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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 1 décembre 1842

(Moniteur belge n°336, du 2 décembre 1842)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Kervyn fait l’appel nominal à midi et demi.

M. Scheyven lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Kervyn présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.

« Le sieur Vandereycken, brasseur à Stevoort, présente des observations contre les projets de loi tendant à majorer de centimes additionnels le principal de l’accise des bières, l’autre à modifier les bases de l’impôt sur les bières ; il prie la chambre d’ordonner une enquête sur la situation de la fabrication des bières. »

« Mêmes observations des brasseurs d’Anvers, de Jodoigne et de Bruxelles. »

- Renvoi la section centrale chargée d’examiner le projet de loi modifiant les bases de l’impôt sur les bières, dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget des voies et moyens, et sur la proposition de M. Verhaegen, insertion de la pétition des brasseurs de Bruxelles dans le Moniteur.


« Les membres du tribunal de première instance de Dinant transmettent à la chambre un rapport adressé à M. le procureur-général de la cour d’appel de Liège, contre la classification du tribunal de Dinant. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif aux traitements de l’ordre judiciaire.

Projet de loi qui rend exécutoire le traité conclu avec S.M. le roi des Pays-Bas, grand-duc de Luxembourg, à l'effet de régler différents points qui se rattachent à l'exécution du traité du 19 avril 1839

Motion d'ordre

M. Vandenbossche. - Messieurs, le traité définitif avec la Hollande, que nous annonçait le discours du trône, M. le ministre des affaires étrangères l’a communiqué à la chambre, et j’en ai pris lecture.

Ce traité, qui devrait nous rapporter de quoi combler tous nos déficits, et même de quoi rembourser une grande partie de nos dettes, ne fait que nous apporter de nouvelles charges.

Avant de procéder à son examen, je pense qu’il est nécessaire d’examiner dans une discussion particulière et préalable, même au renvoi en sections, quelques points de principe.

Ce traité doit être le complément de celui des 24 articles. Dans le premier, nous avons partagé les dettes communes, et nous avons récompensé la Hollande de tout ce que notre diplomatie a prétendu que la communauté avait payé pour la Belgique. Ici nous devons partager les bénéfices communs, et le gouvernement hollandais, à son tour, doit nous récompenser de tout ce que la Belgique ou la communauté a payé pour la Hollande.

Dans toute communauté quelconque, celui qui contribue au paiement des dettes doit profiler, dans la même proportion, au partage des bénéfices. De même celui qui subit récompense pour tout ce que la communauté ou son associé a payé pour lui doit recevoir récompense pour tout ce qu’il a payé ou que la communauté a payé pour son associé. Voilà ce que réclame la justice, aussi je ne pense pas que ces points puissent faire l’objet d’une question.

Or, que, dans le traité des 24 articles, nous avons assumé le paiement de la moitié des dettes communes et que nous avons récompensé la Hollande de ce que la communauté fut réputée avoir payé pour la Belgique sont des faits constatés par les pièces des négociations que le ministre a bien voulu communiquer en 1839.

Par contre, que nous n’avons rien profité des avantages communs, et que nous n’avons reçu aucune récompense, pour ce que la Belgique ou la communauté a réellement pour la Hollande, sont encore des faits constates par les mêmes pièces.

La conférence de Londres, nous a-t-elle exclus du partage des bénéfices communs, ou refusé la juste récompense à laquelle nous avons droits ? La Hollande de même nous a-t-elle contesté l’un ou l’autre de ces droits ? Avons-nous renoncé à ces bénéfices ou à ces récompenses ? Voilà des questions à examiner, et si toutes se trouvent négativement résolues, nos droits aux bénéfices communs et à nos justes récompenses nous restent conservés et c’est dans le traité complémentaire et définitif qu’il s’agit de les faire valoir.

En quoi consistent ces avantages et ces récompenses, et quel est approximativement leur montant ? Voilà aussi un point à examiner.

Une autre question, qui mérite toute notre attention, c’est celle de savoir si nous avons renoncé, par le traité des 24 articles, au partage de l’avoir du syndicat. J’ai encore signalé cette question dans un discours du 29 janvier 1841, où j’ai aussi énuméré les différentes valeurs, qu’un examen attentif de cette institution donne lieu de croire, qu’il possédait au 30 octobre 1830, et dont les 16/31 devraient appartenir à la Belgique, ce qui, de ce seul chef, lui rapporterait un bénéfice net d’environ 100 millions de florins des Pays-Bas. Dans le même discours, j’ai aussi spécifié cinq articles de bénéfices communs ou d’objets de récompense et dont la Belgique devrait profiter une somme effective de 68 millions de florins.

On pourrait peut-être encore en signaler d’autres.

Un autre point qu’il s’agit également d’examiner et dont j’ai aussi parlé dans le susdit discours, est celui de savoir en quoi consistent les avantages de navigation et de commerce que le traité des 24 articles nous a assurés, moyennant une rente annuelle de 600,000 florins des Pays-Bas.

Il s’agit enfin d’examiner quels sont les droits et actions du gouvernement belge envers la société générale du chef des domaines, dont elle prétend avoir la propriété.

Tous ces objets méritent un examen approfondi. et une discussion séparée et préalable à toute délibération sur le traité définitif, soumis à notre approbation.

J’ai réclamé souvent la discussion de ce dernier point. On n’y jamais donné suite. Quelques-uns m’ont dit que ma réclamation était intempestive ; d’autres, qu’ils ne comprenaient pas comment j’entendais faire procéder à cette discussion.Ll’intempestive ne peut plus m’être opposée, je n’ai donc plus qu’à satisfaire ceux qui ne comprennent point la marche que j’entends lui donner ; à cet effet, je formulerai ma motion en question, afin de mieux en faire ressortir l’intelligence et la portée.

La première question que j’ai l’honneur de soumettre à la décision de la chambre, est :

Le roi Guillaume a-t-il conféré à la société générale la propriété des domaines qui lui ont été cédés, en remplacement d’une partie de sa liste civile, par la loi du 26 août 1822 ?

Pour apprécier la rétrocession on n’a connu pendant longtemps que trois titres, savoir :

1° L’arrêté royal du 28 avril 1822

2° Les statuts de la société générale

3° L’arrêté approbatif de ces statuts, du 13 décembre 1822.

Quand j’eus démontré, dans mon discours prérappelé du 29 janvier 1841, qu’aucun de ces trois titres ne pouvait sérieusement servir à la société, de titre translatif de propriété, l’honorable M. le comte Meeus me disait, que la société avait encore un petit acte authentique pour établir son droit. Finalement le traité, soumis a notre approbation, nous annonce un acte du 16 décembre 1822, par lequel le roi Guillaume aurait cédé la propriété de tous ces domaines à la société générale, le même acte, je suppose, auquel l’honorable membre avait voulu faire illusion.

(J’espère que la société ne se refusera pas à communiquer cet acte du 16 décembre, à la chambre, et que chacun de ses membres en prendra une lecture attentive, car j’ai l’intime conviction qu’aucun de nos ministres, ni aucun de tous ceux qui ont pris part à la confection du traité, ne l’a lu.)

Avant de répondre à la question, la chambre aura donc à examiner si l’un ou l’autre de ces quatre actes constitue, pour la société, un titre translatif de propriété. A cet effet, on examinera successivement ces quatre titres, leur nature, leur contenu et leur portée. Or, si on trouve qu’aucun d’eux ne constitue pour la société un acte translatif de propriété on dira finalement non, le roi Guillaume n’a pas confère la propriété des domaines à la société générale.

Je présente cette question la première, parce que sa solution négative épargnerait d’abord l’examen d’une question plus ardue, soulevée à la section centrale réunie avec l’ancienne commission spéciale, et affirmativement résolue par la majorité, savoir : Si la cession faite par le Roi à la société Générale avait été ratifiée par le pouvoir législatif ? Solution que j’ai vainement combattue, dans la section, la majorité ayant cru trouver trois documents évidents et cinq documents authentiques pour appuyer son opinion, tous relatés dans son rapport du 8 novembre 1837. (J’ai rencontré ces preuves et documents dans mon supplément à l’exposé.) Or si la chambre venait à établir que le roi Guillaume n’a point cédé la propriété des domaines à la société Générale, la question de savoir si le pouvoir législatif ait ratifié la cession, deviendrait évidemment sans objet et sans cause. D’un autre côté, si la chambre décide qu’il n’y a pas eu de cession de propriété à la société Générale, cette décision dissiperait certaines préventions qui pourraient influer sur la discussion et les votes à l’égard d’autres questions que, dans toutes les hypothèses, nous aurons à examiner et à résoudre.

Il ne suffit pas de constater que la société Générale n’est point la propriétaire de ces domaines. Il s’agit d’établir à qui en appartient la propriété. Or, dans l’hypothèse qu’elle n’appartiendrait pas à la société Générale, elle doit nécessairement appartenir, soit à l’Etat belge, en tant que situés en Belgique, soit à l’ex-roi Guillaume. La solution de ces questions dépend du sens et de la portée de la loi du 26 août 1822, ainsi que de la loi fondamentale du royaume des Pays-Bas. Si les états-généraux ont cédé, et validement cédé, par la loi du 26 août 822, la propriété des domaines y désignés à la personne privée du roi Guillaume, c’est l’ex-roi Guillaume qui en est encore, dans l’hypothèse, le propriétaire incommutable, et la Belgique n’a rien à y réclamer ; si, au contraire, la propriété de ces domaines a été cédée, en remplacement d’une partie de la liste civile, a sa personne royale ou à la couronne, alors ces domaines, avec l’extinction de sa royauté, sont retournés à leur principe et ils appartiennent à la nation belge.

La seconde question à examiner et à résoudre, dans l’hypothèse, serait donc celle-ci :

Les états-généraux ont-ils cédé, par la loi du 26 août 1822, les domaines y désignés à la personne privée du roi Guillaume ?

Si cette seconde question se trouve résolue négativement, c’est la nation belge, dans l’hypothèse posée sur la première question, qui est la propriétaire incommutable des domaines que s’arroge la société.

Si au contraire la question se trouve affirmativement résolue, alors il s’agira d’examiner si la loi fondamentale autorisait un tel acte, c’est-à-dire, si elle autorisait le pouvoir législatif à céder, en remplacement de la liste civile du Roi, des domaines de l’Etat, en toute propriété et comme bien patrimonial, en la personne privée du roi Guillaume. Si elle interdisait une pareille disposition, alors la loi de cession du 26 août, ainsi interprétée, aurait été décrété en violation de la loi fondamentale, et elle serait par conséquent caduque et nulle de plein droit ; les domaines, malgré la loi, n’auraient jamais cessé d’appartenir à l’Etat.

Pour le cas donc où on répondrait affirmativement à ma deuxième question, je proposerais à la décision de la chambre une troisième, savoir :

La loi fondamentale du royaume des Pays-Bas, a-t-elle autorisé le pouvoir législatif à céder la personne privée du roi Guillaume, des domaines de l’Etat, en remplacement d’une partie de la liste civile du roi ?

Si cette troisième question est négativement résolue, la solution de la seconde devient tout à fait indifférente à la cause. Quelle qu’ait été la volonté des états généraux, quelles que soient les dispositions de la loi du 26 août, la cession n’a jamais été valide, ni elle n’a jamais pu être validée. Jamais les domaines n’ont appartenu ni pu appartenir à la personne privée du roi Guillaume, ils sont restés la propriété incommutable de l’Etat.

Si, au contraire, la deuxième question ainsi que la troisième doivent affirmativement se résoudre, la Belgique n’a plus rien à prétendre, ni du chef des revenus, ni du chef de la valeur des domaines dont la société Générale s’arroge la propriété. La Belgique n’a même plus à rechercher, ni à se mêler de ce que le roi Guillaume en ait fait ou de ce qu’il en ait voulu faire, soit à l’égard de la société Générale, soit à l’égard de tout autre.

La matière pourrait donner ouverture à d’autres questions, que je me réserve de proposer, si les circonstances le demandent ; mais j’espère que l’examen des propositions et questions posées suffira pour donner une idée claire et précise des principes qui doivent nous guider dans l’appréciation du traité qui nous est soumis.

Ce traité n’a pas été précédé d’une discussion séparée sur les principes, et dans la discussion du traité on n’en a point tenu compte.

Pour conserver le Luxembourg à la Belgique, nous devions continuer les relations préexistantes avec la confédération germanique, notre constitution nous en faisait même un devoir.

Dans la discussion, je disais, entre autres, à ce sujet :

« Le gouvernement n’a jamais tenté de renouer ces relations avec la confédération, par là il a trompé l’attente du peuple, il l’a trahi.

« Renouons avec la confédération, du chef du Luxembourg, les relations qui existaient entre elle et le roi Guillaume ; soyons vrais, soyons francs ; montrons-nous sincères et religieux observateurs de nos engagements, et la conférence accueillera nos propositions. »

Ces paroles n’ont pas attiré la moindre attention de mes honorables collègues.

Le traité nous imposait une rente annuelle de 1,185,000 florins pour notre part dans les dettes du syndicat d’amortissement. J’ai hautement prétendu que du chef de la liquidation de cette institution, nous devions profiter 80 millions de florins : demandant la parole pour le prouver, mon assertion fut réputée extravagante, et la parole me fut refusée. Et pourquoi ? Parce qu’il n’y avait pas eu de discussion préliminaire sur les principes ; parce qu’on ignorait l’état de situation du syndicat, parce qu’on ignorait les dotations dont il avait été l’objet, et jusqu’à la loi de son institution.

La discussion fut placée sur un tout autre terrain. On ne voyait que la guerre avec l’Europe coalisée entre nous au bout de notre refus, et le courage ou la peur étaient les seuls sentiments qui inspiraient alternativement nos orateurs. La peur a prévalu et le traité fut adopté. Or, messieurs, si nous avions eu une discussion préalable sur les principes, ce malheur ne serait jamais venu attrister le peuple belge. Car, tout examiné, il ne fallait point de courage pour conserver le Luxembourg à la Belgique ; pour préserver la navigation de l’Escaut du droit de péage, et pour nous faire payer, au lieu de payer nous-mêmes une rente de 5 millions par la Hollande. Il ne fallait, à cet effet, qu’une connaissance approfondie de notre situation politique et de l’état financier du royaume des Pays-Bas, avec l’intention sincère et prononcée de servir son pays.

Le traité soumis à notre approbation doit être le complément de celui des 24 articles. Or, si l’absence d’une discussion préalable pour le premier a eu un résultat aussi pénible et aussi désastreux pour nous tous, nous ne pouvons pas, appris par l’expérience, nous livrer à la discussion de celui-ci, sans avoir, au préalable, mûrement examiné les principes qui doivent nous guider dans son appréciation.

Je demande que cette discussion soit mise à l’ordre du jour immédiatement après le budget des voies et moyens, afin qu’elle puisse avoir lieu avant l’examen du traité dans les sections.

Dans toutes les questions d’un intérêt majeur, c’est dans les sections que l’on doit apporter une connaissance approfondie des points généraux de principe qui nécessairement s’y rattachent ; car, c’est là qu’elles reçoivent une première solution, qui n’exerce que trop souvent une pernicieuse influence sur le vote définitif, si malheureusement, discutant au hasard, on s’y soit formé des idées fausses. Une erreur une fois commise, tout le monde n’est pas en état de la reconnaître, et nous n’avions besoin de cette vérité d’autre preuve que la déplorable adoption du traité des 24 articles. Si le ministère a trouvé une majorité en 1839, pour mutiler le pays, nous devons prévenir au moins qu’il n’en trouve une pour le spolier en 1842. Et la discussion est le plus sûr moyen de nous en préserver.

M. le président. - Je ferai observer à l’honorable membre que déjà la chambre a renvoyé à l’examen des sections le projet de loi relatif au traité avec la Hollande.

M. Mercier. - Je crois qu’il a été très difficile de saisir la proposition de l’honorable M. Vandenbossche. Sa motion renferme une série de questions. Je crois que nous ne pourrons l’apprécier, que, lorsque nous aurons lu son discours dans le Moniteur. Je propose donc que la chambre ordonne l’insertion de ce discours au Moniteur et qu’elle mette la discussion de la proposition de l’honorable membre à l’ordre du jour, entre les deux votes du budget des voies et moyens.

