Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 19 février 1847

(Annales parlementaires de Belgique, session 1846-1847)

(Présidence de M. Liedts.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 831) M. Van Cutsem procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.

M. A. Dubus donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Van Cutsem communique l'analyse des pièces adressées à la chambre.

« Plusieurs habitants de la ville de Lokeren demandent que la société d'exportation ne puisse opérer sur les marchés d'Europe, ni se livrer à la fabrication. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi sur la formation d'une société d'exportation.


« Les notaires du canton de Beveren demandent que les notaires ne puissent instrumenter en dehors de leur canton, que leur nombre ne soit pas augmenté et que le droit exclusif de procéder aux ventes de biens immeubles leur soit réservé. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi sur le notariat.


« Les notaires du canton de Hamme demandent la prompte discussion du projet de loi sur le notariat. »

« Même demande des notaires de l'arrondissement de Bruxelles, du canton de Wervicq et du canton de Zele, qui prient, en outre, la chambre de maintenir le nombre actuel des notaires et de leur réserver le droit exclusif de procéder aux ventes de biens immeubles. »

- Sur la proposition de M. Dedecker, la chambre prononce le même renvoi.


« Plusieurs habitants de Moll prient la chambre de s'occuper, pendant la session actuelle, des projets de loi sur l'enseignement agricole, sur l'exercice de la médecine vétérinaire et sur l'organisation de l'école vétérinaire de l'Etat. »

- Renvoi aux sections centrales chargées d'examiner les projets de loi.


« Le sieur Michel Thiry, batelier à la Boverie, qui a perdu deux bateaux à la descente de la Meuse, contre le pont du Val-Saint-Lambert à Liège, prie la chambre de lui accorder un secours. »

M. Delfosse. - Il y a quelques jours, deux bateaux chargés de marchandises se sont brisés contre les piles du pont que l'on construit au val Saint-Lambert pour le chemin de fer de Liège à Namur. Un batelier a péri, un autre ne s'est sauvé que par une espèce de miracle. Ces accidents ne sont que trop fréquents sur la Meuse ; ils proviennent en grande partie de ce qu'au lieu d'améliorer la navigation de ce fleure, le gouvernement la rend plus difficile, plus périlleuse, par les ouvrages qu'il laisse entreprendre. Nous avons plusieurs fois signalé dans cette enceinte la cruelle indifférence du gouvernement pour des malheurs qui jettent la désolation dans les familles ; la discussion du budget des travaux publics et celle du projet de loi par lequel on nous demande des crédits extraordinaires pour améliorer les voies navigables dans les Flandres nous fournira bientôt l'occasion de renouveler nos plaintes qui ne sont que trop légitimes.

Le pétitionnaire était le frère du batelier qui a péri et le propriétaire des bateaux qui se sont brisés contre les piles du pont. C'est un père de famille honnête et laborieux qui se trouve ruiné par suite de ce malheureux événement. Je demande le renvoi de sa pétition, qui est digne de toute l'attention de la chambre, à la section centrale chargée de l'examen du budget des travaux publics.

M. Lesoinne. - Le pétitionnaire a adressé une pétition au département de l'intérieur ; je pense donc que, pour accélérer une décision, il y aurait plutôt lieu de renvoyer la pétition à M. le ministre de l'intérieur.

M. Delfosse. - Je dois insister pour le renvoi de la pétition à la section centrale. Le renvoi direct à M. le ministre de l'intérieur serait contraire au règlement, et il est bon que la section centrale examine s'il n'y aurait pas quelque mesure à prendre au sujet du pont qui se construit en ce moment sur la Meuse.

M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, je ne connais pas la pétition dont il s'agit. Cependant j’éprouve le besoin de protester contre certaines expressions, échappées à l'honorable M. Delfosse. Il paraît qu'un malheur très regrettable est arrivé au pont du val de Saint-Lambert, c'est-à-dire à raison des travaux exécutés pour la construction du chemin de fer de Namur à Liège ; et de ce malheur, on accuse la cruelle indifférence du gouvernement. Messieurs, il est impossible qu'une navigation comme celle de la Meuse ne donne pas lieu à des accidents ; ce qui ne peut pas être admis, et il me suffit sans doute d'énoncer cette vérité première, c'est que le gouvernement soit responsable de pareils malheurs.

M. Delfosse. - Je maintiens mes paroles. Elles ne me sont pas échappées, elles étaient très réfléchies. Je ne demanderais pas mieux que d'avoir tort, mais tant que le gouvernement ne viendra pas nous présenter un projet de loi sur la dérivation de la Meuse, tant qu'il ne mettra pas là main à l'œuvre pour nous sauver des périls dont nous sommes menacés, je maintiendrai le blâme que je lui ai infligé, je l'accuserai d'une indifférence cruelle.

Quoi ! des malheurs arrivent tous les jours, nous sommes assaillis de pétitions couvertes de milliers de signatures, et le gouvernement reste froid et inactif ! Cette conduite est indigne.

M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, il ne s'agit pas ici d'une localité intéressée à la dérivation de la Meuse ; si mes notions de géographie ne me trompent pas, le val Saint-Lambert est à 2 lieues ou à 2 lieues et demie en amont de Liège.

Je persiste à protester contre le système qui tend à rendre le gouvernement responsable de tous les accidents qui arrivent. On a déjà voulu le rendre responsable du manque de la récolte des pommes de terre ; et ici, on veut lui imputer un accident qui est arrivé dans la navigation de la Meuse. C'est un système qui tend à faire retomber sur la tête du gouvernement une responsabilité injuste et odieuse.

M. Lesoinne. - Je ne parlerai pas ici de l'imprévoyance du gouvernement relativement à la navigation delà Meuse. Il a fait faire des études, quoique un peu tardivement, pour l'amélioration de la navigation depuis la ville de Liège jusqu'à une lieue au-delà du point où se trouve le pont contre lequel le bateau du pétitionnaire est venu sombrer et où son frère a péri. Si le gouvernement fait exécuter les travaux pour lesquels il a fait faire des études, les dangers de la navigation disparaîtront ; mais pour cela il importe qu'il se hâte de mettre la main à l'œuvre, car les mêmes malheurs se renouvelleront à ce pont comme à ceux qui se trouvent situés dans la ville de Liège.

- Le renvoi proposé est ordonné.


« L'administration communale d'Ath signale une erreur dans le chiffre de la population de l'arrondissement de ce nom sur lequel s'est basée la section centrale chargée d'examiner le projet de loi relatif à l'augmentation du nombre des membres des deux chambres, et demande que cet arrondissement alterne avec celui de Soignies, pour la nomination du troisième représentant qu'on propose d'accorder à Soignies. »

M. Lebeau. - Ne pourrait-on pas renvoyer cette pétition à la sec-lion centrale qui a été chargée d'examiner le projet de loi ? Je sais que cette section centrale a fait son rapport et qu'on peut prétendre qu'elle a épuisé sa mission ; mais il y a de nombreux précédents de renvois de pétitions à une section centrale qui avait terminé ses travaux.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). – Il me serait indifférent qu'on renvoyât la pétition dont il s'agit à la section centrale, puisqu'elle a déjà émis une opinion, et qu'il est probable que cette opinion, fondée sur des chiffres qui n'ont pas été détruits, restera la même. Mais ce que je ne puis admettre, c'est qu'on provoque constamment de nouvelles réunions de sections centrales qui entravent, sans utilité, la marche des travaux de la chambre. Le président de la section centrale qui a examiné le projet de loi auquel se rapporte la pétition dont il s'agit, préside la section centrale qui examine le projet de loi relatif à la société linière ; si on empêche le président de la réunir, en le retenant ailleurs, il sera impossible d'arriver à des conclusions sur ce projet de loi ; il est cependant d'une urgence telle, qu'il faudrait laisser au président le temps de diriger et de conduire à fin son travail.

M. Lebeau. - Je n'insiste pas pour le renvoi à la section centrale, mais je demanderai le renvoi à la commission des pétitions, avec invitation de faire un prompt rapport avant la discussion de la loi.

- Le renvoi à la commission des pétitions, avec invitation de faire un prompt rapport, est ordonné.


« Le sieur Guillaume Hole demande la concession d'un chemin de fer de Gand à Furnes, avec un embranchement sur Nieuport et Ostende. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


MM. de T'Serclaes et de Brouckere demandent un congé.

- Accordé.


M. le ministre de la guerre adresse deux exemplaires de l'Annuaire militaire officiel pour 1847.

- Dépôt à la bibliothèque.


Par message du 17 février, le sénat informe la chambre que le sieur Philippe Marx renonce à sa demande de naturalisation ordinaire.

- Pris pour notification.


Par message du même jour, le sénat informe la chambre que le sieur E. Mus a renoncé à sa demande de naturalisation ordinaire.

- Pris pour notification.

Projet de loi surle défrichement des terrains incultes

Rapport de la section centrale sur les amendements

M. Mast de Vries. - Messieurs, la section centrale s'est occupée des amendements présentés par MM. Eloy de Burdinne, Lejeune et d'Huart à la loi concernant les défrichements que vous avez renvoyés à son examen.

Les deux premiers paragraphes de l'amendement de M. Eloy de Burdinne sont ainsi conçus :

« Une surtaxe annuelle progressive de dix centimes sur l'impôt foncier sera perçue pour chaque hectare de bruyère qui sera reconnue par le gouvernement et susceptible d'être défrichée et propre à produire des graminées, des fourrages ou du bois.

« Cette surtaxe cessera d'être perçue sur cette partie de bruyère que le gouvernement reconnaîtra être en état de produire, par suite du défrichement, des céréales, du fourrage ou du bois. »

Ces deux premiers paragraphes de l'amendement de M. Eloy de Burdinne n'ont pas été admis, par le motif que certaines communes possèdent de grandes quantités de bruyères, et que si ces bruyères étaient (page 832) sujettes à la taxe proposée, ces communes devraient y employer tous leurs moyens ; car.il est impossible que les communes possédant plusieurs milliers d'hectares de bruyères, puissent trouver immédiatement un prix représentant leur juste valeur.

Quant au troisième paragraphe, l'honorable membre demande que les terrains défrichés soient exempts de l'impôt foncier pendant 32 ans ; nous avons examiné cette proposition, nous l'avons admise en principe, parce qu'elle est favorable au but de la loi. Mais nous en avons changé la rédaction ; nous avons l'honneur de vous proposer de la formuler de la manière suivante :

« Art.... Par extension à l'article 112 de la loi du 3 frimaire an VII, la cotisation des terres vaines et vagues depuis 15 ans, qui seront mises en culture, autres que celles désignées dans les articles 113 et 114 de la même loi, ne pourra être augmentée pendant les vingt premières années après le défrichement. »

« Art.... Tous bâtiments ou habitations nouvellement construits sur les terres vaines et vagues appartenant aux communes, ne seront point imposés à la contribution foncière durant les quinze premières années, à compter de l'époque de leur construction ; la même exemption sera accordée aux possesseurs des terres vaines et vagues ayant appartenu aux communes et dont l'aliénation aura lieu postérieurement à la présente loi. »

Ainsi nous restreignons, comme je l'ai dit, la proposition de l'honorable M. Eloy de Burdinne à vingt ans ; mais nous ajoutons l'exemption d'impôt sur les propriétés qui seraient bâties sur des bruyères communales.

Ces deux mesures ne peuvent qu'avoir le meilleur effet, elles sont plus favorables que celles qui existent aujourd'hui.

Pour ce qui regarde les bois, nous ne touchons pas à la loi de l'an VII, qui les exemple pour 30 ans ; ce terme est suffisant. Pour les terres arables exemptées pour 10 ans, nous avons pensé devoir vous proposer d'étendre cette exemption à 20 ans. De cette manière, nous améliorons certainement la condition de ceux qui défricheront.

L'honorable M. Lejeune a présenté un amendement, dont il a envoyé à la section centrale une nouvelle rédaction ainsi conçue :

« Le cahier des charges stipulera la portion des lots que l'acquéreur s'oblige à mettre en culture chaque année.

« Les lots ou les parties de lots aliénés, qui ne seront pas mis en culture dans le délai prescrit, seront passibles d'une surtaxe annuelle et progressive de 50 c. par hectare. Cette imposition cessera lorsque la condition de mise en culture. aura été accomplie ou que la déchéance aura été prononcée. »

Ainsi la nouvelle proposition admettait 50 c. par hectare au lieu de 10.

La section centrale pense que la garantie de défrichement que désire obtenir l'honorable M. Lejeune, peut être obtenue sans un impôt progressif.

D'ailIeurs, comme la commune est la plus intéressée à ce que les conditions de vente s'exécutent, c'est à elle que doivent revenir les amendes pour non-exécution de ces conditions.

Ceci posé, nous pensons que ce résultat peut être obtenu, en ajoutant au deuxième paragraphe de l'article premier les mots suivants : « Et des dommages-intérêts à stipuler au cahier des charges ».

De cette manière le cahier des charges stipulera des dommages-intérêts en cas de non-défrichement jusqu'à la déchéance qui pourra être imposée à l'acquéreur.

Maintenant je viens aux amendements qui ont été proposés par l'honorable M. d'Huart. La section centrale vous a proposé, dans une précédente séance, l'adoption du premier changement proposé par cet honorable membre.

L'autre modification est ainsi conçue :

« Le partage, entre les habitants, des terrains communaux incultes, bruyères, sarts et vaines pâtures, pourra être ordonné par arrêté royal, sur l'avis conforme de la députation permanente du conseil provincial, après avoir entendu le conseil de la commune intéressée, où ce mode sera reconnu propre à assurer la culture de ces terrains, sous les conditions et dans les délais déterminés par le même arrêté royal.

