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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 16 décembre 1845

(Annales parlementaires de Belgique, session 1845-1846)

(Présidence de M. Liedts.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 267) M. Huveners fait l’appel nominal à deux heures.

M. Albéric Dubus lit le procès-verbal de la séance de samedi ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Huveners présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.

« Le sieur Jean-Henri-Louis Melcher, agent de l'administration des chemins de fer de l'Etat belge à Aix-la-Chapelle, né à Schleiz (Saxe), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Le sieur De Bruycker, clerc de notaire, demande d'être nommé instituteur communal à Moerkerke. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Plusieurs habitants de Turnhout demandent la réforme postale basée sur la taxe uniforme de dix centimes. »

- Renvoi à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.

Comosition des bureaux de section

Première section

Président : M. Desmaisières

Vice-président : M. de Corswarem

Secrétaire : M. Lejeune

Rapporteur des pétitions : M. Biebuyck


Deuxième section

Président : M. Rogier

Vice-président : M. Fleussu

Secrétaire : M. Cans

Rapporteur des pétitions : M. Castiau


Troisième section

Président : M. Vilain XIIII

Vice-président : M. Thyrion

Secrétaire : M. de Man d’Attenrode

Rapporteur des pétitions : M. Zoude


Quatrième section

Président : M. Delfosse

Vice-président : M. de Renesse

Secrétaire : M. de Garcia

Rapporteur des pétitions : M. Huveners


Cinquième section

Président : M. Lys

Vice-président : M. Lange

Secrétaire : M. Lesoinne

Rapporteur des pétitions : M. de Roo


Sixième section

Président : M. de Theux

Vice-président : M. Fallon

Secrétaire : M. de Tornaco

Rapporteur des pétitions : M. de Foere

Projet de loi approuvant le traité de commerce et de navigation conclu avec les Etats-Unis d'Amérique

Discussion générale

M. le président. - La commission spéciale qui a examiné le projet de loi, conclut à son adoption pure et simple.

M. Lebeau. - Messieurs, je déclare tout d'abord que je donnerai mon plein et entier assentiment au projet de loi actuellement en discussion.

Ce projet de loi est conforme à l'esprit d'actes auxquels j'ai accordé très spontanément et très volontiers ma participation comme ministre. Ce projet de loi et le traité qui en est l'objet, sont une conséquence naturelle de l'esprit qui a présidé à la création de nos chemins de fer, au vote de nos lois en matière de transit, et notamment de la loi, que vous venez tout récemment de voter, extensive du système des entrepôts.

Le libéralisme dont je fais profession, messieurs, ne s'applique pas seulement aux intérêts moraux ; il s'applique aussi aux intérêts matériels. Je crois qu'il est tout à fait et dans l'esprit de l'époque et dans l'esprit de nos institutions, de marcher vers la liberté en matière de commerce, d'industrie et de navigation ; mais aussi que cette marche sagement progressive doit se combiner avec le respect que méritent toujours des droits acquis, des positions faites même en vertu d'une législation sur laquelle on peut très bien ne pas être tous d'accord.

Un fait qui milite tout d'abord pour l'adoption du projet de loi actuellement en discussion, bien qu'il ne suffit pas, si ce projet était nuisible au pays, c'est que les Etats-Unis se sont montrés en tous temps, et dès les premiers instants même de notre régénération politique, les amis de la Belgique. Nulle part nous n'avons été accueillis avec plus de bienveillance et traités d'une manière plus amicale. Et cependant, messieurs, nous avons presque lassé ou dû lasser, quelque bienveillante qu'elle put être, la longanimité du gouvernement de l'Union américaine. Car deux fois des traités, acceptés par le président des Etats-Unis d'Amérique et par le Roi des Belges, sont tombés en caducité, le premier pour des raisons politiques, dont je n'ai pas besoin d'entretenir en ce moment la chambre ; le second par l'effet de la discussion de la loi des droits différentiels, dont les principes paraissaient être diamétralement contraires (du moins la plupart des partisans de cette loi le déclaraient ainsi) aux principes qui avaient prévalu dans le traité de 1840, négocié et signé par l'administration de mon honorable prédécesseur M. de Theux, et présenté par moi à la sanction des chambres.

Je crois donc, messieurs, qu'il faut enfin en finir avec ces essais de traites qui ont été jusqu'ici si malheureux. Cette première raison qui, a elle seule, je le répète, ne suffirait pas, recommande à la bienveillante attention de la chambre le projet qui lui est présenté par le gouvernement.

Je n'examinerai pas, messieurs, de quelles mains nous vient le traité. Je prends le bien où je le trouve et quelle que soit la main qui me l'apporte. Je crois que le traité est bon et je l'approuve. J'agirai dans cette circonstance comme j'ai agi lors de l'examen du traité conclu avec le Zollverein.

Ce n'est pas que je ne doive témoigner une sorte de surprise, qui ne m'est pas exclusivement particulière, en voyant d'où nous vient le traité. On se souvient de l'opposition faite en général à la mise en délibération du traité signé en 1840. On déclarait qu'il ne pouvait être adopté parce qu'il préjugeait un des grands principes que, dès lors, condamnaient les membres qui se préparaient à faire nommer une commission d’enquête, et au nombre desquels figurait M. le ministre des affaires étrangères. C'est par suite des réclamations élevées par la commission d'enquête et par les (page 268) adhérents au système des droits différentiels, qu'une fin de non-recevoir a été opposée contre la discussion du traité signé avec les Etats-Unis en 1840, et que ce traité est tombé en désuétude.

L’honorable était moins absolu, je le reconnais, que l’honorable M. de Foere dans son opposition aux principes qui avaient été consignés dans le traité de 1840. Mais sans aller aussi loin que son honorable ami, M. le ministre des affaires étrangères paraissait dès lors condamner la doctrine qui a pris place dans le traité de 1840, et dans le traité de 1845 ; c’est-à-dire l’assimilation des pavillons même pour les produits entreposés.

Je lis dans l’annexe C dont l’honorable M. Dechamps s’est avoué l’auteur…

M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - C’est une erreur. Je ne suis pas l’auteur de cette annexe.

M. Lebeau. - Alors c'est une erreur qui a été commise par le Moniteur. Du reste, je n'attache, pas trop d'importance à cet incident.

Mais dans la discussion l'honorable M. Dechamps s/exprimait de la manière suivante : « En consentant, disait-il, à recevoir le café et le sucre des Antilles et de l'Amérique du Sud par les navires anglais ou par les entrepôts anglais ; nous avons favorisé les échanges entre l'Angleterre et ces contrées au lieu de nous les réserver. »

On avait donc très peur alors, messieurs, de voir sortir des entrepôts étrangers des denrées coloniales dont on aurait voulu réserver l'importation directe des ports transatlantiques dans les nôtres aux navires belges.

Cette peur que l'on avait des entrepôts du Havre et de Liverpool, il me semble logique qu'on dût l'avoir des entrepôts de New-York ou de ce qui en tient lieu. Il y avait à peu près les mêmes raisons.

Je ne me livré pas à cette petite revue rétrospective pour le plaisir de mettre un homme politique en contradiction avec ses antécédents.

En 1840, on réclamait contre un traité signé avec les Etats-Unis, où le principe de l'assimilation des produits entreposés avec les produits naturels et manufacturés était consacré. Aujourd'hui on renchérit sur le traité de 1840, et cependant, messieurs, en 1840 la position était meilleure.

En 1840, le système libéral n'avait pas encore cessé d'exister aux Etats-Unis d'Amérique ; le triomphe remporté en 1833, contre le système prohibitionniste existait encore ; par suite de la réaction libérale qui avait passé en 1833 dans la législation des Etats-Unis, les droits d’entrée devaient décroître d’année en année jusqu’à devenir à peu près nuls.

Mais, depuis la signature du traité de 1840, une autre réaction s'est produite aux Etats-Unis, et elle a donné naissance à la législation de 1842, laquelle établit des droits à la valeur depuis 15 jusqu'à 50 p. c. ;

Ainsi, le tarif du 30 août 1842 impose à la valeur un droit de'15 p. c sur les dentelles ; un droit de 20 p. c. sur les tissus de chanvre ; un droit de 25 p. c. sur les tissus de lin ; un droit de 25 p. c. sur les couvertures de laine ; un droit qui va de 30 à 40 p.c. sur les tapis ; un droit de 50 p. c. sur les habits confectionnés ; un droit de 30 p. c. sur les tissus de coton ; outre des formalités, messieurs, que tous ceux qui se sont occupés de cette nouvelle législation déclarent tracassières et vexatoires, apportant des entraves notables aux relations commerciales.

On conçoit, messieurs, que sous le régime prohibitionniste en quelque sorte, sous le régime protecteur qui, après avoir été repoussé longtemps aux Etats-Unis, avait pris naissance lors de la guerre de 1812, et qui, après avoir subi diverses alternatives de popularité et d'impopularité, a fini par triompher en 1842, l'industrie de ce pays a dû faire d'assez notables progrès.