M. Vandenbossche déclare se rallier à cette proposition.

M. Verhaegen. - Je pense qu’il entre dans l’intention de l’honorable M. Mercier qu’il ne soit donné jusqu’à présent aucune suite à l’examen du traité dans les sections, car s’il en était autrement, la motion de M. Vandenbossche tomberait d’elle-même ; si j’ai bien compris cet honorable membre, il voudrait que la question qui se rattache à la convention avec la société Générale, fût considérée comme une question préalable, et au premier coup d’œil, cette demande me paraît fondée ; l’auteur de la motion d’ordre a depuis longtemps une conviction profonde, et sans approuver ni improuver aucune opinion, il me semble que cette conviction est respectable, et que dans tous les cas elle est digne de notre attention.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Ce que propose l’honorable M. Vandenbossche est absolument insolite. Nous ne procédons pas d’une manière abstraite par position de questions ; nous procédons par proposition de lois. Quelquefois, à l’occasion d’un projet de loi, nous posons une question de principe. Mais c’est incidemment et dans la discussion générale. Moi, je crois qu’on ne peut faire autre chose que de prononcer l’ordre du jour sur la motion, et même ainsi on ne préjuge rien. Que propose l’honorable membre ? D’après lui, la société Générale n’est pas devenue propriétaire incommutable des biens qui lui ont été abandonnés en 1822. Dès lors, il se demande si la société Générale, n’étant pas véritablement propriétaire de ces biens, a pu les céder ou les rétrocéder ; évidemment non, dans son opinion ; mais c’est là la discussion du fond du traité conclu avec les Pays-Bas et de la convention conclue avec la société Générale. Si l’opinion de l’honorable M. Vandenbossche, jusqu’à présent isolée, et que je n’en respecte pas moins, comme le fait l’honorable M. Verhaegen, si cette opinion devenait l’opinion de la majorité de la chambre, la convention conclue avec la société Générale viendrait à tomber ; car on ne cède que ce qui nous appartient.

Nous demandons donc l’ordre du jour sur la motion ; il n’y a pas lieu d’arrêter l’examen en sections du traité et de la convention qui s’y rapporte. L’opinion de l’honorable M. Vandenbossche reste entière. Si cette opinion devient celle de la majorité de la chambre, il est évident qu’une grande partie de la convention avec la société Générale et du traite avec les Pays-Bas vient à tomber, parce que, je le répète, on ne cède que ce qui nous appartient véritablement.

M. le président. - M. le ministre de l’intérieur propose l’ordre du jour. La discussion s’établit sur cette proposition, qui, aux termes du règlement, a la priorité.

M. Vandenbossche. - J’avais consenti à la proposition de l’honorable M. Mercier, parce qu’on m’avait assuré qu’il se serait écoulé quelques jours encore avant que l’on s’occupât du traité dans les sections. Quand j’ai demandé une discussion préalable à l’examen en sections, c’est que je sais qu’on s’y forme parfois des opinions qu’on n’abandonne pas dans la discussion publique. Ainsi la discussion du traité du 19 avril a souvent dévié du terrain où elle aurait dû être portée. Alors les questions de principe ont été pour ainsi dire perdues de vue. C’est ce que je vous ai, je crois, suffisamment démontré en vous rappelant la discussion de ce traité. C’est un abus qui ne se renouvellera pas s’il y a une discussion préalable à l’examen en sections. J’espère que, par ces motifs, la chambre ne passera pas à l’ordre du jour sur ma proposition.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - L’honorable préopinant vient de nous dire que sa motion a pour but de prémunir la chambre contre les opinions qu’on serait disposé à émettre dans les sections et contre les engagements qu’on y prend souvent. Mais son but est déjà atteint.

En effet, que voulait-il ? On vous propose de sanctionner la cession de biens faite par la société Générale. Prenez garde, vous dit-il ; ne sanctionnez pas cette cession, parce que ces biens n’appartiennent pas à la société Générale. Nous voilà tous avertis. Mais je crois que nous n’avions pas besoin de cet avertissement, car chacun doit nécessairement se demander : Est-ce que les biens que nous cède la société Générale lui appartiennent réellement ? Evidemment, s’ils ne lui appartiennent pas, il n’y a pas matière à cession ; cette question de principe, prétendue préalable, n’est pas préalable ; c’est la question du fond ; il est impossible de ne pas examiner cette question en discutant les arrangements avec la société Générale.

Je dis que la motion est insolite. Nous avons assez fait pour l’honorable M. Vandenbossche (je ne m’en repends pas), en lui permettant de développer dès à présent son opinion. Nous avons prouvé ainsi que nous la respectons. Mais si la chambre admettait que l’on peut traiter sous le nom de motion d’ordre l’une ou l’autre question, qu’on appellerait question de principe, et qui se rattache à l’un ou l’autre point du traité avec les Pays-Bas, que deviendrait la marche de nos travaux ? Je vais tout de suite vous indiquer une autre question de principe. Il y a certains avantages commerciaux que nous n’obtenons dans le traité du 5 novembre qu’au moyen de compensations pécuniaires. Mais l’un ou l’autre membre de la chambre pourrait se lever et dire : « Il n’y avait pas lieu de demandera à la Hollande ces avantages commerciaux, moyennant des compensations pécuniaires, attendu que ces avantages nous sont acquis, par exemple, en vertu des traites de Vienne, nous sont acquis par le droit public général de l’Europe. Je demande à développer cette question. » On lui répondrait qu’il n’y a pas de question de principe, que c’est le fond de la discussion, que nous devons aborder très prochainement. Je propose donc l’ordre du jour sur la motion de l’honorable membre ; déjà nous avons fait en sa faveur une exception que nous ne ferions pas en faveur de tout autre membre qui présenterait une motion d’ordre de même nature. Il n’y a rien de préjugé. Dans l’examen en sections et dans la discussion générale, l’opinion de l’honorable membre trouvera sa place, puisque c’est le fond de la question.

M. Verhaegen. - Quant à moi, je combats la demande d’ordre du jour. Je suis étonné d’entendre M. le ministre de l’intérieur dire que la marche proposée par l’honorable M. Vandenbossche est insolite.

Je ne pense pas qu’alors que l’honorable M. Vandenbossche veut nous fournir l’occasion de nous éclairer au moyen de la discussion de sa motion, il y ait dans cette marche quelque chose d’insolite, Il me semble que ce que demande l’honorable M. Vandenbossche est absolument nécessaire, en présence de la position que nous a faite le ministère, qui, en traitant avec la Hollande, a juge à propos de consentir à une stipulation faite dans l’intérêt d’un tiers, stipulation qui maintenant fait partie essentielle du traité ; à tel point que si nous n’adoptions pas cette stipulation, le traité viendrait à tomber. Pourquoi ne commencerions-nous pas par examiner cette stipulation pourquoi n’en apprécierions-nous pas la portée ?

La marche proposée par l’honorable M. Vandenbossche présente un double avantage.

D’abord elle nous mettra à même de bien apprécier les questions qui se rattachent à la convention avec la banque. L’honorable M. Vandenbossche prétend qu’il nous démontrera que la société Générale n’a jamais eu la propriété des domaines dont elle nous offre la rétrocession. Sans me prononcer en aucune manière sur le mérite de cette prétention, je pense que nous aurions tort de ne pas donner à cet honorable membre les moyens de nous éclairer sur une des questions les plus importantes qui puissent s’agiter dans cette enceinte.

Ensuite, en suivant la marche proposée par l’honorable M. Vandenbossche, nous ne nous exposerions pas à rompre tout d’abord les relations de bon voisinage qui semblent devoir s’établir entre la Belgique et la Hollande ; si nous refusions le traité dans son ensemble, sans en distraire, comme le propose M. Vandenbossche, la partie qui concerne spécialement l’intérêt de la banque considérée comme tiers, le gouvernement hollandais pourrait nous reprocher notre tiédeur ou notre mauvais vouloir ; si, au contraire, nous examinons avant tout la convention avec la banque, et si nous la rejetons comme onéreuse au pays, nous ne nous exposerons pas aux inconvénients qui pourraient résulter du rejet de la convention dans son entier.

La proposition de l’honorable M. Vandenbossche offre donc le double avantage de nous éclairer, quant à nos droits contre la société Générale, et d’éviter les inconvénients d’un rejet pur et simple de la convention faite avec le gouvernement hollandais.

Je ne vois donc pas pourquoi nous refuserions d’adopter la motion de l’honorable M. Vandenbossche, qui ne présente aucun inconvénient car je ne pense pas que M. le ministre de l’intérieur puisse en signaler aucun inconvénient.

M. Mercier. - Je déclarerai d’abord que je n’entends pas me prononcer sur la motion de l’honorable M. Vandenbossche, encore moins sur les questions qu’elle soulève. Mais j’ai pensé que cette motion, qui ne touche pas seulement à la question dont a parlé M. le ministre de l’intérieur, n’était pas suffisamment comprise par la chambre pour qu’elle pût prendre une décision avec connaissance de cause. J’ai donc demande que sa décision fût ajournée et prise seulement entre deux votes du budget des voies et moyens.

Du reste, je ne pensais pas que ma proposition fût de nature à apporter quelques retards à l’examen de la convention avec la Hollande, par la raison que nous venons seulement de recevoir hier le discours de M. le ministre des affaires étrangères ; discours qui renfermait trop de détails pour qu’il fût possible de l’apprécier à une simple audition.

Nous n’avons donc reçu qu’hier l’exposé des motifs de la convention ; dès lors je ne crois pas que l’on puisse convoquer les sections pour son examen avant le premier vote du budget des voies et moyens. Ce temps est nécessaire pour étudier le discours de M. le ministre des affaires étrangères.

Je ne pense pas que ma motion puisse apporter le moindre retard dans l’examen de la convention ; je serais fâché qu’elle eût un pareil résultat.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, la question principale que soulève l’honorable M. Vandenbossche est telle que je l’ai indiquée à la chambre. Selon lui, il n’y a pas lieu à cession des biens de la société Générale, parce que cette société n’est pas devenue propriétaire incommutable de ces biens en vertu de la loi de 1822. Telle est son opinion ; il demande que cette opinion soit discutée avant tout.

C’est là demander par une motion d’ordre un véritable privilège. Comment ! quand le gouvernement vous fait une proposition, il faut que cette proposition passe, soit par les sections, soit par une commission. Et un membre de cette chambre, sous le nom d’une motion d’ordre, détache d’une proposition du gouvernement une partie quelconque, et demande que cette partie soit discutée de plano, sans renvoi aux sections, sans renvoi à une commission. Mais si le gouvernement vous demandait une exception semblable, un privilège semblable, tout le monde se lèverait pour le lui refuser.

La motion de l’honorable M. Vandenbossche n’est pas faite dans les termes indiqués pour les propositions de loi. Cette proposition est insolite, et en second lieu, je dis qu’elle est sans objet pour le moment.

Par l’ordre du jour que je propose, il n’y a rien de préjugé contre l’opinion de l’honorable M. Vandenbossche, cette opinion reste entière ; il est libre à la majorité de la chambre de l’étudier, Mais le grand inconvénient de cette motion, c’est de bouleverser entièrement nos travaux ; c’est de suspendre l’examen en sections d’une proposition faite par le gouvernement, et régulièrement faite.

Je demande que nos travaux aient leur cours ordinaire, et que les sections procèdent à l’examen de la proposition faite de la part du gouvernement. L’honorable M. Vandenbossche vous a prémunis dès aujourd’hui sur une question importante qui n’avait d’ailleurs échappé à personne et que maintenant chacun des membres de la chambre pourra examiner en sections.

M. Vandenbossche. - M. le ministre de l’intérieur vous présente le traité comme s’il n’y avait qu’un seul point à y examiner. Mais le traité renferme différents points, et comme nous l’avons prouvé lors de la discussion du traité des 24 articles, on s’occupe souvent uniquement de tel ou tel point et l’on néglige tous les autres.

Je sais bien que ce n’est pas l’usage de discuter des questions de principe avant d’examiner une proposition dans les sections ; mais messieurs, ma demande, si elle peut paraître insolite à M. le ministre, est au moins raisonnable, et rien de notre règlement ne défend de l’adopter. On évitera ainsi ce qui arrive souvent ; c’est que dans les sections on se forme souvent des opinions dans lesquelles on persiste lors de la discussion, et que l’on n’aurait jamais conçues si l’on avait eu une connaissance approfondie des principes.

J’espère, dans tous les cas, que la chambre ne votera pas l’ordre du jour sur ma motion et qu’elle adoptera la proposition qui lui a été faite par l’honorable M. Mercier.

M. de Theux. - Messieurs, je viens rappeler à la chambre qu’il existe déjà un rapport qui nous a été fait sur ces questions en 1837 par l’honorable M. Fallon, au nom de deux commissions réunies, l’une instituée par la chambre pour l’examen de la convention au sujet de l’encaisse de l’Etat, et l’autre au sujet de la convention faite par notre honorable collègue, M. d’Huart, relativement aux redevances. Ces deux commissions réunies ont nommé l’honorable M. Fallon rapporteur, et dans le rapport qu’il a présenté à la chambre, il a longuement traité les questions principales soulevées par l’honorable M. Vandenbossche.

Je crois donc, messieurs, que ceux qui désirent avoir une connaissance plus particulière de ces questions, n’ont qu’à consulter ce rapport, et qu’il est inutile d’arrêter l’examen du traité par la motion qui vous est faite.

M. Dubus (aîné). - Je venais également rappeler à la chambre qu’elle a nommé des commissions pour examiner les questions dont il s’agit, et qu’il existe non pas un, mais deux rapports où ces questions sont approfondies.

D’un autre côté, l’honorable M. Vandenbossche a publié sur ces mêmes questions des brochures que l’on peut aussi utilement consulter. Ainsi celui qui voudra s’éclairer est à même de le faire.

Mais indépendamment de cela, l’honorable M. Vandenbossche veut une discussion préalable de ce qu’il appelle les principes, les questions préliminaires. Je désire savoir comment il entend sa motion : veut-il que l’on discute ces questions sans voter, et que l’on s’occupe ensuite de l’examen du traité dans les sections ; ou veut-il que cette discussion préliminaire soit terminée par un vote ? Si je comprends bien sa motion, il entend non seulement que l’on discute préalablement, mais que l’on vote aussi préalablement sur les questions dont il s’agit. C’est-à-dire que, dans le sens de la proposition de l’honorable M. Vandenbossche, on voterait une fin de non-recevoir contre un projet de loi avant d’en avoir abordé l’examen dans les sections.

Mais je vous prie de remarquer que c’est là le renversement du règlement. Dans votre règlement vous avez prescrit que toute proposition de loi serait examinée préalablement soit par une commission, soit par les sections. C’est après le rapport soit de cette commission, soit de la section centrale, nommée par les sections, que peut s’ouvrir la discussion sur la proposition même, aussi bien sur les fins de non-recevoir que sur le fond ; et ici l’on veut, violant le règlement, discuter et voter des fins de non-recevoir avant qu’aucun travail n’ait eu lieu ni dans les sections, ni dans la section centrale. Mais les questions dont il s’agit, comme l’examen du traité, doivent d’abord être examinées dans les sections ; elles le seront ensuite en section centrale, et c’est sur le rapport de la section centrale que nous discuterons le projet de loi. Lorsque vous aurez le rapport, vous serez d’autant mieux éclairés sur la fin de non-recevoir comme sur toutes les questions que soulèvera le traité.

J’engage donc l’honorable M. Vandenbossche à retirer sa motion, qui ne me paraît devoir recevoir aucun accueil favorable. L’honorable membre a bien fait de soulever les questions qu’il a posées, mais il a atteint le but qu’il se proposait, en appelant l’attention de la chambre sur ces points. Toutes ces questions seront examinées ; elles le seront par le cabinet, elles le seront par les sections, elles le seront par la section centrale elles le seront enfin dans la discussion publique.

D’après ces considérations, j’appuie l’ordre du jour.

M. Vandenbossche. - Messieurs, l’honorable M. de Theux nous dit que deux commissions ont déjà fait des rapports sur les questions que j’ai soulevées. Je me permettrai de lui faire observer que ni l’une ni l’autre de ces commissions n’ont eu à examiner le point de savoir si le roi Guillaume avait cédé les domaines à la société Générale. On a posé cela en principe sans l’avoir examiné, sans s’être inquiété du point de savoir s’il avait un titre translatif de propriété de ces domaines. J’ai publié sur ce sujet des brochures que, comme l’a dit l’honorable M. Dubus, l’on pourra examiner simultanément avec le traité. L’honorable membre dit que je m’opposerais, par ma motion, à la discussion du traité ; c’est là une erreur, messieurs, nous devons voir si le traité est fondé sur ces questions ou si le gouvernement a eu d’autres motifs pour le conclure et pour faire l’abandon de nos propriétés. Toutes ces questions se rattachent au traité ; mais on peut fort bien se former une idée sur ces quelques points sans renoncer à l’examen du traité en sections.

M. Delehaye. - Messieurs, comme l’honorable M. Dubus, j’engage beaucoup M. Vandenbossche à retirer sa proposition. Je pense qu’il est impossible d’examiner la convention conclue avec la Hollande, sans que nous fixions notre attention sur la question de savoir si le roi des Pays-Bas a fait la cession dont il s’agit, et s’il l’a faite valablement, en vertu de titres positifs. Afin de faciliter la solution de cette question, je demanderai que l’on fasse réimprimer le rapport qui a été fait par l’honorable M. Fallon et que l’on veuille bien communiquer à chacun de nous toutes les pièces qui se rattachent à cette affaire. De cette manière notre attention sera fixée sur tous les points dont il s’agit, lorsque nous arriverons à la discussion générale.

