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d’intention
Chambre des représentants de Belgique
Séance du mercredi 1er
mars 1843
Sommaire
1)
Projet de loi prorogeant la loi sur le transit
2)
Projet de loi sur les sucres. Discussion des principes : concurrence et
coexistence entre sucre raffiné exotique et sucre indigène de betterave, prime à l’exportation (drawback) du sucre
pour favoriser le commerce maritime national (Smits, Mercier), clôture de la discussion sur le premier principe
(Cools, Cogels, Rodenbach, Eloy de Burdinne, de Theux, Verhaegen, Cools, Eloy de Burdinne), priorité à accorder aux questions de principe sur le rendement et les taux
respectifs (de La Coste, Smits,
Rodenbach, Verhaegen, Dumortier, Eloy de Burdinne, Smits, de Brouckere, Demonceau, Desmet, de Theux, Mercier, de La Coste, Cogels, Rodenbach, Eloy de Burdinne, Meeus, Desmaisières, Dumortier, de Brouckere, Verhaegen, Mercier, de Theux, de Brouckere, Dumortier, Smits, Mercier, Smits, de
Mérode, Desmaisières, Demonceau,
de Man d’Attenrode), prime à
l’exportation (drawback) du sucre pour favoriser le commerce maritime national,
taux du rendement (Delehaye, Dumortier,
Coghen, Cogels, Demonceau, de Mérode, Smits, de Theux, Desmaisières, de Theux, Rodenbach)
Rapport
sur l’instruction moyenne (Nothomb)
(Moniteur
belge n°62, du 3 mars 1843)
(Présidence de M.
Raikem)
M. de Renesse procède à l’appel nominal à midi un quart.
M. Scheyven donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier ; la rédaction en est adoptée.
PROJET DE LOI PROROGEANT
M. de Foere. - J’ai l’honneur de présenter à la chambre le rapport de la commission à
laquelle vous avez renvoyé le projet de prorogation de la loi du 18 juin 1842,
dont le but est de faciliter le transit et de l’attirer vers nos ports.
Ce rapport sera imprimé et distribué. La discussion
en sera ultérieurement fixée.
Première
question de principe : Y aura-t-il égalité de droits ?
M. le ministre des finances
(M. Smits) - J’avais demandé la parole hier pour
répondre à l’honorable M. Meeus, mais M. le ministre des travaux publics ayant
dû la prendre pour un fait en quelque sorte personnel, j’ai dû ajourner à la
séance de ce jour les observations que je comptais faire sur les différentes
objections présentées par l’honorable député de Bruxelles.
Cet honorable membre a examiné la question sous
trois points de vue différents : sous le rapport commercial et sous le rapport
de l’agriculture et sous le rapport des primes. Je vais, messieurs, tâcher de
rencontrer successivement, mais brièvement tous ces points. Je dis brièvement,
car il y a peu de choses nouvelles à dire. L’honorable M. Meeus, considérant la
question sous le point de vue économique, a prétendu qu’il y aurait un immense
avantage pour le pays et surtout pour les consommateurs, s’ils consommaient
exclusivement le sucre indigène. Je trouve qu’il y aurait, au contraire, un
grand désavantage pour les consommateurs du pays. En effet, le sucre indigène
se vend 74 fr. tandis que le sucre colonial s’achète pour 57 fr. ; ainsi, la
quantité nécessaire à la consommation reviendrait, cette quantité étant de 15
millions, à 11 millions en sucre indigène et à 8 millions en sucre de canne.
Vous voyez donc qu’il y aurait une différence de deux à trois millions que le
consommateur devrait payer en plus au fabricant du sucre de betterave pour une
marchandise qui n’est pas équivalente en qualité, ici conséquemment en prix au sucre
exotique.
Si ce système pouvait prévaloir, pourquoi ne pas
l’appliquer à la culture de la vigne, à la production du vin, car
Je ne comprends pas comment on puisse sérieusement
soutenir que la masse des importations que nous consommons est une perte pour
le pays, car si j’exporte cet encrier qui est devant moi qui vaut un franc et
que je le vende à l’étranger 2 fr.et que pour ces deux francs, je rapporte un
produit étranger, j’aurai plus importé qu’exporté mais j’aurai gagné cent pour
cent. Je sais que cet exemple n’est pas d’une application générale ; mais il
n’est pas non plus exact de dire que les exportations étant moindres que les
importations, la différence est une perte pour le pays.
Si cette thèse était vraie, qu’en résulterait-il ?
Non seulement que
L’honorable M. Meeus a encore contesté les avantages
de notre commerce maritime, par rapport au sucre ; il en a contesté
l’importance ; si je l’ai bien compris, il a dit qu’il se bornait à l’envoi de
quelques bateaux dans les ports des villes anséatiques et vers
J’ai pris avec moi un échantillon du sucre lumps
commun, tel qu’on en exporte vers les villes anséatiques ; on peut constater
que c’est du sucre raffiné parfaitement blanc, et non du sucre roux ou presqu’à
l’état brut. Je le dépose sur le bureau, afin qu’on ne vienne plus contester
les faits les plus évidents.
On a dit que notre commerce d’exportation était
insignifiant que peu de navires belges étaient allés aux Indes. Prenez le
rapport qui vous a été distribué en 1841, vous verrez que dix navires belges
sont partis pour le Brésil en 1841. Ce sont
Ces dix navires ont exporté 67 mille kil. et 155
barils clous ; 290 mille kil. de verre, et 2,600 caisses verres à vitre, 101
caisses d’armes, 170,000 kil. de charbon, et 5254 colis de diverses
marchandises, tissus de coton, de lin, d’instruments de musique, meubles,
livres, etc.
Dans la même année, cinq navires belges sont partis
pour le Mexique, Qu’ont-ils exporté ? 389 mille barils de clous de fer, 494
caisses de verres à vitres, 25 caisses armes, 4,734 colis de marchandises
diverses, tous produits de l’industrie nationale. Dans la même année encore,
douze navires, dont neuf belges, sont partis pour Cuba. Encore une fois
qu’ont-ils exporté ? 4,900,000 kil, de clous de fer, 11 barils de clous, 456
caisses de verres à vitres, 50 caisses d’armes, 6,541 colis de diverses
marchandises.
Voilà pour les exportations des produits du pays.
Mais si ces navires, partis pour le Brésil, Cuba et le Mexique n’avaient pas pu
prendre des sucres en retour, évidemment les exportations n’auraient pas pu
avoir lieu, parce qu’on n’exporte que quand on a des frets de retour.
Maintenant, pour les sucres raffinés, ils ont été exportés, en 1841, par 175
navires. Le sucre n’a fait que la partie encombrante ; sans cela aucune autre
exportation n’aurait pu avoir lieu. Ces navires qu’ont-ils exporté ? La
nomenclature se trouve à la fin du rapport que je viens d’indiquer. Ils ont
exporté 8 millions 90 kilog. de sucre, 201 mille kil, de clous de fer, 140
mille kilog. de verres à vitre, 8,711 caisses et 41,758 colis de différentes
marchandises.
Ainsi, vous le voyez, messieurs, le commerce de
sucre n’est pas si insignifiant qu’on veut bien le dire, c’est au contraire le
commerce qui sert de base à tous nos échanges ; s’il n’existait pas il faudrait
le créer, car c’est quelque chose qu’un mouvement commercial de 54 millions
qu’il procure à un pays comme
L’honorable M. Dubus nous a dit dans une précédente
séance :
Mais vous n’avez pas besoin de sucres pour exporter
vos produits industriels, beaucoup de navires qui partent sur lest, seraient
bien aises de se charger de ces produis. Mais, messieurs, il vous a été déjà
démontré que les navires qui n’ont pas de marchandises d’encombrement devaient
nécessairement partir sur lest. Et ici je vous demanderai la permission,
messieurs, de vous lire une lettre que j’ai reçue hier d’un homme très
compétent dans cette matière. Voici ce qu’il dit de l’assertion de M. Dubus que
je viens de reproduire :
« Superficiellement considérée, cette assertion
paraît rationnelle, mais elle est peu exacte au fond.
« Faisons une supposition. Supposons un navire
de 300 tonneaux qui s’offre pour Buenos-Ayres moyennant 50 fr. par tonneau ;
donc pour 15.000 fr. En draps, toiles, cotons, genièvre, etc,, nous ne
pourrions réunir, dans le délai d’un mois que le navire nous accorderait, que
100 tonneaux ; comme chaque tonneau nous coûterait 150 fr. de frais de
transport seulement, les clous, les verres, le genièvre et la bière qui
formeraient les 3/4 de cet encombrement, étant de trop peu de valeur pour
supporter ce fret, on ne les expédierait pas et dès lors le fret total de 15
mille francs devant retomber sur les draps, les armes, les toiles, les cotonnettes, c’est-à-dire sur 25 tonneaux, les produits ne
s’expédieraient pas non plus et le navire partirait sur lest.
Messieurs, ceci est l’opinion d’un homme très compétent
dans la matière, comme j’ai eu l’honneur de vous le dire tout à l’heure c’est
celle de M. de Wael Vermoelen,
ancien directeur de
On insiste cependant, messieurs, pour nier
l’importance du commerce des sucres, et on nous dit : Mais pourquoi la France,
pourquoi l’Angleterre, pourquoi
Messieurs, on croirait peut-être, et on a souvent
dit dans cette chambre, que la France veut anéantir la fabrication du sucre de
betterave, en vue de son système colonial, de sa marine, de sa puissance
maritime. C’est là une grave erreur ; la France propose l’anéantissement de
l’industrie betteravière pour établir des relations plus fréquentes, non pas
seulement avec ses colonies, mais avec le Brésil et les autres colonies
indépendantes, afin de trouver un placement plus grand pour ses produits
manufacturés. Je vais vous le prouver par les paroles mêmes de M. le ministre
de la marine et des colonies. Voici ce qu’il dit :
Je vous prie, messieurs d’écouter ce passage ; car
il vous démontrera que la France se dirige par les mêmes considérations que
nous n’avons cessé de vous présenter. « La France s’est avancée
rapidement, depuis douze années dans la voie des améliorations productives.
Après avoir abondamment pourvu aux besoins de son marché intérieur, de ses
possessions coloniales et de son commerce sur les marchés au dehors dans la
proportion des appels qui lui sont faits, elle est venue comme quelques-uns des
pays qui l’avoisinent, à chercher au loin une extension de débouchés pour
l’exubérance de sa production. C’est la loi de toute industrie progressive,
l’abondance des produits étant la suite nécessaire du progrès et du bon marché.
Il faut donc nous créer des débouchés nouveaux dans l’intérêt même de nos productions
intérieures. Ces débouchés, nous ne pouvons déterminer les pays
transatlantiques à nous les ouvrir par des facilités de tarif qu’en acceptant
d’eux la contre-valeur des marchandises qu’ils accepteraient de nous. Bien que
nos produits ne le cèdent à ceux d’aucun pays sous le rapport du goût et de la
qualité, ils subissent assez souvent le contrecoup de notre législation
sucrière. Lorsqu’un navire de 500 tonneaux, par exemple, porte nos produits
dans les mers de
C’est le langage d’un ministre d’un pays qui a des
colonies, et qui cherche dans des relations avec les colonies indépendantes les
moyens de créer des débouchés ; or, nous qui n’avons pas de colonies, nous
devons, avec d’autant plus de raison, chercher à nous lier avec les contrées
transatlantiques.
L’honorable M. Osy vous a cité un bien remarquable
exemple ; il vous a dit que l’Angleterre a interdit la culture du tabac chez
elle, et qu’elle a étendu successivement cette interdiction à l’Ecosse et à
l’Irlande. Etait-ce dans la vue de favoriser ses colonies et les importations
de ses possessions de l’Inde ? Nullement, puisque le tabac colonial de
l’Angleterre figure dans le tableau des recettes de la douane pour zéro ; mais
c’est dans la vue de maintenir et d’étendre ses relations avec les Etats de
l’Amérique du Nord, c’est afin de recevoir des autres contrées les tabacs dont
elle a besoin, et pour y écouler en échange les produits de son industrie.
Messieurs, aux avantages commerciaux que nous
indiquons, on oppose les immenses résultats que doit produire pour
l’agriculture la continuation de la fabrication du sucre de betterave. Je l’ai
déjà dit : l’importance agricole sera toujours très faible, parce que la
betterave doit se cultiver à proximité des fabriques, attendu qu’elle ne supporte
pas des frais de transports, et ce n’est pas moi seul qui le dis, ce sont les
fabricants eux-mêmes. Voici ce que je trouve dans une brochure publiée par eux
en 1841. Il y est dit :
« La betterave est une denrée pondéreuse dont
la production est forcément circonscrite aux environs de l’établissement où
elle est macérée. »
Il en résultera donc, messieurs, que l’établissement
industriel qui doit cultiver les hectares de terre qu’il a acquis, est obligé
de les ensemencer de betteraves pendant sept ou huit années, et quelquefois
plus longtemps.
M. Mercier. - C’est une erreur.
M. le ministre des finances
(M. Smits) - Je vais vous prouver le contraire
tout à l’heure, non pas par l’opinion de M. le comte d’Argout,
sur laquelle je ne me suis jamais étayé, mais par des documents recueillis en
France, documents positifs. Voici ce que je lis :
« Combien de fois n’a-t-on pas répété que la
présence de cette industrie accroîtrait la population, et améliorerait son sort
; que toutes les consommations augmenteraient, et avec elle les produits des
impôts perçus sur ces mêmes consommations, dédommagement formellement promis au
trésor, en compensation du détriment que lui occasionne la réduction
progressive du produit des droits sur les sucres coloniaux, et qui causerait
plus tard l’anéantissement complet de cette taxe
« La population s’est-elle accrue dans la
région du Nord, d’une manière plus sensible que dans le reste de la France ?
Première question.
« Le recensement de 1832 s’est élevé à 32,560,934
âmes ; celui de 1830 à 33,340,903 : l’augmentation a été de 3,099,582 individus
; c’est-à-dire d’environ trois pour cent pour tout le royaume.
« La population des cinq départements du Nord,
était, en 1831, de 3,099,582 ; en 1836 de 3,169,493.
« L’augmentation a été de 69,931, c’est à dire
de 2 1/4 p.c. ; ou, en d’autres termes, qu’elle a été inférieure de 1 3/4 p. c.
à l’augmentation moyenne de toute la France, tandis que la population de
« De combien les produits de l’enregistrement se
sont-ils augmentés ? Seconde question.
« Dans toute la France, depuis 1831, jusqu’à
1836, l’augmentation a été de 20 1/16 p c. Pans les cinq départements du Nord,
l’augmentation moyenne ne s’est élevée qu’à 16 14 p. c. Là encore il y a
infériorité ; tandis que les Ardennes, les Bouches du Rhône, la côte d’Or, les
Landes, le Haut-Rhin ont donné des augmentations de 50, de 53, de 36, de 46 et
de 45 p. c.
