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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 10 décembre 1845

(Annales parlementaires de Belgique, session 1845-1846)

(Présidence de M. Liedts.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 223) M. Huveners procède à l'appel nominal à une heure et quart.

M. Albéric Dubus donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Huveners présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.

M. Huveners annonce à la chambre qu'il lui est fait hommage par M. Jobard, directeur du Musée de l'industrie, de 100 exemplaires d'une brochure intitulée : « Comment la Belgique peut devenir industrielle. »

- Distribution aux membres de la chambre et dépôt à la bibliothèque.


M. Delehaye. - Messieurs, une pétition fort importante a été déposée hier sur le bureau. Elle émane de plusieurs raffineurs de sucre, qui demandent quelques modifications à la loi régissant la matière. La chambre, conformément à ses antécédents, a renvoyé cette pétition à la commission industrielle.

Je ferai remarquer que, dans le discours du Trône, il nous a été promis un projet de loi sur les sucres. Il serait donc bon que le gouvernement lui-même connût le plus tôt possible le contenu de la pétition. Je demanderai donc que la résolution prise hier par la chambre soit modifiée en ce sens que cette pétition serait renvoyée à la commission d'industrie avec prière de faire un prompt rapport.

- Cette proposition est adoptée.

Rapports sur des demandes en naturalisation

M. Henot, au nom de la commission des naturalisations, présente divers rapports sur des demandes en naturalisation.

- Ces rapports seront imprimés et distribués. La chambre fixera ultérieurement leur mise à l'ordre du jour.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget de la dette publique

Rapport de la section centrale

M. Veydt. - Messieurs, j'ai l'honneur de vous présenter le rapport sur le projet de loi qui ouvre au budget des dotations pour l'exercice 1845 un crédit supplémentaire destiné au payement du traitement des membres de la cour des comptes.

L'examen de ce projet de loi n'a donné lieu à aucune observation. La demande de crédit est la conséquence de la loi du 14 mai 1845, qui fixe le traitement des membres de la cour des comptes.

En conséquence, la section centrale, à l'unanimité, a l'honneur de vous proposer l'adoption du projet de loi tel qu'il a été présenté par M. le ministre des finances.

Vote de l'article unique et sur l'ensemble

- La chambre décide qu'elle passera immédiatement à la discussion de ce projet de loi.

Ce projet de loi est ainsi conçu :

« Article unique. Il est alloué un crédit supplémentaire de sept mille trois cent six francs quatre-vingt-dix centimes (7,500 fr. 90 c), pour le traitement des membres de la cour des comptes, pendant les six derniers mois de 1845.

« Ce crédit sera ajouté à l'art. 1er du chapitre IV du budget des dotations pour l'exercice 1845. »

- Personne ne demandant la parole, la discussion est close.


Il est procédé au vote par appel nominal sur l'article unique du projet, qui est adopté à l'unanimité des 62 membres présents. Un membre, M. Wallaert, s'est abstenu.

En conséquence, ce projet sera transmis au sénat.

Les membres qui ont pris part au vote sont : MM. Orts, Osy, Pirmez, Pirson, Rodenbach, Rogier, Scheyven, Sigart, Thyrion, Troye, Van Cutsem, Vanden Eynde, Verwilghen, Veydt, Zoude, Anspach, Biebuyck, Brabant, Cans, Castiau, Clep, David, de Bonne, de Breyne, de Foere, de Garcia de la Vega, de Haerne, de la Coste, Delehaye, Delfosse, d'Elhoungne, de Meer de Moorsel, de Meester, de Renesse, de Saegher, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, de Theux, de Tornaco, de Villegas, Donny, Dubus (Albéric), Dumont, Eloy de Burdinne, Fallon, Fleussu, Henot, Huveners, Kervyn, Lange, Lejeune, Lesoinne, Liedts, Loos, Lys, Maertens, Malou, Manilius, Mast de Vries, Mercier, Orban.

Le membre qui s'est abstenu est invité à faire connaître les motifs de soft abstention.

M. Wallaert. - Je n'étais pas présent lorsqu'on a donné lecture du rapport sur ce projet de loi. Je suis arrivé au moment du vote.

Projet de loi relatif aux entrepôts de commerce

Discussion générale

Chapitre premier. Des entrepôts en général

Section III. Placement et manipulation des marchandises
Article 13

La discussion continue sur l'article 13 et les amendements qui y sont relatifs.

M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, si je prends la parole au commencement de cette séance, c'est avec l'espoir de donner de nouvelles garanties dont quelques membres soutiennent encore la nécessité.

Le débat se concentre aujourd'hui sur un seul point. Quels sont les moyens qui sont reconnus nécessaires et quels sont aussi ceux qui sont reconnus efficaces pour donner à l'industrie indigène toutes les garanties dont elle croit avoir besoin ?

Je pensais, messieurs, au début de cette discussion, qu'il suffirait de donner, dans la loi même, la garantie que les quantités qui pourraient être mises dans la consommation, seraient au-dessus du détail. Depuis lors, d'après un nouvel examen de cette question, j'ai reconnu qu'il était possible d'aller encore plus loin et d'interdire dans les entrepôts francs et publics l'étalage des marchandises manufacturées.

L'étalage consiste à déployer les marchandises pour les vendre en détail. C'est la définition que donne le dictionnaire que j'ai pu consulter.

Interdire cette faculté, c'est écrire dans la loi la pensée qui m'a continuellement guidé, celle d'empêcher que les entrepôts francs ne deviennent des magasins de détail. C'est, d'un autre côté, ne paralyser en rien les opérations du commerce en vue desquelles les entrepôts sont établis.

Je proposerai d'ajouter à l'article 15 un paragraphe d'après lequel cette interdiction serait établie par la loi même, comme règle à suivre par le gouvernement.

L'art. 15 est ainsi conçu : « Art. 15. Le gouvernement arrêtera un règlement pour le chargement et le déchargement, le placement, le triage, la levée d'échantillons et le changement d'emballage des marchandises. »

Je propose d'ajouter : « Ce règlement interdira l'étalage des marchandises manufacturées. »

Je conçois, messieurs, que si cette garantie était la seule, un grand nombre de membres de la chambre pourraient la considérer comme insuffisante. Mais il y aurait désormais deux garanties : celle de la limitation des quantités, et en second lieu, contre le mode de concurrence que l’on paraît redouter, l'interdiction qui fait l'objet du nouvel amendement. Ces deux garanties réunies présentent à l'industrie indigène une sécurité très grande.

Le commerce, en vue duquel les entrepôts francs sont établis, ne rencontrera dans cette restriction aucune gêne. En effet, pour le véritable commerce, pour le grand commerce, l'étalage, tel que je viens de le définir, n'est pas nécessaire. Ses opérations peuvent également se faire et pour l'exportation et pour le transit et même pour les mises en consommation ; il résulte, en effet, de cette addition faite à l'article 15 que le commerce conserve le droit de déballer, de trier les marchandises dans l'entrepôt.

Lorsque nous en viendrons à l'article 19, j'aurai l'honneur d'indiquer à la chambre les motifs qui me portent à persister à croire qu'il faut, par la loi, limiter seulement les quantités des mises en consommation quant au poids, sans faire intervenir l'élément nouveau de la valeur ; mais alors aussi, messieurs, nous examinerons s'il n'est pas possible, sans entrer dans toutes les distinctions de valeur, d'en admettre au moins quelques-unes par grandes catégories, parce que, ainsi que la remarque en a déjà été faite, la valeur relative des marchandises d'un même poids est très différente suivant les catégories. Mais cherchons alors à établir quelques limites différentes.

En combinant les deux garanties, nous atteignons complétement le but. Ce but a été très bien défini par l'honorable M. d'Elhoungne. C'est de faire servir les entrepôts à un grand mouvement commercial ; de laisser au transit et à ce grand mouvement toute la liberté dont ils ont besoin pour se développer ; mais d'autre part, c'est de rassurer complétement notre industrie contre une concurrence plus intense que l'on paraît tant redouter.

M. Delehaye. - Je demanderai à M. le président si l'amendement que vient de présenter M. le ministre des finances est mis en discussion dès à présent.

M. le président. - Il fait partie de la discussion.

M. Anspach. - Je n'avais pas l'intention de prendre la parole avant la discussion de l'article 14 (qui me regarde plus spécialement comme député de Bruxelles), et parce que, je dois le dire, il ne m'était pas venu dans l'esprit qu'il fût possible que l'utilité des entrepôts francs fût mise en doute ; mais à présent que, par la manière dont la discussion s'est engagée à la suite des amendements proposés par la section centrale et par l'honorable M. Delehaye, il me semble que l'existence même des entrepôts francs se trouve compromise ; j'ai cru, messieurs, que, comme ancien négociant, désintéressé dans la question, qu'on a eu tort, selon moi, de représenter comme anversoise, alors qu'elle est d'un intérêt général, j'ai cru que je devais y prendre part.

J'ai entendu avancer, pendant le cours de cette discussion, des choses si singulières, si contraires à toutes les idées reçues, non seulement par les nations commerçantes, mais par tous les économistes, idées qui ont en quelque sorte l'autorité de la chose jugée, puisqu'elles sont sanctionnées par (page 224) la théorie et par la pratique, qu'il est indispensable de s'élever contre de pareilles doctrines.

L'économie politique n'admet pas les prétentions exclusives de chacune des trois grandes sources de la prospérité nationale, l'agriculture, l'industrie et le commerce ; elle balance leurs intérêts communs, mais ce qu'elle admet d'un consentement unanime, c'est la liberté commerciale de toutes les industries. Remarquer, messieurs, que je dis, liberté commerciale, parce que cette liberté favorise une industrie quelconque, avec tous les avantages, toutes les protections dont cette industrie jouit ; or, pourquoi le commerce proprement dit, qui est une industrie aussi, ne serait-il pas favorisé, alors surtout que cette faveur ne coûte rien au consommateur, et qu'elle est avantageuse à l'Etat7 Voilà, messieurs, pourquoi l'entrepôt franc est accordé au commerce, et c'est une justice que ses sœurs, l'agriculture et l'industrie ne peuvent lui refuser.

Je vous ai parlé de justice, messieurs, mais c'est surtout l'utilité de la mesure qui doit vous préoccuper. M. le ministre des finances vous a dit que la moitié des navires sortant d'Anvers, partaient sur leur lest ; un honorable député de cette ville a porté cette proportion aux 2/3 ; il est donc clair que ces navires n'ont pas pu trouver de chargements, leur intérêt nous l'assure ; je vous demanderai. Ne serait-il pas plus avantageux qu'ils eussent pu en trouver un ? L'entrepôt franc n'est-il pas le meilleur moyen pour atteindre ce but ? La certitude de trouver un chargement pour le retour n'amènerait-elle pas un accroissement considérable dans Les arrivages ? Un grand mouvement d'affaires ne produit-il pas de forts salaires pour les ouvriers, une augmentation de consommation, des bénéfices pour le commerce ? Poser ces questions, messieurs, c'est les résoudre.

Je m'arrête ici dans l'énumération des avantages produits par les entrepôts parce que cela est suffisant pour vous prouver l'utilité dont je vous ai parlé ; mais il y a encore beaucoup d'autres résultats qui vont me servir pour répondre à la seule objection sérieuse qui ait été faite par divers orateurs, mais résumée par l'honorable M. Delehaye.

