Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 2 février 1847

(Annales parlementaires de Belgique, session 1846-1847)

(Présidence de M. Liedts.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 689) M. A. Dubus procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.

- La séance est ouverte.

M. Van Cutsem donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. A. Dubus communique l'analyse des pièces adressées à la chambre.

« Plusieurs marchands de bois présentent des observations contre l'adjudication de 50,000 billes en sapin du Nord, fixée au 10 février, par M. le ministre des travaux publics. »

- Renvoi au ministre des travaux publics.


« Plusieurs médecins vétérinaires prient la chambre de s'occuper, pendant la session actuelle, des projets de loi sur l'enseignement agricole, sur l'exercice de la médecine vétérinaire et sur l'organisation de l'école vétérinaire de l'Etat. »

- Renvoi aux sections centrales chargées d'examiner les projets de loi.


« Plusieurs fabricants et exportateurs de clous demandent une réduction du droit d'entrée sur les fontes étrangères, ou du moins la restitution des droits perçus sur les fontes qui auront été employées pour la confection des clous. »

M. Delfosse. - Cette pétition a une grande importance. Elle soulève (page 690) des questions qui ont préoccupé, dans les derniers temps, le gouvernement et la presse. Je les recommande à l'examen attentif de la commission permanente d'industrie, à laquelle je suppose que la pétition sera renvoyée. Je demande que la commission soit invitée à faire un prompt rapport.

- Cette proposition est adoptée ; en conséquence, la pétition est renvoyée à la commission d'industrie avec demande d'un prompt rapport.


« Plusieurs fabricants et propriétaires de Caneghem demandent que la société d'exportation ne puisse opérer sur les marchés d'Europe ni se livrer à la fabrication. »

- Renvoi à la section centrale chargée de l'examen du projet de loi.


« Le conseil communal de Baevegem demande que le lin soit prohibé à la sortie, et que les comités liniers subsidiés par le gouvernement adoptent le numérotage et l'estampille. »

- Renvoi aux ministres des affaires étrangères et des finances.


« Le sieur Delew, entrepreneur du casernement de la ville de Liège, prie la chambre de statuer sur sa demande, tendant à faire annuler le contrat passé entre le gouvernement et la société Legrand et compagnie, pour la fourniture des lits militaires. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

Projet de loi qui ouvre au budget du département de la marine un crédit de 125,000 francs destiné à la construction d'un bateau à vapeur pour le passage de l'Escaut

Rapport de la commission

M. Osy, au nom de la commission qui a examiné le projet de loi de crédit de 125,000 fr., avant pour objet la construction d’un bateau à vapeur, dépose son rapport.

- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport.

Projet de loi portant le budget du ministère de la guerre de l'exercice 1847

Discussion du tableau des crédits

Chapitre premier. Administration générale

Article premier

« Art. 1er. Traitement du ministre : fr. 21,000. »

- Adopté.

Article 2

« Art. 2. Traitement des employés (chiffre proposé par le gouvernement) : fr. 160,000 ; (chiffre proposé par la section centrale) : fr. 150,000. »

M. le ministre de la guerre (M. Prisse). - Messieurs, lorsque j'ai demandé une augmentation de 4,000 fr. pour les employés du département de la guerre, j'ai été inspire par l'idée de parvenir à améliorer le sort de plusieurs fonctionnaires ayant presque tous de nombreuses années de service, non seulement dans les emplois qui leur ont été précédemment confiés par l'Etat, mais encore dans le dernier grade qu'ils occupent. Il y en a qui sont dans la même position depuis 15 ou 20 ans.

Jusqu'à présent, il avait été impossible d'apporter quelque amélioration à leur position. La chambre se rappellera que, dans les budgets antérieurs, la somme votée pour ces employés était de 165,000 fr. ; à cette époque nous n'avions que 8,000 fr. alloués en indemnité aux employés militaires. Mais on a reconnu (je pense qui c'est avec beaucoup de raison) que les employés militaires appartenant à l'armée de l'infanterie n'étaient pas rétribués d'une manière équitable. Quelques-uns d'entre eux avaient des indemnités, d'autres n'en avaient pas. Cependant, chacun dans son grade, sert avec le même zèle.

Chacun est appelé à supporter les dépenses et les désagréments d'une position exceptionnelle, parce que ces officiers venant de divers corps sont à Bruxelles obligés de vivre d'une manière plus dispendieuse qu'au régiment ; ils n'ont pas la ressource de la réunion à la table d'officiers, avec leurs camarades. Mes honorables prédécesseurs ont de ce chef cru devoir leur accorder une indemnité proportionnée à leur grade pour parvenir à leur faire le traitement des officiers des armes spéciales, qui, même employés au département de la guerre n'ont pas d'augmentation, à moins d'être chefs de division. Afin d'atteindre ce résultat on a diminué d'année en année l'allocation concernant les employés civils. Ils avaient d'abord 165,000 fr., plus tard 160,000 fr., et maintenant 155,000.

Il serait actuellement impossible, et selon moi il serait très peu équitable de rien ôter aux employés militaires qui n'ont que tout juste ce qui leur faut pour vivre d'une manière un peu convenable dans la capitale. Ces officiers, messieurs, sont an nombre de 56. Il y a aussi quelques sous-officiers qui remplissent les fonctions d'expéditionnaires et de plantons, et auxquels on n'accorde qu'une légère indemnité à la fin de chaque année. Eh bien, ces officiers, au nombre de 56, plus les sous-officiers, partagent une somme de 17,000 fr.

Les employés civils, messieurs, réduits à une somme globale de 156,000 fr., se voyaient sans aucune espèce d'avenir, au moins d'avenir pécuniaire, puisque tous étaient réduits au minimum de ce qu'on pouvait leur donner dans la position qu'ils occupaient ; et comme cette position est tout exceptionnelle vis-à-vis des employés des autres départements, dans le sens qu'il n'y a pour eux aucun débouché dans l'armée, j'ai pensé qu'il fallait au moins leur donner l'espérance d'une certaine amélioration, à mesure que les circonstances le permettaient. J'ai pensé que des hommes qui occupaient depuis quinze ou vingt ans le même emploi, pouvaient obtenir une légère augmentation dans leurs appointements, amélioration qui est bien au-dessous du zèle avec lequel ils accomplissent leurs travaux.

J'ai demandé, messieurs, une somme de 4,000 fr. Si la chambre la refuse, je me verrai dans la dure nécessité de laisser ces employés qui servent, je le répète, avec beaucoup de zèle et d'assiduité, dans la position qu'ils occupent et, malgré moi, je ne rétribuerai pas convenablement d'utiles travaux.

Cependant, comme l'année est extrêmement calamiteuse, comme on veut absolument de tous côtés des réductions à mon budget... (Interruption.)

M. Rogier. - Je n'ai pas demandé cette réduction.

M. le ministre de la guerre (M. Prisse). - Je ne voudrais pas soutenir, sans apparence de succès, une proposition qui ne serait pas appuyée, et cependant je serais très heureux qu'on me mît à même de faire un véritable acte de justice.

M. de Garcia. - Messieurs, le gouvernement a demandé sur le chiffre actuel une augmentation de 4,000 fr. pour rétribuer, comme vient de le dire M. le ministre de la guerre, plus convenablement des fonctionnaires civils de son département.

La section centrale propose le rejet de cette augmentation. Cette diminution, dans la discussion générale, a été critiquée parce qu'elle était minime. Quant à moi, je regrette qu'on ne puisse en faire de plus considérables. Mais ce n'est pas un motif de rejeter une diminution parce qu'elle n'a que ce caractère.

Messieurs, le prédécesseur de M. le ministre actuel avait demandé un changement dans l'allocation qui était pétitionnée pour rétribuer les fonctionnaires civils et militaires du département de la guerre. Il avait demandé seulement que la somme de 8,000 fr. pétitionnée, pour indemnités aux militaires fonctionnaires du département de la guerre, fût portée à 17,000 fr., c'est-à-dire qu'elle fût augmentée de 9,000 fr. à prendre sur le chiffre alloué jusque-là aux fonctionnaires civils ; mais il n'avait en aucune manière demandé une augmentation pour le service de l'administration centrale, qu'il jugeait sans doute suffisant. Il s'était borné exclusivement à demander un transfert qui lui a été accordé par la législature. Eu présence de cet état de choses qui ne peut être contesté, la section centrale, messieurs, n'a pas cru devoir adopter la proposition d'augmentation faite par le gouvernement. Cette réduction n'est pas importante sans doute, et la section centrale eût été heureuse de pouvoir vous en présenter de plus considérables, mais elle n'aurait jamais pu se rallier à des économies qui auraient été de nature à compromettre la sûreté publique ou les intérêts de l'armée. Or dans la pensée de la section centrale, la réduction proposée ne peut sous aucun rapport avoir la portée de porter atteinte à l'un ni à l'autre de ces intérêts.

M. Osy. - Nous voyons, messieurs, par le rapport de la section centrale, que les officiers attachés au département de la guerre n'avaient anciennement que 8,000 fr. et que peu à peu ce chiffre a été augmenté jusqu'à 17,000. Maintenant on dit que les employés civils devraient recevoir une augmentation de 4,000 fr. Quant à moi, messieurs, je ne voudrais pas augmenter le budget, et je proposerai, en conséquence, à la chambre de voter d'abord l'article 3, d'en fixer le chiffre à 13,000 fr. et d'augmenter ensuite de 4,000 fr. le crédit qui fait l'objet de l'article 2.

Il est possible que les officiers qui se trouvent à Bruxelles aient plus de dépenses à faire que ceux qui sont dans les provinces ; mais si les officiers attachés au département de la guerre se trouvaient en garnison à Bruxelles leur traitement ne serait pas plus élevé. Le séjour de Bruxelles n'est donc pas une raison pour donner une augmentation aux officiers qui sont attachés au département de la guerre, car certainement ceux qui travaillent dans les bureaux ont moins de dépenses à supporter que ceux qui font partie de la garnison.

M. le ministre de la guerre (M. Prisse). - Messieurs, en prenant tout à l'heure la parole pour expliquer les difficultés que je trouvais à me rallier à l'amendement de la section centrale, j'ai eu bien soin de faire ressortir la nécessité de maintenir l'allocation attribuée aux officiers employés au département de la guerre. Cette nécessité, je la considère comme telle que je ne pourrais sous aucun rapport me rallier à la proposition de transfert que vient de présenter l'honorable M. Osy. Nous avons, comme j'ai eu l'honneur de le dire, cinquante-six officiers au département de la guerre. La plupart d'entre eux occupent les hauts emplois et plusieurs sont chefs de division.

Si donc il faut renoncer à l'une ou à l'autre des demandes que j'ai faites, je ne pourrai jamais me rallier à une diminution de la somme destinée aux officiers. L'honorable M. Osy dit que les officiers attaches an département de la guerre sont dans les mêmes conditions que ceux de la garnison ; messieurs, c'est une erreur, car tous les honorables membres de l'assemblée qui ont servi savent très bien qu'un officier détaché est soumis à beaucoup plus de dépenses de nourriture, de vêtement et de logement que ceux qui font partie des régiments d'une garnison.

M. Vandensteen. - Messieurs, comme j'ai fait partie de la section centrale, je désire expliquer les motifs pour lesquels j'ai adopté aussi la proposition de réduction. Ce n'était certainement pas dans le but de faire ce qu'on appelle une économie de bouts de chandelle. Je suis opposé à ces petites économies de détail.

M. le ministre vous a démontré parfaitement que les employés civils qui rendent des services au département de la guerre sont beaucoup moins rétribués que les employés militaires. Mais d'où vient cette inégalité dans les traitements ? Elle vient, messieurs, de ce que sous ce rapport le département de la guerre a varié suivant les hommes qui se trouvaient à la tête de ce département. Il s'est toujours agi de savoir s'il convenait de conserver plus ou moins d'employés civils ou plus ou moins d'employés militaires. Sous le prédécesseur de M. le ministre actuel, on désirait avoir plus d'employés militaires et alors, je ne sais si c'était pour (page 691) dégoûter les employés civils, on a proposé une augmentation pour les employés militaire. Je n'examine pas ici si cette augmentation a été suffisamment justifiée à cette époque. Elle a été votée par la chambre, mais ce n'était pas une augmentation alors ; c'était en déduction de ce qui revenait aux employés civils.

Aujourd'hui, M. le ministre de la guerre dit : J'accepte les services rendus à l'administration par les employés civils ; or, comme ces employés sont très mal rétribués, je juge qu'il est convenable d'augmenter leurs traitements, et je demande dans ce but une augmentation de 4,000 fr.

Dans la section centrale, on a fait passer cette augmentation, sous prétexte qu'il y avait eu dans le département de la guerre une réorganisation semblable à celle qui avait eu lieu dans les autres départements. Sur cette observation de M. le ministre, je lui ai demandé si c'était le dernier chiffre des augmentations qui devront être demandées au budget de son département. M. le ministre n'a pas osé me répondre : loin de là ; M. le ministre de la guerre a fait connaître, au contraire, que probablement l'année prochaine il faudra demander une nouvelle augmentation. Placée dans cette alternative, la section centrale a cru prudent de ne point accepter l'augmentation proposée.

L'honorable M. Osy, partant de ce qui s'est fait l'année dernière, demande que la diminution pèse sur le chiffre de 17,000 fr., affecté aux fonctionnaires militaires employés dans les bureaux de la guerre, et que la somme de 4,000 fr., demandée en plus à l'article 2 pour les employés civils, soit maintenue : la chambre statuera sur cette proposition comme elle l'entendra. La proposition de M. Osy est logique. Voici le fait. Je tenais à l'expliquer. La section centrale n'a pas voulu faire une économie misérable ; pour mon compte particulier, je ne veux pas de semblables économies, je veux des employés rétribués ; mais dans l'incertitude où j'étais qu'il n'y aurait plus de nouvelles augmentations sur ce chiffre, j'ai dû voter contre dans la section.

M. le ministre de la guerre (M. Prisse). - Messieurs, lorsque dans le sein de la section centrale, on m'a demandé si ce serait la dernière augmentation, je n'ai pas voulu m'engager pour mes successeurs ; je ne sais pas ce qu'on fera les années suivantes ; je ne puisque répondre pour moi-même. J'ai demandé, je le répète, une augmentation de 4,000 fr. pour améliorer la position d'hommes extrêmement recommandables. Mais, en aucun cas, je ne puis consentir à ce que l'allocation affectée aux fonctionnaires militaires soit réduite.

M. de Brouckere. - Je demanderai à M. le ministre de la guerre s'il n'y aurait pas moyen de régulariser l'administration de la guerre, comme on l'a fait dans les autres départements ministériels.

M. le ministre de la guerre (M. Prisse). - Cette régularisation a eu lieu deux mois ou six semaines avant la régularisation des autres départements.