Déjà, il est vrai, même avant le traité de mars 1840, l'industrie américaine avait fait des progrès. Dès 1833, la petite ville de Lowel consommait annuellement pour les tissus de coton plus de trente-huit mille balles ; l’on y convertissait une forte quantité de laine en draps, tapis et casimirs ; la petite localité de Pillsbourg, ayant sous la main le minerai de fer et le charbon de terre, produisait notablement par ses fonderies, ses forges, ses verreries ; à ce point qu ?un écrivain très distingué, et qui écrit après avoir vu, compare Pittsbourg à Birmingham ou St-Etienne. C'est ainsi qu'à Cincinnati, la confection des meubles, l'horlogerie, la-fabrication du papier, des cuirs, des savons, de la quincaillerie, avaient pris un assez grand développement même avant le tarif de 1842. On ne prévoyait pas le retour du régime protecteur. C'était le contraire qui paraissait probable. On comprend à quel point ces industries ont dû recevoir une nouvelle impression depuis ce tarif nouveau.

Les manufactures de laine des Etats-Unis étaient déjà en 1843 au nombre d'environ 4,000, parmi lesquelles l'Etat de New-York en compte environ 1,200. La valeur des laines manufacturées, dans la seule année 1843, se monte à 21 millions de dollars, c’est-à-dire au-delà de 100 millions de francs.

Les personnes employées à ces manufactures sont au nombre d'environ 21,000. Quant aux tissus de coton, les valeurs employées à leur fabrication s'élèvent à près de 40 taillions de dollars, près de 250 millions de francs, et cette fabrication occupe au-delà de 70,000 personnes.

Ainsi, messieurs, grâce au système protecteur, on trouve aujourd’hui aux Etats-Unis une concurrence déjà sérieuse et qui concerne les tissus de lin, les tissus de chanvre, les tissus de laine, les quincailleries, etc., tous produits que la marine des Etats-Unis peut porter à Cuba, à Haïti, à Porto-Rico et à toutes les Grandes-Antilles, de même qu'au Mexique, au Brésil, à Rio de la Plata, etc., en échange de cafés, de sucres, de cacao, de bois de teinture, etc., qu'elle importera à Anvers, ne fût-ce que pour être de là exportés vers le Nord ; chose qui ne m'effraye pas, qui commande seulement à nos producteurs de marcher de progrès en progrès, mais chose qui effrayait beaucoup les partisans des droits différentiels en 1840, et ne les a pas empêchés de signer en 1845, sous l'influence de circonstances bien moins favorables à notre industrie, le traité actuellement soumis à la chambre.

La commission d'enquête signalait en 1840, avec une sorte d’effroi, cette circonstance de l’importation faite, presque exclusivement par bateaux étrangers dans les ports belges, des produits de Cuba et des produits du Brésil.

Ainsi elle constatait que les importations de sucres bruts de Cuba, faites pendant, quatre années, s'élevaient, par navires, belges, à, 9 millions de .kilogrammes seulement, et, par navires, étrangers, à 34 millions de kilogrammes ; en 1843, cette importation a été de 1,600,000 kil. par navires belges, et de 6,700,000 kil, par navires étrangers. Quant aux importations de sucres du Brésil, elles avaient été, toujours d'après la commission d'enquête, de 1838 à 1841, de 900,000 kil..par navires belges, et de 3 millions de kilogrammes, par navires étrangers ; en 1843, elles ont. Été de 140,000 kil. par navires belges et de 860,000 kil. par navires étrangers.

Si maintenant nous examinons les importations de cuirs, qui sont assez importantes, de Rio de la Plata, nous trouvons qu’en 1843 les cuirs secs importés en Belgique s'élèvent à 5,500,000 fr. dont 350,000 seulement par navires belges, et 5,150,000 fr. par navires étrangers. Il en est de même des cuirs verts ou salés, dont l'importation en 1843 a été de 190,000 fr. seulement, par navires belges, et de 3,410,000 fr. par navires étrangers. Il est certain, messieurs, que ces navires étrangers, appartiennent en grande partie à la marine des Etats-Unis. Ce fait ne peut pas être nié, et par les renseignements que le ministère a communiqués, à la commission chargée de l'examen du traité en discussion, on voit que dans le commerce général de 1844 les importations faites par les. navires venant des Etats-Unis figurent pour 23 millions tandis, que les importations faites, par navires belges venant du même pays, n'y figurent que pour 2 millions.

Je répète, messieurs, qu'en présence de ces faits je ne puis dissimuler quelque surprise lorsque je vois apporter par l'honorable M. Dechamps, le traité actuellement en discussion, par un partisan en apparence aussi zélé du système des droits différentiels, par un adversaire du traité de 1840, d'accord avec tels collègues qui se sont montrés fort effrayés naguère du transit de quelque bétail et, qui se sont montrés partisans d'une nouvelle loi plus sévère sur les céréales, presque au moment même où le pays longtemps cité comme le modèle du régime protecteur se prépare à saper cette législation par sa base. Voilà, messieurs, quelques circonstances qui m'ont paru assez singulières. Du reste, j'accepte volontiers les conversions sincères aux principes que je défends : conversion aux entrepôts francs, conversion à l'assimilation des pavillons déjà consacrée, par le traité avec le Zollverein et consacrée de nouveau par le traité avec les Etats-Unis. J'admets même, dans ce dernier traité, quelques conditions nouvelles qui, à la rigueur, ne me paraissaient pas indispensables, quelques faveurs nouvelles accordées à l'Union américaine et qui n'existaient pas dans le traité de 1840, le remboursement du péage de l'Escaut, par exemple, la clause sur le cabotage, toute à l'avantagé de la marine américaine, la disposition relative aux bâtiments à vapeur.

Je veux croire, messieurs, que ces modifications dans les opinions d'hommes politiques sont parfaitement sincères. La première des écoles pour les hommes politiques c'est l'expérience, la meilleure de toutes les écoles, c’est le pouvoir ; là on est condamné à voir les affaires sous des couleurs un peu prosaïques, tandis que quand on est rarement en contact avec les affaires, on n'en voit guère que la surface et parfois que la poésie. Je conçois donc assez cette aptitude à changer d'opinion, à changer même avec une certaine facilité, à subir coup sur coup diverses transformations. Cela décèle quelquefois un bon esprit ; mais le public ne comprend pas toujours aussi bien que nous ces modifications d'opinion chez les hommes politiques ; il les comprendrait mieux si elles arrivaient lorsqu'on siège modestement, soit sur les bancs de la majorité, soit sur les bancs de l'opposition, et, mieux encore, si elles faisaient quitter des portefeuilles ; mais il les comprend moins lorsqu'elles accompagnent des migrations vers les hauts emplois et les fonctions ministérielles.

Quoiqu'il en soit, je déclare que j'approuve le traité et je ne m'effraye en aucune façon des objections que j'ai mises tout à l'heure sous les yeux de la chambre, objections faites contre le traité de 1840 ; objections faites dans la discussion de la loi des droits différentiels ; je ne m'en effraye point malgré les développements qu'un système protecteur a donnés depuis peu à l'industrie des Etats-Unis ; je crois que le traite qui vient d'être signé est une conséquence du système qui a présidé à cette grande et belle entreprise des chemins de fer, coûteuse aux yeux de quelques-uns, je le sais, mais qui ne l'est cependant pas trop si l'on considère les avantages et l’honneur qu'elle a rapportés à la Belgique. Je regarde la loi dont nous nous occupons comme étant de la même famille que nos lois sur le transit, que la loi qui vient d'être votée sur les entrepôts francs. Le traité est de la même nature que celui que nous avons sanctionné avec le Zollverein.

