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Chambre des représentants de Belgique
Séance
du lundi 6 juillet 1846
Sommaire
1) Pièces adressées à la
chambre, notamment pétition relative au traité de commerce conclu avec la
France (Osy)
2) Projet de loi portant abrogation
de l’arrêté-loi du 9 septembre 1814 relatif aux jugements rendus et aux
contrats passés en France (Vanden Eynde)
3) Rapports sur des
pétitions relatives, notamment, aux droits de fonte et au traité conclu avec le
Zollverein (Zoude), à la construction du canal de Diest à Vilvorde (Vanden
Eynde)
4) Projet de loi portant le
budget du département de la marine pour l’exercice 1847 (Osy)
5) Projet de loi portant
approbation du traité de commerce conclu avec la France (+droits sur les lins
et la laine). Discussion générale (Rodenbach, David,
de
Haerne, Dubus (aîné), Verwilghen,
(considérations générales sur les difficultés et historique des projets d’union
douanière belgo-française) (Lebeau, de Theux), de Villegas,
Dechamps),
(clôture) (Verhaegen, Anspach), Dumortier,
Dechamps,
Dumortier,
Malou,
Lesoinne,
Delfosse,
Dumortier,
Lebeau,
Verhaegen,
Dechamps,
Manilius,
de Theux,
Delfosse,
Manilius,
Dolez,
Dechamps,
Dubus
(aîné))
(Annales parlementaires de
Belgique, session 1845-1846)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 1842) M. de Villegas procède à l'appel
nominal à 2 heures.
Il donne lecture du procès-verbal de la séance précédente dont la
rédaction est approuvée.
Il fait connaître l'analyse des pétitions suivantes.
PIECES ADRESSEES A LA
CHAMBRE
« Le sieur Pierre-Alexandre Fournel,
négociante Bruxelles, né à Paris, demande la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi au ministre de la justice.
_________________
« Les membres du conseil communal de Cortemarcq
demandent l’union douanière avec la France. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion de la convention avec la
France.
« Un grand nombre d'habitants de Gand demandent la suppression du droit
d'entrée sur le bétail. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion des rapports concernant le
droit d'entrée sur le bétail.
(page 1843) « Les sieurs Vanderschrieck,
propriétaires d'une filature de laine à Anvers, demandent le rejet de la
convention avec la France. »
M. Osy. - Messieurs, comme cette pétition se rapporte à l'objet qui est à
l'ordre du jour, je demanderai que le secrétaire en donne lecture. Vous verrez,
messieurs, que c'est un industriel qui a établi une fabrique auprès d'Anvers,
il y a deux ans, en vertu de l'arrêté de 1845, et aujourd'hui on demande déjà
une indemnité. Voilà ce qui vous arrivera par la convention avec la France. Je
demande la lecture, ainsi que le dépôt sur le bureau pendant la discussion du
projet relatif à la convention,
- Cette double proposition est adoptée.
______________
M. de La Coste informe la chambre qu'il ne peut assister à la séance de
ce jour.
- Pris pour information.
_______________
« M. le doyen curé de SS-Michel et Gudule, fait part à la chambre qu'un
service solennel de mort à l'intention de feu Sa Sainteté le pape Grégoire XVI
aura lieu en cette église, le mardi 7 juillet à 11 heures. »
- Pris pour information.
________________
« II est fait hommage à la chambre d'une carte du Texas, par M. Maris. »
- Dépôt à la bibliothèque.
PROJET DE LOI PORTANT
ABROGATION DE L’ARRETE-LOI DU 9 SEPTEMBRE 1814 RELATIF AUX JUGEMENTS RENDUS ET
AUX CONTRATS PASSES EN FRANCE
M. Vanden Eynde présente le rapport de la commission qui a été chargée de l'examen du
projet de loi portant l'abrogation de l'arrêté-loi du 9 septembre 1814, relatif
aux jugements rendus et aux contrats passés en France.
- La discussion de ce rapport, qui sera imprimé et distribué, sera fixée
ultérieurement.
RAPPORTS DE PETITIONS
« Le sieur Henry, propriétaire de hauts fourneaux dans la province de
Luxembourg, réclame l'intervention de la chambre pour obtenir le remboursement des
droits sur les fontes qu'il a fait passer par terre dans le Zollverein après
l'ordonnance prussienne qui a donné lieu au traité du 1er septembre 1844. »
M. Zoude, rapporteur. - Nos démêlés tarifaires avec la Prusse en 1844 sont encore présents à
vos souvenirs.
La chambre se rappellera que par ordre du cabinet prussien, en date du
14 juin 1844, une surtaxe fut établie sur les fers importés dans le Zollverein,
et que, par représaille, un arrêté du 28 juillet suivent soumit les navires
prussiens à un droit de tonnage dont ils avaient été affranchis jusqu'alors, et
que le péage sur l'Escaut cessa de leur être remboursé. Mais, par un nouveau
traité du 1er septembre suivant, l'ancien état de choses fut rétabli, et un
arrêté royal du 25 juin 1845 ordonne le remboursement du droit de tonnage et de
péage qu'avaient acquitté les navires prussiens.
De son côté le gouvernement prussien donna l'assurance que la surtaxe
sur les fers serait remboursée ; c'est ainsi que M. le ministre de l'intérieur
s'en est expliqué à la chambre.
C'est l’exécution de cette promesse de la part de la Prusse, que le
pétitionnaire sollicite ; il joint à l'appui de sa demande, des états délivrés
par les autorités du Zollverein, constatant les quantités de fer qu'il a
importées alors et le montant de la surtaxe qu'il a acquittée, s'élevant à la
somme de 4,963 fr., dont il sollicite le remboursement que le gouvernement seul
peut lui faire obtenir, puisque c'est envers lui que la Prusse s'est engagée.
C'est à cet effet que votre commission a l'honneur de vous proposer le
renvoi de cette pétition à M. le ministre des relations étrangères, persuadée,
que, dans sa sollicitude pour les intérêts belges, il s'empressera de faire les
démarches nécessaires pour que justice soit rendue au pétitionnaire. »
- Ces conclusions sont adoptées.
« Plusieurs propriétaires, cultivateurs, industriels et commerçants de
la ville de Diest et des environs, demandent la construction du canal de
Vilvorde à Diest. »
M. Zoude, rapporteur. - Une pétition revêtue de la signature de toutes les notabilités de la
ville de Diest et de ses environs, demande l'exécution du canal de Diest à
Vilvorde, qui avait été décrété et mis en adjudication sous le gouvernement précédent.
Ils réclament le droit acquis, reconnu par le gouvernement lui-même qui
leur a réitéré souvent la promesse de s'en occuper d'abord ; mais tout
jusqu'ici s'est borné aux promesses ; cependant, disent-ils, il est démontré
que les travaux que l'on fait au Denier pour empêcher les inondations ne
pourront atteindre le but d'utilité qu'on se propose qu'au moyen du canal
qu'ils sollicitent.
Ils exposent les pertes qu'ils essuient par l'état d'isolement auquel
ils sont condamnés maintenant et qui ne peut cesser que par la construction du
canal de Vilvorde.
Votre commission a l'honneur de vous proposer le renvoi de cette
pétition au département des travaux publics.
M. Vanden Eynde. - Messieurs, la chambre se souviendra sans doute des observations
présentées par les honorables MM. de La Coste, de Man et moi, lors de la
discussion du budget des travaux publics, an sujet du canal dont on demande la
mise en adjudication. Je regrette que M. le ministre des travaux publics ne
soit pas présent ; l'honorable ministre avait promis qu'il s'occuperait,
immédiatement après l'adoption de son budget, de ce qui concernait ce canal et
sa mise en adjudication.
En l'absence de M. le ministre des travaux publics, je dois me borner à
demander que le gouvernement veuille bien immédiatement, puisque les travaux
préliminaires sont achevés, ainsi que M. le ministre l’a déclaré à cette
époque, veuille bien immédiatement, dis-je, mettre ce canal en adjudication.
Je proposerai en outre d’ajouter à la proposition de renvoi une demande
d’explication de la part de M. le ministre.
- Les conclusions de la commission, ainsi modifiées, sont mises aux voix
et adoptées.
________________
« Le chevalier de Menten de Horne, ancien
officier, prie la chambre de statuer sur sa demande, tendant à obtenir la
demi-solde de lieutenant de grosse cavalerie. »
M. Zoude, rapporteur. - Le pétitionnaire expose à la chambre qu'il a servi sous l'empire en
qualité de lieutenant de cavalerie et d'aide de camp du général Charbonnier ;
que, de retour en 1816, il fut admis par le roi Guillaume au traitement
d'attente, mais qu'un arrêté de septembre 1817, le désigna pour Batavia et que,
dans l'impossibilité où il se trouvait d’entreprendre immédiatement le voyage,
à cause de ses infirmités, suite des blessures reçues dans divers combats, il
supplia le roi de lui accorder un délai, faveur qu'il lui demanda en personne ;
à quoi le roi lui aurait répondu que Batavia était destiné aux rebelles qui
avaient été au service d'un tyran, et que sur ses nouvelles instances il reçut
une démission honorable de ses services, mais avec cessation de son traitement
d'attente.
Le pétitionnaire a réclamé à diverses époques auprès du ministre de la
guerre et de la chambre.
Il réitère sa demande pour qu'un traitement d'attente lui soit accordé.
Votre commission vous propose le renvoi de cette pétition au département
de la guerre.
- Ces conclusions sont adoptées.
PROJET DE LOI PORTANT
LE BUDGET DU DEPARTEMENT DE LA MARINE POUR L’EXERCICE 1847
M. Osy dépose le rapport de la section centrale sur le budget de la marine
pour l’exercice 1847.
- Ce rapport sera imprimé et distribué. La chambre en fixera ultérieurement
la discussion.
PROJET DE LOI
APPROUVANT LA CONVENTION COMMERCIALE CONCLUE AVEC LA FRANCE
Discussion générale
M. Rodenbach. - Je demande la parole.
Messieurs, dans la séance de samedi, j'ai demandé la parole pour
exprimer mon opinion, mais la chambre a montré tant d'empressement de voter que
je n'ai pas pu terminer mon discours. Cependant immédiatement après M. le
ministre des affaires étrangères ayant témoigné le désir qu'on ne fermât pas la
discussion, elle a été continuée à la séance d'aujourd'hui.
Remarquez, messieurs, que je représente le district le plus
considérable, intéressé dans l'industrie linière ; que les interruptions, les
demandés de clôture ne m'ont pas permis de terminer mon discours ; puisque, sur
la demande du ministre on n'a pas persisté à vouloir clore la discussion, j'ai
le droit de réclamer mon tour de parole. (Interruption.)
Je demande que la parole me soit continuée.
Plusieurs voix. - Non ! non ! Vous avez fini.
M. le président. - D'après les notes tenues au bureau, votre tour de parole est passé ;
puisque vous réclamez, je vais consulter la chambre.
M. David. - Le discours de M. Rodenbach n'ayant pas été déclaré scindé, il ne
peut pas avoir la parole pour le continuer. Que M. Rodenbach se fasse inscrire,
je le veux bien. Ce n'est pas après avoir traité aussi cruellement mon collègue
de Verviers qu'il peut demander que nous lui accordions un véritable tour de
faveur.
M.
de Haerne. - Messieurs,
rappelez-vous ce qui s'est passé à la fin de la séance île samedi. Il a été
impossible à l'honorable M. Rodenbach de se faire entendre. Je sais qu'à la
rigueur, il n'a pas le droit de réclamer la parole ; mais si vous considérez ce
qui s'est passé, il me semble que vous ne pouvez pas la lui refuser, quant à la
proposition de l'honorable M. David, qu'il se fasse inscrire, je ferai observer
qu'elle est illusoire, car il y a déjà une dizaine d'orateurs inscrits ; le
tour de M. Rodenbach ne reviendrait pas.
M. Dubus (aîné). - On a empêché aussi M. Lys
de terminer son discours, il faudrait commencer par lui rendre la parole.
- La chambre consultée décide que la parole ne sera pas accordée à M.
Rodenbach à l'ouverture de la séance.
M. Verwilghen. - Messieurs, après les discours si remarquables que vous venez
d'entendre de plusieurs membres et notamment celui de M. Dumortier, je ne
pourrais que vous répéter les arguments que ces
honorables membres ont fait ressortir avec tant de talent contre les nouveaux
sacrifices que l'on exige de nous. Je me bornerai donc, messieurs, à ajouter
que j'ai la conviction que tous ceux qui ont voté le traité du 10 juillet 1842
doivent reconnaître que les exportations de nos toiles en France pendant ces 4
années répondent peu aux sacrifices que le pays a faits. Vous le savez tous ;
nos exportations n'ont pas augmenté et pour conserver cette malheureuse
position, que vous demande-t-on ? De nouveaux sacrifices ; non à supporter par
la généralité ; mais à immoler l'industrie lainière. Cette industrie,
messieurs, a pris de tels développements que depuis l'arrêté protecteur de
1843, nos fabricants et nos filateurs de laine sont déjà parvenus à exclure en
grande partie sur le marché intérieur la concurrence étrangère.