M. de Brouckere. - Les appointements sont-ils fixés par l'arrêté royal de réorganisation ?

M. le ministre de la guerre (M. Prisse). - Oui ; il y a un minimum, un médium et un maximum pour chaque grade.

M. de Garcia, rapporteur. - Messieurs, d'après la déclaration que vient de faire M. le ministre de la guerre, je crois que la chambre ne peut pas adopter la proposition de transfert, faite par l'honorable M. Osy. Ceci tient directement à l'administration, et M. le ministre de la guerre est plus à même que nous de connaître les besoins de son département ; il peut mieux que nous apprécier les nécessités du service. Du reste, je persiste dans la réduction demandée par la section centrale. De quoi s'agit-il dans le moment actuel ? D'augmenter une allocation qui jusqu'en 1843 ou 1844 avait suffi pour rémunérer les fonctionnaires civils ou militaires de l'administration centrale du département de la guerre. La section centrale n'a pu reconnaître la nécessité de cette augmentation dans les circonstances du jour, où l'on semble vouloir des économies de toute espèce.

A la vérité, M. le ministre de la guerre vient de nous communiquer son travail sur la fixation des traitements des fonctionnaires de son département. Suivant ce travail, la plupart, ou au moins quelques-uns de ces fonctionnaires n'auraient que le minimum de leur traitement. Je n'ai pas à contester l'exactitude de cette assertion. Mais est-ce le moment d'accorder une augmentation de ce chef ? Je ne le crois pas, et nos discussions antérieures démontrent à l'évidence que le moment n'est pas propice pour augmenter les traitements. J'appuie donc de toutes mes forces la réduction proposée.

M. le ministre de la guerre (M. Prisse). - Qu'il me soit permis de citer les traitements des employés civils, on verra si ce sont de gros traitements. La somme que je demande doit être spécialement répartie entre les employés de grades inférieurs. Il y a dix employés de troisième classe de 400 à 1.200 fr. ; 15 employés de deuxième classe de 1,500 à 1,800 fr. ; 15 employés de première classe de 1,900 à 2,400 fr. ; 12 sous-chefs de bureau de 2,400 à 3,000 fr. ; 6 chefs de bureau de 3 à 4 mille fr. ; 2 sous-chefs de division de 4,200 à 5,000 fr. Il n'existe qu'un seul chef de division, il est porté à 6 mille fr. Il ne les a pas maintenant.

Je le répète, ce sont surtout les petits traitements qui profiteront de la légère augmentation que je demande.

- Le chiffre le plus élevé, 160,000 fr., est mis aux voix et adopté.

Articles 3 à 5

« Art. 3. Supplément aux officiers et aux autres militaires attachés au département de la guerre : fr. 17,000. »

- Adopté.


« Art. 4. Matériel du ministère : fr. 40,000. »

- Adopté.


« Art. 5. Dépôt de la guerre : fr. 34,000. »

- Adopté.

Article 6

« Art. 6. Secours à d'anciens militaires et employés du département de la guerre, à des veuves et enfants mineurs : fr. 10,000. »

M. de Brouckere. - Messieurs, un ancien officier, le major Van Roye, a adressé à la chambre une réclamation dont il lui a été donné connaissance, et dont elle a ordonné le dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de la guerre. J'ai examiné la pétition, et je dois reconnaître qu'en droit cet officier ne peut rien exiger du département de la guerre ; mais je dois avouer en même temps que les circonstances qu'il fait valoir me semblent lui donner des titres à une indemnité de la part du département de la guerre. Si M. le ministre ne se rappelle pas les faits....

M. le ministre de la guerre (M. Prisse). - Si ! si !

M. de Brouckere. - Alors je me bornerai à recommander cet officier à sa bienveillance ; j'espère qu'il lui donnera une part de l'allocation que nous allons voter.

M. le ministre de la guerre (M. Prisse). - Je m'empresse de déclarer que les titres de M. le major honoraire Boine...

M. de Brouckere. - Ce n'est pas du tout cela.

J'ai voulu parler d'un major qui, après avoir été dans un service spécial, après avoir été membre d'un conseil de guerre permanent, a été envoyé dans un régiment ; il a dû s'équiper entièrement. Au bout d'un délai fort court, il a été mis à la pension. Dans les diverses pétitions qu'il a adressées à la chambre, il fait voir qu'il a été entraîné dans des dépenses très grandes pour son équipement. Sa position est très difficile, parce qu'il est père de famille. Je me bornerai à le recommander à M. le ministre. J'espère qu'il voudra bien s'engager à examiner sa demande.

M. le ministre de la guerre (M. Prisse). - Certainement, monsieur, comme je le fais de toutes celles qui me sont transmises par la chambre.

M. Mercier. - Je me proposais de donner quelques renseignements sur la demande de M. le major honoraire Boine, que j'ai appuyée dans une séance précédente et qui a été envoyée à M. le ministre de la guerre avec une recommandation spéciale de la chambre. Mais puisque M. le ministre s'est montré disposé à prendre la parole, je me bornerai à lui demander quant à présent de faire connaître à la chambre quels sont les éclaircissements qu'il allait lui donner, lorsqu'il a été interrompu par l'honorable M. de Brouckere.

M. le ministre de la guerre (M. Prisse). - Lorsque l'honorable 3I.de Brouckere a pris la parole en faveur d'un autre officier supérieur, je voulais faire part à la chambre des renseignements que j'ai recueillis sur le major Boine, à qui l'assemblée a donné un témoignage spécial de bienveillance. C'est un homme qui a rendu des services réels dans les premiers jours de la révolution, et qui, par suite de son esprit d'abnégation et d'extrême modestie, est resté depuis lors dans une position pénible et très précaire. De même que l'officier dont vient de parler l'honorable M. de Brouckere, le major Boine ne peut (en droit) prétendre à rien. Car lorsqu'il s'est retiré dans ses foyers peu de temps après les événements de 1831, il s'est borné à demander le grade honoraire de major, en disant qu'il ne voulait ni traitement ni pension.

De manière qu'il n'appartient, sous aucun rapport, au département de la guerre. Cependant dans la situation où se trouve le major Boine, il est du devoir du gouvernement de faire quelque chose pour un honorable citoyen. Mon intention est donc de proposer au Roi un projet de loi ayant pour but d'accorder à M. Boine la pension de major. Une fois pensionné, le major Boine pourra déclarer son intention de faire participer sa veuve à la caisse des pensions. On examinera cette demande avec toute l'indulgence possible. Alors cette famille aura une existence assurée pour de longues années en récompense des patriotiques services de son chef.

Ce projet de loi sera soumis à Sa Majesté aussitôt son retour. Je suis convaincu qu'il sera favorablement accueilli. Le Roi est toujours empressé de rendre justice à de bons et anciens services.

Un grand nombre de membres. - Très bien !

M. Rogier. - Je ne puis que remercier M. le ministre de la guerre des bonnes dispositions qu'il vient de montrer en faveur de M. le major Boine qui se recommande d'ailleurs tant par lui-même. J'insiste pour que M. le ministre de la guerre se hâte d'y donner suite. D'après les nouvelles que j'ai reçues, la situation de M. le major Boine est en quelque sorte désespérée.

M. Rodenbach. - C'est conforme aux nouvelles que j'ai reçues aujourd'hui. Comme on l'a dit, M. le major Boine a rendu de grands services, à l'époque de la révolution. Je me joins à l'honorable préopinant pour remercier M. le ministre de la guerre. Mais en attendant le vote du projet de loi par le sénat qui n'est pas réuni en ce moment, il conviendrait d'accorder un secours à cet ancien officier.

Plusieurs membres. - Appuyé !

- L'article 6 est mis aux voix et adopté.

Article 7 (nouveau)

M. de Brouckere. - Dans le budget de tous les autres départements ministériels le chapitre premier se termine par un article libellé : « Frais de route et de séjour ». Je ne vois pas cet article au budget du département de la guerre. Il est cependant incontestable que le chef du département de la guerre doit avoir des frais de route et de séjour, quand il (page 692) voyage. Je crois que cela se fait très irrégulièrement au département de la guerre. Afin de prévenir les observations qui pourraient être faites à cet égard, je préférerais qu'il y eût un article porté au budget. Je demanderai à M. le ministre de la guerre pourquoi cet article ne se trouve pas à son budget, comme à celui des autres départements.

M. le ministre de la guerre (M. Prisse). - La remarque qui vient d'être faite par l'honorable M. de Brouckere est extrêmement opportune, en ce qu'elle tend à régulariser la position du ministre. En effet, si l'on avait maintenu au budget de la guerre quelques frais de route et de séjour pour le ministre, je crois que cet argent aurait été très utilement employé.

De 1831 à 1837, il y avait 3,000 fr. au budget, pour frais de route et de séjour. En 1838 et en 1840, cette somme s'est élevée à 10,000 fr. par an. En 1840, la section centrale chargée d'examiner le budget (qui du reste n'a pas été voté), avait proposé une réduction de 4,000 fr. Depuis 1841, rien n'a été porté de ce chef au budget. Les frais de route des ministres ont été liquidés sur l'allocation relative à tous les officiers de l'armée.

On me dira que, bien qu'il n'y ait pas d'article spécial pour frais de route du ministre, j'ai cependant fait des voyages. C'est vrai, j'en conviens, et je m'applaudis d'en avoir fait, parce qu'ils m'ont permis de m'assurer du bon esprit de l'armée. Ils m'ont offert la possibilité de voir par moi-même et sur les lieux quelles étaient les parties du service ou du personnel où l'on pouvait apporter des améliorations, de vérifier, en m'occupant de ce personnel, des questions à propos desquelles certains actes de justice pouvaient être proposés au Roi.

Afin de faire ces voyages, il a fallu nécessairement recourir à des moyens que ne me donnait pas l'article premier du budget.

Eh bien ! j'ai trouvé ce moyen en profitant d'une économie qui existait au chapitre des frais de représentation. Il y a tous les ans, comme vous le savez, messieurs, 25,000 francs accordés pour les frais de représentation. Une certaine économie a pu être introduite, sans léser en rien les justes droits de mes collègues les officiers généraux, chargés des inspections ou du commandement du camp. Cette économie, j'ai cru pouvoir utilement l'employer à inspecter moi-même plusieurs provinces du royaume. Lorsque le crédit a été épuisé, je me suis arrêté, parce qu'enfin je ne puis faire la guerre à mes dépens. Je regrette, messieurs, de n'avoir pu encore visiter la province de Namur, une partie de la province du Hainaut ainsi que le Luxembourg.

Si la chambre partageait l'opinion de l'honorable M. de Brouckere, certainement je préférerais qu'on portât au budget, pour me permettre de terminer d'utiles inspections, une somme spéciale pour frais de route et de séjour. Mais je ne l'ai pas proposé, parce que depuis 1841 il n'en avait pas été fait mention.

M. de Brouckere. - Messieurs, la chambre comprendra que mon intention n'est nullement de proposer une nouvelle allocation. Mais ce que j'ai voulu, c'est démontrer à la chambre qu'au département de la guerre on a recours (et ce n'est pas à M. le ministre actuel que peut s'adresser cette observation), on a recours à des détours pour arriver à un but qu'on n'ose pas annoncer franchement.

On ne fait figurer au budget aucune allocation pour frais de voyage du ministre de la guerre. Cependant le ministre de la guerre voyage et voyage à grands frais. J'en ai été fort surpris, et je vous avoue que je me suis demandé comment il était possible que les frais de ces voyages se liquidassent.

Eh bien ! voici comment se liquident ces frais de voyage : à l'article 5 de la section première du chapitre II, figure une somme de 25,000 fr. avec ce libellé : « Indemnités aux généraux, aux commandants des corps et officiers dans une position spéciale. » Or, savez-vous ce que font les ministres de la guerre ? Ils font porter un arrêté royal, lequel arrêté royal les délègue pour aller passer des inspections et les autorise à prélever des frais de représentation sur cet article.

Messieurs, je dis que c'est là une chose excessivement irrégulière qu'un ministre qui se fait déléguer pour aller passer une inspection et qui se fait donner des frais de représentation qui ne lui sont pas destinés. Je préfère qu'où régularise la chose ; qu'on diminue le chiffre de 25,000 fr. porté à l'article 5 du chapitre II, d'une somme qui formerait l'article 7 du chapitre premier.

Cela sera beaucoup plus régulier, et vous retirerez le ministre de la guerre de la position où il se trouve actuellement, position qui le force à avoir recours à des détours qu'il faut éviter.

M. de Garcia. - Messieurs, on doit reconnaître la justesse des observations présentées par l'honorable M. de Brouckere. Ces observations doivent nous conduire à régulariser les choses et à porter au chapitre premier une somme de 4 ou 5 mille fr. pour frais de voyage du ministre, sauf à diminuer d'autant le chiffre sur lequel on a pris jusqu'ici ces frais. Il est important, messieurs, que le ministre de la guerre puisse s'assurer par lui-même de l'état de l'armée, puisse s'assurer de l'état des casernes, de l'état dans lequel se trouvent les soldats. Toutes ces matières sont dignes de la sollicitude de la nation.

En portant au chapitre premier un crédit de 4 à 5,000 fr. (j'attendrai l'amendement que rédige l'honorable M. de Brouckere), vous n'augmenterez nullement le chiffre du budget. Vous ne ferez que régulariser une dépense, et la régularité n'est qu'un principe d'ordre et d'économie dans les dépenses en général.

M. de Brouckere. - Je propose un article 7 nouveau ainsi conçu : « Frais de route et de séjour, 5,000 fr. » Mais il est bien entendu que l'article 5 de la section première du chapitre II sera diminué d'autant.

M. le ministre de la guerre (M. Prisse). - Je crois qu'il faudrait porter ce chiffre à 5,000 fr. ; mais je désirerais qu'on ne le prît pas sur les 25,000 fr. qui figurent à l'article 5 de la section première ; je préfère qu'on les prît sur les 88,000 fr. figurant à l'article 7 de la section III pour frais de route et de séjour des officiers.

M. de Brouckere. - Je ne puis consentir à cette demande. Puisque M. le ministre de la guerre a pu prélever 4,400 fr. sur l'article 5 de la section première, c'est que cet article 5 peut subir une diminution. Si la chambre ne voulait pas prendre les frais de voyage sur le chiffre sur lequel M. le ministre les a pris jusqu'à présent, je préférerais retirer mon amendement.

M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, la proposition de l'honorable M. de Brouckere a pour objet une régularisation. Dans ces termes, mon honorable collègue y a consenti. Il s'agit maintenant de faire un article spécial pour donner suite à cette proposition.

Deux questions se présentent : De combien faut-il réduire pour former l'article 7 nouveau, et sur quel chiffre faut-il opérer cette réduction ?

