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d’intention
Chambre des représentants de Belgique
Séance du mercredi 18
janvier 1843
Sommaire
1)
Pièces adressées à la chambre, notamment pétition relative au traitement des
membres de l’ordre judiciaire (Deprey), à l’impôt sur la
bière (Delehaye)
2) Projet
de loi relatif à la canalisation de la Campine. Discussion des articles. Dérogations
à la loi sur les concessions pour réaliser les travaux (Malou,
Peeters, Desmaisières, Rogier, Peeters, Desmaisières, de Garcia, d’Hoffschmidt, Peeters)
3) Projet de loi prorogeant
la loi accordant des primes pour constructions navales
4) Motion d’ordre
relative à la situation sociale et à la construction de routes dans le Luxembourg
(d’Hoffschmidt)
5) Motion d’ordre
relative au canal de l’Espierre (Rodenbach, Desmaisières)
6) Projet de loi portant le budget du département des travaux publics pour
l’exercice 1843. Discussion des articles. Chemin de fer. Rentabilité, coûts
d’exploitation, tarifs… (David, de
Theux), ligne du Midi et station de Mons (Sigart, Lange), frais d’établissement et contrôle de la cour des
comptes (de Man d’Attenrode), réplique générale (Desmaisières), tarifs, coûts d’exploitation (d’Hoffschmidt)
7) Projet de loi portant
un crédit supplémentaire au budget de la justice pour l’exercice 1841
(Moniteur belge n°19, du 19
janvier 1842)
(Présidence de M. Raikem)
M.
Kervyn fait l’appel nominal à midi et demi.
M. Scheyven lit le
procès-verbal de la séance précédente, dont la rédaction est adoptée.
M.
Kervyn présente l’analyse des pièces de la correspondance
:
« Le sieur Jean-Joseph Timmermans, commis-négociant à Anvers, né à Zevenaar (Pays-Bas), demande la naturalisation. »
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
_____________________
« Les membres du tribunal de première instance de Fumes, demandent la
suppression de la quatrième classe des tribunaux de première instance. »
- Sur la proposition de M. Deprey, la chambre
ordonne le renvoi de cette pétition à la section centrale, qui a été chargée de
l’examen du projet de loi concernant les traitements des membres de l’ordre
judiciaire, considérée comme commission spéciale.
_____________________
« Le sieur Corbisier, secrétaire, du parquet
du tribunal de première instance à Huy, prie la chambre d’augmenter les
traitements des secrétaires de parquet. »
- Même décision.
_____________________
« Plusieurs propriétaires de troupeaux de moutons demandent que l’on
soumette à un droit d’entrée les laines étrangères. »
- Dépôt sur le bureau, pendant la discussion du projet de loi sur les
droits d’entrée et renvoi à la section centrale chargée, en qualité de
commission spéciale, d’en faite rapport avant cette discussion.
______________________
« Les distillateurs et détaillants de boissons
spiritueuses des communes de Ruesselaere, Aeltre, Oedelen, Bernem, Wyngene, Ruysselede et St-Jooris,
présentent des observations contre le projet de loi établissant un droit de
consommation sur les boissons distillées. »
« Mêmes observations des distillateurs et détaillants de boissons
distillées de la ville de Gand. »
M. Delehaye. - Messieurs,
parmi les nombreux signatures des pétitions que l’on vient d’analyser, il en
est qui, envisageant les distilleries comme la source la plus certaine de la
prospérité agricole, se sont associés à l’élan général, quoique n’étant pas
directement intéressés dans le débit des boissons distillées.
Les auteurs de la pétition sont des personnes de connaissances pratiques
et théoriques fort étendues. Les vues qu’ils ont développées et les arguments
qu’ils invoquent à l’appui de leurs opinions seront consultées
avec fruit par tous ceux qui s’occupent de la grave question que soulève le
projet de loi.
Ils prouvent que la loi qui nous régit aujourd’hui et que l’on veut
encore aggraver, est contraire au but que s’était proposé le législateur ; la
morale qui semblait en être la base, paraît aujourd’hui n’en avoir été que le
prétexte, le revenu du trésor a seul pu l’inspirer. C’est sous ce rapport que
les pétitionnaires envisagent le nouveau projet, et ils prouvent sans
difficulté qu’en frappant successivement de droits élevés la même industrie, on
s’expose à la détruire complètement ; j’engage donc mes collègues à
examiner cette pétition, et en conséquence je demande que cette pétition soit
déposée sur le bureau pendant la discussion du projet de loi dont il s’agit,
qu’elle soit renvoyée à la section centrale chargée d’examiner ce projet...
M. Mast de Vries. - Elle a déjà
fait son rapport.
M. Delehaye. - Alors je
renoncerai au renvoi. Mais, outre le dépôt sur le bureau, comme la pétition
renferme des renseignements très utiles et très importants, je demanderai
l’insertion au Moniteur. La pétition
paraît volumineuse, mais cela tient d’abord à ce qu’il y en a une qui est
rédigée en flamand et une qui est écrite en français, ensuite un grand nombre
de signatures, qui s’élève à plus de 1,200 ; or, je crois qu’on peut se dispenser
d’imprimer le texte flamand et les signatures, et je demande seulement
l’insertion du texte français sans les signatures.
- La proposition de M. Delehaye est mise aux voix et adoptée.
_______________________
« Le sieur Vandenplas réclame
l’intervention de la chambre pour obtenir l’indemnité accordée aux blessés de
la révolution. »
« Le sieur Selderslaghs, blessé de septembre,
réclame l’intervention de la chambre pour obtenir la pension de 100 fr. votée
par la législature en faveur des décorés de la croix de fer qui sont dans le
besoin. »
« L’administration du bureau de bienfaisance de la ville de Gand demande
la révision de la loi sur le domicile de secours. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
Discussion des articles
Article 8
M. le président. - L’ordre du
jour appelle la suite de la discussion du projet de loi relatif à la
canalisation de la Campine. La chambre en est arrivée à l’art. 8, qui est ainsi conçu :
« Art, 8. Il est également autorisé à rendre les
art. 2, 3, 4, 5, 6 et 7 applicables aux canaux et canalisations à
exécuter, par voie de concession, dans la Campine. Ces concessions pourront
être accordées par le gouvernement, après enquête, mais sans que l’adjudication
publique soit de rigueur ; elles pourront excéder le terme de 90 ans ; elles
pourront être perpétuelles. »
La section centrale propose l’adoption de cet article.
M. Malou. - Messieurs, l’art. 8
du projet du gouvernement, dont la section centrale propose l’adoption, a été
rejeté par deux sections, et il n’a été admis par une troisième qu’avec une
restriction tendant à interdire les concessions perpétuelles. Le motif du rejet
intégral ou partiel est qu’on ne voulait pas abandonner au gouvernement des pouvoirs
aussi étendus, qu’on voulait qu’une loi spéciale fût présentée si la nécessité
d’une dérogation à la loi générale sur les concessions de péages était reconnue
quant à la Campine.
La loi de 1832, qui a été successivement prorogée, exige trois conditions
pour que le gouvernement puisse accorder non pas toutes les concessions, mais
certaines concessions. Elle établit d’abord une limite, quant à la durée, qui
ne peut excéder 90 ans ; elle veut en outre qu’il y ait une enquête et elle
exige, en troisième lieu, qu’il y ait adjudication publique. Si l’art. 8, qui
nous est proposé, était admis, de ces trois conditions il n’en resterait qu’une
seule, l’enquête.
Je me demande d’abord, messieurs, où s’arrêterait cette exception. L’on
a beaucoup parlé de la Campine, mais nul n’a encore indiqué quelles sont ses
limites. Si les dérogations à la loi générale étaient admises, quel serait le
territoire dans lequel le gouvernement pourrait ainsi accorder des concessions
exceptionnelles et quelles seraient les parties des provinces d’Anvers et de
Limbourg où il ne 1e pourrait pas ?
La première dérogation proposée est relative à la durée des concessions.
En 1832, on était unanime pour reconnaître que les concessions perpétuelles, si
tant est quelles fussent admissibles, ne devaient être accordées que par une
loi. Il y a plus : à cette époque on paraît avoir repoussé le principe même de
ces concessions, car un article proposé par le gouvernement et amendé par la
section centrale n’est point passé dans la loi.
Le motif principal pour lequel on exige que des concessions perpétuelles
ne puissent être accordées que par une loi spéciale, c’est qu’elles constituent
non pas, comme les concessions temporaires, un droit de jouissance sur une
portion du domaine public, mais une aliénation réelle.
Au point de vue de l’économie politique, au point des principes de
législation, il y a beaucoup à dire contre les concessions perpétuelles. Tout
change, tout se renouvelle dans le cours de quelques années, à plus forte
raison dans le cours d’un siècle. Si vous donnez à des individus un droit
perpétuel, ce droit peut causer un grand préjudice aux intérêts publics,
lorsque tout est changé.
Quoi qu’il en soit, sans prétendre résoudre ici cette question, qui est
très importante, je crois que l’on doit unanimement reconnaître que cette
aliénation du domaine public opérée par concessions perpétuelles, ne peut avoir
lieu que par une loi spéciale pour chaque cas, c’est ainsi que l’on agit en
France et en Angleterre. En France les concessions perpétuelles doivent être
autorisées par une loi spéciale, et il en est de même de celles qui sont faites
sans concurrence ni publicité. En Angleterre, si je ne me trompe, aucune
concession n’est accordée, si ce n’est en vertu d’un acte du parlement.
La suppression proposée par une section, des mots : « Les
concessions pourront être perpétuelles » ne suffirait évidemment pas, car une
très longue durée équivaudrait à la perpétuité ; il faut donc rester sous ce
rapport dans les termes de la loi de 1832, c’est-à-dire limiter la durée des
concessions à 90 ans.
La deuxième dérogation que l’on propose consiste à dispenser le
gouvernement de faire des adjudications publiques ; s’il est possible
d’alléguer quelques motifs en faveur de la prolongation de la durée des concessions
pour les canaux à construire dans la Campine, il ne me paraît pas qu’il soit
possible d’en indiquer un seul pour dispenser des adjudications publiques. Quel
est, en effet, le but des adjudications publiques en matière de concession ?
C’est de voir si les concessions proposées par les demandeurs en concession
sont les meilleures qu’il soit possible d’obtenir, soit sous le rapport du taux
des péages, soit sous le rapport de la durée de la concession. S’il est vrai
que les produits immédiats des canaux à construire dans la Campine, doivent
être peu considérables, s’il est vrai que des associations de propriétaires
puissent seules entreprendre ces canaux, il n’est pas moins vrai que les
adjudications publiques ne peuvent nuire à aucun intérêt ; en effet, les
demandeurs primitifs, s’ils offrent les meilleures conditions, conserveront le
droit de construire le canal.
Cette dispense de l’adjudication publique, qui a été repoussée en 1832,
on la propose aujourd’hui non pas pour des concessions ordinaires où il ne
s’agit que de faire payer celui qui se sert de l’objet d’utilité publique, mais
pour des concessions tout exceptionnelles qui donneraient aux concessionnaires
non pas seulement le droit de percevoir un péage, mais le droit de percevoir
une espèce d’impôt à raison de l’exécution même des travaux. On en viendrait
ainsi à établir une dette d’un fonds envers un autre, à imposer la propriété,
non pas au profit de l’Etat, mais au profit d’une autre propriété.
Il me paraît évident que les dispositions prises pour assurer le
concours des propriétaires à des travaux publics que le gouvernement exécute
lui-même, ne sont pas susceptibles d’application lorsque les travaux
s’exécutent par des particuliers. Pour citer un exemple, je rappellerai le
texte de l’art. 5, adopté dans la séance d’hier. L’art. 8 renvoie à cet article
qui porte que les annuités seront recouvrables par les mêmes moyens que les
contributions directes. Appliquez cette disposition à une concession
particulière, et le concessionnaire fera recouvrer par le receveur des
contributions et par la voie de contrainte l’annuité qui lui est due par un
autre propriétaire ; ce serait là une chose tellement exorbitante que je ne
pense pas qu’elle puisse être admise.
Ces dérogations sont-elles au moins utiles à la Campine ? Je ne puis le
croire, car s’il était établi que des dérogations partielles sont nécessaires,
des lois spéciales pourraient les introduire ; mais alors du moins l’on se
restreindrait à un objet déterminé, l’on connaîtrait les motifs qui peuvent autoriser
telle ou telle dérogation. Aujourd’hui, c’est un pouvoir illimité qu’on veut
accorder au gouvernement sans aucune utilité pour la Campine.
Par suite de ces considérations, je pense que l’article 8 ne peut pas
être adopté par la chambre, sauf au gouvernement à présenter les lois
spéciales, si la nécessité en est démontrée.
(M. de Behr remplace M. Raikem au
fauteuil.)
M. Peeters. - Messieurs,
en prenant acte des promesses faites par M. le ministre des travaux publics
dans la discussion d’hier, je crois que nous n’avons plus besoin de l’art. 8
qui nous occupe actuellement.
M. le ministre nous disait hier :
« La situation actuelle de la Campine n’est pas heureuse, il faut
améliorer autant que possible cette situation, il faut arriver à l’exécution
complète du système général de canalisation qui doit donner à cette partie du
pays de la vie et de la prospérité » ; partant de là, le ministre nous
demande a maintenir le chiffre de la section centrale ; « aller plus loin,
dit M. le ministre, serait agir contrairement aux intérêts de la Campine qui a
le plus grand intérêt à ce que le système de canalisation se complète. »
Sur une interpellation de mon honorable ami M. de Nef, M. le ministre nous a
fait les mêmes promesses.
Je prends acte de ces paroles de M. le ministre, qui ont dû certainement
influer sur le vote de hier. Vous avez voulu la rétribution la plus forte,
maintenant vous devez vouloir les conséquences que M. le ministre a fait
pressentir, c’est-à-dire l’exécution complète du système de canalisation de la
Campine. Au reste, si vous pouviez l’oublier plu tard, je me charge de vous le
rappeler, comme j’aurai soin de vous rappeler également le principe de concours
posé par le vote de hier, lorsqu’il s’agira de décréter de nouveaux travaux
d’utilité publique dans cette enceinte, le gouvernement dût-il même l’oublier.
Je viens encore m’opposer à l’art. 8, parce que j’ai la conviction
intime que le gouvernement seul peut compléter cette canalisation ; lui seul en
recueillera aussi tous les avantages ; car, ainsi que j’ai eu soin de vous le
prouver hier, il sera déjà suffisamment récompensé pour les dépenses qu’ils
pourraient faire à ce sujet, par l’augmentation des revenus de droit
d’enregistrement, mutation et succession, augmentation dont une société
particulière ne pourra jamais jouir.
Je ne puis donc admettre l’art. 8 comme un avantage pour la Campine ;
car je suis persuadé qu’aucune société ne se présentera, c’est au gouvernement
seul à compléter cette canalisation, il en a pris l’engagement en vous
engageant à voter hier le subside le plus élevé ; j’espère qu’il saura le
remplir ; quant à moi, je me charge de le lui rappeler et j’ai assez de
confiance dans le gouvernement et dans les chambres pour être rassuré sur le
sort de la canalisation complète de la Campine.
Je ne puis assez le répéter, les avantages de cette canalisation seront
immenses pour les revenus du trésor, les droits de mutations doubleront ; les
avantages des propriétaires ne sont pas si assurés ; eux devront faire de
grandes dépenses pour fertiliser ces bruyères et terres stériles de la Campine
et ils ne sont pas toujours sûrs de réussir. Plusieurs d’entre eux ne
connaissant pas assez les meilleurs moyens à fertiliser les bruyères de la
Campine se ruineront par des essais malheureux, et autres mauvaises entreprises
et spéculations : Les malheurs de ces propriétaires augmenteront encore les
avantages du gouvernement, car des ventes nombreuses en seront la conséquence ;
en un mot, les avantages du gouvernement, comme je viens de le prouver, sont
beaucoup plus assurés que ceux des propriétaires.
