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Chambre des représentants de Belgique
Séance du lundi 20 décembre 1847
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre, notamment pétitions
relatives au droit sur les boissons distillées (Lys)
2) Motion d’ordre. Influence du clergé dans
l’organisation de l’enseignement public (Le Hon, Nothomb, Le Hon, Nothomb,
Dedecker, Nothomb, Delfosse, Dedecker, Rogier, de Theux, Nothomb, Le Hon, de
Mérode, Rogier)
3) Projet de loi portant le budget des voies et moyens
pour l’exercice 1848
a) Rapport sur des pétitions adressées à la section
centrale (Lejeune)
b) Motion d’ordre visant à disjoindre la discussion
sur les droits sur les sucres (Osy, Mercier,
Malou, de La Coste, Mercier, Veydt, Rogier,
Lejeune, Veydt, Mercier, Rogier, Mercier,
Eloy de Burdinne, Loos, Gilson, Veydt, Malou,
Eloy de Burdinne)
c) Interpellation relative à la péréquation cadastrale
(de Corswarem, Veydt)
d) Discussion générale. Droits sur les sucres (Cogels, de Man d’Attenrode, Osy), droits sur le sel (Eloy de Burdinne),
rendement général des recettes, droits sur le tabac, droit d’invention et
propriété intellectuelle (Lejeune), (Verhaegen), rendement général des recettes, droits sur
le tabac, droits de succession (Malou), droits sur le
tabac (Osy), redevance sur les mines (Orban,
Veydt)
(Annales parlementaires de Belgique, session
1847-1848)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 333) M. A. Dubus
procède à l'appel nominal à une heure.
M. T’Kint de Naeyer
lit le procès-verbal de la séance de samedi ; la rédaction en est approuvée.
M.
A. Dubus présente l'analyse des pétitions adressées à la
chambre.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
« Le conseil
communal de Blankenberghe demande la construction d'un port de refuge à l'est
de cette commune. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le budget des travaux
publics.
________________
« Le conseil communal d'Ittre présente des observations contre le projet
de loi qui supprime le premier canton de justice de paix de Nivelles. »
- Renvoi à la commission des circonscriptions cantonales.
________________
« Le sieur Libert, sergent au
régiment de chasseurs-carabiniers, demande à recouvrer la qualité de Belge
qu'il a perdue en prenant du service militaire à l'étranger, sans
l'autorisation du Roi. »
- Renvoi au ministre de la justice.
________________
« Plusieurs habitants de la commune de Samré prient la chambre de
rejeter le projet de loi relatif au droit de succession et toute augmentation
de dépenses ou d'impôts qui lui serait proposée. »
- Renvoi à la commission chargée d'examiner le projet de loi sur les
successions, et dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget des voies
et moyens.
________________
« Le sieur Germain-Joseph Hardy,
préposé des douane» à Marcke, né à Gand, de parents étrangers, demande la
naturalisation ordinaire, avec exemption du droit d’enregistrement. »
- Renvoi au ministre de la justice.
________________
« Le sieur de Damseaux réclame
l'intervention de la chambre pour obtenir la liquidation de ce qui revient aux
employés belges pour travaux du cadastre dans les provinces septentrionales de
l'ancien royaume des Pays-Bas. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
________________
« Le sieur d'Henry présente des
observations sur le mode de nomination au notariat. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur le
notariat.
« Plusieurs cabaretiers et débitants de boissons distillées dans le
Limbourg demandent l'abrogation de la loi du 18 mars 1838 qui établit un impôt
de consommation sur les boissons distillées. »
« Même demande de plusieurs habitants de Dison. »
M. Lys.
- Je demande qu'à l'exemple de ce qui a été fait pour les autres pétitions de
ce genre, celle-ci reste déposée sur le bureau pendant la discussion du budget
des voies et moyens.
- Cette proposition est adoptée.
________________
« Les secrétaires communaux du canton d'Erezee demandent une
augmentation de traitement et leur participation à la caisse de retraite des
employés de l'Etat. »
- Renvoi au ministre de l'intérieur.
________________
« Un grand nombre d'habitants de
Namur prient la chambre de rejeter le projet de loi relatif au droit de
succession. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet.
________________
« Le sirur Bonthier se plaint des
retards qu'on apporte à son procès dont le tribunal de Charleroy est saisi.
- Renvoi à la commission des pétitions.
________________
(page 334) « La dame
Berckmans qui a été reconnue comme veuve du milicien Vandoren dont elle n'a
pl.is reçu de nouvelles depuis 1813, demande que l'officier de l'état civil à
Louvain soit autorisé à passer outre à son
deuxième mariage, nonobstant le défaut de production de l'acte de décès
de son premier mari. »
- Même renvoi.
________________
Par vingt-deux messages, en date du 17 décembre, le sénat informe la
chambre qu'il a donné son adhésion à autant de projets de loi de naturalisation
ordinaire.
- Pris pour notification.
_______________
MM. de Baillet-Latour et Cans demandent un congé.
- Ce congé est accordé.
M de Chimay, retenu chez lui depuis le commencement de la session par
une indisposition grave, prête serment.
RAPPORT DE LA COMMISSION DES NATURALISATIONS
M.
Sigart dépose des rapports de la commission des
naturalisations.
MOTION D’ORDRE
M. Le
Hon. - Messieurs, lors de la discussion sur la réponse au
discours de la Couronne, j'avais attaqué le système suivi par les ministères de
ces dernières années dans les rapports du gouvernement avec le clergé en
matière d'enseignement public. Cette discussion était fermée.
L'honorable M. Nothomb, qui était absent à cette époque, saisit
l'occasion du budget de l'intérieur pour renouveler le débat et nous y prendre
la part qui lui revenait, j'en conviens, comme ayant été l'auteur des
principaux actes sévèrement blâmés au-dehors comme au-dedans, de cette chambre.
Informé, au moins à un point de vue général, du sujet de la discussion
qui allait s'ouvrir, je témoignai à M. le ministre des travaux publics le désir
de connaître les pièces qui n'avaient fait qu'apparaître un instant dans la
séance du 18 novembre.
Je me suis cru en droit de lui adresser cette demande, d'abord parce
que, dans le conseil communal de Tournay, j'avais le premier signalé et publié
les preuves authentiques du système épiscopal en matière d'enseignement ;
ensuite, parce que, comme député, j'avais avancé les faits les plus graves dans
le débat précédent.
M. le ministre consentit à me donner communication du dossier que j'ai
parcouru pendant quelques heures et que je restituai immédiatement. Je pris des
notes en forme d'extraits pour me préparer aux éventualités de la discussion,
et sans avoir encore de parti bien arrêté sur l'usage que j'en ferais. Le
discours de M. Nothomb a tracé le cadre du mien. J'ai eu à répondre
immédiatement à un discours habilement étudié et à confirmer, par de nouvelles
preuves, l'ensemble des faits administratifs qu'on venait de nier formellement.
Opposer aux paroles de l'ex-ministre, ses propres actes, c'était mon droit.
Au nombre des éléments de ces preuves, s'est trouvé un passage final de
la minute d'une lettre du 2 septembre 1844, passage qui portait deux traits
d'écriture en croix. Cette circonstance donnait à penser que ce. paragraphe
n'avait pas été transcrit dans la lettre originale transmise aux évêques, mais
n'altérait en rien la réalité du fait et de ses circonstances consignés avec
tant de précision, par le fonctionnaire rédacteur habituel de la correspondance
du ministre, comme élément justificatif de son système de condescendance envers
les évêques. Je l'ai mentionné, ayant soin de déclarer, en le citant, que je
produisais ce passage, non à titre de paragraphe de dépêche, mais « comme
note et comme fait ».
Le débat a eu son cours et il a été clos dans la séance de samedi. Je
m'étais attendu à quelques observations vives et sérieuses dans cette seconde
séance, et j'étais prêt à y répondre. Rien qui me paraisse avoir ce caractère
ne m'a été opposé : mais la discussion qui était épuisée chez vous ne paraît pas
l'être ailleurs ; elle continue dans la presse ; je ne m'en plains pas. La
vérité se trouve toujours bien de la lumière. Mais quand les attaques
dégénèrent, au-dehors, en incriminations calomnieuses, un député habitué à
traiter sérieusement et avec mesure les choses graves n'accepte pas en silence,
sur un pareil sujet, des imputations qu'il n'aurait certainement pas souffertes
dans cette enceinte.
Deux journaux, organes avoués des opinions catholique et mixte publient
ce matin des insinuations de cette nature. Cependant, eu égard aux droits de la
presse et aux conséquences naturelles de sa liberté, je ne me serais pas ému de
ces attaques auxquelles on m'a depuis longtemps habitué, si une note de
l'honorable M. Nothomb, relative au même fait, ne figurait au Moniteur de ce
jour.
Je ne conteste pas le droit dont il a usé, en donnant des explications
par cette voie. Mais une grande question a été portée devant la chambre, elle
préoccupe vivement le pays tout entier. Le débat qu'elle a soulevé doit aboutir
au résultat qui éclaire enfin l'opinion publique.
Il est dans l'intérêt de l'ancien ministère d'être justifié si la
justification est possible, et le vœu de tous doit être qu'aucun voile ne cache
la vérité.
C'est dans ce but sans doute qu'à la fin de la séance de vendredi
dernier plusieurs honorables membres avaient demandé l'impression des pièces :
en quittant la chambre, ce même soir, je regardais la proposition comme
adoptée. J'ai reconnu à l'examen du procès-verbal que j'étais dans l'erreur.
Je viens reprendre la proposition et prier la chambre, par voie de
motion d'ordre, d'ordonner que les pièces dont je lui ai soumis des extraits
sont imprimées textuellement et insérées au Moniteur. Le pays pourra juger
alors si les extraits cités, dont l'effet déjà a été si grand sur les esprits,
ne sont pas bien faibles auprès de la preuve puissante qui résultera de pièces
complètes.
Je tiens à être exact en tout et, s'il y avait eu de ma part une
altération quelconque soit du sens, soit du texte, soit de la portée des
lettres, je serais le premier à le reconnaître.
Je désirerais aussi que le paragraphe bâtonné pût être imprimé
littéralement soit à la suite, soit en marge de la lettre du 2 septembre, si on
n’en décidait pas l’impression dans le corps de la pièce.
Un
membre. - C'est impossible.
M. Le Hon. - Permettez ; la chambre en
décidera. Je ne m'adresse pas ici à des sympathies ou à des opinions
individuelles. Je m'adresse à rassemblée tout entière. Vous n'empêcherez pas la
vérité de se faire jour, soyez-en sûrs.
Je demande, je le répète, la publication de toutes les pièces dont j'ai
fourni des extraits, sauf au gouvernement et à la chambre à y joindre toutes
autres dont ils jugeront la publication utile ou convenable.
M. Nothomb.
- Messieurs, j'ai déjà déclaré qu'en ce qui me concerne, je ne m'opposais en
rien à l'impression des pièces ; je le désire vivement ; mais il m'importe de
saisir cette occasion pour appeler à mon tour l'attention de la chambre sur la
marche qui a été suivie et sur celle qu'on aurait dû suivre.
Autre chose, messieurs, est d'imprimer le texte des pièces, lorsque,
déjà par une discussion anticipée à l'aide de citations partielles, isolées, on
a produit un certain effet. Autre chose eût été de publier d'abord toutes les
pièces, de les livrer dans leur ensemble à la connaissance de la chambre et
puis d'établir la discussion. Je me félicite de ce que l'honorable membre ait,
par une motion d'ordre, rouvert pour un moment le débat.
Je prends la parole non pas seulement dans mon intérêt, mais dans
l'intérêt de tous ceux qui sont appelés à occuper le pouvoir, qui l'occupent
maintenant ou qui l'ont occupé. J'ai réfléchi à la marche qu'on aurait dû
suivre ; je me suis même enquis de ce qui se serait fait au parlement anglais
et en France. Je crois que si on eût annoncé que tel système de politique
résultait des documents de tel ou tel département ministériel, sur la
dénégation de l'ancien ministre, on eût alors décidé que, sans communication
préalable à des tiers, l'ensemble des pièces serait déposé sur le bureau et
textuellement imprimé en son entier. Alors il y aurait eu discussion
impartiale, sans surprise. Evidemment, c'est la seule marche équitable ; c'est
ainsi qu'on procède devant la justice ordinaire ; procéderez-vous autrement le
jour où vous devenez un grand jury pour un ministre, pour un homme politique
qui, par la force des choses, se transforme tout à coup devant vous en prévenu
? Supposez un moment que devant un tribunal quelconque on eût agi envers un
individu ordinaire comme on agit envers moi, et prononcez.
Remarquez-le, je ne vais pas jusqu'à incriminer les intentions, je crois
que ce qui est arrivé est dû à l'absence de précédents sur la marche à suivre.
On aurait dû, dans la séance de vendredi, déclarer qu'on trouvait dans
mon discours des allégations insoutenables devant l'examen de certains
documents ; et sur ma dénégation, sans que personne eût pu prendre la parole
sur les documents à produire, les faire imprimer dans leur ensemble ; seulement
alors une discussion se serait établie ; j'aurais été prévenu, toute la chambre
l'aurait été, j'aurais pu discuter tous les documents, répondre à tous les
faits. J'insiste donc et fortement sur tout ce qu'il y a eu d'irrégulier dans
la marche qui a été suivie. Je ne m'en prends à personne, je m'en prends à
notre inexpérience commune si avant toute discussion on n'a pas ordonné, comme
on l'eût fait dans le parlement anglais, le dépôt de toutes les pièces sur le
bureau et l'impression dans leur ensemble.
