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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 17 novembre 1845

(Annales parlementaires de Belgique, session 1845-1846)

(Présidence de M. Vilain XIIII.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 33) M. de Villegas procède à l'appel nominal à deux heures et quart.

- La séance est ouverte.

M. de Man d’Attenrode donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Villegas analyse les pièces adressées à la chambre.

« Le sieur Dubreucq, secrétaire au parquet du tribunal de première instance de Furnes, prie la chambre d'améliorer la position des secrétaires des parquets. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« La députation permanente du conseil provincial du Limbourg demande la construction d'un canal qui relie le Ruppel à la ville de Hasselt, et la prompte exécution des travaux nécessaires pour empêcher les inondations des terrains dits Schuelensbroek entre Diest et Hasselt. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le budget des travaux publics.


« La députation permanente du conseil provincial du Limbourg demande que le contingent dans la contribution foncière et la surcharge assignée à la province de Limbourg soient diminués et que l'augmentation qui devra être imposée soit opérée en trois ans. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi sur la répartition du la contribution foncière pour l'année 1846.


« La députation permanente du conseil provincial du Limbourg prie la chambre d'allouer, au budget de l'exercice 1846, une somme de 150,000 fr. pour travaux aux rives de la Meuse dans le Limbourg. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le budget des travaux publics.


« Le sieur Petremont adresse à la chambre un Mémoire sur la position de l'industrie manufacturière. »

- Dépôt au bureau des renseignements.


« Le sieur André Albert Jansen, capitaine de navire, à Anvers, né à Keilum (Danemark) demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Le sieur Jean-Baptiste Motus, ancien sous-officier de l'empire, demande la révision de sa pension. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Engelen, blessé de septembre, demande qu'on lui accorde la pension de 100 fr. dont jouissent les décorés de la croix de fer. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les candidats en droit de l'université de Liège demandent la révision de la loi du 27 septembre 1835 sur l'enseignement supérieur et prient la chambre de proroger, en ai tendant, la loi transitoire du 27 mai 1837. »

M. Delfosse. - Je demande qu'on joigne cette pétition à celle des élèves de l'université de Gand, qui a été renvoyée à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.

- Cette proposition est adoptée.


M. Eloy de Burdinne demande un congé de six jours.

- Accordé.

M. le président. - A la dernière séance, la chambre a chargé le bureau de nommer une commission pour examiner le projet de loi approuvant la vente de la main à la main des terrains et bâtiments de l'hôtel du gouvernement provincial à Liège. Voici comment il a composé cette commission : MM. Delfosse, Brabant, Lys, Fallon, Pirmez.

Projet d'adresse

Discussion générale

M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Messieurs, au moment où la chambre est à la veille d'ouvrir un débat solennel sur le projet d'adresse en réponse au discours du Trône, le gouvernement a pensé qu'il était de son devoir d'exprimer dès à présent toute sa pensée sur ce projet, afin que le terrain de la discussion soit bien déterminé, afin que nos intentions soient bien comprises, et que la chambre sache dès à présent que nous considérons ce projet comme incomplet, et comme incomplet dans une de ses parties essentielles sur laquelle le gouvernement ne pourrait, sans manquer à sa dignité, et sur laquelle la chambre elle-même ne pourrait, sans manquer à la sienne, laisser du doute et de l'incertitude dans les esprits.

Messieurs, le Roi, dans le dernier paragraphe du discours du Trône, en rappelant les sentiments qui avaient présidé à la fondation da la nationalité belge, en rappelant aussi le concert qui avait constamment soutenu le gouvernement pour consolider avec S. M. l'existence politique du pays, le Roi ajoute :

« Je compte que mon gouvernement obtiendra, pour continuer cette œuvre, votre confiance et votre loyal concours. »

Votre commission d'adresse vous propose, en réponse à ce paragraphe, le projet suivant :

Sire, ce n'est point sans une émotion profonde que nous avons entendu Votre Majesté évoquer le souvenir des quinze années de travaux consacrés à la consolidation de notre indépendance et de notre prospérité nationales. Ces heureux résultats, auxquels Notre Majesté a si puissamment concouru, lui assurent la continuation de notre dévouement et de la confiance dont le pays entoure le roi qui s'est associé à ses destinées.»

Messieurs, il n'est pas de Belge qui, profondément reconnaissant envers cette royauté sans laquelle notre indépendance serait peut-être encore un problème, sans laquelle notre indépendance n'eût pas été constituée ; il n'est pas de Belge, dis-je, qui ne s'associe à ces sentiments de reconnaissance. Mais, messieurs, si d'un côté votre commission a pensé qu'il suffirait, en réponse à un discours du Trône, de donner un libre cours à ses sentiments de gratitude, si elle se montre si sincèrement attachée au Roi, nous avons aussi le droit de demander quelles sont les graves et mûres délibérations, quels sont les motifs de haute politique qui l'ont déterminée à se montrer aussi profondément détachée du gouvernement. Je ne crois pas que votre commission d'adresse ait eu, dans son projet de réponse, l'intention d'exprimer un blâme tacite, un blâme implicite et indirect sur la composition du gouvernement.

La commission est composée d'hommes trop honorables, d'hommes qui ont trop le sentiment de ce qu'ils se doivent pour s'être renfermés dans une espèce de phraséologie équivoque, ambiguë, afin d'échapper à la nécessité d'exprimer franchement, ouvertement, leur dissentiment, si ce dissentiment existait.

Toujours est-il que la rédaction du projet est conçue de manière à faire naître dans la pensée du pays, à laisser subsister dans votre esprit et dans le nôtre, du doute sur les intentions de la commission. Je le demande : est-il bien constitutionnel, est-il bien conforme aux principes du gouvernement représentatif, de se borner, dans un projet d'adresse à la Couronne, à exprimer sa confiance en Sa Majesté et de refuser, en quelque sorte, de répondre à un appel direct que fait le Roi dans un discours qui est l'œuvre du gouvernement ?

Quoi donc ! Si la chambre se croit le droit d'exprimer son dévouement, elle pourrait donc aussi s'en abstenir ! Le Roi serait donc personnellement mis en jeu ! Le gouvernement serait mis hors de cause ! Nous entrerions dans la voie du gouvernement personnel, et nos institutions seraient complétement faussées.

Profondément attaché aux principes constitutionnels, désireux de ne pas m'écarter des règles qui sont établies, je demande que la chambre s'explique franchement ; que, dans son adresse, elle dise d'une manière nette et positive si le gouvernement recevra de sa part le concours qui lui est demandé.

En cela, je ne demande rien qui ne soit parfaitement conforme aux règles, qui ne soit parfaitement d'accord avec vos précédents. Toutes les fois qu'un gouvernement nouveau s'est présenté devant vous, il vous a demandé votre concours, soit qu'il eût posé des actes ou qu'il n'en eût point posé, soit qu'il fût venu vous exposer ce qu'on est convenu d'appeler un programme, toujours la chambre, fidèle aux principes, a répondu à cette partie du discours du Trône en déclarant qu'elle accordait au gouvernement le concours loyal qui lui était demandé. C'est ainsi que les choses se sont passées en 1832, en 1833, en 1834. La chambre me dispensera de citer textuellement les termes de ces adresses ; je suis heureux de pouvoir rappeler ces précédents dans lesquels la chambre a montré une connaissance parfaite des principes que j'invoque.

Si donc la rédaction qui vous est proposée par la commission d'adresse contient une phrase banale, ambiguë, équivoque, derrière laquelle pourraient se retrancher ceux qui ne voudraient exprimer ni leur assentiment, ni leur dissentiment, le gouvernement ne croit pas pouvoir accepter cette ambiguïté ; il proposera d'ajouter à la rédaction proposée par la commission une phrase qui en complète le sens, et qui, discutée devant la chambre, lui permette de déclarer clairement, nettement si elle entend ou non nous accorder le concours bienveillant que nous lui demandons. Je ne conçois pas, pour le ministère, de milieu entre le concours et le refus de concours. Nous devons savoir et savoir dès à présent, si nous rencontrerons dans l'examen des mesures d'utilité générale qui vous seront présentées, de la sympathie, un concours bienveillant ou une hostilité directe.

Voici, messieurs, la phrase par laquelle nous comptons compléter le sens de l'adresse :

« La chambre (erratum inséré à la page 51) aime à se rappeler que la Constitution, sur laquelle s'appuie la nationalité belge, est l'œuvre de la conciliation entre les hommes modérés de toutes les opinions. Persuadés, comme vous, Sire, que ce même esprit de conciliation doit, pour le bonheur du pays, présider à la direction de ses plus chers intérêts, nous venons offrir à Votre Majesté l'assurance du concours bienveillant que nous sommes disposés à prêter au gouvernement dans l'examen des mesures qui nous seront soumises. »

Je me permettrai de vous faire observer que si la chambre croit voir dans la phrase présentée un échappatoire, un moyen de vous empêcher d'exprimer nettement votre pensée, nous retirerons cette partie de la phrase ; nous ne voulons pas d'équivoque ; nous voulons nous poser nettement, franchement devant la chambre ; nous ne voulons pas jouer un jeu qui serait indigne de nous.

Je prévois qu'à l'occasion de cette demande de concours bienveillant, on soulèvera peut-être la question de savoir quels sont les titres du gouvernement à ce concours qu'il réclame, quels actes il a posés pour le recevoir ainsi bénévolement de vos mains.

Messieurs, je crois qu'en rappelant les principes qui ont présidé à la composition du ministère actuel, je répondrai suffisamment à cette question. Nous avons pensé, avec l'honorable M. Devaux, que la Belgique ne pouvait (page 34) pas user de sa liberté et de son indépendance pour se partager en deux camps (ainsi que s'est exprimé l'honorable orateur), toujours disposés à se ruer l'un sur l'autre et à rendre tout gouvernement impossible. Nous avons pensé, avec l'honorable général Goblet, qu'un ministère qui, par sa composition et sa conduite, serait réduit à ne s'appuyer que sur un seul côté de cette chambre, serait un ministère fatal au pays. C'est assez vous dire que nous sommes plus profondément convaincus que jamais, que le pays ne peut attendre rien de bon de ces luttes politiques, qu'à la condition de voir se réunir dans un seul faisceau les hommes modérés de toutes les opinions, les hommes qui, se rappelant que l'œuvre qui a constitué notre indépendance, a été le résultat du concours de ces mêmes hommes, veulent maintenir le passé et continuer ce que nous avons si heureusement commencé.

