Accueil Séances
plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Bibliographie et
liens Note d’intention
Séance précédente
Séance suivante
Chambre des représentants de Belgique
Séance du mardi 9 mars 1847
Sommaire
1) Pièces
adressées à la chambre, notamment pétition relative à la réforme postale (Rodenbach, d’Hoffschmidt, Manilius)
2) Projet
de loi relatif à la remise du droit de tonnage pour les navires important des
denrées alimentaires (+droits sur les céréales) (Brabant,
Malou, Loos, (+droits sur le bétail)
Delehaye, Malou, Rodenbach, de Garcia, Delehaye, de Brouckere, Malou, (+droits sur le bétail) Osy, de Villegas, Malou, Delehaye, de Brouckere, Malou, Veydt, (+droits sur les sucres)
(Manilius, Malou), Veydt, Desmet, Malou)
3) Projet
de loi relatif à la nouvelle répartition des représentants et des sénateurs.
Discussion générale. Bases de la répartition (Eloy de Burdinne),
fait personnel et système des partis et influence du clergé dans les élections
(Le Hon, de Theux), système des
partis, réforme électorale (de Brouckere), bases de
répartition, réforme électorale, système des partis, patente sur les avocats (Dumortier), réforme électorale (de
Theux, Rogier, de Theux),
bases de la répartition (Donny, de
Theux, de Breyne)
(Annales parlementaires de Belgique, session
1846-1847)
(Présidence de M. Dumont.)
(page 1069) M. Huveners procède
à l'appel nominal à 1 heure moins un quart.
M. de Man d’Attenrode donne
lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.
M. Huveners communique
l'analyse des pièces adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
« Plusieurs membres du conseil communal de Moerbeke demandent
l'établissement d'une estampille destinée à marquer les toiles faites avec du
fil à la main. »
- Renvoi à M. le ministre de l'intérieur.
________________
« Le sieur Verpoorten prie la chambre de statuer sur sa demande tendant
à obtenir le payement des armes que les troupes hollandaises ont enlevées à son
domicile en 1830. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
________________
« Les sieurs Damseaux, Flanet et
Voisin, notaires à Verviers, prient la chambre d'ajourner la discussion du
projet de loi sur le notariat, et de le soumettre à l'examen d'une commission
et à l'avis des tribunaux, des cours et des parquets. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.
________________
« Plusieurs administrations
communales du canton de Wellin demandent la construction d'une route de
Rochefort à Mezières et à Charleville, passant par Wellin, Lomprez, Haut-Fays,
Gedinne, Bohant et Gespansart. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le budget des travaux
publics.
« Plusieurs habitants de la
ville d'Arlon demandent la réforme postale basée sur la taxe uniforme de dix
centimes. »
« Même demande de plusieurs habitants des villes d'Enghien, Roulers et
Iseghem. »
M. Rodenbach. - Messieurs, on vient de faire
l'analyse de plusieurs pétitions qui vous ont été adressées par des habitants
de plusieurs villes et notamment de Roulers, Iseghem, Arlon, etc. Ces notables
habitants demandent que la chambre veuille s'occuper promptement d'une
modification au régime postal sur une grande échelle. Je demande que toutes les
requêtes soient renvoyées à la section centrale chargée d'examiner le projet de
loi, ayant pour objet de modifier le régime postal.
M. d’Hoffschmidt. - Messieurs, j'appuie la proposition
de l'honorable M. Rodenbach ; mais il serait nécessaire qu'on renvoyât à la
section centrale toutes les pétitions qui ont été adressées à la chambre sur le
même objet. L'année dernière, il est arrivé un très grand nombre de pétitions
relatives à la réforme postale ; il serait donc à désirer que dans ce moment où
la section centrale est saisie d'un projet de loi relatif à notre régime
postal, elle fût saisie également de toutes les pétitions dont je viens de
faire mention.
M.
Manilius. – Il y aurait quelque chose d'insolite à
dessaisir la commission des pétitions de pétitions qui lui ont été renvoyées ;
il serait préférable de la prier d'achever la présentation de son travail, qui
pourra servir à la section centrale pour son rapport sur un projet de loi si
utile au pays.
M. d’Hoffschmidt. - La commission des pétitions a déjà
fait son rapport ; rien ne s'oppose donc à ce que les pétitions, avec le
rapport de la commission, soient renvoyées à la section centrale. J'en fais la
proposition à la chambre.
M. le président. - La plupart de ces pétitions ont été renvoyées à M.
le ministre des travaux publics.
M. d’Hoffschmidt. - La section centrale pourrait les
demander à M. le ministre des travaux publics. (Oui !)
- Les pétitions dont il a été fait analyse dans la séance d'aujourd'hui
sur la réforme postale, sont renvoyées à la section centrale chargée d'examiner
le projet de loi sur la réforme postale.
PROJET DE LOI RELATIF A LA REMISE DU DROIT DE TONNAGE
POUR LES NAVIRES IMPORTANT DES DENREES ALIMENTAIRES
Rapport de la section centrale
M. Brabant. - Messieurs, la commission à
laquelle vous avez renvoyé l'examen du projet de loi présenté hier par M. le
ministre des finances, et tendant à accorder la remise des droits de tonnage
aux importateurs de céréales pour la consommation et à interdire la
distillation des pommes de terre et de leurs fécules, propose l'adoption du
projet. Elle exprime le vœu que le gouvernement redouble de vigilance pour
empêcher l'importation frauduleuse de denrées alimentaires et que les
contraventions soient sévèrement punies.
(page 1070)
M. le président. - Il est donné acte à M. le rapporteur de la
présentation de ce rapport qui sera imprimé et distribué. A quand la chambre
veut-elle fixer le jour de la discussion ?
M. le ministre des finances (M. Malou). - Je propose à la chambre de
discuter immédiatement ce projet.
M. Loos. - Je demande que l'on imprime le rapport. Le sénat
n'étant pas réuni, l'urgence qu'on réclame ne semble pas réelle ; la loi ne
pourrait pas être mise immédiatement en vigueur. Je demande qu'on discute
demain.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Je ne prévois pas de longue
discussion sur ce projet de loi. Hier, je me suis réservé de demander la
discussion immédiate quand le rapport serait présenté. Il ne faut pas seulement
voir si la loi pourra être mise aussitôt à exécution, mais dans les mesures de
ce genre il faut voir l'effet moral qu'elles doivent produire. A ce titre je
demande la discussion immédiate.
M. Delehaye. – Je pense que la mesure proposée quant aux pommes de
terre ne peut avoir en effet qu'un effet moral, car la distillation des pommes
de terre n'est pas exercée sur une grande échelle, leur prix s'étant élevé au
point de ne plus guère permettre de les distiller.
Le projet de loi pourrait soulever une autre
question beaucoup plus importante,
beaucoup plus grave. Je pense que lorsque le gouvernement nous soumet ce
projet, alors qu'il y a deux jours seulement, il a pris un arrêté relatif à
l'entrée du bétail, il est du devoir de la chambre d'examiner si le
gouvernement n'a pas pris ces mesures tardivement. Une deuxième question doit
également être examinée, c'est celle de savoir si le gouvernement a pris toutes
les mesures nécessaires pour que les denrées alimentaires restent à un prix peu
élevé.
Par toutes ces considérations je propose de remettre la discussion à
demain afin de nous permettre d’étudier les questions que nous pouvons avoir à
soumettre à la chambre. C'est peut-être la seule occasion, dans cette session,
qui vous permettra d'examiner la conduite du gouvernement, les mesures qu'il a
pu prendre pour avoir les denrées alimentaires à un prix peu élevé. C'est une
raison de plus pour demander la remise de la discussion à demain. Le sénat
n'est plus réuni ; l'effet moral qu'on se propose sera produit par le fait de la
présentation du projet.
M. le ministre des finances (M.
Malou). - Je ne
pense pas qu'il entre dans l'intention de la chambre et je crois qu’il
n'entrera pas même dans l'intention de l'honorable membre lorsqu'il y aura
réfléchi, d'ouvrir dans les circonstances actuelles une discussion sur les
subsistances. Je ne puis pas le croire ; il faudrait que cette discussion fût
ouverte pour que je fusse détrompé. Je demande la discussion immédiate afin
d'obtenir de la mesure proposée tout l'effet moral possible, il importe de
rassurer les populations, et, pour le dire en passant, la mesure relative aux
pommes de terre n'aura pas seulement un effet moral ; il ne me sera pas
difficile de démontrer qu'elle aura un effet utile très grand, car les pommes
de terre sont encore employées à la distillation.
M. Rodenbach. - Toutes les fois que le
gouvernement proposera des mesures ayant pour objet de diminuer la cherté des
vivres du peuple, je lui donnerai volontiers mon appui.
Le projet de loi qui nous est présenté et que nous allons, j'espère,
voter d'urgence sera très utile, car il est certain qu'on fabrique encore une
grande quantité d'esprit d'eau-de-vie indigène qui remplace les eaux-de-vie de France
; et c'est avec des pommes de terre qu'on fabrique cette espèce d'eau-de-vie.
Je crois donc qu'il est nécessaire, urgent de voter le projet de loi qui nous
est soumis. Je répète en terminant que toutes les fois qu'il s'agira de faire
baisser le prix des subsistances du peuple, je m'associerai aux mesures
proposées.
M. de Garcia. - J'appuie la proposition de
M. le ministre des finances. Un devoir impérieux nous incombe, selon moi, c'est
de voter le plus tôt possible le projet de loi qui nous est présenté. Les
distillateurs, avertis par le vote de la chambre que, d'ici à très peu de
jours, ils ne pourront, plus distiller de pommes de terre, s'abstiendront de
faire des approvisionnements. Il pourra se faire même qu'ils livreront à la
consommation \ celles qu'ils ont faites. Il ne faut donc perdre aucun instant
pour atteindre le but qu'on se propose. Sans doute on pourrait prétendre qu'il
est fâcheux que le gouvernement n'ait pas pris plus tôt cette mesure ; mais je
ne veux pas examiner cette question dans ce moment. Cet examen serait
inopportun, puisqu'il aboutirait à différer une mesure que je considère comme
aussi utile qu'urgente.
M. Delehaye. - Je pense, messieurs, que ce n'est pas à moi que
l'on fera le reproche de n'avoir pas travaillé de tous mes efforts à obtenir
les denrées alimentaires à bas prix. L'assemblée voudra bien ne pas perdre de
vue qu'il ne s'est présenté aucune occasion où je n'aie élevé la voix pour
obtenir ce résultat. Mais chacun de nous est juge de l'opportunité des
questions qu'il veut soulever, et porte la responsabilité de ces questions.
Jamais, pour ma part, je n'hésiterai à accepter toute la responsabilité des
propositions que j'aurai l'occasion de faire. Le gouvernement a eu le plus
grand tort de ne pas présenter plus tôt les mesures qu'il nous propose en ce
moment.
M. le ministre des finances (M. Malou). - C'est la discussion !
M. Delehaye. - C'est la discussion, me dit-on ;
mais le gouvernement doit bien s'attendre à ce que cette discussion ait lieu.
J'aurais désiré prendre part à la discussion. Je regretterais que, n'étant
point préparé, il n'arrivât de ne pas mettre dans mes paroles toute la réserve
convenable. Si cela m'arrivait, messieurs, je devrais en rendre le gouvernement
seul responsable par la raison toute simple qu'il ne m'a pas laissé le temps de
réfléchir. J'exprimerai mon opinion comme je dois le faire en tenant toutefois
compte des circonstances ; mais je le répète, le gouvernement aura aussi une
responsabilité, c'est de m'avoir forcé de parler sans que j'aie eu le temps de
me préparer à la discussion.
M. de Brouckere. - Messieurs, je dois déclarer que, selon moi, le
moment serait très mal choisi pour discuter, en général, la question des
subsistances. Que le projet soit discuté et voté aujourd'hui ou qu'il le soit
demain, peu m'importe ! Mais, en ce qui me concerne, bien que sous plus d'un
rapport, je considère la conduite du gouvernement comme susceptible de plus
d'un reproche. Je ne lui en adresserai aucun pour le moment, et je me bornerai
à faire toutes mes réserves. Je croirais agir d'une manière répréhensible, si
je suivais une autre ligne de conduite dans les circonstances où mous nous
trouvons. Il faut que la chambre donne l'exemple du calme, parce que c'est de
calme que le pays a le plus besoin.
Plusieurs membres. - C'est très vrai.
M. de Brouckere. - Ce qui pourrait arriver de plus
malheureux pour le pays et particulièrement pour les classes pauvres, ce serait
que le calme et la sécurité cessassent de régner ; et il serait à craindre que
des discussions de la nature de celles qu'il est question de faire surgir
réagissent sur d'autres classes de la société. (Appuyé, appuyé !)
Ainsi, quelle que soit la résolution de la chambre, qu'elle examine le
projet aujourd'hui ou demain, nous ferons sagement de nous borner à parler sur
le projet en lui-même el sur les effets qu'il pourra produire. Mais, je le
répète, je fais toutes mes réserves pour l'avenir.
Plusieurs membres. - Aux voix ! aux voix !
M. le ministre des finances (M. Malou). - La loi qui a accordé au
gouvernement des crédits pour mesures de subsistance, décide qu'un rapport sera
fait aux chambres sur l'exécution de cette loi. Quand ce rapport sera fait, le
gouvernement pourra exposer l'ensemble des mesures qu'il a prises ; et l'on
pourra juger alors s'il a mérité un reproche quelconque.
Plusieurs membres. - Aux voix ! aux voix. La clôture !
- La clôture est mise aux voix et prononcée.
M. le président. - La chambre veut-elle ouvrir immédiatement la
discussion sur le projet de loi dont il est question ?
Plusieurs membres. - Oui ! Oui !
- Cette proposition est adoptée.
Discussion générale
M. Osy. -
Je me bornerai à parler aujourd'hui de la loi que M. le ministre des finances nous
a présentée, en faisant également toutes mes réserves, quant à l'opportunité de
ce projet de loi.
En même temps que nous avons entendu la lecture du projet présenté par
M. le ministre, nous avons eu connaissance également d'un arrêté accordant la
libre entrée du bétail.
Je demande au gouvernement d'examiner s'il ne serait pas convenable
aussi d'exempter de tout droit d'entrée les viandes salées et fumées.
Le bétail ayant considérablement augmenté de prix en Hollande par suite
des importations en Angleterre, il serait peut-être utile d’affranchir
également des droits d'entrée toutes les viandes salées et fumées. Ces viandes
payent aujourd'hui 16 à 40 francs par 100 kilog., c'est-à-dire 16 à 40 centimes
par kilog., ce qui est un droit prohibitif. Comme la loi que nous avons votée
en novembre autorise le gouvernement à affranchir des droits toutes les denrées
alimentaires, je demanderai à M. le ministre de l'intérieur et à M. le ministre
des finances de bien vouloir examiner la question. Nous pourrions peut-être
recevoir des viandes salées des Etats-Unis, ainsi que du nord de l'Allemagne
d'où l'on en exporte beaucoup. C'est, d'ailleurs, une nourriture très saine.
Je demanderai aussi, s'il ne serait
pas utile d'adopter la mesure qu'a prise le gouvernement français et de
garantir au commerce la libre entrée pour les céréales qu'il importerait
quelque temps après l'expiration de la loi de novembre. Je m'explique. L'entrée
des grains est déclarée libre jusqu'au 1er octobre. Je voudrais, par exemple,
que tous les navires qui auraient pris leur cargaison de céréales avant le 1er
septembre, pussent entrer sans payer de droits, même s'ils arrivaient après le
1er octobre. Ce serait engager le commerce à faire de nouvelles commandes.
Si le gouvernement ne peut prendre semblable mesure par arrêté, je crois
qu'il ferait bien de nous présenter un projet de loi.
M. de Villegas. - Je ne
m'oppose pas au projet de loi. Je le crois utile et comme devant produire un
grand effet dans les circonstances actuelles. Je n'ai demandé la parole que
pour obtenir quelques explications de M. le ministre des finances. Cette
demande d'explications concerne directement l'objet en délibération. D'après
les renseignements que j'ai reçus récemment, des quantités considérables de
céréales sont exportées frauduleusement en France. Ce fait est en quelque sorte
de notoriété publique. J'appelle sur ce point toute l'attention de M. le
ministre des finances. Je m'associe au vœu exprimé par la commission qui a
examiné le projet de loi, pour engager le gouvernement à redoubler de
vigilance, en matière de répression de la fraude. Je demande si la fréquence de
cette fraude a été dénoncée à M. le ministre des finances. J'espère que la
réponse de l'honorable M. Malou sera de nature à calmer les inquiétudes des
populations et à dissiper les appréhensions que l'on a conçues à cet égard.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, le gouvernement
examinera, selon le vœu exprimé par l'honorable M. Osy, s'il peut (page 1071) y avoir un intérêt pour
nous, à l'époque de l'année où nous sommes arrivés, à permettre l'importation,
en franchise de droits, de viandes salées ou fumées qui pourraient être
expédiées des Etats-Unis.
L'honorable membre, dans une précédente discussion, a déjà attiré
l'attention du gouvernement sur une partie de la loi votée récemment en France.
Messieurs, il est une première remarque à faire. Le délai assigné en
France est bien plus court que celui que nous avons fixé par la loi belge.
Cependant il peut être utile, je le reconnais, de garantir au commerce, lorsque
les expéditions faites des ports étrangers sont antérieures à l'expiration du
délai, de lui garantir le bénéfice de la législation sous laquelle les
expéditions ont été faites des ports étrangers, bien que les céréales arrivent
en Belgique après l'expiration du délai.