Dans le district que j'ai l'honneur de représenter, St-Nicolas, Lokeren,
Tamise et Sinay produisent déjà année commune en
filature et étoffes de laine 7 millions de francs, grâce à l’activité de nos
industriels. Car il est prouvé que si nos fabricants avaient continué à ne
faire tisser que les cotonnettes et siamoises, nos
tisserands n'auraient pu gagner un salaire suffisant pour nourrir leurs
familles.
(page 1844) Messieurs, cette somme de 7
millions vous paraîtra peut-être exagérée, mais j'ai en mains le relevé que la
chambre de commerce de St-Nicolas m'a remis. Le voici :
(Note
du webmaster : Suit un tableau reprenant ladite production pour les 4 localités
précitées. Ce tableau n’est pas repris dans la présente version numérisée.)
Je ne puis donc donner mon vote pour anéantir une industrie pleine
d'avenir. Je voterai contre le traité.
Quant à la prime que M. Osy a proposée, je m'y rallie volontiers. Les
considérations de sympathie qu'il a fait valoir pour l'industrie linière, je
les partage entièrement. J'ai dit.
M. le président. - La parole est à M. Lesoinne, inscrit hier.
M. Lebeau. - Je demande la parole.
L'honorable M. Lesoinne, inscrit sur, m'a cédé son tour de parole ; mais
je veux agir avec la chambre, et avec les honorables collègues inscrits, en
toute franchise. J'avais demandé la parole pour ; si je prenais la place de M.
Lesoinne, je ne me croirais pas le droit de parler sur le traité. Je ne sais si
lorsqu'il s'agit de la discussion d'un traité on exige qu'un amendement soit
produit pour qu'on ait le droit de parler sur.
Je fais remarquer quelle est ma position ; la
chambre n'oubliera pas qu'une question a été liée à celle du traité ; cette
question, nous en avons été saisis par un rapport de la commission des
pétitions, par une réponse de M. le ministre des affaires étrangères, et par
les explications données en comité secret et reproduites en partie en séance
publique.
La chambre comprendra que je veux parler de l'union douanière
franco-belge.
Je ne puis laisser ignorera la chambre que j'ai, comme ancien ministre,
quelque intérêt sous ce rapport à me mêler à cette discussion.
Ce ne serait certainement pas une raison pour obtenir un tour de faveur.
Mais je prie la chambre de remarquer que la discussion va être close sans que
cette question ait été sérieusement abordée. La discussion ainsi ébauchée
laissera subsister tous les doutes, toutes les illusions, toutes les erreurs,
qui existaient à son début, erreurs, car ce n'est rien autre, selon moi, que
viennent attester les pétitions qui nous arrivent encore tous les jours et dont
l'analyse vient d'être présentée tout à l'heure.
Voilà dans quel sens j'ai pensé, que l'acte de bienveillance de mon
honorable collègue pouvait me permettre de prendre la parole.
Si la chambre croit que je ne suis pas dans les termes du règlement, je
n'insisterai pas ; j'insisterai d'autant moins qu'il faut avoir du courage pour
encourir la défaveur qui s'attache à toute continuation de la discussion. Il
faut avoir le sentiment de son devoir et faire le sacrifice complet de son
amour-propre. En pareille circonstance, le devoir d'un loyal député est de ne
pas hésiter un moment.
Je crois donc devoir déclarer que si la chambre m'autorise à parler en
remplacement de M. Lesoinne, je ne me croirai pas le droit de rentrer dans la
discussion générale et je ne dirai pas un mot du traité.
(La chambre consultée par M. le président autorise M. Lebeau à prendre
le tour de parole de M. Lesoinne.)
M. Lebeau. - J'ai dit tout à l'heure que, malgré ma répugnance â mêler une question
personnelle à une si grave question politique, il me serait bien difficile de
m'isoler complétement de l'exposé historique de la question qui s'agite devant
la chambre. Je tâcherai cependant de m'effacer autant que possible.
Un illustre orateur disait, il y a quelque temps, à la chambre des pairs
de France ces mots remarquables, en répondant à l'exposé d'une politique qui
lui paraissait peu française : « En Angleterre, monsieur, tout le monde est
Anglais. »
J'aime à croire qu'en Belgique tout le monde est Belge. C'est à des
Belges, par le cœur autant au moins que par la naissance, que je veux,
m'adresser, en essayant d'aborder la grave question qui nous occupe, et dont
nous n'aurons pas diminué l'importance, quand, au lieu de la regarder en face, nous
baisserons la tête et que nous passerons timidement à côté d'elle.
Que la chambre me permette, par suite de cette nécessité de position à
laquelle je faisais allusion tout à l'heure, de rappeler brièvement quelle est
la situation de mes amis politiques et la mienne en face de la question des
rapports qui doivent exister entre la Belgique et la France.
Je faisais partie du cabinet du Roi, en 1833 ; je n'étais pas chargé de
la direction des intérêts commerciaux. Mais je n'ai jamais compris qu'un
ministre dût s'efforcer, se concentrer, s'absorber exclusivement dans les
attributions de son département.
Je me suis considéré toujours avant tout dans le pouvoir comme un homme
politique, avant tout comme un membre du gouvernement, et j'ai été associé à
toutes pensées, à tous les actes, à toutes les démarches ce mes collègues de
1833.
Or, quel a été l'un des premiers actes de l'honorable M. Rogier,
ministre du commerce en 1833 ? Une démarche solennelle vers la France, l'envoi
à Paris d'une députation composée de membres de la législature, de notabilités
de l'industrie et du commerce, dans le dessein d'élargir nos relations avec la
France, de resserrer les liens d'amitié et de bon voisinage qui nous unissaient
à cette grande nation.
La chambre comprend qu'il m'est permis d'insister sur de pareils
antécédents, quand le nom de mon honorable collègue et le mien sont depuis
plusieurs années livrés en pâture à la crédulité publique, signalés à la colère
d’une partie de nos populations, et que nous sommes présentés comme possédés
d'une antipathie vraiment ridicule contre la France, comme ayant, par suite de
sentiments aussi absurdes, perdu l'occasion de donner du travail et du pain à
une population nombreuse et affamée.
Le ministère de 1833, j'ose en appeler à tous les souvenirs du pays, le
ministère de 1833 a préparé la voie aux modifications douanières de 1836 en
France et aux lois qui ont été promulguées en Belgique dans le courant de 1838.
Nous étions alors, messieurs, membres du gouvernement, mon honorable
collègue et moi. Mais lorsque notre position fut changée, lorsque (page 1845) nous fûmes venus nous
asseoir sur ces bancs comme députés, quoique nous ne fussions pas liés par une
sympathie bien vive avec les hommes qui dirigeaient alors les affaires, nous
nous sommes empressés, lorsque la discussion des lois de 1838 fut ouverte, de
venir appuyer le gouvernement dans toutes ses tentatives pour faire rentrer la
France dans le droit commun de notre tarif, dont elle se plaignait avec raison
d'avoir été écartée par les arrêtés du roi Guillaume.
La chambre se rappellera peut-être qu'à cette occasion nous nous sommes
séparés de plusieurs de nos amis politiques pour soutenir le principe de la
réduction du tarif en faveur de la France ; la chambre se rappellera peut-être
que j'ai fait notamment les plus grands efforts pour établir la théorie qu'est
venu défendre dans cette enceinte l'honorable M. Dechamps après l'honorable M.
d'Elhoungne, savoir, que la prime dite de sortie pour les tissus de laine était
un véritable drawback, n'était qu'une prime de restitution ou tout au moins une
prime de compensation résultant de l'élévation du prix des laines à
l'intérieur, par suite de la surtaxe de 22p. c. dont elles étaient frappées à
la douane.
Enfin, messieurs, s'il m'est permis de le dire, lorsque je fus chargé
d'une mission diplomatique en Allemagne, en 1839, ma correspondance avec
l'honorable M. de Theux atteste qu'alors encore, examinant ce qu'il y avait de
possible, d'utile à faire pour nos relations d'outre-Rhin, je n'ai point dissimulé
qu'il ne fallait guère songer à une union douanière avec l'Allemagne ; que
cette union, qui serait d'ailleurs un acte d'hostilité contre la France, et
comme tel très impolitique, ne serait pas même un acte très profitable au point
de vue de nos intérêts matériels.
Voilà, messieurs, quelle a été constamment ma position et celle de mes
amis politiques en face de la grande question de nos rapports avec la France.
C'est assez dire que lorsque la question de l'union douanière franco-belge
s'est offerte à nous pour la première fois, nous l'avons abordée sans
prévention ; que dis-je ?nous l'avons accueillie d'abord avec un sentiment de
joie, avec un sentiment d'espérance très vive ; mais, messieurs, autant, au
premier aspect, cette question nous avait éblouis, autant elle nous avait
séduits, autant le découragement a succédé à ces premières impressions, lorsque
nous nous sommes livrés froidement, attentivement à l'examen des nombreuses
difficultés, pour ne pas dire des impossibilités, qui pèsent sur elle. Ce n'était
pas pour la première fois, lorsque le ministère de 1840 s'est formé, ce n'était
pas la première fois que le gouvernement avait à délibérer sur cette grave
question ; elle avait été soumise en 1837, non officiellement, si on le veut et
pour parler le langage de M. le ministre des affaires étrangères, mais très
explicitement, à notre cabinet. Elle avait été l'objet des délibérations des
deux gouvernements, elle avait formé l'objet de communications officieuses, non
seulement quant au principe, mais aussi quant aux moyens d'exécution.
Le cabinet de 1837 a examiné attentivement, la question, s'est rendu
compte de toutes les conditions, de toutes les précautions dont la France
voulait entourer ce grand acte, et a reconnu que ses exigences, qui peuvent
être très légitimes, de la part de ceux qui représentent l'intérêt français,
constituent une véritable absorption de la nationalité belge sous le triple
rapport de l'indépendance parlementaire, de l'indépendance judiciaire et de l'indépendance administrative ; dès lors
les ouvertures ont dû être déclinées et elles l'ont été. Quand je rappelle ces
faits ce n'est point du tout à titre de reproche ; je dois, au contraire, louer
le gouvernement d'avoir tenu cette conduite.
II y avait, il est vrai, messieurs, en 1837 et en 1838 une fin de
non-recevoir très grave contre un projet de cette nature, c'est qu'alors nous
n'avions point de traité définitif avec les Pays-Bas ; c'est qu'alors notre
indépendance était encore contestée par notre ancien roi ; c'est qu'alors d'un
moment à l'autre, nous pouvions avoir besoin de l'intervention des grandes
puissances, tout au moins de leur médiation, pour régler nos différends avec
l'ancien roi des Pays-Bas.
Mais, messieurs, si l'exception n'avait été que dilatoire, en 1839,
après le traité avec les Pays-Bas, dans les premiers jours de 1840, après la
reconnaissance formelle du royaume de Belgique par notre ancien roi, cette
exception dilatoire avait disparu. Eh bien, vers la fin de l'année 1859, dans
les premiers mois de 1840, de nouvelles ouvertures ont été faites au
gouvernement belge, pour examiner d'un commun accord avec le gouvernement
français la question d'une union douanière. On s'est livré de part et d'autre à
l'examen le plus minutieux, le plus consciencieux ; on y a apporté le désir de
s'entendre sur un large développement de nos rapports commerciaux avec la
France, et le gouvernement belge a persiste à reconnaître qu'il y avait
impossibilité morale et pour ainsi dire matérielle à poursuivre l'exécution du
projet d'union. Les ouvertures ont donc été pour la seconde fois déclinées, et
cette fois après le traité par lequel le roi des Pays-Bas reconnaissait
l'indépendance de la Belgique.
Dans le courant de 1840, après la formation du cabinet dont j'ai eu
l'honneur de faire partie, en est encore revenu sur cette question ; des
ouvertures ont encore été faites officieusement sur cette question ou
gouvernement belge, ou plutôt des notes résumant des conversations
particulières furent communiquées confidentiellement au cabinet.
Les notes officieuses qui résumaient les projets d'une union douanière
et les graves conditions qui devaient lui servir de base, formaient l'objet des
délibérations du cabinet de 1840 ; il s'en occupait très attentivement, très
consciencieusement ; il avait abordé l'examen de la question avec un désir si
vif de pouvoir en trancher les dignités, qu'il s'était dissimulé une partie
notable de ces difficultés quand survint un incident.
