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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 14 avril 1842

(Moniteur belge n°105, du 15 avril 1842)

(Présidence de M. Fallon.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse procède à l'appel nominal à midi et quart.

M. Scheyven lit le procès-verbal de la séance précédente, dont la rédaction est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.

« Le sieur Jules Dugniolle demande la place de greffier. »

« Même demande du sieur de Bruyn, avocat. »

- Dépôt au bureau des renseignements et renvoi au bureau de la chambre.


« Plusieurs pharmaciens de la province de Liége demandent l'abrogation de la loi qui autorise les médecins du plat-pays à vendre des médicaments. »

« Les demoiselles Jean-Marie et Marie-Barbe Bax, béguines à Malines, demandent l'intervention de la chambre pour obtenir le paiement d’une somme de 109 fr., montant d'une rente viagère à charge du trésor, qui est due à chacune d'elle pour l’exercice 1830. »

« La demoiselle M. T. Couvreur, béguine à Louvain, demande l’intervention de la chambre pour obtenir le paiement d'une somme de 363 fr., montant d'une rente viagère à charge du trésor qui lui est due pour l'exercice de 1830. »

« Des habitants de Chapelle-St-Laurent réclament contre la vente, par l'administration communale, des biens appartenant à cette commune, et demandent que si ces biens doivent être vendus ils le soient publiquement, à l'enchère. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


Message de M. le ministre des affaires étrangères accompagnant l'envoi de la convention de navigation conclue entre la Belgique et le Hanovre et des conventions conclues avec le royaume de Saxe, le duché d'Anhalt-Bernbourg, et le royaume de Hanovre, dans le but d'assurer aux sujets belges et aux sujets de ces divers pays la faculté réciproque de succéder et d'acquérir aux mêmes titres que les nationaux.

- Dépôt au bureau des renseignements.

Composition des bureaux de section

Première section :

Président : Demonceau

Vice-président : Zoude

Secrétaire : Henot

Rapporteur des pétitions : Zoude


Deuxième section :

Président : de Foere

Vice-président : Sigart

Secrétaire : Desmet

Rapporteur des pétitions : Van Hoobrouck


Troisième section :

Président : Dubus (aîné)

Vice-président : de Behr

Secrétaire : Van Cutsem

Rapporteur des pétitions : Huveners


Quatrième section :

Président : Vanderbelen

Vice-président : Delfosse

Secrétaire : Malou

Rapporteur des pétitions : de Roo


Cinquième section :

Président : Duvivier

Vice-président : de Garcia

Secrétaire : Fleussu

Rapporteur des pétitions : de Florisone


Sixième section :

Président : Raikem

Vice-président : Lys

Secrétaire : d’Hoffschmidt

Rapporteur des pétitions : Hye-Hoys


M. le président. - Dans la séance d'hier, M. le ministre des finances a appelé l'attention des sections sur le projet de loi relatif aux sucres. J'invite les présidents des sections, MM. Demonceau de Foere, Dubus (aîné), Vanderbelen, Duvivier et Raikem, à convoquer les sections pour qu'elles s'occupent de ce projet de loi.

Projet de loi interprétant le décret du 17 nivôse ab XIII relatif au canyonnement

Discussion de l'article unique

M. le président. - Le projet de loi présenté par la section centrale est ainsi conçu :

« En cas de cantonnement du chef des droits de pâturage, le décret du 17 nivôse an XIII, n'est pas applicable lorsqu'il existe un titre, ou, à défaut de titre, un usage reconnu antérieur audit décret. »

Ce projet de loi diffère de celui présenté par le gouvernement, par la suppression des mots ou parcours après le mot pâturage et par l'addition des mots à défaut de titre. M. le ministre de la justice déclare se rallier à ces modifications. En conséquence, la discussion est ouverte sur ce projet de loi.

M. de Garcia. - La loi d'interprétation qui nous est soumise présente une question simple mais non sans quelques difficultés, puisque deux cours d'appel et la cour de cassation se sont divisées d'opinion à son égard.

Un exposé clair et raccourci des faits et des principes qui se rattachent à cette question nous mettra à même, j'espère, de la résoudre avec justice et équité.

Retraçons d'abord ce que c'est que le cantonnement, terme qui ne porte point ou qui porte très peu l'idée de sa signification.

Le cantonnement consiste dans le droit de sortir de l'indivision quant à un immeuble qui appartient aux uns pour le bois, aux autres pour les herbes ; en d'autres termes, c'est le droit de faire convertir un usage, une servitude de pâturage, en un droit de pleine propriété de parties de l'immeuble soumis à cette servitude.

Inutile de vous entretenir du procès qui donne lieu à la loi actuelle, il ne s'agit que d'une question de principe qui doit se décider abstraction faite des parties intéressées.

Qu'il me soit permis seulement, pour bien faire comprendre la question à décider, de vous présenter un exemple. La chose est d'autant plus utile que la matière est inconnue dans plusieurs localités de la Belgique.

Je suppose cent hectares de bois appartenant à Paul et sur lesquels les habitants de la commune B. ont une servitude de pâturage. Le titre de la servitude de ces derniers, leur donne le droit d'aller pâturer dans ces bois à l'âge de 5 ans avec leurs chevaux, et à l'âge de 7 ans, avec leurs bêtes à cornes.

En présence de ces droits positifs des usagers, survint le décret du 17 nivôse an XIII, qui restreignit l'exercice de cette servitude, en déclarant qu'elle ne pourrait s'exercer qu'après que le bois aura été déclaré défensable par l'administration forestière, c'est-à-dire, à l'âge de 10, 11, 12, 13 et 14 ans, suivant le bon plaisir de l'administration.

Le point en litige, celui qui a divisé les cours d'appel et de cassation, celui que vous avez à décider, est de savoir sur quelle base doit être faite l'évaluation de la servitude pour fixer l'étendue du cantonnement, c'est-à-dire, la partie de la forêt qui sera donnée en pleine propriété aux usagers pour l'équivalent de leur servitude. Sera-ce d'après le titre constitutif de l'usage, ou bien d'après le décret du 17 nivôse an XIII qui en a restreint l'exercice ?

Les cours d'appel de Liége et de Bruxelles ont pensé que ce droit ne devait être évalué qu'en prenant pour base l'exercice restreint du pâturage.

La cour de cassation a pensé, au contraire, que l'étendue de ce droit devrait être fixée d'après le titre constitutif.

Ces faits reconnus, abordons l'examen des principes qui doivent nous diriger dans la solution de cette question et commençons par lire l'art. 1er du décret de l'an XIII où se trouve le siège de la difficulté.

Voici ce que porte l'art. 1er du décret de l'an XIII (7 janvier 1805). « Les droits de pâturage ou parcours dans les bois et forêts appartenant soit à l'Etat ou aux établissements publics, soit aux particuliers, ne peuvent être exercés par les communes ou particuliers qui en jouissent en vertu de leurs titres, ou des statuts et usages locaux, que dans les parties de bois déclarées défensables, conformément aux articles 1 et 3 du titre 19 de l'ordonnance de 1669, et sous la prohibition portée en l'art. 13 du même titre. »

Il faut d'abord bien se fixer sur la portée de ce décret en examinant son esprit et les expressions dans lesquelles il est conçu.

Pour apprécier avec exactitude la portée du décret de l'an XIII, il n'est pas inutile de constater quel système régissait à cette époque les propriétés forestières en France.

Le principe politique de ce système était la conservation des bois, et date surtout de l'ordonnance de 1669, ouvrage de l'illustre Colbert.

Ce système a été perpétué dans presque toutes les lois qui ont suivi la révolution de 89, et frappait la propriété forestière d'une espèce d'interdit.

Sous son empire, et à l'époque du décret de l'an XIII, les propriétaires de bois ne pouvaient procéder au défrichement ni à l'aménagement de leur forêt, sans le concours et l'autorisation du gouvernement.

Le but des principes politiques qui réglaient cette matière, ainsi que nous l'enseigne Jousse, commentateur de l'ordonnance de 1669, était la conservation des bois et la nécessité de conserver, dans l'intérêt général de la nation, une production qui était réclamée généralement par ses besoins, en un mot c'était une mesure d'un intérêt général à laquelle on sacrifiait l'intérêt particulier. Mais il serait absurde de vouloir induire de ce système que le législateur français ait voulu toucher au fond du droit des propriétés et, dans l’espèce spéciale, au fond du droit de la servitude, qui accordait les herbes aux usagers.

Il serait injuste, irrationnel, dans l'absence d'un texte formel de loi, de supposer gratuitement que le législateur ait voulu la destruction ou la diminution du droit dont jouissaient les communes et les particuliers, dans les bois et les forêts, au-delà de ce qui était réclamé par l'intérêt général.

Poser ces questions, c'est les résoudre, et, selon nous, d'après l'esprit des lois de l'époque, il est impossible de ne pas reconnaître que le décret du 17 nivôse an XIII ne visait qu'à la conservation des bois, ne touchait nullement au fond du droit de l'usage, et ne constituait qu'une mesure d'ordre public et d'intérêt général.

Cette interprétation ne résulte pas seulement de l'esprit des lois de l'époque, mais elle résulte aussi de la lettre et des expressions dont le législateur s'est servi dans l'art. 1er du décret précité. « Le droit de pâturage, porte ce décret, ou parcours... ne peuvent être exercés... » Les mots exercés sont remarquables et prouvent à l'évidence que, dans ce décret, il ne s'agit que de l'exercice du droit et nullement du fond de ce droit, exercice qu'en France le gouvernement a toujours cru pouvoir modifier, dans des vues de haute politique.

Nous défions que dans le même décret on puisse trouver un seul mot de nature à faire supposer que le gouvernement d'alors entendait spolier en tout ou en partie les communes et les particuliers du fond du droit de leur servitude.

Or, nous le demandons, peut-on par induction ou par argumentation consacrer un système injuste, une spoliation inique et contraire à toutes les doctrines généralement admises. Quant à nous, après un examen approfondi de la question, nous avons été étonnés qu'une opinion contraire à celle que nous émettons, et qui a été consacrée par la cour de cassation, ait pu se faire jour et trouver des organes sérieux.

En vain soutiendrait-on, comme l'a fait la cour de Bruxelles, que le décret du 17 nivôse an XIII, a enlevé aux usagers toute l'étendue que comportait le titre constitutif de la servitude. Le considérant constitue une véritable pétition de principe. Il pose comme vrai ce qui était à démontrer, et, loin que ce considérant soit justifié, il doit rester constant, d'après ce que nous avons dit plus haut, que dans l'esprit de la législation dont il s'agit d'appliquer les dispositions, comme d'après les termes de ses dispositions, le législateur n'a voulu ni entendu toucher en aucune manière au fond du droit de la servitude, mais uniquement à son exercice et exclusivement en vue de la conservation des forêts.

Mais, dit-on, en touchant à l'exercice du droit, l'on a par cela même touché au fond du droit, le fond du droit consistant tout entier dans cet exercice.

Cette objection, présentée dans toute sa force, n'est ni juste ni exacte et il est facile de le démontrer.

D'abord constatons des faits et des principes : tout le monde sait, et les principes les plus élémentaires de droit le disent, que nulle spoliation de bien ou de propriété ne peuvent jamais se présumer. Tout le monde sait également que les règles de la justice de tous les temps repoussent toute spoliation sans indemnité préalable et que, hors des cas extraordinaires et de cataclysme politique, si je puis m'exprimer ainsi, de semblables mesures ne peuvent jamais être consacrées ni présumées consacrées par les lois.

Il nous sera facile de démontrer, pensons-nous, que le législateur de l'an XIII n'est pas sorti de cette ligne des véritables principes, et que tout en restreignant l'exercice de la servitude appartenant aux communes et aux particuliers dans les bois et forêts, il ne portait aucune atteinte au fond du droit de ces usagers.

Rappelons quel était l'état de la législation à l'égard des usagers et des propriétaires des bois soumis à la servitude de pâturage à l'époque du 17 nivôse an XIII.

Par une loi du 28 août 1792, le droit de demander le cantonnement, qui jusque-là n'avait appartenu qu'aux propriétaires des bois et des forêts, fut accordé aux communes et aux particuliers qui jouissaient de l'usage de pâturage. En sorte qu'après cette époque (28 août l792), et avant le décret du 17 nivôse an XIII, les communes et les particuliers avaient non seulement le droit d'exercer leur servitude, mais ils avaient encore un autre droit, celui de convertir cette servitude en un droit de pleine propriété d'une partie du bois ou de la forêt soumis à cette servitude, et ce conformément à leur titre.

Je prends la confiance d'attirer toute l'attention de la chambre sur cette circonstance, qui est de la plus grande importance pour la solution de la question. Il en résulte qu'à l'époque du décret du 17 nivôse an XIII, les communes et particuliers avaient un double droit, celui d'exercer leur servitude de pâturage, celui de réaliser le fond de ce droit, en demandant qu'il leur soit accordé en pleine propriété une partie de la forêt soumise au pâturage, et ce conformément à la valeur de leur servitude d'après leur titre.

En présence de cet état de choses et en admettant l'interprétation que nous avons donnée plus haut, interprétation dictée par les principes de droit et d'équité, il reste évident que le décret précité ne portait aucun préjudice aux parties intéressées.

En effet, de deux choses l'une, ou bien l'exercice de la servitude de pâturage restreint par le décret du 17 nivôse an XIII ne pouvait convenir aux ayants droit, et alors ils pouvaient recourir au cantonnement, ou bien cet exercice restreint était plus à leur convenance que le cantonnement, et alors ils ne le demandaient pas ; mais évidemment de la restriction de l'exercice de leur servitude, on ne peut rien inférer contre le fond du droit résultant de leur titre, contre le droit que leur accordaient les lois de l'époque, de demander la conversion de la servitude de pâturage en un droit de pleine propriété d'une partie de l'immeuble soumis à l'usage.

Nous l'avons déjà dit plus haut, il est absurde et injuste de supposer que la loi ait consacré gratuitement la spoliation. Nous en trouvons une preuve dans un monument de la législation sur cette matière, monument apporté par le savant rapporteur de la loi actuelle. C'est l'édit du 3 avril 1719, et l'ordonnance de 1669 elle-même. Contenait une disposition analogue à celle de l'édit précité en ce que, lorsqu'elle abrogeait des droits acquis aux usagers elle leur faisait remise des valeurs qu'ils avaient pu fournir pour obtenir leur servitude. L'édit du 3 avril 1719 modifia aussi le droit de pâturage dans les forêts, en disant que ce pâturage n'aurait lieu qu'après l'âge y déterminé, nonobstant quelque titre, privilège, convention ou concordat, tel qu'il puisse être, au contraire, attendu que si, pour obtenir quelques usages ou servitudes contraires audit règlement, il avait été donné ou promis quelques argents, rentes ou corvées, etc., l'argent reçu devra être restitué à ceux qui l'auront donné, et au résidu, que le paiement de telle rente ou corvée, etc, devra cesser à l'avenir.

Pourquoi cette différence entre le législateur moderne français et l'ancien législateur français liégeois ? Elle s'explique tout naturellement et il est facile de démontrer que cette différence n'est qu'apparente et que le législateur moderne n'a pas été moins juste que le législateur ancien.

Avant la révolution de 90, le droit de cantonnement n'était pas connu au pays de Liége, et je pense même qu'il n'était pas connu dam les autres provinces de la Belgique.

En France, il paraît qu'il était connu au commencement du 18e siècle, mais ce droit ne pouvait s'exercer que par le propriétaire de l'héritage soumis à la servitude de pâturage.

Ce cantonnement était fixé par acte du roi qui réunissait toute la souveraineté et qui était le tuteur né des communes.

Le cantonnement devint une attribution du pouvoir judiciaire par la loi du 27 septembre 1790.

Par une loi du 28 août 1792, le droit de demander le cantonnement, qui jusque-là n'avait appartenu qu'aux propriétaires des bois et des forêts, fut accordé aux communes et aux particuliers qui avaient le droit de servitude.

Voilà l'ordre de choses existant avant le décret du 17 nivôse an XIII (7 janvier 1805).

Dans cet état, le législateur français, lorsqu'il ne touchait qu'à l'exercice de la servitude, avait-il, comme le législateur ancien, besoin de prononcer une indemnité à l'occasion d'une restriction et d'une diminution dans cet exercice ? Evidemment non, et si, comme nous le soutenons, il n'a pu et n'a voulu toucher au fond du droit, les communes et les particuliers ont pu, suivant leur intérêt et leurs convenances demander ou ne pas demander le cantonnement.

Terminons par une dernière observation sur ce point.

Au fond, qu'elle était la portée du droit de servitude du pâturage dans les forêts dont s'agit au moment du décret impérial de l'an XIII.

D'après le texte formel du titre qui constitue ce droit et d'après les lois existantes alors, notamment d'après la loi de 1792 sur le cantonnement, il est incontestable que les habitants de Mettet avaient le droit de faire pâturer leur bétail dans le bois de l'ancien prince de Liége après la 5e feuille pour les chevaux, et après la 7e feuille pour les bêtes à cornes.

Il est également incontestable qu'à la même époque ils avaient le droit de faire convertir la servitude de pâturage en un droit de pleine propriété d'une partie de forêts soumises à la servitude de pâturage ; et ce d'après la valeur qu'avaient les herbes dans lesdits bois, après l'âge de 5 ans et de 7 ans.

Il est également incontestable que, dans cet état, les habitants de Mettet pouvaient, en vertu de leur titre et des lois existantes, exiger deux choses bien distinctes, d'abord l'exercice de leur servitude de pâturage, ou bien la conversion du droit de pâturage en un droit de pleine propriété sur une partie de la forêt soumise à la servitude.

