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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 24 février 1845

(Annales parlementaires de Belgique, session 1844-1845)

(page 897) (Présidence de M. Vilain XIIII)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse procède à l’appel nominal à 2 heures.

M. de Man d’Attenrode donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.

« Le sieur Chrétien Devries, pilote au long cours à Anvers, né à Carolinerziel (Hanovre) demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Le sieur Fidel-Henri Graymay, sergent-major au 4e régiment de ligne prie la chambre de statuer sur sa demande de naturalisation. »


« Les brasseurs de Tirlemont présentent des observations contre le projet de loi de la commission d’industrie qui a pour objet d’établir sur le houblon étranger un droit de 20 fr. sur les 100 kil. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion de la proposition.


« Plusieurs propriétaires et cultivateurs de Neufmaison demandent des modifications à la loi du 31 juillet 1834 sur les céréales. »

- Renvoi à la section centrale chargée de l’examen de la proposition relative aux céréales.


« Le général Lecharlier demande le payement de la solde d’attente et des arriérés depuis 1832. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Plusieurs habitants de Marckeghem demandent que des négociations soient ouvertes avec la France pour obtenir le retrait de l’amendement de Lespaul. »

« Même demande des habitants de Denterghem. »

- Renvoi à la commission d’industrie.


« Les membres du conseil communal et les habitants de Grâce-Montegnée demandent que la construction du chemin de fer d’Ans à Hasselt, par Tongres. »

(page 898) - Renvoi au ministre des travaux publics.


« Les producteurs de fonte et de fer du bassin de Charleroy demandent que la fonte et le fer soient substitués au bois pour le parachèvement de l’entrepôt d’Anvers. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur la pétition du sieur Marcellis.


« M. de Garcia, retenu chez lui par une indisposition, demande un congé. »

- Accordé.


Projet de loi qui alloue, au gouvernement, une somme de 300,000 fr., pour rétablir la circulation sur la section du chemin de fer de Louvain à Tirlemont

Discussion générale

M. Verhaegen – Je suis obligé de faire une observation sur le compte-rendu de la dernière séance par le Moniteur. A la page 891, 2e colonne, par une confusion qui a eu lieu à l’imprimerie, une partie du discours de l’honorable M. Dumortier m’est attribuée. Voici pour quel motif je n’ai pas pensé qu’un simple erratum pût suffire pour rectifier l’erreur. Il s’agissait des parcs d’huîtres d’Ostende ; je soutenais les parcs flottants ; l’honorable M. Dumortier soutenait les parcs fixes. Je lui adressai une interpellation à laquelle il répondit et continua. Le Moniteur a mis sous mon nom cette dernière partie, qui est la conclusion du discours de l’honorable membre. Plus loin vient le discours que j’ai prononcé, dans un sens contraire, de sorte que, d’après le Moniteur, j’aurais dit blanc et noir. J’ai cru qu’en pareille circonstance, un simple erratum ne suffisait pas, et que le fait devait être constaté dans le procès-verbal de cette séance.

Proposition de créer une commission d'enquête parlementaire

M. le président – M. Verhaegen a déposé la proposition qu’il avait annoncée dans la dernière séance. Elle est ainsi conçue :

« J’ai l’honneur de proposer à la chambre de nommer dans son sein une commission d’enquête chargée de rechercher les causes de l’éboulement du tunnel de Cumptich. »

M. Verhaegen – Messieurs, déjà dans la dernière séance, j’ai eu l’honneur de dire en peu de mots, quelles étaient les raisons qui m’engageaient à demander une enquête parlementaire. C’est un fait fort grave que l’éboulement du tunnel de Cumptich. Nous avons à examiner au point de vue de la responsabilité de qui de droit, quelle est la cause de l’éboulement. Certes, je ne veux pas que la chambre s’engage dans une question d’art ; au ministère la responsabilité, à la chambre le contrôle et le vote ou le refus des fonds.

Ainsi, messieurs, je ne pense pas que la chambre examinera et tranchera la question de savoir s’il faut conserver le tunnel ou lui substituer une tranchée à ciel ouvert, la chambre prendrait sur elle une responsabilité qui incombe au ministère. Ma proposition n’a pour objet que de rechercher quels sont ceux qui sont responsables de l’accident, et en même temps d’examiner si nous pouvons avoir une confiance suffisante dans l’administration des travaux publics pour lui voter les fonds qu’elle nous demande.

Comme je le disais dans une séance précédente, il est impossible que la responsabilité des ingénieurs ou des entrepreneurs, chargés du projet ou de l’exécution des 1er et 2e tunnels, ne soit pas engagée ; il faut, aux termes de la loi, que quelqu’un soit responsable. Il importe au pays, il importe aux intéressés eux-mêmes, aux ingénieurs et aux entrepreneurs qu’une enquête présentant toutes les garanties d’impartialité se fasse immédiatement.

Il y a dans le Code civil une disposition, celle de l’art. 1792, si je ne me trompe, qui dit que : « Les architectes et entrepreneurs sont responsables de leurs travaux pendant dix ans. » Et comme j’ai eu l’honneur de vous le dire, les architectes du gouvernement, pour les travaux dont il s’agit, ne sont autres que les ingénieurs. Ce sont des architectes à appointements fixes et qui ont le titre de fonctionnaires publics. Il est donc bien entendu que les ingénieurs-architectes du gouvernement, pour ces sortes de travaux, sont, avec les entrepreneurs, responsables pendant dix ans, de l’exécution de leurs travaux. La loi est tellement précise que tout prétexte est enlevé pour échapper à la responsabilité. Ainsi, le premier tunnel, dont une partie s’est écroulée, a-t-il été construit d’après les règles de l’art ? le projet a-t-il été bien conçu ? première question à examiner. Ce projet a-t-il été bien exécuté ? l’a-t-il été avec de bons matériaux ? deuxième question. Le projet du deuxième tunnel parallèle au premier, a-t-il été fait d’après les règles de l’art ? troisième question. A-t-il été exécuté comme il devait l’être ? quatrième question. C’est sur ces quatre questions que, pour l’honneur du pays, pour l’honneur des ingénieurs et des entrepreneurs, il faut une enquête.

Cette enquête, je désire qu’elle se fasse par une commission nommée dans le sein de cette assemblée ; la question est assez grave pour qu’on ne néglige aucun moyen d’arriver à la découverte de la vérité. Il est certes convenable qu’en présence d’un pareil incident, les représentants de la nation témoignent de leur sollicitude, pour les intérêts du trésor et surtout pour la vie de leurs concitoyens. Abandonner l’enquête au corps des ponts et chaussées ce serait rendre ce corps juge de sa propre cause, ce serait s’exposer à n’attendre aucun résultat. Certes il n’entre pas dans mes intentions d’attribuer aux membres de la commission l’examen d’une question d’art ; ils prendront des informations, ils s’entoureront des lumières que leur donneront des hommes instruits et impartiaux, ils écarteront de l’enquête les ingénieurs ou les entrepreneurs intéressés dans le débat, et là sera la véritable garantie.

C’est à ce point de vue et en ce sens que je demande la nomination d’une commission d’enquête. Il en a été demandé pour des objets de moindre importance que celui dont nous nous occupons.

La question qui s’agite aujourd’hui est grave sous le rapport des dangers que présentent certaines constructions pour la vie même de nos concitoyens. Il n’est réellement que trop vrai que nous avons encore, depuis quelques jours, à déplorer la mort de trois ouvriers.

Un membre – Un est mort.

M. Verhaegen – Les autres sont dans un état désespéré.

Il est temps que la chambre prouve, par des faits, qu’elle veut réellement s’occuper d’un objet auquel se rattachent les intérêts généraux du pays. Avant de voter les fonds que demande le département des travaux publics, il est essentiel que nous sachions à quoi nous en tenir quant aux travaux exécutés ; non pas, je le répète, que nous voulions entrer dans l’examen de questions d’art, car pour mon compte, je ne voterai pas sur la question de savoir si on fera une tranchée ou si l’on conservera le tunnel ; je croirais, par un vote sur ce point, ma responsabilité engagée ; cette responsabilité, je veux la laisser au ministre, à qui elle incombe. Mais je ne voterai les fonds que pour autant que j’aurai assez de garantie pour pouvoir m’en rapporter à l’administration des travaux publics sur l’emploi qu’elle en fera. Je demande donc, conformément à la proposition que j’ai déposée, que la chambre veuille bien décider qu’une commission d’enquête, choisie dans son sein, recherchera les causes de l’éboulement du tunnel de Cumptich.