M. Verhaegen. - J’ignorais, messieurs, qu’un rapport concernant nos affaires avec la banque eût été fait par M. Fallon en 1837 ; à cette époque je ne siégeais pas encore dans cette enceinte. Les considérations que viennent de faire valoir les honorables MM. Dubus et Delehaye m’engagent aussi à prier l’honorable M. Vandenbossche de retirer sa proposition. Au moyen du rapport dont on vient de parler, tout le monde pourra s’éclairer, et ainsi le but de M. Vandenbossche sera atteint.

M. Vandenbossche. - Puisque la chambre ne me paraît pas disposée à prendre ma proposition en considération, je la retirerai ; j’aurai d’ailleurs atteint mon but en attirant l’attention de la chambre sur les questions que j’ai posées.

M. le président. - On a demandé la réimpression du rapport de M. Fallon ; mais M. Fallon a fait deux rapports sur cette question.

M. Fallon. - Messieurs, le premier rapport est extrêmement volumineux, et je crois qu’il n’est pas nécessaire de le faire réimprimer ; je pense que le deuxième suffira pour l’instruction des questions que vient de soulever l’honorable M. Vandenbossche. Si toutefois, après avoir pris connaissance de ce rapport, la chambre n’était pas satisfaite, elle pourrait également ordonner alors l’impression du premier.

M. Devaux. - Je demanderai que l’on ajoute au rapport de M. Fallon, les statuts de la société Générale.

M. le président. - Je ne sais pas s’il existe un nombre suffisant d’exemplaires du rapport dont il s’agit ; mais les membres qui ne le possèdent pas pourraient se faire inscrire au bureau ; on verrait s’il est nécessaire de le faire réimprimer.

M. Delehaye. - Je crois qu’il serait plus simple de faire distribuer le rapport à tous les membres qui ne faisaient pas partie de la chambre lorsqu’il a été présenté, ainsi qu’à ceux qui l’auraient égaré, si toutefois il en est qui se trouvent dans ce cas.

M. Rogier. - Il s’agit de questions dont la solution doit engager le pays pour des sommes énormes, et je crois dès lors que la chambre ne doit pas s’arrêter devant la dépense de quelques feuilles de papier et d’un tirage. Je demande que le rapport soit distribué largement, d’autant plus qu’il renferme, sur les questions que nous avons à débattre, des renseignements extrêmement intéressants et qu’on ne trouve pas ailleurs. Que l’on fasse donc imprimer ce rapport au nombre d’exemplaires auquel on fait ordinairement tirer les pièces de la chambre, et qu’on y joigne surtout les statuts de la société Générale, qu’il faudra dans tous les cas faire imprimer puisqu’ils ne l’ont pas été.

- La chambre décide que le deuxième rapport de M. Fallon sera réimprimé et que l’on y joindra les statuts de la société Générale.

M. le président. - Je dois faire connaître à la chambre que le projet relatif au traité avec les Pays-Bas a été mis à l’ordre du jour des sections pour samedi prochain.

M. Rogier. - Nous avons seulement reçu ce matin le rapport de M. le ministre des affaires étrangères.

M. de Theux. - Je ferai remarquer que les dispositions financières ne se trouvent qu’au chap. IlI du traité, de sorte que pendant que les sections s’occuperont des deux premiers chapitres, tous les membres pourront prendre connaissance des pièces dont l’impression vient d’être ordonnée. Je ne pense donc pas qu’il y ait lieu de retarder l’examen en sections du traité avec les Pays-Bas. D’ailleurs, d’autres renseignements pourront encore être demandes, et si chaque fois l’on ajournait pour ce motif le travail des sections, il pourrait en résulter des retards extrêmement fâcheux. Il ne faut pas perdre de vue que le délai stipulé pour l’échange des ratifications est assez court et que le sénat doit avoir le temps d’examiner aussi le traité. D’ailleurs, il sera loisible aux sections de suspendre elles-mêmes leurs délibérations si elles n’étaient pas munies en temps opportun des renseignements dont elles croiront avoir besoin. Le rapport de M. le ministre des affaires étrangères ne contient aucun renseignement sur les valeurs rétrocédées par la société Générale au gouvernement belge, sur la valeur des dîmes ni sur certaines autres questions ; il est possible que les sections demandent des éclaircissements à cet égard, mais ce n’est pas là un motif pour nous d’ajourner leurs délibérations ; elles les suspendront elles-mêmes si elles le jugent nécessaire.

M. Mercier. - Je sais fort bien que l’on ne peut pas ajourner les travaux des sections chaque fois qu’une demande de renseignements serait faite. Aussi, ce n’est pas sur la demande de renseignements dont il s’agit en ce moment, que je me fonde en proposant la remise de la réunion des sections ; je demande cette remise parce que nous n’avons reçu que hier soir le discours de M. le ministre des affaires étrangères. Pour que l’examen en sections produise quelque fruit, il faut que les membres aient le temps de s’y préparer. Il n’arrive que trop souvent que l’on se rend dans les sections sans avoir même pu lire les pièces relatives à l’objet dont on doit s’occuper. Si le premier examen en sections était ajournée à mardi prochain, je pense que nous aurions le temps d’étudier quelques-unes des stipulations du traité ; je dis quelques-unes, parce qu’il est impossible de les approfondir toutes dans un aussi bref délai. Je demande donc que les sections ne commencent que mardi prochain l’examen du traité.

- La proposition de M. Mercier et mise aux voix et adoptée.

Ordre des travaux de la chambre

M. le ministre des finances (M. Smits) - Messieurs, j’ai remarqué ce matin que la chambre avait fixé à son ordre du jour la loi sur les sucres. Je me suis livré à l’examen de ce projet, cependant je dois déclarer à la chambre qu’il m’a été impossible, au milieu de nombreux travaux qui m’ont assiégé et qui m’assiègent encore, de terminer entièrement cette étude. Je crois qu’il est indispensable que je fasse un travail spécial sur le rapport qui vous a été présenté par l’honorable M. Mercier, afin que la chambre soit mise à même de connaître parfaitement la question. J’aurai encore besoin de quelques jours pour achever ce travail. Je demanderai en conséquence à la chambre qu’elle m’accorde, pour la discussion du projet de loi dont je ne veux point l’ajournement, au moins un délai de 15 jours après la discussion du budget des voies et moyens. (Appuyé ! appuyé !)

- En conséquence, la chambre décide que la discussion du projet de loi sur les sucres est remise à quinzaine, à dater du jour du vote définitif du budget des voies et moyens. Toutefois il est entendu que si un projet de loi était en discussion à l’expiration du délai, cette discussion ne serait pas interrompue.

Projet de loi portant le budget des voies et moyens de l'exercice 1843

Discussion générale

M. Delfosse. - Messieurs, le ministère, frappé d’impopularité à son origine, et cela n’a pas cessé depuis, avait imaginé, comme moyen de se réhabiliter dans l’opinion, de présenter la situation financière sous un aspect très satisfaisant, et d’annoncer qu’il pourrait marcher sans nouveaux impôts.

Mes amis et moi, nous ne fûmes pas dupes de ce mensonge grossier, que nous signalâmes avec notre franchise habituelle ; mais on ne fit aucun cas de nos observations ; le ministère maintint avec une imperturbable assurance les promesses dont ii avait bercé le pays.

« Messieurs, disait M. le ministre des finances, dans la séance du 4 décembre 1841, j’ai une longue et honorable carrière, et j’ose dire que je suis profondément pénétré du sentiment de mes devoirs ; eh bien, messieurs, j’ai tellement la conviction que les revenus portés au budget que j’ai eu l’honneur de présenter, se réaliseront, que si ma fortune particulière me le permettait, je n’hésiterais pas à les prendre à forfait, persuadé, comme je le suis, que mon patrimoine s’en trouverait notablement amélioré. »

Répondant à l’un de mes honorables collègues, qui avait traité de chimères les prétendues économies annoncées par le gouvernement, M. le ministre des finances disait encore : « Non, messieurs, ce n’est pas une chimère, c’est au contraire une réalité et une réalité bien et dûment constatée. »

Cette fois encore, comme presque toujours, l’événement, en donnant gain de cause à l’opposition, est venu mettre à nu la déception ministérielle.

Un an à peine s’est écoulé, et le ministre qui voulait garantir, sur sa fortune personnelle, la rentrée de tous les revenus portés au budget, vient nous dire que les recouvrements de l’exercice 1842 resteront en dessous des évaluations de la somme de 2,730,716 fr.

Un an à peine s’est écoulé, et le ministre qui promettait une économie de 1,500,000 fr. sur chacun des exercices 1840 et 1841, est obligé d’avouer qu’il y aura sur ces deux exercices des augmentations de dépenses très considérables. L’exercice 1841 présentera, à lui seul, l’énorme déficit de 13,968,614 fr. 15 c., bien que les recouvrements de cet exercice aient excédé les évaluations de 279,203 francs 57 cent.

Un an à peine s’est écoulé, et le ministère qui annonçait qu’il ne serait pas créé de charge nouvelle, a eu recours a tous les expédients qui sont les indices d’une grande détresse financière ; il a eu recours (erratum Moniteur belge n°337, du 3 décembre 1842 :) à l’emprunt, à l’augmentation de l’impôt, à l’augmentation de la dette flottante et à l’aliénation des domaines.

Il n’y a rien là, messieurs, qui doive étonner. On peut, en règle générale, juger un ministère par ce qu’il coûte. Un mauvais ministère coûte presque toujours plus qu’un bon. Ayant contre lui l’opinion, cherchant à la comprimer, il faut bien qu’il se fasse des créatures, en multipliant les places et les faveurs, en se jetant dans toutes sortes de prodigalités. Il est d’ailleurs tenu, dans l’intérêt de sa conservation, de se soumettre aux exigences saris cesse renaissantes du parti qui l’a porté au pouvoir et qui ne la soutient qu’à condition d’une entière obéissance et d’un dévouement sans bornes.

Je n’ai pas besoin, je pense, de faire de grands efforts pour combattre la demande de nombreux centimes additionnels qui nous est soumise par le ministère. Fortement attaquée dans les sections, repoussée par la section centrale, combattue dans cette enceinte par les divers orateurs qui se sont fait entendre jusqu’à présent, cette proposition ne paraît devoir trouver d’autres défenseurs que MM. les ministres.

Il faut convenir aussi que c’était par trop fort de demander une aussi grande augmentation d’impôts dans un moment où l’industrie et le commerce sont aux abois, faute de débouchés ; comment surtout a-t-on pu concevoir l’idée de frapper la bière, boisson de la classe moyenne et de la classe pauvre, qui produit déjà plus de six millions, alors que le vin, boisson du riche, qui produit à peine le tiers de cette somme, vient d’être dégrevé ; alors que le sucre, objet de luxe, ne produit pour ainsi dire rien.

Et c’est à la veille des élections générales qu’on est venu nous soumettre des propositions aussi compromettantes. Le ministère devait bien sentir qu’il n’aurait pas dans cette circonstance l’appui de la majorité, qui le soutient habituellement ; à moins qu’il n’ait poussé le dévouement jusqu’à vouloir donner à cette majorité un moyen facile de se rendre agréable aux électeurs, il a commis une insigne maladresse.

Je regrette que la section centrale ait cru devoir admettre les 4 centimes additionnels proposés sur les droits d’enregistrement, de greffe et de successions. Elle aurait dû s’opposer aussi à toute augmentation de ces droits, qui ne sont que trop élevés ; mais ce que je regrette plus encore, c’est que la section centrale ait déclaré qu’elle comptait, pour couvrir le déficit, sur les produits qu’on attend de quelques lois financières proposées par le gouvernement.

Je ne révoque nullement en doute la possibilité d’obtenir de quelques-unes de ces lois, et notamment de la loi sur les sucres, des produits assez considérables ; mais je voudrais que ces ressources nouvelles fussent employées à dégrever quelques-uns des objets qui sont consommés par la classe pauvre, tels que la bière et le sel.

M. le ministre des finances s’étonne de la diminution des produits de l’accise sur la bière, Il en trouve la cause dans les défectuosités de la loi qui, d’après lui, rendent la fraude trop facile. La cause n’est pas là, la cause est dans le prix trop élevé de cette boisson et dans la misère toujours croissante d’un grand nombre d’ouvriers qui sont très souvent réduits à ne boire que de l’eau.

Si vous voulez que l’impôt sur la bière soit plus productif, prenez des mesures pour que l’ouvrage ne manque pas, et faites en sorte que l’impôt soit modéré ; la consommation, devenant plus active, compenserait largement les pertes qui résulteraient pour le trésor.

Ce n’est pas sur des ressources nouvelles, mais sur des économies qu’il faudrait compter pour couvrir et arrêter le déficit qui va toujours croissant. Quoi qu’on en dise, des économies et de grandes économies sont possibles.

Je vois figurer au budget de la dette publique une somme de 500 mille francs, pour les intérêts présumés de la dette flottante. Si l’on voulait on pourrait économiser une très grande partie de cette somme, peut-être même la somme entière. Nous voyons, d’après la situation du trésor, au 1er septembre 1842, que les recouvrements opérés à cette époque s’élevaient, pour les exercices 1840, 1841 et 1842, à la somme de 336,007,086 fr. 51 c.

Les paiements effectués à la même époque sur ces exercices n’étaient que de 301,675,280 fr. 19

Il y aurait donc eu à cette époque, dans les caisses du trésor, une somme de 34,921,806 fr. 32

Si les exercices antérieurs n’avaient laissé (erratum Moniteur belge n°337, du 3 décembre 1842 :) un découvert, ce découvert étant de 21,492,685 fr. 45

Il y avait donc dans les caisses du trésor au 1er septembre 1842, une somme de 13,429,120 fr. 87.

Dans une telle situation, qui doit souvent se reproduire parce que les rentrées s’effectuent presque toujours longtemps avant les dépenses, on ne devrait certes pas émettre des bons du trésor. (erratum Moniteur belge n°337, du 3 décembre 1842 :) L’émission de bons du trésor alors que l’Etat a des fonds suffisant dans les caisses de la société Générale, qui ne paie pas d’intérêt, alors qu’il y en a dans les caisses de la banque de Belgique, qui ne paie qu’un intérêt de 2 1/2 p. c. ; cette émission, dis-je, est une opération désastreuse, Je ne blâme ni la société Générale ni la banque de Belgique ; elles font leurs affaires, mais je blâme le ministre qui ne devrait faire que celles du pays.

Messieurs, c’est surtout sur le budget de la guerre que de grandes économies pourraient se réaliser. Je l’ai déjà dit, et je ne cesserai de le répéter, une armée qui coûte près de 30 millions, dans un petit pays, dans un pays neutre comme le nôtre, est un non-sens, une folie. Je le sais, il y a des services rendus qu’il faut reconnaître, il y a des positions acquises qu’il faut respecter ; mais on pourrait, tout en reconnaissant les services rendus, tout en respectant les positions acquises, sans montrer de l’ingratitude, et sans exciter des mécontentements fondés, on pourrait réduire le budget de la guerre de plusieurs millions. C’est là ce que presque tout le monde dit au dehors ; j’ai même entendu plusieurs membres de la chambre tenir le même langage dans des conversations particulières ; comment se fait-il donc qu’il ne trouve pas plus d’écho dans cette enceinte ?

Tant qu’on n’aura pas opéré les économies qui sont possibles, je m’opposerai à toute augmentation d’impôt. Si j’admets certaines mesures financières, telles qu’une loi sur les sucres, c’est dans l’espoir que les produits qui en résulteront, seront employés un jour à soulager les classes pauvres et non à couvrir des dépenses inutiles.

Si les 4 centimes additionnels extraordinaires proposés sur les droits d’enregistrement, de timbre, d’hypothèque et de succession ne sont pas rejetés comme les autres, je me verrai donc forcé de voter contre le budget des voies et moyens.

(Erratum Moniteur belge n°337, du 3 décembre 1842 :) Je le ferai par ce seul motif, et non par un motif politique. Je peux bien désirer la chute du ministère, j’ai pu exprimer le vœu que la chambre fit, auprès du Trône, une manifestation respectueuse dans ce sens, mais je ne veux pas, pour un tel motif, recourir à la mesure extrême du rejet des budgets ; c’est là un moyen qu’il ne faut employer que quand les autres sont épuisés et que tout espoir de redressement de griefs est perdu. Dieu merci ! nous n’en sommes pas là. J’ai confiance dans la royauté ; j’ai la certitude que quand le vœu du pays lui sera bien connu, elle saura, dans sa haute sagesse, ramener le calme en prenant des ministres plus sages et plus populaires que ceux dont elle est entourée en ce moment.

