un individu qui a acheté un objet dans une foire.

En effet, celui qui achète un objet dans une foire ou chez une personne vendant des objets semblables, est libre d'acheter ou de ne pas acheter ; mais le mont-de-piété n'est pas libre de recevoir ou de ne pas recevoir l'objet qu'on lui présente ; le mont-de-piété a pour mission, tel est le but de son institution, de recevoir les objets sur lesquels on veut emprunter ; il est donc obligé de recevoir l'objet qu'on lui présente, quand on ne lui a pas fait connaître que cet objet a été volé ou perdu. Serait-il juste et raisonnable de dire à une institution de cette nature : Vous êtes tenue de recevoir l'objet qu'on vous présente et de donner sur ce gage une somme de..... ; néanmoins, si le lendemain un individu vient réclamer cet objet comme lui ayant été volé, vous le lui rendrez sans qu'il soit tenu de vous rembourser le montant du prêt. L'exception de l'article 2280 qu'on veut étendre aux monts-de-piété est donc parfaitement justifiée ; je me réserve de revenir sur cette thèse, si elle est contestée lors de la discussion des articles.

M. Dedecker. - Messieurs, quand on étudie l'histoire des monts-de-piété, qu'on compare leur situation à l'époque de leur institution avec leur situation actuelle, on éprouve ce sentiment pénible sous l'impression duquel s'est exprimé l'honorable M. T'Kint de Naeyer. Cette différence de situation provient des charges qui incombent aujourd'hui, à ces établissements et qui ne leur incombaient pas autrefois.

Quand les monts-de-piété ont été créés, ils l'ont été par la charité chrétienne, qui fournissait gratuitement les fonds qu'on prêtait, les locaux où l'on gardait les gages et le personnel chargé de l'administration de ces établissements.

Aujourd'hui, de tous ces chefs l’administration des monts-de-piété a des charges accablantes. Rien que pour les intérêts annuels des capitaux employés par nos vingt-deux monts-de-piété, il faut compter près de 200 mille francs ; l'administration coûte 180 mille francs ; les loyers de locaux, les assurances, les manipulations des gages, les frais de vente et menues dépenses montent encore à 240 mille francs.

Vous comprenez donc que si les monts-de-piété ne peuvent plus prêter gratuitement comme à leur origine, s'ils doivent percevoir jusqu'à 15 p. c, ce n'est pas qu'ils perçoivent un bénéfice usuraire ; ils ne font que rentrer dans leurs avances et se couvrir des charges qui incombent aux administrations actuelles.

Cet intérêt de 15 p. c. que l'on paye aux monts-de-piété, doit paraître exagéré ; il ne faut pas cependant attacher trop d'importance à cette observation, parce que, de fait, cet intérêt exorbitant ne retombe pas sur les petits gages. Or, la statistique prouve que le plus grand nombre des gages sont des gages de petite valeur qui payent un intérêt si minime, que, sans l'adjonction des gros gages, il faudrait augmenter de beaucoup l'intérêt qu'on perçoit aujourd'hui. Déjà l'honorable M. d'Anethan a présenté des considérations dans ce sens.

Il est reconnu que chaque gage, pour les frais, représentant l'intérêt des capitaux, les dépenses d'administration, etc., coûte en moyenne 17 centimes, et, dans beaucoup de cas, jusqu'à 20 et 30 centimes, et souvent il ne rapporte à l'administration que 1 ou 2 centimes. Vous comprenez que sur la masse des gages de cette valeur l'administration est en perte ; ce n'est que sur les gages de quelque valeur, sur des dépôts d'argenterie et de marchandises neuves que l'administration peut se rattraper et éviter ainsi de percevoir un intérêt plus élevé. D'ailleurs, il faut bien le dire, cette élévation d'intérêts à payer touche si peu l'esprit de la classe ouvrière, qu'ainsi que l'a dit M. T'Kint, les 5/6 des engagements se font par l'intermédiaire des commissionnaires.

Or, là où l'administration centrale du mont-de-piété ne perçoit que un ou deux centimes, ces commissionnaires perçoivent, à différents titres, jusqu'à 20 et 30 centimes ! Ce serait sans doute un bienfait si on pouvait détruire ces intermédiaires par lesquels passent les 5/6 des engagements des monts-de-piété.

Ceci m'amène à l'examen de la question soulevée par l'honorable préopinant relativement au remplacement de ces commissionnaires jurés par des bureaux auxiliaires.

Loin de moi la pensée de vouloir confondre dans la même improbation tous les employés qui aujourd'hui tiennent des maisons de commissionnaires jurés ; il y a parmi eux des hommes très honorables, mais il n'en est pas moins vrai que l'expérience des siècles prouve que l'existence de ces commissionnaires jurés a toujours offert, au point de vue administratif, beaucoup d'inconvénients. D'abord, leur salaire est fixé sans aucune espèce d'égard à la durée du prêt.

Il en résulte que pour un prêt de 2 fr. pour une semaine, ils reçoivent autant que si le prêt était fait pour toute une année. Si ce prêt se renouvelle très souvent, comme cela arrive pour la classe ouvrière, ils perçoivent jusqu'à cinquante-deux fois dans un an un intérêt qui ne devrait être payé qu'une fois. Ainsi, pour donner un exemple, un prêt de 2 fr. dégagé chaque semaine coûte à l'emprunteur par l'intermédiaire des commissionnaires jurés 5 fr. quoique le mont-de-piété n'ait perçu sur ce même gage que 50 c. pour les dégagements successifs.