Il reste, messieurs, pour compléter ce système, pour être logique, il reste à établir une navigation régulière et accélérée entre la Belgique et les Etats-Unis. Je le reconnais, il a été fait dans ce sens un essai qui avait contre lui le malheur des circonstances et le mauvais vouloir d'une administration. Cet essai, je le reconnais, a été malheureux mais cependant il ne doit point nous décourager. Malgré l'erreur très sincère, sans doute, de quelques bons esprits, sur la création d'une navigation à vapeur transatlantique, malgré les quolibets de quelques- esprits superficiels, on reviendra à la navigation transatlantique régulière et accélérée ; on ne laissera pas faire la France et l'Angleterre, en se croisant les bras et en restant à mi-chemin du système que nous avons posé ; on y reviendra comme on revient de tous les préjuges, de toutes les préventions ; comme on est revenu aujourd’hui, avec renchérissement, au traité de 184, que l’on condamnait si énergiquement lors de la discussion des droits différentiels.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Messieurs, l'honorable M. Lebeau donne à la convention conclue avec les Etats-Unis son entière approbation. Il ne veut pas examiner, dit-il, par quelles mains le traité lui est présenté ; il examine le traité et l'approuve. Je n'attendais pas moins de l'intelligence de l'honorable membre, et je dois ajouter qu'il nous a habitués à cette opposition qui ne s'étend pas jusqu'aux questions d'affaires ; mais je prendrai aussi la liberté de lui rappeler que, lorsqu'il était au pouvoir, j'ai suivi, à son égard, la même conduite qu'il tient lui-même à l'égard du ministère actuel. Ainsi, messieurs, le ministère dont l'honorable membre faisait partie, a présenté une mesure d'utilité générale qui était, comme il vient de le dire, de la famille du traité dont nous nous occupons en ce moment ; je veux parler de l’établissement d'un service régulier de navigation à la vapeur entre la Belgique et les Etats-Unis. Eh bien, messieurs, j'ai donné aussi mon plein et entier assentiment à cette mesure. J'ai fait plus, je l'ai défendue dans cette enceinte. Je n'ai pas examiné non plus par quelles mains cette mesure nous était présentée.

L'honorable membre nous a dit qu'une certaine surprise devrait éclater lorsqu'on voit d'où le traité nous vient, et par qui il est présenté. L'honorable M. Lebeau a cru que, partisan du système des droits différentiels, j'avais professé des doctrines contraires à l'une des bases du traité américain, c'est-à-dire, à l'assimilation du pavillon pour les provenances des entrepôts. Eh bien, messieurs, l'honorable membre s'est complétement trompé : j'ai toujours été partisan du système des droits différentiels destinés à favoriser le pavillon national, destinés à favoriser les relations directes avec les pays de production ; mais, messieurs, je n'ai jamais séparé cette cause de la cause du transit ; j'ai toujours défendu en même temps et avec la même insistance toutes les mesures, tous les projets de loi qui avaient pour but ou qui devaient avoir pour effet l'élargissement du système de transit. Je viens de rappeler que j'ai défendu l'établissement d'un service de bateaux à vapeur entre la Belgique et New-York. J'ai pris une part dans la négociation et dans la défense du traité du 1er septembre. J'ai toujours été favorable au développement de notre transit vers l'Allemagne ou de l’Allemagne vers les pays transatlantiques. Toutes les mesures présentées par les ministères précédents pour favoriser le commerce de transit, ont toujours trouvé en moi un défenseur. En cela, messieurs, mon opinion était différente de celle de quelques-uns (page 273) de mes honorables collègues de la commission d'enquête, dont je partageais les vues à d'autres égards. Je n'ai jamais compris qu'étant partisan du système des droits différentiels de provenance et de pavillon, l'on ne pouvait pas, en même temps, défendre un système de large transit, destiné aussi, comme le système des droits différentiels, à créer, en Belgique, un grand marché, un grand centre d'affaires.

La commission chargée d'examiner le traité, est tombée dans une erreur analogue à celle dans laquelle l'honorable M. Lebeau vient de verser. La commission d'enquête n'a jamais eu à se prononcer sur la question de l'assimilation en ce qui concerne les provenances des entrepôts américains. Cette question a été longuement discutée dans le rapport de l'honorable M. de Foere, mais vous lirez, messieurs, dans ce rapport que la commission d'enquête n'a été appelée à émettre une opinion que sur des propositions qui lui ont été successivement soumises. Or, dans ces dix propositions ne se trouve pas celle qui est relative à l'assimilation pour les provenances des entrepôts transatlantiques. Cette question a toujours été réservée par la commission d'enquête, et je puis le déclarer ici (mes honorables collègues de la commission d'enquête le savent), mon opinion personnelle était, au contraire, favorable à l'assimilation, pour les marchandises d'entrepôt des Etats-Unis.

Dans l'interrogatoire auquel la commission d’enquête a procédé à Anvers, la question a été longuement controversée ; eh bien, là, je puis le dire, la grande majorité de la commission d'enquête penchait vers l'adoption d'une mesure semblable à celle que nous discutons. Un honorable sénateur, M. Cassiers, dont le nom se rattache aussi au système des droits différentiels ; l'honorable M. Cassiers, dans l'interrogatoire qui a eu lieu à Anvers, a été tellement ébranlé par les objections qui avaient été faites, qu'il avait consenti, pour un terme de trois ans, à adopter le principe de l'assimilation pour les provenances d'entrepôt de l'Union.

Ainsi, messieurs, tout ce que l'honorable M. Lebeau vous a dit tout à l'heure sur les conversions sincères qu'il approuvait beaucoup, mais qu'il approuverait encore davantage, si elles s'opéraient avant l'entrée des hommes politiques au pouvoir ; toute cette dépense d'esprit a été faite très inutilement en ce qui me concerne. Je n'ai pas eu à me convertir : je soutiens aujourd'hui les opinions que j'ai toujours professées.

L'honorable préopinant a cité un passage d'un discours que j'ai prononcé, mais il a pu reconnaître lui-même que, dans ce discours, je parlais des entrepôts européens. Or, la question relative aux entrepôts européens, je suis étonné que l'honorable membre l'ignore, est tout autre que celle qui concerne les entrepôts transatlantiques.

Ainsi, la majorité de la commission d'enquête s'est toujours prononcée pour les droits différentiels contre la navigation étrangère aux pays de production et contre la concurrence des entrepôts d'Europe ; mais cette même majorité a réservé son vote sur la question des entrepôts américains, qui avait une tout autre portée.

Mais, messieurs, l'honorable M. Lebeau se trompe, lorsqu'il pense qu'en 1840 on a demandé l'ajournement de la discussion du traité américain, parce qu'on croyait que ce traité était en opposition avec le système des droits différentiels que nous réclamions. Non, messieurs, on a demandé l’ajournement, parce qu'on voulait que les traités à conclure reposassent sur le système des droits différentiels, système sur lequel la chambre n'avait pas encore émis son opinion et son vote.

Et, en effet, la différence entre 1840 et 1845 est grande. En 1840, l'on pouvait craindre que le traité américain n'offrît certains dangers, parce que la législation de cette époque n'était pas celle du 21 juillet 1844. Ainsi, sous la législation ancienne, en assimilant le pavillon américain au pavillon belge pour les provenances des entrepôts de Belgique ou des Etats-Unis, on abolissait tout droit différentiel. Le café de Rio, par exemple, en arrivant en Belgique par navire américain, n'aurait plus payé aucun droit différentiel, tandis que, depuis la loi du 21 juillet 1844, un droit différentiel de 25 fr. par tonneau, frappe le café importé des entrepôts des Etats-Unis, soit par navire américain, soit par navire belge. La différence est donc grande. Le pavillon est assimilé, mais le droit différentiel de provenance reste.

Pour me faire mieux comprendre, je prends, par exemple, l'article café. Le café venant de Rio en Belgique, par navire national, paye, par 100 kilogrammes, 9 fr., et 11 fr. 50 c. lorsqu'il est importé par navire étranger. Le navire belge est frappé d'un droit différentiel de 11 fr. 50 c, lorsqu'il introduit le café de Rio d'un des entrepôts américains. Or, ce droit différentiel de provenance n'est pas aboli par le traité qui est soumis aux délibérations de la chambre : le droit différentiel de 25 fr. au tonneau subsiste. Vous comprenez, dès lors, messieurs, qu'on pouvait concevoir, en 1840, quelques craintes, au point de vue de nos relations directes ; mais ces motifs de crainte n'existent plus en 1845, depuis l’établissement des droits différentiels.

Ainsi, c'est une erreur de croire que le traité américain détruit les droits différentiels ; au contraire, la loi du 21 juillet 1844 est la base même sur laquelle le traité repose ; cette loi a été un moyen de négocier le traité.

Messieurs, l'honorable M. Lebeau vous a dit qu'à un autre point de vue, les faits étaient plus favorables à l'adoption du traité en 1840 qu'en 1845.

« En 1840, a dit l'honorable membre, un système libéral, en fait de douanes, dominait aux Etats-Unis, tandis que, depuis lors, une réaction en sens contraire a eu lieu, et un tarif très élevé pour certains articles a été admis aux Etats-Unis. »

Messieurs, cela est vrai ; mais il ne faut pas perdre de vue non plus qu'une nouvelle réaction s'opère aux Etats-Unis, à l'heure où nous parlons. Le président de l'Union, dans son dernier message, a annoncé qu'il présenterait au congrès des mesures libérales en fait de douane. Ainsi, messieurs, la situation est la même qu'en 1840, dans ce sens que nous devons croire que des mesures de liberté commerciale seront prochainement adoptées aux Etats-Unis, et que le traité, soumis à votre sanction, sera un moyen d'élargir, dans cette contrée, un débouché qui commence déjà à avoir pour nous une certaine importance.