L’honorable M. d’Hoffschmidt nous disait, avant-hier, que peut-être les deux côtes de la chambre s’entendraient pour laisser vivre le ministère, au moins jusqu’aux prochaines élections ; les membres du côté droit, parce qu’ils comptent sur son appui, les membres du côté gauche, parce qu’ils espèrent que son impopularité leur viendra en aide. Je ne puis partager cet avis. Quand un ministère est décidément mauvais, quand il n’y a pas d’espoir de l’améliorer, le devoir de tout homme ami de son pays est de travailler sans relâche à le renverser. C’est la un devoir dont on ne doit se laisser détourner par aucune préoccupation électorale. Il ne dépend pas de moi de renverser le ministère, mais si je le pouvais, il tomberait à l’instant même.

M. Demonceau. - Messieurs, le gouvernement n’accepte pas, vous a-t-il dit, la position que lui fait la section centrale. La section centrale, à son tour, n’accepte pas la position qu’entend lui faire l’opposition. La section centrale a voulu dire au gouvernement, au pays, à la chambre, la vérité tout entière. Vous avez sous les yeux le rapport qui vous a été fait ; vous avez vu que le budget de la dette publique des deux derniers exercices présente une augmentation de huit millions de francs. Qui l’a voulu ? C’est vous, messieurs, qui l’avez voulu. En présence d’une pareille position, la section centrale devait-elle faire opposition au gouvernement ? Non. Mais d’un autre côté devait-elle occuper toutes les propositions du gouvernement ? Telle est la question que la section centrale avait à examiner et qu’elle a résolue à l’unanimité, dans un sens tel que si le gouvernement voulait, il pourrait, non en augmentant les impôts, mais en obtenant une partie des lois qu’il a proposées dans ce but, faire face au déficit signalé par la section centrale.

Ce n’est pas parce que nous sommes la veille d’une réélection, que nous faisons de l’opposition. Alors que nous étions menacés par un ministère qui ne nous tolérait pas, nous avons su faire de l’opposition. Mais alors que nous faisions de l’opposition, nous lui avons, dans certains cas, donné notre appui.

C’est au nom de la majorité de la section centrale qui est sujette à réélection, que je m’exprime ainsi que je viens de le faire.

Vous venez de reconnaître un déficit énorme. Mais ce déficit, qui l’a voulu ? C’est vous. Pourquoi votez-vous des dépenses sans donner au gouvernement les moyens de les couvrir ? Nous étions en dissentiment avec M. Mercier quand il demanda des augmentations d’impôt. Il demandait à la législature quatre millions d’augmentation. Nous lui dîmes (la section centrale d’alors) : Nous reconnaissons qu’il vous faut des moyens pour marcher ; mais ceux que vous nous proposez ne nous conviennent pas tous. Il y en a qui nous conviennent et d’autres qui ne nous conviennent pas.

La section centrale de 1840 dit alors au ministère : Demandez-nous notre appui pour une augmentation sur les eaux-de-vie indigènes, vous l’aurez ; demandez nous notre appui pour une augmentation des droits sur les transcriptions, vous l’aurez. Mais si vous voulez atteindre la bière et le café, nous ne pouvons pas vous accorder ce que vous nous demandez. Eh bien les hommes qui tenaient ce langage en 1840 le réitèrent aujourd’hui.

Ceux qui se plaignent du déficit, tinrent-ils la même conduite en 1840 ? L’honorable M. Mercier eut beau dire qu’il n’appartenait qu’à des esprits superficiels de juger des charges d’un pays par le simple aperçu du montant de ses dépenses ; l’honorable M. Rogier eut beau ajouter que la Belgique était le pays de l’Europe où l’on payait le moins d’impôt ; la majorité ne voulut pas des propositions de M. Mercier. Elle le força à retirer son projet sur la bière et lui refusa même une augmentation de 12 fr. sur le café.

M. Rogier. - On a voté trois millions d’augmentation.

M. Demonceau. - Cela est vrai, mais qui vous a appuyés ? La section centrale. Qui vous a attaqués pour avoir des réductions ? n’était-ce pas M. Verhaegen qui demandait une réduction de droit sur le genièvre, tandis que nous étions obligés de vous appuyer.

Nous voulions une augmentation de droit sur le sucre ; nous eûmes beau interpeller le ministère d’alors de nous faire une proposition. Il recula.

Maintenant, celui-là même qui était ministre des finances accepte notre proposition, il veut une augmentation de droit sur le sucre ; c’est même lui qui a été chargé de faire un rapport qui prouve à l’évidence que la section centrale de 1841 avait raison quand elle demandait une augmentation d’impôt sur le sucre. L’augmentation sur l’impôt foncier que nous refusions en 1840, nous avions raison de le refuser, parce qu’en 1840 le budget de la dette publique était inférieur de huit millions à celui d’aujourd’hui.

Ne croyez pas que je veuille revenir sur aucune des décisions prises ; ne croyez pas que mes paroles aient pour but de compromettre la position des anciens ministres des finances. M. Mercier a fait ce qu’il a pu. Quand vous lui avez refusé les ressources qu’il vous demandait, vous qui semblez regretter sa chute, il ne lui était pas possible de clore son exercice sans déficit. Ne venez donc pas dire, mon honorable collègue de Liége, M. Delfosse, que l’exercice de 1841 a été clos avec un déficit. Cet exercice est celui ouvert par M. Mercier, c’est celui dont vous avez voté les dépenses malgré nous, et c’est celui pour le service duquel la majorité d’alors n’a pas eu des recettes suffisantes pour faire face à ses dépenses.

Eh, messieurs, voyez quelle singulière conduite que celle de quelques-uns de nos honorables collègues. Ils sont accablés sous le poids d’un déficit énorme ; savez-vous avec quoi ils remplissent les caisses du trésor ? avec des chiffres plus ou moins exacts, avec des paroles. Les uns veulent un droit sur le café, les autres veulent un droit sur le luxe, sur les armoiries, sur les titres de noblesse, sur les livrées, sur le tabac ; l’on parle même d’atteindre jusqu’au pauvre célibataire. Ce n’est pas avec des vœux qu’on remplit les caisses du trésor. Messieurs, vous croyez peut-être que la section centrale ne propose pas des allocations suffisantes pour faire face aux besoins du service public ; détrompez-vous. Veuillez, je vous en conjure, voir attentivement les propositions de la section centrale.

Nous avons procédé avec la plus grande minutie à examiner les propositions du gouvernement, nous avons réduit ce que nous avons cru devoir être réduit et nous avons augmenté ce que nous avons cru devoir être augmente. Voici le motif pour lequel nous présentons un projet de budget ayant pour base les lois actuellement existantes. C’est parce qu’on ne peut porter au budget des produits qu’autant qu’on a une loi qui en permette la perception. M. le ministre des finances avait suppose préalablement l’adoption de quelques lois encore en projet ; d’un autre côté, il avait supposé des dépenses également encore en projet. Nous avons basé les recettes d’après les lois en vigueur, et nous avons porté toutes les dépenses demandées à l’ouverture de l’exercice et, en définitive, nous trouvons une différence en déficit de un million.

La section centrale ne vous a pas dit qu’elle refusait ce million ; mais il ne dépendait pas d’elle d’en proposer l’allocation, puisque la recette de cette somme dépend absolument des lois que vous devez voter. C’est à la chambre à savoir si elle veut ou non des propositions qui dans l’opinion de la section centrale, pourraient suffire pour couvrir les dépenses de l’exercice.

Voici, dans l’opinion de quelques membres de la section centrale, des lois qui pourraient couvrir le déficit qu’elle constate : d’abord la loi sur le sel présentée par le gouvernement ; cette loi paraît rencontrer beaucoup de sympathie dans le pays ; car je crois avoir lu quelque part qu’elle était acceptée par tout le monde, même par beaucoup d’intéressés. D’après les prévisions du gouvernement, ce projet, s’il était adopté et mis à exécution, à dater de l’ouverture de l’exercice, permettrait d’augmenter de 600,000 fr. l’élévation du produit du sel. Il est vrai que, dans une séance précédente, M. le ministre des finances a dit qu’il croyait remarquer dans les chiffres de la section centrale une augmentation de 200,000 fr. qu’il attribuait à la supposition que la loi serait adoptée dans le courant de l’exercice. Eh bien, je suppose que ces 200,000 fr. doivent être déduits, il restera encore, de ce chef 400,000 fr.

Le second projet de loi, qui ne comporte pas une discussion très longue et qui paraît pouvoir être aussi voté avant l’ouverture de l’exercice, c’est le projet qui a pour but d’augmenter les droits d’entrée sur certains produits. Mais, je dois le dire, alors que pour mon compte, j’aurai voulu prêter au gouvernement le plus sincère appui, j’ai vu avec regret que le gouvernement n’ait proposé aucune augmentation de droits sur les tissus de laine, augmentation qui aurait pour résultat de mieux protéger la fabrication de ces tissus. Nous attendrons cette discussion. Peut-être alors saisirai-je cette occasion pour prouver la nécessité de voter l’augmentation que j’ai l’intention de proposer et qui, dans mon opinion, en supposant qu’elle ne donnât pas à l’industrie les apaisements désirables, aurait toujours pour résultat d’augmenter de 400,000 fr. le revenu du trésor. Le gouvernement estime à prés de 600,000 fr. l’augmentation qu’il espère de l’adoption de son projet.

Si je réclame la discussion de ces deux projets seulement, c’est pour ne pas vous imposer grande besogne. Avant la fin de l’année cela suffirait, du reste, pour combler le déficit que signale la section centrale. Sur la plupart des points du tableau, nous sommes heureusement d’accord avec l’honorable M. Mercier, excepté sur deux articles. Je le prie, si je me trompe, de s’en expliquer. Ces deux articles sont le chemin de fer et les droits de succession. L’honorable M. Mercier doute, 1° que le chemin de fer puisse produire 10 millions ; 2° que les droits de succession puissent produire le chiffre proposé par le gouvernement. Sur ces deux points, je ne puis rien ajouter aux renseignements contenus dans mon rapport.

Un autre point sur lequel vous sommes en désaccord avec l’honorable M. Mercier et avec M. le ministre des finances, c’est l’application que nous voudrions faire aux revenus de l’exercice 1843 d’une somme de 1,700,000 fr. à provenir : 1° d’une vente de rentes ; 2° de la vente de quelques parcelles de nos domaine. Nous disons que nous devons porter cette somme en recette extraordinaire, pour l’exercice, puisqu’il y a, dans cet exercice, des dépenses extraordinaires. Nous reconnaissons que, pour l’exercice 1844, ces 1,700,000 fr. disparaîtront de l’actif du budget des voies et moyens. Mais en revanche, dès l’ouverture de ce même exercice, nous y trouverons un équivalent, et au-delà, dans l’augmentation des produits du chemin de fer. Voilà les motifs de la majorité de la section centrale.

D’après elle, le chemin de fer devra produire alors au moins 13 millions ; s’il produit 10 millions pendant le courant de l’exercice prochain, alors qu’une partie seulement des lignes décrétées sera en exploitation, et si, lorsque toutes les lignes seront en exploitation, il ne produit pas 13 millions de recettes brutes, je déciare que, pour mon compte j’aurais été singulièrement trompé, quand j’ai cru et avancé qu’il couvrirait ses dépenses ; d’un autre côté, faites-y bien attention, l’amortissement des capitaux affectés à la construction et la totalité des intérêts de ces capitaux sont maintenant à la charge du trésor public ; le budget de la dette publique ne subira donc aucune majoration pour cet exercice.

Je sais que l’honorable M. Rogier, qui a dit dans le temps que le chemin de fer devait se suffire à lui-même, ne partage pas l’opinion de l’honorable M. Dumortier sur ce point. Cependant, aussi longtemps que la loi de 1834 restera debout, il faudra que l’on fasse produire au chemin de fer les intérêts et le capital. La loi veut qu’il en soit ainsi. Je veux bien supposer que s’il était démontré que c’est chose impossible, la législature serait assez raisonnable pour ne pas exiger qu’en 35 ans le chemin de fer fût payé par ses produits ; car ce serait le résultat du 1 p. c. voté pour l’amortissement du capital employé à la construction. Je vais maintenant donner à l’assemblée les calculs promis dans une séance précédente, car je tiens à ce que le chemin de fer continue de mériter la confiance de tous les membres de l’assemblée, surtout sous le rapport de ses recettes.

Voici ce qu’il a coûté, à peu près : Il a été emprunté pour sa construction, 150,000,000 environ. Mais pour obtenir ce capital, nous avons voté des emprunts à 3, à 4 et à 50. Nous avons ajouté à ces capitaux différentes sommes que nous n’avons pas reçues. Ainsi l’emprunt contracté par l’honorable M. Mercier a fait subir au trésor une perte de 10 p. c. environ. L’emprunt de 50 millions a fait subir une perte plus considérable ; les intérêts ne sont, il est vrai, payes qu’à 5 p. c. Mais si vous faites attention que vous vous êtes engagés à l’amortissement d’un pour cent de cet emprunt, vous comprendrez que vous avez imposé au trésor public une charge qui deviendra un jour très lourde ; car plus vous approchez de l’époque du remboursement, plus le cours devra s’élever. Cependant, pour tenir votre convention avec les contractants, vous devrez nécessairement amortir 1 p. c. par an. L’emprunt de 50 millions a été contracté à 4 p.c., en perdant environ 10 p. c. Celui contracté dernièrement n’a occasionné aucune perte au trésor, saut l’avance des intérêts.

Je suppose donc que, sur 150 millions empruntés, nous ayons supporté une perte de 15 millions, c’est-à-dire 10 p.c. du capital emprunté. Je ne crois pas que ce soit exagéré (M. Rogier fait un signe d’assentiment.) Je vois au signe que fait M. Rogier que c’est son opinion. Il faudra donc pour payer les intérêts de cette somme 8,250,000 fr. ; il en faudra ensuite, pour le 1 p. c. d’amortissement de ce capital de 165 millions, une somme de 1,650,000 fr.

Que pense-t-on que coûtera le chemin de fer pour être exploité, quand il sera achevé ? Le budget présenté par M. le ministre des travaux publics, pour l’exercice prochain, suppose une dépense pour l’exploitation de 3,500,000 fr. Ainsi le chiffre à la charge de la dette publique et du trésor, pour 1843, sera de 15,400,000 fr. Le produit sera de 10 millions, d’après les prévisions de la section centrale et du gouvernement. Il y aura donc une différence en moins de 5,400,000 fr.

Si maintenant vous ne voulez pas que, conformément à la loi, le chemin de fer rapporte 1 p. c. du capital employé, vous n’aurez plus qu’un déficit de 3,750,000 francs. J’ai cru de mon devoir de soumettre ces chiffres à la chambre pour qu’elle voie réellement quelle est, dans mon opinion, la situation du chemin de fer.

Quant aux capitaux qui proviennent de la vente des domaines et des avances faites sur les capitaux de l’industrie, voici quelle est à peu près leur situation dans ce moment. Les capitaux du domaine s’élevaient, l’an dernier, à l’ouverture de l’exercice, à la somme de 6,800,000 fr. L’état de situation du trésor constate qu’il a été reçu, en 1842, 500,000 fr. Reste donc de ce chef 6,300,000 h. Les capitaux du fonds de l’industrie, y compris les capitaux dus par la société qui remplace la maison Cockerill, s’élèvent à cette somme environ. Il n’est porté, pour cette année, au budget que 120,000 fr. de ces capitaux. Mais si vous faites attention aux seuls produits à rentrer par suite des arrangements avec la maison Cockerill, arrangements d’après lesquels un capital qui s’élève, je crois, au delà de 3 millions, sera remboursé en 8 années, avec l’intérêt de 3 p. c., vous verrez que vous ne devez pas craindre de voir disparaître ces capitaux du budget, car le remboursement, à 120,000 fr. par an, doit durer 30 ans, et nous devons espérer qu’à cette époque nous aurons remboursé une grande partie de nos emprunts.

Lorsqu’en 1840, messieurs, nous proposions, au nom de la section centrale qui avait été chargée d’examiner le projet de loi d’emprunt, la vente des domaines et des forêts de l’Etat, on nous disait alors qu’il ne fallait pas les vendre, qu’il fallait les conserver. Dans la discussion actuelle, au contraire, j’ai entendu que l’on voulait que cette vente se fît. Quant à moi, messieurs, dans ce moment où nous avons moins besoin que jamais de vendre, je ne viendrais pas renouveler la demande de la section centrale de 1840 ; je ne fais qu’un vœu, c’est que nous n’achetions pas plus de forêts que nous n’en avons.

Mais au moins, si nous conservons nos domaines, qu’on tâche de leur faire produire un peu plus qu’ils ne le font aujourd’hui. Car nous avons 30,000 hectares de forêts ; on les évalue à 30 millions de francs ; et ces belles forêts ne nous produisent pas 300,000 fr. de revenu.

Messieurs, j’ai cru m’apercevoir que M. le ministre des finances n’avait pas foi dans la situation du trésor. Mais si jamais ministre des finances doit avoir foi dans l’avenir de nos finances, c’est celui qui se trouve aujourd’hui à la tête de ce département.