D'après les faits que vient d'indiquer l'honorable M. de Brouckere, il faudrait au moins prendre une somme de 5,000 fr. pour porter à cet article 7 nouveau.

Sur quel chiffre faut-il les prendre ?

Messieurs, de ce que accidentellement le chiffre de 25,000 fr. a, pendant 1846, permis cette imputation, il ne s'en suit pas, lorsque les inspections doivent être plus fréquentes, que la même réduction puisse toujours avoir lieu sur ce chiffre.

On aurait pu, et je crois que l'irrégularité qui vous a été signalée eût été beaucoup moindre, on aurait pu imputer les frais de route du ministre sur les 88,000 fr. figurant à l'article 7, pour frais de route et de séjour des officiers. Tant que le ministre de la guerre serait officier, on aurait le droit d'imputer ses frais de route sur ce crédit.

Cependant pour faciliter la marche du service, mon honorable collègue pense qu'il y a lieu de déduire 5,000 fr., non pas des 25,000 fr. figurant à l'article 5 de la section première, mais des 88,000 fr. formant l'article 7 de la section III.

D'une manière ou de l'autre, on rentre dans la régularité et c'était, si je ne me trompe, le seul but de l'honorable M. de Brouckere.

M. de Brouckere. - Messieurs, M. le ministre de la guerre a si bien senti que ses frais de route et de séjour, ou ses frais de représentation, ne pouvaient pas être pris sur l'art. 7 de la section III du chapitre II, qu'il s'est bien gardé de proposer au Roi un arrêté qui permît une semblable imputation.

On me dit que M. le ministre est un officier. Oui, sans doute. Mais il pourrait ne pas être officier. Il n'est dit nulle part que le ministre de la guerre doit être officier ; et, par exemple, je crois que l'honorable M. Brabant serait un excellent ministre de la guerre. Il n'est cependant pas officier. Les ministres de la guerre doivent payer leurs frais de route et de séjour, non comme officiers, mais comme ministres. Il n'y a aucune analogie entre la position d'un ministre voyageant et la position d'un lieutenant ou d'un sous-lieutenant.

Il faut donc, de deux choses l'une, ou qu'on laisse les choses comme elles sont - mais, je le déclare, c'est un abus réel - ou que les frais de route et de séjour soient prélevés sur l'article sur lequel ils ont été imputés jusqu'à présent ; et comme cet article a suffi jusqu'à présent, il continuera à suffire à l'avenir.

Si vous prenez les 5,000 fr. sur l'article 7 de la section III, ce sera encore une fois favoriser les grands et faire souffrir les petits. Car, je le répète, les 88,000 fr. sont destinés aux officiers de tous grades, y compris les sous-lieutenants.

- La discussion est close.

La chambre décide qu'elle votera d'abord sur la proposition de M. le ministre de la guerre qui tend à prendre sur l'article 7 du chapitre Il une somme de 5,000 francs qui ferait l'objet d'un article 7 nouveau du chapitre premier, lequel seraft libellé de la manière suivante :

« Frais de route et de séjour du ministre : fr. 5,000 fr. »

- Le retranchement à opérer sur l'article 7 du chapitre II est d'abord mis aux voix et adopté.

L'article 7 nouveau du chapitre premier est ensuite mis aux voix et adopté.

Chapitre II. Solde et masses

Section I. Solde de l’état-major
Articles 1 à 3

« Art. 1er. Etat-major général : fr. 595,000. »

- Adopté.


« Art. 2. Etat-major des provinces et des places : fr. 277,342 70 c. »

- Adopté.


« Art. 3. Service de l'intendance militaire : fr. 110,644. »

- Adopté.

Article 4

« Art. 4. Service de santé et administration des hôpitaux : fr. 340,485 75 c. »

M. de Garcia. - Messieurs, nous venons de voter une loi qui règle les traitements des officiers de santé. Le chiffre qui nous est soumis est calculé d'après cette loi ; mais je ne sais pas si M. le ministre a considéré (page 695) la loi comme devant recevoir son exécution à partir du 1er janvier, ou s'il entend ne l’exécuter qu'à partir du jour de sa publication. Quant à moi, je pense qu'elle ne doit recevoir son exécution qu'à dater du jour de sa publication, et alors il y aurait peut-être à opérer une réduction sur le chiffre qui nous occupe en ce moment.

Dans tous les cas, je prie M. le ministre de vouloir donner à la chambre quelques explications à cet égard.

M. le ministre de la guerre (M. Prisse). - Messieurs, lorsque j'ai proposé une nouvelle organisation du service de santé, j'ai pensé naturellement que la loi serait applicable à dater du 1er janvier. Maintenant, par suite des retards que la discussion a éprouvés, il est possible que l'on puisse opérer quelques économies, puisque les augmentations ne commenceront à avoir leur effet que d'ici à quelques jours ; eh bien, messieurs, les sommes à résulter de ces économies seront acquises au trésor.

M. de Garcia. - Je n'insiste pas.

- L'article est adopté.

Article 5

Art. 5. Indemnités aux généraux, aux commandants des corps et officiers dans une position spéciale : fr. 25,000. »

- Adopté.

Section II. Solde et habillement des diverses armes
Article premier

« Art. 1er. Infanterie : fr. 9,420,549 75 c. »

M. Osy. - Messieurs, j'ai proposé une réduction de 728,000 fr. sur l'ensemble du budget, motivée sur le renvoi dans leurs foyers d'un dixième des miliciens. J'ai maintenant répartie cette réduction entre les différents articles du budget auxquels elle se rapporte, et, en conséquence, je propose de réduire le chiffre de l'article en discussion d'une somme de 348,279 fr.

M. le ministre de la guerre (M. Prisse). - Messieurs, j'ai développé hier les motifs qui m'empêchaient de me rallier à cet amendement. Si la chambre le désire, je pourrai donner de nouveaux développements.

Plusieurs membres. - C'est inutile.

M. le président. - Je mettrai d'abord aux voix le chiffre le plus élevé.

Plusieurs membres. - L'appel nominal.

- Il est procédé au vote par appel nominal sur le chiffre demandé par le gouvernement.

62 membres sont présents.

2 s'abstiennent.

49 adoptent.

41 rejettent.

En conséquence le chiffre est adopté.

Ont voté l'adoption : MM. de Villegas, d'Hoffschmidt, Donny, Dubus (aîné), Eloy de Burdinne, Fallon, Fleussu, Goblet, Huveners, Jonet, Lange, Lebeau, Lejeune, Lesoinne, Liedts, Lys, Maertens, Malou, Manilius, Mercier, Orban, Pirmez, Rodenbach, Scheyven, Simons, Thienpont, Troye, Van Cutsem, Vanden Eynde, Vandensteen, Vilain XIII, Anspach, Clep, d'Anethan, David, de Baillet, Dechamps, de Corswarem, Dedecker, de Garcia, de Haerne, de La Coste, de Lannoy, d'Elhoungne, de Man d'Attenrode, de Saegher, Desmet, de Terbecq, de T'Serclaes.

Ont voté le rejet : MM. Kervyn, Loos, Osy, Sigart, Veydt, Biebuyck, Cans, Castiau, de Bonne, Delehaye, Delfosse.

MM. Rogier et de Brouckere se sont abstenus.

Les membres qui se sont abstenus sont invités à faire connaître les motifs de leur abstention.

M. Rogier. - Messieurs, je me suis abstenu, parce que d'une part, M. le ministre de la guerre a pris l'engagement formel de faire tous ses efforts pour introduire toutes les économies compatibles avec les nécessités du service ; en second lieu, parce que je n'ai pas pu apprécier la portée de l'amendement, quant aux effets de la réduction proposée.

M. de Brouckere. - Messieurs, je suis convaincu qu'une réduction de chiffres est possible sur l'article que nous venons de voter ; mais j'aurais voulu que cette réduction fût fixée d'accord entre M. le ministre de la guerre et la chambre. J'avais espéré que les observations qui ont été présentées dans les précédentes séances, et auxquelles il n'a pas été répondu, eussent déterminé M. le ministre de la guerre à nous soumettre lui-même un nouveau chiffre ; il s'y est obstinément refusé, tout en promettant de faire ses efforts pour réaliser des économies. Dans cette position, je n'ai pas voulu voter une réduction que M. le ministre de la guerre déclare devoir compromettre le service ; et je ne veux pas cependant voter le chiffre que le gouvernement demande, parce que je suis sûr que ce chiffre pourrait être réduit sans inconvénient.

Articles 2 à 4

« Art. 2. Cavalerie : fr. 2,961,741. »

- Adopté.


« Art. 3. Artillerie : fr. 2,547,064 fr. 50 c. »

- Adopté.


« Art. 4. Génie : fr. 696,691 50 c. »

M. Osy. - Par suite du vote que la chambre a émis tout à l'heure, il n'y a plus lieu à mettre aux voix le restant de mon amendement.

- Le chiffre de l'article 4 est adopté.

Article 5

« Art. 5. Gendarmerie : fr. 1,817,000. »

M. Desmet. - Messieurs, lors de la discussion du budget de la justice il a été reconnu, et même par M. le ministre de la justice, qu'on améliorerait la police administrative, au moyen d'une augmentation du personnel du corps de la gendarmerie. Cette opinion est encore celle des procureurs généraux et d'autres administrateurs.

Les communes du canton de Herzele se sont adressées à M. le ministre de la justice, afin d'avoir au chef-lieu une brigade de gendarmes. Cette demande n'a pas été accueillie. J'appelle sur cet objet l'attention de M. le ministre de la guerre ; il est nécessaire de placer une brigade à Herzele, ce canton est connu comme un canton turbulent, et à présent plus que jamais, il s'y commet des crimes et des délits. Il faut que la police y soit mieux tenue. Le chef-lieu de ce canton est assez éloigné des chefs-lieux des cantons voisins.

Il y a un autre motif qui milite en faveur de la demande dont je m'occupe. La misère sévit fortement dans le canton de Herzele ; si une certaine force publique y était établie, elle pourrait prévenir le vagabondage. Je suis loin de demander qu'on arrête les pauvres ; mais au moyen de ces agents de la force publique, on pourrait ramener chaque pauvre dans sa résidence, pour qu'il y soit entretenu et ne se livre pas au vagabondage.

M. Veydt. - En présence de l'article 120 de la Constitution, qui prescrit que l'organisation de la gendarmerie doit faire l'objet d'une loi, il me semble, messieurs, que cette organisation, au train dont vont les choses, sera en grande partie faite quant aux dépenses. En effet, dans le discours qui précède le budget que nous discutons, il est demandé une somme de 148,000 fr. pour la gendarmerie ; dans le rapport de la section centrale, on propose une nouvelle dépense de 79,000 francs, total fr. 227,000 pour la même arme.

Cependant nous n'avons encore aucune loi organique. Je demanderai à M. le ministre de la guerre quelques explications relativement à cette augmentation, et, en second lieu, à l'accomplissement du prescrit de la Constitution que je viens de rappeler.

M. le ministre de la guerre (M. Prisse). - Messieurs, l'organisation de la gendarmerie dépend à la fois du département de la guerre, de celui de la justice et même de celui de l'intérieur. Tout ce que le département de la guerre a pu faire jusqu'à présent, c'est de maintenir l'effectif de la gendarmerie à une force suffisante pour les besoins du service.

Voici l'augmentation demandée pour la gendarmerie ; il y a d'abord 148,000 fr., pour 27 gendarmes à cheval, 27 chevaux et 169 gendarmes à pied en plus.

L'autre augmentation s'applique aux fourrages. Ils ont été jusqu'à présent payés à la gendarmerie à raison de 1 fr. 05 c. la ration ; vous savez quelle augmentation est survenue dans le prix des fourrages ; eh bien, même en augmentant la ration de la gendarmerie d'un franc cinq centimes à un franc vingt-cinq, on n'a pas même atteint le chiffre de la ration accordée à la cavalerie. Ce chiffre de un franc vingt-cinq centimes par ration de gendarme est véritablement un minimum.

M. Orban. - (Nous donnerons son discours.) (Note du webmaster : ce discours n’a pas été retrouvé dans les Annales parlementaires).

(page 693) M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - J'espère que la réduction proposée par l'honorable M. Orban ne sera pas admise. Cet honorable membre pense qu'il est inutile d'augmenter le personnel de la gendarmerie. C'est la contrepartie de ce qui a été dit lors de la discussion du budget de la justice. Alors tout le monde semblait reconnaître l'indispensable nécessité de cette augmentation ; personne n'a contesté ce que j'ai avancé relativement à la manière dont la gendarmerie s'acquitte de ses devoirs, et aux services qu'elle rend. Tous les procureurs généraux, sans exception, m'ont signalé comme une mesure des plus utiles l'augmentation de la gendarmerie et l'établissement de brigades dans les localités où la présence d'agents de la force publique était indispensable. L'honorable M. Desmet vous a cité une commune qui se trouve dans ce cas.

Je pense qu'en présence des faits qui se passent, il serait imprudent de ne pas accueillir les propositions de mon collègue. La prudence exige impérieusement que nous demandions les moyens d'assurer le service d'une bonne police, à laquelle contribue si efficacement la gendarmerie.

L'honorable M. Orban a fait des comparaisons, il a dit qu'aujourd'hui la gendarmerie était plus nombreuse que du temps de l'empire, alors qu'elle avait une mission plus difficile à remplir qu'aujourd'hui.

Mais, messieurs, du temps de l'empire la police locale avait plus de force que maintenant ; et chacun sait combien la police exercée par l'autorité locale laisse à désirer. Je l'ai signalé lors de la discussion de mon budget ; et plusieurs membres ont dit même que dans plusieurs localités elle était nulle et ont signalé la nécessité de la renforcer à l'aide de la gendarmerie.

Je considère, je le répète, cette augmentation comme indispensable dans les circonstances présentes.

Mais, dit l'honorable' membre, les circonstances sont exceptionnelles, et on demande une augmentation permanente. On pourra voir plus tard si, ces circonstances ne se reproduisant pas, il est possible de ramener à un chiffre moindre le personnel de la gendarmerie ; mais aujourd'hui il est urgent de l'augmenter, si on ne veut pas compromettre la sécurité publique.

L'honorable membre met en doute que la gendarmerie rende de véritables services ; d'après lui, elle ne servirait pas à constater les crimes, elle se bornerait à faire des arrestations quand un crime est constaté par une autre autorité. Mais c'est une erreur complète ; un grand nombre de crimes, et surtout les crimes graves sont constatés par les soins de la gendarmerie, et sans les soins qu'elle apporte à l'accomplissement de ses devoirs, il y aurait une foule de crimes qui referaient impunis.

(page 694) Je crois donc qu'il est de la dernière importance de maintenir le chiffre proposé par M. le ministre de la guerre, en présence surtout des observations que vient de présenter l'honorable M. Desmet.