Notre intention est d'accorder cette facilité, comme nous le pouvons en
vertu de la loi, si par suite des circonstances, il n'y avait pas lieu d'user
complètement du droit de prorogation qui nous est accordé. Si au contraire, et
c'est, je crois, l'éventualité la plus probable, nous usons du droit de
prorogation jusqu'au mois de décembre, la chambre devra être saisie de nouveau
de la question et on pourra alors introduire la disposition réclamée par
l'honorable M. Osy, disposition dont je reconnais toute l'utilité, toute la
justice.
Votre commission spéciale a attiré l'attention du gouvernement sur les
exportations frauduleuses qui se feraient par nos frontières du midi.
L'opinion, je le sais, messieurs, et de nombreux avertissements me sont
parvenus à cet égard, l'opinion se préoccupe de ces exportations ; mais je puis
le déclarer, d'après tous les documents que je me fais fournir régulièrement,
les appréhensions qui se manifestent à cet égard sont très exagérées.
II est impossible, lorsqu'il existe entre le marché français et le nôtre
une assez grande différence, qu'il n'en résulte pas des tentatives
d'exportation frauduleuse. Dès que cette différence a existé, le gouvernement a
pris toutes les mesures qu'il était en son pouvoir de prescrire pour
restreindre la fraude dans les limites les plus étroites ; le zèle, l'activité
des agents de la douane a été spécialement excité, leur surveillance a été
augmentée ; les postes ont été distribués de manière s combattre mieux cette
fraude, ils ont été portés à l'extrême frontière, et je puis dire que les
succès de l'administration des douanes attestent toute la vigilance et tout le
soin qu'elle apporte à protéger les intérêts publics.
Il a été fait, messieurs, depuis le 1er janvier 1847 jusqu'au 1er mars,
51 saisies de farine ou de pain, pour une valeur totale de 24,593 fr. soit en
évaluant l'hectolitre à 50 fr., environ 1,200 hectolitres. Depuis le 1er mars
jusqu'au 5 il a été fait encore 10 saisies pour une valeur totale de 2,256 fr.
On peut admettre, messieurs, que dans l'état actuel de la surveillance de la
douane et d'après les difficultés de la fraude des grains et des farines, on
peut admettre que de deux contraventions l'une échappe l'autre est constatée.
La douane dans l'état actuel, en ce qui concerne l'exportation des
céréales, saisit la moitié, au minimum, des quantités que l'on tente
d'exporter.
Vous voyez, d'après cet exposé, que dans une hypothèse défavorable, il aurait
été fraudé tout au plus douze à quatorze cents hectolitres. Du reste,
messieurs, je ne néglige aucun avis, aucun moyen de protéger les intérêts de
nos populations.
Je saisis cette occasion de déclarer publiquement
que j'ai pris pour règle irrévocable, en matière d'exportation frauduleuse de
céréales, de n'admettre aucune transaction. Les lois fiscales, vous le savez,
permettent les transactions ; jusqu'à présent j'ai refusé et à l'avenir je
refuserai toute espèce de transaction, et je ferai poursuivre toutes les
contraventions de de genre, devant les tribunaux ; je demanderai même
l'application des peines corporelles. Je ne me départirai pas de ce principe.
Ces explications, je l'espère, démontreront à la chambre et surtout aux
populations qui se sont à tort effrayées des exportations, que la fraude (et
elle tend plutôt à diminuer) n'a pas la portée que l'opinion publique de
certaines parties du pays lui a assignée, et que le gouvernement est armé des moyens
de la combattre efficacement, comme il a l'intention de la combattre.
M. Delehaye. - Messieurs, lorsque nous parlions, il y a quelque
temps, de la nécessité d'attirer dans le pays la plus grande quantité de
denrées alimentaires qu'on pouvait se procurer, on ne manquait pas de nous dire
aussi qu'il fallait beaucoup de calme, beaucoup de prudence, beaucoup de
réserve.
Le désir de ne pas sortir de cette réserve et le devoir de remplir mon
mandat dans toute son étendue, m'obligeront à toucher légèrement les
observations que je me proposais de vous exposer sans détour. Je ne ferai en
quelque sorte que les indiquer. Je réclame donc votre indulgence, le vote
d'urgence m'y donne des droits.
Le calme el la prudence, disait-on, sont nécessaires pour que le
commerce ne s'alarme pas ; car le commerce est, de sa nature, porté à
l'inquiétude. Aujourd'hui on vous engage de nouveau à être calmes ; si nous
l'avions été un peu moins il y a quatre mois, le pays se trouverait dans une
position moins fâcheuse. Le calme est sans doute une chose désirable ; mais en
présence d'un grand danger, ne pas dire les choses telles qu'elles sont, me
paraît plus dangereux encore.
Il peut convenir au gouvernement qu'on n'examine pas de près les
combinaisons administratives à l'aide desquelles il a voulu sauver le pays ; il
peut lui convenir qu'on ne s'occupe pas en ce moment de ce qu'il a fait pour
alléger la position de l'ouvrier. Pour moi, tout en restant dans les bornes de
la prudence, je ne crains pas de le dire, le gouvernement a manqué de la
prévoyance la plus commune dans cette circonstance : il n'avait qu'à imiter
l'exemple du gouvernement français, pour qu'à l'heure qu'il est, la Belgique se
trouvât dans une position à pouvoir examiner l'avenir avec moins d'inquiétude.
Toutefois cette exhortation au calme ayant été faite aussi par un de mes
amis politiques, je veux bien me retrancher derrière la plus grande réserve.
Mais je ne partage pas tout à fait l'opinion de cet honorable membre, quand il
s'agit de porter la responsabilité de mon mandat, responsabilité que je
n'entends partager avec personne. J'entends que personne ici, pas plus un ami
politique qu'un adversaire, ne puisse me donner des leçons auxquelles je sois
tenu de me soumettre aveuglément.
e dis donc que j'assume la responsabilité de ce que je dis, et que je ne
connais d'autre censeur de ma conduite que mes commettants.
Une voix. - Vous représentez le pays !
M. Delehaye. - Oui, mais le pays est représenté par les électeurs
; et ainsi les électeurs constituent la première représentation du pays.
Un membre. - C'est très vrai.
M. Delehaye. - Messieurs, le gouvernement nous a présenté un projet
de loi qui obtiendra mon assentiment. Je n'ai qu'un regret, c'est qu'il n'ait
pas été présenté beaucoup plus tôt. Ici encore le gouvernement semble avoir
manqué tout à fait de prévoyance ; il paraît ne pas se préoccuper de l'avenir.
L'Angleterre lui fournit cependant des exemples qu'il pourrait imiter. Dans ce
pays, on a reconnu il y a longtemps déjà la nécessité de conserver à la
nourriture de l'homme la plus grande quantité possible de céréales. C'est par
suite de cette considération que depuis longtemps on a encouragé l'emploi du
sucre dans la distillation. La question n'est pas neuve, je l'ai déjà signalée
à l'attention du gouvernement ; pourquoi ne l'a-t-il pas étudiée ? Je sais bien
qu'il me dira que le sucre est trop cher, mais les céréales le sont également,
et cela n'est pas un motif pour ne pas l'étudier.
Le gouvernement me répondra encore sans doute que la distillation du
sucre est permise en Belgique. Cette réponse a déjà été faite. Mais je ferai
remarquer qu'en présence des lois qui nous régissent, ce que la loi vous permet
de faire d'un côté, elle s'y oppose de l'autre. Contrairement à ce qui se passe
en Belgique, en Angleterre, le sucre qui entre immédiatement dans la
distillation, est exempt du droit d'accise et ne paye que le droit de distillation.
J'appelle de nouveau toute l'attention du gouvernement sur cette question ; que
cette fois du moins il cherche à imiter l'exemple de l'Angleterre ; par là il
rendra un grand service au pays ; cette mesure aidera à assurer notre avenir,
qui semble se présenter sous des couleurs assez sombres.
Puisque nous en sommes à parler des mesures que l'intérêt de l'avenir
réclame, j'appellerai encore l'attention du gouvernement sur d'autres points.
Si je ne me trompe, la loi qui permet la libre entrée des céréales
expire le 1er octobre prochain. Il est constant que quelque grande que soit la
bénédiction que le ciel nous enverra en nous favorisant d'une excellente
récolte, les céréales seront chères l'année prochaine. Pourquoi ne pas
encourager le commerce à faire des importations considérables de ces produits ?
Pourquoi ne pas soumettre à la chambre un projet de loi, pour déclarer les
céréales libres à l'entrée jusqu'à la fin de l'année prochaine ? Vous n'avez
pas à craindre que la récolte s'en ressente. Les premières semailles sont
faites ; et lorsqu'il s'agira de faire les secondes semailles, on saura à quoi
s'en tenir sur la récolte.
Je le répète, quoi que vous fassiez, les céréales seront encore très
chères l'année prochaine. Et pourquoi ? Parce que toutes les denrées
alimentaires qui ont pu être économisées et qui existent dans les entrepôts
d'Europe, seront consommées dans le cours de cette année. Il serait sage que le
gouvernement, par arrêté royal, puisqu'on me dit qu'il peut le faire par
arrêté, que le gouvernement par arrêté royal prît cette mesure.
Il est un autre point sur lequel je veux appeler l'attention du
gouvernement dès aujourd'hui, et comme je veux du calme et de la réserve, je
serai très court.
Il y a longtemps qu'on avait engagé le gouvernement à prendre des
mesures pour maintenir les céréales à des prix modérés.
Ces mesures ne pouvaient pas effaroucher le commerce. Il fallait mettre
en adjudication les denrées alimentaires, destinées à notre armée, aux prisons,
aux dépôts de mendicité. En France, on adjuge publiquement les céréales pour
ces divers services, et l'une des conditions de l'adjudication est d'astreindre
l'entrepreneur à chercher les céréales dans le Nord. Notre gouvernement, qui
croit ne pas manquer de prévoyance, pourquoi n'a-t-il pas pris une mesure
pareille ? Quel immense avantage serait résulté de l'adoption de cette mesure ?
Je suppose que le gouvernement ait 30,000 individus à nourrir ; j'évalue à 400
hectolitres par jour les besoins que réclame l'entretien de ces individus.
Si le gouvernement, dans l'intérêt seul du trésor, et vous voyez que je
ne suis pas exigeant ; si le gouvernement, dans l'intérêt seul du trésor,
avait, il y a quatre mois, acheté 200,000 hectolitres de céréales, nous serions
dans une toute autre position ; le gouvernement, à l'aide d'une manœuvre à
laquelle tout le monde aurait applaudi, aurait pu laisser passer sur les
marchés du pays 30 ou 40 hectolitres, ce qui aurait suffi peut-être pour faire
baisser les prix. Les détenteurs nombreux encore à la campagne se seraient
hâtés d'approvisionner les marchés.
On aurait pu prendre encore une autre mesure. Pourquoi le gouvernement
n'a-t-il pas proposé une prime à donner à ceux qui déclareraient (page 1072) des céréales en consommation
? Cette mesure a été suggérée au gouvernement, il y a trois mois à peu près, et
pour ma part, je ne puis que l'approuver ; elle entraîne plus de dépenses
peut-être, mais elle conserve au pays une grande quantité de denrées
alimentaires. Quoique l'attention de notre gouvernement ait été appelée sur cet
objet, rien cependant n'a été fait à ce sujet.
Messieurs, en présence de la
situation grave où nous nous trouvons, je veux bien m'abstenir de présenter
toute autre considération qui pourrait empirer cette situation ; je m'arrête ;
mais quand le moment sera venu, nous aurons à demander un compte sévère au
gouvernement. Si la chambre avait permis à chacun de nous d'étudier jusqu'à
demain le projet de loi, je suis persuadé qu'il eût été possible de faire
connaître bien des mesures qui allégeraient le fardeau qui pèse sur la société.
M. de Brouckere. - Messieurs, il n'entre nullement dans mes intentions
d'empêcher aucun membre de cette chambre, ni parmi mes amis politiques, ni
parmi mes adversaires, d'exprimer son opinion, et de choisir le moment qu'il
juge le plus opportun pour l'exprimer ; mais il faut qu'on use à mon égard de
la même indulgence. J’ai été parfaitement dans mon droit, en disant qu'à mon
avis il y aurait imprudence à soulever dans le moment actuel une discussion
générale sur la question des subsistances.
J'ai déjà indiqué le motif principal pour lequel je pense qu'il faut
éviter cette discussion. L'honorable membre veut-il une autre raison, je vais
la lui donner. Quel que soit le langage des membres de l'opposition dans cette
discussion, ils peuvent être certains que leur langage sera travesti, qu'on
leur prêtera des intentions qu'ils n'auront pas eues.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Comme on en prête toujours au
gouvernement.
M. de Brouckere. - Je dis qu'on travestirait le langage que tiendrait
un membre de l'opposition quel qu'il fût, et que si, peu de temps après, des
manifestations fâcheuses se produisaient dans une localité, on ne manquerait
pas d'en faire tomber la responsabilité sur l'opposition. Ce que je dis, vous
en avez eu un exemple hier. Le langage de M. Rogier était parfaitement
convenable, parfaitement opportun ; qu'est-il arrivé ? M. le ministre de
l'intérieur s'est levé et a aussitôt profité de l'occasion pour chercher à
déverser sur l'honorable M. Rogier une partie de la responsabilité qui doit
peser tout entière sur le gouvernement. Ce qui s'est passé hier doit nous
servir de leçon.
Pour mettre en pratique le conseil que je donnais
tout à l'heure, je m'abstiendrai de répondre à l'honorable M. Delehaye ;
cependant je n'hésite pas à le déclarer, il a donné des conseils auxquels je ne
me rallie en aucune manière, que je n'approuve pas ; j'ajouterai même que si je
croyais qu'on fût disposé à les suivre, je les combattrais. J'engage M. le
ministre à faire comme moi, à s'abstenir
de discuter ces conseils et de délibérer sur la question de savoir s'il y a
lieu de les suivre ou de ne pas les suivre.
Quant à nous, remettons à un autre moment la discussion de la conduite
du ministère qui ne manquera pas de trouver des censeurs dans cette chambre.
M. le ministre des finances (M. Malou). - J'imiterai la réserve apportée par
l'honorable préopinant dans les observations qu'il a présentées. Je me bornerai
à deux points.
L'honorable député de Gand reproche au gouvernement de n'avoir pas suivi
les exemples du gouvernement français. Nous avons fait beaucoup plus et
beaucoup plus tôt que le gouvernement français ; nous l'avons devancé quant au
temps, quant à la latitude donnée au commerce, et quant à l'ensemble des
mesures adoptées ; il sera facile de l'établir dans un discussion que nous
appelons de tous nos vœux, dans un moment plus opportun ; nous établirons aussi
que nous avons fait tout ce qu'il était possible de faire.
L'honorable membre appelle de ses vœux une mesure spéciale permettant la
distillation du sucre comme on l'a permise en Angleterre ; les législations des
deux pays sont complètement différentes sous tous les rapports. Il y avait en
Angleterre défense de distiller le sucre ; cette défense n'existe pas chez
nous. Je suppose que par une loi on donne la faculté de soumettre à la
distillation le sucre avec exemption du droit d'accise ; cette faculté serait
lettre morte ; le prix du sucre est tellement élevé qu'il ne pourrait servir à
la distillation.
Pour le sucre, la mesure serait donc sans portée ; quant aux mélasses,
la distillation est permise par nos lois ; or, d'après le système de la loi sur
les sucres, les mélasses ne supportent aucun droit d'accise. Ainsi l'honorable
membre est dans l'erreur sur le fait qui sert de base à ses observations ; le
droit d'accise n'a été établi par la loi que sur les produits fins, les
mélasses ne supportent aucun impôt. Il en résulte que nous ne pouvons rien
faire pour étendre la distillation des mélasses plus qu'elle ne l'est
aujourd'hui.
- La discussion générale est close.
Discussion des articles
Article premier
« Art. 1er. Il est accordé remise du droit de tonnage aux navires qui
importeront, avant le 1er septembre 1847, des denrées alimentaires pour la
consommation, »
M. Veydt.
- J'ai besoin de savoir, messieurs, quelle est la raison qui a déterminé le
gouvernement à choisir cette date du 1er septembre. L'exposé des motifs ne nous
l'apprend pas. Suivant moi, il eût été tout naturel de la faire coïncider avec
la date portée dans la loi que nous avons adoptée concernant les denrées
alimentaires : l'entrée en franchise de droits en est permise jusqu'au 1er
octobre. Il faudrait un motif sérieux pour établir une différence entre les
deux dates, et rapprocher celle qui fixe la durée de l'exemption du droit de
tonnage.
Il y a plus. Cette loi des denrées alimentaires, que je regrette de
n'avoir pas sous les yeux, autorise le gouvernement à en étendre les effets
jusqu'au 1er décembre. S'il fait usage de cette faculté, il devrait pouvoir
aussi proroger la loi dont il s'agit en ce moment, afin de continuer la remise
du droit de tonnage.
Voici comment je voudrais que la disposition fût rédigée : « Il est
accordé remise du droit de tonnage aux navires qui importeront, avant le 1er
octobre, des denrées alimentaires pour la consommation. » Puis un autre
paragraphe : « Si le gouvernement fait usage de la faculté de proroger la loi
sur les denrées alimentaires du.... jusqu'au 1er décembre prochain, la présente
loi pourra être prorogée jusqu'à cette même date. »
Je regrette de devoir ainsi
improviser des amendements, sans avoir eu le temps de consulter la loi avec
laquelle je voudrais mettre d'accord la loi qui nous est soumise. Mais il faut
voter au pas de course ; la chambre l'a voulu, malgré les observations que
d'honorables membres ont fait valoir en faveur d'un ajournement de vingt-quatre
heures.