M. David – Messieurs, je commencerai par avoir l’honneur de vous dire que je partage l’avis de l’honorable M. Verhaegen relativement à la nécessité d’établir l’enquête qu’il demande. J’y reviendrai à l’occasion de quelques observations que j’ai à faire relativement au rapport du directeur de l’administration du chemin de fer en exploitation, du 28 janvier 1845. Messieurs, en parcourant ce document, je trouve cette phrase au bas de la première page :

« Les travaux reconnus difficiles et dangereux (il est question des travaux que l’on pratique sous la deuxième galerie) ont été commencés avec les plus grands soins, et toutes les précautions furent prises pour que, dans aucun cas, les convois publics ne pussent être pris à l’improviste et exposés au moindre danger. »

Vous allez voir, d’après les précautions qui sont indiquées ici, suivant le rapport du directeur de l’administration des chemins de fer en exploitation, combien les convois publics ont été peu exposés au moindre danger.

J’arrive à ses observations, qui doivent prouver que de très-grandes précautions ont été prises.

« Le travail s’exécute sans interruption et de six heures en six heures. »

(Quelle précaution plus grande y a-t-il là que si les travaux s’exécutaient de huit en huit heures, ou de dix en dix heures ?)

« La direction est confiée à l’un des ingénieurs les plus expérimentés du corps, pour de semblables ouvrages. »

(Il n’y a là rien que de tout naturel ; car on ne pouvait confier un travail d’une aussi haute importance à un ingénieur inexpérimenté.)

« Il a sous ses ordres : un conducteur pour l’ensemble des travaux ; un conducteur spécial pour les maçonneries ; un surveillant pour chaque ateliers de maçons ; un surveillant pour chaque ateliers de mineurs »

(C’est simplement la nomenclature du personnel dont on ne peut pas se passer dans de telles opérations. Il n’y a pas là de précaution.)

« Avant de commencer la deuxième galerie, il a été pris des repères de largeur de 5 en 5 mètres et en cinq points différents de la hauteur. »

(Ces repères se pratiquent toujours. Est-ce donc là une précaution ?)

« Les gardes-tunnel font la visite avant et après le passage de chaque convoi. »

(Font-ils quelque chose de bien méritoire ? N’est-ce pas leur travail habituel et journalier ? Il n’y a donc pas là de précaution.)

Nous arrivons à une révélation bien pénible pour l’administration.

« L’ingénieur connaissait parfaitement le danger du passage au point où l’éboulement a eu lieu ; depuis plus d’un mois on n’y travaillait plus : on se bornait à consolider les pieds-droits de l’ancien tunnel, et à observer si le mouvement qui avait complètement cessé, ne recommençait pas. »

(Je vous le demande, lorsqu’un ingénieur connaissait parfaitement le danger, lorsqu’il craignait l’éboulement, lorsqu’on avait suspendu les travaux, devait-on laisser passer les convois dans un endroit reconnu périlleux ? Peut-on se jouer aussi effrontément de la vie de nos concitoyens ? )

« Dans sa visite du 21, le surveillant a remarqué que des déchirures se produisaient à la partie qui s’est écroulée ; il s’est empressé d’en prévenir l’ingénieur et a défendu le passage du convoi.

« Environ une heure après, l’écroulement a eu lieu. »

Eh bien, voyez à quoi a tenu la vie de tant de personnes, d’un convoi tout entier. La visite faite un peu plus tôt, un peu plus tard, pouvait amener le passage du convoi au moment de l’éboulement. La catastrophe de Meudon n’eût été que l’ombre de celle de notre malheureux tunnel de Cumptich.

Il ne fallait, messieurs, que le plus léger accident survenu à ce surveillant, un mal de tête, un moment d’ivresse, un moment d’oubli pour compromettre la vie de centaine d’individus.

Voilà, messieurs, ce luxe de précautions au moyen desquelles la vie de citoyens devait être mise à l’abri sous le tunnel de Tirlemont. Mais, messieurs, dans toutes ces précautions, il n’y a pas un véritable travail d’ingénieur ; je n’y vois rien au fond.

Les véritables précautions sont indiquées par l’administration elle-même. A la suite de son mémoire, et nous allons y arriver, le directeur des (page 899) chemins de fer propose à M. le ministre quatre véritables précautions, mais malheureusement des précautions tardives.

Je passe les trois premières de ces précautions et j’arrive à la quatrième. Elle consiste en ceci : c’est « de continuer ensuite le voûtement sur tout le développement de la galerie, par parties de 80 cent. à 1 mètre, en marchant parallèlement à la face et en commençant par les pieds-droits. »

Ici, messieurs, je vous avoue que les idées sont bouleversées en voyant la révélation qui est faite à la seconde page du rapport de M. le directeur du chemin de fer. Voici ce que j’y lis :

« Les parties entièrement achevées comprennent une longueur de 300 mètres.

« La maçonnerie des anciens pieds-droits consolidés par les maçonneries du deuxième tunnel, ne laissent rien à désirer.

« Au-delà de ces parties (c’est-à-dire au-delà des 300 mètres,), les voûtes sont faites sur une longueur de 670 mètres. »

Messieurs, peut-on croire ce qu’on lit, lorsqu’on se représente que M. le directeur des chemins de fer vient demander à M. le ministre d’employer les véritables précautions, de ne faire le voûtement que par parties de 0m80 à 1m00, en commençant aussi par les pieds-droits, tandis qu’ici on a procédé par un travail de 670 mètres sans un seul pied-droit ? Mais évidemment, messieurs, on doit se dire que la non-construction des pieds-droits devait amener l’éboulement qui a eu lieu, et quand on recherche la véritable cause de cet éboulement, on doit reconnaître qu’il est dû au relâchement latéral des 670 mètres qui ont été construits sans pieds-droits. Je demande à M. le ministre des travaux publics de vouloir bien nous dire si une pareille monstruosité a été commise ; car je ne puis me dispenser d’employer ce mot : lorsque l’on voit que l’on demande au ministre de procéder par 80 centimètres à 1 mètre et qu’on l’on en a fait 670 sans pieds-droits, messieurs, en vérité on tombe des nues, et on se demande comment le malheur n’est pas arrivé plus tôt et comment il n’a pas été plus complet.

Messieurs, je pense que si, de ce chef, l’administration est coupable d’avoir laissé procéder d’une semblable manière, elle mérite un blâme extrêmement sévère. J’ai presque de la peine à croire que la chose puisse être.

Messieurs, je ne sais jusqu’à quel point elle sera exécutable. Moi, je voudrais une enquête qui ne fût pas seulement administrative, mais qui fût encore judiciaire. Je voudrais que les ingénieurs, les entrepreneurs d’aujourd’hui fussent interrogés, qu’ils fussent appelés à déposer sous la foi du serment sur les questions qui leur seraient posées relativement au malheur que nous avons à déplorer.

Messieurs, on a institué des enquêtes judiciaires pour des cas moins graves que celui dont nous nous occupons en ce moment. Ici la vie d’un grand nombre de citoyens a été en danger. Nous avons des malheurs à déplorer : un homme a perdu la vie dans l’éboulement du tunnel. Nous avons eu à déplorer, il y a trois jours, un autre malheur qui n’est que la conséquence de l’éboulement du tunnel : quatre ou cinq personnes ont été mortellement blessées ; l’une d’elle a été mutilée à tel point qu’on désespère de lui conserver la vie. Des malheurs bien plus grands auraient pu arriver. J’ai donc le droit de dire qu’on a fait des enquêtes sur des événements bien moins graves que celui dont il s’agit.

Je demanderai à M. le ministre d’abord de bien vouloir me répondre sur les 670 m. construits sans pieds-droits, ensuite de bien vouloir me dire s’il consent à l’institution de cette enquête dont je viens de parler, s’il consent à la rendre judiciaire, en tant, toutefois, que la chose puisse se faire.

Messieurs, nous ne pouvons attacher assez de prix à connaître à fond ce qui s’est passé relativement à l’éboulement du tunnel de Cumptich. Le premier devoir des représentants de la nation est de donner toute leur sollicitude à un objet de cette importance.

Quant à la question d’une tranchée à ciel ouvert, quant à la direction à donner à la voie, je ne m’en occuperai pas en ce moment, j’attendrai ce qui sera dit à cette tribune ; j’attendrai les lumières qui seront répandues sur la question et qui pourront ensuite déterminer mon vote.

