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Chambre des représentants de Belgique
Séance
du samedi 4 juillet 1846
Sommaire
1) Pièces adressées à la
chambre
2) Rapport sur une pétition
relative à un mauvais traitement infligé à un caporal par un officier supérieur
(Zoude,
Prisse,
de
Garcia, Prisse, Pirson), à la
cession à une corporation religieuse d’un bâtiment par une administration
communale pour y établir un collège d’enseignement moyen (Zoude,
de Bonne,
Dubus
(aîné), de Theux)
3) Projet de loi accordant
des crédits supplémentaires pour des travaux à effectuer au canal de la
Campine, au canal de Zelzaete et pour le réendiguement du polder de Lillo. Mise
à l’ordre du jour (Mast de Vries, Osy, Malou,
Dedecker,
de Theux,
Osy,
Mast de
Vries, Delfosse)
4) Projet de loi portant
approbation du traité de commerce conclu avec la France (+droits sur les lins
et la laine). Discussion générale ((+droit sur le sucre) Eloy de Burdinne,
Dechamps,
Lys,
Rodenbach,
de
Villegas, Anspach, Dechamps)
(Annales parlementaires de
Belgique, session 1845-1846)
(Présidence de M. Dumont)
(page 1827) M. de Villegas
procède à l'appel nominal à 11 heures et un quart.
La séance est ouverte.
M. de Man d’Attenrode donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier dont la rédaction
est approuvée.
M. de Villegas fait connaître l'analyse de la pétition suivante.
PIECES ADRESSEES A LA
CHAMBRE
« Les membres de l'administration communale de Woubrechtegem demandent l'exécution
du chemin de fer projeté de Bruxelles à Wetteren par Denderleeuw, Alost et
Lede. Même demande des membres de l'administration communale de Haeltert,
Nieuwenhoven, Santbergen, Nederhasselt, Okegem, Iddergem, Neygem, Liefferinge,
Oultre, Pollaere, Appelterre-Eychem, Waerbeke et Baevegem. »
RAPPORTS SUR DES
PETITIONS
M. Zoude, rapporteur. - « Le sieur Théodore Mackintosh prie la chambre de faire rendre justice
à son frère, caporal au régiment d'élite, pour les mauvais traitements dont il
a été l'objet de la part d'un officier supérieur. »
Messieurs, le pétitionnaire signale un acte de brutalité qui aurait été
commis par un officier supérieur, envers le caporal Mackintosh, à peine âgé de
17 ans, et qui ensuite aurait été jeté dans une prison infecte où il aurait
contracté une maladie dégoûtante ;
Que cet officier se serait excusé de la violence à laquelle il s'était
livré, par le mécontentement que lui aurait fait éprouver une lettre anonyme
remplie d'injures que ce caporal lui aurait écrite ;
Qu'après 20 jours de séquestration, ce militaire a été mis à la
disposition de l'auditeur militaire qui l'a condamné à 5 ans de réclusion et à
la déchéance du service militaire ;
Que cependant, dit le pétitionnaire, des experts en écritures auraient
déclaré qu'il n'y avait pas identité d'écriture ; mais il nous a été affirmé
qu'un journal intitulé : La Belgique Judiciaire qui relate le jugement du
conseil de guerre, porte que cette identité aurait été reconnue. Votre
commission aurait désiré prendre inspection de cette pièce, niais elle avait
été transmise à la haute cour militaire qui est maintenant saisie de cette
affaire.
La législature ne pouvant intervenir dans les débats judiciaires, votre
commission croit cependant devoir exprimer son opinion sur la conduite de
l'officier dont il est question, et elle déclare, avec regret, que cette
conduite lui a paru d'autant plus répréhensible qu'elle s'exerçait envers un
militaire qui, à peine sorti de l'enfance, avait déjà mérité le grade de
caporal.
Votre commission croit devoir aussi exprimer
un blâme sur certains passages de la pétition, en ce qu'elle contient
d'injurieux tant envers l'auditeur militaire qu'envers le conseil de guerre,
qu'on signale comme ayant cédé à l'influence d'un magistrat prévenu.
La commission a la confiance que des actes de cette violence sont rares
dans l'armée ; cependant elle croit devoir dire à M. le ministre de la guerre,
qu'il lui est parvenu des renseignements sur les désertions qui seraient plus
fréquentes dans les corps où les soldats auraient plus à se plaindre de la
dureté des officiers à leur égard.
Votre commission a l'honneur de vous proposer le renvoi de cette
pétition au département de la guerre.
M. le ministre de la guerre (M.
Prisse). - J'avais espéré que
l'affaire du caporal Mackintosh ne parviendrait pas jusqu'à la chambre, que
celle-ci n'aurait pas à s'en occuper. Je l'avais espéré surtout dans l'intérêt de
ce militaire. Mais enfin, puisque le rapport concernant cette affaire a été
fait à l'honorable assemblée, je demanderai la permission de donner quelques
explications sur l'objet dont la chambre vient d'être saisie.
Dans les explications que je désire soumettre à l'honorable assemblée,
j’ai deux devoirs à remplir :
Le premier, c'est d'expliquer, et, en les expliquant, d'amoindrir les
torts que le rapport de l'honorable M. Zoude attribue au colonel Vanderlinden.
La seconde obligation, c'est d'avoir tous les égards possibles à la
position du caporal Mackintosh, qui est encore en ce moment sous la main de la
justice.
La première lettre relative à l'affaire qui nous occupe, et qui a été
adressée à la chambre, renferme les expressions qui se retrouvent dans le
rapport de l'honorable M. Zoude. Ainsi, par exemple, le colonel Vanderlinden
est accusé d'un acte de brutalité. Je trouve ce terme empreint d'exagération.
Dans la plainte du sieur Mackintosh en faveur de son frère, on lit que le
caporal Mackintosh étant de service, le colonel lui a brutalement arraché son
fusil des mains, et l'a souffleté en présence de la troupe. Je crois que le
sieur Mackintosh a été très mal informé de ce qui s'est passé. S'il avait connu
la vérité comme je la connais, il ne se serait pas permis de signaler à la
chambre des faits aussi inexactement rapportés.
Voici ce qui a eu lieu :
Un jour qu'on avait jugé à propos de consigner une partie de la
garnison, parce qu'il était possible de prévoir quelques troubles dans la
capitale, le caporal Mackintosh s'étant absenté de la caserne est resté dehors
toute la journée. Lorsqu'il est rentré, il n'avait plus ses cartouches. Or,
messieurs, il est impossible de perdre des cartouches, à moins d'y mettre
l'intention la plus formelle ; les cartouches sont destinées à rester dans la
giberne ou dans le sac du soldat ; elles ne peuvent en sortir sous aucun
prétexte jusqu'au moment où elles sont utilisées. Ainsi, après un premier tort
bien grave, celui de s'être absenté lorsque la troupe était consignée, le
colonel Vanderlinden en avait un autre à reprocher au caporal Mackintosh, celui
d'avoir prétendument égaré dans une excursion en ville des objets qu'il est
défendu de détacher du fourniment. Mais j'ai, messieurs, d'autres erreurs à
rectifier.
L'honorable M. Zoude parle d'un cachot infect. J'ai des détails très
exacts sur les cachots de la caserne de Sainte-Elisabeth. Ces renseignements,
je n'ai voulu les demander ni au chef de corps, ni aux officiers de santé du
régiment d'élite. J'ai fait prendre des renseignements par un médecin étranger
au régiment. Il résulte de ces renseignements que ce cachot infect a une
hauteur de 3 mètres 86, une profondeur de 5 mètres 56, une largeur de 2 mètres
34, qu'il reçoit le jour par un corridor à 3 mètres de hauteur, enfin qu'il est
garni de deux lits de camp.
Il vous a été dit également que le caporal Mackintosh avait été enfermé
dans un lieu infect, sur de la paille fétide. Or, la paille ne pouvait pas être
fétide par l'excellente raison qu'il n'en entre jamais un brin dans les
cachots, ni dans les salles de police. L'on y trouve des lits de camp. Donc
aucune fétidité à redouter.
On a dit aussi que le caporal Mackintosh avait contracté en prison une
maladie honteuse. Comment aurait-il contracté cette maladie honteuse en
couchant sur des planches, et quand il n'avait de contact avec personne ? Il
fallait qu'il eût en lui le germe de la maladie, ou plutôt, je suis obligé de
le dire, que cette maladie provînt de sa malpropreté. J'ai sous les yeux la
liste de ses nombreuses punitions, elle démontre qu'il était souvent puni pour
extrême malpropreté.
On ne peut donc faire un grief ni au gouvernement, ni au colonel de
cette maladie, ni d'avoir mis le caporal Mackintosh dans un cachot infect, dans
un lieu fétide.
J'arrive au fait principal.
Le lendemain de l'arrestation du caporal Mackintosh, le colonel reçut
une lettre dans laquelle on le menaçait du poignard, s'il ne levait pas les
punitions données la veille, et le jour même que le colonel avait reçu cette
lettre, le caporal Mackintosh demanda à un de ses camarades dont j'ai le nom :
« Le colonel n'a-t-il pas reçu une lettre où on le menace ? » Comment se
fait-il que le caporal, qui se trouvait en prison, pût avoir connaissance de
cette lettre ? On compara cette pièce avec l'écriture du sieur Mackintosh, et
on crut reconnaître entre elles une grande identité. Jusqu'à présent rien n'est
prouvé à cet égard. Car l'honorable M. Zoude nous dit que si certains experts
n'ont pas reconnu l'identité entre les écritures, d'autres ont cru la
reconnaître.
Cependant, le colonel arrive à la caserne, irrité de cette lettre qui
n'était, certes, pas de nature à le satisfaire. Apprenant que le caporal venait
de demander s'il ne l'avait pas reçue, il s'approche de lui, lui donne une
bourrade et lui dit : J'ai reçu de vos nouvelles, mais vous recevrez des
miennes.
Voilà tout ce qui s'est passé. Le caporal n'avait donc pas son fusil, il
n'était pas sous les armes. Je ne dis toutefois pas ceci pour excuser la
conduite du colonel. Je vois dans le rapport de l'honorable M. Zoude que la
commission exprime son regret à l'égard de ce qui a eu lieu. Je dois dire que
le colonel Vanderlinden a été le premier à me manifester les mêmes regrets, il
me les a exprimés par écrit. Au reste il avait commis une faute, et comme je
n'en tolère pas dans l'armée, j'ai puni le colonel Vanderlinden.
On dira peut-être que je ne l'ai pas puni très sévèrement ; mais je lui
ai infligé une punition proportionnée à la faute qu'il avait commise, et
j'étais fort heureux de trouver dans nos règlements militaires le droit de ne
pas user de trop de sévérité.
Il y a un article de ces règlements qui dit : « En infligeant les
punitions, on devra surtout avoir soin de faire une distinction entre ceux des
subordonnés qui ne commettent que rarement des fautes et ceux à qui il arrive
souvent d'en commettre. » Or, messieurs, nul de nous n'est infaillible, le
colonel Vanderlinden n'est pas exempt de la règle commune (page 1828) mais il est bien rare qu'il mérite des reproches. C'est
un des officiers les plus honorables de notre armée, un de ces hommes qui, au
moment de la révolution, ont abandonné tous leurs intérêts pour se dévouer au
service du pays. Il n'avait, il est vrai, aucune connaissance de l'état
militaire, mais il s'est appliqué avec le plus grand zèle à l'étude de son
métier et aujourd'hui c'est un officier respectable sous tous les rapports et
dont je me plais à reconnaître le mérite et lé dévouement.
J'avais donc le droit d'indulgence ; j'en ai usé, je crois avoir bien
fait : et j’espère que la chambre m'approuvera. (Certainement ! Certainement !)
Messieurs, il est très fâcheux pour le caporal Mackintosh qu'on ait
donné de telles proportions à cette affaire. Si ses parents avaient bien
entendu ses intérêts, ils auraient laissé ce jeune homme subir sa punition. Il
y longtemps qu'elle serait terminée, presque oubliée ; il serait rentré dans
les rangs et tout serait fini. Aujourd'hui, Dieu sait ce qui lui arrivera. Ce
n'est pas notre faute, s'il en est venu si loin.
Il y a encore, dans le rapport de l'honorable M. Zoude, une observation
dont je demande à dire quelques mots ; c'est celle qui est relative aux
désertions que l'on remarque, dans dans l'armée, désertions que l’on attribue
au trop de sévérité de la part de certains chefs.
Je dois déclarer que si je me fais un devoir
de punir les fautes qui me sont connues, je m'en fais un autre de recommander
aux chefs de l'armée d'user avec modération de leur pouvoir, et depuis que j'ai
l'honneur de me trouver au ministère, je n'ai eu que très peu d'actes de
sévérité intempestive à réprimer. Du reste, je tiendrai la main à ce que
toujours Justice soit faite, et soit faite avec l'indulgence que mérite
généralement. le jeune âge de nos soldats.
Quant aux désertions, messieurs, on peut les attribuer d'abord à la
jeunesse et à l'inexpérience de ceux qui sont appelés sous les armes. Mais on
peut les attribuer aussi au désir de changement qui se manifeste quelquefois
parmi nos militaires, dont le plus grand nombre désertent à l'étranger, surtout
pour aller servir en Algérie.
Je le répète, je tiendrai la main à ce que justice soit faite à tout le
monde et sans rigueurs inutiles.
M. de Garcia. - Je regrette, messieurs, comme l'honorable ministre de la guerre, que
la chambre ait été saisie de la plainte dont il s'agit. Tout en remerciant M.
le ministre de la guerre de la modération et de la justice qu'il a apportées
dans ses explications, je dois l'engager fortement à veiller à ce que les
officiers ne manquent pas d'égards envers le soldat ; jamais un homme de cœur
ne pourra se laisser frapper par son chef, quelque élevé qu'il soit en grade,
sans s'exposer à de graves inconvénients.
Je pourrais citer à l'appui de cette assertion un fait qui s'est passé
sous mes yeux, dans le corps où j'avais l'honneur de servir. Un colonel menaça
un sous-officier et, devant cette seule menace, s'il ne s'était sauvé avec
précipitation, il était frappé de mort par le sous-officier contre lequel il
avait tiré son sabre. C'est un devoir pour le gouvernement de veiller à ce
qu'il ne soit posé aucun acte de violence et de brutalité contre le soldat.
La désertion qui existe dans l'armée et qu'on signale dans le rapport
qui vient d'être présenté, provient-elle réellement de la cause indiquée par M.
le ministre de la guerre, qui la rattache surtout au désir d'aller servir en
pays étranger, notamment en Algérie, et nullement aux mauvais traitements
exercés sur les soldats ? Cette supposition est possible ; mais on peut aussi
faire la supposition contraire. Je pense, messieurs, qu'il y aurait moyen de
s'assurer de la véritable cause de la détention dont on se plaint. Je voudrais
qu'on mît à l'ordre du jour de l'armée le nom des officiers qui commandent les
compagnies où les désertions se font remarquer ; de cette manière nous
pourrions apprécier et l'armée pourrait apprécier la valeur des officiers. Je
crois que ce serait le plus sûr moyen de restreindre considérablement la
désertion ; car je suis convaincu, quant à moi, qu'elle peut être attribuée en
partie au peu d'égards et aux mauvais traitements des chefs envers les soldats.
Je le déclare, messieurs, je veux la discipline et l'honneur dans
l'armée. La discipline et l'honneur sont les seuls et les vrais intérêts d'une
bonne armée. Mais pour obtenir ce résultat, il faut le respect des soldats
envers leurs chefs, et les égards des chefs envers les soldats.
J'engage donc M. le ministre à recommander sévèrement
aux officiers de se conduire envers leurs soldats avec tous les égards
convenables. Les soldats sont enfants de la nation ; ce ne sont pas des engagés
volontaires comme dans les Etats despotiques. Notre armée n'est pas un ramassis
de gens de toute espèce ; ce n'est pas un ramassis d'hommes immoraux et sans
aveu ; nos soldats, je le répète, sont les enfants de la nation, et nous devons
exiger qu'ils soient traités avec tous les égards dus à des citoyens belges.
M. le ministre de la guerre (M.
Prisse). - Je demande pardon à la
chambre d'abuser encore de son temps. J'y suis forcé. Je partage l'intérêt que
l'honorable M. de Garcia porte à l'armée ; c'est tout naturel de ma part ; je
pense, comme lui, qu'il faut que toutes les peines disciplinaires qu'on inflige
soient empreintes de modération. Mais je ne consentirai jamais à mettre à
l'ordre du jour de l'armée les noms des officiers qui pourraient être accusés
de trop de sévérité, parce que cette mesure aurait pour effet de décourager les
bons officiers et c'est-à-dire le plus grand nombre, sans résultat utile quant
aux autres. Les chefs de l'armée doivent seuls être initiés à de semblables
détails.
M. le ministre des finances
(M. Malou). - Vous demandez sans
doute l’ordre du jour ?
M. le ministre de la guerre (M.
Prisse). - Certainement je le
demande.
M. Pirson. - Je demande la parole.
De
toutes parts. - L’ordre du jour,
l’ordre du jour.
M. Pirson. - J'avais demandé la parole lorsque j'ai entendu l’honorable M. de
Garcia attribuer la désertion. dans l'armée aux mauvais traitements auxquels
les soldats sont exposés de la part des officiers, et demander la mise à
l'ordre du jour de l'armée, des noms des officiers des compagnies auxquels les
déserteurs appartiennent.
Je voulais réfuter l'assertion que les soldats seraient maltraités dans
nos régiments... (L'ordre du jour !
l'ordre du jour !) et combattre la proposition de faire mettre à l'ordre du
jour de l'armée, les noms des officiers des compagnies dans lesquelles des
désertions auraient lieu... (L'ordre du
jour ! l'ordre du jour !)
Puisque la chambre paraît ne pas admettre les observations que vient de
présenter l'honorable M. de Garcia, je renonce à la parole.
M. le président. - La commission a proposé le renvoi à M. le ministre de la guerre ;
mais l'ordre du jour étant demandé, je le mets d'abord aux voix.
- L'ordre du jour est adopté.
M. Zoude, rapporteur. - « Plusieurs habitants de Turnhout réclament l'intervention de la
chambre pour empêcher l'administration de cette ville d'abandonner gratuitement
à une corporation religieuse, l'ancien couvent des Bons-Enfants. »
Plusieurs habitants de Turnhout exposent à la chambre que, par
délibération du 15 mars et du 19 juin 1845, le conseil communal aurait cédé
gratuitement à une corporation religieuse le ci-devant couvent des
Sépulchrines, pour y établir une école d'enseignement moyen ; que le conseil se
serait engagé en outre à approprier le bâtiment à sa nouvelle destination, à de
lui fournir un subside annuel de 2,000 fr.
Ils ajoutent que cette aliénation est faite en faveur des pères
jésuites, sans que le conseil se soit même réservé son intervention dans la
surveillance du collège.
Ils exposent ensuite que le bâtiment est utile à la ville pour le
casernement de la gendarmerie et pour d'autres services d'un grand intérêt
public ; ce qui n'a pas été suffisamment apprécié par le conseil ; cependant,
pour rendre les bâtiments propres à ces divers usages, on avait dû recourir à
un emprunt de 24,000 fr.
Ils disent ensuite que cette délibération fut transmise à l'autorité
provinciale pour être envoyée au gouvernement, à l'effet d'obtenir
l'autorisation requise.
Qu'une enquête de commodo et incommodo sur l'utilité d'un autre projet
fut ordonnée, qu'elle eut lieu le 18 mai, et que deux jours après ils virent
dans le Moniteur que, par arrêté sous la même date du 18 mai, le gouvernement
avait approuvé la délibération du conseil.
Les pétitionnaires demandent l'intervention de la chambre pour éclairer
le gouvernement sur les intérêts de leur commune qu'ils disent sacrifiés.
Votre commission, en présence de faits aussi graves, a cru devoir
prendre des renseignements sur l'objet de cet arrêté du 18 mai, et voici ce
qu'elle a recueilli à cet égard, c'est que cet arrêté ne concerne point la
délibération du conseil sur la cession des bâtiments dits des Sépulchrines, mais
bien l'acquisition à faire d'une propriété destinée au casernement de la
gendarmerie et à une boucherie, ainsi qu'à la vente à faire à des religieuses
des bâtiments et terrains formant le restant de l'ancienne église des
Récollets.
Il résulte donc de ces renseignements ; que
l'arrêté royal du 18 mai est étranger aux délibérations du conseil des 15 mai
et 19 juin relatives à la cession du bâtiment qui serait destiné à
l'établissement d'un collège.
Dans cet état de choses, votre commission a l'honneur de vous proposer
le renvoi de cette pétition au département de l'intérieur, avec demande
d'explication.
M. de Bonne. - Dans les pièces jointes à cette pétition ne se trouve pas la copie
authentique du procès-verbal tenu dans la séance du conseil de la commune où la
cession ou donation du couvent des Bons-Enfants a été autorisée, non plus que
la copie de l'acte, passé avec les révérends pères. Il est à remarquer, qu'une
acquisition doit être faite pour remplacer le couvent des Bons-Enfants cédé en
vertu d'une décision du conseil communal. On a demandé copie de toutes ces
pièces ; il a été impossible de les obtenir, la commune les a refusées. M. le
ministre est à même de les demander et de les obtenir pour les joindre aux
pièces, afin que nous puissions en prendre connaissance.
Je ferai observer qu'il ne s'agit pas d'une
cession à notre clergé national, mais à un clergé exotique, car l'ordre des
jésuites n'est pas national.
Je demande que M. le ministre communique à la chambre copie, des pièces
que je viens d'indiquer.
M. le ministre de
l’intérieur (M. de Theux). - La
commission a proposé le renvoi avec demande d'explications. Je donnerai des
explications.