Il ne nous reste qu'à tâcher d'améliorer le projet du gouvernement.
M.
Manilius. - Je ne viens pas faire opposition au projet de
loi qui nous est soumis, je l'appuie ; mais je crois devoir faire quelques
observations relativement à ce que vient de dire M. le ministre des finances.
Il nous a dit que les mélasses ne payaient pas de droit. Cependant je
rappellerai qu'on restitue 13 fr. par 100 kilogrammes à la sortie. Il faut
croire que si on a accordé une restitution de droit, c'est qu'on a reconnu
qu'une partie des droits frappait sur les mélasses. Mon honorable ami avait
demandé qu'on mît les distilleries à même de distiller les sucres ; il est
évident qu'il ne voulait pas parler des sucres fins, mais des résidus. Il est
évident encore qu'il doit y avoir un empêchement à cet égard, car les
distillateurs sont en instance pour obtenir du gouvernement remise des droits
d'accise ; les mélasses recevant une restitution à la sortie, quand elles sont
converties en alcool, c'est comme si elles étaient exportées ; d'ailleurs
l'alcool paye un droit d'accise, et la mélasse qui paye un droit supposé de 15
et de 13 fr. en vertu de la loi sur les sucres, ne peut pas être frappée d'un
droit nouveau après sa conversion en alcool, sans compensation aucune.
Je saisis donc cette occasion pour engager M. le
ministre à examiner cette question. D'ailleurs, comme il peut supprimer la
distillerie des pommes de terre, il serait heureux de pouvoir indiquer aux
distillateurs un nouveau moyen de ne pas arrêter leurs opérations. J'appuie
donc la proposition de mon honorable ami, parce qu'il y a lieu d'examiner la
question et de l'amener à bonne fin.
J'appelle l'attention du gouvernement sur la nécessité d'encourager un
genre de distillerie qui peut encore vivre, et auquel la loi sur les sucres
promet encore un bel avenir.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Je ne vois aucun inconvénient à
porter à l'article premier la date du 1er octobre 1847, comme dans la loi
générale.
Je demande que le second amendement indiqué par l'honorable M. Veydt
fasse l'objet d'un article séparé, afin que le gouvernement ait la même
faculté, quant à l'article 2 ; je proposerai de le rédiger comme suit :
« Les effets de la loi pourront être prorogés en tout ou en partie
jusqu'au 1er décembre 1847. »
C'est, si j'ai bonne mémoire, la date de la loi générale sur les
subsistances. Je demanderai à la chambre de maintenir à l'article 2, sous cette
réserve d'une prorogation ultérieure, la date du 1er septembre 1847.
Il est possible, en effet, que le système soit tel qu'il puisse être de
l'intérêt de l'agriculture, des classes pauvres et des distilleries, qu'il soit
de l'intérêt général, en un mot, de faire, à partir du mois de septembre,
emploi de la pomme de terre dans les distilleries.
Je demande qu'on ne se lie pas inutilement, qu'on fasse aujourd'hui
seulement ce qui est nécessaire.
Les souvenirs de l'honorable
M. Manilius sont en défaut, je pense, quant à la loi des sucres. L'exportation
des mélasses ne donne lieu à aucune restitution quelconque. L'honorable membre
confond les sirops avec les mélasses. Je viens, du reste, de faire prendre la
loi, parce qu'il est prudent de ne parler que le texte sous les yeux.
La distillation des mélasses est donc permise, il n'y a pas de droit
d'accise ; il ne serait possible d'augmenter la consommation des mélasses qu'en
accordant des primes, et l'on ne peut évidemment pas y songer.
M. Veydt.
- Je me rallie à l'amendement de M. le ministre des finances, puisqu'il atteint
le but que je me proposais.
M. Desmet. -
Je suis obligé de demander la parole pour faire, de mon côté, quelques
remarques à M. le ministre des finances, sur celles qui lui ont été faites par
les honorables MM. Delehaye et Manilius, pour ce qui regarde la distillation
des matières saccharines. La distillation des sucres n'est pas défendue ; mais
il est un point important à faire remarquer sur cette distillation, c'est que,
quand on la pratique, il faut qu'elle n'ait pas de privilège sur la
distillation des farines Quoique les droits sur la distillation soient basés
sur le produit, ils sont directement établis sur les quantités des matières
macérées. Lors donc qu'une matière est plus riche en alcool, plus son produit
de liqueur est grand et moins elle est imposée, parce que la quantité imposée
est plus petite. C'est ce qui existe entre le sucre el les farines. Ceux qui
distillent le sucre ou qui le mélangent à la (page 1073) farine dans la macération, payent
moins de droits que ceux qui distillent avec des farines pures. Je pense que
l'on peut dire que c'est un avantage pour les distilleries qui sont dans le
voisinage des raffineries de sucre et un détriment pour les autres, pour celles
qui le plus souvent sont établies à la campagne et qui travaillent tout
particulièrement pour l'engraissement du bétail, parce que les premières
payeront moins de droits que les autres ; et c'est ainsi que les distilleries
qui emploient des matières saccharines feront une concurrence dangereuse à
celle qui ne distillera que la farine et qui travaillera pour le résidu.
Ce que j'avance n'est pas sans faits qui en prouvent l'exactitude. Nous
avons vu que les produits des distilleries d'une ville où il y a beaucoup de
fabriques de sucre, sont venus faire une concurrence nuisible à des
distilleries des Flandres, nonobstant qu'elles étaient très éloignées de cette
ville.
- L'article premier est mis aux voix et adopté.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Mon amendement doit être placé à
la suite de l'article 2, et former un article 3.
Article 2
« Art. 2. Jusqu'à la même époque, il est interdit d'employer des pommes
de terre ou des fécules de pommes de terre, pour la distillation.
«Toute contravention au présent article sera punie d'une amende de 500 à
1,000 francs.
« Et cas de récidive, l'amende pourra être portée au double. »
- Personne ne demandant la parole, l'article 2 mis aux voix est adopté.
Article 3
- L'amendement de M. le ministre des finances, formant l'article 3 de ce
projet est également adopté.
Article 4
M. le ministre des finances (M. Malou). - Je demanderai que l'on insère dans
le projet de loi un article 4 ainsi conçu : « La présente loi sera obligatoire
le lendemain de sa publication. »
- Cet amendement est mis aux voix et adopté.
Vote sur l’ensemble du projet
On procède à l'appel nominal sur l'ensemble du projet. Il est adopté à
l'unanimité des 69 membres présents.
Ce sont : MM. Dubus (aîné), Dubus (Bernard), Dumont, Dumortier, Eloy de
Burdinne, Fallon, Fleussu, Henot, Huveners, Jonet, Lange, Lebeau, Le Hon,
Lesoinne, Lys, Malou, Manilius, Mast de Vries, Mercier, Nothomb, Orban, Osy,
Pirmez, Pirson, Rodenbach, Rogier, Scheyven, Sigart, Simons, Troye, Van Cutsem,
Vanden Eynde, Vandensteen, Veydt, Vilain XIIII, Wallaert, Zoude, Biebuyck,
Brabant, Castiau, Clep, d'Anethan, David, de Bonne, de Breyne, de Brouckere,
Deschamps, de Corswarem, Dedecker, de Foere, de Garcia de la Vega, de Lannoy,
Delehaye, Delfosse, de Man d'Attenrode, de Meester, de Naeyer, de Renesse, de
Saegher, de Sécus, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, de Theux, de Tornaco, de
Villegas, d'Hoffschmidt, Dolez, Donny.
- Le projet de loi sera transmis au sénat.
PROJET DE LOI RELATIF A LA NOUVELLE REPARTITION DES
REPRESENTANTS ET DES SENATEURS
Discussion générale
M. Eloy de Burdinne. - Messieurs, en prenant la parole dans cette
discussion, je ne veux que motiver mon vote.
Ayant examiné attentivement la répartition des sénateurs et des
représentants entre chaque arrondissement, j'ai cru reconnaître qu'il y avait
peu d'inégalité, et je crois que sans fractionnement il était impossible de
faire cette répartition d'une manière plus équitable.
Pour obtenir une égalité parfaite, il aurait fallu diviser le royaume en
autant de districts électoraux qu'il y a de sénateurs à nommer.
Cette opération terminée, chacun de ces districts aurait nommé un
sénateur et deux représentants.
Je doute que ce système soit du goût de la majorité. Dans tous les cas,
selon moi, c'est ce qui serait le plus juste, le plus équitable. Chaque
localité serait représentée d'après sa population, comme paraît le vouloir
l'article 49 de la Constitution.
Comme il ne s'agit pas pour le moment de modifier la loi électorale, je
me bornerai à cette seule observation, en ce qui concerne le fractionnement.
Une discussion s'est entamée entre Alost et Termonde, entre Liège et Verviers.
Liège préfère avoir plus de députés ; en échange elle voudrait bien
peut-être accorder un sénateur de plus à Verviers (c'est ce qu'elle ne fait
pas).
Alost pense comme Liège : un député de plus et un sénateur de moins lui
irait mieux.
Je conçois que dans la chambre des représentants chacun de nous aime à
voir augmenter le nombre des représentants dans son district électoral ; plus
il y en a à nommer, plus on a de chances d'être nommé.
Au sénat, par le même motif, l'inverse doit avoir lieu. On doit désirer
avoir à nommer un plus grand nombre de sénateurs que de députés dans son
district. En d'autres termes, on préfère voir la fraction de la population
servir à une augmentation de sénateurs que de représentants.
Etre représenté au sénat ou à la chambre sur une plus grande échelle me
paraît chose fort peu importante.
Le principal, c'est que la représentation soit en rapport avec la
population.
Dans une séance précédente, on a soutenu que la mission d'un
représentant était bien autrement importante dans l'intérêt d'un district que
ne l'est celle d'un sénateur. Je répondrai que si la chambre des représentants
a plus de pouvoir dans certain cas que n'a le sénat, à son tour le sénat a
aussi des pouvoirs que la chambre n'a pas.
Dans tous les cas, les propositions de loi financière présentées par la
chambre des représentants peuvent être amendées par le sénat el renvoyées ; il
est constant que le sénat a le dernier mot, il peut annuler les votes de la
chambre des représentants quand il le trouve convenir.
Il y a une autre considération, qui en ma qualité de représenté me
ferait désirer avoir pour mon district plutôt un sénateur en plus qu'un
représentant. Je suppose qu'il se présente une question d'intérêt de mon
district, un sénateur de plus peut entraîner la majorité.
En outre, il est plus facile d'entraîner une majorité dans une réunion
de 50, que dans une réunion de 100.
Au sénat 26 voix me donnent la majorité, tandis qu'à la chambre pour
obtenir cette majorité, je dois entraîner dans mon opinion 51 membres, et on ne
contestera pas qu'il y a plus de chance de faire partager ses convictions à 26
individus que d'en persuader 51.
En somme, je crois que la nation a peu ou point d'intérêt à être
représentée par un plus grand nombre de représentants que de sénateurs. Dans
mon opinion, je préférerais avoir pour mon district un sénateur de plus, et un
représentant de moins, qu'un représentant de plus et un sénateur de moins. Tel
est mon opinion ; je demande qu'on la respecte, comme je respecte les opinions contraires.
J'en viens à l'amendement de l'honorable M. Lebeau, qui mû par un
sentiment d'une plus parfaite répartition entre les divers arrondissements a
cru devoir vous proposer une modification dans le nombre des représentants
assignés aux arrondissements de Termonde et de Verviers ; il soustrait du
nombre des représentants assigné à Verviers, qui est de trois, un représentant
; il le donne à Liège, et en échange il ne donne rien è. Verviers.
Ce qui est bon à prendre, sans doute, est bon à garder.
Si je ne consultais que l'intérêt de la cause que je suis dans
l'habitude de défendre, je devrais laisser subir la chance à l'amendement de M.
Lebeau. Je ne dois pas être désireux de voir augmenter mes adversaires, et je
les rencontre presque toujours dans la représentation de Verviers. C'est donc
par un sentiment de justice que je viens combattre l'amendement de l'honorable
député de Bruxelles.
Il propose de donner à Liège six représentants et trois sénateurs ; à
Verviers, deux représentants et un sénateur. Tandis que le projet de
répartition en discussion donne à Liège cinq représentants et trois sénateurs.
L'honorable M. Lebeau appuie sa proposition par des chiffres, et moi
aussi, messieurs, j'appuie par des chiffres l'opposition que je fais à
l'adoption de l'amendement de l'honorable député de Bruxelles
Vous jugerez mes chiffres ; vous apprécierez les chiffres de mon
adversaire, et vous déciderez de la question.
L'amendement de l'honorable M. Lebeau accorde à Liège six représentants
et trois sénateurs, comme si Liège avait une population de 240,000 habitants.
L'arrondissement de Liège a 223,121 habitants. Il y a donc faveur, à raison
d'une population qui lui manque, de 16,121.
L'amendement donne à Verviers deux représentants et un sénateur, ayant
rapport à une population de 80,000 habitants. Verviers compte en population,
100,143 habitants. Défaveur pour Verviers, 20,146 habitants.
Ajoutez à cette perte la faveur accordée à Liège, qui est de 16,873, et
vous aurez une différence, dans la représentation nationale, de 37,022
habitants à l'avantage de Liège au détriment de Verviers, tandis que d'après la
répartition en discussion, Verviers est représenté, d'après sa population,
ayant même un excédant comparé à sa représentation.
Cet excédant est de 286 habitants.
Il est vrai que la représentation de Liège est inférieure à sa
population de 6,242 habitants et, on en conviendra, 6,242 habitants est une
fraction à laquelle on ne peut avoir égard.
Voyons le résultat de l'amendement, en ce qui concerne Alost et
Termonde. On donne à Alost quatre représentants et deux sénateurs, ce qui est
en rapport à une population de 160,000 habitants.
Alost compte 138,211 habitants. Pour obtenir le nombre de représentants
et de sénateurs que lui assigne l'amendement du député de-Bruxelles, Alost
devrait avoir une population de 160,000 habitants. N'étant que de 138,211
habitants, on lui accorde une faveur de 21,789 habitants.
L'amendement donne à Termonde deux représentants et un sénateur ; cette
représentation est en rapport à une population de 80,000. Termonde en compte
96,848. Défaveur pour Termonde ,789 habitants. Défaveur de Termonde sur Alost,
38,637 habitants
Tandis que par le projet du gouvernement l'équilibre est à peu près
établi, Alost obtient une faveur de 3,578 habitants.
(page 1074) Termonde aussi a
une faveur de 6,304, si l'on compare sa représentation au nombre de ses
habitants.
Si j'ai commis des erreurs en comparant la répartition faite par le
gouvernement avec la proposition de l'honorable député de Bruxelles, je vais vous
donner mes chiffres ; je les livre à l'auteur de l'amendement.
Répartition ministérielle :
L'arrondissement de Liège a une population de 223,121 habitants.
On lui donne 5 représentants représentant une population de 200,000
habitants. Elle perd 23,121 habitants.
On lui donne 3 sénateurs représentant 240,000 habitants. Elle a en
population, 223,121 habitants. Liège gagne sur le nombre de sénateurs 16,879
habitants.
Balance :
Perte sur les députés, 23,121 habitants
Avantage sur les sénateurs, 16,879 habitants.
Résultat en perte, 6,242 habitants.
Liége perd 6,242 habitants.
D'après le projet du gouvernement, Verviers a une population de 100,143
habitants
Le gouvernement lui donne 3 représentants qui représentent 120,000
habitants
Avantage pour Verviers, 19,857 habitants.
On lui donne un sénateur qui représente 80,000 habitants. En ayant
100,143, Verviers éprouve un déficit de 20,143 habitants.
Ayant un déficit sur la nomination d'un sénateur, de 20,143, et un
avantage sur la nomination d'un député de 19,857 habitants, soit un déficit de
286 habitants.
M. Lebeau, par son amendement, propose de retirer à Verviers un
représentant, de le donner à Liège, soit 3 représentants et 3 sénateurs ; pour
que la répartition soit juste, la population de l'arrondissement de Liège
devrait être de 240,000 habitants.
N'étant que de 223,121 habitants, faveur pour Liège, tant pour un
sénateur que pour un représentant, 16,879
Le même M. Lebeau propose de donner à Verviers 2 représentants et 1
sénateur pour une population de 100,143. Ce qui ne représente que 80,000.
Déficit sur la représentation de Verviers à la chambre, 20,143 habitants.
Un sénateur représente 80,000 hab., Verviers perd encore sur la
représentation au sénat, 20,143. Tandis que Liège a un avantage sur sa
représentation de 16,879. Différence, 37,022 à l'avantage de Liège
comparativement avec Verviers, d'après la proposition de l'honorable M. Lebeau,
tandis que, d'après le projet de loi, Liège perd en population non représentée
6,242 habitants et Verviers, 286 habitants.
Comparaison entre Alost et Termonde :
D'après le projet, Alost aura trois représentants et deux sénateurs, la
population exigée pour trois représentants est de 120,000 habitants.
Alost en compte 138,211 Alost perd sur la représentation à la chambre, 18,211
habitants.
Deux sénateurs représentent 160,000 habitants. Alost n'a, en population,
que 138,211 habitants.
Résultat en trop et à l'avantage d'Alost, 21,780 habitants
Ayant perdu sur les représentants 18,211 habitants, en résultat, Alost gagne
3,578 habitants.
D'après M. Lebeau, Alost aurait quatre représentants et deux sénateurs,
soit comme si Alost avait 160,000 habitants. Il n'en existe que 138,211. Faveur
pour Alost, 21,789 habitants.