(page 269) M. Desmet. - Messieurs, l’honorable député de Bruxelles qui a pris le. premier la parole, a cru trouver une contradiction ou une inconséquence dans la .conduite de M. le ministre des finances ; à cause des principes que celui-ci a énoncés précédemment dans cette chambre, et qu'aujourd'hui il vient présenter et défendre le traité avec les Etats-Unis. L'honorable membre ne pourra pas me faire le même reproche, car aujourd'hui, comme toujours, je serai partisan de la protection à accorder tout spécialement au commerce et à la marine du pays.

'Tout en faisant ce reproche, l’honorable M. Lebeau est revenu sur la proposition qui a' été soumise à la chambre dans le cours de la session derrière, et qui tendait à protéger plus ou moins les produits agricoles. Je crois qu'on aurait mieux fait de ne pas revenir sur cette proposition ; si des membres de la chambre en ont saisi l’assemblée, ils n'avaient en vue que de favoriser l'agriculture. Au reste, cette question n'est pas résolue encore. Dans ce moment-ci, nous devons même désirer que l'industrie agricole ait une protection, car on, sait que presque tout le poids des circonstances calamiteuses où nous nous trouvons tombe sur le cultivateur.

Un second reproche, articulé par l'honorable M. Lebeau, c'est qu'on a mis un terme au transit du bétail hollandais par la Belgique. Mais pourquoi avons-nous fait tous nos efforts pour faire cesser ce transit ? Parce que nous avons voulu empêcher la Hollande de nous arracher le marché de Malines qui est le marché de bétail le plus important du pays. Il m'étonne, que dans ce cas on n'ait pas vu la tendance des Hollandais.

' L'honorable M. Lebeau a cependant reconnu que c'est seulement grâce à un système de protection, que les manufactures des Etats-Unis ont fait de si grands progrès ; Il a même ajouté que sous ce rapport la concurrence américaine était encore à craindre pour nous.

Je suis étonné, après cela, que l'honorable membre veuille si facilement adopter le traité. Pour moi, je ne consentirai à y donner mon assentiment que, lorsque j'aurai des explications satisfaisantes sur les conséquences que la concurrence américaine peut avoir pour nous : jusqu'à présent, je sais dans le doute à cet égard.

Mais, dit l'honorable membre, il existe des motifs politiques pour accepter le traité y c'est la conformité des opinions entre les deux pays. Mais, messieurs, en fait de commerce, on n'a pas égard à de semblables considérations. Nous avons, à côté de nous, un voisin avec lequel nous sympathisons fort, sous le rapport politique, et avec lequel cependant nous sommes en guerre continuelle pour le commerce et l'industrie

Messieurs, nous avons fait bien des choses depuis un an. Nous avons cherché, par tous les moyens possibles, à protéger notre commerce, notre industrie et notre marine marchande. Nous avons voté l’établissement des droits différentiels, nous avons fait le grand traité avec le Zollverein. Hier, nous avons voté les entrepôts francs.

Le traité que nous discutons en ce moment ne doit pas être moins important dans ses conséquences que celui qui a été conclu avec le Zollverein. Nous sommes tous d'accord .sur un point, celui de faire faire des progrès à notre- marine marchande, d'assurer le placement de nos produits industriels ; mais nous sommes rarement d'accord sur les moyens propres à atteindre ce but. Il y a dans cette chambre deux ou trois opinions différentes, sur le meilleur système à suivre à cet égard.

Quand la chambre a voté le traité conclu avec le Zollverein, nous disions que ce traité était de nature à porter une atteinte plus ou moins forte aux avantages qu'on se promettait de la loi des droits différentiels ; nous avons dit encore que ce traité créerait, au détriment delà Belgique, une concurrence sérieuse, dangereuse même, pour les produits similaires des deux pays. Ne pourrait-on pas tenir aujourd'hui le même langage à l'égard du traité que nous discutons en ce moment ? N'avons-nous pas à craindre, de ce côté-là, une semblable concurrence pour notre industrie et pour notre navigation ? Il n'existe pas de pays avec lequel la concurrence maritime soit plus dangereuse qu'avec les Etats-Unis. Quand on voit que les Américains naviguent à si bon compte, quand on voit toutes les mers couvertes des navires de ce pays, n'est-on pas fondé à redouter cette concurrence ? Tous les ans, la marine marchande des Etats-Unis s'augmente d'un nombre de bâtiments d'une capacité de 100,000 tonneaux.

Et qu'allons-nous faire ? Nous allons laisser tous ces bâtiments entrer librement chez nous : bien certainement, au lieu de voir augmenter notre marine marchande, nous allons la voir diminuer tous les jours. Que devient, après cela, le système des droits différentiels que vous avez établi en faveur de votre marine marchande ? Le traité conclu avec le Zollverein et celui dont il s'agit en ce moment doivent nous priver des avantages que devait nous assurer la loi des droits différentiel et je ne crains pas d'affirmer que l'avantage que nous pensions obtenir par l'établissement des droits différentiels, va se réduire à rien.

Messieurs, quand on conclut des traités, je crois qu'on doit chercher à faire de bons choix. Avons-nous fait ce bon choix, en commençant à négocier avec le Zollverein et les Etats-Unis ? Je ne le pense pas, car dans mon opinion, la concurrence de ces deux pays est la plus dangereuse pour la Belgique.

Nous concourons difficilement, sous le rapport de l'industrie et de la navigation, aussi bien avec le Zollverein qu'avec l'Amérique. Cependant nous avons commencé par ce pays-là. Nous aurions pu mieux faire en fixant notre choix sur d'autres pays, comme l'Espagne et le Brésil et deux Etats voisins avec l'un desquels nous avons bien un traite, mais fort incomplet.

Cependant, il y a un grand intérêt pour la Belgique de favoriser sa navigation, car je ne vois qu'un moyen d'exporter plus de nos propres produits, c'est par notre propre navigation. Et cependant vous favorisez toujours nos concurrents, et vous le faites d'une telle manière, que nous pouvons dire que les droits différentiels n'existent plus pour la Belgique, ce que je ne puis assez répéter ; mais pourquoi ne pas laisser faire l’essai du régime de protection par les droits différentiels ? Du moins vous auriez su à quoi vous en tenir, et vous auriez pu négocier des traités avec plus de connaissance.

Ne devons-nous pas non plus tâcher de faire diminuer cette rente du remboursement du péage sur l'Escaut ? Nous l’augmentons tous les jours ; je crois qu'avant peu nous l'aurons payée double ou triple et à notre détriment. Si c'était en notre faveur, j'en prendrais mon parti, mais c'est toujours à notre détriment ; c'est pour faire arriver des bâtiments étrangers, qui font du tort à notre commerce. Cela nous porte un double préjudice : nous payons cette rente à la Hollande, et nous faisons tort à notre navigation, à notre industrie.

Mais nous savons que c'est là le but de certaines opinions, qui pensent que, pour augmenter l'exportation de nos produits, il faut tâcher de faire augmenter les arrivages étrangers. Ce serait très vrai, si vous n'aviez sur le marché belge que des produits indigènes ; mais depuis la singulière création des entrepôts francs, vous avez des foires ne contenant que des fabricats étrangers, qui feront une dangereuse concurrence aux nôtres.

Si nous avons eu à craindre précédemment cette concurrence pour notre navigation, à présent surtout, depuis le vote d'hier, elle est fort à craindre. L'Amérique pourra désormais .faire chez nous le commerce avec l'Allemagne, à laquelle nous avons donné toutes les facilités dont elle avait grandement besoin pour étendre son commerce et placer plus aisément ses nombreux produits. En toute saison elle pourra exporter par.la port d'Anvers, ce qu'elle ne peut faire par ses propres ports.

En effet, autrefois les navires américains auraient exporté quelques-uns de nos produits ; mais il n’en sera plus ainsi maintenant qu'ils trouveront dans nos entrepôts les produits allemands. Vous savez quelle grande concurrence nous font ces produits, surtout pour les toiles ; sur les marchés américains, les Allemands et les Anglais sont pour ainsi dire les seuls qui placent ces marchandises, et les Américains, arrivant à Anvers, y chargeront pour le retour des toiles de lin d'Allemagne, au lieu de prendre les nôtres, parce qu'ils sont plus habitués aux produits allemands. Ainsi, par une déplorable fatalité, les entrepôts francs et ce traité concourront pour faire importer plus facilement les produits étrangers.

Avons-nous l'espoir de voir progresser l'exportation de nos produits nationaux vers l'Amérique ? Je crois formellement que non, parce qui, comme je viens de le dire, et comme l'a dit tout à l'heure l'honorable M. Lebeau» il y a un tel progrès dans l'industrie des Etats-Unis que bientôt elle pourra se passer de l'Europe et introduire chez nous ses produits fabriqués. C'est un progrès gigantesque qu'on ne peut se figurer.