L'honorable député de Gand reconnaît pour le commerce l'utilité d'un entrepôt ; il ne soutient pas ce qui a été dit sur la facilité que cela donnerait à la fraude et il a raison, car ce serait le contraire qu'il faudrait soutenir ; mais il ne veut pas qu'on puisse admettre dans l'entrepôt des produits similaires de notre industrie, ou pour appeler les choses par leur nom, il ne veut pas qu'on puisse entreposer des toiles de coton, soit en blanc, soit imprimées ; il pense que des assortiments pareils ne peuvent que faire du tort au pays, puisque ce qu'on y prendra on l'aurait pris à Gand, si cela ne s'y était pas trouvé ; que c'est une concurrence nouvelle que l'on se crée et cela sans compensation. C'est bien l'objection dans toute sa force.

Je dois l'avouer, au premier aspect et surtout pour quelqu'un qui n'est pas dans les affaires, qui n'a pas la connaissance des faits, il y a quelque chose d'assez spécieux, mais qui disparaît devant les conditions exigées de la marchandise pour la vente à l'étranger On se méprend singulièrement, messieurs, sur l'allure du commerce d'exportation ; les honorables orateurs à qui je réponds, se figurent que les armateurs peuvent changer, sans, inconvénient, les articles qui leur manquent et les remplacer par d'autres analogues. Mais il n'en est rien, messieurs ; ce qui convient à un pays, ne va pas du tout à l'autre ; ce n'est pas seulement, quant aux tissus imprimés, le dessin, la couleur, mais c'est encore la largeur bien plus, l'aunage de l'étoffe, l'époque de la saison plus ou moins avancée, qui sont à considérer. Vous pouvez déjà voir par là que ce qu'on envoie en entrepôt n'y est envoyé qu'en prévision des destinations pour tel ou tel pays ; que l'assortiment de tissus qui pourra, s'y trouver à certaines époques ne vaudra vraisemblablement rien pour la consommation de la Belgique, et que, dans tous les cas, le propriétaire éprouvera moins de perte, en cas de mévente, en les envoyant dans le pays pour lequel elles ont été faites, que de les retirer en consommation pour les vendre en Belgique ; il en sera de même pour les autres industries dont on a parlé.

Maintenant, admettons l'entrepôt franc avec toutes ses conséquences, tous ses assortiments ; une certaine proportion des navires qui sortent aujourd'hui sur leur lest trouveront à faire leur chargement ; les uns à moitié, les autres aux trois quarts ; il sera de leur intérêt de le compléter autant que possible ; ils chercheront alors dans les produits belges ce qui peut le mieux convenir à la consommation du pays où ils vont ; les armes de Liège, la coutellerie de Namur, la bonneterie, les tapis.de Tournay, les tissus de Gand, les draps de Verviers, les toiles de Courtray, viendront, tour à tour, fournir leur contingent pour compléter les chargements ; et remarquez, messieurs, que je ne parle pas de ce qui se fait actuellement, mais de ce qui se fera par des navires qui, aujourd'hui, partent sur leur lest et ne sont, par conséquent, d'aucune utilité à notre industrie. En me résumant, messieurs, j'ai cherché à vous prouver que dans l'établissement des entrepôts francs, il y a justice à l'accorder au commerce, il y a utilité pour le pays en général, et que loin d'avoir des inconvénients pour notre industrie, c'est, au contraire, un moyen de lui procurer de nouveaux débouchés.

M. Manilius. - Messieurs, je suis d'accord avec les honorables défenteurs du projet, qu'il ne faut en rien contrarier le grand commerce, qu'il ne faut en rien contrarier le commerce de navigation, qu'il ne faut en rien contrarier le grand commerce étranger ; mais je ne suis plus du tout d'accord avec eux, quand ils veulent accorder au commerce étranger des faveurs dont ne jouissent pas même les régnicoles.

Lorsque j’ai demandé la parole, je ne connaissais pas encore l'amendement déposé tout à l'heure par M. le ministre des finances. Lorsque M. le ministre a donné lecture de cet amendement, il a semblé croire qu'il allait apaiser toutes les craintes. Quant à moi, messieurs, je ne dirai pas que j'envisage l'amendement de M. le ministre des finances comme une subtilité, mais je le considère comme une chose très spécieuse. Que dit M. le ministre ? Il dit que désormais on ne pourra plus étaler dans les entrepôts, et un instant après il ajoute qu'on pourra encore déballer. Eh bien, messieurs, je le demande, quelle différence y a-t-il entre le déballage et l'étalage ? Au point de vue de M. le ministre, il peut y en avoir une ; c'est probablement qu'on n'étalera pas sur des rayons, comme on étale, par exemple, à l'exposition nationale ; qu'on n'exposera pas les marchandises à la vue des personnes qui circuleraient dans l'entrepôt ; mais là, messieurs, n'est pas la question ; la question est dans le déballage des colis ; voilà ce que nous ne voulons pas, et nous avons le droit de ne pas le vouloir.

Je conviens que ce droit est très ancien, mais il n'en est pas moins réel, il n'en existe pas moins aujourd'hui comme il a toujours existé.

M. le ministre des finances a parfaitement étudié la législation qui nous régit ; je me plais à le reconnaître. Mais je l'ai aussi étudiée ; je l'ai étudiée par la pratique ; eh bien, savez-vous dans quel cas cette législation autorisa le déballage ? Elle l'autorise dans le cas où il y a avarie : alors il y a nécessité de déballer la marchandise, il y a nécessité de la trier, afin de la dégager des parties défectueuses. Les facilités que la législation accorde dans ce cas ont dégénéré en quelque sorte en abus ; on en est venu à tolérer pour les marchandises saines ce qui ne pouvait se faire que pour les marchandises avariées. Voilà, messieurs, le véritable état des choses ; et malgré tout ce qu'on a dit, je défie qui que ce soit de me citer un seul article de la loi de 1828 ou des lois antérieures, qui autorise le déballage ou le triage des marchandises non avariées.

M. Rogier. - Lisez l'article premier de la loi de 1828.

M. Manilius. - Mais cet article parle d'une simple faculté, d'une autorisation qui pourra être accordée et qui ne l'a pas été. Cet article est des plus brefs ; ou n'a jamais vu de disposition législative d'une brièveté plus grande. D'ailleurs, il ne s'agissait là que d'accorder à une seule ville, non pas un entrepôt franc, mais un entrepôt de libre exportation, et cette ville était Amsterdam. Si, plus tard, les mêmes facilités ont été accordées à d'autres villes, si l'on a permis depuis lors de déballer à Anvers, à Bruxelles, c'est par une grande tolérance de la part du ministère, et cette grande tolérance aux effets de laquelle on se cramponne aujourd'hui avec tant de force, cette grande tolérance ne s'est produite avec force que depuis l'établissement du chemin.de fer.

Les pouvoirs qui ont été accordés sous ce rapport au gouvernement, ne concernaient que le transit ; ils n'avaient rien de commun avec les marchandises destinées à la consommation intérieure. Les facilités que l'on avait en vue n'étaient pas même accordées dans l'intérêt de la navigation ; elles étaient accordées bien plutôt dans l'intérêt du transport par le chemin de fer. J'espère que la chambre ne votera pas aujourd'hui ces facilités en faveur du commerce de produits étrangers similaires de nos propres fabricats, j'espère que la chambre ne le fera pas malgré l'amendement de M. le ministre des finances. Je conviens que cet amendement est adroit, mais lorsqu'on l'examine avec quelque attention, il faut bien reconnaître qu'il ne signifie absolument rien Que veut dire, en effet : « vous pourrez déballer, mais vous n'étalerez pas ?» C'est probablement qu'on pourra vendre par pièce, mais qu'on ne pourra pas ouvrir les pièces pour vendre par aune ! Il faut convenir, messieurs, qu'après cela, il est ridicule de venir dire que le commerce ne tient pas à ces petits détails, que le commerce dont il s'agit est un grand commerce.

Je disais, messieurs, que ce déballage n'existe qu'en vertu d'une tolérance ministérielle et qu'il n'existe pas en faveur des indigènes. Eh bien, il est une loi qui interdit aux étrangers de déballer leurs marchandises, qui frappe de droits énormes, d'une patente de première classe, d'une patente de 300 florins les marchands étrangers qui déballent. Mais ceux qui déballeront dans les entrepôts ne payeront rien, vous aurez abrogé en leur faveur la loi dont je viens de parler. Je suis vraiment étonné que ce soit le ministre des finances qui vient ainsi saper des lois fiscales et en même temps protectrices de l’industrie indigène. Je suis tout aussi étonné que M. le ministre de l'intérieur, qui a dans ses attributions l'industrie, ne vient pas la détendre comme il devrait le faire, ne vient pas empêcher qu'on lui enlève ainsi, au profit de l'étranger, la protection que le ministre des finances devrait maintenir au point de vue fiscal. Je regrette vivement de ne pas voir ici, après une discussion de plusieurs jours, le ministre à qui les intérêts de l’industrie sont spécialement confiés. C’était à lui de venir, dans cette enceinte, défendre l'industrie nationale, si fortement menacée. Celait à lui de venir repousser les arguments que l'on a tirés de ce qui existe en Angleterre, car je crois que M. le ministre de l'intérieur n'a pas fait en vain ses voyages eu Angleterre ; il aura appris ce qui se passe dans les entrepôts anglais Quant à moi, sans avoir fait un voyage autour du monde, sans avoir visité les quatre parties du globe, ce qui heureusement, n'est pas une condition d'éligibilité, j'ai cependant vus aussi les docks de Londres, j'ai vu combien ils sont spéciaux : ainsi le dock, des Indes n'est pas ouvert à tout le monde ; il n'est destiné qu'aux marchandises qui arrivent des Indes.

Oui, messieurs, j'ai vu ce qui se passe dans les entrepôts anglais et je puis vous assurer, messieurs, qu'il n'existe là rien de semblable à ce qu'on veut établir chez nous. On n'est pas recevable à venir soutenir que les entrepôts anglais sont des entrepôts francs ; les marchandises qui y sont déposées doivent passer par une foule de difficultés, et il s'écoulera encore des siècles avant qu'on ne lève ces difficultés, avant qu'on ne rencontre en Angleterre des ministres si faciles à favoriser les commissionnaires étranger.

Chez nous, messieurs, on ne se borne pas à laisser déballer les marchandises étrangères dans les entrepôts francs ; on leur accorde d'autres avantages. Ces avantages résultent surtout des obligations que nous avons dû contracter à notre corps défendant avec des puissances étrangères.

(page 225) Vous avez vu sur le bureau des ratifications, mais ce n'étaient pas celles que j'avais demandées. J'avais réclamé la ratification du traité subsidiaire à l'article 19. Quoique M. le ministre des affaires étrangères se soit montré empressé à accéder à ma demande, il n'en a pourtant rien fait : il s'est borné à déposer sur le bureau toute la correspondance préalable au traité subsidiaire ; il y a ajouté une lettre du ministre de Prusse, qui annonce que toutes les puissances du Zollverein étaient d'accord, que tout était réglé, arrêté.