M. Dubus (aîné). - En réponse à
ce que vient de dire l'honorable M. de Bonne, je dirai qu'il n'y a,
relativement aux bâtiments dont il vient de parler, ni cession, ni donation, ni
aliénation ; il y a eu à Turnhout ce qu'il y a eu dans beaucoup de localités de
la Belgique, l'administration communale a cédé l'usage d'un édifice qui était
autrefois affecté à l'enseignement moyen, à la condition d'y établir un collège
d'humanités, et à consacrer un subside à l'établissement de ce collège ; mais
la commune demeure propriétaire de l'édifice, à telles enseignes qu'elle est
chargée d'y faire les grosses réparations nécessaires. Il n'y a donc là ni
cession, ni aliénation ; il ne s'agit que de la mise à la disposition d'une
association (page 1829) religieuse,
d'un édifice affecté à l’enseignement moyen, à la charge d’y donner ce
renseignement.
M. le président. - M. Dubus, j’avais demandé si personne ne demandait la parole sur les
conclusions du rapport de la commission, et c’est après cela que j’ai mis les
conclusions aux voix et que je les ai déclarées adoptées.
M. le ministre de
l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, je puis déclarer que les faits
annoncés par l'honorable M. Dubus sont très exacts ; mais j’ai entendu que la
commission conclut à une demande d'explications ; je fournirai ces
explications.
PROJET DE LOI
ACCORDANT DES CREDITS SUPPLEMENTAIRES POUR DES TRAVAUX RELATIFS AU CANAL DE LA
CAMPINE, AU CANAL DE ZELZAETE ET AU POLDER DE LILLO
M. Mast de Vries. - J'ai
l'honneur de déposer le rapport de la commission qui a été chargée d'examiner,
une demande de crédits pour le service des canaux de la Campine et de Zelzaete,
et pour le réendiguement du polder de Lillo. Ces crédits doivent être votés
dans cette session. Si, après le vote de la convention, la chambre se réunit
encore, on pourrait fixer le vote des crédits à la séance prochaine ; mais s'il
y a un parti pris de ne plus se réunir, il faudrait voter les crédits
d'urgence, car les sommes sont exigibles.
M. Osy. - Je demande que les crédits dont il s'agit viennent à la suite des
objets indiqués dans le bulletin de convocation, et que le chemin de fer de
Manage vienne immédiatement après la convention ; si on ne s'occupe pas de ce
projet en ce moment, on ne le votera pas cette année, et les actionnaires
retireront leur cautionnement.
M. le
ministre des finances (M. Malou). -
Messieurs, je ne m'oppose pas à ce qu’on donne la priorité au chemin de fer de
Manage sur le projet de loi relatif à la fabrication des pièces d'or.
Cependant, en ce qui concerne les crédits sur lesquels l'honorable M. Mast de
Vries vient de faire rapport, je ferai remarquer qu'ils s'appliquent à des
dettes exigibles. Il s'agit notamment du réendiguement du polder de Lillo ; je
crois qu'il n'y aura qu'un simple vote : la dépense a déjà été sanctionnée par
la chambre et il faut la payer. Je demande donc que l'on vote ce crédit
aujourd'hui ; l'ordre du jour pourrait ensuite être réglé comme l'indique
l'honorable M. Osy.
M.
Dedecker. - Messieurs, je ne m'oppose
pas à ce qu'on examine dans ce moment le projet sur lequel l'honorable M. Mast
de Vries vient de faire rapport ; mais d'un autre côté, je désire qu'on
maintienne l'ordre du jour qui a été fixé dans la séance d'hier. On a décidé
que les crédits supplémentaires, demandés au budget de l'intérieur, viendraient
après la convention ; parmi ces crédits, il en est qui ont un caractère
d'urgence, et notamment celui qui concerne le jury d'examen. Je demande que ces
crédits soient mis en discussion avant les objets qui ont été indiqués par
l'honorable M. Osy, en d'autres termes, que l'ordre du jour soit maintenu tel
qu'il a été fixé hier.
M. le ministre de
l’intérieur (M. de Theux). -
Messieurs, les observations de l'honorable M. Dedecker sont parfaitement justes
: parmi les crédits supplémentaires demandés au budget de l'intérieur de
l'exercice 1845, il en est qui sont d'une urgence extrême. Ainsi, par exemple,
les primes pour abatage de bestiaux infectés, sont encore dues en partie, parce
que les crédits alloués au budget de 1845 ont été insuffisants. Or, on sait que
le payement de ces indemnités ne peut guère être différé. Je demande donc que
la chambre veuille maintenir l'ordre du jour, sauf à le modifier, en ce qui concerne
la fabrication de la monnaie d'or, comme l'a proposé M. le ministre des
finances. Les crédits dont il s'agit ne peuvent pas prendre beaucoup de temps,
et contrairement à ce qu'a dit l'honorable M. Osy, je crains que si l'on vote
auparavant les objets d'un caractère plus général qui ont été indiqués par cet
honorable membre, la chambre ne soit plus en nombre pour voter les crédits.
II vaut beaucoup mieux vider ces questions de
crédit d'abord, parce qu'on restera pour s'occuper des objets d'un grand intérêt.
Je demande que la chambre ne s'ajourne pas aujourd'hui, parce que probablement
le gouvernement sera dans le cas de faire une communication dans la séance de
lundi. La session ne durera plus longtemps, mais il y a encore quelques objets
importants qu'il est indispensable de voter avant de se séparer.
M. Osy. - On propose de voter immédiatement les crédits sur lesquels
l'honorable M. Mast de Vries vient de faire un rapport.
Je m'y oppose formellement, parce que je vois qu'il s'agit là d'une
dépense de 200,000fr. que nous devons examiner à fond. Nous votons pour les
ingénieurs des sommes considérables au budget et on nous demande encore
aujourd'hui 200,000 francs de crédits supplémentaires.
M. le ministre a promis de déposer sur le
bureau les états de dépenses.
Je demande qu'on ajourne la discussion jusqu'à ce que M. le ministre ait
déposé les tableaux qu'il a promis. Je m'oppose également à ce qu'on vote les
crédits demandés pour le département de l'intérieur, parce qu'ils doivent soulever
beaucoup d'observations et que le rapport n'est pas imprimé.
Je demande le maintien de l'ordre du jour imprimé ; et quant au rapport
de l'honorable M. Mast de Vries, je demande qu'il soit mis à la suite des
objets à l'ordre du jour.
M. Mast de Vries, rapporteur. -
L'observation de l'honorable M. Osy sur les demandes de crédit pour les
ingénieurs est exacte ; j'ai demandé l’état détaillé des dépenses ; M. le
ministre a proposé de le déposer sur le bureau dans la séance d'aujourd'hui.
Mais je ne puis admettre la proposition de renvoyer la discussion de la demande
de crédit sur laquelle je viens de faire rapport, après le chemin de fer de
Manage. Je crois qu'il faut la fixer soit après la convention, soit après les crédits
demandés pour le département de l'intérieur.
M. Delfosse. - M. le ministre vient de demander qu'il y ait séance lundi, que
peut-être le gouvernement aurait une communication à nous faire. J'espère que la
chambre est de cet avis ? (Oui ! oui !)
- La discussion du projet de loi sur lequel rapport vient d'être fait,
est fixée après le vote de la convention avec la France.
PROJET DE LOI
APPROUVANT LA CONVENTION COMMERCIALE CONCLUE AVEC LA FRANCE
Discussion générale
M. Eloy de Burdinne. - Messieurs, la malheureuse position des classes ouvrières des
Flandres m'intéresse au plus haut degré, j'y prends le plus vif intérêt comme
je prends à toutes les classes ouvrières.
Si le traité qui nous est soumis devait sauver l'industrie linière du
naufrage, je serais entraîné, je voterais en sa faveur ; mais je n'ai pas foi
dans ses résultats. Je crois qu'il ne donnera pas les fruits qu'on en attend et
que le sacrifice que nous faisons envers la France sera fait en pure perte. En
un mot, le traité qui nous est soumis est considéré par moi, comme un traité de
dupe ; nous donnons 4 pour avoir 1.
Comme il pourrait bien arriver que le traité fût rejeté et qu'il est
urgent de prendre des mesures en faveur de l'industrie linière, je crois que
l'amendement de l'honorable M. Osy, modifié, protégera bien plus cette
industrie que le traité qui nous est soumis.
J'ai donc l'honneur de vous proposer le sous-amendement suivant, à la
proposition de M. Osy :
« Je propose :
» 1° De substituer deux ans à six ans, et un million à quinze cent mille
francs ;
« 2° D'ajouter à la fin du paragraphe premier, les mots suivants :
provenant de la filature à la main. »
Nous ne devons pas nous engager pour 6 ans ; 2 ans suffisent pour
apprécier l'effet de cette disposition.
Un million me paraît suffire. On pourra augmenter ce subside.
C'est particulièrement la filature à la main que nous devons soutenir en
donnant des primes ou en fournissant le lin à bon marché.
La filature à la mécanique peut lutter avec les fabriques anglaises.
Pour ne pas déranger l'équilibre de nos budgets, on pourrait prendre,
sur la consommation du sucre, un million ; pour cela on doit faire en sorte que
l'accise sur les sucres rapporte quatre millions, soit un million de plus que
le ministre ne demande.
S'il avait été possible d'amender quelques articles du traité, entre
autres les articles 7 et 8, j'en aurais fait la proposition ; si j'avais eu mission
de prendre part à la discussion du traité, je n'aurais pu consentir à frapper
de mort une industrie qui a vie pour en soutenir une autre à l'agonie et qui ne
peut être sauvée par le traité qui nous est soumis.
On me répondra peut-être que tous les moyens ont été mis eu usage pour
obtenir de meilleures conditions et qu'il n'est pas possible d'en obtenir de
meilleures. On me dira : Le traité est à prendre ou à laisser.
Eh bien, si on me fait cette objection, je répondrai que je laisse et
que je ne prends pas des marchés ruineux ; je ne puis consentir à anéantir une
industrie (l'industrie lainière) qui prospère et qui a vie, pour traîner
l'existence d'une autre industrie qui est sur le point de mourir.
Je ne consentirai pas à ce que le gouvernement continue plus longtemps à
faire un sacrifice de près d'un million annuellement pour donner de l'espoir à
l'industrie lainière ; mieux vaudrait, selon moi, distribuer un million aux
classes pauvres des Flandres, comme encouragement ; au moins cette dépense
produirait quelque fruit. Quoique vous fassiez, vous ne parviendrez pas à
remettre à flot la filature à la main ; je vous en dirai tout à l'heure les
motifs.
Ne perdez pas de vue, messieurs, que vous démolissez pièce par pièce
toutes nos industries. Il y a huit jours, vous avez porté un coup fatal à
l'industrie sucrière belge en faveur de l'industrie sucrière brésilienne et
autre, étrangères. Aujourd'hui vous donnez le coup de mort à l'industrie
lainière, vous ôtez le pain à une masse de travailleurs.
En vérité, messieurs, les hommes qui donnent la main à des actes
semblables peuvent être soupçonnés de ne pas faire partie de la nation belge ;
mais ce qui doit le plus surprendre, c'est de voir deux de nos ministres
soutenir de semblables dispositions. On serait tenté de croire, d'après leur
conduite, qu'ils sont d'origine française par leur père et d'origine
brésilienne par leur mère.
Ce sont les intérêts étrangers qu'ils soutiennent contre les intérêts du
pays qui leur a donné le pouvoir de gouverner la Belgique. La postérité les
jugera. Si un jour on leur élève des statues, ce ne pourra être qu'au Brésil,
au Cuba et en France pour avoir fait usage de leur talent en faveur de ces
nations.
Si nous n'avions pas d'autres moyens d'occuper les classes ouvrières, la
question serait plus difficile ; mais le proverbe dit : Qui cherche trouve.
Nous avons des moyens de donner du travail à nos populations, mais nous
ne le voulons pas. Vous venez de laisser échapper une belle occasion. Si vous
aviez protégé, comme on aurait dû le faire, l'industrie sucrière indigène, on
aurait pu (et on l'aurait fait) construire 25 à 30 fabriques de sucre dans les
deux Flandres ; et à ces fabriques et à la culture de la betterave on aurait
employé plus de 20 mille ouvriers qui auraient vécu de ce travail, tout en
réduisant le nombre des fileurs à la main.
D'autres industries peuvent également surgir, et en les protégeant, ou
parviendrait à faire disparaître le paupérisme des Flandres, en donnant du
travail aux classes nécessiteuses des deux provinces les plus peuplées.
L'arrondissement qui a envoyé M. Malou à la chambre, compte environ
mille ouvriers qui vont en France travailler aux sucreries françaises ;
établissez des sucreries belges.
(page 1830) Si vous aviez de
ces fabriques en Belgique, je le répète, mille individus ne seraient pas
obligés de s'expatrier pour gagner leur vie en faisant des dépenses à
l'étranger ; ils vivraient chez eux du produit de leur travail, avec leur
famille. Ah ! croyez-moi, ne persistez pas à vouloir lutter contre la filature
à la mécanique, au moins sur une grande échelle.
Réduisez autant que vous le pouvez la filature à la main, en cherchant à
procurer du travail à vos ouvriers, au moyen d'autres industries et du
défrichement des bruyères.
Les toiles provenant de la filature à la main seront toujours
recherchées par quelques consommateurs, j'en conviens ; mais le plus grand
nombre donnera la préférence au beau et au bon marché, et c'est ce qu'on
obtient par la filature à la mécanique.
Soignons les intérêts des classes ouvrières par d'autres moyens que ceux
qu'on nous propose, qui tous ne produiront que peu ou point de résultats,
comparativement à la dépense qu'ils réclament.
Soignons l'intérêt de nos industries, mais ne démolissons pas nos
fabriques neuves, pour étayer de bois vermoulu celles qui sont sur le point de
s'écrouler, et qui, malgré nous, et quoi que nous fassions, disparaîtront dans
un temps plus ou moins rapproché, après que nous aurons fait des dépenses
énormes en pure perte.
Permettez-moi, messieurs, de vous indiquer un autre moyen de donner de
l'ouvrage à la classe pauvre. Nous avons 1,800,000 hectares de terres cultivées
; la statistique ne porte pas un chiffre aussi élevé ; mais depuis les
opérations cadastrales, une grande quantité de terrains ont été mis en culture,
des bois ont été défrichés qui maintenant sont en état de produire des
betteraves et des céréales. La statistique, déplus, indique : comme jardins des
enclos où l'on cultive les grains et la betterave. Sur 1,800 mille hectares,
800 mille au plus sont cultivés en céréales ; le reste est cultivé en avoine et
marsage, mais la plus grande partie en plantes fourragères ; je distrairai
seulement 150,000 hectares de terres servant à produire la nourriture du
bétail, ces 150,000 hectares cultivés en betteraves à 1,435 kil. de sucre par
hectare vous donneront 215 millions de kil. de sucre propre à la consommation.
En alcool ils vous produiront environ 400,000 hectolitres. (Interruption.)
L'honorable M. Mast de Vries m'interrompt pour me dire que cela nous
griserait. Si l'honorable membre a tant de dispositions à s'enivrer, il peut
très bien s'enivrer avec l'alcool que produit le seigle. Mais s'il veut
s'enivrer avec l'alcool venant de la betterave, alors on conservera le seigle
pour le donner aux malheureux. Voilà où sera l'économie.
Mais là n'est pas la question. La grande question est d'employer la
classe ouvrière. Or, messieurs, 200,000 individus seraient employés tant à la
culture de la betterave qu'à la fabrication du sucre, et remarquez-le, les
classes employées à cette culture sont en général les classes les plus faibles
; ce sont des vieillards, ce sont des femmes, ce sont des enfants, qui,
trouvant à gagner leur vie dans cette culture, ne seraient plus à charge aux
bureaux de bienfaisance et aux hommes bienfaisants et philanthropes des deux
Flandres qui leur donnent du lin à bon marché.
C'est assez vous dire, messieurs, que si l'on
n'adopte pas un autre moyen que celui qui vous est proposé, je serai obligé de
repousser le traité que l'on nous soumet, parce que c'est un traité de dupe,
parce qu'on agit envers nous comme les usuriers envers les enfants de famille à
qui ils prennent tout ce qu'ils peuvent pour leur donner fort peu de chose.
- Le sous-amendement de M. Eloy de Burdinne est appuyé.
M. le ministre des affaires
étrangères (M. Dechamps). - Je
comprends que la chambre est fatiguée. Cependant comme mon intention est
d'examiner le traité dans son ensemble, dans ses détails, de répondre aux
orateurs qui l'ont attaqué, j'espère, messieurs, que la chambre voudra bien
m'accorder un peu d'attention. (Mouvement
d'attention.)
Je ne veux pas, messieurs, considérer le traité comme une conquête,
comme un succès. Je ne le présente pas comme devant régler définitivement nos
relations avec la France. Mais je le défends comme un acte nécessaire, comme un
acte utile dans le présent, comme la condition du maintien de nos relations
générales avec la France, comme le gage de nos espérances dans l'avenir.
C'est un acte nécessaire dans le présent. Et en effet, messieurs, il ne
faut pas de longue démonstration, pour vous faire comprendre que par le traité
seul on évitera de jeter l'industrie linière dans une perturbation immédiate et
profonde. Chacun comprend, si le marché français était immédiatement fermé pour
cette industrie, quels seraient les résultats de ce déficit de 18 à 20 millions
de francs qui existerait à l'instant même dans la circulation du numéraire dans
les Flandres. Car il ne faut pas oublier, messieurs, que ces 18 à 20 millions
de fr. sont convertis presque en totalité en salaires pour près de 400,000
ouvriers.
On a parlé de primes : les primes peuvent servir peut-être à développer
une industrie nouvelle ; mais elles seraient impuissantes à soutenir une
industrie ancienne, si le marché français lui était immédiatement fermé.
C'était donc un acte nécessaire, utile au point de vue de la position de
notre industrie linière. Fermer le marché français avant d'en avoir trouvé
d'autres, ce serait jeter dans la misère trois à quatre cent mille ouvriers,
dont le sort est lié à celui de l'industrie linière dans ses rapports avec le
marché français.
J'ajouterai que le traité était un acte nécessaire pour le maintien de
nos rapports généraux avec la France. C'est ici que la question devient grave.
L'honorable M. Dumortier a déclaré hier que le rejet du traité
n'amènerait pas la cessation de ces rapports avec la France, n'amènerait pas
une rupture de ces relations. L'honorable membre ne me paraît pas avoir examiné
cette question avec assez de sang-froid, et d'après une exacte appréciation des
faits.
Il a semblé croire que si le traité du 13 décembre n'était pas ratifié
par vous, les avantages réciproques résultant de la convention du 16 juillet
1842 viendraient seuls à tomber ; c'est-à-dire que l'industrie linière, soumise
au régime de l'ordonnance du 26 juin 1842, serait frappée d'un double droit (ce
qui serait déjà un grand mal), que d'un autre côté les vins, les soieries et le
sel de France rentreraient sous le régime de notre tarif général.
Je crains bien que ce ne serait là qu'une erreur.
II me suffira de rappeler à la chambre quelques faits pour la convaincre
que le rejet du traité pourrait véritablement compromettre nos relations
générales avec la France.
En effet, si le traité n'était pas ratifié, les fils et les toiles de
lin de Belgique seraient, comme je vous le disais, frappés, par l'ordonnance du
26 juin 1842, de doubles droits, de droits prohibitifs.
Or, n'est-il pas vrai de dire qu'en Belgique chacun dirait au
gouvernement, et l'honorable M. Dumortier qui éprouve à un haut degré le
sentiment de la dignité nationale serait le premier à dire au gouvernement :
Comment ! On n'avait voté la loi de 1838 que parce que la France avait accordé
des avantages à l'industrie linière par la loi de 1836 ; on a toujours
considéré ces deux lois comme des lois de réciprocité, des lois bilatérales,
comme les ministres français l'ont eux-mêmes reconnu en France à une certaine
époque. Depuis la loi de 1836, ajouterait-on, l'ordonnance de 1840 et la loi du
6 mai 1841 ont successivement retiré les avantages qui avaient été faits à la
Belgique. Lorsque l'ordonnance du 26 juin 1842 a été rendue en France, nous
pouvions espérer être maintenus dans l'exception, puisque la France voulait se
garantir, non contre la concurrence belge, mais contre la concurrence anglaise.
Si par le rejet du traité, notre industrie linière était frappée de
doubles droits, ne nous rappellerait-on pas tous ces faits pour exiger du
gouvernement tout au moins le retrait de la loi belge de 1838 ?
Le gouvernement résisterait à ces plaintes qui au fond seraient justes,
et s'il y résistait, l'honorable M. Dumortier, au nom de la dignité et de
l'intérêt du pays, ne viendrait-il pas tout le premier le lui reprocher ? Nous
serions poussés inévitablement dans la voie des représailles et de la rupture.
Mais le gouvernement français n'y serait-il pas poussé non plus de son
côté ? Je vous ai indiqué la thèse belge ; voici quelle serait la thèse
française :
Il ne faut pas oublier que, depuis 1842, nous avons posé des actes qui,
si le traité était rejeté par nous, seraient considérés comme ayant un
caractère d'hostilité pour la France.
Par le traité conclu avec le Zollverein, la Belgique a accordé, aux vins
et aux soieries de l'Allemagne, la jouissance de la réduction des droits sur
les vins et sur les soieries accordée aux vins et aux soieries de France par la
convention de 1842.
Si le traité n'était pas ratifié, il en résulterait que les vins et les
soieries de France seraient frappés de droits plus élevés que les vins et
soieries d'Allemagne, pendant toute la durée du traité du 1er septembre. C'est
alors que le traité du 1er septembre, qui n'a aucun caractère d'hostilité
relativement aux intérêts français, revêtirait ce caractère aux yeux de la
France.
Ces faits ne sont pas les seuls.
Depuis 1842, le gouvernement belge a pris l'arrêté du 14 juillet 1845
sur les fils et les tissus de laine et celui du 13 octobre 1844 sur les cotons.