« Une redevance annuelle sera stipulée au profit de la commune ; toutefois, chaque copartageant pourra s'en affranchir à volonté et obtenir liberté entière de disposer de son lot, en versant à la caisse communale une somme équivalente à vingt fois le montant de cette redevance. »

Nous avons pensé, messieurs, que cet amendement était une dépossession forcée et que dès lors il était contraire à la Constitution qui voulait une juste et préalable indemnité. Ce motif a fait rejeter la disposition proposée.

La deuxième disposition proposée par l'honorable M. d'Huart a au contraire été trouvée utile et a été admise comme un acte de bonne administration.

Le premier paragraphe de cette disposition est ainsi conçu :

« La location des terrains communaux incultes, bruyères, sarts et vaines pâtures, pourra être ordonnée par arrêté royal, sur l'avis conforme de la députation permanente du conseil provincial, après avoir entendu le conseil de la commune intéressée, sous la condition que ces terrains seront mis en culture dans les délais déterminés par le même arrêté royal. ».

Le deuxième paragraphe est ainsi conçu :

« Les baux, réglés à longs termes, stipuleront une redevance annuelle au profit de la caisse communale, et réserveront qu'à leur échéance les preneurs auront la faculté de continuer respectivement la culture des mêmes parcelles, sauf à payer à la commune une redevance annuelle telle qu'elle sera fixée alors, en vertu d'un arrêté royal porté de la même manière que celui ci-dessus, eu égard à la valeur des produits du sol et aux besoins financiers de la commune. »

Nous avons pensé, messieurs, qu'il fallait mettre une borne à la durée des baux, et en conséquence nous vous demandons l'adoption du premier paragraphe et le remplacement du second par la mesure suivante :

« Les baux n'excéderont point le terme de trente ans, et stipuleront qu'à leur échéance les anciens preneurs pourront les renouveler aux prix qui seront alors fixés par arrêté royal porté de la manière indiquée au paragraphe précédent et eu égard à la valeur du sol. »

En ce qui concerne le troisième article proposé par M. d'Huart et qui tend à décider que la loi cessera d'être exécutoire le 1er janvier 1850, si elle n'a pas été renouvelée, la section centrale ne croit pas pouvoir l'admettre. Elle croit que son adoption serait de nature à engager quelques communes à s'opposer au défrichement et amènerait ainsi un résultat tout à fait contraire à celui que l'on veut obtenir.

Voilà, messieurs, le résultat des délibérations de la section centrale sur les amendements que vous lui avez renvoyés.

M. le président. - Pour faciliter la discussion, je demanderai la permission de faire imprimer le projet avec les amendements qui ont été présentés et le rapport de la section centrale.

- Cette proposition est adoptée.

Discussion des articles

Article premier

M. le président. - La discussion continue sur l'article premier.

(page 839)t M. d'Elhoungne. - Messieurs, je ne me propose pas de traiter toutes les questions qui se pressent dans cette discussion, bien que l'article premier, renfermant le principe de la loi, les ramène forcément. Je restreindrai à quelques points peu nombreux les considérations que je viens présenter à la chambre.

J'écarterai sans façon, messieurs, les fins de non-recevoir que les adversaires du projet de loi lui ont opposées, et auxquelles, je le pense, on a accordé dans ce débat une place trop large, une importance exagérée. Je ne suis point parvenu, pour ma part, à trouver dans le projet en discussion rien qui soit ou inconstitutionnel, ou subversif du droit de propriété, ou attentatoire à nos franchises communales.

Quelque savantes que soient les dissertations que nous avons écoutées depuis neuf ou dix séances, j'en suis encore à me demander comment on a pu découvrir une inconstitutionnalité dans l'article premier du projet de loi. On a établi sans doute une distinction inexplicable et inexpliquée entre l'utilité publique et l'intérêt général ; mais on a perdu de vue que s'il y a une différence, c'est que l'utilité publique, telle que toutes les lois l'entendent, est quelque chose de plus étendu, dé plus élastique infiniment que l'intérêt général.

Je ne comprends pas davantage en quoi le projet de loi est subversif du droit de propriété. La chambre aura remarqué que les objections des adversaires de la loi s'appliquent moins encore à la loi elle-même qu'au principe de l'expropriation pour cause d'utilité publique en général. C'est à ce point qu'ils ont été amenés, comme malgré eux, à prêter au droit de propriété un caractère et des proportions inouïs. N'ont-ils pas contesté à la chambre, n'ont-ils pas dénié à la foi le pouvoir de modifier, soit le droit de tester, soit l'ordre des successions qui, évidemment, ne relèvent que de la loi civile ? Quant à la croisade qu'on a entreprise contre le communisme, l'avenir sans doute nous en donnera le mot. Entre-temps, c'est là un fantôme auquel je ne crois point, que je redoute moins encore, et qui me paraît le fruit d'imaginations beaucoup trop promptes à s'alarmer. Loin de soupçonner M. le ministre de l'intérieur de vouloir révolutionner la propriété, je le suspecterais plutôt d'avoir pour elle des prédilections trop exclusives. Je craindrais plutôt qu'il ne voulût lui ménager une protection exagérée dans l'avenir, et lui assurer un tarif peu en harmonie avec les besoins du pays. Aussi est-ce contre es tendances seules que je fais mes réserves, en acceptant le projet de loi sur les défrichements.

(page 840) Mais le projet, s'il laisse intactes et la Constitution et la propriété, porte-t-il atteinte à nos franchises communales ? C'est demander, messieurs, si la loi qui crée les mainmortes qu'on nomme communes, peut déterminer quel sera le patrimoine de ces mainmortes, de quelles espèces de biens ce patrimoine se composera, et comment il sera régi, administré. Evidemment, c'est là la véritable mission du législateur en cette matière. Il peut donc prescrire aux communes l'aliénation d'immeubles qui sont presque stériles pour elles par l'effet d'une exploitation nulle ou imparfaite, et dont l'immobilisation perpétuelle dans le chef des communes est doublement onéreuse pour l'Etat au point de vue de l'impôt comme au point de vue de l'alimentation du pays.

Vraiment, messieurs, on dirait, à entendre les adversaires du projet de loi, que les terres incultes ne jouissent point, pour l'impôt, d'un privilège qu'il importe au pays de voir disparaître, qu'il est du devoir de la législature d'éteindre graduellement ! On dirait qu'il est indifférent de voir des immeubles si considérables, frappés de la mainmorte, être seuls soustraits à cette confiscation périodique qu'opèrent les lois sur les droits de mutation ! L'oubli de ces deux considérations décisives, je dois le dire, a lieu de m'étonner de la part d'un des honorables opposants, député de Bruxelles, qui a cherché, par les propositions qu'il nous a faites il y a peu de mois, à soumettre toutes les mainmortes à cette confiscation périodique du droit de mutation dont je viens de parler.

Il serait superflu, messieurs, d'envisager la question sous le point de vue où s'est placé hier l'honorable M. Rogier, c'est-à-dire sous le point de vue des propriétés privées. Ici la question de l'expropriation se présenterait sans contredit dans des termes bien différents, et quant aux principes, et quant à leur application. Qu'il me suffise de faire remarquer que les abus signalés par l'honorable député d'Anvers ne sont pas sérieusement à redouter chez nous. Avec la loi sur les successions qui morcelle indéfiniment et d'une manière si rapide tous les héritages, qui les endette en quelque sorte, il n'est pas à craindre que de vastes domaines, auparavant cultivés, soient laissés en friche pour le plaisir de la chasse, par exemple. Cela s'est vu, je le sais, mais cela ne peut se voir que dans un pays où une aristocratie puissante possède presque exclusivement toute la surface du territoire.

En écartant ainsi les objections préliminaires que le projet de loi a rencontrées, il reste les deux questions qui dominent véritablement le débat et que mon honorable ami, M. le baron de Tornaco, a si nettement posées dans les discours lumineux et remarquablement pratiques qu'il a prononcés. Ces questions, les voici : En premier lieu, le défrichement est-il chose utile ? En second lieu, le projet de loi sera-t-il efficace pour amener le défrichement ?

Encore, la première question n'en est-elle plus une au point où la discussion est parvenue. Tout le monde, en effet, est unanime maintenant pour proclamer l'utilité du défrichement des bruyères et terres incultes du pays. Il n'y a donc plus que l'efficacité de la loi qui soit contestée : c'est cette efficacité que je vais rapidement discuter.

L'article premier du projet de loi, complété par les amendements auxquels le gouvernement s'est déjà rallié, consacre trois moyens de déterminer le défrichement, savoir : 1° la vente ou l'expropriation des bruyères communales ; 2° leur partage et 3° leur location par des baux à longues années.

J'adopte sans peine, messieurs, ces trois moyens, mais je ne cache pas que je préfère le partage à l'expropriation, à la vente, et même aux baux à long terme. Toutefois je me hâte d'ajouter que, dans le partage des bruyères communales, j'entends qu'on respecte pleinement, absolument, les droits de la commune. Il ne faut pas méconnaître que c'est la commune seule en définitive, qui, comme être moral, est propriétaire tandis que les habitants sont de simples usagers. Sacrifier les droits de la commune, ce serait sacrifier les droits de l'avenir aux usurpations du présent. C'est assez dire que je repousse avec force l'idée émise par l'honorable M. Jonet d'appliquer au partage des communaux l'article 815 du Code civil, et d'attribuer à chaque habitant le droit de faire cesser l'indivision. Ne consacrerait-on pas de la sorte la tyrannie d'un seul sur la volonté et l'intérêt de tous ? Ne serait-ce pas introduire dans la commune un principe d'anarchie, inconciliable avec les notions les plus élémentaires de toute agrégation politique ?

Après avoir adopté en principe le moyen de l'expropriation, et le partage, et les baux à long terme, il s'agit d'examiner comment ces moyens fonctionneront, quels résultats ils peuvent produire : question complexe, messieurs, dont la solution varie d'après les différentes localités intéressées au défrichement.

Je ne m'occuperai que du Limbourg et du Luxembourg, tout en mentionnant pour mémoire le vry-geweyd, auquel je désire vivement de voir appliquer la loi, et en émettant le vœu que le gouvernement règle à l'amiable, avec un esprit conciliant, les droits que l'Etat peut avoir sur cette propriété. Il me paraîtrait préférable mille fois d'abandonner avec condescendance une partie des prétentions de l'Etat que de retarder, par des procès inutilement dispendieux, le défrichement du vry-geweyd, si important pour la Flandre occidentale.

Voyons maintenant si la loi sera efficace pour le Limbourg, ou plutôt pour la Campine.

Personne ne conteste que le système d'irrigation, savamment étudié par M. Kummer, ne doive doter la Campine d'une étendue considérable de prairies. Mais ce n'est pas tout d'avoir des prairies ; il n'est pas un homme spécial qui, à côté des prairies, ne réclame une juste proportion de terres arables, obtenues à l'aide du défrichement en même temps qu'on créera les prairies.

C'est sous ce rapport que je ne saurais admettre l'amendement de l'honorable comte de Mérode, qui consacre exclusivement le système d'irrigation et la création de prairies, et qui exclut la mise en culture de cette juste proportion de terres arables, proclamée utile, proclamée indispensable.

M. de Mérode. - Mon amendement n'exclut pas d'une manière absolue ce défrichement-là...

M. d’Elhoungne. - J'accepte volontiers cette rectification, et je suis heureux de n'être pas, sur ce point encore, en désaccord avec l'honorable comte de Mérode.

Je disais, messieurs, que de l'aveu des honorables députés de la Campine et du gouvernement, la loi proposée atteindra dans la Campine le double but de créer des prairies et des terres arables en une proportion convenable. C'est un point acquis à la discussion ; et c'est un point qui devient incontestable, si l'on considère que la construction presque complète du canal de la Campine, que l'exécution prochaine des travaux d'irrigation, forment à la fois un grand subside et un stimulant puissant pour les défrichements. Il en est de même des exemptions d'impôt que la section centrale vient de vous proposer au début de la séance, par l'organe de son honorable rapporteur, et qui constitueraient un encouragement facile à apprécier. Et en cela, messieurs, je crois répondre à une objection de mon honorable ami, M. le baron de Tornaco, qui a trop amoindri, ce me semble, ce que le projet de loi fait tout au moins pour la Campine.

Il est un deuxième point sur lequel il règne entre les honorables députés de la Campine et le gouvernement un accord parfait : c'est que l'œuvre du défrichement, ainsi abandonnée à la seule action des moyens que le projet de loi consacre, sera très lente et s'opérera principalement, sinon exclusivement, à l'aide des ressources locales. Je sais que c'est là le vœu des honorables membres, que c'est le vœu clairement exprimé dans cette discussion par le gouvernement. Mais n'est-ce pas resserrer dans des limites trop étroites un projet qui, de sa nature, comportait une exécution plus large, plus générale ? Messieurs, je ne saurais le dissimuler, il y a beaucoup d'égoïsme local, beaucoup de préjugés et de préventions injustes dans les vues des honorables députés de la Campine lorsqu'ils acceptent ainsi les mesures que nous votons, les crédits que nous allouons, mais uniquement pour défricher dans l'intérêt, selon la convenance, et, je le crains, d'après la routine de la population campinoise.

Quoi qu'il en soit, si je regrette que le projet ne fasse ni plus ni mieux, je n'en reconnais pas moins qu'il conserve, quant à la Campine, un degré d'utilité incontestable ; et, dût-on le restreindre à la Campine seule, je le déclare, il aurait encore mon assentiment.

Je passe maintenant au Luxembourg. La loi sera-t-elle efficace pour amener le défrichement dans cette province ? Les documents que la chambre a sous les yeux, messieurs, me semblent résoudre cette question.