Je dois dire que les objections qui s’étaient présentées à l'esprit de
nos prédécesseurs ne tardèrent pas à s’offrir tout naturellement au nôtre,
cependant nous n'avions pas pris de résolution définitive sur cette grande
question ; nous en continuions l'examen, chacun de son coté, lorsqu'éclata la
crise qu'on appelle la question d'Orient.
C'est surtout, et j'appelle spécialement l'attention de la chambre sur
ce point, c'est surtout vers les derniers jours de juillet que l'attention du
cabinet de 1840 fut sérieusement appelée sur le projet d'une union douanière ;
le cabinet de 1840, comme je l'ai dit, délibérait ; il s'était fait de graves
objections, mais il n'était pas encore arrivé à une résolution unanime et
définitive, lorsqu'éclata, je le répète, la crise orientale dont nous fumes
immédiatement instruits par notre ministre à Londres.
Alors, messieurs, la pensée bien naturelle, pensée pour ainsi dire
commune à chaque membre du cabinet, fut qu'il y avait inopportunité, danger
extrême à poursuivre l'examen d'une pareille question dans un tel moment.
Cependant les ouvertures, cette fois, à la différence de ce qui s'était
passé précédemment, ne furent pas déclinées, et le conseil se borna à exprimer
l'idée que ce serait manquer à toutes les lois de la prudence, à tous ses
devoirs que de ne pas proposer, dans de pareilles circonstances, un
ajournement.
Voici, messieurs, en quels termes j'exposais, au nom du conseil, les
motifs de cet ajournement. Le document que je vais lire est de la fin de
juillet 1840.
» Les ministres continuaient à faire un examen sérieux des propositions
qu'on leur a communiquées, lorsque le bruit d'une rupture entre la France et
les autres grandes puissances est parvenu à Bruxelles. La lettre que le comte
Lehon m'a adressée, sous la date d'hier, est venue encore accroître nos inquiétudes.
« L'attention du cabinet, jusque-là concentrée dans l'étude des
questions que soulève le projet d'un traité de commerce et de douane entre la
France et la Belgique, s'est naturellement portée vers ce nouvel et grave
incident. Il nous a paru à tous que les objections déjà soumises à l'égard d'un
arrangement qui pouvait mettre en question, aux yeux de l'Europe, le caractère
de neutralité que les traités assignent à la Belgique, empruntaient aux
circonstances actuelles, aux éventualités qui semblent menacer la paix
générale, une nouvelle et très grande importance.
« Si des complications politiques viennent à surgir, il est du plus haut
intérêt pour le pays, pour sa nationalité naissante, de n'avoir donné à qui que
ce soit le moindre motif de méconnaître sa neutralité. II serait déjà assez
difficile de la préserver de toute atteinte dans le cas d'une guerre
européenne, sans ajouter à ces difficultés les défiances, l'irritation et les
prétextes que ferait naître un acte dont l'effet serait de dessiner la politique
belge dans un sens plus ou moins exclusif.
» Si la Belgique n'excite pas encore toute la sympathie, toute la
confiance à laquelle lui donnent droit son attachement à son indépendance, sa
moralité, ses louables efforts dans l'industrie, le commerce et les arts, cela
tient surtout à cette fatale idée, trop généralement répandue encore, qu'elle
n'attache pas à sa nationalité un assez haut prix ; que sa neutralité n'est pas
assez réelle : ; que ses tendances sont trop exclusivement françaises. Nous prenons
la liberté de soumettre nos doutes sur l'effet que produirait en ce moment
l'annonce d'une alliance avec la France, de demander si dans de pareilles
conjonctures, que chaque jour peut aggraver, cet arrangement ne prendrait pas
aux yeux de l'Europe le caractère d'une alliance politique, et s'il ne serait
pas, dès lors, d'une grande prudence d'ajourner tout acte susceptible de
pareille interprétation et de si dangereuses conséquences ?
« Les événements réservent peut-être à l'indépendance belge une dernière
et décisive épreuve. On ne verra, nous osons l'espérer, dans la proposition
d'un ajournement que le désir bien naturel de ne pas ajouter, aux difficultés,
aux dangers d'une semblable épreuve. Les chances de guerre dont le public se
préoccupe si vivement peuvent disparaître d'un moment à l'autre. Il sera temps
alors, nous semble-t-il, tout en continuant l'examen des questions de commerce
et de douanes déjà traitées entre la France et la Belgique, d'en aborder la
solution. Le cabinet y apportera les vues les plus conciliantes, le plus
sincère désir d'arriver à un bon résultat.
« Nous concevrions que la France, blessée de l'attitude prise par les
grandes puissances dans la question d'Orient, cherchât avec quelque ardeur à
poser, à son tour, un fait qui leur parût hostile ; mais devrions-nous céder à
ce désir, devrions-nous partager cette impatience ? Y aurait-il là prudence et
opportunité, même en nous plaçant au point de vue exclusivement français ? Nous
n'avons pas la prétention très déplacée de mieux apprécier les intérêts de la
France que le gouvernement français lui-même, mais les situations inattendues
ont des entraînements contre lesquels les esprits plus intéressés dans la
question se prémunissent peut-être avec moins de peine. »
Messieurs, le contenu de cette pièce vous a déjà fait comprendre que le
cabinet se prononça pour un ajournement.
Quelques mois après, le cabinet du 1er mars, avec lequel il y avait eu
un échange d'idées sur cette grande question, avait fait place au ministère du
29 octobre qui, sauf deux ou trois mutations, est le même qui dirige encore les
affaires de la France.
Messieurs, si, au lieu d'agir avec une prudence à laquelle j'aime à
croire que les partisans les plus prononcés de l'union douanière franco-belge
rendront hommage, le gouvernement avait apposé sa signature au bas de quelques
actes qu'on eût pu considérer comme des préliminaires, des points de départ
d'une union douanière, que serait-il arrivé ? Je me sers à dessein de ce mot «
points de départ », parce qu'une fois qu'on se serait accordé sur le principe,
je pose en fait que des mois, des années peut-être (page 1846) de négociations ne suffiraient pas pour s'accorder sur
un code d'exécution qui pût concilier toutes les exigences, toutes les
susceptibilités dans les deux pays. Que serait-il arrivé, disais-je, dans
quelle situation se serait-on trouvé, trois mois après un acte qui eût été une
adhésion politique, évidente, éclatante à la politique de la France, au moment
où la France était en face des quatre grandes puissances de l'Europe, au moment
où nous étions à la veille d'une conflagration générale ? Quelle eût été la
position de la Belgique, lorsque quelques mois après, le ministère du 1er mars
avait fait place au ministère du 29 octobre, lequel était venu précisément pour
rétablir l'harmonie entre les cinq grandes puissances européennes ? Je le demande, la répudiation éclatante d'un projet d'union
douanière n'eût-elle pas été le premier acte qu'eût dû apporter le gouvernement
français pour rentrer dans ce qu'on a appelé le concert européen ? Je demande
dans quelle position la Belgique se serait trouvée vis-à-vis de l'Europe et
vis-à-vis d'elle-même, après avoir donné une adhésion aussi compromettante par
son principe que stérile dans ses résultats ?
Messieurs, si ces projets d'une union douanière n'eussent trouvé
d'obstacles en 1837 ou 1838 que dans les objections du cabinet de M. de Theux,
ou dans les motifs tirés de notre situation vis-à-vis de la Hollande ,ou bien
encore dans les scrupules du cabinet dont j'ai eu l'honneur de faire partie,
ces projets eussent au moins dû être accueillis par les ministères qui ont
succédé à ces divers cabinets.
Les tentatives de 1841, de 1842, de 1843, dégagées des obstacles qui
avaient paralysé les tentatives antérieures, eussent certainement abouti. Eh
bien, tous les projets, toutes les communications officieuses faites en 1841,
1842 et 1843, ont eu précisément le même résultat que les tentatives
antérieures. Il est inutile de le dissimuler à la chambre et au pays, chaque
fois que des négociations se sont ouvertes avec la France, on a parlé union
douanière ; on en a parlé beaucoup, on a témoigné le désir de s'entendre sur la
question et on a toujours en définitive reconnu qu'elle était insoluble.
Messieurs, il y a contre ce projet trois grandes difficultés, que je
pourrais qualifier de trois grandes impossibilités. Il y a la difficulté
européenne, la difficulté française ; il y a la difficulté belge. Il y a la
difficulté européenne, et chaque fois que la question a pris une certaine consistance,
les réclamations de tons les cabinets ont été très vives auprès du gouvernement
français. Vous concevez facilement qu'il doive en être ainsi.
En effet, comment s'exprimait naguère encore le gouvernement français,
par l'organe d'un de ses ministres les plus éloquents, les plus considérables ?
Si la Belgique penchait trop vers l'Allemagne, disait M.Guizot,
dont on rappelait l'autre jour ici les paroles, à l'instant même la France y
pourvoirait et considérerait ce rapprochement trop prononcé vers l'Allemagne
comme un acte d'hostilité envers la France, qu'il serait du devoir comme de
l'intérêt de celle-ci de réprimer.
Si des susceptibilités de ce genre s'éveillent dans l'esprit du
gouvernement français devant la seule perspective d'une tendance de la Belgique
vers l'Allemagne, est-ce que l'Angleterre, est-ce que l'Allemagne n'auraient pas à leur tour le droit de montrer la même
susceptibilité si la Belgique manifestait des tendances trop exclusivement
françaises ? Si la susceptibilité française, que je ne blâme pas, que je
reconnais légitime, peut s'éveiller pour le cas où la Belgique se montrerait
trop exclusivement allemande, comment cette même susceptibilité, que nous
réputons légitime et qui forme un des éléments du sentiment français dans la
politique extérieure, pourrait-elle être blâmée lorsqu'elle se produirait
au-delà de la Manche et du Rhin à l'aspect d'une tendance trop exclusivement
française de la Belgique ? Les mêmes susceptibilités peuvent être manifestées
aussi légitimement pour le même fait en Allemagne, en Angleterre comme en
France. La neutralité belge importe au même degré à presque toutes les grandes
puissances. Elle a été stipulée dans un intérêt européen. C'est assez dire que
dans ses actes une tendance exclusivement française est contraire à
l’institution même de l'indépendance belge. Cela est fondé d'ailleurs sur les
précédents historiques, depuis les luttes contre Louis XIV jusqu'à celles qu'on
a soutenues contre l'empire. Ainsi première impossibilité, impossibilité
européenne.
La terreur de la guerre est-elle si vive dans l'esprit des cabinets, le
besoin de la paix, le développement industriel et commercial enchaînent-ils
tellement l'action des cabinets que la guerre soit impossible, que l'Europe
prendrait son parti d'une union douanière franco-belge d moment où elle serait
accomplie ? Ne poussons pas jusque-là l'optimisme.
Nous sommes aujourd'hui en pleine paix ; mais nous étions aussi en
pleine paix en 1840 ; le développement industriel était immense ; vous savez
cependant si les hommes qui, en présence de la crise orientale, prédisaient le
maintien de la paix, ne passaient pas pour des utopistes. N'avons-nous pas vu
les deux grandes puissances le plus intimement unies depuis 1830, celles qui
représentent le principe parlementaire, le principe libéral, ne les avons-nous
pas vues prêtes à se tirer des coups de canon pour la question de la Syrie ?
N'avons-nous pas vu ce conflit prêt à se produire pour la misérable question de
Taïti, pour l'affaire Pritchard ?
On voudrait soutenir, en présence de pareils symptômes, que la guerre
est devenue impossible, que l'union douanière franco-belge pourrait s'accomplir
au mépris de toutes les réclamations, malgré toutes les oppositions des
cabinets, que la paix ne serait pas mise en question ! Ce serait là jouer un
jeu auquel les hommes prudents de tous les pays et surtout auquel les Belges
qui aiment leur patrie ne voudront jamais se livrer.
Quant à la difficulté française, elle est au moins aussi grave que la
difficulté européenne dont je viens de donner une idée à la chambre et au pays.
Je dis au pays, messieurs, car je n'hésite pas à dire que c'est surtout
pour le pays que je parle en ce moment. C'est pour nous mettre en rapport avec
lui, d'ailleurs, que nos séances sont publiques. Je parle pour le pays parce
qu'on le trompe depuis trop longtemps, parce qu'on le trompe encore en ce
moment, et qu'on n'a pas eu jusqu'ici le courage de le détromper de la part du
gouvernement.
Quand même la difficulté européenne ne serait pas péremptoire à elle
seule, je dis que la difficulté française suffirait pour rendre ce projet à peu
près impraticable.