Depuis bien des années, messieurs, nous vous disions : Attendez le résultat des conventions que vous avez à faire avec le royaume des Pays-Bas ; attendez le résultat de votre liquidation avec la société Générale, et vous verrez qu’il vous en reviendra plus qu’il ne vaudra pour rembourser en entier votre dette flottante. Le moment est venu, selon l’opinion de la majorité de la section centrale, de s’occuper sérieusement de cette opinion. Aussi ai-je été autorisé par cette même majorité à vous déclarer qu’elle espérait que l’on saisirait l’occasion de la discussion du traité, pour examiner la question de savoir s’il ne serait pas convenable, dans l’intérêt du trésor et de la dignité du pays, d’affecter les ressources qu’on espère d’un résultat quelconque qui pourrait être confirmé par un vote, à l’extinction parfaite de la dette flottante.

A l’exemple de quelques-uns de mes honorables collègues, qui ont pris la parole à l’occasion de la motion faite par l’honorable Vandenbossche, je ne préjugerai rien sur la question du traité ; mais je me permettrai de donner dès aujourd’hui à la chambre quelques détails sur ce que, moi, j’ai cru voir dans la convention conclue entre le gouvernement et la société Générale, convention qui est soumise à votre approbation.

Nous avons eu soin, messieurs, au sein de la section centrale, de nous enquérir de ce que nous avions à espérer de cette convention qui nous avait été annoncée. Nous y étions amenés, messieurs, par le vœu de plusieurs des sections. Voici ce que, dans mon opinion, la convention faite entre la société Générale et le gouvernement met à la disposition de la Belgique.

D’abord, messieurs, cet encaisse, à l’occasion duquel nous avons eu si souvent des discussions dans cette enceinte, cet encaisse devient la propriété absolue de la Belgique. Ainsi, de ce chef, le pays trouve 13,438,000 fr.

La Belgique reçoit, en outre, trois traites qui doivent lui être payées par la société Générale. Mais l’une de ces traites est affectée au paiement des indemnités dues à l’ex-roi Guillaume. Il ne reste donc à la caisse de l’Etat qu’une somme de 4,900,000 florins, soit, chiffre rond, 10,000,000 de francs.

Nous aurions ensuite, messieurs (et c’est précisément à cette occasion que je vous disais tout à l’heure que j’émettais le vœu que nous n’achetions pas plus de forêts que nous n’en avons), nous aurions à espérer l’entière propriété d’une des plus belles forêts de la Belgique, j’en conviens, mais qui coûterait bien cher, si je compare la valeur qu’on lui donne dans la convention à celle que le gouvernement donne à nos propres forêts. Je trouve que cette forêt, qui mesure un peu plus de 4,000 hectares, coûterait environ 16,500,000 F. ; et je vous ai dit tantôt qu’il résultait de documents du gouvernement que les 30,000 hectares que nous possédons ne sont évalués qu’à 30 millions de francs.

Mais, messieurs, il peut se faite qu’en examinant le traité, vous trouviez peut-être occasion de convertir cette somme en numéraire. J’ai cru entrevoir la possibilité d’atteindre ce résultat. Eh bien ! alors, à dater du jour où le traité serait ratifié, vous auriez à votre disposition une somme effective de plus de 40 millions de francs.

Ainsi, messieurs, quand nous vous disions qu’il y avait de quoi couvrir notre dette flottante rien que par les résultats à espérer de cette convention, nous ne nous trompions pas. Car le chiffre actuel de la dette flottante n’est que de 22 millions de francs environ.

Ce n’est pas là, messieurs, tout ce qui nous revient de cette convention. Outre les sommes que je viens d’énumérer, j’ai cru m’apercevoir que vous obteniez encore différents palais, différents hôtels qui sont plus amplement énumérés dans le traité que vous aurez à examiner ultérieurement. Vous aurez aussi l’entière restitution des fonds des consignations, des fonds de cautionnement, des fonds de la caisse de retraite pour laquelle vous votez annuellement des sommes considérables au budget de la dette publique, sommes considérables qui disparaîtront de ce budget pour l’exercice 1844. Et si vous parvenez à éteindre votre dette flottante, à l’instant disparaîtront du budget de la dette publique 500,000 fr., qui y figurent pour faire face aux intérêts de cette dette flottante.

Je ne sais, messieurs, si je me fais illusion sur notre situation financière ; mais, si je ne trompe, vous pouvez être certains que je le fais de bonne foi ; car je ne désire en aucune manière induire la chambre en erreur. Je reconnais qu’il faut que le service public ne soit pas en souffrance ; je reconnais qu’il faut absolument que nous ayons une armée bien organisée ; je reconnais enfin que tous les fonctionnaires de l’Etat doivent être convenablement rétribués.

Maintenant, messieurs, je répondrai quelques mots à M. le ministre des finances. Nous sommes en désaccord avec lui sur plusieurs points.

D’abord, M. le ministre des finances adopte l’opinion de l’honorable M. Mercier, qui ne veut pas que 1,700,000 fr. figurent comme recette extraordinaire au budget de l’exercice prochain. Sur ce point, cependant, j’ai cru m’apercevoir que l’honorable M. Mercier reconnaissait qu’il y avait quelque fondement dans les raisons que nous avons fait valoir pour porter une certaine somme, sur l’exercice prochain, comme recette extraordinaire.

M. le ministre des finances nous dit : « Vous avez porté pour les droits d’entrée un chiffre qui contient une erreur de 152,000 fr. »

Voici, messieurs, comment nous avons procédé. Nous avons pris les deux derniers mois de l’exercice 1841 et les dix premiers mois de l’exercice 1842 ; nous avons trouvé, messieurs, un chiffre de 10,397,000 fr. Le chiffre, d’après l’état qui m’a été remis par le département des finances, est de 10,570,184 fr. Mais, messieurs, nous devions nécessairement tenir compte du résultat de la convention qui a été faite avec la France, et nous avons supposé 200,000 fr. environ, comme perte de ce chef.

Etablissant donc le chiffre d’après la législation actuellement en vigueur, et sans comprendre aucune espèce d’augmentation ni sur le café, ni sur aucun des produits qui doivent être l’objet de lois spéciales, nous avons trouvé un chiffre rond de 9,300,000 fr.

Sur les droits de sortie, nous sommes à peu près d’accord M. le ministre des finances : car la différence ne serait que 12,000 fr.

Sur les droits de tonnage nous avons adopté le chiffre proposé par M. le ministre des finances dans le tableau annexé au projet de budget qui vous a été distribué.

Sur le sel, comme je viens de le dire, nous avons adopté le chiffre du gouvernement, parce que nous avions dû supposer que M. le ministre des finances, nous disant que la recette sur le sel, si l’on adoptait la nouvelle loi, produirait 600,000 fr. de plus, avait compté quelque chose de ce chef. Mais M. le ministre des finances déduit 200,000 francs.

Sur les bières nous sommes en différence avec M. le ministre de 11,000 fr. Cependant notre chiffre est absolument conforme aux recettes, telles que nous les avons établies précédemment.

Mais c’est ici, messieurs, que la majorité de la section centrale est en désaccord avec M. le ministre des finances sur un point bien plus important. La majorité ne veut pas d’augmentation, ne veut pas d’additionnels aux droits sur la bière. Déjà, dans mon rapport, je vous ai donné les motifs de la majorité. Depuis lors, messieurs, je me suis livré à un calcul bien plus étendu sur ce que l’accise de la bière a produit au trésor, et je me suis convaincu qu’il ne faut pas voter d’additionnels sur la bière.

Veuillez, messieurs, jeter les yeux sur un calcul que je déposerai sur le bureau si la chambre le désire.

J’ai fait le relevé de ce que les bières ont rapporté au trésor depuis 1834 jusqu’en 1841, c’est-à-dire pendant onze ans, et j’ai trouvé une moyenne de 7,334,924 francs, principal y compris 26 additionnels et 10 p. c. de timbres.

1831 : 6,426,133 fr. 06

1832 : 6,510,796 fr. 67

1833 : 7,012,122 fr. 52

1834 : 7,627,064 fr. 93

1835 : 7,631.264 fr. 23

1836 : 7,615,226 fr. 11

1837 : 7,731,684 fr. 57

1838 : 7,804,236 fr. 74

1839 : 7,804,807 fr. 45

1840 : 7,308,961 fr. 71

1841 : 7,131,970 fr. 43

Total : 80,684,268 fr. 42

Moyenne : 7,334,935 fr.

Je pense, messieurs, que c’est là un chiffre énorme et que la majorité de la chambre reconnaîtra avec la majorité de la section centrale que les bières sont suffisamment imposées. Dans le chiffre que je viens de citer, j’ai compris le droit proportionnel, les 26 centimes additionnels et les 10 p. c. de timbre collectif ; ce sont bien là les droits dont les bières sont frappées.

Si vous comparez maintenant ce chiffre extraordinairement élevé avec le chiffre insignifiant de ce que produit le sucre, vous verrez que ce dernier objet ne rapporte que la onzième partie de ce que paie la bière ; je le demande, messieurs, cela n’est-il pas affligeant ?

Taudis que nous portons au budget, du chef de la recette approximative pour les bières, une somme d’au-delà de 7 millions, nous sommes obligés, nous, membres de la section centrale, en présence de la législation mauvaise qui existe aujourd’hui, de réduire à 640,000 fr. le chiffre du produit présumé des sucres.

Mais, messieurs, pour que les impôts ne soient pas mal accueillis par le peuple, ne faut-il pas qu’ils soient proportionnellement et équitablement assis ? Or, est-il équitable de demander à la bière dix fois plus qu’au sucre, de demander à la bière beaucoup plus qu’au tabac, par exemple ? Quant à moi, je suis très disposé à donner au trésor toutes les ressources dont il a besoin, mais je ne consentirai jamais à voter une augmentation de l’impôt sur la bière aussi longtemps que les autres objets ne fourniront pas la part qu’ils doivent à l’impôt. Sil était nécessaire de frapper la bière, ne croyez pas, messieurs, que je reculerais devant cette nécessité ; mais je le répète encore, aussi longtemps que l’impôt ne sera pas réparti d’une manière plus équitable, je refuserai tout surcroît de charge dont on voudrait frapper la bière. Je pense que c’est là le seul moyen d’arriver à un système rationnel d’impôts.

Depuis quelques années, messieurs, à mesure que le trésor éprouve des besoins extraordinaires, nous frappons constamment les branches d’impôts les plus productives pour le trésor. Combien de fois n’avons-nous pas frappé la contribution foncière ? Quant aux bières, n’est-ce pas assez que les 26 centimes additionnels dont elles sont surchargées ? Avez-vous lu, messieurs, le rapport que j’ai eu l’honneur de vous faire sur la pétition des brasseurs de Louvain ? Ce ne sont pas seulement les impôts au profit de l’Etat qui accablent cette industrie, ce sont encore les impôts, en général plus élevés que ceux perçus au profit du trésor, dont elle est frappée par les localités où elle s’exerce. Je reconnais, messieurs, que sous ce rapport les brasseurs des villes reçoivent une protection contre la production de l’extérieur ; car, avoir les tarifs de nos octrois, on dirait que chaque ville de notre pays est une petite république qui défend son commerce intérieur contre la concurrence des autres localités, tandis que dans le système général adopté pour frapper les produits étrangers à l’entrée du royaume, nous recevons presque tous les produits sans droits ou avec des droits excessivement modérés.

Je crois, messieurs, que les villes ont besoin de ressources mais, de même que l’Etat, elles doivent établir leurs impôts d’une manière proportionnellement juste. Or, je puis vous assurer que la position actuelle des brasseurs dans la plupart de nos villes est extrêmement fâcheuse, et c’est une raison de plus pour refuser les centimes additionnels dont on veut frapper leur industrie.

C’est au gouvernement, messieurs, d’examiner mûrement s’il est possible de concilier les intérêts des villes avec ceux de l’industrie. Il a le droit d’intervention, et les brasseurs de Louvain ont un droit spécial applicable en cette matière. Au gouvernement à voir jusqu’à quel point ce droit peut recevoir ici son application.

Messieurs, je ne pousserai pas plus loin mes observations, je me sens un peu fatigué ; s’il le faut, je répondrai dans la discussion des articles aux observations qui pourront être faites.

M. Vandensteen. - Tout en me prononçant contre les centimes additionnels qui nous sont demandes, je ne veux cependant point rendre le cabinet actuel seul responsable de toutes les dépenses qui ont été votées. La chambre, comme le cabinet et comme beaucoup de ceux qui l’ont précédé, sont solidaires dans cette question.

Depuis quelques années, en Belgique, on marche avec une effrayante persévérance dans un système de dépenses qui finira par épuiser toutes les ressources possibles. On résiste difficilement, je le sais, à faire jouir de suite le pays des avantages nombreux qu’il peut retirer de tous ces grands travaux que l’on a entrepris depuis quelques années. Le but est louable, j’en conviens, mais un ajournement ou une marche moins précipitée vers ce résultat, serait-il si préjudiciable aux intérêts généraux ? Je ne le pense point, car lorsque l’on envisage ce que l’on a fait en Belgique depuis quelques années, on est étonné et inquiet pour son avenir. Qu’arrive-t-il ? C’est que les dépenses étant votées, il faut les couvrir, et lorsque les ressources ordinaires ne suffisent pas, ou en est réduit à demander des augmentations aux contribuables ; alors on se récrie et l’on s’exécute difficilement. C’est cependant la position dans laquelle nous nous trouvons.

Il est certainement beau pour un pays, qui compte à peine douze années d’existence, de marcher à la tête du progrès industriel qui tourmente en ce moment l’Europe mais aussi réfléchissons-y, messieurs, à quel prix achetons-nous cette admiration que nous excitons à un si haut degré ?

Prenons-y guide, si nous persévérons dans cette voie, et ici je m’adresse à la chambre et au gouvernement, nous préparons pour notre pays un avenir désastreux.

Je suis loin de croire que la position dans laquelle nous nous trouvons est sans remède, il n’en est rien, messieurs, et je me hâte de le déclarer : La Belgique est riche et par son sol et par l’industrie de ses habitants, mais il faut utiliser convenablement l’emploi de cette richesse et non pas la tirailler en tous sens comme on l’a fait jusqu’à ce jour. C’est sur ce point que doivent porter spécialement les études de MM. les ministres.

Je ne cache point ma façon de penser dans cette question : c’est parce que je pense que notre position n’est point extrême, que je ne puis me rallier à toutes les propositions du gouvernement. Je suis convaincu que l’on peut très facilement faire face à tous les besoins réclamés, non pas en frappant telle ou telle base déjà très élevée, mais en présentant soit de nouveaux systèmes d’impôts, soit en modifiant ceux qui existent. Sans vouloir répéter à la chambre ce qui a déjà été dit par d’honorables collègues, j’engage M. le ministre des finances à examiner sérieusement les opinions qui ont été émises à cet égard. C’est à ce travail vraiment utile que doivent tendre tous les efforts de M. le ministre, et ce n’est point en frappant des centimes additionnels de plus sur des bases déjà surtaxées que l’on améliorera notre position financière.

Que fait le gouvernement dans la circonstance actuelle ? Il s’est dit : dans la session dernière la chambre a voté des dépenses pour une somme de.... les prévisions du budget étaient de …. déficit autant. Pour combler ce déficit que fait-on ? On frappe 7 centimes sur la contribution foncière ; 10 centimes sur la personnelle ; 10 centimes sur les patentes, et ainsi de suite. Mais, est-ce de la sorte que l’on doit procéder dans un temps de paix profonde ? Evidemment non, messieurs, ce système n’a été que trop suivi en Belgique. C’est le plus facile et le plus commode, j’en conviens, mais avec un tel système on ne constitue pas un avenir financier pour un pays. Il est cependant temps de sortir de l‘ornière du passé ; le moment est venu de rompre avec cette vieille routine.

Nous sommes saisis d’un projet de loi qui, s’il était voté, pourrait rapporter beaucoup au trésor ; discutons ce projet, ne voyons dans cette question qu’un seul intérêt : l’intérêt du pays. Au nombre des matières imposables que l’on a encore signalées comme pouvant très bien servir à augmenter les ressources de l’Etat, c’est le tabac. M. le ministre, dans la séance d’hier, vous a dit que cette question n’était pas si facile à résoudre qu’on semblait le croire et il nous a exposé les différents modes que l’on voulait employer pour parvenir à atteindre cette production. Je crois avec M. le ministre, que cette question offre des difficultés, mais sont-elles vraiment telles qu’on semble l’indiquer ? Depuis longtemps on est étonné de ne point voir le tabac imposé en Belgique, on s’en est même expliqué ; il semble qu’on aurait déjà s’occuper de cette question, et que l’on devrait être fixé sur un système à cet égard. N’est-il pas préférable de frapper cette production d’un droit élevé que de venir encore grever de centimes additionnels trois branches d’impôts perçus exclusivement sur la propriété, le commerce et l’industrie, déjà surchargés, notamment la contribution foncière qui est atteinte au moyen des centimes additionnels, non seulement par l’Etat, mais encore par la province et la commune. Un gouvernement qui comprend réellement quelle source de richesse est pour un pays l’industrie agricole, ne grève point sans motifs graves une industrie d’où découlent toutes les autres. On ne devrait avoir recours à ce moyen extrême que dans des circonstances critiques.