Sans doute le gouvernement s'est montré pressé, trop pressé peut-être, d'étendre la loi aux terres vagues et incultes du Luxembourg. Voulût-on tenter le défrichement sur une vaste échelle, sans doute la Campine suffisait ; elle présentait d'ailleurs aux essais un champ assez étendu et d'autant plus convenable que le défrichement de la Campine a été plus mûrement examiné, plus complétement étudié. Mais, à part cette remarque, l'efficacité de la loi en discussion est établie si complétement que nous pouvons asseoir avec toute sécurité notre opinion.

Dans le rapport de la députation permanente du Luxembourg, nous trouvons le relevé et l'analyse des renseignements fournis par toutes les communes qui possèdent des terres vagues et incultes. On avait, à ces communes, posé les questions suivantes :

« 1° Quelle est la qualité des terres vagues et spécialement de celles situées dans les deux premiers rayons ?

« 2° Sont-elles de nature à être livrées à la culture ?

« 3° Pense-t-on qu'elles y seraient livrées si elles étaient mises à la disposition des habitants au moyen, soit d'un partage, soit de baux emphytéotiques, soit d'aliénation ? »

On avait donc, messieurs, interrogé les communes sur l'efficacité et la convenance des mesures que l'article premier du projet de loi décrète. Et savez-vous ce que les réponses des communes ont constaté ? C'est que 48 communes se sont prononcées pour le partage, 12 pour la vente, 11 pour des locations à long terme, et 20 indistinctement pour ces trois mesures : ensemble 97 communes favorables aux mesures du projet de loi. Et savez-vous combien il y a de communes qui s'opposent à ces mesures ? On en compte à peine quarante ! Ainsi l'efficacité de la loi est proclamée par la grande majorité des communes intéressées. (Interruption.)

Je répète qu'il est démontré à la chambre, par le fait que je viens de signaler, qu'on arrivera au défrichement des bruyères communales dans le Luxembourg au moyen du partage, au moyen des locations emphytéotiques, au moyen de l'aliénation. (Interruption)... Il va sans dire que je ne parle pas d'une aliénation en masse, qui n'entre dans la pensée de personne, mais d'une aliénation successivement et prudemment faite là où d'autres mesures seront reconnues impraticables.

Malheureusement, pour le Luxembourg comme pour la Campine, on n'arrivera au défrichement que très lentement, par la seule action locale ; mais c'est aussi ce que les honorables députés du Luxembourg désirent ; c'est ce qu'avait conseillé la députation permanente de cette province, dans le travail de laquelle, quoi qu'on en ait dit, le gouvernement (page 841) a puisé les dispositions du projet en discussion. Pour ma part, je ne puis donc que répéter mon adhésion à ces dispositions. Si on ne veut pas faire plus, si on ne veut pas faire mieux, assurément le projet de loi est suffisamment efficace.

Je dis, messieurs, si l'on ne veut pas faire plus, si l'on ne veut pas faire mieux : en effet, vous aurez remarqué que, dans le projet tel qu'il est compris par le gouvernement, il ne s'agit point d'un défrichement rapide, vigoureux, entrepris sur une vaste échelle. Un pareil défrichement, mon honorable ami M. de Tornaco l'a dit avec raison, exigerait de l'argent, beaucoup d'argent. Or, l'Etat peut-il se lancer dans les avances considérables que l'œuvre du défrichement, poursuivie sur une grande échelle, exigerait nécessairement ?

Ici, messieurs, il faut le reconnaître, la question prend une face toute nouvelle ; et je n'hésite pas à le dire, c'est ici qu'elle se présente dans toute sa grandeur, dans toute son importance.

S'il ne s'agissait que de l'amélioration d'une partie considérable du territoire, quelque grands que soient l'intérêt national et l'intérêt fiscal qui se rattachent à cette amélioration, je n'hésiterais pas à différer la mesure. J'attendrais des jours meilleurs. J'attendrais que le numéraire eût reparu plus abondant, plus répandu, dans la circulation. J'attendrais que le crédit public, momentanément déprimé, fût remonte au niveau des ressources et de la solvabilité du pays. J'attendrais tout cela, messieurs. Mais il est une question d'urgence qui domine la situation tout entière ; qui préoccupe et la chambre et le pays ; qui aurait dû préoccuper plus vivement le ministère : c'est la question des Flandres.

Croyez-vous avoir résolu la question des Flandres ? Croyez-vous qu'en votant quelques subsides, qu'en distribuant pour quelques milliers de francs d'outils, qu'en décrétant une société anonyme d'exportation, qu'en préparant quelques rares et tardifs travaux publics, croyez-vous, dis-je, qu'avec ces palliatifs impuissants, dérisoires quand on les compare à l'étendue du mal, odieux quand on les compare au charlatanisme des promesses, croyez-vous avoir résolu cette formidable question des Flandres ? Pour le présent, vous n'avez rien fait qui eût quelque portée, et vous vous flatteriez d'avoir fait quelque chose pour l'avenir ! Ah ! en présence de cet avenir si sombre, gardez-vous de croire, messieurs, que vous aurez dans la mortalité effrayante des Flandres un auxiliaire assez actif pour résoudre les difficultés de la situation. La mort, elle fait bien sa tâche sans doute, mais elle est moins prompte encore à décimer les rangs de nos populations affamées que la misère à les peupler de nouveaux indigents. Tout ne sera pas dit, messieurs, quand vous serez arrivés à la moisson nouvelle. Si abondante que le ciel nous l'accorde, elle n'empêchera pas la question des Flandres de se représenter à la session prochaine aussi menaçante, aussi peu résolue, aussi inexorable qu'aujourd'hui.

J'aurais voulu garder le silence. J'aurais voulu comprimer le sentiment de découragement que j'ai au fond du cœur. Mais après le discours prononcé hier, et dans lequel la politique du gouvernement s'est dévoilée encore une fois dans des termes qui interdisent tout espoir, il faut bien que je mette sous vos yeux cette vérité claire comme le jour : que le gouvernement ne veut rien faire, que le gouvernement ne fera rien d'efficace pour les Flandres, et que tout grand remède, il le repousse systématiquement.

On vous a parlé hier des travaux publics à faire dans nos provinces. Multiplier, presser la construction de travaux publics, c'était, en effet, le remède le plus simple, le plus facile, et le plus sûrement efficace contre la misère. Eh bien ! quelle a été la conduite du gouvernement ? Mes honorables amis et moi, nous avions proposé, à la session dernière, de décréter le canal de Schipdonck jusqu'à la mer. Ce travail considérable est plus qu'utile : il est nécessaire pour délivrer la plus grande partie de la Flandre du fléau des inondations. Messieurs les ministres n'ont point contesté que ce canal ne fût nécessaire ; ils n'ont point contesté qu'il ne dût se faire, un peu plus tôt ou un peu plus tard, n'importe ! Cependant, messieurs les ministres ont repoussé notre proposition, ils l'ont fait rejeter par la chambre. Au lieu des salaires que la construction d'un aussi grand travail eût régulièrement répandus au sein de nos populations, on a préféré leur jeter des aumônes nécessairement insuffisantes, qui démoralisent, et qui nous mettent à tous le désespoir dans l'âme et la rougeur au front. On aime mieux, million par million, venir arracher à la pitié des chambres ces secours, ces aumônes qui créent le paupérisme et le développent, que d'aborder franchement de grands travaux publics dont la dépense serait largement reproductive d'abord, et qui substitueraient le pain du travail au pain de l'aumône.

Je ne mentionnerai que pour mémoire le chemin de fer direct entre Bruxelles et Gand par Alost. C'était là encore un grand travail d'utilité publique. Sa construction devait amener, dans une des parties les plus maltraitées de la Flandre, une immense distribution de salaires, en même temps qu'elle était un acte de réparation et de justice. Vous savez tous, messieurs, l'irrésolution du gouvernement sur celle question. et je ferai la concession d'admettre que le gouvernement soit hostile à ce chemin de fer ; je supposerai qu'il est d'avis que ce chemin de fer ne peut pas se faire. Eh bien ! alors encore son inaction est sans excuse. Il ne doit pas se laisser accuser d'entraver, par ses hésitations, un travail qui ferait vivre des milliers de malheureux. Il doit à la dignité du pouvoir d'avoir une opinion sur une question aussi grave. Il y va de la popularité du gouvernement que M. Malou invoquait tantôt (encore un fantôme !), de se prononcer à la face du pays.

Le chemin de fer concédé de la Dendre est un projet non moins important, non moins considérable que ceux que je viens de rappeler. Sa construction aurait répandu l'abondance dans les localités qu'il doit traverser ; elle aurait assuré du travail à des milliers de bras. Ce chemin de fer cependant n'est pas même commencé ; les conditions de la concession restent en cela inexécutées. Or, le gouvernement a-t-il fait des efforts sérieux auprès de la compagnie concessionnaire pour la forcer à mettre la main à l'œuvre ? Si la compagnie avait besoin d'aide, a-t-on songé à lui en donner ? Si elle rencontrait des obstacles, a-t-on songé à les aplanir ? Non, messieurs, on n'a rien fait ; et au lieu de dix à douze millions de salaires que les grands travaux publics que j'ai cités auraient déversés dans les Flandres, on leur a lentement distribué une aumône de quelques centaines de mille francs !

Il restait la colonisation : la colonisation de la Campine d'abord, où la similitude du langage et du sol appelle les Flamands, puis la colonisation du Luxembourg, qui se présente en seconde ligne.

Eh bien ! le projet de loi que nous discutons, messieurs, les vues que le gouvernement y développe, attestent pour les Flandres la même inertie, la même impassibilité, le même mauvais vouloir. On avait introduit la question du défrichement sous les auspices en quelque sorte de la misère des Flandres, aujourd'hui on refuse de l'y rattacher. On disait dans l'exposé des motifs de la loi ouvrant au gouvernement un crédit de 2,000.000 de fr. :

« Ce crédit pourrait encore recevoir son application, au moins en partie, pour hâter la colonisation ou l’habitation des portions du territoire, aujourd'hui désertes ; le. premier stimulant sera certainement l'intérêt des nouveaux propriétaires, qui devront faire construire des habitations pour la culture des terres et l’exploitation des prés ; mais le gouvernement pourra y contribuer également, au mois, en faisant construire quelques édifices indispensables à un nouveau centre de population, savoir : uni chapelle, un presbytère, une école ; nous mettrons sous les yeux de la chambre les divers rapports adressés au gouvernement sur les moyens de colonisation et sur la part qu'il pourrait y prendre. »

On invoquait ainsi la juste sympathie que la misère des Flandres excite dans cette enceinte et au-dehors, pour faire voter le premier crédit de 500,000 fr. destiné aux défrichements, avant même que la législature eût fait le moindre examen du projet actuel. Maintenant on change de langage. Non seulement on recule devant les préjugés du Limbourg et du Luxembourg, mais on les accepte, on les ratifie. Aujourd'hui on déclare que les Flandres n'ont à profiter du défrichement qu'en recueillant les avantages généraux qu'il doit produire pour tout le pays. Mais quant à une colonisation sérieuse, étendue, quant à cette colonisation vraiment nationale, qui aurait offert un soulagement efficace, un remède puissant, prolongé aux souffrances des Flandres, le gouvernement n'en veut pas, le gouvernement s'y oppose.

Et cependant, veuillez-le remarquer ; si, comme on l'a dit, l'argent est le nerf du défrichement ; si le côté financier de cette grande opération a le plus d'importance, est-ce que la colonisation de la Campine et de l'Ardenne pouvait se faire avec plus d'opportunité et de chances de succès qu'au point de vue des Flandres ? En favorisant cette colonisation, messieurs, en aidant au déplacement de nos populations trop agglomérées, que feriez-vous sinon rédimer une taxe des pauvres tous les ans croissante, tous les ans plus lourde et pour vous et pour nous ? (Interruption.)

Je dis, M. le comte de Mérode, qu'une colonisation sur une large échelle serait à la fois une bonne œuvre et une bonne spéculation (si l'on peut employer un tel mot dans de telles questions) ; car, elle permettrait de racheter cette taxe des pauvres qui de cent cinquante mille francs est montée en un an à deux millions, et qui finira par écraser notre budget.

Ne craignez pas qu'une grande et courageuse mesure contre le paupérisme fasse baisser encore le crédit de l'Etat, crédit auquel on ne rend pas justice, auquel on ne se confie pas assez. Emprunter à des conditions que les circonstances actuelles rendent fatalement onéreuses, est une chose fâcheuse sans doute ; mais lorsque vous sauvez par cet emprunt la vie à des milliers de malheureux, est-ce une mauvaise affaire ? est-ce un mauvais marché ? J'écarte la question d'humanité, messieurs, et ne considérant que le côté financier, je réponds que ce serait un bon placement.

Ce n'est pas en effet une dépense improductive qu'on vous demande, car on vous propose la création d'une nouvelle province qui supportera avec les autres le fardeau des impôts. Ce n'est pas davantage un système de subsides à distribuer sans espoir de remboursement, car on ne demande que des avances qui rentreront un jour dans la caisse de l'Etat.

Déjà mon honorable ami, M. Rogier, vous a signalé divers moyens d'obtenir le concours des communes et des bureaux de bienfaisance pour parvenir à la colonisation. Sans se faire défricheur, sans coloniser par lui-même, ce qu'il ferait très mal, le gouvernement peut imprimer au défrichement et à la colonisation une activité décisive. Pour cela je ne lui demande qu'une chose, c'est qu'il aide de son crédit et de ses ressources ceux qui voudront coloniser. Je lui demande d'organiser le crédit agricole qui s'ignore lui-même, et au besoin de le créer par une large et habile intervention. Par là, messieurs, le gouvernement aura fait faire un grand pas à la colonisation ; par là il aura fait faire un grand pas à la question des Flandres.