Je ne veux pas violer le secret du comité général, je ne veux pas vous
faire part des conditions à la connaissance desquelles on nous a initiés et que
demande la France pour poser seulement les bases, les prolégomènes d'une union
franco-belge ; je me bornerai à mettre sous les yeux de la chambre
quelques-unes des conditions que les hommes d'Etat français, les plus graves,
les plus considérables, les plus estimés, n'ont jamais hésité à réclamer quand
il s'est agi d'une telle question ; pour abréger, je ne citerai que l'autorité
d'un seul, c'est celle de M. le comte d'Argout, pair
de France, gouverneur de la banque, qui a été plusieurs fois ministre et l'a
été notamment avec M. Thiers, président du conseil du 1er mars ; de M. le comte
d'Argout qui est resté son ami et exprime plus ou
moins la pensée, je le crois, sans toutefois pouvoir l'affirmer, de cet homme
d'Etal illustre.
Voici comment M. le comte d'Argout s'exprima dans
le sein de la chambre des pairs, le 12 janvier 1842, quand le bruit des
négociations entre la France et la Belgique tendant à arriver à une union
douanière lui parvint. M. d'Argout, c'était dans la
discussion de l'adresse, aborda la question dans les termes suivants.
J'abrégerai autant qu'il me sera possible. Il commence par faire notre
histoire financière ; il est amené à parler de la Société Générale ; après
avoir fait l'historique de la Société Générale, il entre dans les détails de
ses statuts ; voici comment il l'examine dans ses rapports avec l'union
douanière :
« Loin de moi la pensée de jeter le moindre blâme ou d'élever des
soupçons sur la loyauté, la droiture, la probité des chefs titulaires ou réels
de la société -, ce ne sont pas les personnes que je censure, c'est
l'institution même : pour ma part, je la crois si dangereuse, que si jamais on
parvenait à une fusion douanière entre la France et la Belgique, la première
condition que votre gouvernement aurait à exiger, ce serait, à mon sens, la
suppression immédiate de l'établissement. On comprendra, en effet, que si
jamais cet établissement tombait en de mauvaises mains, ses formidables moyens
d'action, qui peuvent s'élever à 300 ou 400 millions (en ajoutant à son capital
ses moyens de crédit) pourraient, à volonté, attaquer et détruire tour à tour
chacune de nos industries, en mettant en pratique certaines manœuvres qu'il est
inutile de détailler....
« La Belgique, dit-on, a porté successivement sa pensée sur trois
combinaisons diverses : 1° une union douanière avec la France ; 2" une
union douanière avec la Prusse ; 5° un traité de commerce avec la France,
traité dont le résultat serait de procurer aux producteurs belges tous les
avantages qu'ils réclament.
« Examinons successivement ces trois combinaisons :
« Une union douanière avec la France se présente sous un aspect très
favorable ; c'est une grande pensée, c'est un noble résultat à atteindre :
fondre d'une manière plus intime deux peuples déjà liés par tant d'intérêts
communs, reculer la ligne de nos douanes, y comprendre des pays riches et
fertiles, faire contrepoids à l'union allemande, accroître l'influence de la
France, et par là augmenter sa puissance politique, c'est un projet dont la
réalisation ne saurait être trop désirée et qui doit émouvoir fortement tous
les cœurs français.
« Malheureusement les conditions de cette union sont très difficiles à
régler, et l'exécution présente des obstacles qui approchent de l'impossible.
« Quelles seraient les conditions d'une union douanière avec la Belgique
?
« La première serait une garantie complète, entière, absolue de la
conservation des revenus que nous procurent les impôts indirects : ceux de nos
impôts indirects qui pourraient souffrir d'une réunion avec la Belgique, si des
précautions suffisantes n'étaient prises à cet égard, s'élèvent à 400 millions
environ ; une brèche plus ou moins considérable dans ce revenu porterait un
coup mortel à nos finances, et la France, à aucun prix, ne peut s'exposer à ce
danger.
« Les perceptions qui pourraient souffrir de cette mesure sont les
droits de douane, les revenus que donne le monopole du tabac, les droits sur
les sucres, sur les sels, sur la bière, sur les esprits et sur quelques autres
objets. De là diverses conséquences.
« La perception des droits de douane ne peut être assurée qu'autant
qu'elle sera confiée à des agents français.
« Cette perception doit être opérée d'après les mêmes règles et les
mêmes principes que ceux qui gouvernent le service des douanes sur nos propres
frontières : de là la nécessité de soumettre exclusivement la direction du
service sur les frontières belges à l'administration centrale des douanes
françaises.
« La perception des droits de douane donne lieu assez fréquemment à des
contestations, il ne faut pas que des jurisprudences contraires s'établissent
en France d'une part et en Belgique de l'autre : de là l'obligation de faire
prononcer en dernier ressort par des tribunaux français, ou du moins de faire
juger les pourvois par notre cour de cassation.
« Nous devons conserver la faculté de modifier nos tarifs selon (page 1847) les circonstances ; ces
changements doivent être simultanés dans la Belgique et dans la France : de là
la nécessité de déposséder la législation belge du droit de prononcer sur ces
changements et de transférer ce droit à la législation française.
« Le régime des tabacs est entièrement libre en Belgique, et les tabacs
ne sont soumis qu'à un modique droit d'importation : il faut établir le
monopole en Belgique, supprimer les fabriques, empêcher qu'il ne s'établisse
des fabriques clandestines, prohiber les cultures, ou tout au moins les
assujettir aux mêmes formalités que les cultures françaises.
« La fabrication du sucre indigène n'est frappée d'aucun impôt en
Belgique ; il faudrait y transplanter le régime français, et le faire exécuter
aussi bien qu'il faudrait veiller à la stricte exécution du monopole du tabac :
d'où il suit qu'il serait indispensable d'établir des agents français dans
l'intérieur du pays, afin de contrôler et de surveiller l'administration belge.
« Ces conditions, qui toutes sont indispensables à la sécurité de nos
finances, condamneraient le gouvernement belge à l'abandon de son indépendance
administrative, de son indépendance judiciaire et de son indépendance
législative. La Belgique consentirait-elle à toutes ces renonciations ? Je le
désire, mais il est permis de soupçonner qu'elle éprouvera quelque répugnance,
quoique, assurément, ces renonciations n'aient en elles rien qui puisse blesser
le sentiment national.
« Je suppose tous ces points obtenus, comment les choses se
passeront-elles dans la pratique ? C'est ici que commencent les difficultés
d'exécution.
« Les premiers moments seront signalés par une grande allégresse ; mais
ce sentiment sera-t-il de longue durée ?
« De quoi s’agira-t-il ? De rétablir un régime que l'empire, dans sa
toute-puissance, avait eu grande peine à implanter en Belgique, régime qui
avait excité dans cette contrée un profond mécontentement, et qui a été aboli
en 1814 aux acclamations de toute la population.
« Les Belges n'ont qu'une ligne de douanes, et nous en avons deux ; dans
cette zone, qui offre une largeur de cinq lieues, nos douanes ont le droit de
saisir toutes les marchandises qui ne sont pas accompagnées d'expéditions et de
pièces requises. Les douaniers ont le droit de visite et de perquisition ; de
plus ils ont le droit de poursuite et de saisie, en dehors de cette zone, pour
certaines marchandises prohibées à l'importation. En Belgique le rayon n'existe
pas, et la législation n'accorde, en aucun cas, le droit de suite et de saisie
à l'intérieur. (Briavoine, tome II.)
« N'est-il pas à craindre que le rétablissement de la zone et celui du
droit de suite, de visite à l'intérieur et de saisie, ne provoquent des
répugnances marquées ?
« S'il y a des conflits entre les douaniers et les contrebandiers, comme
cela arrive souvent sur nos frontières, ne doit-on pas redouter que des
contrebandiers ne trouvent assistance et appui dans la partie la moins saine de
la population ?
« Si de ces combats il s'ensuit mort d'homme, fera-t-on juger des
douaniers français par des jurés belges, ou des contrebandiers belges, accusés
de meurtre, par des jurés français ? Avec quelque équité que ces jurés fassent
leur devoir, leur impartialité ne sera-t-elle jamais soupçonnée ?
« Je ne veux pas m'appesantir sur les conflits auxquels les conséquences
de l'établissement du monopole pourraient donner lieu, mais ces conflits sont
possibles et même probables.
« Je ne veux pas m'arrêter sur la difficulté d'exercer rigoureusement
les fabriques de sucre indigène ; je remarquerai seulement qu'en France, sur
notre propre sol, nous n'en avons pas encore trouvé les moyens.
« Je ne rappellerai pas qu'en France, malgré l'énergie d'une
administration centralisée, très vigilante et très énergique, des opérations
parfaitement légales, comme celles du recensement, ont donné occasion à de
mauvais citoyens de provoquer des désordres assez graves en divers lieux, et
que, s'il existait jamais en Belgique des ennemis du gouvernement, ils
pourraient tenter d'exciter quelques hommes appartenant aux classes les moins
éclairées à s'opposer à l'exécution de mesures fiscales qu'ils représenteraient
comme étant mises en pratique pour un intérêt français et non pour un intérêt belge.
« Je dirai seulement qu'il serait possible que l'enthousiasme du premier
moment fût remplacé par des sentiments d'antipathie et même de haine, et que
si, par suite de ces nouvelles dispositions, on arrivait à être contraint à
défaire la combinaison et à faire divorce par incompatibilité d'humeur, tout le
bénéfice politique de la réunion serait perdue, et qu'en outre notre industrie
se trouverait ruinée pour vingt ou trente ans.
« J'avoue que toutes ces difficultés m'effrayent, et que, malgré mon
désir ardent de voir la réalisation de cette union douanière, j'ai grande peur
qu'il ne faille reléguer ce projet parmi les chimères dorées dont on se berce
longtemps, mais que l'on ne parvient jamais à transformer en une réalité. »
Voilà les paroles d'un pair de France qui a été plusieurs fois ministre,
paroles qui n'ont rencontré dans la chambre devant laquelle il avait l'honneur
de parler aucune réfutation, soit de la part du
gouvernement, soit de la part d'aucun membre.
Cela se passait en janvier 1842. C'était vers l'époque où un membre du
cabinet était à la tête d'une députation commerciale envoyée à Paris. C'était
là l'idée commune à tous les hommes d'Etat de la France ; et c'est lorsqu'on
s'est trouvé en contact avec de tels sentiments, avec de pareilles dispositions,
communes aux membres du gouvernement français, qu'on peut rapporter de Paris en
Belgique l'idée que rien n'est plus facile qu'une union douanière ! qu'on
laisse accréditer cette idée, sur laquelle on devrait, ne fût-ce que par
humanité, détromper une partie du pays,, livrée, sous
ce rapport, à de si déplorables illusions !
Je n'ai pas le courage d'attaquer les absents ; mais des réflexions bien
pénibles viennent assaillir l'esprit, en présence d'une pareille conduite ?
Si l'on croit à la possibilité d'une union douanière avec la France,
s'il y a des membres du cabinet dissidents sur ce point avec leurs collègues,
qu'ils aient le courage de rompre avec un ministère qui est opposé à l'union
douanière. Ne doit-on pas en effet se séparer du ministère, quand on n'est pas
d'accord avec lui sur une question aussi grave ? Quand même on se tromperait,
si du moins on avait le courage de son opinion, si on se séparait d'un cabinet
dont on blâme les vues comme désastreuses pour le pays, si on venait prendre ici
franchement l'initiative, nous pourrions rendre hommage à la sincérité des
convictions.
Laissons de côté, si l'on veut, ces mois de révolution de 1830,
d'indépendance, de nationalité, que certains partisans de l'union douanière
accueillent peut-être aujourd'hui avec le sourire sur les lèvres ; laissons de
côté la question morale, la question nationale, la question politique, pour
n'envisager que la question au point de vue matériel.
Vous l'avez entendu, l'opinion de M. d'Argout,
qui est celle de tous les ministres français, personne ne me démentira, la
première condition, c'est d'abord le monopole du tabac. Vous savez quelle
chance ce système a d'être accueilli par la Belgique ; car il a suffi naguère
que l'on touchât à l'industrie, au commerce de tabac, quoique ce fût avec des
gants et du bout des doigts, pour exciter dans le pays une sorte de révolution.
Il y a ensuite le monopole de la poudre, industrie très considérable en
Belgique ; il y a le monopole des armes de guerre, industrie plus considérable
encore que celle de la poudre et toutes exercées chez nous avec une entière
liberté.
Vous auriez la législation sur les sucres, avec l'égalité des droits, et
une surveillance des plus rigoureuses.
Enfin vous auriez la législation sur le sel, qui établit un impôt dont
l'assiette et le mode de recouvrement se rapprochent du monopole.
Si maintenant vous examinez la question sous le point de vue maritime,
il faudrait défaire toutes nos lois sur cette matière. Je ne vois pas grand mal
à devoir donner le coup de mort à notre loi déjà si malade du 21 juillet 1844.