Que si ces doctrines étaient repoussées par la chambre, je dirais : Nous répudierons donc tout notre passé ; nous renierons donc tous nos titres à la gloire ; nous déclarerons donc de notre propre bouche que notre sagesse a été de la folie ; mais nous jouons ainsi le jeu des ennemis de notre indépendance, de ces hommes qui ont toujours considéré l'union comme une chimère ?

L'union impossible ! Mais n'est-ce pas au moyen de cette union que vous avez décidé les plus grandes questions ? N'est-ce point par cette union que l'Etat belge a été fondé ? N'est-ce pas par cette union que nos libertés civiles religieuses et politiques ont été constituées ?

Nous sommes parvenus à nous entendre sur les principes mêmes de la constitution ; nous sommes parvenus à signer de commun accord le pacte social le plus libéral au monde ; et aujourd'hui qu'il ne s'agit que du développement partiel de nos institutions, nous serions partagés en deux camps ennemis ! Nous lutterions sans cesse ; il n'y aurait plus de rapprochement possible ! Je le répète, ce serait déclarer que nous nous sommes étrangement trompés, et que tout ce qui s'est fait de beau, de grand, de patriotique, n'a plus de prix à nos yeux. Que si cependant, reniant votre passé, vous vouliez un ministère exclusif et ces luttes incessantes où le pays perd à l'intérieur son bonheur réel, et toute considération à l'extérieur, je vous prédis que plus tard vous rentreriez forcément dans la combinaison d'un ministère composé comme celui qui se présente aujourd'hui devant vous.

Quoi qu'il en soit, il importe que le pays sache à quoi s'en tenir sur les ministères de transaction ; si la chambre condamne ce système, que la question soit une bonne fois définitivement tranchée ; car nous perdons depuis quatre ou cinq ans dans ces luttes oiseuses un temps que nous devons consacrer aux intérêts véritables du pays.

Dans un ministère ainsi composé, toutes les opinions doivent être représentées.

Je n'ai pas besoin de vous dire quelles sont les miennes dans le cabinet. Mes opinions, ce n'est pas d'hier qu'elles sont nées ; ce n'est pas d'aujourd'hui que je suis appelé à les exprimer devant vous. J'appartenais à l'opinion libérale, avant même que plusieurs d'entre vous n'eussent pris parti dans nos luttes politiques. Dès 1828, c'est-à-dire à une époque où la défense de nos droits politiques ne rapportait ni places, ni faveurs, ni influence ; où elle nous conduisait souvent et devant le juge d'instruction et aux Petits-Carmes ; à cette époque, messieurs, je professais ces opinions libérales que je n'ai pas abandonnées, que je n'abandonnerai jamais. Je défendrai donc, ou plutôt je n'aurai pas à défendre, mais je maintiendrai au sein du conseil ces opinions libérales dont je ne me suis jamais écarté.

Mais je veux, messieurs, dans l'application de ces principes, rester fidèle à mes antécédents, je veux poser des actes libéraux, non pas contre un parti, non pas contre les catholiques, mais avec les catholiques ; et, en professant ces sentiments, je ne fais que maintenir, messieurs, les principes que nous pouvons tous invoquer avec une espèce d'orgueil patriotique.

Je pense, messieurs, qu'il est inutile d'entrer, pour le moment, dans de plus amples développements. Nous ne tenons pas, messieurs, à la formule qui vous a été soumise. La forme de la phrase que nous avons déposée sur le bureau nous est à peu près indifférente ; mais nous tenons positivement au fond.

Nous tenons surtout à ce que la chambre explique d'une manière catégorique si le gouvernement peut compter sur votre concours et voire concours bienveillant, et quelle que soit la rédaction que l'on opposerait à la nôtre, si cette pensée s'y trouve formulée d'une manière plus claire et plus explicite, nous adopterons cette rédaction.

Après avoir exprimé d'une manière aussi franche la pensée que nous considérons le projet d'adresse comme incomplet et comme incomplet dans une de ses parties essentielles, je crois devoir à la dignité de la chambre, aux sentiments de respect que tout homme politique se doit à lui-même, de vous déclarer que si notre proposition était rejetée, si la chambre entendait ne pouvoir admettre ni la phrase par laquelle nous vous proposons de compléter celle de la commission, ni une phrase analogue qui exprime la même idée, le gouvernement saurait remplir son devoir. C’est vous dire qu'il attache son existence politique à l'adoption ou au rejet de sa proposition.

M. Devaux (pour une motion d'ordre). - Messieurs, je demanderai à la chambre la permission de l'occuper un instant d'une motion d'ordre.

Je crois qu'avant que la discussion commence, il faut que les explications soient plus complètes qu'elles ne viennent de l'être.

Nous sommes en présence d'un ministère nouveau, qui, probablement, a la prétention de professer une politique nouvelle. Mais cette politique est encore dans le vague. Je prierai donc M. le ministre de l'intérieur ou ses collègues de bien vouloir nous éclairer sur les points suivants :

Un ministère s'est retiré ; tous les membres de ce ministère ont donné leur démission. Un autre cabinet s'est formé. Je demande : 1° Quelle a été la raison de la retraite du cabinet précédent ? Puisque trois membres de l'ancien cabinet siègent dans le cabinet nouveau, je les invite à nous en dire la raison. Le parlement a le droit d'en être informé.

Je demande, en deuxième lieu, en quoi la politique du cabinet nouveau diffère de la politique du cabinet qui l'a précédé.

Je demande, en troisième lieu, quelles sont les conditions qui ont réuni dans le cabinet des hommes qui se disent d'opinions différentes ? Quelles sont les conditions politiques, les conditions précises de leur entrée dans le cabinet nouveau ?

Je demande sur ces trois points des éclaircissements positifs.

M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Il me semble que les différentes questions posées par l'honorable membre, rentrent complétement dans la discussion générale, et, loin de nous refuser à nous expliquer sur ces questions, c'est dans la discussion générale que nous aurons l'occasion de faire une déclaration positive à cet égard.

M. Devaux. - Messieurs, il y a trois mois que le ministère est formé. Depuis trois mois nous attendons l'énoncé de la politique. Il s'est offert à lui plus d'une occasion de s'expliquer à cet égard. Le ministère nous avait ajournés au discours du Trône ; il avait formellement annoncé qu'il ne connaissait pas d'autre programme que le discours du Trône. Dès lors nous devions nous attendre à ce que les principes politiques du ministère fussent énoncés dans ce discours. Or, vous savez que le discours du Trône ne contient pas un mot de politique.

Aujourd'hui que le ministère fait un appel à la confiance de la chambre, il faut donc, avant que la chambre ne discute cette question de confiance, que le ministère vienne exposer quels sont ses titres à la confiance qu'il réclame. Il faut qu'il vienne nous dire ce qu'il veut, ce qu'il est, et pour savoir ce qu'il veut, ce qu'il est, il faut savoir, avant tout, pourquoi ses prédécesseurs se sont retirés, pourquoi, lui, est arrivé aux affaires ; il faut savoir quelles sont les conditions auxquelles les divers ministres ont accepté de faire partie du cabinet ?

Il veut, dit-il, concilier les hommes modérés des deux opinions. Eh bien, jusqu'à présent, il n'a concilié que lui-même. Pour concilier les hommes modérés des deux opinions, il faut que le ministère nous dise quelles sont les conditions de sa composition intérieure ; il faut que nous sachions à quelles conditions les hommes dont il se compose, se sont rapprochés, pour que, dans la chambre et dans le pays les hommes modérés paissent savoir s'ils acceptent ces conditions, et si les partis peuvent se rapprocher comme les ministres.

Ce ne sont donc pas des déclarations générales que nous demandons, ce sont des déclarations très positives, et elles doivent précéder toute discussion.

Nous demandons à connaître le ministère et les conditions de son existence ; pour discuter la question de savoir si nous pouvons accorder notre confiance au ministère, nous devons savoir ce qu'il est, à quelles conditions il existe, pourquoi il existe.

M. le ministre des finances (M. Malou). - Ce qui est demandé par l'honorable préopinant est en dehors de tous les précédents de la chambre. Jamais, messieurs, jamais on n'a circonscrit le gouvernement dans un cercle dont on lui défend de sortir ; jamais on ne lui a dit, au début d'une grande discussion : Vous répondrez d'abord sur telle question ; j'en poserai ensuite telle autre à laquelle vous répondrez également.

Mais, messieurs, que deviennent donc nos discussions, s'il y a ici une partie interrogeante et une partie répondante ? S'il en est ainsi, je vous le demande, messieurs, y a-t-il encore un parlement belge ?

Les questions posées par l'honorable membre ne sont pas les seules auxquelles le gouvernement a l'intention de répondre et de répondre d'une manière très nette et très catégorique ; et il me semble qu'en présence de ce qui vient d'être dit, il est au moins étrange que l'on vienne révoquer en doute l'intention du ministère de répondre nettement et catégoriquement.

Le ministère, dit-on, n'a concilié que lui-même. Eh bien, messieurs, cette discussion qui s'ouvre, quel doit en être le résultat ? Elle doit précisément démontrer si le ministère aura assez de force, avec votre concours, pour réaliser la pensée qu'il vient d'énoncer devant vous. Voilà le résultat de la discussion, et l'honorable M. Devaux escompte en quelque sorte ce résultat.

Je demande que, conformément à tous les antécédents de la chambre, la discussion ait son cours et que nous puissions répondre dans cette discussion, quand nous le jugerons opportun, aux questions présentées par l'honorable M. Devaux, questions qui ne constituent en aucune manière une motion d'ordre.

M. Rogier. - Mon honorable ami a posé au ministère des questions extrêmement simples, des questions dont la solution doit, ce me semble, précéder toute discussion. Je suis, pour ma part, très surpris que l'honorable ministre des finances, à qui ces questions ne s'adressaient pas personnellement, y ait vu une atteinte aux usages de la chambre, une sorte de violence faite à la chambre et au cabinet. Nous voyons devant nous un ministère nouveau, et nous lui demandons : Qui êtes-vous ? Nous voyons dans le ministère nouveau une forte portion du ministère tombé, nous demandons à ces ministres restés aux affaires : Pourquoi vos collègues vous ont-ils quilles ? Pourquoi êtes-vous dans le nouveau ministère ? A quelles conditions y êtes-vous rentrés ? Est-ce pour continuer la politique du cabinet tombé ou pour suivre une politique nouvelle ? Voilà, ce me semble, des questions très simples, et je ne vois pas, pour moi, quelle grande difficulté il y a à répondre à des questions aussi nettement posées.