Je voulais savoir comment et pourquoi cela avait été arrangé, réglé. D'après les dispositions que l'on prend aujourd’hui, j'ai lieu de croire qu'il y avait des raisons qu'on ne veut pas dire. Peut-être ces raisons étaient-elles ne nature à militer en faveur des entrepôts francs, et peut être si je les avais connues, aurais-je pu donner mon assentiment à l'établissement de ces entrepôts ; mais je ne puis y donner aveuglément mon approbation.

J'ai dit, messieurs, que d'autres avantages avaient été accordés au commerce étranger ; ceux que j'ai déjà signalés auraient dû suffire. On a parlé hier des manufactures. On a sans doute fait allusion aux manufactures dont l’établissement principal est à Gand.

Or, messieurs, il s'est agi de donner des facilités pour le transit. On a accordé le passage gratis aux produits anglais, et notamment aux twists ; nous n'avons rien dit, nous avons laissé faire ; mais cela ne suffisait pas. Les twists venaient en telle abondance, que le chemin de fer pouvait à peine les charrier.

L'étranger a trouvé que le transport sur le chemin de fer était assez cher, il a fait observer qu'on lui avait accordé une faveur, quant à la remise des droits de transit ; mais qu'il fallait encore lui accorder une petite faveur, et ce qui concerne les frais de roulage. Le gouvernement belge a encore une fois accueilli cette demande, et indépendamment de la faveur du libre transit, l'Angleterre a obtenu une modération ou mieux une gratification, pour envoyer ses twists en Allemagne.

En présence de ces faveurs accordées au commerce étranger, savez-vous quelle est la sollicitude du gouvernement belge pour l'industrie indigène ? Il a fait payer à l'industrie nationale tous les droits de péages de l'ancien tarif ; il a fallu les réclamations les plus vives et les plus pressantes, pour qu'on mit les indigènes sur le même pied que les étrangers. Quand nous expédiions nos twists (fils) en Allemagne, nous payions à l’ancien tarif des transports, tandis que les Anglais y expédiaient les leurs, sans payer de droits de transit, et en obtenant, en outre, la gratification dont je viens de parler.

Voilà un exemple de la sollicitude que le gouvernement porte à l'industrie nationale.

Dans le cas actuel, il faut encore qu'il y ait une cause que nous ne connaissons pas et qui fait agir le gouvernement, comme il y en avait une qui le faisait agir dans l'affaire des twists.

Cette cause, je la trouve encore plus facilement. Quand les twists ont été expédies avec tant de facilite en Allemagne, c'est une matière première qu'on y emploie convenablement pour les tissus de cotonnade et les tissus mélanges. Pensez-vous, messieurs, qu'ils se débiteront en Allemagne ? Non, messieurs, ils reviendront en Belgique, et c'est grâce au système que l'on préconise devant vous que ce twist, organisé en tissus de toute espèce, reviendra dans le pays, et entrera dans les entrepôts francs où il sera, sinon étalé, au moins déballé.

J'ai annoncé que je déposerais un amendement. J'ai d'abord à proposer un sous-amendement à l'amendement de l'honorable M. d'Elhoungne. A l'article 13, je demanderai qu'on ajoute les mots « destinés à la consommation » après ceux-ci : « les fils et tissus de toute espèce. »

J'ai maintenant à présenter un autre amendement qui consisterait en ceci :

« Les colis contenant des fils et tissus de toute espèce, ne pourront être divisés. Toutefois, en cas d'avarie, on pourra les déballer, trier et assortir soit dans l'enceinte de l'entrepôt franc, si on les destine à l'exportation, soit dans un entrepôt public, si on les destine à la consommation. »

Cet amendement tend à faire cesser tout doute. Ce que nous voulons, c'est la pleine satisfaction à donner à toutes les branches du commerce, à toutes les branches de l'industrie. Nous voulons, dans l'entrepôt franc, le plus de latitude possible pour le grand commerce ; nous voulons conserver l'entrepôt public dont le grand commerce a toujours été doté ; nous voulons qu'on puisse agir là, comme on a pu y agir, et non pas du tout comme on y a agi ; nous voulons qu'on puisse y manipuler librement les marchandises destinées à la consommation ; nous voulons enfin qu'on puisse déblayer les avaries, s'il s'en présente. Je crois que c'est là se montrer on ne peut pas plus libéral à l'égard des entrepôts francs.

Il est certain, messieurs, que les entrepôts francs ne peuvent avoir un mouvement prononcé que par la grande navigation. Selon moi, les entrepôts francs, s'ils sont votés, ne pourront prospérer que sous le rapport des arrivages des pays transatlantiques, des Indes, etc. Ces entrepôts ne doivent être destines qu'au grand commerce de sucre, de café, de coton, de riz, de sel, de bois de campêche, d'indigo, etc. ; voilà de quoi fournir un grand mouvement commercial.

Rien n'empêche pourtant que dans ces entrepôts on ne puisse encore jouir de l'avantage des produits étrangers, si toutefois on veut se contenter de la vue des échantillons qui accompagnent ordinairement les colis. Quant à cela, il ne faut pas encore se dissimuler qu'il ne faut ni le déballage ni le détail. Les exportations, quoi qu'on dise, se font aussi pour nos fabricants, et je m'en vais vous dire comment elles se font.

Les objets manufacturés sont très bien empaquetés dans des balles d'au moins 50 pièces de 24 yards ; elles sont mises dans des caisses et couvertes de plomb. Quand il s'agit de les vendre, au lieu de les débiter en détail, on les vend telles qu'elles sont, formées en paquets. Le débit s'en fait sur exhibition d'un carnet qui les accompagne et qui contient l'échantillon de chaque pièce ou de chaque dessin.

Dans tous les pays vers lesquels des expéditions peuvent se faire, cela est tellement en usage, qu'il suffit d'avoir sous les yeux le carnet avec l'échantillon, pour acquérir le colis avec toute confiance.

J'adjure la chambre d'adopter mon amendement. Si elle ne l'adopte pas, vous courez la chance de faire des entrepôts francs un véritable imbroglio, et vous savez que c'est dans l'eau trouble que l'on pêche toujours bien.

Je répondrai encore deux mots à M. le ministre des finances, quant à la question du minimum pour les sorties et à celle des soldes. M. le ministre des finances pense que ce minimum donne une garantie à l'industrie belge, mon amendement lui offre une garantie bien plus efficace.

Eu ce qui concerne les soldes, je rappellerai que M. le ministre des finances lui-même a fait l'aveu qu'il était impossible de reconnaître les soldes.

Je croyais qu'au début de la discussion, M. le ministre des finances s'était rallie à ce qui avait été dit, dans le sein de la section centrale, relativement à l'article 34. Cependant l'adhésion de M. le ministre n'est pas formulée dans les amendements qu'il a présenté. La chambre sait qu'il s'agit de la déclaration exigée pour le libre transit. Je vous demande, M. le ministre des finances, si vous adhérez à cela oui on non ?

M. le ministre des finances (M. Malou). - Je vous écoute ; je vous répondrai, quand votre discours sera fini.

M. Manilius. - Je fais un appel à la complaisance de M. le ministre ; qu'il me dise s'il adhère oui ou non. Je ne demande qu'un signe de tête. M. le ministre adhère-t-il à l'article 34 ? Ou plutôt n'a-t-il pas ignoré ce qui s'est passé à cet égard ? C'est ce que je suis plus porté à croire ; car s'il l'avait su, il n'aurait pas hésité à répondre à l'interpellation que je viens de lui adresser.

Je vais préciser l'objet de mon interpellation.

L'article 34 prescrivait à celui qui voulait transiter librement l'obligation de faire une déclaration ; de cette manière, M. le ministre des finances aurait pu avoir raison, il aurait pu dire que le solde était connu, parce que tout ce qui était parti, avait dû être déclaré. Mais la section centrale en a décidé autrement ; et si l'amendement de la section centrale est maintenu, je dis qu'il y a impossibilité de connaître les soldes.

M. le ministre est venu nous dire qu'il était disposé à protéger l'industrie nationale, qu'il allait faire cesser toutes ses craintes. Si les ménagements que l'on prend dans l'intérêt du commerce diminuent la protection, on pourrait augmenter les tarifs. C'est une question de tarif tout simplement !... je ne sais tout ce qu'il a dit encore.

Moi, je lui réponds qu'il n'a pas bien étudié l'article 34, qu'il n'a pas non plus étudié la question de la protection de l’industrie nationale ; car quand il s'est levé et a crié bien haut pour dire qu'il allait nous protéger, le cas échéant, il a dit un non-sens.

En effet, hier, vous avez vu les ratifications du traité avec le Zollverein qui lui interdit de nous protéger. Non, vous ne pouvez pas élever les droits d'entrée sur nos produits ; cependant vous venez nous dire : «Si vous croyez que les difficultés dont nous allons affranchir le commerce, soient de nature à lui permettre de faire à notre industrie une concurrence nuisible, nous aviserons, nous élèverons les droits. »Vous ne les élèverez pas, vous n'oserez pas les élever ; vous avez renouvelé l'engagement le 15 octobre avec le gouvernement français. Aussi quand vous dites : « Je vais protéger l'industrie, je vais tout faire pour la rassurer, » je vous réponds : Vous ne ferez rien du tout. Cela ne vous est pas permis. »

Je termine, en demandant que M. le ministre de l'intérieur, qui a l'industrie nationale dans ses attributions, veuille venir à notre secours ; c'est à lui de venir démentir les assertions légèrement faites dans cette enceinte. Si on abandonne les intérêts de l'industrie à M. le ministre des finances, qui les traite si cavalièrement, je ne sais où seront les garanties de l'industrie indigène, car toute la protection qu'il propose est en faveur de l'étranger.

M. le ministre des finances (M. Malou). - Si mon honorable collègue M. le ministre de l'intérieur était présent, l'honorable membre, loin de trouver en lui un auxiliaire, rencontrerait un adversaire de plus. Mon honorable collègue pense, comme moi, qu'en donnant au commerce les développements que nous voulons lui procurer, nous provoquons nécessairement une réaction en faveur de l'industrie nationale, Ainsi, je prie l'honorable préopinant de ne pas persister dans ses regrets.

Si je ne me suis pas prononcé immédiatement sur l'objection tirés de l'article 34 du projet, c'est pour que vos discussions restassent ce qu'elles doivent être, et nullement par suite d'un embarras que j'aurais éprouvé.

L'honorable M. Manilius a tiré une objection de la prétendue impossibilité de reconnaître le solde de compte d'entrepôt. Je lui ai déjà fait remarquer que d'après la comptabilité tenue dans les entrepôts et la classification qui doit y être maintenue, il est toujours facile de reconnaître si la quantité inférieure à 50 kil. qu'on déclare en consommation, est ou n'est pas un solde d'entrepôt.

Quelle que soit la décision que vous prendrez sur l'article 31, la garantie que j'ai signalée est très suffisante par elle-même. Je n'hésite pas non plus à déclarer que je me rallie à l'amendement de la section centrale à l'article 34. Quand nous serons arrivés à cet article, la chambre tout entière, j'en suis convaincu, reconnaîtra que c'était une erreur évidente d'avoir mentionné le libre transit à l’article 34. Je trouverais dans la loi, malgré l'adoption probable de l'amendement de la section centrale, tous les moyens nécessaires pour établir si les quantités à introduire dans la consommation sont ou ne sont pas le solde d'un compte d'entrepôt.