Mais il faut aller au-delà ; il faudrait renoncer à vos relations
transatlantiques. Evidemment vous ne pourriez importer les produits des pays
transatlantiques, quand ils viendraient faire concurrence aux produits
coloniaux de la France dont vous seriez une annexe. Tous vos traités de
commerce et de navigation avec l'Allemagne, avec les Etats-Unis d'Amérique,
avec la Hollande, seraient radicalement impossibles.
Ensuite, plus on pénètre dans les entrailles de la question, plus on est
convaincu non seulement qu'il y aurait dans l'exécution des difficultés
invincibles, mais qu'il y aurait de nombreuses déceptions sur les avantages
qu'on se promet de cette combinaison ; et c'est ce qui constitue, avec les sacrifices
demandés à notre indépendance parlementaire, judiciaire et administrative, ce
que j'appelle l'impossibilité ou, si l'on veut, la difficulté belge.
Quel est le point de vue où l'on se place pour croire que, le marché
français nous étant ouvert par l'union douanière, nous allons immédiatement
l'envahir ? On se met à ce point de vue, complétement faux, que nos diverses
industries continueront de jouir des avantages qu'elles ont maintenant quand
elles se présentent sur le marché français.
Remarquez d'abord qu'il ne serait plus un marché d'exportation, mais un
marché intérieur.
Si notre industrie drapière, par exemple, peut lutter contre la France
en Italie, en Suisse, en Orient, en Amérique, c'est parce que nous ne payons
pas de droits sur la laine, c'est parce que l'on a au contraire facilité
l'entrée des laines étrangères en Belgique. La première conséquence de l'union
douanière ce serait de substituer à ce régime un droit de 22 p. c. au profit
des propriétaires de troupeaux.
Sur le coton, quand on a fait la loi des droits différentiels, on s'est
efforcé d'introduire dans la loi les dispositions les plus favorables à
l'introduction des cotons en laine. Ces cotons sont frappés en France de droits
considérables. A l'instant, cette loi vous serait complétement commune, avec
les fabriques de la France.
Toutes les matières tinctoriales, par exemple, l'indigo, sont frappées
en France de droits considérables. En Belgique, par suite de ce système
libéral, qui consiste à affranchir de tout droit les matières premières, il n'y
a pas de droits ou il n'y a que des droits de balance sur ces objets. Les
machines sont à meilleur marché en Belgique qu'en France, par ce motif tout
simple que le fer est à meilleur marché ici qu'en France.
Ensuite, messieurs, quand vous aurez ainsi nivelé les conditions de la
production, au grand préjudice de la production belge, qui produit surtout à
bon marché, qui, par-là, peut faire un commerce extérieur considérable ; quand
vous en serez arrivés là, mais vous aurez non seulement en France, mais dans
votre pays, à supporter, à conditions égales, la concurrence pour Verviers et
Tournay, avec Elbeuf, avec Louviers, avec Sedan, avec Reims, avec Roubaix avec
une foule de localités industrielles ; et il est si vrai, messieurs, que la
concurrence, une fois les conditions rendues égales, pourrait être, de la part
de la France, très dangereuse pour la Belgique, qu'à Genève, par exemple, où
ces fabricats arrivent aux mêmes conditions, la France partage le marché avec
la Belgique. Il m'est connu qu'il se place à Genève au moins autant de draps
français que de draps beiges.
Pour Gand, messieurs, mais je lui parlerai de Rouen, de Strasbourg, de
Colmar, de Mulhouse, etc.
(page 1848) L'honorable M. de Haerne nous disait,
dans une précédente séance, que la société commerciale et industrielle de
Mulhouse avait couronné un écrivain qui s'était fait l'apologiste de l'union
douanière franco-belge.
M. de Haerne. - Et allemande en même temps.
M. Lebeau. - Je le crois bien. Je suis convaincu que toute l'Alsace verrait avec
plaisir l'union douanière. Mais j'ai de graves doutes si un an après
l'établissement de l'union douanière, la Flandre orientale se féliciterait beaucoup
de l'abaissement des barrières.
M. Delehaye. - Gand le demande.
M. Lebeau. - On le demande peut-être parce qu'on sait que c'est impossible. C'est
probablement du courage à coup sûr.
M. Delehaye. - Pas du tout. Je demande la parole.
M. Lebeau. - Messieurs, j'ai un regret extrême que M. le ministre des affaires
étrangères n'ait pas cru devoir prendre sur la grave question qui nous occupe
une attitude plus décidée, non pas, je le répète, pour cette chambre qui n'en a
pas besoin, mais pour le pays.
« La question d'union douanière est une question d'avenir. M. Lebeau a
bien dit que la question de la réforme électorale était une question d'avenir. »
Oui, mais M. Lebeau, dans la circonstance à laquelle vous faites allusion, n'a
pas hésité à dire que si l'on proposait en 1840, lorsqu'il était ministre, la
réforme électorale, il était tellement convaincu alors de son inopportunité
dans un pareil moment, qu'il l'aurait combattue. Avez-vous osé dire que si l'on
proposait l'union douanière dans ce moment, vous la combattriez ? Non, dites-le
donc si vous le croyez ; puisque vous avez eu la bonté de me citer comme
précédent, je vous prie de m'imiter jusqu'au bout.
Mais, messieurs, laissons là les rêves. Savez-vous quel est le possible
en fait d'union douanière ? Union douanière ! J'ai tort de me servir de cette
expression.
Ce qui est possible, ce qui est désirable, ce qui doit être l'objet des
efforts du gouvernement, des chambres, de tous les hommes éclairés de la France
et de la Belgique, mais avec une grande prudence, avec de grands ménagements
pour ce qui existe, c'est une union commerciale par la liberté, non par le
monopole.
Déjà, messieurs, le contrecoup de la grande réforme qui vient de
s'effectuer en Angleterre et qui placera peut-être l'homme d'Etat qui l'a
accomplie au-dessus des Pitt et des Fox, déjà ce contrecoup se fait sentir en
France. Ainsi que les journaux peuvent vous l'attester, déjà la question en
France n'est plus qualifiée de rêverie, d'utopie, qualifications oui lui ont
été données jusqu'à l'époque où en Angleterre elle s'est résumée en un grand
fait.
Déjà des hommes appartenant aux deux chambres, aux notabilités du
commerce et de l'industrie, ont associé leurs efforts pour le triomphe en
France de cette grande question.
Les chemins de fer, les progrès du gouvernement représentatif, la
discussion qui en est l'âme, la publicité, voilà, messieurs, ce qui nous
conduira tôt ou tard à une union commerciale avec la France, non, je le répète,
en rétrogradant jusqu'à son tarif qui est de toutes les institutions de la
France celle qui ne soit pas à la hauteur de sa brillante civilisation, mais en
élevant les deux pays jusqu'à la liberté commerciale.
Messieurs, il faudra bien qu'on y arrive. Déjà les objections tombent un
peu partout. N'avons-nous pas vu jusqu'à l'honorable M. Eloy de Burdinne et
l'honorable M. de Roo, eux, si sincères protectionnistes, se déclarer partisans
de la liberté commerciale ? (On rit.)
Messieurs, je vois avec peine que dans un pays qui fait de si grands pas
vers les doctrines de liberté, vers le gouvernement parlementaire, je vois avec
peine qu'en Allemagne le système protectionniste, chassé de l'Angleterre,
trônant encore en France, où cependant on commence à l'attaquer et qui vivra
encore assez longtemps en Belgique quoi qu'on fasse, soit en quelque sorte
l'objet d'un mouvement ascendant dans quelque Etat de l'union germanique. Osons
compter sur l'efficacité du grand exemple donné par l'Angleterre pour arrêter
les tendances protectionnelles qui viennent de
signaler les dernières réunions de l'union douanière allemande.
La tendance générale, comme le disait naguère un des hommes les pins
éclairés de cette chambre, l'honorable M. de La Coste, la tendance générale en
Europe, c'est la liberté commerciale. Il faut y marcher avec prudence, avec un
grand respect des droits acquis, avec cette sollicitude pour ainsi dire
paternelle qui fait administrer à un individu qui a été longtemps malade et qui
est convalescent, des remèdes appropriés à son état de faiblesse. Il ne faut
rien violenter ; il ne faut pas jeter la perturbation dans ce qui est ; car ce
qui est existe en vertu de la législation, en vertu
des lois que nous avons faites, et, sous ce rapport, on lui doit le plus grand
respect, les plus grands ménagements.
A ce propos, messieurs, je ne puis m'empêcher de déplorer le langage
tenu il y a quelques jours par M. le ministre des affaires étrangères.
M. le ministre, voulant peut-être (efforts inutiles !) diminuer une
partie de l'opposition que son traité devait rencontrer dans cette chambre, a
parlé de nouvelles protections, a parlé de nouveaux droits à mettre sur les
draps étrangers. Mais, messieurs, y a-t-il bien pensé ? Comment ! l'honorable M. Dechamps nous disait, il y a peu de jours
encore, que le système protectionniste était arrivé à son apogée, qu'il était
même sur une pente de déclivité ; et M. Dechamps, parlant ainsi, vient dire
quelques jours après, promet presque...
M. le ministre des affaires
étrangères (M. Dechamps). - Non ! non !
M. Lebeau. - ... qu'il réformera notre tarif. Ah ! MM. les députés de Verviers, repoussez,
repoussez le présent qu'on vous offre. Croyez-le bien ! Si vous obteniez
aujourd'hui la promesse et plus tard la réalisation de la promesse d'une
protection nouvelle, prenez bien garde que le jour où il faudra renouveler avec
la France le traité que nous sommes occupés à discuter aujourd'hui, vous ne
fassiez encore les frais du rapprochement. Que l'exemple du passé vous serve
pour l'avenir, et répondez au langage de M. le ministre par l'éternel Timeo Danaos, etc.
Les résultats, je devrais dire les bienfaits de la liberté commerciale,
c'est évidemment de donner un essor toujours vrai, toujours progressif aux
industries nationales qui vivent d'une vie naturelle et puissante ; c'est de
rendre les crises commerciales de plus en plus rares ; c'est de restreindre le
paupérisme qui résulte des crises commerciales, et qui menace sans cesse les
sociétés où l'industrie a pris un développement factice.
La position des gouvernements a tout à gagner à l'admission sagement,
lentement, graduellement amenée du principe de la liberté commerciale.
Quand le gouvernement est chargé de régler les intérêts de l'industrie,
les relations commerciales, une terrible responsabilité pèse sur lui.
Ainsi supposons que la loi d'aggravation sur les céréales qui nous a été
présentée à la dernière session (si j'en parle, ce n'est pas pour faire des
récriminations, c'est comme exemple) ait été promulguée lorsque la disette dont
nous avons été frappés s'est développée, vainement la législature aurait-elle
abaissé la barrière, on n'aurait peut-être pas détruit dans la population la
plus facile à égarer, à fanatiser, l'idée que la disette était l'œuvre de la
législature.
Il vaut mieux, lorsque de tels fléaux éclatent, lorsque de telles crises
se produisent, qu'on n'ait à s'en prendre qu'à la Providence, contre laquelle
on ne se révolte pas, devant laquelle on s'incline.
Le principe, si vraiment libéral, si sagement démocratique, si
salutaire, de la liberté de commerce, aurait pour résultat de dégager le
gouvernement du joug que lui impose l'intérêt local, l'intérêt industriel.
L'influence de l'intérêt local est telle dans certains gouvernements
représentatifs, qu'il en résulte une espèce de servage de l'électeur au député
et du député au ministère. Nous sommes sous ce rapport exposés à une sorte
d'esclavage imposé par la puissance électorale. A son tour le ministère (et le
détail des négociations nous en a appris beaucoup sur ce point) se trouve
tellement à la merci de cette puissance des intérêts locaux que chaque fois
qu'il a une velléité de satisfaire l'intérêt général, il suffit qu'un
industriel, un producteur de houille, un propriétaire de carrière, un maître de
forge, membre du parlement, ou toute autre influence puissante élève la voix
pour qu'à l'instant même on change de système, et que l'intérêt général
s'efface devant des préoccupations moins élevées.
La liberté de commerce, dont je ne voudrais pas immédiatement, je ne
saurais assez le répéter, aurait encore un résultat précieux, sur lequel
j'appelle la plus sérieuse attention de la chambre. Ce serait de faire cesser
les périls qui menacent parfois l'unité nationale.
Oui, il est des provinces, des localités, de grandes villes, qui
lorsqu'elles se croient frappées par d'autres provinces, sacrifiées à d'autres
localités, à d'autres grandes villes, rêvent parfois, dans un moment de colère
ou d'abattement, à des projets de séparation.