« Troisième question. Quel a été le mouvement des
taxes diverses et des droits sur les consommations ?
« Les boissons ont donné une augmentation de 24 p.
c., et les taxes diverses se sont améliorées de 32 et 1/6 p. c. dans toute
l’étendue du royaume. La moyenne de ces augmentations dans les cinq
départements du Nord n’a pas dépassé 23 5/10 pour les boissons, et 17 1/2 p. c.
sur les taxes diverses. »
« Le tabac seul présente une augmentation
considérable, en faveur de la région du Nord : la moyenne générale est de 18
1/2 p.c. ; la moyenne spéciale s’est élevée à 38 3/20 p.c. ; mais cette
augmentation n’est qu’apparente ; elle a été déterminée par l’ordonnance du 19
janvier 183, qui, en élargissant la zone du tabac de cantine, a provoqué une
contrebande active des départements frontières à ceux de l’intérieur ; une
grande partie des tabacs de cantine vendus dans le département du Nord, étant
consommée ailleurs il est impossible d’apprécier exactement le mouvement de la
consommation qui appartient en propre à cette région.
« Les avantages annoncés relativement à
l’augmentation des consommations ne se sont donc point réalisés ; ceux que
l’agriculture a obtenus sont-ils plus manifestes ?
« D’abord on a fait observer que les cultures ne
s’étaient point étendues sur une masse plus considérable de terrains. Il y a eu
substitution et non augmentation dans les productions agricoles.
« Or, les terrains aujourd’hui plantés de betteraves
étaient précédemment consacrés aux plus riches cultures. A quoi se réduirait
l’avantage de cette substitution, si la législation des sucres n’assurait, aux
nouveaux producteurs une prime d’environ 1,000 fr. par hectare ?
« La culture du colza si lucrative pour le
Nord, y a grandement diminué ; elle s’est refugiée dans
« Pareille chose est arrivée pour l’orge, à en
croire du moins les brasseurs de Valenciennes, qui, dans une pétition adressée
l’année dernière au ministre du commerce, se plaignaient de ce qu’ils
appelaient l’accaparement des terres par les cultivateurs de betteraves.
« La culture de l’orge, ajoutent-ils, menace de
disparaître du Nord de
« La culture de la betterave devait aussi,
disait-on, étendre et perfectionner les assolements. Le contraire a eu lieu
dans le département du Nord, et dans une grande partie du Pas-de-Calais. Les
anciennes rotations des cultures ont été restreintes ou supprimées. M. Crespel lui-même a déclaré que certains terrains étaient
plantés en betteraves depuis dix années consécutives. L’utilité d’économiser
les transports et d’abréger les distances l’a emporté sur la régularité des
assolements ; et d’ailleurs quelle sollicitude l’agriculture pourrait-elle
inspirer à ces sociétés d’actionnaires qui exploitent la plupart des grandes
manufactures ? Telles sont du moins les observations consignées dans un assez
grand nombre d’écrits. »
« Autre question. La masse des engrais s’est-elle
augmentée ? La culture de la betterave a-t-elle produit plus d’engrais qu’elle
n’en a absorbé ? Apparemment non, puisque M. Blanquet a formellement déclaré
que le renchérissement avait été si considérable, que la charretée de fumier à
quatre colliers, qui se vendait 5 fr., était montée au prix de 20 fr. »
Ceci, messieurs, n’est pas l’opinion, je le répète,
de M. d’Argout ; ce sont des faits qu’il a puisés
dans les documents fournis par le gouvernement français, et, ce qui le prouve,
c’est le passage suivant à la page 43 de son rapport : « Jusqu’à présent,
messieurs, nous nous sommes bornés à vous retracer aussi exactement que
possible les faits qui résultent des documents fournis par le gouvernement, ou
qui ont été constatés par les enquêtes de 1836 et de 1837. »
Vous le voyez donc, messieurs, la culture de la
betterave sous le rapport agricole, n’a produit aucun bienfait dans les
départements français où elle est le plus agglomérée ; au contraire ces
départements sont restés en infériorité sous le rapport de l’augmentation de la
population, sous celui de la transmutation des propriétés, sous celui de
l’augmentation des droits de consommation intérieure et enfin sous le rapport
de tout ce qui constitue la richesse publique.
M. Mercier, rapporteur. - Nous avons des renseignements plus récents.
M. le ministre des finances
(M. Smits) - Je cite les miens parce qu’ils sont
positifs.
Permettez-moi, maintenant, de vous faire connaître
l’opinion d’un des plus grands agronomes de la France, de l’Europe peut-être,
de M. de Dombasle. Voici ce qu’il dit :
« On est trop disposé à croire que l’introduction
d’une nouvelle récolte enrichit toujours l’agriculture ; cela n’est vrai que
lorsqu’elle fournit un moyen d’utiliser les terrains qui, sans elle, seraient
improductifs. »
Or, messieurs, ce n’est pas le cas chez nous ; chez
nous, ce ne sont pas les plus mauvaises terres, ce sont les meilleures du pays
qu’on emploie à la culture de la betterave. Et il est évident, quoi qu’on en
dise, que ces terres produisent moins de céréales qu’autrefois. Comment
s’expliquerait-on, sans cela, les énormes importations que nous sommes obligés
de faire annuellement ? Car, de 1837 à 1842, les quantités de céréales que nous
avons été obligés de tirer de l’étranger, s’élèvent, ainsi que j’ai eu
l’honneur de le dire, déjà à 135 millions pour le froment, à 37 millions pour
le seigle, à 147 millions pour l’orge, à 60 millions pour l’avoine. Si ces
importations, messieurs, se bornaient à une année, on pourrait dire que cela
vient d’une mauvaise récolte, d’une calamité quelconque. Mais ces importations
se sont continuées depuis dix ans. Or, à quoi peut-on l’attribuer ? C’est que
la masse de céréales produite par le pays n’est plus en rapport avec
l’augmentation de la population, avec l’aisance générale qui s’est répandue
dans le pays.
Dans une précédente séance, messieurs, j’avais
évalué le nombre des ouvriers occupés dans les différentes fabriques de
betterave du royaume, à 3,600, mais ne travaillant qu’une partie de l’année.
L’honorable M. Verhaegen a contesté ce chiffre,
ainsi que l’honorable M. Mercier, qui a prétendu que les betteravistes
employaient journellement cinq mille ouvriers. Je ne sais sur quoi, messieurs,
ces honorables membres ont basé leurs évaluations, mais quand je consulte les
données fournies par messieurs les fabricants de betteraves eux-mêmes, je
trouve qu’elles sont tout à fait conformes à ce que j’ai eu l’honneur de dire à
la chambre. Je m’étais servi des renseignements fournis par un agent supérieur
de l’administration française, et d’après lesquels il était constaté qu’une
fabrique des plus importantes n’employait pas plus de 108 ouvriers. Ce fait est
encore confirmé par un autre fabricant très respectable, par M. Vandenbossche,
qui dit dans une lettre adressée au ministre des finances, le 7 décembre 1840,
qu’il a employé depuis le 15 septembre jusqu’au 10 mars, 108 hommes et femmes
pour la fabrication du sucre. Et remarquez, messieurs, que ces 108 ouvriers ne
travaillent, d’après l’assurance positive de l’honorable M. Vandenbossche,
qu’une partie de l’année.
M. Mercier, rapporteur. - Et la préparation des terres ?
M. le ministre des finances
(M. Smits) - La préparation des terres demande un
autre nombre d’ouvriers, je le reconnais ; mais quand la betterave n’existerait
pas, ces ouvriers trouveraient du travail dans une autre occupation agricole.
Je veux bien que le travail serait moindre que pour la betterave, qui est une
plante sarclée. Mais il n’est pas exact de dire que ces ouvriers occupés à
sarcler la betterave ne trouveraient plus d’emploi à défaut de cette culture ;
ils en trouveraient dans la culture des céréales et des autres produits de la
terre.
Mais, nous dit-on, cette industrie existe et ce
serait une mesure extrême, exorbitante que de la détruire par la loi.
Messieurs, le gouvernement ne vous a pas proposé l’anéantissement du sucre
indigène ; il a dit : mettons les deux industries sur la même ligne ; celle qui
ne pourra soutenir la concurrence en fera la déclaration et, sur cette
déclaration, on accordera à la fabrique, qui se supprimera elle-même, une
indemnité raisonnable.
Dans notre opinion, messieurs, la fabrication du
sucre de betteraves ne pourra pas continuer si l’égalité du droit est établie ;
mais cette opinion n’est pas généralement partagée. Il y a même des fabricants
qui ont prétendu qu’on pouvait soutenir la concurrence.
Récemment encore un nouveau brevet a été accordé
pour un perfectionnement qui semble donner un grand avantage à la fabrication.
La quantité de noir animal employé dans la fabrique serait considérablement
restreinte, et la fabrication atteindrait un tel degré que le raffinage
deviendrait inutile ; c’est-à-dire que la fabrication du sucre irait jusqu’à la
transformation en pains sans sortir de l’usine. Si cela est réel, je
comprendrais que les fabriques qui sont dans des conditions normales,
pourraient continuer la lutte.
Ce brevet, dont je viens d’entretenir la chambre, a
été accordé par le gouvernement belge. On est allé en France pour en obtenir un
pareil ; mais en France le ministre du commerce a positivement refusé, disant
que l’intention du gouvernement était de supprimer définitivement cette
industrie.
Il paraît qu’après ce refus, le breveté s’est
adressé à la légation de Prusse, où on lui a fait à peu près la même réponse.
Il résulte de ces faits que dans presque tous les
pays la fabrication du sucre de betterave occasionne des embarras incessants au
gouvernement.
Mais je suppose, messieurs, que la loi eût demandé
la suppression de toute fabrication de sucre indigène. Est-ce été là un acte
aussi exorbitant qu’on vous l’a présenté ? Mais tous les jours, messieurs, n’exproprie-t-on
pas pour cause d’utilité publique ? Et remarquez la différence, messieurs,
qu’il y aurait ici : Quand le gouvernement est obligé de procéder par voie
d’expropriation publique contre des manufactures, contre des propriétés, l’Etat
est assujetti à une perte réelle ; il doit dépenser, tandis qu’ici au
contraire, si l’expropriation résultait de la loi et de la déclaration des
industriels, vous vous seriez créé un capital. Car enfin un revenu de 4
millions que le projet assure au trésor, constitue bien un capital de 80
millions.
Et pourquoi, dit-on, détruire les raffineries de
sucre de betteraves ? n’est-ce pas sacrifier un présent assuré à un avenir très
incertain ? Car, nous a dit l’honorable M. Verhaegen, si les villes anséatiques
entraient dans la confédération commerciale, les exportations en sucre colonial
ne seraient-elles pas anéanties ? Mais, messieurs, les villes anséatiques
n’entreront jamais dans le Zollverein, si ce n’est à la condition bien expresse
de conserver leurs avantages commerciaux ; eh bien ! si elles conservent ces
avantages, nos exportations vers ces pays augmenteront, au lieu de diminuer. Et
ici, messieurs, je vous dirai que si nous exportons du sucre raffiné vers les
villes de Hambourg et de Brème, c’est parce que ces villes ne raffinent pas
elles-mêmes et qu’elles ne peuvent pas raffiner ; attendu que l’Allemagne ne
consomme pas les bas produits, les sirops, les cassonades. C’est aussi pour ce
motif que l’industrie betteravière n’a aucune chance d’arriver dans ces pays. Tous
les établissements qui y ont été formés sont en perte.
On nous a dit encore : « Mais que ferez-vous si les
colonies se mettent à raffiner elles-mêmes du sucre ? » Messieurs, il a
déjà été répondu à cela, il a déjà été prouvé que les sucres raffinés ne peuvent
pas supporter un long trajet et que par conséquent les colonies ne pourront
jamais nous envoyer de ces sucres. Nous pouvons bien exporter des sucres
raffinés vers
L’honorable M. Meeus est revenu aussi sur ce qu’il
appelle l’épouvantable système des primes. Voyons donc, messieurs, s’il y a
réellement une prime. Disons d’abord que l’impôt sur le sucre est un droit
d’accise tel que celui qui est établi sur le genièvre, sur le sel, sur la
bière, sur le vin ; c’est un droit qui frappe la consommation et non pas
l’importation. Pour les genièvres comment a-t-on calculé la restitution du
droit ? On s’est demandé d’abord : combien l’hectolitre de contenance de la
cuve matière pouvait produire de genièvre ? On a trouvé que le rapport était de
un hectolitre de cuve matière à
Disons aussi, messieurs, que dans l’intention du
législateur, il n’a jamais été question de prélever le droit sur les bas
produits, sur le sirop, sur la cassonade, qui sont livrés indemnes de tout
droit à la consommation. C’est là un avantage pour le consommateur indigène,
surtout pour les consommateurs peu aisés.
Maintenant, messieurs, appliquons ces principes aux
quantités importées en 1838, 1839, 1840 et 1841, et voyons quel en sera le
résultat.
La quantité de sucre mis en raffinage a été de
19,791,191 kil., dont il faut défalquer :
Pour cassonade, 3,533,519
Pour sirop, 2,778,980
Pour le déchet que subissent naturellement tous les
sucres. 7,302
Total, 7,302,058
Reste conséquemment, 12,489,133 kil.
Mais encore une fois, messieurs, d’après le principe
de la loi, le sucre exporté n’a pas pu être assujetti à l’accise. Conséquemment
de cette quantité restante de 12,489,133 kil., il faut encore défalquer le
sucre exporté. Or, le sucre exporté s’élève une quantité de 40,933,000 kil., y compris un million de kil. qui sert à alimenter le commerce d’interlope.
Il est donc resté définitivement dans le pays, en
sucre fin, assujetti à l’impôt, 1,556,000 kil., qui, au droit de 70 fr. 31
cent., ont dû donner une somme de 1,094,070 fr. Eh bien, messieurs, le trésor a
réellement reçu 1,067,313 fr. Il y a donc une différence de 26,000 fr., mais
cette différence a été plus que compensée par les droits d’entrée sur les
sucres bruts s’élevant à 235,317 fr., et par les droits de sortie des sucres
raffinés s’élevant à 12,214 fr,, ensemble 247,500 fr. : je prends des sommes
rondes.
Vous le voyez donc, messieurs, la loi ne consacre
point un abus. La loi des sucres est conforme à tous les principes généralement
admis en matière d’accise, et si, comme je le disais tout à l’heure, il y a
quelquefois avantage pour le raffineur quand il travaille exclusivement du
sucre de haute qualité, il y a aussi bien souvent un grand désavantage pour lui
quand il travaille des sucres d’un faible rendement, et je suis bien aise de
pouvoir dire à la chambre que ce dernier cas se présente bien souvent. Car je
vois, messieurs, par les tableaux commerciaux, qu’en 1837, par exemple, on a
mis en raffinage dans la ville d’Anvers, 94,800 nattes de sucre Manille ;
chaque natte pèse environ 45 kil., cela fait donc 5,466,000 kil. de sucre
donnant un rendement bien inférieur à celui qui a été fixé par la loi.