Je disais tout à l'heure que les questions de mon honorable ami ne s'adressaient pas particulièrement à l'honorable M. Malou. Voici pourquoi : Parce que M. Malou n'ayant pas fait partie intégrante de l'ancien cabinet, (page 35) peut jusqu'à un certain point ignorer les causes de la retraite de ce cabinet. Mais M. le ministre des affaires étrangères, M. le ministre de la justice, M. le ministre de la guerre ayant fait partie de l'ancien cabinet, sont plus particulièrement à même de nous dire pourquoi il s'est retiré. Je demande donc que ces messieurs veuillent bien répondre d'abord à celle première question, et j'espère qu'ils répondront en même temps aux deux autres. Sinon je les poserai de nouveau.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Je ne ferais aucune difficulté de répondre dès à présent à la question que,vient de poser l'honorable M. Rogier relativement à l'ancien cabinet, mais je pense, comme l'a dit M. le ministre des finances, que cette réponse doit être faite dans la discussion générale et que la marche proposée par les préopinants serait contraire à tous les antécédents de la chambre.

M. Savart-Martel. - La discussion me semble présenter deux questions principales. La chambre s'expliquera-t-elle positivement sur le ministère actuel ? Dans quel sens sera cette explication ?

Messieurs, le meilleur moyen de conservation pour un gouvernement, c'est de se diriger toujours d'après les principes de son organisation. Que sont devenues les magnifiques promesses de 1830 ; ces promesses données par des hommes courageux qui, au risque de la vie même, ramassaient le pouvoir tombé des mains d'un gouvernement impopulaire ?

Sommes-nous encore dans les principes du libéralisme que professait l'assemblée constituante ?

Pour ne pas causer d'irritation, je me dispenserai d'accumuler des faits ; je m'abandonnerai à la conscience même de nos adversaires politiques....

Messieurs, je voudrais me tromper, mais je ne puis me dissimuler que chaque jour amène une déviation dangereuse qu'il est temps d'arrêter, si nous ne voulons être emportés par le flot des passions mauvaises qui s'élèvent autour de nous.

Sans doute, il est difficile de gouverner les hommes en présence de la publicité et de l'association, droits que nulle puissance ne saurait nous enlever à ce jour. Mais la ruse, la corruption, le machiavélisme, s'ils n'appartenaient d'ailleurs à l'immoralité, devraient encore être repoussés de tout gouvernement constitutionnel, car tout y est percé à jour, et la fourberie ne peut tromper que ceux qui veulent être trompés. La bonne foi, la franchise sont d'une nécessité absolue ; elles sont de l'essence de la nationalité belge surtout. Aussi est-ce avec satisfaction que je viens d'entendre l'honorable ministre de l'intérieur proclamer lui-même cette vérité. Nous aurions donc un gouvernement de franchise !

Mais nos gouvernants, fussent-il sages comme Caton, doctes comme Cicéron, fussent-ils des Lycurgues ou des Solons, trouveront leurs actes frappés de réprobation, s'ils ne s'identifient point avec l'opinion nationale.

Qu'on ait pu douter un instant de l'opinion du pays, soit ; mais depuis le ministère que nous a imposé la loi malencontreuse du fractionnement, depuis le 10 juin surtout qui a amené le « ministère de la canicule, » l'opinion nationale ne peut plus être douteuse.

Qu'a-t-on fait, je ne dirai point pour satisfaire, mais pour ménager au moins cette opinion ? Une recrudescence d'hostilité contre tout ce qui appartient au libéralisme, ou au moins le dédain, l'outrage, le mépris ont suivi le 10 juin. Comme tort moral, c'est peu sans doute ; mais, comme résultat, c'est beaucoup ; car on éloignait ainsi tout espoir de conciliation.

Si le ministère précédent, auquel d'excellents collègues, quoique siégeant hors de nos bancs, accordaient un huitième ou un quart de confiance, n'a pu se soutenir ; s'il a dû mettre bas les armes, il était permis d'espérer que ses successeurs tiendraient une tout autre ligne de conduite, et qu'un programme conciliateur, que je suis loin de confondre avec la politique mixte, nous ramènerait aux principes organiques de notre nationalité. Jusqu'à ce jour, le ministère nouveau a gardé le silence à cet égard.

C'est avec peine, d'ailleurs, que je vois abandonner les amendements si nécessaires au système hypothécaire et à la contrainte par corps, qui chaque session ont été l'objet de mes plus vives réclamations.

Il en est de même quant à la déplorable législation des faillites et des sursis.

Je ne regrette pas moins que le gouvernement maintienne avec une ténacité vraiment incroyable l'odieux système des contributions personnelles, que nous a imposé la Hollande, et qu'il serait si aisé de remplacer. Nous sommes parvenus au point que le peuple, écrasé d'impôts, doit se trouver heureux qu'on n'en invente pas de nouveaux ; mais comme les lois fiscales sont élastiques, on trouvera le moyen de leur faire produire davantage ; voilà notre avenir. A mon avis, la réponse devrait dire quelques mots à cet égard. Mais le peuple belge attend de ses gouvernants autre chose que des actes de bureaucratie.

Il faut au pays, non seulement un gouvernement juste envers tous les citoyens, impartial envers toutes les opinions ; il lui faut surtout des hommes d'Etat dont les vues, toujours progressives, élevées, grandioses, d'un ardent patriotisme et qui aient du sang dans les veines. Au lieu de s'arrêter devant les difficultés, ces hommes d'Etal doivent les vaincre et en triompher. L'enthousiasme des grandes choses peut s'allier facilement à la passion du travail, à la volonté d'exécution.

Le projet d'adresse qui nous est soumis contient, pour le monarque de noire choix, des sentiments que nous partageons tous, sans doute ; mais, à cela près, ce projet (comme le disait la Quotidienne) est sec et décharné ; il est négatif. Il semble que nous craignions de dire au monarque mis pensées tout entières. Ce projet ne suffit pas ; il n'est vraiment digue ni du monarque, ni de la nation belge. J'insiste donc pour quelques amendements, et notamment pour que la chambre s'explique positivement : si elle accordera ou non sa confiance au ministère ; et je conviens qu'avant, de répondre à ce sujet, les explications exigées du ministère sont de nécessité ; sinon, mon vote sera contre le projet.

M. Dedecker, rapporteur. - Messieurs, quelques membres de la commission d'adresse pensent que les observations que vient de présenter M. le ministre de l'intérieur nécessitent, de la part du rapporteur de la commission, quelques explications sur la portée qu'elle a entendu donner au dernier paragraphe de son projet.

Messieurs, la commission d'adresse n'a nullement voulu se renfermer dans des équivoques. La commission d'adresse n'a pas un instant discuté sérieusement la question de savoir si le ministère actuel doit être accueilli avec confiance ou avec défiance. Elle a cru qu'en l'absence de principes nettement formulés jusqu'alors par le ministère, en l'absence d'actes positifs et significatifs de sa part, la seule position qu'elle pût prendre, était une position de prudente réserve.

Voilà, messieurs, la pensée des membres de votre commission d'adresse. Chacun d'eux s'est donc réservé son entière liberté d'appréciation et de vote relativement à la nouvelle rédaction que M. le ministre de l'intérieur vient de présenter pour le paragraphe final de l'adresse.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Le ministère savait très bien d'avance que la commission d'adresse n'avait pas voulu blâmer directement ni indirectement le ministère ; mais la prétérition dont elle a usé a pu être comprise d'une autre manière dans le pays. Ce silence et cette équivoque ne convenaient ni au ministère qui a besoin d'appui moral et de dignité, ni à la majorité, ni à l'opposition dont l'intérêt est de ne pas rester dans une position de doute et d'indécision.

Messieurs, je comprends parfaitement une phrase non politique dans une adresse qui ne fait pas l'objet d'un débat ministériel, et c'est ce qui est arrivé plusieurs fois depuis plusieurs années. L'intention de la commission a été de tâcher de réunir l'assentiment unanime de la chambre dans le vote de la réponse au Discours du Trône, parce que la commission ignorait si un débat politique aurait lieu sur l'adresse. Maintenant, chacun sait que l'opposition veut combattre le ministère sur le seuil même de la session parlementaire. Nous ne voulons pas provoquer ce débat, mais nous nous réjouissons d'avoir à l'accepter, et du moment que cette discussion est annoncée, le ministère a besoin que la discussion politique puisse aboutir à un résultat et à un vote politique.

Je croyais que l'attitude si franche que le ministère a prise, en vous proposant de ne pas laisser reposer la discussion sur une équivoque, attitude qui a reçu l'assentiment de la chambre entière, aurait suffi pour vous démontrer qu'il n'entendait pas non plus éviter la discussion, qu'il serait prêt à suivre tous les orateurs sur le terrain où l'on voudrait l'entraîner.

L'honorable M. Devaux a formulé quelques questions : il a demandé pourquoi le ministère précédent s'était retiré, quel était le principe, la cause de la formation du ministère actuel, en quoi le cabinet actuel différait du précédent dans la politique qu'il voulait suivre, quelles étaient les conditions de la réunion dans un même cabinet d'hommes qui n'appartiennent pas à la même opinion.

Evidemment, ces quatre questions résument toute la discussion générale qui va être entamée ; nous répondrons à la chambre sur ces questions. Mais nous voulons, comme c'est notre droit, droit que tout ministère a revendiqué, rester juges du moment où il nous conviendra de faire cette réponse. Il serait trop commode, en effet, pour l'opposition de pouvoir diriger une discussion générale par motion d'ordre. M. le ministre des finances a eu raison de dire que c'est la première fois que l'on vient procéder à une discussion générale par une espèce d'interrogatoire, sans laisser le ministère juge du moment où il trouverait bon et convenable de parler et de répondre.

M. Verhaegen. - Je ne conçois rien à la marche qu'on veut suivre. On est bien d'accord qu'il faut répondre aux questions posées par l'honorable M. Devaux ; mais on ne l'est pas sur le moment opportun où l'on donnera cette réponse. C'est la discussion générale, dit M. le ministre des affaires étrangères, qui fournira l'occasion de cette réponse. On attend une discussion ; on attend que l'opposition se prononce ; mais sur quoi ? Sur la politique du gouvernement ; la discussion générale est ouverte ; l'opposition ne dit rien, parce que le ministère n'a rien dit ; la discussion générale se terme, l'adresse est votée ; tout est fini ; nous partons.

Voilà ce que demande le ministère. Est-ce raisonnable ?

