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Chambre des représentants de Belgique
Séance du samedi 22 janvier 1848
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre
2) Projet de loi portant le budget du département de
la justice pour l’exercice 1848. Discussion des articles.
a) Etablissements de bienfaisance. Droit pour le
gouvernement de refuser un legs fait à une fondation charitable, sécurisation
de la charité et entraves à l’exercice de la charité privée (catholique) (Malou, (+expulsion de l’aumônier de l’hospice Saint-Jean de
Bruxelles) de Bonne, Frère-Orban,
d’Anethan, (+spécificité spirituelle de la charité
chrétienne) de Mérode, Dedecker,
(+critique de l’abus du recours aux fondations catholiques) Frère-Orban, de Haussy, Malou, (+interdiction faite aux officiers de faire partie de
l’association de Saint-Vincent de Paul) de Theux, Verhaegen), régime des aliénés (de
Haussy, d’Anethan, de Haussy)
b) Etablissements pénitentiaires (de
Haussy, Cogels, de Haussy, Rogier, Lange, de
Haussy, d’Anethan, de Haussy,
Cogels, Pirson, de Haussy, Lys, de
Haussy)
c) Sûreté de l’Etat. Droit d’expulsion des étrangers (de Brouckere, de Haussy, de Brouckere, d’Anethan)
(Annales parlementaires de Belgique, session
1847-1848)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 589) M. Troye procède à l'appel
nominal à midi et quart.
M.
T’Kint de Naeyer lit le procès-verbal de la séance précédente ;
la rédaction en est approuvée.
M. Troye présente l'analyse
des pétitions adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
« Les habitants de plusieurs communes du
canton d'Andenne prient la chambre de rejeter le projet de loi relatif au droit
de succession. »
- Renvoi à la section
centrale chargée de l'examen du projet.
________________
« Plusieurs notaires
du canton d'Ellezelles présentent des observations concernant le projet de loi
sur le notariat. »
- Dépôt sur le bureau
pendant la discussion du projet de loi.
________________
« Le conseil
communal de Beaufays demande que le chef-lieu du canton de Louvegné soit
transféré à Beaufays et que les communes de Tilff et d'Embourg soient réunies à
ce canton. »
- Renvoi à la
commission des circonscriptions cantonales.
________________
« Plusieurs habitants de Hulsen, commune de
Baelen, présentent des observations sur la direction à donner à la route de
Mall à Beeringen. »
- Dépôt sur le bureau
pendant la discussion du budget des travaux publics.
________________
« Le sieur
Wellain, membre du conseil communal de Forges, prie la chambre de statuer sur
sa demande tendant à ce que le bourgmestre de cette commune se conforme à
l'article 62 de la loi communale et que les décisions du conseil soient
respectées. »
- Renvoi à la
commission des pétitions.
________________
« Plusieurs habitants de Nivelles et de la
banlieue présentent des observations contre la suppression du premier canton de
justice de paix de cette ville. »
- Renvoi à la
commission des circonscriptions cantonales.
________________
« Plusieurs habitants de Courtray demandent
qu'il soit fait des économies dans les dépenses de l'Etat. »
(page 590) Renvoi à la commission des pétitions et dépôt sur le
bureau pendant la discussion des budgets.
________________
« Le sieurVanden
Moortgat demande que le gouvernement fasse abattre les arbres qui se trouvent
sur la chaussée de Grammont à Gand, et qui empêchent l'exploitation de son
moulin à vent situé à Steenhuyze-Wynhuyze. »
- Renvoi à la
commission des pétitions.
________________
M. Malou demande un
congé de 6 jours à partir de lundi prochain.
- Accordé.
PROJET DE LOI PORTANT LE BUDGET DU DEPARTEMENT DE LA JUSTICE POUR L’EXERCICE 1848
Discussion des articles
Chapitre IX - Etablissements de bienfaisance
Discussion générale sur le chapitre
M. le président. - La discussion
continue sur l'ensemble du chapitre IX, Etablissements de bienfaisance.
M. Malou. - Messieurs, il semble,
au premier abord, que le débat engagé devant cette chambre doit être stérile et
sans résultat ; il semble, comme on le dit quelquefois, qu'en se livrant à
cette discussion la chambre perd son temps. Je crois pouvoir établir qu'il n'en
est rien, que non seulement il s'agit d'un intérêt très grand, d'un intérêt
vital pour les classes les plus nombreuses, mais que cette discussion doit
avoir un résultat sérieux, sinon aboutir à un vote immédiat. En effet, s'il est
démontré au gouvernement que l'application de son système contrarie tous les
intérêts dont il est le tuteur, s'il est démontré que l'application de ce
système, lors même qu'elle serait légale, est fatale pour les intérêts qu'il
doit sauvegarder, de deux choses l'une : dans la première hypothèse ii
cherchera à faire une meilleure application des lois, dans la seconde les
chambres sauront qu'il est de leur devoir d'aviser.
Messieurs, ce n'est
pas trop que de consacrer à l'examen de notre législation sur la bienfaisance
publique quelques heures dans une seule session.
Il y a ici,
messieurs, un fait et un système. Le fait, c'est l'application que le
gouvernement a faite de l'article 84 de la loi communale en ce qui concerne le
legs fait par le curé Lauwers.
Le système, c'est que
désormais l'article 84 de la loi communale serait à peu près annulé, c'est que
la bienfaisance privée serait restreinte, sinon annulée, dans ses rapports avec
la bienfaisance publique.
.La question de
légalité a son importance sans doute. Loin de moi la pensée de vouloir la méconnaître
; mais cependant je m'y arrêterai très peu, les motifs de l'une et de l'autre
opinion ont été développés, je n'hésite pas à le dire, avec un talent tellement
remarquable qu'il serait téméraire à moi de vouloir ajouter de nouvelles
considérations aux arguments qui ont été produits.
Mais cette question
présente un autre côté plus digne de l'attention de la chambre et du pays,
c'est le côté social, et je dirai chrétien, de l'application du système du
gouvernement. Quant à la question de légalité, il n'entre sans doute dans
l'opinion de personne de contester au gouvernement le droit de réduire les
dispositions testamentaires faites en faveur des pauvres ; l'article 910 du
Code civil confère ce droit ; le gouvernement peut en user, d'après l'exposé des
motifs de cet article, quand il trouve un excès condamnable dans les
dispositions qu'il est appelé à approuver. Ainsi le droit de restriction est
évident, mais si l'on ne veut pas arrêter l'essor de. la charité privée et
nuire au développement de la charité publique, ce droit doit être exercé avec
prudence selon l'ensemble des principes de notre législation civile.
Ici un fait me frappe
en premier lieu : si les père et mère de M. Lauwers lui avaient survécu, quelle
eût été, d'après notre droit civil, la part qui leur serait revenue ? Ils
auraient pu obtenir chacun un quart de la succession. Si, dans cette hypothèse,
M. Lauwers avait disposé de la moitié de sa succession, la disposition était
complètement inattaquable d'après le droit civil ; son père et sa mère
n'auraient obtenu chacun qu'un quart de la succession. N'ayant pas laissé
d'ascendants, il pouvait disposer de la totalité de sa succession au profil
d'un tiers, comme il a pu en disposer au profit des pauvres. C'est en présence
de cette législation que le gouvernement a cru pouvoir disposer (car remarquez
que c'est le gouvernement qui a testé ; ce n'est pas M. Lauwers), a cru pouvoir
disposer, dis-je, de la moitié de sa succession au profit de collatéraux.
Quoiqu'il s'agisse
ici d'un droit, je dirai que l'application, l'usage de ce droit n'a pas été
fait avec discernement, n "a pas été fait de manière à encourager la
bienfaisance.
Est-ce bien
sérieusement que, pour justifier le système de l'arrêté du 30 décembre, on
invoque l'article 900 du Code civil ?
Est-ce bien
sérieusement qu'en présence de cette clause si formelle : « Je veux
que la distribution soit faite par les curés », on vient vous dire qu'il s’agit d’une
condition contraire aux lois ? Je ne pense pas qu'il y ait un jurisconsulte, ni
dans cette chambre, m dans le pays, qui puisse voir une condition dans une
clause aussi formelle. C'est l'institution même ; c'est le mode d'exécution de
l'institution. Ce n'est pas une condition que le gouvernement a réputée non
écrite. C'est une clause du testament elle-même que le gouvernement a réputée
non édite.
Un mot sur l'article
84 de la loi communale. Je me replace un instant sur le terrain où s'est placé
l'honorable député de Bruxelles, M. Tielemans. L'honorable membre reconnaît(si
je l'ai bien compris) que les règlements de 1824 et 1825 donnent le droit pour
l'avenir de constituer des administrateurs spéciaux. Mais il ajoute que ces
règlements n'étaient pas légaux ; il ajoute que la loi communale, sans
prétendre rien innover, a consacré, pour le passé et pour l'avenir, le système
des règlements de 1824. Quelles sont les conséquences naturelles de ce
raisonnement ? C'est qu'à présent, non en vertu des règlements, mais en vertu
de la loi communale, qui, sans innover, a maintenu les principes de ces règlements,
il est permis à la bienfaisance privée de constituer des administrateurs
spéciaux pour les legs faits aux pauvres.
Telle est la
conséquence logique du système qui a été soutenu hier, avec tant de talent,
devant vous.
Ce n'est pas à dire
qu'en présence de telle institution, de telle clause, si bizarre qu'elle puisse
être, le gouvernement doive approuver ou rejeter, d'une manière absolue, les
dispositions testamentaires faites dans l'intérêt des indigents. Mais il est un
principe dont le gouvernement ne doit jamais s'écarter.
Il ne doit pas à
plaisir, sans évidente nécessité, s'écarter de la volonté du testateur ; il
doit au contraire, pour la saine appréciation de ces actes, s'attacher à
concilier dans une juste mesure, selon les principes des lois et selon la
volonté du testateur, ces dispositions mêmes avec les dispositions générales
organiques de la charité publique.
Ce système avait
prévalu jusqu'à ce jour. A mon grand regret, on s'en est écarté dans cette
circonstance.
Je citerai les faits
qu'a rappelés hier l'honorable ministre de la justice.
En 1837, une dame
protestante légua aux fabriques des églises catholiques de Bruxelles et au
consistoire protestant des sommes importantes.
La question soumise
au gouvernement était donc de savoir si les fabriques d'églises peuvent
accepter au nom des pauvres, si en d’autres termes elles sont personnes civiles
ou susceptibles de le devenir pour autre chose que pour l'objet spécial de leur
mission, c'est-à-dire pour le cuite. Eh bien, cette question, le gouvernement
la décide négativement, et il a raison, parce que les fabriques d'églises ne
peuvent pas être transformées en bureaux de bienfaisance. Elles ont, d'après la
loi, un caractère, un mandat spécial.
Mais s'ensuit-il que
le gouvernement annule toutes les clauses du testament ? S'ensuit-il que le
gouvernement substitue sa volonté à celle de la testatrice ? En aucune manière.
Le gouvernement dit : Les hospices de Bruxelles ont seuls qualité pour accepter
la donation ; mais pour nous conformer à la volonté de la testatrice, les
hospices de Bruxelles remettront le produit des capitaux aux pauvres que les
fabriques des églises et que le consistoire protestant leur désigneront chaque
année.
(page 591) C’est là, messieurs, ce que j'appelle concilier le
système général des lois sur la bienfaisance publique avec la volonté
clairement, directement exprimée par la testatrice.
Voilà ce qu'on a fait
en 1837. Voilà ce que M. le ministre de la justice a appelé hier, les vrais
principes, et c'est là aussi, messieurs, puisqu'il faut le dire, précisément le
contraire de ce qu'on a fait aujourd'hui.
La deuxième question
qui s'est présentée, est celle au sujet de laquelle j'ai fait dans les bureaux,
comme fonctionnaire, une note dont M. le ministre de la justice a cru pouvoir
donner lecture partielle à la chambre.
Je n'examine pas,
messieurs, cette question comme précédent administratif, comme idée
gouvernementale. Je veux seulement attirer l'attention de la chambre sur ce
point. Pour moi, quant à la note en elle-même, et quant au système dont elle
est l'expression, je ne puisque remercier M. le ministre de la justice d'avoir
bien voulu la produire.
Voici, messieurs,
quel était le fait.
Une dame lègue une
somme aux pauvres protestants de Maria-Hoorebeke. Le bureau de bienfaisance de
cette commune demande à être autorisé à accepter ce legs, et le diaconat
protestant de Maria-Hoorebeke forme, de son côté, la même demande.
Je fus consulté sur
cette question, et pénétré de l'idée qu'il faut maintenir l'unité dans la
charité légale, que le bureau de bienfaisance est seul le représentant des
pauvres de tous les cultes, je conclus que le gouvernement devait autoriser
l'acceptation du legs par le bureau de bienfaisance de Maria-Hoorebeke ; mais
je conclus en même temps dans une autre partie de cette note qui est déposée
sur le bureau à ce qu'on observe la volonté de la testatrice, c'est-à-dire à ce
que cette somme parvienne aux pauvres protestants de Maria-Hoorebeke ; le
gouvernement a disposé dans ce sens, conciliant encore une fois la volonté
manifeste de la testatrice avec les exigences générales de notre système de
bienfaisance publique. Tel est le deuxième précèdent dont on s'est complètement
écarté aujourd'hui.
Troisième fait.
On lègue aux pauvres
de Bruges, pour être distribuée par les curés, une somme de 126,000 fr. Le
gouvernement autorise encore une fois les représentants légaux des pauvres,
l'administration publique, à accepter le legs ; mais il maintient la volonté du
testateur, eu ce sens que la distribution se fait par les personnes que le
testateur a désignées.
Je dis, messieurs,
que ces faits ne sont pas les seuls. A Bruxelles même, comme on vous l'a déjà
dit, les hospices remettent chaque année à des personnes qui ont été désignées
par les testateurs, des sommes provenant de capitaux dont ils ont
l'administration.
Messieurs,
permettez-moi de placer ici une considération morale. Il y avait à Bruxelles
une jurisprudence administrative connue. Le curé Lauwers devait la connaître
mieux que personne, parce que chaque année il lui en était fait application par
la remise de sommes provenant ainsi de fondations particulières.
En présence de ce
précédent, le testament est doublement faussé dans son application, puisque le
curé Lauwers devait savoir, devait croire du moins que cette jurisprudence
était fondée sur la loi : il devait
croire que son testament sortirait ses effets. Or, s'il résulte quelque chose
de ce débat, c'est que le testament du curé Lauwers ne sort ses effets sous
aucun rapport, ni quant au mode ni quant à la distribution ; en effet le mode a
été vicié par l'arrêté royal du 30 décembre et la distribution a été viciée par
l'application que les hospices font des capitaux légués par M. Lauwers.
Veuillez remarquer,
messieurs, que dans le système que je défends, on résout à la satisfaction de
tous les intérêts, les objections fondamentales présentées hier par l'honorable
M. Tielemans.
En effet, messieurs,
il est évident que dans ce système le patrimoine du pauvre est complètement
garanti par l'intervention de l'autorité publique ; mais on évite, m même
temps, d'aller au-delà du but, on évite de restreindre la bienfaisance privée,
de s'opposer aux volontés si diverses des hommes, en leur imposant une gêne que
la loi n'exige pas et qui ne peut avoir d'autre effet que de paralyser la
charité privée, dans ses rapports avec les intérêts publics.
Voici donc, l'un en
regard de l'autre, les deux systèmes : le gouvernement pense que, d'après les
lois actuellement existantes, il lui est complètement interdit, en toute
hypothèse, de permettre à d'autres, curés, particuliers, membres de la famille,
étrangers, à d'autres qu'aux hospices ou aux bureaux de bienfaisance,
d'accepter des legs ; en quoi il a raison ; mais il ne veut pas permettre à
d'autres, et même sous le contrôle de l'autorité publique, de faire la
distribution, la remise des sommes provenant de ces legs. Nous, au contraire,
nous pensons (car je pense qu'on s'est exagéré les conséquences du système de
mon honorable ami M. d'Anethan), nous pensons que le gouvernement peut, en
vertu de l'article 84 de la loi communale, et tout en exigeant les garanties
nécessaires pour la conservation du patrimoine des pauvres, permettre que la
volonté des fondateurs, lorsqu'ils confient à d'autres mains qu'à celles des
hospices le soin de distribuer le fruit de leur libéralité, que cette volonté
sorte set effets, et soit conciliée ainsi avec les exigences des intérêts
publics.
Ces deux systèmes
ainsi définis, permettez-moi de les rapprocher l'un de l'autre, au point de vue
social, au point de vue de l'intérêt des familles, du droit de propriété, de
l'intérêt des pauvres. Telle me paraît être la véritable question qui s'agite
dans ce débat.
(page 592) Et d'abord, messieurs, nous le savons tous, la révolution
française a fait d'immenses ravages dans le patrimoine des pauvres. Consultez
aujourd'hui vos budgets, les budgets des communes, les budgets des
établissements publics, vous verrez que la charité légale reçoit aujourd'hui
des communes des subsides qui pour tout le royaume s'élèvent annuellement à
plus de 3 millions.
J'ai indiqué l'année
dernière, dans la discussion du budget des voies et moyens, d'après les
renseignements incomplets qu'il m'avait été possible de recueillir, ce chiffre
de 3 millions, que je crois de beaucoup au-dessous de la réalité.
Les ressources de la
charité légale sont donc insuffisantes et il est de l'intérêt de
l'administration, de l'intérêt de tous, d'exciter la bienfaisance privée, afin
qu'on puisse un jour en venir à ce résultat que dans toutes les localités,
comme cela n'existe malheureusement que d'une manière très exceptionnelle pour
quelques-unes, les institutions de bienfaisance puissent se suffire, faire face
à leurs dépenses par leurs revenus et se passer des subsides communaux.
L'intérêt est évident
; tout système qui tendra à restreindre l'action de la charité privée est donc
contraire aux intérêts d'une bonne administration, contraire aux intérêts de la
société.
Quel est donc le
résultat de ce système ? En le réduisant à son expression la plus simple, il
n'est autre que d'exclure une des formes de la bienfaisance publique, de
l'exclure. sans motif, sans nécessité d'intérêt public. Et quelle est la forme
qu'on exclut ainsi ? C'est celle qui a des racines historiques dans le pays,
c'est presque la seule forme de la bienfaisance privée dans notre pays, et je
vais citer un fait qui le démontrera à la dernière évidence.
Nous avons des
fondations d'instruction publique ; le revenu en est considérable ; je crois
que le revenu des fondations qui ont été sauvées de la tourmente de 1790,
s'élève à plus de 600,000 francs ; et voyez comment ces fondations, dont l'état
nous a été distribué récemment, ont été créées ; elles l'ont été toutes avec
des réserves quant à la famille, quant aux parents du fondateur. Ainsi, dans
cette partie de la bienfaisance publique (puisqu'il s'agit aussi de fondations
pour l'éducation des pauvres), la forme qu'on exclut est celle qui est usitée,
qui est traditionnelle depuis des siècles dans notre pays.
Et puisque ce fait
m'amène sur ce terrain, comment a-t-on fait ? On a organisé le contrôle de
l'autorité publique sur les donations destinées à l'instruction ; mais on s'est
bien gardé de supprimer la volonté des fondateurs, en tant qu'elle établissait
des administrateurs spéciaux ; toutes ces fondations, au contraire, sont des
fondations de famille, le patrimoine de l'instruction publique, et garanti,
comme celui des pauvres peut l'être, sans qu'on viole la volonté des
fondateurs.
Et, messieurs, les
dotations même de nos établissements de bienfaisance n'ont-elles pas presque
partout la même origine ? N'est-ce pas aussi à l'époque de la législation
française, des lois de frimaire an V, que ces donations spéciales, avec
l'intervention spéciale de la famille des donateurs, ont disparu ? N'est-ce pas
précisément ce qui, dans la discussion de l'article 84, causait les
inquiétudes, les préoccupations notamment de M. Jullien qui croyait y voir un
effet rétroactif à l'égard des fondations déjà réunies aux dotations générales
des hospices ?