Je vais indiquer, messieurs, quelles sont les
quantités de sucre Manille qui ont été importées à Anvers depuis 1836. Ces
quantités sont, pour :
1836, de 90,640
1837, de 117,508
1838, de 29,890
1839, de 33,690
1840, de 20,820
1841, de 43,064
1842, de 13,622
Et depuis le premier janvier de cette année il en a
déjà été importé 12,400 environ.
Maintenant, messieurs, je rappellerai qu’il y a
encore une autre question, que la chambre ne peut point perdre de vue. C’est
celle du trésor que l’on semble constamment négliger.
Vous le savez, messieurs, la
législature a consenti dans sa session dernière des dépenses extraordinaires
dont le chiffre s’élève à 50 millions. Voilà donc 50 millions en dehors des
prévisions des budgets. Les revenus généraux du royaume ne suffisent donc plus
pour couvrir les dépenses qui ont été décrétées. Ainsi que je le disais dans
une autre séance, il y a un découvert de 7 à 8 millions qu’il faut bien
couvrir, et si vous nous refusez les 4 millions que nous demandons sur le
sucre, il faudra bien en venir en définitive à augmenter les contributions, ou
à voter des centimes additionnels, car, encore une fois, les dépenses sont
votées ; elles sont faites.
J’ai lieu d’espérer, messieurs, que vous réfléchirez
à cet état de choses, que vous aurez égard à la situation du trésor, et que
vous viendrez en aide au gouvernement en acceptant les propositions que nous
vous avons soumises.
M. Mercier, rapporteur. - Je remarque, messieurs, que très souvent dans la discussion actuelle,
on ne tient aucun compte de la réfutation qui a été faite de certains arguments,
de certaines assertions, qui manquaient d’exactitude ou de vérité ; ainsi, hier
encore l’honorable ministre des travaux public a attribué à la production du
sucre indigène, la diminution des produits de l’accise, qui s’est manifestée
dès 1836 ; l’accise sur les sucres n’a produit en 1836 que 186,000 fr. et alors
cependant il n’existait que très peu de fabriques de sucre indigène, en 1835 ;
une seule a été mise en activité et ce n’est que celle-là qui peut avoir exercé
quelque influence sur les produits de l’accise pendant l’année 1836, car celles
qui ont été établies ou qui ont commencé leurs travaux dans le courant de 1836,
n’ont déversé leurs produits dans la consommation qu’en 1837.
Eh bien, la seule fabrique qui ait fonctionné en
Il n’a été fait à cet égard qu’une seule observation
qui ait quelque valeur, c’est celle qu’a présentée l’honorable M. de Foere ; il
a fait remarquer que des produits belges prenaient la voie de
Il se trouve donc que dans nos échanges avec les
contrées transatlantiques, il y a une balance de 65 millions en notre défaveur.
Je ne discourrai pas sur la balance commerciale ; je ne sais si ceux qui
prétendent qu’il y a avantage à ne pas exporter nos produits nationaux pour les
échanger contre les produits étrangers, soutiendront qu’il nous est très
avantageux de ne pas exporter pour 72 millions de nos produits dans les deux
Indes ; quant à moi, je suis persuadé que la richesse du pays se serait
augmentée si nous avions pu augmenter de 65 millions le chiffre des
exportations de marchandises belges.
D’un autre côté, on reste en admiration devant cette
conception si heureuse, dit-on, de la loi hollandaise, dont les vices ont si
souvent été signalés ; eh bien cette loi n’est que la copie de la législation
anglaise. Si elle a été établie en Angleterre, c’est, comme nous l’avons déjà
fait remarquer, parce qu’on avait à faire écouler les produits des
établissements coloniaux, et c’est pour un motif analogue, ou du moins dans la
prévision d’une forte production de sucre colonial, que
Voilà ce qu’on fait en Angleterre ; au lieu de
s’enthousiasmer de cette conception de la loi hollandaise, on devrait remonter
un peu plus, on devrait imiter les auteurs mêmes de ce système qui ayant
reconnu qu’il était désastreux, n’ont pas hésité à y apporter de larges
modifications,
L’honorable M. Osy qui a pris la parole hier, nous a
dit :
« L’Angleterre n’a pas pris peut-être cette
mesure uniquement pour favoriser les produits de ses colonies, car elle défend
la culture du tabac, bien que ses établissements ne produisent pas cette
denrée. »
Il me sera facile de détruire cette objection.
L’Angleterre a été guidée, pour interdire la production du tabac, par un autre
motif qui ne se rattache pas au commerce : c’est que le tabac dans ce pays est
soumis à un droit extrêmement élevé, et que, si une foule de fabriques se
trouvaient disséminées sur le sol de l’Angleterre, il serait impossible de les
surveiller. Le tabac ne se fabrique pas, comme le sucre de betterave, dans de
grands établissements ; le tabac peut être travaillé dans de petites fabriques.
Le droit en Angleterre est de 750 francs les 100 kilog. ; il en est de 2,300
fr. sur les tabacs manufacturés ; le produit de l’impôt sur le tabac s’élève à
la somme énorme de 90 millions. Le droit qui frappe le tabac est donc purement
fiscal en Angleterre ; il ne tend à favoriser ni le commerce ni l’industrie.
Messieurs, il est une autre objection d’une haute
importance sur laquelle on passe fort légèrement ; j’ai contesté, et je
conteste encore, que le projet du gouvernement puisse procurer au trésor une
recette de 4 millions. Je vais établir de nouveau que cette ressource ne sera
pas obtenue par le dernier projet.
Quelle est la consommation du sucre en Belgique ?
D’après les communications qui nous ont été faites
par le département des finances, cette consommation, y compris un million qui
alimente le commercé interlope, serait de 14,688,000 kil., mais j’ai établi que
par suite du droit de 40 fr, le commerce interlope ne se ferait plus ; il ne
faut pas, pour anéantir ce genre de commerce, que le droit soit porté à 50 fr.
En effet, quelle sera, alors qu’un droit de 40 fr.
sera prélevé intégralement à la consommation, quelle sera la différence entre
le droit français et le nôtre ? Elle sera seulement de 9 fr 50 c. Or cette
différence, en l’augmentant même de cinq ou six francs, par suite du prix plus
élevé des sucres des colonies françaises, n’offrira pas à la fraude un appât
suffisant, pour que l’exportation se fasse encore à nos frontières
méridionales.
D’un autre côté, le droit en Hollande est supérieur,
il est actuellement de 46 fr. 50 ; en Allemagne, le droit est à peu près le
même que chez nous. Ainsi, le commerce interlope ne sera plus possible ; notre
consommation sera donc réduite à 13,688,000 kilos.
En outre, il est à observer que le chiffre de 6
millions qu’on a indiqué comme celui de la production du sucre indigène
pourrait être exagéré. D’après d’autres renseignements on serait porté à croire
que le chiffre n’est que de 5,500,000 kilog. Il resterait alors seulement une
consommation de 13,188,000 kil. ; mais je veux bien porter cette consommation à
13,500,000 kilog., pour l’établir sur une large évaluation.
Si le chiffre de notre consommation est de
13,500.000 kil.,. l’importation totale des sucres en Belgique, alors que 4/10
des prises en charge seraient réservés au trésor, ne pourra être que de
21,800,000 kilos. ; les 4/10 viendront alimenter la consommation de 8,720,000
kilog., le produit de l’accise serait de 3,488,000 fr. ; voilà dans l’hypothèse
d’une consommation de 13,500,000 kilog. quel sera le revenu du trésor,
3,488,000 au lieu de 4 millions qu’on nous promet. J’ai du reste la conviction
que notre consommation ne dépassera pas 13,500,000 kil.
Mais ce chiffre de 3,488,000 francs, le trésor le
conservera-t-il intégralement ? Non, messieurs, il doit subir deux déductions.
D’abord un honorable membre qui a détendu la cause
opposée à celle que nous soutenons, a présenté, comme compensation des
avantages que la production du sucre indigène fournit à l’agriculture une somme
de 200,000 francs à prélever sur le montant de l’accise.
Voilà donc une première déduction sur le produit de
3,488,000 fr. Il est vrai que cette indemnité de 200,000 fr. resterait à voter
; mais selon moi, cette somme serait bien loin d’être l’équivalent du tort que
la suppression de la production du sucre indigène ferait à l’agriculture. Je,
tiens donc compte de cette compensation qui forme la première déduction.
La seconde est celle qui dérive de l’indemnité que
le gouvernement offre aux producteurs du sucre indigène. On a parlé d’un
chiffre de 4 millions. Il est difficile d’apprécier le montant de cette
indemnité ; mais je prends le chiffre de 4 millions, puisqu’il a été cité dans
la discussion ; ce chiffre porterait un intérêt de 200,000 francs
Voilà donc une somme de 400,000 francs qui réduirait
le produit de l’impôt du sucre à 3,088,000 fr.
Messieurs, pour que le chiffre de 4 millions pût
être atteint comme ressource effective, il faudrait, non pas 4/10, mais 6/10 du
revenu, en raison d’une consommation de 13,500,000 kil,, alors l’importation du
sucre exotique ne serait plus que de
Si, malgré l’évidence des faits, nos adversaires
soutenaient encore que la consommation est de 15 millions de kil.,
voici les résultats que l’on obtiendrait : l’importation en Belgique,
restreinte par la réserve des 4/10, serait de 24,230,000 ; les 4/10 de réserve
donneraient 9,692,000 kil., et le produit de l’accise serait de 3,876,000 fr.
Nous n’arrivons donc pas encore aux 4 millions promis par le projet du
gouvernement ; mais de cette somme il faut encore défalquer les 400,000 fr.,
montant des deux déductions que j’ai calculées tout à l’heure, de sorte que la
ressource effective serait seulement de 3,476,000 fr.
Messieurs, la dernière fois que j’ai pris la parole,
dans l’hypothèse que les deux industries fournissant à la consommation
intérieure du pays, on supprimerait le système des exportations avec prime,
j’ai prouvé que si, dans ce système, la consommation était réellement de 15
millions, on obtiendrait un produit de 6 millions ; si au contraire, la
consommation n’est que de 13,500,000 kilog., le produit sera encore de
5,250,000 francs ; je conviens toutefois qu’il y aurait lieu de tenir compte de
la diminution des produits qui entreraient dans la consommation dont le chiffre
pourrait par cela même subir quelque diminution qui ne pourrait être
considérable ; il n’en resterait pas moins de bien plus grands avantages que
ceux qu’on se promet d’un système qui a pour bases et le principe de
l’indemnité et la destruction d’une industrie nationale, et le maintien des
primes d’exportation exorbitantes.
Messieurs, la section centrale, dans son premier
rapport, vous a dit qu’elle ne voulait pas supprimer toute prime d’exportation,
qu’elle entendait, au contraire, conserver, en partie du moins, le commerce
d’exportation des sucres. Elle ne s’est pas dissimulé que forcément ce commerce
serait plus ou moins restreint, qu’il ne conserverait pas son importance
actuelle. La section centrale a reconnu qu’il était impossible de concilier
tous les intérêts de telle sorte qu’on procurerait de nouvelles ressources au
trésor, et qu’on accorderait plus de faveurs aux deux industries, et elle a
prévu le cas où l’importation serait restreinte à 7 millions de kilog. environ
de sucre raffiné ; dans ce cas, d’après le droit de 50 fr. proposé par le
gouvernement sur le sucre de canne, et celui de 25 fr. sur le sucre indigène,
le produit pour le trésor en raison de 13,688,000 kilog. de consommation
s’élèverait à 3,940 mille francs, Ce produit, qui ne doit subir aucune
réduction, serait bien supérieur à celui qui résulterait du système du gouvernement,
qui même en supposant une consommation de 15 millions de kil., ne donnerait
qu’une ressource de 3,400,000 fr.
C’est, du reste, par une mesure de prévoyance que la
section centrale a continué à faire la réserve d’un dixième. Elle a cru que la
réserve, par l’effet de l’augmentation du rendement, serait bien dépassée ;
mais il y a tant d’incertitude dans les chiffres de rendement, que la section
centrale a cru agir avec prudence en maintenant la retenue du dixième,
quoiqu’elle ne pense pas que les prises en charge soient apurées jusqu’à
concurrence du dixième.
Si, comme nos adversaires le prétendent, le système
proposé par la section centrale ne donnait plus lieu à aucune exportation de
sucre raffiné, nous obtiendrions les produits dont j’ai parlé, suivant les
différentes hypothèses de consommation que j’ai posées.
Qu’on ne prétende donc plus que le projet de la
section centrale ne produit pas de ressources pour le trésor, ou les
exportations continueront et le trésor recevra 4 millions, ou elles ne continueront
pas, et alors le produit de l’impôt sera de 5 à 6 millions. Messieurs, tout à
l’heure je reviendrai sur la partie financière du projet de loi, et sur les
primes d’exportation.
Maintenant, je répondrai à quelques objections
spéciales faites par quelques honorables membres.
L’honorable M. Delehaye a cité une lettre que j’ai
adressée comme ministre des finances à la section centrale, quand il s’est agi
du budget des voies et moyens de 1841, relativement à un amendement proposé par
M. Verhaegen. J’ai dit alors qu’une augmentation de rendement sur le sucre
exotique ne ferait que pousser à l’augmentation de la fabrication du sucre de
betterave ; qu’aucune proposition n’étant faite en même temps pour le frapper
d’un droit, le trésor ne tirerait aucun profit de cette augmentation de
rendement.
Je maintiens cette opinion qui n’est aucunement en
contradiction avec celle que j’émets aujourd’hui. L’élévation du chiffre du
rendement aurait donné une plus forte part de la consommation au sucre
indigène, dont la production se serait accrue en raison de la plus grande
protection qu’il aurait reçue. Ce sucre, ne devant être soums à aucun impôt,
tout l’avantage du rendement supérieur eût été pour lui et non pour le trésor
public. Voilà le sens de l’objection que j’ai faite à l’amendement de
l’honorable M. Verhaegen.
L’honorable M. Delehaye a mal compris ce que j’ai
dit à l’égard de l’importation des huiles de poisson ou de baleine. Je n’ai pas
émis le vœu qu’on introduisît en Belgique des huiles de baleine ou de poisson,
mais j’ai cité comme un fait qu’on en importait une grande quantité des
Etats-Unis ; j’ai été si loin d’émettre le vœu qu’on me prête que, comme
ministre des finances, j’ai proposé une augmentation de droit d’entrée sur
cette huile. J’ai cité cet article entre beaucoup d’autres, pour prouver qu’il
y avait une quantité d’autres objets d’encombrement que les sucres.
Messieurs, lorsqu’on a parlé de la difficulté de la
coexistence des deux industries, on a cité le projet de loi présenté par M. Cunin-Gridaine. L’honorable M.
Cogels en a tiré argument pour prouver qu’une grande quantité de produits des
sucreries indigènes échapperaient aux droits.