Même calcul pour sa représentation au sénat, de manière que
l'arrondissement d'Alost serait représenté à raison d'une population de près de
22,000 habitants qui n'existent pas.
D'après le projet, Alost aurait un avantage de 3,578 ; M. Lebeau veut
lui donner une faveur de 21,789 et sur son sénateur et sur son représentant,
qu'il veut bien lui accorder.
Voyons Termonde :
D'après le projet de loi, Termonde a trois représentants, en rapport à
120,000 habitants. Il n'en a que 96,848. En trop, 23,152 habitants.
Un sénateur, représentant 80,000 habitants, en moins, 16,848 habitants.
Résultat en plus, 6,304 habitants.
D'après la proposition de M. Lebeau, Termonde aurait deux représentants,
soit pour 80,000.
Ayant une population de 96,848 habitants, Termonde perdrait 16,848
habitants sur sa représentation au sénat et autant sur sa représentation à la
chambre, tandis qu'Alost aurait un avantage de 21,789, tant sur son sénateur
que sur son représentant, soit avantage du district d'Alost sur Termonde,
38,637 habitants, tandis que le projet de loi donne un avantage :
A Alost, de 3,578 habitants
A Termonde, de 6,304 habitants.
En résumé, d'après le système du gouvernement, Liège éprouve une perte
de 6,242 habitants, et Verviers de 286 habitants.
Verviers n'ayant pas trop, ne peut donner à Liège.
D'après M. Lebeau, Liège aurait un avantage de 16,879 habitants,
Verviers, une défaveur de 20,143 habitants.
Système du gouvernement :
Alost a une faveur de 3,578 habitants.
D'après M. Lebeau, il donne une faveur de 21,789 habitants.
D'après le projet de loi, Termonde a une faveur de 6,304 habitants.
M. Lebeau veut une défaveur de 16,848 habitants et sur le député et sur
le sénateur.
Si on ajoute le déficit de Termonde à la faveur d'Alost, il en
résulterait une différence entre Alost et Termonde de 38,637 en faveur d'Alost
au détriment de Termonde.
Je terminerai en priant la chambre de reconnaître
que je n'ai été mû par aucune considération d'intérêt de localité.
La répartition équitable entre tous les arrondissements a seule pu
m'engager à prendre la parole ; aucun autre motif ne m'a influencé.
J'attendrai la réfutation de mes arguments ; si je suis en erreur, j'en
reviendrai, et ce ne sera pas la première fois que la discussion m'aura fait
changer d'opinion. (Du choc des opinions jaillit la lumière.) Je réserve mon
vote.
M. Le Hon.
- Messieurs, je ne viens pas prolonger la discussion politique, après les
développements qu'elle a pris hier. Je craindrais de répéter des arguments
épuisés ou de sortir des limites assignées à cette discussion.
Si j'ai demandé la parole, c'est pour relever un passage du discours
qu'a prononcé M. le ministre de l'intérieur dans la séance de samedi dernier.
Vous vous le rappelez sans doute ; je me suis attaché à mettre dans mon
langage toute la modération qui était dans mes sentiments. J'ai écarté toute
considération d'intérêt personnel, et, tenant ma discussion à la hauteur des
principes, j'ai traité les questions que j'ai cru se rattacher intimement, tout
à la fois, à l'élément matériel et à l'élément moral du gouvernement représentatif.
C'est à ce point de vue que je vous ai priés d'interpréter mes intentions et
mes paroles ; et d'honorables membres ont apprécié et cette modération et cette
réserve.
Qu'a fait M. le ministre de l'intérieur ? Parlant immédiatement après moi,
il vous a dit : « Il était assez naturel que l'honorable préopinant saisît la
première occasion importante pour nous expliquer sa position actuelle, son
passé et en quelque sorte son avenir : Nous n'avons pas, ajoute le ministre,
l'intention de le suivre sur ce terrain c'est là ce que j'appellerai le terrain
personnel. »
Je croyais avoir mal entendu, et il m'a fallu le texte officiel du
Moniteur, pour n'en plus douter. Je ne puis accuser la mémoire du ministre ; je
ne veux pas lui supposer d'inconcevables distractions. Ce que je puis taire de
mieux, c'est de penser que, dans l'attente d'un discours plein de
récriminations personnelles, il est entré à la séance avec un exorde tout fait,
et s'est donné la satisfaction de le jeter dans le débat. Je dois le dire ;
cette supposition est la moins fâcheuse que je puisse faire pour le ministre.
Quoiqu'il en soit, ce langage est bien étrange après celui que j'avais
tenu. Quoi ! j'ai à donner ici des explications sur ma position personnelle,
sur mon passé, sur mon avenir, et ces explications, je les aurais apportées
spontanément dans un débat sérieux, sans en concevoir ni le motif, ni le but !
Non, messieurs, je n'ai rien fait, rien pensé de semblable ; je n'ai pas oublié
à ce point ce que je dois à mon mandat, à la chambre, à moi-même.
Mon passé ! Eh !qui donc moins que vous a besoin qu'on le lui
explique ?
Ma position actuelle ! Est-ce au ministère que j'ai à la faire connaître
? Si quelqu'un devait apprécier ma discrétion à cet égard, c'étaient les
membres du cabinet.
Quand j'ai brigué loyalement la candidature de représentant, dans une
province qui, pendant neuf années, m'avait honoré de quatre mandats
consécutifs, et dont je ne m'étais séparé que pour aller servir fidèlement mon
pays à l'étranger, je n'ai été mû que par un sentiment, celui de l'intérêt
public ; je n'ai eu qu'un but, celui d'être utile celle à ma patrie.
La majorité qui a eu le courage de m'élire, sans se laisser intimider
par la violence de deux oppositions coalisées, sait que mon passé est (page 1075) pour elle une garantie sûre
de mon avenir ; et sa confiance ne sera pas trompée.
Je reconnais à un ministre la faculté de ne pas répondre à un député ;
mais ce que je lui dénie, c'est le droit de dénaturer ses intentions et ses
paroles.
Où donc M. le ministre de l'intérieur a-t-il aperçu l'ombre de mon
individualité dans ce que j'ai dit devant la chambre ? J'ai cru, après un
examen consciencieux et réfléchi, devoir aborder des questions de principes,
sur lesquelles il me semble qu'il règne chez nous de fâcheux préjugés.
J'ai parlé des partis. J’ai voulu réhabiliter la situation honorable qui
appartient aux partis dans tous les Etats libres. Et j'ai eu l'intention, je
puis le dire, de protester contre ce reproche, qu'il paraît être de bon goût de
certain côté d'adresser à tout candidat qui se présente sous la bannière de
l'opposition, reproche qui en fait un homme antigouvernemental.
En vérité, je crois en être encore aux éléments du gouvernement
représentatif, à la première année de notre indépendance ; car on doit savoir
que l'opposition est, de sa nature, aussi gouvernementale que le ministère
lui-même ; le ministre qui siège sur son banc, passerait, sans doute, s'il
cessait d'y être, sur les bancs de l'opposition et il aurait raison, il
pourrait même y jouer un rôle fort honorable.
J'ai donc été fondé à déclarer, et, en vérité, je ne suis ici que l'écho
d'une vérité vulgaire, qu'un ministère n'est qu'un système politique soutenu
par une majorité parlementaire. On peut former opposition à un système et être
fidèle aux institutions de son pays.
J'ai parlé des associations. Je les ai présentées sous leur véritable
caractère, c'est-à-dire comme étant le mode de résistance qu'un parti
considérable oppose à la coalition du gouvernement avec l'antre parti. Dans mon
opinion, elles sont utiles en Belgique ; elles présentent le contrepoids
libéral de deux forces hiérarchiques coalisées. M. le ministre n'a vu dans ce
que j'ai dit que l'éloge des associations ; mais j'ai indiqué le mal d'où elles
procédaient. C'est ce point-là surtout qui devait fixer l'attention du
ministre. Il aurait voulu que je signalasse aussi les dangers que divers Etats
ont courus par suite de l'extension du principe d'association. J'avoue que je
serais curieux de connaître les événements historiques qui pourraient prouver
que des associations publiquement formées, appelant la lumière de la publicité
sur tous leurs actes, dans un Etat libre, auraient produit des dangers sérieux
et des désordres funestes. Je pourrais, moi, fournir à M. le ministre plus d'un
enseignement historique propre à le convaincre que les grandes commotions
intérieures, les grands soulèvements populaires ont presque toujours eu pour
cause le mépris qu'ont eu les gouvernements pour les avertissements de
l'opinion publique. L'histoire contemporaine en offre plusieurs exemples, et
c'est sur eux que je voulais appeler particulièrement l'attention du ministère,
parce que c'est quand l'ordre intérieur existe encore qu'il est possible de
prévenir les conséquences de l'oubli et de la violation des principes du
gouvernement.
J'avais dit que le pays tenait avant tout à l'indépendance du pouvoir
civil, à sa moralité et à sa justice, seules bases de sa force. J'avais eu soin
d'ajouter, car je prévoyais bien l'objection, que tout ministère a la
prétention d'être indépendant, moral et juste. M. le ministre de l'intérieur
n'a pas manqué, à l'exemple de ses prédécesseurs, de s'appliquer ces qualités
et d'appeler sur les actes de son administration le jugement du pays. Et moi
aussi, c'est d'après ce que le pays pense de vos actes, c'est d'après la
manière dont il les juge, que j'ai tenu le langage que vous avez entendu.
Si j'avais assisté cette année à la discussion du budget de l'intérieur,
j'aurais, cédant à mes convictions, rempli un impérieux devoir. J'aurais placé
sous les yeux du gouvernement une série de faits graves, pour ainsi dire
systématiques, qui eussent prouvé qu'il n'y a pas indépendance suffisante du
pouvoir civil, vis-à-vis de l'influence prépondérante du clergé, en matière d'enseignement,
en matière d'élections, en matière de fondations diverses et en matière de
nominations de toute nature. Il y a quelqu'un, messieurs, qui a plus de
sagacité que vous et moi ; ce quelqu'un c'est tout le monde, c'est le pays.
Eh bien, écoutez sa voix, demandez ce que pensent les hommes les plus
modérés et les plus sages sur la direction et les actes du gouvernement depuis
six années ; interrogez enfin l'opinion publique la plus éclairée. C'est pour
représenter fidèlement le pays dans cette enceinte et pour être l'interprète de
sa pensée et de ses vœux, que je suis venu vous parler comme je l'ai fait.
Au nombre des trois forces qui sont en présence dans les élections, j'ai
cité le clergé dont l'influence est puissante comme une association sur le système
électoral. M. le ministre s'est borné à me répondre en invoquant les droits
politiques des membres du clergé, droits dont personne ne peut leur contester
l'usage. Eh ! mon Dieu, j'avais le premier reconnu ces droits ; j'avais
rappelé sous quelle garantie inviolable ils avaient été constitués. Mais, je
l'avoue, je ne comprends pas l'aveugle et imprudent laisser-aller du
gouvernement qui parmi tant d'actes de notoriété publique confond l'abus avec
l'usage et qui, dans tout ce que fait le clergé, en général, paraît décidé à ne
voir que l'exercice tout simple, tout naturel des droits de citoyen. Mais le
gouvernement ne sait donc pas ce qui se passe dans les élections. Il ignore
donc ce qui se passe en matière d'enseignement ! Je l'invite sérieusement, dans
ce cas, à s'éclairer. Les avertissements que j'ai donnés m'ont été dictés par
l'intérêt de la religion et de ses ministres, comme dans celui du pays,
intérêts qui sont à mes yeux inséparables ; et je désire qu'on cesse
d'encourager, par une sorte de tolérance officielle, des empiétements qui
blessent le sentiment national. J'invite le clergé lui-même à réfléchir à la
situation heureuse, incomparable qui lui est faite en Belgique. Qu'il nous dise
s'il est un autre pays, un seul, en Europe, où ses membres soient, comme
prêtres, indépendants du pouvoir civil, et, comme citoyens, en possession de
tous les droits politiques.
Je n'en ai pas regret pour la Belgique ; l'épreuve qu'elle a faite
depuis 16 ans, quels que soient les difficultés et les abus qui en sont résultés,
honore le caractère de notre nation.
Mais il ne faut pas pourtant laisser oublier à ceux qui jouissent de ces
avantages, que les droits politiques leur appartiennent comme citoyens et non
comme prêtres.
Si M. le ministre de l'intérieur pense qu'il y a exercice légitime de
ces droits, quand les évêques agissent ouvertement comme tels dans les
élections, arrêtent des candidats, forment des listes circulaires et les
envoient du palais épiscopal aux curés de toutes les communes, avec
l'instruction d'agir comme prêtres sur les électeurs, obligeant ainsi le
paisible ecclésiastique voué dans la retraite à la mission de concorde et de
charité, de se mettre en lutte avec les passions politiques et les mouvements
tumultueux de l'élection ; si telle est l'opinion que M. le ministre de
l'intérieur proclame ; si c'est là l'exercice naturel des droits du clergé
comme citoyen, je confesse que celui-ci doit attribuer à un esprit d'hostilité
les représentations qu'on lui fait sur les dangers de cette conduite.
Les préjugés à l'égard de l'opposition ont été aussi injustes en cette
matière qu'ils l'ont été en matière gouvernementale. C'est ainsi qu'il paraît
être passé en usage, dans certaine opinion, de qualifier d'irréligieux celui
qui proteste contre la suprématie temporelle du clergé. Je parle ici du clergé
comme corps. Je puis vous mettre à même de faire raison de cet usage, en vous
citant un fait historique de nature à frapper vos esprits. Ce fait, le voici :
II existe, non en Europe, mais par delà les mers, dans l'Amérique
septentrionale, un petit Etat qui s'est donné une constitution, dont l'article
1er, titre VIII, est ainsi conçu :
« Comme les ministres de l'Evangile sont, par leur profession, dévoués à
Dieu et au soin des âmes, et qu'ils ne doivent être détournés des grands
devoirs de leurs fonctions ; en conséquence, aucun ministre de l'Evangile ou
prêtre d'une dénomination quelconque, ne sera éligible à l'une des chambres
législatives. »
On ne manquera pas de dire qu'une semblable disposition ne peut émaner que
d'un peuple égaré par l'esprit philosophique et irréligieux qui a pris le
prétexte du soin des âmes et des devoirs de la charité pour priver le ministre
de l'Evangile et le prêtre du plus éminent des droits politiques.
On eût élevé probablement les mêmes soupçons, en 1830, contre les
membres du congrès qui auraient proposé d'apporter la même restriction aux
droits du clergé belge. Eh bien, messieurs, le peuple dont je parle était, au
contraire, profondément religieux ; c'était le prix qu'il attachait au saint
ministère du clergé qui lui avait inspiré l'idée de le rendre inéligible aux
chambres législatives ; et l'article 2 du même titre VIII vous en fournit la
preuve.
En voici le texte : « Toute personne qui nie l’existence de Dieu ou
un état futur de peine et de récompense ne pourra occuper aucun office dans le
département civil de cet Etat. »
Vous le voyez, la piété la plus fervente peut concevoir et consacrer
comme nécessaire l'interdiction du domaine des affaires temporelles aux ministres
de la foi chrétienne.
Ce n'est donc pas, comme on le prétend, être ennemi de la religion et de
ses ministres, que de vouloir que ceux-ci exercent avec sagesse, en Belgique,
les droits qu'ils possèdent comme citoyens et ne compromettent pas le caractère
sacré du prêtre dans les luttes passionnées de l'élection et par des
empiétements sur le domaine civil.
Je vous ai cité cet exemple, je vous prie de le croire, sans aucune
pensée d'application quelconque dans notre pays ; nous n'avons pas à nous repentir
d'avoir donné la plénitude des droits politiques au clergé, si nous en jugeons
par les lumières et le patriotisme des honorables membres qui ont siégé depuis
1830 et qui siègent encore dans cette enceinte.
J'ai d'ailleurs professé trop hautement mon respect
pour nos institutions, ma résolution de les défendre dans leur véritable
esprit, telles qu'elles sont sorties des mains du congrès, pour jamais émettre
ici, par voie d'insinuation ou autrement, les opinions qui pourraient porter
atteinte aux principes de ces droits et de ces libertés, quelque étendus qu'ils
puissent être.
Messieurs, j'ai dit que je ne rentrerais pas dans la discussion
politique du projet ; je me borne à ces simples observations sur ce que m'a
opposé M. le ministre de l'intérieur ; je veux bien qu'il sache que ce n'est
pas en forme de réponse que je les produis en ce moment, parce que je ne prends
pas pour chose sérieuse les quelques paroles qu'il a laissées tomber sur un
sujet très grave et que je crois avoir traité d'assez haut ; mon discours reste
tout entier ; je le maintiens dans tous ses principes, et si un jour l'occasion
s'en présente, je me réserve de les appliquer aux faits ; et d'en faire, s'il
le faut, avec le gouvernement, une discussion plus approfondie.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, si quelque chose a lieu
de m'étonner, c'est le discours que vient de prononcer l'honorable (page 1076) membre. Lorsque j'ai dit qu'il
était naturel que l'honorable membre saisît la première occasion importante
pour nous parler de son passé, de son présent et en quelque sorte de son futur,
je n'ai été animé d'aucune intention malveillante. J'ai pensé que l'honorable
membre, ayant occupé une haute position politique et rentrant dans cette
chambre dont il était sorti depuis un grand nombre d'années, avait voulu saisir
l'occasion de nous parler de lui. Voilà le seul but de mon observation ; elle
n'avait pas d'autre portée.