Or, je le demande, messieurs, à tout homme de bonne foi, à tout homme qui a réfléchi un peu sérieusement à la question qui nous occupe, est-il possible de concevoir que par le décret impérial de l'an XIII, on eût voulu toucher à autre chose, si ce n'est à l'exercice du droit, et ce dans des vues d'intérêt général et pour la conservation des forêts, et nullement dans la pensée de toucher en rien au fond du droit des habitants des communes et des particuliers ayant un usage de pâturage ?

Avoir posé nettement la question, c'est, selon nous, avoir résolu à l'évidence et en faveur des usagers la question qui nous occupe. On ne pourrait consacrer un système opposé, qu'en admettant, contrairement à la lettre et à l'esprit du décret impérial de l'an XIII et aux lois politiques de cette époque, que le gouvernement a voulu spolier gratuitement et sans intérêt public les communes et les particuliers d'un droit acquis. Une interprétation semblable répugne autant aux principes les plus sains de la justice qu'à ceux de l’équité.

Qu'il me soit permis d'ajouter une dernière observation qui milite encore victorieusement en faveur du système que nous défendons.

La constatation de la défensabilité des bois est un fait, un acte de pure et de simple administration. Il n'est soumis à aucun recours ni devant les tribunaux ni devant ce que nous connaissions autrefois sous le titre de juridiction administrative. Cet acte ne constitue aucun fait et n'a d'autre base que la volonté ou le caprice de l'administration forestière. Il est flottant et incertain comme la volonté du fonctionnaire appelé à le constater.

Dans cet état, nous le demandons, quelle base certaine pourraient avoir les experts appelés par les tribunaux à faire l'évaluation de la valeur des herbes qui constitue le fond du droit appartenant aux usagers ?

Cette base serait vague et n’aurait presque aucune assiette, et sera, il faut le dire, inapplicable dans la pratique.

D'après ces considérations, nous pensons qu'il est impossible de ne pas admettre que le droit des usagers dans les cantonnements doit être déterminé d'après le titre constitutif de leur droit de servitude, y eût-il même, ce que nous contestons, quelques doutes dans le texte des lois dont nous avons à faire l'application, l'équité commande impérieusement d'adopter l'opinion consacrée par la cour de cassation.

M. Orts. - Pour se fixer sur le véritable sens de l'art. 1er du décret du 17 nivôse an XIII, que vous êtes appelés à interpréter, il convient de bien déterminer d'abord en quoi consiste le cantonnement, et ensuite, quelle est l'origine, la nature du droit de pâturage exercé par les habitants d'une commune dans les bois des particuliers, et quelles sont enfin les modifications que les lois ont successivement apportées à l'exercice de ce droit de pâturage, pour la conservation des forêts, et par conséquent dans un intérêt d'ordre public, celui de la société tout entière.

Le cantonnement consiste dans la distraction d’une portion de la forêt soumise au pâturage, laquelle position est cédée par le propriétaire aux usagers, pour leur tenir lieu de l'exercice du droit qu'ils avaient de faire pâturer leurs bestiaux sur toute l'étendue de la forêt.

Ainsi pour le propriétaire, le cantonnement n'est autre chose que le rachat d'une servitude qui grevait toute sa propriété, au moyen d'une cession d'une partie de cette propriété à ceux qui n'étaient qu'usagers de la totalité.

Pour l’usager, le cantonnement n'est et ne peut être que l'équivalent de la jouissance qui lui compète sur pied des lois qui ont réglé le mode et l’étendue de cette jouissance.

Les droits d'usage dans les forêts, tels que le pâturage, le panage, le parcours, le chauffage et autres, n'étaient anciennement régis que par des coutumes ou chartes particulières. Ils prenaient leur origine dans des concessions que les seigneurs propriétaires des forêts faisaient à leurs manants, tantôt à titre gratuit pour les attirer dans leur domaine seigneurial, tantôt à titre rémunératoire pour les indemniser des secours que leur fournissaient ces vassaux, soit en hommes de guerre, soit en impôts, enfin quelquefois à titre onéreux, en ce sens qu'en reconnaissance de ces concessions d'usages dans les forêts, les vassaux se soumettaient à l'acquittement de certains droits ou redevances seigneuriales ; droits supprimés sans indemnité par les décrets de la première assemblée législative de France.

Les titres constitutifs de ces usages remontent, pour la plupart, à des époques où une grande partie de la France ainsi que plusieurs de nos provinces méridionales étaient couvertes de forêts, de là la cause que l'exercice de ces droits n'avait pas été primitivement restreint dans des limites qui pussent suffisamment garantir la conservation des bois.

En France, cet état de choses n'échappa point à la sollicitude du gouvernement. L'ordonnance de 1669 parut ; le titre 19 eut pour objet de régler l'exercice des droits de pâturage et de panage, dans les forêts de l'Etat.

L'art. 1 du titre 19 porte : « Permettons aux communautés, habitants, particuliers, usagers, dénommés en l'état arrêté en notre conseil, d'exercer leurs droits de panage et de pâturage pour les porcs et bêtes aumailles, dans toutes nos forêts, bois et buissons, aux lieux qui auront été déclarés défensables par les grands maîtres faisant leurs visites, ou sur les avis des officiers de maîtrises. »

Ainsi, à partir de cette ordonnance, les droits de pâturage que des communes, ou de simples particuliers exerçaient dans les forêts de l'Etat ont été restreints aux parties de ces forêts, qui étaient déclarées défensables, c'est-à-dire à celles où la croissance du bois avait atteint l'âge nécessaire, pour que les bestiaux pussent y paître sans y causer du dommage. L'époque de défensabilité était fixée par la grande maîtrise forestière.

Une autre disposition de cette ordonnance allait même plus loin, L’art. 13 du même titre défendit à l'avenir aux habitants des paroisses usagères et à toutes personnes ayant-droit de panage, dans les forêts et bois de l'Etat, ou dans ceux des ecclésiastiques, communautés et particuliers, d'y mener ou envoyer bêtes à laine, chèvres, brebis et moutons !...

Vous voyez donc que, quelle que fût l'étendue des droits des usagers, au pâturage dans les forêts de l'Etat, antérieurement à l'ordonnance de 1669, ces droits ont été modifiés et restreints par cette loi, à l'époque fixée pour la défensabilité du bois.

Ainsi, lors même que, soit par leur titre, soit par une possession immémoriale équivalente à un titre, ces usagers auraient pu faire paître leurs bestiaux dans des forêts, où la feuille n'avait atteint que la 4e ou 5e année il n'ont plus joui de ce droit, qu'à la 7e, 8e ou 9e feuillée, là ou le bois n'était déclaré défensable que lorsqu'il avait atteint cet âge.

Quant au droit du panage, dans les forêts non seulement de l'Etat, mais même dans celles appartenant à des communautés ou à des particuliers, l'ordonnance l'abolit entièrement et sans indemnité pour ce qui concerne les bêtes à laine, chèvres, brebis et moutons.

Ces mesures dictées dans un intérêt social, la conservation des forêts ont pu exercer leur empire sur des titres antérieurs à l'émanation de la loi, et cela par une raison bien simple, c'est que devant une disposition législative d'ordre public, toute convention particulière perd sa force obligatoire ; l'intérêt privé cède dans ce cas devant un intérêt plus puissant, celui de la société tout entière.

La disposition de l'ordonnance de 1669, qui pour les forêts de l'Etat modifiait le titre primitif des usagers, quant au droit de pâturage, en restreignant l'exercice de ce droit au bois déclaré défensable, a été appliquée, ou pour mieux dire, rendue commune aux forêts appartenant à des particuliers par le décret impérial du nivôse an XIII, soumis en ce moment à votre interprétation.

Voici son texte :

« Art. 1er. Les droits de pâturage ou parcours dans les bois et forêts appartenant soit à l’Etat ou aux établissements publics soit aux particuliers, ne peuvent être exercés par les communes ou particuliers qui en jouissent en vertu de leurs titres ou des statuts et usages locaux, que dans les parties de bois qui auront été déclarées défensables, conformément aux articles 1 et 3 du titre 19 de l'ordonnance de 1669 et sous les prohibitions portées en l'art. 13 du même titre. »

A partir de la publication de ce décret, toute jouissance du droit de pâturage, quelqu'illimité qu'elle fût d'après le titre constitutif, a été réduite dans nos départements réunis alors à la France, à l'âge fixé par l'administration forestière pour la défensabilité des bois.

Il est donc évident et l'arrêt même de la cour de cassation du 6 août 1839 le reconnaît, que le décret du 17 nivôse an XIII a modifié le titre constitutif du droit de pâturage au moins sous ce rapport, qu'il a restreint la jouissance telle que l'accordait le titre en la fixant sur pied de la déclaration de défensabilité du bois.

Mais en affectant ainsi l'exercice du droit de pâturage le droit a-t-il également affecté l'exercice du droit de cantonnement ?

La cour de cassation a donné à cette question une solution négative, le système contraire a été embrassé par les cours d'appel de Liége et de Bruxelles.

Pour fixer mon opinion entre ces deux systèmes, je me suis posé cette question : le cantonnement, en d'autres termes, l'attribution en pleine propriété d'une portion de la forêt à ceux qui exerçaient une servitude sur la totalité, est-il l'équivalent de la jouissance restreinte aux termes des règlements sur la défensabilité, ou bien est-il l'équivalent de la jouissance telle que l'accordent les titres primitifs des usagers ?

La première de ces hypothèses me paraît la seule rationnelle, la seule conforme au droit et à l'équité.

En effet la jouissance d'un droit n'est autre chose que le fond même du droit, car tout droit s'évalue nécessairement par les avantages qu'il procure ; ainsi tout ce qui affecte, modifie ou réduit ces avantages, atteint dans la même proportion le fond du droit.

Si la loi ne se borne pas à modifier la jouissance, si elle l'anéantit pour le tout, dans un intérêt d'ordre public, que restera-t-il de ce que l'on est convenu de désigner sous la dénomination du fond du droit ? Evidemment rien. C'est ainsi que lorsque l'ordonnance de 1669 a, par son art. 13, titre 19, enlevé aux usages fondés en titre, toute jouissance quelconque de pâturage des bêtes à laine, chèvres, brebis, et moutons, elle a nécessairement éteint le fond du droit, quant à cette espèce de pâturage.

Nous le demandons, si quelque usager rentrant dans cette catégorie, venait, son titre à la main, nous dire, la loi a, il est vrai, réduit à zéro la jouissance, que j'avais de faire paître mes bêtes à laine dans telle forêt, elle a, je dois le reconnaître, annihilé l’exercice de mon droit ; mais, comme l'exercice du droit n'est pas le fond du droit, je demande le cantonnement évalué d'après mon titre ! La réponse serait bien simple : votre jouissance ou l'exercice de votre droit n'est autre chose, que ce qu'il vous plaît d'appeler le fond du droit ; cet exercice vous est enlevé, vous le reconnaissez vous-même, donc le fond de votre droit n'existe plus, donc il ne peut plus y avoir lieu de vous assigner en pleine propriété une partie de ce tout, sur lequel vous aviez un droit de jouissance aujourd’hui irrévocablement enlevée.

Quelle différence entre cette hypothèse et celle d'une jouissance seulement réduite à la défensabilité du bois : La voici ? dans le premier cas l'exercice du droit comme le fond du droit n'existera plus ; dans le second, l'exercice du droit comme le fond du droit n'existe plus que pour partie, et dès lors le cantonnement, qui n'est que la représentation de cet exercice, qui n'est que l'équivalent de la jouissance, doit subir dans son évaluation la même réduction que la jouissance a subie par la force des lois et règlements sur la défensabilité des forêts.

C'est cependant par une distinction entre l'exercice d'un droit et le fond de ce droit, que la cour de cassation est arrivée à cette conclusion que le décret du 17 nivôse an XIIII, tout en réduisant la jouissance des usagers, malgré la teneur de leurs titres, n'a eu, sous le rapport du cantonnement, aucune influence sur le fond du droit écrit dans ces titres.

Mais encore une fois le cantonnement est-il autre chose, que la permutation de la jouissance du pâturage réduit par le décret aux bois déclarés défensables, en une propriété égale à la valeur de cette jouissance ? Donc si le décret a atteint l'exercice du droit de pâturage, il a modifié nécessairement dans la même proportion l'exercice du droit de cantonnement. Interpréter autrement cet acte ayant force de loi, c'est méconnaître la règle des corrélatifs, c'est récuser l'inévitable conséquence des prémisses que l'on est forcé d'admettre.

Une fois établi que l'exercice d'une servitude de pâturage se lie si intimement au fond du droit, qu'il ne peut être apporté à cet exercice ou jouissance du droit de modifications ou de restrictions sans que celles-ci n'affectent dans la même proportion le fond du droit, il sera vrai de dire que le décret du 17 nivôse an XIII a pu et dû rétroagir sur le titre constitutif, quant au fond, comme l'on convient qu'il a rétroagi quant à la jouissance.

Cela doit être ainsi par la force des choses ; peu de mots suffiront pour le démontrer.

Qu'est-ce, en effet, que l'exercice d'un droit ? C'est évidemment le droit qui se réalise en fait, car un droit dont la loi interdit à toujours l'usage ou l'exercice, devient une lettre morte ; le droit est la cause abstraite qui autorise le fait ; or, si le fait est défendu par la loi, il ne peut plus exister de cause qui le produise.

Si cela est exact dans l'hypothèse où la loi anéantit compétemment l'exercice du droit, il ne peut en être autrement lorsque la loi se borne à anéantir partiellement, c'est-à-dire lorsqu'elle réduit on restreint cet exercice. Ce qui est vrai pour le tout, doit l'être pour partie, l'argumentation repose dans les deux cas sur la même base.

Concluons donc que le décret a substitué au titre primitif de l'usager, tant sous le rapport de la jouissance que sous celui du fond du droit, un autre titre, celui écrit dans la loi même, et si l'on objectait que le décret, tout en réglant l'exercice du droit de pâturage est muet sur le cantonnement, nous répondrions avec le savant magistrat qui a porté la parole devant la cour de cassation, qu'il ne s'agit pas plus de cantonnement dans les titres constitutifs des usagers, que dans le décret du 17 nivôse ; dans ces titres comme dans le décret, il n'est question que du mode d'exercer le droit de pâturage ; ce mode constitue l'avantage à recueillir par l'usager de son droit de servitude, en d'autres termes, la valeur légale de ce droit. Or, c'est de cette valeur légale, et non pas de la valeur estimée sur pied du titre primitif que l'usage doit être indemnisé par le cantonnement, car nous ne pouvons assez le répéter, il ne peut exiger en pleine propriété, que l'équivalent de l'avantage que lui procure son droit de pâturage, tel qu'il est réglé par la loi.

Que si vous envisagez le cantonnement comme un mode de partage entre le propriétaire de la forêt et l'usager, vous arrivez nécessairement à la même conclusion. En effet, quel avantage retirait l'un et l'autre de leur droit respectif pendant l'indivision ?

La jouissance de l’usage à partir de la publication du décret du 17 nivôse an XIII, a été limitée aux parties de bois déclarées défensables ; jamais son titre primitif ne revivra puisqu'une loi d'ordre public dont le caractère est d'être perpétuelle, l’a anéanti, or, si là se bornait tout son droit de jouissance pendant l’indivision, comment concevoir, qu'il puisse par l’attribution d'une partie de la propriété pour sortir de cette indivision obtenir un avantage supérieur à celui auquel il était réunit par la loi. N'est-ce pas méconnaître le principe fondamental en matière de partage, l'égalité entre copartageants, que d'attribuer à l'un des droits plus étendus après l'acte qui fait cesser l'indivision, qu'il n'en avait avant cet acte : C'est cependant à cette inconséquence que mène la distinction entre la jouissance du droit et le fond du droit.

En terminant, qu'il me soit permis de vous présenter une considération puisée dans l'équité.

Les restrictions apportées par le décret du 17 nivôse an XIII au titre constitutif des usagers, outre qu'elles étaient impérieusement commandées par l'intérêt public, la conservation des forêts, ne sont au demeurant qu'une juste compensation du préjudice causé aux propriétaires des bois, par suite de l'accroissement des charges résultant pour eux :

1° De la faculté illimitée, qu'ont aujourd'hui tous les citoyens d'aller s'établir dans les communes usagères, tandis qu'à l'époque où les titres constitutifs des droits d'usage ont été concédés, il fallait l'autorisation du seigneur pour pouvoir fixer son domicile dans la commune. C'était donc le seigneur propriétaire des forêts, qui réglait le nombre des usagers et par conséquent l'étendue du droit d'usage ;

2° De la suppression à toujours et sans indemnité des droits féodaux, et seigneuriaux, auxquels les usagers étaient soumis envers les seigneurs propriétaires des forêts ;

3° De ce que le droit de demander le cantonnement, qui, aux termes de la loi du 27 septembre 1790 (art. 8), n'était accordé qu'au propriétaire, a été étendu aux usagers par l'art. 3 de la loi du 28 août 1792, de manière qu'un simple droit de servitude a été placé par le législateur de cette époque sur la même ligne que le droit de propriété, contrairement au principe qu'il n'y a que celui qui est copropriétaire d'un fonds qui puisse être admis à en demander le partage.

M. Dubus (aîné). - Je ne me propose que de dire quelques mots sur la question qui vous est soumise. Je ferai porter mes observations sur ce qui me paraît être le nœud de la difficulté. Il s'agit de déterminer quelle a été l'influence du décret de nivôse an XIII (1805) sur le droit de pâturage qui appartient à des communes dans des bois et forêts.

On vient de soutenir que l'exercice d'un droit se confond avec le droit en lui-même, et que le résultat de ce décret a été d'enlever aux communes une partie de leur droit, de modifier le titre lui-même en vertu duquel elles l'exerçaient ; de manière que ce droit serait trouvé en partie anéanti par la seule publication de ce décret. Je dois déclarer que cela me semble une erreur que je considère le droit en lui-même, le droit radical de la commune comme n’ayant souffert aucune atteinte. Je considère le décret comme ayant apporté un obstacle momentané à l’exercice de ce droit, lequel est demeuré dans toute sa force, dans toute sa vigueur primitive.