J’avais prévu cette objection et j’avais déjà fait
observer que M. Cunin-Gridaine
n’avait pas tenu compte de la nouvelle ordonnance mise en vigueur seulement
depuis le mois d’août
Une autre objection a été faite, c’est qu’une autre
industrie ne jouirait d’une protection aussi forte que celle que nous proposons
en faveur du sucre indigène. Les eaux-de-vie indigènes, nous l’avons déjà dit,
sont défendues contre la concurrence étrangère par un droit de 63 p. c. plus
élevé que celui dont elles sont frappées. Cette analogie est frappante ; sans
ce droit, les eaux-de-vie étrangères nous arriveraient à meilleur marché et de
meilleure qualité, que celles que nous produisons. Le raffinage du sucre
exotique lui-même jouit d’une protection de cent pour cent.
L’honorable ministre des finances vient de nous
citer des chiffres qu’il a puisés dans des documents déjà anciens, et il nous a
dit que dans les départements où on produit du sucre indigène, les droits de
consommation avaient diminué ; il est permis de s’étonner que l’on vienne
reproduire de pareilles assertions, alors que le contraire a été démontré par
des documents plus récents ; faut-il répéter encore que les droits de
consommation dans le département du Nord où un grand nombre de fabriques de
sucre indigène se sont établies, ont augmenté depuis 1831 Jusqu’en 1838 de 55
p. c., alors que la moyenne de cette augmentation n’a été que de 32 1/2 p.c.
dans les départements où de pareilles fabriques n’existent pas. En mettant sous
nos yeux des renseignements puisés dans des documents anciens dont
l’inexactitude est reconnu, on pousse la chambre à une
fausse appréciation des avantages et des inconvénients des deux systèmes qui
sont en présence.
On a prétendu qu’aucun droit n’était prélevé sur le
sucre vergeois et l’on a même nié l’existence de la prime d’exportation. Les
deux qualités les plus communes de sucre vergeois se sont vendues, en 1841, au
prix moyen de 81 fr. 87 c. alors que le sucre brut de
Quant aux lumps, on a dit que les frais de raffinage
étaient compris dans les prix auxquels ils sont livrés à l’exportation. Les
prix moyens des lumps, suivant les tableaux fournis par le gouvernement et
annexés au rapport de la section centrale, ont été, en 1841, de 66 fr. 94 c.,
c’est-à-dire 14 fr.93 c. au-dessous de ceux du sucre vergeois livré à la
consommation intérieure ; ainsi le sucre vergeois des deux qualités les plus
communes se vend 15,20 et 51 fr. plus cher que le sucre brut ; et d’un autre
côté, le sucre lumps, dont la valeur intrinsèque peut être évaluée à 10 fr. de
plus que celle du sucre vergeois commun, se vend à l’étranger à 15 fr. de moins
que ce dernier à la consommation intérieure. En présence de ces faits, il est
impossible de nier encore de bonne foi cette double conséquence que l’on
prélève une fraction du droit d’accise sur le sucre vergeois et que nous
exportons les lumps sans nous rembourser les frais de raffinage et l’intérêt
des capitaux employés à ce commerce.
Je trouve dans un journal de ce matin, qui défend
avec chaleur le projet du gouvernement, des calculs qui démontrent à l’évidence
l’existence de la prime d’exportation ; par des calculs différents, l’auteur de
l’article arrive à peu près au même chiffre que la section centrale. La prime
est d’environ 17 fr. par 100 kil. de sucre exporté.
Nous voyons donc que la partie du commerce de sucre
exotique qui se rapporte à l’importation du sucre raffiné, consiste à emporter
une quantité de sucre brut, à la soumettre à une main-d’œuvre et à livrer pour
l’exportation cette marchandise au prix d’achat.
M. le ministre des finances invoquant toujours
l’influence de ce commerce vient encore de nous dire que si le commerce de
sucre n’existait plus, il ne saurait ce que deviendrait la fabrication
indigène. Je ne comprends pas comment de pareils arguments se reproduisent,
lorsque vingt fois déjà on en a fait justice dans la discussion. Si on ne
consommait pas de sucre, ne trouverait-on pas des moyens d’échange pour les 65
millions de produits coloniaux que nous consommons ?
Il suffit de poser une pareille proposition pour
qu’elle soit réfutée d’elle-même. Supprimez le commerce du sucre, supposez
qu’il n’y a pas de sucre, soutiendrez-vous qu’un commerce d’échange ne pourra
plus s’établir par d’autres marchandises que les sucres ? (Interruption.) C’est la conséquence de votre système, vous
prétendez que s’il n’y a pas de commerce de sucre, il sera impossible
d’exporter des produits belges, vous ne savez même, dites-vous, ce que
deviendra la production indigène. Dans ce moment, nous exportons pour 7
millions dans les Indes orientales et occidentales, et ces 7 millions ne
forment pas une valeur bien considérable relativement à la valeur totale de
notre production ; mais qu’on se tranquillise, nos exportations pourraient être
huit fois plus élevées alors même qu’il n’y aurait plus d’importations de
sucre, ce que toutefois nous ne proposons pas.
Messieurs, on craint de diminuer nos relations avec
Cuba, mais quand même nous apporterons une légère réduction dans l’importation
des sucres, nous ne diminuerions pas pour cela les exportations, puisqu’elles
sont relativement aux importations comme un est à six.
On a parlé de notre commerce des Indes orientales,
et on le regarde comme très important pour le placement de nos produits ; mais
nous n’y plaçons que pour 2 ou 300,000 fr. de marchandises belges et les
navires qui transportent nos produits peuvent tout aussi bien prendre leur
chargement en Amérique qu’en Asie.
J’ai d’ailleurs fait remarquer qu’il ne s’agit pas
d’anéantir le commerce du sucre ; alors même que nous ne prendrions à
l’étranger que ce que nous consommons, il y aurait encore une imputation de 9
millions de kilogrammes si la consommation est, comme on le prétend, de 15
millions de kilogrammes. J’ai rappelé aussi qu’il y avait d’autres matières
d’encombrement, comme les cuirs, les cotons, les cafés, les huiles, les tabacs,
etc., ce sont bien là des objets d’encombrement.
Quant aux exportations de sucres, nous offrent-elles
des avantages marquants ? Je ne reviendrai pas sur ce qui a déjà été dit à cet
égard ; les 4/5 de nos exportations se font vers le Nord, et il est bien
démontré que ces exportations ne concourent que très faiblement à l’écoulement
de nos produits ; le dernier cinquième prend la direction de
Quelles que soient du reste les subtilités
auxquelles on a recours, on n’établira jamais qu’il est utile au pays
d’acquérir une marchandise brute étrangère, de lui donner une main-d’œuvre et
de la vendre ensuite au prix coûtant. Comment prouver cette utilité, alors que
cette perte de main-d’œuvre n’est pas compensée par une influence marquée sur
le placement des autres produits de nos manufactures ?
Messieurs, un argument qui a pu faire quelqu’impression sur certains membres de la chambre, est
celui qui a été présenté par l’honorable M. de Foere : « L’importation des
sucres en général, est, dit l’honorable membre, d’une valeur de 14 millions.
Or, nous plaçons à l’étranger pour 12 millions ; donc le sucre que nous
consommons en Belgique ne coûte que 2 millions. »
Si la base de ce calcul était juste, l’argument
serait assez puissant, mais les 12 millions de valeur fournis par le sucre
exporté à l’étranger, sur quelle base reposent-ils ? Sur une moyenne du prix de
vente de 1 fr. 20 c. le kil. ; mais les sucres que nous exportons, à quel prix
les vendons-nous ? à 70 centimes environ en moyenne. Ainsi le chiffre cité par
l’honorable M. de Foere se réduit d’emblée de 5 millions. Ceci est, je ne dirai
pas, une erreur des tableaux statistiques, parce qu’on laisse toujours
subsister la même valeur, et il est possible que dans les premières années de
la publication de ces documents, le sucre raffiné valait 1 fr. 20 c. ; mais
aujourd’hui il ne se vend que 70 centimes ; c’est donc là une grave erreur dans
la base des calculs de l’honorable M. de Foere. Elle est loin d’être compensée
par la diminution que l’on devrait aussi faire subir au sucre brut importé.
J’ai dit, et je ne veux pas abuser des moments de la
chambre qui paraît fatiguée de cette longue discussion, que la section centrale
ne voulait pas supprimer les importations des sucres étrangers, mais seulement
les réduire dans une certaine proportion. La section centrale a voulu assurer
au trésor les ressources qui lui sont indispensables ; elle a voulu que le
sucre indigène fût frappé d’un impôt, mais que la surtaxe qui atteindrait le
sucre exotique fût réelle et non fictive comme sous la législation actuelle. Si
l’on croit pouvoir arriver à ce triple but, par d’autres moyens que ceux que
nous proposons on n’a qu’à les indiquer. L’honorable M. Delehaye, en parlant du
travail national, a semblé croire qu’il serait avantageux au pays de ne
recevoir que des sucres moscovades. L’honorable membre, quand il émet une
pareille idée se montre favorable à un système qui doit avoir pour résultat de
favoriser le travail national ; c’est par la même raison que nous défendons le
sucre indigène, non pas seulement comme on a paru le croire, parce qu’il
améliore la culture de
Eh bien, messieurs, si l’honorable M. Delehaye
donnait suite à cette idée qui, sans doute, lui a été suggérée par des
personnes très compétentes qu’il est en position de consulter, pour conserver
une main-d’œuvre plus considérable, aux raffineurs de sucre, l’industrie belge
y gagnerait probablement. Nous attendrons les propositions que l’honorable
membre pourra nous faire dans ce sens.
Plusieurs de mes honorables adversaires ont prétendu
que l’exportation des sucres raffinés ne serait plus possible, avec les
rendements de 68 et 71 proposes par la section centrale ; je suis persuadé
qu’ils se trompent ; la France exporte encore 11 millions de kilog. de sucre,
bien que le rendement y soit plus élevé ; mais ceux qui croient que ces
exportations ne peuvent plus avoir lieu, je touche ici le cœur de la question,
et je demande l’attention de la chambre et surtout de l’honorable M. Delehaye.
M. Delehaye. - J’écoute et je prends des notes.
M. Mercier. - Je dis que la section centrale a la conviction que le rendement qu’elle
propose permettra encore des exportations de sucre raffiné ; je permets à
d’autres de ne pas être de cette opinion, mais je leur demanderai de proposer
alors une autre combinaison. Si l’on descendait même jusqu’au chiffre admis en
Hollande, qui est de 67 1/2 kil., j’ai fait des calculs dont il résulte qu’avec
une consommation de 15 millions de kil., en réservant un quart des importations
pour le prélèvement du droit, et en établissant l’ancien au taux proposé par le
gouvernement dans son projet primitif, c’est-à-dire 50 francs sur le sucre
exotique, et 25 francs sur le sucre indigène ; selon les propositions de la
section centrale on obtiendrait un produit de 3,900,000 francs. Voici quel
serait le résultat de ce système. Il y aurait une importation de 19,600,000
kilog, la réserve du quart serait de 4,825,000 kilog., et le produit à 50 fr.
donnerait 2,400,000 fr., plus 1,500.000 fr. pour les 6 millions de kilog. de
sucre indigène. Cela fait bien 3,900,000 francs. Voilà un système de
conciliation qui pourrait être examiné et qui permettrait une importation de
19,600.000 kilog., si comme on l’a soutenu, la consommation était de 15
millions de kilog.
J’ai fait les mêmes calculs sur une consommation de
13,1500,000 kilog. En suivant, du reste, les mêmes bases, l’importation du
sucre brut en Belgique, serait de 16,170,000 kilog. ; la réserve de 25 p. c.
serait de 4,420,000 kil., et le droit sur le sucre serait de 2,020,000 fr. ; en
y réunissant le produit du sucre indigène, on obtiendra 3,500,000 fr.
Chacun de ces produits est supérieur à ceux que l’on
nous annonçait comme devant résulter du projet présenté par le gouvernement.
Ce système ne peut être proposé et développé que par
ceux qui ne croient pas qu’avec le rendement de 68 et de 71, les exportations
soient possibles ; le trésor y trouverait des ressources certaines, le
raffinage serait alimenté suffisamment, et l’on maintiendrait la fabrication du
sucre indigène.
Quand nous en serons au rendement ce système pourra
être discuté ; il pourra, en attendant, être médité par nos honorables
adversaires. J’engage l’honorable M Delehaye à ne pas s’en tenir à l’idée vague
qu’il a émise en ce qui concerne les sucres moscovades, qui exigerait plus de
main-d’œuvre dans le pays ; l’importation exclusive de cette espèce de sucre
brut serait d’autant plus avantageux qu’aujourd’hui les rendements diffèrent de
60 à 75 et 80 p. c., selon les différentes qualités de sucre brut, et qu’en
n’admettant que des sucres non terrés, le rendement serait à peu près uniforme,
ce qui simplifierait beaucoup les difficultés en présence desquelles nous nous
trouvons.
M. le président. - La parole est à M. Delehaye.
Plusieurs membres. - La clôture.
- La clôture de la discussion est demandée par plus
de dix membres.
M. Cools. - Je dois me prononcer contre la clôture, parce que je désire faire une
seule observation pour donner l’explication du vote que je veux émettre. Si la
chambre ne me le permet pas, je devrai m’abstenir.
M. Cogels. - Messieurs, la séance d’hier a été occupée presque tout entière par le
discours d’un de nos adversaires, qui a fait assez d’impression sur la chambre,
et auquel, par conséquent, il est de son intérêt d’entendre une réponse.
Aujourd’hui encore, si vous en exceptez le discours de M. le ministre des
finances, c’est l’honorable rapporteur de la section centrale qui seul a eu la
parole.
Messieurs, je vous le demande,
dans une question aussi importante que celle qui nous occupe, laisserez-vous
sans réponse des arguments qui reposent sur des bases, sur des faits
complètement faux ? C’est ce que j’entreprends de vous démontrer ; et vous
porteriez un jugement d’après ces arguments !
Messieurs, j’ai formé seul la minorité de la section
centrale. Les autres membres de cette section, l’honorable M. de
M. Rodenbach. -
Messieurs, je me prononce contre la clôture. Comme on vient de le dire, depuis
trois ou quatre jours, on n’a entendu que très peu d’orateurs et les ministres
ont parlé très longuement. Il est des membres qui désireraient motiver leur
vote, et je suis de ce nombre. Je ne prendrai d’ailleurs que trois minutes.
J’ai à répondre à plusieurs orateurs, mais je serai très laconique. Je n’ai
encore émis aucune opinion dans la question si grave qui nous occupe.
Je demande, comme l’honorable préopinant, que la
discussion se prolonge encore pendant une demi-heure ou trois quarts d’heure.
M. Eloy de Burdinne. - Messieurs, l’honorable M. Cogels vous a dit que l’on avait avancé des
faits erronés, de fausses données, auxquelles il désirait répondre. Moi aussi,
je désire répondre à des arguments produits par mes adversaires, et que je me
fais fort de détruire.