Je vous citerai la province de Hampshire. En 1826, il y avait dans cette province un petit nombre de fabriques, une dizaine environ ; maintenant il y en a plus de cent.

Dans celle de Sommerwemz, en 1822,, il y avait deux fabriques ; en 1840, il y en avait déjà 70, et établies sur une grande échelle, où on fabrique par semaine 18,000 aunes d'étoffes. Il y a la petite ville de Bristol, qui n'a que 2,000 habitants, et vous serez étonnés de savoir qu'elle exporte en Europe annuellement 50,000 montres, qui procurent à cette ville une grande somme de travail et font déjà une grande concurrence à une branche Industrielle de l'Europe. Ce n'est pas à nous qu'elle fait tort, mais à l'industrie de Genève. Il y a un tel progrès que nous devons craindre de voir l'Europe envahie par les produits américains.

Croyez-vous, cependant, que, d'un autre côté, nous puissions espérer former à Anvers où à Ostende un grand marché de matières premières, afin de pourvoir aux besoins de l'Allemagne et des autres pays voisins ? Vos entrepôts recevront les matières premières dont cas pays pourront avoir besoin ; vous ne les vendrez pas ; vous les laisserez passer ; vous en favoriserez le placement en Allemagne. Je crois donc que vous n'établirez pas à Anvers un marché de matières premières.

L'article 7 du traité assimile aux arrivages directs non pas seulement les arrivages nationaux, mais tout ce qui se trouve dans les entrepôts. Ainsi donc les produits étrangers auront le même avantage que les produits nationaux. Qu'en résultera-t-il ? Qu'il y aura une grande facilité de charger chez vous les produits étrangers qu'on va maintenant charger ailleurs. Mais ce que je crains, ce qui me paraît inévitable, c'est que nos propres navires chargeront des produits de l'Allemagne. Vous le comprendrez, les Allemands ont le marché fait ; les armateurs diront : Nous plaçons plus facilement les produits allemands que les produits belges. C'est ce qu'il y a à craindre.

Il y a un autre article qui m'embarrasse beaucoup ; c'est l'article 15 ; il vous lie, et vous empêche de faire d'autres traités. Par cet article, vous ne pouvez accorder d'avantages commerciaux à d'autres nations si vous n'en favorisez dans le même moment l'Union américaine.

Ainsi, vous ne pourrez plus faire d'autres traités. Je vous citerai le Brésil, pays avec lequel on pourrait faire un traité fort avantageux. Cependant les avantages que vous accorderez au Brésil, vous devrez les accorder aux Etats-Unis. Cette clause vous mettra presque dans l'impossibilité de traiter avec les autres pays. Vous avez traité avec ceux dont la concurrence est la plus dangereuse pour vous. Je ne m'explique pas sur mon vote.

J'attendrai les explications de M. le ministre de l'intérieur. Si elles ne sont pas favorables, je voterai, contre le traité.

M. de Foere. - Je ne m'occuperai pas des dissensions politiques qui, au sujet du projet de traité, ont éclaté entre les deux orateurs qui ont pris les premiers la parole. Je me bornerai au fond même de la question qui a été débattue entre eux.

(page 270) L'honorable M. Lebeau vous a dit que le traité était une conséquence directe de l’établissement du chemin de fer, de notre loi sur l'entrepôt, ou, en résumé, de l'établissement de notre système de transit, et que c'est le même esprit commercial qui a présidé à la négociation du traité. Il a reproché au ministre des affaires étrangères ses contradictions dans l'espèce ; chaud partisan du système des droits différentiels, M. Dechamps aurait repoussé, dans le temps, le transit.

L'honorable ministre des affaires étrangères a longuement et sérieusement répondu à cette accusation. Quoique partisan déclaré du système des droits différentiels, il a soutenu que jamais il n'a cessé d'être aussi favorable à l'établissement d'un grand transit en Belgique.

Cette discussion entre l'ancien et le nouveau ministère m'a singulièrement surpris ; car il n'y a entre le système des droits différentiels et notre système de transit aucune espèce de rapport, ni direct, ni indirect. Aussi je ne sache pas que jamais aucun membre de cette chambre, quoique favorable au système des droits différentiels, ait prononcé une seule parole contre la liberté la plus entière du transit. C'était donc une accusation complétement gratuite que l'honorable M. Lebeau a adressée à M. le ministre des affaires étrangères.

Après que l'enquête commerciale eut été instituée, j'ai analysé les documents de l'enquête, et j'en ai extrait dix propositions pour être soumises aux délibérations et au vote des membres de la commission d'enquête.

La dixième proposition était conçue en ces termes : « Quel que soit le pavillon qui importe les marchandises à transiter, et quelle que soit leur provenance, il faut les affranchir de tout droit différentiel de navigation et d'importation. » Cette proposition a été volée à l'unanimité. M. Dechamps, qui était membre de la commission, n'a donc pas été contraire à la liberté la plus entière du transit.

Chose singulière ! Les membres de cette chambre qui se posent ici comme des hommes politiques d'une grande valeur confondent, d'une manière inconcevable, les notions les plus distinctes et se méprennent totalement sur la position des questions.

La question du transit n'a absolument aucun rapport avec celle des droits différentiels. Elle n'a même qu'un rapport très indirect avec le traité qui nous est soumis.

Le transit n'est en rien affecté par le système des droits différentiels. A côté de ce système, il reste complétement libre dans tous ses mouvements. Il est affranchi de tout droit.

Avant les droits différentiels comme avant le traité, le transit était complétement libre. Après l'établissement de ces droits, il est resté dans la jouissance de toutes ses libertés, avec cette seule différence que plusieurs facilités nouvelles lui ont été accordées.

Le traité n'exercera aucune influence nouvelle sur le transit, ni sur nos transports par chemin de fer. Le transit, avec ou sans traité, est complétement libre. Son importance dépend d'autres causes qui ont été énumérées dans le rapport de la commission d'enquête. Cela prouve combien il est nécessaire de ne pas se laisser entraîner en matière commerciale par des phrases qui, très souvent sont prononcées dans cette chambre avec une certaine élégance dans les formes, ni se laisser éblouir par des paroles éloquentes qui ne touchent pas même au fond des opérations commerciales, telles qu'elles se pratiquent.

Que nous ayons ou non le traité, que les droits différentiels aient été, ou non, majorés et appliqués au système de commerce direct, quel obstacle est-il opposé à une liberté complète du transit ? L'obstacle n'est pas dans la loi du 21 juillet, elle a soigneusement écarté toute entrave au transit ; elle l'a complétement émancipée. Ceux qui ont le plus puissamment concouru à la sanction de cette loi, s'en sont souvent expliqués de la manière la plus formelle.

Si M. le ministre des affaires étrangères est en contradiction avec lui-même, il l'est sous un autre rapport, comme l'est aussi l'honorable M. .Lebeau.

L'honorable ministre des affaires étrangères a soutenu que toujours il a été partisan du système des droits différentiels.

Ce système avait pour but principal (l'honorable ministre des affaires étrangères ne l'ignore pas) de ne pas permettre que la marine étrangère vînt importer de tous les ports, les marchandises destinées non au transit, mais à la consommation intérieure. D'importants intérêts se rattachant à notre industrie, noire commerce maritime et à notre navigation marchande, nous avaient conseillé d'atteindre ce but.

M. le ministre des affaires étrangères dévie de ce but et se met en contradiction avec lui-même, chaque fois qu'il prête son concours à permettre que des marchandises, importées par navires étrangers et destinées au transit, se replient sur la consommation étrangère ou que des marchandises qui ne sont pas le produit du sol et de l'industrie du pays auquel le navire importateur appartient, reçoivent la même destination.

L'article 7 du traité qui vous est soumis, permet aux Etats-Unis de nous importer, pour la consommation, non pas des marchandises qui sont le produit de leur industrie vu de leur sol, mais des marchandises de provenance d'autres pays qui ont été importées préalablement dans les ports de l'Union.

Les faits qui se sont présentés dans nos ports prouvent que les Etats-Unis nous ont importé des quantités considérables de marchandises qui n'appartenait ni à leur sol, ni à leur industrie.

Il restreint ainsi, dans la même proportion, les résultats du système auquel il a accordé sa coopération active.

Le commerce d'Anvers, dans les diverses opinions qu'il a émises s'est montre tantôt favorable à la pensée qui a présidé à la loi des droits différentiels, tantôt favorable aux marchandises qui nous viennent des entrepôts. Le commerce d'Anvers a réclamé contre les denrées coloniales dont on permettait l'arrivage par les voies intérieures de la Hollande. La chambre de commerce d'Anvers, dans un rapport adressé au conseil provincial, s'est opposée à ces arrivages par les mêmes motifs pour lesquels nous nous opposions à l'importation libre de denrées coloniales pour la consommation intérieure des entrepôts étrangers, y compris ceux des Etats-Unis, à peu près aux mêmes conditions auxquelles le commerce maritime belge les importe directement dans nos ports des pays de production. La chambre de commerce s'y opposait, parce que les quantités de tonneaux, ainsi indirectement importées étaient enlevées à notre commerce de long cours, à notre commerce direct d'échange, qui s'en trouvait d'autant rétréci ; et que, dans la même proportion, notre commerce d'échanges avec les colonies était interrompu et entravé.