Et que l'honorable membre ne pense pas que nous eussions médité à
l'avance quelque méchante attaque, dans la prévision du discours qu'il
viendrait prononcer dans cette enceinte ! Mon Dieu, non ; nous n'avons pas
l'habitude de nous préparer ainsi à la discussion ; notre seule préparation,
c'est de lire le projet de loi que nous avons soumis à la chambre ; nous
entendons ensuite la discussion ; et nous y prenons part selon la nature du
débat ; mais, je le déclare de nouveau, je n'ai pas préparé un mot, une phrase,
dans la prévision du discours que l'honorable membre pourrait prononcer dans
cette enceinte.
J'espère, messieurs, qu'après une déclaration aussi nette, aussi
franche, l'honorable membre regrettera lui-même d'avoir vu une personnalité
dans une phrase aussi simple, aussi naturelle que celle que j'ai prononcée.
Quand j'ai parlé du terrain personnel, je n'ai pas dit que l'honorable membre
était entré dans une voie de personnalités ; j'ai reconnu, m contraire, qu'il
n'y était pas entré. En parlant du terrain personnel, j'ai entendu le terrain
propre à l'honorable membre, j'ai dit qu'il voulait nous faire connaître sa
position.
M. Le Hon.
- Quelle position ?
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Votre position parlementaire,
votre position politique, quelle part vous aviez prise aux événements passés et
quelle part vous vous proposiez de prendre aux événements futurs. Je ne vois
rien qui puisse vous blesser dans cette observation.
Messieurs, l'honorable membre a cru que nous avions eu tort de relever
ce qu'il a dit des associations. Pour nous, nous persistons dans l'observation
que nous avons présenté- ; nous ne croyons pas qu'il n'y ait de danger que dans
les associations secrètes ; nous croyons que les associations publiques peuvent
être poussées à un tel point, que, dans des circonstances données, elles
amènent un danger pour l’Etat. Nous disons que l'histoire fournirait plus d'une
preuve d'associations publiques et de mandats impératifs qui ont été causes de
révolution.
M.
Castiau. - Que devient la Constitution ?
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - La Constitution consacre ce •qui
est. Mais malheur à ceux qui en abusent ! Sans doute la Constitution a consacré
de grandes, de belles libertés ; ce n'est pas nous qui les combattons, nous
avons pris part à leur consécration ; tout le monde sait qu'à côté du droit
existe quelquefois l'abus du droit.
L'honorable membre a encore traité la thèse favorite de l'influence du
clergé, il nous a rappelé la constitution de l'Amérique qui déclare les membres
de clergé inéligibles ; mais, à côté de cela, il a rappelé cette autre
disposition de la même constitution qui exclut des fonctions publiques les
personnes qui nient l'existence de la Divinité. Notre Constitution a été plus
large ; elle a proclamé la liberté la plus absolue des opinions ; mais aussi
elle a déclaré l'égalité des droits des citoyens. Ce système, je n'hésite pas à
le dire, obtient toute ma préférence.
Messieurs, nous avons soutenu que le
gouvernement restait pleinement dans sa marche indépendant vis-à-vis du clergé,
comme vis-à-vis de toute autre influence. Il ne nous convient pas d'entrer dans
l'examen de tel ou tel acte particulier de tel ou tel membre du clergé ; il ne
nous paraîtrait pas plus convenable d'entrer dans l'examen de tel ou tel acte
particulier posé par tel ou tel membre de telle autre corporation ; ce terrain,
je m'en suis toujours tenu éloigné, il nous suffît de proclamer les principes
qui dirigent le gouvernement, chacun restant responsable de ses actes.
M. de Brouckere. - Messieurs, dans un écrit qui a paru récemment et
qui avait la prétention d'esquisser la physionomie de cette chambre, je me suis
vu signalé comme étant, dans son sein, le représentant de l'ultra-modérantisme.
Etait-ce un éloge qu'on m'adressait ? Etait-ce un blâme qu'on me jetait à la
face ? Je l'ignore, et m'en inquiète fort peu.
J'accepte la qualification de représentant des opinions modérées ; je ne
rejette que l'adjonction du mot ultra, dont je reconnais être parfaitement
indigne.
C'est parce que je professe des opinions modérées, que j'ai mis aussi
peu d'empressement à prendre part au débat brûlant que quelques orateurs ont
soulevé ces jours derniers, et entre lesquels je signalerai l'honorable comte
de Mérode qui, du reste, est coutumier du fait.
Aussi, vous l'avez vu, je n'ai pas demandé la parole après le premier
discours prononcé par M. le ministre de l'intérieur, malgré les attaques
insidieuses qu'il y avait glissées contre les associations politiques et contre
ce qu'il a appelé les mandats impératifs.
Les associations politiques : il n'y a que trop longtemps que nous
savons ; que l'honorable M. de Theux et les plus exaltés de ses amis ne sont
partisans de l'article 20 de la Constitution, que parce qu'il autorise
l'établissement d'associations d'une certaine espèce. Mais si l'on a usé et
peut-être abusé de l'article 20, en ce qui regarde les associations qui
plaisent tant à l'honorable M. de Theux, il faut qu'il soit conséquent avec
lui-même et qu'il permette d'user de l'article 20 et d'en abuser, si on le
veut, pour les associations politiques. Je ne crains pas de dire à l'honorable
M. de Theux que, quoi qu'il fasse, il y aura des associations politiques en
Belgique ; si celles qui existent venaient à se dissoudre, demain il s'en
formerait de nouvelles, et l'honorable M. de Theux n'y gagnerait rien.
Il est bon de rappeler, d'ailleurs, à ceux qui en auraient perdu la
mémoire que la première association politique a été formée dans le pays par les
amis de l'honorable M. de Theux, que dans cette association figuraient un grand
nombre de fonctionnaires, et que l'honorable M. de Theux trouvait bon qu'ils y
fussent affiliés.
Eh bien, veuillez prendre note de ce que je vais vous dire ; si la
division qui s'est manifestée entre les adversaires politiques de l'honorable
M. de Theux venait à être plus sérieuse, l'association des amis de l'honorable
M. de Theux ne tarderait pas à reparaître, et les amis de l'honorable M. de
Theux, ne faisant qu'user de leur droit, auraient parfaitement raison.
Les mandats impératifs ! Quand l'honorable M. de Theux a lancé ce mot
dans l'arène parlementaire, il a, sans doute, pensé qu'il aurait quelque écho
en dehors de cette chambre ; car il sait, comme tout le monde, que pas un seul
membre de la chambre n'a reçu de mandat impératif.
Un mandat impératif suppose, dans celui qui le confère, le droit de
donner un ordre et les moyens de le faire exécuter, ou ce mandat n'est qu'une
absurdité. Je le répète, il n'y a eu de mandat impératif pour aucun membre de
cette chambre. Que s'est-il passé ? Quelques électeurs se sont réunis ; ils ont
exprimé quelles étaient leurs opinions sur certaines matières. Quand des
candidats se présentent, ces électeurs leur demandent : Partagez-vous nos
opinions sur ces matières ? Une explication s'échange entre les électeurs et
les candidats, et, d'après la nature de ces explications, les électeurs
décident s'ils acceptent ou s'ils refusent les candidats.
Mais, messieurs, pareille chose s'est faite de tout temps, dans tous les
pays et par tous les partis. Les amis de l'honorable M. de Theux ont agi de la
même façon, et je ne conseille pas à l'honorable M. de Theux de me lancer, à
cet égard, un défi ; car je pourrais lui démontrer que, non pas seulement des
amis, mais des amis intimes de l'honorable M. de Theux ont quelquefois demandé
à certains candidats des explications sur des points donnés ; explications
qu'ils étaient en droit de demander, qu'ils ont reçues de la part de ces
candidats. Il n'y a, dans tout cela, rien d'irrégulier, rien de reprochable,
et, je le répète, l'honorable M. de Theux n'a prononcé l'expression de mandat
impératif que dans une seule intention, celle de produire quelque effet au
dehors.
Je n'ai pas non plus demandé la parole pour répondre au discours
prononcé hier par l'honorable comte de Mérode, et cependant il renfermait, il
faut l'avouer, des reproches bien acerbes, des allusions bien méprisantes à
l'adresse de l'opinion à laquelle j'appartiens.
M. de Mérode. - Vous les prenez pour vous.
M. de Brouckere. - Je le répète, ce discours contenait des allusions méprisantes
pour nous, et il était dans l'intention manifeste de l'honorable comte de
Mérode, que nous les prissions pour nous. Mais nous sommes habitués aux
excentricités de l'honorable comte.
M. de Mérode. - Réfutez-les !
M. de Brouckere. - Réfutez-les, me dit l'honorable M. de Mérode en
m'interrompant. Eh bien, messieurs, je vais vous dire l'usage que l'on doit
faire, selon moi, du discours de l'honorable M. de Mérode. (Longue interruption) Il faut lui donner
une place immédiatement à la suite du discours qu'il a proféré il y a quelques
années, et dans lequel il comparaît si noblement la chambre à une cage qui ne
renfermerait que des aigles et des oisons. (Interruption.)
L'honorable comte fait parfois des discours, très spirituels peut-être, mais
des discours qu'on ne peut lire que comme on lit des feuilletons de journaux,
et auxquels on ne répond pas.
M. de Mérode. - Quelle pauvre réfutation !
M. de Brouckere. - M. le comte de Mérode est encore coutumier d'un
autre fait ; il a l'habitude d'interrompre les orateurs. Vous me dites
maintenant : Quelle pauvre réfutation ! Mais je ne puis, M. le comte, répondre
autrement à un aussi pauvre discours. (Interruption.)
Ce qui m'a déterminé à prendre la parole, c'est le discours prononcé
hier par M. le ministre de l'intérieur ; discours qui avait pour objet, d'abord
de démontrer l'inconstitutionnalité de la proposition formulée par l'honorable
M. Castiau ; et, en second lieu, de représenter les membres de l'opposition,
surtout de l'opposition modérée, qui seraient disposés à voter en faveur de la
proposition, à les représenter, dis-je, comme se constituant, par là, dans une
contradiction flagrante avec eux-mêmes.
La proposition de l'honorable M. Castiau est inconstitutionnelle, selon
M. le ministre de l'intérieur ; mais je crois que cette accusation
d'inconstitutionnalité ne sera guère accueillie dans cette chambre, pas même
par les membres de la majorité ; car cette accusation n'est pas soutenable ;
elle ne résiste pas au plus simple examen.
Que demande l'honorable M. Castiau ? Il demande qu'on fasse figurer sur
la liste des électeurs certaines capacités, moyennant qu'elles payent le
minimum du cens, fixé par la Constitution.
Ah ! si cette proposition avait pour objet de donner à ces capacités la
qualité d'électeur, sans qu'elles payassent aucun cens, certes la proposition
serait inconstitutionnelle, elle serait contraire à l'article 47 de notre pacte
fondamental. Mais résulte-t-il de cet article 47 que tous les électeurs, je ne
dis pas tous les électeurs du pays, mais que tous les électeurs d'un même
arrondissement électoral doivent payer le même cens ? Non certainement, et,
dans la pratique, il n'en est pas ainsi.
Prenons Bruxelles pour exemple. Pour être électeur à Bruxelles, il faut
payer 80 florins ; pour être électeur dans les faubourgs de Bruxelles, (page 1077) si je ne me trompe, il ne
faut payer que 30 florins. Ainsi le Belge qui demeure sur la place Royale de
Bruxelles, doit payer 80 florins pour être électeur, el le Belge qui demeure
dans ce qu'on appelle le Quartier-Léopold, quartier d'opulence, quartier de
luxe, quartier où habitent exclusivement des gens riches, ne doit payer que 30
florins pour être électeur ; et moyennant cette contribution, il a le même
droit électoral que le Belge demeurant dans un quartier quelconque de
Bruxelles.
Vous voyez donc, messieurs, que l'on peut être électeur dans un collège
donné, quoique payant moins que tel autre électeur. Eh bien, que demande
l'honorable M. Castiau ? Il demande que des hommes désignés par la loi comme
plus capables que la majorité des habitants, soient électeurs en ne justifiant
que du minimum du cens exigé par la Constitution, dans quelque lieu qu'ils
résident.
Loin qu'il y ait, dans une semblable proposition, une apparence
d'inconstitutionnalité, c'est sur le texte même de la Constitution que
l'honorable M. Castiau peut étayer sa proposition. Je le répète donc, cette
accusation d'inconstitutionnalité ne résiste pas au plus simple examen.
Maintenant, est-il plus juste de dire que les membres de l'opposition
qui voteraient en faveur de la proposition de l'honorable M. Castiau se
mettraient en contradiction avec leurs antécédents ? Mais pour qu'il en fût
ainsi, il faudrait que l'honorable M. de Theux, dont la mémoire est si bonne, à
ce qu'il croit, pût mettre sous nos yeux une phrase quelconque par laquelle
l'un de nous aurait exprimé la pensée que, à quelque époque que ce fût, en quelques
circonstances qui se présentassent, nous ne consentirions jamais à aucune
modification quelconque de la loi électorale.
Vous comprenez déjà, messieurs, que l'honorable M. de Theux aura
beaucoup de peine à justifier son assertion, parce que ce serait supposer que
nous ayons été absurdes. Non, nous ne nous sommes jaunis donné, messieurs, pour
des hommes immobiles, pour des hommes qui ne veulent d'amélioration d'aucune
espèce, pour des hommes qui veulent le statu quo quand même ? Mais à ce prix,
nous réclamerions pour nous le monopole du titre de conservateur que vous
voudriez accaparer cependant à notre exclusion. Oui, vous vous prétendez plus
conservateurs que nous, bien que je ne sache pas ce que vous avez en vue de
conserver plus que nous, excepté le cabinet, car je soutiens et je soutiendrai
toujours que les membres qui siègent sur les mêmes bancs que moi, sont d'aussi
bons conservateurs que vous, et de la royauté, et de la Constitution et de la
nationalité belge, et j'ajouterai qu'ils sont meilleurs conservateurs de la
dignité du pays ; je ne vous laisse donc le titre spécial de conservateurs que
sous un seul rapport, c'est à l'égard du cabinet actuel.
Je dis donc, messieurs, que si l'un de nous avait été assez imprudent
pour dire que dans aucun cas, que dans aucune circonstance, il ne consentirait
à une modification à la loi électorale, alors nous nous mettrions en
contradiction avec nous-mêmes en acceptant la proposition de l'honorable M.
Castiau. Mais il n'en est rien.
Il est sans doute, messieurs, des modifications à la loi électorale, que
quelques personnes dans le pays rêvent et que beaucoup d'entre nous
n'accepteraient pas. Il est des modifications qui constitueraient une véritable
révolution. Je me sers à dessein de ce mot. Hier l'honorable M. de Theux l'a
attribué à l'un de mes honorables amis. Il a reçu de sa part une dénégation.
M. Rogier. - Je la
renouvelle formellement ; j'ai revu le Moniteur.
M. de Brouckere. - L'honorable membre la renouvelle formellement, et
il a défié l'honorable M. de Theux de lui rappeler le discours dans lequel il
se serait servi de cette expression. L'honorable M. de Theux a dit : Eh bien !
si je reconnais mon erreur, je viendrai l'avouer. Mais il est très probable
qu'il ne la reconnaîtra jamais ; par conséquent il n'aura pas à l'avouer. Mais
enfin, si l'honorable M. de Theux aime les reproches de cette nature, je
m'offre à ses coups. Il peut dire que j'ai déclaré que certaines modifications
à la loi électorale seraient considérées par moi comme constituant une
révolution.
Messieurs, il peut y avoir parmi nous divergence d'opinion sur la
nécessité et sur l'opportunité de modifier la loi électorale. Nous pouvons ne
pas être d'accord sur la nature des modifications dont cette loi est
susceptible. Mais, je le répète, aucun de nous n'a jamais déclaré d'une manière
formelle qu'il se refuserait à tout jamais à une modification quelconque.
Je dois ajouter que la loi électorale n'est pas l'arche sainte à
laquelle il soit défendu de toucher. S'il en était autrement, si la loi
électorale était véritablement l'arche sainte, savez-vous qui serait, en
Belgique, le premier, le plus grand profanateur ? Eh bien, ce serait
l'honorable M. de Theux. C'est l'honorable M. de Theux qui est l'auteur de la
proposition, convertie en loi, par suite de laquelle on a modifié, modifié dans
sa base, bouleversé, je pourrais dire, le système électoral en ce qui concerne
la commune.
J'ai la conviction que l'on ne me démentira pas, lorsque j'avance que
l'amendement proposé par l'honorable M. Castiau sera une modification à la loi
électorale d'une bien moindre importance que celle qui a été proposée dans le
temps par M. de Theux, et adoptée, malgré notre opposition, par la majorité de
celle chambre.
Vous voyez donc, messieurs, que l’on
n'a pas à rougir de vouloir, dans certains cas, modifier la loi électorale, et
l'amendement proposé par l'honorable M. Castiau ne la modifiera pas d'une
manière tellement sensible qu'elle puisse effrayer qui que ce soit. Quant à
moi, messieurs, si je le repoussais, je m'exposerais, me semble-t-il, au
reproche de redouter que l'intelligence et les capacités prennent une trop
large part dans la direction des affaires de notre pays, et je vous avoue
franchement que jusqu'ici ce n'est pas, à mon avis, ce qu'on peut nous
reprocher.
Je borne là ce que j'avais à dire quant à l'amendement de l'honorable M.
Castiau, parce que j'appuie l'opinion émise par l'honorable SI. Delfosse, qu'il
y a lieu à distraire cet amendement du projet de loi qui nous occupe et à le
renvoyer aux sections pour être soumise à un examen préparatoire. Si cette
proposition n'est pas faite d'une manière formelle, je déclare la faire mienne.