Je ne m'oppose pas à l'impression, je la désire, je m'en réfère au
gouvernement ; le gouvernement en décidera ou la chambre si on fait la motion
de faire statuer à la chambre. Dans la séance de vendredi j'avais dit que je
m'en rapportais au ministère. Je demanderai l'impression de toutes les pièces
depuis la première lettre des évêques du 20 avril 1844 jusqu'à celle de M. Van
de Weyer, du 10 février 1846 inclusivement. Il doit y avoir une dizaine de
pièces, il faut les mettre en rapport entre elles et les apprécier dans leur
ensemble. Je demanderai en outre qu'on fasse un fac simile de la minute de la
lettre du 2 septembre en ce qui concerne l'évêque de Gand. On verra que le
passage qui a fait une si grande impression, sur l'assemblée ne fait pas partie
de la lettre que j'ai écrite à ce prélat.
Quand ce fac-simile sera sous nos yeux, vous vous demanderez jusqu'à
quel point on peut invoquer un passage raturé dans une minute, s'interposer
entre le ministre et son homme de confiance dans l'intérieur des bureaux,
établir, j'ose le dire, je ne sais quel système inquisitorial...
Une
voix. - De qui est l'écriture ?
M. Nothomb.
- L'écriture n'est pas de moi, c'est un employé qui a fait la minute ; il me
l'a soumise ; j'y ai fait quelques changements et j'y ai biffé ce paragraphe
tout entier.
Si maintenant vous aviez procédé comme je l'ai dit tout à l'heure, si
vous aviez, d'abord, avant tout usage partiel du document, si vous aviez
demandé que le ministère communiquât à la chambre ma correspondance véritable,
ma correspondance expédiée aux évêques, mais, messieurs, on n'aurait pas même
pu donner communication de ce passage (page
335) retranché, car la lettre que j'ai écrite à l’évêque de Gand ne
renfermait pas ce passage.
Ainsi, messieurs, moi, qui n'ai fait prendre copie que de la lettre
véritablement expédiée, ai-je été pris, je le répète, au dépourvu. Remarquez-le
bien, des changements ont été faits : il y a plusieurs ratures dans cette
lettre.
Je me suis mis à me demander si j'avais bien copie exacte. C'est hier,
seulement, que j'ai pu m'assurer que ma copie était exacte. (Interruption.) J'ai copie de la lettre
expédiée à l'évêque de Gand, je n'ai pas de copie littérale de la minute où se
trouve le passage raturé ; ce n'est pas là la véritable correspondance avec
l'évêque de Gand. Il est évident, messieurs, que je ne suis responsable que de
la lettre réellement expédiée et signée par moi. Je ne suis pas responsable de
la minute qui m'a été proposée. Cette minute n'est pas de ma main. (Interruption.)
Je sais bien que l'honorable M. Le Hon a donné lui-même cette
indication, mais il n'en reste pas moins vrai qu'à l'aide d'une phrase qui ne
se trouve pas véritablement dans ma lettre à l'évêque de Gand, qu'à l'aide de
cette phrase on a produit un grand effet, qu'on a fait naître contre moi de
grandes préventions. (Interruption.)
Je dis que cela fait beaucoup ; je ne suis plus dans une position aussi
favorable que je l'aurais été si les pièces avaient été publiées au préalable.
En un mot, on m'a traité comme on ne traite personne, ni devant la juridiction
criminelle, ni devant la juridiction civile.
Quant aux faits, messieurs ; je les ai expliqués, et je m'en réfère,
sous ce rapport, à la note qui se trouve dans le Moniteur de ce matin. Je ne
veux pas en outre introduire cette question dans le débat, je me borne à
maintenir les faits tels que je les ai consignés aujourd'hui au Moniteur. Si je
ne l'ai pas fait samedi, c'est que je n'en ai pas eu le temps ; j'ai dû
employer une grande partie de la journée d'hier à réunir les renseignements.
M.
Dedecker. - Les faits sont très exacts tels que vous les
avez exposés.
M. Nothomb.
- Il est très vrai que l'employé réducteur de la note m'avait proposé le
paragraphe dont on a tiré un si grand parti. Je lui avais tout bonnement donné
pour instructions : Faites une lettre où vous reprocherez en quelque sorte à
l'évêque tout ce que j'ai fait pour lui. De la tendance chez cet employé à l'exagération
; il s'agissait d'une lettre de récrimination ; en se plaçant à ce point de
vue, il a eu l'idée de se servir du fait indiqué, en se basant sur la
réclamation de M. Willequet père, qui se regardait, lui, comme une victime du
clergé ; d'après les instructions que je donnais au rédacteur et que je viens
de faire connaître, il a cru qu'il pouvait aussi mettre à profit ce fait en se
plaçant au point de vue même du sieur Willequet, père.
J'avais eu pour but principal, en donnant la préférence au sieur Van
Blaeren, de faire disparaître un établissement qui était le rival de l'école
primaire supérieure que le gouvernement créait. Je vais plus loin, je dis que
le succès de cette école était impossible si l'établissement du sieur Van
Blaeren n'avait pas disparu. C'est ainsi que le sieur Van Biaeren a été préféré
; mais je m'étais bien réservé de donner au sieur Willequet une ample
compensation. Cette compensation, il l'a eue lui et sa famille.
Ce n'est donc pas dans mon intérêt seul que
j'insiste, messieurs, sur la marche qui a été suivie ; c'est dans l'intérêt de
tout le monde. Je dis que dans de semblables circonstances, on doit déposer sur
le bureau l’ensemble des documents, l'ensemble du dossier et en demander
l'impression au préalable. Alors la discussion peut s'établir sans qu'il y ait
surprise pour personne. Alors, il faut bien le dire, il n’y a pas de ces effets
de tribune qui deviennent presque ineffaçables.
Je ne m'oppose donc nullement à l'impression, mais je demande qu'on
publie en même temps un fac-similé de la minute qui m'a été soumise, et je
reproduis à l'égard du paragraphe raturé, en particulier, toutes les réserves
que j'ai déjà faites tout à l'heure.
M. Le
Hon. - S'il faut en croire l'honorable M. Nothomb, il ne lui
resterait plus qu'à se poser en victime vis-à-vis de ceux qui ont attaqué son
administration et qui en ont produit les actes. L'honorable membre semble
n'avoir rien su, rien appris, même après les publications qu'en a faites le
Moniteur, de toutes les questions agitées dans la discussion de l'adresse.
Alors pourtant on a vivement attaqué le système politique des anciens
ministères ; on a fait justice des allusions peu sincères au malentendu, à
l'équivoque et à une prétendue communauté de principes libéraux sur
l’indépendance du pouvoir civil ; alors aussi nos adversaires avaient soutenu
qu'il n'existait aucune preuve de l'abandon des droits de l'Etat sur
l'enseignement public : que la Constitution était intacte et la loi fidèlement
exécutée.
Dans la séance du 19 novembre, j'avais opposé à ces allégations sans
preuve des faits positifs, notoires, incontestables..
De son côté, M. le ministre des travaux publics avait produit un dossier
qui renfermait une partie de la correspondance de l'ancien ministère avec
l'épiscopat : il en avait lu quelques extraits fort significatifs à la chambre
; l'origine de ces pièces, leur transport à Berlin et leur renvoi à Bruxelles
avaient été l'objet d'observations publiques. L'honorable M. Nothomb arrive au
milieu du retentissement de ces débats. Il entreprend de faire une large
apologie de son administration. Il s'efforce de vous démontrer qu'il n'a rien
accordé au clergé qu'il eût été dans ses devoirs de lui refuser, et que toutes
les concessions qu'il lui a faites si longtemps n'ont été que des moyens
habiles de conciliation, que des actes de déférence très légitimes. Et quant
aux combinaisons étudiées de son langage on vient opposer l'autorité de ses
propres actes, il se récrie, comme s'ils lui étaient étrangers, comme s'il
n'avait pu ni les connaître, après les avoir emportés, triés et renvoyés, ni en
prévoir l'emploi, après l'apparition qu'elles avaient faite dans une discussion
du mois de novembre.
On n'est jamais très admissible à venir se retrancher derrière
l'ignorance de ses faits personnels.
Il y avait donc un fait acquis à la chambre, acquis à la discussion ;
c'est qu'un dossier de pièces de correspondance existait, c'est qu'il avait été
produit dans cette chambre, c'est qu'on en avait lu quelques passages, et
qu'ils avaient fait une profonde impression. C'est pour détruire cette
impression que l'honorable M. Nothomb est venu engager la lutte. A-t-il
entendu, par hasard, qu'il lui serait loisible de cacher bien soigneusement son
plan d'attaque et ses armes, et qu'il ne serait légitime et permis de le
combattre par lui-même, qu’après un délai moins nécessaire à l'impression des
pièces qu'il connaissait bien, qu'utile à l'effet espéré de son discours ?
Cela ne peut se supposer. Toutes les fois que l'honorable membre viendra
rouvrir un débat, protester contre les faits les plus notoires ou les isoler
pour échapper au poids écrasant de leur ensemble ; lorsqu'il viendra enfin se
heurter étourdiment, violemment contre ses propres actes, il n'aura qu'à
s'imputer à lui-même les conséquences de cette tentative. Peut-être
serions-nous en droit de lui renvoyer ici le reproche de légèreté et
d'inexpérience qu'il adressait aux autres tout à l'heure. Ce que j'ai fait, je
le ferais encore dans les mêmes circonstances. Je ne conteste en rien le
caractère particulier du paragraphe qui paraît l'avoir préoccupé beaucoup, par
suite de la vive impression qu'il a faite.
L'honorable M. Nothomb déplore cet effet de tribune dont il lui paraît
difficile d'effacer les traces. Croit-il donc que toute l'impression de la
séance se soit concentrée sur l'épisode de l'affaire Willequet, quelque
saisissant qu'il fût ? Non, assurément : l'effet a jailli de tous ses actes
administratifs, de leur caractère de soumission absolue, humiliante, et s'ils
ne peuvent être réunis sous les yeux du public sans faire une impression
profonde et pénible, à qui la faute, si ce n'est à l'honorable membre ?
Une voix partie de ces bancs a demandé de qui était l'écriture de la
pièce. Je reconnais que cela fournit très naturellement l'occasion de répondre
: « Elle n’est pas de moi. » Mais, messieurs, en langage officiel cela est
parfaitement indifférent.
Qui donc a écrit de sa main toutes les pièces de ce dossier ? Je vais
vous le dire ; elles sont d'une seule et même écriture, c'est celle du chef
permanent de la division de l'instruction publique, confident nécessaire de la
pensée administrative et des précédents ministériels en fait d'enseignement ;
oui, c'est ce chef qui a écrit la lettre du 2 septembre comme toutes les
autres. Et il serait venu de lui-même consigner un fait grave et faux et des
circonstances imaginaires dans la minute d'une dépêche ministérielle destinée
aux évêques ! Cela est invraisemblable, impossible. Ce fait et les
circonstances étaient de la nature des affaires dont ce fonctionnaire est
spécialement chargé. D'ailleurs, vous l'avouez ; vous dites lui avoir donné
pour instruction de rédiger une lettre où seraient réunis les faits qui
pouvaient témoigner de vos déférences fréquentes pour l'épiscopat. Celui-là, de
l'avis du rédacteur, était donc de cette catégorie. Que vous ayez jugé inutile
de vous en prévaloir auprès des évêques, je le conçois ; mais cela n'altère en
rien la réalité et l'importance du fait en lui-même, comme preuve d'une condescendance
poussée jusqu'à l'injustice.
Assurément je n'ai pas dit que ce paragraphe avait été envoyé comme
partie intégrante de la lettre officielle. J'ai posé cette question à
l'honorable M. Nothomb : Le fait existe-t-il avec ses circonstances ? Y
a-t-il eu une école laïque qui a été écartée en faveur d'une école épiscopale
et spécialement protégée par l'évêque ? Voilà le fait important.
Vous convenez que cette préférence a été accordée, mais vous ajoutez
qu'il était impossible que l'école primaire supérieure prospérât à Renaix, si
elle avait eu pour rivale l'école de M. Van Blaeren ;vous allez beaucoup plus
loin que vous ne pensiez ; d'abord, parce que c'est là impliquer l'éloge de
l'école du sieur Willequet, et ensuite parce que vous cédez encore*ici à la préoccupation
qui a produit les fautes de votre administration, vous cédez à cette idée qui
est fausse à mes yeux, parce que, si elle était vraie, la liberté
d'enseignement serait impossible chez nous. Vous croyez qu'une école primaire
supérieure laïque ne peut pas prospérer à côté d'une école soutenue, favorisée
par le clergé. Vous croyez que si vous aviez donné la préférence à cet
honorable instituteur laïque, le clergé aurait tourné son influence et ses
efforts contre l'école du gouvernement. L'expérience de Tournay prouve que
quand le gouvernement sait garder ses positions, prendre des résolutions
dignes, sages et fermes, en accord avec le sentiment public, le clergé est sans
force pour lui aliéner la confiance des pères de famille..
L'administration communale de Tournay a dû renoncer à l'appui de
l'autorité religieuse ; un collège de jésuites existe dans la même ville à côté
de l'athénée ; est-ce que, par hasard, la prospérité de l'athénée en a été
atteinte ? Non, l'athénée n'a jamais été plus florissant. Les chefs de famille
ont compris que le clergé avait abusé de son droit d'abstention, et que
l'administration communale avait de tout temps manifesté une très vive
sollicitude pour l'enseignement moral et religieux.
Telle est l'influence de l'esprit de justice et du système de publicité
sur la confiance des pères de famille ; il en eût été à Renaix, pour M. Willequet,
comme il en a été à Tournay pour l'athénée.