Des mendiants quittent leur commune en grand nombre ; il est à craindre qu'ils ne s'organisent en bandes, se répandent sur les grandes routes et ne sèment partout l'inquiétude. Ces bandes nécessitent une surveillance active de la part de la gendarmerie. Elle doit en outre assurer l'exécution de la loi de frimaire an V, et faire retourner vers leur domicile les mendiants qui quittent leur commune pour aller mendier dans d'autres localités et qu'il serait impossible de recueillir dans les dépôts de mendicité.

Au moyen de ces observations que j'ai cru devoir présenter, la gendarmerie ayant certains rapports avec le département de la justice qui a l'administration de la sûreté publique dans ses attributions, je pense avoir justifié de nouveau la demande de mon honorable collègue de la guerre et détruit les objections de l'honorable M. Orban.

M. de Garcia, rapporteur. - Ce n'est pas sans étonnement que j'ai entendu un honorable membre demander une réduction de la gendarmerie. C'est la première fois que cette pensée s'est fait jour dans nos discussions. La pensée contraire a été exprimée chaque fois que l'occasion s'en est présentée. Lors de la discussion du budget de la justice, on s'est plaint de ce que le gouvernement ne disposait pas de tous les moyens nécessaires pour assurer la police. Or, le seul moyen qui soit entre les mains du gouvernement, au point de vue de la police, est celui de la gendarmerie. D'après nos lois organiques, le surplus de la police n'appartient qu'aux autorités communales, et l'on sait de reste combien elles laissent à désirer sous ce rapport.

En quatre mots, messieurs, le gouvernement n'a d'influence, dans la police, que par sa gendarmerie.

On a dit que c'était dans des circonstances exceptionnelles qu'on avait pourvu à l'augmentation du corps de la gendarmerie, et que le contraire devait avoir lieu, puisque cette circonstance amenait une augmentation de dépense. Cette thèse me paraît inexacte sous tous les rapports. Chaque année, l'on a demandé des augmentations de la gendarmerie dans l'intérêt de la sécurité publique, et je le répète, ce n'est pas sans étonnement que je vois attaquer la mesure prise par le gouvernement.

A ce point de vue, pourtant, une observation très juste a été présentée par l'honorable M. Veydt, c'est que la gendarmerie doit être organisée par une loi.

La section centrale n'a pas omis d'attirer l'attention du gouvernement sur cet objet, et le gouvernement n'a pas hésité à déférer à l'observation qui lui était présentée à cet égard, et il a pris l'engagement de présenter la loi organique de la gendarmerie. Au surplus, j'espère que, dans cette loi, il ne sera pas tenu compte de l'observation de M. Orban.

Sous un autre rapport, suivant cet honorable membre, la gendarmerie ne doit être d'aucun secours en temps de guerre. Cette assertion me paraît aussi peu fondée que celles qu'il a présentées sur les services que la gendarmerie rend à la police intérieure du pays. En effet, messieurs, il n'est permis à personne d'ignorer les services que la gendarmerie a rendus sous l'empire devant l'ennemi. La gendarmerie mobilisée a servi avec éclat et avec gloire dans les guerres d'Espagne.

Pour parler comme l'a fait l'honorable membre, il faut avoir oublié des événements qui sont encore bien près de nous. Quant à moi, j'ai la conviction intime que le jour où le pays serait menacé, l'on peut compter sur l'arme de la gendarmerie, l'envoyer devant l'ennemi et être assuré qu'elle remplira dignement sa destination et ses devoirs.

M. Desmet. - M. le ministre de la guerre vient de dire que la gendarmerie n'est pas seulement dans ses attributions, qu'elle est en outre dans les attributions de ses collègues de la justice et de l'intérieur.

Je suis heureux de voir appuyer par le ministre de la justice ma demande ayant pour objet l’établissement d'une brigade de gendarmerie à Herzele, qui en a grand besoin. J'espère que M. le ministre de la guerre sera du même avis.

Si je pouvais invoquer ici le témoignage de M. le procureur du roi de l'arrondissement où se trouve le canton d'Herzele, je suis convaincu qu'il appuiera ma demande, car l'honorable M. de Villegas sait qu'il est indispensable d'établir une brigade de gendarmerie à Herzele, afin d'y avoir une meilleure police et d'y établir la tranquillité. Je pense donc que M. le ministre de la guerre satisfera sur ce point, assez grave, les administrations communales du canton d'Herzele, et qu'il appréciera qu'il est autant dans l'intérêt du gouvernement que dans celui des localités, qu'une bonne police soit établie dans une contrée qui en a grandement besoin et surtout dans une époque, comme je l'ai encore dit tout à l'heure, où il faut grandement craindre que des bandes de vagabonds se forment et où l'on voit tous les jours que les délits et les maraudages augmentent effroyablement.

M. Veydt. - Les explications que j'ai demandées à. M. le ministre de la guerre avaient un double but.

Je voulais d'abord savoir s'il n'était pas possible d'admettre une réduction sur l'allocation proposée pour la gendarmerie. L'honorable M. Orban vient de nous dire qu'une réduction est fort possible, et il en a en conséquence fait la proposition ; mais M. le ministre de la justice et après lui l'honorable rapporteur de la section centrale l'ont combattue. Vous aurez remarqué, comme moi, messieurs, que leurs arguments sont tous puisés dans les circonstances actuelles, dans des circonstances exceptionnelles, par conséquent. J'en conclus qu'il serait logique de porter les augmentations de 148,000 fr., et de 79,000 fr. dans la colonne des charges extraordinaires et temporaires.

Quant au chiffre de 79,000 francs, il est tout naturel d'en agir ainsi puisque c'est la cherté des subsistances qui occasionne ce surcroît de charges au pays.

L'augmentation de l'effectif du corps de la gendarmerie ne peut également trouver sa justification que dans les exigences du moment et par la même raison le chiffre qui la résume (148,000 fr.) trouvera convenablement sa place dans la même colonne.

J'en fais l'objet d'une proposition à la chambre, qui en appréciera l'importance.

Je reviens au deuxième point de mes observations.

Aux termes de l'article de la Constitution que j'ai cité, la gendarmerie doit être organisée par la loi. Une des parties les plus essentielles de cette organisation, c'est la fixation du nombre des hommes, de l'effectif du corps. N'est-ce pas méconnaître la disposition constitutionnelle que d'introduire dans la gendarmerie un nombre d'hommes de plus en plus considérable ? Non seulement nous contribuons ainsi à éloigner, chaque année, la présentation d'un projet de loi ; mais nous anticipons sur ce qu'elle devra faire.

Ces réflexions viennent à l'appui de ma proposition.

- La proposition de M. Veydt est adoptée ; en conséquence, l'article 5, Gendarmerie, est adopté avec les détails ci-après :

« Charges ordinaires : fr. 1,590,000 ; charges extraordinaires : fr. 227,000. Total : fr. 1,817,000. »

Section III. Masse des corps, frais divers et indemnités
Article premier

« Art. 1er. Masse de pain : fr. 1,940,704 48 c. »

M. Osy. - Je demanderai à M. le ministre de la guerre si les adjudications ont été faites à court terme et de manière que, si la cherté des céréales ne se maintient pas, l'Etat puisse en profiter.

M. le ministre de la guerre (M. Prisse). - Dans les circonstances difficiles où l'on s'est trouvé pour les adjudications du pain, le gouvernement s'est bien gardé de prendre des engagements pour tout l'exercice. Il en a limité la durée le plus possible.

Au mois de juin, l'on pourra faire de nouvelles adjudications qui permettront de profiter de la baisse qui pourra se présenter dans le prix des céréales.

- L'article premier est mis aux voix et adopté.

Articles 2 à 8

« Art. 2. Masse de fourrages : fr. 3,342,000. »

- Adopté.


« Art. 3. Masse d'entretien du harnachement. Traitement et ferrure des chevaux : fr. 67,000 »

- Adopté.


« Art. 4. Masse de renouvellement de la buffleterie et du harnachement : fr. 95,000. »

- Adopté.


« Art. 5. Masse de casernement des chevaux : fr. 78,000 »

- Adopté.


« Art. 6. Masse de casernement des hommes : fr. 624,789 50 c. »

- Adopté.


« Art. 7. Frais de route et de séjour des officiers. »

- Adopté plus haut.


« Art. 8, Transports généraux et autres : fr. 60,000 »

- Adopté.

Projet de loi portant réduction de péages sur la Sambre canalisée

Dépôt

M. le ministre des travaux publics (M. de Bavay). - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer deux projets de loi.

Le premier a pour but de modifier le tarif des péages sur la Sambre canalisée.

Projet de loi prorogeant la loi sur les concessions de péages

Dépôt

M. le ministre des travaux publics (M. de Bavay). - Le second a pour objet de proroger la loi sur les concessions de péages.

- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ces projets de loi. Ils seront imprimés et distribués.

La chambre les renvoie à l'examen des sections.

Projet de loi portant le budget du ministère de la guerre de l'exercice 1847

Discussion du tableau des crédits

Chapitre II. Solde et masses

Section III. Masse des corps, frais divers et indemnités
Article 9

« Art. 9. Primes de rengagement : fr. 3,000. »

M. Orban. - Messieurs, l'attention du pays est vivement excitée par le haut prix auquel s'effectue chez nous le remplacement militaire, dans des circonstances où tout devrait contribuer à son abaissement, dans un moment où le service militaire n'offre ni danger ni désagrément, et où il existe tant de bras inoccupés, tant de misère résultant de l'absence du travail. Il est impossible de méconnaître, et c’est la conviction générale, que cet état de choses est dû aux opérations de la société pour l'encouragement du service militaire et à la position privilégiée qui lui est faite. En fixant à 1,700 fr. pendant ces dernières années, le prix du remplacement tandis qu'elle n'accordait elle-même qu'une prime de 7 à 800 francs aux soldats et sous-officiers qu'elle rengage, elle s'est créé d'énormes bénéfices en constituant une charge équivalente pour une classe nombreuse de citoyens.

Au surplus, l'on conçoit que le haut prix du remplacement ne se borne pas aux remplaçants fournis par la Société. Ceux qui s'engagent directement pour le service des particuliers doivent nécessairement rapprocher leurs prétentions des prix fixés par la Société.

Un pareil état de choses doit fixer enfin l'attention, et éveiller toute la (page 695) sollicitude de la législature. Si c'est un devoir pour nous de veiller à ce que l'on ne fasse point peser de trop fortes impositions sur les contribuables, même lorsqu'il s'agit de satisfaire à des dépenses utiles et nécessaires, à plus forte raison devons-nous empêcher que des charges exorbitantes ne pèsent sur le pays, sans utilité pour le trésor et au profit d'une association particulière.

La société fait peser sur le pays une charge égale à la différence entre la prime de 700 francs, qu'elle donne aux militaires rengagés, et le prix de 1,700 francs, auquel elle les livre comme remplaçants, déduction faite de quelques frais insignifiants.

Messieurs, si cette société existait dans une position normale, si elle ne recevait du gouvernement aucun concours, si ses opérations n'étaient pas favorisées par le fait du gouvernement, et par des mesures qu'il a prises contrairement aux lois existantes, alors nous devrions peut-être, comme vous l'a dit l'honorable M. Lebeau, déplorer cet état de choses, mais nous n'aurions pas de censure à exercer.

Mais, messieurs, il n'en est pas ainsi. La société ne prospère, la société n'exerce ce monopole que par le concours du gouvernement, et par conséquent le gouvernement est solidaire des actes de cette société. La société n'est parvenue à établir ses opérations que favorisée par les mesures de la plus flagrante illégalité qui ont été prises par le gouvernement.

Les mesures prises par le gouvernement dans le but de favoriser les opérations de la société du remplacement, sont de deux natures.

Les unes ont pour objet d'entraver le remplacement direct. En entravant le remplacement direct, il est évident que l'on favorise la société, que l'on étend ses opérations. Plus il est difficile d'obtenir des remplaçants particuliers, et plus il y a obligation de recourir à la société.

Or, le gouvernement est parvenu à entraver le remplacement direct de manière à le rendre en quelque sorte impossible.

Vous savez, messieurs, que d'après la loi sur la milice, il n'appartient qu'aux conseils de milice et aux députations permanentes de recevoir les remplaçants militaires. Ils sont investis de ce droit par la loi de 1817. Et non seulement ils sont investis de ce droit, mais en cette matière, ils prononcent en dernier ressort, comme du reste sur toutes les autres matières de milice.

Eh bien ! contrairement à cette législation si constante, voici ce qu'à fait le gouvernement : il a établi au chef-lieu de chaque province une commission militaire, exclusivement composée de militaires et qui est chargée de contrôler les décisions prises par les députations et par les conseils de milice. Les remplaçants admis par la députation et par le conseil de milice, qui, d'après la loi de 1817, devraient être immédiatement envoyés au corps et y être reçus, sont, au contraire, soumis à un nouvel examen de la part de ces commissions militaires qui, j'ose le dire, ont toujours procédé avec une rigueur excessive. Cette rigueur, d'ailleurs, était dans le but de leur institution. Il est évident qu'on ne crée nue commission militaire de cette espèce à côté des pouvoirs légalement constitués que dans le but de maintenir la sévérité la plus grande dans le choix des remplaçants.

Mais, messieurs, on ne s'est pas borné à la formation de cette institution et à ce qu'elle avait d'illégal par elle-même. Le département de la guerre, on le croirait à peine, a placé ces commissions militaires dans la nécessité en quelque sorte de refuser les remplaçants particuliers. Par une circulaire ministérielle, émanée du département de la guerre, à la date du 8 février 1841, si je ne me trompe, ces commissions sont rendues personnellement responsables des admissions qu'elles prononcent. Ainsi, il est dit que si des remplaçants admis par elles sont par la suite reconnus inaptes à servir en cette qualité, les commissions sont personnellement rendus responsables des frais de cette admission.

Il est évident que placées sous le coup de semblables menaces, les commissions militaires ont dû faire du refus d'admettre les remplaçants civils la règle habituelle de leurs décisions. Tandis que le nombre de remplaçants admis par l'autorité compétente et refusés par l'autorité militaire n'était avant l'institution de la société et des commissions militaires, que de 10, 15 ou 20 par an, immédiatement après la formation de la société, les refus ont subitement monté à un chiffre élevé. En 1840, 268 remplaçants reçus par l'autorité civile ont été refusés par l'autorité militaire.

La conséquence de cette extrême sévérité a été de rendre les députations plus sévères elles-mêmes dans leurs décisions. Sachant qu'admis par elles, les remplaçants devaient passer à l'examen de cette commission et se trouvaient exposés aux chances d'un rejet probable, les députations, dans la crainte d'exposer les particuliers à des frais frustraloires et aussi dans la crainte de voir leurs décisions cassées, se sont montrées beaucoup plus sévères que par le passé. Grâce à ces mesures, aussi habilement conçues que contraires à la loi, le remplacement particulier est devenu à peu près impossible, et les miliciens désireux de faire usage de la faculté de se faire remplacer se sont trouvés dans la nécessité à peu près indispensable de s'adresser à l'Association et de lui payer l'énorme tribut qu'elle s'est réservé par ses opérations.