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – L’honorable M. Verhaegen et, après lui, l’honorable M. David, ont examiné surtout la question des causes de l’accident qui a eu lieu. Messieurs, nous ne pourrons connaître exactement ces causes que lorsque le tunnel sera complètement déblayé. Ce déblai est très-avancé, mais il ne l’est pas assez pour qu’on puisse apprécier exactement à l’heure qu’il est les causes positives de l’éboulement. Comme il est de l’intérêt du gouvernement, de l’intérêt des ingénieurs eux-mêmes que soit fait une enquête sévère, j’ai ordonné cette enquête, que j’aurai soin de dirige moi-même, en m’entourant des lumières de ceux-là seuls qui soient compétents en pareille matière, ceux qui seuls peuvent apprécier quelles peuvent être les causes de l’accident, c’est-à-dire les hommes de l’art. Au conseil des ponts et chaussées, j’ai adjoint les ingénieurs qui ont spécialement dirigé les travaux des tunnels en Belgique, les ingénieurs Groetaers et Delehaye. Ce conseil d’enquête est appelé à entendre, dans leurs observations, les constructeurs et ceux qui ont dirigé les travaux et du premier et du second tunnels.

Messieurs, je ne puis croire que la chambre accueille la proposition faite par l’honorable M. Verhaegen, d’instituer une enquête parlementaire pour décider non-seulement une question administrative, mais une question d’art. L’honorable M. Verhaegen reconnaît lui-même que les membres de la chambre qui dirigeraient cette enquête seraient dans l’impossibilité d’apprécier les véritables causes de l’accident, parce que ces causes ne peuvent être appréciées que par les ingénieurs, que par les hommes spéciaux. Ainsi, par exemple, on devrait examiner si les conditions de bonne construction ont été rigoureusement accomplies, soit pour le premier tunnel soit pour le second. M. David vient de soulever une de ces questions d’art ; il a demandé pourquoi, dans la construction du deuxième tunnel, on avait procédé à un travail en mine, pourquoi l’on avait d’abord établi une voûte qui n’était appuyée que sur le sol et non pas sur des pieds-droits, au lieu de suivre le deuxième mode qui est employé pour les constructions difficiles, c’est-à-dire de marcher parallèlement à la face, avançant par petites parties de 80 centimètres, en commençant par les pieds-droits. Ce deuxième mode a été employé par l’ingénieur Brunet dans la construction du tunnel de Londres. Mais tous les tunnels belges, qui sont parfaitement construits, ont été exécutés d’après le mode que M. David déclare aujourd’hui monstrueux.

Comment voulez-vous, messieurs, que des membres de la chambre se prononcent entre ces deux modes de construction ? Comment voulez-vous que des membres de la chambre puissent décider des questions de ce genre, des questions sur lesquelles les ingénieurs sont divisés ? Tel mode a été préféré en Angleterre ; tel autre mode a été préféré en France et en Belgique ; les membres de la chambre sont complètement incompétents pour résoudre de pareilles questions.

L’honorable M. Verhaegen a dit que les membres de la commission d’enquête interrogeront les hommes de l’art ; mais c’est précisément la commission que j’ai instituée. (Interruption.) Les membres du conseil d’enquête n’ont aucune responsabilité du chef de la construction du tunnel éboulé.

Vous reconnaissez que les membres de la chambre devront s’adresser aux hommes de l’art, seront obligés de recourir à des ingénieurs civils, à des ingénieurs militaires, que sais-je ? En défiance des hommes capables, des hommes dont l’expérience est faite par la part qu’ils ont prise à la construction des divers tunnels du pays, vous vous adresserez à des hommes capables sans doute, mais d’une expérience moins sûre…

M. David – Ils sont juge et partie.

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Je viens de démontrer qu’ils ne sont pas juge et partie, puisqu’ils n’ont aucune responsabilité à encourir du chef de la construction du tunnel éboulé.

M. Rodenbach – L’esprit de corps.

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – L’honorable M. Verhaegen a rappelé un malheur récent que nous avons eu à déplorer dans le service provisoire que l’administration a dû faire effectuer pour le transport des marchandises. L’administration a dû se hâter de rétablir la circulation ; elle a fait tous ses efforts pour que le travail fût terminé en peu de temps ; c’est ce qui a eu lieu ; mais cette exploitation d’un chemin où la pente est de 3 centimètres par mètre, c’est-à-dire double de celle du plan incliné de Liège, cette exploitation est excessivement périlleuse, tout le monde le reconnaît. Or, ce que demande M. Verhaegen pourrait précisément amener le renouvellement des malheurs qui sont déjà résultés de cette exploitation exceptionnelle. En effet, messieurs, l’honorable M. Verhaegen demande une enquête faite par la chambre préalablement à la décision à prendre, c’est-à-dire qu’il veut une prolongation du service provisoire pendant le temps indéterminé de cette enquête. Eh bien c’est là une contradiction avec les plaintes que l’honorable membre a élevées relativement au malheur dont il vous a entretenus.

Pour moi, messieurs, je suis convaincu qu’il faut une enquête faite sous la responsabilité du gouvernement et dirigée par des hommes d’expérience.

Messieurs, la cause peut être double : les uns soutiennent que l’éboulement a eu lieu à cause d’un vice de construction dans le premier tunnel, les autres soutiennent que c’est à cause de la construction de la nouvelle galerie souterraine . Eh bien, le conseil d’enquête interrogera contradictoirement et l’ingénieur Stevens, qui a dirigé les travaux du premier tunnel, et l’ingénieur Menu, qui a dirigé les travaux du second.

Je pourrais déjà faire comprendre dès maintenant combien il sera difficile, en définitive, de savoir quelle est la cause véritable de l’éboulement ; ou plutôt, je pourrais déjà indiquer dès maintenant, comme une conjecture assez fondée, que cette cause est en dehors de la faute des hommes…

M. Rogier – Vous avez parlé vous-même de mauvais matériaux.

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Ainsi, d’après les uns, la cause de l’éboulement serait la mauvaise construction du premier tunnel. Mais si la cause était dans la mauvaise construction du premier tunnel, comment se fait-il que les soufflures, que les mouvements, assez légers à la vérité, qui ont été remarqués au tunnel que les rempiétements des pieds-droits qu’on a dû opérer, que la rupture de la voûte, comme se fait-il que tout cela a eu lieu du côté des pieds-droits qui séparent l’ancien tunnel nouveau, tandis que le pied-droit de l’autre côté, construit de la même manière, avec les mêmes matériaux, n’a presque pas souffert ?

Ce fait seul pourrait prouver jusqu’à un certain point que la cause de l’éboulement n’est ni dans la première construction, ni dans la mauvaise qualité des matériaux.

L’honorable M. Rogier a cru que dans le rapport du directeur des chemins de fer, la mauvaise qualité des matériaux était indiquée comme la cause de l’accident.

C’est une erreur. Le directeur des chemins de fer indique comme une des causes de l’éboulement la disjonction entre les deux rouleaux de maçonnerie, due à la pression des terres.

M. Rogier – Le rapport porte : « Par la pression des terres, ces rouleaux se sont séparés, et en sondant les murs, j’ai trouvé dans un grand nombre d’endroits que le mortier entre ces deux rouleaux était entièrement décomposé et tellement liquide que, (page 900) loin de présenter la moindre adhérence, il ne pouvait que contribuer à détruire les maçonneries.

« C’est la pression du terrain contre cette maçonnerie non reliée qui a produit l’écroulement. »

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Précisément. Mais il n’indique pas la cause de la liquéfaction du mortier.

La cause qu’il indique c’est la disjonction des rouleaux de maçonnerie par la pression des terres. Cette disjonction a peut-être produit la liquéfaction du mortier. Mais il ne l’attribue pas à la mauvaise qualité du mortier. Au contraire, il dit : « La maçonnerie des anciens pieds-droits consolidés par les maçonneries du 2e tunnel, ne laissent rien à désirer. »

Lui-même m’a déclaré ce matin qu’il n’était nullement entré dans sa pensée d’attribuer la rupture de la voûte à la qualité des matériaux.

Mais je puis indiquer un autre motif. Si la construction du premier tunnel avait été défectueuse, comment le conseil des ponts et chaussées, composé d’hommes d’expérience et de talent, aurait-il faut subir à ce tunnel une éprouve héroïque par la construction d’un tunnel latéral ? Certainement le conseil, en prenant cette détermination, a dû croire que le premier tunnel était construit de bons matériaux, qu’il remplissait les conditions d’une construction ordinaire.

D’autre part, voudrait-on attribuer l’accident à la construction du nouveau tunnel ? Là encore bien des objections sérieuses se présentent et vous serez assiégés par le doute. En effet, on a procédé à la construction du nouveau tunnel avec une extrême circonspection, avec une extrême prudence. Ainsi, après que l’on eut construit 70 mètres du nouveau tunnel, on s’est arrêté, une enquête a eu lieu ; un rapport a été fait au ministre. Ce n’est qu’après qu’on s’est assuré que cette construction, faite dans la plus mauvaise partie du terrain, n’avait amené aucun mouvement appréciable dans le premier, qu’on s’est décidé à poursuivre la construction commencée.