(page 336) Ainsi
les motifs mêmes, exposés ici par M. Nothomb, révèlent autant que ses actes, la
pensée qui a dominé son administration ; c'est que partout il fallait
s'incliner devant la toute-puissance du clergé, quelque respectable que fussent
les titres d'un établissement laïque, tant était exagérée chez l'honorable
membre la crainte de la concurrence cléricale, et la conviction qu'un
établissement public d'instruction ne pouvait pas prospérer ni même se soutenir
auprès d'un établissement ecclésiastique ou protégé par l'évêque.
L'honorable M. Nothomb est revenu avec complaisance sur la forme
insolite dans laquelle on aurait procédé à son égard. Sa critique ou plutôt sa
doléance à ce sujet ne saurait être sérieuse. Il a subi les chances d'un
engagement improvisé : je l'ai combattu avec ses propres armes. Il n'y a ici ni
prévenu ni accusé : il a voulu se poser en homme d'Etat qui aurait vu et traité
de haut les grandes questions de législation organique et d'administration
supérieure en fait d'enseignement. Je doute que la tentative lui ait été heureuse.
C'est à la chambre et au pays qu'il appartient d'en juger. Quant à moi, je
tiens à honneur d'avoir soutenu une discussion à la hauteur d'une grande
question d'intérêt national au-dessus de toute misérable considération de
personne.
Je persiste dans la demande que j'ai faite de
l'impression des documents dont j’ai cité les extraits. et je me joins à
l'honorable M. Nothomb pour demander en outre qu'il soit fait un fac-similé de
la lettre du 2 septembre 1844. Je n'ai pas à m'occuper de la publication de toutes
autres pièces ; cela regarde le gouvernement.
Mais je le remercie d'avoir demandé que l'on donnât le fac-similé de la
lettre du 2 septembre.
M. Nothomb.
- La chambre ne s'opposera pas à ce que je prenne de nouveau la parole ; je
suis accusé, j'use de tous les droits de la défense.
M.
de Corswarem. - Vous n'êtes pas accusé.
M. Nothomb.
- Prévenu, si vous voulez.
Avant de m'occuper de nouveau de la marche qui a été suivie, je suis
forcé de rectifier les faits en ce qui concerne la nomination qui a eu lieu à
Renaix à la place de directeur de l'école primaire supérieure que le
gouvernement allait instituer.
Il existait, à Renaix, deux établissements qui avaient quelque analogie
avec les écoles primaires supérieures. Le conseil communal de Renaix s’est
adressé au gouvernement, pour obtenir une école primaire supérieure du
gouvernement. Les deux établissements avaient pour chefs l'un le sieur Van
Blaeren, qui n'est pas, comme on l'a pensé, un ecclésiastique ; son
établissement était un établissement privé ; l'autre avait un caractère que
j'appellerai mixte, c'était une école communale à laquelle le sieur Willequet,
père, avait ajouté différents cours qui en faisaient une espèce d'école
primaire supérieure.
Si M. Willequet avait été nommé par le gouvernement directeur de
l'institution nouvelle, l'école communale primaire subsistait toujours, les
cours annexés venaient seulement à tomber ; mais, dans ce cas, l'école primaire
supérieure de Van Blaeren subsistait dans son entier, il y aurait eu rivalité
entre rétablissement Van Blaeren et l'établissement du gouvernement, C'est
cette rivalité que j'ai voulu prévenir. Cette même rivalité n'était pas à
craindre de la part de Willequet, parce que son établissement était l'école
communale proprement dite, à laquelle on avait adjoint quelques cours qui
venaient à disparaître. (Interruption.)
Ces cours venaient à disparaître par l'application de la nouvelle loi.
Les deux directeurs se présentaient avec des titres à peu près égaux,
c'est une simple question de concurrence, de rivalité qui a fait donner la
préférence à Van Blaeren. L'établissement Van Blaeren s'est trouvé ainsi
dissous ; Willequet, fils, a été attaché à l'école primaire supérieure dont Van
Blaeren était devenu le chef. Il restait à faire quelque chose en faveur de
Willequet, père. Je l'ai nommé directeur de l'école industrielle d'Andenne. Je
me suis occupé de toute la famille ; d'autres faveurs lui ont été accordées.
C'est avec plaisir que j'ai maintenu le fils aîné directeur-de l'école primaire
supérieure à Gand.
Est-il vrai de dire après cela que cette famille a été sacrifiée ?
Seulement, dit-on, la justice a été lente.
M. Le
Hon. - L'injustice a été grande.
M. Nothomb. - Il n'y a pas eu
d'injustice, la préférence que j'ai eue est justifiée par les excellents motifs
administratif que je vous indique. La compensation que j'avais fait espérer n’a
pu être immédiate ; elle s'est fait attendre : dans l'intervalle, sieur
Willequet s'est plaint, il s'est adressé à l'honorable M. Dedecker, qui est
nommé dans le paragraphe supprimé. J'espère que cet honorable membre voudra
bien expliquer les faits dont sans doute il a gardé le souvenir. L'honorable M.
Dedecker a regardé quelque temps Willequet comme victime, il m'a écrit des
lettres dans lesquelles il a blâmé vivement la préférence accordée, et j'ai dû
m’attacher à lui expliquer les véritables motifs de cette préférence. Si l'honorable
M. de Dedecker veut prendre la parole, je la lui céderai, sauf à la reprendre
ensuite.
M.
Dedecker. - Puisque mon nom a été cité dans cette
affaire, la chambre me permettra de donner, à mon tour, quelques explications.
Voici le fait dont la révélation a produit sur la chambre l'impression
dont on vous a parlé. L'honorable M. Le Hon avait accusé l'honorable M. Nothomb
d'avoir sacrifié un père de famille aux exigences du haut clergé. Eh
bien ! le mot « sacrifié » est tout à f.nl injuste ; les faits
tels que M. Nothomb vous en a fait dans le Moniteur d'aujourd’hui l'exposé
(exposé auquel je suis, du reste, complètement étranger) sont parfaitement
exacts.
Il y avait à Renaix deux écoles : l'une tenue par le sieur Willequet père,
constituait l'école communale de la ville avec adjonction de quelques cours qui
tendaient à rapprocher l'établissement d'une école primaire supérieure ;
l'autre, était un pensionnat ou véritable école primaire supérieure tenue par
le sieur Van Blaeren.
La question du choix à faire par le gouvernement entre ces deux
établissements était si peu une question d'influence ecclésiastique, que le
sieur Willequet avait pour lui le clergé de sa paroisse, tout comme le sieur
Van Blaeren était soutenu par le clergé de la sienne. Monseigneur l'évêque de
Gand paraît s'être rangé de l'avis du clergé de la paroisse à laquelle
appartenait le sieur Van Blaeren.
Le sieur Willequet jouissait de la confiance de tous les parents,
catholiques et autres ; il la méritait à tous égards.
L'honorable M. Nothomb, quand il prit sur lui de préférer le sieur Van
Blaeren au sieur Wilepquet, commit une faute ; du moins, j'ai considéré alors
cette nomination comme une faute.
Il est vrai, je n'étais pas, à cette époque, à même d'apprécier convenablement
les motifs administratifs que M. le ministre pouvait avoir eus de préférer l'un
à l'autre ; d'ailleurs, je connaissais de réputation la famille Willequet ;
tandis «pie je ne connaissais point le sieur Van Blaeren. Aussi, adressai-je à
l'instant même une lettre très énergique à M. le ministre à propos de cette
préférence accordée au sieur Van Blaeren. Je me hâte d'ajouter, pour la
justification de M. Nothomb, que dès ce moment il me fit entrevoir l'intention
de donner au sieur Willequet père une autre position au moins équivalente.
Depuis, d antres membres de cette famille ont été
très convenablement placés dans la carrière de l'enseignement.
En résumé, et cela suffit pour détruire l'odieux qu'on a voulu jeter, de
ce chef, sur l'administration de l'honorable M. Nothomb, la famille Willequet,
en définitive, n'a pas été sacrifiée et n'avait pas le droit de se poser en
victime.
M. Nothomb.
- Je continue. Ayant placé ou dédommagé la famille Willequet, quand dans la
minute de la lettre que l'honorable M. Le Hon a lue j'ai vu le paragraphe
retranché, il est évident que j'ai dû effacer tout ce passage.
Celui qui me proposait ce paragraphe agissait encore sors l'ancienne
préoccupation des Willequet. Il allait au-delà de ma pensée, lorsque j'avais
demandé une lettre de récrimination à l'évêque de Gand ; car c'est bien là tout
le ton de cette correspondance ; on en jugera. Ainsi le fait est rectifié ;
Willequet n'est pas victime ; il a été amplement dédommagé ; je souhaite que tous
ceux qui auront été en concurrence avec des candidats préférés par le
gouvernement, trouvent une aussi belle compensation que les Willequet. J'ose
dire que la position a été parfaitement exploitée à leur profit.
J'ai fait acte de bonne administration, de très bonne administration,
pas autre chose, en donnant la préférence à Van Blaeren. Si cet acte devait
être également agréable à l'évêque de Gand, cela ne devait pas m'arrêter. Cela
devait assurer à l'établissement naissant, de la part de l'évêque, un surcroît
de bienveillance ; et je devais m'en féliciter. Je me serais créé les plus
grandes difficultés à Renaix. J'aurais mieux fait de renoncer à l'établissement
d'une école primaire supérieure de l'Etat à Renaix.
C'est ce que j'ai fait comprendre à l'honorable M. Dedecker, qui,
aussitôt qu'il a été initié à ma combinaison tout entière, s'était rassuré sur
le sort des Willequet.
Je dis que cet incident nous aura du moins été profitable en ce sens que
nous devons nous fixer sur la marche à suivre à l'avenir. Si semblable chose se
renouvelait, je dis que vous ne devez pas exposer un ancien ministre à être
condamné, moralement à l'avance, sans que vous ayez toutes les pièces sous les
yeux, sans que ceux qui partagent ses opinions aient les pièces sous les yeux,
sans qu'ils aient pu consulter ces pièces, sans que lui-même ait pu se
préparer. (Interruption.)
J’aurais peut-être dû demander l'impression du dossier, dès que
l'honorable M. Le Hon a annoncé qu'il en ferait usage. L'honorable membre se
serait sans doute arrêté dans ses développements. La discussion aurait été
reportée après l'impression de l'ensemble des pièces ; j'aurais eu lieu de m'en
féliciter.
Cette position eût été plus favorable que celle qui m'a été faite ; je
lutte désormais contre un premier effet qu'on a su produire.
Je maintiens (je n'en fais de reproche à personne) que la marche suivie
a été irrégulière. On devait imprimer les pièces, suspendre toute discussion,
s'abstenir de toute citation partielle du dossier jusqu'à l'impression totale
des pièces.
Voilà ce qu'on aurait dû faire : on aurait ainsi procédé régulièrement.
C'est ce qu'on n'a pas fait. On doit s'en prendre à l'inexpérience commune,
dans laquelle j'accepte ma part.
Il est un autre point que je qualifie d'irrégulier, c'est ce qui concerne
l'usage qu'on a fait d'un paragraphe retranché par moi, qui n'existait plus,
que j'avais anéanti.
M. Le
Hon. - Et le fait ?
M. Nothomb.
- Je l'ai expliqué.
Si M. le ministre de l'intérieur avait été invité par la chambre à
délivrer une copie de ma correspondance avec l’épiscopat, l'honorable ministre
n'aurait pas compris dans la copie le paragraphe retranché, vous n'en auriez
jamais eu connaissance.
Si le ministre était venu vous dire : non seulement je vais produire
(page 337) une copie des lettres aux évêques, mais je crois devoir ajouter un
paragraphe retranché par le ministre, je pense que vous auriez trouvé ce
procédé extraordinaire. La lettre à l'évêque de Gand, c'est seulement ce qui a été
accepté, approuvé, maintenu, signé par le ministre, par moi. Tout ce qui a été
retranché ne peut être invoqué. Aussi la copie que j'avais reproduit-elle
seulement la lettre adressée à l'évêque, et rien de plus.
J'ai expliqué le fait. Invoquera-t-on comme présomption contre une
erreur, la préoccupation du chef de service, qui, exagérant mes intentions,
m'avait proposé ce paragraphe ? Je dis qu'on ne peut procéder de la sorte. Le
ministre n'est réellement responsable que de la pièce signée par lui. Le paragraphe
qu'il a retranché n'existe plus ; en le biffant, il l'a anéanti pour tout le
monde.
Si l'on procédait autrement, je ne sais dans quelle voie on entrerait.
Le ministre deviendrait responsable non seulement des actes qu'il aurait posés,
mais encore des erreurs, des préoccupations de ceux qui l'entourent dans le
secret du cabinet. Ce système est inadmissible.
Comme je viens de le dire, dans la copie qui m'a été remise,
l'expéditionnaire n'a pas compris le paragraphe retranché. J'avais, à la séance
de vendredi, cette copie sous les yeux ; ne m’attendant pas au paragraphe
retranché, je croyais qu'il n'y avait pas autre chose. De là ma surprise.
Je dis qu'il est infiniment
regrettable pour moi qu'il n'y ait pas eu impression préalable de la
correspondance réelle. Dès lors, le paragraphe retranché n'aurait jamais vu le
jour. Personne n'aurait été admis à dire :Il y a dans la minute un paragraphe
retranché.
Il y a deux choses dans cette correspondance : les citations conformes au
discours que j'ai prononcé, et le paragraphe retranché, énonçant une assertion
que j'ai condamnée.
Vous prendrez connaissance du dossier. Je n'hésite pas à m'en rapporter
à l'impression qu'il produira sur vous dans son ensemble.
M.