Ainsi que je l’ai dit dans une discussion précédente, de bons
calculateurs ont établi qu’au moyen de nos forts droits de successions,
mutations et autres contributions, l’Etat, au bout de 26 années reçoit la
valeur de toute la propriété foncière. La valeur de la Campine va donc rentrer
dans les caisses du gouvernement dans une époque bien rapprochée, et comme la
canalisation va créer pour ainsi dire une province de plus, les avantages que
le gouvernement en retirera sont immenses. C’est, par conséquent, à lui à
compléter dans le plus bref délai possible cette canalisation ; en agir
autrement et vouloir donner cette canalisation à une société, serait vouloir
spéculer sur la Campine, et enrichir l’Etat au détriment de cette partie du
pays, qui n’a d’autres torts, que d’avoir été oubliée trop longtemps ; car,
remarquez-le bien, messieurs, si une société se présentait, elle imposerait des
conditions bien dures aux habitants et l’Etat, qui n’aurait rien donné dans ce
cas, n’en recevrait pas moins l’augmentation de droits de mutations,
enregistrements.
J’aurais beaucoup désiré hier encore dire quelques mots avant vote sur
l’art. 4 ; la chambre en a décidé autrement, j’ai dû me résigner, je tenais
surtout à parler afin de pouvoir faire comprendre que ce n’était pas moi qui
avais nié les avantages qui résulteraient de ce canal pour la Campine, j’ai
dit, pendant cette discussion comme dans le mois de septembre dernier, qu’il en
résulterait un grand avantage, mais que contrairement aux antécédents du
gouvernement et des chambres, l’on nous faisait payer un peu cher cet avantage.
L’honorable M. Dubus, au contraire, nous disait hier que le paiement de
2 fr. 50 c. par hectare, pendant 25 années, était une rétribution très modique,
« il me semble, a dit l’honorable membre, que c’est payer bien peu un si
immense avantage : si quelque chose m’étonne, c’est l’exiguïté du prix qu’on
demande pour un avantage si considérable. »
Répondant plus loin à l’honorable M. Huveners, l’honorable membre ajoute
que les cultivateurs du Hainaut ne se plaindraient pas d’être surtaxés en
contribution foncière, s’ils ne payaient pas davantage que la Campine
Je ferai d’abord remarquer à l’honorable membre, qu’en proportion de ce
que nous payons actuellement, l’augmentation est immense ; car l’Etat, tout en
disant que quelques propriétés décupleront de valeur, a eu soin, pour avoir
assez, de vingtupler les contributions ; en effet, les bruyères qui ne paient
aujourd’hui qu’un décime de contribution par hectare, en payeront vingt par la
suite.
Je dois donc observer à l’honorable membre, qu’une rétribution qui
augmente 25 fois les contributions actuelles de quelques propriétés, est bien
quelque chose. Quant à l’idée de comparer les contributions du Hainaut avec
celles de la Campine, elle n’est pas heureuse. Le Hainaut, comme tout le monde
le sait, a été fortement avantagé en contributions foncières avant la
péréquation cadastrale, il en est résulté un avantage de plusieurs millions
pour cette localité, je pense qu’il est encore favorisé aujourd’hui,
comparativement à la Campine, et je m’explique :
Le cadastre a fixé la contribution sur les prix des baux ; dans le
Hainaut, où il y a de très grandes fermes, le prix des baux est beaucoup
inférieur, proportion gardée, que dans la Campine, où tout se loue par petite
exploitation, et par conséquent à des prix beaucoup plus élevés ; de là la
conséquence que dans la Campine, les fermiers sont pauvres, et dans le Hainaut
ils sont riches et ne paient pas des contributions sur les bénéfices énormes
que leur procurent leurs exploitations.
Il va très mal aux députés du Hainaut d’attaquer
la Campine ; ces honorables membres se trouvent dans un pays riche, doté de
tous les avantages, favorisés par la bonté de leur sol, ils le sont encore par
le gouvernement et par les contributions.
M. le ministre des
travaux publics (M. Desmaisières) - Messieurs, ainsi que l’a très bien compris la
section centrale, le gouvernement, en vous présentant l’art. 8, n’a été
préoccupé que des intérêts de la Campine ; il a voulu poser par cet article les
moyens d’arriver à l’exécution complète du système entier de la canalisation de
la Campine. En effet, messieurs, remarquez-le bien, la loi du 29 septembre
dernier ne parle que d’un canal à construire du Ruppel
au canal de Bois-le-Duc ; elle se tait sur tout le reste de la canalisation de
la Campine. C’est donc dans l’intérêt de la Campine, dans l’intérêt de
l’exécution complète du système de canalisation, que le gouvernement s’est
décidé à vous proposer l’article que nous discutons en ce moment.
Je dois en conséquence m’étonner que l’honorable préopinant s’oppose à
l’adoption de cet article...
M. de Garcia et M. Peeters demandent la parole.
M. le ministre des
travaux publics (M. Desmaisières) - Messieurs, avant de discuter l’article 8 il
est utile de le relire : que porte-t-il ?
« Art. 8. Il est également autorisé à rendre les articles 2, 3, 4, 5, 6
et 7 applicables aux canaux et canalisations à exécuter, par voie de
concession, dans la Campine. Ces concessions pourront être accordées par le
gouvernement, après enquête, mais sans que l’adjudication publique soit de
rigueur ; elles pourront excéder le terme de 99 ans ; elles pourront être
perpétuelles. »
Vous voyez, messieurs, que l’article pose d’abord le principe
d’exécution, dans un temps plus ou moins rapproché, des embranchements
secondaires de la canalisation de la Campine ; il donne à ces voies secondaires
des chances d’exécution qui ne constituent pas, à la vérité, de certitude
absolue, mais qui du moins constituent de légitimes et fortes espérances.
Messieurs, ces voies secondaires, si elles devaient être exécutées
entièrement par l’Etat, comme semble le demander l’honorable préopinant, lui
constitueraient une dépense de trois à quatre millions au moins ; et le
gouvernement a pensé que tout en posant dès à présent dans la loi le principe
de l’exécution, ces embranchements secondaires, dans un avenir qu’il s’est
efforcé de rendre aussi prochain que possible, il ne pouvait pas non plus dès à
présent poser le principe d’exécution aux frais de l’Etat, parce que notre
situation, quant à la balance actuelle des budgets, ne le lui permettait
absolument pas.
Tous ceux, messieurs, qui veulent un fonds spécial pour les canaux
doivent aussi vouloir que, dès à présent, le principe d’exécution des
embranchements secondaires de la canalisation de la Campine soit posé dans la
loi, en astreignant cette exécution aux règles posées par les articles 2, 3, 4,
5, 6 et 7 du projet de loi que nous discutons ; car évidemment, s’il n’en était
pas ainsi, il faudrait plus tard que cette exécution des embranchements
secondaires devînt une charge de ce fonds spécial. Dès lors, ce fonds spécial
ne pourrait plus fournir aux autres travaux de canalisation et d’amélioration
des voies navigables des sommes aussi fortes, puisqu’une partie des fonds
disponibles devrait aller aux voies secondaires de la canalisation de la
Campine.
On a fait des objections coutre les droits qu’accorde au gouvernement
l’art. 8 tel qu’il est proposé, droits que je veux bien admettre être pour
ainsi dire exorbitants.
Mais, messieurs, encore une fois, si le gouvernement vous a demandé à
être investi de ces droits, c’est uniquement dans l’intérêt de l’exécution des
embranchements secondaires de la canalisation de la Campine ; car, en ce qui
touche le gouvernement en lui-même, si vous lui accordez ces droits, qu’on
trouve exorbitants et qui sont consignés dans l’art. 8 du projet, il assume sur
lui une grande responsabilité qu’il n’aurait pas dans le cas contraire, Ainsi,
quant au gouvernement, à considérer ses intérêts propres, il devrait consentir
à la suppression de cet article, contre lequel un honorable membre s’est élevé
tout à l’heure.
Ces droits que l’on trouve exorbitants sont d’abord que le gouvernement
serait autorisé par l’art. 8 du projet tel qu’il est rédigé à accorder des
concessions pour l’exécution des embranchements secondaires de la canalisation
de la Campine, après enquête, mais sans que l’adjudication publique fût de
rigueur. On voudrait absolument que l’adjudication publique fût de rigueur.
Voici pourquoi le gouvernement a pensé que dans certains cas l’adjudication
publique ne devait pas être ici de rigueur. D’abord il est de fait qu’il ne
s’agit pas ici de construction de canaux comme le canal de Charleroi ou
d’autres qui donnent de gros revenus et qui par conséquent pouvaient exciter la
spéculation. Il s’agit, au contraire, d’embranchements secondaires d’une
canalisation qui ne sont guère susceptibles de produire de revenu, et même qui
dans les premières années ne peuvent pas donner de quoi fournir à l’entretien.
Il a donc fallu chercher, non pas à exciter la spéculation, ce qui n’est pas
possible, ainsi que je viens de le démontrer, mais exciter le zèle des
intéressés à l’exécution de ces embranchements secondaires par des
encouragements tels qu’ils puissent se charger eux-mêmes de cette exécution.
Mais pour atteindre ce but, messieurs, il faut bien que l’adjudication publique
ne soit pas de rigueur, parce qu’évidemment ce n’est pas pousser à l’étude des
projets de concession, que de vouloir absolument que l’adjudication soit
publique lorsqu’il s’agit de concessions peu profitables et qui ne peuvent être
prises que par ceux qui sont plus particulièrement intéressés à l’exécution du
canal, attendu qu’eux seuls peuvent vouloir risquer de devoir faire des
sacrifices.
Maintenant je viens à la seconde objection ; elle consiste en ce que, si
l’art. 8 est adopté tel qu’il a été présenté, les concessions pourraient
excéder le terme de 90 ans et, que même elles pourraient être perpétuelles. Les
mêmes motifs que je viens de donner pour que l’adjudication publique ne fût pas
de rigueur, militent en faveur de cette seconde stipulation. Il faut considérer
de nouveau ici qu’il s’agit de l’exécution d’embranchements secondaires de la
canalisation de la Campine, qui ne peuvent pas donner par la perception des
péages qui devront être modérés, des revenus suffisants pour l’entretien
pendant un grand nombre des premières années. Dès lors il faut nécessairement
donner l’appât d’un long terme de concession et même d’une concession a perpétuité pour arriver à rendre possible l’exécution de
ces embranchements. Il faut que, si le concessionnaire est obligé de dépenser
plus pour l’entretien qu’il ne peut percevoir des péages pendant les premières
aunées, il puisse espérer se rembourser par les années postérieures, alors que
le mouvement sur le canal qu’il aura construit deviendra plus considérable.
Le gouvernement, messieurs, ne verrait pas de difficulté qu’en cc qui
concerne ces deux dernières stipulations du projet de loi, il fût dit que le
gouvernement serait tenu de soumettre à la législature les concessions qu’il
aurait accordées.
L’honorable M. Peeters a parlé au nom de tous
les intérêts de la Campine ; il a dit qu’il était plus dans l’intérêt de la
Campine que l’art. 8 fût retiré que maintenu. J’ai démontré que le gouvernement
n’avait eu en vue que les intérêts de la Campine, quand il s’est décidé à vous
proposer cet article. J’attendrai que d’autres membres se soient prononcés
avant de prendre une détermination relativement à cet article.
M. Rogier. - Messieurs,
l’art. 8, suivant moi, ne peut être maintenu dans la loi. Cet article
introduit, en fait de concession, un régime tout à fait nouveau et qu’on peut
appeler exorbitant en Belgique. La chambre se rappellera peut-être les
discussions très longues et très laborieuses qui ont eu lieu en 1832 sous le
ministère de l’honorable M. de Theux, sur la loi de concession de péages. Des
débats très approfondis, qui durèrent plusieurs jours, aboutirent à la loi du
19 juillet 1832, que, d’année en année, la législature a renouvelée sans y rien
changer. Cette loi consacre plusieurs principes essentiels d’ordre public qui
se trouvent entièrement bouleversés par l’art. 8 du projet dont il s’agit. Par
la loi de 1832, les concessions ne pouvaient pas être perpétuelles, elles ne
pouvaient avoir lieu qu’après enquête sur l’utilité des travaux, la hauteur des
péages, la durée de la concession, elle ne pouvait avoir lieu que par voie
d’adjudication publique.
Eh bien, d’après l’art. 8, l’adjudication publique ne serait pas de
rigueur ; la concession pourrait être perpétuelle ; l’objet de l’enquête n’est
plus déterminé ; et ce régime ne serait pas appliqué au pays en général mais à
une partie du pays. Tandis que le pays resterait soumis à la législation de
1832, il y aurait pour la Campine un régime nouveau et spécial. Remarquez en
outre que les concessionnaires jouiraient, dans la Campine, d’avantages
extraordinaires. Ainsi ce droit attribué à l’Etat de faire contribuer dans une
proportion assez forte les propriétaires riverains aux frais des travaux serait
étendu aux concessionnaires.
Si l’on jugeait utile une telle modification à la législation, il faudrait
procéder par voie générale et après une discussion approfondie. Cette
discussion serait mieux à sa place lorsque nous nous occuperons de la loi de
concessions de péages. A l’heure qu’il est, il n’y a plus de loi. La loi votée
l’an dernier a cessé ses effets, le premier de ce mois. Je ne pense pas que la
chambre ait encore statué sur le projet de loi de prorogation, présenté par M.
le ministre des travaux publics. Je crois même que le rapport sur ce projet de
loi n’est pas encore déposé. Cette loi devra être discutée dans un bref délai.
Ce sera le moment d’examiner les principes mis en avant dans le projet actuel.
Je ne dis pas que ces principes ne peuvent renfermer du bon ; mais je dis
qu’ils méritent un examen spécial. Dans tous les cas, ils ne devraient pas être
appliqués à une seule localité.
M. le ministre déclare qu’il a présenté l’article dans le seul intérêt
de la Campine. Je veux le croire ; mais si ce système est utile, il doit être
appliqué à tout le pays. L’utilité de la disposition appliquée spécialement à
la Campine ne m’est pas démontrée.
Je vois bien que par tous ces avantages nouveaux, assurés à la
concession, on veut exciter la spéculation. Peut-être des spéculateurs, offrant
en perspective le concours des propriétaires riverains, une concession
perpétuelle, une adjudication sans publicité, et d’autres avantages,
trouveront-ils moyen de réunir des actionnaires, et se précipiteront-ils sur la
Campine ; et la Campine a été représentée ici comme un pays malheureux, mais le
ciel la préserve de certains spéculateurs et de certaines spéculations. Pour ma
part, à raison de l’intérêt que je porte à la Campine, je verrais avec beaucoup
de peine les spéculateurs s’abattre sur cette contrée. Si par l’art. 8, on
favorisait impudemment des spéculateurs qui n’auraient en vue que leurs
avantages particuliers, d’abord on pourrait compromettre les intérêts de
beaucoup d’actionnaires de bonne foi, ensuite et surtout ceux de la Campine ;
car une fois bornée à la spéculation, elle ne sortirait pas facilement de ses
mains.
Mieux vaut pour elle attendre des améliorations successives du concours
de l’Etat, des provinces, des communes que de voir ses intérêts compromis dans
des spéculations qui n’auraient pour but que l’intérêt des particuliers et
nullement celui du public.
Du reste je me réserve l’examen des questions
que soulève l’article 8. Je dis que le moment n’est pas venu de les discuter.
Je demande l’ajournement de ces questions à la discussion du projet de loi
concernant les péages.
M. Peeters. - M. le
ministre vous disait hier, afin de vous engager à voter le concours le plus
élevé, et de faire rejeter l’amendement que j’ai eu l’honneur de vous présenter
avec mes honorables collègues : « Le sort de la Campine dépend du montant
du concours ; avec un concours raisonnable le système complet de canalisation
est assuré ». Aujourd’hui, M. le ministre ne tient plus le même langage ;
d’après lui, tout dépendrait maintenant de l’article 8.
Je ne partage pas son opinion ; s’il en était ainsi, je désespérerais du
sort de la Campine car j’ai la conviction intime, pour des motifs que j’ai déjà
fait connaître assez souvent, qu’aucune société ne pourra se présenter.
M. le ministre vient de vous dire lui-même que le péage de ces canaux ne
rapporteront pas grand’chose. Comment peut-ii donc
raisonnablement espérer qu’une société particulière, qui n’aura jamais en vue
que son intérêt privé, puisse s’en charger ?