Que si quelques subsides étaient d'abord nécessaires, faudrait-il s'abstenir ? N'avons-nous pas subsidié indirectement, mais très réellement la compagnie de Guatemala, et ferons-nous moins pour nos provinces que pour les contrées tropicales ?,,.,

Messieurs, je m'expliquerais l'apathie du gouvernement, la sérénité désolante avec laquelle il assiste aux souffrances des Flandres, si les (page 842) Flandres méritaient le reproche d'avoir causé elles-mêmes leurs maux. On a répété à satiété que l'industrie linière, notre grande industrie, était restée stationnaire. Mais, au nom du ciel, soyons sincères, messieurs, dans ces circonstances si graves et que le gouvernement nous rende justice, qu'il se rende justice à lui-même ! Qu'on reconnaisse enfin que si le gouvernement avait fait son devoir depuis 16 ans, les Flandres n'en seraient pas réduites où elles sont. Disons franchement, hautement, que ce que les Flandres expient en ce moment, c'est l'impéritie du gouvernement et de ses diplomates. Elles expient cruellement les fautes commises dans les négociations avec la France, avec l'Espagne, avec l'Allemagne. Elles expient l'indifférence systématique du gouvernement, son incurie, son impuissance à conjurer les augmentations de tarifs qui ont frappé les Flandres à coups redoublés dans leurs exportations.

Je n'en veux citer qu'une preuve toute récente encore. Lorsque les représailles de l'union allemande ont atteint la province de Liège dans son industrie métallurgique, vous avez vu quelle agitation s'est produite ; vous avez vu avec quel empressement et quelle pénurie da lumières le gouvernement s'est hâté de conclure le traité du 1er septembre, afin de rendre le débouché allemand à l'industrie liégeoise. Eh bien ! messieurs, il y a quelques mois, le Zollverein a frappé aussi l'industrie linière et l'industrie cotonnière, les deux grandes industries des Flandres. Nous avons perdu, nous aussi, le débouché de l'Allemagne, vers lequel nos exportations en fil de lin, en toiles, et en twists ont précisément la même importance, que les exportations en fonteet en fer. Le gouvernement s'est-il ému de ce coup qui a frappé les Flandres, comme il s'était ému du coup porté à la province de Liège ? Le gouvernement, messieurs, il a regardé, il a laissé faire !

Après cela, répondrai-je à ce témoignage que M. le ministre de l'intérieur s'est donné à lui-même : que le gouvernement a fait pour les Flandres tout ce qu'il pouvait faire, et que sa conduite avait servi de modèle à l'Angleterre ? Oh ! ce n'est pas sérieusement, M. le ministre, que vous avez tenu ce langage ! Servir de modèle à l'Angleterre ! Mais voyez donc les grandes mesures qui se discutent en ce moment même dans le parlement britannique ; allez-y puiser des leçons, n'ayez pas la prétention d'en donner !

M. de Mérode. - Allez voir l'Irlande.

M. d’Elhoungne. - Allez voir l'Irlande ! Heureusement la Flandre n'est pas encore dans la situation de l'Irlande. La Flandre offre des analogies avec l'Irlande parce qu'elle a des pauvres comme elle, quoique moins nombreux qu'elle ; mais elle n'a pas l'état social de l'Irlande. L'Irlande, M. le comte, mais c'est un pays conquis, où tous les genres de spoliations et de tyrannies s'exercent depuis des siècles. C'est un pays où tout semble en état le décomposition, où chaque élément de la société vit d'une existence anomale. C'est un pays où il n'y a ni sécurité pour les personnes, ni sûreté pour les propriétés, ni respect pour la loi. Avons-nous tout cela en Flandre ? Non, vous le savez bien, nous avons une population morale, paisible, admirablement résignée.

Je m'arrête ici, messieurs. Je crois avoir démontré que le gouvernement n'a rien fait, ne veut rien faire d'efficace pour les Flandres. Je crois avoir prouvé qu'en présence de la question du défrichement, si facile à résoudre au point de vue du paupérisme, le gouvernement s'est montré comme toujours sans grandeur, sans résolution, impuissant. Mais si le projet de loi est, sous ce rapport, inhumain pour les Flandres ; si, par rapport à l'intérêt général du pays, il est incomplet ; je dois cependant, je le répète en terminant, lui reconnaître une somme d'utilité suffisante pour que, député impartial, je lui donne, quoique à regret, un vote affirmatif.

(page 832) M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, la partie essentielle du discours de l'honorable préopinant, est celle par laquelle il a réfuté les objections qui ont été adressées au projet de loi. Sur ce point nous sommes entièrement d'accord avec l'honorable membre. Nous pensons qu'aucune des objections n'est restée debout dans cette discussion.

Mais l'honorable membre désirerait des moyens plus efficaces encore pour arriver au défrichement et surtout pour arriver à la colonisation. Ici, messieurs, nous attendons les leçons de l'expérience et nous n'avons pas voulu engager trop avant le trésor de l'Etat.

Il est donc inexact de dire que lorsque nous avons demandé un crédit de 500,000 fr., nous avons en quelque sorte donné en perspective la transplantation de l'excédant des populations des Flandres dans la Campine. La première destination du crédit demandé était celle des irrigations ; la seconde destination était d'aider aussi à l'augmentation de la population dans cette partie de notre territoire, et voici de quelle manière nous nous sommes exprimé dans l'exposé des motifs relatif aux 500,000 fr.

« Le défrichement des terrains incultes exige une population d'ouvriers ; mais pour leur procurer des salaires convenables, il faut que des propriétaires et des fermiers aisés puissent les mettre à l'œuvre. Peupler la Campine d'indigents, serait ruiner ses habitants et aggraver la misère des colons qu'il faudrait renvoyer à leur domicile de secours. C'est le mélange d'habitants aisés et de bons ouvriers qui peut seul assurer le succès de la colonisation. »

Ainsi, messieurs, nous indiquions d'une manière secondaire l'augmentation de la population et une transplantation lente des colons. La modicité des subsides elle-même indiquait que notre intention ne pouvait pas être autre.

Nous avons aussi produit l'avis du conseil supérieur d'agriculture qui, sur ce point, a émis des avis très sages et qui sont partagés par tous les hommes pratiques. Voici ce que dit le conseil d'agriculture :

« Quant à la population, il n'est pas douteux que les travaux de défrichement ne sauraient devenir faciles, rapides et productifs, si, dans les contrées où on doit les entreprendre, on ne cherche pas à l'augmenter et à la mieux répartir sur la surface du territoire. Le conseil ne croit pas toutefois qu'il faille s'efforcer d'attirer, dans ces contrées, les habitants des provinces où sévit le paupérisme ; un déplacement pareil ne serait utile ni aux localités qu'il s'agit de défricher, ni aux malheureux qu'il aurait pour effet d'arracher à leurs foyers.

« Rien n'est préparé en Campine ou dans l'Ardenne pour nourrir et abriter ces nouveaux venus ; leur travail n'y pourrait être suffisamment rétribué, et peut-être même n'y trouveraient-ils pas à occuper leurs bras, à moins que le gouvernement ne décrétât de suite une masse de travaux publics, canaux, routes, chemins vicinaux, etc.

« Le conseil pense que, dans tout ce qui a pour but de déplacer des populations, il convient d'agir avec une sage lenteur et d'après des règles où préside une haute prudence. Le gouvernement peut sans doute exercer ici, comme en toutes choses, une bienfaisante influence ; il est même à souhaiter qu'on lui donne le pouvoir d'intervenir d'une manière active dans le mouvement qui aura pour résultat de fixer sur nos landes défrichées des populations nouvelles ; mais son intervention, pour être à la fois utile et efficace, doit se circonscrire dans un cercle fort limité, et n'apparaître qu'au fur et à mesure que le besoin s'en fera sentir. Quand on considère la marche des défrichements, on voit qu'ils se développent peu à peu autour des communes ; on dirait que c'est une tache qui s'élargit par l'influence naturelle du temps, et, en réalité, ce n'est pas autre chose, puisque chaque parcelle nouvelle de terre qui est mise en culture augmente la somme des engrais disponibles, et que ceux-ci, à leur tour, permettent de défricher une étendue de terrain plus grande. »

(page 833) Nous avons aussi indiqué, messieurs, comme possible, comme même probable la formation de quelques noyaux de communes dans le centre des grandes bruyères, mais à proximité des communications et principalement sur les bords du canal. Aller au-delà, messieurs, ce serait risquer de compromettre en vain et le sort des populations et les deniers de l'Etat.

L'honorable membre a terminé son discours par des considérations toutes spéciales aux Flandres.

Déjà, messieurs, nous avons fait voir que les ressources du trésor, quant aux travaux publics, étaient presque exclusivement appliquées aux Flandres pour l'année actuelle ; que pour d'autres provinces on avait dû interrompre les travaux déjà commencés et s'abstenir de pétitionner des crédits.

L'honorable membre semble regretter que la somme de 1,500,000 fr. soit, pour la majeure partie, distribuée en quelque sorte en avances aux communes des Flandres pour les aider à procurer des moyens d'existence à leurs habitants.

Messieurs, nous avons, quant à l'emploi de cette somme, vivement recommandé de n'en pas faire un usage exclusif pour l'aumône, mais au contraire d'en faire un emploi tel, qu'il en résulte des travaux, de l'occupation, et qu'au lieu d'étendre la mendicité on cherche à la restreindre. Mais, dans la situation actuelle, une partie de ces fonds recevra, sans doute, une destination en secours. Le propriétaire qui se bornerait exclusivement à faire faire des travaux, et qui ne soulagerait pas par des aumônes les maux excessifs de certaines familles, maux causes par une surabondance d'enfants ou par les infirmités des parents, ne satisferait qu'en partie à son devoir. C'est le travail, d'une part, ce sont les secours, d'autre part, qui seuls peuvent faire face à la situation.

L'honorable membre s'étonne que le gouvernement n'ait pas déjà décrété le chemin de fer direct de Bruxelles vers Gand par Alost. Messieurs, cette question est très grave ; dans les Flandres même, elle présente des dissentiments.

C'est d'ailleurs une question d'argent, question qui ne peut pas recevoir de solution dans le moment actuel. Nous dira-t-on : Mais concédez cette ligne ? D'abord c'est une grande question de savoir s'il conviendrait de concéder cette ligne directe de Bruxelles à Gand, à côté du chemin de fer national. En second lieu, messieurs, n'est-il pas constant que plusieurs compagnies ont en ce moment suspendu leurs travaux, ou n'entreprennent point les travaux des concessions qui leur sont accordées. Le moment est-il donc si bien choisi pour lancer encore de nouvelles concessions en concurrence avec celles qui sont déjà accordées ?

M. Rogier. - Forcez-les !

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - On me dit : Forcez-les. Mais la seule clause dont le gouvernement puisse faire usage, c'est de confisquer les sommes données à titre de cautionnement, et encore faut-il que les délais soient expirés et que les circonstances donnent lieu à une pareille mesure. A cet égard j'ai lieu de croire que M. le ministre des travaux publics saura remplir les devoirs que lui imposent les actes de concessions et user des droits qu'ils lui donnent.

L'honorable membre a isolé une phrase du discours que j'ai prononcé dernièrement sur les mesures prises par le gouvernement, pour parer autant qu'il était en lui aux malheurs occasionnés par le manque de deux récoltes successives : ce n'est point mon exemple que j'ai cité : j'ai cité les actes de mon prédécesseur, les actes de mes collègues et les miens ; j'ai cité l'ensemble des mesures prises par le gouvernement, et ici, je suis heureux de le dire, le gouvernement a trouvé dans les témoignages du gouvernement britannique un dédommagement aux critiques qui lui ont été adressées, critiques, j'ose le dire, isolées. (Aux voix ! Aux voix !)

M. de Mérode. - Je voudrai dire un mot. Lorsque je suis entré dans la salle, l'orateur qui avait la parole citait mon amendement et disait qu'il tendait à empêcher le défrichement des terrains non susceptibles d'irrigation ; or, messieurs, telle n'est pas la portée de mon amendement. Mon amendement se borne à ne donner au gouvernement, d'accord avec la députation, le droit d'expropriation qu'il demande, à ne lui donner ce droit que pour des terrains bien définis, pour les terrains où l'application de la mesure a un but utile bien connu. Voilà, messieurs, ce que fait mon amendement ; mais il n'exclut nullement le défrichement des autres terrains incultes.

Je n'admets pas que le gouvernement puisse avoir, d'une manière générale, absolue, le droit d'exproprier tous les terrains quelconques, sans avoir même indiqué d'avance quel est le but de cette expropriation ; mais lorsqu'un certain nombre de terrains susceptibles d'irrigation auront été mis en valeur par cette irrigation, que les terrains voisins seront par conséquent susceptibles d'être cultives, d'être labourés, attendu qu'il y aura des engrais et que les simples notions d'agriculture enseignent que c'est là le principal élément de fertilisation pour les terrains maigres comme ceux dont il s'agit ; eh bien, alors les possesseurs des terrains voisins de ceux qui auront été soumis à l'irrigation, ne refuseront pas de mettre eux-mêmes en culture ces terrains qu'ils aiment mieux, aujourd'hui, garder tels qu'ils sont que de les voir vendre à des particuliers qui en feraient vraisemblablement des bois de sapin. Il ne faut pas se faire illusion ; si ces terrains sablonneux de la Campine n'ont jamais été cultivés, c'est parce qu'ils étaient très mauvais, parce qu'ils n'étaient guère susceptibles de culture ; dès qu'ils le deviendront, les habitants ne se refuseront plus à les cultiver, et dès lors il est inutile de donner au gouvernement le droit exorbitant qu'il demande.

Je dis que ce serait compromettre le droit de propriété, que d'admettre un droit d'expropriation sans limites ; et c'est pour éviter cela que j’ai présenté mon amendement. Mais il est tout à fait contraire à la vérité de présenter cet amendement comme un obstacle au défrichement des terrains qui ne sont pas susceptibles d'irrigation.