Que servira-t-il au pays d’acheter au prix de sacrifices nombreux des avantages pour notre industrie et pour notre commerce, si aujourd’hui nous comprimons cette source puissante d’alimentation pour ce même commerce et cette même industrie que nous voulons tous protéger ? Abaissez tant que vous voudrez vos tarifs, encouragez vos exportations par des primes nombreuses, vous anéantirez fortement et inévitablement tons les progrès industriels du moment où vous forcez l’artisan à renchérir le prix de la main-d’œuvre, et c’est là où l’on est conduit par les augmentations qui sont demandées, surtout celles sur la contribution foncière. Je lui dis en terminant : c’est parce que la position n’est point extrême et félicitons-nous en, que je ne puis accueillir la majoration sur les centimes additionnels qui sont demandés, convaincu que je suis que nous pouvons trouver d’autres ressources. Je conçois que cette recherche demande de l’étude, mais j’ai trop de confiance dans les lumières et les capacités des hommes qui sont à la tête des affaires pour croire que ces difficultés sont telles quelles ne peuvent être surmontées.

Les besoins du trésor sont pressants, l’augmentation qu’on nous demande n’est que temporaire, nous dit-on, j’admettrais cette objection si nous n’avions point d’autres moyens de faire face aux dépenses qui ont été votées ; ne sommes-nous point saisis de différents projets de loi qui, s’ils étaient acceptés, produiraient au trésor, notamment la loi sur le sucre ? Quant à celle sur le tabac, je crois, comme je l’ai dit, qu’on pourrait très bien soumettre des propositions à cet égard, mais je prévois que cette question sera ajournée à une époque bien reculée et je puise cette conviction dans les paroles prononcées hier par M. le ministre.

Je ne refuserai point mon concours dans l’acceptation de certains projets qui, s’ils étaient proposés, peuvent très facilement couvrir nos dépenses et nous exempter de percevoir des nouveaux centimes additionnels.

M. Eloy de Burdinne. - Notre position financière et la nécessité d’augmenter les ressources du trésor nous imposent le devoir de créer une augmentation de recette au profit de l’Etat.

Les impôts perçus directement sont assez élevés ; nous devons chercher à nous procurer des ressources sur la consommation d’objets qui nous sont importés de l’étranger. En cela, imitons la France et l’Angleterre. Cette dernière perçoit environ 550,000,000 de francs, taux moyen et année commune, sur les marchandises importées chez elle. La population de l’Angleterre est de 16 millions d’âmes environ. La population de la Belgique est de 4 millions, aussi chiffre rond, soit la population belge est du quart de celle de l’Angleterre ; et si nous pouvions parvenir à faire produire par la douane le quart de ce que perçoit l’Angleterre, en adoptant son système douanier, notre recette de ce chef serait portée à 137,500,000 fr. ; ce qui nous donnerait le moyen de supprimer toutes les contributions directes, de même que l’accise sur le sel et sur la bière, et avoir un revenu de plus de 110 millions, somme suffisante pour faire face à nos besoins.

Nos talents financiers ne sont pas parvenus au point d’espérer un aussi beau résultat ; en outre, je crois que notre position ne peut être comparée à la position de l’Angleterre, et qu’il serait fort difficile, si pas impossible, de percevoir sur les douanes un produit égal et similaire. Mais nous pouvons augmenter considérablement nos ressources sur les produits étrangers, sans vouloir atteindre la hauteur du chiffre anglais.

Je crois que nous pourrions obtenir sur les produits des douanes une somme bien supérieure à celle que nous obtenons ; elle pourrait être quadruplée pour y parvenir, il est indispensable de réviser notre tarif et d’y apporter les changements qui doivent nous donner en recette quatre fois autant que nous percevons actuellement, soit environ 40 millions de francs. Hâtons-nous de réviser notre tarif douanier, augmentons les droits d’entrée, c’est ce qui presse le plus de faire ; sans ressources nouvelles nous ne pourrons faire face à nos dépenses. Si nous voulons renoncer aux moyens par trop usités et trop désastreux pour le pays, j’entends parler des emprunts en augmentant le droit d’entrée, nous pourrions éviter de frapper des centimes additionnels sur les impôts directs et suivre l’exemple de nos voisins, les Français et les Anglais, qui savent alimenter le trésor au moyen de recettes effectuées sur les produits exotiques, et il est incontestable que les droits perçus sur les matières étrangères sont souvent supportés par celui qui importe ce principe est incontestable. Il est reconnu par l’Angleterre et par la France ; il est attesté par l’industrie elle-même.

L’Angleterre a 16 millions d’habitants ; elle perçoit 50,000,000 de francs de droit de douane. Soit à raison de 34 fr. par tête d’habitant ; ce n’est pas le consommateur qui paie ce droit au moins intégralement, et de ce chef on ne peut pas dire que, sur les données exotiques, chaque individu appartenant au royaume de la Grande-Bretagne paie un impôt de 34 fr. (taux moyen, il n’en paie pas la moitié), vu que partie de cet impôt est supportée par celui qui importe et partie par le consommateur. La classe aisée en paie la plus forte part, étant celle qui consomme le plus les denrées venant de l’étranger ; le pauvre se contente de consommer les produits du pays.

A l’appui de ce raisonnement, je prendrai pour exemple le droit d’entrée sur les sucres, qui rapporte en Angleterre 120 millions de francs qui, répartis sur 16 millions d’habitants, font par tête d’habitant plus de 7 fr. 50 c., et c’est la classe aisée qui consomme le sucre.

L’Angleterre perçoit un impôt de douane représentant 34 fr. par tête d’habitant.

En Belgique, le droit de douane donne 10 millions, chiffre rond, qui, répartis sur 4 millions d’habitants, en fixe le taux, par tête, à 2 fr. 50. Il est perçu en plus, en Angleterre, 31 fr. 50 par tête d’habitant ; la plus grande partie par les importateurs.

J’ai vu avec plaisir dans le rapport de la section centrale, que les sections partagent jusqu’à certain point mon opinion sur la nécessité d’augmenter les droits d’entrée, et que l’on veut, comme moi, chercher à percevoir des impôts sur les producteurs étrangers, en quoi nous différons, ce que moi je voudrais frapper à un taux plus élevé que les produits étrangers que semble le vouloir la majorité de la représentation nationale.

Deux motifs dirigent ma pensée. La première, c’est de procurer au trésor une augmentation de recette, partie à charge des étrangers qui importent chez nous l’excédant de leurs produits, et éviter d’ajouter aux contributions existantes des centimes additionnels.

Le second est de réduire la consommation des produits étrangers, et de rétablir autant que possible la balance commerciale qui est désastreuse pour la Belgique. J’ai vu, comme vous avez pu le voir dans les documents statistiques qui nous sont distribués par le gouvernement, que nous éprouvons annuellement une perte de 50 millions de francs, résultat de l’excédant des importations sur nos exportations. Notre commerce par mer, principalement, est ruineux, Je vais vous en donner la preuve.

Mouvement maritime de 1840.

(successivement : nombre - tonnage)

Nombre de navires entrés en Belgique

Chargés belges : 447 - 61,041

Chargés étrangers, 1,529 - 174,404

Totaux, 1,776 - 235,445

Nombre de navires sortis en Belgique

Chargés belges : 320 – 42,804

Charges étrangers : 568 - 56,059

Totaux : 888 - 98,863

Nombre de navires entrés en Belgique

Sur lest belges : 5 - 312

Sur lest étrangers : 16 - 1,512

Totaux : 21 - 1,824

Nombre de navires sortis en Belgique

Sur lest belges : 145 - 20.045

Sur lest étrangers : 764 - 117,229

Totaux : 879 - 137,274

BALANCE.

Il est sorti sur lest 879 navires d’un tonnage de 137,274

Il est entré sur lest 21 navires d’un tonnage de 1,824

858 navires. Reste, 135,450 tonneau qui représentent 155,450,000 kilogrammes.

Il résulte de notre balance commerciale, par mer, qu’il est importé en Belgique plus qu’exporté pour environ 70 millions annuellement et taux moyen.

Il en est temps encore, notre position financière n’est pas désespérée, mais hâtons-nous de revoir notre tableau tarif de douane, cherchons à procurer au trésor une augmentation de recette qui ne pèse pas directement sur la nation, et qui, dans plusieurs circonstances, est supportée par l’étranger qui déverse chez nous l’excédant de ses produits.

Diminuons autant qu’il est possible la consommation des produits étrangers, afin de rétablir la balance commerciale. Selon moi, le seul moyen d’y parvenir, c’est la réforme de la consommation des produits étrangers. Je doute fort que cette balance puisse être améliorée au moyen d’augmenter nos exportations ; je crains que les dépenses pour obtenir ce résultat ne soient faites en pure perte. Quoi que nous fassions, nous ne parviendrons pas à placer nos produits à l’étranger concurremment avec la France et l’Angleterre.

Au surplus, il paraît être adopté en principe par les nations, de chercher à produire chez elles tout ce qu’elles ont besoin (ou à peu près) ; en un mot de se suffire à elles-mêmes.

Et croyez-moi, messieurs, ne soyons pas dupes. Suivons ce système ; cherchons à produire ce dont nous avons besoin, et balançons nos importations avec nos exportations, en d’autres termes, que notre dépense soit en rapport avec nos recettes. La dépense d’un pays est la valeur des matières qu’elle reçoit de l’étranger, sa recette est la valeur des matières qu’elle exporte.

Une nation importe pour une valeur supérieure à celle qu’elle exporte, se ruine aussi bien que le particulier qui dépense plus qu’il n’a de revenu.

On m’objectera que si on impose les produits étrangers, les producteurs indigènes vendront aux consommateurs belges leurs productions à des prix plus élevés. Cela peut être, cela est même probable ; mais à son tour, celui qui consomme produit également, et s’il paye plus cher les fabricats qu’il ne produit pas, il vendra aussi à un prix plus élevé les objets qu’il produit, et par suite, l’équilibre est rétabli entre eux. En protégeant la fabrication dans votre pays, vous favorisez la classe ouvrière, vous favorisez toutes les industries indigènes ; c’est là du véritable patriotisme.

En résumé, je crois qu’on doit considérer une nation comme une grande famille qui se doit aide, assistance et protection et surtout à qui on doit la préférence. Tous ses membres ont des droits les uns envers les autres, Préférence leur doit être accordée.

Et si parfois on fait un sacrifice envers l’un ou l’autre, à son tour il en fera pour vous.

Un fabricant de draps, s’il vend ses fabricats plus cher, pourra payer à un prix plus élevé la matière première, employer la classe ouvrière et la mieux payer.

A son tour, le cultivateur, s’il vend ses produits un peu plus cher, et s’il obtient un bénéfice dans son industrie, à son tour, il pourra acheter du drap pour se vêtir, et d’autres produits de l’industrie de son pays, et les payer aussi à un prix plus élevé ; il en consommera plus, et en résultat la balance sera rétablie entre le fabricant de draps et le cultivateur. Mais au contraire si l’industrie agricole est gênée, par suite du bas prix de ses produits, alors il ne consomme plus des produits de la draperie et autres, il en résulte stagnation dans la fabrication au détriment de la classe ouvrière, et il est incontestable que l’ouvrier sans ouvrage, quand même le prix des denrées de première nécessité serait à très bon compte, est dans un état bien plus déplorable que lorsqu’il doit les payer à un prix élevé, s’il est occupé et qu’il gagne de bonnes journées.

Je continuerai en appelant l’attention du gouvernement et de la chambre sur le vice de notre système de douane, sur la nécessité de frapper d’impôts plus élevés les produits étrangers, d’éviter de frapper des augmentations de contributions sur le contribuable belge, ce qui serait très impolitique et très impopulaire.

Ce n’est pas dans un moment de paix, et quand nos voisins réduisent les impôts, que nous devons les augmenter chez nous.

J’ajouterai que je ne puis donner mon assentiment à la demande de centimes additionnels. Loin de là, je voudrais voir réduire les contributions directes ; au moins je voudrais faire disparaître tous les centimes additionnels, et, j’en suis persuadé, on en trouverait le moyen en frappant d’un droit plus élevé les produits étrangers.

Nous pourrions aussi réduire les impôts en réduisant nos dépenses. Quand nous discuterons les budgets, nous verrons s’il y a moyen, et si nous ne trouvons aucun inconvénient grave à en opérer, j’y donnerais mon assentiment.

Où est l’espoir que le chemin de fer produira plus qu’il ne produit, ce qui donnerait un surcroît de recette ? L’espoir n’est pas une monnaie, et les créanciers du gouvernement ne la recevra pas comme argent comptant, nous devons chercher à nous procurer d’autres moyens de faire entrer de l’argent un peu plus coursable.

Ne nous faisons pas illusions, messieurs, le chemin de fer coûte 200 millions, non compris l’amortissement ; on ne tient pas compte de la différence du capital levé, des obligations souscrites et des commissions des intérêts anticipés, des intérêts des capitaux en caisse, avant de les employer, etc.

Au surplus, je me réserve de démontrer l’exactitude de ce que j’avance lors de la discussion du budget des voies et moyens.

M. d’Hoffschmidt. - Messieurs, dans le cours de cette discussion, plusieurs orateurs se sont montrés plus ou moins favorables à l’aliénation des bois domaniaux qui restent encore à l’Etat. C’est là une question trop importante pour qu’elle puisse être traitée incidemment, mais comme plusieurs honorables préopinants ont présenté cette mesure comme facile à exécuter et comme extrêmement avantageuse pour l’Etat, j’ai besoin de dire quelques mots pour leur répondre, afin que ce qu’ils ont annoncé ne laisse pas une impression trop favorable dans cette assemblée et dans le pays, concernant une mesure que, quant à moi, je considérerais comme fâcheuse.

Je ne conteste pas, messieurs, que quelques parties de bois domaniaux puissent être vendus avec avantage ; mais quant à la masse de forêts qui existent encore dans plusieurs de nos provinces, je crois que, si on la vendait, nous pourrions plus tard déplorer amèrement cette mesure.

Pour provoquer cette aliénation, l’on s’appuie sur ce que, dit-on, les forêts domaniales ne produisent que 1 p. c. ; je ne sais, messieurs, si ce n’est pas là une erreur, car dans le Luxembourg, par exemple, où se trouvent, comme vous le savez, les trois quarts de nos bois domaniaux, les bois des particuliers rapportent au moins 3 p. c. Comment pourrait-il se faire alors que les domaines de l’Etat ne rapporteraient que 1 p. c. ? Il faut qu’il y ait là erreur, ou il faudrait qu’il y eût mauvaise gestion ; l’un des deux ; je crois plutôt qu’il existe une erreur dans les calculs d’après lesquels on évalue le produit de nos forêts et leur valeur vénale. Un honorable préopinant a estimé hier, je pense, à un prix trop élevé les forêts qui nous restent. De son côté, l’honorable rapporteur de la section centrale disait tout à l’heure qu’il nous reste encore environ 30 mille hectares de bois domaniaux ; je croyais, quant à moi, que nous n’en avions pas une si grande quantité ; mais ce dont je me souviens, d’après les renseignements qui ont été déposés sur le bureau pendant la discussion de la loi d’emprunt, c’est que, dans le Luxembourg, il y en a encore environ 17,000 hectares évalués, par la même note, à 21 millions de francs.

Eh bien, nous ne pourrions certainement pas obtenir un prix aussi élevé de ces dix-sept mille hectares de bois domaniaux. Comme vous le savez, messieurs, on a déjà vendu des portions extrêmement considérables de domaines sous l’ancien gouvernement : dans l’arrondissement de Neufchâteau 16,520 hectares ont été vendus depuis 1826 jusqu’en 1829 pour le prix total de 4,050,875 florins, ce qui revient à 245 florins des Pays-Bas ou 520 francs l’hectare, terme moyen. Or, si vous vendiez à ce prix les 17,000 hectares qui vous restent dans le Luxembourg, cela ne procurerait au trésor que 8,840,000 francs, au lieu de 21 millions, somme à laquelle on les avait évalués dans la note dont j’ai parlé tout à l’heure. Quant aux sommes que le gouvernement a obtenues des anciennes ventes, savez-vous ce qu’elles sont devenues ? On en porte encore annuellement le produit au budget des voies et moyens, et ces sommes seront bientôt entièrement absorbées sans qu’il en reste rien. Le capital et les domaines sont donc sortis des mains de l’Etat ; tout a été improductivement consommé.

Vous serez sans doute étonnés, messieurs, de ce que l’on ait vendu à un prix aussi faible les bois domaniaux qui se trouvaient dans le Luxembourg ; mais la raison principale en est que la plupart des forêts que nous possédions autrefois et celles que nous possédons encore, sont grevées de droit d’usage extrêmement onéreux. C’est, par exemple, le droit, qu’ont les habitants des communes usagères, d’obtenir du bois de chauffage ou du bois de construction ; ou bien, c’est encore le droit de faisson, etc. ; ces droits, on les évalue généralement à un tiers et même à la moitié du revenu de la propriété.