Ce droit, pour nous occuper de l'espèce qui a été soumise aux cours d'appel et à la cour de cassation, a été déterminé par une transaction. Il résulte de ce titre que la commune de Mellet peut exercer ses droits de pâturage dans les forêts du prince-évêque de Liége, pour les chevaux après la 5ème feuille, et pour les bêtes à cornes après la 7ème feuille. J'en conclus que l'herbe que produisent ces terrains boisés appartient à la commune, pour les chevaux dès la 6ème année, et pour les bêtes à cornes dès la 8ème année. C'est un droit que le propriétaire ne peut en aucune manière lui contester.

Cette herbe appartient à la commune ; elle n'appartient en aucune façon au propriétaire, Où trouvera-t-on une loi qui ait exproprié les communes et qui ait attribué aux propriétaires le droit dont les communes auraient été dépouillées ? L'honorable préopinant lui-même qualifie le décret de 1805 de mesure prise dans un intérêt général, dans l'intérêt de la conservation des bois. Ainsi cette mesure n'a pas été prise pour dépouiller des communes, mais uniquement pour empêcher que l'exercice du droit de la commune portât dommage aux taillis appartenant aux propriétaires. Du moment que le propriétaire à ses taillis saufs, il n'y a nul obstacle à l'exercice du droit de la commune. Voilà le véritable esprit du décret. Il n'a donc pas eu la portée d'enlever de plein droit la propriété de la commune pour augmenter celle du propriétaire du sol. On n'aurait pu le faire dans un but d'utilité publique qu'en indemnisant la commune ; car c'est un principe constitutionnel dans toute législation, qu'on ne peut enlever à quelqu'un sa propriété, par un pareil motif, sans l'indemniser. Le décret ne fait qu'apporter un obstacle à l'exercice du droit de la commune, aussi longtemps que cet exercice peut être dommageable au taillis qui est le droit du propriétaire.

Si vous voulez vous convaincre que tels sont véritablement le sens et la portée du décret, faites une simple supposition. De la même manière qu'il a été introduit en l'an XIII une disposition réglementaire telle que celle du décret du 17 nivôse, il pourrait certainement être porté une disposition nouvelle. Ainsi, une disposition nouvelle pourrait décider que dorénavant les chevaux des habitants des communes usagères pourront être introduits dans les forêts sujettes au droit d'usage de ces communes au bout de 5 ans. Supposez une disposition nouvelle semblable, et demandez-vous si la commune de Mellet, en vertu de la transaction même de 1758, pourra de plein droit faire entrer les chevaux dans les forêts après 5 ans.

Tout le monde répondra : Evidemment oui. Mais s'il en est ainsi, c'est donc la preuve que le décret de l'an XIII n'a pas porté atteinte au droit de la commune, qu'il n'a pas anéanti ce droit, qu'il l'a laissé subsister, qu'il n'a porté qu'un obstacle momentané à son exercice.

S'il était vrai en effet, comme on vient de le dire, que le fond même du droit de la commune a été anéanti en partie par la seule force du décret de nivôse an XIII, il ne revivrait pas par la seule circonstance que le décret viendrait lui-même a été rapporté ; le droit une fois anéanti, demeurerait anéanti.

Si vous devez admettre cependant que le décret rapporté, le droit entier de la commune s'exercerait sans contestation, soit que le décret n'y porte qu'un obstacle momentané, et cela non pour enrichir les propriétaires aux dépens de la commune, mais uniquement pour empêcher que l'exercice du droit de la commune ne pût être dommageable au propriétaire qui doit trouver son taillis intact.

Mais si le fond du droit de la commune subsiste malgré le décret, dès lors, messieurs, ne faut- il pas prendre ce droit en considération lorsqu'il s'agit de le convertir, c'est-à-dire de l'échanger contre une portion de la propriété ? A mon avis, oui ; puisque le motif du décret disparaît dans ce cas. Sans cela vous consacrez cette injustice que le propriétaire va être enrichi aux dépens de la commune. Car vous ferez la part de la commune plus petite qu'elle ne doit être d'après son titre, et vous ferez la part du propriétaire d'autant plus grande.

Dans l'état actuel des choses, la commune me paraît toujours propriétaire de cette herbe, de ce produit après la 6e et la 8e année. Mais l'exercice de son droit se trouve paralysé ; elle est obligée de laisser perdre ce produit. Mais elle n’en a pas moins un véritable droit, un droit toujours subsistant à ce produit qu'il lui est impossible d'atteindre sans nuire à un autre produit. Et du moment où vous convertissez ce droit de jouissance en un droit de propriété, en une quotité de la propriété, il faut bien que vous déterminiez cette quotité d'après l'étendue de ce droit, dont le plein exercice, dans le cas de cette conversion, n'offre plus l'inconvénient qui a motivé le décret ; il faut que vous déterminiez une quotité telle que le propriétaire ne soit pas enrichi aux dépens de la commune. Car, je le répète, il est évident pour moi que le décret de l’an XIII n'a pas voulu enrichir le propriétaire aux dépens de la commune.

Ainsi, messieurs, le cantonnement, dans mon opinion, n'a pas pour objet de tenir lieu de l'exercice actuel du droit de la commune ; mais c'est un échange de tous les droits de la commune contre une portion de la propriété. Il faut donc tenir compte non pas simplement de cet exercice d'un droit qui est entravé pendant quelques années, mais il faut tenir compte du droit tout entier pour faire à la commune la part qui lui appartient.

On a dit que le décret de l'an XIII avait substitué un nouveau titre au titre de 1758. Les observations que je viens de faire tendent à démontrer qu'il n'en est rien, que les titres de 1758 subsistent toujours. Et cela est si vrai, je le répète, que si une disposition nouvelle venait à être portée dans un sens contraire au décret du 13 nivôse an XIII, le titre de 1758 s'exercerait de plein droit, sans qu'il fallût un titre nouveau.

J'ai aussi été touché dans l'occurrence actuelle de la considération d'équité qu'on a fait valoir en faveur du projet. Il ne faut pas admettre que l'on puisse s'enrichir aux dépens d'autrui. Or, le résultat de l'interprétation des cours d'appel serait d'enrichir les uns aux dépens des autres, et tout cela en vertu d'un décret, sans aucune transaction entre les parties, sans aucun prix stipulé, sans aucune indemnité.

Mais, dit-on, il y a eu des raisons, il y a eu des motifs pour enrichir ainsi le propriétaire aux dépens des communes usagères, et on a récapitulé ces motifs. Mais il faudrait tâcher de trouver quelque chose dans le décret de nivôse an XIII, qui nous fît voir que le but du législateur a été de prendre en considération des motifs semblables, et d'enrichir réellement le propriétaire aux dépens des communes. Or vous ne trouvez pas dans le décret de l'an XIII un seul mot qui ait cette portée.

Et d'ailleurs, messieurs, quelles sont ces considérations qu'on a fait valoir ? Ce sont des motifs qui me paraissent tout à fait arbitraires.

D'une part, on allègue qu'il y a aujourd'hui une faculté illimitée d'aller s'établir dans les communes usagères, faculté qui n'existait pas autrefois. Si c'était là le motif du législateur, il aurait au moins fait une exception pour les communes où il y avait déjà, avant le décret de l'an XIII, une population telle, que les chevaux et bestiaux de ces communes suffisaient pour consommer toute l'herbe que produisaient les bois.

On vous dit, en second lieu, qu'il y a eu des droits seigneuriaux qui ont été supprimés sans indemnité, et on suppose que le décret de nivôse an XIII a voulu établir une indemnité pour ces droits supprimés sans indemnité. Mais, encore une fois, vous ne trouvez pas un mot de cela dans le décret. D'ailleurs, s'il en était ainsi, il aurait fait une exception pour les communes où il n'existait plus de droits seigneuriaux, pour les communes où ils avaient été rachetés dans le temps où ils pouvaient l'être.

Pour troisième considération, on a fait valoir celle-ci : que la commune n’a qu'un droit de servitude et qu'on lui a accordé la faculté de convertir ce droit en droit de propriété, c'est-à-dire de demander le cantonnement. Mais si encore une fois c'étaient là les motifs du législateur, ce serait lorsqu'il a accordé cette faveur qu'il aurait déterminé l'indemnité. Je dis cette faveur, si faveur il y a, car les communes, en demandant la conversion de ce que vous appelez un droit de servitude, en une portion de la propriété, ne demandent qu'un équivalent.

Or, dès que vous admettez que ce n'est qu'un équivalent, je ne sais comment vous stipuleriez une indemnité ou compensation ; cet équivalent ne serait plus un équivalent.

Vous voyez donc que ces considérations mises en avant pour arriver à établir qu'il y avait des raisons d'équité qui ont pu déterminer le législateur de nivôse an XIII, à enrichir les propriétaires aux dépens de la commune, viennent de s'évanouir. Il reste que réellement, d'après l'interprétation admise par les cours d'appel, le propriétaire de bois se trouverait enrichi aux dépens des communes usagères. Or c'est là un résultat que je ne puis admettre.

Je voterai donc pour le projet tel qu'il a été présenté par M. le ministre actuel, avec les modifications que la section centrale a proposées et auxquelles s'est rallié M. le ministre.

M. Lys**.** - Messieurs, c'est encore d'une loi interprétative que nous avons à nous occuper ; c'est le vœu du législateur que nous devons rechercher, sans examiner si le décret du 17 nivôse an XIII était un acte de bonne justice ; si, pour être tel, il n'aurait pas dû stipuler des indemnités en faveur de ceux dont il limitait la jouissance.

Le projet de loi détermine les effets du décret susdit sur les droits de pâturage dans les bois et forêts. Quant aux cantonnements, M. Leclercq, lorsqu'il était ministre de la justice, vous les avait présentés dans un sens que la majorité de votre section centrale a adopté ; aujourd’hui, M. le ministre actuel vous les présente dans un sens contraire, dans celui de la minorité de la section centrale. D'abord, c'était le système des cours d'appel que le gouvernement voulait faire prévaloir ; aujourd'hui, c'est le système de la cour de cassation, Les cours d'appel de Liége et de Bruxelles, en confirmant un jugement du tribunal de Namur, ont décidé que le cantonnement doit être réglé d'après la jouissance, ainsi qu'elle est établie par le décret du 17 nivôse an XIII, et non sur les droits déterminés dans le titre constitutif de la servitude.

La cour de cassation a décidé, au contraire, qu'il ne fallait pas consulter le degré de jouissance, à partir dudit décret du 17 nivôse an XIII, mais qu'on devait recourir au titre constitutif pour déterminer la valeur de la servitude, quelle que soit la modification que ledit, décret lui ait fait subir.

Les motifs pour l'une et l'autre opinion sont amplement développés dans le jugement du tribunal de Namur, du 21 mars 1834, dans l'arrêt de la cour de Bruxelles, du 4 mai 1836, dans les conclusions de M. le procureur-général devant la cour de cassation, et dans l'arrêt de cette dernière cour, chambres réunies, du 6 août 1839.

M. le rapporteur de la section centrale ayant partagé l'opinion de la minorité, je crois de mon devoir de faire valoir devant vous, messieurs, l'opinion de la majorité dont je faisais partie ; il me suffira d analyser les arrêts et conclusions dont je viens de parler. Je répondrai ensuite à quelques arguments qui résultent du dernier arrêt et du rapport de l'honorable M. Raikem.

Comme il vous l'a dit, messieurs, le cantonnement n'a été pratiqué en France qu'an commencement du 18e siècle, l'action en cantonnement n'appartient d'abord qu'au propriétaire, ce n'est que par la loi du 28 août 1792, qu'elle a été accordée aux usagers.

Avant la publication de cette loi, le cantonnement qui consiste à convertir un droit d'usage, en un droit partiel de propriété, n'était pas connu dans le pays de Liége.

Et il reste dès lors constant, messieurs, que les titres constitutifs de servitude de pâturage, ne contiennent rien quant à la valeur de la servitude, ils se bornent à en déterminer la nature, l'étendue et l'objet grevé.

Cependant, dans le pays de Liége, des édits du prince souverain ont aussi réduit l'usage de ce genre de servitude. L'un, du 15 décembre 1551, défendait à ceux qui avaient le droit de pâturage dans les forêts, d'y mettre leurs bestiaux, avant que les bois eussent l'âge de cinq ans accomplis, et pour les chèvres, on ne pouvait les y envoyer que sept ans après la taille.

Plus tard, les ordonnances reportèrent à sept années le terme pour faire paître les bêtes à cornes dans les bois et en exclurent absolument les chèvres et les bêtes à laine.

Mais ces princes législateurs, plus justes que celui de l'an XIII, avaient statué que si, pour obtenir quelques usages ou servitudes contraires au règlement qu'ils avaient fait, il avait été donné ou promis quelques argents, rentes ou corvées, l'argent reçu devrait être restitué à ceux qui l'auraient donné et au résidu le paiement de telle rente ou corvée devrait cesser à l'avenir.

Comme j'ai eu l'honneur de le dire, messieurs, nous ne sommes pas appelés à décider sur les principes qui ont dirigé le législateur de l'an XIII pour décréter ce qui est juste et utile, mais pour déterminer ce qu'il a voulu établir, quant aux servitudes de pâturage, par le décret du 17 nivôse pour constater législativement le sens des dispositions légales en vigueur sur cet objet.

Nous sommes parfaitement d'accord avec la minorité de la section centrale que si le cantonnement dont nous nous occupons avait été demandé après la publication de la loi du 28 août 1792, et avant la publication du décret du 17 nivôse, il aurait dû être réglé d'après les stipulations de la transaction du 15 décembre 1758, et la raison en est que les usagers jouissaient alors de la plénitude de leurs droits, d'après l’acte de transaction ; mais il n'en peut plus être ainsi depuis la publication de ce dernier décret. Pour vous en convaincre, je vais analyser les conclusions de M. le procureur-général devant la cour de cassation.

Le cantonnement est la conversion d'une servitude réelle d'usage en un droit de propriété, par l'abandon que le propriétaire du fonds servant, fait à l'usager de la pleine propriété d'une partie de ce fond, jusqu'à concurrence d'une valeur égale à la valeur de la servitude sur tout le fond.

Ainsi la première chose à faire est de rechercher d'abord qu'elle est en droit, puisqu'elle est en fait ; la valeur de la servitude qu'il s'agit de convertir en propriété. En effet, messieurs, c'est de la servitude, telle qu'il y a droit, que l'usager se trouve dépouillé par le cantonnement, et de rien d'autre, soit que lui-même ait demandé ce cantonnement soit qu'il l'ait été par le propriétaire.

Or, quelle est en droit la valeur d'une servitude réelle ? C'est l'utilité que celui a qui elle appartient a le droit d'en retirer, et cette utilité n'existe que par rapport à l'exercice de la servitude, puisqu'une servitude est distincte de la propriété du fonds servant, qu'elle n'a pas, comme ce fonds même, une valeur vénale qui lui soit propre, et qu'en conséquence, l'utilité qu'on a droit d'en retirer ne peut consister que dans l'usage qu'on a le droit d'exercer sur le fonds servant.

En appliquant ces considérations à une servitude de pâturage dans une forêt, service dont l'exercice ne peut continuellement avoir lieu dans toute la forêt, mais est subordonnée pour chacune de ses parties à des interruptions d'une certaine durée, nous trouvons que ces interruptions, suivant qu'elles sont plus ou moins longues, limitent de droit, plus ou moins aussi, l'étendue de la servitude, puisqu'elles limitent dans le même rapport celle du terrain sur lequel elle peut s'exercer en même temps. D'où il résulte que l'utilité qu'a le droit de retirer d'une servitude de cette espèce, celui à qui elle appartient, dépend à la fois du pâturage apprécié en lui-même et des limites que leur assigne la loi qui en est la règle en ce qui touche les diverses interruptions auxquelles l'exercice en est subordonné. Cette utilité est ainsi plus ou moins grande en droit, selon que les interruptions sont de droit, moins ou plus longues, ce qui par suite fait dépendre des mêmes limites, la valeur que présente en droit une telle servitude.

C'est donc cette valeur et cette valeur seule dont l'usager est dépouillé par le cantonnement. C'est donc aussi cette seule valeur, dont le propriétaire est tenu de lui fournir l'équivalent. Faisant application de ces principes, au cas actuel, nous disons :

Avant le décret du 17 nivôse an XIII, les titres constitutifs du droit de pâturage formaient la loi, qui était la règle de l'exercice de ce droit, en ce qui touche les diverses interruptions, auxquelles il était subordonné dans chaque partie de la forêt grevée ; c'étaient ces titres, qui fixaient les limites dans lesquelles son étendue était renfermée, dont dépendait l'utilité que l'usager avait droit d'en retirer et dont par cela même dépendait sa valeur de droit.

Mais par le décret du 17 nivôse an XIII, cette loi du contrat a été définitivement abolie, puisque le décret lui substitue, sans assigner à sa durée aucune borne, une autre règle légale, qui est devenue le droit du propriétaire et de l'usager, l'un à l'égard de l'autre, en donnant lieu, en cas d'infraction, non seulement à des poursuites correctionnelles, mais encore à une action en dommages et intérêts de la part du propriétaire ; par cette règle, les époques d'interruption de l'exercice de la servitude ont été changées ; les limites assignées auparavant par les titres constitutifs l'ont donc été aussi ; avec les nouvelles limites que la nouvelle loi lui assigne la servitude a donc pris une autre étendue, et par une conséquence nécessaire, l'utilité que l'usager avait le droit d'en retirer, en l'exerçant, a changé dans les mêmes proportions et avec elle sa valeur de droit.