En effet, veuillez-le
remarquer, messieurs, peut-être la question pour certaines personnes est-elle
obscurcie, parce qu'il s'agit d'un curé donnant à distribuer à d'autres curés.
Messieurs, ce serait voir là un fait, et non pas le système ; il s'agit ici de
savoir si un autre que les hospices et les bureaux de bienfaisance pourra
distribuer ; cet autre pourra être quelquefois un curé, mais le plus souvent ce
seront les familles, les parents, ce seront les personnes auxquelles le
fondateur accorde plus de confiance. La main qui distribue sera bien souvent la
cause de la libéralité ; on le perd de vue ; les faits historiques, tout
l'ensemble de l'origine de la fortune de nos établissements de bienfaisance, on
méconnaîtrait cela en une fois.
Il ne s'agit donc pas
ici de savoir si l'administration des bureaux de bienfaisance demeurera laïque
ou deviendra ecclésiastique ; mais si chacun du nous pourra conserver sa libre
action, sa libre disposition dans les intérêts de famille, comme dans l'ordre
des intérêts publics.
Il y a plus : une
question de tolérance religieuse se trouve au fond de ce début. Dans un pays où
la presque totalité de la population est catholique, c'est principalement dans l'intérêt
des cultes dissidents que le système dont je me fais l'organe en ce moment,
doit être maintenu. La preuve en résulte des faits mêmes que je viens de
rappeler.
Dans deux
circonstances sur trois, il s'agissait de dispositions faites par des personnes
appartenant à des cultes dissidents et qui voulaient que ce fût la main d'un de
leurs coreligionnaires qui fît parvenir leurs aumônes à leurs coreligionnaires.
Au nom de la
tolérance civile, vous devez vouloir encore maintenir la possibilité de ce fait
dans votre législation. Les catholiques le savent ; les bureaux de
bienfaisance, les hospices appartiennent à leur culte ; mais les dissidents
savent aussi que leurs legs, tout en restant sous la surveillance de l'autorité
publique, sont remis à des personnes de leur communion religieuse pour
distribuer leurs aumônes à ceux auxquels ils les ont destinées. Une question de
tolérance, je dirai presque une question de constitutionnalité, j'ai le droit
de le dire, se trouve donc réellement au font du débat.
Au point de vue des
droits de la propriété, l'honorable M. Verhaegen disait hier que le droit de
disposer après son décès était exclusivement un droit civil ; ce point est
controversé, les jurisconsultes sont partagés ; les uns diront que le droit de
tester est une conséquence du droit de propriété ; les autres soutiennent que
c'est un effet de la loi civile. Si on consulte l'exposé des motifs du Code
civil, on voit que le législateur a voulu écarter cette controverse ; il s'est
dit que quelque dût le système sur l'origine de ce droit, il ne pouvait être
restreint par la loi, il devait être consacré par elle, toutes les fois qu'un
intérêt d'humanité ou un intérêt public n'exigerait pas de le restreindre.
Notre législation
civile est donc fondée sur ce principe que, comme conséquence du droit de
propriété, il y a libre disposition dans tous les cas non exclus par la loi. Je
dirai que la civilisation, le respect de la propriété est d'autant plus étendu
que ce droit de tester est plus absolu. Quelle est la restriction, la seule
restriction qui existe dans votre législation ? C'est la légitime. Eh bien, que
voyez-vous dans cette disposition ? La légitime restreinte à la ligne directe
et à une certaine quotité ; l'ascendant quand il survit n'a droit qu'à un quart
de la propriété.
La libre
disponibilité existe pour chacun de nous, de manière que nous pouvons, quand il
n'y a pas d'ascendants et de descendants, disposer au profit d'un tiers, d'un
étranger, de la totalité de notre fortune ; la loi n'a aucun compte à nous demander,
nous avons usé d'un droit civil si l'on veut, mais un droit positif reconnu par
la loi.
Si on admettait qu'on
peut réduire de moitié la donation faite à des pauvres, quelle serait la
conséquence ? Nous pourrions tous profiter de la totalité d'une donation, à
l'exception des pauvres ; votre législation aurait pour résultat de créer un
privilège, un seul… au préjudice des pauvres.
Le système du
gouvernement est contraire à une idée chrétienne, à une idée de civilisation ;
dans toutes les sociétés où l'homme s'appartient à lui-même, vous avez, par une
volonté providentielle, la charité ; vous avez au contraire dans les sociétés
où l'homme ne s'appartient pas, ou l'esclavage avec ses formes brutales ou le
servage et la servitude de l'homme dans une forme plus adoucie. Si vous avez
dans les sociétés chrétiennes où l'homme est libre la charité comme devoir,
comme besoin public, il faut l'encourager, il ne faut pas repousser une forme
spéciale de la charité privée, il faut au contraire lui donner plus d'essor,
plus de développement.
Prenons garde, au
milieu de nos luttes de partis, que des idées du moment, des idées
d'intolérance ne viennent exclure de la charité légale la pensée religieuse,
qu'on ne substitue pas à la charité chrétienne, sous prétexte que la
bienfaisance publique est laïque, une philanthropie dépouillée du sentiment
religieux et qui ne répondrait pas aux croyances et aux convictions de la
nation ! Rappelons-nous que la charité est d'origine chrétienne et doit
conserver ce caractère.
Voyons en effet ce
qui s'est passé ; est-ce bien dans ce moment, quand nous voyons au milieu de la
partie la plus souffrante de nos populations le clergé se dévouer au
soulagement des malheureux, quand nous voyons la nécrologie du clergé chargée
de tant de martyrs de maladies contagieuses qui sévissent sur plusieurs parties
du pays, que vous allez décider qu'il n'est pas permis à un testateur de faire
parvenir ses aumônes aux pauvres par la main du curé ? Non, vous ne pouvez pas
le vouloir. Rappelons-le toujours ici, la société telle qu'elle est constituée
aujourd'hui n'a pas rempli son devoir quand elle a donné un morceau de pain au
malheureux pour apaiser sa faim ; la charité chrétienne et religieuse a un
caractère moral, il faut lui conserver ce caractère primitif.
Il le faut, non
seulement par devoir, mais par intérêt ; oui, par intérêt, car le pauvre doit
trouver dans l'idée religieuse des motifs d'un ordre supérieur pour se résigner
à l'inégalité de sa condition sociale.
A ce point de vue, ce n'est pas une question de parti
que nous agitons. Je le répète, cette discussion portera ses fruits ; je suis
convaincu que quand des circonstance analogues à celles qui se sont présentées
à propos du testament du curé Lauwers se présenteront de nouveau, le
gouvernement examinera avec plus de soin s'il n'y a pas moyen de concilier la
volonté expresse du testateur avec les exigences de nos lois quant à la charité
publique.
La discussion
n'eût-elle produit que ce résultat, je me féliciterais qu'elle eût eu lieu,
comme je me féliciterais de m'y être associé. Il faut, toutes les opinions
doivent le vouloir, associer tous nos efforts pour donner à la charité publique
son libre, son entier développement.
M. de Bonne. - Messieurs, je n'abuserai
pas de votre patience, et je ne demande que de dire quelques mots pour répondre
aux critiques plus qu'amères de l'honorable comte de Mérode. Je ne veux pas
réfuter tous les griefs qu'il s'est plu à détailler. Seulement je rappellerai
que l'administration des hospices qu'il accuse est une mineure à qui la loi
n'accorde que la gestion des biens et l'emploi des revenus aux secours de la
bienfaisance, des hôpitaux et des hospices.
Pour tout le reste
elle est placée sous la tutelle de la commune immédiatement, sous celle de
l’administration provinciale médiatement et, en dernier ressort, du
gouvernement.
Il résulte de là que les reproches du noble
collègue frappent à la fois sur tous les pouvoirs légaux de notre pays.
Déplacement de
l'hôpital, plan de la construction, trop belle d’après M. le comte de Mérode,
le choix de la localité ; tout cela a été soumis à toutes ces autorités et n'a
été exécuté que par leurs ordres.
Je vous laisse,
messieurs, à apprécier vous-mêmes combien sont fondées toutes ces critiques.
Un mot encore. M. le
comte de Mérode s'est apitoyé sur le sort de l’aumônier de l’hôpital Saint-Jean
qu’on a expulsé, a-t-il dit, comme s’il n’y avait pas de quoi le loger, etc.
D’abord, il n’a pas été expulsé.
(page 593) Messieurs, depuis quelques années l'aumônier de l'hôpital
St-Pierre n'habite plus dans l'établissement.
Le conseil des
hospices a pensé qu'il fallait de l'uniformité dans son administration, et il a
fait pour Saint-Jean ce qui avait été fait pour Saint-Pierre, indemnité de
logement ; augmentation de traitement, tout a été réglé à la satisfaction
générale.
Mais pourquoi ne pas
les y conserver comme par le passé ? dira-t-il ?
Parce qu'il y avait
des inconvénients inutiles à rappeler et qui ont donné lieu à bien des
réclamations. La presse même s'en est assez souvent occupé.
Alors et à diverses
reprises le principal prélat de Bruxelles a sollicité le placement de
l'aumônier de Saint-Pierre en dehors de l'hôpital, puis Son Eminence le
cardinal archevêque de Matines en a fait la demande positive et le conseil y a
acquiescé.
Ce qui a été demandé
comme utile pour un hôpital doit l'être également pour l'autre, avec d'autant
plus de raisons que les mêmes inconvénients existaient.
Le blâme, la critique
de M. le comte de Mérode tombe encore sur les hommes pour lesquels il professe
le respect le plus grand, qui le méritent et qui n'ont fait aucune observation,
lorsque la mesure leur a été communiquée.
Quant au vicaire, il
n'a jamais été que provisoire ; son secours n'est pas nécessaire : pourquoi
augmenter des frais inutiles là, lorsqu'ils peuvent être requis ailleurs. Si
fallait accéder à toutes les demandes de ce genre, les hôpitaux de Bruxelles
seraient bientôt métamorphosés en congrégations religieuses.
Les attaques
nombreuses faites contre l'administration des hospices et de la bienfaisance
n'ont, à mes yeux, pour but que de faire croire que le clergé est exclu et
qu'on repousse son concours dans la charité publique, tandis que c'est lui, en
bien petite partie à la vérité, qui le refuse ; car excepté trois curés que
j'ai suffisamment désignés, tous les autres lui viennent en aide avec un zèle
et un dévouement dignes d'éloges.
Je crois, en terminant, pouvoir vous exprimer ma
pensée tout entière sur la cause de cette espèce de hourra poussé contre
l'administration de la charité publique à l’occasion du testament du curé
Lauwers. Le gouvernement a réduit la donation ! Voilà le grief. C’est un
précédent qui sera invoqué lorsque des dons seront faits aux fabriques, séminaires
et autres établissements de maimorte. C'est le partage qui blesse vivement nos
adversaires. Cet exemple leur semble funeste pour les mainmortes. L'arrêté
royal a réduit de moitié la donation du curé de l'église de Finisterre. Quelles
conséquences pour l'avenir ! Ou réduira les donations. Voilà un malheur
incalculable pour les mainmortes.
M. le ministre
des travaux publics (M. Frère-Orban). - Messieurs, je
n'avais pas l'intention de prendre part à ce débat ; je n'ai pas le désir de le
prolonger beaucoup ; je comptais ne pas y prendre part, parce qu'il me semblait
que les efforts de nos adversaires devaient rester impuissants, et que toutes
les subtilités du raisonnement ne parviendraient pas à faire sortir d'un texte plus
ou moins obscur, plus ou moins ambigu, une pensée hostile aux institutions qui
ont remplacé la législation renversée par un grand mouvement révolutionnaire,
je veux parler de la révolution de 1789.
Je ne sais si c'est
par suite d'une étude trop approfondie des canons et des conciles que certaines
personnes, fort orthodoxes, je me plais à le croire, proclament parfois des
propositions très hérétiques au point de vue de nos institutions et de notre
droit public.
Parmi ces
propositions, il n'en est guère, à mon sens, de plus pernicieuse que celle qui
s'est produite, dans cette enceinte, depuis quelques jours. Elle fait partie
d'un système complet qu'il n'est pas inutile de signaler à votre attention.
En 1789, on a fait
table rase de l'ancienne organisation de la société : trois choses essentielles
qui étaient dans les mains du clergé ont été confiées à la garde de l'autorité
civile ; c'est le temporel du culte ; c'est l'instruction ; c'est la
bienfaisance publique. Ces trois intérêts sociaux qui formaient jadis
l’apanage, le privilège exclusif des corporations religieuses ont été
civilement organisés. Depuis plus d'un demi-siècle, cet état de choses existe :
philosophes, historiens, hommes d'Etat, tous y applaudissent, et tout à coup,
en Belgique, voici qu'il se forme un parti qui a la prétention de réédifier
l'édifice du passé.
On sait ses
intentions avouées, en matière d'instruction. A une autre époque, ce système a
été mis à nu ; je ne veux pas y revenir. Je me bornerai à énoncer ici la
formule sophistique sous laquelle on cache ici la conspiration contre les
droits de l'autorité civile. Point d'instruction, dit-on, sans éducation. Point
d'éducation si elle n'est morale et religieuse ; or, le prêtre seul peut
enseigner la morale et la religion. Donc, de fait ou de droit, par
l'intervention officieuse, ou par l'intervention officielle, l'épiscopat doit
être le maître de l'instruction.
On a suffisamment
démontré, et récemment encore, combien cette proposition est fausse. Je ne veux
pas la discuter de nouveau ; mon seul but est de signaler ce système complet
d'insurrection contre les principes d'organisation dus à la révolution de 1789.
La même prétention se
manifeste quant aux intérêts du culte ; on nie audacieusement, le mot est vrai,
audacieusement, le droit du pouvoir civil sur les biens affectés au culte.
Voici quelle est
cette prétention :
« Le pouvoir civil
empiéterait sur l'indépendance de l'Eglise, si, sous prétexte que tout ce qui
est temporel serait exclusivement de son domaine, il se substituait à l'Eglise
dans l'administralion de son patrimoine. Le jour où la théorie d'un prétendu
droit du pouvoir civil sur l’administration des biens de l'Eglise serait
imposée à la Belgique, ce jour-là commencerait la plus étrange oppression qui
fut jamais ; au lieu de cet unique frère sacristain couronné qui, au siècle
dernier, s'est rendu si odieux et si ridicule, il y en aurait, sous notre
régime constitutionnel semi-démocratique, autant qu'il y a, dans le royaume,
d'administrations civiles, grandes et petites ; et les petites, infiniment
plus nombreuses, seraient aussi incontestablement les plus tracassières. On
verrait donc, par l’application d’un principe faix, un des pays les plus libres
de l’Europe, une des nations les plus religieuses de la terre, donner au monde
le triste spectacle d'une flagrante et permanente hostilité de l'Etat contre
l'Eglise et de l'Eglise contre l'Etat. »
Voilà quelles sont
les prétentions qui se sont révélées à l'occasion de la discussion de ce même
budget de la justice, à l'occasion du chapitre que vous avez adopté il y a
trois jours. Elles sont écrites, elles sont signées par M. l'évêque de Liège.
Cette négation
incroyable des droits de l'autorité civile, en matière d'instruction et en ce
qui touche le temporel du culte, va surgir pour la troisième fois en ce qui
concerne la bienfaisance publique.
C'est enfin,
aujourd'hui, messieurs, c'est le droit de l'autorité quant à la charité légale,
c'est le droit de l'autorité civile, quant à la bienfaisance publique, qui est
également mis en question !
Ainsi, messieurs,
vous le voyez, on ne tente ni plus ni moins que la résurrection de l'ancien
régime. A ce point de vue, la question qui nous occupe est grave, et je suis de
l'avis de l'honorable M. Malou que ce n'est pas trop de quelques heures à y consacrer.
Messieurs, il y a
dans la question qui nous occupe, comme l'a dit tout à l'heure l'honorable M.
Malou, un fait et un système. Du fait de la réduction du legs, j'ai peu de
chose à dire. On prétend qu'il pourrait avoir pour effet d'étouffer des pensées
charitables, d'empêcher les œuvres de bienfaisance.
Je ferai d'abord une
question : A quoi bon le droit du gouvernement s’il ne peut jamais en user ?
Car notre critique s'appliquerait à tous les cas de réduction... (Interruption.) Dans le cas d'abus, me
dit-on.
L'abus ! quand
existera-t-il ? Qui peut le constater ? L'autorité, sans doute, c'est une
question d'appréciation. (Interruption).
Vous tous, je le veux ; mais cette critique devient insignifiante si l'on veut
se reporter aux avis qui ont été donnés précisément pour l'appréciation de ce
point de fait.
Une autorité est
consultée, c'est l'autorité chargée d'administrer le patrimoine du pauvre ;
elle répond qu'il y a lieu de réduire, qu'il y a excès. L'autorité supérieure
est consultée, ce sont tous les élus d'une grande ville, ce sont trente des
premiers citoyens de la cité ; ils répondent encore à l'unanimité qu'il y a
lieu à réduire, qu'il y a excès ! La députation est consultée, elle répond
encore à l'unanimité, qu'il y a lieu à réduire, qu'il y a excès ! Eh bien,
messieurs, le gouvernement se rallie à cet avis unanime. Où donc est le crime ?
Est-ce en un pareil cas que l'on peut blâmer le gouvernement de l'exercice
qu'il a fait de son droit de réduire en cas d'excès ? Quand donc usera-t-il de
ce droit ? Est-ce, au contraire, quand toutes les autorités lui demanderont de
maintenir le legs dans son intégralité ?
Vous ne pouvez donc
pas blâmer avec fondement le gouvernement de l'usage qu'il a fait de son droit,
en pareil cas.
Un autre grief a été élevé
par l'honorable M. Malou. C'est que le gouvernement a effacé la disposition du
testament qui ordonne de remettre aux curés la somme léguée, c'est que le
gouvernement a déclaré que cette clause était contraire à la loi. Ce deuxième
grief s'applique au système suivi par le gouvernement.
La clause d'un legs
en faveur des pauvres, portant que la somme sera remise à un tiers pour être
distribuée aux pauvres institués, renferme-t-elle une condition ou un mode
d'exécution ? C'est un mode d'exécution, suivant l'honorable M. Malou. Mais que
ce soit un mode d'exécution, que ce soit une condition, il est inutile de
discuter ce point ; la disposition est contraire à la loi ; condition ou mode
d'exécution, elle est contraire à la loi, car il n'y a pas d'autres représentants
légaux des pauvres que les hospices et les bureaux de bienfaisance, il n'y en a
pas d'autres, il ne peut pas être permis d'en instituer d'autres, sans
l'assentiment du pouvoir législatif.
Si l'on s'écarte de
ce système, on tombe manifestement dans le chaos, dans l'anarchie ; il y aura
autant d'administrations qu'il plaira aux testateurs d'en former, autant de
modes d'administration qu'il plaira aux testateurs d'en déterminer. Et le
pouvoir ne pourra pas intervenir ! Il pourra bien refuser le legs, mais il ne
pourra pas modifier le mode d'administration, car si l'on blâme l'usage que le
gouvernement a fait du droit de réduction, à plus forte raison blâmerait-on la
substitution d'un mode à un autre. Ainsi tout ce qu'il plaira au testateur de
faire, devra être exécuté dans le système que je combats.
L'honorable M. Malou
indique, dit-il, un moyen de tout concilier. Ce moyen consiste à faire accepter
le legs par l'établissement public, sauf à remettre la somme aux personnes
désignées par le testateur ; c'est ainsi que j'ai compris l'honorable M. Malou.
M. Malou. - Oui.
M. le ministre
des travaux publics (M. Frère-Orban). - L'établissement légal
aura donc le pouvoir d'accepter le legs, mais il devra remettre le (page 594) revenu de la somme léguée aux personnes
désignées par le testateur. (Interruption.)
Ce sera, suivant la
disposition, ou le capital ou le revenu, et vous n'avez pas oublié que l'on a
prétendu que le testament du curé Lauwers ne contenait pas une disposition des
revenus, mais contenait une disposition du capital même au profit des pauvres
désignés.