Si le traité français n'était pas ratifié, la France se trouverait en
présence de ces deux arrêtés, c'est-à-dire que son industrie cotonnière, son
industrie lainière seraient frappées de droits nouveaux.
Le résultat qu'il y aurait à craindre de la non ratification du traité
est celui-ci. La France n'aurait pas besoin de nous frapper de mesures directes
de représailles ; elle pourrait nous dire : Vous frappez nos vins, nos
soieries, nos tissus de laine et de coton de droits exceptionnels ou plus
élevés qu'en 1842 ; le moins que je puisse faire, c'est de faire cesser la
protection différentielle dont jouissent sur la marché français la houille et
la fonte belge. N'est-il pas à craindre que la France fasse cesser cette
protection le jour où vous la frappez de droits exceptionnels, de droits
nouveaux ?
Ce qui pourrait faire croire que cette crainte n'est pas sans fondement,
ce sont les paroles que M. le ministre des affaires étrangères de France a
prononcées deux fois à la tribune française. Vous savez que M. Guizot a
constamment, depuis deux ans, mis en corrélation les privilèges dont nous
jouissons sur le marché français pour l'industrie linière, pour la houille et
pour la fonte, avec les privilèges accordés sur le marché belge aux vins, aux
sucres et aux laines, par le traité actuel. Si ces privilèges venaient à cesser
pour la France, n'est-il pas à craindre que la France en tirât cette
conclusion, annoncée d'avance à la tribune française, par M. Guizot, que le
système des zones sur la houille et la fonte serait aboli au profit de
l'Angleterre ? N'est-il pas à craindre qu'on établisse le droit commun pour
tous nos produits ?
La France n'élèverait pas peut-être le droit sur les fontes et sur les
houilles belges ; mais ce qui serait possible, c'est qu'elle abaissât les
droits sur les frontières maritimes, c'est qu'elle ferait cesser le système des
zones.
(page 1831) M. David. - Qu'est-ce que cela nous
fait ?
M. le ministre des affaires
étrangères (M. Dechamps). - Cette
interruption me prouve que l'honorable membre n'a pas étudié cette question.
Cela fait que nous perdrions le marché de Rouen, que nous avons recouvré en
partie depuis plusieurs années, et peut-être le marché de Paris tout entier. Je
connais bien l'obstacle à la réalisation de cette mesure ; notre cause serait
plaidée par les charbonnages de St-Etienne ; mais d'autres intérêts, le Havre
et Rouen plaideraient la cause de l'Angleterre.
Quoi qu'il en soit, quelqu'un oserait-il répondre que le rejet du traité
n'entraînerait pas ces conséquences ? Pour moi, je ne voudrais pas assumer
cette responsabilité.
Je me hâte de dire que je regarde comme peu juste et peu vraie la
prétention de la France. Je sens le besoin d'y opposer ici quelques
observations. Ce que je vais dire n'est pas dans une intention de récrimination
à l'égard du gouvernement français. Les deux pays se doivent la vérité sans
réticence, nous n'avons l'un et l'autre qu'à gagner à cela.
Cette prétention française, je la regarde comme peu juste, comme peu
vraie. En effet, lorsqu'on prétend que les privilèges accordés à la houille et
à la fonte belges sont des actes d'une politique libérale envers la Belgique,
on oublie que ces privilèges datent, l'un de 1816, l'autre de 1822 ; que nous
en avons joui pendant que l'hostilité commerciale et politique existait entre
le royaume des Pays-Bas et la France de 1822 à 1830, ce qui prouve que c'était
l'intérêt français qui avait dicté cette mesure. On oublie que les privilèges
de 1816 et de 1822 ont été altérés depuis 1830 par les ordonnances de 1837 et
de 1840. On a modifié, à ces deux époques, le système des zones à l'égard des
houilles et des fontes d'une manière défavorable aux intérêts belges. On a
étendu pour la fonte la zone de faveur aux frontières d'Allemagne, et pour la
houille on nous a dépossédés du marché de Dunkerque et du littoral de la
France.
Avant 1837, le bassin de Mons envoyait annuellement à Dunkerque 1,200
bateaux de houille qui étaient distribués sur le littoral par le cabotage
français.
L'ordonnance de 1837 nous a dépossédés de ce marché ; nous l'avons
perdu, ainsi que celui de Rouen, que nous avons reconquis en partie depuis.
Cette mesure a frappé non seulement l'intérêt belge, mais encore l'intérêt
français, en ce sens qu'en empêchant les exportations de nos houilles vers
Dunkerque on a tué le cabotage français de ces côtes, au profit du cabotage de
l'Angleterre.
Je le proclame ici, parce qu'il est utile qu'on le sache en France ; la
législation française et les relations avec la France, quant aux trois grandes
industries dont j'ai parlé, étaient meilleures en 1829 pour le royaume des
Pays-Bas, qu'en 1846 pour la Belgique alliée de 1830. (Mouvement.)
Je viens de prouver qu'en 1829, pendant les hostilités politiques et
commerciales entre le royaume des Pays-Bas et la France, la législation pour
les houilles et les fontes était meilleure. Pour l'industrie linière, chacun le
sait, nos relations étaient telles que nous exportions en produits liniers plus
du triple de ce que nous exportons aujourd'hui. Voilà les faits ; il est bon de
les dire ; il est nécessaire qu'on les connaisse.
D'un autre côté, il faut aussi ne pas oublier, je le reconnais, quelle
est pour la Belgique l'importance du marché français. Notre commerce
d'exportation vers la France forme à peu près le tiers de nos exportations
générales.
Depuis 1840, nos importations en France, en marchandises belges, ont
monté successivement de 55 millions en 1840, à 61 millions en 1842, à 67
millions en 1843, à 76 millions en 1844 et en 1845 à un chiffre que je ne
connais pas, mais que j'ai lieu de croire plus élevé.
C'est ce que la France a soin de nous rappeler. Je pose ces chiffres
afin de rencontrer les objections mêmes ; niais il est une chose qu'il serait
dangereux de méconnaître : c'est que pour apprécier exactement l'état de nos
relations avec la France, ces chiffres sont trompeurs.
A côté de ces chiffres, je vais placer des faits plus significatifs, qui
démontrent que les liens commerciaux entre la France et la Belgique, malgré
l'apparence des chiffres, tendent à se relâcher de plus en plus.
En effet, lorsqu'on examine quels sont les grands centres du commerce et
de l'industrie belge, qui sont encore sous l'influence directe de nos relations
avec la France, on doit reconnaître que la plupart de ces centres d'industrie
et de commerce sont en dehors de cette influence. Ainsi les espérances de notre
industrie métallurgique se dirigent-elles aujourd'hui vers le marché français ?
Chacun sait que non. Ces espérances sont tournées désormais vers l'Allemagne
qui, dès le lendemain du traité du 1er septembre, est devenue pour cette
industrie un marché plus important que ne l'est l'ancien débouché français.
Messieurs, je n'ai pas les chiffres sous les yeux, mais la moyenne de
nos exportations métallurgiques, pendant les années 1844 et 1845, dépasse d'un
demi-million de francs en importance sur le marché de l'Allemagne la moyenne de
nos importations métallurgiques sur le marché français. Ainsi pour l'industrie
métallurgique, pour celle des machines qui s'y rattache, le marché de
l'Allemagne devient de jour en jour plus important que le marché français ;
l'industrie métallurgique est allemande aujourd'hui par ses espérances.
Notre métropole commerciale, Anvers, notre commerce maritime sont
complétement en dehors de l'influence de nos relations avec la France. Pendant
la négociation, vous le savez, le gouvernement belge a demandé instantanément à
la France de comprendre dans les négociations l'intérêt maritime. Il y avait à
cela, selon nous, un puissant intérêt pour les deux pays : c'était de rattacher
ou traité l'intérêt des ports en France, l'intérêt maritime en Belgique. Il y
avait là un intérêt commun à satisfaire ; mais vous savez que le gouvernement
fronçais n'a pas cru devoir comprendre la question de navigation dans les
négociations.
La France, par des prohibitions ou par des droits très élevés, a
repoussé et continue à repousser nos grandes industries des cotons et de la
laine ; l'industrie de la bonneterie, l'industrie des verreries qui forment les
industries capitales en Belgique. Aucune de ces industries, messieurs, n'a de
relations avec la France.
Ainsi, messieurs, à l'heure où je vous parle, Liège, Charleroy, Anvers,
Ostende, Gand, Verviers, Tournay et Bruxelles, sont placés presque complétement
en dehors de l'influence de nos relations commerciales et industrielles avec la
France ; elles se déshabituent chaque jour davantage de ces relations.
Ainsi, messieurs, les chiffres de notre balance commerciale peuvent
grandement tromper. La vérité est qu'au point de vue des faits réels, ce n'est
pas la France dont l'influence commerciale et industrielle est aujourd'hui la
plus grande en Belgique ; ce sont d'autres nations qui nous avoisinent. Les
deux seuls liens industriels importants qui existent encore et qui nous
rattachent à la France, c'est l'industrie linière, c'est l'industrie de la
houille.
Messieurs, n'est-on pas en droit de s'étonner, je le dis tout haut, que
ce lien de l'industrie linière qui est le seul qui rattache les provinces
flamandes à la France, que ce lien de l'industrie linière, la France depuis
1836 l'use sans cesse, comme si elle voulait le briser ? A la tribune française
n'avons-nous pas entendu des orateurs prévoir avec une certaine joie le moment
où ce lien de l'industrie linière n'existerait plus ?
Messieurs, si ce lien venait à se rompre, je déclare que, malgré la
trompeuse apparence des chiffres statistiques, il n'en existerait plus aucun
essentiel entre la France et nous. Car pour la houille c'est presque une
relation nécessaire pour certains départements français ; ce n'est pas un lien
de sympathie politique. Du reste, si l'industrie linière venait jamais à être
sacrifiée dans ses rapports avec la France, il ne resterait plus à cette
puissance, pour anéantir tous nos rapports de commerce avec elle, qu'à modifier
le système de zones au profit de l'industrie anglaise ! (Mouvement.)
Messieurs, les plaintes que je viens d'exprimer, chacun l'aura sans
doute compris, n'ont aucun caractère ni d'amertume ni de blâme qui serait de
l'ingratitude envers un pays à qui nous devons beaucoup dans l'établissement de
notre nationalité ; ces plaintes sont des plaintes amies, elles sont
l'expression du désir vif, sincère, qui nous anime tous de voir nos relations
avec la France devenir meilleures, plus fécondes. (Bien.)
Si la Belgique se plaint, si je porte ces plaintes à la tribune, c'est
parce que les deux nations se doivent la vérité, comme je le disais tout à
l'heure ; c'est que notre devoir est d'éclairer, non pas le gouvernement français
qui connaît ces choses, qui sait les apprécier, mais l'opinion publique en
France que des intérêts isolés et puissants ont égarée, car c'est dans cette
opinion que nous avons rencontré jusqu'ici les plus insurmontables résistances.
Si donc nous n'acceptons le traité du 13 décembre que comme un acte
nécessaire au maintien de nos relations commerciales avec la France, c'est
surtout parce que nous le comparons à nos espérances.
Le traité, c'est la condition de ces espérances qui seraient évidemment
compromises par le rejet du traité.
Je vous ai dit, messieurs, sur quels faits reposait l'espoir de voir nos
relations s'améliorer ; je reproduis cette pensée : Il est évident que les
grandes mesures qui ont été adoptées en Angleterre auront une influence décisive
sur les nations du continent et sur la France en particulier ; il est certain
qu'il sera désormais impossible à la France d'entrer plus avant dans le système
protecteur, système qui a été la principale cause de l'amoindrissement de nos
relations avec la France.
D'un autre côté, les intérêts que le chemin de fer vient de développer,
les obstacles qu'il doit abattre, les intérêts qui se lient aux capitaux
français qui ont été versés dans nos grandes usines métallurgiques et
houillères ; tous ces intérêts sont tels que nous devons croire que désormais
nos négociations avec la France deviendront meilleures ; j'ai la conviction
profonde que je lègue à mes successeurs des négociations tout autres que celles
qui m'ont été léguées à moi-même.
J'ai dit que je considérais le traité comme un acte nécessaire et
relativement utile, que je ne le considérais pas comme devant régler
définitivement nos rapports avec la France dans l'avenir. Mais je dois
repousser de toutes mes forces les qualifications que les adversaires du traité
lui ont données ; je n'aurai pas de peine à démontrer qu'elles sont injustes ;
l'honorable M. d'Elhoungne l'a fait avant moi, et pour le dire en passant,
personne n'a essayé de lui répondre.
M. Lys. - Nous n'avons pas encore eu notre tour !
M. le ministre des affaires
étrangères (M. Dechamps). - MM.
David et Dumortier ont parlé.
Je dis que je n'aurai pas de peine à démontrer, après l'honorable M.
d'Elhoungne à qui personne n'a répondu, que le traité n'est ni un acte
humiliant, honteux, déplorable, ni une œuvre de ruine.
Messieurs, permettez-moi de dire en passant que nous devrions nous
interdire ces exagérations. Il est imprudent de semer ces exagérations, à
l'aide desquelles on inquiète et on passionne les populations qui les prennent
au sérieux. Les intérêts s'alarment si facilement ; on prend au mot les
plaintes qui retentissent à cette tribune, et vous savez, messieurs, combien de
fois nous avons vu des industries qu'on proclamait mortes (page 1832) ici, non seulement survivre à cette prédiction, mais
atteindre d'immenses développements. (Mouvement.)
J'entre dans l'examen du traité.
Le traité comprend deux choses : d’un côté, les avantages qu’il consacre
pour la Belgique ; de l’autre, les sacrifices que le traité nous impose et à
l’aide desquels nous avons acheté ces avantages.
Ce que je veux démontrer, c'est que les avantages sont plus grands qu'on
ne l'a dit ; qu'on les a beaucoup trop dépréciés ; c'est que les sacrifiées
n'ont pas l'importance qu'on leur a attribuée ; qu'on les a singulièrement
exagérés.
Examinons la position que le traité du 13 décembre fait d'abord à
l'industrie linière.
Eh bien, messieurs, j’affirme que le traité du 13 décembre, malgré la
restriction de la limitation, fait à l’industrie linière une position meilleure
que celle que lui faisait la convention du 16 juillet 1842 ; or, cette dernière
convention a été considérée dans les Flandres comme un bienfait.
Si je compare le traité, nouveau avec le traité ancien, je trouve qu'il
consacre deux améliorations, l'amélioration relative aux fractions de fil, et
l’amélioration relative aux nuances.
N’oublions pas que depuis la loi du 6 mai 1841, la Belgique n’a cessé,
dans toutes ses négociations, de chercher à obtenir de la France précisément la
réparation de ces deux griefs, concernant les nuances et l’amendement de M.
Delespaul.
Dès 1841, la Belgique est entrée en négociation avec la France, pour
obtenir, relativement à l'amendement Delespaul, la clause telle qu'elle est
écrite dans le traité du 13 décembre, et la France n'y a pas consenti. En 1842,
lors de la convention du 16 juillet, la Belgique a renouvelé sa demandé et n'a
pas été plus heureuse que la première fois. En 1841 et en 1842, l'industrie des
Flandres attachait une importance réelle à la mesure, relative à l'application
du compte-fils, que le nouveau traité renferme. J'ai sous les yeux la
correspondance de 1841, concernant cet objet ; on proclamait alors que cette
mesure entraînerait le retrait, au moins partiel, des effets de l'amendement
Delespaul.. J'ai encore sous les yeux une note d'un des plus grands fabricants
de tissus de lin, qui m'a été remise pendant la dernière négociation et qui
considérait comme une conquête à faire, l'obtention de la mesure que la France
a accordée.
Avant d'obtenir cette amélioration, on en proclamait l'utilité ; depuis
que nous l'avons, on paraît la considérer comme étant d'un médiocre intérêt ;
c'est, du reste, le sort de toutes les concessions obtenues ; la veille, elles sont
importantes, le lendemain on n'y songe plus.
L'honorable M. de Haerne a reconnu que cet avantage est réel, mais il
trouve qu'il n'est pas aussi grand que le pense le gouvernement. Il vous a dit
: La mesure relative à l'application du compte-fils peut être utile pour les
toiles inégales, et l'inégalité résulte ou bien du fil lui-même, ou bien du
tissage. Il a reconnu que, pour ces deux catégories, la mesure serait fort
utile, qu'elle ferait cesser pour ces toiles une partie des effets de la loi de
1841 qui équivalaient à un déclassement que l'honorable M. de Haerne a évalué à
une surtaxe de 4 à 5 p. c.
Mais l'honorable membre sait que la plus grande partie des toiles faites
avec du fil à la main sont encore fabriquées avec des peignes à roseaux.
Malgré les efforts du gouvernement et des comités, l'honorable membre
sait que la plus grande partie des métiers battant, 49 sur 50 manquent encore
de peignes métalliques. Je crains qu'il ne faille toute la durée du traité pour
généraliser l'usage des peignes perfectionnés. Je dis donc que la plus grande
partie de ces toiles sont fabriquées avec des peignes à roseaux, pour ces
toiles la mesure relative à l'application du compte-fils aura une importance
qu'on ne peut méconnaître.
La seconde amélioration que le traité renferme est celle qui concerne
les types pour distinguer la nuance des toiles écrues. Vous savez, messieurs,
que la loi du 6 mai 1841 a statué qu'on ne devait considérer comme toile écrue
que celles qui n'avaient subi aucune espèce de blanchiment soit avant, soit
après le tissage, et qui avaient conservé la nuance prononcée de l'écru.
Qu'est-ce qu'un degré de blanchiment avant ou après le lissage ?
Qu'est-ce que c'est que la couleur prononcée de l'écru ?
Nous étions soumis à une appréciation arbitraire de la douane française
; le commerce n'avait aucune garantie, aucune sécurité.
La garantie que nous avons obtenue par l'établissement de types n'est
pas sans valeur. Après la circulaire du 22 mai de l'année dernière,
l'administration française avait adopté quatre types pour reconnaître les
toiles écrues, nous avons obtenu l'admission d'un cinquième type pour les
toiles de 8 à 9 fils.
Je dois le déclarer, dans la négociation on nous a demandé de fournir
les types les plus blancs que nous pourrions trouver pour chacune des cinq
catégories ; ce sont ces types qu'on a adoptés. Nous devons donc croire que la
grande masse de nos importations en France seront comprises dans les types qui
serviront de règle lors de la mise en vigueur du traité.
Nous avons de plus obtenu la déclaration, déposée sur le bureau, de M.
le ministre des affaires étrangères de France que les toiles écrues
exceptionnelles dont la nuance pourrait ne pas correspondre parfaitement à
celles des types, seraient jugées par la commission des experts à Paris,
d’après le carcatère de l’écru, en dehors des types, c’est-à-dire que nous
avons obtenu un choix plus favorable et mieux garantir de types que vous
n’aviez pas avant la circulaire du 22 mai, et qu’après le traité, comme avant
cette circulaire, les toiles non conformes aux types seront jugées d’après le
caractère de l’écru. Or, la chambre de commerce de Courtray a déclaré qu’avant
le 22 mai il ne s’était élevé aucune contestation quant à la nuance des toiles.
Ainsi, messieurs, nous avons obtenu deux améliorations qu’on peut
considérer comme la réparation partielle de deux griefs dont la Belgique se
plaignait depuis la loi de 1841.
Mais il y a dans le traité une restriction, la limitation des quantité
de fils et de toiles à introduire en France. L’honorable M. d’Elhoungne l’a
déjà dit, cette limitation est une restriction plus apparente que réelle. En
effet, malheureusement pour nous, les progrès de la fabrication toilière, en
France, sont tels que nous trouvons là une limite plus dangereuse que celle qui
se trouve dans le traité.
Pour les fils de lin, la limitation est plutôt un bien qu’un mal. En
effet, de quoi se plaignaient les tisserands des Flandres, depuis deux années ?
Des exportations trop rapidement développées peut-être de fils de lin sur le marché
français, de manière que le fil manquait au tissage belge et le prix de cette
matière première s’était trop élevé. Il était donc sage dans l’intérêt de notre
industrie toilière, d’admettre la limitation pour le fil de lin. Nous l’avons
admise, de manière à permettre aux exportations de prendre une certaine
extension, mais sans qu’elle puisse nuire au tissage.
Vous savez que le gouvernement, dans les négociation a été jusqu'à
offrir des concessions plus larges sur la filature du lin ; à la condition d'obtenir
de meilleures conditions de tarif pour nos toiles. Je croyais que cette
proposition aurait été acceptée, car en limitant l'importation des toiles, que
risquait la France en vous accordant une réduction de droit, puisqu'elle
déclarait qu'au-delà de la limite fixée, le marché français nous était fermé
par des droits prohibitifs ? Cette réduction de droits nous eût seulement
permis d'atteindre plus facilement la limite déterminée et que nous ne pouvions
franchir.
A cette condition, nous aurions accordé une concession plus large pour
la filature ; cependant, messieurs, il y avait un terme que nous n'aurions pu
dépasser. Car, et j'attire l’attention de la chambre sur cette considération,
si nous avions été, comme quelques-uns ont semblé nous le conseiller, jusqu'à
compromettre la filature mécanique, jusqu'à amener son dépérissement et sa
décadence, je dis que cette mesure eût été fatale non seulement pour
l'industrie nouvelle, dont l'avenir peut être très brillant, mais pour
l'industrie ancienne, qu'on aurait détruite en même temps.
En effet, messieurs, si le marché français avait été immédiatement fermé
au fil mécanique belge, que serait-il résulté ? C'est qu'à l'instant même, la
production de nos grandes filatures, repoussée du marché français, aurait été
rejetée sur le marché belge, aurait amené un encombrement et un avilissement de
prix tel qu'il aurait créé une concurrence écrasante pour le fil à la main. Le
sort de nos 280,000 fileuses était à l’instant même compromis, ainsi que le
sort de la plupart de nos tisserands.