M. Dumortier, rapporteur. - Messieurs,
au point où en sont arrivés les débats, il est du devoir du rapporteur de venir
les résumer et défendre les propositions de la section centrale. C'est,
messieurs, ce que je tâcherai de faire le moins mal qu'il me sera possible.
Trois objections principales ont été présentées au projet en discussion
: la première repose sur le principe de la répartition. Elle a été d'abord
soulevée par l'honorable SI. Lebeau, qui a déposé un amendement à cet égard.
La seconde est présentée par l'honorable M. Castiau, qui a un scrupule
constitutionnel sur la question de savoir si l'on peut limiter à deux ans le
mandat des deux députés nouvellement élus pour les séries qui doivent sortir
dans deux ans.
La troisième a été présentée par l'honorable comte Le Hon, qui a vu avec
regret que l'on n'avait pas mentionné dans les considérants de la loi les
articles 49 et 54 de la Constitution.
Voilà, messieurs, autant que j'ai pu les saisir, les seules objections
qui aient été présentées au projet en lui-même.
Mais à l'occasion du projet de loi, on vous a présenté diverses
propositions, divers systèmes.
L'honorable M. Castiau a soutenu que l'examen de la question électorale
aurait dû précéder celui de la question parlementaire. Il vous a présenté des
observations dans ce sens, ainsi qu'un amendement que nous aurons à examiner.
Je m'occuperai d'abord, messieurs, des trois objections relatives au
projet en discussion.
Je suis d'accord avec mon honorable collègue, M. Le Hon, qu'il y a une
petite lacune à combler, et qu'il est désirable qu'en tête du projet de loi un
considérant vienne rappeler les articles de la Constitution auxquels la loi
actuelle se rapporte. J'en ai parlé à quelques-uns de mes collègues, et je
pense qu'une semblable disposition ne soulèvera pas d'objection de la part de
la section centrale. Il y aurait donc lieu d'ajouter en tête du projet un
premier considérant ainsi conçu : « Vu les articles 49 et 54 de la
Constitution. » Il est juste, je le répète, que les articles de la Constitution
qui sont en rapport avec le projet de loi soient relatés en tête de la loi.
Quant à la question de constitutionnalité soulevée par mon honorable
collègue M. Castiau, je crois qu'il a été répondu par mon honorable ami M.
Dubus, d'une manière très satisfaisante aux explications qu'il nous avait
présentées à cet égard. L'article 51 de la Constitution porte en termes exprès
que le mandat de député est de quatre années, mais le même article admet aussi
dans son texte la sortie par séries qui restreint de moitié le mandat de la
série qui sort la première. Dès lors il va de soi que les députés qui
appartiennent à cette série ne doivent conserver leur mandat que pour le terme
fixé par la Constitution. Je pense donc que le scrupule soulevé par mon
honorable collègue n'est point fondé et qu'il a été suffisamment démontré que
nous pouvons admettre le projet de loi sans sortir de la Constitution.
La question la plus délicate est celle qui a été soulevée d'abord par
l'honorable M. Lebeau, relativement au principe de la répartition. C'est sur
cette question qu'a roulé en grande partie la discussion, du moins quant à sa
portée pratique, quant à ce qui se rapporte directement au projet de loi.
L'honorable M. Lebeau a soutenu que la loi du congrès, dont nous nous
bornons en ce moment à faire une espèce de révision, était basée sur un système
complètement différent de celui du projet qui nous est soumis ; que le système
de la loi du congrès était d'attribuer le représentant excédant dans chaque
province, au district présentant la fraction la plus élevée. Diverses réponses
ont été faites à cette observation. Je ne reviendrai pas sur ce que vous a dit,
messieurs, mon honorable ami M. Dubus, sur tout ce que nous a dit encore tout à
l'heure mon honorable collègue et ami M. Eloy de Burdinne. Je crois que les
faits et les chiffres qu'ils ont présentés démontrent à la dernière évidence
que l'honorable M. Lebeau a erré dans la supposition qui formait la base de
toute son argumentation.
D'un autre côté, l'honorable M. Dedecker, posant la question sur un
terrain plus élevé, a fait remarquer, avec beaucoup de raison, que le système
des alternats, ceux de la compensation el du concours étaient tous trois des
modifications d'un système d'équilibre admis dans l'intérêt de l'équité qui
doit présider à toute répartition de ce genre. Cette observation est, à mon
avis, victorieuse, et j'ajouterai, avec l'honorable M. Dedecker, que puisqu'on
supprime aujourd'hui les alternais et presque toujours le concours, il importe
d'introduire, s'il est nécessaire, sur une base plus large encore, le principe
de la compensation, qui est le seul principe d'équité en présence duquel nous
puissions nous trouver aujourd'hui.
Si maintenant, messieurs, j'envisage les faits de détail, deux luttes
sont (page 1078) engagées, l'une
entre le district de Verriers et celui de Liège, l'autre entre le district
d'Alost et celui de Termonde.
L'arrondissement de Liège désire obtenir le représentant que le projet
de loi attribue au district de Verriers ; l'arrondissement d'Alost désire
obtenir le représentant que le projet de loi attribue à celui de Termonde, et
les honorables membres qui font valoir ces réclamations s'appuient sur ce qu'il
existe en faveur de leur district un très léger excédant de population sur le
district rival ; mais, messieurs, accorder à ce léger excédant de population et
un sénateur et un député, ce serait réellement donner à un district deux
bénéfices cumulés aux dépens du district rival ; ce serait là une chose
absolument contraire à la première base de la justice distributive et
diamétralement opposée à ce qu'a fait le congrès national en 1831.
En effet, comme la section centrale l'a fait observer, le congrès a
procédé en 1831 comme procède le projet de loi ; il a procédé par compensation
spécialement pour les districts d'Huy et de Liège et pour les districts de
Bruges et de Courtray.
Mais que viennent dire les honorables députés d'Alost ? Ces honorables
membres disent : « S'il n'est pas possible de nous donner un représentant et un
sénateur, donnez-nous le représentant et attribuez le sénateur à
l'arrondissement de Termonde. »
Je crois, messieurs, que ce système n'est point acceptable et
j'ajouterai qu'il en résulterait un préjudice réel pour le district d'Alost.
D'abord le système n'est point acceptable, parce que le mandat du sénateur
d'Alost ne doit pas être renouvelé, et que dès lors Alost cumulerait
momentanément tous les avantages delà situation.
D'un autre côté, il faut remarquer, messieurs, que l'excédant que
présente chaque district, appelle bien plus, en faveur d'Alost et de Liège, un
sénateur, qu'il n'appelle un représentant. Qu'est-ce que la Constitution exige
? La Constitution veut qu'il y ait un représentant par 40,000 habitants et un
sénateur par 80,000 habitants. Or le district d'Alost, par exemple, n'a qu'un
excédant de 18,000 habitants pour le représentant, mais il a un excédant de
38,000 habitants pour le sénateur, tandis que le district de Termonde n'a qu'un
excédant de 16,000 habitants et pour le représentant et pour le sénateur. Si
donc vous appliquiez la loi dans le sens des honorables députés d'Alost, vous
arriveriez à cette conséquence que le district de Termonde élirait un sénateur
pour 16,000 habitants tandis que le district d'Alost n'en élirait pas pour
58,000 habitants. (Interruption.)
Certainement il n'en résulte pas un droit rigoureux, mais il faut
convenir que, d'après le principe constitutionnel, il est bien plus raisonnable
de donner le sénateur à la localité qui a un excédant de population de 58,000
habitants que de le donner à celle dont l'excédant de population n'est que de
16,000 habitants.
Il est, d'ailleurs, une autre observation qui n'a pas été présentée, et
qui ne me paraît point sans valeur. On a soutenu qu'il était plus avantageux à
une localité d'avoir un représentant de plus qu'un sénateur ; je crois que
c'est une grave erreur. Je ne veux point examiner la question sous le point de
vue de la supériorité de l'une ou de l'autre chambre ; évidemment les deux
chambres ont les mêmes droits ; le sénat n'a point, à la vérité, l'initiative
en matière d'impôt, mais le sénat peut amender ce que la chambre des
représentants a fait. Les deux chambres ont donc les mêmes pouvoirs, mais voici
sous quel rapport il me semble qu'une localité a plus d'avantage à nommer un
sénateur de plus qu'à nommer un représentant de plus, c'est qu'un représentant
n'est que le cent huitième de la chambre, tandis qu'un sénateur est le
cinquante-quatrième du sénat. La différence est donc tout à fait en faveur du
sénateur, de manière que loin de nuire au district de Liège en faveur de celui
de Verviers, et au district d'Alost en faveur de celui de Termonde, je dis
qu'on donne la chose la plus favorable aux districts d'Alost et de Liège,
lorsqu'on leur accorde à chacun un sénateur.
Encore une fois, ne jugeons pas cette question au point de vue de nos
habitudes parlementaires ; prenons-la de plus haut et convenons qu'envoyer une
personne dans une assemblée de 54 membres a bien plus d'importance que d'en
envoyer une dans une assemblée de 108 membres.
D'après les considérations que je viens d'avoir l'honneur d'exposer, je
pense que la chambre doit accueillir les propositions qui ont été faites par le
gouvernement, et dont la section centrale vous propose l'adoption.
Messieurs, il me reste à examiner en peu de mots les observations qui
ont été présentées à l'occasion du projet de loi en discussion.
Mon intention n'est nullement d'entrer dans la discussion politique qui
s'est plusieurs fois fourvoyée, et qui n'a déjà été que trop longue pour
l'assemblée et pour le pays. Mais j'aurai cependant à toucher en passant à
quelques-unes des questions qui ont été agitées ; car j'aurai à rencontrer,
comme rapporteur, l'amendement qui a été proposé par l'honorable M. Castiau, et
trois autres honorables membres, amendement dont la portée serait de modifier
considérablement la loi en délibération.
L'honorable M. Castiau est parti de ce principe que, suivant lui, une
réforme électorale doit précéder une réforme parlementaire.
Je dois dire que, dans cette position, l’honorable membre me paraît
infiniment plus logique que ceux qui ont soutenu l'opinion qu'il fallait
ajourner l'amendement et le renvoyer à un examen ultérieur.
Il est incontestable en effet que lorsqu'on révise le tableau des
membres de la chambre des représentants, ceux qui ont des observations et des
propositions à faire sur le tableau des électeurs, doivent les présenter ; que
ces questions doivent avoir la priorité sur celles qui concernent
l'organisation de l'assemblée. Avant de régler l'organisation de l'assemblée,
il faut constituer le corps qui doit nommer l'assemblée. Sous ce rapport, je le
répète, l'honorable M Castiau est bien plus logique que ceux de ses amis
politiques qui ne partagent pas son opinion, et surtout que l'honorable M.
Delfosse qui a demandé l'ajournement de l'amendement.
M. Delfosse. - Je n'ai pas fait de proposition d'ajournement ;
j'ai seulement soumis à mon honorable ami M. Castiau quelques observations qui auraient
dû, à mon avis, l'engager à remettre sa proposition à la session prochaine.
M. Dumortier. - J'ai relu avec beaucoup de soin le Moniteur, et il
m'est resté de cette lecture la conviction que l'honorable membre désirait cet
ajournement. Du reste, je prie l'honorable M. Delfosse de ne pas m'interrompre,
je ne l'ai pas interrompu. Ne faisons pas de colloques qui sont interdits par
le règlement.
Je répète donc que l'honorable M. Castiau était plus logique que
l'honorable M. Delfosse.
M. Delfosse. - Je ne vous reconnais pas pour juge en matière de
logique,
M. Dumortier. - Si la logique a quelque chose de commun avec mon
honorable interrupteur, ce n'est pas en cette circonstance ; je vous le répète,
M. Castiau a été plus logique que vous.
Mon honorable ami, M. Castiau, qui a présenté les observations
auxquelles je réponds en ce moments, a successivement examiné trois questions
qui se rattachent à la réforme électorale. La première, c’est la question de
savoir s’il n’est pas préférable d’introduire dans le pays des élections
provinciales ou même des élections de l'Etat. La seconde se rapporte au cens
électoral des campagnes. La troisième concerne les capacités ; et c'est cette
dernière question qui fait l'objet de l'amendement de l'honorable membre.
.Mon honorable collègue et ami trouve que la chambre n'est pas assez
jeune, et probablement pour la rajeunir, il demande que le système électoral
qui nous régit soit modifié, et qu'au lieu d'avoir un système d'élections par
districts, nous ayons des élections provinciales ; il désirerait même, si la
Constitution le permettait, qu'on pût avoir des élections générales.
Je pense, messieurs, que c'est se mettre singulièrement en opposition
avec le principe ; car il est certain que si l'on veut avoir une chambre jeune,
introduire la jeunesse dans la chambre des députés, il importe beaucoup de ne
pas restreindre le cercle électoral ; plus le cercle électoral sera étendu,
plus il faudra nécessairement être connu pour pouvoir obtenir accès dans cette
chambre, et par conséquent, plus la jeunesse sera écartée de cette assemblée.
Le meilleur moyen d'avoir une chambre de vieillards, d'amener bientôt la
chambre à la décrépitude, c'est de faire des élections provinciales. Non,
messieurs, je me trompe, il y a un moyen plus direct encore, c'est de faire des
élections générales. Ainsi, le système de l'honorable membre irait directement
à l'encontre du but qu'il se propose : la chambre ne serait plus accessible
qu'à des hommes connus de longue main et par le pays tout entier, et dès lors
les jeunes gens seraient forcément exclus.
Ce système, d'ailleurs, n'est pas nouveau ; et pour mon compte, je
n'irai pas, dans le pays auquel il a été emprunté, chercher des exemples de
liberté ni de libéralisme.
Ce pays, c'est l'Espagne. Messieurs, vous savez qu'en Espagne les
élections se font par province ; vous savez aussi de quels éléments se compose
chaque province de l'Espagne. Qu'est-il arrivé de l'application de ce système
éminemment vicieux ? C'est qu'on a dû recourir à chaque instant à des
dissolutions ; et l'on a mis chaque jour l'Espagne à deux doigts de sa perte,
par les réactions qu'amènent toujours des dissolutions prononcées sans motifs.
Mon honorable collègue et ami M. Eloy de Burdinne envisage cette
question à un point de vue différent. Suivant lui, ce ne sont pas des élections
générales ou provinciales qu'il faudrait faire, ce sont des élections par
district, représentant chacun un sénateur, ou 80,000 habitants ; de telle
manière que chaque district élirait en même temps deux députes et un sénateur.
Eh bien, je dois dire qu'à mon avis, ce système serait bien plus propre
à créer une chambre jeune que celui de l'honorable M. Castiau ; et quelle que
soit l'horreur de cet honorable membre pour le fractionnement, il doit
reconnaître avec moi que ce serait le seul moyen d'introduire la jeunesse dans
la chambre ; car un homme de mérite et de talent, mais dont le nom n'est pas
encore universellement connu dans le pays, pourra bien se faire nommer député
dans un district ainsi constitué, tandis qu'il ne parviendra jamais peut-être à
se faire élire dans une province, et moins encore dans le royaume tout entier.
Du reste, la chambre n'est saisie d'un projet de loi ni pour l'un ni
pour l'autre de ces deux systèmes, et j'ai dû me borner à les rencontrer, en
exécution du mandat que j'ai reçu de la section centrale.
D'ailleurs, il est une observation qu'il ne faut pas perdre de vue :
c'est que les articles 47 et 48 de la Constitution ne permettraient en aucun
cas le système de l'honorable M. Castiau ; et la preuve en est simple : la
Constitution (article 48) porte en termes exprès que « les élections se font
par telles divisions de province et dans tels lieux que la loi détermine. »
Cette disposition interdit d'une manière absolue l'élection provinciale
; mais en revanche, elle permet indéfiniment le fractionnement de la province,
de manière que le système présenté par l'honorable M. Castiau serait éminemment
inconstitutionnel.
Vient maintenant la deuxième observation, c'est celle relative au cens
électoral. L'honorable membre a trouvé que le cens des campagnes était un
privilège, il a déclaré qu'il proposerait d'abaisser le cens des villes au (page 1079) privilège, aucune
distinction d'ordre entre les citoyens ; et vous voudriez déclarer aujourd'hui
que les médecins et les avocats constituent un niveau de celui des campagnes,
s'il trouvait six membres pour appuyer sa proposition.
Repense que les tableaux annexés au projet de la section centrale
démontrent que les campagnes, au lieu d'être dotées d'un privilège, sont
fortement lésées par la loi électorale qui vous est soumise.
En effet, dans les villes à cens différentiel la statistique électorale
donne un électeur par 71 habitants, et dans les villes à cens rural un électeur
par 51 habitants ; tandis que dans les campagnes il n'y a qu'un électeur par
109 habitants. Cela prouve que les campagnes ne sont pas représentées en raison
de leur population.
M. Le Hon.
- Et le cens ?
M. Dumortier. - Je rappellerai à l'honorable membre qu'alors qu'il
a fait un si bel éloge de la population prise comme base du nombre des représentants,
il ne peut pas la repousser quand il s'agit de la base du nombre des électeurs.
Mais, dit l'honorable membre, que faites-vous du cens des campagnes ?