Si l’Etat se décidait à vendre ses domaines, ou bien il devrait en venir au cantonnement, ce qui entraînerait des difficultés et même des procès ; ou bien, il devrait vendre la propriété avec ses charges, et, par conséquent, les acquéreurs de ces domaines diminueraient leurs offres en proportion de la charge lourde et d’agréable qui pèseraient sur les propriétés qu’ils se proposeraient d’acquérir.

Du reste, messieurs, cette question financière est encore une des moins importantes de toutes celles que soulève la proposition des honorables préopinants. Il est certain que si l’on vendait les forêts domaniales, elles viendraient à disparaître dans un temps plus ou moins éloigné ; c’est ce que l’expérience démontre à l’évidence ; car les forêts qui ont été vendues autrefois commencent déjà à diminuer considérablement ; cela se conçoit facilement.

Ce sont en général des spéculateurs qui font l’acquisition de ces domaines ; qui désirent rentrer dans leurs fonds, et qui pour ce motif, s’empressent de raser la forêt, pour en tirer un produit le plus tôt possible. Il en serait ainsi, alors même que la propriété serait divisée entre différents particuliers. On sait que les particuliers n’administrent pas toujours en bons pères de famille leurs propriétés boisées, parce qu’ils ont hâte de jouir.

Ainsi, il y aurait une question bien importante à examiner par le gouvernement et par les chambres : celle de savoir si l’on veut s’exposer à voir disparaître, dans un avenir plus ou moins éloigné, ce que j’appellerai un approvisionnement de première nécessité pour la société.

Pour le Luxembourg, la vente des forêts pourrait entraîner des effets très fâcheux.

D’abord les montagnes, qui sont couvertes de nos forêts, n’offriraient bientôt plus qu’une affreuse nudité ; le sol perdrait un abri, et il y a ici en jeu un grand intérêt, un intérêt de fertilité et de salubrité.

Cette aliénation froisserait considérablement, d’un autre côté, les intérêts de toutes les communes usagères.

On conçoit facilement une semblable aliénation, lorsqu’il s’agit d’un sol riche. En effet, lorsque, dans certains pays, la population grandit chaque jour d’une manière pour ainsi dire inquiétante, il est nécessaire d’augmenter le plus possible les moyens d’alimentation ; par conséquent, lorsque dans ce cas il y a possibilité de remplacer les forêts par de riches moissons, on peut et on doit le faire ; mais cette nécessité disparaît complètement lorsqu’à la place des forêts, il ne peut que vous rester des bruyères.

En France, messieurs, dans les premiers temps de la restauration, lorsque ce pays était courbé sous le poids de l’indemnité qu’il devait payer, par suite de l’invasion étrangère, on en vint à l’aliénation des forêts. Un très grand nombre de forêts domaniales furent vendues. Aujourd’hui, les hommes les plus distingués de France regrettent cette aliénation. Je pourrais citer à cet égard une foule d’autorités, mais, pour ne pas abuser des moments de la chambre, je me bornerai à invoquer l’autorité d’un économiste distingué, M. Michel Chevalier. Voici ce qu’il dit à ce sujet :

« Je veux parler spécialement de la replantation des montagnes qu’on a dépouillées de leurs bois avec tant d’imprévoyance, et qu’on abandonne dans leur nudité, par une coupable inertie, ou même, par une fatale condescendance pour de mesquins intérêts que la loi ne reconnaît pas et qu’au contraire elle repousse, l’on empêche les forêts de se reproduire par le seul effort de la nature. Les pluies et les neiges, lorsqu’elles tombent sur des cimes pelées, s’écoulent s’évaporent avec une rapidité extrême ; au lieu de maintenir les fleuves et rivières à des niveaux moyens, dont profiteraient les bateliers, et dont se féliciteraient les propriétaires riverains, elles produisent alors des crues subites, des inondations qui suspendent la navigation, dévastent les propriétés en les couvrant de gravier, et quelquefois les rongent et les entraînent ; puis, après les débordements, viennent brusquement des basses eaux, qui ne cessent que de loin en loin et pour de courts délais à la faveur de quelque orage. Avec un déboisement déréglé, nos pays tempérés se rapprochent ainsi des régions méridionales, où il n’y a que des torrents pendant le printemps et l’automne, des filets d’eau imperceptibles au milieu d’un océan de sable pendant l’été, et jamais de rivières faciles et maniables.

« Il ne s’agit pas de rendre le sol de la France aux forêts primitives. Parmi les déboisements effectués depuis cinquante ans, il y en a beaucoup qui seront profitables au pays. Le déboisement est une conquête de l’homme sur la nature ; les bois doivent disparaître des plaines et y céder la place à la culture. Mais on ne s’est malheureusement pas borné à découvrir ce qui, dans les vallées pouvait être sillonné par la charrue, ou ce qui était appelé à former de gras pâturages ; on a arraché les arbres de cantons stériles, où le bois seul devait croître ; on a imprudemment livré à la hache les flancs et les cimes de nos montagnes ; puis, le régime de la vaine pâture, affranchi de toute surveillance, et une vicieuse administration des forêts publiques et privées ont empêché la reproduction des bois après la coupe. L’insouciance des agents de l’Etat et des communes a fermé les yeux sur les abus les plus destructeurs. Aujourd’hui, les communes et l’Etat possèdent des milliers, des millions d’hectares de forêts domaniales, où il y a tout juste autant de végétation que dans les steppes de la Tartarie ou dans le désert de Sahara. »

Aussi, en France, le code forestier contient-il, dans l’intérêt de la conservation des bois, une mesure opposée pour ainsi dire, aux principes de la propriété privée. Un particulier ne peut pas défricher sans avoir obtenu l’autorisation de l’administration, et, si je ne me trompe, déjà, plusieurs reprises, des députés ont proposé à la chambre de France de porter un million chaque année au budget pour le repeuplement des forêts. Eh bien, messieurs, si vous veniez à vendre les seules forêts domaniales qui vous restent, elles ne tarderaient pas à disparaître du sol. Vos successeurs, regrettant avec amertume un acte aussi funeste, viendraient un jour proposer probablement, comme en France, de porter au budget des fonds pour le repeuplement des forêts.

Je bornerai là mes observations, mais je me réserve de faire valoir encore beaucoup d’autres considérations, si on aborde un jour dans cette enceinte l’examen de la question d’une manière spéciale.

M. Mercier. - Messieurs, membre de la section centrale, ayant sur très peu de points été en désaccord avec la majorité cette section, je ne ferai que de courtes observations sur le discours que vient de prononcer son honorable rapporteur.

Je dois toutefois m’élever contre une expression de cet honorable collègue ; il a dit que ceux que l’ancien ministère ne tolérait pas ou ne pouvait tolérer, avaient cependant appuyé quelques-unes des propositions financières que j’avais présentées

Je dois déclaré, en mon nom, et bien certainement je puis faire aussi au nom de mes anciens collègues, que le cabinet dont j’ai eu l’honneur de faire partie n’était animé d’aucun sentiment d’hostilité vis-à-vis d’aucune opinion de cette chambre ; son vœu était celui de la conciliation. D’ailleurs, l’opposition d’alors n’a pu articuler aucun grief déterminé.

J’ai cru devoir donner cette explication en réponse aux paroles échappées à l’honorable membre.

En parlant de la loi des sucres, l’honorable M. Demonceau a dit encore que, comme ministre des finances, j’avais reculé devant la présentation d’un projet de loi sur cette matière. Cela n’est pas du tout exact. J’avais déposé, dès l’ouverture de la session, un projet de modifications à la loi existante, en déclarant moi-même que ces modifications étaient insuffisantes et qu’elles tendaient seulement à améliorer la législation en vigueur ; j’avais reconnu la nécessité d’une nouvelle loi, et j’avais promis à la chambre de lui en soumettre une : mais on conçoit que, dans une session pendant laquelle les travaux du ministre des finances en particulier ont été si nombreux, il m’a été impossible de former un travail complet sur cet objet important avant la retraite du cabinet.

Mais, à l’époque dont je parle, différentes lois financières, destinées à améliorer l’état de nos ressources, ont été votées. Les propositions soumises à la chambre concernaient sept espèces d’impôts : la contribution foncière, différentes lois de douane, le droit de transcription, le droit sur le café, l’accise sur les eaux-de-vie indigènes, et enfin l’accise sur les bières ; la section centrale a donné son appui à quatre de ces propositions ; la chambre en a accueilli cinq et en a repoussé une seule, celle qui était relative au café. Il y avait un système dans l’ensemble des propositions que vous faisait alors le cabinet. Il demandait peu à l’impôt direct qu’il convient de ménager pour les temps difficiles ; l’augmentation du droit de transcription n’a donné lieu à aucune plainte, bien qu’elle procure une ressource considérable au trésor. Les boissons étaient particulièrement atteintes ; le genièvre, le café et la bière devaient être soumis à une majoration de droits ; la loi relative au premier objet fut adoptée.

Le droit demandé sur le café n’ayant pas été accueilli, le cabinet s’est empressé d’ajourner le projet concernant les bières, parce que l’ensemble de son système était altéré.

Messieurs, je ne crois pas devoir répondre à la partie du discours de l’honorable rapporteur qui concerne les capitaux, car hier déjà je me suis expliqué à cet égard, et j’ai exprimé une opinion qui n’est pas très éloignée de celle que cet honorable membre a émise ; je conviens qu’alors que le trésor ne jouit pas encore du revenu de tous les capitaux qui ont été votés pour le chemin de fer et qui pèsent déjà sur le budget, on peut justifier l’emploi d’une certaine somme en capitaux au budget des recettes, en ayant égard toutefois, quant à sa quotité, à l’économie que les sommes disponibles sur l’emprunt permettent de faire en intérêts de la dette flottante.

M. le rapporteur a fait mention de chiffres sur lesquels je ne suis pas d’accord avec la majorité de la section centrale : celui de la recette du chemin de fer et celui du produit des droits de succession. Je n’ai pas entendu qu’il ait donné de nouvelles raisons en faveur du maintien de ces chiffres. Quant à moi, je n’ai rien articulé de positif en ce qui concerne le chemin de fer, par la raison que je ne possède pas les éléments nécessaires pour bien en apprécier le revenu ; mais, à moins de circonstances extraordinaires, je trouve l’évaluation des droits de succession exagérée d’un million au moins. Je n’ai pas parlé des eaux-de-vie indigènes dans la section centrale ; un examen ultérieur m’a fait penser que le chiffre des prévisions devait être trop élevé d’au moins 500,000 francs.

M. Delfosse. - Je n’ai demandé la parole que pour répondre à un passage du discours de l’honorable M. Demonceau. L’honorable membre a dit que, sous le précédent ministère, j’avais voté toutes les dépenses et refusé les recettes ; je lui répondrai qu’il est complètement dans l’erreur.

Sons le précédent ministère, j’ai fait entendre le langage que je fais entendre sous ce ministère-ci, le langage d’une sévère économie ; j’ai parlé et voté contre plusieurs des dépenses proposées par M. Mercier ; mon opposition financière à ce ministère, qui avait mes sympathies sous d’autres rapports, est même allée si loin qu’elle m’a valu des remontrances de plusieurs de mes amis ; ils me disaient : Prenez garde ! vous allez affaiblir le ministère. Je leur ai répondu ; que m’importe, je place en première ligne, avant tout, les intérêts des contribuables, en aucun temps je ne les sacrifierai.

Je n’ai pas non plus refusé toutes les recettes ; j’ai repoussé, il est vrai, plusieurs propositions d’impôts faites par M. Mercier, et je les repousserai encore aujourd’hui qu’elles sont présentées par M. Smits ; mais j’ai voté pour les trois centimes additionnels sur l’impôt foncier ; j’ai cru que, dans un moment où l’on était réduit à contracter un emprunt de près de cent millions, on pouvait bien frapper les propriétaires de cette légère augmentation. Cette augmentation, je l’ai accordée l’année suivante au ministère Nothomb, comme je l’avais accordée au ministère que l’on est convenu d’appeler le ministère Lebeau, et qui n’était pas pour moi le ministère Lebeau, plutôt que le ministère Leclercq, que le ministère Rogier, que le ministère Liedts, que le ministère Mercier.

Messieurs, si je voulais récriminer, je dirais qu’il y a sur les bancs opposés beaucoup de membres qui accordent au ministère actuel des dépenses qu’ils refusaient au ministère précédent, et beaucoup qui, après avoir refusé à M. Mercier les trois centimes additionnels sur l’impôt foncier, les ont depuis accordés à M. Smits ; ils ont même accordé davantage, car M. Mercier ne les avait obtenus que sur le principal, et M. Smits les a obtenus sur le tout.

Je laisse au pays le soin de juger de quel côté on est conséquent.

M. Pirmez. - Je demande la parole pour faire une courte réponse à l’honorable M. d’Hoffschmidt. Toutes les fois que l’occasion s’est présentée de parler de la vente des domaines, l’honorable membre a dit qu’on ne devait pas s’occuper de cette question, parce qu’elle était très grave. C’est précisément pour cela qu’on peut la traiter aujourd’hui, car nous sommes en présence de toutes questions graves. Il s’agit de mettre de nouveaux impôts sur un grand nombre d’objets. C’est précisément le moment de s’occuper de la vente des domaines, ce qui pourrait nous dispenser de voter quelques-uns de ces impôts.

L’honorable membre a dit que l’évaluation des bois domaniaux avait été trop élevée ; mais il n’en fournit aucune démonstration. Cette évaluation a été faite par le gouvernement, et c’est à cette estimation qu’on doit s’en rapporter, et non à des calculs aussi vagues que ceux présentés par l’honorable membre. Il vous a cité des forêts domaniales qu’on a vendues dans le canton de Neufchâteau à raison de 500 fr. l’hectare ; mais cela ne prouve pas que, dans d’autres cantons, elles n’aient pas une plus grande valeur. Celles que nous venons d’acheter valent 4 mille fr. l’hectare. Je ne dis pas qu’elles valent autant dans le Luxembourg, mais il peut y en avoir de plus chères que celles du canton de Neufchâteau. L’estimation qu’on en a donnée n’a pas été faite à la légère, n’a pas été faite en l’air ; elle doit nous servir de guide.

Il est à remarquer que les principales ressources que nous tirerons de la vente des forêts consisteront dans les impôts que ces forêts nous rapporteront, et qu’elles ne nous rapportent pas, et dans les droits de mutation. Les propriétés aujourd’hui changent fréquemment de main, elles sont devenues une véritable marchandise. Sous ce rapport nous en tirerions un très grand produit. Je pense même qu’en les donnant pour rien, elles produiraient plus que maintenant. Il faut les vendre le plus cher possible, mais à quelque prix qu’elles se vendent, elles produiront plus au trésor qu’elles ne donnent aujourd’hui. L’honorable membre a trouvé un grand inconvénient à vendre ces propriétés, parce qu’elles sont grevées de droits d’usage. Mais c’est un motif de plus pour les vendre, afin de faire cesser ces droits d’usage. Les propriétés qui appartiennent à tout le monde ne sont jamais soignées comme celles qui appartiennent à un particulier. Ces droits d’usage ont été établis alors que les propriétés n’avaient aucune valeur, alors qu’on pouvait les détruire sans faire tort à la chose publique. Mais, depuis, les choses sont bien changées. Si vous laissez les bois indivis à l’abandon, ils seront gaspillés et ne produiront rien. Cet état de choses doit donc engager à les vendre, au lieu de les conserver.

D’ailleurs, le cantonnement n’est pas une opération difficile. On estime la valeur de la propriété et du droit d’usage, et l’on vous donne en propriété ce qui vous revenait en droit d’usage.

L’honorable député du Luxembourg dit que l’acquéreur diminuerait le prix d’acquisition, en raison du droit d’acquisition, mais l’estimation du gouvernement a été faite en tenant compte de cette charge.

On dit qu’en général les forêts disparaissent en Belgique. Certainement elles disparaissent, elles doivent disparaître avec la civilisation. Le bois, d’ailleurs, en Belgique a une valeur très minime. C’est parce qu’il n’y a pas de comparaison entre les produits des terrains cultivés et les produits des terrains boisés, que les forêts doivent naturellement être défrichées. Au reste, on ne défriche pas, partout, il y a encore des terrains qui restent boisés, et en supposant vrais, ce que je n’admets pas, tous les inconvénients que certains membres trouvent au défrichement, ne pouvez-vous pas, en vendant, mettre la condition qu’on ne pourra pas défricher, si vous reconnaissez, contre mon opinion, que ce serait un mal de laisser défricher ?