C'est par les mêmes motifs que l'honorable ministre a soutenu le système des droits différentiels et qu'aujourd'hui encore nous soutenons noire opinion relativement à l'article 7 du traité.

Mais, aux yeux de la chambre de commerce d'Anvers et de l'honorable ministre des affaires étrangères, ces motifs n'ont plus aucune valeur, lorsqu'il est question des entrepôts des Etats-Unis. Ceux-là font exception au système, sous prétexte de faciliter le transit qui n'a rien à faire dans la question qui a rapport à la consommation intérieure, et afin de se procurer l'avantage de jeter les marchandises de transit dans le commerce ordinaire de consommation intérieure.

Direz-vous que l'Angleterre et la France n'entendent pas leurs intérêts sous ce rapport ? Ce serait aller bien loin. Ces deux pays, dans leurs traités avec les Etats-Unis, se sont constamment opposés à la disposition renfermée dans l'article 7 qui vous est proposé.

L'Angleterre a poussé la prudence plus loin. Elle est entrée, pour la première fois, en 1815, en négociation avec les Etals Unis, pour convenir d'un traité, quoiqu'elle n'ait pas traité sur la base des entrepôts. Elle n'a stipulé, par essai, que pour un terme de deux ans.

Lorsque la discussion publique a été ouverte sur la loi du 21 juillet, appelée la loi des droits différentiels, l'honorable M. Nothomb vous a dit que les Etats-Unis ne voulaient pas entrer en négociation pour conclure un traité à moins que les autres parties contractantes n'adoptassent pour base l'importation réciproque, à conditions égales, des marchandises qui n'étaient pas le produit de leur sol ou de leur industrie.

Je tenais alors en mains un rapport de la commission permanente du commerce des Etats-Unis sur la même question. Ce rapport a été présenté, en 1842, au congrès américain. Après avoir développé un grand nombre de faits, ce document officiel arrive à deux conclusions extrêmement bien déduites. Par la première, le président des Etats Unis est requis, chaque fois que l'intérêt public l'exigera, d'informer les Etats étrangers, avec lesquels l'Union américaine avait traité de réciprocité maritime, qu'à l'expiration des traités, les Etats-Unis ne traiteront plus sur la base des entrepôts.

La deuxième conclusion portait qu'à l'avenir les traités de réciprocité des Etats-Unis se bornaient à adopter la base des produits du sol et de l'industrie de chaque pays, en y comprenant les produits des pays voisins qui, dépourvus de ports, les écoulaient par les ports les plus voisins.

Cependant les pays qui n'ont pas ou peu de marine marchande, sont exceptés de ces deux mesures générales.

Maintenant, qu'arrive-t-il ? Le ministère accepte de la part des Etats-Unis une situation que les Etats-Unis eux-mêmes sont disposés à ne pas accepter de la part de nations qui ont une grande marine marchande.

L'avantage de la position est tout à fait du côté des Etats-Unis. Leur marine absorbera la nôtre.

Que l'on n'invoque pas l'article 7 à l'appui du transit. Il est évident qu'il ne peut exercer sur le transit aucune influence, attendu que sans et avec cet article le transit est complétement libre sous tous les rapports ; il n'est pas le moins du monde affecté par la loi du 21 juillet. Pourquoi donc accepter un article que les Etats-Unis, dans une situation analogue à la nôtre, se proposent de repousser par des raisons parfaitement bien développées, Je tiens le rapport du bureau de commerce américain à la disposition de tous les membres de la chambre qui comprennent l'anglais.

Du reste, il résulte même du tableau que le ministre a produit à la commission, chargée d'examiner le traité, la raison pour laquelle les Etats-Unis ne veulent plus accepter cette position vis-à-vis de nations ayant une grande marine marchande. Sur 78 navires, sortis, en 1844, des ports américains en destination des ports belges, 45 appartenaient à des pays étrangers et 26 seulement aux Etats-Unis. Il est évident que l'Union américaine aspire à se faire une belle position et qu'elle vise au monopole du mouvement maritime entre ses ports et les nôtres.

C'est la véritable politique de tous les Etats : protéger le travail national ; ne pas permettre que les nations étrangères viennent enlever dans leurs propres ports le travail qui peut occuper utilement leur propre population ouvrière. Tel est aussi l'un des principaux buis des tarifs des nations. Or, l'industrie de la construction navale à laquelle viennent s'associer une foule d'autres industries, et l'industrie de la navigation même, sont deux industries considérables qui occupent un grand nombre d'ouvriers et qui consomment de grandes quantités de produits nationaux.

C'est la raison pour laquelle les Etats-Unis et les autres nations maritimes cherchent à doter de ce travail leurs populations ouvrières, autant que cette politique est compatible avec leurs autres intérêts.

Plus vous vous éloignez de cette politique économique qui se résume tout entière dans le travail national, plus vous nuisez aux véritables intérêts du pays. Si vous persistez à restreindre, sans une nécessité reconnue, le travail du notre population, pour en doter le travail étranger, je ne sais où vous arriverez avec votre population agglomérée, qui manque de moyens de travail. (page 271) Avant et après la loi des droits différentiels, on pouvait négocier avec les Etats-Unis des traités ou ne pas en négocier sur les deux bases sur lesquelles la France et l'Angleterre en ont conclu avec les mêmes Etats, et sur les bases sur lesquelles le bureau de commerce des Etats-Unis propose lui-même de traiter aujourd'hui exclusivement.

J'ai été étonné d'entendre l'honorable M. Lebeau nous dire : « Lorsque nous, ministres, nous avons proposé en 1840 le traité avec les Etats-Unis, le tarif de cette puissance était plus libéral, il nous était plus avantageux. Il y avait plus de facilité d'importer nos produits dans ce pays. Cependant vous avez repoussé ce traité, et aujourd'hui vous en proposez un qui est assis sur les mêmes bases. » Cependant, après que le tarif des Etats-Unis eut été aggravé, l'honorable M. Lebeau n'est-il pas venu vous proposer sa fameuse navigation à vapeur transatlantique ?

On nous fait accroire que, pour exporter aux Etats-Unis les marchandises de transit européennes entreposées à Anvers, il est nécessaire que nous ayons un traité avec les Etats-Unis, et que ce traité contienne une disposition semblable à l'article 7 du projet de traité actuel. Cet article 7 n'exercera aucune espèce d'influence sur la réexportation des marchandises européennes entreposées à Anvers et en destination des Etats Unis. Il n'existe aucun obstacle à cette réexportation, soit que vous ayez un traité, soit que vous n'en ayez pas. Il suffit que vous ayez assez de navires américains au port d'Anvers pour opérer ce transport. Or, ces navires n'ont jamais manqué. Il y a dans cette navigation américaine un grand avantage pour l'exportation de nos propres produits vers les Etats-Unis, attendu que, lorsque les navires américains peuvent compléter leurs cargaisons au moyen de nos marchandises et des marchandises étrangères, entreposées à Anvers, ils s'en retournent directement chez eux, au lieu de chercher des frets de retour ailleurs.

L'article 7 n'est donc pas plus nécessaire que ne l'était la navigation à vapeur établie par l'honorable M. Lebeau pour atteindre le même but. Je l'ai fut observer dans la discussion sur la navigation transatlantique à vapeur ; l'année qui a précédé la présentation de ce dernier projet, il était sorti des ports des Etats-Unis 89 navires chargés en destination de nos ports dont 64 étaient des navires américains. Ces navires ne demandaient pas mieux que de trouver dans nos ports des marchandises, soit belges, soit étrangères, pour les exporter vers les Etats-Unis. Consultez votre statistique sur le mouvement annuel commercial et maritime des Etats Unis, entre nos ports et les leurs et entre ceux-ci et les ports de l'Europe, et vous trouverez que plus de la moitié des navires de cette puissance ont dû retourner sur lest ou chercher un fret dans des ports autres que celui d'arrivée et même dans des ports éloignés.

Je le demande, messieurs, quel besoin y avait-il, dès lors, d'établir une navigation à vapeur vers l'Amérique pour y transporter vos produits et les produits étrangers ? Vous vous trouviez, comme aujourd'hui, en présence de son tarif qui vous exclut sous bien des rapports. Ensuite, ce tarif eût-il même été le plus libéral du monde, les moyens de transport ne vous eussent jamais manqué, par la raison que les navires des Etats-Unis nous importent une grande quantité de produits de leur sol, dont nos industries éprouvent un grand besoin, et que les armateurs de ces navires ne demandent pas mieux que de trouver chez nous des frets de retour.