Voilà, messieurs, pour les entraves apportées au remplacement particulier, au remplacement direct. Mais à côté des mesures prises pour entraver le remplacement particulier, le gouvernement a pris d'autres mesures, non moins efficaces, non moins habilement conçues, pour favoriser le remplacement par la société. Ces mesures sont d'une illégalité non moins grande que celles dont je viens de vous entretenir.

Aux termes de la loi de 1817, il appartient aux députations et aux conseils de milice de recevoir des remplaçants. Ils ne peuvent les admettre qu'après avoir constaté qu'ils remplissent les qualités physiques exigées par la loi et sur l'avis de médecins, qui doivent prêter serment avant de se livrer à ces visites, et qui sont désignés par la voie du sort avant chaque séance, tant la loi a voulu prendre de précautions pour que les décisions des députations fussent à l'abri de toute influence étrangère.

Et bien, messieurs, le département de la guerre, conformément à un avis émané du ministère des travaux publics qui à cette époque avait la milice, dans ses attributions, a pris une décision d'après laquelle les députations permanentes et les conseils de milice doivent recevoir sans les avoir examinés, sans les avoir visités, sans les avoir vus, les remplaçants présentés par la société. Ces autorités doivent recevoir les remplaçants présentés par l'association, sur un simple certificat délivré par des médecins militaires étrangers aux députations, opérant en dehors de leur contrôle et sans avoir prêté devant elles le serment requis par la loi.

M. Verhaegen. - En vertu de quoi cela se fait-il ?

M. Orban. - En vertu, comme je l'ai dit, d'instructions combinées entre le département des travaux publics et celui de la guerre.

Vraiment, messieurs, en examinant ces actes, on est obligé de remonter à la date de leur promulgation pour s'expliquer qu'un ministre ait osé en assumer sur lui la responsabilité.

Comme le ministre auquel je fais allusion est absent, je donnerai lecture de la lettre qu'il a adressée au ministre de la guerre pour justifier cette mesure. C'est de cette justification que ressortira pour la chambre et pour le pays sa manifeste illégalité :

« Bruxelles, le 12 janvier 1842.

« A M. le ministre de la guerre.

« Monsieur le ministre,

« La lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire, le 10 de ce mois, m'a engagé à revoir attentivement l'arrêté du 10 mars 1838, que j'ai contresigné avec votre prédécesseur pendant que je me trouvais à la tête du département des travaux publics, qui avait alors dans ses attributions les affaires relatives aux levées de milice.

« Vous avez bien fait, M. le ministre, en répondant à la section centrale de la chambre des représentants, chargée cette année de l'examen du budget de votre département, de lui faire remarquer qu'il y avait, en effet, dans les lois ou règlements relatifs à la milice, une lacune à laquelle il a dû être pourvu par l'arrêté royal précité.

« J'ai relu l'arrêté avec la plus profonde attention et je ne pense pas qu'il soit possible de mieux motiver les dispositions qu'il renferme et d'en attaquer la légalité.

« J'ajouterai cependant quelques explications surabondantes, peut-être, aux considérations sur lesquelles il est motivé.

« L'article 97 de la loi du 8 janvier 1817 détermine quels sont les hommes que l'on peut admettre comme remplaçants.

« Ce sont d'abord les jeunes gens qui n'ont point servi, mais qui sont cependant à l'abri de tout appel, soit que le numéro qu'ils ont obtenu au tirage n'ait pas dû être compris dans le contingent, soit qu'ils aient pu invoquer le bénéfice d'une des exemptions prévues par les lois, et ensuite d'anciens militaires (volontaires ou miliciens) porteurs de congés absolus, obtenus après l'expiration de leur temps de service.

« Les uns et les autres constituent une catégorie de remplaçants qu'on peut désigner sous la dénomination de remplaçants de l’ordre civil.

« La loi du 28 mars 1835 et l'arrêté de Sa Majesté, du 14 janvier 1837, ont créé une nouvelle catégorie de remplaçants ; la première en permettant aux miliciens de la plus ancienne classe de milice non encore licenciée, de servir de remplaçants, et l'arrêté royal en accordant la même faculté aux volontaires dont le terme de service est sur le point d'expirer, mais qui sont admis comme remplaçants, sans qu'il y eût solution de continuité dans leur service.

« Cette catégorie de remplaçants appartient à l’ordre militaire.

« La différence bien tranchée qui existe entre ces deux espèces de remplaçants a fait sentir qu'on ne pouvait procéder, dans l'examen des derniers, de la même manière que pour les premiers, auxquels seuls on peut appliquer toutes les formalités prescrites par la loi, et qu'il fallait nécessairement recourir à d'autres mesures pour les remplaçants de l'ordre militaire.

« C'est ce qu'a fait l'arrête du 10 mars 1838, pris dans les limites des droits que l'article 67 de la Constitution donne au pouvoir royal.

« Le ministre de l'intérieur,

« Nothomb. »

Ainsi, vous le voyez, messieurs, on cherche à justifier cette mesure exorbitante en disant que la loi de 1817 qui attribue aux députations et aux conseils de milice l'examen des remplaçants, n'est applicable qu'aux remplaçants civils, et qu'une nouvelle catégorie de remplaçants ayant été créée, celle des remplaçants militaires, il y avait lieu de déterminer de quelle manière il devrait être pourvu à leur admission.

Conçoit-on, messieurs, que l'on puisse sérieusement mettre en avant une pareille justification ? De ce que vous avez, dans l'intérêt de la société, accordé la faculté de servir comme remplaçants à des individus, qui auparavant ne l'auraient pas pu, s'ensuit-il que vous puissiez changer les règles que la loi a tracées sans distinction pour l'admission des remplaçants, que vous puissiez forcer les députations à déclarer aptes au service des hommes qu'elles n'ont pas vus ? La mesure serait encore absurde si elle n'était évidemment illégale.

Au surplus le raisonnement du ministre n'a pas même le mérite d'être (page 696) spécieux. En disant que la loi de 18l7 ne s'était occupée que d'une seule espèce de remplaçants, les remplaçants civils, M. le ministre est complétement dans l'erreur. La loi de 1817 détermine formellement quels sont les individus ayant rempli leur temps de service militaire qui peuvent servir comme remplaçants, et elle ne fait aucune distinction en leur faveur quant à leur admission.

Maintenant, messieurs, que ces remplaçants militaires se présentent pour servir en qualité de remplaçants, après s'être complétement libérés du service, ou bien qu'ils passent du service personnel au service comme remplaçants, sans solution de continuité, pour me servir de l'expression de la dépêche, je vous demande si une aussi petite distinction peut en aucune manière justifier les énormités que je viens de vous faire connaître !

Messieurs, la députation dont j'ai eu l'honneur de faire partie pendant plusieurs années a protesté souvent contre cette indigne violation de la loi. Elle avait même pris la résolution de refuser de se soumettre aux instructions ministérielles et de ne plus à l'avenir recevoir de remplaçants sur simples certificats, comme on voulait l'y contraindre.

Mais qu'est-il arrivé ? C'est que la société nous a fait savoir que si nous refusions de nous soumettre aux instructions ministérielles elle cesserait ses opérations dans la province de Luxembourg.

Le remplacement direct étant devenu à peu près impossible, comme je l'ai dit, c'eût été assumer sur nous une grande responsabilité, que de priver dans tous les cas les habitants de la province de la faculté de recourir à la société, et force nous a été de nous soumettre et de procéder comme par le passé.

Ainsi, messieurs, les opérations de la société ont été favorisées par des mesures d'une illégalité criante, et au moyen de ces mesures on a rendu le remplacement particulier à peu près impossible.

J'ai vu souvent de malheureux parents, alléchés par l'espoir de faire une économie de quelques cents francs en essayant de se soustraire au ruineux concours de la société, essayer vainement de faire recevoir trois et quelquefois quatre remplaçants particuliers, obligés à la fin de recourir à elle après avoir supporté tous les frais de ces inutiles tentatives. J'ai vu, messieurs, de malheureux habitants de la campagne acquérir ainsi, au prix de la ruine de leur famille, la faculté de faire remplacer un de leurs enfants.

Maintenant, messieurs, le gouvernement ne borne pas là le concours qu'il accorde à la société. Non seulement, le gouvernement a pris les mesures dont je viens de parler, pour favoriser la société, mais ce sont encore les agents du gouvernement qui font en réalité la besogne de la société. Ce sont les quartiers-maîtres dans les régiments qui dressent annuellement la liste des sous-officiers et soldats dont le temps de service est expiré, qui obtiennent d'eux la soumission de servir en qualité de remplaçant, et qui transmettent à l'association ces listes et ces soumissions. De quelle manière ces soumissions sont-elles obtenues ? Comment décide-t-on des miliciens à servir comme remplaçants moyennant une prime de 700 fr., alors que la société fournit ces remplaçants pour 1,700 fr. ? C'est ce que la chambre appréciera.

J'ai dit la manière dont les choses se passent, en vertu d'une circulaire ministérielle dont la date m'échappe. J'ai lieu de croire qu'elle est encore exécutée, quoique momentanément révoquée par le général Buzen.

Messieurs, puisque nous en sommes à ces bénéfices de la société, je dois faire à cet égard une question à M. le ministre de la guerre.

Aux termes de l'article 16 des statuts, 20 pour cent des bénéfices annuels doivent être employés par la société à l'érection d'un hospice d'invalides, ou bien être mis à la disposition du gouvernement, pour venir au secours des anciens soldats qui se trouvent dans une position malheureuse. Si jamais participation aux bénéfices d'une société a été justifiée, l'on reconnaîtra que c'est bien celle-là.

Eh bien, je désirerais savoir quelle exécution a été donnée à cet article 16 des statuts. Il y a sept ans que la société existe ; elle a fait annuellement des bénéfices énormes.

Quel usage le gouvernement a-t-il fait de son droit ? Quelles sont les sommes qui ont été mises de ce chef à sa disposition ? Quels comptes lui ont été rendus ? Quels rapports lui ont été faits à cet égard, par le commissaire qu'il possède auprès de cette société ? Voilà ce que je désirerais savoir, et j'interpelle à cet égard M. le ministre de la guerre.

Avant de terminer, je dois encore toucher un autre point ; je veux parler des militaires qui sont intéressés dans l'association.

Toutes les fois qu'il a été question ici de cette société, que l'on a signalé la haute inconvenance qu'il y avait à ce que des militaires fussent intéressés dans l'association, l'on a répondu par une dénégation du fait lui-même. Je crois qu'il est assez difficile de prouver qu'il y a des militaires intéressés dans la société, par une raison fort simple ; c'est que ceux qui sont intéressés ne s'en vantent pas et que nous ne connaissons pas la liste des actionnaires.

Mais si nous ne savons pas positivement quels sont les actionnaires, quels sont ceux qui ont accepté des actions, nous savons autre chose : c'est que ces actions ont été offertes à un certain nombre d'officiers supérieurs honorables de l'armée, qui les ont refusées et qui l'ont fait dans des termes qui n'ont pas dû fâcher la société. Maintenant, messieurs, n'a-t-on offert ces actions qu'à ceux qui ont cru de leur devoir de les repousser, qui ont considéré celle offre comme injurieuse pour eux ? Tous en un mot ont-ils refusé ? Voilà ce que la chambre appréciera, ce que malheureusement le public ne croit pas !

Voilà quant au fait ; maintenant, quant aux conséquences du fait, les voici : les remplaçants particuliers quoiqu'admis par la députation permanente, peuvent être refusés quand ils sont présentés au corps dont ils doivent faire partie ; voici comment : tout en respectant les décisions souveraines des députations, on suppose que, depuis leur réception, ils peuvent avoir été atteints d'infirmités qui les rendent impropres au service. De là est né, dans la pratique, un certain droit, pour les chefs des corps, de refuser les remplaçants admis par les députations permanentes et même par les commissions militaires. Ce droit est exercé arbitrairement et sans contrôle.

Maintenant, messieurs, je vous laisse à apprécier quelle est la conséquence de la position des chefs de corps, en possession de ce droit, vis-à-vis de l'association dont ils sont actionnaires. En refusant un remplaçant particulier, ils procurent à la société la chance de le fournir elle-même et de faire un bénéfice d'un millier de francs, bénéfice dans lequel ils ont leur part, qu'ils peuvent en quelque sorte supputer d'avance.

Je ne veux point faire de supposition injurieuse à personne, mais ne suis-je point en droit de dire que lorsque l'on place ainsi entre leur intérêt et leur devoir des hommes de qui dépend l'admission des remplaçants dans les corps, le public manque des garanties d'impartialité auxquelles il a droit ?

Voici, messieurs, une autre énormité. Le gouvernement a un commissaire auprès de l'association ; ce commissaire est chargé de surveiller toutes les opérations de la société, d'empêcher qu'elles ne tournent au préjudice du public, qu'aucun intérêt légitime ne soit lésé, que l'association ne fasse point des bénéfices ruineux pour ceux qui s'adressent à elle. Eh bien, vous allez voir par les statuts de la société que le commissaire chargé de remplir cette mission, a une part dans les bénéfices de la société qu'il doit contrôler. Lisez l'article 16 des statuts et vous y verrez qu'un tantième des bénéfices appartient au commissaire royal.

(L'orateur donne lecture de cet article).

Messieurs, je vous laisse à apprécier la position d'impartialité dans laquelle le commissaire du gouvernement se trouve placé pour remplir ses fonctions. Son devoir, en qualité de commissaire, consisterait sans doute à dire à l'association : « Vous demandez un prix exorbitant pour vos remplaçants, vous faites peser une lourde contribution sur les individus qui doivent s'adresser à vous. »

Mais évidemment le commissaire, en tenant ce langage, parlerait contre son intérêt, diminuerait son tantième dans les bénéfices.

Maintenant, il faudrait cependant arriver à une conclusion.

Messieurs, il y a dans l'association un but utile ; je crois même que ce but explique la présence de personnes éminemment honorables dans le conseil d'administration. Ce but est celui de conserver à l'armée d'anciens sous-officiers et soldats qui ont du goût et de l'aptitude pour le service militaire. Mais ce but, nous pouvons l'atteindre, sans l'intermédiaire de la société et sans maintenir les abus dont elle vit.