M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Je demande la parole.

M. Verhaegen. - Vous convenez que dans le cadre qui nous est présenté il n'y a rien qui puisse faire l'objet d'attaques sérieuses, c'est un cadre vide ; je ne puis donc discuter le mérite du tableau ; il n'y en a pas. Vous formulez des questions ; nous espérons que vos réponses fourniront un texte à la discussion. Vous dites oui ; eh bien, messieurs, nous vous écoutons ; dites ce que vous voudrez : c'est-à-dire, répondez aux questions posées par l'honorable M. Devaux. En d'autres termes, dites-nous quel est votre programme ; car pour combattre votre programme, je dois le connaître.

|M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - L'honorable préopinant n'était pas présent à l'ouverture de cette séance, alors que M. le ministre de l'intérieur, en présentant l'amendement qui est soumis au vote de la chambre, a déclaré très nettement quel était le principe de la formation du cabinet.

On nous demande de la franchise ; je me permettrai d'en demander aussi à ceux qui se disposent à être nos adversaires. La discussion portera sur deux points : 1° la composition ministérielle ; 2° les actes que nous sommes disposés à poser.

Il ne faut pas nous y tromper, messieurs, il y a dans cette chambre des (page 36) hommes dont je respecte les opinions, mais qui croient que des ministères homogènes, libéraux ou catholiques, peuvent seuls donner de la force et de la consécration au pouvoir. Cette opinion nous était connue ; ceux qui la partagent combattront le ministère dans le principe même de sa formation. Il est des hommes, dans les deux opinions, qui ne partagent pas cette manière de voir, qui croient qu'un ministère qui devrait s'appuyer exclusivement sur l'une ou sur l'autre fraction de la chambre serait un ministère fatal au pays. C'est à cette fraction des chambres que nous demandons concours et appui.

Nos actes, nous les avons énoncés dans le discours du Trône ; nous avons déclaré aux chambres et au pays quelles sont les mesures que nous voulons transmettre à leur sanction.

Le principe de la combinaison ministérielle, M. le ministre de l'intérieur vient de vous le faire connaître. Nous croyons cette combinaison en harmonie avec les éléments actuels des deux chambres, seule expression légale de l'opinion publique. Le fond donc du débat vous est connu ; c'est le principe de la formation même du ministère ; M. le ministre de l'intérieur a expliqué autour de quels principes nous voulons rallier la majorité ; il n'y a plus d'équivoque possible ; ces explications suffisent pour établir la discussion sur un terrain très large, mais je comprends peu l'insistance de M. Devaux pour ôter à la discussion générale la libre allure que toujours on lui a laissée.

M. Delfosse. - Je ne comprends vraiment pas le silence dans lequel le ministère paraît vouloir se réfugier. Le ministère sollicite un vote de confiance. Comment pouvons-nous nous expliquer sur cette demande, avant de savoir quelle est la politique qu'il veut suivre ? Cette politique sera-t-elle la même que celle du ministère précédent ? Si elle en diffère, en quoi en diffère-t-elle ? Voilà des points qu'il faut nécessairement éclaircir avant la discussion, sans cela nous pourrions nous livrer à des débats inutiles.

Et remarquez bien que ce n'est pas seulement l'opposition, c'est aussi la majorité qui pense que des explications préalables sont nécessaires. La commission d'adresse, organe de la majorité, ne vous a-t-elle pas dit tantôt par l'organe de son honorable rapporteur, que si elle ne s'était pas prononcée, dans le projet d'adresse, sur la question de confiance posée dans le discours de la Couronne, c'est que le ministère n'avait encore fait connaître ni ses principes ni ses projets.

Le ministère est donc interpellé, non seulement par l'opposition, mais aussi par la majorité. La majorité déclare, comme l'opposition, qu'elle ne répondra à la question de confiance que lorsque le ministère aura donné des explications satisfaisantes. Le devoir du ministère est de les donner et de les donner dès le début de la discussion.

Je conçois, du reste, que MM. les ministres ne soient pas prêts à s'expliquer en ce moment. Je conçois qu'ils croient prudent de se consulter entre eux et de délibérer mûrement avant de répondre aux questions de l'honorable M. Devaux. Mais alors qu'ils le disent franchement, qu'ils demandent la remise de la discussion à demain, cela vaudra mieux que la petite fin de non-recevoir, imaginée par M. le ministre des finances.

M. le ministre des finances (M. Malou). - L'insistance que l'on met à scinder la discussion générale, me force à reproduire l'observation que j'ai faite tout à l'heure.

Il ne s'agit pas de savoir si le ministère s'expliquera ; mais il s'agit de savoir si la chambre maintiendra tous ses précédents, si elle restera dans le système des discussions ou si l'on passera au système des interrogatoires.

Je dis qu'une discussion véritable, qu'une discussion parlementaire se compose de discours, et que si nous admettions maintenant... (Interruptions.) Permettez, messieurs, toutes les interruptions ne m'empêcheront pas de dire ma pensée.

Je dis que si nous admettions maintenant qu'il faille absolument répondre aux trois questions qui nous sont posées, on pourrait continuer pendant trois séances à poser une question après l'autre.

Il s'agit ici d'autre chose que du ministère ; il s'agit du droit de la chambre. Je combats le système qui tendrait à faire admettre ce précédent à la chambre, que, lorsqu'une question est posée, on doit immédiatement y répondre.

Je déclare avec mon honorable collègue M. le ministre de l'intérieur, que quand la discussion sera sérieusement engagée, nous répondrons à ces questions et à toutes les autres qui sont posées.

Quel est, messieurs, le motif que l'on invoque pour changer tous vos précédents ? On dit que le ministère n'a pas donné d'explications. Je conçois cette objection de la part de l'honorable M. Verhaegen qui n'a pu assister au commencement de cette séance. Mais il me semble que les explications très détaillées, très positives, dans lesquelles mon honorable collègue M. le ministre de l'intérieur est entré, indiquent nettement quelle est la portée de la discussion qui s'ouvre et quelle est la position que le gouvernement entend y prendre.

Messieurs, il a été fait peu de programmes en Belgique depuis 1830. Je les ai tous relus, parce qu'on parlait beaucoup de programmes. Mais, messieurs, aucun de ces programmes, je n'hésite pas à le dire, et je pourrais le prouver, n'est aussi explicite ; aucun n'a aussi nettement pose la question politique que le programme que notre honorable collègue a développé devant vous au début de cette séance.

Ce n'est donc pas le gouvernement qui recule devant des explications. Mais ici, messieurs, et j'attire encore votre attention sur ce point, il s'agit de poser un système entièrement nouveau. C'est uniquement pour ce motif, c'est parce que nous voulons rester juges du moment des explications, que nous n'admettons pas même qu'il y ait une motion d'ordre dans les questions posées par l'honorable M. Devaux.

Ce n'est pas le temps qui nous manque ; nous ne demandons pas même l'ajournement à demain, mais nous demandons que par la franchise, on réponde à la franchise. (Murmures.)

Mais vraiment ces interruptions m'étonnent.

M. le président. - Chacun aura le droit de répondre ; n'interrompez pas.

M. le ministre des finances (M. Malou). - L'on dit à côté de moi : Vous demandez de la franchise et vous refusez de vous expliquer.

Je le répète encore, des explications ont déjà été données ; je vous renouvelle la garantie que nous répondrons dans la discussion générale aux trois questions qui ont été posées par l'honorable M. Devaux. Mais nous demandons qu'il y ait une discussion générale ; qu'on ne vienne pas procéder par questions, qu'on ne vienne pas mettre la discussion générale en morceaux, pardonnez-moi cette expression.

Ainsi, nous ne demandons pas l'ajournement de la discussion, mais qu'elle s'ouvre immédiatement, qu'elle soit franche, complète, et qu'elle aboutisse à un résultat.

M. Devaux. - Je ne m'attendais pas, je l'avoue, au reproche de vouloir faire perdre du temps à la chambre....

M. le ministre des finances (M. Malou). - Je n'ai pas dit cela.

M. Devaux. - Je crois que j'ai suivi une marche grave, une marche régulière et usitée.

Je crois, messieurs, qu'il est dans les droits d'un membre de cette chambre, quand un ministère se présente devant elle, de lui demander quelle est sa politique. Je regrette seulement que le ministère ne m'ait pas épargné la peine de lui faire cette question ; il devait la prévenir pour sa dignité, pour la dignité du gouvernement.

Un ministère, dont la composition n'offre pas un sens clair et précis, ne doit pas attendre qu'on lui demande quel est sa politique ? Un ministère, dont la composition n'offre pas un sens clair et précis, quand il se présente devant la chambre, doit lui dire sa pensée politique en termes précis, en termes formels, de manière que les interpellations soient inutiles.

Le ministère devait prendre l'initiative et non pas nous. C'était le discours du Trône, ou les explications à la suite de ce discours qui devaient nous ôter toute incertitude.

Or, que contient le discours du Trône ? L'intitulé de quelques projets de loi que l'on se propose de présenter aux chambres, et dont on ne dit pas même la teneur. Est-ce là-dessus que nous pouvons établir la discussion politique ? Evidemment non. Eh bien, nous vous demandons les bases de la discussion politique que vous avez vous-même fixée à ce jour ; nous demandons ce que vous êtes, quel est votre système ? Vous ne voulez pas nous le dire et vous voulez que nous discutions !

Messieurs, dans les circonstances ordinaires, devant certains ministères, on pourrait, peut-être, les dispenser de ces explications. Il y a tel membre de cette chambre, soit de ce côte, soit de l'autre côté, auquel, s'il arrivait an ministère, on ne demanderait pas des principes de gouvernement, parce que ces principes se trouveraient tout entiers dans ses antécédents parlementaires et qu'on serait sûr qu'il les porte avec lui au pouvoir.

Mais quand un ministère a la prétention de ne représenter aucune opinion, quand ses membres ont celle de ne pas y apporter leurs antécédents parlementaires ou qu'ils n'en ont pas, alors on a le droit de leur demander : Qui êtes-vous ? quelles opinions apportez-vous au pouvoir ?

Alors qu'un membre influent du cabinet, celui qui le premier a porté la parole au nom du ministère, est sans antécédents parlementaires depuis quinze ans, nous avons certes le droit de demander à ce ministre quelle est son opinion : Nous connaissons ses antécédents d'il y a quinze ans, ils sont fort honorables ; mais depuis quinze ans il est étranger à nos débats. Ce que nous voulons connaître, c'est sa politique actuelle ; nous avons le droit de demander quelle est sa position dans le cabinet, quelles vues il y apporte, à quelles conditions il a été acceptée par ses collègues, ou les a acceptés lui-même. C'est là ce que nous devons savoir pour pouvoir discuter.