Ainsi, en France, dans cette France si unie, où la centralisation est
portée à un tel degré dans les idées et dans les institutions, on a entendu, il
y a quelques années, des cris de séparation s'élever du sein d'une des villes
les plus populeuses et les plus éclairées de ce pays. Elle s'est dit : «Nos
intérêts, les intérêts du Midi sont sans cesse sacrifiés à ceux du Nord ;
faisons nos affaires nous-mêmes, séparons-nous.» C'est de Bordeaux que je veux
parler.
Aux Etats-Unis qu'a-t-on vu ? Le système des
Etats-Unis a été longtemps d'avoir un tarif modéré, non comme protection de
l'industrie, mais comme impôt. Après la guerre que les Etats-Unis eurent à
subir contre l'Angleterre du temps de l'empire français, la dette publique
s'étant accrue dans une proportion assez considérable, on imagina d'augmenter
le tarif ! Et à la faveur de cette aggravation faite dans un intérêt purement
fiscal, de nombreuses industries surgirent sur le sol américain. Il en arriva,
messieurs, que ces industries demandèrent le maintien du tarif qui fut combattu
par les Etats purement agricoles ou commerciaux, par ceux qui produisaient le
riz, le coton, le tabac et qui, parce qu'on repoussait les fabricats étrangers,
n'avaient plus aucun moyen d'échanger leurs productions naturelles.
Dans cet état de choses, l'Union américaine fut menacée d'une
dissolution complète ; la Caroline (je crois que c'était la Caroline du sud)
déclara en quelque sorte sa séparation, son indépendance. Elle vota ce qu'on a
appelé un bill de « nullification », qui était en souveraine opposition avec un
bill du congrès fédéral. Il a fallu les plus grands efforts pour empêcher à
cette époque l'Union américaine de se dissoudre.
Mais, messieurs, il ne faut pas aller chercher des exemples si loin :
est-ce que chez nous, chaque fois qu'il s'agit de questions agricoles,
commerciales ou industrielles, nous ne voyons pas les différentes localités
s'attaquer avec la plus grande vivacité, se livrer aux récriminations les plus
amères, les plus propres à compromettre l'unité nationale ?
Les questions d'intérêt matériel nous divisent tantôt en Wallons et en
Flamands, tantôt en Liégeois et en Anversois ; la liberté commerciale ferait de
toutes les provinces une Belgique ; de tous les agriculteurs, négociants et
industriels des Belges. Quand une localité se croirait déshéritée d'un avantage
industriel, agricole, commercial, je le répète, elle (page 1849) n'accuserait pas les votes de la chambre, elle
n'accuserait pas les actes du gouvernement ; elle ne pourrait accuser que la
Providence et la Providence on ne l'accuse point, je l'ai dit tout à l'heure.
On subit respectueusement la loi.
Si la Suisse, malgré les ferments de discorde qui sont renfermés dans
son sein, malgré la faiblesse du lien fédéral entre les Cantons, conserve son
unité nationale ; si elle est destinée à voir cette unité survivre aux
discussions politiques qui l'agitent aujourd'hui, n'en doutez point, elle le doit
en grande partie à la liberté commerciale qui a empêché chez elle ces
rivalités, ces haines de canton à canton que la lutte factice des intérêts
matériels suscite à un si haut degré.
L'union belge, l'unité belge n'a qu'à gagner â l'établissement graduel, prudent,
de la doctrine, de la grande et belle doctrine qui vient de triompher en
Angleterre. Notre devoir est d'y tendre sans cesse et d'y marcher toujours.
Quant à une fusion douanière avec la France (et je me hâte de conclure
sur ce point ; j'ai trop abusé de l'attention de la chambre), j'ai regret de le
dire, avec M. le comte d'Argout, je crois que c'est
une séduisante utopie, je crois que les intérêts matériels auraient moins à y
gagner en définitive qu'ils ne le pensent, si même les obstacles politiques et
administratifs n'étaient pas aussi nombreux, pour ne pas dire infranchissables.
Eh ! messieurs,
l'union franco-belge, avec les conditions dont je vous ai fait tout à l'heure
l'énumération, ce serait pis pour moi que l'union politique ; ce serait l'union
politique avec la franchise, avec la vérité de moins ; avec les exigences dont
je vous ai déroulé le tableau, il y aurait une apparence de Belgique, il n'y
aurait pour elle qu'une indépendance mensongère et dérisoire. Eh bien,
j'aimerais mieux être simplement français, j'aimerais mieux pouvoir dire, quand
je verrais la cocarde française au chapeau des officiers de nos douanes : Ce
sont nos douaniers, c'est notre cocarde ; ce ne sont pas ceux d'une nation
suzeraine dont la Belgique est l'humble vassale.
M. le ministre de
l’intérieur (M. de Theux). -
Messieurs, la discussion sur l'union douanière est une de ces discussions dont
il n'appartenait pas au gouvernement de prendre l'initiative. L'honorable M.
Lebeau a porté la discussion publique sur ce terrain ; je regrette de n'avoir
pas été présent au commencement du discours de l'honorable membre, où il a
parlé des actes qui se sont passés lors de mon premier ministère...
M. Lebeau. - Dont j'ai fait l'éloge !
M. le ministre de
l’intérieur (M. de Theux). -
Messieurs, je dois d'abord établir qu'en1836, il n'y a pas eu à ce sujet ce
qu'en peut qualifier de négociations. En effet, on ne trouvera dans le département
des affaires étrangères aucun document relatif à cet objet. Ce qu’il y a de
certain, ce que mon attention a été appelée, au mois de novembre 1836, sur
cette question, alors que je n'avais que le portefeuille du département de
l'intérieur.
J'ai donc examiné la question au point de vue des intérêts commerciaux
et à celui de notre organisation politique, constitutionnelle.
Je dirai d'abord qu'au point de vue de notre Constitution, de notre
régime politique, j'ai rencontré des obstacles véritablement insurmontables,
c'est-à-dire, qu'avec les idées qui alors régnaient à Paris, notre indépendance
législative, judiciaire et administrative eût été manifestement compromise, en
ce qui concerne le régime de douanes et celui de nos finances. J'aurais pu dès
lors m'arrêter à celle simple considération. Mais il y en avait d'autres, et
très graves, en ce qui regardait notre système commercial. Il se présentait
d'ailleurs une question d'ajournement ; c'est que le traité de séparation
d'avec la Hollande n'était pas conclu, et qu'accepter une négociation avec la
France sur la question d'union douanière, c'était compromettre l'intérêt même
de notre existence.
Au mois de décembre 1839, il y eut une négociation, régulière en quelque
sorte, dont l’initiative fut prise à Paris. Toutefois, je dois le dire, cette
négociation ne devait pas de prime abord porter sur l'union douanière. Voici
l'extrait d'une dépêche dont j'ai pris copie :
« Le maréchal Sault désirs néanmoins que la négociation ait pour point
de départ une série de propositions de réductions de tarif que le gouvernement
belge ferait au gouvernement français. Il s'agit de réductions larges de nature
à faire cesser l'état de souffrance de nos principales industries.»
Messieurs, c'est sur ce terrain que j'ai alors accepté la négociation,
et j'ai fait à cet égard les propositions les plus positives, les plus
formelles, celles qui eussent assuré à toutes nos industries un grand degré de
prospérité ; mais il m'a été facile d'apercevoir que la négociation
n'aboutirait à rien, à moins que nous ne prissions l'initiative, pour proposer
l'union douanière. Cette initiative, je ne voulais pas la prendre.
En 1839, nous avions encore des motifs d'ajournement, car plusieurs des
questions extrêmement importantes que nous avions à résoudre avec la Hollande,
telle que celle du règlement définitif de la dette et d'autres questions non
moins graves, n'étaient pas arrivées à l'état de maturité. Dans tous les cas,
les mêmes considérations politiques qui avaient existé en 1836, quant à notre
régime intérieur, quant à notre Constitution, auraient encore subsisté en 1839.
Depuis lors, il ne me semble pas qu'en France on se soit départi de ces
idées. En effet, depuis le discours prononcé par l’honorable M. Guizot,
ministre des affaires étrangères, nous voyons que la presse à Paris envisage
toujours la question de l'union douanière â ce point de vue, que la Belgique
devrait introduire dans ses lois de finances et de douane les modifications qui
pourraient être faites par le gouvernement français après le traité. Ce n'est
pas tout : en France on veut toujours conserver la prépondérance judiciaire et
une part dans l'administration des douanes. Ces idées n'ont pas cessé de
dominer chez nos voisins. Dès lors, je ne puis pas considérer les paroles de
l'honorable M. Guizot au point de vue auquel on les a considérées dans ce
pays-ci.
On a supposé ici, qu'il s'agissait d'une union douanière dans laquelle
chacun des deux pays conserverait son indépendance politique, ses institutions
politiques ; je ne pense pas que telle ait été la pensée de l'honorable M.
Guizot.
Messieurs, je dirai que, dans mon opinion, une union douanière, négociée
seulement entre deux nations, présente des questions véritablement insolubles.
En effet, peut-on, dans un traité, fixer d'une manière définitive et pour
toujours l'état actuel de la législation financière, de la législation
douanière ? Evidemment, non. Un grand pays comme la France, peut-il soumettre
l'immobilité de ses tarifs, de ses lois de finances au bon vouloir de la
législature belge ? Non, messieurs, cela ne peut pas être.
En ce qui concerne la question judiciaire, comment le tribunal
pourrait-il être composé de manière à assurer une égalité de droits aux deux
pays ? Un des deux pays consentira-t-il à ce que l'autre ait la libre
administration de la douane à sa frontière, et favorise, par exemple, la fraude
au profit de certaines de ses industries, au détriment de ses associés ?
Messieurs, ce sont là des difficultés immenses. En Allemagne, ces mêmes
difficultés n'existent pas, parce qu'il y a là plusieurs gouvernements qui se
sont unis, et que chacun de ces gouvernements a un délégué près de la
commission qui est chargée de régler les intérêts communs.
Mais entre deux pays, là où il n'y a pas d'intermédiaire possible, une
association, telle qu'on se la figure dans quelques-unes de nos provinces, est
réellement impraticable. Soumettrait-on ces questions à l'arbitrage d'une
puissance étrangère ? Assurément non : il ne peut pas s'agir de cela ; et dès
lors quel est le moyen de résoudre les difficultés ?
Je pense donc que, dans l'état actuel des choses et aussi longtemps que
les négociations ne pourront pas être portées sur un terrain plus large, et
s'étendre à d'autres puissances ; je pense, dis-je, que ces négociations
n'amèneront aucun résultat ; que dès lors il y aurait eu de l’imprudence, de la
part du gouvernement, à s'y engager. Indépendamment de l'inconvénient
d'éveiller inutilement les susceptibilités d'autres Etats, c'eût été le
meilleur moyen de paralyser les négociations partielles entre la France et la
Belgique, les seules négociations au moyen desquelles on puisse aboutir à
quelques résultats.
Pour ma part, je n'ai jamais hésité à aborder uniquement cette
négociation d'abaissement de tarif sur une base très large ou une négociation
restreinte. La négociation que j'ai ouverte en 1839 sur cette base large
indiquée par le maréchal Soult a échoué. Nous avons remarqué que le préjugé
dont M. Cunin-Gridaine s'est rendu l'organe existait
encore. Il suffit de jeter les yeux sur le discours que le ministre a prononcé
en 1831 pour voir combien la France redoutait une union commerciale avec la
Belgique. On allait si loin que, supposant que la Belgique voulait une réunion
politique, on la combattait déjà en disant que pour un avantage politique dont
la France n'avait pas besoin, on compromettait ses plus grands intérêts
industriels : tel est le résumé de l'opinion de M. Cunin-Gridaine.
Je crois que cette opinion est exagérée, je ne pense pas que l'industrie
française ait tant à redouter d'un large traité de commerce avec la Belgique,
car si la Belgique est à même de faire concurrence à la France sur plusieurs
produits, il en est d'autres sur lesquels la France pouvait faire concurrence à
notre industrie et la France eût trouvé un avantage très considérable en ce
qu'elle eût eu pour elle seule, quant à plusieurs de ces produits, le marché de
la Belgique qu'elle partage avec d'autres puissances.
Je pense que le préjugé existant en France n'est pas fondé, mais il
suffit qu'il existe pour que le gouvernement français ait reculé devant les
conséquences d'une négociation sur une grande échelle.
Messieurs, il faut avoir été au ministère et avoir suivi les diverses
phases des négociations entamées avec la France depuis 1830, pour apprécier les
difficultés immenses qu'on a à surmonter pour s'entendre, je ne parle pas d'une
union douanière, ni d'un traité à large base, mais des traités réduits aux
propositions les plus minces.