Ainsi, il est évident
qu'il faudrait, selon les cas, remettre même le capital aux personnes indiquées
et que l'établissement créé par la loi n'interviendrait que pour remplir la
simple formalité d'accepter les legs. Mais alors, messieurs, pourquoi faire
intervenir l'autorité ? Revenez-en à la législation du bas empire ; c'est bien
plus simple. Durant le bas empire, tout testateur était législateur ; il
pouvait, à son gré, instituer des fondations de tous genres, désigner qui bon
lui semblait, ses héritiers ou des tiers, pour administrer la fortune à
laquelle il donnait une affectation déterminée.
Rétablissez cette
législation, mais ne réduisez pas les établissements publics à ce rôle
dérisoire d'accepter les legs à charge de les remettre à des tiers, qui en
useraient comme bon leur semblerait. Quel serait votre moyen de contrôle ? Ces
administrateurs rendront-ils compte ? A qui rendront-ils compte ? En vertu de
quoi ? Quelle est la loi que vous invoquerez pour les amener à rendre compte de
l'emploi de ces sommes ? le jour, messieurs, où l'on viendrait vous demander
des dispositions réglementaires en ce sens, vous ne manqueriez pas de vous
lever pour déclarer qu'il ne faut pas scruter la conscience des
administrateurs, la conscience des personnes chargées de remettre aux pauvres
les sommes qui leur ont été léguées.
N'est-il pas évident
qu'un système de ce genre c'est le chaos, l'anarchie, la confusion ? Que c'est
vouloir rétablir ce qu'on a eu tant de peine à faire disparaître ? Que c'est
empêcher précisément l'unité de l'administration, la centralisation des
secours, détruire la surveillance de l'autorité, mettre obstacle aux moyens de
s'assurer que les biens donnés aux pauvres ne sont pas divertis de leur
destination, ne sont pas employés à d'autres usages que ceux prescrits par le
bienfaiteur ? Est-il donc sans exemple que ces biens aient été dilapidés,
détournés de leur destination ? Est-il donc sans exemple que les fondations
faites au profit des pauvres aient été transformées en bénéfices ? Ai-je
besoin, dans une assemblée où l’on a tant parlé de conciles, d’invoquer ces
conciles qui ont exclu les religieux de l’administration des hôpitaux parce que
les biens des pauvres avaient été trop souvent transformés en bénéfices ?
Eh bien, lorsque vous aurez établi une législation telle que celle qui a été
indiquée par mes honorables contradicteurs, quel moyen aurez-vous d'empêcher de
semblables abus, si ce n'est ces actes révolutionnaires qu'il faut éviter, dont
il faut prévenir la nécessité ? A une époque plus ou moins éloignée, lorsque
vous aurez consacré les abus pendant des siècles, il faudra une autre
révolution pour les faire disparaître.
L'honorable M. Malou
a dit encore qu'en vertu de la disposition contenue dans l'article 84,
interprété comme il le fait, on stimulait la charité, qu'on la favorisait,
qu'on la surexcitait ; qu'il ne fallait pas se priver d'un pareil moyen ; qu'il
y avait ici un grand intérêt social, et qu'il fallait conserver tous les
éléments propres à le servir.
Depuis 1824, depuis
1836, cette disposition existe ; elle aurait eu la portée qu'on lui attribue,
elle serait favorable aux legs en faveur des pauvres ; et qu'a-t-on fait
pourtant depuis 1824, depuis 1836 ? Avons-nous vu la charité se diriger dans
ces voies ?
Je sais qu'il y a
beaucoup de legs au profit des séminaires, des cathédrales, des fabriques
d'églises ; mais les legs au profit des pauvres n'ont pas accru dans la même
proportion ; toutefois ces legs ont été faits purement et simplement, et non
pas en usant de la prétendue faculté que vous considérez comme un stimulant
essentiel ; c'est exceptionnellement que des testateurs égarés, trompés,
s'abusant sur les droits que peut avoir un mourant, ont institué des
administrations particulières.
Enfin, c'est au nom
de la toléranre que l'honorable M. Malou a aussi soutenu le système exorbitant
que je combats. C'est là un prétexte spécieux, mais il n'est que spécieux ;
c'est précisément à raison de la liberté des cultes, à raison des principes de
tolérance que nous devons faire régner qu'il doit y avoir une bienfaisance
publique qui ne peut être exercée que par l'autorité publique, parce que la
bienfaisance publique, exercée par l’autorité publique, n'est ni juive, ni
protestante, ni catholique, ni anglicane ; elle ne voit qu'une seule chose :
les malheureux ; elle donne aux malheureux, par cela seul qu'ils sont malheureux
; et ne leur demande pas : « Allez-vous à la messe, à confesse ?
Remplissez-vous tel ou tel devoir religieux ? »
Voilà ce qu'on doit
vouloir lorsqu'on veut la liberté ! Il faut donner aux malheureux, sans aucune
espèce de considération tirée de leur croyance, de leur religion ou de la
manière dont ils la pratiquent.
Eh bien, messieurs,
lorsque vous aurez introduit le système que nos honorables contradicteurs
préconisent, vous verrez, au contraire, les legs faits en faveur de tel ou tel
culte, de telle ou telle secte. Oui, on fera, des legs au profil des personnes
de telles sectes, de telles croyances, de telles religions ; on fera renaître
ce que la liberté des cultes condamne, ce que la tolérance repousse : on
parquera les pauvres selon leurs croyances.
On confond évidemment
ici la bienfaisance publique avec la charité, qui est un devoir, une vertu
privée. Que l’homme vivant exerce, à son gré, l’empire de sa volonté, qu’il
l’exerce dans la voie de la charité, rien de mieux, il faut y applaudir ;
nul ne songe à porter atteinte à l’exercice de la charité par les êtres
vivants ; la loi serait insensée, qui voudrait y intervenir. Elle ne peut
pas plus régler les inspirations de la conscience que les battements du cœur.
Mais du devoir de
faire la charité, il ne faut pas conclure au droit qu'aurait un individu de
déclarer qu'après sa mort on fera telle chose conformément à sa volonté, qu'on
fera à perpétuité tel usage de son bien. Ici le droit de la société conserve
tout son empire, car une disposition de ce genre ne peut être autorisée que
dans un intérêt social.
C'est par une
extension hardie donnée à la puissance de la volonté, qu'on est arrivé au droit
de tester ; mais ce droit doit être renferme dans des limites raisonnables ; il
ne peut être exercé que dans l'intérêt social ; sous quelque face qu'on
l'envisage, au double point de vue de la famille ou de la société, ce droit a
des bornes ; il n'y aurait ni raison ni sagesse à le laisser illimité.
Or, pouvez-vous
accorder à un testateur le droit absolu d'imposer à perpétuité à la société une
volonté quelconque ? Pouvez-vous admettre le droit d'un testateur, de créer des
personnes civiles, de faire, lui mort, ce qu'il n'aurait pas pu faire vivant ?
C'est exclusivement le droit du législateur de créer des personnes civiles ; et
vous voulez le transférer à tous les mourants. (Interruption.) Avec le concours de l'autorité civile, me dit-on,
avec le consentement du gouvernement. Oui, sans doute ; mais vous nous placez
dans un cercle d'où il serait impossible de sortir. Le concours du gouvernement
§... Quand le gouvernement refuse, il est coupable ; il faudrait toujours
accepter ; il faudrait donc dire que toujours le mourant aura la puissance
d'imposer à la société sa volonté à perpétuité ! Et si dans la suite des siècles,
on trouve que tel mode d'administration imposé par ce mourant est devenu
vicieux, qu'il faut le changer, transférer à d'autres administrations le soin
de surveiller le bien des pauvres, que direz-vous ? Ce que disent tous ceux qui
protestent contre la révolution de 89, ce qu'on vient de dire tout à l'heure
dans cette enceinte : « On a violé la volonté des testateurs ! »
Il faut donc en
revenir à des principes plus conformes à la raison ; il faut autoriser tous les
legs faits aux pauvres dans une juste mesure, mais il faut les autoriser quand
ils s'adressent à des établissements publics, placés sous le contrôle
d'autorités qui surveilleront l'emploi des biens, avec toutes les garanties que
la société a le droit d'exiger.
Mais, nous-dit-on, la
confiance ne s'impose pas ; pourquoi voulez-vous que tel ou tel citoyen, tel ou
tel croyant ait confiance dans l'autorité publique qui est chargée
d'administrer officiellement la charité ?
Peut-on admettre, messieurs,
qu'on puisse témoigner une telle défiance contre l'autorité publique ? Rien ne
la légitime. Est-il raisonnable de penser que ces administrateurs successifs
garantiraient mieux le bien des pauvres que les administrations qui existent
sous le contrôle de l'autorité ?
Je reconnais qu'un
testateur, à l'heure de la mort, choisissant son ami, son parent, un membre de
sa famille, peut dire alors qu'il a la plus grande certitude que les biens
qu'il lègue seront appliqués conformément à sa volonté ; mais à celui qu'il a
ainsi nommé, cent personnes succéderont.
Dans la suite des
siècles il y aura des successeurs à l'infini ; que sait le testateur de la
confiance que mériteront ces administrateurs, que sait-il du bon ou du mauvais
emploi qui pourra être fait de ses legs ? Ne faut-il pas plutôt dire que le
danger existe du côté de ces administrations imparfaites, organisées au hasard,
agissant sans règles et sans contrôle, et subissant toutes les vicissitudes de
la fortune de ceux qui sont appelés à les diriger ? N'est-il pas évident que
ces administrations présentent bien moins de garanties que les administrations
publiques, placées sous le contrôle de toute la société ?
L'honorable M. Malou
nous a dit enfin qu'il pensait qu'il y avait, de la part de nos amis, quelque
préoccupation dans l'appréciation de la question qui nous occupe, parce que le
legs était fait à des curés et que peut-être c'était là le motif qui nous
amenait à combattre les propositions qu'il énonçait. Je dis, en toute vérité,
que c'est précisément le contraire.
J'admets qu'en
désignant les curés de certaines paroisses, le testateur adoptait un mode qui
présentait moins d'inconvénients que s'il avait choisi des personnes à qui la
charité est moins impérieusement prescrite.
Mais en toute hypothèse,
qu'il s'agisse de curés ou d'autres personnes, le danger n'existe pas moins ;
il sera plus grave dans un cas que dans l'autre ; mais toujours c'est à des
personnes qu'il ne connaît pas, puisqu'elles se renouvelleront dans la suite
des siècles, qu'il confie le soin d'administrer sa fortune, et d'en faire, sans
contrôle, un emploi déterminé. Or, je ne pense pas que quelqu'un veuille
prétendre que l'administration des hospices ou les bureaux de bienfaisance, qui
sont des administrations publiques, présentent moins de garanties que ces
administrateurs extraordinaires, inconnus même à ceux de qui ils tiennent leur
droit. Je crois avoir rencontré les diverses considérations qu'a fait valoir
l'honorable M. Malou.
L'honorable membre ne
s'est pas occupé de la question de légalité ; il ne s'est pas demandé si
c'était à bon droit qu'on pouvait soutenir l'opinion qu'il a émise et qui
s'éloigne déjà de l'opinion défendue hier par d'autres membres de cette
chambre. Sous le rapport purement légal, je n'ai rien à ajouter après les
lumineux développements que notre savant collègue, M. Tielemans, a apportés
dans ce débat. Mais vous me permettrez, en terminant, de présenter une seule
considération.
Pouvez-vous penser
qu'une législation formée à la suite d'une immense révolution, élaborée avec
tant de peine et tant de sollicitude aussi (page 595) complète, présentant aussi peu d'inconvénients, ait été
tout à coup modifiée dans son essence par une disposition introduite sans qu’il
y ait eu même un exposé de motifs qui fasse connaître le but de cette
disposition, ait été changée par un paragraphe ajouté à l'article 84 de la loi
communale.
Si on était venu dire
à la chambre en 1834 ou en 1836, quand on a discuté ce paragraphe, qu'il avait
pour but de bouleverser entièrement la législation préexistante, et de nous
ramener à la législation la plus imparfaite qui ait jamais existé en cette
matière, à la législation du bas empire, y eût-il eu une seule voix dans la
chambre pour soutenir une pareille proposition ?
Aussi dans la
discussion de l'article 84 de la loi communale, on retrouve aisément cette
pensée qu'on ne veut rien innover, rien changer, c'est la législation
préexistante qu'on veut maintenir, il n'y a pas d'équivoque, on ne veut rien
détruire, on ne veut pas innover : « Il n'est pas dérogé, » ainsi parle la
loi.
Que l'on ait maintenu toute la législation sur
l'administration des biens des pauvres, les droits qui résultent des arrêtés de
l'an X et de l'an XI poux ceux qui voudront créer des lits dans des hôpitaux,
de pouvoir désigner les pauvres qui les occuperont, le droit enfin consacré par
le décret du 3 juillet 1806 de prendre part à l'administration des hospices,
d'y venir exercer un contrôle de concert avec l'administration publique, oh !
je le comprends : c'est une vérité que je me garde bien de méconnaître. Mais
souscrire au système préconisé par l'honorable M. d'Anethan, c'est impossible.
M. d’Anethan. - J'avais demandé la
parole pour un fait personnel en entendant hier M. Verhaegen, mais pour ne pas
prolonger cette discussion, à laquelle la chambre paraît désirer de mettre un
terme, j'y renonce.
M. de Mérode. - L'honorable M. de
Bonne m'a reproché d'abord d'avoir attaqué d'autres pouvoirs que
l'administration des hospices et d'avoir porté ma critique sur les autorités
municipales et provinciales qui auraient approuvé cette commission. Je ne pense
pas qu'il soit défendu de signaler ici les erreurs que pourraient commettre ces
autorités ; mais je ne me suis pas le moins du monde livré à une pareille
censure, et si j'ai émis un doute sur l'utilité de la transplantation de
l'hôpital Saint-Jean, je ne suis pas allé plus loin, et je déclare n'être pas
assez bien informé à cet égard pour me prononcer contre un changement qui,
cependant, a coûté bien des journées de malades, il faut en convenir, et qui,
par le luxe qu'on y a déployé, a chargé de dettes considérables le bien des
pauvres.
Ainsi, messieurs, le
premier grief de l'honorable M. de Bonne contre mes plaintes n'est pas fondé ;
il a parlé ensuite de l'hôpital Saint-Pierre, dont je ne m'étais pas occupé :
il a dit que l'aumônier de cet établissement avait été logé hors de la maison,
d'accord avec l'archevêque de Malines ; mais il faut savoir que là, messieurs,
le bâtiment est ancien, mal distribué ; l'aumônier était placé au milieu des
individus attaqués de maladies honteuses. Et quand l'archevêque approuve la
demeure particulière, c'est quand elle communique avec l'hospice, qu'elle est
ainsi dans son enclos, comme à Malines, Anvers, etc. ; il s'en est expliqué par
sa lettre à la commission de Bruxelles, lorsque l'aumônier de l'hôpital
Saint-Jean a été exclu de la position qu'il occupait si légitimement d'après
les titres de fondation, si convenablement dans l'intérêt des malades ; car,
messieurs, aucun autre motif ne peut faire désirer à l'aumônier ce logement
intérieur, plutôt qu'un logement externe ; mais l’honorable M. de Bonne ne l'a
point pris en considération.
Il a, d'autre part,
assuré que l'assistant de l'aumônier était inutile, et la preuve contraire est
que celui-ci l'entretient à ses propres dépens, ce qui se conçoit aisément
d'ailleurs, vu le grand nombre de malades auxquels il doit des soins de jour et
de nuit.
Puisque j'ai la
parole, je demande à présenter quelques observations encore à l'appui de ce que
j'ai dit hier.
Messieurs, Portalis,
en 1802, disait au corps législatif : « La piété avait fondé tous nos
établissements de bienfaisance et elle les soutenait. Qu'avons-nous fait quand,
après la dévastation générale, nous avons voulu rétablir les hospices ? Nous
avons rappelé les vierges chrétiennes qui se sont si généreusement consacrées
au service de l'humanité malheureuse, infirme et souffrante. Ce n'est ni
l'amour-propre ni la gloire qui peuvent encourager ces vertus et des actions
trop dégoûtantes et trop pénibles pour pouvoir être payées par des
applaudissements humains. Il faut élever les regards au-dessus des hommes et
l'on ne peut trouver des motifs de zèle et d'encouragement que dans cette piété
qui est étrangère aux vanités du monde et qui fait goûter (entendez bien ces
paroles}, et qui fait goûter dans l'exercice du bien public des consolations
que la raison seule ne pourrait nous donner. »
Je demanderai à tout
contradicteur quelconque de mes observations, présentées hier, s'il contredit
aussi celles que Portalis présentait en 1802 au corps législatif, ou s'il les
accepte.
Dans ce dernier cas,
que je suppose admis, à mon contradicteur, quel qu'il soit, je demanderai qui
formera des vierges chrétiennes dévouées au service de l'humanité malheureuse,
infirme et souffrante ? Et il devra me répondre avec Portalis que c'est la
piété, étrangère aux vanités du monde, et qui fait goûter dans l'exercice
d'actions dégoûtantes des consolations que la raison seule ne peut donner.
Or une commission qui
trouve que la première personne à exclure d'un logement dont le droit était
acquis par des titres et des siècles de possession, c'est le prêtre chargé du
soin des âmes. Une semblable commission porte-t-elle vraiment ses regards
au-dessus des hommes, c'est-à-dire vers Dieu, et peut-elle non seulement former
des vierges chrétiennes, mais leur donner des motifs de zèle et d'encouragement
? Cela paraîtra sans doute plus qu'improbable.
Remarquez, messieurs,
que le plus illustre fondateur des vierges chrétiennes, destinées au service
des pauvres, Saint-Vincent-de-Paul leur a donné une règle qui leur impose
l'obligation de soigner à la fois les corps et les âmes. Je ne conteste pas à
une commission composée, je veux le croire, d'hommes très entendus dans les
affaires temporelles, et là pourtant aussi je fais mes réserves en faveur de la
charité pieuse, je ne lui conteste pas la capacité suffisante pour
l’application des remèdes du corps. Mais, quant aux remèdes de l’âme, non
seulement elle n’y comprend rien, mais elle empêche qu'ils soient donnés par
les sœurs dont elle fausse ainsi l'office en le bornant aux services matériels,
et ceux-ci ne suffisent point pour qu'elles portent leurs regards au-dessus des
hommes, et cependant la généralité des pauvres malades belges confiés à leur
sollicitude maternelle, car c'est là son caractère, craignent-ils l'exercice de
la double mission qui leur incombe selon l'esprit de leur institut ? Je dis que
non, messieurs, et, pour s'en assurer, qu'on établisse des salles desservies
par des infirmiers ou des femmes à gages, et des salles confiées aux sœurs,
dirigées comme le comprend la vraie charité chrétienne de leur règle, et l'on
verra de quel côté se portera la préférence habituelle des pauvres, surtout
quand ils se croiront en danger de mort. Et, à propos de ce mot, imposant, pour
ne pas dire plus encore, qui appelle si sérieusement la méditation des penseurs
qui ne veulent pas marcher en aveugles vers la fin dernière de l'homme,
permettez-moi, messieurs, de vous soumettre une dernière réflexion qui a
souvent frappé mon esprit. Depuis six siècles, l'hôpital Saint-Jean a renfermé
dans ses murs des milliers de pauvres, la grande affaire pour eux était-elle,
après tout, de passer quelques jours de plus sur la terre ou de la quitter dans
la grâce divine ?
Car, remarquez-le bien, pour la plupart des malheureux
l'hôpital c'est le dernier asile, c'est le lieu de passage du temps à
l'éternité. Sans doute il est bon de guérir les maladies corporelles, il est
très louable de panser les plaies, ces œuvres sont éminemment prescrites par
l'Evangile ; mais enfin, ce n'est pas la chose principale qu'il recommande, car
lorsqu'il parle du véritable nécessaire, il porte nos vues plus haut, selon
l'expression de Portalis, que je me plais à répéter. C'est pourquoi si l'on
m'offrait de vivre encore cent ans au hasard ou de mourir demain dans la grâce
de Dieu, je n'hésiterais pas un instant. Mais l'âme du pauvre, enfant du
christianisme comme moi, n'est pas moins précieuse que la mienne, et c'est
pourquoi toujours je désirerai lui porter, autant que possible, à la fois les
deux secours matériel et spirituel, et si la bureaucratie administrative pense
et agit autrement, comment voulez-vous me forcer à lui donner ma confiance et
saisir en quelque sorte à la gorge ma charité pour la mettre à sa discrétion ?