Cette question de la différence du cens des villes el de celui des
campagnes ayant été touchée, comme elle est très grave, je demande la
permission de l'examiner. Le Congrès a établi dans la loi électorale un cens
différentiel pour les villes et pour les campagnes ; pourquoi a-t-il agi de la
sorte ? Je ne sais si on s'est bien rendu compte des motifs au Congrès, on a
suivi ce qui avait été fait par le gouvernement provisoire. Pourquoi a-t-on
demandé un cens moindre aux campagnes ? C'est que par une fiction de la loi,
l'impôt foncier payé par le fermier compte au propriétaire, tandis que l'impôt
des portes et fenêtres compte au locataire ; or, les portes et fenêtres de
l'habitant des villes sont ses moyens de fortune, comme l'impôt foncier payé
par le cultivateur est le moyen de fortune de l'habitant des campagnes.
Il y a dans la loi une fiction qui est en défaveur des campagnes. Il
fallait, si on voulait le cens uniforme, attribuer au fermier l'impôt foncier
qu'il paye en réalité, comme on attribue au locataire l'impôt des portes et
fenêtres. Si vous écartez du cens électoral du fermier l'impôt foncier qu'il
paye à la décharge du propriétaire, il fallait également écarter de la cote du
locataire des villes l'impôt des portes et fenêtres qu'il paye à la décharge du
propriétaire. Ce système d'attribuer l'impôt des portes et fenêtres au
locataire et de lui refuser l'impôt foncier n'est, je le répète, qu'une fiction
de la loi ; il y a là deux bases qui se combattent l'une l’autre.
Voilà pourquoi on a établi le cens différentiel, un cens moindre pour
les campagnes que pour les villes ; parce que dans les campagnes, il y a peu de
patentes, le cultivateur a peu de portes et de fenêtres. Jamais vous n'auriez
d'électeurs parmi les locataires des campagnes s'il n'y avait pas de différence
dans le cens. Maintenant, le système qui nous régit est-il avantageux aux
campagnes ? Le tableau dont je viens de parler démontre à l'évidence que non,
et qu'au contraire, dans l'état actuel les campagnes loin d'avoir un privilège
sont, au contraire, écrasées par les villes. Ce tableau est formé sur le modèle
de celui présenté par M. Rogier en 1833. L'honorable M. Rogier, alors ministre
de l'intérieur, présenta à la chambre un tableau de la répartition des
électeurs dans les villes et dans les campagnes en forme de statistique
électorale.
Ce tableau indiquait les moyens pour chaque district. Celui annexé au
rapport de la section centrale est établi sur les mêmes bases, il sera curieux
de voir la différence de ces tableaux et d'apprécier ce qui s'est passé dans
cet intervalle de 14 années de 1833 à 1847.
En 1833, il y avait en Belgique, 47 mille électeurs pour les chambres ;
maintenant il n'y en a plus que 45 mille. Réduction deux mille. Il ferait
difficile d'apprécier si cette diminution est due à une cause quelconque,
lorsqu'on réfléchit qu'à cette époque la Belgique possédait les parties cédées
du Limbourg et du Luxembourg qui devaient donner deux mille électeurs.
Ainsi le nombre est resté à peu près le même aujourd'hui, qu'en 1833.
Mais la différence est grande si on considère ce que les villes d'un côté et
les campagnes de l'autre fournissaient au poll électoral. Les villes réunies
fournissaient en 1833 un électeur sur 65 habitants ; elles en fournissent
aujourd'hui un sur 68 ; la différence est à peine sensible. Mais les communes
rurales, les campagnes fournissaient un électeur sur 94 habitants, tandis
qu'aujourd'hui elles n'en fournissent qu'un sur 109. D'où provient cette énorme
réduction ? Elle provient de deux causes : premièrement la division des
propriétés rurales dans les campagnes qui entraîne la diminution du nombre des
électeurs ; tandis que d'un autre côté dans les villes le nombre des maisons
augmente et avec elles le nombre des électeurs augmente également.
Voilà ce qui doit constituer la cause de l'énorme différence que
présentent les derniers tableaux avec ceux qui vous ont été soumis en 1833 par
l'honorable M. Rogier. J'engage les membres de la chambre à comparer ces deux
tableaux ; ils y trouveront des enseignements considérables et très
instructifs.
L'honorable M. de Brouckere a objecté ce qui se passe à Bruxelles et
dans les faubourgs. Il vous a dit : A Bruxelles, il faut payer 80 florins pour
être électeur, et dans les faubourgs, il suffit de payer 30 florins Cependant
les faubourgs représentent presque toujours la partie la plus populeuse, la
plus riche.
M. de Brouckere. - Quelquefois.
M. Dumortier. - Presque toujours. Ne disputons pas pour un mot.
Plusieurs faubourgs représentent des populations plus riches que celles de la
capitale.
Il y a une énorme anomalie dans les faits signalés par l'honorable
membre. Le faubourg de Saint-Josse-ten-Noode, par exemple, qui a 14 mille
habitants, compte près de 500 électeurs ; c'est tout autant que tel district
qui a 40 à 50 mille habitants ; il en est de même des autres faubourgs.
Qu'est-ce que cela prouve ? Qu'il y a un vice qu'il importe de faire cesser,
une inégalité, un privilège accordé aux faubourgs. Nous verrions volontiers si
ceux qui prennent la qualification de libéral, d'ennemi du privilège,
voudraient défendre un privilège semblable.
Un membre. - Abaissez le cens des villes.
M. Dumortier. - On nous dit : Abaissez le cens des villes. Je le
veux bien ; mais mettez les campagnes dans la même position, donnez-leur des
conditions égales. Mais vous ne le voudriez pas. Lorsque vous dites d'abaisser
le cens des villes, vous voulez faire opprimer les campagnes par les villes.
Abaissez le cens des villes ! mais commencez par donner aux campagnes une
représentation proportionnelle égale à celle des villes et alors votre
proposition sera parfaitement juste. Mais une pareille proposition, vous ne la
présenterez pas ; non parce qu'elle ne serait pas juste, mais parce qu'elle
serait contraire à vos intérêts.
Notre honorable collègue M. le comte Le Hon, rencontrant aussi
l'observation qui naissait de l'examen de la question dont je m'occupe, a
prétendu que les intérêts des campagnes étaient mieux représentés que ceux des
villes.
Les villes, a-t-il dit, ont 1,574 électeurs et 28 députés ; taudis que
les campagnes, qui ont 29,872 électeurs, ont 80 députes.
Je dois le dire tout d'abord, j'ai vainement cherché à me rendre compte
de ce calcul. Jamais je n'ai pu découvrir où étaient, dans cette chambrer les
députés des campagnes et ceux des villes ; je crois que si l'on examine
sérieusement combien la chambre renferme de députés, on verra qu'il n'y a que
six ou huit membres au plus appartenant aux campagnes ; et voilà comment les
campagnes sont représentées dans cette chambre !
M. Le Hon.
- J'ai pris la population des électeurs des campagnes et celle des électeurs
des villes et j'ai cherché quel était le rapport entre le chiffre des électeurs
et celui des députés. Il n'est nullement entré dans mes intentions de classer
les membres de cette chambre ; je n'ai parlé que des électeurs.
M. Dumortier. - Soit, mon observation n'en reste pas moins debout ;
et j'en tirerai la conséquence que, d'après les calculs de l'honorable comte Le
Hon, les campagnes auraient droit à 80 députés, tandis qu'elles n'en ont que 6
à 8 ; et que les villes, qui ont droit à 28 députés, en ont 90. (Interruption.) Voilà, messieurs, la
conséquence logique des calculs de l'honorable membre. Et maintenant qu'on
vienne nous dire que les campagnes oppriment les villes ! Quoi ! les campagnes
auraient droit à 80 députés et elles n'en ont que 4, c'est-à-dire 76 de moins
que le nombre auquel elles auraient droit ; tandis que les villes obtiennent 90
députés sur 94, alors qu'elles n'auraient droit à en avoir que 28 ; et l'on
prétendra que les campagnes oppriment les villes ! Il est donc démontré, d'une
manière bien évidente, qu'en réalité les campagnes ne sont pas représentées
dans cette chambre, et que si quelqu'un avait le droit de se plaindre ce ne
seraient certes pas les villes, mais manifestement les campagnes.
Je ne fais, du reste, aucune proposition ; je ne demande aucune
modification à la loi ; mais, je le déclare, si une proposition était faite
dans le sens d'améliorer la situation actuelle des campagnes, elle serait
justifiée par la condition respective des villes et des campagnes.
Une troisième observation est relative aux capacités. Mon honorable
collègue a présenté un amendement qui est à peu près la reproduction du
paragraphe premier de l’article premier des résolutions du congrès libéral. En
d'autres termes, c'est précisément le même système ; et je sais gré à
l'honorable membre d'avoir franchement arboré son système dans cette enceinte.
Lui, du moins, nous dit : Je présente franchement cette pensée et je la soumets
à vos délibérations. Il y a, dans cette conduite, une véritable franchise ; je
dirai plus, il faut avoir du courage pour agir de cette manière.
On a beaucoup parlé des associations. Mon intention n'est pas du tout
d'examiner si les associations sont une bonne ou une mauvaise chose ; elles
sont constitutionnelles ; et je m'en tiens là. Je les considérerais comme de
mauvaises institutions, si elles donnaient aux candidats de leurs choix des mandats
impératifs ; mais l'examen de la proposition faite d'une manière si résolue, si
déterminée, doit prouver à plusieurs personnes si l'on arrive dans cette
enceinte avec ou sans mandat impératif. C'est sous ce rapport surtout que je
désire vivement de voir discuter la proposition dont je viens de parler.
Lorsque je lis cette proposition je ne puis y voir qu'une seule chose,
une chose qui est bien loin de la pensée de mon honorable collègue, sans doute,
au point de vue du principe d'égalité qu'il a toujours soutenu, mais dont il se
rend malheureusement ici l'organe : c'est qu'elle constitue un privilège et
rien qu'un privilège. C'est un privilège qu'on demande en faveur d'une certaine
catégorie de personnes. Et quelle est cette catégorie ? Ce sont les médecins,
les avocats, les personnes qui ont obtenu des diplômes pour exercer le monopole
en justice ou pour pratiquer avec monopole l'art de la médecine.
Certes, messieurs, loin de moi la pensée de révoquer en doute la science
de ces personnes ; mais je dis que les placer dans une position exceptionnelle
et plus avantagée que celle des autres citoyens, habitant les mêmes localités
qu'elles, c'est constituer un véritable privilège, privilège contre lequel
protesté la Constitution toute entière ; car toute la Constitution n'est qu'une
protestation contre toute espèce de privilège. La Constitution, en effet, a
déclaré qu'il n'y aurait aucun (page 1080) ordre dans
l'Etat, ont un privilège sur d'autres citoyens ! Je dis, messieurs, qu'une telle
proposition est formellement repoussée par la Constitution ; et si vous
consultiez les discussions auxquelles elle a donné lieu, et notamment l'article
que nous avons maintenant à examiner, vous verriez que le pouvoir constituant a
repoussé la proposition faite alors, par un honorable membre qui siége encore
dans cette enceinte, M. l'abbé de Foere, d'admettre les capacités, comme ayant
un droit de privilège sur les autres citoyens. Et savez-vous, messieurs, qui
s'est élevé contre cette proposition ? Tout le parti libéral du congrès.
On a compris que ce serait constituer un privilège ; on n'en a pas voulu
; et l’on a eu parfaitement raison. Et maintenant, on vient nous présenter sous
une forme nouvelle ce que le congrès a formellement repoussé lorsqu'il a rédigé
la Constitution !
Dans la séance du 6 janvier 1831, l'honorable M. Defacqz, après avoir
combattu le vote universel, réclamait vivement la fixation du cens par la
Constitution : il ne voulait autre chose que le cens, dans la Constitution,
parce que, suivant lui, c'était la seule garantie commune à tous les citoyens
et il ajoutait : « J'ai établi, disait-il, par mon amendement, un maximum et un
minimum, pour que la loi électorale ait la latitude nécessaire afin de fixer le
cens d'après les localités. »
C'est cet amendement qui a été adopté et qui forme l'article de la
Constitution. Ainsi cet article de la Constitution, interprété par son
honorable auteur, n'avait qu'un but : celui d'établir un cens qui ne pouvait
varier que d'après les localités et non d'après les qualités. Cela prouve
encore qu'à cette époque, le congrès, mu par ce sentiment.de justice et de vrai
libéralisme qui a dirigé tous ses actes, n'entendait pas qu’il y eût un cens
uniforme pour toute la Belgique, mais qu'il voulait qu'il y eût un cens
différent dans les villes et dans les campagnes.
Messieurs, voulez-vous introduire les capacités dans le corps électoral
? Vous en avez un moyen bien simple. Modifiez votre loi des patentes ; mettez
une patente sur les avocats ; fixez cette patente à un chiffre assez élevé pour
qu'elle atteigne celui du cens électoral dans la localité où siège l'avocat, et
voilà tous les avocats qui vont devenir électeurs sans violer la Constitution.
Pour moi, messieurs, je ne conçois pas pourquoi MM. les avocats jouissent
déjà d'un privilège dans nos lois d'impôts. Il est vrai que je n'ai pas
l'honneur d'appartenir à ce corps, que je respecte beaucoup. Mais si j'en
faisais partie, je serais le premier à venir demander la suppression de ce
privilège, parce que j'ai horreur des privilèges dans un pays de liberté comme
le nôtre.
Comment ! messieurs, les médecins payent une patente, et les avocats
n'en payent pas : c'est là un privilège injuste dans notre régime d'égalité
actuel. Si vous voulez rendre électeurs les avocats, même les plus jeunes,
faites-leur payer une patente égale au cens électoral de la localité dans
laquelle ils professent. Vous les aurez tous électeurs d'emblée et vous ferez
un acte parfaitement constitutionnel. (Interruption.)
Un honorable collègue ajoute : Et très avantageux pour le trésor. Je
trouve que c'est encore très vrai.
Mais qu'est-ce donc d'ailleurs, messieurs, que les capacités ? Quant à
moi, je ne connais rien de plus impondérable que les capacités. Il est vrai que
la maxime saint-simonienne, maxime très belle, mais dans son application
quelque peu difficile, disait : A chacun suivant ses capacités ; à chaque
capacité suivant ses œuvres. Mais dans l'application quand on arrive à peser
les capacités, je vous le demande, messieurs, où est la balance sur laquelle
vous mettrez les intelligences pour apprécier leur supériorité et leurs
capacités ?
Comment ! est-ce qu'un bon négociant, est-ce qu'un honorable industriel,
est-ce qu'un grand fabricant a moins de capacités qu'un avocat ? Messieurs, je
vous le déclare, je suis profondément convaincu dans mon âme et conscience, que
le célèbre Cockerill avait tout autant de capacités que beaucoup d'avocats sans
cause. Et je ne conçois pas comment il peut se faire qu'on voudrait accorder à
l'un un privilège pour sa capacité, et qu'on refuse la capacité à ces hommes
d'un immense génie, qui créent de grandes forces et donnent à vivre à des
masses considérables de population !
Dans ma manière de voir, messieurs, il y a de la capacité partout, dès
qu'il y a de l'intelligence. Mais l'intelligence n'est pas pondérable ; dès
lors vous ne pouvez pondérer les capacités.
Je m'arrêterai, messieurs, à ces considérations.
J'ai démontré que l'amendement qui vous a été présenté constitue un
véritable privilège. J'ai démontré, d'ailleurs, qu'il était contraire, sinon au
texte, du moins à l'esprit de la Constitution, puisque l'honorable auteur de
l'article de la Constitution relatif au cens électoral ne voulait de
modification que d'après les localités, et non d'après les capacités des
personnes. Dès lors, je voterai contre l'amendement qui vous est présenté, et
je crois que la chambre doit le repousser. Et si quelque chose était à faire
dans la révision du tableau des électeurs, qui forme la base principale de la
loi, ce serait dans l'intérêt des campagnes, qui, par la loi actuelle, sont
opprimées par les villes dans la composition du corps électoral et, par suite,
dans le parlement.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, l'honorable M. de
Brouckere étant revenu sur ce que j'ai dit dans la séance d'hier, je crois
devoir reproduire un court passage de la séance du 18 décembre dernier.
L'honorable M. Rogier, s'adressant au gouvernement, disait : « A-t-il
(le gouvernement) bien le parti pris de repousser toute proposition de
fractionnement des collèges électoraux ? Je demande qu'il s'explique
catégoriquement sur ce point.
« Je me permettrai seulement de lui donner le conseil de mûrement
réfléchir aux conséquences inévitables qu'entraînerait pour le pays le
fractionnement des collèges électoraux. Cette nouvelle guerre déclarée aux
villes porterait avec elle les plus grands dangers. Si nous étions de mauvais
citoyens, si l'esprit d'opposition qui nous anime dans l'intérêt du pays, dans
l'intérêt de nos institutions, si cet esprit pouvait nous aveugler, nous
appellerions de tous nos vœux une pareille loi. Nous croyons qu'une pareille
loi deviendrait le tombeau inévitable et définitif de l'opinion que nous
combattons dans ses exagérations. Mais, messieurs, il ne s'agirait pas ici d'un
succès dans une lutte de parti. (Interruption.)
Je prierai beaucoup les interrupteurs de vouloir bien me répondre et de
répondre principalement à ce que je vais encore dire.
« D'autres intérêts que des intérêts de parti se trouveraient engagés
dans une pareille déclaration de guerre adressée aux villes du pays. Je le
répète : comme parti, nous ne redoutons pas la guerre ; comme citoyens belges,
et nous devons être citoyens belges avant tout, nous en redouterions les
conséquences.