Ainsi la Belgique a pris l'initiative de lever quelques-unes des mesures
exceptionnelles qui avaient été prises par le gouvernement des Pays-Bas, en
représailles de mesures prises par la France. Nonobstant l'initiative prise par
la Belgique en 1831, pour un rapprochement, le gouvernement français ne
répondit pas à nos avances, et demandait qu'avant tout les mesures restrictives
prises par le gouvernement des Pays-Bas fussent toutes retirées. C'est devant
ces exigences que les commissaires belges, hommes très capables d'ailleurs,
connaissant parfaitement nos intérêts, ont échoué en 1834 à Paris. Ce n'est
qu'en 1836 que nous avons obtenu l'initiative prise par le gouvernement
français. C’est en réciprocité de ces ordonnances que nous avons proposé une
loi retirant les mesures exceptionnelles existant encore à l'égard de la
France.
On a dit dans une autre séance que la France avait intérêt à conserver
son tarif différentiel, favorable à la Belgique, notamment en ce qui concerne
les charbons. C'est là une grave erreur, car je puis
assurer que nous avons eu à diverses époques beaucoup de peine à maintenir ce
tarif différentiel ; le motif était que la France négociait avec l'Angleterre
et que l'Angleterre exigeait le retrait de ces mesures exceptionnelles prises
en faveur de la Belgique.
En 1840, le gouvernement français a fait une large brèche aux (page 1850) concessions qu'il nous avait
faites en 1836. Ce fut au mois d'août 1840 qu'une partie de ces concessions
nous fut retirée.
Au mois de mai 1810, le gouvernement français avait déjà été sur le
point de prendre les mesures qu'il a prises plus tard, il en avait même déjà
été question avant 1840, et ce ne fut que bien difficilement qu'on parvint
alors à empêcher ces mesures.
L'historique des dernières négociations et de celles de 1842 est assez
présent à nos esprits pour qu'il soit inutile de le retracer. Nous avons une
conviction basée sur tous les faits qu'une négociation de quelque étendue avec
la France rencontrerait des obstacles qu'on peut considérer comme invincibles.
Il est bon qu'on le sache, qu'on ne se fasse pas illusion à cet égard.
Est-ce à dire que nous serons à perpétuité dans cette position ? Nullement ; un
grand changement s'est opéré en Angleterre ; en présence de ce changement je ne
pense pas que la France conserve longtemps son système douanier ; dès lors nous
devons espérer que nos relations à l'avenir prendront plus d'extension avec ce
pays.
Je bornerai là mes observations, car sur ce sujet, la discussion
pourrait aller à l'infini.
Un grand nombre de voix. - La clôture ! la clôture !
M. de Villegas. - Je dois de nouveau m'opposer à la clôture, pour le motif que j'ai
fait connaître samedi dernier. J'ai une interpellation à adresser à M. le
ministre des affaires étrangères.
Plusieurs
voix. - Parlez ! parlez
!
M. de Villegas. - Si la chambre m'y autorise, je le ferai. Mon observation concerne le
commerce des toiles et l'exécution de la convention du 13 décembre. Elle a un
caractère d'importance que la chambre ne méconnaîtra pas.
Le système des types a été établi par la
circulaire française du 22 mai 1845. L'application de ce système a donné lieu à
des vexations nombreuses et à des saisies arbitraires. M. le ministre des
affaires étrangères a dit, samedi dernier, que l'amélioration des échantillons
types que nous avons obtenue est très considérable. Je demande à cet égard des
explications plus catégoriques et plus précises que celles que le gouvernement
nous a déjà données. M. Dechamps entend-il parler des échantillons déposés sur
le bureau et dont font mention les notes diplomatiques des 12 et 13 décembre
dernier, annexées au rapport de M. Desmaisières ? Mais je lui répondrai dans ce
cas qu'il n'y a pas de quoi se vanter des avantages obtenus, puisque les
tracasseries douanières n'ont pas discontinué, et que naguère encore elles ont
été dénoncées à cette tribune. Si d'autres modifications ont été introduites et
si d'autres échantillons types ont été arrêtés et convenus entre les négociateurs
belges et français, je demande à les connaître, avec les garanties d'exécution
franche et loyale qui auraient été stipulées.
M. le ministre des affaires
étrangères (M. Dechamps). - Je
vais renouveler des explications que j'ai déjà eu l'honneur de donner à la
chambre et, autant que possible, je les préciserai davantage.
D'abord je dois faire remarquer à la chambre que, sur l'observation que
l'honorable M. Villegas m'a faite, j'ai vérifié que les types déposés sur le
bureau ne sont pas ceux que j'avais remis à la section centrale et qui ont été
adoptés, pendant la négociation, pour servir de règle à la douane. D'après la
circulaire du 22 mai 1845, quatre types avaient été choisis ; un cinquième type
intermédiaire a été introduit, entre le premier et le second, pour les toiles
de 8 à 9 fils. Je dois dire que le choix de ces types nous a paru favorable,
puisque nous n'avons pas trouvé, parmi 60 échantillons de toiles recueillis
dans les Flandres, des nuances plus blanches pour chacune de ces cinq
catégories.
Ainsi, il a été porté remède à ce qui
existait en vertu de la circulaire du 22 mai. Nous avons des types qui nous
sont plus favorables et qui nous garantissent contre l'arbitraire de
l'administration française. Mais la déclaration de M. le ministre des affaires
étrangères de France, annexée au traité, nous donne une garantie de plus.
Lorsqu'il sera présenté à la douane des toiles écrues exceptionnelles, non
conformes aux types, la commission des experts à Paris, les jugera en vertu du
caractère réel de l'écru, comme avant le 22 mai, et non en conformité des types
mêmes. Les toiles conformes aux types ne pourront plus être l'objet de
contestations en douane ; les toiles écrues qui exceptionnellement n'y seraient
pas conformes seront jugées en dehors des types, d'après les mêmes règles
qu'avant la circulaire du 22 mai 1845. C'est une amélioration évidente.
Plusieurs membres. - La clôture !
M. Verhaegen. - Je me suis fait inscrire pour parler contre le traité. J'ai pensé
que ma conduite ne serait pas justifiable si je posais un acte aussi grave sans
faire connaître les motifs de mon vote. Cependant si la chambre prononce la
clôture, force me sera de réserver mon vote ; mais je demanderai à la chambre
l'autorisation de faire insérer dans le Moniteur les motifs de mon vote. (Oui ! oui !)
M.
Anspach. - Je ne conçois pas
l'empressement de la chambre à clore cette discussion à laquelle nous n'avons consacré
que quatre séances. Il y a des considérations que je voulais faire valoir.
Parmi les adversaires du traité, il y a des industriels, des commerçants, des
négociants ; parmi les partisans du traité je n'ai entendu personne de cette
catégorie, je crois qu'il faudrait qu'un industriel prît la parole pour
apprécier les faits avancés par les adversaires du traité, et pour rassurer la
chambre et le pays sur les inquiétudes qu'on cherche à propager au sujet du
traité.
C'est ce que je me propose de faire. Je demande donc que la chambre
m'autorise à user de mon tour de parole qui est arrivé.
M. le
président. - M. Dumortier vient de déposer une proposition ainsi conçue :
« Pour le cas où l'article premier serait adopté, je propose un article
2 ainsi conçu :
« Les dispositions des arrêtés du 14 juillet 1843 et du 13 octobre 1844
non abrogés par la loi du 31 décembre 1844, ou par la présente loi,
continueront d'avoir force de loi. »
M. le ministre des affaires
étrangères (M. Dechamps). -
L'article 2, présenté par l'honorable M. Dumortier, auquel je ne m'oppose pas,
ne concerne nullement le traité. Il forme un article spécial. ;
Je ne demande pas la clôture ; je voudrais qu'il me fût permis de
soumettre à la chambre quelques observations sur le discours de M. Lebeau, qui
m'a accusé à tonde n'avoir pas pris une attitude assez décidée dans la question
d'union douanière et qui n'a pas présenté tous les faits sous un vrai jour.
Mais je craindrais de ne pouvoir vaincre la fatigue de la chambre, et si la
clôture est prononcée sur l'article 1er, on pourrait discuter et voter
séparément l'article additionnel proposé par M. Dumortier.
- La chambre, consultée, prononce la clôture sur l'article premier.
___________________
- La chambre, statue d'abord sur une proposition de M. Dumortier, ainsi
conçue :
« Je propose d'admettre comme modifications de tarif toutes les
dispositions de la convention, excepté celles relatives à la laine, et de
négocier de nouveau avec le gouvernement français de manière à ne pas
comprendre l'industrie lainière dans le traité. »
- Cette proposition est mise aux voix, elle n'est pas adoptée.
__________________
La chambre passe à l'article unique du projet de loi, ainsi conçu ;
« Léopold, Roi des Belges,
« A tous présents et à venir, salut :
« Vu l'article 68 de la Constitution ainsi conçu : « Les traités de
commerce et ceux qui pourraient grever l'Etat ou lier individuellement de»
Belges, n'ont d'effet qu'après l'assentiment des chambres. »
« Les chambres ont adopté et nous sanctionnons ce qui suit :
« Article unique. La convention de commerce conclue entre la Belgique et
la France, et signée à Paris, le 13 décembre 1845, sortira son plein et entier
effet. »
L'appel nominal est demandé sur cet article.
M. le président. - II va être passé au vote par appel nominal.
Plusieurs
membres. - Sur la loi ?
D’autres
membres. - Non ! non ! Sur l'article premier.
M. le président. - Il faut savoir si cet appel décidera du vote de la loi.
M. Dumortier. - Messieurs, je demanderai la permission d'expliquer en peu de mots
l'article 2 que je propose, afin qu'on en comprenne bien la portée.
La chambre est pressée de voter sur l'article premier. Mais je demande
tout au moins que l'article 2 soit complétement réservé. Comme cet article est
destiné à donner une satisfaction aux industriels, j'espère que la chambre
n'hésitera pas, après m'avoir entendu, à l'ajouter à l'article premier.
M. le président. - Il va être procédé à l'appel nominal.
M. Verhaegen. - Sur l'ensemble de la loi ?
Plusieurs
membres. - Non ! non !
M. le ministre des finances (M.
Malou). - On a clos tout à
l'heure la discussion générale confondue avec la discussion de l'article unique
du projet du gouvernement. L'appel nominal est réclamé sur cet article unique,
la question soulevée par l'honorable M. Osy étant réservée, puisqu'elle est subordonnée
au rejet du projet.
Si l'article premier est adopté, il y aura lieu alors d'examiner
l'article additionnel présenté par l'honorable M. Dumortier et ensuite de voter
sur l'ensemble. (Adhésion.)
M. le président. - Il va donc être procédé au vote par appel nominal sur l'article
unique du projet du gouvernement.
Voici le résultat de l'appel nominal :
61 membres répondent à l'appel nominal.
37 votent l'adoption.
22 le rejet.
2 (MM. Lesoinne et Delfosse) s'abstiennent.
En conséquence, l'article est adopté.
Ont voté l'adoption : MM. de Roo, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, de
Theux, de Villegas, d'Hoffschmidt, Dolez, Donny, Dumont, Kervyn, Lange, Lebeau,
Lejeune, Malou, Manilius, Mast de Vries, Orban, Pirmez, Pirson, Rodenbach,
Sigart, Troye, Van Cutsem, Wallaert, Anspach, Cans, d'Anethan, de Baillet, de
Breyne, Dechamps, de Foere, de Haerne, Delehaye, de Man d'Attenrode, de Meer de
Moorsel et de Mérode.
Ont voté le rejet : MM. de Tornaco, Dubus
(aîné), A. Dubus, Dumortier, Fallon, Fleussu, Goblet, Jonet, Loos, Lys, Orts,
Osy, Vanden Eynde, Verhaegen, Verwilghen,. Vilain
XIIII, Zoude, David, de Bonne, de Corswarem, de Garcia de la Vega et de
Meester.
M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont invités à faire connaître les
motifs de. leur abstention.
M.
Lesoinne. - Je n'ai pas voté pour
le traité, parce que j'ai la conviction que les résultats ne seront pas tels
que l'espèrent les honorables membres qui ont voté pour son adoption. La misère
des Flandres s'est (page 1851)
développée sous un régime meilleur que celui qui a été proposé. Le traité
n'apportera donc pas de grands soulagements pour l'industrie linière ; ce n'est
qu'un répit qu'on lui accorde, et elle doit de toute nécessité chercher des
débouchés ailleurs. Je n'ai pas voté contre le traité parce qu'un rejet aurait
pu avoir pour résultat de provoquer de la part de la France des mesures de
nature à jeter la perturbation dans nos relations avec ce pays, et que je
regarde les relations avec les pays limitrophes comme étant celles qui
procurent des moyens d'existence au plus grand nombre d'individus.