Si j’ai bien compris M. le ministre, il voudrait que les propriétaires
de la Campine se formassent en société pour canaliser ce pays, de manière que
ce que je n’osais pas proposer tout à l’heure, devrait se réaliser ; le
gouvernement voudrait donc s’enrichir aux dépens de la Campine ; il aurait lui
seul tous les avantages de la canalisation de la Campine, et les habitants de
cette malheureuse contrée devraient, par la suite, supporter toutes les charges
ultérieures devenues nécessaires pour compléter cette canalisation ; ils
devraient s’associer et s’imposer des charges considérables pour décupler les
revenus de l’Etat. Non, messieurs, il n’en sera pas ainsi ; c’est au
gouvernement et au gouvernement seul, de compléter cette grande œuvre.
D’ailleurs peut-on prévoir que, par la suite, il ne sera pas dans
l’intérêt général du pays de faire quelque changement soit au tarif soit aux
rétributions des propriétaires, et le pourrait-on si cette canalisation était
abandonnée à une société particulière ?
Qui peut prédire quelle sera la position de la canalisation de la
Campine et de sa navigation dans vingt ou trente ans ? L’on a dû racheter le
canal de Charleroy à une société (et l’on a bien fait, selon moi), afin de
pouvoir diminuer les droits de navigation. Ce qu’on a fait pour d’autres
localités, dans l’intérêt général, l’on ne voudrait pas le faire pour la
Campine.
D’ailleurs, placer un pareil principe dans une loi, me paraît dangereux,
l’on ne sait pas même qui sera chargé de l’exécution ; si une société se
présente avec des conditions favorables, le gouvernement pourra nous en faire
un projet de loi séparé, que la chambre s’empressera d’examiner.
Quant à moi, j’ai la conviction intime qu’aucune société ne se
présentera ; c’est au gouvernement, je le répète, à parachever la grande
canalisation de la Campine et j’aurai soin de le lui rappeler à toute occasion.
M. le ministre vient de dire que le système complet de navigation
coûterait plus de 4 millions à l’Etat. Après avoir dépensé plus de 160 millions
pour le chemin de fer, refuserez- vous 4 millions pour canaliser la Campine ?
Je voterai donc contre l’art. 8, et, tout en
votant contre cet article, je ferai tous mes efforts pour obtenir le grand
système de canalisation de la Campine. J’ai assez de confiance dans la justice
du gouvernement et de mes honorables collègues pour croire que je l’obtiendrai.
M. le ministre des
travaux publics (M. Desmaisières) - J’ai dit tout à l’heure que quand j’aurais
entendu quelques-uns des membres qui prennent la défense des intérêts de la
Campine, je prendrais une résolution définitive au sujet de l’art. 8.
L’honorable préopinant vous dit qu’il a confiance dans les paroles que
j’ai prononcées hier, et qu’il en prend acte. Mais je crois devoir lui faire
observer que j’ai voulu donner par l’article en discussion à ceux qui
s’intéressent à la canalisation de la Campine plus que les paroles d’un
ministre qui peut changer, sortir du ministère, et qui par conséquent n’engage
pas sous ce rapport ses successeurs. Mais puisque l’honorable membre qui défend
chaleureusement les intérêts de la Campine croit voir dans cet article un
obstacle à la réalisation de nos vœux, à lui et à moi, plutôt qu’un moyen d’y
pourvoir ; ainsi que le gouvernement a cru le faire, en présentant l’art. 8, je
dois croire que la question n’est pas bien comprise en ce moment. Par
conséquent, je crois devoir me rallier à la proposition de l’honorable M.
Rogier, de représenter l’article dans la discussion de la loi sur les
concessions de péages, si le gouvernement le juge utile ou nécessaire, et sauf
à y faire les modifications qu’il croira devoir y proposer, par suite des
diverses opinions émises dans cette enceinte. Je propose donc d’ajourner
jusqu’à la discussion du projet de loi relatif aux concessions de péages,
l’art. 8 ou l’article nouveau que le gouvernement croira devoir présenter. Le
rapport de la section centrale sur ce projet de loi n’est pas encore déposé sur
le bureau de la chambre. Je crois donc qu’il n’y a aucun inconvénient à
renvoyer cette discussion à la loi des péages, qu’il est désirable de voir
discuter le plus tôt possible. A cet égard je dois prier les membres de la
section centrale de hâter leur travail le plus que le leur permettront leurs
autres travaux législatifs.
M. de
Theux. - D’après la déclaration de M. le ministre des travaux publics, je
renonce à la parole ; je considère l’art. 8 comme retiré.
M. de Garcia. - J’avais
l’intention de combattre l’art. 8, non seulement à raison de son inopportunité,
mais encore à raison des principes qu’il contient. D’après la déclaration de M.
le ministre, je me réserve de le combattre, lorsqu’il sera mis en discussion.
M. Cogels, rapporteur. - Il faut
considérer l’art. 8 comme retiré. La section centrale s’était réunie, elle
avait changé d’avis au sujet de cet article ; elle voulait aussi en proposer le
retrait à la chambre.
Avant de passer au vote sur l’ensemble, je proposerai un changement de
rédaction dans la disposition additionnelle à l’art. 7, adopté hier ; je pense
qu’il faudrait dire dans cette disposition applicable
au lieu de appliquée.
- Ce changement de rédaction est mis aux voix et
adopté.
M.
d’Hoffschmidt. - Le projet de loi de concession de péages a été
renvoyé à la section centrale du budget des travaux publics. Probablement
qu’elle pourra faire incessamment son rapport. Nous aurons plusieurs questions
très importantes à examiner à propos de ce projet de loi. Nous pourrons d’abord
examiner celles qu’on vient avec raison d’ajourner. De plus, la loi de
concessions de péages accorde au gouvernement un pouvoir que je considère comme
très étendu, c’est celui de pouvoir accorder des concessions pour la
construction du chemin de fer. C’est là, messieurs, un pouvoir que le
gouvernement ne possède, je crois, dans aucun pays. Je n’en dirai pas
davantage, je voulais seulement attirer l’attention de la chambre sur ce point.
M. Peeters. - Messieurs,
j’ai toujours eu la conviction qu’il ne se présenterait aucune société pour la
canalisation de la Campine, pour les motifs que j’ai eu soin de vous
développer. Si donc je me suis autant opposé à l’art. 8, c’est parce que, s’il
avait été adopté, lorsque j’aurais demandé l’achèvement de la canalisation de
la Campine, on n’aurait pas manqué de me dire : Attendez, une société se
présentera, on est en négociation, etc. Mais maintenant c’est au gouvernement,
c’est aux chambres que je m’adresse pour obtenir cette œuvre utile et je suis
persuadé que je l’obtiendrai. Ma cause est si bonne, que je ne puis pas douter
un seul instant du succès. Je me repose entièrement sur les promesses formelles
de M. le ministre qui m’inspire plus de confiance qu’une société particulière
qui ne connaîtrait que ses propres intérêts.
M. le président. - L’art. 8 étant retiré il n’y a pas lieu de le mettre aux voix.
Vote
sur l’ensemble du projet
La chambre décide qu’elle passera immédiatement au vote définitif du
projet de loi.
Il est procédé à l’appel nominal
62 membres prennent part au vote ;
61 adoptent.
1 rejette.
En conséquence le projet de loi est adopté ; il sera transmis au sénat.
Ont voté l’adoption : MM. Brabant, Cogels, Coghen, Cools,
Coppieters, David, de Behr, Dechamps, de Florisone, de Foere, de Garcia de la
Vega, de La Coste, Delehaye, Delfosse, de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel,
de Mérode, de Nef, de Potter, Deprey, de Renesse, Desmaisières, Desmet, de
Terbecq, de Theux, de Villegas, d’Hoffschmidt, Dolez, Dubus aîné, Dumont, Eloy
de Burdinne, Fleussu, Henot, Hye-Hoys, Jadot, Kervyn,
Lange, Lebeau, Liedts, Lys, Malou, Mast de Vries, Morel-Danheel, Orts, Osy,
Peeters, Pirmez, Raikem, Raymaeckers, Rodenbach, Rogier, Scheyven, Savart,
Sigart, Simons, Troye, Van Cutsem, Vandenbossche, Vandensteen, Van Hoobrouck et
Vilain XIIII.
A voté le rejet : M. Huveners.
PROJET
DE LOI PROROGEANT LA LOI ACCORDANT DES PRIMES POUR CONSTRUCTIONS NAVALES
M. de Foere. - Messieurs,
vous avez chargé une commission de l’examen du projet de loi tendant à proroger
pour trois années la loi qui accorde des primes pour constructions navales,
j’ai l’honneur de vous présenter son rapport.
- Ce rapport sera imprimé et distribué. La chambre en fixera
ultérieurement la discussion.
M.
d’Hoffschmidt. - Messieurs, je désire adresser une
interpellation à M. le ministre des travaux publics.
J’ai reçu ces jours derniers, plusieurs lettres de la province de
Luxembourg qui signalent la détresse où se trouve la classe pauvre de cette
contrée. Cette situation malheureuse n’est pas tant causée par les rigueurs de
la saison et l’abondance des neiges que parce que la récolte a
presqu’entièrement manqué l’année dernière dans cette contrée, surtout celle
des pommes de terre.
Le meilleur moyen de venir en aide à ces populations, c’est de leur
donner du travail. Or, il y a pour cela un moyen très facile par suite des deux
millions que la législature accordés pour la construction de routes dans ce
pays. Je sais que plusieurs lots de route ont déjà été adjugés mais ces
adjudications ne sont pas encore approuvées par le gouvernement.
Je désirerais donc que l’on pût mettre la main à l’œuvre le plus
promptement possible. C’est pour cela que j’ai pris la parole ; c’est pour
prier M. le ministre des travaux publics de porter une sérieuse attention sur
ce point, et d’engager es entrepreneurs à travailler le plus tôt qu’ils le
pourront. Je désirerais que M. le ministre voulût bien nous donner quelques
explications à cet égard.
M. le ministre des
travaux publics (M. Desmaisières) - Messieurs, j’ai’ reçu hier les derniers
renseignements que j’avais demandés sur les adjudications des routes dans le
Luxembourg ; d’ici à peu de jours je prendrai une décision sur ce point.
M. Rodenbach. - Messieurs, lorsqu’on
a voté dans cette chambre la concession du canal de l’Espierre, le ministère
nous a promis que ce canal serait promptement exécuté. Dans la longue
discussion qui eut lieu alors, nous avons fait observer que le combustible
était excessivement cher dans la Flandre occidentale, plus cher même que dans
le département du Nord, ce qui est très préjudiciable à nos industries à
plusieurs desquelles la France fait concurrence. Je demanderai donc à M. le
ministre où en sont les travaux du canal de l’Espierre ; il paraît qu’ils
n’avancent pas et que nous pourrions attendre encore plusieurs années avant de
voir la Flandre occidentale dotée de cette voie.
M. le ministre des
travaux publics (M. Desmaisières) - Messieurs ; les travaux du canal de
l’Espierre sont très avancés en ce qui concerne la partie belge. Il est vrai
que pour la partie française l’entrepreneur éprouve quelques retards ; mais il
m’a demandé de vouloir faire des instances auprès du gouvernement français pour
faire lever les causes de ces retards, et je me suis empressé de satisfaire à
sa demande. Je ne doute donc pas que dans très peu de temps l’exécution de ce
canal ne soit complétée.
Discussion
des articles
CHAPITRE III. - Chemin de fer. Postes
Article premier
M. le président. L’ordre du
jour appelle la discussion de l’art. du budget des
travaux publics relatif au chemin de fer
M. David. - J’ai
examiné avec attention les pièces déposées sur le bureau par M. le ministre des
travaux publics, dans la séance de samedi dernier et dans celle du 16 janvier
courant. Je dois dire à regret qu’ainsi que je m’y attendais, on n’a répondu
que pour la forme à mes demandes.
Les pièces déposées sur le bureau de la chambre consistent en un premier
supplément aux annexes du rapport de la section centrale contenant :
1° huit cahiers d’états mensuels pour les 8 premiers mois de 1842
seulement, donnant pour chacun de ces mois le mouvement des transports des
marchandises, fonds, valeurs, bétail, etc., etc., d’après les catégories du
tarif, par bureau de départ et par destination, mais la recette seulement par
station de destination, globalement,
2° Un cahier de 39 états de situation des magasins particuliers des
stations, au premier décembre 1842 ;
3° Un relevé des objets existants au magasin central de Malines, au
premier décembre 1841 et au premier décembre 1842 ;
4° Un état de service des locomotives depuis leur entrée en service et y
compris les 11 premiers mois de 1842 ;
5° Un projet d’arrêté royal organique pour l’administration des chemins
de fer en exploitation ;
Enfin, un deuxième supplément aux annexes du même rapport de la section
centrale, contenant :
6° Un état des recettes effectuées pendant l’année 1842 pour les lignes
du Nord, de l’Est et de l’Ouest, et pour la ligne du Midi séparément.
7° Un état indiquant, par mois et par service, le nombre de lieues
parcourues par les locomotives, pendant l’année 1842.
De toutes ces pièces, une seule, le cahier des 39 états de situation des
magasins particuliers de stations, répond parfaitement au but qu’on en
attendait, ces états forment un document probant, complet, revêtu de la
signature des employés responsables. Toutes les autres pièces sont incomplètes,
et les réponses à plusieurs de mes demandes continuent à manquer, ne nous sont
pas fournies.
Au lieu d’un état récapitulatif du mouvement des transports pour
l’exercice écoule, et d’un état correspondant pour les recettes :
A. Pour les voyageurs,
B. Pour les grosses marchandises,
C. Pour les marchandises de diligences,
M. le ministre a déposé, dans la séance du 14 de ce mois, huit cahiers
d’états mensuels pour les huit premiers mois de 1842, s’arrêtant ainsi à la fin
d’août, et ne donnant les recettes que d’une manière globale.
Vous comprendrez, messieurs, à la vue seule de ces énormes cahiers qui
n’ont été déposés sur le bureau que pour nous effrayer, nous faire reculer
devant toute vérification, devant tout examen, surtout qu’ils n’ont été déposés
qu’au moment de la discussion, vous comprendrez, dis-je, qu’ils ne peuvent
remplacer les états récapitulatifs réclamés à M. le ministre, et qu’ils ne
sauraient servir à éclairer la question qui nous occupe : aucun de nous
n’aurait ni le temps nécessaire ni la volonté de compulser, de dépouiller et
encore bien moins de réunir et de récapituler cette masse d’états. D’ailleurs
il serait peu convenant que les membres de la législature fussent obligés de se
charger de la besogne des commis du chemin de fer, ou du ministère des travaux
publics. Ces états, du reste, s’arrêtaient au mois d’août, comme je viens de le
dire, et ne pouvaient rien nous apprendre quant au montant de la recette de
l’exercice, et rien quant à l’application des tarifs aux diverses catégories
des transports, puisque la recette y est donnée globalement pour toutes les
catégories réunies, toujours probablement pour dérouter tout contrôle des
recettes, pour que les tarifs. restassent
éternellement une énigme pour nous, pour le public ; c’est vraiment désolant.
M. le ministre, ayant bien compris que ces huit cahiers ne nous
apprenaient absolument rien, quant à la recette de l’exercice, a déposé dans la
journée du 16 un état global du montant de cette recette par mois et par
service, mais n’ayant aucun rapport avec le mouvement des transports,
n’indiquant ni les recettes par bureau de départ et encore bien moins par
destination. C’est un parti pris par M. Desmaisières de ressusciter pour le
chemin de fer la marche ténébreuse de l’ancien syndicat d’amortissement, dont
les fils artistement tressés, lui ont toujours fourni le moyen d’échapper à
l’investigation des chambres législatives.
Quant aux dépenses détaillées de 1842, nous n’avons rien, absolument
rien, ni état complet, ni incomplet. Néant ; cependant je vous ai montre,
messieurs, que cet état des dépenses détaillées réclamé à M. le ministre a été
fourni à l’occasion de chaque demande de budget sans exception aucune. Sur
quoi, à la fin du compte, veut-on que nous basions le vote de confiance de 5
millions 400 mille francs que l’on nous demande pour l’exercice de 1843 ?