La servitude n'a donc pas la même valeur. L'ancienne règle, qui lui en donnait une autre, a disparu : on ne peut plus l'invoquer pour l'exercice de la servitude ; une autre loi peut être portée, mais ce sera alors une règle nouvelle : l'ancienne ne pourra pas revivre. La servitude dont l'usager est privé par le cantonnement, n'est donc que la servitude qui lui appartient maintenant, c'est-à-dire avec les limites que lui assigne la loi, et c'est de cette valeur de droit que l'équivalent doit être donné en pleine propriété pour effectuer le cantonnement.

Cette conséquence ne peut être détruite pas plus que les considérations qui en sont la source ne peuvent être affaiblies par cette circonstance qu'il s'agit de cantonnement et non d'exercice de partage ; que le décret étant une disposition rigoureuse, doit être interprété rigoureusement aussi, et doit être strictement renfermé dans son objet, qui est l'exercice du partage ; dans son but, qui est la conservation des forêts, à laquelle est intéressée la société tout entière, et dans ses motifs, qui sont les abus résultant du pâturage exercé suivant toute autre règle.

Car nous ne devons pas perdre de vue qu'il ne s'agit pas plus de cantonnement, dans les titres constitutifs de la servitude de pâturage, que dans le décret, indépendamment du droit en lui même qui n'est pas contesté, il n'est question dans ce titre, comme dans le décret, que des règles à suivre pour l'exercice du pâturage, et c'est dans ces règles en tant qu'elles forment le droit de l'usager à l'égard du propriétaire du fond servant, que la servitude puise son utilité et sa valeur légale ; ainsi ces règles, et avec elles, ce droit étant changés, la servitude a pris une utilité différente, une valeur légale différente ; c'est de celle-là seulement, dont on dépouille l'usager par le cantonnement, et de laquelle seule par conséquent, il peut exiger l'équivalent.

Les dispositions du décret sont claires, il subordonne l'exercice de la servitude à d'autres règles qu'il substitue à celles dont les auteurs des titres constitutifs étaient convenus entre eux, règles qui ne laissent aucun doute ni sur leur signification, ni sur leur étendue.

Vous avez seulement à rechercher ce qu'est un cantonnement.

C'est bien la conversion d’une servitude réelle d'usage en une pleine propriété d'une valeur égale.

Pour connaître la valeur d'une pareille servitude, on doit consulter le plus ou le moins d'étendue du fond qui en est grevé, et le plus ou le moins d'étendue des règles auxquelles l'exercice de la servitude est soumis. Ces règles sont celles du décret du 17 nivôse an XIII, par lequel ont été abolis les principes antérieurs.

Et de là nous arrivons à reconnaître que, quels que soient l'objet, le but et les motifs du décret et des règles qu'il consacre, ces règles n'en déterminent pas moins les limites et l'étendue de la servitude à laquelle l'usager peut prétendre. L'utilité qu'il a droit d'en retirer, en l'exerçant, et partant la valeur légale dont il est dépouillé par le cantonnement et de laquelle seule, nous le répétons, l'équivalent doit lui être fourni.

Vous ne dépouillez l'usager d'autre chose que de la servitude telle qu'il a droit de l'exercer ; la servitude que l'on convertit en propriété pour l'usager est bien la servitude dont l'étendue et la valeur sont aujourd'hui déterminées par les règles qui en sont la loi, et qui se trouvent, non dans les titres constitutifs qui, sous ce rapport, n'ont plus de forces, mais dans le décret du 17 nivôse an XIII ; il est dès lors impossible d'exiger qu'on donne à l'usager autre chose que l'équivalent de ce qu'on lui prend.

Par le cantonnement on sort de l'indivision ; l'usager ne peut avoir qu'une part proportionnée à la valeur dont il jouissait pendant cette indivision.

C'est sur une pareille base qu'a été fixée celle relative au rachat du droit de vaine pâture.

Tout droit de vaine pâture, même dans les bois, fondé sur un titre, a été déclaré rachetable à dire d'experts, suivant l'avantage que pouvait en retirer celui qui avait ce droit.

Il reste donc établi que le titre constitutif, pas plus que le décret du 17 nivôse ne parlait de cantonnement, qu'aucune évaluation n'était donnée au droit de pâturage, que le titre comme le décret se bornait à en régler la jouissance. Que le titre ne contenait rien autre que la désignation du terrain sur lequel on exerçait la servitude, et le mode de cet exercice, qu'à cet exercice se borne aussi le contenu du décret mais le cantonnement, droit tout à fait nouveau, réservé et au propriétaire et à l'usager, qui n'existait pas à l'époque du titre constitutif de la servitude. A quoi doit-il servir ? A indemniser l'usager de la perte de la jouissance de son droit de pâturage. Peut-on lui accorder une indemnité pour une jouissance, dont il est privé pour toujours, par un acte législatif ? ou l’indemnité doit-elle être proportionnée à la jouissance actuelle, qui est la seule à laquelle il ait droit ; il me semble, messieurs, que la solution de ces questions n'est pas douteuse, et que l'affirmative sur la dernière est infaillible.

S'il en était autrement, le cantonnement ne pourrait pas être demandé par le propriétaire, car il n'y aurait plus égalité dans les droits pour le partage à opérer.

L'usager qui a perdu la jouissance résultant du titre primitif, qui au lieu de pouvoir pâturer, après 8, 10 ou 12 ans, serait censé pouvoir le faire au bout de 5 ou 7 ans, viendrait prendre une part beaucoup plus grande que celle qui lui appartient, en vertu de la jouissance à laquelle il a droit. Seul dès lors, il aurait intérêt au cantonnement, qui porterait préjudice au propriétaire, et il ne négligerait pas d'en faire la demande, tandis que le propriétaire serait forcé de rester dans l'indivision.

Le décret du 17 nivôse an XIII était nécessaire pour la conservation des bois et forêts ; l'intérêt général réclamait ses dispositions : il fallait réduire à une juste proportion des conventions faites dans un temps où la destruction des forêts dont le pays était couvert, était considérée comme un bien-être, tandis qu'aujourd'hui leur conservation est un besoin.

Force est de reconnaître que le cantonnement des droits de pâturage, consistant dans l'extinction de ce droit, ne doit consister que dans la cession aux usagers en pleine propriété, d'une valeur égale à celle qu'ont ces mêmes droits, qu'elle ne doit avoir d'autre valeur que celle qui résulte du pâturage considéré en lui-même et des limites que le décret apporte à leur exercice ; c'est le décret dès lors qui doit servir de règle pour déterminer la valeur en pleine propriété, que les usagers ont a recevoir, en échange du seul pâturage, à la jouissance duquel ils peuvent désormais prétendre, et qu'à moins de changer la loi en vigueur et de la remplacer par une nouvelle que l'on croirait plus en harmonie avec la justice, force est pour le législateur qui l'interprète, comme pour le juge qui l'applique, de constater cet état de choses.

Il reste donc certain que le titre primitif ayant été modifié par le décret du 17 nivôse an XIII, c'est ce décret qu'il faut consulter pour l'usage de la servitude. Le titre continue à exister, mais seulement pour établir, qu'il y a servitude de pâturage ; pour désigner le territoire qui en est grevé ; car il ne sert plus et ne peut plus servir, pour régler l'exercice de ce droit ; à cet égard, c'est le décret qui le remplace, il forme sous ce rapport le titre des usagers. Ce titre primitif, d'après l'état actuel, ne peut plus revivre : une nouvelle disposition législative peut remplacer le décret du 17 nivôse, qui est le seul titre que les usagers puissent désormais invoquer comme règle des époques de leur jouissance ; mais encore une fois, ce ne sera plus le titre primitif, qui pourra régler ces époques (la jouissance de la servitude) ; ce serait alors cette nouvelle disposition de la loi ; le titre primitif a disparu sous ce rapport, du jour où le décret a été mis en vigueur.

Il peut même arriver un jour, qu'une nouvelle essence de bois, une nouvelle espèce d'arbres, soit découverte, qui permette de les déclarer défensables, au bout de 3 à 4 ans ; dans ce cas, les usagers jouiront de leurs droits, non pas en conformité de ce titre primitif, qui retarderait cette jouissance, mais en vertu de la disposition du décret du 17 nivôse an XIII.

Nous ne comprenons point, messieurs, d'autre manière d'indemniser que d'accorder la valeur de la perte essuyée. Nous ne comprenons point d'autre mode de partage que celui d'accorder à chacun des copartageants une part proportionnée aux droits qu'il exerce sur les biens, ne voyant ici d'autre droit en faveur de l'usager que celui de pâturage.

Que perd-il par le cantonnement ? Le pâturage dans le bois. Il faut donc évaluer la jouissance, telle qu'elle existe, pour fixer la perte qu'il fait ou plutôt la part qu'il doit avoir dans la propriété. Il n'a plus la même jouissance que celle établie par le titre primitif, elle n'existe plus, la loi l'a révoqué d'une manière absolue, il n'a plus dés lors le droit de pâturager que le titre lui donnait, et dès lors il faut fixer l'indemnité, en prenant pour base son droit modifié par la loi.

La minorité de la section centrale s'appuie de l'autorité de M. Proudhon, et nous avons déjà répondu à la très grande partie de ses arguments. Il nous reste à repousser l'exemple par lui cité.

Une rente, dit-il, a été constituée à 5 p. c., mais elle se trouve ramenée à 4 par la loi qui permet au débiteur la retenue du 5e, et celui-ci veut rembourser son créancier ; lui suffirait-il de dire qu'il ne lui doit, pour opérer le rachat, que l'indemnité de 4 p. c. qui formaient toute sa jouissance ; le créancier ne le repousserait-il pas victorieusement en lui répondant qu'il ne s'agit pas ici du rachat de sa jouissance, mais bien de son droit rentuel ?

Nous répondons d'abord qu'il y a peu d'analogie entre le capitaliste et l'usager. Pour la rente dans l'exemple cité, le capital est connu, est stipulé par le titre. Dans l'acte constitutif de la servitude, la valeur du droit de l'usager reste inconnue. Dans l'un, la valeur au moyen de laquelle on peut se libérer, est établie par le titre. Dans l'autre, on ne s'en est nullement occupé.

D'ailleurs, quel a été le but du législateur en assujettissant le crédirentier à la réduction d'un cinquième de la rente ? Il l'a considéré comme participant à la propriété de l'immeuble grevé de cette rente, et il a voulu qu'il en supportât une partie des charges. Le propriétaire de l'immeuble grevé étant frappé de la contribution foncière, qu'on évaluait au cinquième du revenu, il a voulu que ce propriétaire pût faire la retenue du cinquième des rentes foncières et autres de même nature qui le grevaient, afin de l'indemniser du revenu dont il ne jouissait pas.

S'il n'en était pas ainsi, un propriétaire de plusieurs rentes foncières serait souvent privé de tout revenu par des remboursements et des remplois successifs. Mais le législateur n'a pu vouloir innover au capital de la rente ; car, en le remboursant, le propriétaire libère sa terre de la charge qui la grevait, et doit nécessairement supporter la totalité de la contribution foncière, comme il en resterait lui-même libéré, s'il aliénait l'immeuble.

S'il en était autrement, si le crédirentier devait supporter la perte du cinquième de son capital ; si pareille perte se renouvelait après remploi, il finirait par perdre successivement tout ce qui lui est dû.

Il n'y a nulle analogie entre la déduction du 5e d'une rente et les modifications que le décret du 17 nivôse a fait subir aux droits de pâturage dans les bois.

L'arrérage d'une rente doit être considéré, comme une partie du produit des biens du débiteur ; d'où il suit que la contribution foncière devant être payée avec les produits des biens, qui en sont affectés, et par ce motif, devant être supportée par ceux qui perçoivent ces produits, il est juste que le créancier d'une rente foncière paye sa part de cette contribution.

Telle est la cause de la déduction du 5e. Cette cause est clairement indiquée par les articles 98, 99, 100 et 101 de la loi du 3 frimaire an VII, qui autorisent pareille déduction. Elle a lieu pour faire supporter au créancier sa part de la contribution des biens, dont il est censé toucher en argent ou en nature une portion des produits. Il conserve donc son droit à la rente entière, à cette portion des produits du bien que l'arrérage en représente ; comme le propriétaire débiteur, qui paye sa part de la contribution, avec les produits qui lui restent, après s'être acquitté envers son créancier, et malgré la déduction qu'il subit aussi de ce chef, est propriétaire de l'intégralité de ces produits.

Rien de semblable ne peut se dire des modifications apportées par le décret du 17 nivôse, aux droits de pâturage dans les bois. Ces droits sont, il est vrai, une portion du produit des bois, de même que les rentes sont une portion des produits des biens du débiteur. Mais les modifications résultant du décret du 17 nivôse ne sont pas une partie des charges au produit des bois grevés du droit de pâturage, comme la retenue du cinquième d'une rente est une partie des charges en contribution, du produit des biens du débiteur, partie que le créancier doit supporter, par cela même qu’il perçoit une portion de ce produit ; on ne peut donc pas dire des modifications résultantes du décret du 17 nivôse, ce qu'on dit avec raison de la retenue du cinquième d'une rente ; cette retenue n'empêche pas que le créancier ne soit propriétaire de la rente entière, comme le débiteur qui paie la contribution foncière, avec le produit de son bien, est propriétaire de ce produit entier, et si toute contribution cessait, le créancier ne subirait aucune diminution de ses produits. Le décret du 17 nivôse, au contraire, en substituant d'autres époques à celles que les actes constitutifs des droits de pâturage dans les bois, avaient marquées pour l'exercice de ces droits, met sous ce rapport ces actes hors d'effet, déplace les limites du droit des parties, les déplace purement et simplement, sans condition, indéfiniment, et en conséquence l'altère, le change et forme désormais pour elles le seul titre qu'elles puissent invoquer en ce point, titre qui remplace à cet égard le titre primitif, lequel ne subsiste plus que comme constitutif du droit de pâturage, dans tel ou tel bois, pour telle ou telle espèce de bestiaux.

De l'absence d'analogie entre la déduction du 5e d'une rente et les modifications que le décret du 17 nivôse a fait subir aux droits de pâturage dans les bois, il résulte qu'il ne peut y en avoir non plus, entre l'extinction d'une rente par le remboursement, et l'extinction d'un droit de pâturage par le cantonnement, et qu'ainsi l'on ne peut argumenter des règles de l'un, pour déterminer les règles de l'autre ; la nature de la déduction considérée dans sa cause et dans ses effets, étant différente de celle des modifications apportées par le décret du 17 nivôse.

L'influence de l'une sur le remboursement ne peut être la même que l'influence de l'autre sur le cantonnement ; nous croyons même pouvoir ajouter que ce que nous avons dit pour montrer cette différence nous conduit à reconnaître que le contraire de ce qui arrive pour le remboursement doit arriver pour le cantonnement ; la déduction du cinquième de la rente laisse subsister le droit du créancier à la rente entière, et de là il suit que le remboursement doit lui faire retrouver un capital représentatif de toute la rente ; il doit en être autrement pour le cantonnement ; le décret du 17 nivôse ayant altéré le droit des usagers, formant, avec la partie de l'acte constitutif qu'il n'a pas abrogé, le titre dont dérivent les limites et l'étendue de ce droit.

Le cantonnement qui doit leur en procurer l'équivalent en pleine propriété doit être réglé suivant ce décret, suivant l'étendue qu'il a désormais assignée à leur droit, et dont il tire sa valeur.

C'est d'ailleurs un résultat dont, sous un autre rapport, on ne peut méconnaître l'évidence, pour peu que l'on se rende compte de la nature d'un remboursement de rente sujette à retenue, comparée avec la nature d'un cantonnement.

Le remboursement d'une rente sujette à retenue est en réalité un acte, par lequel le débiteur rachète une partie de ses propriétés équivalentes au capital de la rente, puisque la loi autorise la retenue sur cette rente, la considère comme chose représentative d'une portion des produits des biens du débirentier, qui à ce titre doit supporter une portion de la contribution foncière dont ces biens sont affectés ; ce débirentier acquiert donc par le remboursement la chose représentée, c'est-à-dire, la portion des biens auxquels répondait la rente, c'est donc lui qui, à l'avenir, doit supporter la contribution foncière inhérente à cette portion, et en conséquence, il ne peut pas plus la réduire du capital, prix de son rachat, qu'un acheteur ordinaire ne pourrait diminuer le prix de la vente, du montant capitalisé des contributions foncières, du bien acheté.

Ces considérations, qui s'expliquent pourquoi, malgré la déduction d'un 5e d'une rente, le capital entier doit en être payé au créancier, en cas de remboursement, démontrent aussi qu'il n'y a aucun argument à induire de ce qui se passe alors, pour régler ce qui doit se passer en cas de cantonnement.

Quand un cantonnement s'opère à la demande, soit du propriétaire, soit de l'usager, l’un ne rachète pas son droit de l'autre, car tout rachat suppose un prix et une renonciation, de la part du vendeur, à tout droit sur la chose vendue, deux conditions étrangères au cantonnement ; lorsqu'il s'opère, il se fait un échange entre le propriétaire et l'usager ; celui-ci abandonne au profit du propriétaire, qui le réunit à sa propriété, pour en disposer comme il le trouve convenable, son droit de pâturage sur une partie du fond qui en était grevé ; et en échange, en compensation de ce qui lui est abandonné, le propriétaire abandonne de son côté, au profit de l'usager, qui le réunit à son droit de pâturage, pour en disposer comme il le trouve convenable, son droit de propriété sur l'autre partie du fond qui était grevé du droit de pâturage ; or, quelle étendue de pâturage abandonne l'usager, en échange du droit de propriété, qu'il reçoit du propriétaire ? D'un autre côté, que reçoit celui-ci en compensation de l'abandon qu’il fait au profit de l'usager ? Evidemment rien d'autre que le droit de pâturage, tel qu'il existe depuis le décret du 17 nivôse et nullement le droit tel qu'il existait d'après le titre primitif, titre supprimé et remplacé en ce point par le décret, seul titre des parties sous ce rapport ; si donc on ne lui abandonne rien d'autre que le droit de pâturage, tel qu'il existe d'après le décret, il ne peut avoir à donner en échange et en compensation qu'une partie de la propriété du fond équivalente à ce droit ; il n'y a aucune similitude entre sa position et celle d’un débirentier qui rembourse une rente sujette à retenue.