Messieurs, j’avais demandé la parole dans la
discussion générale pour répondre à ces arguments, et on l’a clôturée avant de
m’entendre. J’ai demandé la parole sur la question qui nous occupe et on veut
de nouveau clôturer la discussion. On ne doit pas refuser la parole à des
députés qui ont les moyens de détruire des faits complètement erronés. Dans une
discussion aussi grave, ce ne serait pas du tout convenable, ce ne serait pas
même loyal.
D’ailleurs, dans la séance d’hier, qui a-t-on
entendu ? Trois membres qui ont traité la question dans le sens de l’intérêt du
sucre étranger ; M. le ministre des travaux publics, M. le ministre des
finances et l’honorable M. Osy ont successivement pris la parole. Aujourd’hui
un seul membre a soutenu l’intérêt d’une industrie du pays. On va maintenant la
donner à l’honorable M. Delehaye. Mais si trois membres de suite ont parlé hier
en faveur du sucre exotique, il me paraît qu’on aurait dû aujourd’hui accorder
d’abord la parole à trois membres qui défendent la question opposée. Alors il y
aurait parité. On était convenu d’entendre alternativement un orateur pour et
un orateur contre le projet du gouvernement.
Je sais que les ministres ont le
droit d’avoir la parole quand ils la demandent ; mais il n’en est pas moins
vrai que trois députés ont consécutivement parlé dans un sens, et un seul
orateur dans un sens opposé.
C’est pour ces motifs que je désire que la
discussion continue ; et si on la veut clore dès maintenant, je demanderai à
être inscrit immédiatement sur la question du rendement, pour que je puisse au
moins émettre une opinion.
M. de Theux. - Messieurs, l’honorable M. Cogels demande la parole pour répondre aux
observations qui ont été faites, dans l’intérêt de la concurrence du sucre
indigène et du sucre exotique. Mais je ferai remarquer que le débat s’est
ouvert par un discours prononcé par M. le ministre des finances dans l’intérêt
du sucre exotique, et demandant la suppression du sucre indigène. Pour rester
dans les termes de la justice et du règlement, il faut que la discussion soit
clôturée par un discours prononcé dans l’intérêt de la conservation du sucre
indigène. Sans cela vous aurez un débat ouvert et terminé dans un seul et même
intérêt. Cela n’est pas juste, ni conforme à nos précédents.
Si donc on accordait la parole à l’honorable M.
Cogels, je demanderais qu’elle fût ensuite accordée à un autre orateur pour
défendre le sucre indigène, je crois que l’honorable M. Dubus est inscrit.
- La clôture de la discussion est mise aux voix et prononcée.
M. le président. - Je vais mettre aux voix la première question de l’honorable M. de
M. Verhaegen. - Il est bien entendu que si la négative est adoptée, c’est qu’il y aura
un droit proportionnel. (oui ! oui !)
Je fais cette observation, pour que tout le monde comprenne bien la portée du
vote.
M. Cools. - Il doit être entendu que ceux qui votèrent pour l’égalité du droit,
comme principe fondamental de la loi, pourront examiner plus tard, lorsqu’on
arrivera à la question de l’indemnité, si l’égalité doit être établie dès la
première année, ou s’il faut y arriver graduellement dans un laps déterminé
d’années, et en augmentant annuellement l’impôt le plus faible,
M. Eloy de Burdinne. - J’ai une simple question à adresser à la chambre. Je demanderai si,
dans le cas où il serait décidé qu’il y aura un droit égal sur les deux sucres,
on pourrait proposer d’imposer d’un droit de douane le sucre à l’entrée ? (Oui ! oui !)
Il est procédé au vole par appel nominal sur la
première question proposée par M. de
70 membres prennent part au vote :
31 votent pour l’affirmative ;
39 pour la négative.
En conséquence, la chambre décide qu’il n’y aura pas
un droit égal sur le sucre indigène et sur le sucre exotique.
Ont voté pour l’affirmative : MM. Cogels, Cools, de
Brouckere, Dedecker, de Foere, Delehaye, de Mérode, de Potter, Desmaisières, de
Terbecq, Devaux, Donny, B. Dubus, Henot, Hye-Hoys, Kervyn, Lebeau, Liedts,
Maertens, Manilius, Mast de Vries, Nothomb, Osy, Peeters, Pirmez, Rogier, Scheyven,
Smits, Troye, Van Cutsem et Van Hoobrouck.
Ont voté pour la négative : MM. Coghen, de Baillet,
de Behr, de Florisone, de Garcia de
M. de La Coste. - D’après la décision que la chambre vient de prendre, j’abandonne, en ce
qui me concerne, la deuxième des questions que j’ai posées, c’est-à-dire, que
je ne mets plus en doute qu’il doive y avoir une restitution. De sorte que,
selon moi, il faudrait maintenant passer à la question de savoir si le chiffre
du rendement sera changé, et, en cas d’affirmative, par quel chiffre on le
remplacera. Cependant, si l’honorable M. Dumortier maintient sa proposition, il
me semble que cette proposition doit avoir la priorité.
M. le ministre des finances
(M. Smits) - La chambre vient de décider qu’il n’y
aurait pas un droit égal pour les deux sucres ; dès lors, la première question
examiner est celle-ci : Quelle sera la différence du droit entre les deux
sucres ?
M. Rodenbach. - Je
pense aussi qu’il faut maintenant s’occuper du chiffre du droit qui sera établi
sur l’un et sur l’autre des deux sucres. M. le ministre des finances a proposé
un droit de 40 fr. ; la section centrale a proposé pour le sucre de betteraves
un droit de 25 fr. Il me semble que l’on pourrait discuter la question de savoir
s’il y aura un droit de 40 fr. sur le sucre exotique et un droit de 25 fr. sur
le sucre indigène. Je me propose de présenter un amendement à cet égard ; dans
tous les cas ce n’est que lorsque nous connaîtrons le chiffre du droit, que
nous pourrons examiner la question du rendement et celte de la retenue de 4/10.
M. Verhaegen. - Il me semble, messieurs, qu’avant de nous occuper de la hauteur du
droit, il faudrait décider quel avantage on accordera au sucre exotique, à l’exportation,
c’est-à-dire la question du rendement. Une fois ce point établi, nous saurons
ce que nous avons à faire en ce qui concerne le droit à imposer à chacun des
deux sucres, en ce qui concerne la position respective des deux industries. Je
demande donc que l’on décide eu premier lieu la question du rendement.
M. Dumortier. - Je partage l’opinion de l’honorable M. Verhaegen, qu’il faut d’abord
décider d’après quel rendement s’opérera la restitution des droits, mais,
messieurs, avant de s’occuper de cette question il faut savoir s’il y aura une
restitution. C’est là la première question qui se présente dans l’ordre naturel
des idées. Il s’agit, avant tout, de savoir si l’on maintiendra l’abus qui
existe actuellement, en le modifiant d’une manière quelconque ou bien si on le
supprimera. Eh bien, messieurs, je propose de le supprimer complètement et
c’est dans ce but que j’ai soumis à la chambre une question de principe, c’est
dans ce but que j’ai proposé à la chambre de déclarer que le droit sera acquis
au trésor au moment de la mise en consommation. Il me semble que c’est par
cette proposition qu’il faut commencer.
M. Delehaye. - il n’y aura plus d’exportation.
M. Dumortier. - Je veux bien l’exportation, mais je ne veux plus de prime d’exportation
dissimulée ; je ne veux pas que le trésor perde annuellement 5 à 6 millions
pour donner des primes d’exportation.
Je pense donc, messieurs, que
nous devons commencer par décider si nous entendons que le droit de
consommation soit entièrement acquis au trésor, ou, en d’autres termes, si nous
admettrons un droit de douane au lieu d’un droit d’accise. Si nous admettons ce
principe, nous aurons alors à en régler les conséquences ; nous déciderons
alors ce que nous voulons faire pour l’exportation ; nous déciderons alors si
nous voulons permettre le raffinage en entrepôt ou bien si nous voulons
accorder une prime d’exportation sur les sucres exotiques importés au-delà de
ce qui est nécessaire pour la consommation.
Je demande donc que la chambre passe à la discussion
de la première question que j’ai eu l’honneur de lui soumettre, et qui amènera
nécessairement la question du rendement.
M. Eloy de
Burdinne. - Messieurs, différents systèmes
peuvent être présentés pour donner des revenus au trésor ; on pourrait
proposer, par exemple, de fixer le droit à 50 fr. sur le sucre exotique et à 40
fr. sur le sucre indigène. Ce qui est certain, c’est que pour tous les produits
étrangers qui sont en concurrence avec des produits similaires indigènes, nous
accordons à ceux-ci une protection. Eh bien, en ce qui concerne le sucre, nous
pourrions aussi, indépendamment du droit d’accise, établir sur le sucre
exotique un droit d’entrée de 10, 15 ou 20 fr. par 100 kil., sauf à donner
alors un encouragement aux raffineurs qui travailleraient pour l’exportation.
Avec un semblable système on pourrait donner au trésor huit millions au lieu de
quatre que l’on demande.
M. le
président. - Il s’agit de savoir si l’on
s’occupera maintenant du chiffre du droit ou de la question du rendement.
M. le ministre des finances
(M. Smits) - Il me semble, messieurs, qu’il serait
contraire à toutes les règles de la logique de décider la question du rendement
avant d’avoir fixe le chiffre du droit, car la détermination que la chambre
prendra relativement au rendement sera nécessairement basée en partie sur la
hauteur du droit. Augmenterez-vous le rendement ou bien la retenue au profit du
trésor ? Mais si vous augmentez la retenue, vous le ferez sans doute en raison
de l’importance du droit ; si le droit est faible, la retenue devra être plus
forte ; si le droit est élevée, la retenue pourra être
moindre. Il me semble donc qu’il faut commencer par décider la question de
savoir quel sera le droit perçu sur chacun des deux sucres.
M. de Brouckere. - Il est évident, messieurs, qu’en donnant une solution négative à la
première question posée par l’honorable M. de
Ainsi ; par exemple, il est impossible de résoudre
la question du rendement avant d’avoir décidé celle de savoir quel sera le
chiffre du droit pour chacun des deux sucres. Vous prononcerez des discours
sans nombre sur la question du rendement, vous n’arriverez à aucune solution
aussi longtemps que vous n’aurez pas fixé le chiffre du droit.
Je ne concevrais pas que l’honorable M. de
Il me serait facile de prouver
par des chiffres que la question de la hauteur des droits doit avoir la
priorité ; la chambre a décidé qu’il n’y aura pas égalité de droits ; eh bien,
je suppose que l’on n’établisse qu’une différence de 5 fr. entre les deux
droits, il est certain que nous pourrions nous rallier à un semblable système
et que le projet du gouvernement ne serait pas par là complètement renversé ;
mais si vous établissez une différence beaucoup plus grande, vous tombez dans
un système tout autre. Il faut donc que la question fondamentale, celle de la
différence des droits, soit entièrement décidée avant que l’on puisse passer à
une autre question, et elle ne sera pas décidée entièrement, aussi longtemps
que vous vous serez bornés à dire qu’il n’y aura point parité de droits sur ce
point, sans doute les défenseurs du sucre exotique sont battus, mais quelle
sera la différence du droit ? Je demande que ce soit la question dont la
chambre s’occupe actuellement.
M. Demonceau. - Messieurs, je tâcherai de ne pas imiter l’honorable préopinant, je
n’aborderai pas le fond ; je me bornerai à soumettre à la chambre une seule
question ; cette question est tout pour moi.
Comment sera-t-il possible de fixer un prix
quelconque différentiel, avant que la chambre n’ait pris une résolution sur
cette question :
« La loi continuera-t elle d’accorder une prime
d’exportation ? »
Tout dépend de la solution de cette question. Vous
ne pouvez savoir si vous établirez un droit différentiel de tel ou tel taux sur
tel ou tel sucre, qu’autant que vous sachiez ce que vous donnerez à
l’exportation.
Il me paraît facile de sortir de ces embarras ;
c’est de réunir la deuxième et la troisième des questions posées par
l’honorable M. de
La première de ces deux questions est ainsi conçue :
« Y aura-t-il décharge proportionnelle d’accise en
cas d’exportation de sucres raffines ? »
C’est-à-dire, si je comprends
bien la question : Y aura-t-il décharge égale au droit imposé ; où y aura-t-il
décharge supérieure au même droit ?
La troisième question est ainsi
conçue :
« Suivant quel rendement cette décharge
s’opérera-t-elle ? »
Vous voyez que ces deux questions se lient
essentiellement. Si vous décidez qu’il y aura une décharge supérieure au droit,
vous verrez quel rendement vous devrez admettre ; si vous décidez au contraire
qu’il y aura une décharge égale au droit, vous établirez un rendement en
conséquence.
M. Desmet. - Messieurs, en rejetant l’équilibre de droit, vous avez repoussé le
système de la coexistence des deux industries ; ce que nous devons faire
maintenant, c’est organiser le système de la coexistence.
M. de
Theux. - Il faut faire une distinction dans l’ordre de la
discussion et dans celui du vote. En ce qui concerne l’ordre du vote, il est
évident qu’il faut voter avant tout sur la différence de droit à établir entre
les deux sucres, et ensuite sur la question du rendement. Mais, en ce qui
concerne la discussion, la question de la hauteur du droit et celle du
rendement se lient dans la discussion. En effet, l’inégalité de droit devra
être plus ou moins grande suivant le plus ou moins de faveur que vous
accorderez aux sucre exotique, à l’exportation, quand au rendement : plus les
raffineurs de sucre exotique auront de facilité pour laisser dans le pays une
partie de leurs produits, avec exemption des droits, plus la concurrence pour
le sucre de betterave sera grande. On voit donc que ces deux questions sont
connexes quant à la discussion ; mais quant à l’ordre de la discussion, il faut
voter premièrement sur le droit à établir sur le sucre exotique et sur le sucre
de betterave, et ensuite se prononcer sur la question du rendement.
M. Mercier. - Je partage l’opinion des honorables MM. de Theux et Demonceau. Il est
certain que la fixation du rendement doit avoir une grande influence sur le
droit qui sera réellement prélevé à la consommation ; car ce qui intéresse le
sucre indigène, c’est moins encore la quotité du droit qui sera établi par la
loi, que le droit qui sera supporté par le consommateur. D’un autre côté, le
droit lui-même réagit aussi sur la prime d’exportation, car elle est en raison
et du rendement et de la quotité du droit. Ainsi, il y a lieu de discuter
simultanément les deux questions.
M. de La Coste. - Messieurs, on a dit qu’il n’était pas logique de discuter le rendement
avant d’avoir fixé les droits. Je crois que vous avez voulu faire une chose
sérieuse quand vous avez décidé qu’il n’y aurait pas égalité de droit.