On était parvenu, en voûte, jusqu’à 670 mètres sans qu’aucun indice eût annoncé la présence de quelque danger. Le tassement qui s’est opéré dans le deuxième tunnel, n’a que de 4 à 5 centimètres ; or, on avait pris la précaution de laisser entre les deux tunnels un espace plus considérable pour permettre à ce tassement de s’effectuer.

Il n’est donc pas présumable que c’est la pression du deuxième tunnel qui a amené la rupture de la voûte.

De l’avis de tous les hommes compétents, ce qui est le plus probable, quoiqu’on n’ait que des conjectures à former, c’est que lors de la construction du premier tunnel plusieurs éboulements ayant eu lieu, ces éboulements ont dû produire certaines excavations. La pression des terres supérieures sur la voûte du nouveau tunnel appuyée sur le sol, aura refoulé les terres dans ces excavations, et déterminé la rupture de la voûté. Voilà ce qui est le plus probable.

Cette cause est en dehors du fait des hommes. Personne ne pouvait le prévoir.

J’ajouterai une réflexion relative à la construction du premier tunnel. On cherche ici des coupables, des hommes responsables de l’accident. Si la cause de l’accident est la construction vicieuse du premier tunnel, ce qui est loin d’être démontré, il faudrait présumer que ce tunnel a été construit avec trop de précipitation. Eh bien, messieurs, pour être juste, la chambre elle-même devrait prendre sa part de responsabilité, et elle-même pourrait être accusée. (Interruption.)

On semble avoir perdu de vue ce qui s’est passé à cette époque ; ce qu’on voulait avant tout, c’était la prompte exécution des travaux. Il ne se passait pas de discussion de budget où l’on incriminât le gouvernement pour la lenteur apportée aux travaux. Ainsi, par rapport au tunnel de Cumptich, précisément au moment où le souterrain était en cours d’exécution, la chambre a été jusqu’à faire insérer dans l’adresse en réponse au discours du Trône un blâme formel au sujet de la lenteur de l’exécution des travaux, qui retardait la jonction si désirée de l’Escaut et du Rhin.

M. David – C’était le chemin de la vallée de la Vesdre qu’on demandait..

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) - C’était en 1836 quand on construisait le tunnel qu’on insérait ce blâme dans l’adresse.

L’honorable M. Verhaegen vous a dit tout à l’heure qu’il ne voulait pas prendre la responsabilité de décider la question de savoir si l’on substituerait au double tunnel une tranchée à ciel ouvert ; que c’était là une question administrative, dont la responsabilité devait être laissée au gouvernement. Mon intention n’a pas été de faire peser sur la chambre la responsabilité qui m’incombait.

Mais, messieurs, quels sont les faits ? Pour faire le travail en tranchée ouverte, le gouvernement a besoin d’un crédit extraordinaire. Si les sommes disponibles des anciens crédits avaient suffi pour construire le travail nouveau, le gouvernement n’aurait pas dû recourir à l’intervention de la législature. Le gouvernement aurait eu le droit de prendre la décision qu’il aurait cru convenable et d’ouvrir une tranchée à ciel ouvert si c’était le parti qu’il choisissait.

Ainsi, messieurs, c’est parce que je n’ai plus trouvé de sommes disponibles dans les crédits que je me suis trouvé dans la nécessité de proposer à la chambre une allocation extraordinaire pour l’exécution du travail que je crois préférable.

Il est certain, messieurs, que pour cela même, je laisse jusqu’à un certain point la chambre juge de l’utilité du travail qu’il y aura à exécuter. C’est ce qui arrive pour toutes les questions de ce genre. Ainsi je vous propose au budget d’allouer une somme pour rendre le Ruppel navigable. Nécessairement, la chambre, en votant les fonds, juge de même de l’utilité du travail que je lui propose. Si elle rejette les fonds, elle déclare qu’elle n’admet pas le projet du gouvernement. Je le répète, il en est de même de toutes les questions de ce genre que le gouvernement soumet à la chambre à propos de fonds à allouer.

Quelle est donc la question qu’il s’agit d’examiner et que l’honorable M. Rogier, dans une séance précédente, a abordée ? La question, la voici : faut-il substituer au double tunnel une tranchée à ciel ouvert ?

Messieurs, lorsque l’accident a eu lieu, quel était le résultat qu’il fallait atteindre ? Il fallait d’abord rétablir la confiance qui avait été plus ou moins ébranlée. Il fallait, d’un autre côté, faire cesser l’interruption sur la grande voie de transit entre Anvers et Cologne. J’appelle l’attention de la chambre sur ce point.

Vous savez, messieurs, que depuis l’achèvement de notre chemin de fer, les transports entre l’Escaut et le Rhin ont pris, et prennent encore chaque jour, une plus grande extension. Ainsi, pour ne citer que quelques faits, les transports de sucres, les transports de cotons filés et quelques autres produits, dont Rotterdam est en possession, s’effectuent, maintenant, en grande partie, presque en totalité, par la voie d’Anvers. L’extension de ces transports est telle que, lorsque l’interruption a eu lieu à Cumptich, les quais d’Anvers ont été immédiatement encombrés, de telle sorte que les navires devaient rester en rade, dans l’impossibilité où ils se trouvaient de décharger leurs cargaisons.

Ces faits vous prouvent, messieurs, combien notre grande voie de transit a pris de l’importance et combien les transports se multiplient.

Si cette interruption se prolongeait, messieurs, si ces retards ne cessaient promptement, la réputation de notre chemin de fer, sa réputation de régularité, de rapidité, pourrait évidemment se perdre. Le commerce étranger se dégoûterait de la voie d’Anvers ; il reprendrait la route de Rotterdam. Et vous le savez, messieurs, lorsque des habitudes sont prises, il est difficile de les faire changer ; nous avons dû faire des efforts pour cela depuis deux ans, et ces efforts seraient en partie perdus !

Pour moi, cette considération est capitale. Elle suffirait seule pour me déterminer à préférer l’ouverture des tranchées au maintien et à la consolidation des tunnels, parce que, vous le savez, en se décidant pour le travail en tranchée, avant le 10 du mois prochain, la circulation par l’ancien tunnel pourra avoir lieu pour les marchandises, ce qui est l’objet important sur la ligne de l’Est.

S’il faut maintenir les tunnels, il sera impossible de rétablir la circulation normale avant la fin de juillet.

On a été unanime, dans le conseil des ingénieurs, à déclarer que, pour maintenir les tunnels, il fallait, à moins de s’exposer à des dangers imminents, achever complètement les deux galeries avant de permettre que la circulation fût rétablie.

Eh bien, messieurs, je dis que cinq mois de service provisoire seraient une chose déplorable ; l’idée se répandrait que la voie belge n’est pas sûre, qu’elle est sujette à de longues interruptions.

D’un autre côté, il est essentiel de rétablir la confiance parmi les voyageurs, confiance qui a été jusqu’à un certain point ébranlée, et qui le serait plus encore si la chambre ordonnait une enquête, comme si réellement quelque chose d’extraordinaire s’était passé.

Messieurs, le chemin de fer vit de l’opinion publique, vit de la confiance publique. La question est donc, avant tout, de rétablir cette confiance de la manière la plus sûre et la plus complète. Or, je le demande, cette confiance serait-elle plus tôt et mieux rétablie en donnant la préférence au maintien et à l’achèvement des tunnels plutôt qu’à une tranchée à ciel ouvert ? Pour moi, la réponse à cette question ne me paraît pas douteuse. Il est certain que l’on accordera plus de confiance au passage à ciel ouvert.

Sans doute, messieurs, on pourrait consolider les tunnels, les achever et rester, comme dit le conseil des ponts et chaussées, dans les conditions ordinaires de sécurité pour les ouvrages de ce genre. Je le crois, aussi je n’aurais pas hésité à me décider en faveur du maintien des tunnels, si le travail en tranchée eût rencontré des obstacles, des inconvénients, soit par la nature du terrain, soit par les pentes que l’on aurait dû adopter, soit par quelque autre cause. Mais, puisqu’il est démontré que le passage à ciel ouvert peut se faire avec une tranchée dont la hauteur n’excédera pas 16 mètres, au moyen de pentes de 3 ou 4 millimètres par mètre, c’est-à-dire, les pentes ordinaires du chemin ; s’il est démontré que la dépense en plus, pour exécuter ce travail, ne s’élèvera pas au-delà de 250 à 300,000 fr. y a-t-il lieu à hésiter un seul instant ? Si en 1835 on avait connu le terrain, comme nous le connaissons maintenant, on aurait bien certainement donné la préférence à une tranchée à ciel ouvert.