M. Delfosse. - Je n'ai pas voté pour le traité, parce qu'il y a trop d'inégalité
entre les concessions que nous faisons à la France et celles que la France nous
fait ; je n'ai pas voté contre, parce que je redoutais pour mon pays et surtout
pour les Flandres les conséquences fâcheuses que le rejet du traité aurait pu
amener.
Si le traité était encore à signer, je dirais au ministère : Ne le
signez pas, soyez moins faible et vous obtiendrez de meilleures conditions.
Mais le rejet d'un traité signé par les deux gouvernements, déjà adopté par les
chambres françaises, serait une mesure infiniment plus grave que le refus de
conclure ne l'eût été.
Il est à regretter, pour le gouvernement français lui-même, que nos
ministres n'aient pas montré plus de fermeté dans les négociations ; les
exigences auxquelles ils ont cédé ne sont certes pas de nature à fortifier les
liens de sympathie qui nous unissent à la France.
M. le président. - Voici l'article 2, proposé par M. Dumortier :
« Les dispositions des arrêtés royaux du 14 juillet 1843 et du 13
octobre 1844, non abrogées par la loi du 31 décembre 1844 ou par la présente
loi auront force de loi. »
M. Dumortier. - Je demande la parole.
Plusieurs
membres. - On est d'accord.
M. Dumortier. - Si l'on est d'accord, je ne prolongerai pas la discussion.
M. Delfosse. - Je dois faire remarquer à la chambre que le projet de loi destiné à
convertir en loi les arrêtés royaux dont il s'agit est soumis à l'examen d'une
section centrale qui n'a pas encore fait son rapport. Il convient d'attendre
que ce rapport soit fait avant de voter sur la proposition de l'honorable M.
Dumortier ; je demande donc l'ajournement.
M. Dumortier. - Messieurs, je prendrai la confiance de faire remarquer à l'assemblée
que les dispositions des arrêtés royaux sont différentes en plus d'un point du
projet de loi présenté à la chambre.
Ces arrêtés royaux, messieurs nous sont parfaitement connus ; depuis
quatre jours ils font l'objet de nos discussions.
Je regarde pour mon compte comme une chose
excessivement importante dans l'intérêt des industriels qui. travaillent
la laine, de vouloir leur assurer tout au moins la fixité de la législation en
ce qui concerne les dispositions non encore abrogées.
Remarquez, messieurs, que ces arrêtés sont en vigueur depuis trois à
quatre ans, et que nos industriels réclament fortement cette misérable fiche de
consolation de leur voir assurer du moins les parties du marché qui ne sont pas
frappées par la loi que nous venons de voter.
M.
Lebeau. - S'il est une chose dont
une assemblée délibérante doive se garantir, c'est l'entraînement ; c'est pour
cela qu'il y a un règlement. Si je n'écoutais que mes sentiments personnels,
malgré mon peu de sympathie pour le système protectionniste (ce que j'ai dit
tout à l'heure de la liberté commerciale en fait foi), je voterais pour la
proposition de l'honorable M. Dumortier.
Cependant est-elle nécessaire ? Je conçois qu'il faille des mesures
exceptionnelles ; mais le gouvernement les prendra et personne ne songera à le
critiquer de ce chef.
M.
Verhaegen. - On pourrait renvoyer la
proposition de M. Dumortier à la section centrale, qui présenterait son rapport
à la séance de demain.
Plusieurs
membres. - Demain, la chambre ne
sera plus en nombre.
M. Verhaegen. - Je crois, au contraire, que la chambre sera en nombre. Ces messieurs
des Flandres reviendront ; ils ont atteint leur but ; c'est une question de
loyauté.
M. le ministre des affaires
étrangères (M. Dechamps). -
L'honorable M. Dumortier demande que les arrêtés de 1843 et 1844 soient
sanctionnés par la chambre en même temps que le traité. Je conçois parfaitement
ce qui porte l'honorable membre à faire cette proposition. Il a voulu donner à
l'industrie de la laine et du coton la certitude que ces arrêtés ne pourront
plus être modifiés ; c'est une sécurité morale qu'on veut accorder à ces
industries. C'est là un bien et c'est pour cela que tout à l’heure je n'ai pas
voulu m'opposer à l'adoption de cette proposition. Cependant je ferai remarquer
que le gouvernement a pris ces arrêtés en vertu de la loi de 1822. Donc il
n'est pas loisible au gouvernement de modifier ces arrêtés, sinon pour
augmenter le droit. Nous ne pouvons pas les modifier par abaissement du droit.
Ainsi l'industrie lainière est à l'abri de toute crainte.
Je reconnais qu'au point de vue de la
législature un certain doute peut exister ; mais je crois avec l'honorable M.
Lebeau que ce doute n'est pas raisonnable et qu'il est peu vraisemblable que la
législature vienne à refuser son approbation à ces arrêtés.
Le gouvernement a présenté un projet de loi pour sanctionner les
arrêtés. Si le rapport était présenté, je demanderais l'adoption du projet de
loi ; ce serait plus régulier.
Au reste je ne vois pas d'inconvénient grave à l'adoption de la
proposition de l'honorable M. Dumortier qui a un côté utile.
M. Manilius. - Puisque M. le ministre des affaires étrangères ne voit pas
d'inconvénients graves à ce que l'on sanctionne les deux arrêtés, je crois
qu'il y a utilité et nécessité de le faire pour donner leurs apaisements à
l'industrie et au commerce.
M. le
ministre des affaires étrangères disait tout à l'heure, que d'après la loi de
1822 il n'avait pas le pouvoir de modifier les deux arrêtés ; mais les faits ne
prouvent-ils pas que le gouvernement a le pouvoir de
modifier de telles mesures ? L'arrêté de 1843 n'a-t-il pas été modifié par
celui de 1844 ? En ce qui concerne l’industrie du tissage et le blanchiment des
tulles, le gouvernement n'a-t-il donc pas modifié la législation à deux reprises
? Cela suffit pour prouver que le gouvernement s'attribue le droit de modifier
les arrêtés ; il le fait par un simple trait de plume, par une disposition
prise du jour au lendemain. Si donc vous voulez donner au commerce la sécurité
qu'il réclame, une disposition législative est nécessaire. J'appuie la
proposition de l'honorable M. Dumortier.
M. le ministre de
l’intérieur (M. de Theux). - On a
dit tout à l'heure que beaucoup de membres se proposaient de s'absenter demain
; j'engage la chambre à être en nombre, il y a des projets d'une très grande
urgence à discuter. (Adhésion.)
M. Delfosse. - Je regrette de devoir insister pour l'ajournement ; j'ai la plus vive
sympathie pour les industriels en faveur desquels la proposition est faite ;
c'est même là une des raisons qui m'ont empêché de voter pour le traité ; mais
il ne faut pas perdre de vue que les arrêtés royaux continueront à être en
vigueur jusqu'à ce qu'ils soient convertis en loi.
Demandez un prompt rapport à la section
centrale, discutez ce rapport le plus tôt possible, vous donnerez par là une
preuve de sollicitude pour l'industrie lainière ; mais ne posez pas un
précédent fâcheux, ne suivez pas une marche irrégulière.
Je dois faire remarquer à la chambre que divers industriels ont réclamé
contre certaines dispositions des arrêtés que M. Dumortier veut faire convertir
en loi à l'instant même ; si l'on n'attend pas le rapport de la section
centrale, ces réclamations seront écartées, sans que la chambre en ait même eu
connaissance.
M. Manilius. - Il y a plus de dix-huit mois que le projet de loi est présenté. Si
le rapport n'est pas encore fait c'est d'après le vœu du gouvernement lui-même
exprime à la section centrale.
Le vœu du gouvernement a changé maintenant ; le ministère ne voit plus
d'entraves à la sanction des arrêtés parce que nous avons voté l'article
premier qui autorise la ratification de la convention ; la sanction des arrêtés
ne fait donc plus question.
Quant à la réclamation d'un industriel de Gand, il y a été satisfait en
grande partie ; s'il faut faire davantage, le gouvernement est libre de prendre
un arrêté nouveau en sa faveur.
L'intérêt général du pays ne doit pas d'ailleurs souffrir des
réclamations d'un seul industriel.
M.
Dolez. - Je veux faire remarquer
à la chambre qu'il y aurait une véritable inconvenance à adopter la proposition
qui lui est soumise. La chambre est saisie d'un projet de loi émané de
l'initiative du gouvernement. La section centrale a été appelée à délibérer sur
ce projet de loi et voici tout à coup qu'à cette proposition, il en est
substitué une autre due à l'initiative parlementaire. Je m'étonne que les membres
du ministère y donnent leur adhésion, c'est de leur part une véritable
abdication de la prérogative royale. C'est au nom de cette prérogative que je
crois devoir m'opposer à l'adoption d'une proposition dont le résultat est de
ne tenir aucun compte d'un projet dont le Roi nous a saisis, en lui substituant
une proposition due à un membre de la chambre.
Je crois, d'autre part, qu'il serait peu convenable, dans la loi
relative à la convention conclue avec la France, de traiter un objet étranger à
cette convention.
M. le ministre des affaires
étrangères (M. Dechamps). -
Messieurs, l'honorable préopinant vient de rappeler que le gouvernement a pris
l'initiative du projet de loi, et il s'étonne que le cabinet consente à laisser
substituer la prérogative parlementaire à la prérogative royale. Mais,
messieurs, la prérogative royale consiste à proposer un projet de loi, et à
demander qu'on le discute et qu'on le vote. Le gouvernement consent à ce que la
chambre se prononce en ce moment sur un projet émané de son initiative ; M.
Dumortier se borne à demander, par son article additionnel, que l'on donne
suite à la proposition du gouvernement de sanctionner par une loi les arrêtés
du 14 juillet et du 13 octobre.
Messieurs, je reconnais que dans la manière
dont on veut procéder au vote il y a quelque chose d'irrégulier.
Mais la position est exceptionnelle ; nous sommes à la fin de la
session, et si la chambre n'admet pas aujourd'hui l'article proposé par
l'honorable M. Dumortier, il est probable que l'assemblée ne sanctionnera pas
dans cette session les deux arrêtés dont il s'agit.
Or, je pense que, pour donner toute sécurité à l'industrie, pour
produire l'effet moral que la loi doit apporter, la chambre pourrait
aujourd'hui approuver les deux arrêtés qui sont parfaitement connus et sur
lesquels a roulé une partie de la discussion actuelle.
M. Dubus (aîné). - Messieurs, j'appuie
l'article 2 proposé par l'honorable M. Dumortier. Cet article ressort de la
discussion même de l'article premier. La chambre se rappelle par quels moyens
on s'est attaché à prouver que les industries qui sont frappées par le traité,
pourraient encore se soutenir. Comment M. le ministre des affaires étrangères,
comment les honorables membres, partisans du traité, ont-ils fait cette preuve
?
(page 1852) C'est en présentant les arrêtés
dont il s'agit comme des dispositions définitives ; c'est en faisant remarquer
que, sauf les modifications introduites par le traité, il résulterait de ces
dispositions définitives un avantage suffisant, pour que les industries
frappées pussent se soutenir. Et maintenant on voudrait mettre en doute le
maintien de ces arrêtés ! J'espère que la chambre voudra bien donner son
assentiment à l'article que l'honorable M. Dumortier a proposé.
- La clôture de la discussion sur cet article est mise aux voix, et
prononcée.
L'ajournement de l'article est mis aux voix et n'est pas adopté.
L'article est ensuite mis aux voix et adopté.
_________________
On procède par appel nominal sur l'ensemble du projet de loi.
59 membres sont présents.
35 répondent oui.
22 répondent non.
2 (MM. Delfosse et Lesoinne) s'abstiennent.
En conséquence, le projet de loi est adopté.
Il sera transmis au sénat.
Ont répondu oui : MM. Anspach, d'Anethan, de Breyne, Dechamps, de Foere,
de Haerne, Delehaye, de Man d'Attenrode, de Meer de Moorsel, de Mérode, de Roo,
Desmaisières, Desmet, de Terbecq, de Theux, de Villegas, d'Hoffschmidt, Dolez,
Donny, Dumont, Kervyn, Lange, Lebeau, Lejeune, Malou, Manilius, Mast de Vries,
Orban, Pirmez, Pirson, Rodenbach, Sigart, Troye, Van Cutsem et Wallaert.
Ont répondu non : MM. David, de Bonne, de Corswarem, de Garcia, de
Meester, de Tornaco, Dubus (aîné), Dubus (Albéric), Dumortier, Fallon, Fleussu,
Goblet, Jonet, Loos, Lys, Orts, Osy, Vanden Eynde, Verhaegen, Verwilghen, Zoude
et Vilain XIIII.
M. Delfosse et M. Lesoinne
déclarent s'être abstenus par les motifs qu'ils ont fait valoir à l'article
premier du projet de loi.
- La séance est levée à 5 heures et un quart.