L’absence seule de ce document important, indispensable, devrait suffire
pour engager M. le ministre à demander de son propre mouvement un crédit
provisoire pour les premiers mois de 1843, jusqu’à ce que l’administration de
l’exploitation l’eût mis en mesure de produire ce document.
En ce qui concerne les fournitures en magasin, je viens de vous dire que
les états de situation des magasins particuliers des stations, étaient très
satisfaisants et prouvent que dans les stations la comptabilité des objets de
consommation s’y tient régulièrement ; aussi
pouvons-nous y voir que le restant dans ces magasins particuliers est beaucoup
plus considérable que la consommation du mois précédent écoulé. Que pour une
masse d’articles et les plus importants, comme ceux des fers, des métaux, des
huiles, etc., le restant équivaut à plus de 5 à 6 fois la consommation du mois
y indiquée.
Mais pour le relevé du magasin central de Malines, bien autrement
important que les magasins particuliers des stations, qui ne sont que ses
succursales, le relevé de sa situation est tout à fait incomplet. Ce relevé
laisse ignorer le mouvement du magasin, c’est-à-dire, les entrées en magasin
pendant l’exercice 1842, qui doivent s’ajouter au restant en magasin au 31
décembre 1841, et enfin les délivrances du magasin central pendant l’exercice
1842, colonnes laissées en blanc dans le relevé du magasin central et que je
prie M. le ministre de vouloir bien nous faire remplir.
Il serait aussi à désirer que cet état du magasin central fût également
une pièce probante, signée par le conservateur responsable du magasin, comme le
sont les états des succursales signés par chefs de station et visés par l’un
des employés supérieurs de l’administration.
Alors ces états seront précieux et fourniront à la chambre le moyen
d’apprécier avec exactitude si les fonds demandés pour fournitures de 1843 sont
ou non exagérés. Enfin, je désirerais que l’on ajoutât une nouvelle colonne
indiquant la valeur des objets, des quantités restant en magasin, ce qui
exprimera nette l’avoir, la richesse du magasin. Si la comptabilité du magasin
central de Malines est tenue aussi régulièrement que celle de ses succursales,
les renseignements que je sollicite, sont l’affaire de deux heures de travail,
au plus.
Il ne saurait vous échapper, messieurs, que les états de situation des
magasins particuliers des stations et celui du magasin central sont des
documents destinés à se contrôler mutuellement, mais que pour cela ils doivent
être complets.
Quant au tableau du nombre de lieues parcourues par ligne, au lieu de
nous fournir l’état demandé, qui avait pour but de nous connaître la
circulation réelle pour 1842 et la circulation présumée pour 1843 sur chacune
des sections du chemin de fer, circulation qui nécessairement devait être en
harmonie avec les transports effectués et à effectuer, M. le ministre a déposé
dans la séance du 14, un état du service individuel de chaque locomotive qui ne
répond nullement au but tout de contrôle qui est indiqué ci-dessus. Evidemment
cet état, pour être utile, devait revêtir la forme et présenter les
renseignements de celui que j’ai soumis à la chambre pour le mouvement présumé
de 1843 et qui se trouve au Moniteur du 15 courant. Si dans le tableau que j’ai fourni, il se
trouve des chiffres trop faibles selon M. le ministre, qu’il veuille bien les
redresser en indiquant les sections où le nombre de convois ne serait pas suffisant.
M. le ministre a fait distribuer, dans la journée du 16, un état
indiquant, par mois et par service, le nombre de lieues parcourues par les
locomotives pendant l’année 1842. Cet état revêt encore une forme qui empêche
tout contrôle, tout rapprochement avec le mouvement des transports. Je prie M.
le ministre, puisqu’il connaît maintenant les lieues parcourues en 1842 et
qu’il a pu les diviser en service de voyageurs, de marchandises et de transport
de sable, de vouloir bien nous donner le même renseignement sous la forme du tableau
que j’ai fait imprimer au Moniteur,
et indiquant le nombre de convois par ligne.
Enfin, M. le ministre a déposé, de son propre mouvement, sur le bureau,
un projet d’une nouvelle organisation pour l’administration de l’exploitation
du chemin de fer, qui, selon lui, devrait amener de nouvelles économies dans le
service. J’ai bien examiné ce projet et j’avoue naïvement que je n’y puise que
des motifs de crainte, de voir s’empirer encore ce que l’on appelle, à bon
droit, le cancer rongeur du chemin de
fer, c’est-à-dire la multiplication du personnel, et surtout en ce qui concerne
son « luxe d’état-major ». Si les compagnies étrangères, si économes,
si modestes, voyaient ce nouveau projet d’organisation, elles refuseraient d’y
croire !
Prenons-y garde, messieurs, jusqu’à présent, excepté un ingénieur en
chef, mécanicien étranger, dont on avait voulu récompenser le dévouement et qui
a rendu des services signalés, au chemin de fer, il n’y a eu d’autre ingénieur
en chef que le directeur de l’administration.
Pendant longtemps l’administration des recettes était
confiée à un simple contrôleur et alors on obtenait pour les recettes tous les
renseignements possibles, sans même les demander. Aujourd’hui il n’existe
encore que deux inspecteurs et quelques contrôleurs. Demain et pour les seules
sections aujourd’hui exploitées, vous aurez en sus du personnel actif,
d’entretien de locomotion, de perception et de stations, un état-major composé
d’un ingénieur en chef directeur, probablement directeur-général, qui aura sous
ses ordres des ingénieurs en chef de 1ère classe, des ingénieurs en chef de
deuxième classe, des ingénieurs de 1ère classe, de 2ème classe, de 3ème classe,
etc., des inspecteurs en chef, des inspecteurs ordinaires, des contrôleurs en chef,
des contrôleurs, des adjoints contrôleurs, etc., etc., et tout cela avec des
traitements suffisants, et que l’on se propose d’augmenter encore sans limite
déterminée, à titre de frais de bureau, de voyage, de séjour et même d’une
certaine part dans les recettes. Croyez-vous, messieurs, que ce projet
d’organisation renferme le germe d’économies dont on fait savourer à l’avance
les douceurs ? C’est peut-être à cette prévision d’augmentation de personnel,
que l’on doit le déplorable entêtement des hauts tarifs du chemin de fer,
tandis que si l’on avait la vue plus longue, on s’apercevrait que ce n’est que
dans les bas prix des transports qu’on pourrait puiser les éléments d’une
dépense aussi immodérée.
Je pense, messieurs, vous avoir surabondamment démontré que le dépôt des
pièces que nous devons à M. le ministre, n’est qu’un simulacre de
condescendance envers la chambre ; que ces pièces ne renferment pas les
réponses demandées et ne peuvent justifier le vote de confiance de cinq
millions 400 mille francs qu’on exige de nous. Du reste, je n’entraverai pas
davantage la décision de la chambre sur ma motion d’ordre et j’abandonne à sa
sagesse de décider si dans cet état de choses nous pouvons passer à la
discussion des articles du budget du chemin de fer.
Dans tous les cas, je demande que les pièces qui ont été déposées sur le
bureau par M. le ministre, soient complétées par lui pour l’exercice entier de
1842 et imprimées pour être distribuées à chacun des membres de la chambre.
Et je recommande de nouveau à M. le ministre les états de mouvement des
transports récapitulés pour l’exercice entier, tels que je les ai demandés :
A pour les voyageurs,
B pour les grosses marchandises,
C pour les marchandises de diligence.
Et les états correspondants des recettes séparément.
Tous ces états par bureaux de départs et par destination. Toutes ces pièces
seront du plus grand intérêt pour la chambre lorsqu’il s’agira de la loi sur la
prorogation des péages, ou à l’occasion de la discussion qui s’élèvera
probablement lors du compte- rendu de 1842.
M. de Theux. - Messieurs,
j’attache beaucoup moins d’importance à des demandes très détaillées de
renseignements dans l’état actuel des choses, parce que je pense qu’il nous
serait impossible d’en tirer bon parti. Nous ne pourrions pas suffisamment
apprécier les conséquences de ces renseignements pour nous former une idée
juste des sommes nécessaires pour l’exploitation du chemin de fer.
Mais je reproduirai une observation que j’ai faite lors de la discussion
du budget de l’année dernière : c’est qu’il me paraît qu’il serait d’une haute
importance, que M. le ministre des travaux publics instituât une commission
d’enquête relativement à l’exploitation du chemin de fer. Cette commission
prendrait tous ses renseignements, non seulement au ministère, mais aussi
auprès des employés, et au besoin, dans les stations. Si cette commission était
bien composée, je pense qu’elle pourrait amener des résultats très
satisfaisants. Dans tous les cas, si cette commission était nommée, je
désirerais que le gouvernement fît part aux chambres du résultat de ses
investigations.
Je désirerais, d’autre part, que pour la discussion du budget de l’année
prochaine, M. le ministre nous fournît longtemps à l’avance et avant même
l’examen du budget dans les sections, tous les renseignements qui pourraient
éclairer la discussion relativement à la dépense d’exploitation du chemin de
fer. Car il faut bien en convenir : de la manière dont les choses se passent
depuis quelques années, les sections sont exposées à faire un travail inutile,
puisque beaucoup de renseignements, non seulement relatifs à l’exploitation du
chemin de fer, mais aussi relatifs à divers travaux compris dans le budget
n’arrivent qu’après l’examen des sections et au moment de la réunion de la
section centrale.
Je désirerais aussi qu’a l’avenir le chapitre du chemin de fer contînt
tous les détails nécessaires, qu’il fût subdivisé en articles et paragraphes
ainsi que le sont les chapitres des autres dépenses des divers ministères,
alors, messieurs, munie de tous les renseignements que je viens d’indiquer, la
chambre serait à même de se prononcer en connaissance de cause, ce qui n’existe
pas aujourd’hui, il faut bien en convenir. Je conçois qu’à une époque de
transition comme celle que nous avons passée relativement à l’exploitation du
chemin de fer, il était difficile de suivre la marche régulière que je viens
d’indiquer, aussi j’en fais moins un grief que l’objet d’une demande pour
l’avenir.
En songeant aux économies qu’il serait possible d’introduire dans
l’exploitation du chemin de fer, j’ai porté mon attention sur ce qui se
pratique dans diverses branches d’administration du département des finances ;
là, nous voyons des surnuméraires qui, pendant un grand nombre d’années,
rendent des services à l’administration, sans toucher un traitement, seulement
ils font preuve d’aptitude dans les diverses branches du service ; ils
acquièrent des connaissances et se créent ainsi un titre à une promotion. Je
conçois que ce système n’est pas applicable à toutes les branches du service du
chemin de fer, mais au moins est-il quelques branches de ce service, auxquelles
le système admis par le département des finances pourrait être utilement
appliqué. Dans tous les cas il y aurait peut-être encore une autre mesure à
prendre : il existe des milliers de solliciteurs pour les moindres emplois
vacants au chemin de fer ; pour quel motif ne pourrait-on pas, pendant 5 ou 10
ans, par exemple, fixer pour ces emplois un traitement peu élevé, qui au bout
de ce temps serait porté au taux normal. Ce serait encore là une source
d’économies, et je crois que ceux qui obtiendraient des emplois à cette
condition, en seraient également très heureux.
Il est aussi diverses observations à faire relativement à l’augmentation
des recettes du chemin de fer. Nous avons remarqué que le transport des
marchandises n’est pas aussi considérable qu’il devrait l’être ; je crois que
cela tient en grande partie à l’obligation où l’on est le décharger constamment
les marchandises, de les transborder des voitures ordinaires sur les wagons et
des wagons sur les voitures ordinaires ; si l’on pouvait adapter aux wagons du
chemin de fer, des caisses mobiles que l’on pourrait transporter avec facilité,
il en résulterait que l’on ne devrait pas décharger et recharger sans cesse les
marchandises, et que l’on opérerait ainsi une grande économie. Je crois
qu’alors on pourrait transporter par le chemin de fer de grandes quantités de
diverses marchandises, telles que la chaux, les pierres à bâtir, les pavés et
beaucoup d’autres objets que l’on ne transporte guères maintenant, parce que
les frais de chargement et de déchargement sont trop considérables.
Je bornerai là, pour le moment, mes observations, car il me paraîtrait
inutile d’entrer dans trop de détails ; si M. le ministre des travaux publics
veut sérieusement introduire toutes les économies possibles dans l’exploitation
du chemin de fer, je crois que le meilleur moyen serait de recourir à
l’institution d’une commission d’enquête qui serait composée d’hommes d’élite ;
cela amènerait nécessairement les meilleurs résultats.
M. de Mérode. - Je demande
la parole.
M. le président. – Est-ce sur la motion d’ordre ?
M. de Mérode. - Non, M. le
président.
M. le ministre des
travaux publics (M. Desmaisières) - Je ne sais pas si nous devons nous en tenir
purement et simplement à la motion d’ordre, car M. David a lui-même abordé le
fond de la question.
M. David. – J’ai
déclaré à la fin de mon discours que je n’insistais pas sur la continuation de
la discussion de ma motion d’ordre, que je m’en rapportais sous ce rapport à
l’opinion de la chambre.
M. Sigart. - Je dois
d’abord remercier M. le ministre de la réponse qu’il a faite à la section
centrale relativement à la police du chemin de fer, cependant je crois qu’il se
trompe lorsqu’il pense qu’il doit se borner aux deux points dont il a parlé. Il
est vrai qu’il n’y a que ces deux points que j’aie agités dans ma section, mais
je pense qu’il en est d’autres qui devraient être examinés. Toutefois, je ne
veux pas en ce moment engager une discussion à ce sujet ; cette discussion
trouvera mieux sa place lorsqu’il s’agira du projet de loi qui nous sera soumis
par le gouvernement. Je dirai seulement à M. le ministre qu’il trouvera des
indications utiles sur cette matière dans les législations de l’Amérique et de
l’Angleterre, relatives aux chemins de fer.
Je ne veux pas, messieurs, agiter la grande question des tarifs du
chemin de fer, mais je ne puis me dispenser de dire que sur la ligne du Midi,
il doit exister un vice grave, car au-delà de Mons, il n’y a que les grandes
messageries qui aient cessé leur service, toutes les petites entreprises
continuent à marcher et tous les jours devant ma porte, sur une route parallèle
au chemin de fer, il passe au moins dix diligences. Je ne veux pas rechercher
toutes les causes de cet état de choses, je sais très bien que quelques-unes
d’entre elles sont indépendantes de l’administration du chemin de fer, mais il
en est d’autres qui dépendent du gouvernement, comme, par exemple, l’élévation
des tarifs et plusieurs mesures relatives aux voyageurs, qui ont été prises
d’une manière tout à fait inopinée et qui dégoûtent le public du chemin de fer.
Je dois aussi citer l’absence des wagons à certains convois et le tarif qui
règle le transport des marchandises de grande station à grande station en
laissant de côté toutes les stations intermédiaires.
Je demanderai à M. le ministre des renseignements sur les fours à coak à
établir sur les lignes du Midi ; l’année dernière, il nous été fait à cet égard
quelques promesses qui sont restées jusqu’ici sans résultat. C’est une espèce
de scandale de voir transporter la houille du Borinage aux fours à coak qui
sont situés à une distance extrêmement grande, et de voir ensuite revenir le
coak à peu près au point d’où il était part. Cela occasionne de grandes
dépenses qui sont complètement inutiles. Cette observation s’applique également
à Tournay ; les houilles passent à Tournay pour se rendre à Gand où on les
convertit en coak pour revenir ensuite à Tournay. J’espère que l’on ne tardera
pas à faire cesser un semblable état de choses.
Je demanderai aussi des nouvelles de la station de Mons. Il paraît qu’il
y a, à cet égard, des contestations entre le département des travaux publics et
celui de la guerre, on dit même que la gendarmerie requise par le département
des travaux publics, aurait été sur le point de se trouver en collision avec la
garnison de la place de Mons, requise par le génie militaire ; je crois que
c’est là une exagération, mais ce qui me semble extrêmement probable, c’est que
l’administration communale de Mons va intenter une action au gouvernement pour
obtenir l’exécution d’un contrat qui a été signé. Le gouvernement offrirait là
un spectacle assez peu édifiant.