Malgré l'évidence des faits, l'honorable M. Lebeau vient encore aujourd'hui préconiser cette navigation à vapeur, et il nous fait espérer le retour de cet établissement maritime. C'est prôner un système qui est condamné, non seulement par l'opinion du pays, mais par l'opinion de l'Europe entière, qui s'est prononcée sur cette entreprise extraordinaire à laquelle vous avez malheureusement attaché vos votes.

Je concevrais qu'on fût favorable à l'établissement d'une navigation régulière à voiles, s'il nous manquait des moyens de transport vers les Etats-Unis ; mais ces moyens sont abondants et surabondants. La plupart des navires des Etats-Unis ne trouvent pas chez nous des marchandises de retour ; ils sont forcés de partir sur lest.

Il n'existe donc aucune nécessité de créer à grands frais de nouveaux moyens de transport pour venir au secours du transit vers les Etats-Unis. C'est ce qui est aussi prouvé par le mouvement commercial des ports de Marseille, du Havre, de Londres et de Liverpool.

Là aussi les navires américains ne font pas défaut aux besoins du transit vers les Etats-Unis, quoique ces ports soient beaucoup plus importants que les ports de la Belgique. Ce sont les navires des Etats-Unis qui exportent du Havre, de Marseille, de Londres, de Liverpool, toutes les marchandises d'entrepôt. Vous aurez beau comparer votre marché général à celui de l'Angleterre, il existe entre celui-ci et le vôtre, la même différence que celle que l'on remarquerait entre un portrait peint par Rubens et la copie qui en serait faite par le premier barbouilleur du pays.

Je le répète, en présence de ces faits, il n'existe aucun besoin de l'article 7 du projet, ou même du projet de traité tout entier, ni aussi de la création de nouveaux moyens de transport pour nourrir notre transit vers les Etats-Unis. S'il en était autrement, vous devriez soutenir que ni l'Angleterre ni la France n'entendent rien à leur commerce de transit vers les Etats-Unis.

J'en ai dit assez, messieurs, pour le moment. Je rencontrerai les autres objections lorsque nous en viendrons à la discussion de cet article, qui a particulièrement pour objet, dit-on, de faciliter le transit, ainsi qu'à la discussion des autres articles du projet.

Un membre. - Le projet de loi est en un seul article.

M. de Foere. - Avant de voter le projet de loi, il faut que la chambre soit éclairée sur chacun des articles du traité ; sans une discussion particulière sur chaque article, la chambre voterait en aveugle.

La matière est d'autant plus importante que vous serez obligés, dans vos négociations avec les autres puissances, de leur faire les concessions que l’on nous propose d'accorder aux Etats-Unis. A l'instar des autres puissances maritimes, vous ne pouvez établir qu'un seul système commercial.

M. le président. - Voici la marche qui a été suivie dans la discussion des traités. A l'occasion de la discussion de l'article unique du projet, il est libre à chaque orateur de présenter des modifications au traité. Mais les articles mêmes du traité ne sont pas mis en discussion.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Messieurs, l'honorable M. de Foere a cru que je lui adressais tout à l'heure un reproche lorsque je disais que mon opinion relativement à la question du transit avait toujours différé de celle de quelques-uns de mes honorables collègues de la commission d'enquête. Il vous a dit qu'il avait toujours été partisan d'un système très large de transit.

Messieurs, je reconnais que l'honorable M.de Foere, dans tous les rapports qu'il a faits à la chambre et dans beaucoup de discours sur la matière, a toujours préconisé en théorie un système libéral de transit appliqué à la Belgique. Cependant l'honorable membre me permettra de lui faire remarquer que presque chaque fois, depuis 1830, que le gouvernement a présenté une grande mesure destinée à développer le commerce de transit, il l'a trouvé parmi les adversaires de cette mesure.

Ainsi, je pense que la plus grande mesure qui ait été proposée pour créer le commerce du transit en Belgique, c'est l'établissement de notre chemin de fer belge-rhénan. Si j'ai bon souvenir, l'honorable membre a combattu la création du chemin de fer belge-rhénan ; il a été plus loin, il a déclaré alors qu'il ne croyait pas à un système de transit en concurrence avec la Hollande ; qu'il regardait ce système de transit en concurrence avec la Hollande comme une impossibilité.

Lorsqu'il s'est agi de l'achat des 4,000 actions destinées à l'exécution du chemin de fer rhénan, prolongement du nôtre, je pense aussi que l'honorable membre s'est trouvé parmi les adversaires de ce projet.

Pour la navigation à vapeur, mesure qui a échoué, non parce que le principe était mauvais, mais parce que les moyens ont fait défaut, le gouvernement a encore trouvé l'honorable membre dans l'opposition.

Il y a quelques jours encore, nous avons discuté la question des entrepôts, qui appartient aussi à la famille des lois tendant à favoriser le transit ; l'honorable membre s'est montré très peu favorable aux facilités nouvelles à donner aux entrepôts.

Le traité de commerce conclu avec le Zollverein avait aussi pour but le développement du commerce de transit. Si j'ai bonne mémoire, l'honorable membre a été loin de défendre le traité du 1er septembre.

Nous le trouvons aujourd'hui encore pour adversaire, et l'honorable membre soutient que le traité américain n'a aucun rapport avec le commerce de transit. C'est une question que je me permettrai tout à l'heure d'examiner avec lui.

L'honorable M. de Foere a raisonné aujourd'hui comme il le faisait avant l'adoption de la loi des droits différentiels ; il a toujours supposé que le principe d'assimilation pour les marchandises d'entrepôt détruirait nos relations directes avec les autres pays de production. Si ce fait était réel, je combattrais le traité américain ; car, pour ma part, tout en voulant développer le commerce de transit, j'attache une importance plus grande encore aux relations directes avec les pays de production.

Mais l'honorable membre a oublié d'établir le fait sur lequel tout son discours repose. La loi des droits différentiels étant donnée, est-il vrai qu'il y ait des craintes sérieuses de voir, par suite du traité, des marchandises des autres pays de production transportées dans les entrepôts de New-York, par navire américain et de là déversées sur le marché belge ? C'est une question de fait que l'honorable membre n'a pas examinée. Ce fait, je vais l'examiner.

Avant la loi des droits différentiels, la chambre de commerce d'Anvers avait déjà soutenu que cette crainte était chimérique. En effet, le fret des Antilles ou du golfe de Floride a New York, en y ajoutant les frais de pilotage, de quarantaine et autres qui sont très élevés, monte à 3 piastres ou 15 francs par tonneau ; la chambre de commerce soutenait que ce surcroît de dépenses de 15 francs pour ces opérations d'escale était trop élevé pour nuire aux relations directes de la Belgique avec le Brésil ou la Havane.

Sous l'ancienne législation, je conçois que le doute était possible à cet égard ; mais depuis la loi des droits différentiels (je reviens sur ce fait qui domine tout le débat), les provenances des entrepôts américains sont frappées, par pavillon national ou par pavillon assimilé, d’un droit différentiel de 25 fr. par tonneau. Ajoutez ces 25 fr. aux 15 fr. de frais nécessites par le voyage d'escale, et vous verrez, messieurs, que le commerce direct est favorisé de 40 fr. par tonneau, c'est-à-dire des deux tiers du fret de Rio à Anvers. En présence de ce fait, comment peut-on concevoir la crainte qu'a exprimée l'honorable préopinant ?

On parle toujours des entrepôts américains. Je me permettrai de faire remarquer qu'aux Etats-Unis, il n'y a pas d'entrepôt, dans le sens que nous attachons à ce mot ; toutes les marchandises, à leur entrée sur le territoire de l'Union, doivent payer les droits ; seulement, il y a restitution, lorsque la réexportation a lieu. Mais on ne trouve à New-York ou à Charleston ni locaux pour les entrepôts, ni aucune des facultés qu'on a en Belgique et dans les pays voisins, pour le commerce de transit. Cette obligation d'acquitter toujours les droits à l'entrée est une entrave dont il est facile d’apprécier l'importance.

Mais si ce déversement des marchandises, de ce qu'on est convenu d'appeler les entrepôts américains, est possible sous la législation actuelle, et après l'adoption du traite, je dis qu'il l'était bien davantage sous la législation ancienne, d'après laquelle les provenances des entrepôts américains n'étaient frappées que d'un droit différentiel de 10 p. c. Ainsi, pour le café, le droit était de 10 fr. par tonneau.

(page 272) Si les craintes de l'honorable préopinant peuvent se réaliser sous l'empire de la loi des droits différentiels, alors que le café brésilien venant de New-York est frappé d'un droit différentiel de 25 fr. par tonneau, à plus forte raison devait-il en être ainsi de 1839 à 1844, alors que ces provenances indirectes n'étaient soumises qu'à un droit différentiel de 10 fr. Or, pendant ces 14 années, ce fait s'est-il réalisé ?