Delfosse. - Le compte rendu de la séance de vendredi,
donné par le Moniteur, me fait dire, à la fin de la séance, que la chambre
statuerait à l'ouverture de la séance suivante sur la proposition de publier
les pièces de la correspondance qui a eu lieu entre les évêques et M. Nothomb.
Je n'ai pas dit cela, et je n'ai pas pu le dire, puisque aucune
proposition n'avait été faite ; M. Nothomb s'était borné à demander à M. le
ministre de l'intérieur s'il trouverait quelque inconvénient à publier cette
correspondance.
Tout ce que j'ai dit à la fin de la séance de vendredi, c'est que
l'honorable M. de Theux, qui était inscrit, aurait la parole à l'ouverture du
la séance suivante.
Comme on faisait alors beaucoup de bruit, le sténographe n'a pas entendu
ces paroles ; de là l'erreur.
Permettez-moi maintenant de dire un mot, un seul mot, sur les
explications que M. Nothomb vient de donner. Ce qu'il y a de plus clair pour
moi dans ces explications, c'est que M. Nothomb ayant à choisir entre deux
instituteurs, a sacrifié l'un des deux à l'autre qui était le protégé de
l'évêque ; qu'il a ensuite accordé une compensation à l'instituteur sacrifié,
mais pourquoi ? Parce que ce dernier avait trouvé un chaleureux protecteur dans
l'honorable M. Dedecker qui, lui aussi, était, pour M. Nothomb, une puissance
avec laquelle il fallait compter.
M. Nothomb se présente en ce moment
comme une victime dont la réfutation serait restée intacte jusqu'au moment de
la révélation faite par l'honorable M. Le Hon, comme un homme dont la réputation
n'aurait souffert qu'à la suite de cette révélation. C'est là, messieurs, une
illusion étrange.
Sans doute, la publication de la correspondance, si elle est ordonnée,
fournira des preuves de la soumission de M. Nothomb aux volontés de l'épiscopat
; mais ces preuves manquaient-elles ? M. Nothomb a laissé, dans son passage au
ministère, des traces indélébiles d'une soumission aveugle, continue aux
exigences de l'épiscopat. Cette soumission était patente pour tous, c'est
surtout ce qui a fait tomber M. Nothomb du ministère, c'est ce qui l'a perdu,
c'est ce qui a perdu le parti qui a eu le tort de l'appuyer.
M. Dedecker. -
Messieurs, je désire simplement rectifier une erreur qui a, involontairement
sans doute, été commise par l'honorable M. Le Hon.
L'honorable M. Le Hon, ne connaissant pas exactement les faits, a paru
supposer que l'établissement du sieur Van Blaeren qu'il oppose à celui du sieur
Willequet, est un établissement ecclésiastique, et que M. Van Blaeren est
lui-même un ecclésiastique.
M. Le
Hon. - Je n'ai pas dit cela.
M.
Dedecker. – On avait compris autour de moi que dans la
pensée de l'honorable M. Le Hon, M. Van Blaeren est un ecclésiastique, et que
son établissement était un établissement ecclésiastique. Or, c'est un
établissement laïque comme l'était celui de M. Willequet.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Rogier). -
Messieurs, l'honorable M. Le Hon a demandé l'impression de certaines pièces
d'une correspondance qui a passé sous ses yeux. Le motif qu'il donne à l'appui
de sa demande, c'est que les citations qu'il a faites auraient été considérées
comme inexactes. Je n'ai pas entendu reprocher à l'honorable M. Le Hon, dans
cette enceinte, d'avoir fait des citations inexactes. Je ne pense pas que
l'honorable M. Nothomb lui ait reproché l'inexactitude de ses citations.
M. Le
Hon. - On a dit que les extraits défiguraient le sens de
l'ensemble.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Je ne
pourrais donc, pour le seul motif qu'on aurait fait à l'honorable M. Le Hon un
reproche d'inexactitude, consentir à la publication que l'on demande. Je ne
m'occupe pas de ce qui se dit en dehors de cette enceinte ; nous aurions
vraiment trop à faire si nous devions relever par des publications officielles
les inexactitudes de toute espèce qui fourmillent dans certaines feuilles, et
je crois que le meilleur parti à prendre serait de ne pas s'en préoccuper aussi
vivement qu'on l'a fait.
L'honorable M. Nothomb a indiqué une marche qui, selon lui, eût été la
seule régulière ; c'était le dépôt du dossier sur le bureau. Je regrette que
l'honorable M. Nothomb n'ait pas lui-même indiqué cette marche, avant de
prendre la parole ; il eût épargné probablement à la chambre la discussion qui
vient encore de lui prendre un temps précieux. Ce dépôt ayant été demandé par
l'honorable M. Nothomb, son discours se fût sans doute appuyé sur la
correspondance même ; chacun aurait pu y recourir ; et dès lors ces reproches
d'inexactitude ou de citations incomplètes n'auraient pas eu lieu.
Messieurs, aujourd'hui cette correspondance est à peu près connue tout
entière de la chambre, du moins dans sa partie la plus importante ; sous ce
rapport je ne verrais pas d'inconvénients à la publier. Cependant, je dois le
dire, je ne voudrais pas que ceci fît antécédent.
J'ajouterai encore que si l'on veut bien connaître et les prétentions
qui ont été mises en avant par le haut clergé en matière d'enseignement et la
politique qui a été suivie par les administrations précédentes, ce n'est pas
seulement ce dossier qu'il faudrait imprimer ; il y aurait à imprimer un très
grand nombre de dossiers. On n'aura donc encore qu'une connaissance incomplète
et inexacte des faits qui se sont accomplis et des prétentions qui ont été
mises en avant.
Nous aurons encore probablement des discussions
en matière d'enseignement, et si les circonstances amènent forcément des explications
publiques sur les faits et les prétentions, alors peut-être pourrait-on
réserver pour ce moment la question de savoir si nous devons publier tous ces
documents.
Cependant si la chambre le juge nécessaire, et après que l'honorable M.
Le Hon et l'honorable M. Nothomb auront bien voulu indiquer d'une manière
spéciale les pièces qu'ils croiraient utile de publier, je ferai faire cette
publication. sans vouloir toutefois, je le répète, poser là un antécédent. Je
désire que l'on m'indique les pièces dont on demande l'impression.
M. de Theux. - Il
paraîtrait résulter des quelques paroles de M. le ministre de l'intérieur,
qu'il y a eu, postérieurement au ministère de M. Nothomb, d'autres
correspondances que l'on pourrait considérer comme compromettantes. Je dois
exprimer le désir que, si l'on trouve quelque chose qui se serait passé sous
mon administration, on veuille bien le porter aussi à la connaissance de la
chambre.
M. Nothomb.
- Je ne sais pas ce que la chambre décidera, mais je suis très satisfait de ce
que par cette discussion on ait pu faire ressortir ce fait que le paragraphe
qui a ému l'assemblée ne fait pas partie de la lettre expédiée à l'évêque de
Gand.
M.
de Corswarem. - Et qu'il a été condamné par vous.
M. Nothomb. - Et qu'il a été condamné par moi comme il l'a été
par la chambre. En retranchant ce paragraphe, je l'ai anéanti ; et en vous
donnant mes explications, je vous ai prouvé pourquoi je l'anéantissais,
pourquoi je le condamnais. Il était inexact ; il était contraire à mes
intentions.
De sorte que voilà maintenant ce fait bien éclairci.
Reste la question de savoir si l'on peut faire usage à l'égard d'un
ancien ministre d'une minute en se prévalant d'un paragraphe retranché par lui.
M. Le Hon. - Je n'ai pas fait usage de
ces lignes, comme d'un paragraphe de la lettre ; j'ai dit que je les produisis
comme note et comme fait ! Eh bien, le fait existe-t-il ? Répondez-moi. On
affecte de rapporter toutes les impressions du public à l'affaire Willequet
exclusivement : mais cette affectation ne trompera personne. Les autres
extraits de la correspondance ont fortement agi sur l'opinion publique : ils
ont révélé tout l'ensemble d'un système persévérant et continu.
Je le répète, j'ai embrassé fortement et avec réflexion la défense d'un
de nos intérêts les plus graves et les plus menacés, et ce serait faire injure
au sentiment qui me guide et me soutient dans cette lutte que de le faire
descendre à d'ignobles considérations de personnalité.
M. le
président. - Je vais consulter le chambre sur le point de
savoir si l'on entrera dans le fond de la question, ou si l'on se bornera à
discuter la motion d'ordre.
- La chambre décide qu'on se renfermera dans la motion d'ordre.
M.
de Mérode. - Je pense que le grand crime de M. Nothomb,
c'est d'avoir été le principal membre du ministère.
M. le
président. - Ce n'est pas là la question.
M.
de Mérode. - C'est là ce qui amène toute la question. On
le comprendra. (Interruption.)
M. le président. - La
chambre vient de décider qu'on se renfermerait dans la discussion de la motion
d'ordre. (Aux voix ! aux voix !)
Voici la motion d'ordre :
« On demande l'impression du texte entier de la correspondance dont
M. Le Hon a donné lecture. M. Nothomb demande qu'on publie en même temps un
fac-simile de la lettre dont un passage a été retranché. »
(page 338) M. Dechamps. - Il
est entendu qu'on imprimera également la lettre de M. Van de Weyer.
Plusieurs
membres. - Oui ! oui !
M. le
ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Il est
bien entendu que je ne publierai que les pièces qui me seront indiquées par M.
Nothomb et M. Le Hon.
M. le
président. - Je ne puis mettre aux voix que les
propositions déposées sur le bureau.
- La chambre adopte successivement les propositions tendant à ce qu'on
imprime la correspondance dont M. Le Hon a donné lecture, avec un fac-similé de
la lettre qui renferme un passage raturé et avec la lettre de M. Van de Weyer.
PROJET DE LOI PORTANT LE BUDGET DES VOIES ET MOYENS POUR L’EXERCICE 1848
Rapport sur des pétitions transmises à la section centrale
M.
Lejeune. - Messieurs, quelques renseignements ont été
demandés par les sections et par la section centrale qui ont examiné le budget
des voies et moyens. La section centrale n'a pas cru nécessaire de publier tous
ces renseignements ; je dépose sur le bureau les documents qui ne sont pas
compris dans le rapport.
En second lieu, messieurs, la section centrale vous a fait, le 8
décembre, un rapport sur des pétitions qui lui avaient été renvoyées.
Les conclusions de ce rapport sont le dépôt des pétitions sur le bureau
pendant la discussion du budget et le renvoi à M. le ministre des finances.
Je pense qu'on pourrait, sans discussion, adopter ces conclusions. Cela
n'empêcherait pas de rencontrer les observations que les pétitions renferment,
dans la discussion des articles auxquels elles se rapportent.
- Les conclusions de la section centrale sont mises aux voix et
adoptées.
M.
Lejeune. - Il a été fait un troisième rapport sur une
pétition, qui est relative au sucre indigène. Les conclusions sont également le
dépôt sur le bureau.
- Ces conclusions sont adoptées.
M.
Lejeune. - Il y a une dernière pétition qui a été
renvoyée à la section centrale après qu'elle eût terminé ses travaux ; c'est
une deuxième pétition du sieur Masquelin, concernant la valeur locative des
maisons. Au fond, cette pétition a le même but que celle qui est comprise dans
le rapport de la section centrale. J'ai donc pensé que, sans en occuper de
nouveau la section centrale, je pouvais vous en proposer le dépôt sur le bureau
et le renvoi à M. le ministre des finances.
- Ces conclusions sont adoptées.
Motion d’ordre
M. Osy. - Messieurs, il ne reste plus que
10 jours jusqu'à l'époque où forcément la loi des voies et moyens doit être promulguée.
Si la chambre, par suite de la proposition qui lui a été faite par la section
centrale voulait maintenant s'occuper, d'une manière incidente, de changer la
loi des sucres, je suis persuadé que nous ne finirions pas cette semaine la
discussion d'une semblable question. Le premier orateur inscrit viendra
combattre la proposition, je compte également la combattre ; d'autres membres
viendront la soutenir ; la discussion sera très longue et le sénat n'aura
peut-être plus même un jour pour discuter le budget des voies et moyens. Je
propose donc de disjoindre du budget la proposition de la section centrale qui
concerné les sucres et d'en reprendre la discussion après les vacances, si on
le trouve convenable.
M.
Mercier. - Messieurs, à l'époque de l'année où nous
sommes parvenus je n'oserais prendre sur moi la responsabilité de combattre la
motion d'ordre de l'honorable M. Osy. Je regretterais cependant tout
ajournement que subirait la discussion de la proposition de la section centrale
parce que cet ajournement ne pourrait être que très préjudiciable au trésor. Je
ne crois pas exagérer en portant à deux cent mille francs au moins, la perte
qu'un seul mois de retard entraînerait pour l'Etat par suite de l'activité qui
serait imprimée aux travaux du raffinage et des fortes déclarations
d'exportation de sucres raffinés qui seront faites dans cet intervalle.
La proposition de la section centrale ou une
proposition analogue devait nécessairement entrer dans les vues du
gouvernement, car le gouvernement a porté les prévisions des produits du sucre
à 3 millions. Or, M. le ministre des finances est trop éclairé pour supposer un
seul instant qu'avec la législation actuelle on puisse obtenir l'année
prochaine un produit de 3 millions ; il importe donc que la chambre s'occupe de
cet objet dans le plus bref délai possible ; si elle adopté la motion de
l’honorable M. Osy, je demande qu’il soit décidé en même temps que les
propositions de la section centrale seront mises à l’ordre du jour, après le
vote du budget des voies et moyens.