C'était là l'œuvre despotique des lois révolutionnaires de la France de 1793 ;
mais en quoi lui ressemble notre humaine et libérale révolution de 1830 ?
M. Dedecker. - Je félicite
l'honorable ministre des travaux publics d'avoir restitué à ce débat son
véritable caractère. La question de légalité qui a été traitée, dans les
séances précédentes, avec une incontestable supériorité, d'une part, par
l'honorable M. d'Anethan, et de l’autre, par l'honorable M. Tielemans, est en
définitive du ressort des tribunaux. La véritable question pour la chambre,
c'est la question politique, c'est la question sociale. C'est à ce point de vue
que je remercie le ministre des travaux publics d'avoir, avec une franchise à
laquelle je rends hommage, dévoilé toute la pensée du gouvernement.
Oui, messieurs, de
l'aveu de M. le ministre des travaux publics, il y a ici tout un système ; c'est
ainsi, du reste, que le pays entier a, dès le premier abord, jugé la question
qui nous occupe. L'arrêté royal modifiant le testament du curé Lauwers n'est
qu'une des formules, l'une des faces de la réaction qui vient de s'opérer, dans
le monde politique, contre le clergé. J'espère que les auteurs de cet arrêté et
ceux qui le défendent auront du moins la franchise de l'avouer.
Messieurs,
l'honorable ministre des travaux publics, en expliquant le système de
sécularisation de la charité, a mis une certaine ostentation à opposer ces
idées nouvelles à celles qui avaient cours sous l'ancien régime ; il a semblé
déduire de ce parallèle qu'il y a ici, relativement à cette question de la
bienfaisance, des hommes qui rêvent encore la résurrection du passé.
Les observations que
je vais avoir l'honneur de présenter à la chambre feront voir où sont les
hommes rétrogrades en fait de charité, et où sont les hommes véritablement
progressifs.
Messieurs, je sais
qu'il est devenu de bon ton, depuis quelque temps, de faire l'éloge de la
grande révolution française. Je ne veux pas examiner si cet éloge, sans
restriction, est bien placé dans, la bouche d'un ministre du Roi.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Rogier). - De la révolution
de 89, oui.
M. Dedecker. - Je ne veux pas
être injuste envers cette grande transformation sociale qui, en définitive, n'a
été que l'application politique des principes les plus élevés du catholicisme. Tout
en rejetant la responsabilité morale des horreurs au moyen desquelles cette
transformation a eu lieu, je reconnais que c'est à elle que nous devons ces
grandes institutions, ces principes féconds qui constituent la vie des (page 596) modernes nations. L'arbre fut
planté dans le sang, regrettons-le ; mais acceptons-en généreusement les
fruits.
M. le ministre des
travaux publics se trompe étrangement lorsqu'il suppose que c'est la révolution
française qui a posé les premiers jalons du système de la sécularisation de la
charité dont il demande aujourd'hui le complément administratif.
Elle est bien longue
la lutte entre le pouvoir civil et l'autorité religieuse relativement à
l'administration des biens des pauvres. Elle est curieuse l'histoire de cette
lutte. La plupart des pays de l'Europe pourraient vous dire ce que les pauvres
en définitive ont gagné à l'adoption forcée du système exclusif que l’on vient
vanter devant vous, sans tenir aucun compte des bienfaits qui, à côté de cette
administration laïque insensiblement établie, ont été rendus par la charité
religieuse.
Oui, messieurs,
d'ancienne date, depuis le XIVème siècle, et surtout durant le XVème et le
XVIème siècle, il y a eu une lutte bien vive entre les administrateurs laïques
des communes d'une part et les corporations religieuses d'autre part, pour
établir les juridictions respectives relativement à l'administration des biens
des pauvres. Jusque-là les évêques avaient eu, de temps immémorial, la haute
surveillance de cette administration. Toutes les mesures qui furent proposées,
toutes les lois qui furent portées successivement pour accorder à l'autorité
laïque une part dans l'administration des biens des pauvres furent le résultat
d'une double préoccupation qui dominait les esprits à cette époque.
D'un côté on voulait
arrêter l'accumulation de richesses entre les mains d'un clergé puissant comme
corps politique, puissant comme propriétaire ; de l'autre côté, on voulait
restreindre l'influence qui devait résulter pour le clergé de l'administration,
de la distribution des biens des pauvres.
Voilà les deux
pensées, hautement avouées parfois et parfois habilement dissimulées, qui ont
constamment dirigé les corps laïques, les juristes dans leurs préventions
contre l'autorité religieuse, du chef de l'administration des biens des
pauvres. Ce sont encore ces deux pensées qui ont inspiré l'Assemblée
constituante dans le système nouveau de bienfaisance qu'elle a inauguré.
Messieurs, ces
préoccupations ne doivent pas nous étonner à cette époque. Je conçois parfaitement
bien, en présence de cette grande, de cette énorme puissance du clergé,
puissance comme corps politique et puissance comme propriétaire, je conçois
qu'on ait cru devoir prendre des précautions contre l'extension démesurée de
cette puissance. Je conçois que la société se soit jusqu'à certain point
alarmée de cette accumulation de richesses et de propriétés dans les mains des
corporations religieuses.
Mais aujourd'hui,
messieurs, de pareilles préoccupations seraient-elles encore justifiées ?
Sommes-nous encore en présence des faits qui les firent naître ? Le clergé
est-il corps politique ? Est-il encore propriétaire ? Aujourd'hui avez-vous à
craindre l'exagération, en faveur des fondations de bienfaisance, des
munificences dues à la piété des rois et des peuples ?
Mais vous ne
connaissez que trop bien quel est, à cet égard, l'état actuel de la société ?
D'un côté, le scepticisme, le luxe et l'égoïsme restreignant continuellement le
budget de la bienfaisance ; d'un autre côté, les misères humaines s'étendant
avec une effrayante rapidité. Et c'est en présence de ces deux faits
incontestables, la diminution constante des ressources des pauvres, et
l'augmentation croissante de leurs besoins, que vous venez appliquer avec une
rigueur inaccoutumée une législation qui n'a été créée qu'en vue de restreindre
la puissances des corporations religieuses et comme propriétaires et comme
corps politiques ?
Mais, dit l'honorable
ministre des travaux publics, ne pouvons-nous donc pas faire usage de la loi ?
Les dotations en faveur des églises ou en faveur des pauvres sont soumises à
une autorisation du gouvernement. Voulez-vous donc que ce soit là une vaine
formule, que ce soit là un droit dont nous ne puissions pas faire usage ?
J'en demande bien
pardon à M. le ministre, je ne conteste pas la nécessité de l'autorisation ; je
reconnais le droit du gouvernement d'examiner s'il y a lieu d'accorder cette
autorisation ; mais je me réserve aussi le droit d'examiner si, dans l'usage
qu'il a fait de son droit, le gouvernement est resté fidèle à l'esprit de la
législation qu'il invoque.
Eh bien, s'agit-il,
dans l'espèce, de la fondation d'une corporation religieuse ? Je sais, qu'à
tort ou à raison, il y a des personnes qui s'effrayent de la multiplicité des
corporations religieuses en Belgique. S'agit-il d'une donation faite à une de
ces corporations ? Non ; il s'agit d'un legs fait aux pauvres, à distribuer par
les curés de Bruxelles, appartenant à ce bas clergé pour lequel on affecte tant
de sympathie. Evidemment, si vous consultez l'esprit de toute la législation,
qui a voulu que les donations faites aux pauvres fussent soumises à
l'autorisation du gouvernement, vous reconnaîtrez que les motifs qui ont guidé
le législateur n'existent pas ici, et que, loin de renchérir sur la rigueur de
la loi, il faudrait l'interpréter ici plus généreusement et en relâcher la
rigueur. En effet, dans le testament de M. Lauwers, il s'agit d'une simple
distribution de secours à faire aux pauvres de Bruxelles, et non pas de la
constitution de nouvelles corporations religieuses, ni de l'augmentation de
leurs revenus et de leurs propriétés.
Le deuxième motif qui
a provoqué la sécularisation de l'administration des biens des pauvres, c'est,
comme je le disais tantôt, la crainte de l'influence qui devait résulter pour
le clergé de l'administration et de la distribution de ces biens,
Mais, messieurs, quel
genre d'influence résulte-t-il pour le clergé de la distribution des secours
aux pauvres ?
Est-ce une influence
personnelle ? Mais vous savez que cette distribution de secours n'est en
définitive qu'un devoir des plus rudes, des plus pénibles, et qu'il faut tout
le dévouement religieux pour le remplir jusqu'au bout. Et quelle est le plus
souvent la perspective de ce dévouement du clergé ? L'ingratitude, la calomnie
! Savez-vous ce qu'il y a encore au bout de ce dévouement du clergé ? Qu'on
lise cette lettre qui s'est trouvée dernièrement dans tous les journaux ; vous
y verrez que depuis quelques mois seulement, il y a, dans les Flandres seules,
soixante et dix prêtres, soixante et dix hommes à la fleur de l'âge, morts
victimes de leur zèle, martyrs de leur charité !
Est-ce une influence
politique ? Mais quelle influence politique peut donner au clergé son contact
avec cette classe infime de la société, que personne, parait-il, n'est disposé
à lui envier ?
Si donc l'exercice de
la bienfaisance donne au clergé quelque influence, ce ne peut être qu'une
influence toute sociale, toute conservatrice des principes sans lesquels,
aujourd'hui plus que jamais, la conservation de la société est impossible.
Et malheureusement,
messieurs, ce n'est pas seulement l'autorité du clergé qu'on voudrait diminuer
; ce n'est pas précisément au clergé même que l'on en veut ; c'est à tout ce
qui porte le caractère religieux en fait de charité. En voulez-vous la preuve ?
Elle est dans ces tracasseries injustes, dans ces haines aveugles dont on
poursuit ces admirables associations de Saint-Vincent-de-Paul, composées de
jeunes gens distingués par leur intelligence et leur position sociale, et qui
se consacrent, avec une abnégation touchante, avec un dévouement éclairé auquel
je suis heureux de rendre hommage du haut de la tribune nationale, au
soulagement de toutes les misères.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Rogier). - Qui les persécute
?
M. Dedecker. - Des officiers de
l'armée ont été persécutés pour avoir fait partie de ces associations. Il n'y a
pas de jour qu'il n'y ait dans la presse libérale des attaques contre ces
associations.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Rogier). - Nous ne sommes pas
responsables des actes de la presse.
M. Dedecker. - Je n'accuse pas le
gouvernement, du chef des tendances de la presse, mais pour le fait relatif aux
officiers.
M. le ministre
des travaux publics (M. Frère-Orban). - Vous attaquez le
ministère précédent.
M. Dedecker. - Peu m'importe sur
qui mes reproches tombent ; lors même qu'ils retomberaient sur mes amis
politiques, je n'en dirai pas moins toute ma pensée.
Messieurs, après
avoir analysé les préoccupations qui ont provoqué l'arrêté relatif au testament
de M. Lauwers, voyons quelles en seront les conséquences.
Nous nous trouvons en
présence de deux charités : la charité légale ou administrative, et la charité
privée.
Si l'on pouvait
espérer, de la mesure que vient de prendre le gouvernement, ce résultat, qu'en
restreignant l’action de la charité privée, on aurait par cela même augmenté
l'action, étendu l'influence de la charité légale, je pourrais concevoir ce
système. Mais évidemment, messieurs, à moins de s'aveugler sur la disposition
actuelle des esprits, on ne peut espérer un tel résultat.
Le principal défenseur
de l’arrêté, l’honorable M. Tielemans, paraissait préoccupé, dans les
observations qu'il vous a présentées, de l'idée d'éviter, par une organisation
forte, par l'établissement de règles et de formes certaines, tout ce qui
pourrait amener la diminution et l'altération du patrimoine des pauvres. Cette
sollicitude est très honorable, sans doute ; mais j'en ai une autre ; j'ai peur
qu'on ne mette un obstacle à l'augmentation de ce patrimoine ; et cette peur
est bien autrement légitime, et ce danger est bien autrement réel.
Oui, messieurs, la
conséquence immanquable de la mesure prise par le gouvernement sera de tarir
les sources de la charité.
Et pourquoi cela ?
Lorsqu'on a fait une donation entre vifs, ou une donation testamentaire à un
bureau de bienfaisance, est-ce que par là le patrimoine des pauvres est
nécessairement augmenté ? II n'en est rien, messieurs. Il en résulte très
souvent que l'on diminue par-là la somme des sacrifices que la commune est
obligée de s'imposer pour subvenir aux dépenses des bureaux de bienfaisance.
Car, vous le savez, dans toutes nos villes et même dans les dernières communes
de nos campagnes, les bureaux de bienfaisance ne peuvent, par eux-mêmes et avec
leurs propres revenus, suffire aux soulagement de toutes les misères. Partout
les conseils communaux sont obligés d'intervenir et de grever le budget de la
commune pour venir, par des subsides, au recours des bureaux de bienfaisance.
Eh bien ! qu'arrive-t-il ? C'est que les conseils communaux sont heureux de
soulager la commune d'une partie de ses sacrifices lorsque les revenus des
bureaux de bienfaisance viennent à s'accroître par suite des dons ou des legs
que leur sont faits.
On m'a cité une ville
où le sacrifice fait par le conseil communal en faveur du bureau de bienfaisance
était, il y a quelques années, de 100,000 fr., et où il n'est plus aujourd'hui
que de 30,000 fr., par suite des donations et des legs faits en faveur du
bureau de bienfaisance. Le conseil communal a vu là, non pas un moyen
d'augmenter le revenu des pauvres, mais un moyen de diminuer ses sacrifices ;
de manière que ce sont en définitive ces donateurs qui payent une partie des
subsides qu'on payait au moyen de l'impôt communal.
(page 597) Voilà le résultat clair auquel aboutit le système que
préconise exclusivement le gouvernement, résultat qui certes n'est pas de
nature à provoquer de nombreuses donations.
Messieurs il y a un
autre motif pour lequel vous verrez, par suite de la mesure que vient de
prendre le gouvernement, se tarir la source de la charité.
On se méprend
étrangement sur le véritable caractère de la charité. Je ne crains pas de le
dire, la charité est presque toujours et a presque toujours été, à travers les
siècles, une inspiration religieuse. On vous l'a dit encore aujourd'hui,
messieurs, l'honorable ministre des travaux publics en a fait l'aveu, il n'y a
qu'un instant, à la chambre, les legs charitables diminuent, et M. le ministre
a semblé mettre en regard la diminution du nombre des legs en faveur des
pauvres et l'augmentation du nombre des legs faits en faveur des églises ou des
corporations.
Le fait en lui-même
n’est pas exact. Il y a eu diminution dans les legs en faveur des pauvres, il
n'y a pas eu augmentation proportionnelle des legs en faveur des églises et des
corporations religieuses. Mais qu'est-ce que cela prouve ? Que ces deux genres
d'actes de bienfaisance partent tous deux d'une même inspiration. Et, en effet,
la charité est indivisible. Cette générosité, qui est le résultat de la piété,
se manifeste par des voies diverses, mais qui, en définitive, viennent toujours
aboutir au même principe.
De plus, non
seulement on se méprend sur le véritable caractère de la charité, en ce sens
qu'on ne veut pas voir qu'elle est une inspiration religieuse ; mais on ne veut
pas assez reconnaître le but religieux que veulent atteindre la plupart de ces
donateurs en faveur des pauvres.
L'honorable ministre
des travaux publics a cru faire l'éloge de l'administration laïque des biens
des pauvres, en vous disant que devant elle il y a égalité pour tous les
malheurs ; qu'aux yeux de l'administration laïque, tous les malheureux ont un
égal droit aux secours de la bienfaisance publique sans qu'on examine s'ils
vont, ou non, à la messe. Je ratifie, sous ce rapport, l'éloge que vient de
faire M. le ministre des travaux publics de l'impartialité de l'administration
laïque des biens des pauvres ; mais il est évident cependant que si, tout en
étant impartial, sans négliger aucun malheur, ou peut trouver dans l'aumône un
moyen de moralisation des classes inférieures de la société, on doit être
heureux de faire usage de ce moyen, loin de le repousser.
C'est une grande
erreur que de croire que la charité ne doive se proposer pour but que le
soulagement matériel de la misère ; elle a aussi un but plus élevé, un but de
moralisation ; et, pour la plupart des donateurs, c'est un but essentiel de la
charité. Comment ! il y a quelques jours à peine, nous entendions l'honorable
ministre de la guerre évoquer devant nous le fantôme des émeutes, le fantôme
des troubles populaires, et qu'avait-il, en définitive, à opposera ces
désordres possibles ? Le règne du sabre ! Vous croyez devoir faire un appela la
force brutale ? Eh bien, il y a des hommes dont toute la vie est dévouée au
soulagement des classes pauvres ; mais qui consacrent aussi toutes les
ressources que la charité met à leur disposition, toutes les influences que
leur donne leur dévouement, à améliorer l'état moral de ces classes inférieures
de la société.
Ne faut-il pas
redouter d'entraver une charité qui concourt si généreusement et si
efficacement à maintenir l'ordre social, à le garantir des atteintes que lui
portent de tous côtés les passions mauvaises conjurées contre lui ? Car, en
définitive, pour dompter ces passions mauvaises, il n'y a que ces deux moyens :
la force brutale ou la conscience !
Il y a donc,
messieurs, quoi qu'on dise ou qu'on fasse, deux charités en présence, ou plutôt
deux formes de l'administration de la charité. Est-ce un mal ? Si l'on est
exclusif, oui ; mais qui est-ce qui est exclusif, les défenseurs de l'arrêté
royal ou mes honorables amis ? Pour moi, je n'entends en aucune façon
restreindre l'action de la charité légale. J'accepte l'administration de la
charité légale ; je la considère, à certains égards, comme un bienfait. Je ne
suis pas du tout injuste envers les honorables citoyens qui se dévouent, eux
aussi, à l'œuvre sublime de la charité. Ne me sera-t-il pas permis de demander
la même justice pour la charité privée, par cela seul qu'elle revêt un
caractère religieux ?
Je sais, messieurs,
qu'il y a une espèce de défiance entre les deux administrations, c'est un
malheur et une faute ; mais c'est le jeu des passions qui seront toujours dans
le cœur humain. Cette rivalité que je déplore existera toujours ; elle a
toujours existé, comme l'atteste l'histoire ; mais si cette rivalité, en
définitive, peut tourner vers le bien de la société, pourquoi l'empêcher,
aujourd'hui surtout que la concurrence est la loi de la société ? Pourquoi, je
le demande, vouloir restreindre l'action de la charité religieuse et privée ?
Est-ce que quelqu'un
songe à restreindre l'action de la charité légale ? Mais comprenons donc une
bonne fois la libéralité de nos institutions ; souffrons, de grâce, que le bien
se fasse, n'importe par qui ; acceptons le bien de quelque part qu'il vienne.
On invoque sans cesse la révolution française. Nous avons, me semble-t-il,
nous, une révolution plus respectable, plus nationale, à invoquer, c'est la
révolution de 1830. Trop d'esprits malheureusement l'oublient aujourd'hui ;
trop de passions en sont venues dénaturer complètement les institutions, et en
méconnaître l'esprit si audacieusement mais si généralement libéral.
Ce n'est pas
seulement l'esprit de nos institutions que j'invoque, pour demander la liberté
dans la charité. J'invoquerai aussi le témoignage de toutes les intelligences
d'élite qui se sont occupées du problème de la charité.
Tous ces auteurs ont
reconnu que tout en maintenant la charité légale il faut surtout encourager la
charité privée. Je voudrais pouvoir citer les admirables pages consacrées à
cette question par un homme dont vous ne récuserez pas l'autorité, par M. de
Cormenin. Cet auteur a établi un parallèle admirablement écrit entre les deux
charités et l'avantage est resté à la charité privée.