Ainsi, messieurs, si nous avions fermé le marché français au fil
mécanique belge, il en serait résulté ces deux conséquences inévitables, d'un
côté, c'est qu'on aurait frappé l'industrie linière à la main ; c'est que d'un
autre côté, on aurait compromis l'industrie nouvelle, dont le sort est rattaché
au développement même de la filature à la mécanique.
Je dis donc, messieurs, que le gouvernement a admis la limitation pour
le fil de lin dans une mesure telle qu'elle est u 'avantage pour le tissage des
toiles ; qu'il n'a pas été plus loin, parce qu'il aurait créé un péril en même
temps pour l'ancienne et pour la nouvelle industrie linière ; qu'il n'aurait
été au-delà qu'à la condition d'une faveur plus large à l'égard de nos toiles.
Quant à la limitation pour les toiles, messieurs, je l'ai déjà dit, les
progrès de l'industrie toilière en France forment une limite nécessaire bien
plus sérieuse que la limite des quantités fixées à 3 millions, sans compter le
transit, ce qui porte le chiffre à 3,200,000 kil.
Messieurs, je le demande à tons les députés des Flandres, si la
convention du 10 juillet 1842 avait été renouvelée purement et simplement, y
avait-il la moindre espérance de voir nos exportations s'accroître ? Tous
répondront que non, que sous l'empire de l'ancienne convention, il y avait
plutôt des chances de les voir se restreindre que de les voir augmenter. Or,
messieurs, si nous atteignons la limite de 3,200,000 kil., on le devra d'un
côté aux améliorations apportées dans la fabrication, et on le devra d'un autre
côté au traité nouveau, à cause des améliorations qu'il renferme.
Ainsi la limitation sur les toiles n'est pas un obstacle. Mes seules
craintes, c'est que la limite ne soit pas atteinte, et je dis que si elle est
atteinte, c'est au traité qu'on le devra.
Messieurs, je viens de vous prouver que les avantages du traité sont
réels. Je viens de démontrer à l'évidence que la position que le traité fait à
l'industrie linière ancienne sur le marché français est meilleure que la
position que lui faisait la convention du 10 juillet 1842.
Cette convention de 1842, on l'a considérée à cette époque comme un
bienfait ; aujourd'hui on en méconnaît trop les résultats. La décadence dans
nos importations qui s'était manifestée en 1842 et en 1843, alors que la
convention n'avait pas pu produire tous ses effets, cette décadence a été
immédiatement arrêtée en 1844, et même nos importations se sont quelque peu
relevées depuis.
(page 1833) Mais si au lieu d’envisager
les importations de toiles en France depuis 1842, sous le rapport des quantités
en kilog., je considère leur valeur en francs, un progrès sensible se
manifeste.
Ainsi nous importations se sont élevés en 1842 à 580,00 kilog., en 1843
à 660,000 kilog. et en 1844 à 800,000 kilog.
Ce fait remarquable provient de ce que nous importons depuis plusieurs
années graduellement moins de toiles de qualités communes, de 8 à 12 fils, et
plus de toiles de qualités moyennes et supérieures de 12 à 20 fils. L'année-1844,
inférieure à l'année 1840 en quantités, lui est supérieure en valeur, de 3
millions de francs. N'oublions pas que l'année 1840 est l'une des plus
brillantes qui ont existé sous l'empire de la loi tant regrettée de 1836.
Je ne veux pas démontrer, messieurs, par ces observations que les
souffrances de l'industrie linière ne sont pas réelles ; ce n'est pas en
cachant une plaie qu'on la guérit, je le sais ; mais je veux faire voir que la
convention du 16 juillet n'a pas été aussi nulle dans ses résultats qu'on
semble le dire dans quelques parties des Flandres. Elle a arrêté la décadence
qui était rapide ; elle a permis à nos importations de se relever.
Il y a quatre ans, on déclarait comme aujourd'hui que la convention
était inutile, que l'industrie ancienne était destinée à mourir, que le traité
n'y apporterait aucun remède. Les résultats, messieurs, ont prouvé le
contraire.
Messieurs, je vais peut-être avancer une énormité aux yeux de
quelques-uns. Mais je soutiens que pour l'industrie linière des Flandres, pour
l'industrie ancienne, la cause qui empêche nos importations en France de
s'accroître, ce n'est pas l'élévation du tarif français, mais c'est avant tout
la fabrication elle-même.
Je citerai, messieurs, un fait récent qui m'a été communiqué par des
membres de la chambre de commerce de Courtray, négociants eux-mêmes.
C'est que depuis quelque temps ils ne trouvent pas en assez grand nombre
de bonnes toiles en fils à la main. C'est la fabrication qui fait défaut. Les
mêmes renseignements, je les ai obtenus à Paris même. Le commerce de toiles de
Paris déclare que si l'on pouvait lui fournir en plus grande quantité de bonnes
toiles en fils à la main, nos importations augmenteraient. C'est un fait
reconnu par tous les députés des Flandres qui ont pu l'apprécier ; la
fabrication est l'obstacle, bien plus que l'élévation des tarifs ; et ces
membres de la chambre de commerce de Courtray m'ont dit qu'ils n'avaient pas pu
satisfaire à d'énormes commandes dans ces derniers temps, par la raison qu'ils
ne trouvaient pas assez de bons tisserands. C'étaient les bons tisserands
qu'ils ne trouvaient pas, ce n'étaient pas les importations qui étaient
entravées.
Messieurs, on a dit que nos importations pendant les quatre premiers
mois de l'année 1846 semblaient décroître d'une manière sensible. Cela est vrai
; mais il ne faut pas méconnaître quelles en sont les causes. J'ai déjà eu
occasion de les indiquer. Le lin est rare et il est cher. La rareté de la
matière première est une des causes du peu de développement de notre industrie
linière et de la décroissance de nos exportations.
Mais la cause fondamentale, messieurs, c'est la crise des subsistances,
c'est la disette des pommes de terre. Ce qui le prouve, c'est que cette
décroissance dans nos exportations n'est pas seulement relative à l'industrie
linière, mais elle atteint toutes les branches de notre industrie. Ainsi,
pendant les quatre premiers mois de l'année courante, un fait frappant, c'est
que non seulement toutes nos exportations ont diminué, mais que surtout notre
mouvement d'importation a sensiblement baissé. A quoi faut-il attribuer cet
état de choses ? Evidemment à la crise des subsistances. C'est qu'on a moins
acheté, on a moins consommé, on a moins fabriqué. Cette crise était prévue ;
ces résultats ne doivent surprendre personne.
Messieurs, je vous ai démontré que les avantages que le traité nous
donne ont plus d'importance qu'on ne l'avait reconnu. Je conteste formellement
que les avantages pour l'industrie linière aient été amoindris par la
convention que nous discutons. Je dis qu'ils sont supérieurs aux avantages
obtenus en 1842.
Examinons maintenant, messieurs, l'étendue réelle des sacrifices que le
traité nous impose. Examinons jusqu'à quel point l'industrie de la laine est
compromise par le traité.
J'appelle, messieurs, l'attention de la chambre sur ce point. Je
demande, malgré la fatigue de la chambre dans cette longue discussion, de bien
vouloir continuer à me prêter une bienveillante attention. Car c'est sur ce
point que les objections se sont élevées, et je pense qu'il me sera facile de
démontrer qu'on a singulièrement exagéré les résultats de la convention
relativement à l'industrie lainière.
Je vais examiner trois points : la question des tissus de laine, écrus,
teints et blanchis que l'arrêté de 1843 concerne ; la question des fils de
laine cardée et peignée, et la question de la draperie et des tissus similaires
relativement à la suppression de la surtaxe établie en 1838.
Je vais restituer aux faits toute leur vérité.
Avant le traité, la question qui paraissait dominante était celle des
tissus de laine que l'arrêté du 14 juillet a protégée.
Vous avez dû être frappés comme moi de ce que les honorables membres qui
ont pris part à la discussion, et qui ont combattu le traité, ont glissé
légèrement sur la question des tissus de laine qui est la question principale
du traité. La chambre de commerce de Verviers en dit peu de chose ; elle se
déclare presque incompétente.
L'honorable M. David n'en a pour ainsi dire rien dit. (Dénégation de la part de M. David.)
L'honorable membre qui m’interrompt me répondra mieux, quand j'aurai cité les
faits.
L'honorable M. Dumontier a parlé de la filature ; mais il a présenté
très peu d'arguments sur la question des tissus de laine qui primé cependant
celle de la filature.
Il est impossible de soutenir que le traité amènera, je ne dis pas la
ruine de l’industrie des tissus de laine, mais le moindre danger sérieux pour
cette industrie.
Non seulement elle ne sera pas tuée, mais je démontrerai à toute
évidence qu'elle ne sera pas même blessée et que l'arrêté du 14 juillet restera
pour elle avec sa protection presque tout entière.
J'ai à cet égard une conviction profonde.
Je ne citerai qu'un fait.
A Mouscron et à Courtray, localités où l'on travaille la laine, on a vainement
demandé aux fabricants de tissus de laine de signer les pétitions contre le
traité ; ils s'y sont refusés, parce qu'ils savent que leur industrie n'est
nullement compromise.
M. de Haerne. - Il en est qui ont signé des pétitions en faveur au traité.
M. le ministre des affaires
étrangères (M. Dechamps). - Voilà
un fait qui, selon moi, en dit plus que beaucoup d'arguments.
Plusieurs fabricants de tissus de laine m'ont déclaré à moi-même que la
réduction de 25 p. c. ne pouvait nuire sérieusement à leur industrie.
L'arrêté du 14 juillet a été porté pour protéger les tissus plutôt
contre la concurrence anglaise que contre la concurrence française. Cela a été
bien des fois proclamé et reconnu.
En 1844 dans nos importations totales, l'Angleterre figure pour les deux
tiers ; la France ne figure pas même pour le tiers. Or, il est reconnu que dans
ce tiers, c'est-à-dire dans les 138,000 kilog. que la France nous importe, la
moitié au moins ne se fabrique pas en Belgique et ne se fabriquera pas en
Belgique.
Il y a pour cela deux excellentes raisons : d'abord c'est que pour les
tissus français où la mode domine, les satins-laine pure laine, les damassés
façonnés, les mérinos fins, les mousselines-laine pure laine, les barèges,
etc., jamais on n'a eu l'espoir de voir l'industrie belge aborder cette
fabrication. Il était d'ailleurs impossible de l'aborder, parce que l'arrêté du
14 juillet ne protège ces tissus que d'un droit de 2 à 6 p. c. Or, comment prétendre
qu'avec une aussi insuffisante 'protection, la Belgique aurait entrepris la
fabrication des tissus de mode de haute fantaisie que la France nous enverra,
quelle que soit l'élévation du tarif ? Cela n'est pas soutenable.
J'ai dit que l'Angleterre figurait dans les importations totales pour
270,000 kil., et l'Angleterre nous envoie précisément les tissus pour la
fabrication desquels nous sommes dans d’excellentes conditions de travail et de
tarif, les stoffs, les mérinos anglaisées mousselines-laine, chaîne coton, les
serges, les orléanaises, les tissus de Roubaix que Mouscron confectionne et qui
forment la consommation la plus considérable. Or, ne l'oubliez pas, pour ces
tissus, la protection reste encore très considérable, après l'adoption du
traité du 15 décembre.
Je citerai des chiffres.
J'ai sous les yeux des tableaux qu'on ne contestera pas ; ils ont été
fournis avant et pendant les négociations par les fabricants eux-mêmes. J'ai un
tableau fourni par l'un des fabricants les plus intéressés dans la question ;
il en résulte que la protection sur les produits que nous fabriquons et où nous
avons d'immenses progrès à réaliser restera fixée comme suit.
Sur les stoffs, les napolitaines, orléanaises, mousselines-laine chaîne
coton imprimées, serges, mérinos anglais, la protection, après la réduction des
25 p. c., restera de 20 p. c.
Sur les satins-laine de 15 p. c.
Sur les étoffes façonnées pour pantalons et les thibets teints de 21, 22
et 23 p. c.
Sur les tweens et les mousselines-laine chaîne coton, blanchis, de 28 à
30 p. c.
Cette protection reste suffisante.
Ou conçoit qu'avant de songer à faire concurrence aux tissus de haute
fantaisie de France qui s'adressent à une consommation restreinte, et sur
lesquels les droits sont de deux à six p. c., nos fabricants chercheront à
conquérir les 270,000 kil. de tissus de plus facile imitation que nous envoie
l'Angleterre.
Messieurs, je dis donc que relativement aux tissus de laine et à
l'arrêté du 14 juillet (et c'est la question dominante), je dis que non
seulement on ne ruine pas cette grande, cette belle industrie, mais qu'on ne la
compromet en rien. J'ai cette conviction profonde résultat d'un examen sérieux,
et j'ai la certitude que cette conviction est partagée par la plupart des
fabricants eux-mêmes.
On a parlé de la primé ; on a dit : Mais la prime de sortie qui se paye
en France compense en partie le droit protecteur de 15, 20 et 30 p. c. qui
existerait encore après l'exécution du traité du 13 décembre. Eh bien, (page 1834) messieurs, j'ai
naturellement dû examiner avec le plus grand soin cette question, et je puis
dire qu'il est impossible de faire une enquête plus minutieuse que celle que
j'ai faite. Je prie les honorables membres qui auraient encore quelque doute
dans leur esprit, d'examiner un travail que j'ai déposé sur le bureau de la
chambre. J'ai calculé quelle était la valeur de la prime de sortie en France,
relativement au droit qui frappe la laine à l'entrée pour toutes les espèces de
tissus de laine que l'arrêté du 14 juillet concerne ; ce travail a eu pour
résultat de prouver que sur toutes les catégories de tissus de laine, non
seulement la prime n'est pas une prime de sortie dans la véritable acception du
mot, mais que ce n'est pas même une restitution intégrale du droit de 22 p. c.
qui pèse sur la laine à l'entrée en France. Il y a même sur certaines
catégories une différence assez grande.
Mais, messieurs, en défiance de ces calculs, je les ai soumis à un
intéressé lui-même et je puis le dire, à celui de tous les intéressés qui est
le plus fortement blessé par le traité du 13 décembre ; je crois pouvoir citer
son nom : c'est M. Scheppers qui est évidemment celui dont les intérêts sont le
plus fortement lésés par le traité.
Eh bien, messieurs, le travail dont je viens de parler, qui a été fait
consciencieusement, sur les lieux mêmes, à Mouscron, à Roubaix, et dans
d'autres localités où les tissus de laine se fabriquent, ce travail je l'ai
soumis au contrôle de M. Scheppers, et j'ai déposé sur le bureau les
observations critiques de cet industriel qui avait intérêt à contester
l'exactitude de ces chiffres.
Or, en tenant compte de quelques erreurs évidentes dans lesquelles il
est tombé, il résulte de ce travail que la prime sur les satins-laine, sur les
stuffs, sur les mousselines-laine chaîne coton, sur les mousselines-laine pure,
que la prime sur ces tissus équivaut à peine à la restitution intégrale du
droit de 22 p. c. qui pèse sur les laines en France. Ce travail est déposé sur
le bureau ; il est soumis à l'inspection des membres de la chambre, et je crois
qu'il serait très difficile de le réfuter.
Ainsi, messieurs, pour le tissage de la laine, je le répète, il est
impossible de soutenir avec quelque apparence de raison que le tissage de la
laine est compromis ; il est impossible de croire que la réduction de 25 pour
cent consacrée par le traité, puisse blesser ce grand intérêt. J'ai la
conviction qu'aucun obstacle n'est mis à l'extension de cette fabrication.
Nous avons, je le répète, à conquérir les deux tiers de l'importation
totale, que l'Angleterre introduit chez nous, et l'autre tiers, qui nous est
envoyé par la France échappe en grande partie à notre concurrence, à la
possibilité de les fabriquer en Belgique.
En résumé, je soutiens que l'arrêté du 14 juillet, dont on a tant parlé,
reste entier à peu près relativement au tissage de la laine, que la protection
accordée à cette industrie demeure suffisamment élevée.
Mais, messieurs, il est une autre question, qui, quoique moins
importante que celle du tissage de la laine, a cependant aussi son importance,
c'est la question de la filature. D'abord, messieurs, il faut distinguer
soigneusement entre la filature de la laine cardée et la filature de la laine
peignée.
Il ne s'agit pas, selon moi, relativement à l'arrêté du 14 juillet, de
la filature de la laine cardée ; la filature de la laine cardée s'est
développée depuis l'arrêté du 14 juillet, mais elle a suivi le progrès et les
développements de la draperie à laquelle elle se rattache. Ces progrès ne
concernent pas l'arrêté du 14 juillet, qui est étranger à la draperie. On a
donc confondu deux questions distinctes lorsque, à propos de l'arrêté du 14
juillet, on a parlé des progrès de la filature de la laine cardée ; aussi
longtemps que la draperie se développera, évidemment la filature de la laine
cardée suivra les mêmes perfectionnements.
Si l'arrêté du 14 juillet n'avait pas été pris, la draperie et les
tissus similaires n'auraient pas reçu moins de développement, et la filature de
la laine cardée eût suivi les mêmes progrès. Il ne s'agit donc nullement de la
laine cardée.
Du reste, cette industrie est aussi ancienne en Belgique qu'en France,
elle est aussi avancée en Belgique qu'en France ; elle a existé avant l'arrêté
du 14 juillet, elle existera après le traité du 13 décembre, dans les mêmes
conditions.
Avant l'arrêté du 14 juillet on n'a jamais réclamé de protection pour la
laine cardée, toujours on a réclamé une protection plus grande pour les seules
fabriques de laine peignée.
Ainsi, messieurs, il faut dégager le débat de la question de la filature
de la laine cardée ; il ne s'agit pas de cette industrie ; tous les chiffres
mis en avant pour démontrer qu'elle s'est développée depuis 1843, tous ces
chiffres sont ici de nul effet, et il est impossible d'en tirer aucune
conséquence.
L'intérêt qui seul peut paraître compromis, c'est donc la filature de la
laine peignée.
A cet égard, je commence par reconnaître, parce que je veux être vrai
avant tout, que des intérêts individuels pourront être blessés par le traité ;
mais c'est une question très grave, comme l'a dit l'honorable M. d'Elhoungne,
que celle de savoir si une diminution de droits sur le fil de laine peignée
n'est pas plutôt un bien qu'un mal. Je ne veux pas résoudre cette question
maintenant, mais il est évident, comme l'honorable M. Dumortier le disait en
1838 et comme il l'a répété encore hier, qu'il ne faut développer la filature
qu'après avoir développé le tissage. Eh bien, le tissage, relativement aux
tissus de laine que l'arrêté du 14 juillet a pour but de favoriser, s'est, développé
sans doute jusqu'à un certain point, mais ses progrès sont encore à l'état
d'enfance, comparativement l'avenir qui lui est réservé.
Je dis donc que c'est une question grave que celle de savoir si, comme
on l'a fait en Allemagne pour l'industrie cotonnière, il ne serait pas plus
sage de donner moins de protection à la filature, pour s'attacher davantage au
tissage. A l'heure qu'il est, les fabricants vont encore acheter en partie
leurs fils de laine peignée en France et en Angleterre, et ils sont unanimes
pour reconnaître que le tissage prendrait de grandes proportions, si le prix de
cette matière première était réduit.
Mais il est un autre fait que la chambre ne doit pas perdre de vue. Si,
lorsque nous devons accepter dans le traité une réduction de 25 p. c. sur les
tissus de laine, il n'y avait pas eu, comme corrélation, une diminution sur le
fil de laine peignée, évidemment nous frappions deux fois l'industrie des
tissus.
Je commence par reconnaître qu'il y aura des intérêts individuels
compromis relativement à la filature ; mais je soutiens que la mesure, comme
mesure économique, peut être considérée plutôt comme bonne que comme mauvaise ;
je dis que dans tout état de cause, lorsque nous réduisions le droit sur les
tissus, il était nécessaire qu'une réduction correspondante fût établie sur le
fil.
Mais les intérêts individuels qui seront compromis, sont-ils nombreux,
importants ? J'ai déposé sur le bureau les résultats d'une enquête toute
récente qui a été faite par le département de l'intérieur dans toutes les
localités où l'on fabrique de la laine. Eh bien, messieurs, voici quels sont
les faits nouveaux qui ont été introduits dans la filature de la laine peignée
depuis l'arrêté du 14 juillet 1843 ?
Avant cet arrêté, il y avait en activité, pour filer la laine peignée,
3,260 broches ; ce nombre s'est élevé à 6,150 depuis que l'arrêté est intervenu
; ainsi le nombre de broches nouvelles, mises en activité depuis cette dernière
époque, montait à 2,890 broches. Mais il faut déduire de ce chiffre les 1,700
broches de la fabrique de M. Philippart, à Tournay, parce que ces 1,700 broches
ont été cédées à M. Philippart par M. Lousberg-Thiry qui avait à Gand une
filature de fil de laine avant le 14 juillet 1843 ; donc le nombre des broches
nouvelles, mises en activité depuis cette époque, est réduit à 1,190 broches ;
il faut ajouter à ce chiffre les 2,000 broches de la fabrique de M. Scheppers,
que l'on monte actuellement près de Bruxelles, et j'ai dès lors 3,190 broches.
L'honorable M. Dumortier a dit qu'un industriel de Tournay monte 2,000
nouvelles broches ; je l'ignore, mais je devrais conclure de ce fait que
l'industriel dont il s'agit ne croit pas que le traité du 13 décembre ruinera
cette industrie, car il est impossible de supposer qu'on continue à monter
2,000 broches, lorsqu'on pense que cette industrie est à la veille de périr.