M. Malou.
- Messieurs, la proposition de l'honorable M. Osy doit avoir pour effet
d'économiser les moments, actuellement si précieux, de la chambre ; il est
évident que la discussion du budget des voies et moyens portera en très grande
partie sur la question des sucres ; si la disjonction n'est pas préalablement
prononcée, elle le serait quelques jours plus tard, que toutes les heures
employées à la discussion de la question des sucres seraient complètement
perdues pour la chambre. Je crois donc qu'il est de l'intérêt de nos travaux de
statuer préalablement sur la disjonction.
Quant à la mise à l'ordre du jour de
cette proposition spéciale, il serait utile, ce me semble, de la porter en première
ligne à l’ordre du jour, lors de la rentrée de la chambre, après les vacances
qu’elle a l’habitude de prendre de prendre. Déjà quelques rapports sur des
budgets de dépenser sont déposés, et je crois me conformer à la pensée, souvent
exprimée par M. le ministre de l'intérieur, en demandant que les budgets de
dépenses aient la priorité sur la question des sucres. Cet ajournement n'est
pas très long, et j'espère que l'honorable M. Mercier ne verra pas de
difficulté à admettre la proposition ainsi modifiée.
M. de La Coste. -
Messieurs, je ferai une seule objection, c'est qu'il résulte et de la loi et
des observations de la section centrale, que l'augmentation du rendement est
corrélative à une disposition qui concerne l'augmentation du droit sur le sucre
indigène. On a suspendu la loi, relativement au rendement, et la section
centrale a pensé qu'il eût été juste de la suspendre également relativement à
l'augmentation du droit sur le sucre indigène. Maintenant je ne veux pas entrer
dans le fond de la question, mais je veux seulement prendre acte de ceci, que
si nous suspendons la discussion relativement au rendement, il doit être
entendu que tout est également suspendu relativement au droit, que cette
question est tout à fait entière.
M. Mercier. - Messieurs, en faisant tout
à l'heure une motion, je n'ai pas espéré que la chambre pourrait s'occuper de
la question des sucres avant les vacances que, selon son habitude, elle se
propose sans doute de prendre ; aussi je ne vois pas de difficulté à me rallier
à la modification que l'honorable M. Malou vient d'y apporter dans ce sens que
les propositions relatives à l'accise sur les sucres seraient mises à l'ordre
du jour, comme premier objet, immédiatement après la rentrée des chambres ; je
spécifie exactement la proposition, parce que l'honorable M. Malou s'est appuyé
en finissant sur une considération à laquelle je ne puis me rallier dans sa
généralité, c'est-à-dire que tous les budgets de dépenses devraient être votés
avant la discussion de cette question si intéressante pour le trésor. J'admets
donc la proposition dans les termes précis où elle a été formulée, mais non
dans ses considérants.
M. le
ministre des finances (M. Veydt). -
Messieurs, la chambre décidera de l'époque à laquelle elle s'occupera de la
question des sucres ; si elle veut l'aborder immédiatement, je suis prêt. Je
prévois toutefois, comme d'honorables préopinants, que cette discussion sera
assez longue ; je me rallierai donc à la proposition de disjonction.
Quelle que soit la décision de la chambre, le chiffre de 3 millions,
porté au budget de 1848, doit être maintenu.
L'année 1848 peut être encore une année de
transition, mais après cela nous entrerons dans une voie normale. Je le déclare
au début de la discussion, les chambres ayant décidé, de commun accord avec les
deux industries et le gouvernement, que l'impôt des sucres devait produire 3
millions, il est de notre devoir de tenir la main à ce que cette somme soit
versée au trésor. Ainsi, que les prévisions soient ou non assurées, le chiffre
de 3 millions restera comme engagement, comme chiffre type au budget de 1848.
Et pour 1849, le gouvernement s'engage à prendre les mesures que la loi met à
sa disposition pour assurer la recette ; et s'il était trompé dans son attente,
il proposera, au besoin, de nouvelles dispositions à la législature, en
conservant le système de la loi, qui ne pourra être sainement apprécié que
lorsqu'il sera débarrassé des entraves qui l'enrayent en ce moment.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Rogier). -
messieurs, j'entends parler des vacances que la chambre va se donner. J'espère
que la chambre, avant de se donner des vacances, voudra bien terminer les
travaux les plus urgents, et notamment voter les budgets. Tous les budgets
peuvent être votés au plus tard dans les premiers jours du mois de janvier ; si
alors la chambre, après avoir fait ces efforts, veut se donner des vacances un
peu plus longues, elle pourra le faire, tout le monde s'en trouvera bien, le
ministère le premier : nous ne sommes pas plus ennemis des vacances que les
membres de cette chambre ; nous ne sommes pas fâchés de pouvoir consacrer
exclusivement quelques semaines aux travaux administratifs. Mais il faut que
tous les budgets soient votés avant que la chambre se sépare ; alors les
travaux pourront chômer pendant plusieurs semaines. Si au contraire la chambre
prend ses vacances à l'époque ordinaire, elles ne pourront durer que quelques
jours ; et cela ne peut convenir à tout le monde.
Je crois que l'intérêt de nos travaux exige que la marché que j'indique
soit suivie. Je fais de nouveau observer à la chambre que les budgets que nous
discutons sont des budgets transitoires et qui ne peuvent donner lieu à aucun
débat très-sérieux. Nous pouvons éliminer du budget des voies et moyens la
question des sucrés ; voilà déjà un moyen d'abréger la discussion ; la
discussion est également ajournée en ce qui concerne le droit de succession ;
le budget des voies et moyens pourrait donc être voté en peu de jours. Vous
aurez à discuter la question financière dans son ensemble, après les
vacances ; alors le gouvernement viendra vous proposer le complément de
mesures financières que les circonstances réclament.
Mais d'abord, je le répète, nous devons être fixés sur nos budgets
ordinaires ; que ces budgets soient votés et qu'ensuite la chambre prenne des
vacances aussi longues qu'elle le voudra, pour ma part je n'y ferai aucune opposition.
Il est très probable qu'en hâtant un peu le
rapport du budget des travaux publics, nous pourrons aussi voter ce budget
avant le premier janvier, ou sinon avant le premier, du moins dans les premiers
jours de janvier : puis on se donnera des vacances dans le mois. On objecte que
des membres ont des affaires personnelles à régler ; mais MM. les (page 339) sénateurs ont aussi des
affaires personnelles et cependant ils n'hésitent pas à rester assemblés
jusqu'au 1er janvier et au-delà. Ce que font les sénateurs, les membres de
cette chambre peuvent le faire ; j'espère que, dans une pareille question, je
serai soutenu des divers côtés de cette chambre.
J'insiste donc pour qu'avant de se séparer, la chambre pourvoie au plus
pressé, à ce qui est impérieusement commandé par toutes les convenances..
M.
Lejeune. - Comme on paraît d'accord sur la disjonction
de la question concernant les sucres, je n'ai pas à entrer dans des
explications pour vous faire connaître comment la section centrale a été amenée
à faire ses propositions ; je dirai seulement que la section centrale s'est
trouvée dans l'alternative ou de faire les proposions qui vous sont soumises,
ou bien de réduire le chiffre de 3 millions porté au budget d'au moins la
moitié. Je n'en dirai pas davantage.
Je voulais demander à l'auteur de la proposition de disjonction si à
côté de cette proposition il n'en faisait pas une autre, celle de diminuer ! le
chiffre porté au budget ; mais les explications de M. le ministre des finances
m'ont prévenu et je déclare que j'en suis satisfait. Je conclus de ces
explications que le gouvernement a l'intention formelle de faire produire au
sucre ce que cette industrie doit au trésor et ce qu'elle lui a promis : car la
loi sur les sucres est en quelque sorte une transaction faite avec les
industriels. Dans cette question, on voit toujours deux intérêts en présence.
Plusieurs
membres. - C'est le fond !
M. Lejeune. - Je dis comment nous avons été amenés à faire
la proposition qui vous est soumise, et je dis que les deux intérêts privés qui
s'agitent et se combattent ont certainement étouffé le troisième intérêt, celui
du trésor public, toujours sacrifié. C'est au point de vue de l'intérêt du
trésor public que la section centrale s'est placée. Je prévois que la
disjonction entraînera nécessairement un retard qui fera éprouver une perte au
trésor. Cependant comme les mesures que l'on peut prendre pour atteindre, en
recette, le chiffre porté au budget, ne sont pas limitées à celles que propose
la section centrale, je me contente des déclarations faites par M. le ministre
des finances.
M. le
ministre des finances (M. Veydt). - Je vois
que je ne puis rien ajouter aux intentions que j'ai manifestées au nom du
gouvernement, sans entrer dans la discussion ; je renonce donc à la parole, à
moins que la chambre ne veuille que je développe ce que je me suis borné à
énoncer.
M.
Mercier. - J'avais consenti à la disjonction des
propositions relatives à l'accise sur les sucres, à la condition qu'elles
seraient discutées immédiatement après la rentrée des vacances que la chambre a
l'habitude de se donner, mais M. le ministre de l'intérieur vient d'engager la
chambre à ne pas se séparer ou à ne prendre de vacances que plus tard que de
coutume, afin de voter auparavant tous les budgets des dépenses. Je m'oppose à
cette proposition, en tant qu'elle aurait pour objet de reculer la discussion
de la question des sucres jusqu'après une vacance qui ne commencerait que dans
les premiers jours de janvier. Je trouve qu'on a beaucoup trop de souci d'une
simple question de régularité.
Que les budgets des dépenses soient votés un peu plus tôt ou un peu plus
tard, cela est d'un intérêt secondaire ; c'est sans doute une mesure d'ordre
que je voudrais voir introduire, mais son utilité ne peut être mise en
parallèle avec l'importance de la question qui nous occupe et qui touche à une
des principales sources du revenu public ; vous devez avoir plus de hâte d'aviser
aux moyens de mettre un terme à un état de choses qui prive le trésor de droits
établis en sa faveur et nullement acquittés par les contribuables, que de faire
voter quelques jours plus tôt les budgets des dépenses. L'essentiel est de
s'assurer le revenu nécessaire pour faire face aux dépenses. La section
centrale a été émue en voyant qu’une loi qu'y devait devenir une ressource de
trois millions au minimum, ne produisait que moins de la moitié de cette somme
; frappés d'un résultat aussi désastreux pour nos finances, nous avons cru ne
pouvoir trop nous hâter d'indiquer les moyens de faire rentrer au trésor les
ressources qui en sont détournées au profit d'un petit nombre d'industriels qui
profitent du vice de la loi et de mettre fin à des prodigalités aussi
ruineuses.
Je désire que le gouvernement ne s’oppose pas à
ce que cette proposition soit discutée dans un bref délai. Il est possible que
les budgets soient votés en peu de temps, mais qu'il soit convenu qu'à l’époque
ordinaire de la rentrée des chambres, la question des sucres sera mise à
l'ordre du jour ; elle présente un assez vif intérêt pour que les chambres ne
tardent pas à s'en occuper.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Nous nous
montrerons en tout temps très soucieux des intérêts du trésor, nous espérons
que nous serons suivis par l'honorable préopinant dans les propositions faites
ou à faire dans l'intérêt du trésor.
Je ne me suis pas opposé à ce qu'on discutât la proposition de M.
Mercier, j'ai seulement demandé qu'on ne se séparât pas avant le vote des
budgets des dépenses. J'avais entendu dire qu'on allait prendre des vacances.
j'ai insisté pour qu'on ne le fît pas avant d'avoir voté les budgets.
L'honorable M. Mercier veut-il qu'on discute la proposition de la section
centrale ? Je ne m'y oppose pas, je n'ai pas dit que je m'y opposais. Je
demande seulement qu'avant de se séparer on fasse ce qui doit être fait.
Il me semble que l'honorable membre s'est ému un peu tardivement du
déficit qui doit résulter de la loi sur les sucres ; ce déficit était à prévoir
quand la proposition a été faite par M. Malou : on savait que cette proposition
devait entraîner un déficit pour le trésor. L'honorable M. Mercier alors était
probablement absent.
M. Mercier. - Je vous demande pardon.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Son
opinion du moins n'a pas prévalu, la chambre savait ce qu'elle faisait alors.
Si en discutant la question d'ajournement on doit entrer dans le fond de
la question et consacrer plusieurs séances à ces débats, mieux vaudrait aborder
directement la question et en finir. Si au contraire on veut gagner du temps,
le seul moyen est de discuter tout de suite le budget des voies et moyens, sans
avoir égard à la question des sucres.
M.
Mercier. - Je demande la parole pour un fait personnel.
M. le
président. - Rien n'a été dit qui vous soit personnel.
M.
Mercier. - Je vous demande pardon ; M. le ministre de
l'intérieur a supposé que je ne m'étais pas opposé à la disposition sur
laquelle je demande à la chambre de revenir.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Rogier). - J'avais
oublié que l'honorable M. Mercier avait fait de l'opposition ce jour-là.
M. Mercier. - Ce que je dis ici n'a pas
pour but de faire de l'opposition ; comme à l'époque que rappelle l'honorable
ministre, je n'ai en vue que l'accomplissement d'un devoir. Ce jour-là j'ai
combattu de la manière la plus énergique la proposition qui lui était faite.
J'ai dit que c'était une véritable spoliation du trésor public. Pour
expliquer comment je n'ai pas obtenu gain de cause, je dois ajouter que la
proposition de suspendre les effets de l'article 4 de la loi du 17 juillet 1846
a été introduite dans la chambre, sans que personne y ait été préparé ; les
premières propositions du ministère ne renfermaient pas la disposition contre
laquelle je proteste encore de toutes mes forces ; elle a été discutée à la fin
de la session sans avoir été examinée ni par les sections, ni par la section
centrale. J'ai déclaré, je le répète, qu'à mes yeux, c'était une véritable
spoliation du trésor public ; je ne pouvais qualifier cette mesure d'une
manière plus énergique ; malheureusement les faits m'ont donné raison.