(page 226) L'honorable membre pense que la présentation du projet de loi se rattache à une question diplomatique, au fameux article 19 du traité avec le Zollverein. Un simple rapprochement de dates suffira pour rassurer l'honorable membre. En tête du rapport de la section centrale, on lit : « Le Moniteur du 28 mars 1844 a publié un projet de loi relatif à un système général d'entrepôts de commerce... »

La chambre se rappellera que les difficultés internationales ont surgi vers la fin de juillet.

C'est par l'arrêté du 28 juillet de la même année que le rachat du péage de l'Escaut a été retiré aux navires prussiens. Postérieurement à cette époque les négociations ont commencé ; tandis que, au mois de mars précédent, le projet était envoyé aux chambres de commerce et publié par le Moniteur.

L'honorable membre paraît croire que la Belgique ne conserverait pas la liberté d'action dont elle a besoin pour protéger l'industrie nationale. Il n'en est absolument rien. En discutant cette question, je me suis soigneusement abstenu d'examiner si quelqu'une de nos industries avait besoin d'une protection plus forte ; mais j’ai fait remarquer que si une protection plus forte était reconnue nécessaire, une discussion pourrait avoir lieu sur chaque point et que la loi nouvelle n'y faisait pas le moindre obstacle.

Un mot encore sur la partie de l'amendement que j'ai eu l'honneur de vous soumettre. Quelle différence trouvez-vous, dit l'honorable membre, entre l'étalage et le déballage ? La défense d'étaler écarte des entrepôts francs la crainte de les voir devenir des bazars, faisant concurrence au commerce de détail ; mais la défense de déballer ôterait même aux entrepôts francs le caractère de grands établissements commerciaux. Voici comment se font beaucoup de ventes en gros à Anvers : on ouvre les colis ; à la simple inspection, on achète pour l'exportation ou pour le transit. De deux choses l'une, ou vous devez supprimer le commerce, ou vous devez permettre la continuation de ces opérations. Il y a plus ; vous devez, dans l'intérêt du développement industriel et commercial, permettre que d'un colis très fort on fasse plusieurs colis moindres pour les exporter dans d'autres contrées. Si on ne veut pas que ces opérations se fassent, on ne veut plus qu'il y ait en Belgique de commerce. C'est là qu'il faut toujours ramener la question.

En votant le projet tel qu'il est proposé dans son ensemble, porte-t-on la moindre atteinte aux lois protectrices que vous avez portées sur le déballage et le colportage ? Non, messieurs, nous restons dans le même ordre d'idées. Ces mesures ont été prises en vue de la protection du commerce de détail, celles que nous proposons ont aussi pour objet de le protéger, car nous ne voulons pas que les entrepôts de grand commerce puissent devenir pour lui un moyen de concurrence.

La pensée qui m'a constamment préoccupé dans cette discussion, c'est que d'une part nous devons avoir pour l'exportation et le transit un système très libéral, qu'il est de notre intérêt d'avoir ce système et de le compléter par toutes les mesures que la législature peut prendre, et que ce système n'est pas incompatible avec une protection modérée, accordée à l'industrie nationale.

M. le président. - M. Manilius a déposé un sous-amendement à l'amendement proposé par M. d'Elhoungne à l'article 13, qui consiste à ajouter après les mots : « Les fils et tissus de toute espèce, » ceux-ci : « destinés à la consommation. »

- Ce sous-amendement est appuyé.

Un autre amendement est proposé par M. Manilius ; comme il se rapporte à l'article 34, j'attendrai, pour le soumettre à la chambre, que nous en soyons à cet article.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Messieurs, hier, je n'avais pas compris le motif qu'avait l'honorable M. Manilius de demander, à propos de la discussion sur les entrepôts francs, le dépôt des ratifications du traité du 1er septembre, et les pièces relatives à la négociation qui avait eu lieu pour résoudre les difficultés qu'avait soulevées l'interprétation de l'article 19 du traité. Il vient de nous faire connaître ce motif : l'honorable M. Manilius paraît avoir soupçonné que la loi des entrepôts francs formait une condition imposée par le Zollverein, condition corrélative à la faveur que la Prusse nous avait faite par l'interprétation extensive donnée à l'article 19.

L'honorable membre s'est plaint de ce que j'avais déposé les pièces dont il n'avait pas besoin et de ce que je n'avais pas dépose les pièces qui auraient pu le convaincre de son erreur.

J'ai déposé les ratifications originales du traité du 1er septembre, comme l'honorable membre l'avait demandé ; j'y ai joint toutes les pièces relatives à la négociation sur l'article 19 du traité. Je n'ai pu soumettre à la chambre les ratifications, parce qu'il ne s'agissait pas là d'un ace international, et que dès lors aucunes ratifications n'ont été échangées. Nous avons demandé qu'on interprétât l'article 19 comme le gouvernement belge l'avait interprète ; la Prusse y a consenti et elle a obtenu de tous les Etats du Zollverein l'assentiment unanime à cette interprétation.

J'ai déposé toutes les pièces relatives à cette négociation, elles sont complètes et pleinement satisfaisantes ; je ne pouvais pas en déposer d'autres, puisqu'il n'en existait pas.

M. Manilius avait cru y découvrir quelque stipulation secrète relative aux entrepôts. Par un simple rapprochement de dates, M. le ministre des finances a démontré que les appréhensions de l'honorable membre n'étaient pas fondées. En effet, le projet relatif aux entrepôts date du 28 mars 1844 et la correspondance déposée sur le bureau est du mois de janvier et de février 1845, c'est-à-dire que le projet était arrêté un an avant que la négociation sur l'article 19 eût lieu. L'honorable membre peut donc être convaincu que la présentation du projet de créer des entrepôts francs est étrangère à la négociation relative à l'article 19 du traité avec le Zollverein.

Du reste, messieurs, le gouvernement a déjà eu l'occasion d'affirmer, et je renouvelle ici cette affirmation, que l'interprétation admise par le Zollverein a été faite gratuitement, sans réserve, sans condition, sans traité supplémentaire et secret.

L'honorable M. Manilius a regretté que mon honorable collègue M. le ministre de l'intérieur, qui a l'industrie dans ses attributions, ne fût pas présent pour défendre ce qu'il a appelé l'intérêt industriel dans la question des entrepôts francs.

Messieurs, j'ai aussi dans mes attributions le commerce extérieur, et je puis déclarer à l'honorable membre que M. le ministre de l'intérieur partage complétement notre opinion, que le projet des entrepôts francs non seulement n'est pas nuisible à l'intérêt industriel, mais lui est directement favorable. Mon honorable collègue M. le ministre de l'intérieur, messieurs, a habité l'Angleterre, et c'est précisément parce qu'il a habité l'Angleterre qu'il a pu se convaincre de la haute utilité des entrepôts francs au point de vue industriel.

Messieurs, il est évident que l'une des causes de la grande supériorité de l'Angleterre, en ce qui concerne le commerce d'exportation, c'est que son système commercial et son système de libre entrepôt et de libre transit, lui ont permis d'attirer dans ses entrepôt une quantité et une variété assez grande de marchandises indigènes et étrangères pour former sans délai des cargaisons pour les expéditions lointaines. Ni la France, ni l'Allemagne ne possèdent ces facilités au même degré que l'Angleterre ; et c'est là, je le répète, une des causes de sa grande supériorité sur les marchés extérieurs, depuis 1818, depuis que le système de libre entrepôt a été créé en Angleterre.

Messieurs, lors de l'enquête commerciale, de quoi se plaignaient tous les industriels du pays, au point de vue de nos exportations intérieures ? Ils se plaignaient d'être forcés de recourir aux ports étrangers pour l’exportation de leurs produits manufacturés. Ainsi Liège exporte ses armes ordinairement par le Havre ; les draps de Verviers, les tuiles, la clouterie, la verrerie sont exportés par les ports de Hambourg, de Brème, ou de Rotterdam Et pour quelle raison les industriels belges consentent-ils à surcharger leurs produits de ces énormes frais de transports, pour les exporter sur les marchés lointains en concurrence avec les produits de la France, de l'Angleterre et de l'Allemagne ? Pourquoi ne se servent-ils pas du beau port d'Anvers, bien plus rapproché d'eux ? Mais c'est qu'Anvers n'a pas de relations suivies, n'a pas de moyens réguliers d'exportation ; c'est que les cargaisons s'y forment avec difficulté et après 4 ou 6 mois d'attente ; c'est qu'il nous manque des marchandises d'encombrement et d'assortiment.

Or, les marchandises qui seront placées dans les entrepôts francs qu'il s'agit d'établir fourniront des occasions d'exportation, donneront aux armateurs belges ou étrangers des facilités nouvelles pour compléter les cargaisons. Les produits étrangers faciliteront l'exportation des produits belges ; ils ouvriront la voie à ceux-ci sur les marchés lointains où l'Allemagne, l'Angleterre et la France ont trouvé d'importants débouches presque inconnus à beaucoup de nos industries.

L'honorable M. Manilius nous a dit tout à l'heure : Le ministère a proclamé sa haute sympathie pour l'industrie intérieure ; il a promis aide et protection au travail national ; mais, a ajouté l'honorable membre, le gouvernement a oublié que le traité avec l'Allemagne, d'une part, et la convention avec la France, d'autre part, lui interdisent la faculté d'augmenter encore son tarif intérieur.

Messieurs, je ferai d'abord remarquer à l'honorable préopinant que l'interdiction dont il parle ne concerne que les articles assez peu nombreux qui sont entrés dans les stipulations du traité du 1er septembre ou dans la convention du 16 juillet, sauf cependant l'article coton. Je reconnais que par le traité allemand et par l'arrêté du 13 octobre 1844 il est interdit au gouvernement d'augmenter pour ces deux nations le tarif sur l'industrie cotonnière. Mais je rappellerai à l'honorable membre que, dans son opinion même, l'industrie cotonnière n'a pas besoin d'une augmentation de tarif ; elle a renoncé depuis bien longtemps à demander un tarif plus élevé. Ce que l'industrie cotonnière a réclamé, c'est de lui assurer l'exécution des tarifs, c'est d'apporter, s'il est nécessaire, des mesures de douanes plus sévères.

Ainsi donc, messieurs, le gouvernement, à l'égard de l'industrie cotonnière, n'est nullement gêné au point de vue de la protection intérieure.

M. de Foere. - Messieurs, l'honorable ministre des affaires étrangères n'était sans doute pas présent lorsqu'au commencement de la séance son collègue, M. le ministre des finances, a dit avec raison, que le débat était désormais renfermé dans la question de savoir si l'on permettra ou non aux marchandises de transit de se replier sur la consommation intérieure. Ce que vous a dit l'honorable ministre des affaires étrangères sont des vérités qui sont déjà depuis longtemps connues et que personne ne conteste.

Comme vous l'a dit l'honorable ministre des finances, il n'existe plus qu'un seul dissentiment grave.

Nous voulons une véritable loi de transit, une loi de transit direct, de transit d'entrepôt proprement dit ; nous voulons aussi une loi d'entrepôt de libre exportation ; nous voulons tous les entrepôts dans le sens le plus large, comme vous l'a dit l'honorable M. d'Elhoungne ; mais M. le ministre des finances et ses partisans ne veulent pas d'une semblable loi.