M. le ministre de l'intérieur prétend qu'il nous a donné son programme ; parce qu'il nous a dit qu'il voulait gouverner avec les hommes modérés de toutes les opinions. C’est exactement ce que disait M. Nothomb. Qu'on veuille donc nous apprendre pourquoi M. Nothomb s'est retiré. En quoi différez-vous de lui ? Sur quels principes nouveaux repose voire cabinet ?

Tout cela, on ne veut pas, ou on ne peut pas le dire ; il semble qu'on ignore encore soi-même les conditions auxquelles on a accepté le pouvoir ; on nous donne le droit de le supposer, puisqu'on nous demande 24 heures pour réfléchir. S'il ne faut qu'un délai, je suis prêt à en accorder un ; mais je dis que le silence du ministère doit surprendre. Il devait nécessairement s'attendre aux questions que j'ai posées ; le ministre de l'intérieur devait présumer qu'on lui demanderait à quelles conditions il était entré dans le ministère.

En Angleterre, d'où arrive M. le ministre de l'intérieur, la première chose que ferait le ministère en pareil cas, ce serait de donner des explications franches et complètes et il ne se retrancherait pas dans des phrases vagues. Ce que nous voulons savoir, ce sont les moyens précis de la conciliation qu'on nous propose ; nous voulons savoir si les hommes modérés de l'opinion libérale sont réduits dans notre parlementa un cercle si restreint, qu'on soit obligé d'aller en chercher au-delà de la mer ; nous voulons savoir si les seuls hommes modérées que renferme le parti libéral sont ceux qui ont voté pour M. Nothomb.

Il paraît qu'on insinue a un des côtés de cette chambre que le ministère est composé d'une manière si favorable à cette opinion qu'évidemment (page 37) M. le ministre de l'intérieur n'y pourra exercer une grande influence ; que par conséquent cette fraction de la chambre doit voter pour le cabinet.

On insinue en même temps à l'autre côté, qu'il y a dans le cabinet certains membres qui ne tiennent guère à leurs antécédents, qui, pour me servir d'une expression vulgaire, consentiraient à enterrer leur propre parti.

Si cela est, s'il y a dans le cabinet des membres libéraux qui jusqu'ici n'ont pas appartenu à cette opinion, il faut qu'on nous l'apprenne tout haut ; si MM. Dechamps et Malou abandonnent leur ancien parti, qu'ils le fassent ouvertement. L'opinion libérale ne repousse pas les conversions sincères. J'ajouterai, toutefois, qu'elle y aurait plus de foi, si elles éclataient dans une position désintéressée et en dehors du pouvoir. Et qu'avant de les investir de sa confiance, avant de les accepter comme ses représentants au pouvoir, elle pourrait exiger d'eux, qu'ils eussent fut leurs épreuves comme simples soldats dans ses rangs, et donné ainsi des gages de la sincérité et de la solidité de leurs opinions nouvelles. Le ministère peut-il laisser subsister de pareilles incertitudes ? Est-ce là cette netteté, cette franchise dont, au début de la séance, parlait M. le ministre de l'intérieur ?

Je le répète, si le ministre de l'intérieur a besoin de réflexion, nous ne serons pas exigeants : nous lui accorderons les délais nécessaires ; mais si, après ces délais, les explications restent vagues, que le ministère ne se plaigne pas de nous entendre interpréter son silence et son défaut de franchise ; ce n'est pas nous qui l'auront empêché de se faire connaître et de faire juger ses vues avec précision. Nous ne pouvons le forcer à parler, et à se découvrir lui-même s'il veut demeurer masqué ; mais il nous reste le droit d'apprécier cette attitude et la confiance qu'elle peut inspirer.

M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Messieurs, je suis en vérité surpris de ce qui se passe autour de nous. On reproche au ministère d'avoir gardé le silence ; on nous dit : vous êtes un ministère nouveau, et vous ne devriez pas attendre qu'on vous demandât quelle est votre politique.

C'est précisément ce que nous avons fait, messieurs : car, avant que des questions fussent posées, nous nous sommes présentés devant vous, pour vous dire nettement quelle était cette politique ; nous vous avons déclaré que nous entendions maintenir dans le pays le système à l'aide duquel vous avez fait tout ce qu'il y a de véritablement libéral dans nos institutions. Vous êtes parvenus à conquérir et à consolider toutes les libertés ; eh bien, c'est ce même système, messieurs, que nous voulons continuer ; c'est à vous maintenant à nous dire si ce système répond ou non à la situation actuelle, s'il est l'expression des besoins du pays, ou bien si le pays exige qu'on se partage en deux camps, qu'il y ait des ministères exclusifs et que la lutte s'engage.

Je pense, messieurs, que la question, ainsi posée, est nette et précise.

L'honorable préopinant a demandé aussi quelle était dans le ministère la position du ministre de l'intérieur.

« Il y a, dit-il, telle combinaison qui, émanée du sein de cette chambre, n'exigerait pas de notre part une interpellation pareille. Les hommes politiques ont leurs antécédents ; mais depuis 15 ans, le ministre de l'intérieur est étranger à nos débats parlementaires, il ne représente à nos yeux aucun principe que nous connaissions. »

Mais c'est précisément pour éviter qu'il y eût doute à cet égard dans les esprits, doute que je ne conçois cependant pas, doute que mes anciens amis politiques n'auraient pas dû soulever au sein de cette assemblée, parce que ces amis me connaissent, parce qu'ils savent quel est mon caractère et que je n'ai jamais dévié de mes principes, doute que je repousse avec toute l'énergie de mon âme ; c'est précisément, dis-je, pour que ce doute ne pût naître dans l'esprit de personne, qu'aujourd'hui, comme toujours, j'ai déclaré que j'appartiens à l'opinion libérale, que je ne l'ai pas abandonnée, que j'en appliquerai les principes aux mesures qui seront proposées ; que l'application de ces principes aura lieu, non pas, comme je le disais tout à l'heure, dans un esprit d'hostilité envers une opinion que je respecte, envers une opinion avec laquelle vous devez compter et vous avez compté, mais avec le concours de cette opinion ; non pas contre elle, mais avec elle.

Loin donc de m'attendre au reproche articulé par l'opposition : que le ministère se renferme dans le silence, que son programme n'est pas connu, que ses principes sont douteux, j'avais pensé qu'on me rendrait la justice de dire que je n'avais pas laissé exister le moindre doute à cet égard.

L'honorable préopinant a ajouté qu'il serait fort possible que le ministre de l'intérieur cherchât son appui ailleurs que dans les représentants de l’opinion à laquelle il appartient.

L'honorable membre me rend la justice de dire que j'appartiens encore à cette opinion ; mais il pense en même temps que cette opinion est trop faiblement représentée au sein du cabinet, pour que les allures du ministre de l'intérieur y soient nettes et franches.

Messieurs, si dans l'examen des projets de loi qui vous seront proposés, je ne m'appuyais que sur une partie de cette chambre, si je cherchais le concours ailleurs que dans mon opinion, je me trouverais, en effet, dans la fausse position où l'honorable préopinant croit que je me suis placé. Mais c'est précisément parce que je suis convaincu qu'il y a aujourd'hui, comme en 1830, moyen de s'entendre sur les questions que nous avons encore à résoudre, pour développer nos institutions ; qu'il y a moyen de marcher du commun accord ; qu'il est possible que je m'entende avec mes amis, sans abandonner l'appui des hommes modérés de la droite ; c'est précisément, dis-je, parce que je suis animé de cette conviction que j'ai consenti à faire partie du ministère.

Mais il y a une autre raison politique, une raison politique plus élevée que celle-là, qui, indépendante de la position des hommes et de leurs antécédents, les a fait entrer au ministère.

On attend de moi et de mon caractère de la netteté et de la franchise ; je tous remercie, messieurs : vous aurez ce que vous attendez.

A l'époque où l'ancien ministère s'est retiré, plusieurs combinaisons ministérielles ont été proposées et discutées. Un homme dont j'estime le caractère, un homme que je m'honore d'appeler encore mon ami, fut consulté alors sur la formation du cabinet...

M. Rogier. - Je demande la parole.

M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Représentant de l'opinion libérale, je déclare que j'aurais vu avec bonheur cet honorable ami entrer dans un ministère ; je suis tellement convaincu de sa haute impartialité que je ne doute point qu'il n'eût trouvé des soutiens et des appuis, même dans l'opinion contraire à la sienne. Pourquoi donc avec ce caractère, avec ces principes dont il ne s'est pas départi, cet honorable membre n'est-il pas parvenu à former un cabinet ? Pourquoi, dans les discussions qui ont eu lieu à cet égard, s'est-il élevé tel incident qui a rendu cette combinaison impossible ? C'est parce que cet honorable membre, sortant de l'esprit de nos institutions, oubliant quelles sont les prérogatives de la Couronne, a voulu qu'il lui fût confié un pouvoir extraordinaire et exorbitant. C'est parce que cet honorable membre a demandé pour condition indispensable et sine qua non, de son entrée aux affaires, la faculté de dissoudre cette chambre.

M. Delehaye. - C'était très bien !

M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - La faculté de la dissoudre non pas sur une question donnée, ni sur un dissentiment déjà né entre la chambre et le ministère, mais en général et sans que la Couronne fût en position de juger de l'opportunité, de la nécessité de cette grande mesure politique. C'était donc une espèce de pouvoir royal dont il voulait être investi ; c'était un droit de dissoudre une assemblée s'appliquant à tout ; en un mot c'était l'abdication, en faveur de l'honorable membre, des droits et des prérogatives de la couronne.

Je conçois qu'un ministère, à la veille de se former, fasse ses conditions, et prévoyant une divergence d'opinions sur une question déterminée, demande, en cas de dissentiment avec la chambre, la faculté de la dissoudre, que cette faculté soit illimitée ; mais quels que soient les débats qui s'élèvent au sein de l'assemblée, qu'un ministre ait le droit de tenir suspendue sur votre tête cette arme redoutable pour faire passer un parti de l'état de minorité à l'état de majorité, je dis que c'est là, non du gouvernement représentatif, mais la menace d'un véritable coup d'Etat.

Plusieurs voix. - C'est vrai !