Je me demande pourquoi, dans l’état actuel des choses, on donnerait la préférence au maintien des tunnels. Evidemment, l’on n’a recours à la construction de tunnels, que lorsqu’il est impossible de se passer de cet ouvrage d’art. Quand on trouve un terrain ferme et solide, on donne toujours la préférence à un passage à ciel ouvert, car le passage à travers les galeries souterraines entraîne toujours certains inconvénients.

Ainsi, il faut des garde-tunnels, des signaux spéciaux ; il faut un ralentissement dans la marche des convois. Evidemment, pour donner la préférence au maintien du tunnel, il faudrait que des dangers existassent dans le percement d’un passage à ciel ouvert. Mais le terrain nous est aujourd’hui connu, nous savons que le sol est solide, et nous n’avons à craindre aucun des inconvénients que peuvent présenter les grandes tranchées…

(page 901) M. David – M. le ministre des travaux publics, nous n’avons fait aucune opposition à votre proposition.

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Je réponds à l’honorable M. Rogier…

M. Rogier – J’ai dit qu’il fallait examiner la question.

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Je ferai une autre observation. L’honorable M. Rogier a dit, et cette idée a paru faire une certaine impression sur la chambre, « que, par sa proposition, le gouvernement semblait condamner les tunnels en général. Or, c’est là céder à des craintes momentanées, à des craintes chimériques, et le gouvernement ne doit pas se laisser aller à de pareilles craintes. »

Mais, messieurs, en renonçant au maintien du souterrain de Cumptich, on ne condamne nullement les souterrains en général.

Il ne faut pas oublier que le souterrain de Cumptich se trouve dans une condition toute spéciale.

D’abord, il est dans une condition spéciale, par cela même qu’un accident y a eu lieu, accident dont vous ne pourrez pas faire disparaître le souvenir. Pareil accident n’a pas eu lieu dans les autres galeries souterraines. Cette circonstance spéciale place le souterrain de Cumptich dans une tout autre position que les autres souterrains de la Belgique.

En second lieu, le souterrain de Cumptich est le plus long de nos tunnels ; il a près de neuf cent mètres de longueur. Le souterrain le plus long, après celui de Cumptich, est le souterrain d’Alinsart dans la Vesdre. Ce souterrain est construit à double voie sur une dimension beaucoup plus considérable. Si le souterrain de Cumptich est le plus long de nos tunnels, il est aussi celui qui est construit dans les dimensions les plus étroites.

Il faut reconnaître aussi que les pieds-droits du souterrain de Cumptich ont une épaisseur moins grande ; les pieds-droits n’y ont que 46 centimètres, tandis que partout ailleurs ils ont un mètre au moins.

Une autre raison qui place le souterrain de Cumptich dans une position différente de celle des autres tunnels de la Belgique, c’est qu’il y a un tunnel latéral construit sur une échelle plus considérable. Si quelque chose doit être condamné par la décision qui serait prise, c’est la construction non simultanée des souterrains accolés. Je crois qu’effectivement ce mode de construction sera désormais abandonné. Mais par cette décision on ne condamnerait pas les autres voies souterraines qui offrent toutes les conditions de sécurité désirables.

Il ne faut pas oublier qu’à l’étranger notre chemin de fer est surtout remarquable par la bonne construction, la solidité de nos ouvrages d’art. Je pourrais citer de nombreux témoignages d’ingénieurs étrangers qui reconnaissent que nos ouvrages d’art ne le cèdent en rien aux ouvrages du même genre exécutés en Angleterre, et l’emportent sur les ouvrages d’art construits en France ; que les ouvrages d’art aux Etats-Unis ne peuvent soutenir aucun parallèle avec les nôtres.

Ce témoignage, je le trouve consigné dan un mémoire publié par la commission de statistique, et il est confirmé par plusieurs écrivains étrangers.

J’ajouterai encore un mot. L’honorable M. Rogier a semblé demander comment il se fait que le corps des ingénieurs, le corps des inspecteurs, ayant reconnu que le maintien et l’achèvement des tunnels pouvaient se faire, sans offrir d’autres dangers que ceux qui existent ailleurs, le gouvernement ait pris une décision contraire, en présence d’une telle affirmation.

Messieurs, j’ai besoin de signaler ici un fait. Lorsque j’ai présidé le conseil des inspecteurs, l’initiative de la proposition, tendant à substituer au maintien des tunnels un travail à tranchée ouverte, a été prise par un des hauts fonctionnaires du conseil lui-même, par un fonctionnaire dans l’expérience duquel j’ai toute confiance. Vous comprenez que lorsqu’un homme de cette valeur prend l’initiative d’une semblable proposition, je n’aurais pas pu prendre sur moi la responsabilité de décider le contraire.

Je dirai un dernier mot. J’ai expliqué tout à l’heure que je n’avais pas voulu faire porter sur la chambre une responsabilité qui m’appartenait ; qu’à cause de l’insuffisance des fonds, j’avais été amené à demander à la chambre l’allocation d’un crédit extraordinaire, et que par là la chambre se trouvait forcément saisie de la question.

Cependant, si la chambre voulait modifier la rédaction,, de manière à me laisser plus de responsabilité encore, je serais loin de m’y opposer : je n’ai jamais eu l’intention de vouloir partager avec la chambre une responsabilité qui, je le reconnais, doit incomber à moi seul toute entière.

Je bornerai là mes observations.

M. Delfosse – J’appuie de toutes mes forces la proposition de l’honorable M. Verhaegen, je ne vais pas jusqu’à demander, comme l’honorable membre, que l’enquête soit préalable au vote des fonds, je reconnais qu’il y a urgence de voter des fonds, je demande seulement que le vote sur la proposition d’enquête soit préalable au vote des fonds.

Messieurs, l’éboulement du tunnel de Cumptich est un événement très-grave ; il ne s’agit pas seulement d’une perte d’argent, il s’agit de la vie de nos concitoyens, il s’agit de notre vie à nous qui est compromise, et qu’un hasard providentiel a sauvée.

Les défiances, les craintes du pays sont profondes ; elles sont légitimes. Il faut, pour le calmer, pour le rassurer, une enquête, une enquête sévère.

Cette enquête, ce n’est pas l’administration des ponts et chaussées qui peut, qui doit la faire. Cette administration est en cause, elle est suspecte, n’est-ce pas elle qui a fourni les plans des deux tunnels de Cumptich ? N’est-ce pas sous sa surveillance que les travaux on été exécutés ? N’est-ce pas elle qui affirmait, il y a quelques mois, que le premier tunnel de Cumptich présentait toutes les garanties désirables de solidité, qu’il n’y avait pas le moindre danger, d’y passer ? n’est-ce pas elle qui nous inspirait alors une sécurité qui a failli nous devenir fatale ?

Il y a, je le sais, dans l’administration des ponts et chaussées, des ingénieurs de mérite et de talent qui sont étrangers, qui n’ont pris aucun part aux faits sur lesquels l’enquête doit porter. Mais sauront-ils s’ils sont chargés de l’enquête, se dégager tout à fait de l’esprit de corps ? ne seront-ils pas préoccupés de la crainte de se faire des ennemis puissants, de compromettre en montrant trop de franchise, une position acquise par de longs et d’honorables travaux ? Et alors même qu’ils auraient le courage de dire toute la vérité, le public, dont l’opinion doit ici compter pour quelque chose, ajouterait-il une foi entière à leurs paroles.

Je suis convaincu que M. le ministre des travaux publics désire comme nous que la vérité soit connue, que les coupables, s’il y en a, soient recherchés et punis ; mais les rapports fréquents qu’il doit avoir avec l’administration des ponts et chaussées, le mettraient dans la position la plus fausse, dans une position qui ne serait pas tenable, s’il devait nommer lui-même une commission d’enquête en dehors de cette administration ? Ne vient-il pas d’ailleurs de prouver qu’il est sous l’influence du corps des ingénieurs, en prenant ouvertement parti pour eux, en soutenant que l’éboulement du tunnel de Cumptich est un effet sans cause ? Que dis-je, un effet sans cause ! M. le ministre des travaux publics a été jusqu’à prétendre, langage inouï dans la bouche d’un ministre ! que la chambre serait seule responsable de l’événement, et pourquoi ? Parce qu’elle aurait déposé, dans une adresse au Roi, quelques plaintes sur la lenteur des travaux.

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Je n’ai pas dit cela.

M. Delfosse – Vous l’avez dit ; j’en appelle aux souvenirs de la chambre. La partialité du langage de M. le ministre des travaux publics suffirait à elle seule pour faire sentir à la chambre la nécessité d’une enquête parlementaire.