Ainsi, ce sont 3,190 broches que le traité pouvait compromettre, Or, ces
3,190 broches ont sans doute une importance relative ; mais lorsqu'on songe que
dans les deux seules localités de Roubaix et de Tourcoing, il y a 180,000
broches en activité ; qu'en France beaucoup de fabriques comprennent 5,000 et
quelques-unes 10,000 et jusqu'à 20,000 broches, il faut reconnaître que les
5,190 nouvelles broches mises en activité depuis 1843, forment un intérêt
certainement respectable, mais en général peu important.
Messieurs, je vais examiner une troisième question. Jusqu'à quel point
le traité compromet-il réellement les filatures de laine peignée ? Ces
filatures vont-elles mourir le lendemain de l'adoption du traité ?
D'abord, je dirai que celles qui existaient avant 1843 continueront de
subsister après le traité, puisqu'on les replace dans la même position où elles
se trouvaient alors.
Il y a une première remarque à faire ; c'est que les deux grandes
filatures de Verviers, la société belge pour la filature de la laine peignée,
la filature de M. Grandry, et la filature attachée à la manufacture royale des
tapis de Tournay, sont montées, en grande partie du moins, d'après le système
anglais pour filer la laine d'Irlande et de Kent ; or, le mode anglais n'a
aucun rapport avec le mode français de fabrication ; par conséquent, il ne
s'agit pas, pour nos industriels, de la concurrence française, mais il s'agit
seulement de la concurrence anglaise. Or, le traité ne touche pas à
l'Angleterre ; la protection reste entière contre les fils venant de
l'Angleterre.
Une seconde remarque qui se rattache à celle que je viens de faire,
c'est que plusieurs filatures de laine peignée, celle, entre autres, qui est
annexée à la manufacture royale des tapis de Tournay, ainsi que les fabricants
de bonneterie de cette ville, fabriquent du fil, non pour la vente, mais pour
leur propre usage. Eh bien, toutes ces fabriques, qui sont en assez grand
nombre, continueront d'exister.
Evidemment la filature de la manufacture royale qui fabrique pour
elle-même, pour la fabrication des tapis, comme la filature de Verviers qui
fabrique pour le tissage des serges et des mérinos anglais, ne seront pas
compromises, puisque la fabrication des tapis, des serges et des mérinos
anglais conservent leur protection.
M. Dumortier. - Ces renseignements sont inexacts.
M. le ministre des affaires
étrangères (M. Dechamps). - Je dis
qu'ils sont très exacts et mon affirmation vaut la vôtre.
Ainsi, messieurs, pour résumer ce que j'ai avancé relativement à la
filature, je dis que, dans la discussion actuelle, il n'est pas question de la filature
de laine cardée, qu'elle n'est pas compromise, car l'arrêté du 14 juillet ne la
concerne pas. Pour la laine peignée je reconnais que des intérêts particuliers
peuvent être lésés, mais que, comme mesure économique, la stipulation est très
justifiable. J'ajouterai que les intérêts individuels compromis sont loin
d'être aussi considérables qu'on l'a prétendu, et même qu'une partie notable
des filatures se trouveront après (page 1835) le traité dans des
conditions à peu près aussi bonnes qu'aujourd'hui.
II me reste à examiner la question de la
draperie, c’est-à-dire la question des surtaxes de 9 et 6 1/2 p. c. établies en
1838, sur les draps et tissus similaires de provenance française.
Je me sens un peu fatigué.
L'honorable M. Lys est inscrit, comme il traitera cette question, je
demanderai à la chambre la permission de m'arrêter ici et d'attendre pour
continuer que l'honorable M. Lys ou d'autres orateurs aient parlé.
M. Lys. - Je ne doute pas que M. le
ministre des affaires étrangères ne doive être fatigué de la part qu'il a prise
à cette discussion, car voilà trois séances qu'il nous tient tandis que deux
orateurs seulement ont parlé contre la convention.
Je commencerai par répondre à quelques observations de M. le ministre des
affaires étrangères. M. le ministre vous a fourni la critique la plus sévère du
traité qu'il veut nous faire ratifier. En effet, que vous a-t-il dit ? j Que
nos grands centres d'industrie, et il en a fait une longue énumération, n'ont
aucun intérêt à nos relations avec la France ; et c'est dans cet état de
choses, qu'on vient nous demander des avantages pour l’industrie lainière de
France afin qu'elle puisse venir détruire la nôtre ! Je comprends peu comment
M. le ministre a pu tenir un pareil langage, car il a énuméré une masse de
grands centres d'industrie qui ne font aucune affaire avec la France ; et au
moyen du traité dont il vous demande la ratification, il vient détruire la
principale de nos industries.
Que vous a dit M. le ministre ? Nous faisons des sacrifices, mais nous
avons l'espérance d'un meilleur avenir. Voilà le beau motif qu'il a fait valoir
! Mais en 1838, quand vous avez accordé à la France l'entrée de ses fabricats
drapiers, n'avez-vous pas dit déjà : Nous faisons cet avantage à la France,
parce que nous avons l'espoir que la France supprimera aussi la prohibition qui
pèse sur nos produits ! Vous avez fait cela en 1838, espérant que la France
apprécierait vos bons procédés. Vous est-il permis d'espérer encore, lorsque
depuis huit ans la France maintient la prohibition de nos tissus de laine ?
Le ministère ne pouvait plus sacrifier le présent à l'espérance d'un
meilleur avenir ; il ne pouvait perdre de vue le résultat obtenu dans le passé.
Il y a peu de temps, M. le ministre des affaires étrangères disait avec
emphase : L'industrie drapière nous a remercié de l'arrêté du 14 juillet. Je
voudrais savoir s'il pense encore mériter les mêmes remerciements. On peut lui
reprocher, au contraire, que, par cet arrêté, il a trompé l'industrie lainière ;
et, en effet, quel peut être, après la ratification du traité, le résultat de
l'arrêté de 1843 ? Confiants dans les actes du gouvernement, nous avons employé
des capitaux pour faire face à des besoins du pays,, comptant sur l'arrêté de
1843, qui nous permettait de lutter avec la France à armes égales. Voilà ce que
nous avons fait.
Je le dis franchement, si le traité avec la France est ratifié, le
gouvernement n'aura rien autre chose à faire que de nous traiter comme il
traite l'industrie linière, de nous vendre des laines au-dessous du prix, en
établissant, comme dans les Flandres, des comités où les mendiants vont se
pourvoir de fils, au grand détriment des ouvriers actifs et honnêtes. Nous
aurons ainsi la lèpre de la taxe des pauvres, comme en Angleterre, avec cette
différence que l'Angleterre, à côté de cette taxe des pauvres, tâche de faire
progresser son industrie, tandis que le gouvernement belge empêche le progrès
de la nôtre en introduisant chez nous les produits de l'industrie étrangère
d'un pays qui prohibe nos produits similaires. Et c'est cette noble manière que
veut adopter le ministère pour enrichir le pays !
Quant à ce qu'a dit M. le ministre relativement aux droits d'entrée et à
certaines primes que nous disions existera la sortie des tissus de laine en
France, je répondrai par l'exposé de motifs du 8 mai 1844. Le ministère n'a pas
à se plaindre, car je ne me sers que de ses propres motifs qu'il nous a fournis
à l'appui de son projet de loi. Là tous les calculs sont faits ; ce sont ces
calculs que je prends pour répondre à ce qu'il dit aujourd'hui.
Je prends donc l'exposé de motifs du projet de loi ayant pour objet la
ratification de l'arrêté du 14 juillet 1843.
M. le ministre des affaires
étrangères (M. Dechamps). - Ce
n'est pas de moi.
M. Lys. - Quand nous parlons du gouvernement, nous ne parlons pas des
personnes ; celui qui viendra après vous dira la même chose, et le dira avec
raison ; d'ailleurs vous faisiez alors partie du ministère, vous avez dû
délibérer sur cette question.
(Note du webmaster : les Annales
parlementaires comprennent un tableau intitulé « Aperçu des effets du tarif
pour les tissus français ». Ce tableau n’est pas repris dans la présente
version numérisée.)
« Voilà quelles sont les primes existantes en France et comment elles
atténuent en grande partie, pour les tissus français, les droits nouveaux qu'il
s'agit d'établir sur les tissus de laine en Belgique. On a vu ci-dessus,
quelles sont leur hauteur et leur portée pour les fils de laine.
« Faut-il pour cela en ajouter le montant à celui des droits proposés ?
« On ne le croit pas.
« Il est vrai que les chambres de commerce consultées et les industriels
intéressés se sont accordés à demander cette addition à l'instar de ce qui a
été fait par la loi du 7 avril 1838, pour les draps et la bonneterie de laine.
« Il est vrai encore qu'à plusieurs égards, l'addition de la prime au
montant des droits d'entrée, peut paraître équitable. Et, en effet, cette prime
n'est pas simplement une restitution des droits d'entrée : on n'exige, pour
l'obtenir, la production d'aucune quittance du payement des droits perçus sur
l'importation de la matière première ; en outre, le droit ad valorem de 22 p.
c. existant en France sur la laine étrangère s'élude en grande partie en
douane, comme tout droit ayant pour assiette la valeur de l'objet ; et,
d'ailleurs, les fils et tissus de laine exportés de ce pays avec prime, peuvent
se fabriquer et se fabriquent en effet avec des laines indigènes qui n'ont
supporté aucun droit d'entrée.
« Ainsi, on le répète, la restitution accordée en France est, en grande
partie, il faut bien le reconnaître, une véritable prime et non-seulement un
drawback. »
Voilà, messieurs, les paroles de M. Nothomb, ministre de l'intérieur, et
remarquez bien que M. Dechamps faisait alors partie du conseil auquel ce projet
de loi a dû nécessairement être soumis, et qui en a discuté les motifs.
Vous voyez, messieurs, que le traité dispense les fabricants de Verviers
de nouveaux remerciements, et que force est pour eux de rétracter leurs
expressions de gratitude, par un blâme bien mérité.
Vous voyez aussi que le ministère devra, an besoin, recourir à des
comités pour vendre la laine à bon marché aux fabricants, comme il a fait dans les
Flandres pour le lin, car nos petits fabricants seront tout aussi malheureux
que les ouvriers des Flandres. Vous aurez, enfin, à fournir les moyens
d'existence aux ouvriers de l'industrie lainière, comme vous l'avez fait pour
la linière. Libre à vous de vous mettre à la recherche d'une nouvelle industrie
à sacrifier, pour aviser à faire face, dans six ans, aux exigences nouvelles de
la France.
Une question de la plus haute gravité est dans ce moment soumise à
l'appréciation de la chambre. Vous avez, messieurs, à vous prononcer sur la
nature et la portée des dispositions contenues dans le traité conclu arec la
France.
L'intérêt du pays et de sa prospérité est le seul guide que la
législature ait à suivre dans l'appréciation de cette convention internationale.
(page 1836) Si cet intérêt
exige la non-approbation du traité, vous n'hésiterez pas, messieurs, un seul
instant : vous repousserez le traité comme désastreux pour le pays et pour
l'industrie nationale, quelque délicate que soit ou que puisse être la question
de convenance, que l'on n'a pas manqué de jeter dans le débat.
Voyons maintenant et le traité et les causes qui ont amené ce traité, et
les conséquences qu'il doit infailliblement avoir.
En matière de douane et de tarif, tout pays doit avoir et doit suivre un
système homogène, dominé par un principe unique, recevant dans une juste
proportion une application égale et uniforme à chaque espèce de produits.
Ainsi, lorsque la législation douanière admet le principe de la protection en
faveur du travail national contre la concurrence étrangère, ce principe doit
être suivi à l'égard de toutes les industries. Tout le pays est aujourd'hui
régi par le système protecteur ; personne ne peut se plaindre parce que chacun
jouit également de la faveur de la loi, et qu'ainsi il y a compensation et
maintien de l'équilibre. Si, dans certains cas, on dévie du principe, il y a
injustice commise au préjudice de l'une des branches de l'industrie nationale,
et il y a privilège créé au profit des autres.
La législation suivie aujourd'hui en Belgique, admettant et consacrant
le principe de protection au profit de l'industrie nationale, ce principe reçu
et proclamé, il faut bien en admettre toutes les conséquences.
C'est dans cet état de choses, que le gouvernement vient vous proposer
d'abaisser, en faveur de la France, la protection que le tarif accorde à
l'industrie de la laine.
On veut aujourd'hui modifier le système établi, on vous demande de
retirer à l'industrie lainière la part de protection que la loi lui accordait ;
on ouvre le marché intérieur à la France, pour les draps, les étoffes et les
fils de laine, et ce sacrifice a lieu, pour maintenir un souffle de vie dans
une industrie frappée au cœur, et pour contribuer au développement de
l'industrie de la filature des fils de lin à la mécanique.
Y a-t-il justice, messieurs, de priver l'industrie lainière de la
protection à laquelle elle a un droit incontestable ? Y a-t-il justice et
équité à sacrifier cette industrie à la conservation de nos rapports avec la
France, lorsque, de l'aveu de tous, la France s'est étudiée à nous enlever, par
pièce et par lambeau, chacune des concessions qu'elle avait pu nous faire,
lorsque la France refuse de nous traiter sur un pied de réciprocité parfaite ?
Comment se fait-il que l'arrêté du 14 juillet, que l'on considérait
comme un acte de toute justice, que l'on considérait comme ayant donné de
l'impulsion à l'industrie de la laine et comme ayant contribué à sa prospérité,
soit aujourd'hui abandonné et rejeté ? Vous n'avez pas oublié, messieurs, que
l'un de mes honorables amis, M. d'Elhoungne, se plaignait naguère de ce que le
gouvernement n'avait pas persévéré jusqu'au bout, dans la ligne de conduite
dont l'arrêté du 14 juillet lui semblait présager l'adoption.
Vous vous rappellerez, messieurs, que cet honorable membre vous
signalait l'industrie cotonnière comme étant exposée à soutenir une lutte avec
la concurrence française, sans trouver dans la loi la protection qu'elle avait
le droit d'en attendre, parce que l'arrêté du 15 octobre sur les cotons,
contenait une double exception, à savoir : pour la France et pour l'Allemagne ;
et aujourd'hui, alors que sur la foi des promesses contenues dans l'arrêté du
14 juillet, de nouveaux établissements ont surgi ; alors que les anciens ont
pris une plus grande extension, on vous propose de détruire une mesure qui a
contribué, et contribue encore, au développement et à la prospérité de
l'industrie de la laine ! Est-ce là être conséquent ? Est-ce là un acte
rationnel du gouvernement ?
Pour qu'un traité aussi étrange ait été conclu, il faut que le
gouvernement prouve qu'il a été en présence de besoins tellement graves et
tellement pressants, qu'il a dût consentir inévitablement et forcément, le
sacrifice de l'avenir et de la prospérité de l'industrie lainière.
Où est la preuve de ces besoins urgents ? Où est la preuve de la
nécessité de sacrifier l'industrie de la laine ? De quelque côté que nous nous
tournions, nous ne pouvons apercevoir les raisons qui ont dominé le cabinet ;
cet inconcevable traité est tout à l'avantage de la France, et si tous les
négociateurs avaient appartenu à nos voisins, on n'aurait pu faire mieux que le
traité dont on demande la ratification à vous, messieurs, qui êtes ici pour
défendre et stipuler les intérêts de la Belgique.
Le gouvernement n'allègue qu'une cause pour justifier le traité : c'est
la position pénible de l'industrie linière, c'est la nécessité de lui conserver
le débouché de la France.
La question ainsi posée, quelle est donc l'importance de l'industrie
linière, quel est son degré d'avenir ?
Les souffrances de cette industrie sont dues à une révolution dans la
fabrication des fils et des toiles.
La filature à la mécanique remplace aujourd'hui la filature à la main et
le mode de tisser la toile a aussi subi de profondes altérations. C'est
l'ancienne industrie linière, que le gouvernement veut soutenir, et c'est, par
suite une lutte que le gouvernement veut entreprendre contre les découvertes
nouvelles, et contre l'application de nouveaux procédés, dont la connaissance
est due aux progrès, des sciences manufacturières. La chambre ne doit pas
permettre au gouvernement de s'engager dans une voie aussi dangereuse : c'est
un malheur pour le pays, et pour les individus eux-mêmes, que de perpétuer
l'agonie d'une industrie qui se meurt.
C'est dans la pétition des fabricants de Roulers que je trouve la preuve
de la triste position de l'industrie de la filature à la main. Nous l'avions
annoncée depuis longtemps.
Le nouveau mode de fabrication des produits liniers a tué les procédés
anciens ; il n'y a plus d'avenir possible pour cette industrie, que dans la
transformation qu’elle doit nécessairement et inévitablement subir. On a donné
quatre ans à la routine, pour sortir de l'ornière de l'habitude, et pour entrer
dans de nouvelles voies ; c'est déjà plus que l'on n'aurait dû faire. Que
serait devenue l'industrie de la laine si elle ne se tenait pas à la hauteur de
tous les progrès, de toutes les innovations qui ont eu lieu dans les procédés
de fabrication ? Que serait devenue l'industrie drapière, si on avait persévéré
à suivre l’ancien mode de filature au rouet, si on n'avait pas adopté les
améliorations, résultant de l'application des machines, au travail de
fabrication ?
L'industrie de la laine a subi, et subit encore tous les jours, cette
transformation progressive de tous les instants. Elle subit cette
transformation sans murmure et sans demander au gouvernement une protection,
autre que celle qui résulte du tarif.
Que vous disent MM. les fabricants de tissus liniers de Roulers ? Voici
un extrait de leur pétition :
« Pour nous, nous déclarons hautement que, dans les conditions actuelles
du traité, nous pouvons lutter encore avec nos voisins, et lutter avec succès.
Pour cela que faudrait-il ? Abandonner la guerre désastreuse qui s'exerce au
sein même du pays, encourager le développement des procédés mécaniques,
organiser le travail sur de nouvelles bases, faire en sorte que l'impulsion de
la réforme soit donnée par des hommes puissants par leurs capitaux et
recommandables par leur intelligence et leur caractère. Dans ces nouvelles
conditions, le travail sera fructueux, les débouchés s'établiront
naturellement, et le gouvernement n'aura plus à s'imposer de stériles
sacrifices pour soutenir une industrie dont l'impuissance est reconnue par ses
plus ardents partisans.
« Nous sentons le besoin de rendre ici un sincère hommage aux nobles
efforts que des hommes généraux et désintéressés ont tentés pour relever
l'industrie linière sur ses antiques bases ; mais, au risque de nous faire taxer
d'inhumanité, nous croyons devoir vous dire encore une fois, messieurs, que le
mal de la situation n'est pas ailleurs que chez nous ; il est dans l'existence
des comités, dans la vente anormale de leurs produits, dans la distribution de
subsides employés à combler le déficit résultant d'une concurrence impossible,
et qui paralysent les efforts des hommes courageux qui prétendent encore lutter
à leurs risques et périls. Non, ce n'est ni par inhumanité, ni dans des vues
intéressées que nous vous disons cela ; nous le disons parce que nous avons la
conviction de remplir un devoir, et que nous voulons le remplir, quelque
pénible qu'il soit. »
Je demanderai maintenant à l'honorable M. Rodenbach, ce qu'il pense de
ses industriels de Roulers, qui ne veulent plus entendre parler de l'industrie
linière à la main, lui qui nous disait en 1842 : « Quant à la mécanique, elle
est puissante par elle-même, elle n'a pas besoin de protection, ce sont nos
malheureuses fileuses qui ont besoin d'une protection efficace. »
Cet honorable membre ne peut être d'accord avec les fabricants de
Roulers, qui soutiennent avec raison, que le mal est dans l'existence des
comités, qui ne font que nuire aux bons tisserands qui n'entendent pas se faire
inscrire sur la liste des mendiants, et aux communes qui repoussent ces
comités.
Vous le voyez, messieurs, il ne s'agit plus de l'ancienne industrie
linière ; elle n'existe plus, disent les fabricants de Roulers ; ce qu'on a
fait, ce qu'on ferait pour cette industrie, se réduit à des efforts incessants,
mais infructueux ; ce sont même des mesures déplorables, c'était, si vous
voulez, une sainte pitié pour le malheur, mais c'était agir au détriment de la
nouvelle industrie linière ; aussi, appellent-ils concurrence ruineuse
l'industrie des toiles à la main.
Il résulte de là, messieurs, que ce n'est point pour l'ancienne
industrie linière, mais pour des procédés nouveaux, pour l'industrie de la
fabrique des toiles à la mécanique, qu'il faut sacrifier l'industrie lainière.
Le rejet du traité aurait pour conséquence, disent les fabricants de
Roulers, le renvoi immédiat des ouvriers, que la filature à la mécanique,
occupe ; mais je demanderai, à mon tour, que résultera-t-il de l'approbation du
traité, pour un bien plus grand nombre d'ouvriers que l'industrie lainière
emploie ? Il faut du temps, disent ces mêmes fabricants, pour substituer le
tissage de la laine au tissage de la toile ; donc il faut continuer, quant à
présent, à protéger le tissage de la toile ; mais en agissant ainsi, quand le
temps arrivera de substituer le tissage de la laine à celui de la toile,
trouvera-t-on encore l'industrie lainière ? Non, messieurs, vous l'aurez tuée
pour gagner du temps, en faveur de l'industrie de la toile à la mécanique, vos
deux industries n'existeront plus.
Ce n'est donc plus, je le répète, en faveur de l'industrie linière à la
main que le traité est fait, c'est en faveur de cette industrie à la mécanique.
El que vous disait M. le ministre de l'intérieur en 1838 ? Voici ses
paroles.