M.
Eloy de Burdinne. - Je partage l'opinion de M. le
ministre qu'il faut voter, s'il est possible, les budgets pour le 1er janvier.
Si la chambre ne se sépare pas sans les avoir votés, je demande qu'elle ne se
sépare pas non plus, sans avoir résolu la grande question de l'impôt sur les
sucres, qui peut, du reste, être disjointe ; je ne m'y oppose pas. Mais je dis
que c'est un scandale que l'impôt sur le sucre na produise que 1,400,000 fr.,
quand l'impôt sur le sel produit 4,800,000 francs.
Plusieurs membres. - C'est le fond.
M.
Eloy de Burdinne. - Oui. Mais c'est un motif pour ne
pas ajourner la discussion. Le trésor perd 200,000 fr. par mois. Est-ce dans un
moment où le gouvernement vous demande de nouveaux impôts qu'il faut négliger
de faire rentrer dans les caisses du trésor 5 à 6 millions que le consommateur
du sucre doit payer ? En réalité il les paye. Mais le trésor ne les reçoit pas.
M. Loos. - Je désire seulement faire
remarquer à la chambre qui se préoccupe si souvent de la perte du temps qu'en
ce moment nous en perdons beaucoup. Je ne comptais pas prendre la parole. La
proposition de l'honorable M. Osy me paraissait si raisonnable que je ne
croyais pas possible que l'on s'y opposât. S'il n'y avait pas de l'exagération
dans certaines propositions, elle serait déjà votée. On dit qu'il faut voter
aujourd'hui la proposition de la section centrale parce que le trésor perd deux
cent mille francs par mois. Je ne voudrais pas que la chambre résolût la
question des sucres sous l'influence d'une pareille exagération.
L'honorable rapporteur est venu mettre sous vos yeux toutes
considérations sur lesquelles la section centrale s'est appuyée pour motiver sa
proposition. Je ne m'occuperai pas de les réfuter en ce moment : je demande
purement et simplement qu'on vote sur la proposition de l'honorable M. Osy.
M. Gilson. - J'appuie la disjonction, mais dans le sens
indiqué par M. Mercier. Il est de la plus haute importance de déterminer
l'époque à laquelle cette question sera traitée.
Je conçois que l'honorable M. Loos et ceux qui
partagent son opinion sur la question des sucres ne soient pas disposés à hâter
la discussion. La position du sucre exotique est magnifique. L'exécution de la
loi est suspendue pour lui. Mais la betterave est frappée ; elle paye 44 francs
d'impôt. On nous dit que nous avons des crédits à terme ; mais ces crédits à
terme, nous les avons pour une partie des ventes seulement.
Il a été reconnu qu'il y avait équité à revenir sur une erreur qui a été
commise. Cela a été reconnu par l'ancien ministre des finances et en section centrale
par le ministre des finances actuel. Quand nous avons une position pareille, ce
n'est pas trop demander sans doute que demander l'ajournement à jour fixe.
M. le ministre des finances (M. Veydt).
- Nous entrons dans le fond de la question.
Si l'on fait valoir des motifs en faveur d'un cas spécial, comme vient
de le faire l'honorable M. Gilson, je devrai répondre J'ai reconnu, en section
centrale, qu'il y a des considérations d'équité qui peuvent être invoquées à
l'appui du retour de l'accise de 34 fr. à 30 fr. pour le sucre indigène.
La chambre veut-elle examiner la question ? (Non ! non !) Pour moi, je crois qu'il vaudrait mieux
l'aborder séance tenante ; car déjà nous l'avons touchée en plusieurs points.
(page 340)
M. Malou. -
On paraît d'accord pour la disjonction. Mais on diffère d'opinions, quant à la
fixation de l'ordre du jour. J'avais proposé la mise à l'ordre du jour après la
rentrée, supposant, sans prétendre les décréter, qu'il y aurait des vacances.
On a fait observer que les budgets des dépenses doivent avoir la priorité. Je
propose donc que l'on mette la discussion de la question des sucres à l'ordre
du jour après les budgets des dépenses et, au plus tard, à la rentrée de la
chambre, après ses vacances. De cette manière, ce débat, qui nous fait perdre
du temps, sera, je l'espère, terminé.
M.
Eloy de Burdinne. - Cette proposition est en
opposition avec la mienne. Une question qui doit faire rentrer de l'argent an
trésor doit inspirer beaucoup de sympathie à la chambre. Je demande que la
discussion sur la question des sucres ait lieu avant notre séparation. J'en
fais la proposition formelle.
- La discussion est close.
La proposition de M. Eloy de Burdinne, tendant à décider que la question
des sucres sera discutée avant les vacances, est mise aux voix et rejetée.
La proposition de M. Malou est adoptée.
Interpellation
M.
de Corswarem. - Messieurs, j'ai aussi à faire une motion dans
le but d'abréger les discussions de la chambre.
Dans ce moment deux projets de loi sont à l’ordre du jour ; le budget
des voies et moyens pour 1848 et le projet de loi sur la péréquation
cadastrale.
Pour suivre un ordre rationnel, la discussion du
projet relatif à la péréquation cadastrale devrait précéder celle du budget des
voies et moyens, puisque le montant de l'impôt foncier doit figurer au budget.
Cette discussion, messieurs, nous prendra probablement un jour ou deux ; car
nous autres députés du Limbourg, et peut-être ceux du Luxembourg, nous aurons
des observations très sérieuses à faire, lorsqu'on discutera le projet
définitif de péréquation cadastrale. Je demande donc que M. le ministre des
finances veuille bien, pour cette année encore, nous présenter une mesure
provisoire, et que la discussion du projet définitif soit remise, après les
vacances, mais que, dans tous les cas, elle ait lieu antérieurement à celle du
budget des voies et moyens pour 1849.
M. le président.
- Il n'y a pas à statuer sur cet objet.
M. le
ministre des finances (M. Veydt). - Si cette
motion n'est pas combattue par la chambre, je me regarderai comme engagé à
présenter un projet de loi provisoire. Je comptais me préparer pour la
discussion du projet de loi définitive ; cependant je crois que les
observations de l'honorable M. de Corswarem sont fondées. La discussion de
cette loi prendra probablement plus d'un jour. Nous arrivons à la fin de
l'année, et je crains qu'il ne reste pas assez de temps au sénat pour s'occuper
du projet. Quoi qu'il en soit, je répète que je n'entends mettre
personnellement aucun obstacle à la discussion.
Discussion générale
M. le
président. - La discussion générale est ouverte.
M. Cogels.
- Messieurs, nous avons eu une discussion politique assez longue. Nous avons
passé en revue le système politique des dix-sept dernières années. Nous avons
eu également une discussion financière fort intéressante ; et la situation de
nos finances a pu être exposée clairement, de manière à convaincre le public de
l'état réel des choses.
Il eût été à désirer qu'une discussion eût pu avoir également lieu sur
notre système commercial et industriel, c'est-à-dire sur le système de l'impôt.
Car. il faut le dire, le budget que nous allons discuter aujourd'hui et que
nous devons discuter très rapidement, est le plus intéressant de tous ; c'est
du système de l'impôt que dépend généralement le développement de la richesse
nationale.
Cependant le peu de temps qui nous reste pour cette discussion m'engage
à passer aujourd'hui sous silence les observations que j'avais compté présenter
à la chambre, et qui peut-être auraient entraîné une discussion extrêmement
longue, ou bien auraient été tout à fait infructueuses. Je me réserve donc de
présenter ces observations, lorsque nous en serons au budget de 1849. Nous
pourrons alors embrasser le système en général. Je crois entrer dans les vues
de la chambre en abrégeant la discussion.
Je me bornerai à dire peu de mots sur la question qui vient d'être
soulevée tout à l'heure à propos de la motion d'ordre de l'honorable M. Osy.
Je n'ai pas voulu prendre la parole dans la discussion à laquelle elle a
donné lieu, parce que mon intention était bien de me renfermer dans la motion
d'ordre elle-même.
Je ferai une seule observation à l'honorable M. Gilson. Cet honorable
membre croit que les défenseurs de l'industrie du sucre exotique ont intérêt à
provoquer des délais, à ajourner une décision.
Plusieurs
membres. - C'est le fond.
M. le
président. - Vous allez soulever une nouvelle discussion.
M. Cogels.
- Je suis dans la discussion générale. Je crois être dans mon droit et je n'en
abuserai pas.
M. le président. - Remarquez
bien que la décision de la chambre emporte avec elle l'obligation pour tous les
orateurs de ne pas discuter la question des sucres, sans cela d'antres membres
se feront inscrire pour répondre et nous rentrerons peu à peu dans la
discussion sur les sucres.
M. Cogels.
- Je n'y rentrerai pas. Si je n'avais pas été interrompu, j'aurai déjà terminé.
Notre intérêt, messieurs, n'est pas d'avoir un ajournement. Au contraire,
ce que le commerce redoute le plus, c'est l'incertitude, et nous serons les
premiers à provoquer une prompte décision, mais nous désirons une discussion
réfléchie.
M. de Man d'Attenrode.
- Messieurs, lors de la discussion du budget de la dette publique, une longue
et intéressante discussion est intervenue sur la situation financière du pays
dans le passé et sur ses effets quant au présent. Cette discussion eût mieux
trouvé sa place à propos de l'examen du budget en discussion. J'ai par
conséquent ajourné à la discussion d'aujourd'hui l'opinion que je désirais
émettre à l'égard de la situation financière. J'ai même, depuis lors, fait de
longues recherches ; je pense que ces recherches sont dignes d'attention et que
vous les écouteriez avec intérêt.
Cependant un doute est né dans mon esprit sur l'opportunité du discours
que j'ai à prononcer. Il me semble qu'il y aurait indiscrétion, qu’il y aurait
en quelque sorte inconvenance a vous demander peut-être un heure d'attention,
dans un moment où !a chambre renonce à la discussion d'une loi qui tend à
améliorer les recettes du trésor. Il me semble que je serais très mal venu de
vous tenir longtemps sur une discussion générale, quand le temps ne permet pas
d'examiner ce que l'Etat est en droit de réclamer de la consommation du sucre.
J'ajourne donc ce que j'avais à dire à la
discussion à laquelle l'honorable ministre de l'intérieur a fait allusion,
celle qui interviendra probablement à propos de la discussion du budget des
voies et moyens de 1849 et à propos de laquelle le cabinet a annoncé vouloir
émettre son opinion tout entière sur la situation financière du pays.
Je renonce donc à la parole, je le fais comme un acte de déférence
envers la chambre.
M. Osy. - J'avais demandé également à M. le
président de m'inscrire pour parler contre la proposition de la section
centrale relative aux sucres. Maintenant que nous avons décidé la disjonction,
je dois ajourner mes observations à cet égard.
Mais il est un autre objet pour lequel j'ai été en désaccord avec la
section centrale.
C'est un objet dont j'aurais à vous entretenir un instant, je veux
parler de l'article tabacs. Il m'a été impossible d'appuyer la proposition
faite à cet égard par la section centrale et je voudrais, par quelques mots, la
combattre. Si cependant on veut l'ajourner au budget de 1849, je renoncerai à
la parole.
M.
Eloy de Burdinne. - Je voulais, messieurs, vous
entretenir de la question des sucres. mais comme cette question est disjointe
du budget je me bornerai à vous dire quelques mois de l'impôt sur le sel.
Messieurs, depuis plusieurs années j'ai provoqué dans cette enceinte une
réduction de l'impôt sur le sel ; jusqu’à présent, je l'avoue, je n'ai guère
obtenu de succès et les circonstance ne sont malheureusement pas plus
favorables en ce moment, qu'elles ne l’étaient les autres années, quand j'ai
fait cette proposition. On m'a toujours objecté et l'on m'objectera probablement
encore les besoins du trésor ; mais, messieurs, en fait d'impôts 2 et 2 ne font
pas toujours 4 et il arrive quelquefois que 4 moins 2 peut faire 5. J'ai la
conviction que si vous réduisiez l'impôt de moitié en n'accordant plus aucune
exemption pour quelque motif que ce fût, le trésor percevrait, non pas les
premières années, mais dans un temps très rapproché un produit au moins égal à
celui qu'il perçoit maintenant et qui est de 4,800,000 francs. Avant que
l'impôt du sel ne fût élevé au taux actuel, on employait, principalement dans
les campagnes, au moins trois fois autant de sel qu’on en emploie aujourd'hui.
Le sel entrait en grande quantité dans la nourriture du bétail et dans les
engrais. C'est, messieurs, que le sel présente d'immenses avantages aux
éleveurs et aux cultivateurs. J'appelle donc l'attention du gouvernement et de
la chambre sur cette grande question de savoir si dans l'intérêt général, si
dans l'intérêt de l'agriculture, si dans l'intérêt des malheureux qui n'ont que
le sel pour assaisonner leurs aliments, en général insipides, si dans l'intérêt
du pays et de l'humanité, on ne devrait pas accepter la proposition que j'ai eu
l'honneur de faire.
J'ai toujours considéré l'impôt sur le sel comme un impôt immoral,
injustement réparti, supporté, pour la plus grande partie, par les classes
pauvres, et je ne comprends pas, comme je l'ai dit tout à l'heure, que le
trésor prélève sur le sel 4,800,000 fr., alors qu'il ne retire qu'un million,
et souvent moins, d'un objet qui est exclusivement à l'usage des classes
aisées, je veux parler du sucre. Je n'en dirai pas davantage maintenant, en ce
qui concerne le sucre ; la question reviendra, et j'espère que la chambre
voudra que, si le sel rapporte 4,800,000 fr. au trésor, le sucre lui rapporte
tout au moins 10 millions, et nous avons le moyen de retirer cette somme du
sucre.