Je demanderai enfin des explications sur
l’arrêté du mois d’octobre dernier, qui réduit de 20 p. c. le prix du transport
par charge complète d’un convoi transportée à une distance de 20 lieues. Je
demanderai au profit de qui cet arrêté a été porté ; il est certain que les
exploitants de Mons s’en plaignent de la manière la plus vive, et j’ai vu par
quelques journaux que l’on s’en plaint également ailleurs.
M. Lange. - En
présence, messieurs, des brillants avantages dont jouit la ligne du Midi, tels
que l’absence de wagons dans certains convois, la lenteur désolante d’autres
convois, et d’autres inconvénients qui ont déjà été énumérés, force m’est de
revenir, souvent au moins, sur le point capital (je veux parler du tarif des
voyageurs). Je ne cesserai de vous répéter, M. le ministre, que vous n’avez pas
adopté en entier le tarif de la commission qui fixait pour moyenne
proportionnelle, par lieue kilométrique de 6,000 mètres, 20 centimes pour les
wagons, 30 centimes pour les chars-à-bancs et 40 centimes pour les diligences.
Votre tarif à vous, M. le ministre, du 17 août 1841 fixait la moyenne, par
wagons, de 17 à 18 centimes, par chars-à-bancs à 30 centimes, comme le
proposait la commission, et par diligences, de 37 à 38 c. Ce tarif, vous en
êtes resté esclave sur les lignes du Nord, de l’Est et de l’Ouest, mais vous
l’avez répudié pour la ligne du Midi. Déjà, par des calculs dont vous avez bien
voulu reconnaître l’exactitude, je vous ai démontré que, sur la ligne
principale d’Anvers, la moyenne par lieue kilométrique était de 17 centimes 4
centièmes pour les wagons, de 28 centimes 40 centièmes pour les chars-à-bancs,
et de 36 centimes 93 centièmes pour les diligences.
Sur la ligne de Bruxelles vers Liége, la moyenne par wagons est de 17
centimes 36 centièmes ; pour les chars-à-bancs, de 26 centimes 62 centièmes, et
pour les diligences, de 34 centimes 72 centièmes.
Aujourd’hui que la ligne vers Gand s’est prolongée jusqu’à Tournay,
procédons à un nouveau calcul. Toutefois, je rappellerai d’abord ce que disait
M. le ministre des travaux publics, lors de la discussion du dernier projet
d’emprunt.
« Il faut, disait M. le ministre, toujours avoir égard, lorsqu’on
compare le prix des tarifs sur diverses lignes, aux détours que les tracés
eux-mêmes forcent les voyageurs de faire. »
En cela, j’ai toujours été d’accord avec le ministre ; j’ai toujours
opéré en tenant compte des détours.
« C’est ainsi, continuait M. le ministre, que bientôt la section de
Courtray à Mouscron, et celle de Mouscron à Tournay vont être mises en
exploitation ; eh bien, on reconnaîtra qu’on ne peut pas appliquer lieue par
lieue les bases de tarification aux voyageurs qui iront de Tournay à Bruxelles,
car ils auront deux détours, le détour de Tournay par Mouscron sur Courtray, et
ensuite le détour par Malines de Courtray à Bruxelles. »
La ligne de Bruxelles à Tournay compte 151 kilom.
; de Bruxelles vers Courtray, par Malines, il y a un
détour de 20 kilom. ; de
Courtray vers Tournay, par Mouscron, si mes renseignements sont exacts, le
détour doit être calculé au maximum à 6 kil. En conséquence, si l’on déduit ces
26 kilomètres de détour réunis, de la ligne de Bruxelles à Tournay, il reste
pour première base de mon calcul, 125 kilom....
M. Dubus (aîné). - Je demande
la parole.
M. Lange. - Le prix des
wagons de Bruxelles à Tournay, est de 4 fr. 50 c. ; en
conséquence, la moyenne par lieue kilométrique pour les wagons est de 18
centimes sans fraction. Le prix des chars-à-bancs est de 7 francs ; la moyenne
est donc de 28 centimes sans fraction. Le prix des diligences est de 9 francs ;
la moyenne est de 36 centimes sans fraction.
J’avais donc raison de vous dire, M. le ministre, que vous étiez resté
dans les bornes de votre tarif du 17 août 1841, en ce qui concerne les lignes
du Nord, de l’Est et de l’Ouest.
Abordons maintenant la ligne du Midi.
La distance de Bruxelles à Quiévrain est de 80 kilom.
Le prix des wagons est de 3 fr. 75 c. ; la moyenne est donc par lieue
kilométrique de 23 centimes 43 centièmes, au lieu de 18 cent., maximum du tarif
du 17 août ; Le prix des chars-à-banc est de 5 fr. 25 centimes ; la moyenne est
de 32 centimes 81 centièmes, au lieu de 30 centimes, maximum du tarif du 17
août ; Le prix des diligences est de 7 fr. ; la moyenne est de 45 centimes 75
centièmes, au lieu de 38 centimes, maximum du tarif du 17 août, et ce toujours
par lieue kilométrique de 5000 mètres.
J’avais donc aussi raison de dire, M. le ministre, que vous aviez
répudié votre propre tarif pour la ligne du Midi.
Quels que soient les raisonnements qu’on puisse faire valoir, que M. le
ministre a déjà fait valoir et que j’ai déjà réfutés, ne doivent-ils pas venir
se briser contre ces chiffres qui parlent d’eux-mêmes ?
Messieurs, je n’entrerai pas dans d’autres
calculs, je craindrais de devenir fastidieux ; je me hâte de terminer, et je
terminerai, M. le ministre, en vous disant avec regret que si vous persistez
dans votre système d’exclusion pour la ligne du Midi, deux conséquences
nécessaires doivent en découler : la première, toute morale : absence de
justice distributive ; la seconde, toute matérielle : préjudice pour le trésor.
La ligne de Bruxelles vers Quiévrain ne tardera pas à être totalement
abandonnée ; elle l’est déjà en partie.
M. de Man d’Attenrode. - Messieurs,
en appuyant il y a peu de jours, l’ajournement du chapitre concernant le chemin
de fer dans le but d’obtenir des renseignements importants, J’’avais demandé
que le chapitre du chemin de fer fît l’objet d’un budget détaillé semblable à
ceux des autres services de l’Etat. Si je n’ai pas insisté davantage sur cette
demande, c’est que je n’ignorais pas que les habitudes de la chambre ne me
permettraient pas d’espérer qu’une proposition introduite d’une manière aussi
incidente eût une chance de succès immédiate. Mais j’espère, messieurs, que
cette proposition portera ses fruits pour l’année prochaine, car la nécessité
de ce système me semble incontestable, si nous voulons la régularité dans la
comptabilité de l’exploitation du chemin de fer, et faire exercer sur ce
service un contrôle salutaire par la cour des comptes. Si l’exploitation
faisait l’objet d’un budget détaillé, nous nous éviterions la peine de
nombreuses demandes de renseignements, qui restent insuffisants même avec la
meilleure volonté du ministre, et nous gagnerions un temps précieux. J’aime
donc à compter pour
l’exercice prochain sur un budget détaillé du chemin de fer, et, je le déclare
avec franchise, je me déciderais difficilement à accorder mon vote approbatif
l’année prochaine au chapitre du chemin de fer formulé comme il l’est cette
année.
Je voterai les dépenses de l’exploitation telles qu’elles nous sont
proposées, persuadé qu’il est difficile de contester la justesse des
propositions du gouvernement formulées comme elles le sont cette année. Il
s’agit donc d’un vote de confiance, et je ne crois pas pouvoir le refuser à
l’honorable ministre des travaux publics, qui, après tout, n’a fait que suivre
les errements de ses prédécesseurs
Je bornerai donc là mes observations quant au service de l’exploitation,
mais vous voudrez bien me permettre de me livrer à quelques réflexions sur les
dépenses d’établissement.
Une section frappée, sans doute, de la gravité et de la justesse des
observations de la cour des comptes sur la comptabilité des chemins de fer, a
appelé l’attention de la section centrale sur cette
important objet. La section centrale a cru devoir appeler l’attention du
ministre sur cette question par une note insérée dans son rapport.
Le chef du département des travaux publics s’est borné à répondre à la
note de la section centrale concernant la comptabilité par le renseignement
suivant, annexé au rapport de la section centrale.
« Il est exact, comme le dit la cour des comptes, que les travaux
dits de parachèvement ont pris une grande extension et que les dépenses
s’étendent à presque toutes les sections en exploitation et s’imputent sur le
fonds spécial, mais on ne doit pas perdre de vue que l’administration a cru
devoir, toujours dans l’intérêt du trésor, n’exiger, par ses adjudications, que
l’exécution de tout ce qui était rigoureusement nécessaire pour pouvoir
commencer l’exploitation et rendre ainsi plus tôt productives les diverses
parties du railway ; l’exploitation n’étant jamais fort étendue dans les
premières années, permet le parachèvement successif en apportant au trésor des
recettes plus on moins considérables, etc.
D’après les explications de M. le ministre, c’est par intérêt pour le
trésor que les prévisions des travaux compris aux cahiers des charges et aux
adjudications sont si incomplètes, que le tiers de la dépense est abandonnée à
l’imprévu, à des travaux supplémentaires dits de parachèvement.
C’est par intérêt pour le trésor, afin de pouvoir plus tôt ouvrir les
sections en construction à l’exploitation.
Eh bien, je dis, moi, sans crainte d’être contredit, que ce système,
s’il mérite ce nom, que cette manière de servir les intérêts du pays coûte des
millions au trésor.
Je ferai d’abord remarquer que le résultat de la condition d’une grande
précipitation dans les travaux, insérée au cahier des charges, c’est de faire
de mauvais travaux, sans durée dans l’avenir, des travaux fort dispendieux ; je
ferai ensuite observer que ces travaux, dits de parachèvement, coûtent aussi
infiniment plus, parce qu’ils ne sont pas mis en adjudication, qu’ils sont
abandonnés en main ferme aux entrepreneurs ; que quelquefois, ce qui pis est,
ils sont exécutés sans règlement préalable de prix, sans même l’autorisation du
ministre, et que, ce qui ne vaut pas mieux, ils sont abandonnés en partie à la
régie, qui a pris un développement démesuré au ministère des travaux publics.
Quel intérêt pour le trésor peut-il y avoir, par exemple, d’étrangler
les travaux, de se préparer de grands travaux supplémentaires, mis en partie en
régie pour ouvrir le 26 décembre, en plein hiver, la section de Braine à
Manage, section qui ne mène vers aucun centre de population, qui ne mène, je
pourrais le dire, nulle part ?
Je conçois que cela peut convenir à MM. les entrepreneurs, qui, dès que
la première locomotive a passé avec des voyageurs, se retirent au plus vite
sans réclamer, comme on peut bien le penser, avec tous leurs ustensiles, les
travaux terminés ou non ; ils savent qu’ils pourront les reprendre plus tard à
des conditions excellentes pour eux ou plutôt sans conditions, et la régie fera
le reste ensuite.
Je conçois encore que cela peut convenir à 2 ou 3 grands propriétaires
voisins, qui pressent l’ouverture de toute leur influence, mais je pense que
des exploitations de ce genre ne sont d’aucun intérêt pour le trésor, et il
serait curieux de comparer le rapport de l’exploitation d’une section comme
celle de Braine à Manage, avec les frais de l’exploitation combinés avec les
frais que nous occasionnent des travaux trop précipités et une ouverture
prématurée.
Quand un railway est décrété, quand le tracé est arrêté, l’exécution se
fait au moyen de plans bien conçus, d’estimations aussi exactes que possible,
de cahiers de charges bien conçus, d’adjudications et de réceptions intègres.
Ce sont là les garanties du bon emploi de nos fonds dans une entreprise aussi
colossale.
Nous allons examiner avec la cour des comptes quelle garantie nous
offrent encore ces opérations préliminaires, ces contrats, qui sont la base de
toute bonne comptabilité en fait de travaux publics. Ces contrats qui tendent
aussi à mettre à couvert la responsabilité énorme qui pèse sur le ministre,
responsabilité immense, puisqu’elle est unique ; ces contrats, qui seuls
peuvent prévenir de grands abus, de funestes effets pour nos finances ; ces
contrats, je le dis à regret, ne sont plus que d’une valeur très restreinte
dans les énormes dépenses occasionnées par l’établissement des chemins de fer.
Les prévisions des ingénieurs sont si défectueuses, si incomplètes ; les
modifications aux projets primitifs sont si fréquentes, si considérables ;
l’imprévu dans les dépenses est si important ; les cahiers des charges sont si
souvent violés, que les adjudications deviennent illusoires. On pourrait en
quelque sorte s’en passer, d’après ce qui a lieu aux travaux d’établissement dû
chemin de fer.
Le passage suivant des observations de la cour des comptes sur le compte
définitif de l’exercice de 1836, inséré au cahier qui nous a été distribué
cette année, vient à l’appui de ce que je viens d’avancer ; voici ces paroles :
« Dans son cahier d’observations sur le compte définitif de l’exercice
1836, la cour s’exprime à ce sujet de la manière suivante à la page 36 de son
rapport :
« L’on doit dire, quant à l’économie qui peut résulter du mode de
procéder aux constructions nécessitées par l’établissement du chemin de fer,
qu’elle dépend presque tout entière du degré de perfection des études
préliminaires, et ainsi de la bonne rédaction des cahiers des charges qui en
sont la conséquence. Plus ces études sont complètes, plus elles restreignent le
cercle de l’imprévu ; or, c’est l’imprévu qui rend si souvent les dépenses
effectives disproportionnées non seulement avec les évaluations primitives,
mais quelquefois même avec la valeur réelle de l’objet construit. C’est
l’imprévu, quand il existe, qui devient l’occasion et le prétexte de
réclamations exagérées… Lorsque l’étude préliminaire des travaux d’une même
construction n’a pas été suffisamment mûrie, voici ce qui arrive : la
construction à effectuer se divise en travaux de l’entreprise principale,
travaux supplémentaires, travaux d’achèvement, travaux de force majeure ; de
telle sorte qu’avant que tout soit terminé, la même entreprise donne lieu à
deux, trois et quatre devis estimatifs différents, tous avec le même
entrepreneur, et dont le premier seulement est présenté à l’adjudication
publique.
« Or, il devient évident que cette manière d’agir, qui fait de
l’adjudication publique une chose imparfaite, tend aussi à rendre
l’adjudication une chose illusoire, en donnant d’avance ouverture à des
majorations de prix de revient qui ne représentent pas toujours des
augmentations équivalentes de travaux ; elle fait payer des prix dont l’adjudication
publique n’est point venue garantir la réalité. »
La construction se partage donc, remarquez-le, messieurs, en travaux de
l’entreprise dite principale, qui seuls sont présentés en adjudication publique
; en travaux supplémentaires, en travaux d’achèvement, en travaux de force
majeure, et même en travaux de parachèvement. Les dénominations ne manquent
pas. Elles sont des plus variées. Nous verrons tout à l’heure quelle importance
immense on donne à ces travaux, qui échappent à la garantie de l’adjudication
sans doute dans le soi-disant intérêt du trésor. En attendant, voici ce qu’a
répondu M. le ministre aux observations de la cour dés comptes :
« Il résulte même de l’élévation du chiffre des travaux supplémentaires,
que l’administration s’efforce d’apporter toute l’économie possible dans les
travaux, puisqu’en effet rien ne serait aussi simple, que de ne jamais dépasser
1e chiffre des prévisions en les établissant sur des données excessivement
larges, etc. »
C’est donc toujours par économie, que l’on évite des prévisions
complètes ; on a une telle crainte, semble-t-il, que les prévisions ne
dépassent le nécessaire, qu’on abandonne le tiers à l’imprévu. Ce motif n’est
cependant d’aucun fondement ; car, comme le remarque la cour des comptes, le
ministre se réserve toujours le droit de prescrire des diminutions, de sorte
qu’il est toujours facile de ne point exécuter ceux des travaux qui seraient
juges inutiles.
Serait-ce par hasard dans l’intérêt du trésor, que les plans sont si
incomplets, si mal conçus, qu’il en résulte que les cahiers des charges sont
inobservables, que les contrats sont annulés par la force des choses, et que le
gouvernement se trouve livré à la merci des entrepreneurs, comme cela se passe
sur la fameuse section de la Vesdre.