« La protection qui est réclamée par la filature indigène, doit être
envisagée sous deux rapports : sous le rapport de la filature à la mécanique et
sous le rapport de la filature à la main ; s'il ne s'agissait que de la
filature à la mécanique, je n'hésiterais pas de m'opposer à toute espèce de
majoration, car les personnes qui s'occupent de cette industrie m'ont assuré
qu'aucune protection ne lui serait nécessaire, et cela se conçoit : puisque
nous avons en notre possession les mêmes machines perfectionnées qu'en
Angleterre. »
Pour vous démontrer combien est injuste la base du traité, il me suffit
de vous signaler la perturbation qui a été jetée dans le commerce de (page 1837) transport par la
construction du chemin de fer ; a-t-on accordé une indemnité aux propriétaires
dont les immeubles ont perdu toute leur valeur par le délaissement des grandes
routes ? A-t-on donné aux entrepreneurs de messageries et aux entrepreneurs de
roulage un délai pour les préparer à la secousse qu'allaient éprouver leurs
affaires et leurs rapports ? Non, messieurs, l'Etat n'a rien fait et ne devait
rien faire. Il y avait cependant dommage, il y avait une innovation capitale
créée dans le pays, il y avait monopole de l'industrie de transport créé en
faveur de l'Etat par le fait de l'anéantissement de toute concurrence possible.
On n'a rien fait pour l'industrie de transport, la transition s'est
opérée brusquement et sans délai ; le commerce de transport peut donc vous,
dire avec raison, que c'est une faute très grave en politique, que d'avoir deux
poids et deux mesures en matière de protection.
L'industrie linière a joui pendant quatre années d'un traité
exceptionnel dans ses rapports avec la France ; ce traité, que l'on présentait
comme une panacée d'un effet infaillible, a-t-il ranimé la prospérité de l'industrie
linière ? A-t-il rendu la vie à une industrie que le mépris des progrès dans
les procédés de fabrication a tuée ? Mon, messieurs, l'ancienne industrie
linière, galvanisée un moment, n'a pu renaître ; aussi le gouvernement avoue
que le traité de 1842 n'a pas produit tous les effets que l'on en espérait ; la
conséquence de cet aveu, c'est que le renouvellement de ce traité ne devait pas
être acheté par de nouvelles concessions ; cela est évident ; malheureusement,
le cabinet a une autre logique ; la conséquence pour lui a été que le traité
devait être renouvelé, et que le renouvellement de ce traité devait être acheté
au prix de concessions nouvelles.
En vérité, messieurs, c'est à n'y rien comprendre ; il n'y a de
meilleure démonstration que le traité est dirigé contre les intérêts de la
Belgique industrielle, que l'exposé des motifs qui accompagne le projet de loi
contenant ratification de ce traité. M. le ministre fait l'historique de nos
rapports avec la France, et il démontre clairement, que le tarif français de
1836 et le tarif belge de 1838 étaient le résultat d'une convention bilatérale
entre les deux pays, et que, par conséquent, la Belgique avait le droit de voir
ses produits liniers échapper aux aggravations de tarif adoptées par la France
; et après avoir fait cette démonstration, après avoir ensuite établi, que le
traité de 1842 n'avait pas été d'une efficacité bien réelle, M. le ministre
vous propose cependant d'acheter, au prix d'énormes sacrifices nouveaux, le
renouvellement de ce traité ; il y a, messieurs, dans ce procédé, quelque chose
de si crûment inconséquent, qu'il est impossible de se rendre compte des
raisons qui ont dominé le gouvernement au point de lui faire perdre de vue que
les véritables intérêts du pays exigeaient impérieusement le rejet d'un traité
conclu sur des bases aussi désastreuses.
Voulez-vous, messieurs, toucher du doigt jusqu'à quel point le traité
pousse le mépris des intérêts belges, et jusqu'où va la protection dérisoire
que l'on accorde à notre industrie ? Jetez les yeux sur les proportions jusqu'à
concurrence desquelles l'importation des produits liniers est permise en France
! Quand il s'agit de fils, l'importation au droit antérieur à l'ordonnance du
20 juin 1842, n'est permise que jusqu'à concurrence de deux millions de
kilogrammes. Quand il s'agit de toiles, au contraire, on nous permet
généreusement d'importer jusqu'à concurrence de trois millions de kilogrammes.
Savez-vous pourquoi, messieurs, cette générosité d'une part et cette
restriction d'autre part ? C'est que les relevés statistiques ont établi que la
moyenne de nos importations en toile ne dépassait pas 2,2799,344 kilog., c'est
qu'il était, par conséquent, prouvé et établi que la faveur accordée aux toiles
belges est une faveur dérisoire, dont il nous est impossible de pouvoir jamais
totalement profiter.
Savez-vous, maintenant pourquoi on a limité à deux millions
l'importation des fils ? C'est que les relevés statistiques établissent que nos
importations de fils vont en augmentant, à tel point, qu'en 1845 l'importation
a atteint le chiffre de 2,194,121 kil. La France avait une concurrence sérieuse
à redouter du côté de la filature du lin et du chanvre, elle s'est hâtée de
mettre bon ordre aux éventualités de cette concurrence, elle a fixé des bornes à
l'essor de notre industrie ; mais la France n'ayant rien à redouter de la
concurrence d'une industrie décrépite, a généreusement ouvert son marché à nos
toiles, et l'on ose sérieusement présenter un pareil traité à la ratification
d'une chambre belge !
L'honorable M. d'Elhoungne a fait beaucoup d'efforts pour faire paraître
avantageuse à la Belgique cette limitation d'entrée de nos fils en France. Elle
est, nous a-t-il dit, tout à fait avantageuse à nos tisserands ; mais si une
telle mesure est avantageuse, si la limitation des fils à deux millions est
favorable aux toiles, pourquoi ne pas supprimer entièrement l'exportation des
fils, cela deviendrait alors nécessairement plus avantageux encore ; pourquoi
donc ne pas renoncer à leur exportation et faire des sacrifices pour l'obtenir
?
Ce serait, messieurs, faire douter de notre avenir comme nation, que de
croire un seul instant à la possibilité de la ratification d'un traité ou nos
intérêts ont été sacrifiés sans vergogne aux intérêts de la France.
La France veut s'assurer son marché intérieur, elle veut en égoïste
faire prospérer son industrie au détriment de la nôtre ; il fallait et il faut
lui laisser suivre son système d'isolement. Isolée en politique, qu'elle
s'isole également sons le rapport commercial.
Elle saura plus tard si cette vie fait la force réelle d'une nation.
Pour négocier fructueusement avec la France, il fallait mettre en présence les
intérêts français : il fallait créer un antagonisme d'intérêts, dans le sein de
nos égoïstes voisins ; il fallait rudement frapper les vins, il fallait
rudement frapper les soieries, les objets de mode, la fine quincaillerie, enfin
tout ce qui constitue essentiellement l'industrie française. Les actes de
rigueur auraient servi la Belgique, beaucoup mieux que le système de
concessions qui a été suivi. Pourquoi ira-t-on fait essuyer dommage à la France
dans ses industries vitales ? Pourquoi le système des sacrifices perpétuels et
sans cesse renouvelés au profit de la France, imposés à la Belgique ? Ce n'est
pas là, croyez-moi, messieurs, le moyen de fortifier notre nationalité que
d'accoutumer les populations à l'idée que le gouvernement est incapable de les
protéger dans leurs intérêts matériels. Ce traité peut être la source d'un
immense danger politique, et rien que sous ce rapport la chambre ne peut lui
accorder sa sanction.
J'étais aussi disposé à mettre sous les yeux de la chambre le tableau
des concessions douanières que la Belgique a faites à la France, et ce que
celle-ci lui a accordé depuis 1830, mais je ne pourrais que répéter ce que vous
a dit l'honorable M. d'Hoffschmidt, en 1842, et le tableau si complet que vous
a fourni hier l'honorable M. Dumortier.
Nous disons donc avec justes motifs, en voyant le traité qui vous est
soumis, que la France fait ses tarifs exclusivement en sa faveur, que toutes
les dispositions lui en sont favorables, qu'elle ne s'inquiète nullement de ses
voisins, qu'elle ne consulte que ses intérêts ;
Que depuis longtemps nous eussions dû faire à notre tour un tarif qui
fût entièrement en notre faveur ; qu'alors nous eussions pu traiter avec la
France, car notre position eût été la même ; la France, dans son tarif, a
stipulé pour elle, nous aurions dû stipuler pour nous dans le nôtre, et ensuite
nous aurions pu en venir à des concessions réciproques.
Mais ce n'est pas ainsi que le gouvernement belge en agit. L'intérêt
général est toujours négligé ; quelques localités spéciales obtiennent
satisfaction pour leurs intérêts ; on organise pour ainsi dire une lutte de
province à province.
Voilà, messieurs, le produit d'un gouvernement faible ; voilà ce que
produit le défaut d'ensemble dans les opérations. Il y a de grands dangers dans
cette politique à vue basse qui nous gouverne, qui ne cherche qu'à se tirer des
embarras du jour et s'en crée toujours de plus grands pour le lendemain, qui ne
donnait hier que pour reprendre aujourd'hui, qui n'élève aujourd'hui que pour
abattre demain. C'est là l'œuvre du traité avec la France ; l'industrie a eu
confiance dans la protection lui accordée par l'arrêté de juillet 1843 ; ainsi
on lui donnait hier pour reprendre aujourd'hui. Sans stabilité point de
confiance en nos lois, et sans celle-ci aucun progrès industriel n'est
possible.
On prétend aujourd'hui soutenir l'industrie linière (et c'est là une grave
erreur) et pour y parvenir, on arrête dans son essor une industrie pleine de
vie. Le gouvernement renouvelle ni la faute commise en 1838. Il satisfait
momentanément aux désirs de l'industrie linière, il semble prolonger son
existence. Ses défenseurs se croiront satisfaits, ils se railleront au
ministère ; d'autres localités croiront ne pas être intéressées, comme si
l'intérêt général pouvait jamais être perdu de vue, et le résultat fatal pourra
être que ce honteux traité se trouvera ratifié, par-là de nouvelles victimes
viendront grossir le nombre de celles faites en 1838.
Envisagé au point de vue de l'industrie linière, envisagé au point de
vue politique, le traité doit être déclaré désastreux et doit être repoussé, et
cependant nous n'avons encore rien dit des sacrifices que l'on impose à la
Belgique pour acheter ce malheureux traité.
La Belgique s'oblige à appliquer à l'entrés des fils et tissus de lin et
de chanvre, des droits semblables à ceux qui sont ou pourront être établis par
le tarif français. La Belgique abdique, en quelque sorte, par cette clause, son
indépendance au profit de la France. Ce n'est pas seulement le tarif connu,
qu'elle s'oblige de suivre et de faire appliquer, c'est le tarif qu'il plaira à
la France d'adopter dans la suite.
La chambre ne peut, messieurs, consentir la consécration d'une pareille
clause. On conçoit que la Belgique puisse s'engager à adopter un tarif connu,
mais l'on ne conçoit pas que la Belgique puisse s'obliger à suivre aveuglément
tel tarif que la France pourrait dans la suite juger convenable à ses intérêts.
C'est là abdiquer son indépendance, car c'est se soumettre à la volonté d'une
nation étrangère. Que la Belgique y prenne garde ; c'est surtout quand une
nationalité est jeune encore, qu'il faut éviter soigneusement de l'affaiblir et
qu'il faut se garder de permettre l'immixtion de l'étranger dans nos rapports
extérieurs avec les autres peuples.
Que nous disait le ministère en 1842 ? Il y a, disait-il, réciprocité,
le pouvoir législatif français est limité pendant quatre ans dans son action,
c'est là une disposition exorbitante que le gouvernement belge a obtenue au
profil du pays.
Eh bien, le ministère ne peut plus faire valoir pareille clause, il n'y
a plus de réciprocité.
En 1846, la France a fait disparaître la clause de 1842.
Celle qui lie la Belgique a au contraire été maintenue.
C'est sur cette nouvelle stipulation que nous devons attirer toute votre
attention. La France s’est réservé le droit d'étendre le bénéfice du traité à
d'autres nations ; ainsi, messieurs, la France, quand elle le jugera convenir à
ses intérêts, peut rendre illusoire un traité aussi chèrement acheté ! Comment
se fait-il que nos ministres aient poussé l'imprévoyance et l'incurie des
intérêts belges, au point de ne pas stipuler, dans ce cas, la faculté au moins
de dénoncer le traité. Il y a, messieurs, dans ce traité une abnégation telle
de toutes espèces de garantie en faveur de la Belgique qu'il n'appartient qu'à
un ministère se souciant peu de nos intérêts industriels, d'en demander la
ratification à la législature.
Le ministère fiançais avoue et reconnaît que le traité de 1842 n'a pas
nui à la France ; il proclame que le progrès de la filature belge est à peine (page 1838) de 5 p. c, tandis que le
progrès de la filature française est de plus de 100 p. c. De son côté, le
gouvernement belge déclare que la convention de 1842 n'a pas produit tous les
résultats que l'on en attendait ; et cependant, le maintien de cette convention
qui n'a pas nui à la France, qui, d'un autre côté, n'a pas été réellement
profitable à la Belgique, qui a été blâmée en 1842 par tous les orateurs qui
ont pris part à la discussion, est acheté au prix des sacrifices les plus
onéreux. En présence de la déclaration des deux gouvernements, l'on conçoit le
renouvellement pur et simple du traité de 1842 ; mais se soumettre, pour en
obtenir la continuation, à des conditions plus onéreuses, c'est évidemment
faire un marché de dupes. Quel intérêt si puissant avons-nous de tout immoler
aux exigences de la France ? Force sera à l'industrie linière de se passer de
la France dans bien peu de temps, et, en effet, l'augmentation considérable que
l'industrie linière prend en France, en comparaison de celle qui a lieu en
Belgique, en est une preuve incontestable.
Le droit de douane, tel que le fixe le traité de 1845, sera plus que
suffisant pour exclure vos produits liniers du marché français ; car,
remarquez-le bien, en 1842 vous comptiez exporter pour la France de ces
produits pour 40 millions, ou au moins pour 30 millions, c'était là le minimum
; vous êtes réduit aujourd'hui à 15 à 17 millions, et votre chiffre
d'importation, en France, est en décroissance depuis plusieurs années et
continuera le même mouvement.
La réduction sur les droits qui grevaient les vins et les soieries de France,
produit un déficit d'un million dans le revenu de la douane ; que l'on
rétablisse l'ancien tarif sur les soieries et sur le vin, qu'on l'augmente
même, c'est là un impôt que j'appellerai avantageux, car il n'atteint que la
classe riche, et que l'on distribue le produit de cet impôt, en primes
d'exportation sur les toiles fabriquées d'après le système routinier, et à coup
sûr cette protection remplacera d'une manière efficace le débouché que ces
toiles trouvent encore aujourd'hui en France, et donnera la possibilité de
créer de nouvelles relations ; nous trouverons un autre avantage : la
protection ou plutôt la perpétuation de l'agonie de l'ancienne industrie
linière nous coûtera moins cher.
Prenez-y garde, messieurs, au train dont le gouvernement marche, dans
son système de concession vis-à-vis de la France, s'il reste dans six ans
encore un souffle «de vie à l'industrie routinière du lin, il faudra sans doute
faire de nouveaux sacrifices en faveur de la France, et immoler tout ce qui a
de l'avenir, aux efforts infructueux que l'on fait pour tâcher de ranimer un
cadavre. La France réussira ainsi à consommer insensiblement notre ruine ;
c'est évidemment le but qu'elle se propose dans l'intérêt de ses industriels,
et l'on ose convier une chambre belge d'aider à ce suicide !
Rappelez-vous, messieurs, ce que disait le ministère en 1838 pour faire
lever la prohibition d'entrée sur les draps et casimirs français :
« Nous pourrions insister avec une nouvelle force, disait-il, quand la
loi aura été adoptée, puisqu'elle sera pour nous une arme d'autant plus
puissante qu'elle témoignera de notre loyauté et de nos dispositions libérales.
»
Vous avez la triste expérience du contraire ; vous avez levé la
prohibition en 1838, la France la maintient encore aujourd'hui.
Vous avez levé la prohibition en 1838, et pour obtenir l'entrée de nos
toiles à des conditions onéreuses en 1842, nous avons dû faire cadeau d'un
million à la France, par la réduction de l'impôt sur les vins et sur les
soieries ; enfin, le dernier traité donne la mesure des bonnes dispositions de
la France, de son désir bien clairement établi de ruiner tour à tour toutes nos
industries pour avantager les siennes.
La prohibition de l'entrée de tout produit lainier belge en France est
toujours maintenue, et, depuis 1839, elle est levée en Belgique pour les
produits similaires français ; et, non content de cette position avantageuse,
le traité lève la surtaxe qui avait été établie en 1838.
C'est ainsi que vous agissez envers une industrie qui a su lutter contre
les événements à force de travail et de persévérance. Elle se contentait de la
protection simple d'un droit d'entrée, quand la France continuait à la frapper
d'une prohibition absolue ; elle pouvait, à l'aide de ce droit, se défendre sur
le marché de la Belgique ; vous diminuez cette protection et la France continue
sa prohibition entière ; ainsi, d'un côté, avantage pour l'étranger, qui ne
vous en fait aucune facilité pour l'étranger, afin d'arriver sur votre propre
marché, tandis qu'il continue à vous exclure entièrement du sien. L'on vous
disait, en 1838, que le gouvernement serait moins fort, parce qu'il lui
resterait moins de concessions à offrir, et vous répondiez qu'il s'appuierait
très efficacement sur ce qu'il aurait déjà fait. La France n'a rien fait depuis
1838 en faveur de l'industrie lainière de la Belgique. Elle a maintenu, au
contraire, je ne puis trop le répéter, la prohibition dont elle l'a frappée
depuis tant d'années, et c'est dans une semblable position, sans que vous ayez
reçu la réciprocité de vos concessions de 1838, que vous lui en faites de
nouvelles par le traité de 1845, et après cela pourrez-vous encore nous dire
que vous réclamez la sympathie de nos populations industrielles, quand au lieu
de les protéger vous ouvrez la Belgique aux produits de la France, celle-ci
continuant à repousser les vôtres ?
Prenez-y garde, MM. les ministres, car on vous a prouvé que la
production annuelle de l'industrie lainière, sans y comprendre le district de
Tournay, est de plus de 32 millions de francs, et que les capitaux engagés pour
cette industrie, en maintenant l'exception ci-dessus, excèdent 117 millions. Et
remarquez-le bien, la prétendue industrie linière à la main n'a pas le plus
petit capital engagé.
Que mes honorables collègues, dont les provinces ne sont pas intéressées
dans les concessions faites par ce fatal traité, y réfléchissent mûrement !
C'est en détail que l'on nous attaque ; aujourd'hui c'est une industrie qu'on
sacrifie, mais un peu plus tard, le tour d'une autre industrie arrivera ; si
vous acceptez ce traité, parce que votre province n'en souffre pas, vous
subirez le même sort un jour, si à votre exemple, nous en agissons de même
quand votre province sera intéressée directement. C'est à nous, mes honorables
collègues, à ne pas laisser arriver le malheur dont la Belgique est menacée,
car le ministère ne s'occupe pas des besoins industriels du pays, il ne sait
que se soumettre à l'étranger ; j'en trouve la preuve dans la conclusion de ce
traité néfaste ; il oublie les motifs qu'il a fait lui-même valoir, pour les
lois protectrices de l'industrie lainière. Les motifs mêmes du projet de loi,
en ratification de ce traité, sont une preuve incontestable du peu de soin que
le ministère a donné à la négociation.
Maintenant, messieurs, que nous avons reconnu l'inefficacité du traité,
voyons si ce traité, en le supposant utile, ne nous est pas vendu au prix de
sacrifices qui ne trouvent aucune compensation réelle dans ses dispositions.
Nous maintenons d'abord, à l'égard des vins et des soieries, le
traitement stipulé par la convention du 10 juillet 1842 ; nous accordons
ensuite 12 p. c. de déchet au lieu de 7 alloué aux sels provenant de France en
sus de la réduction qui pourrait être accordée aux sels de toute autre
provenance ; nous supprimons les taxes supplémentaires établies par l'arrêté
royal du 14 juillet 1843 sur les fils de laine de toute sorte, sur les
habillements neufs ou supportés, et sur les ouvrages de mode, le tout de
provenance française. Ce n'est pas encore assez, nous consentons de réduire au
profil de la France, d'un quart, les droits actuels qui frappent les tissus de
laine. Nous affranchissons les draps, casimirs et leurs similaires du droit
supplémentaire de 9 et 6 3/4 p. c. fixés par l'arrêté du 27 août 1838 ; et
enfin nous nous engageons à maintenir pendant toute la durée de la convention
les dispositions des arrêtés du 15 octobre 1844 et du 2 octobre 1845, par suite
desquels les tissus de coton d'origine française sont affranchis des surtaxes établies
par l'arrêté du 13 octobre 1844. M. Guizot, en présentant ce traité à la
chambre française, n'a pu se dispenser de lui dire franchement :
« Nous avons, d'une part, fait à la Belgique des concessions moindres et
obtenu en retour des concessions plus considérables.
« Quant à l'industrie linière, personne ne peut contester qu'elle était
en assez mauvais état en France, lorsque la convention de 1842 fut conclue ; on
ne peut contester non plus que, pendant la durée de cette convention, elle y a
prospéré ; c'est sous l'empire de la convention de 1842 que l'industrie linière
s'est relevée de son déclin. Dans ces derniers temps, à la fin de l'année
dernière, elle a éprouvé une certaine crise, comme toutes les industries
analogues, en ce moment elle reprend le cours de sa prospérité. »
« J'en viens aux concessions que nous avons obtenues de la Belgique :
l'arrêté belge de 1843, qui imposait à nos tissus de laine une augmentation de
droits, a été rapporté en tout ce qui touche les tissus de laine, qui intéressent
particulièrement la France, pour lesquels nous faisons avec la Belgique un
commerce de quelque étendue. »
Peut-on faire plus clairement la censure du traité au point de vue des
intérêts belges ? Voulez-vous encore une autre démonstration que le traité est
exclusivement au bénéfice de la France ? Voyez le nombre des voix acquis à
l'approbation du traité : contre, 36 ; pour, 209.
Ce résultat est significatif dans une chambre composée en grande partie
d'industriels. Du reste, messieurs, les clauses du traité parlent assez haut,
elles n'ont pas besoin de commentaires.