M. le ministre des finances veut une loi qui enlève au transit son caractère principal, tel qu'il est généralement reconnu, pratiqué par toutes les nations qui sont à la fois commerçantes et industrielles.

M. le ministre veut que les marchandises de transit, même les objets fabriqués, similaires aux nôtres, aient la faculté de se replier sur la consommation intérieure. Nous soutenons que ces marchandises n'appartiennent (page 227) plus au transit ; que vous faites dégénérer, en grande partie, le transit en un commerce ordinaire, et que vous lui donnez un caractère tout autre que celui qui lui est généralement reconnu.

Qu'on ne vienne pas nous dire, comme le répète constamment M. le ministre des finances, qu'il veut que le commerce trouve dans les entrepôts francs toutes les facilités d'exportation, et qu'à cet effet, il s'établisse dans le pays un grand mouvement de transit.

Nous ne nous opposons pas au transit, ni à l'établissement des entrepôts pour faciliter l'exportation ; mais nous voulons que ce but soit atteint, comme il l'est ailleurs, par le transit direct et par le transit d'entrepôt. Nous ne faisons pas même la moindre opposition pour toutes les matières premières, pour les denrées coloniales, pour tout ce qui n'entre pas en concurrence avec les produits fabriqués du pays, nous reconnaissons que c'est un avantage et même un besoin. Ainsi, qu'on ne se méprenne pas sur nos opinions.

Nous soutenons, en outre, comme je tâcherai de le prouver, que le commerce de transit, que l'honorable ministre veut établir, ébranle le système de législation douanière qui nous régit actuellement.

Chose singulière ! M. le ministre et ses partisans nous disent que la loi qu'ils proposent est une loi de transit direct, de transit d'entrepôt. (Je me sers avec intention de ces termes, parce que ce sont les termes usités et reconnus par la loi.) Ils veulent accorder à ce transit toutes les facilités compatibles avec les intérêts commerciaux et industriels du pays.

Comme je l'ai déjà dit, nous le voulons également. Mais, en même temps, ils soutiennent formellement que l'amendement de la section centrale enlève au transit direct et d'entrepôt tout son caractère ; ils vous disent même qu'adopter cet amendement, c'est repousser le principe de la loi, que c'est le rejet de la loi même. Cette déclaration a été souvent faite par M. le ministre des finances ; il l'a renouvelée encore dans la séance d'hier. Mais n'est-ce pas avouer ouvertement que le principal caractère de la loi qu'il propose n'est pas le transit, mais la faculté accordée à l'industrie et au commerce de l'étranger de faire entrer leurs produits similaires des noires dans la consommation intérieure, et la faculté accordée au commerce d'Anvers d'exploiter utilement les entrepôts contre les intérêts de l'industrie nationale ?

M. le ministre des affaires étrangères croit que nous nous opposons à ce que les cargaisons puissent être complétées au moyen des marchandises qui nous sont importées en transit ou en reexportation.il n'en est rien. La seule question, je le répète, qui soit encore en discussion, c'est de savoir si ces marchandises qui nous sont importées en transit ou pour la réexportation auront la faculté de pénétrer dans la consommation intérieure, alors que ce sont des marchandises manufacturées et les similaires des noires.

Hier encore nous l'avons remarqué, dès que l'honorable député de Gand, après avoir fait le plus grand éloge du transit le plus libre, s'est avancé avec un amendement qui n'avait d'autre but que de restreindre tant soit peu le transit dans ses limites naturelles, l'honorable M. Osy est sorti de son extase ; il est tombé à froid.

De deux choses l'une : ou vous voulez une loi de transit telle que tout le monde commercial le comprend, ou vous ne voulez pas une semblable loi. Dans le premier cas, ne venez pas nous dire que le principal caractère de cette loi consiste dans l'avantage de pouvoir jeter dans le commerce ordinaire de consommation les marchandises de transit similaires aux nôtres, et cela sur la plus grande place commerciale que le pays possède. Si, après cette déclaration, vous persistez à affirmer que votre loi est une loi de transit, vous bouleversez toutes les intelligences ; il faut commencer par refaire le dictionnaire commercial.

Vous nous proposez, dites-vous, une loi de transit direct et de transit par entrepôt, et vous déclarez en même temps que ce n'est pas là le principe de votre loi, que ce n'est pas là le principal bénéfice que vous voulez recueillir de votre loi. Vous allez même jusqu'à dire que c'est rejeter le principe de la loi, que c'est rejeter la loi même si nous ne permettons pas que les marchandises de transit viennent se replier sur la consommation intérieure.

Si, d'un autre côté, vous ne voulez pas une loi de transit, ayez la franchise et le courage de le dire. N'humiliez pas la chambre au point de compter sur une simplicité telle que les annales parlementaires d'aucune nation n'en offrent d'exemple.

Afin de faire goûter son transit dénaturé et bâtard, M. le ministre des finances a invoque l'exemple de l'Angleterre, qu'il a appelée la grande maîtresse en industrie. Messieurs, si dans une semblable discussion, j'avais pris la parole comme ministre, certes, je me serais bien garde (pour ne rien dire de plus) de proclamer une semblable assertion. Qu'est le caractère de l'entrepôt anglais ? Il est tel que nous voulons l'établir chez nous. Certes, l'Angleterre est la grande maîtresse en industrie, mais alors, afin d'être conséquents avec nous-mêmes, pourquoi ne prenez-vous pas les grandes leçons de cette grande maîtresse ?L'Angleterre a établi en 1815 sou système d'entrepôt. Avant cette époque le système des entrepôts était inconnu dans ce pays. La destination que l'Angleterre a donnée à son entrepôt est exactement celle que nous voulons imprimer au nôtre. L'entrepôt anglais a un caractère de véritable transit, de véritable réexportation, mais non pas un caractère de commerce ordinaire. En Angleterre, une fois les marchandises entrées en entrepôt, elles ne peuvent plus en sortir que pour la réexportation. Voilà l'exemple que l'honorable ministre des finances nous propose, que nous acceptons, mais qu'il ne suit pas, quoiqu'il reconnaisse l'Angleterre comme la grande maîtresse en industrie et en commerce. C'est même principalement dans ce but que l'Angleterre a établi son entrepôt ; c'est afin de se créer les moyens de compléter des cargaisons de sortie avec des marchandises étrangères aussi bien qu'avec les produits du pays, et de favoriser ainsi sa navigation commerciale. Vous pouvez atteindre le même but par les mêmes moyens. Nous allons même plus loin : rien ne s'oppose à ce que vous permettiez dans les entrepôts un commerce très libre de tous autres objets que des produits similaires du pays ; mais nous désirons que ceux-ci soient exclusivement destinés au transit ou à la réexportation. Rien ne s'oppose encore à ce que vous donniez de grandes facilités au commerce des matières premières, et cela dans l'intérêt de notre industrie ; mais quand il s'agit de mettre, sous prétexte de transit, les produits fabriqués des autres nations en concurrence avec les nôtres sur le marché intérieur, c'est là, messieurs, la seule question qui nous divise et sur laquelle le grand débat se concentre.

D'ailleurs l'Angleterre n'a pas même besoin de prendre ces précautions ; à côté de ses entrepôts l'Angleterre a un tarif énorme qui exclut les fabricats étrangers de nature à faire concurrence aux siens. La situation n'est pas la même sous le rapport des tarifs qui régissent les deux pays.

Vous exposez d'autant plus votre industrie aux plus graves dangers, en admettant une semblable liberté de commerce.

A propos des exemples qu'on a invoqués, je dois rencontrer aussi ceux qui ont été cités par l'honorable M. Veydt. Cet honorable membre a dit qu'à Naples, à Gênes, à Livourne de pareils entrepôts francs étaient établies. C'est là une grave erreur ; ce qui existe à Naples, à Gênes, à Livourne, ce sont des avant-ports francs et non pas des entrepôts francs. Au-delà de ces avant-ports il y a un rayon tracé qui est gardé par la douane. La marchandise qui dépasse cette enceinte pour entrer en ville et dans le pays, paye les droits de douanes.

On permet que, dans cette enceinte de l'avant-port, les capitaines de navires et les négociants trafiquent comme ils l'entendent, conformément à leurs intérêts. Si l'on veut dans l'avant-port d'Anvers, à Lillo par exemple, laisser trafiquer de cette manière dans une enceinte qui serait tracée à cet effet et qu'en dépassant le rayon, les marchandises payent les droits de douane, je n'ai aucune objection à faire contre un semblable avant-port franc. Vous voyez, messieurs, que l'exemple cité par M. Veydt ne peut, en aucune manière, être assimilé à la situation que l'on veut nous faire.

Répondant, dans une séance antérieure, à ses adversaires qui avaient insisté sur les dangers de l'établissement d'un grand bazar de marchandises fabriquées, l'honorable ministre des finances leur a dit : « Entendons-nous, messieurs, bazar de grand commerce, oui ; bazar d'objets manufacturés et de détail, non. » Voilà donc le bazar divisé en deux parties bien distinctes. Mais lorsque M. le ministre est entré dans des détails pour indiquer les objets dont son bazar de grand commerce serait composé, il a réduit ces objets aux matières premières. C'était là une réponse complétement oiseuse, car je ne pense pas qu'aucun membre de cette chambre ni personne dans le pays veuille s'opposer à la liberté la plus entière du commerce des matières premières, ou des éléments indispensables à notre industrie. Mais ce qui n’eût point été oiseux, c'eût été d'expliquer en quoi consisterait la seconde section du bazar, le bazar des objets manufactures. M. le ministre a pris ici une position très commode ; il s'est borné à nous dire : « Quant aux objets manufacturés et de détail, non. » Il a substitué une assertion gratuite à des preuves que nous avions le droit d'attendre de lui ; c'est là, messieurs, que toute l'opposition se porte, et c'était aux objections qui lui avaient été faites qu'il aurait dû répondre.

M. le ministre veut bien des garanties nouvelles contre les facilités nouvelles. Ce sont encore ses propres expressions. Mais lorsque vous examinez les garanties nouvelles qu'il nous a présentées dans une autre séance (car depuis il a un peu modifié son opinion), lorsque vous examinez ces garanties, vous ne trouvez que des mesures contre la fraude. Il n'en présente aucune contre la concurrence que les fabricats étrangers feront aux produits similaires du pays. Cependant, puisque de l'aveu même de M. le ministre, des facilités nouvelles exigent des garanties nouvelles, il aura dû, pour être conséquent avec lui-même, augmenter aussi les garanties contre la concurrence étrangère. Je vous demande, messieurs, si la législation douanière qui nous régit actuellement n'est pas ébranlée, lorsque vous accordez des facilites nouvelles au commerce des objets manufacturés à l'étrange, lorsque vous lui concédez des facilités de toute espèce, des facilitas de transport, des réductions sur les frais de transportées des réductions sur les frais d'entreposage ; je vous demande, dis-je, si alors la législature qui nous régit n'est pas considérablement affaiblie et si les conditions de la concurrence étrangère restent les mêmes. Cependant M. le ministre des finances ne nous propose aucune garantie nouvelle contre tous les avantages nouveaux qui ont été accordés à l'industrie étrangère et que l'on veut aujourd'hui nous faire ratifier par une loi.