Une commission d’enquête nommée par la chambre, prise dans le sein de la chambre, peut seule avoir l’indépendance, l’autorité nécessaires pour apaiser les inquiétudes répandues dans le pays. Cette commission, que M. le ministre des travaux publics proclame incompétente, il paraît que M. le ministre des travaux publics n’a pas une grande confiance dans la chambre, cette commission s’entourera de toutes les lumières qu’elle jugera propres à la manifestation de la vérité. Jamais la nécessité d’une enquête ne fût mieux constatée, jamais elle ne fut plus impérieuse. Il n’y a pas ici de question de parti, il y a, comme je le disais tantôt, une question de finances et une question d’humanité. Il y va de l’avenir de notre chemin de fer, dont les recettes seraient perdues, si les craintes du public n’étaient pas entièrement dissipées. Il y va de la sécurité générale, il y va de notre vie, qui serait continuellement exposée, si on ne faisait pas un exemple sévère, si on laissait dans l’administration ceux dont la cupidité, l’incapacité ou la négligence aurait contribué au triste événement de Cumptich. La chambre a une haute mission à accomplir, j’espère qu’elle l’accomplira.

M. Lys – Personne ne peut douter que dans la circonstance dont il s’agit, il y a eu des fautes commises ; il est impossible qu’on ne puisse attribuer l’accident à personne. De là résulte la nécessité d’une enquête. Je reconnais qu’il y a beaucoup de talent dans les personnes qui font partie du corps du génie civil. Mais ici, il s’agit de rechercher les causes de l’éboulement du tunnel de Cumptich. Il est certain que des ingénieurs ont travaillé au plan et à la rédaction des conditions du cahier des charges du tunnel de Cumptich. M. le ministre des travaux publics, tout à l’heure, en plaidant la cause des ingénieurs, a, pour ainsi dire, dressé un acte d’accusation contre eux. En effet, nous lisons dans le rapport de l’inspecteur-général des ponts et chaussées le passage suivant :

« En général, lorsque la profondeur du déblai atteint 20 mètres, il devient indifférent, sous le rapport de la dépense, d’établir un tunnel ou une tranchée. C’est la qualité du sol qui seule détermine alors le choix à faire entre ces deux modes de traverser la crête que l’on a à franchir. »

Vous voyez que la dépense est la même quand il y a 20 mètres de déblai. S’il n’y avait que 20 mètres de déblai, il fallait choisir, pour la sécurité des personnes, la tranchée à ciel ouvert. Mais, d’après le rapport que nous a lu M. le ministre, ce n’est plus 20 mètres de déblai qu’on avait, en faisant un circuit de 50 mètres, on n’avait plus que 15 mètres à déblayer. Ainsi vous le voyez, il y a là une faute très-grave de la part des ingénieurs qui ont fait construire le tunnel, puisqu’en faisant un circuit de 50 mètres, ils pouvaient avoir un déblai de 15 mètres, tandis que dans l’endroit qu’ils ont choisi pour le passage de la route, il y avait un déblai de 20 mètres. C’est là une véritable accusation que M. le ministre fait peser sur le corps du génie civil.

Il y a eu donc une première faute commise en construisant le premier tunnel, puisqu’on reconnaît aujourd’hui qu’on pouvait faire un passage à ciel ouvert. On a fait dépenser inutilement à l’Etat de 1,500,000 francs à 2,000,000. C’est une chose très-grave.

Une seconde faute a été de construire un deuxième tunnel à côté du premier, c’est encore une fois le corps du génie qui a ordonné cette construction. Il s’agit d’examiner si ce n’est pas là la cause de la chute du premier tunnel. Vous ne pouvez pas charger le corps du génie de constater ce fait. Dans le génie civil, comme dans tout autre corps, comme dans toute administration, il y a un esprit de corps. Il ne faut jamais mettre personne entre son intérêt et son devoir.

On nous a dit : Les membres de la chambre n’ont pas les connaissances nécessaires pour apprécier l’état des choses. Mais rien n’empêche qu’ils se (page 902) fassent assister de personnes connaissant la partie. Nous avons des ingénieurs civils et militaires aux lumières desquels on peut faire appel.

La chambre entendra les membres du corps de ponts et chaussées. Mon honorable collègue et ami, M. David, vous a démontré les fautes qui ont été réellement commises ; vous ne pouvez pas en doutez quand vous lisez dans le rapport du directeur de l’administration des chemins de fer en exploitation ce passage :

« Les travaux reconnus difficile et dangereux ont été commencés avec les plus grands soins et toutes les précautions furent prises pour que, dans aucun cas, les convois publics ne pussent être pris à l’improviste et exposés au moindre danger. »

On reconnaissait déjà donc que les travaux étaient difficiles et dangereux ; cependant, on les a commencés à côté du premier tunnel. Comment se fait-il donc, si ces travaux étaient reconnus difficiles et dangereux, que, de l’aveu du directeur, on ait construit une longueur de souterrain de 670 mètres, sans veiller aux pieds-droits ? car, de l’aveu de M. le ministre des travaux publics, il en est ainsi. Pour moi, j’ai même encore peine à le croire.

C’est ce même directeur qui aujourd’hui vient nous dire qu’à l’avenir il faudra continuer le voûtement sur tout le développement de la galerie par parties de 80 c. à 1 mètre, en marchant parallèlement à la face et en commençant par les pieds droits.

Pourquoi ne faisait-on pas cela dans le commencement ? Ce sont des ingénieurs qui ont toujours été chargés de ces travaux. Il me semble que, puisqu’ils reconnaissaient que le travail était difficile, dangereux, ils devaient faire ce qu’il proposent de faire aujourd’hui.

Remarquez quelle était l’imminence du danger :

« L’ingénieur connaissait parfaitement le danger du passage au point où l’éboulement a eu lieu ; depuis plus d’un mois on n’y travaillait plus : on se bornait à consolider les pieds-droits de l’ancien tunnel, et à observer si le mouvement qui avait complètement cessé ne recommençait pas. »

Et pendant tout le mois où l’on reconnaissait cet imminent danger, sept ou huit fois par jour, on a laissé passer les convois du chemin de fer. Voyons ensuite :

« Dans sa visite du 21, le surveillant a remarqué que des déchirures se produisaient à la partie qui s’est écroulée ; il s’est empressé d’en prévenir l’ingénieur et a défendu le passage du convoi.

« Environ une heure après, l’écroulement a eu lieu. »

Voilà la grande précaution. L’éboulement a été si prompt qu’un malheureux ouvrier n’a pas eu le temps de se sauver.

Vous conviendrez donc que l’enquête qui est demandée et que j’appuie de toutes mes forces ne peut pas être faite par le corps des ponts et chaussées ; elle doit être faite sous la surveillance de la chambre. Cette enquête, d’ailleurs, n’apportera aucun retard à la réparation de l’accident, personne ne se refusant à accorder les fonds nécessaires pour les travaux à faire. C’est au gouvernement à juger ce qu’il convient de faire. Ce n’est pas à nous à discuter cela. Tout à l’heure on ne nous reconnaissait pas la capacité nécessaire pour rechercher les causes de l’accident ; nous sommes bien moins aptes à décider comment on doit le réparer. Nous n’avons, sous ce rapport, qu’à accorder les fonds. C’est au gouvernement à les employer sous sa responsabilité.

On a dit que si la chambre ordonnait une enquête, cela discréditerait notre chemin de fer. Je pense, au contraire, que les étrangers verront en cela une preuve des soins que la chambre apporte à la sûreté du chemin de fer et qu’au lieu d’ôter la confiance cette mesure la consolidera.

Je ne suis pas d’accord avec l’honorable M. Verhaegen sur la responsabilité qui incombe aux ingénieurs. Je le considère comme des fonctionnaires publics, non comme des architectes. Il n’y a pour eux d’autre responsabilité que celle qui résulte de leurs fonctions. Celui qui se trouverait compromis perdrait ses fonctions.

(page 905) M. de Theux – Si je pensais, comme quelques honorables membres, qu’une enquête parlementaire dût établir la vérité des faits, constater quelque culpabilité, certes, je serai le premier à voter pour cette enquête ; mais je ne pense pas qu’une enquête en cette circonstance aurait les résultats qu’on en attend. Je suis persuadé que nous n’apprendrons rien de plus par l’enquête parlementaire que par celle que M. le ministre a ordonnée. Seulement, je désirerais que la commission entendît, non-seulement les ingénieurs qui ont ordonné et dirigé les travaux, mais aussi les entrepreneurs des travaux eux-mêmes. Je crois que l’enquête parlementaire, dans cette circonstance, ferait perdre un temps précieux, d’abord aux membres de la chambre, chargés de la diriger, ensuite à l’administration et même pour les travaux.