Je dirai un mol, messieurs, des travaux qu'on engage le gouvernement à entreprendre dans les Flandres, car je m'intéresse, moi, particulièrement aux Flandres, attendu que les Flandres font partie de la Belgique, qu'ils en font une partie intéressante, et que mon patriotisme s'applique, non pas à une seule localité, mais à toutes les provinces du pays. Eh bien, messieurs, si vous faites dans les Flandres une quantité de chemins de fer, où portez-vous votre argent ? Mais c'est dans l'arrondissement de Charleroy, qui fournit les rails. Il en est de même pour les routes pavées. Qu'est-ce qui coûte le plus dans une route pavée ? Ce ne sont pas les travaux de terrassement, ce n'est pas le lit du chemin. Je me chargerais volontiers de faire construire une lieue de chemin non pavé pour une bagatelle. Les ouvriers flamands ne gagneraient donc presque rien à l'exécution de chemins de fer et de routes pavées. Ce qui peut être utile dans les Flandres, c'est le creusement de canaux qui délivreraient le pays des inondations et dans lesquels tout est main-d'œuvre, dans lesquels tout serait, par conséquent, bénéfice pour les ouvriers flamands. J'engage donc le gouvernement à faire particulièrement des canaux dans les Flandres plutôt que tout autre genre de travaux.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - C’est ce qu'il fait.

M. d’Elhoungne. - Voici, messieurs, l'amendement présenté par l'honorable comte de Mérode :

« La vente des terrains incultes : bruyères, saris, vaine pâture, dont la jouissance appartient, soit à des communes, soit à des communautés d'habitants qui en font usage par indivis et reconnus susceptibles d'être mis en valeur au moyen d'un système d'irrigation, pourra être ordonnée par arrêté royal, sur l'avis conforme de la députation permanente du conseil provincial, après avoir entendu les conseils des communes intéressées. »

J'avais compris cet amendement comme n'appliquant le principe de l'expropriation...

M. de Mérode. - Forcée.

M. d’Elhoungne. - Mais pour la vente volontaire il ne faut pas de loi, M. le comte !

J'avais compris, dis-je, que l'honorable comte de Mérode voulait exclure de l'expropriation forcée les terrains non susceptibles d'irrigation. (Interruption.) Je n'ai pas dit autre chose. (Nouvelle interruption.) Eh bien alors je n'ai pas dit une chose que l'honorable comte de Mérode a appelée si obligeamment, contraire à la vérité ; seulement, j'ai beaucoup mieux exprimé sa pensée qu'il n'est parvenu à l'exprimer lui-même. (Interruption.)

M. le comte de Mérode conteste la valeur énorme en salaires qui résulte de la construction de chemins de fer ; il considère le coût des rails comme étant la chose la plus importante. L'honorable comte de Mérode perd de vue que quand on construit un chemin de fer on achète d'abord une grande quantité de terrains dont le prix forme un capital remboursé aux propriétaires et qui entre toujours dans la circulation d'une manière avantageuse pour les ouvriers. Il perd ensuite de vue que les travaux de terrassement sont aussi une partie considérable de la construction d'un chemin de fer, que les ouvrages d'art en sont une partie plus considérable encore. Enfin il perd de vue qu'li ne s'établit jamais un chemin de fer dans une localité sans donner lieu à une foule de constructions particulières et de travaux particuliers qui créent aussi une valeur considérable en main-d'œuvre.

- La clôture est demandée.

M. de Mérode (pour un fait personnel). - On m'a reproché, messieurs, de m'être servi du mot « contraire à la vérité ». Je n'ai pas entendu par là que l'orateur ait voulu dire quelque chose de mensonger ; j'ai entendu seulement que mon amendement n'avait pas la portée que l'honorable membre y avait attribuée. J'ai dit que mon amendement n'empêchait pas les communes de vendre volontairement leurs terrains et de les livrer à l'agriculture, ce qu'elles feraient nécessairement lorsqu'on aurait soumis les terrains voisins à l'irrigation.

M. Orban (contre la clôture). - Comme nous allons voter sur les amendements, il est essentiel que la portée en soit bien comprise. Je demanderai à la chambre la permission de dire deux mots sur l'amendement de M. de Mérode.

- La clôture est mise aux voix ; l'épreuve est douteuse. En conséquence la discussion continue.

M. Orban. - Messieurs, si l'observation qu'a faite tantôt l'honorable M. d'Elhoungne était fondée, je conçois qu'il y aurait quelques difficultés à adopter l'amendement de l'honorable M. de Mérode. En effet, si le gouvernement ne pouvait exproprier que les terrains susceptibles d'irrigation, le système ne serait pas complet, car à côté des terrains susceptibles d'irrigation, il faut que le gouvernement puisse encore faire vendre les terrains susceptibles d'être mis en culture au moyen des prairies, des fourrages qui seront créés au moyen de l'irrigation.

Eh bien, c'est évidemment dans ce sens que doit être compris l'amendement de l'honorable M. de Mérode. En effet, cet amendement dit que le gouvernement pourra faire vendre, non pas les terrains susceptibles d'irrigation, mais les terrains susceptibles d’être mis en valeur au moyen d'un système général d'irrigation. Eh bien, je dis que tous les terrains dont le défrichement, dont la culture sera rendue possible par suite des irrigations opérées, par suite de la conversion en prairies des terrains avoisinants, que tous ces terrains pourront être (page 834) expropriés en vertu de l'amendement de l'honorable M. de Mérode. Il me semble que c'est là le sens bien clair et bien littéral de l'amendement.

M. de Mérode. - J'admets cette signification donnée à mon amendement.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, quel que soit le sens que l'on veuille donner à l'amendement de l'honorable comte de Mérode, je dois le combattre parce que je le considère comme tout à fait insuffisant. Il ne s'agit pas seulement de mettre en valeur quelques terrains qui longent les canaux que l'Etat a fait construire, il s'agit de mettre en valeur les landes communales dans quelque province qu'elles soient situées, pourvu qu'elles soient susceptibles de culture. Tel était le but de l'ancien édit, tel était le but de l'enquête commencée en 1813 par mon prédécesseur, et c'est sur ce point que tous les avis ont porté, et tel est le but de la loi.

- La discussion sur l’article premier et les amendements est close.

M. le président se dispose de mettre aux voix l'amendement de M. de Mérode.

Des membres réclament la priorité en faveur du projet du gouvernement.

M. Huveners (sur la position de la question). - Messieurs, nous ne pouvons pas commencer par voter sur l'amendement de l'honorable comte de Mérode : il faut d'abord mettre aux voix le principe général, tel qu'il est posé par le gouvernement ; car si ce principe n'était pas admis par la chambre, je voterais pour l'amendement de l'honorable M. de Mérode.

M. le président. - Je consulterai la chambre sur la priorité.

M. le ministre des finances (M. Malou) (sur la position de la question). - Messieurs, on dit que c'est un amendement ; mais enfin l'ordre du vote doit être déterminé de manière que chacun ait la pleine et entière liberté de son vote ; ceux des membres de la chambre qui veulent admettre le principe général, si ce principe est rejeté, se reporteront nécessairement sur le principe restreint. Il faut donc, ou que l'on pose une question de principe, ou que l'on prenne la question la plus générale ; c'est le principe du projet de loi qui comprend à la fois les irrigations et le défrichement des terrains incultes.

M. d’Hoffschmidt (sur la position de la question). - Messieurs, le règlement est formel ; l'article 24 dit que les amendements doivent être mis aux voix avant la question principale. Je ne pense pas que, dans le cas actuel, nous devions nous écarter du règlement.

Il n'y a pas le moindre inconvénient à nous conformer au règlement dans cette circonstance ; je demande donc qu'on mette d'abord aux voix l'amendement de l'honorable M. de Mérode. Ceux qui voudront du projet du gouvernement, voteront contre cet amendement ; si au contraire la majorité adopte l'amendement, le projet du gouvernement sera par là rejeté.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux) (sur la position de la question). - Messieurs, quel que soit le mode de voter, le résultat sera le même, puisque la question est parfaitement comprise. Cependant je crois que, pour suivre l'ordre des délibérations que la chambre a toujours consacré, il faut commencer par la question la plus générale. Je m'en vais citer un exemple. Lorsqu'on est en présence de deux chiffres pour une dépense, la chambre vote toujours en premier lieu sur le chiffre le plus élevé. Pourquoi agit-elle ainsi ? Parce que ceux qui ont voulu le chiffre le plus élevé, veulent à plus forte raison le chiffre inférieur. De même, les membres qui, aujourd'hui, voteront pour le principe général proposé par le gouvernement, voleront ensuite, si ce principe est écarté, pour l'amendement de l'honorable M. de Mérode, qui accorde quelque chose, quoique infiniment moins quel projet du gouvernement ; tandis que si on adoptait un autre ordre de voter, et que. par exemple, l'amendement de l'honorable M. de Mérode fût écarté, et ensuite la proposition du gouvernement, il n'y aurait rien.

M. Huveners (sur la position de la question). - Messieurs, je veux seulement faire remarquer que si l'on mettait aux voix en premier lieu l'amendement de l'honorable M. de Mérode, je voterais pour ; mais il doit être entendu que ce vote de la chambre n'exclut pas le vote ultérieur sur la proposition du gouvernement.

L'amendement de l'honorable M. de Mérode ne s'applique qu'à l'expropriation des terrains incultes qui sont irrigables ; la proposition du gouvernement, au contraire, concerne l'expropriation de tous les terrains incultes sans distinction. Si le projet du gouvernement n'était pas adopté, j'admettrais l'amendement qui se restreint aux terrains irrigables. Si cet amendement est mis aux voix en premier lieu, je dois nécessairement voter pour, puisque je veux le résultat que l'amendement a en vue ; mais alors je demanderai que l'on mette aux voix en second lieu le projet du gouvernement ; sinon le vote ne sera pas libre, car ceux qui adoptent le projet du gouvernement voteront à plus forte raison pour l'amendement de l'honorable comte de Mérode. Cet amendement ne peut donc écarter la proposition du gouvernement.

M. Dubus (aîné) (sur la position de la question). - Messieurs, on a invoqué l'article du règlement qui forme la règle que l'on suit habituellement. Je dis que l'on suit habituellement, parce qu'on s'en est écarté toutes les fois que l'ordre logique de la discussion exigeait de s'en écarter. On vous a cité un exemple qui doit, me paraît-il, entraîner la décision de la chambre. Lorsque la chambre doit se prononcer sur différents chiffres, toujours on met le chiffre le plus élevé aux voix le premier, sans distinction si le chiffre forme la proposition principale ou s'il forme un amendement ; pourquoi ? Parce que l'ordre logique de la délibération l'exige impérieusement ; parce que ceux qui veulent le chiffre le plus élevé, si ce chiffre est écarté, sont naturellement disposés à se rallier au chiffre qui suit immédiatement.

Eh bien ! nous nous trouvons dans une situation tout à fait analogue ; il y a une proposition qui forme en quelque sorte le chiffre le plus élevé ; puisque d'honorables membres ne pourront admettre la proposition restreinte que dans le cas où ils verraient écarter la proposition la plus générale, c'est donc la proposition la plus large qui doit être mise la première aux voix.

M. de La Coste (sur la position de la question). - Messieurs, la proposition de l'honorable M. de Mérode est moins un amendement qu'une demande de vote par division. L'honorable membre sépare les terres irrigables des autres bruyères ; eh bien, si l'on veut cette division, l'ordre logique serait de voter d'abord sur les bruyères irrigables, et puis sur les autres.

Des membres. - C'est cela.

M. de Tornaco (sur la position de la question). - Messieurs, je crois qu'il serait plus logique et même plus prudent de commencer par voter la question de principe. L'amendement de l'honorable M. de Mérode se présente aujourd'hui de telle manière qu'il y a du doute dans les esprits sur la portée de cette disposition. Il serait plus clair et plus franc de voter sur le principe d'expropriation. De quoi s'agit-il ? Il s'agit d'une proposition du gouvernement qui a pour but d'établir l'expropriation, pour cause d'utilité publique, de toutes les bruyères vaines qui appartiennent aux communes, que l'utilité de ces terrains soit reconnue ou ne soit pas reconnue.

Voilà ce dont il s'agit, voilà ce que j'aime à constater. D'un côté, il y a des membres qui prétendent accorder ce pouvoir exorbitant au gouvernement et d'autres qui veulent le lui refuser. Je pense que dans cette position il est plus franc de décider par une question de principe si on accordera au gouvernement le pouvoir qu'il demande.

M. d’Hoffschmidt. - J'ai présenté un amendement formant un article nouveau destiné à restreindre la faculté d'expropriation, accordée au gouvernement, au tiers des terrains incultes appartenant à chaque commune. Il faut qu'il soit bien entendu que, par l'adoption de l'article premier du gouvernement, mon amendement ne se trouvera pas écarté. Si cela est bien entendu, je n'ai, pour le moment, plus rien à dire ; sans cela, j'aurais demandé qu'on votât d'abord sur mon amendement.

Plusieurs voix. - C'est entendu !

M. Delfosse. - Je ne puis admettre que l'on pose une question de principe. Nous sommes ici pour faire des lois, et non pour nous prononcer sur des questions de principe. Je sais que la chambre est déjà entrée dans cette voie, mais je crois qu'elle a eu tort. Si l'on pose une question de principe, je m'abstiendrai ; et j'attendrai pour dire oui ou non que l'on mette un article de loi aux voix.