Ainsi, messieurs, la
faute du gouvernement, d'après moi, c'est d'avoir vu une question de réaction
religieuse, une question, permettez-moi de le dire, cléricale, là où il ne
s'agissait que d'une question sociale. Je voudrais me tromper, mais il n'est
plus possible d'en douter après l'aveu de M. le ministre des travaux publics.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Rogier). - Toutes les
autorités étaient d'accord.
M. Dedecker. - Il ne s'agit pas
de savoir combien de personnes ont concouru à l'adoption de ce système nouveau
; j'examine le système en lui-même.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Rogier). - Mais le fait a été
avoué, je pense, par M. le ministre des travaux publics.
M. Dedecker. - Ainsi, messieurs,
au fond, la question qui nous occupe n'est pas une question d'influence
politique du clergé. S'il y a ici une influence du clergé en jeu, c'est une
influence toute sociale. Qu'il me soit permis de le rappeler. J'ai prédit au
gouvernement et aux partis qu'on ne se contenterait pas en Belgique d'attaquer
l'influence politique du clergé, que les coups portaient plus haut, qu'on
attaquerait bientôt aussi l'influence sociale du clergé. Je ne pensais pas que
cette prévision dût se réaliser si tôt.
Oui, messieurs,
au-dessus de toutes ces questions, il y a une question immense que nous
devrions avoir seule en vue ; ce ne sont ni des subtilités de légiste, ni des
préoccupations politiques, ce sont les intérêts du pauvre qui doivent surtout
nous guider. Le ministère a manifesté à différentes reprises ses sympathies
pour les classes pauvres. Je lui en sais gré, mais qu'il ne pose pas ainsi des
actes qui finiraient par faire douter les populations de la sincérité de ces
sympathies, sincérité que j'accueille moi, mais que je désire ne pas voir
démentir par des actes.
Je le sais, la mesure
prise par le gouvernement lui vaudra peut-être, dans certaines régions de son
parti, un peu de popularité équivoque ; mais, à sa place, laissant à la charité
toute sa liberté et toute sa puissance, je préférerais les bénédictions du
pauvre !
Aujourd'hui que nous
sommes sous l'empire d'institutions libérales, qu'un immense sentiment de liberté
nous anime, c'est au nom de la liberté que je vous demande aussi de ne pas
entraver l'action de la charité. La charité, messieurs, la charité n'est ni
catholique ni libérale ; elle n'est ni laïque, ni ecclésiastique. La charité
domine tous les orages des partis. Redoutons l'invasion des préjugés politiques
dans le domaine de la charité. Que cette intolérance qui, au grand détriment de
nos plus chers intérêts, règne encore dans les esprits, que cette intolérance
au moins ne descende pas dans les cœurs ! Surtout veillons à l'avenir du
patrimoine des pauvres. Ouvrons à la charité toutes ses issues ; au lieu de
l'entraver, acceptons-la sous quelque forme qu'elle se présente ;
accueillons-la, quelque robe qu'elle ait revêtue. Multiplions les artères de
cette charité qui doit porter la vie jusqu'aux extrémités du corps social.
Lorsqu'au XVIème siècle, en Angleterre, après la
suppression des corporations religieuses, Henri VIII avait provoqué la
destruction de la charité religieuse, qui eut pour premier résultat l'établissement
de la charité forcée, source de tant de maux, Charles-Quint, plus adroit
politique, disait : « Notre cousin d'Angleterre est occupé à tuer la poule aux
œufs d'or. » Eh bien, messieurs, je vous dirai aussi, en terminant : Prenez
garde, en entravant la charité religieuse, de tuer la poule aux œufs d'or !
M. le ministre
des travaux publics (M. Frère-Orban). - L'honorable
orateur qui vient de se rasseoir me paraît s'être trouvé sous l'empire d'une
singulière préoccupation en supposant au ministère, à l'occasion de l'arrêté
qu'il a pris, les intentions qu'il a signalées en commençant, celles qu'il a
répétées plusieurs fois, celles qu'il a redites encore en terminant.
L'honorable orateur nous a dit que cet acte révélait toute une pensée, tout un
système de réaction contre le clergé. Je me demande, en vérité, messieurs, à
quel propos cette imputation peut être dirigée contre moi ? Pourquoi le clergé
est-il invoqué dans cette question ? Pourquoi y mêler son nom ? Pourquoi
toujours mêler la religion et le clergé à toutes choses, à tout ce qui s'agite,
à tout ce qui se débat, à tout ce qui se discute dans cette enceinte ?
Messieurs, la
religion est tout à fait étrangère à la question que nous examinons. La
religion y est aussi étrangère que le clergé. Tous nous professons et nous
devons professer un respect entier, un respect sincère pour la religion ; à mon
sens, messieurs, il n'est pas plus facile de comprendre le monde sans Dieu que
la société sans religion.
De toutes parts. - Très bien ! très
bien !
M. le ministre
des travaux publics (M. Frère-Orban). - Mais lorsque je
veux placer la religion là où elle doit être réellement, dans sa véritable
sphère, je ne puis consentir à être accusé d'hostilité contre elle ou contre le
clergé, chaque fois que nous aurons à discuter un point de droit public ou
privé, une mesure qui de près ou de loin, directement ou indirectement peut
atteindre le clergé. Le règlement des affaires temporelles n'est pas de son
domaine...
Un membre. - La charité !
M. le ministre
des travaux publics (M. Frère-Orban). - Permettez,
messieurs, (page 598) laissez-moi
continuer. Qu'importe à la religion et qu'importe eu. réalité au clergé, tel ou
tel mode d'administration des biens des pauvres ? Est-ce que la religion est
intéressée, est-ce que le clergé est intéressé à ce que la charité se fasse par
l’entremise d'administrateurs nommés par l'autorité publique ou choisis par le
testateur ? Que le clergé, messieurs, et veuillez l'y convier, que le clergé se
confonde avec la société civile, qu'il marche d'accord avec elle, qu'il inspire
d'abondantes libéralités au profit des pauvres, qu'il accepte le contact de
l'autorité civile, qu'il ne place point l'autorité civile en suspicion, et tout
le monde sera d'accord pour le seconder.
Si vous provoquez le
clergé à faire fructifier les aumônes et à les verser dans les caisses de
l'autorité publique, de cette autorité qui ne demande qu'une seule chose, de
pouvoir contrôler l'emploi des biens ainsi donnés, de savoir au nom de la
société si ces biens ne sont pas divertis, si vous conviez le clergé à entrer
dans cette voie, qui est sage, qui est raisonnable, n'y aurait-il pas un grand
pas, un pas immense fait vers cette conciliation dont vous parlez tant ? La
défiance que l'on fait paraître contre l'autorité civile ne peut que provoquer
des représailles du même genre à l'égard du clergé.
Le vice n'est pas
dans la législation ; il est dans la défiance injuste qu'on veut faire peser
sur l'autorité civile.
L'honorable M,
Dedecker me paraît donc s'être entièrement trompé ; toutes les choses belles,
raisonnables, sensées, profondément senties qu'il a pu vous dire sur la
charité, je veux les appliquer ; que tout se fasse dans le sens indiqué par
l'honorable M. Dedecker.
Mais pourquoi exclure
l'autorité civile ?
M. Dedecker. - Je ne l'exclus
pas.
M. le ministre
des travaux publics (M. Frère-Orban). - Vous l'excluez virtuellement
; vous réduisez l'autorité civile à un rôle purement passif ; vous lui dites :
« Intervenez pour accepter ; cela fait, tout est accompli ; votre rôle a cessé.
» Est-ce là, messieurs, le rôle que peuvent jouer les représentants de la
société ?
Je reviendrai tout à
l'heure sur ces considérations, en rencontrant diverses autres objections qui
ont été présentées par l'honorable M. Dedecker.
Mais ici, et pour
suivre l'ordre que l'honorable orateur a suivi, je rencontre une critique de
l'honorable membre, au sujet de l'éloge que j'aurais fait de. la révolution
française de 89, en ce qui concerne la législation spéciale sur la charité
légale ; il s'est demandé si cet éloge était bien placé dans la bouche d'un
ministre du Roi.
Je le crois,
messieurs ; j'ai dit que la révolution de 89 était une grande et magnifique
révolution ; je n'ai pas parlé des excès de 92 et de 93 ; j'ai prononcé ce mot
de 89 qui rappelle l'abolition des jurandes et des maîtrises, l'abolition des
privilèges de la noblesse et du clergé ; qui rappelle l'avènement du tiers
état. C'est à cette révolution que nous devons ce que nous sommes ; et comme
nous avons reçu de père en fils, avec le sang, le souvenir des ignominies qu'on
fit peser sur le tiers état pendant des siècles, nous pouvons aussi aujourd'hui
glorifier cette magnifique révolution de 89, et nous devons plaindre ces
insensés, ces ingrats qui renient cette mère glorieuse qui les a mis au monde à
la vie publique ; qui, de parias qu'ils étaient, les a faits citoyens, et pour
tout dire en un mot, qui a proclamé de nouveau cette loi du Christ, la grande
et sainte loi de l'égalité !
C'est à elle que nous
devons notre organisation sociale, organisation que nous devons consolider, que
nous ne devons laisser attaquer sur aucun point ; c'est à elle aussi que nous
devons, je l'ai déjà dit, l'organisation de la charité légale.
Cette législation,
dit-on, a eu peur objet de mettre obstacle à l’établissement des corporations ;
mais peut-il en être ainsi, me dit l'honorable M. Dedecker,, lorsqu'il s'agit
des pauvres ?
Et d'abord quel sens
donne-t-on au paragraphe de l'article 84 de la loi communale, sur lequel on se
fonde pour prétendre à un droit tout à fait nouveau ? Est-il général, absolu ou
exceptionnel ? S'il est général, s'il s'applique à toute espèce de fondations
et dispositions testamentaires, c'est précisément la reconstitution de toutes
les corporations, c'est de droit de faire par testament, avec l'assentiment du
gouvernement, des personnes civiles, il n'y a pas lieu, semble-t-il, de
restreindre l'article 84 aux legs en faveur des pauvres.... La charité, les
pauvres ne sont ici que les prétextes qui servent à colorer les attaques
dirigées en ce moment contre nous. Cela s'applique donc à toute espèce
d'établissements qu'il conviendra à un testateur de décréter par sa seule
volonté ; il y aura donc des fondations de tout genre ; c'est donc la
reconstitution de l'ancien régime.
Au contraire, la
disposition serait-elle spéciale, s'appliquerait-elle aux seuls établissements
de bienfaisance, aux seuls legs, aux seules fondations en faveur des pauvres ?
Dites-le ; et lorsque vous l'aurez dit, vous ne m'aurez pas vaincu sur ce
terrain ; car ce que vous essayez de faire à l'aide de l'interprétation que
vous donnez à l'article 84, vous trouvez encore dans la législation d'autres
moyens de le faire pour d'autres objets. Ainsi. par extension et par abus de
dispositions actuellement existantes, n'avons-nous pas vu, sous le ministère
précédent, des fondations d'instruction publique autorisées, décrétées et qui
sont en plein exercice ?
M. d’Anethan. - La cour en a
reconnu la légalité.
M. le ministre
des travaux publics (M. Frère-Orban). - Je ne puis
discuter ici des arrêts de cour d'appel que, très probablement, vous invoquiez
mal à propos.
Voilà donc, en
matière d'instruction, le moyen de reconstitution des corporations. A la
vérité, l'honorable M. Dedecker ne voudrait pas qu'on entrât dans cette voie ;
mais, hélas ! les ministères précédents s'y sont profondément engagés et il est
temps de s'arrêter. Et pour un autre point, quel abus n'a-t-on pas fait, dans
ces derniers temps, des décrets de 1809 et de 1810, décrets inconstitutionnels,
qui n'ont quelque légalité que parce qu'ils n'ont pas été attaqués dans les
délais déterminés par les constitutions de l'empire ?
Quel abus n'a-t-on
pas fait de ces décrets qui autorisaient le gouvernement à donner la
personnification civile à des congrégations hospitalières ? Sous prétexte de
congrégations hospitalières, nous avons vu pulluler les corporations
enseignantes ; on ne s'est pas enquis du point de savoir si la congrégation
hospitalière avait seulement ce but charitable de soigner les malades ni si ce
but était réellement rempli ; on a laissé s'implanter dans le but une foule de
corporations enseignantes ; eh bien, tout cela, encore une fois, c'est la
reconstitution de l'ancien régime.
L'honorable membre
auquel je réponds a supposé que le système qui avait été appliqué par le
gouvernement était un système nouveau ; mais nous n'avons rien inventé ; nous
avons appliqué la législation telle qu'elle est ; la seule chose nouvelle,
c'est le système que nous combattons, et qui consistée prétendre qu'à la faveur
de l'article 84 de la loi communale, tout testateur, avec l'approbation du
gouvernement, peut établir toute espèce de fondation.
Selon le système de
la législation tel qu'il existe depuis plus d'un demi-siècle, nous soutenons
que les établissements publics seuls peuvent recevoir et administrer les biens qui
sont donnés aux pauvres ; nous soutenons que cela s'est ainsi fait depuis 1789
jusqu'à ce jour et doit continuer à être fait. Vous prétendiez, au contraire,
que pour que la charité ne soit pas gênée dans son exercice, il faut permettre
à tout testateur, avec l'autorisation du gouvernement, dites-vous, d'instituer
tel administrateur qu'il trouve bon, parent, ami, connaissance prêtre ou
laïque, pour administrer et distribuer les biens, comme il l'entend, comme il
veut, sans contrôle, sans que l'autorité civile ait aucun moyen de contrôler
l'emploi des fonds.
Messieurs, nous ne
voulons pas restreindre la charité. La charité privée a toute liberté. Qui
songe à l'entraver ? qui veut y porter obstacle ? quelle est la mesure par
laquelle on aurait élevé la prétention de contrarier en quelque façon que ce
soit la charité privée ? Il ne s'agit pas ici de la charité privée ; tout homme
vivant en Belgique a droit de la faire comme il l'entend, cela n'est soumis à
aucune espèce de règle, aucune espèce de contrôle ; on s'en rapporte à sa
conscience, à son intelligence. Mais, de quoi nous parle ici M. Dedecker ? D'un
homme mort, à qui il suppose une volonté, et une volonté immuable à perpétuité
!
C'est pour cette
volonté, après qu'on a cessé d'être, qu'il faut des institutions ; et toute la
question dès lors se réduit à savoir si mieux vaut celles qui sont placées sous
votre contrôle à vous législateurs, sous le contrôle de tous les citoyens, qui
s'administrent au grand jour, ou bien s'il faut donner la préférence à ces administrations
bâtardes semées par tout le pays, aussi nombreuses qu'il peut y avoir de
donations, agissant sans contrôle, administrant selon le caprice de celui que
le hasard appelle à les diriger ! Voilà la question ; elle est là et pas
ailleurs. Nous voulons l'administration publique intervenant dans la gestion du
patrimoine du pauvre, vous voulez qu'après sa mort un individu puisse imposer à
la société une administration de ses biens à perpétuité.
Vous voulez de plus
que ce soit sans contrôle, sans qu'on puisse demander compte à cette
administration de l'emploi des fonds qui lui ont été confiés ; vous voulez qu'à
perpétuité, sans que la société puisse s'enquérir, si les fonds ont été bien
employés, s'ils ont servi à leur destination, un administrateur puisse en faire
ce que bon lui semble ; vous vous abandonnez à la foi d'un inconnu.
J'entends qu'on dit :
L'autorité pourra intervenir ; mais de quel, droit la société pourra-t-elle
intervenir si le testateur l'a exclue ? Selon vous, la volonté du testateur qui
exclut l'autorité civile de l'administration du legs doit être respectée ; s'il
préfère un prêtre ou un laïque, un parent ou un ami et, après eux, ce qui
devient grave, le successeur ou l'héritier et ainsi à perpétuité, selon vous,
cette volonté est sacrée.
Si cette volonté doit
être respectée, comment la volonté qu'il manifesterait d'exclure tout contrôle,
la dispense qu'il accorderait de rendre compte ne serait-elle
pas également respectée ? Si l'autorité voulait exercer un contrôle, on lui
demanderait quelle est la loi qui l'autorise à intervenir dans la surveillance
des établissements ainsi créés ? i Je dois le répéter en terminant, la charité,
le clergé, la religion sont parfaitement étrangères à la question qui nous
occupe. La seule question à examiner, c'est de savoir si l'administration des
biens des pauvres doit rester confiée à l'autorité civile (je ne parle pas de
la charité exercée par des hommes vivants), ou si les biens légués aux pauvres
pourront être administrés à perpétuité par des administrateurs désignés par les
testateurs. Vous ne pouvez admettre ce dernier système ; ce serait donner à la
volonté d'un mourant la puissance de créer des personnes civiles ; ce serait
reconnaître à tout moribond une sorte de pouvoir législatif.
M. le
ministre de la justice (M. de Haussy). - Je n'ajouterai que
quelques (page 599) mots, je
craindrais affaiblir l'impression du discours que vous venez d'entendre. Mais
je dois protester contre l'imputation d'avoir voulu faire de la question qui
nous occupe une question de système, une question de parti. Le gouvernement n'a
vu dans cette affaire qu'une question d'équité et une question de légalité ; ce
sont nos honorables contradicteurs qui font de cette affaire une question de
parti. Si, au lieu d'instituer des administrateurs ecclésiastiques, l’abbé
Lauwers avait institué des administrateurs laïques, la question n'aurait pas
été soulevée dans cette enceinte. C'est parce que l'institution porte sur des
membres du clergé, parce que les administrateurs désignés par le testateur
appartiennent à l’Eglise, qu'on nous accuse de faire de cette affaire une
question de parti, et d'avoir voulu les exclure. Non, encore une fois, nous
n'avons vu là qu'une question d'utilité, d'équité, de légalité, abstraction
faite de la qualité des personnes ; et nous aurions fait la même chose quand
les administrateurs désignés eussent été laïques ; nous l'aurions même fait à
plus forte raison, car si la loi nous l’avait permis nous aurions admis de
préférence, pour administrateurs spéciaux, des ecclésiastiques, parce que nous
avons une grande confiance dans la moralité, dans les vertus des membres du
clergé, que nous craindrions encore moins d'abus de leur part que de la part
d'administrateurs laïques indépendants. Nous avons donc exclu les
administrateurs désignés par le curé Lauwers, quoique ecclésiastiques et non
parce qu'ils étaient ecclésiastiques. J'ai dit que nous n'avions vu qu'une
question d'équité. Comment pouvions-nous juger de l'équité autrement que par
tous les avis dont nous étions entourés ? Car les attaques dont nous sommes
l'objet ne sont que la mise en suspicion, sinon la mise en accusation de toutes
les autorités qui, sans en excepter une seule, ont donné des avis favorables
aux parents indigents du testateur. Nous n'avons même pas été aussi loin que
nous aurions pu le faire, si nous nous étions entièrement conformés à l'avis de
ces autorités.
La députation
permanente entre autres dit dans son avis qu'elle estime que la part des
parents pauvres du testateur doit être au moins de la moitié du produit net de
la succession : et nous n'avons donné aux parents pauvres du testateur que la
moitié du produit brut, ce qui est inférieur à l'opinion émise par la
dépuration.
De ce que nous
maintenons, dans cette circonstance, tous les droits de l'autorité civile, de
ce que nous voulons laisser intacte cette grande institution des établissements
publics de bienfaisance que la France nous a léguée, que toutes les nations
étrangères nous envient et que quelques-unes nous ont empruntée, s'ensuit-il
que nous voulions exclure toute espèce de concours du clergé dans
l'administration de la charité légale ? Non, messieurs, ce que nous répudions,
c'est la gestion, c'est l'administration, c'est le droit absolu, exclusif d'administrer.
Mais dans diverses circonstances le gouvernement, et nous le ferions également,
a permis une certaine intervention, conformément aux volontés des testateurs.
Le gouvernement a plus d'une fois autorisé ces administrations publiques à
prendre l'avis des membres du clergé, à leur demander des listes des pauvres
qui pourraient leur servir de guide dans les distributions à faire. Une
intervention officieuse de cette espèce ne serait jamais refusée, parce qu'elle
n'a rien de contraire aux dispositions de la loi.