Il y a des travaux urgents à faire au tunnel pour rétablir la circulation des marchandises. On se plaint déjà du retard : si les membres de la chambre doivent être présents pour constater les faits ; s’ils doivent convoquer les ingénieurs civils et militaires, cela entraînera des lenteurs. Ils distrairont inutilement de leurs fonctions des fonctionnaires qui pourraient mieux utiliser leur temps que dans la discussion qui surgira à l’occasion de l’enquête. Cette enquête parlementaire ouvrira une très-large arène aux discussions Quand vous aurez entendu le rapport de la commission d’enquête, et les personnes qui, en dehors de la commission, écriront sur cette enquête, vous ne serez guère avancés.

Je ne pense pas qu’une enquête soit nécessaire pour rassurer le public.

Ce qui est nécessaire, c’est soit le rétablissement du tunnel, soit l’ouverture d’une tranchée, suivie d’un rapport qui constate qu’il y a désormais absence de tout danger.

L’enquête pourrait-elle avoir pour objet de voir si l’on pouvait se passer d’un tunnel en 1836 ? L’enquête ne pourrait le démontrer, parce qu’alors on croyait le tunnel le moyen le plus sûr pour ouvrir le passage vers Tirlemont. C’était alors l’opinion des ingénieurs, opinion dans laquelle s’est confirmé le conseil des ponts et chaussées, lorsqu’après avoir reconnu la situation des travaux, il a émis, en 1842, un avis favorable à l’ouverture d’un second tunnel. Alors encore l’administration des ponts et chaussées a pensé que le terrain présentait trop de difficultés pour qu’on essayât une tranchée à ciel ouvert. Sans cette circonstance, plutôt que de consacrer un million à la construction d’un second tunnel, on aurait fait une tranchée à ciel ouvert qui ne devait coûter que 800 et quelques mille francs. Le premier tunnel étant plus large, devait coûter quelque cent mille francs de plus.

Ainsi, pour la construction du tunnel, l’enquête parlementaire ne pourra rien démontrer. Car, à deux époques, en 1836 et 1842, l’administration des ponts et chaussées a été d’avis que le terrain n’offrait pas assez de garanties pour travailler à ciel ouvert. Que veut-on que la commission d’enquête constate, contrairement à cette opinion, émise à deux époques ?

On a eu l’avis des ingénieurs qui ont examiné l’état du premier tunnel avant de commencer le deuxième et le rapport de l’ingénieur qui a reçu les travaux en 1837. Il serait donc très-difficile de démontrer aujourd’hui des vices de construction dans le premier tunnel, d’autant plus qu’il n’y a eu d’affaissement que depuis les travaux du second.

S’agit-il du deuxième tunnel ? Mais les ingénieurs qui ont été chargés de diriger l’exécution de ces travaux étaient également très-capables. Prétend-on prouver une négligence coupable ? S’il en était ainsi, il n’est pas douteux que les ingénieurs qui composent la commission d’enquête nommée par le gouvernement n’hésiteraient pas à le constater. En effet, l’enquête ne sera pas dirigée par un homme ou deux ayant quelque intérêt dans cette affaire, mais par plusieurs qui n’ont pris part aux travaux, ni du premier, ni du second tunnel.

Je ne dirai rien de l’observation de M. le ministre des travaux publics sur l’empressement de la chambre à voir achever les travaux du chemin de fer. C’est en 1836 sur la proposition de M. Gendebien que ce vœu a été exprimé dans l’adresse en réponse au discours du Trône. Cela se conçoit fort bien : l’honorable membre désirait voir exécuter le plus tôt possible le chemin de fer du Hainaut. Les travaux considérables de la ligne de l’Est arrêtaient d’autres travaux. Il avait aussi été question alors de la concession d’une double ligne dans le Hainaut et dans les Flandres. Mais, à cette époque, quand la chambre demandait l’accélération des travaux, elle était loin de supposer que l’exécution du chemin de fer du Hainaut prendrait six ans, et celui de la Vesdre sept ans.

Du reste, je trouve ce vœu très-naturel ; tous les députés désiraient profiter du chemin de fer, leurs commettants le demandaient ; rien de plus simple que d’engager le gouvernement à accélérer les travaux. Cependant, l’activité des ingénieurs était aussi grande que possible avant même l’expression des désirs de la chambre.

L’accélération n’a nui en rien à la solidité. La seule conséquence a été une dépense de plus, parce qu’on n’a pas pu prendre les précautions ordinaires pour les adjudications à forfait. La chambre, pour avoir exprimé ce vœu, n’est pas responsable du défaut de solidité. D’ailleurs, le tunnel de Cumptich était adjugé depuis longtemps.

Quant à moi, je suis persuadé que l’enquête n’amènerait aucune lumière et qu’elle serait un grand embarras pour l’administration et pour ceux de nos collègues qui seraient chargés de la faire.

(page 902) M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Je suis personnellement désintéressé dans la proposition d’une enquête parlementaire, car l’enquête porterait sur des faits qui concernent moins directement mon administration que celle de mes honorables prédécesseurs, qui, du reste, ne sont nullement en cause pour des faits d’exécution en dehors, qu’il est impossible de surveiller par soi-même. Mais si je suis à certains égards désintéressé dans la proposition d’une enquête parlementaire, je remplis ici un devoir de convenance et de gouvernement. Je partage d’ailleurs l’opinion de l’honorable comte de Theux. Je crois que cette enquête serait inutile, qu’elle n’atteindrait pas d’autres résultats que l’enquête que j’ai moi-même ordonnée.

Ce serait un spectacle étrange de voir une commission composée de membres de la chambre, interroger, en juges, des ingénieurs, les hauts fonctionnaires du corps, des ingénieurs du génie civil ou militaire, sur des questions d’art ; car, comme l’a dit l’honorable M. Verhaegen, tout se réduit à des questions d’art.

J’ai déjà pris l’initiative d’adjoindre au conseil des ponts et chaussées des personnes étrangères à ce corps. Ainsi, lors de la première enquête faite sur les lieux, j’ai moi-même convoqué le président de la chambre de commerce d’Anvers, les bourgmestres de Louvain et de Tirlemont et quelques autres notabilités. Je ne me refuse donc pas à cette mesure, je prends même l’engagement de la renouveler, mais je demande que la chambre s’en rapporte au gouvernement. Ensuite, je donne mon assentiment à la proposition de l’honorable comte de Theux, d’interroger non-seulement les ingénieurs, mais encore les entrepreneurs.

La commission d’enquête devrait s’entourer des lumières des hommes de l’art ; il est certain qu’elle se laisserait guidée par ceux qu’elle interrogerait.

L’honorable M. Verhaegen veut que l’on interroge les ingénieurs militaires ; mais ne serait-il pas anormal et peu convenable de faire juger un corps par un autre ? On a parlé des ingénieurs civils ; nous ne sommes pas ici en Angleterre ; il y a fort peu d’ingénieurs civils en Belgique que l’on pût interroger. Ainsi, la commission d’enquête devrait interroger les ingénieurs, se laisser guider par leurs lumières et leur expérience. L’enquête, comme l’a dit l’honorable M. de Theux, n’aurait donc aucun résultat utile.

Je n’ai pas besoin d’ajouter qu’il n’est sans doute pas dans l’intention de l’honorable auteur de la proposer de suspendre le vote de la chambre, et par cela même l’exécution des travaux. La chambre fera beaucoup mieux de laisser au gouvernement qui est responsable, le soin de compléter, de diriger l’enquête. Je ne me refuse nullement, je le répète, à adjoindre au conseil des personnes étrangères au corps.

L’enquête qui sera dirigée par le gouvernement aura, je crois, des résultats beaucoup plus utiles, beaucoup plus certains que l’enquête qu la chambre ordonnerait.

D’ailleurs, messieurs, si à chaque accident qui pourrait arriver soit au chemin de fer soit ailleurs, la chambre va procéder à des formations d’enquête, alors la chambre deviendra un corps entièrement administratif. Il y a là de graves inconvénients que la chambre voudra éviter dans sa prudence…

M. Desmet – La chambre a le droit d’enquête.

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Je ne nie pas ce droit ; je parle de l’usage de ce droit.