Certes, le trésor ne peut éprouver que des pertes à l’occasion de ces
immenses travaux imprévus, abandonnés aux entrepreneurs sans règlement de prix,
car leurs exigences s’accroissent en raison de l’importance des travaux ; il ne
reste alors à l’administration qu’à composer avec eux à des prix élevés pour
éviter les procès et le bruit, et je ne pense pas que le trésor soit très
ménagé dans des arrangements semblables.
Si donc les conditions sont inobservables, si les contrats sont annulés,
si l’Etat est livré à l’avidité des entrepreneurs, la faute en est aux
ingénieurs qui font des avant-projets incomplets et mal conçus.
Croirait-on que la plupart des prévisions des ponts et chaussées ne se
réalisent pas ? lls se
trompent pour la plupart des gisements ; les sondages permettraient cependant
de s’en assurer, ils se sont de plusieurs 100 mètres, quant à leurs prévisions
pour la longueur des tunnels ; s’ils donnent la dimension d’un pont, elle sera
insuffisante pour l’écoulement des eaux ; s’ils font un viaduc, un pont, les chariots
chargés n’y pourront passer, parce qu’il sera trop peu élevé, trop étroit, que
la pente sera trop forte. C’est au pays à payer ensuite toutes ces erreurs pour
ne pas me servir d’un mot peu parlementaire.
Si l’imprévu est immense, c’est encore la même cause, et si ces immenses
travaux imprévus ne sont pas mis en adjudication, au grand détriment du trésor,
cela ne peut s’attribuer qu’à la faiblesse du ministre.
C’est à ces causes, je dirai plutôt c’est à ces abus qu’on doit
attribuer le développement immodéré qu’ont pris les paiements en régie.
Cette régie forme un bureau chargé de payer directement les ouvriers du
chemin de fer avec des espèces sonnantes, sans engagements, sans conditions
préalables, sans contrôle aucun de la cour des comptes. Le chef de ce bureau
s’appelle régisseur-comptable ; ce régisseur a quelquefois à sa disposition des
sommes énormes et il ne paye pas un centime de cautionnement. Le personnel de
ce bureau nous coûte au-delà de 27,000 fr. sans les dépenses du loyer et du
matériel, et la cour des comptes observe qu’en octobre dernier il lui restait
encore à lui faire la justification de payements faits en régie pour prés de 6
millions de francs.
Les travaux exécutés en régie sans aucun contrôle se sont élevés en
1838, à environ 8 millions de francs. L’importance des travaux de ce genre a
été toujours en augmentant, et on peut estimer d’après des renseignements très
sérieux, à 15 millions les sommes dépensées d’une manière aussi irrégulière en
1842.
Ces sommes sont visées à la cour des comptes sous le nom de travaux
urgents. Ces dépenses ne sont pas qualifiées.
Et quelles sont ces immenses dépenses non qualifiées ? La cour des
comptes ne le sait pas elle-même, car il est impossible que les ouvriers, qui
ratissent les chemins de fer ou entretiennent le niveau du railway, absorbent
ces sommes. On les emploie, si je ne me trompe, en partie au payement des
emprises.
Je puis vous donner ici un petit exemple historique de la manière dont
se paient les emprises.
La voie ferrée devait traverser un jardin potager à la campagne ; le
propriétaire fut indemnisé à raison de 18,000 fr. l’hectare, on lui paya 1 fr.
pour la transplantation de chaque arbre, on lui accorda 150 fr. pour les
espérances d’un jeune arbre fruitier, on lui accorda 2,000 fr. pour une masure,
mauvaise étable, qui n’en valait pas 200 ; mais il est à noter que l’ingénieur
chargé de ces travaux avait été largement traité chez le propriétaire. A côte
de ce précieux jardin s’en trouvait un autre de la même valeur, l’emprise ne
fut estimée qu’à raison de 11,000 fr., et à quelques pas de là se trouvait une
chaumière, à moitié enterrée par le remblais ; 150 fr
furent accordés pour la reconstruire plus loin ! Voilà un emploi des sommes
livrées à la régie que je puis garantir.
Il résulte de ce système de dépenses en régie sans contrôle de la cour
des comptes bien d’autres abus, et notamment la confusion complète entre les
allocations pour l’entretien des roules en exploitation et pour l’établissement
de celles en construction. Nous savons déjà qu’on prélève les traitements d’un
personnel nombreux sur le fonds des emprunts, dit fonds spécial. Que signifient
donc nos discussions sur le chiffre de l’exploitation s’il est si facile de
transférer les fonds de l’établissement à l’entretien !
Je pense avec la cour des comptes que, si l’intérêt du trésor était bien
entendu, la régie serait de peu d’importance ; un chef de division devrait
suffire pour la diriger.
On m’a assuré qu’en France on ne peut se passer de la garantie de
l’adjudication pour une dépense qui dépasse 10,000 francs. En Belgique aussi on
est dans l’usage d’exiger des adjudications pour les moindres travaux communaux
et provinciaux ; et pendant qu’on en agit ainsi pour les autorités
administratives, pour des travaux d’une importance minime, on met à la
disposition du corps des ponts et chaussées, qui n’a aucun caractère
administratif, des millions pour établir le chemin de fer.
Maintenant on se demandera naturellement la cause du manque de projets
bien étudiés, des devis bien arrêtés, d’estimations suffisantes, origine de
tous les abus ? Cette cause, je ne veux pas la rechercher ici ; dire mon
opinion, ce serait m’engager dans une voie trop délicate : je n’ai eu ni les
moyens ni le temps de m’en enquérir. Il faudrait une instruction, des preuves
pour émettre une opinion sur cette grave question qui mériterait bien une
enquête.
Je vous demanderai maintenant, messieurs, de justifier ce que je viens
de dire par des faits. Je vois à la page 23 des observations de la cour des
comptes, que :
« Les travaux de terrassements et ouvrages d’art de la section
d’Hennuyère à Braine-le- Comte ont été adjugés publiquement pour une somme de 1,008,000 fr., y compris un rabais de 12-46 p. c. Il est à
remarquer que dans la somme de 1,008,000, la part de
l’imprévu avait été faite, puisque cette somme en contient une de 50,000 fr,
pour cet objet.
« Les travaux compris dans la somme de 172,000 fr. comportent des
terrassements exécutés par suite d’éboulements dans les tranchées, et des
travaux de rechargement des perrés, pour donner aux éboulements un profil
régulier ; ils comportent aussi des terrassements à effectuer pour la
reconstruction de la partie de perrés éboulée entre le piquet n°6 et la tête
aval de la galerie souterraine, etc., etc.
« Cependant, aux termes des art. 69, 73 et 74 du cahier des charges
approuvé le 28 mars 1840, une partie des travaux d’éboulement parut à la cour
incomber à l’entrepreneur, l’exécution en ayant eu lieu pendant le délai
endéans lequel l’entrepreneur reste responsable de l’entretien des
travaux. »
Voilà donc une section dont les travaux prévus se sont élevés à 1,008,000 fr., y compris 50,000 fr. d’imprévu et les travaux
imprévus supplémentaires abandonnés aux entrepreneurs sans adjudication se sont
élevés au prix de 422,040,92. Et remarquez-le, messieurs, on accorde des
indemnités aux entrepreneurs pour le renouvellement de travaux dont ils
devaient répondre par le cahier des charges, de sorte que lorsqu’une
adjudication est favorable au gouvernement, on neutralise cet avantage en
indemnisant les entrepreneurs ; je voudrais savoir si les entrepreneurs sont
aussi délicats pour les intérêts du trésor, que leurs gains sont immodérés.
Je poursuis mes citations dans le cahier de la cour des comptes.
« Les mêmes observations que ci-dessus se présentent pour les
travaux imprévus exécutés sur la section de Mons à la frontière de France.
« Les terrassements et ouvrages d’art de cette section ont été
adjugés moyennant un rabais de 15 fr. 75 c. p. c. sur le montant du détail
estimatif, qui fut ainsi réduit à 674,000 francs, y compris une somme de
cinquante-six mille quatre cent dix-huit francs pour travaux imprévus, et à
régler pendant l’exécution, ci : fr. 56,418
« Cette somme n’ayant pu suffire pour couvrir les frais occasionnés par
les travaux imprévus, un décompte général des terrassements et ouvrages d’art
supplémentaires a été dressé le 18 avril 1842, qui ne reçut l’approbation du
ministre que le 20 de mai suivant, époque à laquelle la plus grande partie des
travaux était déjà exécutée. Ces travaux supplémentaires se sont élevés à fr.
305,274 28
Total : fr. 361,692 28 »
Les travaux supplémentaires se sont encore élevés à la moitié de
l’adjudication ; et notez que ces travaux ont été exécutés avant l’approbation
du ministre, qui ne l’a donnée que lorsque les travaux étaient terminés.
Presque toutes les sections sont dans le même cas ; les travaux imprévus
exécutés sans adjudication se sont élevés à une somme équivalente au moins à la
moitie de celle de l’adjudication.
Je passe à la section de Soignies à Jurbise ; on y a dépensé 50,000 fr.
en journées d’ouvriers de la part de la régie, sans adjudications, sans
conditions, sans règlement de prix, et cela pour travaux dits de parachèvement.
Maintenant voilà ce que la cour nous dit des travaux de la Vesdre,
travaux dont la stagnation ont fait naguère l’objet d’une motion d’ordre, d’une
demande d’explications qui n’a abouti à rien.
Voici les paroles de la cour :
« La cour croit devoir entrer dans quelques détails plus circonstanciés
au sujet du mode qui a été suivi pour les ouvrages d’art et de terrassements
sur la section de Chènée à Pépinster
; car elle ne pense point que même l’importance et la grandeur des travaux
puissent devenir une raison pour s’écarter des mesures ordinaires de prévoyance
commandées par les intérêts du trésor ; elle ne croit pas non plus que ce soit
la pensée nationale d’obtenir uns célérité dans l’exécution, qui ne pourrait
être acquise qu’en faisant abandon de ces intérêts.
« La cour fera donc observer qu’en procédant aux travaux dont il s’agit,
non seulement on n’est point demeuré dans les termes de l’adjudication et du
cahier des charges relativement à la description des travaux, mais que ceux-ci,
complètement modifiés, ont été poursuivis sans contrat préalable ; de sorte
qu’aujourd’hui encore les prix des travaux extraordinaires doivent être réglés
entre l’administration et les entrepreneurs, circonstance d’autant plus digne
de remarque et d’autant plus grave, qu’il s’agit de travaux considérables du
chef desquels les entrepreneurs élèvent une prétention de près de 3,032,388
fr., qui, si elle devait dire admise, porterait l’entreprise à 7,590,110 francs
87 centimes, chiffre hors de toute proportion avec celui de 4,158,000 francs,
qui en formait l’évaluation primitive. »
Nous pouvons voir plus loin que le ministre n’ayant plus de fonds pour
continuer les travaux, ceux des adjudications étant épuisés, M. le ministre des
travaux publics demanda à la cour de lui ouvrir à lui-même, dans la personne du
régisseur comptable, un crédit à concurrence d’un million, crédit qui devait le
mettre en position de continuer les payements, sous l’obligation d’en justifier
l’emploi après l’arrangement définitif avec les entrepreneurs.
La conclusion de l’exposé qui précède, il faut bien le dire, c’est
d’abord que l’adjudication du 22 novembre 1839 doit être considérée comme
n’ayant point présenté de réalité, ensuite, que les travaux ont été conduits
sans les mesures qui peuvent seules
mettre le trésor de l’Etat à l’abri des réclamations de toute nature.
Sur cette section les abus sont bien plus criants que sur les autres, on
ne s’y borne pas a de grands travaux supplémentaires abandonnés à main ferme ou
mis en régie ; le gouvernement viole sans façon l’adjudication et le cahier des
charges, et l’on poursuit les travaux sans contrat préalable ; maintenant s’il
s agissait de régler le prix des travaux entre le gouvernement et les
entrepreneurs, voilà la cause du procès, dont l’honorable M. Lys nous a
entretenus, il y a quelques jours, et qui, en faisant cesser les travaux, a
jeté dans les campagnes en plein hiver une masse d’ouvriers sans ressources, et
doivent y avoir répandu de justes craintes, car l’homme dénué de ressources,
loin de chez lui, court bientôt le risque de cesser d’être honnête homme.
Des travaux aussi gigantesques abandonnés sans la garantie de
l’adjudication, sont de nature à m’alarmer sur la situation du trésor. Je suis
convaincu que ce système ou plutôt cette absence de système, d’ordre, de
régularité, doit amener le gouvernement à nous proposer un nouvel emprunt pour
terminer le chemin de fer. On en fait déjà circuler le bruit, afin sans doute
de nous y accoutumer petit à petit. Le manque d’ordre dans des travaux
semblables ne peut que vous occasionner d’immenses pertes.
En France, où l’administration est mieux comprise, parce que ce pays a
des traditions et une vieille expérience, que notre jeune Belgique n’a pas
encore, on n’a pas permis au corps des ponts et chaussées de prendre un
caractère administratif, qui ne lui appartient pas. Pour mettre un frein aux
prétentions de ce corps puissant, qui ne voit que des béotiens en dehors de son
sein, on a constitué près du ministre charge des travaux des chemins de fer, un
comité composé de six pairs de France, de six députés, de plusieurs membres de
la haute administration, de maîtres de requêtes, d’auditeurs au conseil d’Etat.
Le ministre administre fort de l’appui et du concours de ce comité, composé
d’hommes spéciaux, éminents et intègres.
Ici, le ministre lutte péniblement contre les exigences des ingénieurs,
et je dirai plus, il est livré complètement à leur merci ; il est cependant le
seul défenseur des intérêts du trésor ; il lutte d’autant plus péniblement, que
si, comme en France, il n’a pas un comité sur lequel il puisse s’appuyer, il
n’a pas même de loi de comptabilité pour régler celle de son département. Il
lui faudrait donc une fermeté, une intelligence, une prévoyance surhumaine pour
surmonter les abus si graves que l’intérêt multiplie autour de lui !
Ainsi, pendant que nous délibérons péniblement sur les moyens de
procurer des ressources au trésor, que nous passons en revue toutes les bases
de production, et que toutes récusent leurs concours en prétextant leur ruine,
on gaspille les produits de nos
emprunts, et je crains fort qu’on vienne nous en demander un nouveau.
Quant à moi, il me semble que tout en songeant à nous créer de nouvelles
ressources, nous ferions sagement de penser à mettre de l’ordre dans les
dépenses faites pour les travaux publics et dans notre comptabilité ; si nous
ne votons pas bientôt une loi de comptabilité, le chemin de fer finira par être
pour nous une espèce de tonneau des Danaïdes. Je demanderai donc encore une
fois, quand apparaîtra le projet de loi de comptabilité, qui nous est promis
depuis si longtemps, et que nous n’obtenons pas malgré nos vives réclamations.
Il importe que nous nous livrions ici à autre chose
qu’à des paroles ; si une proposition d’enquête parlementaire sur ce qui se
passe à la comptabilité du chemin de fer pouvait trouver quelque appui dans
cette chambre, je ne reculerais pas devant cette proposition, car je crois que
les faits qui nous sont révélés sont assez graves pour la motiver. Si nous nous
bornons à des paroles, les abus se perpétueront, et le corps éminent que nous
avons chargé de veiller au bon emploi des fonds que nous votons, et qui
s’acquitte avec tant de vigilance de cette tâche, finira, je le crains, par se
rebuter à nous signaler inutilement tous les ans les mêmes abus, ou au moins,
il mettra peut-être moins de zèle à lutter contre eux, si la législature
continue à ne pas lui donner les moyens légaux de les faire cesser.
M. le ministre des
travaux publics (M. Desmaisières) - Messieurs, le mode de comptabilité suivi par
l’administration des travaux publics à l’égard des dépenses de construction et
d’établissement du chemin de fer, le système de comptabilité que vient de critiquer
l’honorable préopinant, n’est pas nouveau. Certainement mes honorables
prédécesseurs et moi, nous aurions voulu pouvoir l’éviter ; car, messieurs, on
doit concevoir que ce mode de comptabilité est une très grande gêne pour un
ministre des travaux publics qui a, en cette circonstance, à assumer une responsabilité
que lui éviterait le contrôle préalable ; la cour des comptes elle-même, malgré
ses observations répétées dans chacun de ses cahiers annuels, n’a pas pu
s’empêcher de donner les mains à ce système de comptabilité. Il est vrai que
l’année dernière et pendant l’année 1841, on a dépensé de très fortes sommes
sur le crédit ouvert par la cour des comptes à la régie, et par conséquent avec
contrôle préalable quant à l’ouverture des crédits, mais sans contrôle
préalable quant aux détails des dépenses.