L'honorable membre vous a dit que chaque année les navires des Etats-Unis exportaient en Belgique des quantités considérables de produits étrangers à leur sol et à leur industrie.

Voyons s'il en est ainsi. Sur 20 millions importés des Etats-Unis en Belgique, 19 millions sont des matières premières du sol américain.

Les Etats-Unis ont importé en Belgique de ces marchandises d'autres provenances :

En 1842, pour 827,700 francs.

En 1843, .pour 598,500 francs.

L'honorable M. de Foere, dans son rapport, très remarquable d'ailleurs, sur les conclusions de la commission d'enquête, a toujours cité l'année de 1839 à 1840. Mais n'oublions pas que c'était pendant la crise américaine. Alors l'Amérique faisait argent de tout ce qu'elle trouvait sous la main. L'importation s'est élevée alors à deux millions et demi, ce qui ne forme encore qu'un dixième du chiffre de l'importation totale. Ce résultat est complétement insignifiant.

Ainsi, quand on examine les faits, on peut se convaincre qu'avant la loi des droits différentiels, ce grand déversement qu'on pouvait craindre alors avec certaine raison n'a pas eu lieu. Je demande comment il pourrait avoir lieu depuis la loi du 21 juillet, depuis que les provenances des entrepôts transatlantiques sont frappées d'un droit de 25 fr. par tonneau, droit qui, additionné au surcroît de dépenses qu'entraîne le voyage de détour par les ports de l'Union, s'élève à une somme de 40 fr. par tonneau, c'est-à-dire aux deux tiers du fret de Rio à Anvers.

Ainsi les craintes que l'on a manifestées au sujet de nos relations directes doivent s'évanouir ; elles ne reposent sur aucun fondement.

Mais si nous n'avions pas admis l'assimilation des navires américains aux navires belges pour les provenances des entrepôts des deux pays, savez-vous qui nous aurions frappé ? Notre navigation nationale et notre commerce de transit ; et je suis étonné d'entendre l'honorable M. de Foere, qui a toujours été le défenseur-né de la navigation nationale, soutenir un système qui doit à la longue détruire complétement cette navigation.

En effet, si nous n'avions pas admis ce principe d'assimilation, les Etats-Unis, usant de réciprocité, auraient frappé de droits différentiels les marchandises de nos entrepôts expédiées par navires belges. Que serait-il arrivé ? C'est que les marchandises provenant de l'Allemagne, de la Suisse et de quelques parties de la France, qui viendraient s'entreposer à Anvers, auraient pu être exportées aux Etats-Unis, par navire américain, mais à l'exclusion des navires belges.

Les navires américains, dans le système de l'honorable M. de Foere étant seuls admis à exporter aux Etats-Unis les marchandises des entrepôts belges, il est évident que les exportations de l'Allemagne et de la Suisse préféreraient la voie de Rotterdam, de Brème ou de Hambourg, parce que là ils trouveraient des occasions beaucoup plus nombreuses, ils auraient la double ressource de choisir entre la navigation du pays et la navigation américaine, toutes les deux admises à importer les marchandises d'entrepôt.

A Anvers, au contraire, les expéditeurs étrangers ne pourraient recourir aux navires belges exclus, d'après le système de M. de Foere, du commerce de transit vers les Etats-Unis.

L'honorable M. de Foere vous a dit : Mais étudiez l'histoire commerciale des autres nations ; la France, dit-il, a refusé de négocier sur ce qu'il a appelé le système à triple base ; et les Etats-Unis, d'après un rapport qui a été déposé sur le bureau du congrès, en 1842, ne veulent plus négocier dans ce système. En effet, en l842, la commission de commerce et de navigation avait proposé au congrès américain (qui du reste n'a pas admis ce projet de résolution), de laisser tomber, à leur expiration, les traités conclus avec la Prusse, la Hollande et les villes hanséatiques, et qui reposent sur les mêmes bases que celui que nous discutons.

Dans l'opinion de cette commission, ce système avait été défavorable à la navigation américaine. Ainsi, pour prendre un exemple, celui des villes hanséatiques, la commission faisait remarquer que depuis l'adoption du traité entre les Etats-Unis et les villes hanséatiques, le tonnage des villes hanséatiques à leur entrée aux Etats-Unis était monté de 9 ou 10 mille tonneaux à 70,000 tonneaux de 1830 à 1837, et le tonnage américain avait subi un mouvement correspondant de décroissance. La commission de navigation des Etats-Unis déplorait les effets qu’avait eus le traité, et demandait qu'il ne fût plus renouvelé. Ce traité repose sur les mêmes bases que celui qui est soumis à vos délibérations.

Je comprends dès lors difficilement la conclusion à laquelle l'honorable membre arrive : il ne veut pas d'un traité dont les Etats-Unis ne veulent plus, parce qu'il est défavorable aux Etats-Unis et favorable aux pays qui ont traité avec eux !

M. de Foere. - J'ai dit que ces traités, négociés avec des pays qui avaient une grande marine marchande, étaient défavorables aux Etats-Unis et favorables dans le cas contraire.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Je n'ai pas vu cette distinction dans le document que j'ai trouvé inséré dans le rapport de M. de Foere ; il n'en résulte pas moins que l'honorable membre déconseille de traiter d'après un système dont les résultats ont été fâcheux pour les Etats-Unis, et ont été à l’avantage des nations qui ont traité avec cette nation.

L'honorable membre a cité plusieurs fois comme modèle à suivre le traité conclu entre la France et les Etats-Unis. Eh bien, messieurs, le ministre du commerce en France, dans un rapport récent (il est du 26 mars1844), M. le ministre du commerce, en constatant la décroissance de la navigation française et des exportations vers les pays avec lesquels la France avait des traités, a fait connaître ce résultat que l'augmentation des importations de ces pays en France s'est élevée à 114 p. c., et que l'augmentation des exportations de la France n'avait été que de 6 4/2 p. c. Dans le mouvement d'intercourse, la navigation entre la France et les pays avec lesquels elle est liée par des traités, cette navigation s'est accrue dans une proportion triple pour les navires étrangers, comparativement aux navires français.

Dans les années qui ont précédé la conclusion du traité entre la France et les Etats-Unis, le pavillon français figurait dans le commerce direct pour 83,000 tonneaux, et depuis le traité, elle y figure pour 116,000 tonneaux, L'augmentation n'est donc que de 33,000 tonneaux ; tandis que pour le pavillon étranger, elle est de 144,000 tonneaux. Et savez-vous, messieurs, à quelle cause M. Cunin-Gridaine attribue ces résultats défavorables à la navigation française et au commerce d'exportation de la France ? Il l'attribue précisément aux deux traités conclus entre la France et l'Angleterre et entre la France et les Etats-Unis, mais surtout à ce dernier. Voici, messieurs, le passage de son rapport : « La disproportion que ces résultats accusent dans l'intercourse, tient surtout à la concurrence des marines anglaise et américaine, favorisées par deux traités antérieurs de beaucoup au gouvernement actuel. »

Vous voyez, messieurs, que M. Cunin-Gridaine semble presque désavouer le traité de 1822 ; il a soin de dire que ce traité n'est pas dû à l'administration actuelle.

« Dans nos rapports, ajoute-t-il, avec l'Angleterre, le tonnage anglais figure pour 791,000 tonneaux et le nôtre pour 159,000 tonneaux seulement. Mais en compensation, l'Angleterre a offert à nos produits un débouché dont l'importance a été de 106 millions. A la vérité, cette compensation n'existe pas dans nos rapports avec l'Union américaine. Là notre pavillon n'obtient qu'un quinzième dans l'intercourse, et notre exportation est tombée, de 1837 à 1841, de 100 millions à 48 millions. » ; M. Cunin-Gridaine fait remarquer, toutefois, que cette décroissance, dans les exportations vers les Etats-Unis, tient, en partie, à la crise américaine de ces dernières années.

Eh bien, messieurs, l'honorable M. de Foere nous présente comme modèle à suivre le traité français-américain, conclu sur la double base, et ce traité, la France en déplore les résultats, le ministre du commerce de France, dans son exposé de 1844, semble le désavouer. Voilà le système que l'honorable préopinant préconise, et, d'un autre côté, comme je le disais tout à l’heure, il ne veut pas des traités conclus sur la triple base comme ceux existants entre les villes hanséatiques et les Etats-Unis, traités dont les Etats-Unis ne veulent plus et dont les villes hanséatiques désirent la continuation, parce que les résultats leur en ont été favorables. Il me paraît que lorsqu'on examine les faits, l'histoire commerciale des pays dont l'honorable membre vient de parler, on doit reconnaître que l’opinion de l'honorable préopinant est en complète contradiction avec ces faits et avec les enseignements de cette histoire.

- La séance est levée à 4 heures et demie.