Dans tous les pays, messieurs, lorsqu'on fait un tarif, on tient compte de tous les frais que les marchandises étrangères devront supporter pour les amener sur le marché du pays, et après avoir établi le calcul de ces frais, on établit un droit que le législateur trouve suffisant pour que les marchandises étrangères ne viennent pus lutter avec trop de facilité contre les marchandises similaires du pays.

C'est donc en vain que l'honorable ministre des finances a cherché à rassurer l'industrie du pays, en lui présentant continuellement des garanties qui n'étaient pas demandées.

Sans doute, il faut des garanties contre la fraude ; mais, quant à moi, je ne doute nullement que l'administration ne remplisse, sous ce rapport, à l'entrepôt franc, ses devoirs.

Quant aux nouvelles garanties offertes pour protéger notre industrie contre la concurrence, elles sont nulles.

Puisque M. le ministre a cité l'exemple de l'Angleterre, et qu’avec raison il a appelée la grande maîtresse en législation industrielle et commerciale, il aurait dû, comme je l'ai déjà dit, prendre les grandes leçons de cette grande maîtresse. L'Angleterre prend grand soin d'entourer ses entrepôts et ses grands (page 228) marchés de garanties tout autres que celles que vous offrez. Elle a un tarif énorme contre tous les objets fabriqués.

Dans la séance d'hier, et dans celle d'aujourd'hui, l'honorable ministre des finances est un peu revenu de ses idées positives, par rapport au commerce, dans son entrepôt franc, d'objets manufacturés similaires aux nôtres. Dans une séance précédente, il affirmait gratuitement que ce commerce ne se serait pas établi dans cet entrepôt. Maintenant il veut bien en admettre la possibilité.

En conséquence, il a porté de 20 à 50 kilog. le poids des objets fabriqués qui seraient autorisés à sortir de l'entrepôt, et il veut bien augmenter ce poids en raison de l'infériorité de la valeur des marchandises, Aujourd'hui il ajoute une autre garantie. Il interdira dans les entrepôts francs l'étalage de marchandises fabriquées. Ces restrictions sont parfaitement insignifiantes ; elles ne présentent aucune garantie réelle ou efficace.

En général (et vous en avez tous fait l'expérience), en législation, les demi-mesures sont les plus détestables. On n'arrive à aucun résultat quand on ne marche pas directement au but par des mesures efficaces.

Les demi-mesures sont toujours impuissantes, surtout par rapport au commerce et à l'industrie ; car il n'y a rien de si ingénieux, de si fécond en résultats que l'amour du gain.

Au-delà du poids de 50 kilog., la loi ne présente plus aucune garantie.

La restriction proposée sera complétement éludée. Les marchands en gros du pays renverseront cet obstacle, toutes les fois que leurs intérêts l'exigeront. Les commis voyageurs vendront sur échantillons a des marchands en détail du pays dix, vingt, trente kilog. et feront sortir ces 50 kilog. pour les livrer à trois ou quatre marchands.

Je vous demande si ce sont là des garanties suffisantes, n'est-il pas évident que les commis voyageurs opéreront de cette manière ! Vous voyez donc que cette modification ne présente aucune garantie. L'industrie étrangère, de son côté, pressée toujours par le besoin naturel de vendre ce qu'elle a produit, saisira toutes les facilités que vous lui offrez pour vendre ses fabricats.

Je ne vous ai parlé jusqu'ici que des opérations du commerce ordinaire et régulier. Mais, en envisageant la question sous le rapport du commerce anormal, elle grandit considérablement

Dans la situation industrielle du monde actuel, par la fécondité de la production, il y a à chaque instant trop-plein, surabondance de produits.

Chaque fois que cet état de choses se présente, l'industrie des pays étrangers viendra essayer dans vos entrepôts, je ne dis pas des ventes en détail, qui méritent peu d'attention, mais la vente en gros de ses produits.

Ensuite, en Angleterre et aux Etats-Unis, il y a chaque année un très grand nombre de faillites. Lorsqu'une maison est menacée de faire faillite, afin de parer à de pressants besoins, ou de chercher a se soutenir pendant quelque temps, elle vend à tout prix. Ce seront vos entrepôts qu’on recherchera pour vendre à vils prix. Tels sont les grands dangers qu'offriront vos entrepôts francs, lorsque vous faites dégénérer le commerce de transit en commerce ordinaire, lorsque vous permettez que les marchandises étrangères viennent s'offrir en vente dans vos entrepôts.

J'aurai la franchise de dire ce que les membres d'Anvers ne disent pas tout haut, mais ce qu'ils disent tout bas et dans les conversations particulières. Le commerce d'Anvers spécule sur le trop plein de l'industrie étrangère, lorsqu'il sera déversé sur notre marché. Il fait des achats à un prix réduit, et verse ces produits dans ta consommation.

M. Osy. - Je demande la parole.

M. de Foere. - M. Osy m'oppose les denrées coloniales ; elles sont en dehors de la question. J'ai exclusivement en vue les objets manufacturés. Nous laissons aux denrées coloniales, aux matières premières la plus grande liberté possible.

J'ai rencontré l'objection puisée dans l'exemple de l'Angleterre ; je répondrai à une autre que M. le ministre et les partisans de son opinion se plaisent à nous répéter à satiété- Vous vous opposez, nous dit-on, à ce qui existe ; vous attaquez votre propre œuvre ; vous avez voté et prorogé plusieurs fois la loi qui autorise le gouvernement a accorder au transit direct et au transit d'entrepôt toutes les facilités compatibles avec les intérêts du pays, et, ajoute M. Osy, il n'y a pas eu de réclamations ; personne ne s'y est opposé. Nous vous en demandons maintenant la ratification.

Tous les membres de cette chambre qui ont suivi pas à pas cette législation sont convaincus que M. le ministre est dans l'erreur. Il nous a été proposé une loi qui avait pour but (c'étaient les termes de votre considérant) d’accorder au transit direct et au transit d'entrepôt toutes les facilités convenables avec les intérêts de l'industrie du pays. Vous nous avez plusieurs fois proposé la prorogation de cette loi et par quels motifs ? Toujours par le motif que l'expérience n'était pas complète, que vous n'aviez pas réuni tous les renseignements nécessaires.

Et maintenant l'honorable ministre vient nous dire que cette législation est notre propre œuvre, que tous les membres de cette chambre ont sanctionne le système adopté, tandis que ce n'étaient que des essais qui ont été faits, essais que le gouvernement désirait prolonger avant de présenter une loi complète.

C'est cet état provisoire, ces tâtonnements autorisés que l'on vient nous présenter aujourd'hui comme une législation définitivement établie.

Ensuite aucun des renseignements pris par le gouvernement ne nous a été communiqué. Nous discutons en aveugles. Dans tous les gouvernements parlementaires lorsque des promesses de renseigner la législature ont été faits, on lui présente ces renseignements avant la discussion. On lui communique les résultats des essais et des expériences.

Vous faites supposer que le projet donne toutes les garanties nécessaires contre la fraude par les entrepôts de libre exportation. Cependant on cite partout des exemples de fraude résultant de cette législation, des colis envoyés d'une partie du pays dans une autre et qui ensuite sont entrés dans la consommation.

Cette législation aurait dû être élaborée avec le plus grand soin. Les membres de la chambre auraient dû être renseignés d'avance sur les expériences qui ont été faites ; le projet de loi est d'une nature très importante. Si le ministère est conséquent avec lui-même, il ne peut s'arrêter en si beau chemin. Il devra nous présenter une loi tendant à abroger la disposition de la loi relative aux relâches à Cowes, toujours d'après le principe qu'il faut faire d'Anvers un grand marché ; mais ce serait toujours contre l'intérêt de votre travail et de votre propre commerce. Je ne serais pas même étonné de voir l'un de ces jours dans le Moniteur, un arrêté pris par M. le ministre des affaires étrangères, mettant un terme à cette restriction que la loi du 14 juillet a sagement établie.

Si la loi était sanctionnée telle qu'elle vous est proposée, savez-vous quel en serait le résultat inévitable ? Elle réduira de plus en plus le commerce d'Anvers à un commerce de commission. C'est cet état de choses que vous avez tant de fois déploré.

Vous connaissez tons la fameuse lettre de M. Van de Weyer de décembre 1839, lettre que l'honorable M. de Theux a envoyée avec une circulaire du 10 janvier 1840 aux chambres de commet ce du pays. Ces deux lettres ont éveille à juste titre la susceptibilité de l'honorable M. Verhaegen, Ces deux lettres accusaient le commerce du pays, de ne pas sortir du commerce de commission.

L'honorable M. Van de Weyer siège maintenant comme ministre de l'intérieur au banc de ces mêmes ministres qui présentent une proposition qui doit consolider l'état de choses qu'alors il déplorait. Ces deux documents contestaient même aux négociants du pays jusqu'au véritable caractère de négociants.

Ils n'avaient pas d'esprit d'entreprise ; ils ne faisaient aucun essai de commerce d'échange. Ce sera bien pis encore quand vous aurez accordé au commerce étranger toutes les facilités de venir vendre ses produits sur votre propre marché. Il n'y aura plus alors d'autre commerce que celui de commission et de consignation, commerce extrêmement avantageux, commerce sûr qui ordinairement ne présente aucune chance de pertes.

Je terminerai par une observation puisée dans l'intérêt financier. Il faudra faire de nouvelles dépenses pour établir des entrepôts francs, pour faciliter les opérations et en même temps pour les garantir contre la fraude. De l'aveu de M. le ministre lui-même, il faudra l'organisation d'un service spécial ; il faudra renforcer les moyens de surveillance de la frontière à l'entrepôt d'Anvers. Il en sera de même pour les autres entrepôts, et pour les marchandises fabriquées que vous apportera le commerce étranger. Les villes où les entrepôts pourront être établis seront assujetties à des dépenses considérables. Plus vous augmenterez votre marché de marchandises étrangères, plus le remboursement du péage sur l'Escaut deviendra onéreux. Toutes ces dépenses seront-elles compensées par des avantages équivalents ?

Cependant je ne m'oppose pas que l'on provoque par forme d'essai un grand développement du commerce d'Anvers, mais avec cette seule restriction que les marchandises fabriquées ne viendront pas au moyen de ces entrepôts lutter contre les marchandises similaires du pays.

Remarquez surtout, dans la situation actuelle du pays, que le travail national est le dernier, le seul mot de l'économie politique ; c'est le seul principe suivi en Angleterre, en France, partout ailleurs où la science de gouverner est acquise.

M. le ministre ne cesse de répéter qu'il faut imprimer au commerce un grand mouvement, que personne ne conteste ce principe ; sans doute, mais ce n'est pas le commerce étranger qu'il faut avantager, c'est le commerce du pays. C'est là le grand principe sur lequel je prie M. le ministre des finances et ses collègues de porter toute leur attention et de le prendre en mûre considération.

M. le ministre des finances (M. Malou). - Je prie la chambre de m'excuser si je prends si souvent la parole dans cette discussion. Le motif qui m'y porte, c'est la conviction que l'intérêt du pays exige l'adoption du projet avec les correctifs proposés, pour dissiper les alarmes que le projet primitif avait fait naître.

J'ai attendu longtemps l'honorable préopinant aux conclusions de ses prémisses. Il ne veut pas que les marchandises destinées au transit ou à l'exportation puissent se replier sur la consommation.