Mais, nous dira-t-on encore, le titre existe, et il doit servir de règle. Oui, messieurs, il faut consulter le titre, lorsqu'il s'agit d'examiner si une servitude est due, si tel objet en est grevé. Il y a des usages où le titre devrait être consulté ; tel serait le droit de couper du bois, non seulement pour brûler, mais pour bâtir.

Mais le mot titre est un mot générique ; il y a titre, non seulement lorsqu'il existe par écrit, mais encore lorsqu'il résulte d'une possession pendant le temps requis pour la prescription ; le décret du 17 nivôse an XIII est aussi un titre, et c'est le seul que l'usager puisse aujourd'hui consulter, lorsqu'il s'agit de régler la jouissance de son droit de pâturage.

Ainsi, lorsque vous êtes renvoyé au titre pour régler vos droits actuellement, ce n'est plus seulement le titre constitutif qu'il faut consulter, ce sont tous les titres qui règlent l'objet en discussion.

Dans l'espèce, on consultera la transaction du 16 décembre 1758, si le droit de pâturage était contesté, si on soutenait qu'il s'étend à telle partie de la forêt et non à telle autre, mais s'il s'agit d'examiner quelle est la jouissance qui résulte de ce droit de pâturage, vous ne pourrez plus dire que vous pouvez exercer ce droit de pâture au bout de cinq ans par des chevaux, au bout de sept ans par des bêtes à cornes ; vous devrez reconnaître que cette jouissance a été modifiée par le décret du 17 nivôse an XIII, que vous ne pouvez dès lors exercer ce droit que quand le bois est déclaré défensable, et que les chèvres et les bêtes à laine en sont exclues. C'est le décret qui est actuellement le seul titre pour ce qui concerne l'usage de la servitude.

Quelle serait la base pour l'évaluation de votre droit de servitude, si vous vouliez en faire l'aliénation ? On ne dira pas, sans doute, que ce serait la jouissance antérieure au décret du 17 nivôse an XIII, mais bien celle résultant dudit décret. Vous n'en recevriez donc nullement le prix que vous en eussiez reçu, si l'exercice de la servitude eût pu avoir lieu après la cinquième feuille, mais bien la valeur qu'on peut lui attribuer aujourd'hui, que vous ne pouvez faire pâturer qu'à l'époque où les bois sont déclarés défensables.

Inutilement vient-on citer ici le code forestier français.

Tout en supposant que, par ce code, un nouveau code ait été établi pour le cantonnement, ce serait là une nouvelle disposition législative, ce ne serait plus une interprétation des effets de la loi existante, et c'est là seulement ce que nous sommes appelés à faire et non une nouvelle loi. Le code français est une loi nouvelle qui a pu modifier le décret de l'an XIII.

Mais ce code ne statue en fait de cantonnement que pour les usages en bois, et là comme ici c'est bien le titre constitutif qui sert de base.

Le droit de pâturage sous ce nouveau code ne peut plus être converti en cantonnement, il est rachetable moyennant indemnité.

Il est bien vrai que l'évaluation en argent des droits des usagers doit être faite d'après leurs titres.

Mais, je viens de vous le dire, messieurs, le mot titre est générique, le titre d'un usager, pour un droit de pâturage, est bien le titre qui établit la servitude pour régler l'objet sur lequel elle s'exerce ; mais quant à l'usage, le seul titre qui puisse servir de règle pour la jouissance de la servitude est le décret du 17 nivôse, puisse servir de règle pour la jouissance de la servitude. Tout autre titre, qui peut aussi être une possession pendant le temps requis pour la prescription ne peut plus avoir aucun effet, en ce qui concerne cette jouissance. .

S'il en était autrement, messieurs, si vous deviez remonter à un titre constitutif qui accorderait à l'usager une jouissance de la servitude après la 5e, 6e ou 7e feuille, il s'ensuivrait que vous prendriez pour base, servant à apprécier la valeur de la servitude, un fait qui, s'il l'avait exercé, aurait donné lieu contre l'usager à une poursuite correctionnelle et à des dommages et intérêts.

Vous devez remarquer, messieurs, que l'arrêt de la cour de cassation part, comme d'un principe, de la considération que le décret du 17 nivôse ne serait autre chose qu'une de ces lois ou règlement dont parle l'art. 544 C.C., et qui, de leur nature, ne portent aucune atteinte au droit, mais ne touchent qu'à son exercice et le laissent subsister tout entier.

La cour n'a pas fait attention que l'art. 544 n'est relatif qu'au droit de propriété, dont il détermine théoriquement la nature et l’étendue, tandis que, dans l'espèce, il s'agit d'un droit de servitude régi, sous ce rapport, par les titres du C.C. traitant des servitudes (art. 543 et 638) et qu'en conséquence cet article doit rester étranger à l'appréciation de la nature et des effets du décret du 17 nivôse.

Je ne pense pas d'ailleurs qu'on puisse dire d'une manière absolue que les lois et règlements dont parle l'art. 541 ne touchent jamais au fond du droit de propriété, quand on cesse de le considérer théoriquement et qu'il s'agit du droit de propriété sur tel ou tel bien, surtout s'il est question de la valeur du domaine de ce bien ; ainsi, en prenant pour exemple la loi qui défend de bâtir, sans l'autorisation du gouvernement, à une certaine distance des forteresses, et qui oblige les propriétaires, même en cas d'autorisation, à démolir leurs bâtiments si le forteresse est mise en état de siège, peut-on dire que le domaine des héritages situés dans le rayon qu'embrasse cette loi, n'en a reçu aucune atteinte et que s'il s'agissait d'exproprier, pour cause d'utilité publique, ou de vendre de gré à gré ces héritages, leur valeur n'en serait point diminuée ! bien certainement elle le serait.

Quoi qu'il en soit du reste à cet égard, l'art. 544 C. C, n'est pas applicable au décret du 17 nivôse ; ce décret n'est pas un règlement sur l'exercice du droit de propriété ; il concerne une espèce de servitude. Les lois sur les servitudes peuvent seules servir à en apprécier la nature et les effets ; or un droit de servitude réelle ou personnelle consiste dans la faculté de faire certains actes utiles sur la propriété d'autrui, et cela est tellement vrai que la convention qui l'établit détermine ces actes à la différence de ce qui se passe dans l'acquisition d'un droit de propriété, où jamais l'on ne s'avise de dire en quoi consiste le droit acquis.

Ces actes constituent ainsi le droit et en forment la valeur. Les restreindre ou les étendre, c'est donc restreindre ou étendre le droit lui-même, c'est en diminuer ou en augmenter la valeur ; d'où il suit qu'une disposition légale, qui interdit ou limite l'exercice d'un droit de ce genre, non pas conditionnellement, ou dans telle on telle circonstance donnée, qui ne serait qu'un obstacle matériel pouvant disparaître, mais absolument, purement et simplement, comme le fait le décret du 17 nivôse, pareille disposition interdit ou limite le droit.

Cette disposition légale n'affecte pas seulement le fait d'exercice, mais aussi le droit de poser ce fait, soit en tout, soit en partie, suivant qu'elle l'interdit ou en restreint les limites, elle affecte donc le droit lui-même, qui consiste dans la faculté de faire les actes constitutifs de son exercice ; elle change donc ce droit, et par ce motif, au titre primitif, qui a déterminé ces actes, elle en substitue ou en adjoint un nouveau, qui doit servir de règle, pour en fixer la valeur, en cas de cantonnement.

Ce n'est pas, du reste, la seule erreur qu'ait commise la cour de cassation : elle a invoqué, après être partie d'un faux principe, elle a invoqué, pour confirmer la conséquence qu'elle en tirait, l'art. 9 du décret du 20 septembre 1790, en voyant dans les mots fond du droit une preuve que c'était au titre primitif qu'il fallait recourir pour évaluer un droit d'usager, en cas de cantonnement ; mais elle a donné à ces mots un sens qu'ils ne pouvaient avoir ; le législateur, en effet, ne se proposait pas, en les employant, de décider la difficulté, puisqu’elle ne pouvait se présenter à cette époque. Le décret du 17 nivôse ni aucune disposition analogue n'existait. La cour, dans sa préoccupation, a laisse échapper une explication toute naturelle, qui résultait de l'objet même de la loi, toutes ses dispositions ont pour but de régler les effets des lois abolitives de la féodalité, c'est à cette fin qu'a été porté l'art. 9. Des usagers avaient été dépouillés par des seigneurs qui avaient fait eux-mêmes et arbitrairement le cantonnement des droits d'usage.

La loi réprime cet abus et, en conséquence, autorise la révision des cantonnements, lorsque le droit lui-même n'a pas été évalué d'un commun accord ou par les tribunaux. Ces mots : fond du droit n'ont donc d'autre sens que celui des mots : valeur du droit, tel qu'il appartient aux usagers, en vertu des dispositions soit conventionnelles, soit légales, qui forment leurs titres ; ils ne sont employés à d'autre fin qu’à celle de réprimer l'arbitraire qui avait régné jusqu'alors dans les cantonnements.

Cette dernière observation explique aussi la loi nouvelle portée en France sur le régime des bois ; cette loi, destinée à remplacer toutes les lois antérieures, a dû aussi veiller à empêcher l'arbitraire dans le cantonnement et dans les rachats des droits d'usage ; elle en a dû fixer les bases, et c'est dans ce but qu'elle a prescrit d'effectuer ces cantonnements et ces rachats, d'après les titres, voulant par là empêcher que, sous prétexte que la propriété devait toujours être considérée comme de beaucoup supérieure à l'usage, on ne donnât à l'usager en pleine propriété, une part beaucoup moindre que celle qui lui revenait, d'après la valeur que ses droits tiraient des titres, c'est-à-dire des dispositions soit légales, soit conventionnelles, qui en réglaient l'exercice, et partant l'étendue.

Je persiste donc à soutenir, messieurs, que le droit de cantonnement, qui n'existait point lors de la transaction et qui est un droit acquis postérieurement doit être réglé d'après les dispositions du décret du 17 nivôse, qu'ainsi les bases qui doivent servir au cantonnement ne peuvent être que l'appréciation de la valeur de l'usage, dont on jouit actuellement, fixé par ledit décret.

M. de Garcia. - Messieurs, il a déjà été répondu par l'honorable M. Dubus à la plupart des objections faites contre les principes que j'ai défendus. Je serai donc fort court. Il me restera très peu d'observations à vous faire ; j'aborderai aussi le nœud de la difficulté, le cœur de la question : doit-on confondre l'exercice de la servitude avec le fond du droit ? Là est toute la question.

Eh bien ! je prétends que le décret de l'an XIII n'a modifié que l'exercice, et nullement le fond du droit. Supposer gratuitement et sans aucun intérêt qu'il a touché au fond du droit, serait consacrer une spoliation évidemment injuste, et vous ne pouvez supposer que telle ait été l'intention du législateur.

Si quelquefois le législateur modifie l'exercice du droit de propriété, il ne le fait que dans des vues d'intérêt général. Dans le cas actuel, quelles étaient ces vues d'intérêt général ? Assurément ce n'était pas la conservation des herbes, mais la conservation des bois. Or le but du législateur était atteint du moment qu'il soumettait toutes les propriétés boisées à la défensabilité. Il conservait les bois.

Qu'on y prenne bien attention. On ne peut supposer que le législateur ait voulu toucher au fond du droit de la servitude, lorsque pas un mot n'existe à cet égard dans le décret de l'an XIII, où il n'est parlé que de l'exercice du droit.

J'ai déjà eu l'honneur de vous le dire : par la loi de 1792 les usagers et les communes avaient le droit, comme les propriétaires, de demander le cantonnement, c'est-à-dire qu'ils avaient le droit de prendre en propriété une partie de l'immeuble soumis à la servitude. Dès lors on ne lésait pas le droit de la commune par des restrictions à son exercice, car la commune pouvait dire : comme l'exercice est limité et que je souffre beaucoup, je demande le cantonnement. Et alors sans que propriétaires et usagers soient lésés, les lois étaient conservées et le but de l'intérêt public atteint.

En vérité, je ne sais comment il est possible de soutenir que le législateur a voulu spolier les manants, les usagers, les pauvres au profit de la propriété. C'est cependant ce système qui a été consacré par la jurisprudence des cours d'appel. Il est certain que par ce système vous enrichissez la haute propriété au détriment des pauvres, ce que je n'admettrai jamais.

Je ne répondrai pas à ce qui a été dit relativement aux droits seigneuriaux et aux compensations qu'on a voulu établir, pour l'abolition de ces droits.

L'honorable M. Dubus a répondu à ces objections.

Messieurs, je le répète, je ne trouve rien dans le décret de nivôse an XIII qui puisse me porter à croire que le législateur a voulu dépouiller la commune aux dépens du propriétaire pour argumenter d'un cas analogue. Direz-vous que le législateur français, en autorisant la retenue du cinquième dans les rentes foncières, a voulu spolier le propriétaire d'une partie du capital auquel son titre lui donnait droit ? Direz-vous que le législateur a par cela même anéanti une partie du capital de la rente ? Evidemment non. Si vous remboursez une rente foncière soumise à la retenue du cinquième, vous devrez la rembourser au taux convenu dans l'acte de constitution. Je passe à l'examen d'une autre objection à laquelle a déjà répondu l'honorable M. Dubus.

Je suppose, messieurs, qu'on rapporte le décret impérial, qui a été pris dans un but d'intérêt général, et on peut le rapporter chez nous, car la conservation des bois n'entre pour rien dans notre système politique, loin de là, c'est la destruction des bois et des forêts qui donne lieu au cantonnement ; direz-vous que la mesure d'intérêt général cessant, les titres constitutifs de la servitude ne resteraient pas debout ? l'affirmative ne peut être douteuse. Or cette mesure d'intérêt général n'est plus réclamée chez nous, et elle pourrait être supprimée, sans inconvénient, les acheteurs et les propriétaires de bois les font défricher, et lorsque ces bois sont frappés de servitudes, ils ne peuvent atteindre leur but qu'en demandant le cantonnement ; c'est alors qu’ils veulent réduire les usagers à une portion minime et insignifiante de leur droit ; pour cela ils invoquent les limites posées à l'exercice de la servitude, limites telles que l'exercice du droit pourrait être réduit à zéro.

En effet, autrefois les bois ne se coupaient qu’à 18 et 25 ans, parce qu'alors la plupart de ces produits servaient aux usines métallurgiques ; aujourd'hui, par suite de la nouvelle direction qu'a prise l'industrie, on coupe les bois beaucoup plus jeunes ; on sait qu'ils pourraient n'être déclarés défendables qu’au moment où ils seraient mis en coupe. Quel serait en ce cas le droit des usagers ? Comme nous venons de le dire, la servitude des usagers se réduirait à zéro.

Ou me dira peut-être qu'on pourrait aussi les couper à 5 ans, mais il est évident que cela est impossible, puisqu'à 5 ans les bois n'ont pas de valeur.

Sous le régime français il est arrivé souvent que les bois n'étaient déclarés défensables qu'à 14 ans, mais le législateur de 1792, ayant laissé aux usagers le droit de demander le cantonnement, il leur avait ouvert les portes pour se soustraire à un préjudice trop grave. A l'appui de mon opinion, qu'il me soit permis de vous citer ici un passage de la savante dissertation de M. Proud’hon, sur la question qui nous occupe. Voici ce que dit ce jurisconsulte :

« Ce n'est que depuis le décret du 17 nivôse an XIII, ou 7 janvier 1805, qu'on a voulu accorder à l’administration forestière le droit de déclarer défensables ou non les coupes dans les bois des particuliers ; ce n'est que depuis cette époque toute récente, que l'usage s'est introduit de ne les déclarer défensables communément qu'après dix ans, comme quand il s'agit des bois de l'Etat ; et ne serait-ce pas une chose bien bizarre que la condition d'une commune usagère qui, demandant son cantonnement le 15 janvier 1805, ne devrait obtenir que la moitié de la portion de forêt qu'elle aurait obtenue en formant sa demande un mois plus tôt.

« Le bon sens seul suffit pour repousser un système qui entraînerait des conséquences si étranges.

« Mais, dit-on, il n'est dû aux usagers qu'une indemnité de la jouissance dont l'exécution du cantonnement va les priver ; on ne doit donc faire entrer dans l'estimation que la valeur de l'herbe produite par les coupes qui ont dix ans d'âge et au-dessus, puisque ce sont la les seules portions de bois dans lesquelles il leur soit permis d'introduire leurs bestiaux.

« Ce raisonnement ne touche qu'à la superficie, sans pénétrer dans le fond de la question : ce n'est pas de la jouissance, mais du droit lui-même qu'il s'agit d'opérer le l'achat ; ce n'est pas d'une jouissance sans cesse variable, suivant les caprices ou le bon vouloir de l'autorité, mais d'un droit qui est toujours le même, qu'il s'agit de faire le rachat. Éclaircissons encore mieux cela par un exemple.