Je prie M. le ministre des finances de vouloir
bien méditer les courtes observations que je viens de présenter. L'impôt du sel
est un impôt odieux, un impôt qui frappe la matière première de 450 p. c. de sa
valeur. Cet impôt doit être modifié dans le sens de la demande que je n'ai
cessé de reproduire. Il y a d'autant plus de motifs de le faire, que si cet
impôt est réduit de moitié, il rapportera encore 4,800,000, comme aujourd'hui,
non pas pendant les deux premières années, mais au moins pendant la troisième.
(page 341) M. Lejeune,
rapporteur. -Quelle que soit
l'impatience de la chambre, je dois lui demander la permission de présenter
quelques observations générales. Si cependant on tenait à passer outre, sans
discussion, je saurais, à l'exemple de plusieurs honorables collègues,
m'imposer silence et remettre à d'autres temps mes observations.
Cependant, après tout le temps qu'on a consacré à d'autres discussions,
il me semble qu'on peut bien accorder quelques moments au budget des voies et
moyens.
Messieurs, les évaluations du budget des voies et moyens sont établies
avec beaucoup de modération. Si l'article Sucre (je n'en dirai que ce seul
mot), si l'article Sucre rapporte trois millions, j'ai la confiance que
l'ensemble des recettes atteindra au moins le chiffre proposé par le
gouvernement, bien que la section centrale ait retranché la somme de 1,500,000
fr., portée au budget comme produit éventuel de la loi sur les droits de
succession.
Du reste, messieurs, je ne ferai aucune proposition, ni je n'en
provoquerai aucune pour changer le chiffre des évaluations, car, en définitive,
ce chiffre n'est qu'une chose secondaire ; s'il est un peu au-dessous de la réalité,
nous n'en recevrons pas moins ; s'il était au-dessus, nous n'en recevrions pas
plus ; et comme il est impossible de fixer le chiffre des prévisions avec une
entière exactitude, il vaut toujours infiniment mieux de rester au-dessous de
la réalité que d'aller au-delà.
Je crois cependant devoir citer quelques chiffres sur lesquels je fonde
l'espoir de voir les recettes atteindre au chiffre proposé par le gouvernement.
Nous sortons de deux années calamiteuses, qui ont exercé une très fâcheuse
influence sur nos recettes ; l'année dans laquelle nous entrons est meilleure,
et il s'opérera nécessairement une réaction ; les recettes du trésor s'en
ressentiront.
Messieurs, selon moi, on peut espérer que les recettes de 1848, sur les
articles douanes et accises seront égales à celles de 1845. Il faut bien
remarquer que ces recettes sont progressives, qu'annuellement elles augmentent
; pendant deux années, par suite des circonstances, elles ont diminué ; mais
nous avons lieu d'espérer que nous atteindrons pour 1848 le chiffre de 1848.
Or, pour 1845, le produit de la douane a dépassé de 633,000 fr. le chiffre
porté au budget de 1848.
Pour les accises, la différence en plus au budget de 1845 est de 264,000
fr.
Quant aux droits de succession, la section centrale a retranché
l'augmentation de 1,500,000 fr., portée du chef d'une loi non discutée ; mais
le chiffre de 5 millions me paraît tellement modéré, qu'une recette beaucoup
plus forte est probable.
Jetez les yeux sur les développements du budget, vous verrez que d'après
les calculs ordinaires auxquels on se livre pour porter le montant probable de
la recette au budget des voies et moyens, on arrive à un chiffre qui dépasse
6,300,000 fr., abstraction faite de la loi qui est présentée sur les droits de
succession en ligne directe.
A l'article postes, je tiens pour certain que le chiffre sera dépassé.
La recette pour 1847 peut être évaluée à 3,777,000 francs ; l'augmentation
progressive annuelle sur cet article est 124,000 francs ; c'est l'évaluation la
plus modérée ; c'est celle que nous a donnée M. le ministre des travaux publics
; la recette pour 1848, s'il n'y avait pas de modifications à la loi, pourrait
donc être évaluée à 3,901,000 francs.
Mais nous avons voté une loi qui porte plusieurs modifications au régime
des postes et qui affecteront les recettes jusqu'à un certain point. La
diminution de recette, si l'on ne compte sur aucune compensation, est évaluée à
375,000 franc. Cette diminution provient des divers articles de la loi que nous
avons récemment votée, et en outre de la convention postale faite avec la
France. Mais, messieurs, cette diminution sera amplement compensée. Nous savons
que l'administration des postes ne compte pas comme une perte l'abrogation du
décime rural ; il y aura là compensation. Ce n'est pas non plus une perte que
d'avoir modifié le régime des postes en ce qui concerne le transport des
articles d'argent ; il y aura sans doute encore de ce chef augmentation de
recette.
La perte que l'on éprouva, à raison de l'abrogation du décime cantonal,
s'il y a perte, ne sera pas considérable.
Eh bien, messieurs, je suppose que, sur les 375,000 fr., nous perdions
la première année 200,000 fr., ce qui n'est nullement probable, il nous
resterait, pour la recette de 1848, 3,701,000 fr. La recette portée au budget
n'étant que de 3,625,000 fr., il y aurait de ce chef une augmentation de 76,000
fr.
La recette du chemin de fer a été aussi l'objet d'une attention spéciale
de la part de la section centrale. La première évaluation portée à 16,000,000
francs a été la suite d'une erreur, dans la prévision de recette pour 1847. (Interruption.) Le mot erreur est ici
impropre ; l'honorable ministre qui a fait cette prévision n'a pas commis
d'erreur proprement dite ; il ne pouvait pas prévoir quelle serait la recette ;
mais il s'est attendu à une recette plus forte ; aujourd'hui que l'année 1847
est presque écoulée, on sait que la recette espérée alors ne sera pas attente.
La différence est telle que, dans l'état actuel du chemin de fer, la
section centrale n'a pas cru pouvoir porter le chiffre des recettes à plus de
16 millions. Mais, messieurs, il faut remarquer que nous avons quelque chose à
espérer des modifications que l'on compte introduire. On demande au budget des
travaux publics plusieurs augmentations de dépenses pour le chemin de fer ;
toutes ces augmentations de dépenses sont demandées pour des services qui
doivent être nécessairement productifs. Pour moi, j'espère que toutes ces
augmentations de dépenses, appliquées à des extensions de services ou à des
services nouveaux, produiront en recette un chiffre égal ou même supérieur à
celui des frais. De ce chef, on peut compter aussi sur une augmentation dans le
chiffre des recettes, et en ne portant cette augmentation qu'à 200,000 fr.,
j'arrive, en additionnant tous les chiffres que je viens de mentionner à un
total de 2,473,000 fr. au-delà du chiffre du budget tel qu'il a été proposé par
la section centrale.
On voit que quand il y aurait quelques mécomptes ; dans ce chiffre en
arriverait toujours au chiffre indiqué par le gouvernement sans cependant
comprendre dans les recettes les 1,500 mille fr. portés du chef de la loi sur
les successions.
Messieurs, la section centrale a indiqué quelques nouveaux moyens de
recettes. Je ne dirai qu'un mot sur les tabacs. Il est, bien naturel, quand
d'un côté on demande de nouveaux impôts, que d'un autre côté on demande de très
grandes économies, économies que je verrais faire avec beaucoup de plaisir et
auxquelles je voudrais pouvoir contribuer, mais au sujet desquelles il m'est
impossible de me faire illusion, il est bien naturel, dis-je, que la section
centrale se soit permis d'adhérer à l'opinion d'une section qui avait mentionné
dans son procès-verbal que le tabac était une matière imposable : il paraît
qu’il n'est plus permis de dire que le tabac est une matière imposable.
La section centrale n'a pas fait de proposition, elle a indiqué le tabac
comme matière imposable, sauf à examiner la question. Elle a voulu dire que le
tabac est une matière plus imposable que bien d'autres et qu'on pourrait en
augmenter le droit de douane, sans donner un trop grand appât a la fraude.
Aussitôt les réclamations sont arrivées, peu s'en faut qu'on ne prête la main à
toute espèce d'impôt plutôt que d'imposer le tabac. Il y a cependant des
pétitions en sens contraire. Il y a une pétition de Louvain qui recommande les
économies au lieu d'imposer de nouvelles charges ; il y en a une autre de
St-Nicolas qui appuie fortement l'opinion de la section centrale, mais dans un
but que la section centrale n'a pas eu en vue, dans le but d'étendre la culture
du tabac dans le pays.
A propos de nouveaux impôts, je ne sais si le gouvernement a songé à un
moyen de recettes, ce serait de changer le degré de successibilité. Aujourd'hui
le droit de succéder s'étend jusqu'au douzième degré ; je crois que les
héritiers du douzième, di dixième et peut-être du huitième degré retirent fort
peu des successions auxquelles ils sont appelés. Si de pareilles successions
arrivent à leur destination, ce n'est qu'en très faible partie, la plus forte
part en reste aux intermédiaires. Je serais assez porté à recommander une
modification à la loi sur ce point, mais je ne sais si on pourrait compter de
ce chef sur une recette un peu considérable, et ce n'est pas pour une bagatelle
qu'on peut apporter des modifications à une loi de cette nature.
Messieurs, si, pour le présent, on peut encore se passer de nouveaux
impôts, il faut néanmoins y songer pour l'avenir. Quelles que soient les
économies que l'on puisse faire et que j'appelle de tous mes vœux, il sera
nécessaire de créer de nouvelles ressources, soit pour remplacer ou diminuer
quelques-uns des impôts actuels qui sont l'objet de réclamations incessantes,
soit pour donner de nouveaux développements aux travaux publics. La section
centrale a appelé l'attention du gouvernement sur la législation qui régit les
brevets d'invention, sur l'organisation de la propriété intellectuelle, la
propriété industrielle, artistique, littéraire.
Déjà à plusieurs reprises, j'ai demandé jusqu'à quel point le
gouvernement s'est occupé de cette question. A la dernière discussion du budget
de l'intérieur, le gouvernement a répondu que la question s'examinait à la
direction de l'industrie, mais qu’elle était très vaste, qu'elle était hérissée
de difficultés, qu'on l'examinait cependant et que l'examen portait sur les
études qu'on faisait dans d'autres pays.
Aujourd'hui, je serais charmé d'apprendre jusqu'à quel point cet examen
est avancé, quelles sont aujourd'hui les intentions du gouvernement à ce sujet.
Je dois avouer que quelque chose de très utile a été fait. J'ai entre
les mains le recueil des lois et règlements sur les brevets d'invention chez
les différents peuples. Je remercie l'administration d'avoir fait ce recueil
pour ceux qui voudront s'occuper de cette matière, c'est un véritable faisceau
de lumières. Quelle que soit la difficulté de la question, je ne pense pas
qu'il existe encore des motifs graves pour l'ajourner, pour en retarder
l'examen définitif.
Il ne s'agit pas d'une innovation qui entraîne à de grandes dépenses ;
aucune dépense n'est attachée à la mise en pratique des principes dont nous
demandons l'application et qui ont déjà tant occupé les esprits.
N'y a-t-il pas au contraire quelque nouvelle ressource pour le trésor
dans l'organisation de la propriété intellectuelle ? Il y en a qui le pensent ;
il y en a qui comptent sur des recettes considérables. Je ne me fais pas
illusion, je ne veux pas que d'autres s'en fassent ; mais ce qui est bien
certain, c'est que nous recevrions quelque chose tandis que maintenant nous ne
recevons rien. Le chiffre des recettes pourrait être tel, au bout d'un certain
temps, qu'il figurerait au budget des voies et moyens, comme une véritable
ressource pour le trésor.
D'un autre côté, quels seraient les inconvénients de cet impôt ? Est-il
de nature à exciter des réclamations ? Non ; au contraire, ceux qui devraient
le payer en appellent l'établissement de tous leurs vœux. Ils ne demandent pas
mieux que de payer un impôt, en échange des garanties efficaces dont la loi
entourerait leur droit de propriété, et cet impôt serait payé, non seulement
par des nationaux, mais par un grand nombre (page 342) d'étrangers qui viendraient se mettre sous la protection
de la loi belge.
Enfin on ne payerait qu'aussi longtemps qu'on le voudrait. On cesserait
de payer lorsqu'on serait décidé à abandonner son droit. Ce serait donc un
impôt tout à fait volontaire et qui pourrait devenir considérable.
Si l'on était déçu dans cette attente, du moins l’on n'aurait engagé
l'Etat dans aucune dépense, voilà le côté financier de la question.
Au point de vue moral et politique, il serait difficile de dire quelque
chose qui n'eût pas été dit.
Ne serait-ce pas un grand acte de justice d'organiser et de garantir la
propriété intellectuelle, d'en venir à mieux appliquer des principes qui ont
d'ailleurs été toujours reconnus.
Que demandons-nous ? Que les garanties pour les inventeurs dépendent de
la bienveillance de la loi et non du caprice des hommes. Ceci n'est pas nouveau,
c'est ce que demandait M. de Boufflers à l'assemblée nationale.
Que disons-nous aujourd'hui en réclamant la révision de la loi sur les
brevets d'invention ?
« Toute idée nouvelle appartient primitivement à celui qui l'a conçue.
Ce serait attaquer les droits de l'homme que de ne pas regarder une découverte
comme la propriété de son auteur. »
C'est ce qui a été dit à l'assemblée nationale.
« Les découvertes de l'industrie et des arts étaient une propriété avant
que l'assemblée nationale l'eût déclaré. »
C'est ainsi que Mirabeau s'exprimait au sujet du principe que nous
voudrions voir mettre plus largement en pratique.