Pourquoi dans
l'affaire de la succession de M. Lauwers une semblable mesure n'a-t-elle pas
été prise ? C'est parce que les distributions devaient être faites aux pauvres
de Bruxelles par l'entremise des comités de charité institués en vertu de la
loi, comités de charité dont MM. les curés de Bruxelles sont de droit les
présidents. Ainsi, ils devaient être eux-mêmes les intermédiaires des
distributions à faire et par conséquent les exécuteurs légaux des dispositions
et des volontés du défunt.
Messieurs, c'est ce
qui a été fait dans d'autres circonstances. Dans une affaire assez récente
encore, dans celle de l'acceptation des legs de la dame Hecquet de Berenger, il
y a eu aussi des réclamations. Les membres du clergé de Bruxelles prétendaient aussi
que les revenus des legs fussent mis à leur disposition, et que la distribution
leur en fût exclusivement confiée. Qu'a répondu alors mon honorable
prédécesseur ? Il a répondu que la réclamation de MM. les curés de Bruxelles
était sans objet depuis la création des comités de charité dont le curé est
président dans chaque paroisse. En un mot la solution donnée à cette
réclamation par l'honorable M. d'Anethan n'a été autre que celle qui a été
donnée dans l'affaire Lauwers et qui se trouve consignée dans les motifs de
l'arrêté du 30 décembre.
Un mot encore,
messieurs, sur la question de légalité.
L'honorable M. Malou
a prétendu que l'article 84 de la loi communale avait rétabli le droit de
nommer des administrateurs spéciaux. Mais si l'honorable M.
Malou soutient ce système, il doit le maintenir à tous effets quelconques. Le
système mixte qu'il est venu vous présenter et qui consisterait à faire
intervenir les administrations publiques pour accepter les legs et les
administrateurs spéciaux nommés pour la disposition et la distribution, ce
système mixte n'est pas admissible, si l'article qu'il invoque doit avoir
l'interprétation et la signification qu'il lui donne. De deux choses l'une, ou
le droit de nommer des administrateurs spéciaux appartient au testateur, et
dans ce cas lorsque le testateur a nommé des administrateurs spéciaux, il faut
que tout se fasse exclusivement par leur entremise. Ou bien cet article, comme
nous le soutenons, ne peut pas avoir la portée qu'on lui donne ; et dans ce cas
les administrateurs spéciaux n'ont aucune qualité légale.
Et par la même raison
que vous reconnaissez vous-mêmes que les administrations publiques ont seules
qualité pour accepter les legs, la conséquence c'est qu'elles ont seules
qualité pour gérer, administrer et distribuer les revenus de ces legs. (La clôture !)
M. Malou. - Messieurs, j'avais
le droit d'espérer, après les paroles que j'ai prononcées devant la chambre,
que le système qui seul me paraît légal, vrai, social, ne serait pas transformé
par M. le ministre des travaux publics en une aspiration vers l'ancien régime.
Lorsque je défendais
ce système qui n'est après tout, quand vous l'aurez analysé, quand M. le
ministre des travaux publics lui-même l'aura analysé, qui n'est après tout, si
le gouvernement persiste dans ses idées, qu'une protestation en faveur de la
liberté, j'avais le droit de croire, lorsque je protestais au nom de la
liberté, qu'on ne m'accuserait pas de vouloir ressusciter tout l'ancien régime
et qu'on ne rattacherait pas à mes idées je ne sais quelle vaste conspiration.
Cette conspiration,
comment se produit-elle ? Je cite un exemple. L'évêque de Liège, dans un
mémoire qui nous a été distribué, réclame, nous dit-on, contre la législation
qui organise la surveillance du temporel du culte. Et parce que l'évêque de
Liège aurait élevé cette prétention, nous, qui soutenons ici, sur une question
spéciale, ce que nous croyons en conscience, comme bons citoyens, être
l'intérêt des pauvres, on nous accuse de nous associer à une opinion sur
laquelle nous ne nous sommes pas prononcés, à une opinion que, pour mon compte,
si elle a été exprimée, je suis disposé à combattre de toutes mes forces.
Sous le rapport du
temporel du culte, comme pour l'instruction, comme pour la bienfaisance, nous
devons maintenir, non pas le système de la révolution de 1790, mais le système
historique belge, le système qui existait en Belgique pour la bienfaisance,
pour l'instruction, pour tous les grands intérêts généraux, bien longtemps
avant la révolution française. On perd de vue que nous sommes les aînés de la
France en fait de liberté. Lorsqu'on vous parle ici de la révolution française,
comme on en parlerait à Paris, on méconnaît notre histoire. Le tiers état était
tout en Belgique longtemps avant qu'il ne fût proclamé quelque chose en France.
Moi aussi, je
m'associe, je m'associerai toujours, qu'il s'agisse de l'instruction publique
de la bienfaisance ou du temporel du culte, je m'associerai toujours aux grands
principes de sécularisation du pouvoir, ces grands principes qui sont dans la
constitution de 1789 et dans la constitution de 1830.
Si, pour les
questions de liberté et d'organisation des pouvoirs, il m'était possible de
faire ici un parallèle entre l'esprit de la première période de la révolution
française et l'esprit de la constitution de 1830, de grands enseignements pour
chacun de nous en résulteraient sans aucun doute.
Je m'associe,
messieurs, à la sécularisation de la bienfaisance publique. Et que
demandons-nous après tout ? Nous demandons, en maintenant ce principe, que vous
n'excluiez pas une des formes de la charité privée. Voilà tout notre système
opposé au vôtre.
En fait, que nous
dit-on ? On nous dit : Vous aurez des administrations en nombre indéfini ; vous
aurez le chaos, l'anarchie ; et de la même voix, dans le même instant, on
ajoute : Ce sont des faits très exceptionnels.
Eh quoi ! parce que,
exceptionnellement, votre législation permettra d'avoir égard à la volonté d'un
testateur, qui aura préféré que la main du ministre de son culte, que la main
d'un dominé, ou d'un rabbin distribue les aumônes qu'il a voulu laisser après
sa mort, vous aurez le chaos !
Comment, messieurs,
il sera permis à la charité privée de distribuer des largesses de la main à la
main ; et on mettra obstacle à la bienfaisance qui veut se perpétuer, à la
bienfaisance qui veut créer des fondations pour que l'avenir, qui aura ses
misères plus grandes peut-être que les nôtres, ait aussi de plus grands moyens
de les soulager ! Oui, messieurs, s'il y avait une différence à établir entre
les manifestations de la charité, je voudrais que les faveurs les plus grandes
de la loi fussent pour cette charité qui fonde et non pour cette charité qui
donne pour dépenser ; qu'elles fussent pour cette charité qui crée pour des besoins
du présent et prévoit en même temps aux besoins de l'avenir. Pour elle doivent
être les sympathies les plus vives de la législature.
Qu'on dise après cela
que le droit de tester, de donner effet à sa volonté est une extension hardie
du droit de propriété. C'est là un fait contre lequel l'histoire de la
législation civile de tous les peuples vient protester.
Il est, messieurs, de
l'essence de la propriété de pouvoir se transmettre. La libre disposition de ce
que l'homme possède est de l'essence même de la propriété, et tout autre
système va droit, contre l'intention de M. le ministre, je n'hésite pas à le
dire, à la déshérence au profit de l'Etat, au communisme, au socialisme.
M. le ministre
des travaux publics (M. Frère-Orban). - Je n'ai pas parlé
d'une extension hardie du droit de propriété, mais d'une extension hardie de la
volonté.
M. Malou. - Soit. J'aurai mal
compris. Mon observation reste en principe.
Pourquoi, nous
dit-on, exclure l'autorité civile ? Et pouvez-vous réserver cette intervention,
lorsque vous demandez que l'article 84 de la loi communale reste encore dans
notre législation ? En vertu de quelle loi admettez-vous la surveillance ?
Messieurs, je
m'étonne que l'honorable ministre de la justice, qui a (page 600) dans ses attributions les fondations de l'instruction
publique, ne se soit pas chargé de répondre à la place à son collègue, M. le
ministre des travaux publics. Dans toutes les fondations pour l'instruction
publique, on a trouvé le moyen de concilier parfaitement, avec une surveillance
rigoureuse de la gestion du patrimoine de l'instruction publique, l'observation
fidèle de la volonté des testateurs.
Je demande que dans
les circonstances où exceptionnellement des fondateurs pour des œuvres de
bienfaisance proprement dites useront du même droit légal, on garantisse cette
même surveillance ; et je le demande parce que ce n'est pas, comme l'a dit M.
le ministre, contrarier, détruire en fait la volonté du testateur, mais c'est,
au contraire, en assurer l'exécution d'une manière permanente.
Vous demandez en
vertu de quelle loi vous avez ce droit. Mais vous l'avez par la nature des
choses, et au besoin vous l'avez en vertu de l'article 910 du Code civil. C'est
un droit qui a toujours été exercé, et je m'étonne d'avoir à l'établir.
Un doute grave
subsiste dans mon esprit. D'après les premières explications qui ont été
données, je devais croire que de l'article 84 il restait encore quelque chose,
mais cet article, aujourd'hui, est évanoui comme un fantôme, comme un mirage.
Je demande, d'après
la discussion, pourquoi, en 1836, on a écrit cette disposition dans la loi
communale. Qu'on veuille bien, d'après les discours de MM. les ministres citer
une seule circonstance où cette disposition pourra encore avoir effet ; et si
on ne peut pas en citer une seule quelle conséquence faut-il en tirer ? Que la
disposition ne peut pas être interprétée comme l'ont interprétée mes honorables
adversaires, car vous ne pouvez pas admettre qu'on ait écrit dans la loi un
non-sens, une disposition, qui ne pût recevoir aucune application.
La loi dit : « il
n'est pas dérogé, » dérogé à quoi ? Mais aux actes de fondation, c'est-à-dire
qu'il y a possibilité légale d'instituer des administrateurs spéciaux. « Il
n'est pas dérogé aux actes de fondation qui créent des administrateurs
spéciaux. » Voilà ce que dit l'article 84. Mais il ne dit pas et MM. les
ministres raisonnent comme s'il disait : Il n'est pas dérogé à la loi de frimaire
an V, et au décret de l'an XI ; ce n'est pas là ce qui se trouve dans la loi
communale, c'est le contraire qui s'y trouve.
La première fois que
j'ai pris la parole dans ce débat, j'ai démontré que le gouvernement, dans des
circonstances analogues à celle-ci, a trouvé des moyens légaux de se conformer
mieux à la volonté des fondateurs. Je vous ai cité trois dispositions royales
qui, d'après la législation actuelle devraient être insérées au Moniteur. Pour
rendre mes observations plus claires, plus complètes, il serait bon de les
insérer au Moniteur et je me crois en droit de faire cette insertion
puisqu'elles ont été déposées sur le bureau de la chambre et que, si je me suis
abstenu de les lire pour épargner les moments de la chambre, j'en ai fait le texte
de mes observations.
M. le ministre
de la justice (M. de Haussy). - Pourquoi M.
d'Anethan ne les a-t-il pas fait publier ?
M. Malou. - L'interruption
m'étonne. Depuis 1830 on était dans l'usage et on avait le droit, d'après la
loi, de ne publier des dispositions de cette nature que par extrait. Ce n'est
que depuis la loi de 1845, que M. le ministre de la justice connaît sans doute,
qu'on doit les publier textuellement au Moniteur.
Les honorables
ministres qui ont pris la parole dans ce débat, disent qu'ils ne veulent pas
restreindre la charité privée. Je rends pleine justice à leurs intentions, je
crois que tel n'est pas leur but ; mais je m'efforce de leur prouver, que leur
système tend, indépendamment de leur volonté, à restreindre la charité privée.
M. le ministre des travaux publics a fort bien démontré que tout fondateur fait
beaucoup mieux de léguer aux hospices la fortune qu'il veut donner aux pauvres,
que d'instituer des administrateurs spéciaux.
Je dois avouer
qu'après cette démonstration si lumineuse, si je pouvais un jour laisser ma
fortune aux pauvres, je n'hésiterais pas à suivre le conseil de M. le ministre
des travaux publics ; mais la question est de savoir si les testateurs qui,
malgré les observations de M. le ministre, ne partageront pas sa manière de
voir et préféreront instituer des administrateurs spéciaux, auront le droit de
le faire. Or, que vous le vouliez ou que vous ne le vouliez pas, s'ils n'ont pas
ce droit, en fait, vous restreignez la charité privée. Ce résultat est
inévitable, il est dans le cœur humain, dans la nature des choses.
On nous demande
sérieusement si l'article 84 s'applique à tous les établissements. Mais il
suffit de le lire pour se convaincre que le n°2° s'applique exclusivement aux
établissements de bienfaisance. Il est impossible de se méprendre sur ce point.
J'allais oublier une
dernière objection. Comment, dit-on, vous permettez à un mourant, à une
personne qui n'a plus de volonté dans la société civile, vous lui permettez de
faire ce que le gouvernement même ne peut pas faire, de créer un être moral
ayant des droits dans la société. Mais, messieurs, si cette objection est
fondée, elle va beaucoup plus loin ; il n'est dit nulle part que ce sera par un
acte de dernière volonté que l'on pourra créer des fondations de bienfaisance
ou d'instruction publique. Si le raisonnement est vrai, il est désormais
impossible de constituer d'une manière permanente, comme fondation, soit par
acte entre-vifs, soit par acte de dernière volonté, un capital quelconque, soit
pour l'instruction soit pour la bienfaisance : car là aussi c'est la volonté de
l'homme qui crée, sous l'approbation du gouvernement, les fondations dont il
s'agit. Mais si le raisonnement est fondé, de quel droit l'appliquez-vous
exclusivement aux actes de dernière volonté et lorsque vous avez même dans la
législation une disposition formelle telle que l'article 84 de la loi
communale, de quel droit soutiendrez-vous que le concours du gouvernement ne
suffit pas pour créer une personne civile lorsque le capital nécessaire à la
fondation, est constitué par acte entre-vifs ou de dernière volonté ?
Ainsi, messieurs, en
résumé, à notre point de vue, le débat est celui-ci. Nous voulons le maintien
intact, entier, du système des administrations séculières aussi bien pour la
bienfaisance que pour toutes les autres parties de l'administration. Là nous
sommes d'accord, non seulement en principe mais j'espère que nous aurons
bientôt l'occasion de montrer à nos amis, à nos adversaires, de montrer au pays
que nous sommes fidèles à la devise de 1789 et de 1830.
Lorsqu'on se jette dans la discussion de vagues
généralités, lorsqu'on cherche à tirer d'un incident ou d'un fait spécial
l'indice de vastes conspirations de la part de ses adversaires contre les idées
du XIXème siècle, nous sommes dans le faux, nous sommes dans les discussions
éternelles, et éternellement stériles de l'esprit de parti. Mais lorsque, au
contraire, on arrive dans les faits, dans les questions d'application, on voit
s'évanouir tous ces fantômes d'ancien régime et de régime nouveau ; alors on ne
voit plus que des citoyens belges, fidèles à l'œuvre de 1830 et qui savent
transiger pour que cette œuvre vive, pour qu'elle dure.
M. de
Theux. - Je dois, messieurs, donner un mot
d'explication sur une observation qui a été faite par l'honorable M. Dedecker.
L'honorable M. Dedecker a parlé d'un acte du ministère précédent, relatif à la
société de Saint-Vincent-de-Paul. Il a cru voir dans cet acte une pensée
hostile envers cette société. Il n'en est rien, messieurs. L'honorable général
Prisse rendait hommage au zèle de la société de Saint-Vincent-de-Paul, à tel
point qu'il permettait aux employés de ses bureaux d'en faire partie, mais
voici les faits qui ont exigé de sa part la disposition relative aux officiers
de l'armée active.
Quelques officiers de
la garnison de Gand faisaient partie de la société de Saint-Vincent-de-Paul, on
crut que ces messieurs auraient exercé une espèce de surveillance sur leurs
camarades et se flattaient d'avoir des titres spéciaux à des promotions, à
raison de leur participation à cette société. De là des altercations dans le
corps d'officiers, des provocations en duel, provocations qui s'élevèrent en
peu de jours jusqu'à 6 ou 7. Dès lors le ministre de la guerre avait un devoir
à remplir, c'était de rétablir l'harmonie et la paix parmi les camarades
d'armes, et c'est là le motif qui l'a déterminé à défendre aux officiers de faire
partie non seulement de la société de Saint-Vincent-de-Paul, mais de toute
autre société, et, messieurs, la mesure prise par M. le général Prisse a été
trouvée tellement bonne par son successeur M. le général Chazal, qu'il l'a
maintenue dans toute son intégrité.
On m'a attribué,
messieurs, sur l'article 84 de la loi communale une opinion qui n'est pas la
mienne, la meilleure preuve en est dans le discours prononcé hier par M. le
ministre de la justice et dans l'arrêté qui a été contresigné par moi, de concert
avec l'honorable M. Ernst, alors ministre de la justice. Le sens de l'article
84 ne peut être en aucune manière douteux : les premières dispositions
établissent le mode de nomination des administrateurs des hospices et des
bureaux de bienfaisance, puis par une disposition subséquente l'article dit : «
Il n'est point dérogé aux actes de fondation qui établissent des
administrateurs spéciaux. »
Cette disposition
est-elle exclusivement relative au passé ou embrasse-t-elle également l'avenir
? Il est évident que la loi ne fait pas de distinction entre le passé et
l'avenir ; parlant en termes généraux, elle embrasse également et l'avenir et
le passé.
D'ailleurs la simple
lecture de la discussion montre que l'on ne s'occupait pas du passe, si ce
n'est dans la crainte qu'on ne voulût, en quelque sorte, rétablir toutes les
anciennes administrations qui existaient dans le principe mais on déclara que
telle n'était pas la portée de la loi, qu'elle tendait surtout à établir une
plus grande liberté pour l'avenir.
Toutefois l'on aurait
tort de conclure ne la disposition de l'article 84 qu'il appartient au
testateur seul de créer des administrateurs spéciaux ; il faut encore
l'intervention du gouvernement.
Du reste, les choses
se sont passées ainsi, même sous l'empire ; il en a été de même sous le
gouvernement des Pays-Bas, et cela en vertu des dispositions contenues dans les
règlements pour les villes et le plat pays.
M. le ministre des
travaux publics a fait un appel à la conciliation ; il a dit que, loin de
repousser le clergé, il l'invitait à s'associer à l'autorité civile.
Pour nous, nous
appelons également, autant qu'il est en notre pouvoir, cet esprit de
conciliation ; mais cet appel, nous ne le faisons pas seulement au clergé, nous
le faisons encore à l'administration civile ; nous nous adressons donc aux deux
autorités qui, par leurs efforts combinés, peuvent le plus efficacement venir
au secours des indigents. Il est essentiel de ne pas perdre de vue qu'il ne
suffit pas de donner aux pauvres, pour le moment présent, de la nourriture, des
vêtements, du chauffage, mais qu'il faut encore chercher à tarir les sources de
la pauvreté.
Les administrateurs
de la charité ne doivent négliger aucun moyen en leur pouvoir, de moraliser
ceux qu'ils ont mission de secourir.
Ainsi, lors des
visites qu'ils font, là où les visiteurs aperçoivent des habitudes de paresse,
ils doivent encourager au travail ; là où ils voient régner l'ignorance, ils
doivent recommander la fréquentation (page
601) de l'école ; là où règnent des vices, ils doivent encourager à
l'abandon de ces vices, à la pratique des vertus chrétiennes et civiles ; là où
se fait remarquer de la négligence dans les soins
hygiéniques, ils doivent donner des conseils pour entretenir la santé, la
rétablir, si elle est altérée.
C'est en unissant tous les efforts, tant de la part du
clergé que de la part des administrateurs des pauvres qu'on parviendra surtout
à diminuer les sources de la pauvreté ; c'est là le point capital.
- On demande la
clôture,
M. Verhaegen (contre la clôture).
- Je voudrais dire quelques mots sur les questions nouvelles qu'on vient de
soulever. Je voudrais établir qu'un curé qui laisse improductifs chez lui
120,000 francs pendant deux des années les plus calamiteuses que nous ayons
eues, et qui meurt en janvier 1847, n'a pas fait ce que les pauvres étaient en
droit d'attendre de lui : ce qui prouve que le contrôle de l'autorité publique
est nécessaire, et c'est à ce point de vue que j'aurais voulu dire quelques
mots.