Ces commissionnaires jurés offrent encore un grand nombre d'inconvénients dont les principaux ont été signalés par l'honorable M. d'Anethan. Cependant il est évident qu'au point de vue administratif, on ne pourrait pas, surtout dans nos grandes villes, se contenter d'un seul établissement ; il faut donc des maisons ouvertes dans les divers quartiers, afin d'offrir plus de facilité à la classe ouvrière, et afin de ne pas la forcer à de longues courses et à perdre beaucoup de temps pour aller engager les objets sur lesquels elle éprouve le besoin d'emprunter.

Il faut donc maintenir ces maisons succursales ; mais il faut remplacer les commissionnaires qui les tiennent par des employés relevant de l'administration centrale, offrant à tous égards plus de garanties et ne percevant d'autres intérêts que ceux perçus aux monts-de-piété mêmes.

L'honorable M. T'Kint de Naeyer a demandé aussi la création ou l'adjonction aux monts-de-piété actuels de caisses de prêts gratuits. Messieurs, cette pensée est certainement toute philanthropique. Il n'est personne d'entre nous qui ne voulût mettre à la disposition des pauvres réellement malheureux, victimes de quelque accident, de quelque chômage momentané de leur travail, quelques petites sommes destinées à relever le crédit de leurs familles. L'impossibilité de discerner les pauvres véritables des pauvres qui n'ont recours aux monts-de-piété que par suite de la dissipation et de la débauche, a seule été jusqu'ici un obstacle à la multiplication de ces caisses gratuites.

Si l'on devait donner suite à la pensée exprimée par l'honorable M. T'Kint de Naeyer, et que j'avais moi-même appuyée dans la section centrale, il faudrait adjoindre la proposition de l'honorable membre, non à l'article 10, mais à l'article15. Il s'agit avant tout de s'occuper de la constitution d'une dotation pour les monts-de-piété. C'est seulement après la constitution de cette dotation, servant de capital, qu'on pourrait songer à consacrer l'excédant des bénéfices qu’il pourrait y avoir encore à la constitution d'une caisse de prêts gratuits.

Cependant je vous déclare que, pour ma part, j'irais même plus loin que l'honorable M. T'Kint de Naeyer et que la plupart des auteurs qui se sont occupés de la question des monts-de-piété. Je voudrais qu'on pût organiser le prêt gratuit à domicile. Il faut absolument désapprendre le chemin des monts-de-piété aux indigents honnêtes ; par l'organisation du prêt gratuit à domicile, ce serait extrêmement facile, surtout à l'aide des maîtres des pauvres. Ainsi, je suppose qu'un maître des pauvres rencontre une famille honnête qu'un accident imprévu force à emprunter. Au lieu de lui donner seulement sa part d'aumône de la semaine, je voudrais que le maître des pauvres, connaissant cette famille comme honnête, pût lui faire sur les fonds de la bienfaisance publique, une petite avance, sauf à la retenir par parties sur les aumônes des semaines suivantes. On pourrait ainsi produire beaucoup de bien ; car le prêt a une toute autre influence que l'aumône. Le prêt stimule l'activité par la nécessité de rembourser ; il maintient la dignité de l'emprunteur, tandis que l'aumône avilit.

(page 1007) Du reste messieurs, il ne faut pas ici encore se laisser aller aux illusions. L'honorable M. T'Kint de Naeyer vous citait l'exemple de la caisse gratuite annexée au mont-de-piété de Gand par une donation de l’évêque Triest en 1624. Eh bien, messieurs, c'est triste à dire, mais depuis la fondation de cette caisse gratuite, depuis deux siècles, jusqu'à présent, jamais les fonds de cette caisse n'ont été complètement épuisés ; c'est-à-dire que les pauvres ont mieux aimé aller chez les commissionnaires jurés se faire rançonner, payer vingt, trente et quarante pour cent plutôt que d'aller à une caisse qui leur offrait des secours gratuits, à condition d'aller jusqu'au local même du mont-de-piété. Car l'évêque Triest a stipulé que ces prêts gratuits ne peuvent se faire que sur des gages de 12 francs et à condition qu'on aille au mont-de-piété et non chez des intermédiaires dont il connaissait les inconvénients.

Messieurs, je partage encore l'opinion de l'honorable M. T'Kint de Naeyer, lorsqu'il vous dit qu'en améliorant le régime actuel des monts-de-piété, tout n'est pas fait. Certainement non, messieurs, il y a beaucoup à faire encore pour le crédit en faveur du petit commerce, et dans les circonstances difficiles que nous traversons, la nécessité de plus de facilités pour l'escompte se fait sentir plus vivement que jamais. On nous a parlé, il y a quelque temps, de relever le crédit agricole. C'est là une excellente pensée. Mais il faut aussi songer au petit commerce de nos villes, qui est certainement en souffrance. Si l'on pouvait adjoindre aux monts-de-piété des caisses d'escompte pour le petit commerce, comme déjà maintenant on y reçoit les dépôts de marchandises neuves, on rendrait aux petits commerçants et aux détaillants un service signalé.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, je crois inutile de prolonger la discussion générale. Le principe de la loi n'a pas été contesté ; l'utilité de l'institution des monts-de-piété est généralement reconnue. Les observations critiques qui ont été faites par quelques membres ne concernent que les dispositions spéciales du projet. Je pourrai les rencontrer lors de l'examen des articles.

-La discussion générale est close.

La séance est levée à 4 heures.