Le gouvernement fournit à la société, au moins il l’a fait longtemps par ses quartiers-maîtres et par ses agents, la liste des anciens sous-officiers et soldats qui veulent servir ; eh bien, au lieu de transmettre cette liste à la société, qu'on la transmette aux gouverneurs de province qui rempliront vis-à-vis des miliciens l'office dont la société est chargée maintenant. Alors il arrivera de deux choses l'une ; ou bien le gouvernement demandera, comme aujourd'hui, 1,700 francs pour le remplacement et alors il pourra se réserver le bénéfice que fait la société, et procurer au trésor un revenu important, ou bien il se bornera à demander au remplacé le montant de la prime payée au remplaçant, et il procurera à l'un et à l'autre un immense avantage. Il fera cesser une charge odieuse qui pèse maintenant sur une classe nombreuse de citoyens.

Il fera cesser l'un des abus les plus criants qui se soient développés dans le pays depuis notre régénération politique.

En attendant que cette grande et utile mesure puisse être adoptée, je demanderai à MM. les ministres de restituer aux conseils de milice et aux députations permanentes l'autorité et les attributions qui leur appartiennent en vertu des lois ; de faire cesser les mesures illégales en vertu desquelles les députations sont forcées de recevoir, sans examen, les remplaçants militaires fournis par la société, et qui ont institué les commissions militaires chargées de réviser les décisions de l'autorité civile chargée de l'examen des remplaçants. Je lui demanderai enfin de cesser d'accorder toute espèce de concours à la société et d'interdire sévèrement aux officiers de tout grade de participer soit aux actes, soit aux bénéfices de l'association.

M. le ministre de la guerre (M. Prisse). - Messieurs, l'honorable M. Orban vient de défendre une cause qu'en qualité de militaire et de ministre je trouve une des plus belles qu'on puisse soutenir à la chambre. Je comprends parfaitement tout l'intérêt qu'on doit porter aux miliciens qui viennent chaque année prendre part aux travaux de l'armée, ou à ceux qui par de grands sacrifices imposés à leur famille cherchent à trouver des concitoyens qui veuillent assumer sur eux les fatigues du métier et les dangers que peut présenter la carrière des armes.

Je n'entreprendrai pas de discuter point par point le discours que l'honorable membre vient de prononcer ; je pense que je serai parfaitement d'accord avec mon honorable collègue de l'intérieur en proposant le renvoi des mesures que l'honorable M. Orban soumet à la chambre à la section centrale chargée de l'examen de la loi sur la milice, car ce sont deux objets qui s'accordent et doivent marcher ensemble. Mais pour le moment, qu'il me soit permis de donner quelques explications sur un point qui a été abordé deux fois ; une première fois par l'honorable M. Lebeau, et la seconde tout à l'heure par l'honorable M. Orban.

(page 697) Je veux parler de la participation que des officiers de l'année auraient prise aux opérations de la société pour l'encouragement du service militaire.

L'honorable membre a dit qu'il y avait des chefs de corps qui étaient actionnaires de la société. Je crois pouvoir certifier qu'il n'y en a pas aujourd'hui. Qu'il y en ait eu, c'est possible ; mais aujourd'hui, non ; les ordres les plus sévères l'interdisent, et si l'honorable membre pouvait me citer un chef de corps qui prît part aux opérations de cette société, demain je le mettrais en non-activité.

Les rapports de l'association générale pour l'encouragement du service militaire avec l'armée ont subi toutes les modifications qu'il était moralement possible de leur faire subir.

Ces modifications ont été opérées sous les généraux Buzen et de Liem, dont les intentions, à cet égard, ne peuvent pas être suspectées.

Rien n'a été changé depuis lors ; toutes les réformes introduites à cette époque ont été maintenues, et l'état de choses créé par ces réformes est celui qui existe aujourd'hui.

J'ignore si des officiers généraux ont des actions dans cette société ; mais ce ne sont pas les généraux qui reçoivent les remplaçants, et quant aux chefs de corps, une circulaire du 31 janvier 1843 leur interdit formellement, de même qu'aux quartiers-maîtres, aux officiers payeurs et à tous les commandants de compagnie, de s'immiscer en quoi que ce soit dans des opérations de recrutement, au profit d'une entreprise quelconque de remplacement militaire.

Les ordres contenus dans cette circulaire n'ont pas été révoqués, et il n'est pas parvenu à ma connaissance qu'aucun officier y ait contrevenu. Si un pareil fait m'était signalé, je n'hésiterais pas à le réprimer sévèrement.

De même, si l'on venait à porter à ma connaissance qu'un acte de partialité eût été commis dans la réception des remplaçants, nul doute que je saurais remonter à la source, rechercher les causes de cet acte, et que les auteurs n'en resteraient pas impunis.

On prétend qu'il y a des généraux qui sont actionnaires. Je le répète, je ne les connais pas. Je ne puis pas interdire à un officier général de placer son argent comme il l'entend, et d'ailleurs il n'a pas de contact immédiat avec les remplaçants. Puis-je dès lors demander à un officier général : Qu'avez-vous fait de votre argent ? Il me répondra que ce ne sont pas mes affaires, et il sera dans son droit ; l'honorable M. Delfosse, qui est jurisconsulte, doit être de mon avis à cet égard.

J'ai déjà dit que la circulaire du 31 janvier 1843 n'a pas été révoquée ; loin de là, et j'ai la ferme intention de la maintenir.

Voilà, messieurs, ce que je tenais à dire à la chambre. Je n'accepte donc pas pour les officiers chargés des opérations du recrutement les reproches que leur a adressés l'honorable M. Orban.

L'honorable M. Orban a parlé de la promesse de la société de faire bâtir un hôtel des Invalides. Voici ce que je sais à l'égard de cette affaire :

Déjà à plusieurs reprises, l'association pour l'encouragement du service militaire, a fait des ouvertures au département de la guerre dans le but d'obtenir qu'un arrêté royal vînt donner un commencement d'exécution à son projet d'établir un hôtel des invalides.

Le fonds de cette société étant bien loin de permettre qu'une suite sérieuse soit donnée à ce projet, elle a, en attendant, mis à la disposition du département de la guerre : 3,000 fr. en 1844, 4,000 fr. en 1845 et 4,000 fr. en 1846.

Conformément au désir exprimé par l'association, ces fonds ont été ajoutés à la somme de 10,000 fr. portée annuellement au budget pour être spécialement distribuée à titre de secours, à d'anciens militaires infirmes.

M. Delfosse. - M. le ministre de la guerre m'a adressé, je ne sais pourquoi, une interpellation que je ne crois pas devoir laisser sans réponse.

M. le ministre de la guerre m'a demandé comment il pourrait se faire rendre compte de la manière dont les généraux placent leur argent.

Je demanderai, à mon tour, à M. le ministre de la guerre comment il a pu défendre aux chefs de corps de prendre des actions ou d'avoir un intérêt quelconque dans les sociétés de remplacement.

Il me semble que si M. le ministre de la guerre a le droit d'intimer cette défense aux colonels, il a aussi le droit de l'étendre aux généraux.

M. le ministre de la guerre nous a dit que les généraux n'interviennent pas, comme les colonels, dans les actes qui concernent les remplaçants.

Cela peut être vrai, mais les généraux n'ont-ils pas sur ceux qui interviennent dans ces actes une influence qui pourrait faire naître les dangers auxquels on a voulu parer par la défense signifiée aux chefs de corps ? La distinction que M. le ministre de la guerre a établie entre les généraux et les colonels ne repose sur aucune raison solide.

M. Lejeune. - Les observations détaillées présentées aujourd'hui par l'honorable M. Orban et celles présentées par l'honorable M. de Lannoy vous aurons convaincus qu'il est urgent de prendre des mesures au sujet du remplacement. C'est au moment où l'on s'occupe en section centrale de modifications à la loi sur la milice qu'il est bon de signaler les abus et les moyens d'y porter remède.

On vous a dit, et l'honorable M. Orban a terminé par là, que l'association pour favoriser le service militaire avait un but utile, notamment celui de maintenir les cadres de l'armée, d’y conserver les sous-officiers instruits. Il est possible que ce soit là un grand bien, je ne veux pas m’en constituer juge, j'en laisse l'appréciation à M. le ministre de la guerre et a d'autres plus compétents que moi. Mais s'il est vrai que l’association produit un effet très utile pour le militaire, il est vrai aussi qu’elle produit un effet excessivement nuisible pour le civil ; que les remplacements particuliers sont devenus impossibles et que la loi est complétement neutralisée ; que la loi n'existe plus pour les particuliers, quant au remplacement.

On a fait ressortir surtout la différence de prix d'un remplaçant pris a l'association et celui qu'on payait ordinairement à un remplaçant présenté devant un conseil de milice. J'ai spécialement pris la parole pour indiquer quel est peut-être pour la société le motif ou le prétexte de faire payer un prix aussi élevé. Je ferai remarquer qu'il n'y a pas là égalité de position entre ceux qui s'adressent à la société et les autres.

La société pour le remplacement militaire prend sur elle la responsabilité que la loi impose au remplacé pendant dix-huit mois. Celle responsabilité est très gênante pour le remplacé. On s'impose de très grands sacrifices pour s'y soustraire.

Il n'y a d'autre moyen de s'y soustraire que de s'adresser à la société. Le remplacé qui veut être parfaitement tranquille, qui veut faire un sacrifice et qui ne veut plus encourir aucune responsabilité doit s'adresser à la société.

Voilà la source des abus.

Je voudrais qu'on égalisât les positions.

J'appelle sur ce point l'attention de mes honorables collègues qui font partie de la section centrale, chargée de l'examen du projet relatif aux modifications à la loi sur la milice. Si l'on ne peut adopter une proposition dans le genre de celle indiquée par l'honorable M. de Lannoy, c'est-à-dire de donner la faculté de racheter complètement le service militaire, qu'on donne au moins la faculté de racheter auprès du gouvernement même la charge de répondre du remplaçant pendant dix-huit mois.

Alors on aura le choix ou de se faire remplacer, suivant la loi, devant le conseil de milice, ou d'en demander un à la société. Il faut que les positions soient égales ; c'est-à-dire qu’on puisse jouir des mêmes avantages sans devoir passer par les mains de la société.

Peut-être trouvera-t-on qu'il faut attaquer le mal dans sa racine. Alors, on ne devra pas avoir égard à mes observations. Je les ai faites pour le cas où l’on ne trouverait pas convenable d'aller aussi loin que l'a proposé l'honorable M. Orban.

M. de Garcia, rapporteur. - L'objet maintenant en discussion mérite toute l'attention de la législature ; mais ce n'est pas à propos du budget de la guerre que l'on peut s'en occuper ; cette discussion viendra à sa place lorsque nous nous occuperons du projet de loi qui a pour but d'apporter des modifications à la loi sur la milice. J'ai l'honneur de faire partie de la section centrale chargée de son examen. Son premier travail vous a présenté ce projet de loi comme tout à fait incomplet. En conséquence, ses conclusions avaient été le renvoi de ce projet au gouvernement, pour qu'il le complétât. Ces conclusions, vous vous le rappellerez, n'ont pas été adoptées par la chambre ; ceci peut être regrettable, mais force a été pour la section centrale d'aborder le projet de loi présenté, et déjà elle s'est réunie pour examiner ce projet de loi. Dans son travail elle en est arrivée au dernier article de la loi, et a propos de cette disposition, les questions soulevées par l'honorable M. Orban ont été agitées et traitées dans sa dernière réunion. Une longue discussion s'est engagée sur cet objet. Jusqu'à ce moment nulle résolution n'a été prise sur les questions importantes qui se rattachent au remplacement et aux décisions contradictoires et anormales des autorités civiles et militaires. A diverses époques ces questions difficiles et ardues ont provoqué dans cette assemblée des observations et des critiques sévères. Souvent la chambre s'est plainte des abus auxquels donnait lieu la société pour le remplacement militaire. Ces plaintes étaient fondées, je crois. Le remplacement est une charge énorme pour une certaine classe de citoyens. Il faut donc l'alléger et la rendre le moins pénible possible. Celui qui a de l'argent peut aisément se tirer d'embarras ; mais pour le peuple, pour la classe de citoyens qui ne peut payer que de sa personne, c'est une charge des plus pénibles, et je n'hésite pas à le dire, une charge cruelle.

Mais, je le répète, cette question grave ne peut être examinée utilement que dans la discussion du projet de modifications à la loi sur la milice nationale.

M. Delehaye. - Je prie la chambre de ne pas perdre de vue que cette question ne lui est pas soumise pour la première fois. Elle s'est déjà présentée eu 1842. Il avait été alors convenu de commun accord entre la chambre et le ministre de la guerre (feu le général Buzen) que la société pour le remplacement militaire serait dissoute, il faut que cette société soit bien puissante pour s'être maintenue malgré la chambre, malgré le ministre de la guerre.

Lorsque l'honorable M. Prisse dit qu'il ne peut empêcher les officiers généraux de s'intéresser dans les opérations de cette société, je pense qu'il a parfaitement raison. Je conçois qu'il soit très difficile de découvrir si tels et tels officiers ont des actions dans une société anonyme, mais il n'en est pas de même pour le ministre de la justice, qui ne pouvait pas ignorer qu'en maintenant comme commissaire près de la société un magistrat, il violait évidemment l'une des dispositions de la loi sur le (page 698) traitement des membres de l'ordre judiciaire.

Depuis 1842, nous avons voté la loi concernant les traitements de l'ordre judiciaire dont l'une des dispositions porte qu'aucun magistrat ne peut être membre d’une société qui lui apporterait un bénéfice quelconque. Comment se fait-il après cela que le commissaire près la société soit un magistrat ? Cette circonstance m’étonne singulièrement. Comment un magistrat est-il attaché à une société à laquelle on a reproché tous les abus signalés par M. Orban ? Je pourrais en citer bien d'autres encore. Je me bornerai à un seul.

Un cultivateur avait traité avec un individu pour remplacer son fils. Présenté par lui, ce remplaçant fut refusé ; et quelque temps après, ayant été engagé par la société, il a été admis. Ce fait, connu de beaucoup de monde, a produit un véritable scandale. Eh bien, ce fait, qui se représente tous les jours, n'a point empêché M. le ministre de la justice de faire représenter le gouvernement auprès d'une société à laquelle on reproche des faits aussi graves, par un magistrat. Il y a là une violation de la loi ; il y a là un scandale inexplicable. Serait-il donc vrai qu'il ne peut y avoir dans le pays une affaire scandaleuse sans que le ministre de la justice y soit intéressé par lui-même ou par ses agents ? (Interruption.)

Quand je dis intéressé, je m'explique, il ne s'agit point d’un intérêt pécuniaire.

Sans doute, messieurs, peut-on contester que le ministre ne soit intéressé à faire respecter la loi ? Eh bien, la loi a été méconnue dans une de ses dispositions les plus formelles. Ce fait est trè -grave. Les abus commis par cette société ont été signalés à la chambre dès 1842 ; ces abus sont notoires Après cela, je ne saurais trop le répéter, il est scandaleux que le ministre de la justice ait permis à l'un de ses agents de remplir près de cette société les fonctions de commissaire du gouvernement, fonctions qui rapportent de gros bénéfices.