Il n'y a qu'un moyen d'empêcher ce résultat, c'est de prohiber l'importation des marchandises étrangères. En effet si vous ne les prohibez pas, les marchandises qui auront été pendant trois mois à l'entrepôt sortiront pour l'exportation. Puis, après avoir fait un voyage de 3 lieues, elles rentreront en acquittant le droit. Voilà la seule différence entre le système de l'honorable M. de Foere et celui du projet, c'est que les marchandises, au lieu d'entrer directement de l'entrepôt dans la consommation, y entreront après avoir fait le voyage de Lillo. Pour être logique, pour arriver à un résultat sérieux, il faudrait que l'honorable membre proposât la prohibition des marchandises étrangères.

Je me trouve ainsi ramené à cette idée fondamentale que la protection doit résulter directement du tarif.

On craint de nouvelles dépenses pour le trésor. Cette crainte ne doit pas préoccuper la chambre. Il est certain que, si vous concentrez la surveillance de la douane, au moyen des entrepôts francs, vous aurez un (page 229) personnel disponible assez considérable, pour suffire et au-delà à l'organisation de la surveillance des marchandises de la frontière à l'entrepôt franc.

Quant à l'argument tiré du remboursement du péage de l'Escaut, ou bien ce remboursement est utile, ou bien il ne vaut pas ce qu'il coûte. Si vous trouvez qu'il vous procure assez d'avantages par le développement qu'il donne aux relations commerciales et industrielles, ne vous plaignez pas de voir augmenter la dépense. S'il est onéreux, l'on doit conclure à l'abrogation de la loi. L'on ne peut pas s'arrêter à mi-chemin d'une vérité ; il faut la réaliser.

On n'a pas fait attention que les marchandises qui séjourneront en entrepôt supporteront des frais nouveaux. On suppose qu'elles seront un moyen de plus grande concurrence que la mise directe en consommation. Mais il est évident que des marchandises qui auront été déposées pendant six mois à l'entrepôt seront chargées de frais qu'elles n'auraient pas à supporter, si elles étaient mises directement en consommation. Le commerce agirait donc contre son intérêt, s'il usait du premier moyen, plutôt que du second.

Je ne m'arrêterai pas à l'exemple tiré de ce qui se passe dans d'autres pays. Entre diverses institutions que l'honorable membre a confondues, il existe une différence essentielle. Gênes a un entrepôt entièrement analogue à celui qui vous est proposé. Livourne est un port franc. Entre l'un et l'autre, il y a une différence essentielle. Livourne entière est placée en dehors de l'action de la douane.

Je le déclare franchement : si l'on proposait d'ériger Anvers en port franc, je m'y opposerais parce qu'il serait très difficile sinon impossible d'avoir des garanties contre la fraude. L'entrepôt franc n'a pas le même danger. J'ajouterai que trop souvent le nom, donné aux entrepôts francs, a effrayé ; l'on a cru qu'il s'agissait de créer des ports francs, tandis qu'il s'agit seulement en réalité d'étendre un peu les facilités dont le commerce jouit sous notre régime actuel d'entrepôts.

M. David. - Messieurs, si j'ai bien compris le discours qu'achève l'honorable M. de Foere, il me semble que la conclusion qu'on peut en tirer est le statu quo, si ce n'est pas quelque chose de pis.

Tout à l'heure, au commencement de cette séance, M. le ministre des finances a présenté un amendement, qui a pour objet d'interdire l'étalage, amendement qui par conséquent tend à détruire les expositions perpétuelles à ce bazar. Si je combats cet amendement, ce n'est pas pour m'opposer à l'adoption du projet de loi qui nous occupe, car je serai, si j'ose le dire, plus ministériel que le ministère lui-même dans cette question. Ce n'est peut-être pas une excellente réclame électorale pour moi qu'une semblable métamorphose à laquelle je n'ai point accoutumé le ministère.

Mais je rends justice à la vérité ; je trouve que la loi que le ministère a proposée primitivement était une excellente chose. Aujourd'hui, il vient la gâter, il l'amoindrit, la loi devient une loi sans énergie. Si vous supprimez voire bazar, si vous écrasez votre plus beau bijou, comment voulez-vous que les pacotilleurs viennent s'approvisionner en Belgique ? Ils n'y verront rien. Après toutes les démonstrations qu'en a faites M. le ministre des finances, il est constant que la fraude est une chose presque impossible. M. le ministre des finances n'aurait pas dû mutiler la loi par l'amendement qu'il a proposé au début de la séance Ce sont des concessions arrachées à M. le ministre, et je regrette qu'il ait eu la faiblesse de se rendre à des observations qui, selon moi, n'ont pas la portée des arguments sur lesquels il a appuyé sa réponse.

Il est triste de voir que chaque fois qu'un intérêt commercial s'agite à la chambre, l'intérêt industriel réclame, et vice versa.

Tout en faisant la part des nécessites de chacune des branches de la prospérité publique, je dis que c'est au gouvernement qu'il faut s'en prendre, si cette lutte devient plus vive dans cette circonstance.

Il ne domine pas assez les questions pour leur imposer ses vues et sa volonté. Il laisse miner par l'intérêt privé ses vues, qui, la plupart du temps, sautent en l'air pendant la discussion. Eh bien, je dirai et je continuerai à dire, que tout en admettant que chacun défende ses intérêts, il faut qu'il fasse cependant la part d'autrui, et qu'on ne vienne pas, dans cette enceinte, se poser en égoïste ou en ennemi.

L'industrie et le commerce, remarquez-le bien, messieurs, sont toujours en lutte parmi nous, quand il s'agit de donner une satisfaction légale à l'une des deux branches de la prospérité publique.

L'industrie néanmoins est toujours plus exigeante que le commerce, il faut le reconnaître. D'où vient cette situation ? De ce que le gouvernement ne se présente pas assez fort, assez solide, avec le mode d’application de ses vues devant les chambres.

Le gouvernement, après avoir étudié à fond les questions pendantes, devrait venir avec des projets arrêtés. Il devrait tenir à les faire passer tels quels, parce qu'ils ne doivent être formulés qu’après que les intérêts rivaux auraient été mûrement pesés et juges, et que le bien du plus grand nombre de Belges ressorte clairement du projet de loi.

Le commerce a des reproches à se faire, je l'affirme, par sa timidité, par sa maigre initiative ; mais on ne peut pas nier non plus qu'il n'a guère eu le temps de faire des tentatives fructueuses, et que la chambre a plus d'une fois arrêté par des lois intempestives l'essor du commerce sérieux.

L'industrie, à son tour, n'a peut-être pas fait des efforts assez héroïques, n'a pas été assez l'esclave du goût et des besoins des nations transatlantiques pour s'imposer à certaines contrées, où elle rencontrerait des consommateurs assurés.

La timidité du haut commerce et la routine de certaines industries, sont donc la vraie cause de ces haltes pernicieuses dans le mouvement du travail. Ces haltes se traduisent alors par des plaintes dont on vous demande de faire disparaître les causes.

Or, messieurs, chaque fois que cette question s'agite ici, je vois que l'on n'aboutit au fond qu'à décréter des moyens qui vous menacent de la reproduction éternelle de ces plaintes.

Au lieu de s'aguerrir contre la concurrence extérieure et de se faire la main, à pouvoir lutter avec elle, on vous demande de nouvelles mesures restrictives, on vous demande d'arracher une aile aux minces libertés, qui nous restent, et cela pour les remplacer par une entrave, par une barricade !

C'est ce qui nous arrive encore en ce moment. Il ne s'agit absolument devant vous que de réglementer une liberté existante, que de la délivrer de quelques formalités longues et tracassières qui en paralysent les effets ; Eh bien, messieurs, ne voyez-vous pas les résultats ? Ne voyez-vous pas que plus vous vous engouffrez dans le système rétrograde que j'appellerai le système français vous arriverez à des souffrances inouïes et au paupérisme sans cesse croissant.

Le passé n'est-il pas une leçon d'une invincible éloquence ? D'où vous viennent encore aujourd'hui les plaintes les plus amères, les obstacles les plus rétifs. Des Flandres, toujours des Flandres. A Dieu ne plaise que mes sympathies les plus vives manquent à ces honnêtes et laborieuses populations. Je ne nie pas non plus que le mal ne soit profond. Mais puisque les remèdes jusqu'ici tentés vous ont déjà coûté de si grands sacrifices sans améliorer la position, n'empirez pas celle des autres provinces, par une persévérance dans la mauvaise voie. Cette question linière, éternelle épée de Damoclès, est dans sa période de transition : elle subit toutes les douleurs de la transformation que nous connaissons, nous, fabricants de Verviers. Car je suis assez vieux pour me souvenir, moi, de ces événements que je ne voulais point reproduire ici, messieurs. Mais permettez-moi, cet épisode, je vous prie, qui dans ce moment saute à ma mémoire. Reportez-vous à 40 ans, époque de la transformation de notre industrie.

Alors que de luttes ! D'abord les difficultés inséparables du maniement de l'emploi de machines nouvelles ; obstination des ouvriers, anciens praticiens, qui ne demandaient pas mieux que de nous contrecarrer pour prouver qu'ils avaient raison de vouloir rester dans l'ornière. Alors mutinerie de la classe ouvrière, qui abandonnait le travail... menaces de briser les machines, menaces d'incendie, menaces vis-à-vis même des industriels novateurs..

Enfin, messieurs, on a tout surmonté. - Il a fallu bien du courage. Mais aujourd'hui l’industrie de Verviers qui a de si profondes racines dans le sol a subi les douleurs de la transformation et a oublié ses maux. Elle a dû se soumettre à un rigoureux baptême, il est vrai ; mais elle en est sortie, triomphante et fait l'orgueil de notre pays. Elle a ses mauvais moments et notamment le présent, mais elle ne se désespère pas ; elle vit dans cette confiance tranquillisante que lui donne sa supériorité sur ses rivaux. Elle sait que ni l'Angleterre, ni la France, ni l'Allemagne, ne peuvent la détrôner.

Voilà, messieurs, les vœux que je forme pour les Flandres. Puissent-elles les réaliser bientôt ! La crise que nous avons traversée, puisse-t-elle leur être aussi favorable qu'à nous !

Eh bien, ne sacrifiez pas tout à l'industrie linière : elle vous coûte aujourd'hui et annuellement un million à douze cent mille francs, dont vous avez affranchi les vins français, plus 200 mille francs que vous votez pour le soulagement de cette industrie, deux à 300 mille francs pour l'exportation de l’industrie cotonnière. Cela fait approximativement une somme de 17 à 1800 mille francs par an, avec lesquels vous pourriez emprunter 40 millions de francs pour améliorer l'état général du pays tout entier. Jugez donc, messieurs, si vous avez le droit de paralyser de nouveau les autres branches de la prospérité publique pour soulager une industrie qui, sans un rapide mariage avec les idées nouvelles est radicalement condamnée à mort.

Le pays tout entier souffre, frappé qu'il est par un fléau qui a détruit : une partie de la récolte. Vous ne devez donc point, sous le prétexte d'une amélioration mensongère, frapper d'autres populations laborieuses et qui ne vous ont jamais rien demandé.