Mais remarquez-le bien, messieurs, le contrôle doit venir ensuite ; et
c’est là où est la position fâcheuse du ministre, car il serait beaucoup plus
commode pour le ministre que le contrôle fût préalable aux dépenses ; il aurait
beaucoup plus de certitude alors de ne pas avoir plus tard à subir des
conséquences plus ou moins fâcheuses pour lui.
Si de plus fortes sommes ont dû être dépensées de cette manière, cela a
tenu surtout au procès de la Vesdre ; et dans cette circonstance le système de comptabilité dont
il s’agit a été éminemment favorable aux intérêts publics ; car, messieurs,
s’il n’avait pas été possible de recourir à ce système de comptabilité,
l’achèvement du chemin de fer de la Vesdre, achèvement que tout le pays désire
avec tant d’ardeur, parce que ce n’est qu’alors qu’on saura d’une manière
positive ce que le chemin de fer pourra rapporter et de quelle utilité il est
réellement pour les intérêts généraux du pays. Sans l’emploi de ce système de
comptabilité, cet achèvement, messieurs, aurait été reculé de longtemps.
M. de Man d’Attenrode. - Les travaux
sont statés, voilà ce qui résulte de ce système.
M. le ministre des
travaux publics (M. Desmaisières) - Nous n’aurions pas pu non plus, sans avoir
ajourné depuis longtemps la continuation des travaux, arriver à la solution
favorable que nous avons obtenue récemment des tribunaux pour le procès de la
Vesdre, car pour tous les points principaux nous avons eu gain de cause.
Vous voyez, messieurs que ce système de comptabilité, quelque irrégulier
qu’il soit, a cependant, dans cette circonstance, produit un grand bien,
puisqu’il a assuré l’exécution dans le laps de temps le plus rapproché possible
de la section la plus importante de nos chemins de fer.
L’honorable M. de Man, dont tout à l’heure je n’avais pas compris
l’interruption, a dit que les travaux étaient statés sur la ligne de la Vesdre.
Messieurs, comme je l’ai déjà déclaré à la chambre, il y a quelque temps, les
travaux ont été statés un instant sur certaines sections ; mais ils n’ont pas
tardé à être repris, et aujourd’hui, ils sont de nouveau en pleine exécution.
Des mesures ont été prises pour qu’il n’en résulte pas de retard pour
l’époque annoncée comme probable de la mise en exploitation de cette partie de
nos chemins de fer.
Messieurs, plusieurs honorables membres ont pris la parole dans cette
discussion. Deux honorables députés du Hainaut se sont plaints de nouveau de ce
que la ligne du Midi serait moins favorisée que les autres sous le rapport des
tarifs. Plusieurs fois déjà dans cette enceinte, j’ai expliqué comment il se
trouvait que certaines anomalies s’étaient en effet introduites dans le tarif
du chemin de fer du Midi. Plusieurs même ont déjà été rectifiées et dans le
moment actuel on termine un travail général de révision que j’ai ordonné en
même temps que la confection des tarifs portatifs qui pourront être distribués
au commerce, soit gratuitement, soit moyennant paiement. Ces tarifs seront
établis par station et contiendront tous les renseignements désirables sur les
tarifs et le mode d’expédition des marchandises par les chemins de fer. Il y en
aura également pour les voyageurs. Ces tarifs qui seront soumis à ma signature
pour recevoir mon approbation, contiendront aussi à l’égard de la ligne du Midi
quelques rectifications qui doivent encore avoir lieu.
Quant à la lenteur des convois sur la ligne du midi, il est d’abord à
remarquer que sur cette ligne les stations intermédiaires sont beaucoup plus
nombreuses que sur les autres lignes ; et, je dois le dire, il m’est même
extrêmement difficile de résister à des demandes qui me sont constamment faites
pour en augmenter encore le nombre.
C’est même parce qu’il n’est pas possible de satisfaire à ce grand
nombre de demandes de stations intermédiaires qu’il faut attribuer l’existence,
dont a parlé l’honorable M. Sigart, de petites voitures publiques qui ne
parcourent que de petites distances. Elles existent malgré le chemin de fer,
parce que véritablement on ne peut pas aller au-delà du nombre de stations qui
existe actuellement. Cela ne pourra avoir lieu que lorsqu’on pourra compter sur
un mouvement à petites distances assez grand pour établir des convois spéciaux.
En attendant, si l’on voulait obtenir une plus grande vitesse de la marche des
convois sur cette ligne, il y aurait lieu d’en supprimer un certain nombre.
Messieurs, l’honorable M. David a demandé que je voulusse bien
m’expliquer sur le tableau qu’il a présenté et fait insérer au Moniteur, relativement au nombre de
lieues à parcourir en 1843.
L’honorable membre a dû voir par les documents que j’ai produits que sur
le nombre de lieues à parcourir qu’il y avait dans son tableau erreur en moins
dans le nombre de lieues qu’il indique comme devant être parcourues en 1843, en
les comparant seulement à celles qui ont été parcourues en 1842.
Aussi, lorsque l’honorable membre vous a fait part de ses calculs à cet
égard, quand, dans une autre séance il nous a dit que, d’après son tableau, le
nombre de lieues a parcourir en 1843, serait de 330 mille, que par conséquent
il était d’accord avec moi, puisque j’avais annoncé que ce nombre dépasserait
300 mille, je l’ai interrompu à l’instant même pour lui dire que le chiffre de
300 mille dont j’avais parlé, était pour 1842 et non 1843.
Maintenant, dans son tableau, l’honorable membre vous a fait le calcul
du nombre de lieues à parcourir en 1843, sur les sections qui ont été en
exploitation en 1842, et il est arrivé au chiffre de 287,620 lieues. Déjà ce
chiffre diffère d’une manière assez notable de celui de 318 mille qui a été
parcouru en 1842. Ainsi, puisqu’en 1843 on exploitera, terme moyen, 23 lieues
de plus qu’en 1842, année pendant laquelle on a exploité, terme moyen, 79
lieues, il est évident que l’honorable membre est au-dessous de la réalité
probable. Il est encore à remarquer qu’il a pris les sections comme il devait
les prendre, puisqu’il calculait pour 1843, il a pris toutes les sections
exploitées en 1842, comme devant être exploitées en 1842 pendant l’année
entière. Cependant plusieurs de ces sections n’ont été exploitées en 1842 que
pendant une partie de l’année, et malgré cette circonstance que plusieurs de
ces sections qui seront exploitées pendant toute l’année de 1843, ne l’ont été
que pendant une partie de l’année 1842, les renseignements que je vous ai
fournis font arriver le nombre total de lieues parcourues, en 1842, au chiffre
de 318 mille, ce qui dépasse de beaucoup le chiffre de 287 mille trouvé par
l’honorable M. David pour 1843. Ainsi, nous aurons beaucoup plus de lieues
exploitées pendant l’année entière en 1843 qu’en 1842, et cependant l’honorable
membre arrive, pour 1843, à un nombre de lieues parcourues beaucoup moindre.
Ici, messieurs, j’ai encore une remarque à faire : elle concerne
maintenant les sections nouvelles à mettre en exploitation en 1843. Les
prévisions de l’honorable M. David se trouvent encore là au-dessous de la
réalité probable. C’est ainsi, par exemple, que de Liège à Verviers et de
Verviers à Liége, il ne compte que sur cinq convois, cinq trajets aller et retour.
M. David. - J’ai
supposé quatre et six convois ; quatre d’abord et six quand le chemin sera
tassé ; ce qui fait une moyenne de 5 convois.
M. le ministre des
travaux publics (M. Desmaisières) - Je tiens ici à la main une pétition que m’ont
adressée le 3 de ce mois la chambre de commerce et le conseil communal de
Verviers qui va nous démontrer que l’honorable M. David est resté de beaucoup
au-dessous de la réalité probable. Cette pétition de la chambre de commerce et
du conseil communal de Verviers a pour but de demander que le gouvernement
fasse tous ses efforts pour arriver à mettre en exploitation la section de
Verviers à l’époque que j’ai annoncée dans un discours que j’ai prononcé à
l’inauguration de la section de Tournay.
Pour démontrer de quelle importance il est pour Verviers et pour son
industrie surtout que cette mise en exploitation ait lieu le plus tôt possible,
voici ce que disent la chambre de commerce et le conseil communal de cette
ville :
« Pour Verviers chaque mois de retard occasionne au commerce une perte
de plus de 30,000 francs seulement pour le transport des houilles. En effet,
Verviers consomme annuellement 50,000 tonneaux de houille, dont le transport de
Liége ici coûte 10 fr. par tonneau, au lieu de 2 fr. 50 qu’il coûtera par le
chemin de fer, différence 375,000 fr, par an, donc plus de 30,000 fr. par
mois. »
Vous voyez donc, messieurs, que du chef de la houille seulement il y aura
là de nombreux convois pour Verviers, et je crois qu’on ne soutiendra pas que
cela se rencontre sur aucune des lignes actuellement en exploitation.
Maintenant, voulez-vous savoir combien de trajets il faudra faire pour
transporter ces 50,000 tonneaux de houille ? La section de Verviers comprend
des parties à rampes continues assez fortes, puisqu’elles s’élèvent jusqu’a 8
millimètres par mètre, et l’on sait que sur de pareilles rampes, pour remonter
des matières aussi pondéreuses que la houille, les convois devront être
beaucoup moins chargés que sur d’autres sections. Ici je répondrai en même
temps à une objection qui m’a été faite par un honorable député sur la marche
plus ou moins lente des convois sur la ligne du Midi.
Il existe, sur cette ligne, une simple rampe de 5 millimètres aux
environs de Hennuyères. Eh bien, il est arrivé déjà plusieurs fois que les
convois de marchandises ont été obligés de laisser une partie de leurs voitures
en route ; ce qui a retardé la marche de tous les autres convois, et cela
malgré que l’on avait pris la précaution de faire remorquer les convois par
deux locomotives. S’il en est ainsi pour une simple rampe de 5 millimètres, que
devrait-il arriver pour la section de Verviers si l’on ne réduisait pas le
nombre des voitures par convois ou trajets ? On ne pourra donc mettre que 10
voitures par convoi ; ce qui fait 40 tonneaux. Divisez le chiffre de 50,000
tonneaux par 40 et vous obtiendrez 1,250 convois ;
mais comme il faut aussi le retour, cela fait 2,500 convois ou trajets. Ainsi,
en comptant 300 jours de l’année consacrés à ce
transport, cela vous donnera 8 transports par jour. Cependant l’honorable M.
David n’en compte que cinq, et pour les voyageurs et pour la houille et pour
toutes les marchandises en général. Vous voyez donc qu’on ne peut baser un
calcul sur les chiffres de l’honorable M. David.
M. Duvivier. - Je prierai
l’honorable ministre des travaux publics de répondre à la question de
l’honorable M. Sigart, concernant le procès relatif à la station.
M. le ministre des
travaux publics (M. Desmaisières) - Cela m’avait échappé.
Il est vrai qu’une convention a eu lieu au sujet de la station de Mons
entre le département de la guerre et celui des travaux publics et entre ce
dernier département et la régence de Mons. Les départements
de la guerre et des travaux publics, ont commencé à exécuter la convention qui
existait entre eux. Mais lorsqu’on en est venu aux liquidations à faire par la
cour des comptes, des difficultés se sont élevées. Il en est résulté un retard
dans l’exécution de ce qui concernait le département de la guerre dans la
convention conclue entre les deux départements. Mais la cour des comptes a fini
par reconnaître qu’il y avait lieu de liquider ; et c’est ce qu’elle a fait.
Les difficultés sont donc maintenant aplanies entre les deux départements ; et
je puis assurer que les travaux ne tarderont pas à reprendre leur cours.
M.
d’Hoffschmidt. - Je ne me proposais d’abord que de parler sur
les dépenses d’exploitation du chemin de fer. Mais un honorable préopinant, M.
Lange, nous a entretenus de l’inégalité choquante qui existe entre les tarifs
concernant le transport des voyageurs.
Comme c’est là une anomalie qui m’a constamment frappé, j’ajouterai
quelques détails à ceux qu’a donnés l’honorable préopinant.
M. le ministre des travaux publics nous a dit qu’il s’occupait d’une
rectification du tarif en ce qui concerne la ligne du Midi. Les détails qu’on
lui donnera sur ce point pourront donc lui servir pour le travail qu’il
projette. Toutefois je pense qu’il ne devrait pas se borner à une simple
rectification, que c’est un changement total qu’il doit opérer.
Dans mon opinion, messieurs, sauf quelques détours dont il faut
peut-être tenir compte, le tarif des voyageurs doit être uniforme. Je ne vois
pas, en effet, pourquoi soit les habitants du Hainaut, soit ceux d’une autre
province devraient payer plus cher que d’autres le bienfait de cette grande
communication, qui est une œuvre toute nationale. Or, vous venez de l’entendre,
il existe une grande inégalité dont la défaveur pèse sur la ligue du Midi.
Quelques nouveaux détails feront mieux sentir encore cette inégalité.
Le tarif du 19 août 1841, en vigueur sur les lignes du Nord de l’Est et
de l’Ouest, est établi sur les bases suivantes, par lieues de 5,000 mètres :
Diligences : 37 centimes.
Chars-à-bancs : 30 centimes.
Waggons : 17 à18 centimes.
Sur la ligne du Midi, de Bruxelles à Tubize (4 lieues), on paie (par lieue)
à raison de
Diligence : 50 c.
Char-à-bancs : 37 ½ c.
Waggon : 25 c.
De Soignies à Mons (5 lieues), le même prix que de Bruxelles à Tubize,
malgré qu’il y ait une lieue de plus. Cela revient à (par lieue) :
Diligence : 40 c.
Char-à-banc : 30 c.
Wagon : 20 c.
De Bruxelles à Mons (12 2/5 lieues), par lieue :
Diligence : 41 c.
Char-à bancs : 31 c.
Waggon : 21 c.
De Mons à Quiévrain (4 lieues). Cela s’élève par lieue) jusqu’à :
Diligence : 50 c.
Char-à-banc : 37 ½ c.
Wagon : 31 c.
Il résulte de là que, sur la ligne du Midi, on paie pour 80 kilomètres
autant que pour 100 kilomètres sur d’autres lignes. Il en résulte aussi toutes
les conséquences que l’honorable M. Lange vous a déjà développées.
Or cette disproportion me paraît impossible à expliquer.
Aussi j’ai toujours pensé qu’il ne pouvait entrer dans la pensée de
l’honorable ministre des travaux publics de maintenir longtemps une inégalité
aussi choquante, aussi inexplicable. J’ai toujours cru que son but était
uniquement de faire un essai sur la ligne du Midi, pour juger s’il n’y aurait
pas lieu d’élever avec fruit le tarif des voyageurs. Mais il est essentiel de
ne pas se tromper dans un pareil système, surtout de ne pas maintenir trop
longtemps une pareille inégalité aussi désavantageuse.
M. le ministre des travaux publics a toujours montré une tendance à
élever le tarif dans le but très louable d’augmenter les revenus du chemin de
fer. Avant de se décider pour une nouvelle majoration, il a voulu sans doute
examiner les résultats qu’elle produirait sur une ligne séparée. Tout à l’heure
nous verrons quels ont été ces résultats.
Beaucoup de personnes pensent qu’il suffit d’élever le prix des places
du chemin de fer, pour obtenir une augmentation de revenu pour le trésor.