L’honorable M. de Brouckere a parlé de propositions qui tendraient à n’établir
qu’une différence d’un franc ou de cinq francs ; mais si la chambre adoptait de
semblables propositions, elle ne prendrait pas au sérieux son premier vote.
Quelque marche que la chambre adopte, il faut qu’elle sache qu’en fixant, par
exemple, un droit de 40 fr. sur le sucre exotique et un autre de 20 fr. sur le
sucre indigène, elle n’aura rien fait du tout, que c’est uniquement par le
rendement et par les retenues que vous rendez le droit effectif.
Il me semble donc plus logique de discuter d’abord
la question du rendement.
M. Cogels. - La chambre vient de décider que son désir est d’assurer la coexistence
des deux sucres. Plusieurs, questions se présenteront : Maintenant, il faudra
d’abord chercher le moyen d’assurer cette coexistence d’une manière stable, et
il faudra voir s il y a lieu de le faire par des droits fixes ou par des droits
variables. Vous concevez que le terrain sur lequel la question va se placer
sera assez étendu, sans qu’on l’embarrasse encore avec la question du rendement
; en confondant la question du rendement avec la question des droits
différentiels, nous allons retomber dans une véritable discussion générale.
Je crois donc qu’il faut d’abord
traiter la question spéciale, c’est-à-dire, la valeur relative des deux sucres
; je crois qu’il y a d’autant plus lieu de suivre cette marche, que la question
du rendement sera cette fois applicable aux deux sucres.
Avant de terminer, je dois dire
deux mots tout à l’heure, dans la chaleur de l’improvisation, il m’est échappé
une expression assez peu parlementaire ; j’ai dit que le discours de
l’honorable M. Meeus reposait sur des faits faux ; je crois l’honorable membre
tout à fait incapable d’avancer des faits faux ; j’ai voulu dire que son
discours était basé sur des données fausses.
M. Rodenbach. -
Messieurs, il me semble qu’il faut commencer par fixer l’impôt ; lorsque
l’impôt sera fixé, l’on proposera des amendements pour déterminer le rendement
; mais je ne conçois pas comment, n’ayant pas de chiffre, vous pourriez
calculer un rendement, Il est donc rationnel de commencer par fixer l’impôt.
M. Eloy de
Burdinne. - Je crois que nous devons commencer
par la proposition de l’honorable M. Dumortier ; car autrement il serait assez
difficile de pouvoir se prononcer, il faut préalablement connaître si l’on ne
serait pas d’avis d’augmenter le droit de douane sur le sucre ; il convient
donc d’aborder en premier lieu la proposition de M. Dumortier. Si le droit est
fixé à 40 fr. sur l’un et à 50 fr. sur l’autre, il conviendra peut-être
d’augmenter le droit de douane sur le sucre exotique. Voilà les observations
que j’avais à faire.
M. Meeus. - Je ne m’oppose nullement à ce que l’on décide la question du droit ou
celle du rendement, seulement je veux faire observer que de cette manière ce
sera en quelque sorte renouveler la discussion générale. Mais si vous décidez
ainsi, ce à quoi je ne m’oppose pas, toujours est-il que vous devrez commencer
par résoudre la question de principe, car il est impossible de savoir si le
chiffre de l’impôt que vous établirez, si vous ne savez pas d’avance ce que
sous le nom de rendement vous accorderez à l’exportation du sucre raffiné. Si
vous adoptez le chiffre de 40 fr. et que le rendement soit établi, de telle manière qu’on vous enlève 20 fr., que
restera-t-il ? Il est essentiel avant tout de procéder comme tout à l’heure par
question de principe, et j’avoue franchement que la question posée par M.
Dumortier, doit avant toute autre trouver ici sa place. C’est une question de
principe : Accorderez-vous encore sous le nom de rendement ou de toute autre
manière une prime à l’exportation du sucre raffiné en Belgique ? Il paraît que
sur ce terrain nous abrégerons la discussion mais si vous discutez deux
questions ensemble, cela durera encore deux ou trois jours, et il faudra
toujours en revenir à la question de principe avant tout, à la question posée
par M. Dumortier, car il me semble que je ne saurais asseoir une opinion
consciencieuse sans que cette première question soit vidée, et pour beaucoup de
membres de cette chambre, il doit en être de même.
M. le ministre des
travaux publics (M. Desmaisières) - Messieurs, que venez-tous de
décider tout à l’heure ? Vous avez décidé qu’il n’y aurait pas égalité de
droits entre les deux sucres. Eh bien, il est évident que ce que vous avez à
décider maintenant, en premier lieu, c’est la question de savoir quelle sera
l’inégalité entre les deux sucres. Il faut donc commencer par fixer le droit à
payer par chacun des deux sucres. Après cela vous arriverez à la décision à
prendre sur toutes les autres questions. Ainsi, si vous fixez le droit sur le
sucre exotique à 40 fr., vous aurez à voir comment vous assurerez au trésor la
perception de ces 40 fr., dans les cas prévus par la loi ; vous verrez s’il
faut réserver au trésor, un, deux ou trois dixièmes, car c’est ainsi que vous
pouvez assurer au trésor la recette sur le droit du sucre exotique ; j’ai
prouvé que le rendement ne fait rien sur la perception du droit.
Pour le sucre de betterave, vous
aurez également à examiner quels sont les moyens d’assurer la perception du
droit dont vous l’avez frappé. Viendra ensuite une troisième question à
examiner, si vous élevez le rendement oui ou non en faveur du sucre de
betterave. car ce n’est que sur le sucre de betterave que le rendement peut
avoir de l’effet. Vous aurez aussi à examiner si, en élevant le rendement pour
le sucre exotique, si vous ne dérangez pas l’équilibre proportionnel, si je
puis m’exprimer ainsi, que vous aurez voulu établir entre les deux sucres.
Il est donc logique de décider d’abord quel sera le
droit à payer par le sucre exotique et par le sucre de betterave, et ensuite
quelles conditions vous imposerez tant à l’un qu’à l’autre pour assurer au
trésor la recette qu’il veut obtenir, mais j’avoue aussi que ces diverses
questions ont une telle corrélation entre elles, qu’il sera nécessaire de les
discuter en même temps, sauf à les décider ensuite dans l’ordre que je viens
d’indiquer.
M. Dumortier. - Toute l’obscurité qui règne dans cette discussion prouve celle qui
règnera lorsque vous aurez mis cinq ou six questions à la fois sur le tapis.
Voici toutes les questions qui se rattachent à celles que l’on veut vous faire
poser : 1° Le taux de l’impôt sur le sucre de betterave et l’impôt sur le sucre
de canne ; 2° les proportions de qualités de sucre exotique, de manière à
échelonner le droit suivant que le sucre contient un plus grand nombre de
parties cristallisables ; 3° on demandera le rendement sur le raffinage du
sucre qui viendra compliquer la discussion ; viendra ensuite la restitution de
sortie et la retenue sur le sucre exotique. Cela fait six questions que l’on
discutera simultanément, et dans ce dédale vous arriverez à une tour de Babel ;
c’est-à-dire qu’on ne s’entendra plus du tout, comme déjà maintenant on ne
s’entend pas. Il vaut donc mieux aborder franchement la difficulté. Veut-on
continuer dans la voie du système de la loi de 1822, ou veut-on un nouveau
système ; voilà la question ; abordez-la franchement, c’est le seul moyen de
sortir d’embarras et d’assurer au trésor un revenu clair et assuré.
M- le ministre des travaux publics a dit que puisque
vous avez décidé l’inégalité des droits, il fallait d’abord fixer la différence
des droits. Ceci est spécieux, mais n’est pas logique, car la différence du
droit repose sur la quotité du rendement, et cette question repose elle-même
sur une autre question : Y aura-t-il un rendement ? Pour faire marcher la
discussion, il faut commencer par décider s’il y aura un rendement sur le sucre
exotique. Voilà le moyeu d’arriver à un résultat réel.
Je demande donc que l’on commence
par discuter le principe de la loi. Veut-on persister dans la loi de 1822, qui
a eu des résultats si funestes pour le trésor, ou bien veut-on assurer au
trésor le produit de l’impôt de consommation dans le pays, en transformant le
droit d’accise en droit de douane. Voilà la question nettement posée, ou sans
cela vous n’en sortirez pas. Je demande que l’on pose cette question « Le droit
sur le sucre consommé à l’intérieur sera-t-il acquis au trésor, ou, en d’autres
termes, continuera-t-on le système de rendement qui nous régit aujourd’hui
? » C’est toujours la même chose. La question est bien claire. Ce n’est
que le vote sur le principe qui pourra nous faire émettre un vote sur le
chiffre de l’impôt et du rendement. Je demande donc que l’ou mette aux voix
cette question.
M. de Brouckere. - Messieurs, autant vous entendez d’orateurs, autant de fois vous entendez
la même chose. La majorité qui vient de se déclarer tout à l’heure, veut tout
prix commencer par discuter la question du rendement, la minorité vous demande
de continuer l’examen d’une question qui n’est pas encore entièrement résolue ;
de compléter, pour me servir d’une expression que j’entends auprès de moi, la
solution d’une question.
M. Mercier. - Elle est résolue.
M. de Brouckere. - Vous avez répondu négativement à une question qui exige maintenant une
résolution affirmative.
Messieurs, de toutes parts cependant j’entends
répéter qu’il existe une espèce de corrélation entre la question qui concerne
la quotité du droit dont chaque industrie doit être frappée, et la question du
rendement. S’il en est ainsi, dussions-nous retomber dans ce que l’honorable M.
Meeus appelle une discussion générale, il est impossible de ne pas les discuter
ensemble. Vous aurez beau vouloir limiter les orateurs, on examinera la seconde
question tout en traitant la première. Il faut donc les examiner simultanément,
sauf à mettre d’abord aux voix la première ; quant à moi je me déclarerai
encore pour que l’on mette d’abord aux voix la question de la quotité du droit.
Nous devons donc entamer la discussion en mettant en délibération les deux
questions simultanément.
M. Verhaegen. - Messieurs, je pense qu’il faut en finir, car on discute beaucoup
maintenant sans savoir pourquoi nous discutons. Ce que je vois de plus clair,
c’est que, après la décision qui vient d’être prise, le sucre exotique veut
embrouiller la question, tandis que le sucre indigène veut la simplifier. Il y
a un très bon moyen d’en sortir, et ici je serai sans doute d’accord avec mon
honorable collègue M. de Brouckere, voici comme j’entends la chose.
La chambre vient de décider quelque chose de
sérieux, comme l’a fort bien dit l’honorable M. de
C’est une question complexe qui
se compose de deux questions simples qui ont une corrélation entre elles. On
voterait d’abord sur l’une ou l’autre de ces deux questions, mais après les
avoir votées toutes deux séparément, on voterait sur l’ensemble. De cette
manière, ceux qui auraient voté tel droit et ne l’approuveraient plus avec le
chiffre admis pour le rendement, voteraient contre la question complexe. Chacun
sera ainsi à même d’émettre son opinion.
Je propose donc qu’on discute simultanément le
mérite des deux questions corrélatives qui forment la question complexe ; on
mettra aux voix les deux questions simples séparément, et ensuite il y aura un
vote d’ensemble sur la question complexe.
M. Mercier. - Je partage l’opinion de l’honorable M. Verhaegen, et je craindrais de
la rendre moins claire en y ajoutant de nouveaux développements. Je me réunis
donc à l’opinion émise de discuter en même temps le rendement et la quotité des
droits ; seulement je ferai remarquer qu’il y a une question qui prime les
autres, c’est de savoir si on maintiendra le système de rendement. Celle-là
doit être résolue avant tout ; si elle était résolue négativement, il ne
s’agirait plus de rendement légal ; dans le cas contraire, on abordera à la
fois et la question du rendement et celle des droits, comme le proposent
l’honorable M. Verhaegen et plusieurs autres préopinants.
M. de Theux. - Je
suppose que tout le monde est d’accord, car on en revient à la proposition que
j’avais faite. J’ajouterai une observation décisive. Des membres veulent
conserver le système de rendement, pourvu que le trésor soit assuré d’une
recette de 4 millions, d’autres, au contraire, ne veulent en aucune manière de
ce système, on doit donc examiner en même temps et la conservation de ce
système et la question de recette.
M. de Brouckere. - La meilleure preuve que nous ne voulons pas embrouiller la question,
c’est que nous nous rallions à la proposition de M Verhaegen.
M. le président. - On a proposé de mettre d’abord en discussion le taux du droit respectif
et la question du rendement. Alois viendra la question de savoir s’il y aura un
rendement, et s’il y a lieu d’admettre la proposition de M. Dumortier.
M. Dumortier. - Je ferai observer que ceux qui partagent mon opinion, qu’il faut
supprimer le système de la loi de 1822, ne pourront pas prendre part à la
discussion. Nous soutenions qu’il ne faut pas de rendement ; comme la
discussion portera sur le rendement et sur le droit, quand on aura voté sur le
droit, comme la discussion sera close, nous ne pourrons plus présenter
d’observations sur le fond ; de manière qu’on annule les raisons que nous
aurions à donner sur les divers systèmes, comme l’a dit M. Mercier, la question
que je propose doit primer toutes les autres, cette question décidée, chacun
pourra soutenir sa thèse suivant l’opinion qu’il défend.
M. le ministre des
finances (M. Smits) - Les honorables membres qui veulent
une autre législation que celle de 1822, qui ne veulent pas que le compte du
raffineur soit déchargé à l’exportation voteront contre toute espèce de
décharge, quand nous en serons à la question du rendement. Chacun sera
parfaitement libre. Je suppose que la chambre fixe d’abord la quotité du droit,
elle décidera ensuite s’il faut restituer une partie du droit à l’exportation.
Les personnes qui ne voudront pas de décharge, voteront contre ce système.
M. Mercier. - La discussion sur la priorité a fait un grand pas, puisque nous sommes
d’accord en ce que les deux questions doivent être examinées simultanément ;
mais il y a un troisième point à décider. Les honorables membres qui veulent la
discussion simultanée, doivent admettre aussi la proposition de M. Dumortier,
de résoudre d’abord la question de savoir s’il y aura un rendement légal. Cette
question vidée, on abordera les deux autres.
M. le ministre des finances
(M. Smits) - L’honorable M. Mercier vient de dire
qu’en mettant d’abord en discussion la question posée par l’honorable M.
Dumortier, ou simplifierait les débats ; je trouve au contraire qu’on les
étendrait, car M. Dumortier propose d’abolir un système d’accise qui existe en
Angleterre et en Hollande.
M. Dumortier. - Je propose le système anglais.
M. le ministre des finances
(M. Smits) - Nous discuterons ce système. Quand on
aura établi le droit, on pourra mettre en discussion la proposition de M.
Dumortier. La chambre doit donc commencer par la fixation du droit, ensuite du
chiffre du rendement. Si M. Dumortier ne veut pas de rendement, il votera
contre.