La France craignant le développement de notre industrie, craignant
surtout que nous ne lui fassions concurrence sur le marché étranger par la
fabrication des tissus de laine légers, comme les mousselines-laine, les
mérinos, etc., a eu soin d'exiger que les droits actuels fussent réduits d'un
quart ; le but de ces réductions est facile à apercevoir ; la France veut
s'attribuer notre marché intérieur, elle veut détruire nos établissements
naissants, elle veut amener leur ruine au profit de ses industriels.
Avant 1838 les draps français et les casimirs étaient prohibés en
Belgique ; en 1838 on en a permis l'importation au droit de 250 fr. les 100
kil. La France a-t-elle admis nos produits similaires sur le même pied ? Non,
messieurs, la France a maintenu la prohibition, et cependant quoique cette
prohibition soit maintenue par la France, on nous propose de consentir, au
profit des produits français, la suppression de la surtaxe des 9 et 6 3/4 p. c.
établie par l'arrêté du 27 août 1838, et comment arrive-t-on à justifier cette
proposition ? C'est ici surtout que le gouvernement est en contradiction avec
lui-même. Avant de le prouver, commençons par faire connaître quelle est la
cause et l'origine du droit supplémentaire établi par l'arrêté du 27 août 1838.
La France accorde une prime de 9 p. c. de la valeur des draps exportés,
et une prime de 6 3/4 de la valeur des casimirs. Cette prime n'est pas un
simple drawback en restitution des droits perçus sur l’importation des laines.
En effet, de l'aveu des industriels français, le droit d'entrée sur les laines
étrangères qui est de 22 francs n'a amené aucun changement dans le prix de la
laine indigène.
La faculté de préempter la laine cessant, lorsque la laine est déclarée
à 65 p. c. de sa valeur (lettre de la douane française du 14 octobre 1841,
remarquez ici que j'entre dans la manière de calculer du ministère. La chambre
de commerce de Verviers établit elle son calcul à 60 p. c. de la (page 1839) valeur et elle en fournil la
preuve), il en résulte que le droit de 22 francs ne se perçoit que sur 65 p. c,
de la valeur et se réduit ainsi à 12 ou 15 p. c. D'un autre côté, la laine
étrangère n'entre que pour 1/10 dans la consommation totale de la France, et la
laine n'entrant dans la valeur du drap que pour une moitié, (j'exagère, car
elle n'entre pas pour moitié), il résulte que sur la prime de 9 p. c. de la
valeur, il ne peut y avoir de véritable drawback que le 20ème de 12 à 15 p. c,
soit 3/5 à 3/8 p. c. de la valeur du drap, les 9 p. c. et le 6 3/4 p. c.
accordés à la sortie de France sur les tissus de laine, sont donc une véritable
prime d'exportation et c'est ce que le gouvernement belge établit parfaitement
aux pages 9, 19, 20 et 21 de l'exposé des motifs, à l'appui du projet, pour la
conversion en loi de l'arrêté du 14 juillet 1843. Comment se fait-il que ce qui
était une prime d'exportation à la date du 8 mai 1844 soit devenu aujourd'hui
un drawback. M. le ministre pourra expliquer à la chambre comment il s'est fait
que le gouvernement ait ainsi changé de manière de voir !
Si le traité est adopté, le droit de 250 francs par 100 kil. ne sera
plus qu'une véritable fiction.
Supposons un drap de la valeur de 18 fr. l'aune à la sortie de la
fabrique. L'expéditeur recevra à la sortie une prime de 330 fr. 48 c. sur un
ballot de 12 pièce de drap d'un poids de 144 kil. Or le droit à payer sur ce
ballot ne serait que de 360 francs, de sorte, qu'en résumé, le droit d'entrée
de 250 fr. il ne sera plus que de 29 fr. 52 c. ou 17 centimes p. c. du droit
établi. Il est encore à remarquer que la prime se paye d'après la valeur du
drap, tandis que le droit d'entrée se paye d'après le poids. Or plus un drap a
de valeur, plus il est léger, et par suite plus il reçoit déprime et moins il
paye d'entrée.
Pouvez-vous, messieurs, sanctionner un pareil résultat en présence des
contributions de toute espèce, et de tous genres qui pèsent sur nos industriels
? Le droit d'entrée sur les marchandises étrangères doit toujours au moins
contrebalancer les taxes qui pèsent sur l'industrie nationale ; ce traité viole
donc tous les principes d'économie politique.
L'industrie drapière pourrait peut-être soutenir la concurrence contre
la Fiance, mais ce n'est pas à ce point de vue que nous devons nous placer ;
lcdistiicl.de Verviers a réussi à créer une industrie nouvelle à côté de
l'industrie drapière ; on y fabrique maintenant des étoffes de laine pure pour
pantalons. N'est-ce pas, messieurs, sacrifier cette industrie nouvelle, qui
donne du pain à des milliers d'ouvriers, que de permettre aux industriels
français de venir lutter sur notre marché, que de leur permettre d'offrir leurs
fabricats à aussi bas prix et même à plus bas prix que les nôtres ? C’est,
messieurs, favoriser l'engouement ridicule des consommateurs, qui donneraient
trop souvent la préférence aux produits de mode français, si les fabricats
belges n'étaient (à part leur bonne qualité) soutenus par le bon marché.
La France protège, elle, toutes ses industries, et la Belgique livre les
siennes à la merci de sa puissante voisine.
Un objet non moins important, c'est la filature des fils de laine. Sous
1'influence de l'arrêté de 1843, nos filatures de laine cardée ont repris de la
vigueur et de l'extension. Elles fournissent aujourd'hui les fils employés à
Verviers et dans les arrondissements de Tournay, Courtray et Mouscron, au
tissage des flanelles à carreaux, des doublures de mérinos, des étoffes à
pantalons et étoffe commune avec chaîne de coton ; ces industries fournissent
des produits à la consommation intérieure et à l'exportation aux Etats-Unis et
au Brésil.
L'effet salutaire produit par l'arrêté de 1843est constaté par le
gouvernement lui-même à la page 12 de l'exposé du 8 mai 1844.
La convention de décembre 1845 anéantira nos filatures et détruira tous
les effets que le gouvernement se promettait de l'arrêté de 1843.
Les droits seront réduits en faveur de la France, de 100, 120, 140 fr..
les 100 kilog., à 40 et 60 francs.
Les douanes françaises payent en moyenne, à la sortie, sur les fils
dégraissés 171 fr. les 100 kil. et sur les fils non dégraissés 140 fr. Pour les
uns et les autres, la prime varie suivant la valeur de la laine. Le droit
d'entrée deviendra donc une dérision amère.
Sous le tarif de 1838, nos filatures de laine n'ont pu fournir des fils
à d'autres industries que l'industrie drapière, à cause des primes
d'exportation payées par la France et de la concurrence de l'Angleterre. Sous
le tarif de 1843, nos filatures ont pu fournir des fils à d'autres industries
en concurrence avec la France et l'Angleterre, et elles n'ont pu même fournir
d'un numéro supérieur, en concurrence avec la France, à raison des primes
d'exportation ; et en 1846, on veut détruire nos filatures, au profit de la
France.
Le traité, dont on vous demande la ratification est donc un acte de
mauvaise politique : ce traité est un acte qui accuse la plus grande inhabileté
au point de vue de la nationalité.
Il ne faut jamais, messieurs, qu'une industrie soit sacrifiée à une
autre ; il ne faut jamais immoler une province à d'autres provinces : il faut
voir l'intérêt général du pays ; il faut protéger toute industrie qui a de
l'avenir ; il faut se hâter d'abandonner toute branche d'industrie qui vieillit
; il faut surtout se garder de lutter contre les innovations salutaires dans
les procédés de fabrication ; car c'est vouloir perpétuer un état contre
nature, et augmenter toujours les souffrances du pays.
La France nous accuse de nous tourner vers l'Allemagne ; mais c'est
elle-même qui nous y porte, car, je vous le demande, fait-elle quelque chose
pour nous ? Ne fait-elle pas, au contraire, tout ce qui peut tendre à notre
ruine ?
La France, sous le roi Guillaume, avait prohibé nos produits lainiers,
ce dernier prohiba à son tour les mêmes produits français. L'industrie se
trouva fort bien de cette réciprocité.
En 1838, la Belgique leva cette prohibition, voulant prouver à la France
son vif désir de lever les entraves en faveur du commerce respectif des deux
pays, unis par les mêmes opinions politiques.
Qu'a fait la France ? A-t-elle imité la Belgique en levant, de son côté,
la prohibition ? Non, mais elle l'a maintenue dans toute sa rigueur.
Ainsi aujourd'hui, les produits lainiers entrent en Belgique, à des
droits fixés, depuis 1839. Sept années sont écoulées, sans que nous ayons pu
obtenir d'entrer en France, à des droits similaires, ni même plus forts, et
c'est dans cet état des choses qu'on vient consentir à des réductions de ces
droits, en faveur de la France, elle qui prohibe les produits similaires belges
d'une manière absolue !
Comprend-on la conduite de notre gouvernement ?
Les membres du parlement français reconnaissent qu'une coalition
d'industriels force la main au gouvernement, et empêche souvent de faire ce qui
serait conforme aux intérêts du pays ; que l'on ne fait que de mesquines
faveurs à la Belgique ; que le Belge consomme trois fois plus de marchandises
françaises, que le Français n'use d'objets fabriqués venant de la Belgique. Ils
reconnaissent encore, qu'à l'aide du traité, cette exportation va prendre un
développement considérable. Comprend-on la conduite du gouvernement belge
envers les prohibitionnistes français, qui présentent une triple ligne de
douanes contre nous ?
Le gouvernement belge a pris en 1838, une mesure qui établit une surtaxe
; il a pris en 1843, un arrêté qui protégeait l'industrie lainière contre les
fabricats étrangers. Nos ministres ont apporté cet arrêté, lorsque le Roi était
au milieu des Verviétois, qui lui en témoignaient une reconnaissance aussi vive
que respectueuse, non seulement pour eux mais pour les nombreux établissements
qui existaient en Belgique.
Aujourd'hui d'après le traité, quels sont, pour les industriels, les
fruits qu'ils retirent de cet arrêté ? Des fruits bien amers pour ceux qui se
sont bercés de l'espoir que la mesure serait définitive. Aujourd'hui, par le
traité, c'est un véritable leurre, une ruine pour l'industriel qui a accordé sa
confiance. Il aura monté ses ateliers, les aura garnis de machines et de
métiers, et à peine sont-ils établis que l'arrêté est modifié, qu'on va même
jusqu'à rapporter une surtaxe établie depuis 1838 ; et en faveur de qui
faites-vous de pareils sacrifices ? Pour les Français qui continuent à
maintenir leur triple barrière contre des fabricats similaires belges ; et
c'est vous, ministres, qui vous dites les sauveurs de la Couronne, qui la
compromettez au point de rétracter les paroles proférées par le Roi lorsqu'il
communiquait cet arrêté à nos industriels !
Le traité prolongera quelque temps, je ne dirai pas, l'industrie linière
à la main, mais l'industrie à la mécanique ; elle pourra faire quelques
fournitures à la France pendant les premières années qui suivront le traité ;
mais avant son expiration, ce débouché lui sera fermé, et dans cet intervalle,
qu'arrivera-t-il ? Vous avez aujourd'hui une industrie pleine de vie,
l'industrie lainière, qui ne se borne pas à une localité, mais qui prend racine
sur une grande partie du sol de la Belgique, elle est aujourd'hui
convenablement protégée ; dans six ans, elle n'aurait plus besoin de protection
; on pourrait suivre à son égard la marche qu’adopte en ce moment l'Angleterre.
Mais dit l'honorable M. d'Elhoungne, vous pouvez soutenir à l'étranger,
la concurrence avec les fabricats français, sans protection ; oui sans doute :
mais qui soutient cette concurrence ? Ce sont nos grands industriels, ce ne
font pas nos petits fabricants et c'est la classe la plus nombreuse. Pour eux
il faut le marché du pays. Et ce marché à qui l'abandonnez-vous ? Je ne puis
trop le répéter, à ceux qui vous repoussent, par une prohibition absolue de
leur marché.
Mais au lieu de maintenir cette protection contre la France, (elle ne se
borne pas à protéger, mais prohibe) au lieu de venir au secours de l'industrie
linière, par des primes bien distribuées, (par exemple, à 10 p. c. sur toute
exportation) primes qui ne coûteraient rien à l'Etat, car vous en prendriez la
valeur sur les impôts que vous produiraient les vins et la soierie étrangère ;
vous négligez ces impôts, vous faites cesser la protection, quand la France
prohibe, au lieu de lui dire : Abattez vos barrières, j'abals les miennes.
Quel sera le résultat du traité que nous discutons ? C'est qu'avant son
expiration, l'industrie linière sera perdue, et la lainière, qui aurait pu la
remplacer, aura le même sort ; c'est ainsi que l'une après l'autre toutes nos
industries périront.
Et en effet, que faites-vous en ce moment avec la Hollande ? Vous
disputez sur des articles de tarifs. Le ministère nous arrête, lorsque nous
voulons lui dépeindre combien le retard nuit à nos producteurs. Prenez-y garde,
nous dit-on, vous allez augmenter les prétentions de la Hollande, en lui
découvrant la position de la Belgique. On semble croire que le cabinet batave
ne connaît pas notre situation par une raison fort simple, nos ministres
l'ignorent, ou ne s'en occupent pas.
On nous tenait le même langage quelques jours avant le traité français,
on nous assurait qu'on n'avait fait aucune concession nuisible à l'industrie
lainière, il fallait avoir la plus grande confiance dans le ministère, ne point
l'entraver par des demandes d'explication ; je vous le demande comment a-t-on
répondu à cette confiance ?
Au lieu de ces disputes de tarif, que faudrait-il entre la Belgique et
la Hollande ? La suppression de toute ligne de douane, pour le bonheur des deux
nations.
Que nous faudrait-il avec la France ? L'union douanière. Mais le cabinet
belge ne l'a pas voulu. L'honorable M. Guizot l'a déclaré à la tribune
française, je cite ses paroles :
« Je ne dirai qu'un mot sur l'union douanière. Les honorables membres
qui en ont parlé se sont certainement rendu compte de toutes les (page 1840) difficultés que rencontrait
une pareille mesure, des difficultés françaises, des difficultés européennes,
des difficultés belges.
« Eh bien, je n'hésite pas à dire que, de toutes ces difficultés, les
dernières sont les plus grandes et celles qui nous ont le plus frappé : je ne
voudrais pas que mes paroles allassent au-delà de mon intention, ni qu'elles
compromissent ce qui peut être possible un jour ; les difficultés françaises,
qui tiennent à la concurrence des industries nationales avec les industries
belges, sont grandes ; les difficultés européennes, les inquiétudes auxquelles
ces difficultés se rattachent, sont réelles. Mais les difficultés belges sont
les premières de toutes.
« La Belgique est nouvelle dans la carrière de la nationalité, de
l'indépendance, de la neutralité. Tenez pour certain que la perspective de
l'union douanière l'a inquiétée, effrayée sur ses premiers intérêts politiques.
L'union douanière sans le concours complet, sincère, efficace, de l'une des
deux parties, est chimérique et impossible. L'union douanière ne serait
possible qu'autant que la Belgique y verrait son bien, son salut. Il n'en est
rien quant à présent.
« Les considérations que je rappelais tout à l'heure à la chambre, le
sentiment de la nationalité, le désir de l'indépendance, la crainte de voir sa
neutralité compromise, sont les sentiments dominants en Belgique sur cette
grande question. Il n'y a donc pas moyen de penser sérieusement à l'union
douanière : on peut en parler, mais y travailler sérieusement, cela ne se peut
par, tant que le sentiment du danger qu'aurait la mesure pour sa nationalité et
son indépendance, surpassera, dans l’esprit de la Belgique, les avantages qui
pourraient en résulter pour elle.
« Nous avons donc été naturellement conduits, par la vérité des choses
et par les motifs que je ne fais qu'indiquer à la chambre, nous avons été
conduits, dis-je, à laisser le système de l'union douanière de côté, et à
réserver ses chances, s'il en a, pour une autre fois. »
On a donné, dit M. le ministre, aux paroles de M. Guizot, une portée
qu'elles n'avaient pas. Je viens de vous prouver, messieurs, par la lecture d'un
passage du discours du ministre français, que rien n'est plus clair, plus
positif, que la déclaration de ce dernier.
Comme de coutume, le ministère belge a négligé de demander des
explications. Le ministère français sait respecter la chambre française, mais
le ministère belge sait probablement par expérience qu'on peut tout obtenir de
la chambre belge ; c'est par le même motif que nos diplomates ne trouvaient
rien à répondre, lorsque le ministère français leur disait qu’il n'oserait pas
présenter de pareilles conditions à la chambre des députés, ils ne pensaient
pas qu'ils avaient une chambre de représentants.
Que nous faudrait-il enfin, messieurs, en attendant cette union
douanière ? Un tarif uniforme appliquée à des produits similaires ; s'en
irriter serait, de la part des deux pays, un excès d'exigence que l'un et
l'autre ne pourrait souffrir.
Convaincu que le traité de 1845 est nuisible aux intérêts du pays, il
n'aura pas mon assentiment : la chambre, je l'espère, ne se laissera pas
entraîner par les inconséquences et les fluctuations ministérielles. Elle
demandera dans la vue de quels intérêts le gouvernement lui propose de
sacrifier une industrie vivace et prospère ? C'est à la France, messieurs, et à
l'industrie linière que l'on sacrifie l'avenir de nos fabriques de draps ou
d'étoffes de laine ; à la France qui, dominée par ses grands industriels,
repousse de ses marchés nos fabricats et nous impose la concurrence ruineuse de
ses produits ; à la France qui n'accepte dans de certaines proportions, que les
produits de celles de nos industries qui, n'ayant plus d'avenir, ne lui
inspirent pas de crainte sérieuse ! La législature belge pourra-t-elle
sanctionner une pareille iniquité ? L'égalité devant la loi, l'égale
répartition dans la protection que la loi accorde à tous, sera-t-elle
maintenant un mot vide de sens, une dérision quand il s'agira de l'industrie de
la laine ? C'est à vous, messieurs, de décider si le principe qui forme la base
de notre législation douanière doit recevoir des exceptions ! Mais, prenez-y
garde ; n'oubliez pas qu'admettre le principe qu'une industrie peut être
offerte en holocauste, pour conserver des débouchés à l'industrie d'une
province puissante, consacre un précédent dont les conséquences peuvent être
désastreuses pour le pays.
C'est une faute et une faute grave en politique que de traiter en ilotes
une partie du pays au profit d'une autre partie du même pays. L'injustice n'a
qu'un temps, et tôt ou tard le jour des représailles arrive. La Belgique a
besoin de l'union de toutes ses forces, elle doit surtout vouloir et désirer,
que les efforts de tous convergent vers le même but.
Or, peut-on espérer atteindre ce résultat, lorsque l'on sème dans le
pays un brandon de discorde, lorsque l'on érige en principe légal, que les uns
doivent être immolés au plus grand avantage des autres ? Ce n'est pas,
croyez-moi, messieurs, un bon moyen de faire aimer une jeune nationalité, que
de laisser prédominer les intérêts matériels d'une fraction du pays, que de
sacrifier le reste à la conservation de ces intérêts. Cette conduite est
antinationale, car elle crée l'égoïsme et produit un antagonisme déplorable
entre les divers membres d'un même corps. Et savez-vous quel est le résultat de
l'égoïsme et d'un antagonisme semblable ? C'est de faire germer dans le sein de
l'Etat un principe de dissolution, dont il est quelquefois bien difficile
d'arrêter les effets et dont il est surtout souvent impossible de prévenir
efficacement les dangers.
L'indifférence est déjà une maladie mortelle quand elle gangrène la
masse de la nation ; que sera-ce quand à l'indifférence se joindra l'action
vive et puissante des intérêts matériels lésés ? Quand on pourra avec fondement
accuser le gouvernement d'injustice, quand on pourra dire, que s'il n'y a pas
égalité dans les charges publiques, il n'y a pas égalité dans la protection que
la loi doit accorder à tous, quand on pourra dire en un mot que notre
association nationale est une sorte de société léonine ?
La sagesse de la chambre préviendra tous ces dangers ; elle repoussera
le fatal traité que la France veut nous imposer, et tout en repoussant ce
traité néfaste, elle saura adopter les mesures que peut commander l'état de
l'industrie linière. Vous concilierez, messieurs, tous les intérêts ; mais vous
n'en sacrifierez aucun. Accordez à l'industrie linière des primes
d'exportation, rien ne s'y oppose ; accordez à cette industrie une protection
équitable, mais que cette protection ne soit pas accordée au détriment d'une
autre branche de la richesse nationale. Mais, dira l'industrie linière, il
faudra deux années pour se procurer des débouchés, que faire en attendant ?
Accordez, au besoin, des primes qui couvrent l'excédant du droit de douane pour
l'entrée en France, au moins ce sacrifice ne durera que deux années ; vous ferez
acte d'économie, car vos faveurs envers la France, résultant du traité, vont
durer six années, et dans deux ans peut-être, dans quatre années bien
certainement, vous ne pourrez plus fournir ni fils ni toiles à la France ; elle
n'en voudra plus ; ce n'est pas à vingt pour cent de droit que vous pourrez
tenir la concurrence, et vous aurez à continuer les concessions faites.
Rejetez, messieurs, le traité ; ce sera servir les intérêts du pays, ce
sera en même temps servir d'une manière efficace les intérêts de l'industrie
linière, toutes les branches de l'industrie nationale, toutes les veines et les
artères d'un même corps. Frapper l'une des branches de l'industrie ; c'est
tarir une source de prospérité, c'est restreindre le marché national pour
toutes les autres, et c'est, par suite, nuire à la branche même que l'on a
voulu protéger au détriment des autres.