M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Je dis que c'est demander l'abdication virtuelle de la Couronne ; que c'est exposer cette royauté, sans laquelle la Belgique n'existerait point, à des humiliations, que nous devons repousser de toutes nos forces. Voulez-vous savoir la cause de la formation du ministère ? Voulez-vous savoir pourquoi je suis venu d'outre-mer, comme l'a dit l'honorable préopinant ? C'est parce que, profondément reconnaissant envers le prince des sacrifices qu'il a faits en venant s'associer à nos destinées, je sais mieux que personne l'étendue de ses sacrifices ; c'est enfin parce que je suis attaché aux principes constitutionnels, que j'ai voulu prévenir une espèce de crime politique.

Vous avez demandé quelle était la cause dé mon arrivée au pouvoir ; vous avez demandé ironiquement pourquoi j'étais arrivé d'outre-mer ; je suis arrivé pour défendre la Couronne, je suis arrivé pour défendre la royauté, pour empêcher qu'on ne l'obligeât à abdiquer virtuellement. (Interruption.) Vous répondrez : Je souhaite que vous mettiez dans vos explications la franchise, la netteté que je mets dans les miennes.

Si le droit de dissoudre la chambre n'eût point été imprudemment demandé au Roi ; si l'honorable membre n'eût point voulu être armé d'un moyen d'intimider la majorité, j'aurais applaudi et de toutes mes forces et de tout mon cœur à sa rentrée au pouvoir. Loin de moi la pensée, que quelques esprits partagent, que l'honorable membre obéissait à des sentiments d'ambition personnelle pour arriver au pouvoir ; non, messieurs, ce n'est point une vulgaire ambition qui l'anime ; il est pénétré de convictions sincères, et il ne désire le pouvoir que comme un moyen de réaliser les idées dont il tient à honneur de doter le pays ; je le connais de longue date ; je respecte et l'honore son caractère ; mais je regrette qu'il se soit si étrangement, si inconstitutionnellement fourvoyé dans cette circonstance.

M. Rogier. - Messieurs, je regrette d'avoir été mis en cause dans cette discussion avant que le ministère eût d'abord répondu aux questions qui lui étaient posées, questions claires, simples, constitutionnelles. L'opposition lui demandait, et à ce qu'il semble une autre partie de la chambre lui demandait aussi : Qui êtes-vous ? Pourquoi êtes-vous venu au ministère ? Dans un premier exposé M. le ministre de l'intérieur nous avait dit qu'il était venu au ministère pour gouverner avec les opinions modelées, pour gouverner avec les principes de l'union, choses que vous connaissiez parfaitement, choses que M. Nothomb nous avait répétées pendant quatre années, et vainement répétées, et dont le pays a fait une si éclatante justice.

Dans un second discours, M. le ministre de l'intérieur a révélé une autre cause de son entrée au ministère ; cette cause est bien autrement grave : il s'agissait de soustraire la royauté a l'abdication qui la menaçait ; il s'agissait d'empêcher un crime politique ; il s'agissait de se poser sans doute dans cette enceinte comme tel membre d'un gouvernement que je ne nommerai pas, qui est venu soustraire la royauté à la brutalité d'un sergent d'infanterie. Voilà le rôle que M. le ministre serait venu jouer dans le pays, voilà à quelle accusation énorme il n'a pas craint de se livrer contre un homme qu’il appelle son ancien ami, et dont il vient de parler avec beaucoup trop d'éloquence sans doute.

Eh bien, M. le ministre de l'intérieur n'a pu croire à de pareils projets de ma part. Il est venu vous raconter mes prétendus méfaits politiques, et M. le ministre de l'intérieur, débarquant d'Angleterre sur le sol belge, que (page 38) malheureusement il n'avait pas assez souvent visité, n'est pas venu à moi, son ancien collègue, son ancien ami, me dire : Est-ce donc vrai que vous ayez demandé an Roi son abdication ?

M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Oui, je suis venu.

M. Rogier. - M. le ministre est venu chez moi, mais depuis quinze jours, il était dans le cabinet. Il était ministre avant même de venir en Belgique. S'il m'eût demandé ce qu'il en était de tous ces bruits, je l'aurais éclairé, j'aurais calmé ses frayeurs au risque de lui ravir l'occasion de donner à la royauté cette marque de dévouement personnel. Il aurait vu que, loin de vouloir des conditions absolues et exagérées, je m'étais montré très modéré.

Puisque c'est moi qui me trouve en cause en ce moment, puisque M. le ministre a déplacé la question, je dirai que je n'ai pas été consulté par Sa Majesté. Si j'avais été consulté, je n'aurais pas hésité à faire connaître à quelles conditions mon dévouement était acquis ; car il y a deux manières de servir la Couronne. La première, c'est d'éclairer le Roi sur la véritable situation des esprits dans son royaume, de savoir, au besoin, lui dire la Vérité. Voilà la bonne manière. La seconde manière de servir le Roi, c'est d'accepter quand même le pouvoir, quand il se présente, à toute condition, et avec tous les hommes. Cette seconde manière n'est pas la mienne.

Si, ayant été appelé à donner mon avis sur la situation, j'avais reçu la mission de former un cabinet, et qu'en me présentant à la chambre, on fût venu me demander : Pourquoi M. Nothomb a-t-il été renversé ? Pourquoi êtes-vous venu au pouvoir ? Que voulez-vous faire ? Quels sont vos principes, votre politique ? Au lieu de donner le spectacle que nous avons en ce moment sous les yeux, je me serais empressé de répondre nettement, franchement et catégoriquement.

Puisque l'on m'a placé sur ce terrain, je vais dire ce qui s'est passé, car il importe que la Chambre et le pays soient édifiés sur toutes ces circonstances. Afin d'être bien sûr de ce que j'avais à dire, et dans la crainte que le temps fit disparaître de ma mémoire quelques souvenirs, j'ai tenu des notes dont je demande à la chambre la permission de lui lire le résumé.

Dire que des ouvertures officielles et directes m'aient été faites de la part du Trône, ce serait manquer d'exactitude. Des pourparlers officieux ont eu lieu avec divers personnages, rien de plus. Voici dans quels termes je n'ai cessé de m'expliquer.

Je ne sentais nul désir de rentrer actuellement aux affaires ; l'état de ma santé non encore entièrement raffermie, me conseillait d'ailleurs le repos. Si cependant le pouvoir s'offrait à moi à des conditions honorables et convenables, il ne m'était pas permis de le refuser sans manquer à mon devoir vis-à-vis de mon opinion, sur laquelle pèse depuis trop longtemps un injuste interdit.

Suivant moi, une administration nouvelle, destinée à remplacer celle que les élections du 10 juin avaient renversée, devait, en donnant satisfaction à la gauche, se distinguer par un caractère de loyauté parfaite. Elle devait être, disais-je, et je me servirai des mêmes expressions, 1° sincère, 2° sincère, 3° sincère. Elle devait être aussi impartiale et ferme, mais j'insistais avant tout sur la sincérité.

Or, ce but essentiel ne pouvait être atteint par une combinaison mixte dans laquelle entrerait une fraction notable et agissante de l'ancien cabinet, de ce cabinet tombé surtout par son défaut de franchise et avec lequel l'opposition avait eu, la veille encore dans le parlement et dans les élections, des démêlés si vifs et si tranchés.

Tout au moins, si une combinaison mixte pouvait, comme quelques-uns le pensaient, être encore essayée, il aurait fallu, pour la composer, prendre dans la droite des éléments nouveaux qui, n'ayant pas trempé dans la politique précédente, pussent être acceptés comme sincèrement dévoués à une politique nouvelle. Si on ne le faisait, on retombait inévitablement dans le système qui n'avait que trop duré pour la dignité du pouvoir et la moralité du pays. J'ajouterai, au surplus, que, dans ma conviction, nulle combinaison nouvelle ne pouvait avoir de caractère sérieux et durable qu'à la condition de se composer d'hommes ayant les mêmes principes et les mêmes opinions.

Un ministère homogène, tel que je le comprenais, ne pouvait avoir la prétention ridicule de concilier toutes les opinions. Il ne serait cependant pas un ministère partial, encore moins un ministère réactionnaire.

Il se serait donc présenté avec confiance devant le parlement tel qu'il s'offrait à lui ; mais si, contre toute attente, il y rencontrait une opposition systématique assez forte pour entraver sa marche, cette opposition aurait dû ne pas ignorer que ce ministère se déciderait, de l'assentiment du Trône, à faire un appel au pays ; elle aurait dû au moins ne pas nourrir la conviction contraire, ainsi que cela s'était vu à une autre époque, au grand détriment des travaux parlementaires et de l'ascendant du ministère.

On a fait grand bruit de ce qu'on a appelé mes prétentions exorbitantes. Par des motifs faciles à saisir, on a tout exagéré ; on a été jusqu'à dire, par exemple, que j'avais voulu un remaniement complet dans l'administration ; que j'avais fait, de la dissolution immédiate des chambres, les conditions préalables de mon entrée au pouvoir.

Je n'ai pas eu l'honneur, je le répète, d'être consulté directement par S. M. J'ignore dans quel sens mes paroles ont pu lui être rendues et quelle portée on a pu leur donner. Toul ce que je puis assurer, c'est que si je me suis montre ferme et conséquent dans mes opinions, je n'ai été absolu ni extrême.

Quant au remaniement complet de l'administration, il n'en a pas été question. Tout au plus a-t-il été fait allusion à la position difficile que les dernières élections avaient faite à deux gouverneurs de province, qui depuis ont cessé de l'être.

Quant à la dissolution, je désirais simplement une chose. Je m'en expliquerai en toute franchise. Mon intention était, et je l'ai déclaré, de n'entrer et de ne rester dans une administration que du plein gré de la Couronne. Comme une opinion contraire avait été soigneusement propagée et entretenue, je désirais que le pays et les chambres ne doutassent pas de l'adhésion de la Couronne à la marche du nouveau cabinet, en d'autres termes, ne doutassent pas de la confiance du Roi dans ses ministres. Voilà surtout pourquoi j'ai parlé de dissolution. Là était, à mes yeux, l'utilité principale de cette mesure tout éventuelle, et qui, selon toute probabilité, n'aurait pas reçu d'exécution.