On appelle l'introduction de nouvelles industries dans les Flandres ;
mais quelle est la garantie assurée à l'inventeur qui viendrait y engager sa
fortune ? Si son industrie ne réussit pas, il est ruiné ; s'il réussit, quelque
capitaliste viendra le renverser et se mettre à sa place.
Voilà les résultats de la concurrence qui existe aujourd'hui, cette
concurrence à brûle-pourpoint, comme on l'appelle très bien. L'industriel est à
la merci d'un capitaliste puissant et jaloux de ses succès.
J'ai beaucoup d'espoir que l'examen des questions qui se rattachent aux
brevets d'invention et qui ont, je le répète, un côté financier, ne tardera
plus à arriver à un résultat.
Dans l'avant-propos de l'ouvrage que j'ai cité tantôt, je rencontre
d'excellentes idées qu'on n'aurait en quelque sorte qu'à traduire en loi :
« Dans toutes les législations, des dispositions fort sages sont
neutralisées par celles qui les suivent.
« II faut diminuer, la taxe la rendre annuelle et progressive.
« Il faut prolonger la période de la jouissance. »
« Il faut donner de la publicité à l'invention. »
Voilà quelques idées sur lesquelles
on peut fonder des espérances, si le gouvernement veut bien s'occuper
résolument de la question. Mais je ne fais de reproche à personne de ce qu'on
n'est pas plus avancé aujourd'hui. Rien ne doit se faire avec précipitation. Il
faut tenir compte de l'opinion publique en matière de brevets d'invention. II
est certain que l'on a longtemps considéré le brevet d'invention comme un
monopole plus ou moins odieux et nuisible à la société. Quand on pouvait faire
tomber un brevet dans le domaine public, c'était en quelque sorte une conquête.
Tant que cette opinion erronée était très répandue, il eût été impossible de
modifier convenablement la législation.
Généralement les bonnes choses ont de la peine à se faire jour et rien
n'est plus capable de les compromettre que de les faire éclore avant terme.
Aujourd'hui l'opinion publique s'est modifiée, et le moment est venu pour le
gouvernement de s'occuper de cette question et de la formuler en loi.
M. Verhaegen. -
Messieurs, je croyais examiner, comme les années précédentes, les bases de
l'impôt. Dans les circonstances actuelles, et pour que la discussion générale
puisse être close, je renoncerai à la parole. Je me réserve comme d'autres
orateurs de présenter mes observations dans la discussion.
Plusieurs
membres. - A demain !
M. Malou.
- Je ne demanderai pas qu'on remette la séance à demain, je n'ai que quelques
observations à présenter à la chambre.
Messieurs, pour apprécier le budget des voies et moyens, que nous
discutons en ce moment, il faut se reporter aux circonstances dans lesquelles
il a été fait, et aux bases qui ont servi à le former. C'est principalement
d'après les faits de l'année 1846 que les prévisions de 1848 ont dû être
établies.
Il résulte de là, messieurs, qu'en maintenant ces prévisions, et en
supposant, comme on est en droit de le faire, lorsqu'on forme un budget des
voies et moyens, que l'année 1848 sera une année normale, nous pouvons être
assurés, dès à présent, que les prévisions fondées sur les rails de 1846,
seront notablement dépassées dans leur ensemble.
L'honorable rapporteur vient de citer plusieurs articles ; il en est
d'autres, et surtout les accises, à l'exception du sucre, peut-être, qui
doivent donner, en 1848, des produits beaucoup plus considérables que ceux de
1846. Cela résulte en premier lieu de ce que les travaux out été en grande
partie interrompus et de ce que les approvisionnements sont presque
complétement épuisés.
Nous avons, d'ailleurs, l'expérience. Les prévisions de 1845 ont été
dépassées en réalité de plus de 1,100,000 francs. En 1846, quoique les
prévisions eussent également été faites d'après les faits constatés pour une
année normale, les recettes réelles ont encore dépassé les prévisions de
567,000 francs ; et cependant, messieurs, c'était une année de crise alimentaire.
Pour 1847, nous arriverons à peu près, à quelques cent mille francs en plus ou
en moins, à réaliser les prévisions qui ont été formées.
Je cite sommairement ces faits à la chambre, parce qu'il me paraît en
résulter à toute évidence que l'on ne doit pas, pour établir la nécessité
d'impôts nouveaux, se préoccuper d'une manière absolue, d'une manière décisive,
du chiffre auquel nous arrêterons notre budget des voies et moyens.
Je fais ces réserves, parce que plus tard, on pourrait dire : Le budget des
voies et moyens est arrêté à la somme de 118,000,000. J'ai 118,200,000 francs
de dépenses, donc il me faut immédiatement 200,000 francs d'impôts nouveaux.
Cette conclusion ne doit pas être tirée plus tard du vote que nous allons
émettre sur le budget des voies et moyens.
Lorsque le budget des voies et moyens a été formé au mois d'avril 1847,
j'ai moi-même déduit 12 à 1,500 mille francs sur les prévisions qui avaient été
formées conformément aux précédents. Je les ai déduits, parce qu'il me
paraissait contraire aux intérêts de nos finances de présenter les budgets avec
un solde actif trop considérable.
Je ne m'arrêterai pas à discuter telle ou telle évaluation. La chambre,
dans un budget des voies et moyens, ne peut utilement examiner que l'ensemble,
c'est-à-dire si les prévisions, telles qu'elles sont proposées, ont en elles le
plus grand degré de probabilité possible.
On a parlé notamment du chemin de fer. Ici encore nous pouvons dire sans
craindre d'erreur, que la recette de 16 millions qui est proposée, et que je ne
veux pas combattre parce que c'est une simple prévision, sera notablement
dépassée dans l'exécution. La prévision d'un produit de 16,800,000 fr. qui
avait été portée au budget, était fondée sur ce que j'appellerai la loi
d'accroissement des recettes du chemin de fer ; et, messieurs, lorsqu'il y a de
nouvelles lignes à exploiter, lorsqu'il y a un matériel plus complet, lorsqu'on
veut organiser des services nouveaux, on n'a fait autre chose, dans le budget
des voies et moyens, que de tenir compte de cette loi d'accroissement, d'après
laquelle, en dehors des circonstances que je viens de rappeler, les recettes
ont continuellement progressé, année moyenne, de 11 à 12 cent mille fr.
Vous voyez donc que pour le chemin de fer aussi, la prévision d'une
recette de 16 millions est plus que modérée, est en dessous des probabilités.
On vous a parlé, messieurs, de quelques bases d'impôts nouveaux, des
tabacs, des restrictions à apporter au degré de successibilité.
Quant aux tabacs, messieurs, il faut bien prendre garde que deux
systèmes seuls peuvent se réaliser en Belgique d'une manière utile pour tous
les intérêts ; le système que j'appellerai commercial et le système fiscal.
Nous avons fait l'épreuve du premier. Par notre situation, par
l'activité de notre industrie, nous avons acquis, après les premières années
qui ont suivi la révolution, un commerce de tabacs très considérable. Nous
l'avons en grande partie perdu, parce qu'on a quadruplé un droit qui était
faible en lui-même.
Mais en perdant le mouvement commercial sur les tabacs, nous n'avons pas
réalisé des recettes correspondantes. Je n'ai pas les chiffres sous les yeux,
mais je crois pouvoir dire que si le mouvement commercial, après qu'on a eu
quadruplé les droits, est notablement déchu, la recette ne s'est pas accrue
autant qu'on l'avait espéré.
Si, donnant suite à l'idée énoncée dans le rapport de la section
centrale, on doublait sur les quantités les plus considérables le droit de 10
fr., pour le porter à 20 fr., il en résulterait que vous auriez un produit
moindre que celui que vous avez aujourd'hui, parce que vous auriez complètement
supprimé le commerce des tabacs.
C'est ici le cas de dire cette vérité si connue en finances que 2 et 2
ne font pas quatre. Dans le cas actuel 2 et 2 feraient peut-être 1 1 /2. (Interruption.)
Je demande à M. le ministre des finances, puisque ce fait paraît être
contesté, qu'il veuille bien faire prendre, dans la statistique des douanes, le
mouvement du commerce spécial et du commerce général des tabacs pendant les
années antérieures à la loi de 1844 et pendant les années postérieures, et de
mettre ces données en rapport avec les recettes. On verra quelles peuvent être
les conséquences anti-commerciales d'une loi, sans que le résultat financier
qu'on avait en vue se soit réalisé.
Je conçois toutes les raisons que l'on peut donner pour demander
l'augmentation de l'impôt sur les tabacs. Lorsqu'on dit que le tabac est une
matière imposable, on dit une chose qui parait ne devoir exciter tes susceptibilités
de personne.
Mais s'il s'agit d'aggraver la loi, c'est évidemment en vue d'une
recette. Or, je crois qu'il résulterait de l'examen des faits qu'une
aggravation de droits, loin d'augmenter les recettes, les diminuerait.
Il n'y a donc en réalité, pour ce qui concerne le tabac, qu'à opter
entre le système commercial sous lequel nous avons vécu pendant plusieurs
années, et le système fiscal, c'est-à-dire, puisqu'il faut prononcer le mot, le
système qui existe en France. Car avec notre constitution territoriale, avec
notre organisation de douanes, il n'y a évidemment que cette alternative. Je ne
pense pas que ce soit le moment de discuter, je ne pense pas non plus qu'il
soit dans l'intention du gouvernement d'établir ce système.
Un mot, messieurs, bien que l'heure soit très avancée, sur les
restrictions à apporter au degré de successibilité.
(page 343) Lorsqu'on étudie
les documents publiés en France, sur les produits du droit de succession, l'on
peut se convaincre que les transmissions sont d'autant plus importantes que le
degré est plus rapproché. Ainsi, en examinant une période de quelques années,
on trouve qu'en France la moyenne des valeurs transmises en ligne directe est
de 1,086,000,000, tandis que toutes les valeurs transmises en ligne collatérale,
celles qui sont transmises entre époux et entre personnes non parentes, ne
s'élèvent ensemble qu'à une moyenne de 467 ou 469 millions, je n'ose pas
garantir exactement le chiffre, que je cite de mémoire. Il en résulte que les
transmissions en ligne directe forment à peu près 69 p. c. de toutes les
transmissions en général, tandis que celles de toute autre nature n'en forment
guère que 31 p. c. Le même phénomène se présente lorsque l'on compare entre
elles les différentes catégories de successions en lignes collatérales,
c'est-à-dire que pour les degrés : les plus éloignés, les transmissions sont
insignifiantes, se réduisent presque à rien.
Ce serait donc en vain que par cette espèce de droit de déshérence, de
droit d'aubaine, de confiscation déguisée, on espérerait procurer des recettes
au trésor. Mais il y a une raison plus décisive encore : dans notre droit civil
et dans le droit civil de tous les peuples qui respectent la propriété, le
droit de tester est considéré comme la base essentielle des droits de la
famille ; or, dès que vous laissez intact le droit de tester, c'est inutilement
que vous apporteriez des restrictions au droit de succéder ab intestat.
Je crois donc, messieurs, que les études du gouvernement doivent prendre
une autre direction pour améliorer la situation financière à l'avenir. Je ne
doute pas que M. le ministre des finances ne s'en soit déjà occupé, et je me
permettrai de lui poser ici une question qui a déjà été posée dans la section à
laquelle j'avais l'honneur d'appartenir, lors de examen du projet de loi sur le
droit de succession. Si un jour la nécessité d'établir des impôts nouveaux est
démontrée, la législature devrait être constituée juge, non pas d'un projet,
puis d'un autre projet, mais elle devrait être constituée juge en une seule
fois de toute la pensée du gouvernement sur l'amélioration de notre situation
financière ; car, messieurs, entre les impôts, si la nécessité en est
démontrée, la législature aurait à faire un choix ; il faut faire pour les
impôts ce que l'on dit de tous les autres maux, il faut choisir le moindre.
M. le ministre des finances nous a annoncé la
présentation successive d'autres lois d'impôt ; je lui demanderai de faire
connaître, dès à présent, à la chambre, ou au moins de se mettre en mesure de
nous faire connaître, lorsque nous discuterons le projet de loi sur le droit de
succession, quelles sont les autres lois de finance qu'il a l'intention de
présenter.
M. Osy
(pour une motion d’ordre). - Messieurs, j'avais renoncé à traiter maintenant la
question des tabacs pour ne pas retarder le vote des budgets. L'honorable M.
Malou vient de dire quelques mots de cette question, et l'honorable M. de
Corswarem a demandé la parole pour lui répondre. Je demanderai à M. le ministre
des finances s'il ne pourrait pas publier pour demain la statistique, qui se
trouve au ministère, relativement à cette grande branche d'industrie.
M. le ministre des finances (M. Veydt).
- Je tiens en main ce tableau, et je vais le remettre à M. le greffier pour
qu'il le fasse insérer au Moniteur. (Voir ce tableau pages 344 et 345).
M. Orban (pour une motion d’ordre). - On a déposé sur le bureau un rapport
du conseil des mines, concernant la question de la redevance des mines. Comme
je pense que ce rapport est imprimé, je demanderai à M. le ministre des finances
s'il ne pourrait pas le faire distribuer aux membres de la chambre.
M. le
ministre des finances (M. Veydt). -
Messieurs, je n'ai reçu qu'un exemplaire de chaque rapport et je ne pense pas
qu'il en existe en assez grand nombre au département des travaux publics pour
en distribuer à tous les membres de la chambre. D'ailleurs, messieurs, je crois
que le moment n'est pas encore venu de prendre une résolution sur cette
question de la redevance des mines. Elle est encore soumise aux députations
permanentes des provinces intéressées. Le gouvernement ne pourra faire une proposition
que lorsqu'il aura reçu les renseignements qu'il leur a demandés.
- La séance est levée à 4 heures et demie.