Industriel moi-même, je sens tout le prix attaché à la facilité des transactions commerciales. J'ai la conviction profonde que, si le projet primitif du gouvernement est adopté par la chambre. Anvers deviendra un immense, bazar où les pacotilleurs pourront venir s'approvisionner, et que, par la force des choses mêmes, les produits indigènes passeront avec les autres. Il y a plus, beaucoup de nos produits ne peuvent-ils donc pas s'écouler sous le manteau de produits étrangers ? La parfumerie, la quincaillerie, la bimbeloterie sont des industries peu pratiquées en Belgique et pourront s'y établir. La draperie, l'industrie linière et cotonnière, qui font concurrence aux industries anglaises, françaises et allemandes, pourront y trouver de grands profils. Les armes, la clouterie, la verroterie, ne peuvent qu'y trouver une source fécondé de débouchés. Je le sais, il faudra quelque temps, mais certainement moins qu'on n'en suppose.

Quand à l'étranger on saura qu'Anvers est un grand foyer d'approvisionnement, on y accourra et pour peu qu'on y trouve le bon marché (et il est de l'intérêt de l'industrie belge de l'y établir dès le début), ce système aura un succès infaillible, et pour le commerce, et pour toutes les industries.

Que le gouvernement revienne donc à son premier système. Au lieu d'avoir je ne sais combien d'entrepôts comme nous avons, je ne sais combien d'universités, ayons un entrepôt largement libre comme nous devrions avoir une seule université largement organisée.

Messieurs, vous le voyez, si je professe les idées de liberté commerciale, c'est dans une certaine limite. Je veux une certaine protection pour les produits indigènes, contre les produits de pays qui se renferment dans le (page 230) système restrictif. Je promets même tout mon concours au gouvernement qui prendra des mesures énergiques contre les injustes attaques, de quelque part qu'elles viennent. Mais il faut que l'exemple des pays où la richesse est plus grande que la nôtre, mais les misères aussi bien plus profondes, où le paupérisme devient une incurable gangrène, bien plus que chez nous, il faut que cet exemple nous profite. Car là, je vois, en dépit des immenses ressources que la douane rapporte à l'Etat, qu'on se départ du système restrictif et que l'on arrive enfin à la pratique, après avoir prêché la théorie de la liberté commerciale pendant 40 ans. L'Angleterre bondit aujourd'hui de joie de voir un ministre courageux saper l'édifice prohibitif, né par miracle d'une révolution.

Ce système a son utilité peut-être pour les industries naissantes, mais il étouffe et tue les vieilles industries qui n'ont pas eu le courage ou la force de se retremper dans la science moderne. Je n'en crois pas moins que le système prohibitif fait le malheur du monde.

Je veux qu'Anvers devienne une métropole européenne. Je veux que le commerce y prospère à tout prix, pour que les armateurs se sentent aiguillonnés et par un juste orgueil et par leur intérêt, à prendre nos produits industriels sous leur patronage, à les déverser sur le monde et à remplir le rôle patriotique que la Providence a si manifestement assigné dans notre pays, au port d'Anvers. Je veux le mettre à même, non seulement de concourir au développement de nos industries, mais de les sauver quelquefois an moyen de sa puissance financière. Car un point où l'industrie et le commerce se rencontrent parfaitement chez nous, c'est la pénurie des capitaux,

Je me résume. J'ai été l'un de ceux qui ont voulu depuis longtemps, qu'il y eût un port franc à, Anvers ; je l'ai défendu à cette tribune il y a plusieurs années ; je viens le défendre encore, je ne crains pas la fraude dont on vous épouvante : les arguments de nos adversaires fussent-ils exacts, la fraude ne sera jamais que l'exception ; mais je vais jusqu'à dénier l'exception et je ne répéterai pas, pour le prouver, les arguments péremptoires de M. le ministre des finances.

Ainsi donc, fidèle à mes antécédents, à l'intérêt du commerce et de l'industrie, je voterai pour l'entrepôt franc d'Anvers, développé sur la plus large échelle.

- Plus de dix membres demandent la clôture.

M. Dumortier. (contre la clôture). - Il y a déjà plusieurs jours que je me suis fait inscrire pour prendre la parole. Je prie la chambre de ne pas prononcer la clôture. Le discours de l'honorable M. David nécessite une réponse. Je serai, du reste, très court.

M. Manilius. (contre la clôture). - Messieurs, je ne vois pas pourquoi l'on prononcerait la clôture. Rien ne nous presse, puisqu'aucune loi n'est à l'ordre du jour après la loi sur les entrepôts de commerce. Si c'était aujourd'hui samedi, je pourrais croire que c'est le chemin de fer qui motive cette impatience. Continuons paisiblement cette discussion. Rien de plus intéressant ne peut occuper la chambre. Je me prononcerai contre la clôture.

M. Desmaisières, rapporteur. (contre la clôture). -Messieurs, l'honorable ministre des finances a présenté aujourd'hui un nouvel amendement, sur lequel je n'ai pas encore eu occasion de m'expliquer. Il est encore un autre motif pour lequel je désirerais avoir la parole. L'honorable M. David n'a pas craint de se livrer à des attaques contre une industrie considérable qui se pratique dans les Flandres, contre la première des industries du pays, contre celle qui occupe le plus grand nombre d'ouvriers, et il s'est livré à ces attaques dans un moment où les centaines de mille ouvriers, employés à cette fabrication, sont dans la plus profonde détresse. Je voudrais répondre à ces attaques en peu de mots.

M. le ministre des finances (M. Malou). (sur la clôture). - Je ferai remarquer à la chambre que les deux amendements que j'ai proposés se rattachent, l'un à l'article 13, l'autre à l'article 19. Je pense que la demande de clôture porte sur la discussion de l'article 13 et des amendements qui s'y rapportent. Dès lors, l'honorable rapporteur aura occasion de s'expliquer-sur ces amendements.

M. de Haerne. (contre la clôture.) - Je voulais faire les mêmes observations que l'honorable M. Desmaisières. Je crois qu'il est nécessaire de relever en quelques mois les inexactitudes qui ont été proférées par l'honorable M. David à l'égard des Flandres, et surtout à l'égard de la grande industrie linière, industrie qu'il a représentée comme rétrograde, tandis qu'on tente les plus grands efforts pour lui faire faire les progrès qu'exige la situation.

M. de Theux. (sur la clôture). - Je ferai remarquer que le discours de l'honorable M. David énonce une opinion qui est tout à fait personnelle à l'honorable membre. Cette opinion n'est pas celle de la chambre, et l'on ne doit pas, je pense, attacher à l'opinion isolée d'un membre, une importance telle qu'on aille supposer que la moitié du pays puisse s'en trouver blessée.

M. David (pour un fait personnel). - Je suis désolé, messieurs, de la manière peu bienveillante avec laquelle on vient ainsi travestir mes paroles.

Qu'ai-je exprimé, messieurs, dans les paroles que je viens de prononcer ? Mes plus profondes sympathies pour les honnêtes et laborieuses populations des Flandres.

J'ai formé et je forme encore les vœux les plus ardents pour l'amélioration de leur condition. J'en appelle au souvenir de toute la chambre. Il y aurait injustice à venir me poser à la barre du pays, en me prêtant des paroles et surtout des intentions que je n'ai jamais eues. Tout ce qu'en Flandre on peut trouver de plus mauvais dans mes paroles, c'est de m'être permis de donner de bienfaisants conseils.

De toutes parts. - Oui ! oui !

- La clôture de la discussion de l'article 13 et des amendements qui s'y rattachent est mise aux voix et prononcée.

M. le président. - Plusieurs amendements ont été présentés à l'article 13.

M. Delehaye a proposé un paragraphe additionnel ainsi conçu :

« Les produits manufacturés similaires des produits belges ne seront pas admis dans les entrepôts francs. »

Vient ensuite le paragraphe additionnel proposé par la section centrale, qui est conçu comme suit :

« Les produits manufacturés similaires des produits belges seront placés dans un local spécial de l'entrepôt franc et soumis aux déclarations détaillées exigées par l'article 118 de la loi générale de 1822. »

En troisième lieu, nous avons la disposition additionnelle proposée par M. d'Elhoungne, qui porte :

« Les fils et tissus de toute espèce seront placés dans un local spécial de l'entrepôt franc et soumis à la déclaration en détail prescrite par l'article 118 de la loi du 26 août 1822. »

M. Manilius a proposé à cette disposition un sous-amendement consistant à dire : « Les fils et tissus de toute espèce destinés à la consommation seront placés, etc. »

Je vais mettre successivement aux voix ces amendements, en commençant par celui qui s'écarte le plus du projet du gouvernement.

- L'amendement de M. Delehaye est d'abord mis aux voix. Il n'est pas adopté.

La chambre est ensuite consultée sur l'amendement de la section centrale.

Plusieurs membres demandant l'appel nominal, il est procédé à cette opération.

En voici le résultat :

74 membres répondent à l'appel ;

54 répondent non ;

19 répondent oui.

1 s'abtient.

En conséquence, l'amendement n'est pas adopté. M. Wallaert déclare s'être abstenu parce qu'il n'a pas pu assister à la discussion de cet article.

Ont répondu non : MM. Orts, Osy, Pirmez, Pirson, Rogier, Scheyven, Sigart, Thyrion, Troye, Vanden Eynde, Vandensteen, Verhaegen, Verwilghen, Veydt, Anspach, Brabant, Cans, Castiau, d'Anethan, David, de Bonne, Dechamps, de Corswarem, Dedecker, de Garcia de la Vega, de la Coste, Delfosse, d'Elhoungne, de Meer de Moorsel, de Meester, de Renesse, de Sécus, de Terbecq, de Theux, de Tornaco, Devaux, d'Hoffschmidt, Donny, Dubus (Albéric), Dumont, Fallon, Fleussu, Goblet, Henot, Huveners, Lejeune, Lesoinne, Loos, Lys, Malou, Mast de Vries, Mercier, Orban et Liedts.

Ont répondu oui : MM. Rodenbach, Thienpont, Van Cutsem, Zoude, Biebuyck, Clep, de Breyne, de Foere, de Haerne, Delehaye, de Saegher, Desmaisières, Desmet, de Villegas, Dumortier, Eloy de Burdinne, Kervyn, Maertens et Manilius.

La chambre passe au vote sur l'amendement de M. d'Elhoungne.

- Cet amendement n'est pas adopté.

M. le président. - Il n'y a pas lieu, dès lors, à mettre aux voix le sous-amendement de M. Manilius.

Nous revenons à la rédaction primitive de l'article 13 :

« Les marchandises déposées dans les entrepôts francs et publics sont arrimées avec soin et classées séparément, selon leur provenance et les conditions du pavillon sous lequel elles sont importées. Les entrepositaires veillent à ce que des étiquettes, dont le modèle sera arrête par l'administration, soient placées et conservées à cet effet. »

- Adopté.

M. le président. - Les amendements proposés par M. le ministre des finances qui modifient la disposition de l'article 13, se rattachent aux articles 15 et 19.

L'article 19 a été adopté dans une séance précédente...

M. le ministre des finances (M. Malou). - M. le président, au début de cette séance, j'ai annoncé qu'il me serait possible d'établir une distinction entre les tissus de valeur différente ; comme la séance est avancée, je proposerai de remettre le vote de cet amendement à demain.

- La séance est levée à 4 1/2 heures.