Il y a plus. Si j'avais été mis à même de m'entretenir avec le roi et que de cet entretien il fût résulté que S. M. répugnait fortement et absolument au moyen que j'indiquais, je n'aurais pas fait difficulté de rechercher avec S. M. une autre voie, qui, plus conforme à sa manière de voir, eût pu avoir la même signification et conduire au même résultat. Je l'aurais fait surtout si S. M. avait pu apercevoir dans ma proposition ce qui, selon moi, n'y était nullement ; mais enfin si elle avait pu y apercevoir la moindre atteinte à sa prérogative constitutionnelle ou à la dignité de la Couronne. Déjà ces graves intérêts que j'ai toujours eu à cœur de défendre, n'avaient eu que trop à souffrir en diverses circonstances et notamment dans les dernières élections de juin. Je me serais bien gardé d'empirer, sous ce rapport, le mal qui avait été fait.

Je ne fatiguerai pas la chambre de tous les détails des conversations auxquelles je fais allusion. Il est cependant une considération générale que je soumettais à mes interlocuteurs et qui dans ce moment semblait les frapper. Je la reproduirai, car les événements qui ont suivi sont venus en confirmer la justesse.

Je disais que le temps était venu, selon moi, de compter sérieusement avec l'opinion libérale ; qu'il y avait manqué d'équité et de prudence à frapper d'une sorte d'indignité gouvernementale, à maintenir à l'état d'hostilité permanente, une opinion qui s'appuyait sur toutes les forces vives du pays, une opinion qui, dans plusieurs occasions décisives, avait fait preuve à la chambre d'un esprit très modéré et plus gouvernemental même que l'opinion adverse. Repousser de nouveau cette opinion du pouvoir, c'était aviver son opposition, l'aigrir et l'irriter de plus en plus, accroître, en les justifiant, ses exigences, et préparer pour l'avenir des complications dont il deviendrait d'autant plus difficile de triompher qu'on aurait plus longtemps résisté au vœu bien manifeste du pays.

Voilà dans quels termes généraux, mais précis, je me suis constamment renfermé avec mes divers interlocuteurs. Ceux de mes amis politiques que j'ai eu l'occasion de consulter dans cette circonstance, ont apprécié la situation, ainsi que je le faisais, et complétement adhéré à ma ligne de conduite. La chambre et le pays jugeront si j'ai mis en avant des desseins violents ou des prétentions exagérées et inacceptables. Ma conscience me dit que non. ! Je ne regrette donc rien de ce que j'ai fait ; je ne retire rien de ce que j'ai dit. Aujourd'hui comme alors je tiendrais même conduite et même langage.

En rappelant ce que j'ai dit, je me suis abstenu, comme je le devais, de reproduire les observations des interlocuteurs. Mais je ne crois pas être indiscret, en disant, que, sous l'impression première des élections de juin, on semblait reconnaître alors la nécessité de faire ce qu'on appelait un pas vers la gauche.

Quand aujourd'hui je compare ce qu'on inclinait à faire avec ce qu'on a fait, quand je compare ce que je voulais avec ce que je vois, il m'est impossible d'accorder au ministère la confiance qu'il réclame ; et comme l'adresse garde à cet égard un silence que j'approuve, je voterai en principe pour l'adresse.

M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - La lecture des notes que : vous venez d'entendre doit vous être une preuve de la vérité de mes assertions. L'honorable préopinant a si bien prévu que les conditions qu'il avait posées au pouvoir royal pouvaient devenir l'objet d'une discussion parlementaire, qu'il en a scrupuleusement et fidèlement tenu note. Dans ces notes se trouve la confirmation complète de tout ce que j'ai eu l'honneur de dire à la chambre. Vous avez entendu que la première condition que faisait l'honorable préopinant pour entrer au ministère, c'était la faculté indéterminée, non pas sur tel point, sur telle question, sur telle divergence d'opinions, ainsi que cela se pratique dans les gouvernements constitutionnels, ainsi qu'un ministère a le droit de le demander, ainsi que le Roi peut l'accepter ; mais la faculté, le droit, le privilège de dissoudre les chambres, quand il le trouverait bon, sans que le pouvoir royal pût être juge de l'opportunité de cette dissolution dans un cas déterminé.

Tout ce que vous avez entendu est la confirmation de ce que je vous ai dit.

Je laisse la chambre et le pays juges entre l'honorable préopinant et moi. L'honorable préopinant vous a dit, qu'en ma qualité de son ancien ami, j'aurais dû le prévenir, le consulter, m'enquérir si effectivement les accusations qu'on dirigeait contre lui étaient fondées ou non. Dans une interruption que j'ai faite à tort (car je n'ai pas l'habitude d'interrompre), j'ai déjà fait comprendre à la chambre que les questions que nous discutons aujourd'hui avaient fait, entre l'honorable préopinant et moi, l'objet d'une conversation particulière.

Je lui ai dit que mon arrivée en Belgique et mon entrée au pouvoir n'avaient pour cause que la demande qu’il avait faite de dissoudre la majorité des chambres, ou, s'il ne prononçait pas la dissolution, de se poser dans cette attitude inacceptable, qui consiste à avoir constamment devers soi un acte menaçant pour la majorité, à être prêt à agir contre elle, si elle ne se montrait pas souple, obéissante et soumise. C'est alors que, dans cet entretien particulier, en parlant à l'honorable préopinant de ce (page 39) qui se passait dans les gouvernements constitutionnels réguliers, je lui ai fait cette distinction entre la faculté de dissoudre sur un point précis et cette faculté indéterminée qu'il réclamait. J'ajoutai (et l'honorable préopinant parut frappé de mon observation) que le ministre qui ailleurs poserait de telles conditions à la Couronne, courrait le danger d'être mis en accusation.

Voilà le langage que j'ai tenu à l'honorable préopinant, langage dans lequel je persiste, attendu qu'à mes yeux, les conditions qu'il faisait à la royauté, étaient telles qu'elle ne pouvait les accepter sans se frapper de déconsidération.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Je dois d'abord déclarer que mon honorable collègue, M. le ministre de l'intérieur, n'a pas voulu faire allusion à une conversation particulière que j'ai pu avoir avec l'honorable M. Rogier, conversation que le hasard avait fait naître et qui ne devait avoir aucune conséquence ni pour lui, ni pour moi.

L'honorable ministre de l'intérieur a fait allusion à une conversation qui avait un caractère plus officiel.

J'ai besoin de déclarer cependant, pour être vrai, que l'entretien que j'ai eu l'honneur d'avoir avec l'honorable M. Rogier, avant la formation du ministère, avait le sens et le caractère général qu'il a attribués à d'autres pourparlers dont il vient d'être plus particulièrement question. Je puis donc faire complétement abstraction de ce qui s'est passé entre l'honorable membre et moi.

Je dois le déclarer franchement, mon désir était de voir l'honorable membre entrer dans une combinaison ministérielle. Je n'ai aucun besoin de cacher ma pensée ; déjà j'ai eu l'occasion de l'énoncer à cette tribune ; je sais qu'un des dangers de la situation, c'est de voir des hommes considérables de l'ancienne majorité, et qui ont contribué à en faire la gloire et la force, rester dans l'opposition et lui donner une puissance qu'elle n'aurait pas sans eux. Il était donc désirable, lorsque la retraite de l'honorable M. Nothomb eut enlevé l'obstacle que l'on indiquait depuis quatre ans à leur réconciliation, que l'œuvre de la transaction entre les nommes modérés des deux partis se fît avec eux au lieu de se faire en dehors d'eux.

Cette combinaison ministérielle, il n'a pas dépendu de moi qu'elle ne se réalisât, quoiqu'elle dût se former à mon exclusion.

L'honorable préopinant vient de déclarer, et je le savais, qu'une des conditions de la formation de ce ministère était que les membres de l'ancien cabinet n'en feraient pas partie.

Il faut bien préciser le point du débat ; car il est grave. Ce n'est ni une condition personnelle, ni une condition de principe qui a empêché la formation d'un tel cabinet, c'est la seule condition qu'il mettait à son entrée aux affaires de pouvoir décider de l'opportunité d'une dissolution sans le concours de la royauté.

L'honorable M. Rogier ne l'a pas nié. Il vous a dit qu'il n'avait pas demandé une dissolution préalable et immédiate des chambres ; cela est vrai ; mais ce qu'il voulait, et nous le savions, c'était l'assentiment préalable de la royauté à une dissolution que le ministère se réservait de décréter, dans le cas d'un dissentiment éventuel entre la majorité et lui.

Or, quelle est la plus haute prérogative de la royauté ? C'est de nommer ses ministres ; c'est de pouvoir choisir, dans certaines circonstances, entre le maintien de son ministère et une dissolution que ce ministère lui demande.

C'est l'abandon de cette prérogative que l'honorable membre voulait exiger de la Couronne ; c'était un véritable blanc-seing qu'il réclamait. En demandant au Roi sa renonciation à la faculté de juger entre le ministère, et l'utilité ou le danger d'une dissolution, c'était lui proposer l'abdication de cette haute prérogative que la Constitution lui a donnée.

Voilà le fond du débat ; on nous a demandé pourquoi le ministère s'est formé ; vous connaissez maintenant, messieurs, notre réponse.

Je le répète, j'ai regretté profondément que l'honorable membre eût posé une telle condition à son entrée aux affaires ; ce ne sont ni des objections personnelles, ni des dissentiments sur des principes et sur des actes à poser qui ont empêché cette formation ; c'est la question que nous venons d'indiquer, la renonciation pour la royauté à la faculté constitutionnelle de juger entre la dissolution et son ministère.

En 1841, l'honorable M. Nothomb vous a dit qu'il était entré aux affaires pour empêcher la dissolution des chambres ; mais au moins alors le ministère de 1840 qui avait trouvé dans la chambre la majorité qu'il avait perdue au sénat, avait le droit de demander la dissolution, comme la couronne avait le droit de la refuser. En 1845,la question n'était plus la même. C’était une dissolution a priori, un blanc-seing qu'on demandait comme la condition de la formation même du ministère.

Nous avons cru que c'était l'abdication réelle du pouvoir royal que l'on exigeait ; le ministère s'est formé pour l'empêcher.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Puisque la discussion est maintenant engagée d'une manière générale, que notamment il a été question de la formation du ministère et des motifs pour lesquels M. le ministre de l'intérieur est entré aux affaires, je pense que le moment est venu d'expliquer les motifs de la retraite de l'ancien cabinet, et de répondre ainsi à la première interpellation de l'honorable M. Devaux.