La proposition que l'on nous fait de mettre l'article aux voix avant l'amendement de l'honorable comte de Mérode est tout simplement le procès fait au règlement. La disposition du règlement qui porte que le vote des amendements doit être préalable n'établit pas de distinction entre les amendements qui tendraient à introduire un système plus ou moins général, plus ou moins restreint ; tout amendement, quelle qu'en soit la nature, doit, aux termes du règlement, être mis aux voix avant la proposition principale ; ce n'est que lorsqu'il s'agit de voter sur des chiffres que l'on s'écarte de cette règle.

M. Rogier. - Je demande s'il est bien entendu que l'adoption du principe n'absorbera pas entièrement les amendements proposés à cet article ; notamment, l'amendement proposé par l'honorable M. d'Hoffschmidt qui demande que la faculté d'exproprier les communes pour fait de non-culture soit restreinte au tiers des biens incultes des communes, et que les deux tiers soient réservés pour l'avenir ; mais que pour le moment la faculté donnée au gouvernement soit ainsi limitée. Je suis disposé à donner mon vote approbatif à cette proposition. Mais il est plusieurs membres qui reculeraient devant l'adoption d'un article qui proclamerait le principe sans limite, sans condition.

Je demanderai donc que l'amendement de M. d'Hoffschmidt soit mis aux voix avant l'article premier, ou qu'il soit bien entendu que le vote de l'article premier n'entraînera pas le rejet de cet amendement.

M. le président. - Cela ne fait pas de doute ; cet amendement forme un article distinct qui viendra après l'article premier ; il n'a pas été discuté, il n'a pas même été appuyé ni développé, la question reste donc sauve.

M. Dumortier. - Puisque j'entends faire des réserves, je demanderai à pouvoir en faire une pour la discussion des articles qui doivent suivre. Il y a pour moi, dans la loi qui est présentée, deux positions différentes. Malheureusement ces deux positions ont toujours été confondues : c'est la position des bruyères et celle des sarts qui se rencontrent toujours en Ardennes. Je dis que si une proposition est faite relativement aux sarts, je l'appuierai. Les sarts ne sont pas des propriétés incultes ; il y a des sarts qui appartiennent à des communes, mais ce sont des terrains exploités. J'entends donc réserver toute espèce de vote quant à cette question, quand elle se présentera.

M. le président. - Vous venez d'entendre la proposition de M. de La Coste, de diviser la question en terrains irrigables et en terrains non irrigables ; l'amendement de M. de Mérode serait compris dans cette proposition, car il ne s'applique qu'aux terrains irrigables ; on voterait d'abord sur le principe appliqué à ceux-là, sauf à voter ensuite sur son application aux terrains non irrigables.

(page 835) - La chambre consultée accorde la priorité au vote sur l'amendement de M. de Mérode, les terrains susceptibles d'être soumis à un système d'irrigation.

Cet amendement est mis aux voix et adopté.

La chambre passe ensuite au vote du principe appliqué aux terrains non susceptibles d'être soumis à un système d'irrigation.

Plusieurs membres ayant demandé l'appel nominal, il est procédé à cette opération.

En voici le résultat :

70 membres ont répondu à l'appel.

52 membres ont répondu oui ;

16 membres ont répondu non ;

2 membres se sont abstenus.

En conséquence, le principe est également admis quant aux terrains non susceptibles d'irrigation.

Ont répondu oui : MM. d'Elhoungne, de Man d'Attenrode, de Meester, de Naeyer, de Renesse, de Roo, de Saegher, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, de Theux, de Villegas, d'Huart, Donny, Dubus aîné, Dubus (Albéric), Dubus (Bernard), Dumont, Dumortier, Fallon, Goblet, Henot, Huveners, Kervyn, Lebeau, Lejeune, Lesoinne, Loos, Malou, Mast de Vries, Mercier, Osy, Rodenbach, Scheyven, Sigart, Simons, Thienpont, Troye, Van Cutsem, Van den Eynde, Veydt, Wallaert, Brabant, Cans, Clep, d'Anethan, de Corswarem, Dedecker, de Haerne, de la Coste, de Lannoy, Liedts.

Ont répondu non : MM. Delfosse, de Mérode, de Tornaco, d'Hoffschmidt, Fleussu, Jonet, Lange, Orban, Pirmez, Pirson, Vandensteen, Verhaegen, David, de Baillet, de Bonne et de Garcia.

M. le président invite MM. Eloy de Burdinne et Rogier à motiver leur abstention.

M. Eloy de Burdinne. - Très partisan du défrichement des bruyères, je n'ai pas voulu empêcher qu'on expropriât.

D'un autre côté, j'aurais voulu qu'on employât d'autres moyens pour encourager les défrichements, avant d'en venir à cette extrémité.

M. Rogier. - Je n'ai pas voulu voter contre la proposition, parce qu'elle renferme un principe susceptible d'une bonne application. Mais je n'ai pas voulu voter pour, parce que l'application du principe doit, d'après moi, se faire avec certaines réserves et certaine mesure ; et dans le doute si l'amendement de l'honorable M. d'Hoffschmidt sera adopté, je n'ai pu voter le principe dans un sens général et illimité.


M. le président. - Nous passons au premier membre de phrase de l'article premier ainsi conçu :

« La vente des terrains incultes, bruyères, sarts, vaines pâtures et autres reconnus comme tels par le gouvernement. »

La parole est à M. Orban sur cette rédaction.

M. Orban. - Il semblerait résulter de cette rédaction que les vaines pâtures constituent une espèce particulière de terrains incultes. Or, il n'en est rien, la vaine pâture est un droit d'une espèce particulière qui s'exerce sur les terrains incultes et même sur des terrains soumis à la culture.

Il arrive, il est vrai, que l'on confond le droit de vaine pâture avec les terrains sur lesquels il s'exerce. Mais alors l'expression est générale et comprend tous les terrains sur lesquels la vaine pâture peut s'exercer. Mais ajouter, comme on vous le propose, les vaines pâtures aux sarts et aux bruyères, c'est supposer, ce qui n'existe pas, que la vaine pâture est une espèce particulière de terrains incultes, autres que les sarts et bruyères. Il faudrait donc dire, pour être exact et correct : la vente des sarts, bruyères et autres terrains incultes.

Maintenant, voici une seconde modification qui, je crois, serait nécessaire. Il faudrait retrancher les mots : reconnus comme tels par le gouvernement. Je pense qu'en tout état de choses cette suppression devrait être ordonnée, car il ne peut dépendre du gouvernement de reconnaître comme terrains incultes d'autres terrains que ceux qui le sont réellement ; c'est là une faculté abusive qui ne peut lui être accordée. Mais cette suppression ne peut souffrir aucune difficulté, du moment où l'amendement, par lequel l'honorable M. d'Huart propose de terminer l'article, est admis. Cet honorable membre propose d'ajouter : Dans les communes où il aura été nécessaire de recourir à cette mesure pour cause d'utilité publique.

La faculté accordée au gouvernement de spécifier les terrains dont l'aliénation est exigée pour cause d'utilité publique, absorbe celle qui lui serait accordée, de reconnaître les terrains qui devraient être considérés comme incultes. Ce serait lui accorder deux fois et dans des termes différents la même faculté dans le même article de la loi.

Je crois, messieurs, qu'en présence de ces observations, M. le ministre de l'intérieur lui-même ne fera aucune difficulté, dans l'intérêt de la correction et de la précision de la rédaction de la loi, de consentir à la suppression et au changeaient que je propose.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, j'ai déjà dit dans une séance précédente qu'en insérant dans la loi ces mots : Et autres reconnus comme tels par le gouvernement, j'avais en vue de prévenir les contestations devant les tribunaux.

Ainsi, par exemple, il existe des bruyères sur lesquelles végètent quelques sapins épars. Evidemment ce n'est pas là un terrain cultivé. Il existe des bruyères sur lesquelles il y a par-ci par là des broussailles. De toute évidence ce n'est pas encore là un terrain cultivé. Eh bien, ce que j'ai demandé, c'est que le gouvernement eût la faculté de reconnaître ce qui constitue les terrains incultes.

Le gouvernement n'entend en aucune manière aliéner ni les propriétés boisées ni les propriétés cultivées de toute autre manière ; il n'entend provoquer que l'aliénation des terrains incultes.

Quant à l'énumération, messieurs, elle est consacrée par l'usage, et les différentes expressions du projet de loi se retrouvent fréquemment dans les documents soumis à la chambre : bruyères, sarts, vaines pâtures, ce sont là toutes expressions consacrées par l'usage ; et je crois qu'elles ne peuvent présenter aucune difficulté.

Pour qu'une vaine pâture puisse être expropriée, il faut nécessairement que ce soit terrain communal et inculte, aux termes du projet de loi.

J'adopte, messieurs, la modification que vous a proposée l'honorable M. d'Huart et que la section centrale a également admise, parce qu'elle rentre évidemment dans les termes du projet de loi, qui est tout entier ; fondé sur l'utilité publique, qui ne consacre l'expropriation que pour cause d'utilité publique.

Je crois donc que, pour éviter tout doute sur l'application de la loi, il vaut mieux maintenir la rédaction du projet du gouvernement, sauf à y ajouter l'amendement de l'honorable M. d'Huart.

M. d’Hoffschmidt. - Messieurs, j'ai présenté hier à la chambre quelques amendements. L'un d'eux se rattache au paragraphe premier de l'article premier en discussion ; c'est celui qui a pour but de remplacer les mots : communautés d'habitants, par ceux-ci : sections de communes.

M. le président. - Nous n'en sommes pas encore arrivés là ; nous y viendrons tantôt. Pour le moment, il ne s'agit que de la première partie du paragraphe.

Aucun amendement n'étant présenté sur cette partie du paragraphe, je vais la mettre aux voix.

M. Dumortier. - J'ai demandé à faire à la chambre quelques observations sur la disposition qui va être mise aux voix.

M. le président. - La discussion est close. Je ne puis vous accorder la parole.

M. Dumortier. - J'avais fait mes réserves quant au mot sarts qui se trouve dans l'article.

M. le président. - Vous pourrez faire telles observations que vous voudrez après le vote de l'article.

- La première partie du paragraphe premier est mise aux voix et adoptée.


M. le président. - «... dont la jouissance ou la propriété appartient, soit à des communes, soit à des communautés d'habitants qui en font usage par indivis. »

M. d'Hoffschmidt propose de remplacer les mots : « Soit à des communautés d'habitants qui en font usage par indivis, » par ceux-ci : « Soit à des sections de communes. »

M. d’Hoffschmidt. - Je demande la parole ; je désire dire quelques mots sur mon amendement.

M. le président. - Vous avez la parole sur la position de la question.

M. d’Hoffschmidt. - Messieurs, je désire qu'on comprenne bien qu'en votant mon amendement, on n'exclurait pas les terres que l'on appelle en Flandre vry-geweyd, et pour lesquelles on pourrait voter une disposition distincte. C'est uniquement à cause du vry-geweyd que M. le ministre de l'intérieur conserve les expressions qui se trouvent dans la loi.

M. le président. - Vous rentrez dans la discussion, et la discussion est close sur l'article premier et sur tous les amendements.

M. Orban.- Il est évident que l'examen de propositions de la nature de celle qu'a faite l'honorable M. d'Hoffschmidt doit avoir lieu maintenant, et que nous devions voter sur la question de principe avant de nous en occuper.

Aussi longtemps que cette question n'a pas été vidée, nous avons ignoré quelle serait, en réalité, la disposition de la loi, et dès lors, il était impossible de discuter celle-ci ou de l'amender.

M. le président. - Chaque membre qui présente un amendement a la parole pour le développer, et il peut alors en faire connaître l'esprit et la portée. Mais une fois la discussion close sur un article et sur les amendements qui s'y rattachent, je ne puis plus accorder la parole, à moins que la chambre ne décide que la discussion sera rouverte.

M. d’Elhoungne. - Je dois faire remarquer que l'amendement de l'honorable M. d'Hoffschmidt tend à exclure du projet les quartiers. Or, M. le ministre de l'intérieur a déclaré lui-même qu'ils n'y étaient pas compris, et dans tous les renseignements statistiques qui nous ont été distribués, les quartiers sont considérés comme des bruyères appartenant à des particuliers, et non à des communes. Il est essentiel de bien se fixer sur la portée de la rédaction que la chambre va voter.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Lorsque l'on a affirmé dans cette chambre que les quartiers constituaient des propriétés privées, quoique appartenant à un certain nombre de familles, je n'ai pas hésité à déclarer que ces propriétés ne pouvaient tomber sous l'application de la loi.

M. Lebeau. - Le texte est contre vous.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Pardonnez-moi. Il faut que les bruyères soient des biens communaux pour qu'elles puissent être expropriées.

(page 836) L'honorable M. d'Hoffschmidt veut introduire dans l'article les mots : sections de commune. J'ai déjà fait observer que nous avions un exemple dans le vry-geweyd, qui devait nécessairement faire exclure la rédaction de l'honorable M. d'Hoffschmidt, et je ne suis pas du tout certain que ce qui se passe pour le vry-geweyd ne se passe pas encore ailleurs. J'ai lieu de croire que cela se représente assez souvent.

Ce qu'il y a de certain, c'est que, toute la discussion en fait foi, le projet ne s'applique en aucune manière à des propriétés privées, soit qu'elles appartiennent à un seul individu, soit qu'elles appartiennent en commun à plusieurs individus.

M. le président. - Je ferai remarquer à M. le ministre que la discussion est close ; qu'il ne s'agit que de la position de la question.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je prie M. le président de m'excuser si j'ai pour un instant perdu de vue la décision de la chambre.

M. d’Hoffschmidt. - Je demanderai cependant à la chambre la permission de dire quelques mots. On n'est pas même d'accord sur le sens qu'il faut accorder à mon amendement, et le principal est de s'entendre.

D'ailleurs je dois déclarer que je ne m'attendais pas à ce que la discussion serait close sur tous les amendements. Je demande donc que la chambre veuille bien me permettre quelques courtes observations.