Elévation du tarif est pour elle synonyme d’accroissement de revenu. Mais ces
personnes peuvent fort bien être trompées dans leur attente ; car il y a une
limite qu’on ne peut impunément dépasser c’est cette limite qu’il faut chercher
avec soin, il pourrait donc résulter d’une élévation nouvelle du prix des
places de wagons une diminution de recettes, en même temps qu’une diminution
dans le nombre des personnes de la classe ouvrière appelées à jouir des
bienfaits de ce mode ce locomotion. Or, ce serait, dans ce cas, une bien
mauvaise combinaison, dans un temps surtout où le sort de la classe ouvrière
doit plus que jamais exciter la sympathie et attirer l’attention de tous les
hommes éclairés et de tous les amis de l’humanité ; dans un temps où
l’organisation du travail et la distribution souvent vicieuse des richesses
exposent cette classe à de vives souffrances.
Avant d’augmenter le prix des places des wagons, sur tout notre railway,
il importe donc de bien peser l’effet que cette augmentation produit sur la
ligne du Midi.
J’ai fait cet égard une comparaison entre les résultats obtenus, pendant
les sept premiers mois de 1839, sur cette ligne et sur les autres lignes où
l’ancienne tarification est en vigueur. Je ne lirai pas tous les chiffres que
j’ai sous les yeux ; car il serait impossible à la chambre de les saisir à une
simple lecture. Je me bornerai à mentionner les chiffres indiquant le résumé de
la comparaison, les autres seront insérés au Moniteur.
(Le détail de ces chiffres,
insérés au Moniteur du 19 janvier 1843, n’est pas repris dans cette version
numérisée.)
Comparant les résultats obtenus sur ces deux lignes, par lieue de 5,000
mètres, nous trouvons (successivement : ligne du Midi - autres lignes)
Voyageurs
Diligences : 1,780 - 1,800
Chars-à-bancs : 4,530 - 4,770
Wagons : 13,030 - 13,100
Total : 19,345 voy. - 19,675 voy.
Recettes
Diligences : 6,640 fr. - 7,435 fr.
Chars-à-bancs : 8,890 fr. - 11,490 fr.
Wagons : 12,975 fr. -
14,630 fr.
Total : 28,505 fr. - 35,525
fr.
Vous voyez donc que la comparaison est tout à fait à l’avantage du tarif
le moins élevé, du tarif du 19 août 1841.
Dans un discours, que j’ai prononcé l’année dernière, pendant la
discussion du budget des droits publics, j’avais engagé l’honorable M. Desmaisières
à maintenir son tarif, quant au prix des wagons. Je voyais déjà chez lui une
tendance, malgré l’avantage qu’il tirait de ce tarif, à le porter jusqu’au
point proposé par la commission qu’il a instituée.
Les résultats dont je viens de rendre compte me fortifient dans ma
première opinion, et j’espère bien que tout en faisant cesser l’anomalie que
nous avons signalée tout à l’heure, on y réfléchira mûrement avant d’élever le
prix des places sur les wagons. Je ne parle pas du prix pour les autres classes
de voitures, parce que le prix des places pour les wagons est la base
essentielle de la tarification. Quant au prix qui existe maintenant pour les
chars-à-bancs et les diligences, il est possible qu’en les modifiant, on trouve
une meilleure combinaison. J’aborderai, maintenant, messieurs, les dépenses
d’exploitation.
Les observations que j’aurai l’honneur de vous présenter, vous
paraîtront peut-être incomplètes, mais cela tient (et ce n’est pas un reproche
que je veux renouveler ici) à ce que les renseignements que nous avons tous
entre les mains sont, comme vous le savez, fort insuffisantes. D’abord, nous
n’avons aucun détail sur ce qui concerne l’exercice 1842 ; force nous est donc
de comparer les sommes qui nous sont demandées avec les détails des dépenses de
l’exercice de 1841.
En 1841, les dépenses d’exploitation se sont élevées à 1,273,000 francs. Mais pour les comparer à la somme qui nous
est demandée pour l’exercice 1843, il convient de défalquer de part et d’autre
les frais de camionnage qui n’entrent pas dans les frais d’exploitation
proprement dits, et ont varié avec les systèmes.
Les frais de camionnage sont portés pour l’exercice 1841 à la somme de
254,226 fr., au tableau n°26 du dernier compte rendu-rendu. En les déduisant
des dépenses totales, il reste 4,018,774 fr. pour les
dépenses d’exploitation proprement dites de l’année 1841. Déduisant de même
130,000 fr. portés pour frais de camionnage dans la somme pétitionnée pour
1843, il reste 5,270,000 francs ou 1,250,226 fr. de
plus qu’en 1841.
C’est là, messieurs, une augmentation très considérable et qui est de
nature à exciter chez nous un premier sentiment de surprise, lorsque nous nous
rappelons que quand M. le ministre des travaux publics a présenté le budget de
1842, il nous disait, dans une note jointe au budget, qu’il espérait, avec à
peu près la même somme que celle qui avait été dépensée dans l’exercice
précédent, satisfaire aux dépenses de l’exercice 1842, malgré l’ouverture de
plusieurs sections nouvelles. Il est fâcheux que l’on ne puisse plus tenir le
même langage et qu’il faille à présent une augmentation de 1,251,226
fr. sur l’exercice 1841.
Passons maintenant à l’examen des détails.
La nouvelle division en quatre articles rend plus difficile
l’appréciation des allocations demandées pour les traitements ; cependant il me
semble que l’augmentation est très notable.
Dans sa réponse à la section centrale, M. le ministre s’est appuyé sur
l’extension de l’exploitation ; mais alors j’ai peine à m’expliquer une note
que j’ai vu figurer, il y a quelques mois, dans le Moniteur, par laquelle on repoussait toutes demandes d’emploi, en
se fondant sur ce que, par suite d’une nouvelle organisation, par suite
d’économies introduites dans le service et dans le personnel, on pouvait
satisfaire aux nouvelles exigences sans prendre un plus grand nombre
d’employés.
Il figure aussi, aux différents litteras, des allocations pour des
traitements variables et des frais de routes, sur lesquelles il serait à
désirer que M. le ministre voulût bien nous donner quelques explications.
Les dépenses pour fournitures de bureau et impressions se sont
considérablement accrues en 1842.
En 1841, elles s’étaient élevées à 92,339 fr. ; pour 1843, on demande,
rien que pour l’administration centrale, 130,000 fr.
Il est encore une observation à faire ici. Lorsqu’on a examiné le
système établi pour le camionnage par l’honorable M. Rogier et les tarifs du 10
avril 1841, on a dit que ce système entraînait des dépenses considérables et
pour les bureaux et pour le personnel des employés. Dès lors, ce système étant
modifié maintenant, il doit donc en résulter des économies, ou bien l’on s’est
exagéré ces dépenses.
D’un autre côté on nous a signalé une énorme consommation d’imprimés et
de registres. Je ne puis pas juger si tous ces registres, si cette énorme
quantité d’imprimés sont indispensables ; mais cela mériterait d’attirer
l’attention de l’administration, pour qu’elle vît s’il n’y a pas moyen de faire
quelque réforme à cet égard.
Au littera B qui concerne le service et l’entretien des routes et des
stations, il est demandé 1,443,000 fr.
En 1841, la dépense ne s’était élevée qu’à 759,946 fr.
Ainsi il y a majoration de 683,054 fr., indépendamment de la partie des
dépenses portée au littera A, qui était imputée autrefois sur le service et
l’entretien de la route, Voilà certes une augmentation très importante. Elle
provient des travaux à exécuter pour remplacement de rails, de billes, de
clavettes, etc., sur certaines sections. Mais si cette dépense est tout à fait
indispensable, elle est assez inquiétante pour l’avenir.
Ce serait une preuve d’abord que l’exécution de notre railway n’a pas
été complètement satisfaisante, puisqu’au bout de si peu d’années, il faut déjà
une dépense d’entretien aussi considérable.
Pour la justifier on nous dit qu’il est indispensable de faire ces
travaux pour la sécurité des voyageurs. C’est là, messieurs, un argument qui
doit naturellement faire impression et auquel il est difficile de répondre.
Quel est celui d’entre nous qui voudrait refuser une allocation sur laquelle
repose, dit-on, la sûreté des millions de voyageurs qui circulent sur notre
chemin de fer ? Quel est celui d’entre nous qui peut, d’un autre côté,
s’assurer de la nécessité des réparations ? C’est donc là un argument sans
réplique ; mais j’espère bien que l’administration n’en abusera jamais auprès
de la législature, qu’elle entraînerait très facilement sans doute par des
raisons pareilles.
Mais, il est une autre dépense qui s’est aussi accrue démesurément dans
le littera B, c’est celle dont il est question au numéro 8, travaux et
main-d’œuvre d’entretien des routes, etc. En 1841, on a dépensé pour ces objets
555,715 fr. ; pour l’exercice actuel on demande 870,000 !
De tout cela il résulte, en définitive, que l’entretien de la route et
des stations qui n’a coûté par lieue de parcours de 500 mètres : en 1840 que 2
fr. 76, et 1841 que 2 fr. 63, coûtera en 1843, 4 fr. 57, si le nombre de lieues
indiqué par l’honorable M. David est exact. Mais en ajoutant nième à ses
calculs une vingtaine de mille lieues, ce qui ferait un chiffre total de
350,000 lieues, la dépense de l’entretien de la route serait encore de 4 fr. 12
par lieue. Je ne vois pas là jusqu’à présent l’économie de 3,000 fr.. par lieue, qu’on nous a
signalée.
Le service de locomotive et l’entretien du matériel présentent un total
de 2,570,700 fr. En 1841, il a coûté 2,369,617 fr.
Ici l’augmentation est beaucoup plus modérée. Pour plusieurs articles on
a même marché dans la voie des économies, particulièrement pour le graissage,
le nettoyage, et surtout pour le coak, qui est, comme on le sait, un des éléments
de dépense les plus considérables de l’exploitation. En 1841, ce dernier
article a coûté 799,660 fr. ; on demande, pour 1843, 810,000 fr. Ainsi ; en
1843, on compte exploiter 102 lieues de railway avec la somme qu’il avait fallu
pour en exploiter 70 en 1841.
Malgré ce progrès notable, dont
il faut savoir gré à l’administration, cet article est un de ceux sur lesquels
on peut réaliser encore le plus d’économies. En effet, dans le dernier compte
rendu, nous voyons que, pendant la première quinzaine de janvier de l’année
dernière, la consommation s’élevait à 102 kilog. par
lieue de parcours, mais qu’on est parvenu à la réduire à 88 kilog., et qu’enfin la
consommation moyenne n’était plus que de 75 kilog. à la fin de mai. Ce résultat est dû, paraît-il, à un
règlement établi pour les marchandises, et qui les fait participer aux
économies sur le combustible.
Je crois que ce règlement, sous ce rapport, ne peut produire que de bons
effets ; mais il faut prendre garde cependant que ce ne soit un motif pour les
machinistes de ralentir la marche des convois. Comme ils sont intéressés dans
l’économie du combustible et que la vitesse dans la marche des convois est une
des grandes causes de consommation, il est à craindre que la vitesse de
locomotion ne soit ralentie. Déjà j’ai entendu formuler plusieurs plaintes à
cet égard, j’ai entendu dire que les convois ne marchaient plus aussi vite
actuellement que dans le commencement.
Messieurs, les réductions apportées pour le coak ne doivent pas être les
dernières à beaucoup près. D’après des auteurs qui ont étudié la matière, la
consommation du coak par kilomètre, avec les locomotives telles qu’elles
étaient construites l’année dernière, ne devraient pas dépasser par kilomètre
10 à 13 kilog., c’est-à-dire 50 à 65 par lieue de parcours. Or, avec du
bon coak comme nous en avons en Belgique, on doit restreindre facilement la
consommation à ce chiffre.
D’un autre côté, les ingénieurs les plus distingués s’appliquent
continuellement à perfectionner les locomotives et à diminuer la consommation
du combustible ; et qui peut dès lors assigner la limite où s’arrêteront ces
perfectionnements ? Déjà l’honorable M. Rogier vous a signalé une invention
nouvelle faite par un ingénieur distingué, M. Cabry.
Le système inventé par cet ingénieur, qui a subi les essais les plus longs, les
plus minutieux, amènera une économie de combustible de 30 p. c.
Un honorable orateur, M. Mast de Vries, a semblé douter de la chose,
mais je me suis procuré depuis lois le rapport de M. Masui
sur cette question et le fait annoncé par M. Rogier est positif. D’après le
rapport de M. Masui, ce système va s’appliquer à
toutes nos locomotives et il a d’abord cela de bon que l’application n’en
entraînera que des frais insignifiants. Ainsi pour l’exercice de 1843, voilà
une économie sur la consommation de coak, de 30 p. c. Or, en portant à 50 kilog. par lieue parcourue la quantité de coak consommée,
(et je crois qu’en disant 50 kilog. j’exagère) il
faudra pour les 330,000 lieues à parcourir en 1843, 16,500,000
kilog. de coak. Or, en 1842
le prix moyen de 1,000 kilog, coak était de 29 fr, 3
c. (et il est probablement diminué maintenant) ; la dépense totale sera donc de
479,000 francs.
Au lieu de 810,000 fr., somme demandée pour 1843, non compris le salaire
des ouvriers employés à la formation du coak, cette diminution de dépense,
messieurs, est fort notable, elle doit attirer toute notre attention.
D’un autre côté la section centrale a demandé à M. le ministre, s’il ne
conviendrait pas de fabriquer le coak sur les lieux de production du charbon.
M. le ministre a répondu que le service pourrait en souffrir, que la
fabrication pourrait laisser à désirer, mais il me semble que l’on pourrait
s’assurer d’une bonne fabrication en plaçant, par exemple, un employé sur les
lieux. Il est certain que le transport de la houille sur les endroits où on l’a
réduit en coak est une source de dépenses que l’on pourrait faire disparaître ;
ce qui prouve la hauteur de cette dépense c’est que mille kilog.
de coak fabriqué dans la plaine de Monplaisir, par
exemple, coûtaient, en 1841 35 fr. 02 c. ; tandis que
le coak fabriqué à Ans ne coûtait que 23 fr. 68 c.
Nous avons encore à ce littera d’autres augmentations très
considérables.
A l’art. 4, salaire des chefs d’atelier, etc., on a dépensé en 1841
564,945 fr.
Pour 1843 l’on demande 705,000 fr.
En plus, 140,000 Fr.
Il en est de même de l’entretien du matériel.
Ainsi, messieurs, augmentation considérable pour plusieurs articles,
demandes trop élevées pour d’autres, tel est le bilan du littera C.
Si nous passons au littera D, qui concerne le service des transports
nous trouvons à la vérité que le chiffre proposé n’est que de 1,094,800 fr.,
tandis qu’en 1841, la dépense s’est élevée à 1,143,435 fr. ; mais il faut tenir
compte des sommes portées au littera A, qui tombaient autrefois presque
entièrement à la charge du service de transport et de la perception.
Il faut tenir compte également de la diminution qu’ont éprouvée les
frais de camionnage. Ces deux objets équivalent au moins à 350,000 fr. Il y a
donc aussi augmentation considérable sur ce littera. Pour le service des
stations on trouve, par exemple, qu’en 1841 la dépense a été de 325,000 fr. En
1843 on demande 506,000 francs (numéros 3, 4, 5, 11, 12, 13 et 14 du littera),
majoration 181,000 francs.
En résumé, messieurs, je vois presque partout, malgré les économies
qu’on nous avait annoncées, des majorations considérables et qui me paraissent
dépasser de beaucoup les besoins que peuvent faire naître l’ouverture des
nouvelles sections, ouverture qui très probablement n’aura même pas lieu à des
époques aussi rapprochées qu’on l’annonce. Je crois donc que la somme de 5,400,000 fr. dépasse les besoins de l’exploitation.
Cependant j’écouterai attentivement les explications que donnera M. le ministre
et je désire, avant de me prononcer définitivement, profiter de tontes les
lumières de la discussion.
PROJET
DE LOI PORTANT UN CREDIT SUPPLEMENTAIRE AU BUDGET DE LA JUSTICE POUR L’EXERCICE
1841
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb), chargé par intérim du portefeuille de la
justice, présente un projet de loi tendant à allouer un crédit supplémentaire
au département de la justice pour l’exercice 1841.
- La chambre ordonne l’impression de ce projet, et le renvoie, sur la
proposition de M. le ministre, à la section centrale, qui a examiné le budget
de la justice.
La séance est levée à 4 heures et demie.