Je pense, messieurs, que M. le ministre de justice tiendra à expliquer ce fait, et qu'il nous donnera des explications de nature à dissiper l'impression fâcheuse que doivent produire sur la chambre et sur le pays les révélations que vous venez d'entendre.

M. Manilius. - J'ai demandé la parole, messieurs, lorsque j'ai entendu M. le ministre de la guerre vous dire qu'il ne connaissait pas le nom des actionnaires, et que s'il connaissait des militaires qui en fissent partie, il les destituerait. Ce langage de la part du gouvernement est extrêmement étrange. Vous venez de l'entendre, messieurs, un des premiers magistrats de l'ordre militaire est le surveillant de cette société. Cette société est une société anonyme surveillée par le gouvernement ; mais les actionnaires ne sont pas des actionnaires anonymes, ce sont des actionnaires qui ne peuvent l'être que nominativement. Les actions ne sont pas au porteur. Ainsi le gouvernement doit connaître les actionnaires. S'il n'y a pas d'officiers supérieurs, qu'on les défende contre toutes ces accusations accumulées sur eux ; s'il y en a, au contraire, qu'on ne promette pas à la chambre de les punir, mais que l'on agisse avec franchise ; que le gouvernement frappe, au lieu de menacer timidement.

Une autre cause m'a encore fait demander la parole. M. le ministre des affaires étrangères ayant dans ses attributions le commerce, il est de son devoir de faire rendre compte annuellement par la société, et il est de son devoir de lui faire verser au trésor la quotité de revenu, telle que les statuts le comportent. Si la société ne se conforme pas à ces obligations, il est du devoir du gouvernement de retirer son autorisation.

Messieurs, je désirerais aussi que, dans une position aussi fâcheuse sur laquelle tout le monde paraît être d'accord, le gouvernement, et surtout M. le ministre de l'intérieur, qui a la milice dans ses attributions, vînt nous déclarer qu'il va présenter à la signature du Roi un arrêté retirant ceux qu'on vous a indiqués, et qui sont contraires à la loi sur la milice. Qu'on prenne au moins cette mesure pour le temps que cette loi sera encore en vigueur.

Messieurs, j'ai recommandé au gouvernement, il y a quelques jours, une révision de la loi sur la milice ; je vous ai dit que la Constitution exigeait cette révision. Il faut, messieurs, que vous ayez une loi sur le recrutement en harmonie avec nos institutions. Je n'insisterai pas sur ce point, puisque je viens d'entendre un membre de la section centrale nous dire qu'on s'occupait de cette question du remplacement ; mais il est de toute nécessité que vous modifiiez votre loi sur la milice, et que vous fassiez une loi sur le recrutement, conforme aux institutions qui nous régissent et à la situation nouvelle du pays.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, je lis dans les statuts qu'on me remet à l'instant, que M. l'auditeur-général est commissaire du gouvernement près de l'association pour le remplacement militaire. Il a été nommé en cette qualité par arrêté royal du 21 mai 1841.

M. Lebeau. - Qui a contresigné cet arrêté ?

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Je crois que c'est l'honorable M. Nothomb.

Messieurs, une loi a été portée, non pas en 1842, mais en 1844, sur la position des membres de l’ordre judiciaire. Cette loi contient un article qui interdit aux magistrats la faculté de participer à l'administration des sociétés industrielles, et de faire le commerce soit par eux-mêmes, soit par personnes interposées. Mais il a été entendu, lors de la discussion de cette loi, tant à la chambre des représentants qu'au sénat, que cette interdiction ne s'étendait pas à la simple mission de surveillance, qu'ainsi un magistrat pouvait continuer à être commissaire surveillant de ces sociétés. Telle est l'exécution qu'a reçue la loi de 1844.

J'en appelle aux discussions qui ont eu lieu ; le Moniteur prouvera, je pensé, que mes souvenirs sont fidèles.

Quoi qu'il en soit, messieurs, j'ai fait ce qui était en moi pour assurer l'exécution de la loi de 1844 ; je me suis adressé aux autorités compétentes, aux premiers présidents, aux procureurs généraux, au président de la haute cour militaire et à l'intendant général, pour leur demander si, parmi les membres de ces corps, il y en avait qui fussent en contravention à la loi, et d'après les renseignements qui m'ont été fournis je n'avais pas lieu de supposer qu'un magistrat eût enfreint les dispositions légales.

J'examinerai la position spéciale de M. l'auditeur général comme commissaire près de la société du remplacement, et je verrai si ces fonctions rentrent dans la prohibition faite aux magistrats, j'agirai ensuite en conséquence, et je donne l'assurance que la loi sera exécutée.

M. Delehaye. - Messieurs, je suis réellement très étonné de la réponse de M. le ministre de la justice. J'ai été rapporteur de la loi à laquelle il vient de faire allusion, et je puis assurer qu'une des fonctions que nous avons eues particulièrement en vue pour faire adopter l'interdiction établie dans la loi, était ces fonctions de commissaires qu'on vient de signaler. Je me rappelle parfaitement bien ce qui s'est passé à cette époque ; c'était principalement là un des abus que nous avions en vue et M. le ministre de la justice ne devrait pas en douter.

Mais supposons que M. le ministre de la justice ait douté un instant que l'article dont il s'agit fût applicable à M. l'auditeur général. M. le ministre de la justice devait au moins savoir, s'il a le sentiment des convenances, et je désire qu'il les ait, que l'association à laquelle on a fait allusion, est une association peu digne de considération, qu'elle était accusée de faits assez scandaleux pour que le contact d'un magistrat avec une société pareille dût ternir sa réputation.

Que devait faire M. le ministre de la justice à l'égard du membre de la magistrature dont il s'agit ? Il devait l'engager à se retirer. Eh bien ! pas du tout. C'est aujourd'hui seulement qu'il promet de faire cette démarche. Je dis que si le ministre avait été bien pénétré de ses devoirs envers la magistrature, il aurait dû faire depuis longtemps cette démarche, et je regrette qu'il ait attendu les observations de la chambre pour s'y décider.

Encore aujourd'hui nous trouvons un nouvel exemple de la légèreté qui distingue l'administration de M. le ministre de la justice.

M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, je ne dirai qu'un mot sur l'interprétation de la loi relative à l'ordre judiciaire.

Mes souvenirs sont très précis. La loi porte que les magistrats ne peuvent participer à l'administration d'une société, ni faire par eux-mêmes ou par personnes interposées aucune espèce de commerce ; et dans la discussion, on a expressément réservé pour les magistrats le droit d'être surveillants, lorsqu'ils ne participeraient pas à l'administration active d'une société ou d'un établissement industriel. Il en devait être ainsi pour concilier le soin de la dignité de la magistrature avec le droit qui appartient à chacun de surveiller un établissement auquel il est intéressé.

M. de Brouckere. - Messieurs, je ne viens pas prendre la défense de la société de remplacement, mais je dois cependant avouer qu'on va un peu loin lorsqu'on prétend que le seul contact avec cette société... (Interruption.) On a dit que le seul contact avec cette société suffit pour flétrir la réputation d'un magistrat. Je dois déclarer que je connais plusieurs personnes fort honorables qui sont en contact avec cette société. Je connais personnellement le magistrat dont il a été question, et qui est incapable de poser un fait qui pût paraître le moins du monde indélicat. C'est une chose que je puis certifier. J'engage le gouvernement à s'occuper le plus tôt possible de cette société, car je serais désolé si j'entendais renouveler des accusations qui peuvent s'adresser à des personnes très honorables.

M. Delehaye. - Je suis loin de croire que le magistrat dont il est question, n'est pas un homme honorable ; il peut très bien ignorer les abus dont on s'est plaint. Mais des faits graves ayant été signalés par l'honorable M. Orban, moi-même en ayant signalé et plusieurs membres ayant adhéré à ce qui a été dit, il va de soi que si des hommes honorables étaient attachés à cette institution, ils se seraient retirés s'ils en avaient eu connaissance.

Messieurs, ces faits étant maintenant connus, ces hommes que je crois aussi dignes d'estime, en présence des abus graves que nous avons signalés, ne tarderont pas à s'en retirer ; et ce sera déjà un grand résultat, car lorsque tous les gens honnêtes, toutes les personnes honorables qui se trouvent encore en grand nombre dans la société, lorsque ces personnes se seront retirées, c’en sera fait de la société, elle n'existera plus, et les scandales qu'on a signalés de toutes parts auront cessé avec elle.

Jusqu'à ce jour, les intéressés dans la société pouvaient ignorer ce qui se passait ; les observations qui viennent de vous être soumises, auront été le jour sur toutes les opérations ; et désormais il n'y aura plus personne qui pourra se faire illusion sur les moyens illicites à l'aide desquels on réalisait annuellement de si gros bénéfices.

Dans tout cela, il y a une chose que l'on ne peut nier, c'est que de nouveau le ministre de la justice a été peu soucieux de la considération de la magistrature en laissant à la tête d'une société à laquelle on reproche tant d'abus, un magistrat qui pouvait, n'en ayant aucune connaissance, être exposé à compromettre sa dignité.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Ainsi que l'a dit l'honorable M. de Garcia, l'examen des questions relatives à cette société trouvera mieux sa place dans la discussion de la loi sur la milice. Je pense, messieurs, que cette discussion viendra prochainement, car la section centrale s'occupe en ce moment du projet. Alors ces diverses questions pourront être approfondies, et il sera possible d'arriver à des conclusions (page 699) précises. En attendant, le gouvernement en fera, de son côté, un examen très attentif.

Vous vous rappellerez, messieurs, que depuis 1842, il n'y a plus eu de discussion relativement à la société du remplacement militaire. Je dirai même que depuis mon entrée au ministère, c'est la première fois que j'entends articuler des griefs à la charge de cette société, soit dans l'administration, soit au dehors. Mon honorable collègue, M. le ministre de la guerre, s'est trouvé dans le même cas que moi. C'est seulement il y a deux jours que j'ai appris, par l'honorable M. Orban, qu'il se proposait de renouveler la discussion de 1842, et j'ai promis à l'honorable membre de faire de cette question l'objet d'un examen approfondi.

Ainsi que vous l’a dit l'honorable M. de Brouckere, on ne peut point qualifier d'immorale cette société. Si les abus signalés ont été commis, je serai le premier à les condamner ; mais je ne puis pas admettre la qualification de société immorale qui lui a été adressée, en ayant égard à la société en elle-même, et aux personnes qui l'ont constituée, et dont un grand nombre occupent un rang très honorable dans la société, et n'ont jamais donné lieu de croire qu'elles prêteraient les mains à quelque chose d'immoral.

Quant aux modifications plus étendues qu'on désirerait voir introduire dans la loi sur la milice, j'ai prescrit, messieurs, de faire l'examen d'une révision générale de cette loi. Mais ceci ne doit en aucune manière empêcher la discussion de la loi spéciale qui a été présentée par mon honorable prédécesseur. La chambre est trop surchargée de travaux pour qu'on puisse espérer d'ici à longtemps une révision complète des lois sur la milice ; mais en attendant le travail se prépare et le gouvernement aura à décider, lorsque ce travail sera fait, s'il présentera un projet d'ensemble ou s'il continuera la révision par des lois spéciales.

M. Orban. - M. le ministre de l'intérieur vient de proposer le renvoi de la question que j'ai soulevée à l'examen de la section centrale du projet de loi sur la milice. Je crois, messieurs, que cette section centrale répondra complétement au légitime désir de ceux qui demandent des améliorations en ce qui concerne le remplacement ; mais je crois aussi que M. le ministre de l'intérieur et M. le ministre de la guerre doivent prendre des mesures immédiates, qu'ils doivent révoquer immédiatement les mesures illégales prises en faveur de la société. Si l'on croit que les critiques dont ces actes ont été l'objet, ne sont pas fondées, qu'on y réponde ; mais si les critiques sont fondées, qu'on y fasse droit.

Si l'on veut discuter les observations que j'ai présentées, je suis en mesure de répondre complétement à toutes les objections que l'on pourrait faire. Si je ne suis pas entré dans plus de détails, c'est pour ne pas prolonger outre mesure cette discussion.

Il est cependant un point sur lequel je dois insister. J'ai eu l'honneur de dire à la chambre qu'aux termes des statuts de la société, 20 p. c. de ses bénéfices sont acquis au gouvernement et doivent être versés d'une manière ou d'autre dans ses caisses. S'il est impossible de réaliser le projet d'ériger un hôtel des invalides, ces sommes doivent être employées en secours à d'anciens militaires. Mais je suis étonné, messieurs, d'avoir entendu M. le ministre de la guerre vous dire, que le fonds social ne permettait pas de réaliser ce projet. Il résulterait de cette déclaration que les bénéfices de la société, qui sont énormes, n'auraient cependant pas encore répondu à son attente ?

Quoi qu'il en soit, il y a auprès de la société un commissaire du gouvernement qui est chargé d'en surveiller la gestion. Eh bien, messieurs, je demande qu'il soit rendu compte de cette affaire à une commission de la chambre, et que cette commission soit chargée de rechercher de quelle manière on a exécuté l'engagement dont je viens de parler. Le gouvernement doit tenir la main à l'exécution de cet engagement, et la chambre a le droit de s'enquérir de la manière dont il a été rempli.

Je dois avouer, messieurs, que quand j'ai parlé de la présence de l'auditeur militaire dans cette société, en qualité de commissaire du gouvernement, je n'ai pas eu l'intention de blâmer la nomination de ce commissaire ; je ne crois pas qu'elle soit contraire à la loi relative aux traitements de la magistrature. En effet, messieurs, qui dit commissaire, dit surveillant ; il est naturel que le gouvernement charge de cette surveillance un de ses agents. Mais ce qui est irrégulier, c'est que ce commissaire, qui doit veiller à ce que des abus ne se commettent pas, à ce que les bénéfices ne soient pas exorbitants, c'est que ce commissaire, dis-je, touche un tantième dans les bénéfices. Voilà ce qui est exorbitant, voilà ce que j'ai blâmé et ce qui mérite la censure de la chambre et du pays.

M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, j'ai examiné avec soin les statuts depuis le commencement de cette discussion, et je n'y vois pas écrit pour le gouvernement le droit d'exiger le versement, dans les caisses du trésor, de 20 p. c. des bénéfices.

L'article 10 fait un partage des bénéfices ; il porte : « 20 p. c. formeront un fonds particulier qui sera appliqué soit à l'établissement dont il est parlé aux articles 4, 5, 6 et 7, soit à des actes de bienfaisance en faveur des militaires infirmes. »

L'établissement dont il est parlé aux articles 4, 5, 6 et 7 est un hôtel des invalides ; mais la rédaction de cet article ne suppose nullement, elle exclut même le versement de cette somme entre les mains du gouvernement pour créer un hôtel des invalides ; en effet, l'article 7 porte qu'à la dissolution de la société seulement cet hôtel appartiendrait au gouvernement.