On a demandé pourquoi le ministère ancien avait cru devoir se retirer, et comment des membres de l'ancien cabinet, après avoir donné leur démission, avaient cru pouvoir rester aux affaires. Je donnerai à la chambre les explications les plus complètes. Je rappellerai la position de l'ancien ministère au moment de la clôture de la session, j'apprécierai les événements qui se sont passés depuis ce moment, et j'arriverai ainsi à expliquer comment trois de mes collègues et moi nous avons cru pouvoir et même devoir rester aux affaires.

Messieurs, les souvenirs des discussions de la dernière session sont encore présents à vos esprits. Vous vous rappelez à combien d'attaques l'ancien ministère a été en butte. Vous vous rappelez que ces attaques avaient souvent un caractère en quelque sorte personnel, et se dirigeaient principalement contre un de mes anciens collègues.

Néanmoins, messieurs, le ministère a obtenu, pendant cette session, une imposante majorité.

Lors de la dernière discussion politique qui a eu lieu, le ministère a été appuyé par 65 voix ; 23 voix seulement se sont prononcées contre lui.

Ainsi, messieurs, au moment de la clôture de la session, il n'existait pour le ministère aucune nécessité de se retirer des affaires ; il était encore alors ; appuyé par une forte majorité.

Les élections du 10 juin arrivèrent. Ces élections, messieurs, dont nous apprécierons tout à l'heure le caractère, éloignèrent de la chambre quelques, membres de l'ancienne majorité ; elles appelèrent parmi nous de nouveaux collègues, et nous avons dû penser que ces nouveaux collègues, nommés en remplacement des membres de la majorité, viendraient au parlement avec des opinions contraires au ministère de 1843.

Cependant, messieurs, ces élections n'avaient pas déplacé numériquement la majorité ; à en juger d'après les anciens votes, la majorité restait acquise au ministère.

Quoi qu'il en soit, messieurs,. M. Nothomb crut, après les élections du 10 juin, devoir faire connaître d'une manière formelle à ses collègues, son intention de quitter les affaires. L'honorable M. Nothomb déclara que cette intention était irrévocablement arrêtée, et il offrit sa démission au Roi.

Nous n'avons pas mission, messieurs, pour expliquer quels furent les motifs particuliers qui guidèrent l'honorable M. Nothomb dans la résolution, qu'il prit ; supposa-t-il que la majorité ne l'aurait plus soutenu avec assez de sympathie ? Pensa-t-il qu'elle aurait peut-être passé de l'indifférence à l'abandon ? Crut-il que le moment était venu de céder aux conseils qui, à tant de reprises, lui avaient été donnés dans cette chambre ?

Entré au ministère avec des idées de conciliation et de transaction, peut-être s'est-il retiré avec l'espoir qu'un autre les réaliserait plus facilement que lui. Ce ne sont, au reste, que des suppositions, nous n'avons pas mission, je le répète, d'expliquer quels furent les motifs qui déterminèrent la conduite de l'honorable M. Nothomb.

La démission de M. Nothomb entraînait nécessairement la démission de tous ses collègues. Il fallait (il est inutile d'insister sur ce principe) donner pleine liberté à la Couronne, et lui permettre de choisir un ministère tout nouveau, si, d'après elle, la position et les intérêts du pays le voulaient.

Notre démission fut donnée sans arrière-pensée, sans réticence aucune.

La Couronne s'adressa à des hommes éminents.

Les faits qui viennent de vous être révélés, les explications qui ont été échangées entre M. le ministre de l'intérieur et l'honorable M. Rogier, vous ont appris qu'on s'était notamment adressé, d'une manière officieuse au moins, à cet honorable membre. D'autres hommes éminents de cette chambre et en dehors de cette chambre furent appelés chez le Roi et mission, leur fut donnée de composer un ministère. Ces honorables membres trouveront probablement convenable d'expliquer, dans le courant de la discussion, les motifs de leur refus. Mais ce que je les prie au moins de déclarer, c'est si jamais le maintien d'aucun des anciens ministres au pouvoir fut posé comme condition de la formation du ministère nouveau. Je leur demanderai s'il ne leur a pas été dit de la manière la plus formelle qu'ils avaient liberté pleine et entière pour composer le ministère, et si jamais la présence aux affaires de l'un ou de l'autre membre du précédent cabinet leur a été imposée.

Le ministère, messieurs, après différents pourparlers, fut composé comme il paraît aujourd'hui devant vous.

Ce ministère répond-il aux exigences de la situation ? Ce ministère aura-t-il votre confiance et votre bienveillant concours ? C'est, messieurs, ce que la discussion va nous apprendre, je n'anticipe pas sur ce point. Mais je dois, messieurs, en qualité d'ancien ministre, je dois en mon nom et au nom de mes collègues, expliquer comment nous avons cru pouvoir rester aux affaires après avoir donné notre démission, et faire partie du cabinet actuel.

Je vous ai déjà dit, messieurs, que, d'après nous, la nécessité pour le ministère de se retirer, n'existait pas au moment de la clôture de la session. Cette nécessité, les élections du 10 juin l'ont-elle fait naître pour tout le cabinet ? Voilà, messieurs, la question.

On nous dit, messieurs, dans une autre enceinte, et l'honorable M. Savart a touché ce point, on nous dit que l'opinion publique s'était révélée au 10 juin d'une manière formelle, que le ministère dont nous avions l'honneur de faire partie, avait été condamné, et qu'après une condamnation aussi éclatante, le ministère aurait dû, en se retirant, rendre hommage à cette manifestation de l'opinion publique.

Il s'agit avant tout, messieurs, de s'entendre sur ce qu'on doit constitutionnellement entendre par l'opinion publique ; existe-t-elle légalement pour un ministère ailleurs que dans les chambres ? L'opinion publique se résume-t-elle par hasard dans un ou deux collèges électoraux ; ne faut-il pas prendre l'ensemble de toutes les élections, ensemble dont se compose la représentation nationale, qui est pour nous l'expression légale de l'opinion publique ?

Or, messieurs, en prenant les élections du 10 juin dans leur ensemble, peut-on y trouver, comme on le prétend, une condamnation éclatante de la (page 40) pensée politique qui avait présidé à la formation de l'ancien ministère, et par conséquent une obligation pour ce ministère de maintenir les démissions qu'avait motivées la retraite d'un de leurs collègues ? Nous ne l'avons pas pensé. Si l'on invoque en effet ce qui s'est passé dans quelques localités du pays, nous pouvons invoquer ce qui s'est passé dans d'autres. Et si dans certains collèges électoraux les candidats de l'opposition ont obtenu la majorité, est-ce qu'ailleurs les candidats d'une opinion contraire, les ministres sortants notamment, n'ont pas obtenu des majorités imposantes, plus fortes même qu'il y a quelques années ? Eh bien, messieurs, en présence de ce résultat, peut-on dire que le ministère a été condamné par le pays ? Nous ne l'avons pas pensé.

Nous avons été d'avis, messieurs, qu'un cabinet que l'on a qualifié de cabinet mixte ou de cabinet de transaction pouvait et devait être reconstitué à l'aide d'une combinaison nouvelle donnant pleine et entière garantie aux deux opinions modérées. Ces garanties se trouvent, pensons-nous, dans le ministère actuel, dont les principes ont été développés à cette tribune par mon honorable collègue M. le ministre de l'intérieur.

Messieurs, nous avions, comme je l'ai dit, offert nos démissions, mais nous restions à la disposition du Roi prêts à faciliter, par notre retraite définitive ou notre rentrée aux affaires, toute combinaison composée d'éléments modérés ; pour faciliter, en un mot, le nouvel avènement d'un ministère mixte, et pour empêcher ainsi l'avènement d'un ministère exclusif. (Interruption.)

Il paraît, messieurs, que le mot de ministère mixte vous déplaît, c'est pourtant le mot généralement employé pour qualifier un ministère non exclusif, mais enfin, appelez-le ministère mixte, ministère de transaction, peu importe, nous voulons dire que le cabinet actuel est un ministère non exclusif et que le principe qui a présidé à sa formation est un principe entièrement opposé à celui qui servirait de base à un ministère exclusif.

Messieurs, d'après ce que je viens d'avoir l'honneur de vous dire, mes collègues et moi. nous avons pensé que nous pouvions faire partie de l'administration nouvelle, après nous être mis d'accord avec nos nouveaux collègues sur les principes généraux qui devaient diriger le nouveau ministère, après nous être mis d'accord sur les actes principaux qui devaient être soumis à la législature. Il y a entre nous, sous tous ces rapports, une parfaite homogénéité. (Interruption.) L'on me dit : « La loi relative à l'enseignement ! » Il y a également accord entre nous, comme le prouvera la discussion qui aura lieu et que le ministère lui-même a provoquée. (Nouvelle interruption).

Il m'est impossible de répondre à toutes les questions qui me sont adressées ; il faudrait entrer dans l'examen de toutes les questions qui peuvent se présenter dans le cours d'une année, faire un cours complet de théorie gouvernementale ; mais je le répète, le ministère est d'accord sur toutes les questions que la chambre aura à discuter. Ainsi, accord sur le principe de la formation et sur la marche à suivre, sur les mesures à présenter ; vous avez à vous prononcer, messieurs, sur la première question ; les autres viendront en leur temps.

Nous désirons, et je répète les paroles de M. le ministre de l'intérieur, nous désirons qu'il n'y ait pas d'équivoque, que la chambre se prononce d'une manière formelle et précise et qu'elle donne enfin une solution à ce débat sans cesse renaissant ; qu'elle décide si elle veut abandonner le système suivi depuis 15 ans, le système qui, ainsi que l'a dit M. le ministre de l'intérieur, a produit de si grandes choses, le système de fusion et d'union qui se trouve écrit à chaque page dans notre Constitution. Si elle veut entrer dans une nouvelle voie, si elle veut courir la chance de théories nouvelles, et abandonner, je le répète, un système si heureusement suivi depuis quinze ans ; que la chambre le dise, et fasse cesser tout doute à cet égard.

M. Rogier. - J'aurais plusieurs observations à présenter.

Plusieurs membres. - A demain ! à demain !

M. Verhaegen. - Je crois, messieurs, que la motion d'ordre vient maintenant à cesser ; le ministère a répondu aux questions qui avaient été posées, de sorte que notre but est atteint. Seulement il s'agira, avant la discussion générale, de savoir si les réponses données par chaque ministre individuellement doivent être prises pour la réponse du cabinet.

M. Dumortier. - Je demanderai qu'on veuille bien faire imprimer l'amendement présenté par M. le ministre de l'intérieur.

M. le président. - L'amendement sera imprimé et distribué à tous les membres de la chambre.

- La séance est levée à 5 heures.