Vous repousserez ce traité, parce qu'il consacre une inégalité entre les
deux pays, parce qu'il ne repose pas sur le principe d'une juste réciprocité,
seule base d'un traité acceptable.
La chambre n'oubliera pas que, dans tous les conflits douaniers, c'est
la province de Liège qui est souvent frappée, tantôt c'est dans ses draps et
ses houilles avec la Hollande, tantôt c'est dans ses fers avec le Zollverein ;
et encore, aujourd'hui, se font de nouveaux sacrifices, que l'on veut nous
imposer. Vous n'oublierez pas non plus que l'industrie de la laine, de l'aveu
de la chambre de commerce de Charleroy, tend à se substituer à l'industrie
linière, et à amener ainsi une transition dans les habitudes des ouvriers des
Flandres.
Sacrifierez-vous à l'avenir, à une espérance, car c'est là tout le
mérite du traité ; M. le ministre des affaires étrangères vient, en termes
formels, d'en convenir, sacrifierez-vous ainsi une industrie pleine de vie,
dans le moment actuel ? Tarirez-vous une source de bien-être et de prospérité,
à la chance fort douteuse de prolonger l'agonie d'une industrie décrépite !
Je ne puis le croire, vous vous souviendrez de l'espoir qui vous berçait
en 1838, et qui est resté à l'état d'espérance, ou plutôt de déception, à
l'époque où nous sommes arrivés. Je ne puis le croire, vous donnerez |à la
nationalité belge un nouveau baptême, et vous saurez prouver que tous les
intérêts vous sont également chers. Rejetez, messieurs, le traité ; la
prospérité, que dis-je ? l'existence de l'industrie lainière et l'intérêt
général du pays l'exigent impérieusement. Je demanderai maintenant au
ministère, ce qu'il a fait pour repousser la prétention de la France, quant à
la surtaxe des 9 et 6 3/4 p. c. ?
Qu'avez-vous répondu à la France qui élevait une pareille réclamation ?
Vous n'avez rien dit, vous y avez acquiescé, sans discussion, toutes vos
communications en comité général le prouvent.
L'honorable M. d'Elhoungne vous a fait le même reproche, et M. le
ministre des affaires étrangères n'a rien répondu : M. d'Elhoungne a dit que le
ministère avait fait légèrement cette concession, lui qui avait soutenu avec
une grande assurance et avec beaucoup de développement que la prime
d'exportation accordée en France n'est pas un drawback, mais une véritable
prime d'exportation. J'ai lieu de croire, a-t-il ajouté, que le gouvernement
belge a trop légèrement admis les assertions du gouvernement français qui
soutient le contraire.
De quel moyen vous êtes-vous servi pour vous laver de cette négligence,
je dirai même de cette incurie ? Un industriel de Verviers, nous avez-vous dit,
un industriel du premier rang était convenu que la surtaxe n'était qu'un
drawback.
Et c'est ainsi que vous ne craignez pas de venir à la tribune nationale
ternir une réputation méritée, pour tâcher de sauver et vos fautes et celles de
vos diplomates.
Mais c'est en comité général que vous nous faites cette confidence, et
vous avez pour cela de bonnes raisons. La famille du sénateur Biolley, la
presse ne peuvent pas vous répondre.
Je suis donc forcé de vous dire que l'avancé n'est pas exact, c'est en
scindant les idées de cet industriel que vous voulez nous faire croire qu'il
aurait reconnu que la surtaxe n'était qu'un drawback.
Mais ce n'était pas un individu que le ministère avait à consulter dans
une affaire aussi grave.
C'était la chambre de commerce de Verviers, un corps constitué
spécialement pour donner des renseignements sur les questions de commerce et d'industrie.
Et vous ne l'avez pas fait ! C'est donc dans l'ombre que vous vouliez
agir, c'est dans l'ombre que vous venez accuser.
Vous avez donc reconnu, sans
discussion comme sans contestation, que c'était à bon droit que la France
demandait la suppression de la surtaxe, qui formait pour elle, ainsi qu'elle le
disait, une exception au droit commun.
Mais cette surtaxe faisait si peu exception au droit commun, qu'elle est
applicable à tous les Etats qui établiraient des primes de sortie.et (page 1841) remarquez-le bien, remarquez
dans quelle circonstance cette surtaxe a vu le jour.
La France prohibait tout produit lainier, et elle les prohibe de même
aujourd'hui. La Belgique prohibait à son tour les mêmes produits. Que fit la
Belgique en 1838 ? Le ministère lui conseilla de prendre l'initiative des
bonnes dispositions envers la France pour obtenir de sa part une parfaite
réciprocité. La Belgique leva donc la prohibition, elle la remplaça par des
droits d'entrée et opposa aux primes de sortie la surtaxe dont s'agit.
Que voulait la Belgique ? Voir la France en agir de même ; et depuis
lors, elle l'a vainement sollicitée à cette réciprocité, c'était là tout son
désir ; mais non, la France a maintenu ses prohibitions, et vous ne trouvez
rien à répondre, quand elle vous demande la levée de pareille surtaxe.
Vous la levez comme étant un drawback, un industriel puissant vous l'a
dit ; vous avez donc oublié ce que vous disiez, il y a deux ans, et ce que M.
le ministre de l'intérieur actuel disait en 1838 ? Vous nous prouviez alors
sans réplique que notre industrie lainière ne pouvait pas prospérer sans
protection ; aujourd'hui, vous l'abandonnez pour faire prospérer l'industrie
étrangère aux dépens de l'industrie indigène.
Vous venez ensuite diviser la représentation nationale en jetant dans la
discussion des craintes pour les autres industries, si on n'acquiesçait aux
dispositions exigées par la France.
C'est ainsi qu'en mettant en jeu l'intérêt provincial, vous sacrifiez
l’intérêt général.
Mais vous oubliez sans doute que nous nous sommes déjà trouvés dans
pareille position.
La France a prohibé nos draps, nos étoffes de laine, nos verreries, nos
glaces, etc., etc.
Mais les Pays-Bas ont répondu par de semblables prohibitions et nous
nous en sommes bien trouvés. Nous nous trouvions dans cet état en 1830.
La Belgique a malheureusement levé ses prohibitions après 1830, sans
recevoir l'équivalent.
La Hollande a maintenu ses prohibitions, et voyez la différence.
La Hollande obtient en 1840 un traité avec la France fort avantageux
La Belgique ne peut rien obtenir, sans ruiner une industrie pleine de
vie et d'avenir.
Mais la France, me dira-t-on, peut prohiber nos houilles, nos fontes,
notre industrie linière ; mais nos houilles et nos fontes, ce sont là des
matières premières, elle en a besoin.
Mais supposons qu'elle prohibe nos houilles, n'avez-vous pas ses vins à
prohiber, et pour qui le tort serait-il le plus grand ? i
Nos fontes, mais n'avez-vous pas ses scieries, ses modes, sa
quincaillerie fine, sa mercerie ?
Notre industrie linière, mais n'avez-vous pas ses draps, ses étoffes de
laine, ses glaces et bien d'autres objets ?
Vous le voyez, messieurs, la France peut refuser nos matières premières
dont elle a besoin ; mais nous avons bien plus de tort à lui faire en objets
manufacturés et qui ne sont pas de nécessité absolue.
Mais si la France prohibait nos houilles et nos fontes, ne serait-ce pas
à elle-même qu'elle ferait le plus grand tort ? Aussi n'a-t-elle pas usé de
pareille prohibition vis-à-vis du royaume des Pays-Bas, quand nous en faisions
partie.
Inutilement, M. le ministre des affaires étrangères, dans le comité
général, avait-il mis en avant les prohibitions dont il s'agit, car bientôt en
séance publique, il est venu nous rassurer pleinement, en nous disant que la
France compromettrait complétement sa forgerie dans les départements du Nord et
des Ardennes, que le minerai manque à la forgerie du Nord, et que ce bassin
métallurgique de France serait condamné à une ruine prochaine, si on
n'admettait notre houille et notre fonte à des droits réduits. Il a parlé des
chemins de fer et enfin des versements de capitaux français dans nos grands
établissements, mais je dois en convenir, telle est la versatilité de M. le
ministre des affaires étrangères, qu'il vient de nous tenir un langage tout
différent.
Le ministère n'aurait jamais dû accepter pareil traité, puisqu'il
convient que celui de 1842 n'avait pas répondu à notre attente ; il devait se
rappeler que ce dernier traité n'avait été défendu par aucun membre de la chambre,
que tous avaient dit alors que si nous avions eu plus d'énergie, si à chaque
aggravation de tarif que la France a fait peser sur nous, nous avions répondu
par une mesure semblable, nous n'eussions pas dû passer sous les fourches
caudines, comme nous étions forcés de le faire en 1842 ; que la section
centrale, en vous présentant le rapport sur ce traité, vous exprimait le regret
de devoir reporter vos souvenirs vers la loi du 7 avril 1838, modifiant le
tarif des douanes, parce que c'était là que nous avions posé le germe des
conditions que cette convention nous imposait.
Mais MM. les ministres auront pensé que la chambre est de facile
composition ; on tenait pour certain qu'elle ferait en 1845 ce qu'elle avait
fait en 1838 et en 1842 ; qu'ils viendraient lui dire qu'il y avait nécessité
absolue, qu'ils nous feraient craindre les représailles comme ils l'avaient
fait en 1842.
Aujourd'hui, messieurs, les gouvernements étrangers doivent connaître
notre faiblesse ; ils peuvent tout exiger de nous, ils n'ont rien à craindre,
ils peuvent frapper, nous ne pouvons et nous ne voulons frapper à notre tour,
c'est ce que vous ne leur avez que trop bien appris.
Mon honorable ami M. d'Elhoungne a cité une partie du discours que j'ai
prononcé en 1842 d'où il conclut que l'industrie verviétoise, alors qu'elle
n'était pas encore protégée par l'arrêté du 14 juillet, se résignait très bien
à soutenir la concurrence de la France, d'où il s'ensuit que le gouvernement
n'a fait par le traité que rentrer dans les intentions premières de l'industrie
verviétoise.
Et il s'écrie :Dira-t-on maintenant que cette exception, qui n'est pas
complète, peut être le coup de mort pour l'industrie verviétoise, alors qu'un
député de Verviers l'avait indiqué lui-même dans cette enceinte ?
Mais mon honorable ami tire des conséquences qui ne sont nullement
exactes puisque, pour y arriver, il doit ne pas tenir compte de la surtaxe sur
les draps et casimirs dont nous jouissions depuis 1838, que je croyais voir
reproduire dans la disposition que je sollicitais, ce qui n'a pas eu lieu.
Mon raisonnement aurait donc changé du tout au tout ; je me serais bien
gardé de parler d'exception envers la France, je n'en parlais que dans l'idée
que la même surtaxe qui existait pour les draps serait appliquée aux tissus de
laine.
Nul doute, messieurs, que le traité ne pouvait avoir un meilleur
défenseur que l'honorable M. d'Elhoungne qui a fait valoir, avec le talent que
vous lui connaissez, tout ce qui pouvait paraître une faveur accordée à la
Belgique, tout en s'efforçant de réduire à fort peu de chose les concessions
qu'on exigeait de nous, de sorte que pour une mauvaise cause il fallait aussi
pareil avocat, le ministère en avait un besoin absolu ; aussi M. le ministre
a-t-il reconnu qu'il ne lui restait dès lors plus rien à dire après lui, pour
la défense du traité.
M. le ministre aurait dû, me semble-t-il, confesser aussi son
impuissance de réfuter la critique si pressante, qu'il avait faite de ce même
traité.
L'honorable M. d'Elhoungne nous a aussi dit que la prime de sortie
accordée en France pour tes draps et tissus de laine n'était pas d'un grand
avantage pour les fabricants français, et la preuve en était, selon lui, que
ceux-ci n'ont cessé de s'opposer à l'augmentation du droit d'entrée sur la
laine étrangère et par suite des primes de sortie.
Cette conduite des fabricants français n'a rien qui puisse surprendre,
et ce n'est pas là la preuve, comme vous l'a dit M. d'Elhoungne, que la prime
de sortie ne leur soit pas très avantageuse.
En effet, les fabricants français ont intérêt à la suppression du droit
d'entrée sur les laines, et par suite de la prime de sortie, et la raison en
est bien simple.
C'est que leur marché intérieur est bien plus considérable que le marché
extérieur.
Ils fabriquent bien davantage pour l’intérieur que pour l'étranger.
La France consomme bien autrement que la Belgique, et tout son marché
leur appartient exclusivement.
Il me reste encore, messieurs, à vous parler de M. Guizot, qui reconnaît
que la France est aujourd'hui plus avancée que la Belgique en fait d'industrie
linière. (Bruit, réclamation pour la
levée de la séance, et même la clôture.)
J'allais, messieurs, arriver à la fin de mon discours ; il ne me restait
pour ainsi dire qu'à vous remercier de la bienveillante attention que vous avez
bien voulu prêter à un aussi long discours, mais ce bruit qui continue me force
à y renoncer.
Plusieurs voix. - Parlez ! parlez !
M. Lys renonce à continuer.
M. le président. - La parole est à M. Rodenbach.
Plusieurs
membres. - La clôture ! la clôture
!
M. Rodenbach. - Messieurs, voilà quatre jours que je suis inscrit. J'espère qu'on
voudra bien m'accorder dix minutes, d'autant plus que mon district a été nommé.
Je promets d'être très court.
Je commencerai par répondre à l'honorable préopinant que le district de
Roulers, dont il a cité les pétitions, demande à grands cris que le traité soit
accepté.
Je dois aussi protester contre une allégation que l'on a faite dans
cette discussion, et notamment un honorable député d’Anvers et de Tournay ; il
vous a dit que l'industrie linière était une industrie stationnaire. Je dis,
messieurs, que, loin qu'il en soit ainsi, l'industrie linière est une de celles
qui, depuis trois ans, se donnent le plus de peine pour avoir les procédés les
plus avancés. Je citerai surtout le district de Roulers, où l'on compte déjà
quatorze fabriques de toile à la mécanique, qui occupent au-delà de 7,000
ouvriers.
Messieurs, on vous a parlé de l'industrie des laines. Je conviens avec
l'honorable M- David et avec l'honorable M. Lys que dans ce moment il existe
une crise bien malheureuse pour cette industrie.
Les fabriques, depuis 18 mois, sont encombrées, je le sais. Mais c'est là,
messieurs, le sort de presque toutes les industries. On peut trouver une des
causes de l'état où se trouve l'industrie de Verviers, dans cette circonstance
que nous n'avons pas eu d'hiver, qu'il y a eu à peine cinq ou six jours de
gelée, que dès tors les étoffes de laine ont été beaucoup moins portées. Une
autre cause, messieurs, et la principale peut-être, c'est la crise des
subsistances. Les vivres ont été d'une cherté excessive, ce qui a fait que les
produits de l'industrie ne se sont pas vendus et qu'il y a eu encombrement. (La clôture ! la clôture !)
Messieurs, je trouve vraiment inconvenant qu'on ne me permette pas de
parler pendant cinq minutes. Si l'on veut remettre la suite de la discussion à
lundi, j'y consens volontiers. (Non ! Oui
! Continuez !)
Messieurs, l'industrie linière exportait en France en 1834 pour 25 à (page 1842) 30 millions de ses produits.
Aujourd'hui cette exportation est 12 millions pour les toiles et à 6 millions pour
les fils. La France seule nous fournit donc encore un débouché de 18 millions,
qui procure à nos nombreux tisserands et ouvriers des Flandres pour 12 millions
de main-d'œuvre.
L'industrie drapière, messieurs, exporte pour 15 à 17 millions. Eh bien,
la France qui est un pays de 34 millions d'habitants, où l'industrie drapière
est excessivement avancée, n'exporte pas pour plus de 19 millions. Ainsi la
Belgique exporte presque autant de draps que la France, dont les produits ont
une réputation européenne.
L'industrie des draps a éprouvé aussi une crise en France. En 1818 les
exportations étaient de 40 millions ; elles ne sont plus aujourd'hui que de 20
millions. Du reste, messieurs, presque toutes les industries ont eu leurs
moments de crise. (Interruption.)
Messieurs, je suis le député d'un district qui est le centre môme de
l'industrie linière. IL est étonnant qu'après avoir entendu des orateurs
pendant plus de deux heures, on ne veuille pas me prêter attention pendant
quelques instants.
Messieurs, un honorable député d'Anvers a proposé un système de primes ;
il a proposé d'allouer à cet effet 1,500,000 fr. par an. Messieurs, c'est là un
système des plus vicieux, et je suis étonné qu'un député d'Anvers vienne le
défendre ici. La boussole de tous les pays, messieurs, c'est leur intérêt. Si
vous rejetez le traité et si vous accordez des primes, a France ne manquera pas
d'élever les droits du montant de la prime, et votre exportation, qui est
aujourd'hui de 18 millions, tombera peut-être à 2 ou 3 millions. (Aux voix ! aux voix !)
Il arrivera pour la Belgique ce qui est arrivé pour l'Angleterre qui,
payant des droits plus élevés de 50 p. c. que vous, n'exporte plus en France
que pour 5 millions.
Messieurs, je désirais répondre à plusieurs orateurs ; mais puisque la
chambre paraît pressée, je ne dirai plus que quelques mots.
Messieurs, avec le traité nos malheureuses populations des Flandres ont
encore une existence, parce qu'elles peuvent vendre, à leur porte, dirai-je,
pour 18 millions de toiles et de fils. Un honorable député d'Anvers nous a dit
: Vous pouvez faire des toiles légères, et les expédier en Amérique et
ailleurs, comme font les Anglais et d'autres peuples. Mais, messieurs, il faut
des années pour pouvoir se créer des relations outre-mer. Il faut que l'on y
ait des comptoirs, des maisons de commerce ; et nos malheureux tisserands et
nos modestes fabricants n'ont pas des millions comme les Anversois pour arriver
à ce résultat. Car Anvers est prospère ; ses armateurs ont des millions ; ils
peuvent former des expéditions tandis que nos ouvriers ont besoin de vendre
leurs toiles au jour le jour pour pouvoir se procurer des moyens d'existence.
Ils n'ont pas le bonheur de jouir de cette prospérité qu'on remarque à Anvers.
Au moment où je vous parle, messieurs, il y a 370 navires dans les bassins de
notre métropole commerciale ; c'est un signe de prospérité réelle.
M. le ministre des affaires étrangères nous a fait connaître la position
brillante d'une foule d'industries. Mais il a dû faire une exception pour l'industrie
linière dont la malheureuse position est connue de tout le monde.
Si, messieurs par le rejet du traité vous aggraviez encore cette
position, 3 à 400,000 ouvriers se trouveraient réduits à la plus extrême misère
et vous seriez forcés d'établir la taxe des pauvres. (La clôture ! la clôture !)
Messieurs,
je viens de vous dire mon opinion en peu de mots ; j’aurais voulu vous
présenter de nombreux arguments en faveur du traité ; mais comme je vois
l'extrême impatience de la chambre, je finirai en vous exhortant, dans
l'intérêt de nos malheureuses provinces, à voter le projet qui vous est soumis.
- La clôture est demandée par plus de dix membres.
M. de Villegas (contre la clôture). -
Messieurs, quelle que soit l'impatience de la chambre, je lui demanderai un
instant pour adresser une interpellation à M. le ministre des affaires
étrangères. Si la chambre ne m'autorisait pas à faire cette interpellation, je
ne pourrais consciencieusement voter le traité.
M.
Anspach (contre la clôture). - Messieurs, c'est seulement la troisième
séance dans laquelle la chambre s'occupe d'un traité d'une immense importance.
Je ne conçois pas comment on veut passer au vote, alors que plusieurs orateurs
sont encore inscrits et peuvent éclairer la chambre.
Nous avons passé plus de 15 jours à nous occuper de la question des
sucres et pour la chasse, questions bien moins importantes que celle du traité
avec la France, et vous voulez maintenant tronquer la discussion et pourquoi ?
Parce que plusieurs membres sont pressés d'en finir et veulent retourner chez
eux. Je dis que ce n'est pas pour une cause aussi futile que nous pouvons
étouffer une discussion de cette importance.
M. le ministre des affaires
étrangères (M. Dechamps). -
Messieurs, je dois m'opposer à la clôture, d'abord pour une raison toute
personnelle : tout à l'heure la fatigue m'a empêché de continuer mon discours ;
j'allais arriver à la question drapière qui est très importante ; mon intention
est de faire connaître à la chambre des faits qui sont de nature à faire
impression sur elle. En second lieu, je crains que lundi la chambre ne soit
plus en nombre ; c'est l'impatience manifestée par plusieurs membres qui me
donne cette crainte. Or l'ordre du jour de lundi est assez considérable, et mon
honorable collègue, le ministre de l'intérieur, vous a annoncé, messieurs, que
le gouvernement aurait peut-être une communication à vous faire. Il serait donc
à déplorer que la chambre ne fût pas en nombre lundi. J'avoue que sans cette
considération j'insisterais moins contre la clôture, et céderais à l'impatience
de la chambre en me réservant d'émettre devant le sénat les considérations que
je voulais encore présenter dans cette enceinte. Mais je le répète, je crains
très sérieusement que si le traité était voté aujourd'hui, la chambre ne se
trouvât pas en nombre lundi.
- La clôture est mise aux voix ; elle n'est pas adoptée.
La séance est levée à 4 heures.
Errata. — Dans le discours
prononcé à la séance du 2 juillet par M. le ministre des affaires étrangères,
page 1810, 2e col., § 8, lig. 3, le chiffre des hauts fourneaux en activité, en
1840, était de 43 et non de 47.
Même page, même colonne,
dernier §, lre et 2° Iignes,cette phrase : Le nombre des broches, pour la
filature de coton qui n'était plus en 1841, etc., doit être modifiée comme suit
:
Le nombre des broches pour
la filature de coton à Gand qui n'était plus en 1841, etc.