M. le président. - Je consulterai la chambre.

- La chambre décide qu'une discussion sera ouverte sur l'amendement de M. d’Hoffschmiddt.

M. d’Hoffschmidt. - Messieurs, je ne connais que trois catégories de propriétés incultes possédées par indivision ; ce sont d'abord les propriétés appartenant aux communes ; ce sont, en second lieu, les terres incultes appartenant à une section de commune ; et, en troisième lieu, les terres qui appartiennent à une communauté d'habitants, à un certain nombre d'habitants, qui les possèdent par indivis. L'intention de M. le ministre de l'intérieur, qui est ici la même que la mienne, n'est pas d'appliquer le principe de l'expropriation aux terres appartenant par indivis à une communauté de particuliers. Or, messieurs, cette question est d'une très grande importance pour le Luxembourg. Il y a dans le Luxembourg, j'en suis sûr, au moins 30,000 hectares de terres appartenant à des communautés de particuliers et qui ne sont pas dans les attributions des conseils communaux.

C'est tellement important, que j'ai reçu un grand nombre de réclamations sur ce point, et que c'est une partie de la loi qui inquiète le plus nos populations. Dès lors vous comprenez, messieurs, que je dois insister pour que la loi soit claire et précise à cet égard. Or, je dis que, d'après les termes de la loi, elle s'appliquerait également à ce que nous appelons quartiers, et c'est cependant ce que M. le ministre de l'intérieur ne veut pas lui-même. M. le ministre de l'intérieur nous donne même des déclarations formelles à cet égard ; mais je ne sais pas, quand on fait une loi, si on peut se borner à accepter des déclarations, s'il n'est pas infiniment préférable que la loi soit claire, précise, complète.

Je demande donc qu'on change la rédaction du projet de manière à écarter le danger que je viens de signaler. On peut le faire par différents moyens ; on peut le faire, soit en adoptant mon amendement, soit en ajoutant, par exemple : « à l'exception des quartiers. » Si on veut admettre cette dernière modification, je crois qu'elle sera suffisante.

M. le ministre craint que les 4 ou 500 hectares qu'on appelle dans les Flandres vry geweyd, ne tombent pas sous l'application de la loi, mais il serait très facile d'ajouter un paragraphe particulier à l'article, relativement à cette partie de terrain. On n'adopte jamais une disposition générale en vue d'un cas spécial ; je crois donc devoir insister sur mon amendement.

M. Dubus (aîné). - Je crois, messieurs, que l'amendement est tout à fait inutile, et qu'il pourrait être nuisible. Je dis qu'il est tout à fait inutile, parce qu'il ne faut pas d'amendement pour exclure de la disposition les quartiers dont parle l'honorable préopinant, au moins d'après la désignation qui a été donnée de ces quartiers. C'est un genre de propriétés que je ne connais pas ; mais je m'en rapporte aux explications données par les honorables députés du Luxembourg. Eh bien, ces honorables membres nous ont dit que les quartiers sont des propriétés indivises entre un certain nombre d'habitants d'une commune. Remarquez ceci : indivise entre eux, de telle sorte que chacun de ses habitants a sa part indivise dans l'immeuble. Evidemment ce n'est pas là une propriété appartenant à une communauté d'habitants ; jamais l'expression : « appartenant à une communauté d'habitants » n'a eu ce sens ; c'est une propriété particulière appartenant, par indivis, à un certain nombre d'individus déterminé. Ces individus ne sont pas même obligés d'être habitants de la commune ; s'ils habitaient ailleurs, ils ne perdraient pas pour cela leur copropriété indivise ; car s'ils la perdaient en changeant de commune, c'est qu'ils ne l'auraient jamais possédée ; dès qu'ils la possèdent, elle est attachée à leur personne, et ils la conservent quelque part qu'ils aillent. (Interruption.)

J'entends même dire qu'ils peuvent la donner en hypothèque ; c'est donc bien une propriété particulière, une propriété privée. Une propriété, au contraire, appartenant à une communauté d'habitants, celle propriété ne réside que dans le chef de la communauté, et les membres de la communauté n'ont aucune copropriété indivise dans l'immeuble.

Ainsi, vous voyez, messieurs, qu'il y a une très grande différence entre les membres d'une communauté d'habitants qui n'ont aucun droit de copropriété, et les membres d'un quartier qui ont un véritable droit de copropriété et de copropriété privée dans l'immeuble. C'est là une différence radicale et, d'après la définition même que l'on a donnée des propriétés appartenant aux quartiers, il est évident que l'article ne peut pas les atteindre.

Ainsi, messieurs, l'amendement que l'on propose est parfaitement inutile.

Un autre amendement que l'on a annoncé, consisterait à ajouter à l'article, les mots : « A l'exception des quartiers. » Cet amendement serait inutile aussi, mais il pourrait de plus être très nuisible, car il donnerait aux expressions : « Communauté d'habitants » une valeur qu'elles n'ont pas. Si cet amendement était adopté et s'il existait des propriétés de cette nature, mais qui ne s'appelassent pas quartiers, ces propriétés-là seraient comprises dans la loi. Cet amendement serait donc nuisible.

Le premier amendement serait nuisible parce qu'il restreindrait la disposition aux propriétés possédées par des communes ou des sections de communes, alors qu'il existe des communautés d'habitants, qui ne forment ni une commune ni une section de commune proprement dite, mais qui s'étendent sur plusieurs communes à la fois. Il n'y a pas de cela seulement un exemple isolé. On a dit que l'on pourrait faire une disposition spéciale pour le vry geweyd, mais la même chose existe dans d'autres localités, il y en a notamment plusieurs exemples dans la Campine. Il est donc plus sage de maintenir les expressions insérées dans l'article par le gouvernement, et qui ne peuvent offrir aucune espèce d'inconvénient.

M. Lebeau. - Je désirerais que M. le ministre de l'intérieur voulût avoir la bonté d'expliquer de nouveau pourquoi il s'oppose à l'insertion des mots sections de communes, en remplacement des mots communautés d'habitants ; je dois confirmer l'opinion exprimée par plusieurs membres, que les quartiers sont des propriétés privées : j'ai été dans le cas d'en acheter, et j'ai eu affaire à quarante ou cinquante vendeurs.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Le motif pour lequel les mots sections de communes ne conviennent pas, c'est qu'il arrive que des biens appartiennent, soit quant à l'usage, soit quant à la propriété, à une communauté d'habitants qui ne constitue pas une section de commune, qui ne constitue qu'une fraction de commune, ou bien qui se compose de plusieurs sections de communes. Il est à ma connaissance, par exemple, que dans la province de Liège, il y avait un terrain considérable appartenant aux habitants d'une certaine étendue de territoire qui faisait partie de plusieurs communes et qui, par conséquent, ne formait point ce qu'on appelle une section de commune. Je dis donc que les mots sections de communes sont insuffisants.

D'autre part, messieurs, si vous ajoutez les mots : « à l'exception des quartiers, » il en résultera que tout ce qui ne porte pas le nom de quartiers pourra être exproprié ; or, ce serait encore aller trop loin.

Veuillez, messieurs, bien faire attention à une distinction claire et précise : si le droit se transmet par l'hérédité et par la vente, il est évident que c'est une propriété particulière ; si au contraire le droit s'acquiert par l'habitation et se perd par le changement d'habitation, c'est là ce qu'on appelle des propriétés possédées par une communauté d'habitants. (Interruption.) On dit que cela n'a pas lieu pour les quartiers. Eh bien dès lors sans qu'il en soit fait mention dans la loi, il est certain que les quartiers ne pourront jamais tomber sous l'application de l'article. Dans tout le cours de la discussion, veuillez, messieurs, ne point le perdre de vue, on n'a cessé de dire que le gouvernement avait soigneusement excepté de son projet les propriétés privées ; ou a même reproché au gouvernement d'avoir exclu les propriétés privées : comment pourrait-il, en présence d'une semblable discussion, indépendamment de ce que le texte est très clair, comme l'a dit l'honorable M. Dubus, comment pourrait-il, y avoir la moindre incertitude sur le sens de la disposition ? Je crois, messieurs, que tout ce qu'on pourrait insérer dans la loi serait de nature à faire naître le doute au lieu de le lever.

M. Orban. - Il est donc parfaitement entendu que la loi ne s'applique point aux quartiers ?

De toutes parts. - Oui ! oui !

M. Orban. - Mais une chose qui n'est point explicite, c'est le sens des mots : communautés d'habitants. Dans le langage de nos lois, dans la langue administrative, il n'existe et l'on ne peut entendre par communautés d'habitants que les communes et les sections de commune. Chaque fois que dans une commune il existe des intérêts qui ne concernent pas tous les habitants, mais seulement ceux d'une partie de la commune, ces habitants constituent ce qu'on appelle une section de commune ; c'est l'existence d'intérêts distincts spéciaux dans le sein de la commune, qui constitue les sections communales qui sont, en d'autres termes, une commune dans la commune. Ainsi, messieurs, pour se servir des expressions légales, des expressions consacrées par la loi communale et par les usages administratifs, il faut dire : « communes et sections de commune. »

Lors même qu'il y aurait des intérêts concernant des habitants de plusieurs communes, réunis, comme l'a supposé M. le ministre de l'intérieur, eh bien encore les expressions de communes et sections de communes seraient suffisantes. Ne vous servez donc pas d'une expression dont personne ne comprendra ni le sens, ni la portée. Il n'existe pas d'autres communautés d'habitants que les communes et les sections de communes, à moins que vous ne vouliez parler des communautés religieuses, comme je l'entends dire à mes côtés par M. Dumortier, et je ne suppose pas que ce soit d'elles que l'on veut parler.

M. d’Hoffschmidt. - On reconnaîtra sans Joute qu'il était utile au moins de provoquer des explications. Le texte de la loi, au lieu d’être (page 837) clair, est, au contraire, extrêmement obscur : il fait quatre catégories de propriétaires : les communes, les sections de communes, les communautés d'habitants et les particuliers qui possèdent par indivis. Eh bien, comme l'a fort bien fait observer l'honorable M. Orban, les communautés d'habitants, comme l'entend M. le ministre, sont de véritables sections de communes et, par conséquent, on pourrait adopter mon amendement tout en restant parfaitement d'accord avec les intentions de M. le ministre de l'intérieur. Cependant les explications que l’on vient de donner me semblent écarter tout danger de voir appliquer la loi à ce qu'on entend par quartiers dans le Luxembourg. C'était là, je le répète, une question fort sérieuse ; on avait conçu de vives inquiétudes dans une partie du pays, et dès lors il était extrêmement important de provoquer des explications claires et précises sur le sens de la loi.

Ces explications ont été données. M. le ministre de l'intérieur et d'autres orateurs ont déclaré à plusieurs reprises, que tout ce qui constitue une propriété privée, qu'elle appartienne soit à un particulier isolé, soit à un certain nombre de particuliers possédant par indivis, est formellement en dehors de l'application de la loi. D'après cela, je crois pouvoir retirer mon amendement.

M. de Garcia. - Messieurs, je crois que la rédaction qui a été formulée par le gouvernement comporte le véritable sens et toute la portée que le gouvernement a déclaré attacher à cette disposition. (Interruption.)

Qu'il me soit permis d'ajouter un mot, et la chose sera démontrée ; on dit que l'on ne comprend pas l'expression communautés. Il faut qu'on nie les monuments de notre législation ancienne pour produire cette assertion.

J'ai sous les yeux l'ordonnance de Marie-Thérèse qui, partout, consacre cette expression pour exprimer ce qu'on veut dans la loi ; cette expression est en outre la plus vulgaire dans nos campagnes, où l'on qualifie de communauté les biens appartenant aux habitants de tel village ou hameau ; partout l'on dit vulgairement : Ce bien appartient à telle communauté d'habitants.

Dans cet état, messieurs, et dans l'intérêt d'une appréciation saine et juste de la loi, je pense qu'on doit adopter purement et simplement la rédaction proposée par le gouvernement, plus nette que celle qui résulterait des amendements.

- La discussion est close.

M. le président. - Je mets aux voix la partie de l'article premier ainsi conçue :

«... dont la jouissance ou la propriété appartient, soit à des communes, soit à des communautés d'habitants qui en feront usage par indivis, pourra être ordonnée par arrêté royal, sur l'avis conforme de la députation permanente du conseil provincial... »

- Cette partie de l'article est adoptée.


M. d'Huart a proposé de supprimer, à la fin du paragraphe premier de l'article premier, le mot intéressées, et d'ajouter la disposition suivante :

« Où il aura été reconnu nécessaire de recourir à cette mesure pour cause d'utilité publique. »

- La proposition de M. d'Huart est adoptée.


M. le président. - M. d’Hoffschmidt demande que son amendement, tendant à ajouter à la fin du paragraphe premier les mots :« et les habitants par une information de commodo et incommodo, » soit réuni au paragraphe nouveau qu'il a également proposé, et sur lequel la chambre votera tout à l'heure. Ce paragraphe serait alors ainsi conçu :

« Dans tous les cas le gouvernement devra entendre les habitants par une information de commodo et incommoda, faire lever le plan de la propriété qu'il est question d'aliéner et procéder à son expertise. »

M. de Garcia (sur la position de la question). - Messieurs, je crois que pour suivre l'ordre logique des idées, il faudra commencer par dire :

« Dans tous les cas le gouvernement devra faire lever le plan de la propriété, etc. »

Et puis viendrait l'amendement de l'honorable M. d’Hoffschmiddt. En effet, pour apprécier exactement les choses, il faut qu'auparavant on connaisse le plan de la propriété qu'il s'agit d'exproprier. Partant, suivant l'ordre des faits, l'amendement de l'honorable M. d'Hoffschmidt doit arriver comme je viens de l'indiquer ; le surplus n'est qu'une affaire de rédaction.