M.
de Mérode. - Il est désirable qu’on voie clair
dans la discussion. Une des grandes difficultés de la loi actuelle, c’est
l’obscurité dans laquelle on se trouve toujours. Par la proposition de
l’honorable M. Dumortier, chacun sait ce qu’il fait relativement à ce
rendement, Je considère l’impôt sur le sucre comme le plus productif pour le
trésor public et le moins vexatoire pour les contribuables, je sais qu’on en a
fait un moyen de commerce dont personne ne peut apprécier la valeur. Quant à
moi, bien que je ne sois pas partisan du sucre de betterave, je suis partisan
du système qui fera produire au sucre les revenus le plus considérables, parce
que cela nous dispensera de recourir à d’autres impôts plus vexatoires. Je suis
donc disposé à n’admettre aucun rendement et à faire produire au sucre le plus
possible pour le trésor. J’aimerais mieux accorder une prime d’exportation bien
définie qu’un rendement dont je ne peux connaître l’importance. Je demande donc
que la question posée par M. Dumortier soit la première vidée.
M. le ministre
des travaux publics (M. Desmaisières) - Que
demandent M. Dumortier et les honorables membres qui soutiennent son opinion ?
Ils demandent à être mis à même de rejeter le système de rendement. Alors, peu
leur importe le rendement proposé, ils voteront contre tous les rendements
qu’on proposera. Ils seront donc à même de voter selon leur opinion.
M. Demonceau. - Je réclame un instant l’attention de la chambre, parce que M. le
ministre est dans l’erreur. Le gouvernement veut 4 millions assurés. Par quels
moyens voulait-il y parvenir en assurant 4/10 au trésor ? La majorité s’est
prononcée contre le système proposé par le gouvernement. Nous voulons 4
millions effectifs pour le trésor. Je dis que de la question du rendement
dépend le chiffre que vous devez avoir pour le trésor. Quand vous aurez dit si
vous voulez oui ou non un rendement, vous saurez ce que vous donnerez au trésor
en fixant le droit. Ce que nous devons faire, c’est de voir si nous voulons un
système de prime ; si vous ne voulez pas de prime, il est inutile de vous
occuper du rendement. Discutez la proposition de M. Dumortier ; si vous
l’adoptez, il en résultera que vous aurez substitué à une législation vicieuse,
une législation positive, une perception de droit, qui vous assurera la
possession des sommes imposées à l’entrée ; vous n’aurez plus à vous occuper du
rendement.
Je propose à la chambre de réunir
le tout pour la discussion, mais qu’il soit bien entendu que pour le vote on
commencera par la proposition de M. Dumortier.
M. de Man d’Attenrode. - Messieurs, qu’a voulu la chambre ? A-t-elle voulu poser et résoudre des
questions de principe, oui ou non ? Ce sont des questions de principes, je
pense ? Eh bien, alors il est irrationnel d’en venir à des applications, car
les applications sont exclusives des principes, il est cependant de nos
collègues qui veulent commencer par l’application de l’impôt, mais pour savoir
ce que vous votez au trésor, il faut commencer par la question de savoir quelle
limite vous comptez mettre à l’épuisement du trésor, c’est-à-dire le rendement
; je demande donc que l’on commence par la question du rendement ; et aura-il
encore un rendement ?
- La chambre est consultée sur la question de savoir
si on discutera d’abord la question posée par M. Dumortier : y aura-t-il un
rendement ?
Deux épreuves étant douteuses, il est procédé à
l’appel nominal
69 membres prennent part au vote.
36 répondent oui.
33 répondent non.
En conséquence, la chambre décide que la priorité
sera accordée à la discussion de la première proposition de principe de
l’honorable M. Dumortier.
Ont répondu oui : MM. Brabant, Coghen, de Behr. de
Florisone, de
Ont répondu non : MM. Cogels, Cools, de Brouckere,
Dedecker, Delehaye, de Potter, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, de Theux,
Devaux, Dolez, Donny, Fleussu, Henot, Hye-Hoys, Kervyn, Lebeau, Liedts,
Maertens, Manilius, Mast de Vries, Nothomb, Osy, Peeters, Raikem, Rodenbach,
Rogier, Scheyven, Smits, Troye, Van Cutsem et Van Hoobrouck.
M. le président. - La discussion est ouverte sur cette proposition ; elle est ainsi conçue
« Le droit sur les sucres, soit indigènes, soit
exotiques, est acquis au trésor au moment de la mise en consommation.
« La restitution de sortie est supprimée. »
M. Delehaye. - Messieurs, l’honorable M. Dumortier vous a présenté cette question-ci :
continuera-t-on le système du rendement ? Lorsque j’ai demandé la parole, j’ai
vu que quelques membres proposaient déjà d’aller aux voix ; mais je demanderai
si, sans avoir entendu aucune explication sur la portée de cette question, il
était possible que la chambre fût suffisamment éclairée.
Messieurs, la question qui vous est soumise a une
immense portée. On vous demande d’empêcher désormais toute importation qui
excèderait la consommation, et généralement toute exportation de sucre. A
l’appui de son opinion, l’honorable M. Dumortier n’a pas caché son système ; il
vous a dit : Vous ferez comme l’Angleterre, vous travaillerez en entrepôt.
Mais l’honorable membre a-t-il examiné ce que c’est
que travailler en entrepôt ?
M. Dumortier. - Oui.
M. Delehaye. - Il nous dit que oui. Eh bien, si l’on adoptait ce système du travail en
entrepôt, il faudrait que
Examinons, d’ailleurs, messieurs, quelles seraient
les conséquences d’une pareille disposition. Vous voulez imiter l’Angleterre ;
mais êtes-vous dans une position à pouvoir imiter l’Angleterre ? Messieurs,
l’Angleterre n’exporte rien dans les contrées où vous exportez ; elle est
repoussée de tous les marchés sur lesquels vous êtes admis. Elle ne travaille
que pour des pays privilégiés, pour ses colonies ; mais elle ne pourrait le
faire en concurrence avec
Messieurs, en Angleterre, partout où l’on travaille
en entrepôt, la marchandise est introduite immédiatement dans la fabrique,
Cette fabrique est entourée de toutes parts par des locaux où se trouvent des
employés du gouvernement, qui surveillent nuit et jour tout ce qui se passe,
qui exercent une surveillance continuelle. Faites la même chose en Belgique
cela entraînera une dépense de dix millions au moins. J’ai la persuasion intime
que l’honorable M. Dumortier n’a pas tenu compte de toutes ces circonstances.
Je vois l’honorable membre parler avec l’honorable M. Savart quand on fait des
propositions de cette nature, il faudrait au moins écouter ceux qui vous
combattent.
M. Dumortier. - Je suis prêt à vous répondre.
M. Delehaye. - Comme je viens de vous le dire, messieurs, l’honorable M. Dumortier n’a
pas fait attention aux circonstances que j’ai rappelées.
J’entends dire qu’il faut également un rendement
avec sa proposition. C’est une erreur. Lorsque l’on travaille en entrepôt, tout
le sucre qui entre dans l’usine, doit en sortir, quel que soit le rendement, le
résidu même ne peut y rester.
Pour qu’un pareil système porte ses fruits, il faut,
ainsi que je vous l’ai fait observer, que, comme en Angleterre, les
établissements soient sous la surveillance continuelle de l’administration. Et
voulez-vous avoir un exemple qui vous prouvera combien ce régime de
surveillance est onéreux au négociant, au fabricant ? Il en serait pour les
raffineurs comme pour les marchands de vin, qui n’ont pas la faculté de se
rendre dans la cave où ils déposent leur vin, sans être accompagnés d’un
employé de la douane. Chaque employé coûte trois francs par jour. Supposez le
raffinage du sucre en entrepôt ; vous devez faire surveiller chaque fabrique
par plusieurs employés qui coûteront chacun trois francs par jour, et cela aux
dépens de celui qui travaille.
L’honorable M. Dumortier a-t-il tenu compte de tout
cela ? Au moins il devrait nous dire comment il entend sa proposition.
Je vois que l’honorable membre ne m’écoute pas ; il
faut qu’il ait une confiante aveugle dans sa proposition, pour qu’il ne se
donne pas la peine d’écouter ceux qui la combattent.
M. Dumortier. - Je vous répondrai.
M. Delehaye. - Je suppose maintenant, messieurs, que vous ayez fait tous les
sacrifices nécessaires pour l’établissement de ce travail en entrepôt, je dis
que les exportations deviennent impossibles. Je prie l’honorable membre d’être
franc, et l’honorable M. Dumortier est toujours franc. Veut-il qu’il y ait
possibilité d’exportation ?
M. Dumortier. - Oui. M. Delehaye.
M. Delehaye. - Cependant j’ai prouvé déjà qu’avec sa proposition elle devenait
impossible. On cite l’exempte de l’Angleterre ; mais l’Angleterre a des
colonies et
M. Dumortier. - Messieurs, je ne puis accepter le reproche que m’adresse mon honorable
collègue, que je n’aurais pas compris ce que je proposais à la chambre. Je
crois que je l’ai très bien compris et que la majorité de la chambre l’a
compris comme moi.
Ce que nous voulons c’est que le sucre, qui sert à
la consommation du pays, paie un droit au profit du trésor public, et non au
profit de l’étranger, ce qui ne peut se faire qu’en transformant le droit
d’accise en droit de douane.
Quant au système que je propose, je pense encore, et
il m’est facile de le démontrer, qu’il est très praticable dans ce qui concerne
l’exportation. Lorsqu’on vient prétendre qu’il faudrait construire de nouvelles
fabriques, que les raffineries qui existent ne pourraient servir, on avance un
dire qui ne repose sur rien.
Messieurs, il existe deux moyens d’assurer au trésor
public l’impôt de tout le sucre qui se consomme en Belgique sans entraver
l’exportation. Le premier, c’est de faire fabriquer en entrepôt comme cela a
lieu en Angleterre ; en entrepôt fictif bien entendu.
M. le ministre des finances
(M. Smits) - En Angleterre on fabrique en entrepôt
réel.
M. Dumortier. - Je ne joue pas sur les mots ; je sais qu’on ne peut fabriquer dans
l’entrepôt du gouvernement. Ce que je demande, c’est qu’ici on travaille en
entrepôt fictif ; c’est-à-dire que les fabricants qui voudront fabriquer pour
l’exportation, déclareront leurs fabriques pour l’exportation, et travailleront
chez eux sous le contrôle de la loi. Par là on arrivera nécessairement à cette
conséquence, que ces établissements seront régis comme le sont les
distilleries, les brasseries, tous les établissements soumis à l’exercice.
Si vous ne voulez pas de ce système, messieurs,
accordez alors une prime d’exportation ; mais que cette prime ne puisse pas
excéder deux millions. Remarquez bien que, d’après la proposition que j’ai eu
l’honneur de vous soumettre à cet égard, la prime ne pourra être accordée que
sur les quantités importées au-delà des besoins de la consommation, et que dès
lors vous aurez toujours la certitude de percevoir le droit sur tous les sucres
consommés dans le pays. Au moins avec ce système nous saurons ce que nous
aurons à donner, tandis qu’avec le système actuel, la loi est un mensonge, et
tout ce que vous ferez ne servira à rien ; car avec ce système, malgré toutes
les mesures que vous prendrez, vous arriverez toujours au même résultat, à
trouver le trésor en déficit.
On dit que mon système est impraticable ; mais on
perd de vue que ce système existe pour les brasseries et pour les distilleries.
Je ne vois pas comment il serait plus impraticable pour le sucre. Si vous
n’admettez pas ce système, messieurs, quoi que vous fassiez, vous arriverez
toujours en dernière analyse à cc résultat, que l’impôt payé par le peuple
servira uniquement à procurer aux Allemands le sucre à meilleur marche que ne
l’achètent les raffineurs.
On avance généralement que
Ainsi, messieurs, le système que je propose est
extrêmement utile au trésor, et ce système est parfaitement exécutable que vous
choisissiez l’un ou l’autre des deux moyens que j’indique pour favoriser
l’exportation. Si vous admettez les entrepôts fictifs, je ne sais pas pourquoi
nous ne ferions point ce que l’on fait en Angleterre ; si au contraire vous
préférez un système de primes, il faut au moins que nous sachions ce que nous
donnons, il faut que l’on ne puisse plus à l’avenir se gorger des deniers du contribuable.
On veut jeter de l’obscurité sur la question, mais
cette question est fort simple, on la comprend parfaitement, on sait très bien
que pendant trois années on a prélevé jusqu’à 5 millions sur le trésor public,
au profit du commerce de raffinerie, et c’est pour cela que l’on cherche à
embrouiller la question. Encore une fois, messieurs, les consommateurs payent,
et quand les citoyens payent, il faut que le trésor perçoive. Lorsqu’il en est
autrement il est manifeste que le trésor est lésé ; quand le
sucre est pris en charge, c’est comme si le trésor percevait l’impôt, seulement
un crédit est accordé pour le payement, et cependant, quand on arrive au
règlement du compte le trésor n’a plus rien. Cela ne peut pas être maintenu, il
faut que le trésor perçoive l’impôt sur le sucre qui est consommé dans le pays.
Je sais bien que ce n’est pas là ce que veulent les raffineurs de sucre
exotique, mais c’est à la chambre de savoir si elle veut que ces industriels
continuent à absorber les fonds des contribuables afin de vendre leurs sucres
en entrepôt à meilleur marché qu’ils n’achètent le sucre brut. Si c’est là,
messieurs, ce que vous voulez, vous devez maintenir le système de la
restriction, mais si vous ne le voulez pas il n’y a qu’un seul système que vous
puissiez admettre, celui d’établir un droit de douane au lieu du droit
d’accise, et c’est celui que je propose comme le seul qui puisse garantir la
perception de l’impôt.
M. Coghen -
Messieurs, je dois combattre la proposition de l’honorable M. Dumortier, parce
que cette proposition serait destructive de tout commerce. Je crois qu’il n’est
pas possible de vouloir établir ici ce qui existe en Angleterre, où l’on
raffine dans des entrepôts réels. Quant au système des entrepôts fictifs, il
nécessiterait une surveillance qu’il serait impossible d’exercer d’une manière
efficace, et il serait dès lors extrêmement dangereux pour le trésor. Je désire
beaucoup que l’on fasse produire au sucre des ressources pour le trésor, mais
il y a des moyens pour obtenir ce résultat sans porter atteinte à ce que
j’appellerai des droits acquis.
En effet, messieurs, depuis la
législation de 1819, confirmée en 1822, confirmée en 1830, confirmée ensuite
par tous les votes de budgets ; depuis lors il s’est crée dans le pays des
établissements considérables ; je ne pense pas que vous pussiez porter un coup
mortel à ces établissements, et détruire, l’existence de tant de familles. M.
Dumortier veut que la prime ne puisse pas dépasser deux millions ; eh bien, formulez
la loi de manière à obtenir ce résultat, mais quant à obliger les raffineurs à
travailler en entrepôt fictif, je crois que ce serait là une chose dangereuse,
même pour les intérêts du trésor.