« Messieurs, je ne veux pas ici vous alarmer de vaines frayeurs ; je
fais un appel à votre bon sens, à la rectitude de votre jugement ; je vous
demande si le projet de fractionner les collèges électoraux des villes, le
projet de déclarer de nouveau une guerre ouverte à l'opinion qui anime les
villes du royaume ; je vous demande, messieurs, si un pareil projet ne
porterait pas dans son sein les germes de graves bouleversements. Messieurs, je
soumets cette observation à votre jugement. Je le déclare encore, nous nous
sentons assez forts pour triompher de toutes les lois réactionnaires dont on
voudrait nous menacer ; nous ne les craignons pas pour nous ; dans l'intérêt du
moment, si nous n'écoutions que les passions politiques, nous pourrions appeler
ces lois de tous nos vœux. Mais je le dis, c'est un conseil de citoyen belge
que je donne, ce n'est pas le conseil d'un, homme de parti : Abstenez-vous
! »
C'étaient donc bien des bouleversements que l'honorable M. Rogier
appréhendait.
Maintenant, répondant à l'honorable M. Rogier, je disais :
« M. le ministre de l'intérieur. – Je croyais, messieurs, m'être
expliqué hier d'une manière très catégorique sur la question du fractionnement.
J'ai dit, en réponse à l'observation de l'honorable M. Verhaegen, que le
gouvernement n'avait rien médité, rien préparé sur cette question, Je l'ai à
mon tour interpellé sur un projet dont la presse a également annoncé
l'existence. Je m'attendais à une dénégation de sa part, aussi franche, aussi
complète que la mienne.
« M. Verhaegen. - Je demande la parole.
« M. le ministre de l'intérieur. - L'honorable M. Rogier vient de faire
un pas. Si j'ai bien compris sa pensée, il ne doit pas être question de réforme
électorale dans les circonstances actuelles. Messieurs, je le suivrai, je ferai
plus ; je dirai que notre intention n'est pas de préparer la réforme qu'il a
indiquée. »
Vous avez pu voir par la réponse que j'ai faite à l'honorable membre,
que j'appréciais qu'il y avait réciprocité de notre part, en quelque sorte un
compromis de ne pas agiter la question de la réforme électorale dans, les
circonstances actuelles.
Je le croyais d'autant plus que l'honorable membre n'ignore en aucune
manière que les campagnes sont représentées aujourd'hui d'une manière tout à
fait désavantageuse, d'une manière tout à fait inégale quant à leur population
par rapport à celle des villes. C'est là un fait notoire.
J'ai cru, messieurs, que si l'honorable membre
était si vivement impressionné du danger qu'il y aurait d'amener un avantage
pour les campagnes par le fractionnement, en facilitant aux électeurs des
campagnes l'exercice de leurs droits de citoyens, l'honorable membre comprenait
que le danger ne serait pas moindre, si l'on venait encore aggraver l'inégalité
déjà existante aujourd'hui quant au nombre des électeurs par rapport à la
population, si l'on venait aggraver pour les campagnes la difficulté d'exercer
leurs droits politiques.
Voilà dans quel sens j'avais compris le discours de l'honorable M. Rogier.
M. Rogier. - M. le
ministre de l'intérieur a pu se convaincre lui-même, par la lecture qu'il a
faite du Moniteur, de l'erreur complète dans laquelle il était tombé hier, en
m'attribuant un langage que je n'avais aucunement tenu.
M. le ministre se rejette maintenant sur la question du fractionnement
des collèges électoraux. Ceci est une question d'une autre importance. Je n'ai
pas dit non plus qu'une pareille réforme serait une révolution. Mais j'ai fait
entendre qu'elle renfermerait de très grands dangers.
Cette opinion, je la maintiens, et tous les discours que l'on pourra
prononcer dans cette enceinte ne me feront pas changer d'avis. Je mets au défi
le gouvernement, quelque aveuglé qu'il puisse être sur la situation du pays, je
le mets au défi, lui et la majorité, de proposer à cette chambre le
fractionnement des collèges électoraux. Je ne puis empêcher l'un ou l'autre
collègue de produire une pareille proposition dans cette enceinte ; mais je
doute fort qu'aucun ministère si réactionnaire qu'il puisse être, ose jamais
songer à mettre à exécution un pareil projet.
J'ajouterai qu'au seul point de vue des intérêts de l'opposition je ne
redouterais en aucune manière un pareil fractionnement.
Je suis convaincu que ce qui pourrait se perdre
d'un côté se regagnerait amplement de l'autre, je suis convaincu que dans le
sein même de la majorité et par des intérêts locaux, un pareil projet
rencontrerait de (page 1081)
l'opposition. Dans tous les, cas je ne crains point, je le répète, la présentation
d'un pareil projet de loi, et je crois qu'on ferait sagement de ne point jeter
dans la discussion de pareilles idées. On parle beaucoup de la nécessité de
maintenir le calme dans nos villes, dans nos grandes villes surtout. Eh bien,
messieurs, de pareilles idées ne peuvent que remuer d'une manière très fâcheuse
l'esprit public dans nos villes. Cet esprit public, on ne lui a fait que trop
souvent et trop longtemps violence ; ne donnez pas de nouveaux aliments à son
mécontentement.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - L'honorable membre se donne des
peines inutiles en combattant le fractionnement. J'ai dit dès le mois de
novembre que le gouvernement n'a aucunement la pensée de proposer une loi de fractionnement
pour les élections générales.
Je le répète encore aujourd'hui. Notre opinion est demeurée la même Mais
je le répète aussi, si l'honorable membre a une si vive sollicitude pour les
intérêts des villes, je lui conseille d'avoir une pareille sollicitude pour les
intérêts des campagnes, qui ne peuvent pas non plus être négligés.
Maintenant j'ai un mot à répondre à une observation de l'honorable M. de
Brouckere. II a dit, à l'appui de l'amendement de l'honorable M. Castiau, que j'avais
combattu comme contraire à l'esprit de la Constitution, que la loi électorale
établit deux cens différents pour un seul et même collège.
Oui, messieurs, mais là le droit d'électeur repose exclusivement sur le
cens, tandis que, dans le système de l'honorable M. Castiau, le droit
d'électeur repose encore sur une autre qualité tout à fait étrangère au cens.
C'est ce qui m'a fait dire que l'amendement était contraire à l'esprit de la
Constitution.
Un autre mot, messieurs. L'honorable M. de Brouckere désire que
l'amendement de M. Castiau soit disjoint du projet que nous discutons et qu'il
soit renvoyé aux sections. Eh bien, messieurs, mettons de la franchise dans
cette discussion et ne laissons pas planer l'incertitude sur les dispositions
de la chambre, quant à l'amendement présenté par l'honorable M. Castiau. Des
élections sont prochaines et de grandes élections ; si l'amendement est utile,
adoptez-le immédiatement ; s'il est inutile, rejetez-le immédiatement, et qu'il
ne serve pas de signal de discorde et de dissentiments dans le pays.
- La clôture est demandée et prononcée.
Discussion des articles
Article premier
La chambre passe à la discussion de l'article premier et des amendements
qui s'y rapportent.
M. Donny. -
Messieurs, j'ai demandé la parole pour appuyer l'amendement de l'honorable M.
Clep. Cet amendement consiste à modifier le projet de loi en ce sens que les
arrondissements d'Ostende, de Furnes et de Dixmude continueraient à procéder
ensemble, comme ils le font aujourd'hui, aux élections pour le sénat, avec
cette différence qu'au lieu de nommer un sénateur d'une manière permanente et
un autre sénateur alternativement avec l'arrondissement d'Ypres, les trois
arrondissements réunis nommeraient deux sénateurs. J'appuie, messieurs, cet
amendement parce qu'il modifie d'une manière convenable une disposition du
projet qui aurait des résultats injustes. J'appuie encore cet amendement parce
que, selon moi, il est dans l'intérêt bien entendu de toutes les localités que
la chose concerne ; et enfin parce qu'il est en harmonie avec l'intérêt général
du pays.
Déjà, messieurs, l'honorable M. Clep a fait ressortir les résultats
injustes qu'aurait le projet s'il était voté tel qu'il vous est présenté. Il
vous a fait remarquer qu'en bornant l'action électorale des arrondissements
d'Ostende et de Furnes à l'élection d'un seul sénateur, et l'action électorale
de l'arrondissement de Dixmude à l'élection d'un autre sénateur, le projet,
s'il était voté, diminuerait l'influence électorale de tous ces
arrondissements. J'ajouterai que cette diminution d'influence électorale serait
d'autant plus bizarre qu'elle se trouverait en opposition directe et avec
l'esprit de la loi et avec toutes les autres dispositions que la loi renferme.
Quel est, en effet, l'esprit de la loi ? C'est, évidemment, de tenir
compte de toute augmentation notable de population, pour augmenter l'influence
électorale, soit en augmentant le nombre des représentants, soit en augmentant
le nombre des sénateurs, soit en augmentant le nombre des uns et des autres.
Aussi, à l'exception de ce qui concerne Ostende, Furnes et Dixmude, partout
l'augmentation de la population donne lieu à une augmentation dans la
représentation nationale. Les trois arrondissements dont je parte seraient
donc, en quelque sorte, frappés, punis par une diminution d'influence
électorale, pour avoir un accroissement de population, tandis que pour toutes
les autres localités cet accroissement donne lieu à des faveurs nouvelles.
J'ai dit, messieurs, que l'amendement de M. Clep est en harmonie avec
l'intérêt des localités que la chose concerne. Cela me paraît évident. Il est
évident, en effet, que l'arrondissement d'Ostende et l'arrondissement de Furnes
ont intérêt à nommer deux membres du sénat, avec le concours de Dixmude, comme
le propose M. Clep, plutôt que d'en nommer un seul sans ce concours, comme le
propose le projet. Il est également évident, ce me semble, que l'arrondissement
de Dixmude a intérêt à nommer deux membres du sénat avec le concours des deux
autres arrondissements, plutôt que d'en nommer un seul d'une manière isolée.
J'ai dit, enfin, que l'amendement de l'honorable député de Furnes est
conforme aux intérêts généraux du pays et voici, messieurs, comment je le prouve.
Les arrondissements d'Ostende, de Furnes et de Dixmude ont à défendre devant la
législature des intérêts d'une nature générale, des intérêts communs à toutes
les localités du pays.
Tels sont l'intérêt agricole, l'intérêt de quelques industries, l'intérêt
du commerce intérieur, des communications intérieures, etc.
Mais indépendamment de cet intérêt de nature générale, les
arrondissements d'Ostende et de Furnes ont encore à soutenir des intérêts d'une
nature toute spéciale, des intérêts qui découlent de la circonstance que deux
de nos ports maritimes se trouvent dans ces arrondissements ; tels sont, dans
ces intérêts spéciaux, l'intérêt de la navigation extérieure, l'intérêt du
commerce maritime, l'intérêt de la pêche et d'autres encore.
Or, ces intérêts qui sont importants pour le pays
tout entier, sont représentés d'une manière assez faible dans le parlement ; et
dès lors, il est à désirer, il est juste même, qu'on saisisse l'occasion
d'augmenter le nombre des législateurs qui, par position, sont obligés
d'étudier d'une manière spéciale les questions maritimes. Nos discussions
parlementaires et le pays tout entier ne peuvent que gagner à cette
augmentation.
Par ces considérations, je voterai en faveur de l'amendement de
l'honorable M. Clep. (Aux voix !)
M. le ministre de
l’intérieur (M. de Theux). -
Messieurs, je ne m'opposerai pas à l'amendement qui est présenté par les
honorables MM. Clep et Donny. Je croyais avoir procuré une facilité à ces deux
arrondissements, en divisant le vote ; mais puisqu'ils tiennent à concourir à
l'élection en commun de deux sénateurs, je n'ai aucun motif de m'y opposer. Je
conviens qu'ici les arrondissements d'Ostende et de Furnes perdraient leur
influence par l'élection d'un demi-sénateur, comparativement à l'ancienne
situation ; et d'autre part, que le district de Dixmude a aussi un intérêt à
concourir à l'élection de deux sénateurs.
M. de Breyne. - Messieurs,
le projet de loi que nous discutons a pour but l'augmentation des membres des
deux chambres, et c'est le dernier recensement de la population qui sert de
base à ce projet. D'après cette base, le pays aura cent huit représentants et
cinquante-quatre sénateurs, à raison d'un représentant par 40,000 et d'un
sénateur par 80,000 habitants. Il est évident, messieurs, que le nombre exact
de la population voulu par la Constitution, pour la nomination d'un
représentant ou d'un sénateur, était introuvable, puisque le recensement des
arrondissements devait nous accuser un excédant ou un manquant à la limite
fixée par la loi fondamentale. Dès lors pour obtenir une répartition équitable
entre les différents arrondissements d'une province, il fallut poser des
règles, et on admit pour principe que l’on accorderait aux fractions les plus
élevées le droit d'absorber les fractions inférieures.
C'est ainsi, messieurs, que, d'après le projet, dans la Flandre
occidentale, l'arrondissement de Bruges nomme un sénateur et présente un
excédant de population qui n'est pas représentée au sénat, de 39,314 habitants;
l'arrondissement d'Ypres, un sénateur et une population non représentée de
23,595 habitants ; l'arrondissement de Roulers, un sénateur avec un
excédant, non représenté, de 4,474 habitants. Total : 67,383 habitants.
L'arrondissement de Courtray, deux sénateurs avec un manquant, de 18,435
habitants ; l'arrondissement de Thielt, un sénateur, avec un manquant, de
7,948 habitants ; Furnes et Ostende, un sénateur, avec un manquant, de 5,261
habitants ; l'arrondissement de Dixmude, un sénateur, avec un manquant, de
33,085 habitants. Total, 64,727 habitants.
D'après cette opération vous trouvez sur quatre arrondissements un
manquant de 64,727 habitants, que vient combler l'excédant de 67,383 habitants
non-représentés des trois autres arrondissements, de manière que tous les
arrondissements de la province seront, autant que possible, représentés au
sénat.
Cette méthode d'opérer me semble simple et rationnelle, c'est celle qu'a
suivie le congrès national, c'est celle proposée par le gouvernement et adoptée
par la section centrale.
Lorsqu'il y a, dit le gouvernement, excédant de population pour le
nombre des représentants attribué à une province ou à un arrondissement la
compensation est établie en lui attribuant un sénateur de plus ; le congrès
national a agi de même en votant le tableau annexé au décret du 31 mars 1831 :
« Le décret du congrès, dit la section centrale, avait établi l'alternat
et le concours entre plusieurs arrondissements. Cet état de choses avait
toujours paru regrettable, dit l'honorable rapporteur de cette section, et le
projet de loi, modifiant en cela le tableau du congrès, supprime les alternats
pour la chambre et n'en conserve qu'un seul pour le sénat. Il en est de même,
ajoute-t-il, des mandats donnés par différents districts, concourant ensemble
au vote d'un seul élu, et qui se trouvent aussi réduits dans le projet de loi à
ces cas exceptionnels, où, sans y avoir recours, un district entier ne serait
pas représenté dans le sénat. »
Devant les principes admis par ces importantes autorités, le congrès
national, le gouvernement et la section centrale de cette chambre, un honorable
membre a cru devoir présenter un amendement tendant à maintenir le concours
entre trois arrondissements de la Flandre occidentale, Fumes, Ostende et
Dixmude, pour la nomination de deux sénateurs ; tandis que le projet de loi
attribue la nomination d'un sénateur aux (page
1082) arrondissements réunis de Furnes et d'Ostende, et un sénateur à l'arrondissement
de Dixmude, conformément aux principes que j'ai eu l'honneur de vous
développer.
L'honorable député de Furnes, dans le discours à l'appui de sa
proposition, semble n'avoir pas voulu comprendre les principes qui servent de
base au projet de loi ; car, au lieu de combattre ces principes il s'attache à
déplorer l'amoindrissement de l'influence électorale de Furnes, chef-lieu d'un
arrondissement judiciaire.
Je vous le demande, messieurs : qu'a de commun avec la loi en
discussion, l'influence électorale d'une petite ville du dernier ordre ? Il ne
s'agit pas dans le projet de loi de la ville de Furnes, mais bien de
l'arrondissement de ce nom.
II ne s'agit pas de savoir quelle fut la population en 1831, mais bien
de celle que nous présente le dernier recensement.
Il ne s'agit pas de comparer le nombre des électeurs dans chaque
arrondissement ; mais d'appliquer un principe basé sur la population actuelle.
D'après la répartition adoptée par le gouvernement pour la Flandre
occidentale, il revient aux arrondissements de Furnes, Ostende et Dixmude, la
nomination de deux sénateurs.
Aucun de ces trois arrondissements, ne présente à lui seul le nombre
constitutionnel de 80,000 habitants pour la nomination d'un sénateur, il faut
par conséquent, d'abord appliquer le principe qui attribue les fractions
excédantes aux fractions les plus élevées, et c'est l'arrondissement de
Dixmude, qui doit recevoir cette application ; et en second lieu, il faut
admettre l'exception et faire concourir.
Les deux arrondissements qui présentent chacun séparément la fraction la
moins élevée, et c'est ici le cas, pour les arrondissements de Furnes et
d'Ostende.
Messieurs, je vous prie de croire que ce n'est pas un intérêt de clocher
ou de rivalité entre deux petites villes qui me détermine à combattre
l'amendement ; non, messieurs c'est dans l'intérêt général, c'est dans
l'intérêt du principe qui forme la base de toute la loi, que je combats
l'amendement qui nous est présenté, et qui j'ose l'espérer, ne peut rencontrer
aucune sympathie dans cette assemblée.
Comme l'heure est très avancée, je me résume, messieurs, de vous
présenter demain quelques observations sur les considérations que vient de nous
faire, en faveur de l'amendement, l'honorable député d'Ostende.
- La séance est levée à quatre heures et demie.