M. de La Coste – Messieurs, l’enquête qui a lieu par les soins de M. le ministre, et qui, d’après la proposition de l’honorable M. Verhaegen, sera faite par la chambre elle-même, ne peut, je pense, avoir pour but de vider des questions controversées sur le procédé le plus avantageux que l’on aurait pu, ou que l’on pourrait encore employer pour faire franchir au railway les hauteurs de Cumptich. Il ne peut être question, ce me semble, que de dévoiler des abus, s’il en a été commis, des prévarications, ou des fautes tellement graves qu’elles se seraient pas excusables.

Ainsi donc, messieurs, loin de nous la pensée de vouloir donner gain de cause à l’envie de vouloir faire rejaillir le blâme que cet événement à suscité sur les hommes qui ont dirigé le chemin de fer, qui ont donné l’impulsion à cette entreprise dans des vues politiques, dans des vues patriotiques.

Messieurs, après ces réserves, je me demanderai : Faut-il que cette enquête soit faite par la chambre, ou faut-il la laisser à M. le ministre ? J’avoue que, préoccupé surtout de la question du fond, je n’ai pas complètement formé mon opinion sur cette question. Je me bornerai, quant à présent, à demander si l’intention de M. le ministre est que cette enquête, dans tous ses détails, soit communiquée à la chambre. S’il en est ainsi, nous serons encore à même de juger si ce qu’il aura fait suffit. J’incline donc à lui laisser la responsabilité de cette enquête, à lui laisser le soin de l’entourer de toutes les garanties nécessaires ; et lorsqu’il nous en présentera le résultat, nous la jugerons et nous verrons si nous pouvons nous en contenter.

Messieurs, je passe à la question du fond, à laquelle j’attache la plus grande importance.

S’il s’agissait, comme on a paru le supposer, d’établir un système nouveau, de soutenir qu’il faut supprimer les tunnels et les remplacer par des tranchées à ciel ouvert, si surtout j’avais à défendre ce système contre l’honorable M. Rogier, vis-à-vis duquel je serais dans une position bien défavorable, puisqu’il s’agit d’une matière qu’il a étudiée et approfondie, tandis que je ne suis appelé à traiter de semblables questions qu’incidemment, certes je reculerais et devant une telle lutte et devant l’absurdité de la proposition. Mais, messieurs, comme je l’ai déjà dit et comme M. le ministre vous l’a expliqué, il ne s’agit pas de cela. On a fait le tunnel de Cumptich, parce qu’on était alors convaincu, à tort, que l’on ne pouvait faire autrement. Maintenant cette erreur est reconnue ; elle est avouée de ceux même qui l’ont commise. Il s’agit donc de savoir si l’on maintiendra, si l’on achèvera le double tunnel dans cette circonstance toute particulière.

Remarquez encore qu’il y a ici une autre circonstance spéciale : c’est qu’il est reconnu que le sol est éminemment défavorable pour l’établissement d’un tunnel. Cela est consigné, messieurs, dans le rapport de 1843 sur le chemin de fer. Il y est dit que le tunnel de Cumptich a été exécuté à travers les terrains les plus difficiles.

Messieurs, nous savons que la tranchée à ciel ouvert est praticable. Nous avons, en outre, l’expérience malheureuse de ce qui s’est passé dans le tunnel. Quelle est la cause de cet événement ? M. le ministre l’attribue à des causes impossibles à prévoir, impossibles à démêler. Mais qui nous répondra que ces causes impossibles à prévoir et à démêler ne continueront pas à agir ? Quelle est la garantie de l’avenir ? Le conseil des ponts et chaussées pense, a une conviction morale, qu’en prenant les précautions qu’il indique, ce tunnel ne présentera pas de dangers plus grands que d’autres parties du chemin de fer. Mais devons-nous faire entièrement abstraction de l’opinion de M. le ministre des travaux publics ? Moi, messieurs, j’attache une très-grande importance à cette opinion. Nous ne devons pas tout laisser aux ingénieurs. M. le ministre a été présent à leurs délibérations, à suivi le développement de leurs idées. Nous n’avons sous les yeux qu’un rapport très-court. Je dis, messieurs, que si, dans de pareilles circonstances, nous n’attachions aucune importance au témoignage du ministre, nous organiserions ce que l’honorable M. Rogier a attaqué dans d’autres administrations, nous organiserions la république des ponts et chaussées.

(page 903) Qu’on dit, messieurs, les honorables membres qui ont demandé l’enquête par la chambre ? Ils ont dit : Vous rencontrerez l’esprit de corps ; vous n’aurez pas des juges impartiaux. Mais, messieurs, ne devons-nous pas appliquer cette observation à la question qui nous occupe ? On dit : Le corps des ponts et chaussées ne déclare pas qu’il faut renoncer aux tunnels à Cumptich. Devons-nous donc nous y attendre en face de cet esprit de corps ? Il me semble que l’aveu que fait le conseil des ponts et chaussées que l’on peut se passer de ces tunnels, est déjà une grande concession et que nous ne devons pas exiger davantage.

Messieurs, je crains que quelques honorables membres ne se préoccupent ici d’une question de chiffres, d’une question financière, et que l’on ne fixe son attention sur la somme de 2 à 300,000 fr. qui nous est demandée. Je pense, messieurs, que ce serait là une erreur complète. Je crois que si nous n’accordons pas ces 2 à 300,000 fr., ils seront dépensés d’une autre façon ; en d’autres termes, je suis convaincu que l’achèvement et la restauration des tunnels entraîneront des dépenses très-considérables et qui excéderont les prévisions ; si je me trompe, je prie M. le ministre de rectifier mon assertion en donnant l’assurance à la chambre qu’il n’en sera rien, et que l’on achèvera et restaurera complètement les tunnels avec la somme de 450,000 fr. Quant à moi, je ne le crois pas. Je crois que si l’on se décide pour le maintien des tunnels, M. le ministre nous demandera pour ces objets des crédits supplémentaires, ou bien qu’on prendra ce supplément sur d’autres fonds.

Ce n’est pas tout, messieurs. Si l’on a recours à la restauration des tunnels, il faut que, pendant quatre mois, ils restent fermés ; il faut que, pendant quatre mois, les marchandises et les hommes viennent se briser sur cette voie provisoire que l’on a établie. Eh bien, non-seulement vous entravez le commerce ; non-seulement vous exposez la vie des gardes, mais encore vous occasionnez à l’Etat des pertes très-considérables, de pertes en revenus du chemin de fer qui ne se réaliseront pas.

Mais, dit-on, déblayez toujours, et plus tard nous aviserons à construire le second tunnel. C’est donc toujours le second tunnel que l’on veut construite au bout d’un certain temps. Mais, s’il faut le construire, je demande qu’on le construise sur-le-champ, parce qu’alors, il ne faudra pas une nouvelle interruption de tout le mouvement du commerce, de tous les transports. Ce moyen dilatoire ne résout donc nullement la question, ne fait qu’aggraver les difficultés.

On a dit que les appréhensions se clameraient. Je veux le croire ; On s’habitue a tout. Cent mille hommes s’habitueront à passer sous le feu du canon. Chacun fera, peut-être, ce calcul : Le tunnel ne tombera pas précisément au moment où je passerai. Mais ce n’est pas là de la sécurité ; ce n’est pas, de la part du gouvernement, se montrer sensible aux voeux, aux sentiments du peuple. Dans toutes les localités qui ont le plus l’œil sur ces travaux, les vœux sont bien prononcés. A Louvain à Diest, à Tirlemont, la presse a été unanime pour l’abandon des tunnels : une presse qui est peut-être peu connue dans cette assemblée, mais qui n’est est pas moins un organe de l’opinion.

La pétition de Tirlemont, couverte de signatures, vous indique encore quels sont les sentiments des populations. Et, messieurs, n’arrive-t-il pas souvent que les populations, par ce qui semble une espèce d’instinct, mais qui est, en effet, la connaissance parfaite des localités, ont le pressentiment d’inconvénients qui doivent survenir, que les hommes de l’art dédaignent leurs observations, et qu’après cela les faits viennent justifier ce pressentiment. Nous avons eu l’exemple d’avertissements dédaignés qui ont été suivis d’une catastrophe terrible, de la destruction d’un hameau entier, de la mort d’une quantité d’habitants. Cet exemple est frappant, mais toute les personnes qui ont eu part à l’administration pourraient en citer d’autres qui, pour être moins tragiques, n’en confirment pas moins cette observation.

Messieurs, si l’on demandait un crédit pour l’achèvement, pour la restauration des tunnels, d’après ce que je viens de dire, je serais forcé de le refuser. Et cependant nous n’aurons que cette alternative ; ou il faudra accorder des crédits supplémentaires pour l’achèvement et la restauration des tunnels, ou il faudra accorder ce qui nous est demandé aujourd’hui, et c’est, quant à moi ce que je crois devoir préférer.

- La séance est levée à cinq heures.