- La discussion
générale sus le chapitre IX est close.
Article premier
« Art. 1er.
Frais d'entretien et de transport de mendiants et d'insensés, dont le domicile
de secours est inconnu : fr. 25,000. »
- Adopté.
« Art. 2.
Subsides : 1° pour favoriser l'érection et l'amélioration des hospices
d'aliénés, l'organisation et le soutien des établissements de bienfaisance, des
ateliers de travail et d'autres institutions en faveur des classes ouvrières et
indigentes ; 2° pour secours aux victimes de l'ophtalmie militaire qui n'ont
pas droit à une pension ou à un secours à la charge du département de la
guerre : fr. 160,000. »
La section centrale,
d'accord avec le gouvernement, réduit le chiffre à 85,000 fr.
M. le ministre
de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, dans le
but d'éviter toute difficulté avec la cour des comptes, je prie la chambre
d'ajouter les mots : « et toutes dépenses y relatives ».
M. d'Anethan. - Messieurs, d'après
la proposition du gouvernement, le chiffre primitif, qui était de 160,000 fr.,
serait réduit à 85,000. Alors que le gouvernement juge cette dernière somme
suffisante, je n'ai pas l'intention d'insister pour que la chambre vote le
chiffre primitivement proposé. Je ne puis pourtant m'empêcher de faire une
observation : M. le ministre de la justice consent à une réduction, parce que
la loi sur les aliénés n'est pas encore votée, et que probablement il est
d'avis qu'il n'y a lieu à rien donner pour les établissements de cette nature
avant le vote de la loi.
Je suis loin de
partager cette opinion, et je dois en outre rappeler à M. le ministre de la
justice que des engagements ont été pris envers les établissements d'aliénés à
Saint-Trond, à Ypres, par exemple. Pour la commune de Gheel, le subside est, il
est vrai, maintenu ; mais d'autres obligations existent encore. Que fera le
gouvernement pour un établissement très important, celui de Froidmont (Hainaut)
? Cet établissement, appartenant au gouvernement, sera-t-il abandonné ?
Messieurs, que
va-t-il résulter de la réduction proposée par M. le ministre de la justice ? Il
en résultera nécessairement que d'ici à assez longtemps aucune amélioration ne
pourra être introduite dans les établissements de ce genre ; car la loi sur les
aliénés ne sera probablement pas votée dans un court délai. Or, il est
généralement reconnu que les établissements d'aliénés laissent beaucoup à
désirer.
Je m'efforçais d'y
introduire des améliorations successives, à cet effet l'aide du gouvernement
était indispensable, il ne l'accordait qu'en prescrivant certaines conditions,
indiquées par un médecin célèbre de Gand, qui par son expérience et ses
lumières était à même de signaler les meilleures mesures pour atteindre le but
désiré.
J'ai une dernière observation à présenter. D'après le
relevé des dépenses faites en 1845, on a alloué aux établissements de
bienfaisance 120,000 fr. ; et en 1846, 141,912 fr. L'emploi de ces subsides a
été complètement justifié et n'a soulevé aucune critiqué, et maintenant on se
borne à porter au budget 85,000 fr.
Je me demande si les
besoins sont devenus moins pressants, s'il est moins utile que par le passé
d'encourager des établissements de bienfaisance, s'il est moins désirable de
voir le gouvernement seconder les efforts et le zèle de la charité ?
C'est moi, comme
ministre, qui ai présenté le chiffre que mon successeur a cru devoir réduire ;
il est donc naturel que cette réduction me fasse faire ces observations que je
soumets à la chambre.
M. le ministre
de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, je
reconnais avec l'honorable préopinant qu'il est urgent d'améliorer le régime
des aliénés ; mais le gouvernement pense qu'il serait imprudent et prématuré de
faire de grandes dépenses avant le vote de la loi dont la chambre est saisie
puisqu'il pourra en résulter d'assez grandes modifications dans le système qui
a été suivi jusqu'ici.
C'est dans cette
pensée que j'ai cru devoir réduire le chiffre d'abord pétitionné du montant de
la somme qui était destinée pour cet objet. Le gouvernement se réserve bien
expressément de représenter ce crédit à un prochain budget, aussitôt que la loi
aura été votée. Je le rétablirai même au budget de 1849 si j'ai l'espoir que la
loi puisse être discutée et votée avant la fin de la session actuelle. J'aurais
pu laisser figurer le chiffre de ce crédit au budget, sauf à ne pas dépenser la
somme s'il n'y avait pas lieu de le faire ; mais comme j'ai eu l'honneur de le
faire observer à la section centrale, j'ai cru devoir faire sur mon budget toutes les réductions possibles afin de
pouvoir, sans augmenter le chiffre, total, comprendre un crédit supplémentaire
de 170,000 fr. pour couvrir la dépense inattendue qu'a occasionnée la prison
cellulaire de Bruges dont les devis ont été excédés de cette somme parce qu'on
y a fait un étage de plus.
Il a donc fallu
chercher les moyens d'alléger les chiffres du budget de manière à ne pas
augmenter la dépense totale. Les pièces relatives à cette affaire me sont
parvenues quand le budget était en discussion à la section centrale. Je le
répète, au surplus, je n’ai distrait que temporairement le crédit demandé pour
l’amélioration du régime des aliénés, j’espère pouvoir le représenter au
prochain budget.
- L'article est mis
aux voix et adopté avec le chiffre et le libellé proposé par M. le ministre.
Articles 4 à 6
« Art. 3. Frais
de la commission instituée dans le but de rechercher les moyens propres à
améliorer le sort des classes pauvres, et indemnité de son secrétaire : fr.
5,000. »
- La section centrale
a proposé de réduire ce chiffre à 2,000 fr.
Le gouvernement s'est
rallié à cette réduction.
-L'article ainsi
modifié est mis aux voix et adopté.
____________________
« Art. 4.
Subside pour l'érection des dépôts de mendicité agricoles : fr. 30,000. »
- La suppression,
proposés par M. te ministre, est mise aux voix et prononcée.
____________________
« Art. 5.
Subsides pour les enfants trouvés et abandonnés, sans préjudice du concours des
communes et des provinces : fr. 175,000. »
- La section centrale
propose une réduction de 30,000 fr.
Le gouvernement se
rallie à cette réduction.
Cet article, réduit
au chiffre de 145,000 fr., est mis aux voix et adopté.
____________________
« Art. 6.
Subsides : 1° Pour le patronage des condamnés libérés ; 2° pour faire établir
et soutenir, à cette fin, des maisons de refuge, où sont également reçues les
personnes qui veulent abandonner la voie du vice et de l'immoralité ; 3° pour
venir en aide aux institutions qui forment des sujets propres au service des
prisons, des dépôts de mendicité et d'autres établissements de
bienfaisance : fr. 50,000. »
- Adopté.
Chapitre IX - Etablissements de bienfaisance
Discussion
générale sur le chapitre
M. le ministre
de la justice (M. de Haussy). - Depuis les
modifications de chiffre que j'ai soumises à la section centrale, des
adjudications ont eu lieu qui me permettent de proposer au chapitre des prisons
une réduction de 80 mille francs sur le crédit demandé ; j'espère même que
l'économie sera plus forte encore, mais je n'en suis pas assez certain pour
porter la réduction au-delà du chiffre que j'indique. C'est sur l'article 9 du
chapitre X qu'elle doit être faite ; le chiffre sera de 650,000 francs au lieu
de 700 mille.
M. Cogels. - Le chiffre porté
primitivement à l'article premier était de 1,100,000 fr. C'est sur la demande
de M. le ministre que la section centrale a consenti à porter le chiffre à
1,600 mille. Cette augmentation est motivée de la manière suivante :
« En prenant pour
basé la moyenne de la progression de la population des prisons, pendant les
années 1845, 1846 et 1847, il faudra, pour faire face à l'entretien des détenus
pendant 1848, en évaluant le coût de la journée au prix de 53 centimes, la
somme de 1,595,962 fr., somme ronde 1,600,000 fr. »
Messieurs, la
progression de la dépense des prisons a eu une double cause, d'abord
l'augmentation de la population et surtout l'augmentation du prix des denrées
alimentaires. C'est même la cherté des denrées alimentaires qui a contribué
pour beaucoup à cet accroissement de la population.
C'est en 1846 et 1847
que nous avons vu accroître cette population d'une manière démesurée. Dès lors,
je pense que M. le ministre a eu une idée fort peu consolante ; en présence de
l'abaissement du prix des denrées alimentaires à un taux normal, nous devrions
encore voir croître la population des prisons.
Il devrait y avoir,
ce me semble, une décroissance en raison du retour des denrées alimentaires à
un taux normal. Je pense que le chiffre de. 1,600,000 fr. est exagéré. Je sais
que l'adoption d'un chiffre supérieure peut pas avoir de conséquences graves,
car on ne peut pas faire des dépenses plus fortes que celles qui sont
nécessaires ; mais il en résulte un autre inconvénient, on augmente par-là
l'insuffisance présumée des ressources nouvelles au-delà de ce qu'exigent les
besoins réels.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Rogier). - Nous avons partout
réduit les dépenses autant que nous l'avons pu.
M. Cogels. - Je n'incrimine pas
les intentions, ceci est un fait ; si (page
602) au lieu de 1,600 mille francs pour l'entretien et la nourriture des
détenus 1,100 mille francs suffisent, les besoins présumés seront augmentés de
500 mille francs, par conséquent les besoins de ressources nouvelles se
trouveraient portés de 500 mille francs au-delà de la réalité. Maintenant je me
fonde sur les besoins réels ; en 1844 et 1845, les dépenses de cet article ne
se sont jamais élevées au-delà de 1,300 mille fr. ; quelquefois elles ne se
sont élevées qu'à un million, par conséquent nous pouvons espérer de les voir
encore se renfermer dans les mêmes limites.
M. le ministre nous a
parlé des nouvelles adjudications qui ont été faites, et c'est justement à
cette occasion que je voulais parler du système vicieux que l'on a adopté pour
quelques adjudications, entre autres pour les denrées alimentaires qui doivent
servir à la nourriture des prisonniers.
II y a eu, le 5 novembre
de l'année dernière, une adjudication de riz. La quantité de riz demandée était
de 191,640 kilog., divisée en 10 lots. On a réservé au gouvernement le droit
d'admettre, non pas les soumissions les plus basses, mais d'admettre telle
espèce de riz qu'il jugerait convenable.
Qu'est-il arrivé ?
Un négociant a
soumissionné un seul lot pour du riz carga au prix de 38 francs ; et le 29
novembre, on lui a fait l'adjudication de la totalité du riz à ce prix, tandis
qu'un négociant de Termonde avait soumissionné pour 36 fr. seulement, et à
l'époque où l'adjudication a été consentie, le riz de cette espèce n'était coté
au prix courant de la bourse d'Anvers, qu'à 29 fr. Si nous ajoutons à ce prix
de 29 fr. 10 pour cent de bénéfice et un franc pour le transport, nous
arriverons à 35 fr. seulement.
Si le gouvernement avait agi sagement et s'il avait
fait une nouvelle adjudication, après avoir spécifié la qualité de riz auquel
on avait accordé la préférence, il aurait pu réaliser une économie de 2,000 fr.
Je suis persuadé
qu'il n'y a eu aucune intention d'accorder une faveur. Cependant je prie M. le
ministre d'examiner cet objet. Je pense qu'à l'avenir, dans les adjudications,
on pourrait trouver le moyen d'obtenir des conditions plus avantageuses, et on
pourrait en même temps obtenir, pour l'alimentation des prisons, des denrées
d'une meilleure qualité. Car, si mes renseignements sont exacts, les riz
auxquels le gouvernement a accordé la préférence, sont certainement ceux qui
conviennent le moins ; ce sont enfin ceux de la plus mauvaise espèce.
M. le ministre
de la justice (M. de Haussy). - L'honorable M.
Cogels nous a fait un reproche assez grave. Il prétend que, dans le but de
demander à la chambre des ressources nouvelles, nous exagérons les dépenses.
Tout à l'heure l'honorable M. d'Anethan nous faisait un reproche différent. Il
se plaignait de ce que j'avais réduit de 75,000 francs un crédit compris dans
le budget qu'il avait présenté. Ce sont là des reproches tout à fait
contradictoires.
Messieurs, la somme
qui a été demandée pour les frais d'entretien, d'habillement et de nourriture
des prisonniers, s'élève à 1,600,000 fr. Le crédit primitif se trouve donc
augmenté de 500,000 fr. Mais l'honorable M. Cogels a oublié que pour l'année dernière
il a fallu demander à la chambre un crédit supplémentaire d'un million ; de
sorte que la dépense totale de l'entretien des détenus s'est élevée en 1847 à
la somme de 2,100,000 fr.
C'est, messieurs,
pour éviter de devoir demander un nouveau crédit supplémentaire pour 1848, que
j'ai proposé de porter le chiffre à 1,600,000 fr.
Ce chiffre est-il
exagéré ? En aucune manière. Il ne comprend que la moitié de la dépense
supplémentaire qu'a exigée le service de 1847.
J'ai donc compté que
le nombre des prisonniers serait moins élevé en 1848 qu'en 1847, que la journée
d'entretien serait aussi plus avantageuse par suite d'une réduction dans le
prix des denrées. Ces calculs ne peuvent se faire qu'approximativement ; car
nous ne savons pas quelle sera la population des prisons dans le cours de
l'exercice qui commence. Mais les évaluations sont faites de manière que nous
avons presque la certitude de n'avoir pas de crédits supplémentaires à
demander, à moins de circonstances tout à fait imprévues.
Messieurs, la
population des prisons a été, en moyenne : en 1845, de 6,750 individus, en
1846, de 8,070 individus et en 1847, de 9,828 individus. Ainsi, en trois ans,
la population des prisons s'est accrue de 35 à 40 p. c.
Quant à la journée
d'entretien, elle avait été : en 1845, de 40 centimes, en 1846, de 51 centimes
et en 1847 de 55 centimes.
J'espère que nous
obtiendrons, et déjà les adjudications nous en ont donné la preuve, des
réductions assez notables du prix des denrées, et que la population des prisons
sera moins forte. Mais c'est précisément dans cette prévision toute favorable
aux intérêts du trésor et qui, j'espère, se réalisera, que nous avons réduit le
chiffre du crédit supplémentaire de 1847 d'un million à 500,000 fr.
Vous voyez donc que
le seul but du gouvernement a été dans cette circonstance de ne pas avoir à
demander à la chambre des crédits supplémentaires. Car c'est là un très mauvais
système contre lequel la chambre a élevé souvent et élève à chaque instant encore
de justes réclamations, et dont il importe de sortir, si nous voulons établir
l'ordre et la régularité dans nos finances.
L'honorable M. Cogels
a parlé d'abus qui se seraient introduits dans l'adjudication des vivres, et il
a cité un fait qu'un journal d'Anvers avait déjà produit sur la plainte d'un
adjudicataire évincé.
L'adjudication du riz
se faisait autrefois dans chacune des provinces où se trouvent les prisons
centrales. J'ai pensé qu'il était préférable que l'adjudication se fît à
Anvers, parce que j'ai cru que le commerce d'Anvers était mieux en mesure de
pourvoir de cette denrée l'administration des prisons.
L'adjudication a donc
été annoncée à Anvers. Elle n'a produit que des résultats auxquels on ne
pouvait s'attendre ; des soumissions tellement élevées pour la plupart des
lots, qu'il était impossible de les approuver.
Cependant quelques
lots avaient été adjugés à des prix assez avantageux, et l'adjudication avait
pu être approuvée pour une faible partie.
J'ai consulté M. le
gouverneur d'Anvers pour savoir ce qu'il y avait à faire dans cette
circonstance. M. le gouverneur a envoyé un des agents | provinciaux à Gand pour
s'aboucher avec l'un des adjudicataires qui avait fait l'entreprise pour l'une
des maisons centrales de la Flandre. M. le gouverneur m'a fait savoir que cet
adjudicataire consentait à faire la fourniture entière moyennant une légère
augmentation de 2 fr. par 100 kilog., augmentation qui ne répondait qu'aux
frais de transport qu'il devait faire en plus pour faire arriver le riz dans
chacune des grandes prisons du royaume. J'ai permis alors de traiter avec cet
adjudicataire au prix de 39 fr., tandis que le prix des autres lots était de 37
et de 38 fr. Mais toutes les autres soumissions avaient été faites à des prix
tellement exagérés qu'il était impossible de les accepter.
Je crois inutile de donner à la chambre communication
de la dépêche de M. le gouverneur d'Anvers qui a conclu ce marché, dépêche par
laquelle il me propose de l'approuver.
Messieurs, les
adjudicataires évincés font quelquefois retentir les journaux de leurs
plaintes, et c'est ce qui est arrivé dans l'espèce. Les adjudicataires se
livrent même souvent à une certaine tactique, c'est de s'entendre pour demander
des prix très élevés, dans l'espoir que l'on pourra ensuite traiter avec eux de
la main à la main moyennant un certain rabais. Mais lorsqu'ils échouent dans
cette manœuvre, ils élèvent des plaintes. C'est ce qui a occasionné celle dont
un journal d'Anvers s'est rendu l'écho.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Rogier). - Je dois ajouter
quelques observations à celles de mon honorable collègue M. le ministre de la
justice.
Un honorable député a
semblé faire le reproche au gouvernement d'une sorte de tactique au moyen de
laquelle le gouvernement cherchait à démontrer à la chambre la nécessité de
ressources nouvelles, à l'aide de l'augmentation exagérée de certaines
dépenses.
Il y aurait de
l'injustice à adresser ce reproche au gouvernement.
Nous cherchons,
messieurs, à arriver à des budgets vrais, à des budgets sincères, qui ne
mettent pas la chambre dans l'obligation, si souvent répétée depuis un certain
nombre d'années, de voter des crédits supplémentaires, quelquefois égaux ou
même supérieurs aux crédits primitivement votés au budget. Ainsi pour ne pas
sortir de l'allocation sur laquelle on discute, le budget de la justice ne
s'était trompé dans son évaluation que de la bagatelle d'un million ; mon
honorable collègue le ministre de la justice a été obligé de venir demander un
crédit supplémentaire d'un million sur une allocation de 1,100,000 fr.
Messieurs, fallait-il
pour l'année 1848 exposer la chambre et le gouvernement à un pareil mécompte ?
Non, M. le ministre de la justice n'est pas venu demander un crédit de 2
millions ; il a eu égard aux changements survenus dans les circonstances, à la
diminution du prix des denrées alimentaires et il a réduit la demande à
1,600,000 fr. Par ce moyen, nous espérons que pour l'année 1848, nous ne serons
plus obligés d'arriver avec de nouvelles demandes de crédits supplémentaires.
Nous avons si peu
l'intention de grossir certains chiffres de budgets en vue de grossir le budget
des voies et moyens, que chaque fois que nous l'avons pu, nous avons été les
premiers à proposer des réductions dans les budgets de nos prédécesseurs. C'est
ce qui est arrivé notamment pour le département de la guerre. Mon honorable ami
M. le ministre de la guerre, avant même la discussion publique, en section
centrale, avait commencé par proposer des réductions. En séance publique, il a
proposé des réductions nouvelles.
C'est également la
voie qui a été suivie par mon honorable ami M. le ministre de la justice. Il a
proposé une première réduction qui a été combattue par son honorable
prédécesseur et à l'instant même où l'honorable M. Cogels faisait ses
observations, M. le ministre de la justice venait de proposer une nouvelle
réduction.
Il aurait fallu dans
le système qu'on veut nous supposer, nous abstenir de proposer toutes ces
réductions. Nous aurions pu nous renfermer dans les chiffres qui avaient été
jugés nécessaires par nos honorables prédécesseurs. Mais loin de là ; chaque
fois que nous avons pu et aussi loin que nous avons pu marcher dans cette voie,
nous avons proposé des réductions, et j'en ai fait moi-même au département de
l'intérieur.