On a cité l’opinion de Michel Chevalier. Il dit que la France avait une grande quantité de bois domaniaux entièrement dévastés. Cela prouve la mauvaise administration de l’Etat. Des particuliers auraient déjà replanté les parties qui auraient dû rester boisées. S’il y a de grandes dégradations dans les forêts de l’Etat en France, et qu’il n’y en ait pas dans les forêts appartenant à des particuliers, c’est que l’Etat est un mauvais administrateur.

Voilà ce que j’avais à répondre à l’honorable député du Luxembourg.

M. d’Hoffschmidt. - L’honorable M. Pirmez vous a parlé pour les pays de plaine qui ne sont pas dans la situation de la province du Luxembourg, où se trouve la plus grande partie des forêts dont il s’agit.

Il ne faut pas aller bien loin pour voir les résultats fâcheux des défrichements ; il suffit d’aller sur les bords de la Sambre ; les particuliers défrichent des forêts situées sur des pentes rapides, ils obtiennent quelques récoltes, et bientôt les pluies font descendre les terres, les bords de la vallée sont dénudés, ne produisent plus rien, et la vallée se trouve encombrée. On en voit des exemples auprès de Namur. Il s’agit de la province de Luxembourg. Les habitants de cette province doivent savoir mieux que personne quels sont leurs intérêts. Quand les bois sont tous dans une province, cela devient en quelque sorte une propriété provinciale. S’il y avait des bois dans toutes les provinces et qu’on vendît partout, ce serait une mesure qui pèserait sur tout le monde. Mais il n’en est pas ainsi. Presque toutes les forêts domaniales sont dans le Luxembourg ; c’est pourquoi je dis qu’elles sont en réalité une propriété provinciale. Vous ne pouvez pas considérer le Luxembourg comme les autres provinces qui n’ont pas le même besoin de leurs forêts. La question de la vente de ces propriétés doit être traitée d’une manière spéciale ; ce n’est pas à propos d’un budget, incidemment qu’on doit s’en occuper. Elle doit être l’objet d’un examen attentif. Cet examen, nous ne sommes pas en position de le faire maintenant. Si on veut la vente des forêts, il faut en faire la proposition et discuter cette proposition isolément. Et si cette vente avait lieu, il faut en appliquer le produit à la réduction de la dette. Voilà l’usage qu’on devrait en faire, plutôt que l’employer an service des budgets courants.

M. de Mérode. - Je ne dirai pas comme l’honorable préopinant que je n’ai pas été dupe des mensonges grossiers des ministres, lorsqu’ils ont présenté l’état des finances sous un jour trop favorable ; mais je dirai que je n’ai jamais été fasciné par l’eldorado fantasmagorique que l’on nous a présenté sous ce rapport, et je me suis abstenu plusieurs fois, les années précédentes, de voter le budget des voies et moyens, parce que je les considérais comme insuffisants ; l’augmentation successive de la dette publique prouve, du reste, que les contribuables ne font que perdre au ménagement prétendu de leurs intérêts par les refus successifs de quelques accroissements de recettes nécessaires à l’équilibre du revenu public et des dépenses de l’Etat. Peu à peu l’on arrive, de cette manière, à payer indéfiniment ce que l’on eût donné seulement pendant une période limitée. Il y a deux ans que le précédent ministre des finances présenta divers moyens d’accroître les ressources du trésor, il s’acquitte courageusement de sa tâche, mais il ne fut pas soutenu par ses amis politiques dont la plupart avaient déserté leurs bancs lors de la discussion ; et bien que je fusse dans ce moment même en opposition avec le ministère, j’appuyai de mon mieux et sans hésiter les propositions de l’honorable M. Mercier.

Je conçois comment il échoua, et comment échouera peut-être encore le ministre actuel. En effet, le vote d’impôts quelconques n’est pas populaire, et ne plaît pas ordinairement à l’électeur. Comme celui-ci a le tort habituel de ne pas songer que la fortune publique ne descend pas des nuées sur la terre, mais qu’elle se compose simplement de ce que chaque citoyen lui apporte de tribut, il désire que l’Etat soit très généreux et perçoive le moins possible. Quant aux dettes, il ne paraît ne pas s’en inquiéter davantage que si elles se contractaient aux dépens de je ne sais quel débiteur inconnu, qui soldera plus tard, n’importe comment. Le député courtisan de l’électeur peut donc voter trente ou quarante millions d’emprunts plus hardiment que quelques centimes additionnels, déclarés intolérables, soit sur le foncier, soit sur la bière, soit sur les denrées coloniales, parce que l’une est déclarée boisson du pauvre, ce qui est parfaitement faux pour quiconque connaît quelque peu la chaumière, ou parce que le tabac, la café, le sucre, lorsqu’il est question de les soumettre à une taxe vraiment productive, sont présentés comme d’admirables moyens de spéculer sur la contrebande en pays voisin.

Vendre tous les domaines de l’Etat, détruire le peu de forêts qui nous restent, et qu’on mangera comme un déjeuner ; voilà la ressource qu’on nous présente comme le sublime du ménage financier. Eh bien, messieurs et chers collègues, je suppose qu’au lieu de quelques centimes additionnels obtenus çà et la dans certaines circonstances pressantes, l’on eût recouru à ces ventes de domaines ; nous en serions aujourd’hui privés, et les particuliers ne seraient pas plus riches pour cela. La question de la vente des domaines est en toute hypothèse une affaire spéciale qui doit être sérieusement méditée et ne peut être incidemment résolue dans la discussion d’un budget annuel.

Une chose me frappe, dans toutes les pétitions qui sont adressées aux chambres ou aux ministres, dès qu’il s’agit d’améliorer ou plutôt d’empêcher la détérioration évidente de la fortune publique ; c’est l’inexorable point de vue des réclamants exclusivement concentré sur leur intérêt particulier. La patrie semble, pour eux, personnifiée dans leur exploitation, soit de bière, soit de sucre indigène ou exotique, soit de toute autre matière. S’agit-il au contraire d’adresser à l’Etat des demandes très onéreuses pour lui, on sollicite des travaux extrêmement dispendieux, eu égard à l’importance des lieux qu’ils concernent, des réductions de péages ou des services très chers qu’on arrache aux ministres à force d’instances.

Ne croyez pas que les brasseurs, par exemple, prenant égard à la situation du trésor, acceptent, si ses besoins l’exigent, seulement 50 c. supplémentaires par tonne de bière forte. Bien au contraire, s’ils viennent vous dire que vous avez diminué d’un quart les droits sur les vins, qu’il faut en faire autant sur la bière, c’est-à-dire perdre deux millions, parce que, dans l’intérêt des pauvres fileurs et tisserands des Flandres (chacun le sait), vous avez à regret, dis-je, sacrifié un million sur la recette du vin. Que dirait-on de passagers, embarqués sur un navire, qui ne s’occuperaient chacun que de leur cabine propre, et s’inquiéteraient peu si le vaisseau qui les porte tous a ses agrès et sa coque en état d’achever le voyage. Si j’entendais dire aux brasseurs : « Nous voulons bien que vous augmentiez quelque peu la bière, mais ne nous atteignez pas seuls ; prenez partout ce que vous pourrez dans l’intérêt général ; faites enfin payer quelque surcroît de contributions à la propriété, au sucre indigène, au sucre exotique, au café, au tabac, nous savons que tous doivent concourir à la bonne gestion des affaires nationales. » Je comprendrais, j’approuverais ce langage.

Et quand je parle des brasseurs, ce n’est pas assurément pour leur délivrer un brevet spécial d’esprit personnel, car je ne vois pas ailleurs plus de véritable esprit public.

Selon un honorable orateur qui a parlé des premiers et blâmé beaucoup la conduite du ministère, l’élection, laissée maîtresse de presque tout pouvoir dans les communes, était en quelque sorte la panacée de l’harmonie et de l’union ; et cependant, grâce à l’apathie d’une foule d’hommes paisibles à peu près exclusivement occupés de leurs affaires propres, l’élection est souvent le moyen le plus facile de parvenir pour l’intrigant et le perturbateur de la paix publique. Du reste, messieurs et chers collègues, je me garderai de recommencer, sous l’influence des brouillards de l’hiver, une discussion épuisée dans cette enceinte lorsque le soleil dardait ses brûlants rayons d’été.

Je m’occupe maintenant des finances, parce qu’il me semble que des redites fastidieuses ne peuvent contribuer à la concorde et à rendre utile et sérieux l’examen des voies à prendre pour assurer notre avenir financier. Avec un peu moins de mollesse et de fausse complaisance, on peut suivre ces voies qui ne sont point encore ardues et impraticables ; mais elles se déterminent, et quand elles seront en ruines, leur restauration fatiguera le riche et accablera le pauvre. C’est ce qu’on doit éviter à tout prix.

Je répète aussi, non par obstination, mais par opinion sincère, qu’il faut, autant que possible, réserver le marché intérieur aux produits du pays, et augmenter les droits d’entrée sur les produits de l’extérieur, tels que bois, fers, tissus et autres objets que notre sol ou nos établissements fournissent à des prix modérés.

Je ne cesserai point non plus de tendre à réduire la magnificence déployée dans la construction et l’administration des chemins de fer. Un voyageur, avec lequel j’ai d’intimes rapports, a parcouru récemment le chemin de fer de Londres à Southampton, et il m’a écrit combien il avait été frappé de la différence du luxe de construction entre ce chemin et les nôtres. Rien n’est plus inutile que les portiques et les pierres finement taillées dans des travaux qui ne doivent offrir qu’une solidité rustique, et l’on ne s’est pas contenté chez nous, quoi qu’on en dise, de celles-là. Le monumental est à propos quand il répare d’anciens édifices, illustrés par les artistes des siècles passés, ou qu’il s’applique exceptionnellement à quelqu’édifice nouveau ; mais un chemin de fer coûte déjà trop en tunnels, remblais, déblais et sol précieux, largement enlevé l’agriculture, pour y ajouter encore un luxe quelconque.

Mais, indépendamment des frais superflus en travaux, il en est d’autres encore dans le personnel que le ministre des travaux publics établit sans aucun contrôle, tandis que le ministre de la justice ne pourrait pas ajouter cent francs au traitement d’un juge. Des ingénieurs, très capables et très au courant des affaires du chemin de fer, m’ont assuré cette semaine même qu’il pouvait produire beaucoup plus.

En résumé, que l’on économise de ce côté des frais d’exploitation, que l’on tire du sucre ce qu’il peut rapporter en cessant de vendre aux Allemands du sucre raffiné au prix du sucre brut, que l’on sache subir les inconvénients d’un mode quelconque d’imposer un peu largement le tabac, que l’on ajoute quelque chose aux droits sur le café et l’on aura peu à réclamer de la contribution foncière et de la bière, rien peut-être quant aux impôts sur les armoiries, je crois qu’ils détruiraient l’industrie des quelques ouvriers qui trouvent là leur gagne pain. Autrement je ne demanderais pas mieux que de les voter et de les payer moi-même. En toute hypothèse, le revenu recueilli de ce chef ne constituerait jamais qu’une bien faible ressource et ne dispenserait nullement de recourir à d’autres recettes plus efficaces, c’est-à-dire, celles qui s’appliquent en grand.

Dans une séance de la chambre des députés, M. Dupin disait, l’an dernier : « Quel est le moyen de se tenir dans de justes limites, et de ne pas arriver à une augmentation indéfinie de l’impôt. Ce n’est pas, comme on le voulait au commencement de 1830, ce n’est pas d’épiloguer, de lésiner sur de petites sommes. Qu’est-ce qu’on a réduit à cette époque des misères ! Puis, après avoir passé trois ou quatre ans à déshonorer tous les services publics, à en tendre quelques-uns impossibles, à faire des économies insignifiantes, tout à coup on a pris un autre essor ; chacun s’est mis à pousser à la dépense, du moment que l’on a entrevu l’espoir de voir arriver ; l’un son canal, l’autre son chemin de fer. Qu’est-il arrivé ensuite ? on a imaginé les compagnies avec actions aux porteurs, les compagnies avec des actionnaires invisibles, des compagnies qui admettent des hommes publics aussi bien que des hommes privés. On a ainsi crée une nouvelle classe de personnes dans ce pays intéressé à pousser encore à la dépense, parce qu’elles y trouvaient leur avantage sous le voile de l’anonyme. Sans doute il y a des dépenses utiles qui coûtent beaucoup et qui finissent par produire, cependant qui ne finissent par produire qu’après avoir beaucoup coûté ; mais quand on dit « qui veut la fin veut les moyens, » les moyens c’est de l’argent ; là et la question financière. Un homme d’Etat profondément instruit sur cette question, M. le marquis d’Audiffret, pair de France, termine ainsi son ouvrage intitulé Vrai système financier de la France : « L’administration des finances est, de toutes les parties du service public, celle qui touche le plus immédiatement aux divers intérêts de la société ; elle produit le bien-être et le malaise des peuples ; elle affermit on ébranle les trônes par une influence plus prompte et plus sensible encore que celle qu’exercent les combinaisons de la politique, et quand le désordre s’infiltre dans la fortune de l’Etat. Une révolution menace la société. » Que les électeurs propriétaires, industriels, commerçants, quelle que soit enfin la base de leur existence, veuillent bien se souvenir que la propriété, l’industrie, le commerce, ne s’enrichiront jamais que d’une manière transitoire aux dépens de la fortune sociale. Celle-là sauve toutes les autres, qui peuvent se relever après quelques souffrances ; mais la souche malade, les branches de l’arbre languissent misérablement sans espoir ; et pour mon compte, je ne reculerai jamais devant la nécessité de tailler les rameaux en faveur de la racine qui les porte et les nourrit.

Sur un tel objet, il ne doit y avoir nulle dissidence dérivant des opinions morales ou politiques qui divisent les esprits. Tous doivent comprendre que le salut commun exige des sacrifices au trésor de l’Etat, et que les refuser, c’est en définitif se résoudre à perdre beaucoup plus tard pour éviter quelques charges aujourd’hui.

Je ferai remarquer en passant que le vote des voies et moyens n’est point un acte de concours parlementaire à l’égard des ministres. Ce concours consiste dans l’admission, par les chambres, des budgets de dépenses ; car même en supposant un changement de ministère désiré par la majorité, il serait toujours nécessaire que l’administration qu’elle préférerait fût nantie des moyens propres à remplir sa tâche sans détriment pour les finances du pays.

M. de Garcia. - Je ne puis partager l’opinion de l’honorable M. de Mérode, ni de M. d’Hoffschmidt, sur ce qui concerne les forêts. La vente des forêts n’en est pas le défrichement ; ce n’est que livrer à la propriété particulière la propriété nationale.

L’honorable M. de Mérode n’a pas répondu un mot sur le point à examiner. Le gouvernement possède un état de la valeur des forêts ; cette valeur est de 30 millions, et elles ne rapportent pas à l’Etat trois cent mille francs, dès lors moins d’un pour cent. Cette évaluation a été fournie par le gouvernement sous le ministère de M. Mercier. L’honorable M. d’Hoffschmidt a dit que les propriétés de cette nature, dans le Luxembourg, rapportent aux particuliers 3 p. c. ; je félicite la province du Luxembourg si elle obtient ces revenus sur les propriétés forestières, et cette déclaration pourra servir aux opérations cadastrales qui se font dans cette province. Mais le fait est que, dans la province de Namur, les propriétés forestières ne rapportent pas 1 1/2 p. c. J’en appelle à tous ceux qui ont des forêts dans cette province ; ils savent qu’elles ne rapportent pas un et demi pour cent, J’en appelle à cet égard à l’honorable M. Coghen qui a les connaissances les plus exactes à cet égard.

On nous a cité comme modèle l’exemple de la France. Mais a-t-on oublié que la France a un système complet à l’égard des forêts et que ce système n’existe plus en Belgique depuis la cession des forêts au syndicat ? En Belgique, à la différence de la France, ces forêts ne sont plus soumises à aucun régime spécial. Cette espèce de propriété est libre ; on a laissé à l’industrie particulière l’exploitation de cette source de richesse ; et je crois qu’on a bien fait. Ne traversons pas les mers pour aller chercher des forêts à défricher et employer les bras de l’exécubération de notre population. Nous n’avons pas besoin d’aller défricher des forêts au Guatemala, tandis que nous avons des forêts qui ne sont pas habitées, des forêts qui produisent très peu et qui peuvent être livrées à l’industrie particulière (erratum Moniteur belge n°337, du 3 décembre 1842 :) par la vente des forêts.

On a parlé du droit de servitude de toute espèce existant sur ce genre de propriété. Mais ce n’est pas une difficulté. Ceux qui ont ces droits peuvent (comme cela a été expliqué dans la loi interprétative du décret en matière de cantonnement) demander le cantonnement contre le gouvernement, comme ils pourraient le faire contre les acquéreurs. Dés lors, il est évident que par la vente vous ne changeriez pas la position existant aujourd’hui entre ces particuliers et le gouvernement. Dans cet état, j’insiste sur la vente des forêts, et je reviendrai sur ce point, s’il y a lieu.

- La séance est levée à 4 heures et demie.