« Une rente a été constituée au 5 p. c., mais elle se trouve ramenée au quatre par la loi qui permet au débiteur la retenue du cinquième, et celui-ci veut rembourser son créancier ; lui suffirait-il de dire qu'il ne lui doit, pour opérer le rachat, que l'indemnité des 4 p. c. qui formaient toute sa jouissance ? Le créancier ne le repousserait-il pas victorieusement en lui répondant qu'il ne s'agit pas ici du rachat de sa jouissance, mais bien de son droit rentuel ; que si l'autorité qui régit la manière dont nous devons user de ce qui nous appartient, peut modifier et restreindre nos jouissances, elle ne peut pas également disposer de nos droits et les restreindre ; qu'en conséquence, il lui faut tout le capital de la rente, parce qu'il est représentatif d'un droit qui est toujours resté le même, nonobstant qu'il en ait joui plus ou moins pleinement ?

« Eh bien ! comment les usagers dont le droit est resté tel qu'il était, ne pourraient-ils pas de même en exiger le rachat par l'estimation de tous les éléments dont les parties voulurent le composer lors de sa constitution ?

« Admettons, pour un moment, que le propriétaire veuille faire la coupe de son bois tous les dix ans, tandis que l'administration forestière ne voudra le déclarer défensable qu'après la même période : alors que deviendra le droit des usagers ? Et ce tiraillement de circonstances ne démontre pas toute la sagesse de la disposition de nos lois, par laquelle on a rendue réciproque l'ancien en cantonnement ? »

L'honorable M. Orts a cité l'ordonnance de 1669, relative aux servitudes qui affectaient les forêts de la couronne, ordonnance qui abolissait complètement toutes les servitudes existant sur ces immeubles. Il argumente de cette ordonnance pour prétendre que par le décret de l'an XIII, l'on a voulu en agir de même. Cette argumentation m'étonne. Cette partie de l'ordonnance de 1669 est un monument du despotisme le plus absolu, et je défie qui que ce soit de justifier une mesure semblable.

En l'an XIII, on se trouvait dans d'autres circonstances qu'en 1669 ; en l'an XIII on était près d'une époque où l'on avait proclamé la maxime : guerre aux châteaux, paix aux chaumières. On ne peut donc pas supposer que le législateur de cette époque ait voulu spolier les manants, les particuliers, les communes.

M. Pirmez. - Je pense que pour être juste autant que possible, il faudrait prendre un terme moyen entre les deux opinions. Si le décret de l'an XIII a restreint le droit de l'usager, les lois de 1790 et de 1791 ont simplement restreint les droits du propriétaire en donnant à l’usager le droit de demander le cantonnement. Or, les lois qui donnent la faculté d'exiger le cantonnement sont postérieures au titre aussi bien que le décret qui modifie l'usage. La volonté des contractants est changée par les lois de 1790 et 1791, comme elle l'est par le décret de l'an XIII ; et s'il est vrai qu’au moment du contrat l'usager ne pouvait pas s'attendre à ce qu'un jour dans l'intérêt public, sa jouissance serait réduite, le propriétaire devait moins s'attendre encore à ce que dans ce même intérêt public il devrait céder une partie de sa propriété. On ne voit donc pas pourquoi la convention primitive réglerait plutôt le droit de l'un que celui de l'autre.

Vous pourriez donc traiter les parties selon que le partage leur est favorable. Ce serait, par exemple, de prendre en considération la jouissance actuelle quand la demande procède de l'usager, et le titre dans le cas inverse.

Je sais bien qu'on soutiendra qu'ici nous sommes des juges et non des législateurs. Pour moi, je n'ai jamais pu comprendre comment il était possible que nous revêtions la qualité de juges, que nous agissions en juges en discutant les principes du droit, comparant les textes des lois consignées dans tous les codes pour découvrir un sens sur lequel les plus savants magistrats n'ont pu tomber d'accord.

Ces fonctions de juges, sont si peu propres à une assemblée législative, elles sont si éloignées des études de la plupart d'entre nous, nous pouvons en les remplissant jeter parfois à notre insu une si grande perturbation dans les intérêts, qu'il ne me paraît pas possible que la loi qui nous en investit, ait le sens qu'on lui donne, et que je demanderai à entrer sur ce point dans quelques explications.

D'abord, je ferai remarquer qu'il me paraît qu'une amélioration sensible est apportée dans le projet de loi interprétative qui nous est présenté aujourd’hui. Premièrement, parce qu'il restreint la question au cas en litige. La commission écarte même le mot parcours, parce que dans le procès il ne s’agit pas de parcours, et puis l'amélioration consiste surtout dans la forme du projet en ce qu'il n'emploie plus la formule : L'article tantième de telle loi ou de tel code est interprété de la manière suivante, c'est-à-dire avec telle modification, telle addition ou tel retranchement dans son texte.

Cette formule est absolument inutile, elle ne peut être qu'une source d’inconvénients, il peut arriver que la disposition ancienne ne soit déclarée douteuse par les sentences contradictoires des tribunaux que pour un cas, et la loi nouvelle l'interprétant d'une manière absolue pour tous les actes quelconques, de manière à faire entendre clairement que la volonté du législateur est qu'elle soit appliquée à tous les faits antérieurs, n'est-il pas sensible qu'une interprétation aussi absolue peut entraîner les plus grands embarras et de graves injustices ?

Ne savons-nous pas tous qu'un article de loi ne s'interprète pas ordinairement seul, sans le mettre en rapport avec plusieurs autres dispositions, non seulement du même code, mais souvent même d'une loi plus ancienne ou plus récente. Si vous déclarez que vous modifiez le texte d'une disposition, ne courez-vous pas le risque de changer le sens d'un autre texte que le premier interprétait, et que vous n'êtes pas appelé à expliquer. C'est que la combinaison des faits soumis aux tribunaux est infinie : ils sont modifiés par une foule de circonstances qui obligent le juge à prendre pour sa décision les principes écrits dans plusieurs dispositions différentes, de les combiner ou de les modifier dans le sens le plus conforme aux règles du droit, pour en exprimer la volonté qu'eût manifestée le législateur lui-même, si le cas lui eût été soumis.

Cette volonté qu'il s'agit de découvrir ou de déclarer dans nos lois interprétatives, n'étant donc pas le plus ordinairement renfermée dans un seul texte, il n'est ni prudent ni sage de modifier les dispositions existantes ; il est infiniment plus convenable de ne pas étendre nos dispositions au-delà du cercle tracé par les arrêts contradictoires des tribunaux. Le législateur, lorsqu'il dispose pour l'avenir, ne saurait déjà être trop circonspect dans l'établissement des principes de la loi nouvelle ; mais sa circonspection et sa réserve doivent être bien plus grandes lorsque la volonté qu'il manifeste doit également régir le passé, parce que, dans ce dernier cas, ce ne sont plus seulement les inconvénients d'une loi plus ou moins mauvaise que l'on doit craindre, mais c'est l'injustice de la rétroactivité elle-même qu'il faut redouter, par la trop grande étendue des nouvelles dispositions qui enlèveraient des droits acquis sur la foi de la loi ancienne, que nous modifions, à notre insu, sur d'autres points que celui contesté.

Ne disons donc plus : Tel mot doit être inséré ou retranché à tel article du code ; posons le cas douteux, et décidons purement et simplement que la volonté de la loi est que le doute soit résolu dans tel sens, en prenant soin de restreindre le plus possible cette décision. Agissons, en un mot, comme si la loi tout entière était obscure, et non pas seulement une de ses dispositions. Les faits qui tombent sous l'application d'un même texte plus ou moins général, sont extrêmement nombreux.

L'esprit le plus subtil de jurisconsulte ne saurait pas se les imaginer si variés, ni avec des nuances aussi peu sensibles que celles que leur donnent les événements. Modifier la généralité d'un texte en vue d'un cas spécial, c'est donc compromettre d'autres dispositions ou tout au moins s'exposer à faire décider plusieurs autres questions autrement qu'elles ne l'eussent été par le législateur si elles eussent été soumises à son appréciation.

Il arrive fréquemment que des lois particulières doivent être combinées avec les règles tracées dans les lois générales pour résoudre une question. Dans ce cas, sera-ce le texte de la loi générale ou de la loi spéciale que vous déclarerez devoir être changé ? Les uns ne prétendront-ils pas que c'est plutôt celle-ci que celle-là à laquelle il faut toucher ? N'est-il pas préférable de n'apporter aucun changement à ces textes et de suivre la marche que vient d'adopter le gouvernement dans la présentation du projet soumis actuellement à votre examen ? Les circonstances l'ont en vérité en quelque sorte forcé à ne pas toucher pour cette fois au texte.

En vous rappelant ici les inconvénients que ce mode peut entraîner, mon but est de vous prémunir contre les dangers de l’employer dans la confection des lois interprétatives que nous serons, paraît-il, souvent appelés à voter. Prenons note du mode suivi en ce moment, pour nous rappeler à l'avenir qu'on peut fort bien porter une loi interprétative, sans déclarer formellement que c'est tel texte plutôt que tel autre qui est interprété ou modifié.

Ces observations, messieurs, qui au premier abord peuvent sembler ne toucher qu'une question de forme de peu d'importance, ont cependant une portée plus considérable. Comme il en résulte que c'est le corps des lois tout entier qui est déclaré douteux sur le point à juger, il s'en suit également que c'est l'ensemble de la législation qui est à cet égard soumis à l’interprétation, d'où l'on peut tirer la conséquence, que l'expression d'un texte quelconque, auquel les cours donnent un sens ou une portée différente, ne peut faire le moindre obstacle à ce que la loi interprétative contienne une disposition qui évidemment ne serait pas comprise dans ce texte, pourvu qu'elle ne soit pas contraire à la raison et à l'ensemble de la législation.

C'est ainsi, par exemple, que la loi soumise à la présente discussion, pourrait fort bien statuer que le cantonnement devra s'opérer conformément au titre de l'usager ou à sa jouissance actuelle, suivant que la demande, en serait faite par lui-même ou par le propriétaire.

Les lois sur le cantonnement ne contiennent pas à la vérité cette distinction, mais ce ne sont pas les règles tracées par ces lois seules que les tribunaux doivent appliquer dans cette occurrence, les décisions des cours qui ont motivé la présentation du présent projet de loi en sont la preuve. Ce qu'il faut consulter, ce sont les principes généraux du droit reproduits de cent manières différentes en une foule de lois tant anciennes que modernes. Si ces principes ne repoussent pas une telle distinction, et que votre raison l'accueillît, n'est-il pas évident que vous pourriez la convertir en loi, sans vous inquiéter si les textes des lois relatives au cantonnement la font supposer, et cette foi interprétative s'appliquerait nécessairement aux actes antérieurs à sa promulgation, parce que, comme l'ont reconnu dans une précédente discussion quelques-uns de nos honorables collègues qui n'ont cependant pas admis toute la conséquence de ce principe, l'indivisibilité de la personne du législateur fait supposer que sa volonté était antérieurement la même, lorsque les textes douteux précédents ne permettent pas de découvrir cette volonté et laissent les juges dans le doute. Le principe de la continuité de la personne du législateur et de la stabilité de sa volonté, loin donc d'être un motif d'épiloguer sur quelques termes équivoques d'un article de loi déclaré douteux par les magistrats chargés de son interprétation, ne doit-elle pas, au contraire, nous autoriser à agir d'une manière plus large et tout à la fois plus conforme à notre haute mission. .

Ne serait-ce pas contrarier ouvertement ce même principe, que de prétendre, comme on l'a fait dans une autre occasion, que quelques expressions ambiguës d'un texte, nonobstant le doute légal qu'il présentait, nous liait si bien dans tel sens, qu'il y avait obligation pour nous d'adopter dans notre loi explicative une interprétation quand bien même nous aurions reconnu cette interprétation désastreuse, sauf à porter une disposition toute contraire un instant après !!

Messieurs, il est impossible que les lois constitutives et organiques de notre pouvoir aient pu avoir une telle pensée. Leur but principal a toujours été, au contraire, de maintenir la dignité du législateur et d'assurer le respect à la loi. L'interprétation qu'on sollicite du législateur n'est pas une explication mesquine de la valeur des expressions ou du sens qu’elles renferment, d'après les règles de la grammaire, de la syntaxe ou de la rhétorique. Ce n'est pas non plus une explication, à déclarer par nous plus vraisemblable que toute autre, par la comparaison laborieuse d'une foule de textes ainsi que le feraient les docteurs et les tribunaux qui sont bien plus capables que nous d'un tel travail.

Lorsqu'on a recours à votre autorité, messieurs, par suite de l'obscurité des textes, on puise à la source toujours jaillissante de la justice elle-même, et l'on ne vient pas vous demander d'ouvrir d'anciens trésors dont vous devriez rechercher péniblement la clef. On dit au législateur : Décidez d'après votre conscience et votre sagesse seules, ce que la justice doit ordonner pour lever le doute signalé par les tribunaux. Les lois les plus anciennes mêmes qui sont encore en vigueur, ne sont maintenues que parce qu'elles sont encore l'expression de votre volonté actuelle, sans quoi vous les eussiez changées ; elles ne sont lois que parce que vous l'ordonnez ainsi, ne fût-ce que tacitement, Eh bien ! c'est précisément aussi votre volonté actuelle, dont la manifestation est sollicitée.

Je pense que cette vérité a été reconnue de tous les temps. Les lois anciennes ont toujours été interprétées par les lois plus récentes, pour être appliquées à des actes antérieurs à la promulgation de ces dernières. Il n'était pas requis, à cet effet, de qualifier celles-ci d’interprétatives ; il suffisait que les premières parussent obscures et offrissent des doutes.

La cour de cassation de France a consacré par arrêt du 23 mars 1840, cette même doctrine, professée par l'un des plus grands jurisconsultes de notre époque, par M. le procureur-général Mercier, dont voici les paroles :

« Et inutilement prétend-on que la disposition (publiée après l’acte auquel il s'agissait de l'appliquer) est introductive d'un droit nouveau. Pour qu'elle pût être considérée comme telle, il faudrait que la loi du 19 juillet 1793, soit à cet égard en opposition directe avec cette disposition du décret du 5 février 1810. Tout ce qu'on peut supposer de plus favorable au système du sieur Sieber, c'est que la loi du 19 juillet 1793, est sur ce point obscure ou équivoque, et certainement il n'en faut pas davantage pour faire regarder comme purement interprétative de cette loi, et par conséquent comme devant agir sur le passé comme sur l'avenir, la disposition du décret du 5 février, qui met, quant à la garantie des propriétés littéraires, les auteurs étrangers sur la même ligne que les auteurs nationaux. »

V. Merlin. Question de droit, propriété littéraire, § 2.

C'est donc, vous le voyez, messieurs, en législateurs et non pas comme juges que vous devez vous prononcer. C'est aussi ce qu'a reconnu votre commission spéciale, et il serait assez étonnant, en effet, qu'on vînt nous consulter en une autre qualité qu'en celle que nous avons. Voici ce que dit à ce sujet le rapport de votre commission spéciale :

« C’est comme législateur que nous devons envisager la question. En exigeant une interprétation législative après deux arrêts de cassation la loi a proclamé par cela même que le sens de la loi était douteux. »

Je n'exprimai pas une autre opinion lorsque, dans une discussion assez récente, je disais que : le doute légalement constaté nous laissait table rase. Nous ne sommes pas dans une autre position que si la loi, au lieu d'être ambiguë, observait le silence le plus absolu sur la question du procès, et évidemment en cas de silence nous aurions table rase. Le procès ne devrait-il pas être décidé ? L'art. 4 du code civil ne statue-il pas que le juge qui refuserait de juger sous prétexte du silence, de l'obscurité ou de l'insuffisance de la loi, puisse être poursuivi comme coupable de déni de justice. Eh bien, dans le cas qui nous occupe, ne peut-on pas en quelque sorte dire que la loi est muette ? A n'envisager que la loi spéciale elle-même, l'affirmative ne serait pas douteuse, mais on pourrait prétendre le contraire, en consultant les principes généraux établis dans cent ou mille dispositions différentes actuellement en vigueur. Mais alors nous n'en serions pas plus avancés, puisque des arrêts contradictoires sont venus déclarer douteuse l'application à la cause de telle règle plutôt que de telle autre. Ne retombons-nous pas dans la même position où nous nous trouverions si aucune de ces règles n'était écrite dans la loi, ne resterions-nous pas en face de ces deux grands principes d'équité naturelle et d'éternelle justice, qu'il est, comme l'a si bien dit votre commission, de la sagesse du législateur de toujours suivre ; à savoir : « Ne léser le droit de personne et donner a chacun le sien. »

Nous ne somme liés, messieurs, par aucune autre règle que celle-là, qui nous guide toujours lorsque nous faisons des lois. En vous interrogeant, les tribunaux s'adressent au pouvoir législatif comme étant la loi vivante et comme ne devant puiser sa volonté qu'en lui-même. Peu importe qu’il s'agisse d'une disposition ancienne, puisque cette disposition ne continue à subsister comme loi que du consentement du pouvoir législatif actuel qui, en en permettant l'application, aux actes anciens ou récents, est censé déclarer à chaque instant que telle est sa volonté formelle, volonté qui seule fait la loi, et qui conséquemment est la seule qu'il faille interroger pour lever le doute.

Il me paraît donc que la différence entre la loi interprétative et les autres lois, quant aux règles qui peuvent nous lier, est nulle. Seulement nous sommes obligés par un texte exprès à la voter, tandis que pour les autres nous pouvons nous en abstenir, en tant que les intérêts politiques ou généraux du pays nous permettent cette abstention.

Si cette appréciation de notre position est vraie, n'est-il pas évident que nous avons pleine liberté de nous ranger non seulement à l'opinion soit de la cour de cassation, soit des cours d’appel, mais même d'en adopter une troisième intermédiaire ou non ? Et quelle que soit votre décision, elle ne sera nécessairement que la reproduction fidèle de la volonté de la loi qu'il eût fallu appliquer, puisque celle-ci n'est que votre propre volonté elle-même.