Vous voyez donc que, d'après les statuts, la somme de 20 p. c. sur les bénéfices ne doit pas être versée au trésor pour que le gouvernement en dispose comme bon lui semble.

Il y a une question de fait. La société pouvait appliquer les 20 p. c. à des actes de bienfaisance en faveur des militaires infirmes ; elle a renseigné au département de la guerre certaines sommes que l'honorable M. Orban croit être de beaucoup au-dessous des 20 p. c. des bénéfices réalisés. Il y a là, je le répète, une question de fait que le gouvernement doit éclaircir ; il en a les moyens, je crois même pouvoir ajouter qu'il en a la volonté.

Je me borne, messieurs, à toucher le seul point qui concerne l'interprétation des statuts et le département des finances.

L'on paraît assez généralement d'accord pour renvoyer la discussion approfondie des questions qui ont été soulevées aujourd'hui à l'époque où nous pourrons discuter le projet de loi sur la milice. J'espère que ce sera dans le cours de la session actuelle.

M. Rogier. - Messieurs, je ne puis qu'appuyer les observations qui ont été présentées avec tant de lucidité par l'honorable M. Orban. Dès l'année 1837, à l'époque de la fondation de cette société, et à l'occasion de la discussion du budget de la guerre, j'avais fait ressortir avec beaucoup d'énergie tous les vices attachés à cette création ; je les avais signalés à M. le ministre de la guerre d'alors ; je l'avais engagé à faire par lui ce qui se faisait au profit d'une société particulière. Ces observations n'ont pas, à ce qu'il paraît, été prises en considération.

L'honorable général Buzen, en 1840 et 1841, voulant porter remède aux abus inhérents à cette société, avait pris diverses mesures pour arriver à paralyser certains mauvais effets résultant de l'intervention de cette société dans l'armée. Je ne sais pas ce qui a été fait depuis lors ; je crois que sous le ministère qui a suivi, l'on a rendu au contraire à la société des facilités que le général Buzen avait voulu lui enlever.

Du reste, je ne veux pas incriminer individuellement tel ou tel membre de cette société ; mais, je l'avais signalée dès 1837 à l'attention du gouvernement, comme une institution qui renfermait le germe des plus graves abus pour l'armée.

En ce qui concerne l'hôtel des invalides, permettez-moi, messieurs, de vous dire que j'appréciais, dès ce temps, cette promesse à sa juste valeur. Après avoir signalé les vices de cette société, je disais :

« Je dois encore dire un mot de cette société anonyme qui, en récompense de l'intervention de l'Etat dans ses opérations, promet à notre armée un hôtel des invalides. Je ne crois pas que jamais cette promesse s'accomplisse, je la considère comme purement illusoire. Mais dût-elle se réaliser, je n'accepterais pas l'offre, si j'étais gouvernement. Un hôtel des invalides doit être l'ouvrage de l'Etat. Ce n'est pas l'Etat, qui appelle les citoyens sous les armes et les fait mutiler à son service, qui doit laisser à d'autres le soin de les abriter, quand ils ont perdu une partie de leurs membres ou sont devenus aveugles ou infirmes en le servant. »

Dès cette époque, je voyais bien que la promesse de l'hôtel des invalides serait une promesse purement illusoire ; ce que je disais s'est réalisé. Mais aujourd'hui, si une proposition avait pour but de forcer la société à exécuter une partie de ses engagements, je devrais aujourd'hui, comme alors, en supposant que la société y fût disposée, je devrais m'opposer à l'érection d'un hôtel des invalides au moyen d'un tantième perçu sur les bénéfices d'une société anonyme.

Si un hôtel des invalides, consacré à abriter les vieux débris de notre armée, doit être élevé, il faut qu'il le soit par les soins et aux frais de l'Etat, et non par le concours pécuniaire d'une société anonyme, alors surtout que nous avons vu de quelle manière les bénéfices de cette société sont réalisés.

Voilà quelle est mon opinion quant à l'éventualité très improbable de la fondation d'un hôtel des invalides par les soins d'une société.

M. le président. - Les travaux de la section centrale sont fort avancés ; elle se réunira demain. Je prie en conséquence M. le ministre de la guerre ou M. Orban de lui adresser les propositions qu'ils seraient dans l'intention de lui communiquer.

M. d’Elhoungne. - Messieurs, malgré l'assurance que M. le président vient de nous donner relativement au prochain achèvement des travaux de la section centrale chargée d'examiner le projet de loi sur la milice, je ne puis comprendre et je puis approuver encore moins la solution que M. le ministre de l'intérieur veut donner à l'incident soulevé par l'honorable M. Orban.

En effet des abus sont signalés, ces abus sont anciens ; ils ont une triste notoriété, ils dérivent du monopole que le gouvernement a imprudemment accordé à la société instituée pour les remplacements militaires. Or, messieurs, il semble que ce qu'il y a de plus simple à faire pour le gouvernement, c'est, non pas de soumettre ces questions à la section centrale, mais de faire son devoir, comme gouvernement ; d'examiner si ces abus existent ; et, s'ils sont constatés, d'y mettre fin, er faisant rapporter les arrêtés royaux qui ont accordé à la société des privilèges et un monopole dont tout le pays se plaint à juste titre.

En proposant le renvoi à la section centrale et à une discussion qui n'aura pas lieu dans cette session, en réalité on propose le maintien, la perpétuité et non la suppression des abus. Le gouvernement doit, au lieu de cela, prendre l'engagement formel, positif de faire cesser les abus du moment qu'il les aura constatés.

C'est là l'observation que je voulais faire.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je n'ai entendu en aucune manière rejeter la responsabilité sur la section centrale. J'ai dit qu'elle était saisie de l'examen de cette question ; j'ai dit de plus que le gouvernement (page 700) en faisait l'objet d'une étude sérieuse ; cette étude a été commencée aujourd'hui même, et nous la suivrons autant que possible ; quand notre opinion sera formée, nous saurons prendre des résolutions si elles dépendent exclusivement de nous. Voilà ce dont je réitère l'assurance à la chambre.

- L'article 9 est mis aux voix et adopté.

Articles 10 et 11

« Art. 10. Chauffage et éclairage des corps de garde : fr. 63,000. »

- Adopté.


« Art. 11. Vivres de campagne au camp, logement et nourriture : fr. 421,000. »

- Adopté.

Article 12

« Art. 12. Remonte : fr. 414,750. »

M. Osy. - Dans la discussion générale, quelques collègues et moi, nous avons émis l'opinion que cette année le gouvernement pourrait bien se dispenser d'acheter des chevaux et faire une économie de 70,000 francs. Nous savons que, dans les garnisons de cavalerie, les chevaux sont en trop grand nombre en proportion des hommes. Je propose en conséquence le retranchement de ces 70,000 fr.

M. le ministre de la guerre (M. Prisse). - L'honorable M. Osy propose de supprimer la somme demandée pour l'achat de 96 chevaux de cuirassiers. Je prie la chambre de remarquer que cette proposition a été présentée de la manière la moins coûteuse pour le courant de cet exercice, puisque je n'ai porté aucune somme pour les rations de ces chevaux. Je demande à pouvoir faire l'acquisition à la fin de l'année, pour que dès le commencement de 1848 on puisse livrer ces chevaux aux régiments de cuirassiers. Ces régiments sont réduits à un effectif tellement faible qu'il est impossible de jamais mettre quatre escadrons en ligne. Dans les autres régiments de cavalerie on compte six escadrons ; quand il faut retrancher les non-valeurs, les chevaux blessés ou malades, les chevaux du petit état-major, des trompettes, etc., il ne reste plus que cinq escadrons de manœuvres. Avec cinq escadrons, on peut à la vérité exercer très convenablement un régiment ; mais dans les cuirassiers formés à quatre escadrons et même en les supposant au complet en chevaux, vous ne pouvez réellement mettre en ligne que trois escadrons. Les chiffres de l'effectif le démontrent clairement. L'arme des cuirassiers est extrêmement importante ; il est difficile de la maintenir sur un pied respectable ; il faut des chevaux de taille et des hommes grands et robustes qui ont besoin d'être souvent exercés, ne fût-ce que pour contracter l'habitude de porter le casque et la cuirasse.

Le recrutement en est difficile, il se présente moins de volontaires, le service est plus fatiguant, et peut-être éprouve-t-on moins le désir d'entrer dans l'arme parce qu'elle est, non pas moins favorisée, mais parce qu'elle ne présente pas les mêmes éléments de forte composition ; il est difficile, il est même aujourd'hui impossible de mettre ces régiments en ligne faute d'un effectif suffisant pour quatre escadrons. J'insisterai donc auprès de la chambre pour qu'elle maintienne le chiffre que j'ai demandé pour les chevaux. Quant aux hommes qui seraient attachés en plus aux deux régiments de cuirassiers, je ne les demande pas ; je les prendrai en diminuant un peu les effectifs des régiments de cavalerie légère.

Je comprends la nécessité de chercher à faire des réductions ; je ne sais si la chambre voudrait me permettre, au milieu ou à la fin de l'exercice, de faire une espèce de transfert. Voici ce que je voudrais lui proposer. Il est possible que le prix du pain diminue. Nous aurons une nouvelle adjudication au mois de juin. Si seulement il diminuait alors d'un centime, je trouverais dans cette réduction la somme nécessaire pour acheter des chevaux, et il resterait même encore une légère économie au trésor. La chambre veut-elle m'autoriser à faire ce transfert, avec cette condition que, si les vivres restaient au prix actuel, j'attendrai ?

Un membre. - C'est impossible !

M. le ministre de la guerre (M. Prisse). - Alors je demande que le chiffre que j'ai proposé soit mis aux voix.

- Le chiffre proposé par le gouvernement est mis aux voix et adopté.

Article 13

« Art. 13. Frais de bureau et d'administration des corps : fr. 328,000. »

- Adopté.

Chapitre III. Ecole militaire

Article premier

« Art. 1er. Traitements et indemnités : fr. 35,324 99 c. »

La section centrale propose de réduire ce chiffre à 34,624 fr. 99 c.

M. le ministre de la guerre (M. Prisse). - L'honorable M. Brabant a plaidé la cause des professeurs de l'école militaire ; il l'a plaidée avec talent et conviction ; qu'il me soit permis d'ajouter quelques paroles à celles que vous avez déjà entendues. Vous savez que les professeurs de l'école militaire ne peuvent exercer aucune autre profession, qu'il ne leur est pas permis d'utiliser leurs remarquables talents hors de l'établissement.

Vous savez en outre que les connaissances exigées de ces hauts fonctionnaires dans l'enseignement et les talents dont ils font chaque jour preuve les mettent sur la même ligne que les professeurs des universités. Cependant leur traitement est bien inférieur.

La légère somme demandée pour augmentation des professeurs est destinée non à rétribuer convenablement, mais à améliorer, d'une manière bien peu sensible, la position de ceux d'entre eux qui ont le plus grand nombre d'heures à consacrer à leurs élèves, et qui ont le traitement le plus bas.

Je prie la chambre de se montrer bienveillante pour des membres du corps enseignant qui remplissent d'une manière si honorable les fonctions qui leur sont confiées.

M. de Garcia, rapporteur. - Ce n'est pas sans répugnance que la section centrale a proposé l'économie insignifiante dont il s'agit ici. Si elle n'a pas admis l'augmentation demandée par le gouvernement, c'est qu'elle pense que dans les circonstances actuelles, il faut faire toutes les économies possibles. Quant à moi, c'est à regret que j'ai voté cette réduction. Je l'ai votée avec d'autant plus de regret que l'augmentation même ne ferait pas aux professeurs le sort auquel ils ont droit, ne répondrait pas aux services éminents qu'ils rendent. Aussi je dois le déclarer avec franchise, dans la pensée de la section centrale il ne s'agissait pas de rejeter une augmentation dans le traitement du corps professoral de l'école militaire qu'elle regardait comme insuffisante devant les dispositions de la loi qui l'ont organisée ; elle ne voulait qu'ajourner cette question pour l'examiner convenablement.

Cette question, il faut le reconnaître, ne doit pas être examinée isolément. Elle se rattache à des considérations d'un ordre plus élevé. Dans notre pays, on a trop multiplié les corps d'enseignement supérieur.

Nous avons école du génie civil, école des mines, école militaire. Toutes ces écoles nécessitent un corps professoral considérable. Je crois que l'on pourrait payer beaucoup mieux les professeurs et faire une économie notable, en réunissant toutes ces écoles ensemble et en faisant une école centrale analogue à l'école polytechnique de Paris. Ce que nous avons à cet égard, est essentiellement vicieux sous tous les rapports, et, ne fût-ce que pour apporter remède à cet état de choses, personnellement j'aurais voté contre l'augmentation pétitionnée.

La réunion en un seul des corps enseignants, que je viens de signaler, aurait les résultats les plus avantageux sous tous les rapports. Cette réunion serait favorable aux progrès de la science, établirait une noble émulation parmi des jeunes gens appelés souvent à étudier les mêmes matières, mettrait le gouvernement à même de faire un choix plus parfait pour meubler le corps professoral, et, j'en ai la conviction, tout en le rémunérant d'une manière beaucoup plus convenable qu'il ne l'est aujourd'hui, une réunion semblable amènerait une économie sensible dans les dépenses de l'Etat.

D'après ces considérations, messieurs, je crois inutile d'insister pour vous dire que personnellement je ne tiens pas à la réduction proposée, mais je désire qu'un jour on puisse réaliser la fusion que je n'ai fait qu'indiquer.

- L'article premier est adopté avec le chiffre de 35,324 fr. 99 c.

Articles 2 à 4

« Art. 2. Enseignement : (chiffre proposé par le gouvernement) 69,049 fr. 33 c. ; (chiffre proposé par la section centrale) 67,149 fr. 33 c.

M. le ministre de la guerre (M. Prisse). - Ce que je viens d'avoir l'honneur de dire s'applique également à cet article.

- L'article est adopté avec le chiffre de 69,049 fr. 33 c.


« Art. 3. Solde des élèves : fr. 20,340. »

- Adopté.


« Art. 4. Dépenses d'administration : fr. 23,885 68 c. »

- Adopté.

Chapitre IV. Matériel du service de santé et des hôpitaux

Articles 1 à 3

« Art. 1er. Pharmacie centrale : fr. 94,000. »

- Adopté.


« Art. 2. Solde, supplément de solde et pain des malades : fr. 450,000. »

- Adopté.


« Art. 3. Loyer des bâtiments, réparations : fr. 23,500. »

- Adopté.

La discussion est continuée à demain.

La séance est levée à 4 heures et demie.