M. Cogels. - Je voulais seulement, messieurs, faire remarquer encore une fois les
singulières exagérations auxquelles s’est livré l’honorable M. Dumortier. Il a
dit avec une énergie extraordinaire que tous les ans le sucre exotique puise 5
millions dans le trésor. Evidemment, messieurs, il ne peut pas puiser au trésor
plus qu’il ne pourrait lui payer. Eh bien, dans la supposition qu’il dût
acquitter la totalité du droit, il paierait 3,515,000 fr., en supposant neuf
millions et demi pour sa part dans la consommation, et cela en produits de
qualité supérieure ; ainsi, lors même que le sucre exotique ne paierait pas un
denier, il ne priverait pas le trésor, à beaucoup près, de la somme indiquée
par l’honorable député de Tournay.
Quant à l’exercice que
l’honorable membre voudrait établir, qu’il formule donc un système ; il dit que
ce qu’il propose existe pour les brasseries et pour les distilleries, mais là
on perçoit le droit sur la capacité de la cuve-matière, combinée avec les
trempes ; c’est ce que vous ne pouvez pas faire pour le sucre ; que ferez-vous
donc ? Irez-vous tenir compte de tout ce qui entre dans une raffinerie, de tout
ce qui en sort ? Mais ce que M. Dumortier propose, c’est de faire un appel à la
fraude, c’est encourager la fraude, c’est dire : Au plus habile, les deniers du
trésor, au plus adroit, au plus immoral, les plus gros bénéfices Jamais,
messieurs, la chambre ne pourra donner sa sanction à une proposition qui aurait
des résultats aussi immoraux.
M. Demonceau. - Messieurs, je ne connais pas de lois qui produise des résultats plus
immoraux que ceux produits par la loi de 1822 ; cette loi, en effet, trompe le
pays, et toute loi qui trompe le pays est une loi immorale. Pour combattre la
proposition de M. Dumortier, on se lance dans des considérations sur les
inconvénients qui peuvent en résulter, mais on n’en voit pas le côté utile.
Quel est ce côté utile, messieurs, c’est d’assurer au trésor des revenus
certains, au lieu de revenus fictifs. Vous aurez beau chercher, vous aurez beau
adopter le rendement de la section centrale, les raffineurs régleront toujours
leurs exportations de manière à ne rien nous laisser.
Je ne disconviens pas que la pensée de l’honorable
M. Dumortier ait besoin d’être complétée. J’avoue que le système de l’honorable
membre est un système nouveau, mais si vous voulez des exportations sans qu’il
y ait des primes, vous devez nécessairement admettre l’idée de mon honorable
ami, elle tend à assurer au trésor des revenus certains, puisqu’elle lui
garantit l’impôt sur le sucre consommé dans le pays. Le système de l’honorable
M. Dumortier compromet, s’écrie-t-on, l’industrie du sucre exotique. Oui, il
compromet cette industrie, mais il ne la compromet que jusqu’à concurrence de
la moitié de sa production actuelle, les raffineurs livrent aujourd’hui au
raffinage 20 millions de kil. Eh bien, supposons même que la proposition de
notre honorable collègue n’ait d’autre résultat que d’amener 10 millions de
sucre brut, les raffineurs recevraient la moitié de la fabrication actuelle et
cette moitié leur procurera peut-être plus de bénéfice qu’ils n’en ont dans ce
moment. Que nous ont-ils dit jusqu’à présent ? Ils nous ont dit qu’ils
travaillent à perte ; eh, bien, si la proposition de M. Dumortier était admise,
ils travailleraient peut-être avec bénéfice ; ils seraient au moins certains de
la consommation du pays, en concurrence, il est vrai, avec le sucre indigène ;
ne sont-ils pas protégés assez efficacement ? la loi ne leur accorde-t-elle pas
la prohibition des sucres raffinés à l’étranger ? Quant à l’industrie du sucre
indigène, il nous a été dit et répété qu’elle ne peut pas vivre sans une
protection énorme, mais si elle est si faible, pourquoi la craindre ? Si elle
ne s’est pas soutenue jusqu’à ce jour, elle se soutiendra encore bien moins
lorsqu’elle sera frappée d’un droit. Vous avez dit qu’elle a toujours eu besoin
d’une protection de 37 fr. ; eh bien, la section centrale ne lui offre qu’une
protection de 25 fr. J’engage beaucoup les honorables membres qui veulent
combattre la proposition de M. Dumortier à l’examiner à fond et à ne pas se
borner à la combattre par des moyens si peu logiques.
N’oublions pas qu’avec le système de la loi de 1822,
au moyen de ce que j’appellerai la fleur
du sucre, les raffineurs obtiennent la restitution de la totalité du droit
au moyen d’une exportation de 57 sur 100, et qu’ainsi les 40 p. c. restants
sont livrés à la consommation intérieure libres de tout droit. Et de quoi se
composent ces 40 p. c. ? De cassonades et sirops, c’est-à-dire de marc qu’on vous
fait manger et sur lequel on vous fait payer des droits que le trésor ne
perçoit pas.
Je comprends bien que dans le
système de l’honorable M. Dumortier ce marc devrait aussi être exportée pour
obtenir la restitution, si de ce chef l’on trouve des inconvénients, qu’on la
compte, je suis certain qu’il ne s’y opposera pas ; car c’est une amélioration
qu’il propose et qu’il désire. Mais, encore une fois, qu’on ne dise pas que
cette proposition n’a pas pour effet d’assurer au trésor la totalité du droit
frappant la consommation intérieure. C’est là une erreur. Qu’on ne dise pas non
plus qu’elle anéantit l’industrie de ceux qui raffinent pour cette même
consommation. C’est encore inexact. Et si elle compromet l’exportation, elle
laisse aussi le moyen de la maintenir, si possible ; mais à la condition que
ceux qui voudront profiter de cette proposition, se conforment aux obligations
qui leur seront imposées pour éviter toute fraude.
M. de Mérode. - Messieurs, ceux qui s’opposent à la proposition de l’honorable M.
Dumortier, invoquent constamment les intérêts d’un commerce qui se fait aux
dépens soit des consommateurs, soit du trésor public.
On vous dit qu’il y a des droits acquis.
Messieurs, quand un abus est parvenu à s’établir
depuis plusieurs années, parce que les chambres, occupées d’une foule d’autres
questions politiques et autres, l’ont laissé passer inaperçu, on dit qu’il y a
un droit acquis. Je ne puis reconnaître de semblables droits. Avec un pareil
système, il faudrait que le pays fît vivre tous les spéculateurs. Je repousse
un pareil régime.
On dit qu’il est impossible de percevoir un droit
sur les raffineries de sucre exotique qui travailleront pour l’extérieur.
Mais, messieurs, d’après le
projet actuel, on va établir un impôt sur le sucre de betterave ; on sera
obligé d’employer des moyens assez rigoureux pour percevoir cet impôt. Si cela
est possible pour le sucre de betterave, pourquoi ne serait-ce pas possible
pour le sucre exotique ? Vous ferez entrer votre sucre brut dans une fabrique,
comme vous ferez entrer les betteraves dans une autre fabrique. Les procédés
que l’on emploiera pour les betteraves, on les emploiera pour votre sucre brut.
Je sais bien qu’il faudra faire des règlements, qu’il faudra vaincre quelques
difficultés, mais il est impossible de percevoir un revenu pour le trésor sans
donner lieu à ces difficultés. Il en est de même pour les brasseries, pour les
distilleries, pour le sel. Tous les objets imposables sont enfin dans ce cas.
Je soutiens que le sucre est la matière la plus susceptible d’assurer des
revenus au trésor sans vexer la masse des habitants. Je conviens que ceux qui
exploitent aujourd’hui les raffineries avec toutes les facilités qu’on leur
donne, ne travailleront pas aussi commodément ; mais je suis bien forcé, si je
veux équilibrer les recettes avec les dépenses, de leur imposer ces embarras ;
je préférerais assurément ne pas être obligé d’en venir là, mais si vous voulez
éviter toute gêne, nous n’aurons plus un centime pour le trésor.
M. le ministre des finances
(M. Smits) - Messieurs, je crois, comme
l’honorable M. Delehaye, que l’honorable M. Dumortier n’a pas suffisamment
réfléchi à la proposition qu’il vous a soumise. Que demande-t-il ?
Il demande à continuer un système d’accise, puisque
le droit ne se prélèvera que sur la consommation.
Messieurs, nous avons depuis un demi-siècle un droit
d’accise sur les genièvres indigènes, sur les bières, sur le sel. Ces systèmes
ont été continuellement perfectionnés, et cependant tous les jours nous
rencontrons encore les abus ; tous les jours il nous faut encore améliorer la
surveillance et l’exercice.
Maintenant l’honorable M. Dumortier veut que le
raffinage du sucre soit surveillé dans des entrepôts fictifs. Mais il devrait
au moins déterminer, par un projet de loi, les bases d’après lesquelles cette
surveillance s’exercera, car un pareil système n’a jamais existé dans le pays.
On introduit, par exemple, dans une raffinerie
différentes qualités de sucre, rendant 40, 50 ou 60. Ces sucres seront
travaillés séparément, ou simultanément avec d’autres. Quelle sera la marche à
suivre ? Quels seront les contrôles ? Quel sera le rendement que vous fixerez
pour chaque sucre, pour chaque mélange ?
Sait-on ce que c’est une raffinerie de sucre
exotique ? C’est un bâtiment composé de 20 ou 30 locaux différents, qu’il
faudra faire exercer par les employés ; or, pour pouvoir exercer il faut que la
loi trace une direction, quelle sera cette direction ? On n’en indique aucune ;
il y a donc une nouvelle loi à faire si l’on adopte la proposition de
l’honorable M. Dumortier.
L’honorable comte de Mérode demandait tout à l’heure
quelle différence il y avait entre une raffinerie de sucre exotique et une
fabrique de sucre indigène.
La différence est du tout au tout. La fabrication du
sucre indigène produit la matière brute, et la raffinerie du sucre exotique
transforme la matière brute en sucres cristallisés.
Je suppose maintenant que le
système proposé par l’honorable M. Dumortier soit établi, et qu’on ait en même
temps adopté une loi pour en régler l’exercice. Quelles seraient les
conséquences de cette loi ? Je ne saurais les préciser encore, puisque
l’expérience nous manque. Mais ce que je puis dire à l’avance, c’est qu’un
changement aussi radical de système qui amènerait la destruction de nos
raffineries de sucre exotique entraînerait immédiatement cette conséquence, que
la fraude s’emparerait de notre territoire et que nos voisins infiltreraient
leurs sucres chez nous ; dès lors, le trésor public, au lieu de percevoir des
sommes considérables, ne recevrait plus rien. Voilà, je le répète, la
conséquence nécessaire d’un pareil système.
M. de Theux. - Messieurs, je ne crois pas qu’on doive aller immédiatement aux voix sur
la proposition de l’honorable M. Dumortier ; je crois qu’il faudrait laisser
aux membres de la chambre le temps d’y réfléchir jusqu’à demain.
Fixons le point capital du débat. On a déclaré que
le trésor avait besoin de percevoir 4 millions sur le sucre. L’honorable M.
Dumortier propose un moyen ; ce moyen est certainement efficace. On s’est borné
à signaler différents inconvénients que présente le système de l’honorable M.
Dumortier ; mais aucun de ceux qui l’ont combattu, n’ont indiqué un autre moyen
d’assurer au trésor une recette de 4 millions.
Je déclare que je suis très disposé à voter contre
la proposition de l’honorable M. Dumortier, mais à une condition, c’est qu’on
formule d’autres propositions qui fassent entrer 4 millions dans les caisses de
l’Etat. C’est pour ce motif que j’avais demandé qu’on discutât simultanément
les trois questions, le chiffre de l’impôt sur les deux sucres, la question de
l’existence du rendement et les conditions du rendement. La chambre en a décidé
autrement ; elle a décidé qu’on discuterait uniquement la continuation ou la
cessation du rendement ; mais, pour se prononcer sur cette question, il faut
que nous sachions qu’il existe d’autres moyens d’assurer au trésor une recette
de 4 millions.
J’engage fortement le
gouvernement et les membres qui ont soutenu son système, d’indiquer un moyen
d’assurer une recette de 4 millions. II ne s’agit pas ici de mettre de
l’amour-propre dans la discussion, il s’agit des intérêts généraux de l’Etat.
On avait prétendu qu’il fallait supprimer le sucre
indigène. Cette question étant maintenant résolue dans un autre sens, il n’y
faut plus revenir ; il faut prendre les choses dans la situation où elles sont,
et il faut que le gouvernement formule un système pour arriver à une recette de
4 millions. Voilà le point capital du débat.
M. le ministre des
travaux publics (M. Desmaisières) - L’honorable préopinant qui, en
faveur du sucre de betterave, a voté contre la proposition du gouvernement,
proposition qui tendait à assurer au trésor une rente de 4 millions, car
l’honorable préopinant reconnaît lui-même que par suite du vote que vous avez
émis et auquel il a participé, l’on ne se trouve plus, comme il le voudrait, en
présence de la recette de 4 millions qu’assurait le système du gouvernement.
C’est maintenant à ceux qui ont repoussé la proposition du gouvernement à
trouver un moyen d’assurer un pareil revenu au trésor. Quant au gouvernement il
a rempli un premier devoir en vous présentant franchement et loyalement son
système et il saura en remplir un second en s’efforçant de rendre la loi telle
qu’elle assure le plus possible les intérêts du trésor.
Je saisirai cette occasion pour
répondre encore un mot à l’honorable M. Demonceau qui, lui aussi, a commis une
erreur capitale ; il vous a dit : avez-vous donc peur qu’avec le système de M.
Dumortier, le sucre indigène va tuer le sucre exotique ? Non, messieurs,
nous n’avons aucune peur de ce qu’on appelle ici l’industrie indigène, mais
nous craignons l’industrie étrangère qui, avec un pareil système, viendra
indubitablement s’emparer entièrement de votre marché !
M. de Theux. - Je demande la parole. Je puis considérer comme un fait personnel
l’interpellation que m’a adressée M. le ministre des travaux publics à raison du vote que j’ai émis, de formuler un système. J’ai
voté contre la proposition du gouvernement parce qu’à mon avis elle renfermait
un principe exorbitant, un principe contraire à toutes les règles de la
législation. Il n’en résulte pas que je me sois là engagé à formuler un autre
système ; c’est au gouvernement que ce devoir incombe. Au surplus, si on
voulait me forcer la main, ma tâche sera facile, je voterais pour la
proposition de M. Dumortier, en attendant qu’on formule un autre système.
M. le président. - M. Rodenbach a déposé un amendement par lequel il propose de fixer à 40
fr. le droit sur le sucre indigène.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) - Conformément aux engagements
que j’ai pris, j’ai l’honneur de déposer sur le bureau un rapport sur
l’instruction moyenne.
M. le président. - On prononcera demain sur l’impression de ce rapport.
- La séance est levée à 4 heures trois quarts.