Cette proposition peut, au premier abord, paraître absurde. On peut éprouver de la répugnance à admettre que nous qui sommes sujets à l'erreur aussi bien que nos savants magistrats, nous ayons la prétention d'avancer que nous sommes infaillibles, à ce point même qu'en choisissant, en quelque sorte au hasard, entre deux ou trois opinions, il nous soit impossible de nous tromper.

Il me semble cependant, messieurs, que telle est la vérité, et comme nous l'avons déjà soutenu, quelle que soit votre décision, personne ne pourra prétendre qu'elle est erronée ; et la raison en est simple, c'est parce que ce n’est pas une interprétation doctrinale qui nous est demandée, c'est un acte de volonté. C'est, comme dit votre commission spéciale, en législateurs que nous devons nous prononcer. Or, comme législateurs (et en vérité nous ne pouvons revêtir d'autre qualité, faisons-nous jamais autre chose que dire telle est notre volonté ? Et certes, en nous bornant à une manifestation de cette nature, nous ne pouvons nous tromper. Toute notre infaillibilité consiste donc, en ce que nous ne pouvons légalement être supposés avoir déclaré que telle est notre volonté, lorsque en réalité nous en aurions une contraire.

Nous sommes, ont dit dans une autre occasion certains orateurs, qui cependant nous considèrent comme des jurés, nous sommes la continuation de la personne du législateur qui a rédigé le titre équivoque, Eh bien cela ne signifie-t-il pas, que c'est notre propre et seule volonté, laquelle fait loi, que l'on doit interroger ? Et pour la déclarer en cette circonstance, comme en toute autre, ne devons-nous pas consulter les principes de justice et d'équité ? Ne serait-ce pas nous adresser à nous-mêmes une injure bien gratuite, l'iniquité d'une interprétation et prétendre que nous devons la sanctionner pour les actes antérieurs, nonobstant le doute d'un texte qui ne peut nous lier ?

Ce que nous devons donc particulièrement envisager dans une loi interprétative, c'est comme pour les autres lois l'équité, la raison l'intérêt général.

Quant à l'intérêt général il n’est pas bien marqué dans la question qui fait l'objet de notre délibération.

Quant à la justice et l'équité il me paraît que pour les satisfaire il faudrait prendre le terme moyen que j'ai indiqué. Dans l'espèce actuelle, ce serait l'arrêt de la cour de cassation qui serait adopté parce que c'est le propriétaire qui exige le partage de la propriété.

M. Orts. - Messieurs, j’ai demandé la parole pour répondre à deux objections présentées contre le système que j'ai développé. L'honorable M. Dubus a dit : « Le droit radical, le fond du droit, n'a pas été atteint par le décret du 17 nivôse an XIII, ce décret ne forme qu'un obstacle momentané à l'exercice du droit. » Je m'arrête d'abord, messieurs, sur cette assertion que le décret du 17 nivôse n'oppose qu'un obstacle momentané à l'exercice du droit. Je crois que cela est inexact et en droit et en fait. Il est de l’essence d'une loi d'être perpétuelle et l'on ne peut pas, en présence d'une loi existante, tenir compte des éventualités qui pourraient résulter d'un changement dans la législation, voilà, messieurs, ma réponse en ce qui concerne le droit. Maintenant, quant au point de fait, rappelons-nous ce qui a motivé le système de l'ordonnance de 1669, appliquée dans notre pays par le décret du 17 nivôse an XIII. Avant l'ordonnance de 1669, les titres des usagers leur permettaient de faire pâturer dans les bois à des époques où la feuille n'avait point encore atteint l'âge nécessaire pour que la conservation des forêts pût être garantie.

Et pourquoi accordait-on des droits aussi illimités aux usagers ? Parce que à cette époque, l'Europe entière était, en grande partie, couverte de forêts ; mais une fois que le décroissement s'est établi ; une fois que l'on s'est trouvé dans la position de devoir craindre que l'on portât préjudice aux forêts, force a été au législateur de réduire définitivement et à perpétuité ces usagers dont le système de déboisement rendait le maintien intégral impossible. En effet, messieurs maintenir un usage qui permettrait de faire paître les bestiaux dans les bois lorsque la feuille n'a encore atteint que la 3e ou la 4e année, ce serait vouloir la destruction des forêts. Il n'est donc pas possible de revenir à un semblable état de choses et cela démontre qu'en fait, aussi, l'assertion de l'honorable M. Dubus est inexacte.

On a fait une autre objection. On a dit : « Mais vous allez enrichir le propriétaire aux dépens de l'usager. » Messieurs, le système que j'ai développé n'enrichirait pas le propriétaire aux dépens de l'usager, mais le système contraire enrichirait l'usager aux dépens du propriétaire. Je vais le démontrer à l'évidence.

Ce qui constitue la richesse (puisqu'il s'agit d'enrichir ou d'appauvrir), ce qui constitue la richesse c'est l'avantage plus au moins grand que vous retirez du droit d'usage. Si conformément aux anciens titres vous pouviez faire paître les bestiaux dans les forêts au bout de 4 ans, si par suite de la loi sur la défensabilité vous ne pouvez plus les faire paître que lorsque la feuille a atteint la 8e année, il est clair que votre avantage se trouve diminué de moitié. Maintenant quel est le moyen que peut employer l'usager qui ne veut pas se contenter de faire paître les bestiaux au bout de 8 ans ? Ce moyen, c'est le cantonnement par lequel, en échange du droit de faire paître ses bestiaux, on lui assigne en propriété une partie du bois équivalente à la jouissance qu'il avait. Mais quelle est maintenant la jouissance sur laquelle doit être mesurée cette partie de bois donnée en propriété par le cantonnement ? Est-ce la jouissance fixée par les anciens titres ? Non, sans doute, C’est la jouissance réduite et réduite à perpétuité par le décret du 17 nivôse an XIII.

Si maintenant, lors du cantonnement, vous allez donner à l'usager une partie de bois calculée avec le droit qu'il avait anciennement, de faire paître ses bestiaux au bout de 4 ans, vous lui donnez évidemment le double de ce que vaut sa jouissance, puisque dans l'état actuel de la législation, il ne peut faire paître qu'au bout de la huitième année.

J'étais donc en droit de dire que ce système enrichirait l'usager aux dépens du propriétaire.

S'il est vrai maintenant que tout droit se résume en jouissance, n'est-il pas clair que la jouissance telle qu'elle est modifiée n'est autre chose que le fond du droit même ?

Cela me paraît de la dernière évidence.

L'on a dit que l'ordonnance de 1669 datait d'une époque despotique. Mais, messieurs, l'ordonnance de 1669 a été rendue, non pas dans l'intérêt du despotisme, mais dans l'intérêt de la société tout entière, parce que, avant cette ordonnance, les bois étaient livrés aux usagers d'après des titres anciens qui leur accordaient des jouissances qui étaient devenues incompatibles avec l'état de choses d'alors. Louis XIV a porté cette ordonnance dans l'intérêt de la société tout entière : le souverain voyait que si les anciens usagers avaient pu continuer à jouir conformément à leurs titres, la conservation des forêts était essentiellement compromise ; il a donc réduit cette jouissance non pas dans l'intérêt du despotisme, mais dans celui de la société entière. Dans d'autres pays, la même disposition a été prise. Je ne vois pas ce que le despotisme a à faire ici.

Maintenant, quant aux considérations d'équité que j'ai fait valoir, les honorables membres qui ont soutenu le système contraire, ne m'ont pas parfaitement compris ; j'ai dit (et ce fait est notoire pour tous ceux qui ont été dans le cas de voir ces anciens titres d'usager) ; j'ai dit que beaucoup de ces usagers avaient été concédés par le seigneur, moyennant certains droits seigneuriaux ; qu'il était constant que ces droits seigneuriaux ont été abolis par les décrets des premières assemblées législatives de France, et abolis sans indemnité ; il est constant aussi que dans les anciens temps, les manants, pour avoir dans leur commune le droit de jouissance dont il s'agit, avaient besoin de la permission du seigneur. Cela n'existe plus aujourd'hui. Dans toutes les communes où à l'époque où ces titres ont pris naissance, le nombre des usagers était limité par la volonté des seigneurs. Ce nombre est aujourd'hui augmenté. Nouveau préjudice pour les propriétaires.

Je vous citais ces exemples, messieurs, pour vous faire voir que les communes usagères n'avaient pas à se plaindre du décret du 17 nivôse an XIII ; mais eussent-elles même à s'en plaindre, le décret est là ; nous n'avons autre chose à examiner, sinon quel est le véritable sens de l'art. 1er du décret du 17 nivôse an XIII. La loi est formelle, et je n'ai parlé des motifs d'équité que pour répondre à cette objection : que des droits pourraient être lésés. Aucun droit ne me paraît lésé dans cette circonstance, et j'en reviendrai toujours à ce principe ; que lorsque la loi d'ordre public règle les intérêts de toutes les sociétés, les intérêts particuliers doivent plier devant cette considération.

M. Raikem, rapporteur. - Messieurs la question qui se présente à décider est celle de savoir si le cantonnement doit être réglé d'après le titre qui donne lieu à ce cantonnement, ou bien si le cantonnement doit être réglé uniquement d'après l'exercice de l'usage restreint, quand il s'agit de pâturage, dans les limites du décret du 17 nivôse an XIII.

La contestation qui a donné lieu à l'interprétation de la loi, a pris naissance dans le ci-devant pays de Liége. Là, vous aviez des règlements qui fixaient l'époque à laquelle le droit de pâturage dans les bois pouvait être exercé. Un édit du prince George d'Autriche, en 1551 avait décrété que le droit de pâturage ne pouvait être exercé dans les bois qu'à l’âge de 5 ans pour les bestiaux, et seulement à l'âge de 7 ans pour les chèvres.

Cet édit fut postérieurement changé. Un édit de 1719 laissa l’âge tel qu'il était fixé pour le pâturage des chevaux ; il fixa à sept ans l'âge auquel on pouvait faire pâturer les bêtes à cornes dans les bois ; enfin un édit de 1725 interdit de faire paître en aucun temps les chèvres et les moutons dans les forêts.

Ainsi, nous avions dans l'ancien pays de Liége une disposition analogue à l'article 15 de l'ordonnance de 1669, article dont ceux qui ont soutenu un système contraire au nôtre ont paru faire un grand étalage.

Mais remarquez, messieurs, qu'il y avait eu même un grand principe de justice proclamé dans ces édits ; on y avait décidé que si, pour obtenir le pâturage dans les bois à un âge plus tendre, on avait déboursé telle ou telle somme, si l'on s'était soumis à telle ou telle obligation, le retrait du droit de pâturage avant le terme, entraînerait en même temps le remboursement de cette somme, l'annulation de l'obligation.

C'est sous l'empire de ces édits de l'ancien pays de Liége, qu'a été conclue entre le prince-évêque de Liége et son chapitre cathédral, d'une part, et la commune de Mettet, d'autre part, une transaction qui porte la date de 1758. Le pâturage dans cette transaction était réglé conformément à la législation existante alors dans le pays de Liége. Cet acte était donc légal et devait être irrévocable.

Après que le pays de Liége fut réuni à la France, les bois qui appartenaient au chapitre cathédral de Liége furent réunis au domaine de l'Etat ; mais on conserva en même temps les droits que les communes usagères possédaient dans un bois. Il y a une différence entre les droits qui s'exerçaient dans les forêts qui furent réunies au domaine de l'Etat, et ceux dont l'exercice avait lieu dans les forêts royales, qui font l'objet de l'ordonnance de 1669.

L'ordonnance de 1669 considérait le pâturage dans les forêts royales comme une simple tolérance ; mais le droit qu'avaient les communes usagères sur les bois dans les départements réunis, fut conservé à l'état de véritable droit.

Tel était, messieurs, l'état des choses, lorsque furent successivement publiées diverses dispositions relatives au cantonnement et à l'exercice du pâturage, dispositions qui ont par conséquent atteint la transaction de 1758 dont je viens de parler.

D'abord, une loi de 1790 conféra en France aux tribunaux de district le droit de connaître des cantonnements qui seraient demandés par des propriétaires. Une loi de 1792 autorisa les communes usagères à demander le cantonnement. Enfin le décret du 17 nivôse an XIII, relatif au droit de pâturage dans les bois, stipula que ce droit ne pourrait être exercé tel qu'il était conféré dans les titres, que dans les parties de bois qui seraient déclarées défensables.

Les communes furent obligées de se soumettre à ce décret qui étendit l'ordonnance de 1669 à tous les bois indistinctement, car l'ordonnance de 1669 n'avait stipulé la défensabilité qu'à l'égard des forêts royales. D'un autre côté, on avait ouvert aux communes une action qui ne leur appartenait pas auparavant, je veux parler du droit de demander le cantonnement. Tout en restreignant l'exercice du droit de pâturage dans l'intérêt public, pour empêcher la dévastation des forêts, on ne portait pas atteinte au droit des communes, puisqu'on leur accordait le droit de demander le cantonnement.

Voilà, messieurs, dans quel ordre de fait je conçois avec des compensations, mais je vous avoue que je ne les conçois nullement dans le système qu'a fait valoir un honorable député de Bruxelles. Cet honorable membre a remonté à une époque qui date de je ne sais combien de siècles, et en même temps il en est venu aux lois françaises abolitives des droits féodaux, et relatives au droit de cantonnement attribué aux communes, pour établir une compensation dans deux époques séparées par plusieurs siècles. Cette compensation, moi, je la trouve dans la législation actuelle.

On a d'abord énoncé que dans des temps fort reculés, les droits d'usage des communes avaient été le résultat de la concession des seigneurs.

Il est vrai que certains auteurs enseignent que telle fut l'origine de ces droits d'usage ; mais, suivant d'autres, les conquérants qui envahirent les Gaules auraient dépouillé les habitants de leurs propriétés, et le besoin d'avoir des cultivateurs les aurait portés à chercher à attirer les anciens habitants dans les domaines dont les conquérants s'étaient emparés.

Mais il est inutile d'entrer dans ces documents historiques. Il faut prendre les choses dans l'état où elles se sont trouvées pour régler les droits respectifs.

On a parlé de diverses charges, dont les ci-devant seigneurs auraient été grevés par suite de la publication des lois nouvelles, et on a cru trouver dans le décret du 17 nivôse an XIII une compensation à ces charges.

Il fallait, dit-on, anciennement la permission du seigneur pour venir s'établir dans une commune usagère. Je ne sais pas si, dans la commune de Mettet, il fallait, pour s'y fixer, la permission du prince-évêque et du chapitre cathédral de Liége auxquels appartenait la forêt dont il s'agit ; mais du reste cela tient au système de liberté, et je pense qu'à cet égard l'on n'a pas pensé aux compensations.

L'on a dit encore messieurs, que c'était une compensation des droits féodaux qui avaient été abolis sans indemnité. Or, messieurs, reportez-vous à l'époque où ces droits furent abolis.

La loi du 15 mars 1790 a aboli tous les droits qui tenaient à la servitude personnelle.. Mais les droits réels, les droits utiles, pour me servir de ses expressions, elle les a laissé subsister. Par la loi du 25 août 1792, l'assemblée législative alla plus loin. Elle n'abolit pas indistinctement tous les droits féodaux, mais elle étendit beaucoup l'abolition. Elle conserva seulement les droits féodaux utiles qui avaient pour cause des concessions de fonds qui devaient être prouvés par les titres primitifs. La loi du 17 juillet 1793 vint abolir indistinctement tous les droits féodaux. Cette abolition a été dirigée contre les ci-devant seigneurs ; c'était le système politique de l'époque, mais qui n'avait aucun rapport avec les droits que pouvaient avoir des communes sur les forêts, Ce rapport existât-il, il faudrait voir s’il y aurait des droits féodaux dans la commune de Mettet.

Pour que ce fût une compensation, il faudrait qu’on fût soumis aux droits abolis par la loi générale, car les habitants des communes ayant des droit d’usage, ne peuvent pas en être dépouillés en partie parce que, dans une autre localité, il aurait existé des droits féodaux, maintenant abolis. Ce serait une singulière compensation qui serait venu à l’idée de législateur.

Une autre compensation a été énoncée ; c’est qu’autrefois le droit de demander le cantonnement ne compétait qu’aux propriétaires, et que postérieurement ce droit a été également accordé aux usagers. Or, dit-on, il y a compensation, puisque les usagers ont un droit qu’ils n’avaient pas auparavant, celui de demander le cantonnement. Si c’est le cantonnement du droit tel qu’il est réglé par les titres, la compensation est réelle, parce qu’on peut réclamer la valeur de son droit. Mais je ne comprends pas la compensation, quand on veut enlever la moitié de mes droits. C’est une singulière compensation qui met d’un côté et rien de l’autre.

La loi de 1792 était favorable aux usagers vis-à-vis des anciens seigneurs, car cette loi a eu pour objet de réprimer les abus de la puissance féodale et de conserver les droits des usagers.

Mais est-il vrai que le droit de demander le cantonnement appartenait aux propriétaires, et qu’à cet égard les usagers n’avaient aucun droit ? Voyons comment a été introduit le cantonnement ; ce fut au commencement du 18e siècle. Comment s’est-il formé ? comment a-t-il eu lieu ? Il a été stipulé par arrêts du conseil rendus au nom du souverain, où le souverain était censé intervenir. Le propriétaire demandait le cantonnement. Il y avait donc consentement de sa part. Il fallait aussi le consentement de la commune ; mais le souverain était considéré comme le tuteur né et légal de toutes les communes ; le cantonnement, quand il l’ordonnait, était regardé comme une convention qui intervertissait les titres primitifs.

La loi de 1790 a renvoyé devant les tribunaux l’action formée par le propriétaire seul. Mais on se sera perçu qu’on avait converti une faculté en droit et vu qu'il était de toute justice qu’il y eût réciprocité et que le même droit fût accordé aux communes. La loi de 1792 est venue compléter la loi de 1790.