M. Lebeau. - Messieurs, je crois qu'il y a une lacune dans l'article premier. Dans le rapport de la section centrale, il a été bien entendu que si la commune envers laquelle le gouvernement serait dans l'intention d'appliquer l'arme qu'il réclame par son projet de loi, voulait elle-même défricher ,on lui accorderait un délai de mise en demeure. Je crois qu'on peut s'en rapporter sur ce point à l'intervention de la députation permanente. Il me semble cependant que cette mise en demeure pourrait être formulée. Il ne faut pas se dissimuler que cette loi, de quelques restrictions qu'on l'entoure, est destinée à exciter un certain émoi dans une partie de la population du pays. Je crois donc que si on pouvait inscrire dans la loi des garanties de nature à dissiper ces craintes, dût-on même tomber dans un pléonasme, ce serait une excellente mesure. J'invite, en conséquence, M. le ministre de l'intérieur à voir s'il n'est pas possible de faire passer dans la loi l'opinion très explicite de la section centrale qui l'a même formulée comme question, et qui, à l'unanimité, a répondu que si les communes s'offraient à défricher elles-mêmes dans un délai déterminé, le gouvernement ne devrait pas recourir à l'aliénation. '

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, il est évident que si une commune voulait défricher des terrains et, par exemple, les convertir en bois, la députation permanente ne manquerait jamais de donner son autorisation et refuserait son avis conforme pour l'aliénation. Le gouvernement lui-même ne le voudrait pas et ne le pourrait pas en présence du texte de la loi. C'est là une question d'administration, qui doit être appréciée par la députation permanente. Si vous insérez trop d'exceptions dans la loi, vous encouragerez les résistances sous toutes les formes imaginables. J'ai formulé le projet de loi dans un sens très restrictif, précisément pour ne pas faire naître des appréhensions dans une certaine partie du pays ; mais il faut éviter les restrictions sans objet qui ne peuvent qu'embarrasser inutilement la marche de l'instruction des affaires.

M. de Mérode. - Messieurs, M. le ministre de l'intérieur trouve à tout une ressource dans l'intervention de la députation permanente. Moi, je demanderai à M. le ministre de l'intérieur de me dire si, dans le cas où il aurait des propriétés, il voudrait les laisser abandonnées à la discrétion d'une députation permanente, en supposant que cette députation ne put jamais rien faire que de parfaitement motivé. Si c'est ainsi qu'on doit envisager les députations, on peut alors leur abandonner out. La députation permanente arrive là comme une espèce d'autorité infaillible, et on est livré entièrement à sa discrétion. Chaque fois qu'on veut une proposition quelconque, pour assurer une garantie aux communes, on vous oppose que la députation est là ; qu'elle tranchera la question qui concerne les intérêts communaux de la manière la plus convenable. Dans ce système, avec les députations permanentes, nous pourrions nous passer de toute garantie.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, l'objection de l'honorable M. de Mérode n'est pas réellement sérieuse : il compare la situation d'un particulier, qui est le maître absolu de disposer de sa propriété, qui est capable de la gérer, avec une propriété communale qui doit être gérée par des personnes déléguées et sous le contrôle des autorités supérieures. Ce sont les autorités administratives des différents degrés qui représentent la commune. Dès lors, je ne conçois pas cette défiance à l'égard de la députation permanente.

M. Fallon. - Messieurs, il a été décidé qu'on ne s'occuperait en ce moment que des amendements à l'article premier ; or, je demande si le débat actuel se rapporte à un amendement. Je ne connais pas d'amendement.

M. le président. - Dans la séance du 18 février, M. d'Hoffschmidt a présenté divers amendements ; il a demandé, entre autres, que l'on entende les habitants par une information de commodo et incommodo. Maintenant il s'agit de savoir où l'on placera cette disposition.

M. Fallon. - L'honorable M. Lebeau ne fait-il pas une autre proposition ?

M. le président. - Le bureau n'est pas saisi d'une proposition de M. Lebeau.

M. de Garcia. - Dès le moment que l'amendement n'est pas déposé, je renonce à la parole.

M. le président. - Je vais consulter la chambre sur l'amendement suivant qui serait ajouté à la fin du paragraphe premier. «Et les habitants par une information de commodo et incommodo. »

M. Veydt. - Messieurs, vous avez admis l'amendement de l'honorable M. d'Huart, portant que l'article en discussion n'aura d'application que dans les communes, où il aura été reconnu nécessaire de recourir à la mesure de la vente ordonnée par arrêté royal pour cause d'utilité publique.

Vous avez admis, en outre, que les conseils de ces communes seront entendus. Après ces garanties il ne me paraît plus nécessaire d'entendre encore les habitants dans une enquête de commodo et incommodo. J'y vois une cause de retard, sans utilité réelle, sans résultat possible, puisque la question de l'intérêt public a déjà été tranchée.

Ces motifs m'engagent à proposer la suppression de cette partie de l'amendement de l'honorable M. d’Hoffschmiddt. Quanta la levée du plan et à l'expertise de la propriété qu'il est question d'aliéner, j'en comprends mieux l'utilité et j'adopterai cette disposition.

M. d’Hoffschmidt. - Je crois, messieurs, que la disposition que je propose est une garantie importante qu'on n'expropriera pas trop facilement les biens des communes. Consulter les habitants, mais c'est ce qui se fait quand le conseil lui-même propose une aliénation ; à plus forte raison doit-on le faire quand il s'agira d'exproprier la commune, de lui enlever cette propriété qui procure l'existence aux familles pauvres. Mais souvent de l'observation de quelques chefs de famille naîtra l'idée de renoncer à l'expropriation ; ce sera d'ailleurs une marque de sollicitude pour les habitants. J'insiste donc pour que mon amendement soit adopté ; c'est d'ailleurs une formalité très facile à remplir, aussi facile et plus importante que celle du dépôt du plan au chef-lieu de la commune.

Quand on voit la loi de 1810 ne pas dédaigner de prescrire des mesures aussi minutieuses que celle de l'annonce à son de trompe, on ne doit pas hésiter à insérer une mesure aussi importante que celle que nous proposons, et qui doit donner une garantie aux communes menacées d'être expropriées de terrains où elles trouvent leur subsistance.

M. de Garcia. - J'appuie l'amendement de M. d’Hoffschmidt. Si vous ne consultez que l'autorité communale, le but qu'on se propose, les droits des habitants communistes, ne sera pas atteint. Des intérêts contraires à ceux des habitants pourront dominer dans le conseil ; si vous consultez les habitants, leurs réclamations seront soumises, à côté de l’avis du conseil, à la députation qui prononcera en dernier ressort. L'amendement (page 838) proposé ne peut avoir pour objet que de compléter l'instruction, et son rejet pourrait avoir des conséquences fâcheuses aux intérêts des communes. Outre l'utilité incontestable de cette mesure, elle donne une satisfaction morale aux habitants de nos communes rurales.

J'appuie donc de toutes mes forces l'amendement proposé.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - J'ai déjà déclaré que je ne m'opposais pas à cet amendement ; ce sont des mesures administratives ; nous nous réservons seulement de classer l'amendement et de le coordonner avec les autres dispositions de la loi.

- Cet amendement est mis aux voix et adopté.

M. le président. - Paragraphe 2 qui devient paragraphe 3 : « La condition de mise en culture desdits biens dans un délai à fixer sera toujours imposée aux acquéreurs, sous peine de déchéance. »

La section centrale propose de remplacer l'amendement proposé par M. Lejeune, en terminant le paragraphe par ces mots : sous peine de déchéance ou de dommages-intérêts à stipuler au cahier des charges.

Les dommages-intérêts devant tourner au profit de la commune, la section centrale pense que cette stipulation atteindra le but que s'était proposé M. Lejeune.

M. Lejeune. - Messieurs, la section centrale, en remplaçant mon amendement par quelques mots ajoutés au paragraphe 2 de l'article premier, déclare qu'elle atteint le but que je me suis proposé. Je ne devrais donc pas tenir à faire passer la rédaction que j'ai présentée, puisqu'il s'agissait surtout pour moi d'atteindre le but. Je dois cependant dire que la section centrale a été en quelque sorte effrayée du mot « impôt progressif ». Mais il faut voir de quoi il s'agit. Il est évident que, d'après la dernière rédaction de mon amendement, il ne s'agit pas d'un impôt, mais d'une pénalité que subit l'acquéreur qui n'a pas rempli l'obligation qu'il a contractée. L'impôt progressif ne frapperait que les terres vendues avec charge de mise en culture et qui n'auraient pas été mises effectivement en culture, dans le délai prescrit. Ainsi, ce n'est qu'une pénalité et non un impôt, une mesure qui tend à remplir les caisses de l'Etat, mais à atteindre le but que se propose le projet de loi, le défrichement.

J'avais proposé ce moyen de forcer les acquéreurs à remplir leurs obligations, parce que je le trouvais puissant. L'impôt est, en effet, un des moyens les plus puissants que les Etats possèdent pour agir sur les intérêts privés, pour les mettre en cause, en action ; je le préférais à la mesure de la déchéance, parce que, pour arriver à la déchéance, il faut passer par certaines formalités telles que la mise en demeure, tandis que l'impôt se percevrait par le fait même que l'acquéreur aurait laissé passer le délai qui lui aurait été accordé, sans mettre en culture le terrain acquis.

Je me bornerai à constater le point sur lequel je suis parfaitement d'accord avec la section centrale, c'est que nous voulons avoir pour acquéreurs des colons sérieux. Si ce but est réellement atteint par la section centrale, je ne tiens pas à la rédaction que j'ai présentée.

M. Mast de Vries, rapporteur. - Je proposerai un léger changement à la rédaction de la section centrale, ce serait de renverser la fin du paragraphe et de dire : « sous peine de dommages-intérêts à stipuler au cahier des charges et de déchéance. »

La déchéance serait la dernière pénalité.

M. de Garcia. - La partie nouvelle du projet de loi résultant d'amendements, qui prononcent des amendes, des pénalités, des dommages-intérêts, etc., etc., est des plus importantes, puisqu'elle peut donner lieu à des procès de toute espèce. Pourtant, à moins d'avoir sous les yeux ces amendements imprimés, il est vraiment impossible de pouvoir les examiner avec prudence et sagesse.

Plusieurs membres. - Il y aura un second vote.

M. de Garcia. - Je le sais aussi bien que mes interrupteurs, mais ce n'est pas un motif pour ne pas avoir une discussion éclairée sur les propositions qui sont soumises. Toute autre manière de procéder n'est pas rationnelle, et, je dirai plus, est dangereuse, puisqu'on est plus ou moins engagé par un premier vote. Or, on doit le reconnaître, l'amendement de l'honorable M. Lejeune sous-amendé par la section centrale ne peut, à une simple lecture, être apprécié sous tous ses rapports. Pour moi, je n'hésite pas à le déclarer, je ne puis, dans l'état des choses, apprécier toute la valeur des dispositions nouvelles proposées. Je demande donc que la discussion soit continuée à demain.

M. Vanden Eynde. - Je désirerais avoir une explication sur l'amendement proposé par la section centrale. Je demanderai si par le mot dommages-intérêts on entend une certaine somme à titre de clause pénale.

De toutes parts. - Assurément !

M. Vanden Eynde. - Dans ce cas, je n'ai aucune observation à faire.

M. d’Elhoungne. - Comme vient de le faire observer l'honorable M. de Garcia, il est impossible de continuer la discussion sur des amendements nouveaux.

Il vaudrait mieux renvoyer la discussion à demain de bonne heure.

M. le président. - Je comptais proposer à la chambre de fixer désormais la séance publique à midi et demi, et la réunion des sections centrales à dix heures et demie ; elles ont beaucoup de travaux à terminer. J'en fais la proposition. Nous aurons ainsi trois heures de plus de séance par semaine.

- Cette proposition est adoptée.

M. Orban. - J'ai l'honneur de proposer l’amendement suivant :

« Les sommes provenant des ventes faites en vertu de la présente loi seront placées en rentes sur l'Etat, ou en obligations du trésor, par les communes intéressées, à moins qu'elles ne soient affectées au payement de dettes, à des travaux d'utilité publique, ou à l'acquisition d'immeubles.

« En cas de refus, le gouvernement y pourvoira d'office, sur l'avis de la députation permanente du conseil provincial. »

Il n'existe dans la législation aucun moyen de contraindre les communes qui ont des fonds en caisse à les placer à intérêt. Cet état de choses présente de très grands inconvénients, et ceux qui se sont occupés d -l'administration des communes ont eu souvent à déplorer l'impuissance dans laquelle ils se trouvaient placés sous ce rapport vis-à-vis d'elles.

On conçoit qu'il soit nécessaire de se préoccuper d'une pareille lacune à propos d'une loi qui va mettre à la disposition des communes des sommes considérables dont l'emploi ne sera pas réclamé immédiatement par les besoins communaux.

Il importe de déterminer que les fonds provenant de ventes immobilières faites pour cause d'utilité publique, non seulement ne resteront pas improductifs dans les caisses communales, mais encore qu'ils ne pourront servir à l'acquit des charges ordinaires des communes. Le payement des dettes communales, l'acquisition de nouveaux immeubles, la construction de travaux publics sont les seules destinations qui pourront être données à ces fonds. C'est le moyen d'empêcher que les ressources de l'avenir ne soient absorbées par la génération présente.

Le pouvoir d'agir d'office pour assurer l'exécution de cette disposition, est accordé au gouvernement par la disposition finale de l'article.

Tel est le but du nouvel article que je propose et dont la nécessité n'a pas besoin d'être autrement démontrée.

- La chambre ordonne l'impression de l'amendement de M. Orban.

La séance est levée à quatre heures et un quart.