Ce que nous cherchons
en un mot, messieurs, c'est d'arriver à une situation vraie, à un équilibre
véritable dans nos finances. Nous ne cherchons pas à dissimuler les
insuffisances du trésor. Nous croyons que c'est là un très mauvais système
auquel il faudrait renoncer, si on l’avait suivi, Dissimuler les insuffisances
du trésor, malheureusement ce (page 603)
n'est pas les combler. Mais en même temps que nous n'avons pas voulu dissimuler
les insuffisances du trésor, nous n'avons pas non plus voulu exagérer les
dépenses.
Nous avons cherché et nous continuerons de chercher à
arriver à des évaluations exactes à des évaluations modérées qui se concilient avec
les besoins du service et qui épargnent en même temps à la chambre
l'inconvénient des crédits supplémentaires.
Mon honorable
collègue M. le ministre de la justice vous a annoncé que s'il lui était
démontré que de nouvelles réductions peuvent avoir lieu sur l'allocation
demandée pour le budget de 1849, il s'empressera de les proposer à la chambre.
Telle est, messieurs,
la marche que tous les ministres entendent suivre : rester vrais dans nos
propositions d'augmentation des dépenses et rester vrais aussi dans nos
propositions de réduction.
M. Lange, rapporteur. - J'ai demandé la
parole, lorsque j'ai entendu l'honorable M. Cogels critiquer l'augmentation de
500,000 fr. demandée à l'article en discussion, par M. le ministre de la
justice, et accueillie par la section centrale. Les explications qui viennent
d'être données par M. le ministre de l'intérieur et par M. le ministre de la
justice, me dispensent d'entrer dans des développements ultérieurs.
J'appellerai
cependant l'attention de la chambre sur le fait qui vient de lui être signalé.
C'est qu'en 1847 le crédit demandé pour le même objet était aussi de 1,100,000
fr., et que, dans le mois de décembre, un crédit supplémentaire de 1 million a
dû être demandé à la chambre.
Cette demande fut
reconnue tellement légitime, que la chambre l'adopta à l'unanimité.
Il n'est pas inutile de remarquer que le crédit
demandé pour éviter une demande ultérieure ne comprend que la moitié de la
somme supplémentaire votée pour 1847.
J'aurai une question
à faire à M. le ministre de la justice.
La section centrale a
demandé que l'augmentation de 500,000 francs soit portée à la colonne des
charges extraordinaires et temporaires. Je désire savoir si M. le ministre de
la justice se rallie à cette proposition.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Je n'ai aucun
motif pour ne pas me rallier à cette proposition. Cependant je ne pourrais
assurer à la chambre qu'il ne faudra pas encore, les années suivantes, un
crédit extraordinaire. Car, messieurs, nous ne pouvons pas espérer dans un an,
ni même peut-être dans deux ans, de revenir au taux normal de la journée
d'entretien, ni de voir redescendre le chiffre de la population de nos prisons
à ce qu'il était il y a quelques années. Je crains que l'influence des
circonstances que nous venons de traverser ne se fasse ressentir
malheureusement encore pendant quelques années.
M. d’Anethan. - M. le ministre de
l'intérieur vient de vous dire que le gouvernement voulait présenter des
budgets sincères ; il a ajouté que l'année dernière je ne m'étais trompé que
d'un million dans les prévisions des dépenses. Ce rapprochement pourrait faire
supposer que M. le ministre a voulu laisser entendre que le budget présenté par
moi manquait de ce caractère de sincérité. Mais je ne pense pas que telle ait
été sa pensée ; s'il en était autrement, je lui répondrais qu'il m'était tout
aussi impossible qu'il le sera à mon honorable successeur de prévoir que le
chiffre de la population des prisons aurait été doublé pendant l'année et qu'il
en aurait été de même du prix des denrées alimentaires.
M. le ministre de la
justice, en répondant à l'honorable M. Cogels, est revenu, je ne sais pourquoi,
sur ce que j'avais dit relativement à une réduction que lui-même avait
proposée. Messieurs, sans combattre cette réduction, et sans demander le
maintien du chiffre primitif, j'ai exprimé le regret, et je le renouvelle, que
M. le ministre de la justice ait cru devoir se priver du moyen d'améliorer la
situation si déplorable de plusieurs établissements d'aliénés, situation contre
laquelle on réclame depuis si longtemps.
Quant au chiffre pour
l'entretien des détenus, je déclare l'appuyer tel qu'il est présenté par M. le
ministre de la justice. Je pense que le chiffre de 1,600,000 fr. n'est pas
exagéré. La population de nos prisons (et M. le ministre de la justice pourrait
vous communiquer un chiffre exact), la population de nos prisons, comme je le
disais tout à l'heure, a doublé l'année dernière ; de plus, il doit encore
exister de nombreuses condamnations qui n'ayant pas pu être immédiatement
exécutées faute de locaux suffisants, devront l'être plus tard.
Il en résultera donc que, pendant un certain temps
encore, la population des prisons sera probablement maintenue au chiffre
actuel, et qu'aussi la somme de 1,600,000 fr. sera nécessaire. Vous voudrez
bien remarquer que celle somme est de 500,000 fr. inférieure à la somme
dépensée l'année passée.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - L'honorable M.
d'Anethan a dit qu'il ne pouvait pas prévoir les circonstances qui
augmenteraient dans une proportion si considérable la population des prisons.
Sans doute en 1847, lorsqu'il présentait le budget de 1848, il ne pouvait pas
connaître le résultat de l’année courante, mais il avait le chiffre de 1846 et
la population des prisons s'est élevée en 1846 à 8,070 individus, c'est-à-dire
à 1,300 environ de plus qu'en 1846. D'un autre côté la journée d'entretien
s'est élevée en 1846 à 11 c. au-dessus de ce qu'elle avait été en 1845. Enfin
l'honorable membre a été obligé de venir demander à la chambre un crédit
supplémentaire de 500,000 fr., je pense, pour pourvoir à l'insuffisance de la
somme allouée pour 1846.
Je crois donc que
lorsque l'honorable M. d'Anethan a présenté le budget de 1848, il aurait pu
tenir compte de ces circonstances, et demander l'augmentation de 800,000 fr.
que je suis forcé de demander aujourd'hui.
M. Cogels. - Je n'ai entendu
adresser aucun reproche au ministère. L'observation que j'ai présentée, je ne
l'ai pas présenter sous forme de reproche. J'ai dit que si comme on avait lieu
de l'espérer, la somme demandée ne devait pas être dépensée, il résulterait de cette
demande une insuffisance présumée de ressources qui ne se réaliserait pas.
Maintenant j'étais fondé à faire cette observation, d'autant plus que M. le
ministre avait dit dans la section centrale qu'il prenait pour base de ses
calculs l'accroissement de la population des prisons de 1845, 1846 et 1847. Or,
j'ai cru devoir faire observer à la chambre que l'année 1847 avait été une
année tout à fait exceptionnelle pour la cherté des subsistances, qui avait
exercé une grande influence sur le chiffre de la population des prisons, et que nous pouvions
espérer que nous en étions arrivés maintenant à une progression décroissante.
M. le ministre a dit
que la journée d'entretien avait été en 1845 de 40 centimes, en 1846 de 51
centimes et en 1847 de 55 ou de 57 centimes, je n'ai pas pris note du chiffre.
Eh bien, messieurs, les denrées alimentaires sont maintenant à un prix
inférieur à celui où elles étaient au commencement de 1846, beaucoup inférieur
à celui où elles étaient en 1842 ; nous pouvons donc espérer que pour 1848 la
journée d'entretien pourra être réduite au moins à 40 centimes. Lorsque nous
tenons compte de cette réduction du prix de la journée d'entretien ainsi que de
la diminution que nous pouvons également espérer et que j'espère moi de tout
cœur, et la diminution du nombre des prisonniers, je crois, messieurs, que nous
pouvons considérer le chiffre porté au budget comme étant au moins suffisant.
Du reste, j'ai voulu
seulement appeler l'attention de la chambre sur ce point parce que quand les
budgets seront votés et qu'on voudra apprécier la situation réelle de nos
finances, on pourra cependant rester dans de justes limites et espérer que le
retour de la prospérité générale nous procurera des ressources qui puissent
nous dispenser de recourir à de trop grandes augmentations d'impôts.
- La discussion sur
l'ensemble du chapitre est close.
Section première. - Service domestique
Articles 1 à 7
« Art. 1er.
Frais d'entretien, d'habillement, de couchage et de nourriture des
détenus : fr. 1,600,000. »
_________________
« Art. 2.
Gratifications aux détenus employés au service domestique : fr.
34,000. »
_________________
« Art. 3. Frais d'entretien,
d'habillement et de couchage des gardiens et des surveillants : fr.
24,000. »
_________________
« Art. 4. Frais de voyage des membres des
commissions administratives des prisons, ainsi que des fonctionnaires et
employés des mêmes établissements : fr. 7,500 »
_________________
« Art. 5. Traitement des employés
attachés au service domestique : fr. 430,000. »
_________________
« Art. 6. Récompenses à accorder aux
employés pour conduite exemplaire et actes de dévouement : fr. 3,000. »
_________________
« Art. 7. Frais d'impression et de
bureau : fr. 10,000. »
- Ces articles sont
successivement adoptés.
Article 8
« Art. 8.
Constructions nouvelles, réparations, entretien des bâtiments et du
mobilier : 780,000 fr. »
M. Pirson. - Je désire obtenir
un renseignement de M. le ministre de la justice.
La nécessité de construire
une nouvelle prison à Dinant avait été reconnue par le prédécesseur même de M.
le ministre. Dans un tableau qui a été déposé sur le bureau, pendant la
discussion du budget pour l'exercice 1847, tableau indiquant l'emploi auquel
était destinée l'allocation de 631,000 fr. pour réparations
et constructions nouvelles à faire aux prisons, la ville de Dinant figurait
pour une somme de 40,000 fr. Depuis lors, les terrains ont été achetés, mais je
ne pense pas qu'ils soient payés et les travaux n'ont pas été commencés. Je
prie M. le ministre de vouloir nous dire quel emploi a reçu cette somme de
40,000 fr. De plus je remarque que dans l'annexe M, insérée à la fin du rapport
de la section centrale, la prison de Dînant n'est pas comprise dans la
répartition du crédit pétitionné pour l'exercice 1848. Vu l'heure avancée de la
séance, je ne développerai pas toutes les considérations démontrant non
seulement la nécessité, mais l'urgence de construire une nouvelle prison à
Dinant. M. le ministre possède d'ailleurs les documents établissant cette
urgence qui avait été reconnue par son prédécesseur. Mais je demanderai à
l'honorable ministre s'il n'y aurait pas possibilité d'affecter une partie du
crédit que nous allons voter, au commencement des travaux de la nouvelle prison
de Dinant, et je le prie en tous cas de comprendre cette prison dans
l'allocation qui sera portée au budget pour l'exercice 1849.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, en
effet la nouvelle prison à faire à Dinant figure pour 40,000 fr. (à titre de
première dépense), dans le tableau de l'emploi du crédit voté au budget de
1846. Jusqu'ici on a seulement acheté un terrain au prix de 19 à 20,000 fr. Le
plan de la prison n'a pas encore pu être arrêté. Je doute que le crédit que
vous allez voter puisse cette année être affecté en partie à la construction de
celle nouvelle prison -, mais si pour 1849 le chiffre en est maintenu, la
prison de Dinant pourra être comprise dans la répartition. Peut-être même pourra-t-on
donner un commencement d'exécution dans le cours du présent exercice.
(page 694) M. Lys. - Messieurs, je viens appeler l'attention de
M. le ministre de la justice sur l'état vraiment déplorable des bâtiments qui,
à Verviers, servent à la fois de prison et de palais de justice. Il y a déjà
plusieurs années, on avait porté au budget une somme de 50,000 fr. pour mettre
l'administration à même de réparer ce bâtiment ; mais cette somme n'a pas reçu
cet emploi ; je ne sais-ce qu'elle est devenue.
Je puis affirmer que
ces bâtiments sont dans le plus pitoyable état ; il me suffit de vous dire
qu'on a dû établir des tirants en fer, pour empêcher l’écartement des
murailles.
J'ai déjà dit que le
bâtiment sert à deux usages. Dans la partie affectée aux détenus, les
prisonniers sont placés pêle-mêle : les détenus pour dettes n'y sont pas
séparés d'avec les autres prisonniers.
Remarquez encore
qu'il y a le plus grand danger pour le cas d'incendie. Le greffe du tribunal de
Verviers est placé dans une espèce d'entresol du bâtiment : au-dessus sont les
prisonniers est au-dessous le parquet du procureur du roi. Ainsi, si un
incendie venait à éclater, il pourrait, eu égard à la masse de papiers, causer
les plus grands malheurs.
Messieurs, il s'est
agi de bâtir un nouveau palais de justice ; mais le gouvernement a exigé au
préalable que la ville de Verviers intervînt dans cette dépense. Or, la
situation dans laquelle cette ville se trouve, rend son intervention pécuniaire
impossible, et ce palais restera dès lors fort longtemps en projet si le
gouvernement persiste dans son exigence.
Je vous l'ai déjà
dit, messieurs, sur une population de 23,000 habitants, Verviers compte 16,000
prolétaires ; ajoutez à cela les petits boutiquiers, les personnes appartenant
à divers métiers, et il restera tout au plus trente fabricants de draps.
Quelques maisons
riches que nous avons sont extrêmement charitables envers les malheureux, et
nous avons même beaucoup à nous en louer, mais on conviendra que pendant les
deux années calamiteuses que nous avons traversées, il a fallu à la charité
publique des efforts extraordinaires pour fournir aux besoins de ces nombreux
ouvriers.
La ville de Verviers
est dans une situation financière pénible, parce que, pendant ces deux années,
le gouvernement n'a pas accordé de subside à cette ville : il considérait
Verviers comme ville, et il ne faisait pas attention, malgré nos vives
sollicitations, à l'état exceptionnel dans lequel elle se trouvait.
Dans le moment, elle ne sait comment faire face au
subside nécessaire à son bureau de bienfaisance. Voyez les journaux et lisez
les discussions qui ont eu lieu au conseil communal à l'occasion du budget.
Elle se trouve obérée d'une dette considérable, contractée pendant ces deux
dernières années, pour aliments donnés aux indigents ; elle est forcée à
imposer sur la fortune présumée de ses habitants, et à négliger les besoins
pressants de ses pauvres. cette position est insoutenable et rend impossible
tout subside de sa part pour un palais de justice.
M. le ministre
de la justice (M. de Haussy). - D'après tous les
renseignements qui me sont parvenus, je dois reconnaître que le bâtiment de la
prison de Verviers est dans un état assez déplorable. Je promets à l'honorable
membre de m'occuper avec sollicitude de cette affaire, et de lui donner, s'il
est possible, une prompte solution.
Je dois dire,
cependant, qu'il est un grand nombre d'autres prisons qui ne sont pas dans un
état plus satisfaisant ; ce ne sera qu'à l'aide de crédits extraordinaires
qu'on pourra faire réparer ou reconstruire ces prisons.
- Le chiffre de
780,000 fr. est mis aux voix et adopté.
Article 8 (nouveau)
« Art. 8 (nouveau).
Traitement et indemnité de route du contrôleur des constructions dans les
prisons, et indemnités de route à payer aux architectes : fr. 21,000. »
— Adopté.
Section deuxième. - Service des travaux
Articles 9 à 12
« Art. 9. Achat de
matières premières et ingrédients pour la fabrication : fr. 650,000. »
- Adopté.
_________________
« Art. 10.
Gratifications aux détenus : fr. 183,000. »
-Adopté.
_________________
« Art. 11. Frais d'impression et de
bureau : fr. 10,000. »
- Adopté.
_________________
« Art. 12. Traitements et tantièmes des
employés : fr. 85,400. »
- Adopté.
Chapitre XI. - Frais de police
M. de Brouckere. - Messieurs, je comptais,
à l'occasion de ce chapitre, entretenir la chambre des abus graves et nombreux
qui se commettent au ministère de la justice, par l'application qu'on y fait de
la loi du 22 septembre 1835 sur les étrangers. J'aurais démontré par des faits
qu'au département de la justice on a perdu de vue et le sens des dispositions
de la loi du 22 septembre 1835 et l'intention qui a présidé, tant à la
présentation de la loi par le gouvernement qu'au vote des chambres ; mais la
chambre, fatiguée des discussions de ces jours derniers, a hâte de voter le
budget du département de la justice, et je ne veux pas retarder le moment de ce
vote. Je dois cependant prévenir M. le ministre de la justice que je saisirai
la première occasion qui se présentera, d'entretenir la chambre des abus dont
je viens de lui parler. En attendant....
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Avez-vous des
faits récents ?
M. de Brouckere. - Non, mais j'arrive
à une conclusion : je prie M. le ministre de la justice de reprendre à lui
l'exercice du droit que lui confère la loi du 22 septembre 1835, d'expulser les
étrangers qui, par leur conduite, compromettraient la tranquillité publique, et
de ne plus laisser ce droit exorbitant à un employé subalterne.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Le gouvernement
n'a jamais laissé ce droit à un employé subalterne, car pour expulser un
étranger en vertu de la loi du 22 septembre 1835, il faut un arrêté royal et
tout arrêté royal est contresigné par le ministre.
Mais il y a une autre
question, c'est celle du renvoi de certains étrangers munis de passeports ou
qui se présentent sans passeport ou avec des passeports qui ne sont pas
reconnus suffisants.
La question est assez
grave et l'honorable membre fera bien, ainsi qu'il en a le droit, d'appeler
l'attention de la chambre et da gouvernement sur cette question, comme il en a
annoncé l'intention, et il pourra alors signaler les faits qui peuvent être
venus à sa connaissance.
M. de Brouckere. - Je saisirai la
première occasion qui se présentera pour entretenir la chambre ne cet objet. Je
démontrerai qu'on a abusé, indignement abusé, des dispositions de la loi du 22 septembre
1835, que ce n'est pas en vertu de la loi sur les passeports qu'on a exclu des
étrangers qui s'étaient présentés munis d'un passeport parfaitement en règle.
Si on me répond alors que je ne cite pas de faits, que je me borne à prévenir
la chambre que je l'entretiendrai de l'abus qu'on a fait de la loi de 1835, je
demanderai de nouveau la parole pour citer les faits.
M. d’Anethan. - Je ne prends pas
la parole pour répondre à l'honorable M. de Brouckere, mais seulement pour
protester contre l'accusation d'avoir fait un abus scandaleux de la loi de
1835, car d'après ce qu'il a dit ces abus remonteraient à mon administration.
Si l'honorable membre
apporte devant la chambre la discussion qu'il a annoncée, je crois pouvoir me
faire fort d'établir qu'il n'y a eu aucune espèce d'abus.
M. de Brouckere. -Il y a eu une
condamnation.
Articles 1 et 2
« Art. 1er.
Service des passeports : fr. 20,000. »
-Adopté.
________________
« Art. 2. Antres
mesures de sûreté publique : fr. 48,000. »
- Adopté.
Chapitre XII. – Dépenses imprévues
Article unique
« Article
unique. Dépenses imprévues, non libellées au budget : fr. 6,000. »
- Adopté.
Chapitre XIII. – Dépenses arriérées
Article unique
« Article
unique. Pour solde de dépenses arriérées concernant les exercices dont les
budgets sont clos : fr. 58,000. »
- Adopté.
Second vote des articles et vote des dispositions légales
M. le président. - Trois amendements ont
été introduits, la chambre veut-elle remettre le vote définitif à après-demain
? (Non ! non !)
-La chambre décide
qu'elle votera d'urgence.
Les trois amendements
introduits sont successivement confirmés.
_______________
On passe au vote des articles
de la loi :
« Art. 1er. Le
budget du ministère de la justice est fixé pour l'exercice 1848 à la somme de
12,706,295 francs, conformément au tableau ci-annexé. »
- Adopté.
« Art. 2. La
présente loi sera obligatoire le lendemain de sa publication. »
- Adopté.
Il est procédé à
l'appel nominal.
La chambre ne se
trouvant pas en nombre, cette opération est renvoyée à lundi. La séance est
levée à 5 heures.