Pour procéder avec justice, examinons quels sont les droits des parties. A chacun le sien. Cette maxime n'a pas besoin d'être écrite dans les codes, chacun la connaît sans avoir étudié les lois. Quel est le droit de chacun ? Il est évident que le propriétaire de la forêt est maître de tous les arbres qui y croissent. Les communes ont un droit de pâturage ; elles ont donc le droit de faire pâturer l'herbe qui croît dans la forêt, à l'époque fixée par le titre. La propriété de la forêt et celle du pâturage étaient jusqu'ici une propriété indivise entre le propriétaire de la forêt et la commune. Le propriétaire avait droit aux arbres et la commune avait droit à l'herbe. Maintenant que le cantonnement existe, c'est un moyen de sortir de cette position, de diviser cette jouissance. Il faut estimer ce que vaut l'herbe en prenant l'époque fixée par le contrat. La part de la commune dans le bois, se fixe d'après cette évaluation. De cette manière, on sort de l'indivision, en attribuant à chacun ce qui lui appartient.

Remarquez que toute la difficulté vient de ce qu'on a confondu le droit avec l'exercice de la jouissance du droit. Je crois qu'on ne peut pas confondre ces deux choses. Je puis avoir un droit, être propriétaire et cependant, à cause des règlements de police, ne pas pouvoir faire usage de mon droit, de ma propriété. Malgré cela, je ne suis pas moins propriétaire.

Mais qu'est-ce que l'exercice d'un droit ? Dans l'état actuel, si on pouvait détacher l'herbe du bois, il n'y aurait jamais lieu à réclamer la défensabilité, parce que chacun pourrait jouir de son droit, le propriétaire de la forêt pourrait jouir de ses arbres, et l'usager du droit qu'il a à l'herbe. Comme on ne pouvait pas faire profit de l'herbe sans porter atteinte aux bois, les bestiaux broutant le bois trop jeune aussi bien que l'herbe, il a fallu trouver moyen d'obvier à cet inconvénient. C'est ainsi que la chose a été expliquée dans un avis du conseil d'Etat. Qui est-ce qui déclarait la défensabilité, l'époque où l'on pouvait envoyer les bestiaux paître dans les forêts, sans mise aux forêts elles-mêmes ? c'était l'administration forestière.

La défensabilité était donc un acte d'administration et non un acte qui touchât au droit. L'arrêt du conseil d'Etat du 16 frimaire an XIV exprime que la défensabilité a pour but d'empêcher qu'un usager n'exerce son droit en un temps où son usage détruirait la propriété. C'était afin qu'on ne nuisît en aucune manière au droit de propriété, mais non pour enlever le droit acquis sur l'herbe. Par la défensabilité on conservait le droit du propriétaire, sans enlever le droit de l'usager ;

Dans le système contraire, on restreindrait le droit de l'usager et on augmenterait le droit du propriétaire.

Voyez, messieurs, à quelle époque a été porté le décret du 17 nivôse an XIII ? c'est à une époque où le droit de demander le cantonnement était assuré aux communes usagères. En restreignant l'exercice du droit on n'enlevait pas aux usagers le droit même, mais, comme ils ne pouvaient en user sans nuire au propriétaire, on leur laissait la faculté de demander le cantonnement.

Remarquez comment a lieu la déclaration de défensabilité ; c'est par mesure administrative, c'est l'administration qui déclare l'époque à laquelle on peut faire pâturer les bestiaux sans nuire au bois lui -même. Cette déclaration peut varier. Elle est l'expression de l'opinion de l'agent de l'administration sur l'époque où l'on peut faire paître des bestiaux sans nuire aux arbres. Ce qui résulte de l'opinion variable de l'homme est bien près de l'arbitraire. Il n'en est pas de même quand il s'agit de cantonnement, car ce n'est pas à l'administration que vous vous adressez ; ce n'est pas un acte d'administration ; quand il s'agit de cantonnement on partage les droits respectifs ; c'est aux tribunaux qu'on doit s'adresser. Il n'y a pas d'arbitraire à craindre ; les tribunaux règlent le fond du droit, tandis que les mesures administratives ne réglaient que le mode d'exercice du droit, non contre l'usager mais dans l'intérêt de la conservation du bois lui-même.

Quand vous en venez au cantonnement, ce sont les droits des parties qu'il s'agit de régler, ce sont les tribunaux qui prononcent ; si l'on réduisait la part de la commune comparativement à la défensabilité qui est dans l’arbitraire, si pas dans l'arbitraire de l'administration, on porterait atteinte aux droits établis par des titres et on donnerait à la loi un effet évidemment rétroactif.

Je trouve la preuve de cet effet rétroactif dans un des motifs de l'arrêt de la cour d'appel de Bruxelles :

« Attendu que le décret du 17 nivôse an XIII a enlevé au droit de la commune appelante toute l'étendue que comportait le titre constitutif de la servitude ; que, s'il y a atteinte à un droit acquis, cette atteinte dérive de la loi elle-même, qui ; déterminée par des considérations puissantes, a considéré comme abusive et opposée à l'intérêt général toute convention contraire au principe qu'elle consacrait. »

Réduisez ce motif aux termes d'un argument logique ; sainement appréciées la plupart des expressions qui se trouvent dans ce motif se réduisent à des mots, et, en réalité, ils n'expriment rien.

« La loi, déterminée par des considérations puissantes, a considéré comme abusive et opposée à l'intérêt général toute convention contraire au principe qu'elle consacrait. » Abusive ! Mais il n'y a pas d'abus dans une convention conclue conformément à la loi sous l'empire de laquelle elle est passée. Opposée à l'intérêt général ! Mais si c'est un motif de restreindre l'exercice du droit, ce n'est pas un motif d'enlever le droit lui-même. Le code civil, promulgué une année auparavant, avait proclamé solennellement (et un discours de Portalis en avait développé les motifs) le principe.

(Art. 545.) Que « nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n'est pour cause d'utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité. » Et ici on aurait enlevé le droit à la commune, sans aucune indemnité, uniquement pour avantager le propriétaire. Mais dans le sens de l'opinion que nous défendons, on n'a enlevé aucun droit acquis ; car la loi existant au moment du décret permettait à l'usager de demander le cantonnement ; elle ne lui enlevait donc aucun droit ; elle en réglait seulement l'exercice de manière à ce qu'il ne pût porter atteinte à la propriété. Ainsi le motif de la cour de Bruxelles, réduit à ses plus simples éléments, se borne à dire que le décret de l’an XIII a enlevé aux communes le droit qu'elles avaient, et que s'il y a eu atteinte à un droit acquis, cette atteinte dérive de la loi elle-même.

Quand vous lisez ce motif, ne diriez-vous pas que la loi est claire et précise, que non seulement elle dispose pour l'avenir, mais encore qu'elle a jeté un regard sur le passé. Ne diriez-vous pas que la loi a enlevé un droit, qu'en cas de cantonnement l'usager ne peut le réclamer ; eh bien, il n'y a rien de cela dans le décret ; nous n'y lisons qu'une disposition de police dont le règlement est attribué uniquement à l'administration sans aucune intervention des tribunaux. Cette mesure de police peut empêcher qu'on porte atteinte aux droits d'autrui, mais elle ne peut enlever aucun droit de propriété, ou en dérivant, elle ne peut conférer aucun droit de propriété plus étendu à celui en faveur de qui elle est prise.

On est venu encore présenter une objection qui me semblait déjà pleinement réfutée, mais puisqu'on l'a présentée, qu'il me soit permis d'en dire un mot. Elle est tirée de l'art. 8 de la section de la loi du 28 septembre-6 octobre 1791, relatif au rachat de la vaine pâture. Voici cet article :

« Entre particuliers, tout droit de vaine pâture fondé sur un titre, même dans les bois, sera rachetable à dire d'experts, suivant l'avantage que pouvait en tirer celui qui avait ce droit, s'il n'était pas réciproque, ou eu égard au désavantage qu'un des propriétaires aurait à perdre de la réciprocité si elle existait ; le tout sans préjudice au droit de cantonnement, tant pour les particuliers que pour les communautés, confirmé par l'art. 8 du décret des 16 et 17 septembre 1790. » D’abord le cantonnement est ici hors de cause ; mais à la simple inspection de cet article, il est facile de voir que l'avantage dont il est ici question est celui qui résulte du titre. Il existe un droit de pâturage qu'on qualifie de parcours parce qu'il est réciproque, mais il peut être plus avantageux pour l'un que pour l'autre. Il peut alors s'opérer une compensation au moyen de laquelle on rachète une partie du parcours et l'on paie alors le surplus. Appliquer cela au cas actuel, où il s'agit de cantonnement, c'est se traîner péniblement sur un texte de loi pour en tirer une induction contraire à tous les principes du droit, à toutes les notions d'équité. Ce serait le cas de répondre par la maxime la lettre tue, l'esprit vivifie.

Nous avons déjà fait remarquer que la défensabilité est un acte administratif, et le cantonnement un acte judiciaire. Or la loi du 16-24 août 1790 porte positivement .que les fonctions judiciaires seront toujours séparées des fonctions administratives. Un acte à l'arbitraire de l'administration n'est pas de nature à établir un droit devant les tribunaux. La défensabilité est uniquement un acte du pouvoir administratif, un acte d'exécution, les règlements de police pourvoient à ce qu'en usant de son droit, on ne puisse porter préjudice à autrui. Voilà la mission de l'administration ; mais l'acte judiciaire envisage les droits respectifs de chacun, les titres sur lesquels il se fonde, il apprécie ces droits en toute justice, il rend à chacun ce qui lui appartient.

On a cru trouver un argument sans réponse en disant que le décret de l'an XIII intervertit le titre, que ce n'est plus en vertu du titre que l'on juge les droits de pâturage, mais uniquement en vertu du décret. Voilà l'argument dans toute sa force. A mon avis, il s'évanouit lorsqu'on réfléchit à la nature même du droit. Je l'ai déjà dit, et jetez un coup d'œil sur le décret même, vous reconnaîtrez qu'il n'a pas pour objet d'intervertir le titre, mais uniquement de restreindre l'exercice d'un droit qui pouvait porter atteinte aux bois. Voici les dispositions de ce décret : « Les droits de pâturage ou parcours dans les bois et forêts appartenant soit à l'Etat ou aux établissements publics, soit aux particuliers, ne peuvent être exercés par les communes ou particuliers qui en jouissent en vertu de leurs titres ou des statuts ou usages locaux, que dans les parties de bois déclarés défensables, conformément aux articles 1 et 3 du titre 19 de l'ordonnance de 1669,et sous des prohibitions portées en l'article 13 du même titre. »

Remarquez l'expression : qu'ils en jouissent en vertu de leurs titres. C'est donc en vertu de ces titres qu'on en jouit ; mais on prend une mesure de police relativement à l'exercice de cette jouissance ; et, encore une fois, il est évident qu'une mesure de police ne peut influer sur le fonds du droit.

Mais, dans le système contraire, il y aurait novation d'après le décret du 17 nivôse an XIII. Les titres seraient innovés. Ce serait la défensabilité qui réglerait le droit. Mais, s'il en est ainsi, que devrait-on en conclure ? Que celui dont le pâturage devrait avoir lieu à une époque plus reculée que celle de la défensabilité, aurait l'exercice de ce droit plus tôt qu'il n'est fixé par son titre. Or, qui oserait venir prétendre cela ? Personne, je crois. Donc, il n'y a pas novation, donc les titres subsistent tels qu'ils étaient auparavant.

Et remarquez que ce que je dis pourrait fort bien avoir lieu. Si l'administration impériale avait exécuté l'ordonnance de 1669, comme elle l'avait été dans le principe, on aurait pu avoir la défensabilité avant l’âge de 7 ans qui était fixé par le titre dont il s'agit, et même avant l'âge de cinq ans, époque à laquelle on pouvait faire paître les chevaux dans les bois du prince de Liége situés dans la commune de Mettet.

Voici ce que nous apprend un commentateur très estimé de cette ordonnance.

« On appelle lieux défensables, dit Jousse, ceux qui sont assez forts pour être à couvert de l'attaque des bestiaux, et pour qu'ils ne puissent y causer aucun dommage. L'âge auquel les bois sont déclarés défensables varie suivant les différents pays : IL EST ORDINAIREMENT DE QUATRE ANS. L'ordonnance ne fixe point ici le temps auquel les taillis pouvaient être déclarés défensables, ainsi qu'il paraît par cet article (l'art. 1er du titre 19), et par l'article 3 de ce même titre. »

Or, messieurs, vous voyez d’après cette ordonnance qu'à l'époque où elle a été rendue, on regardait le terme comme étant celui de quatre années.

Qu'a-t-on fait par le décret de nivôse ? A-t-on introduit une disposition nouvelle ? Nullement. On a publié l'ordonnance de 1669 dans les départements réunis, et en même temps on a étendu cette ordonnance, pour tout l'empire français, aux bois des particuliers, des communautés, à tous les bois quelconques.

Mais si on exécutait cette ordonnance comme on l'exécutait auparavant, l'âge de 4 ans serait fixé pour la défensabilité, et s'il y avait eu interversion de titre, la commune de Mettet, au lieu d’avoir son droit de faire brouter des bêtes à cornes à l’âge de 7 ans, l’aurait eu à l’âge de 4 ans. Mais, messieurs, il n’en a pas été ainsi. Ce n’est pas la loi qui a changé, mais c’est le mode d’exécution de la loi.

L’administration impériale n’a déclaré la défensabilité qu’après que les bois avaient acquis une très grande croissance ; mais cette opinion de l’administration impériale n’est pas un droit civil, n’est pas un droit qui doit être mis en balance, quand il s’agit de régler les droits devant les tribunaux.

Il faut donc toujours en revenir à la véritable évaluation qui doit avoir lieu lorsqu’il s’agit de cantonnement du chef de pâturage dans les bois et les forêts. Le propriétaire a droit au bois, nous l’avons déjà dit, l’usager a droit à l’herbe, mais il ne peut nuire aux droits du propriétaire, dont on ne pourrait sans injustice évaluer la dégradation qui devait être causée au bois par un pâturage trop récent, pour faire entrer cette évaluation dans la part des usagers.

Mais à partir de l’époque fixée par le contrat, les usagers ont droit à l’herbe. C’est la valeur de cette herbe qui doit être évaluée, comme si le terrain ne produisait pas davantage. C’est d’après l’évaluation de cette herbe qu’on doit fixer la part des usagers, et cette part doit être fixée d’après leurs titres.

En procédant de cette manière, comme il vous l’a été dit dans le rapport de la section centrale, vous accomplirez deux grands principes de droit naturel. Vous ne léserez le droit de personne. On n’aura aucun égard aux dommages qu’un pâturage trop récent aurait pu apporter à la propriété. En même temps on rendra à chacun ce qui lui appartient. Car un droit acquis en conformité des lois existantes est un droit qui ne peut être enlevé par une loi postérieure sans la plus criante injustice.

C’est cependant, messieurs, le sens qu’on veut donner au décret du 17 nivôse an XIII. Et comment peut-on lui donner cette interprétation, lorsqu'on se rappelle que deux ans auparavant, lorsque l'on discutait l'article 2 du code civil, on proclamait que la loi ne pouvait enlever les droits acquis ; que la règle que la loi n'a pas un effet rétroactif, est une règle non seulement pour les juges, mais pour le législateur lui-même.

Messieurs, j'ai la confiance que, dans l'interprétation qu'on vous demande, vous ne méconnaîtrez pas cette règle, qui formera toujours un obstacle à ce que l'interprétation contraire à celle que nous soutenons puisse être donnée au décret de l'an XIII.

M. Orts.- Je propose par amendement de rédiger ainsi le projet de loi :

« Art. unique. En cas de cantonnement des droits de pâturage dont l'exercice est réglé par l'art 1er du décret du 17 nivôse an XIII, il sera procédé suivant l'avantage que les usagers retirent desdits droits depuis ce décret. »

M. le président. - Ce n'est pas un amendement ; c'est la reproduction du projet primitif adopté par la section centrale.

- Personne ne réclamant plus la parole, le projet primitif, tel qu’il se trouve formulé dans l'amendement de M. Orts, et qui consacre le système des cours d'appel de Liége et de Bruxelles, est mis aux voix ; il n'est pas adopté.

Vote sur l'ensemble du projet

M. le président. - Le nouveau projet présenté par le gouvernement et modifié de l'assentiment de M. le ministre de la justice, par la section centrale, est ainsi conçu :

« En cas de cantonnement du chef de droit de pâturage, le décret du 17 nivôse an XIII n'est pas applicable, lorsqu'il existe un titre ou, à défaut de titre, un usage reconnu antérieur audit décret. »

- Il est procédé au vote par appel nominal sur ce projet de loi.

48 membres prennent part au vote.

36 votent pour le projet.

12 votent contre.

En conséquence le projet est adopté ; il sera transmis au sénat.

Ont voté pour : MM. Angillis, Coppieters, de Behr, de Foere, de Garcia de la Vega, Delehaye, Delfosse, de Meer de Moorsel, de Nef, de Potter, Deprey, de Renesse, Desmaisières, de Terbecq, de Villegas, Donny, Dubus (aîné), Eloy de Burdinne, Fleussu, Henot, Hye-Hoys, Huveners, Jonet, Mast de Vries, Morel-Danheel, Pirmez, Raikem, Scheyven, Sigart, Simons, Smits, Thienpont, Vandensteen, Van Volxem, Verhaegen, Zoude.

Ont voté contre : MM. de La Coste, Cogels, Coghen, Cools, Dumont, Lejeune, Lys, Malou, Orts, Osy, Van Hoobrouck et Fallon.

La séance est levée à 4 1/2 heures.