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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 15 janvier 1842

(Moniteur belge n°16, du 16 janvier 1842)

(Présidence de M. Fallon.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse fait l'appel nominal à midi et quart.

M. Scheyven donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

M. Dolez fait observer que le procès-verbal contient la phrase suivante : « M. le ministre de la justice dépose un arrêté royal portant abrogation du projet de loi tendant à interpréter la loir relative aux cantonnements. » Il demande que le mot retrait soit substitué au mot abrogation.

M. le président. - Il sera fait droit à cette réclamation. Le procès-verbal est adopté avec cette rectification.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.

« Les administrations des communes d'Oosterzeele, Moortzeele Lemberge, Gontrode, Melle, Gyzenzeele, Baelghem, Scheldewendick (arrondissement de Gand) réclament contre la disposition du projet de loi relatif à la circonscription cantonale, par laquelle est supprimé le canton d'Oosterzeele pour en former un nouveau qui aurait pour chef-lieu la commune de Bottelaere. »

« Les membres de l'administration municipale de la commune de Voorde, district d'Alost, et un grand nombre d'habitants de cette commune s'adressent à la chambre pour se plaindre que leur commune est, par le nouveau projet de circonscription cantonale, distraite du canton de Grammont pour être adjointe au canton de Ninove. »

- Renvoi à la commission chargée de l'examen du projet de loi sur la circonscription cantonale.


« Des débitants de boissons distillées de Seraing réclament l'abrogation de la loi du 18 mars 1838, relative à l'abonnement sur les boissons distillées. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« L'administration communale de Santvliet renouvelle sa demande de paiement d'indemnités pour les pertes essuyées en 1832 et 1833 par les inondations. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur les indemnités.


« Les commerçants et boutiquiers de la commune de Fleurus demandent que la chambre adopte la loi sur le colportage.

Renvoi à la commission chargée de l'examen du projet.

Projet de loi interprétatif de l'article 442 du code de commerce

Discussion générale

M. le président. - La parole est à M. Fleussu.

M. Fleussu. - Messieurs, je me propose de ne vous présenter que quelques observations à l'appui du projet du gouvernement ou plutôt de l'amendement présenté par M. le ministre de la justice qui, à vrai dire, est aussi le projet de votre commission. J'éprouve le besoin de me resserrer dans un cadre étroit, parce que, comme vous l’ont dit plusieurs honorables collègues, la question qui vous est soumise, a été traitée par des hommes d'un talent supérieur, et qu'il n'est guère possible de pouvoir rien dire de nouveau.

Ma tâche sera d'autant plus facile à remplir que déjà les orateurs, qui ont pris part à la discussion et qui défendent mon opinion, ont émis la plupart des observations que je me disposais à faire valoir.

Messieurs, pour qu'on ne puisse pas croire que je suis mu dans cette circonstance par un faux amour propre ou par un esprit de corps, je me hâte de déclarer que je suis sans antécédent relativement à cette question ; que depuis que j'ai l'honneur de siéger comme conseiller à la cour de Liége, jamais elle ne s'est présentée à mon examen. J'ai donc examiné la loi sans préoccupation, sans prévention.

Sans prévention ! je me trompe. Je vous avouerai, messieurs, que le bruit des alarmes du commerce avait si souvent retenti à côté de moi, que j'avais si souvent entendu dire et répéter que le dessaisissement opérant en arrière devait porter le coup de mort au crédit public, qu'il devait tarir toutes les sources de la prospérité publique, qu'il devait restreindre la circulation des capitaux, que j'ai examiné la loi sous l'influence de cette prévention ; et ce n'est qu'après un examen fort attentif que j'ai pu former mon opinion, que j'ai pu me convaincre que s'il y a des inconvénients possibles, du moins, messieurs, ces inconvénients ont été singulièrement exagérés ; que j'ai pu me convaincre que, s'il y a des inconvénients, ils résultent moins de la loi que de la fausse application qui en a été faite.

Des inconvénients, messieurs, mais vous en trouverez dans tous les systèmes. Des inconvénients, mais vous aurez beau faire, vous n'empêcherez pas qu'il en existe.

Avec le dessaisissement opérant en arrière, je conviens, messieurs, que la bonne foi pourrait quelquefois être surprise. Avec le dessaisissement n'opérant que du jour du jugement déclaratif de la faillite, vous aurez encore des inconvénients. Il pourra arriver, par exemple, que le failli avantage des créanciers, qui sont de ses amis, qui sont de sa famille.

Avec le système qui vous a été présenté hier par l'honorable M. Dolez, qui reproduit le dernier système de la cour de cassation, il y a encore des inconvénients ; car vous ouvrez une source intarissable de procès.

Quoi qu'il en soit, messieurs, ce n'est pas par les inconvénients de la loi, c'est par son texte, c'est par son esprit que vous devez la juger.

Je conviens que lorsque le sens de la loi est douteux, lorsque le texte est équivoque, lorsqu'il est difficile de remonter à la pensée créatrice, à la pensée qui a présidé à la rédaction de la loi, je conviens que dans des cas semblables, il est tout naturel d'examiner quelle est la portée de la loi, quelles peuvent en être les inconvénients. Mais il faut cependant qu'on se garde d'obscurcir la loi tout exprès pour l'interpréter de manière, à éviter les inconvénients. Et si, même les inconvénients existaient, messieurs, (mais le remède est facile), ce ne serait pas dans une loi interprétative, ce serait dans une loi nouvelle que vous devriez chercher ce remède.

Il faudrait faire ce qu'on a fait en France. Et je vous avoue que si un projet semblable à celui qui a été présenté à la législature d’un pays voisin, nous était soumis, probablement je lui donnerais mon assentiment, car je crois qu'il y a moins d'inconvénients dans le système qui a fini par triompher en France que dans le système légal actuel de la Belgique. Mais, je le répète, nous n’avons pas à opter entre les deux systèmes ; nous n'avons qu'une chose à faire, c'est de fixer le sens de la loi.

Mais il y a doute, dit-on ; et quand il y a doute, il est naturel de choisir le système qui offre le moins d'inconvénients. C'est ce que vous a dit, en commençant, l'honorable M. Pirmez ; c'est ce que vous a dit hier, en finissant, l'honorable M. Raikem, dont tout le discours cependant a été débité avec une conviction qui prouve qu'à son avis il ne peut pas y avoir de doute.

Il y a doute, messieurs. Demandez donc à la cour de cassation si elle doute du sens de la loi, si la loi offre un doute quelconque ; elle répondrait ; Non, mais c’est mon système qui est vrai.

Si vous demandiez aux cours d'appel, y a-t-il doute, elles vous diraient : Non, il n'y en a pas. Car, depuis 25 ans nous avons appliqué la loi d'une seule manière.

C’est donc vous, les yeux sur la loi et la main sur la conscience, qui devez vous demander s'il y a doute, et ce n'est qu'autant que vous resteriez incertains du sens de la loi, que vous pourriez vous déterminer par les conséquences plus ou moins funestes de telle ou telle interprétation.

Pendant 26 ans, comme je vous l'ai dit, les cours d'appel de Liége et de Bruxelles ont été unanimes dans leur jurisprudence. Ce n’est que depuis l’organisation de la cour de cassation que cette unanimité a été rompue.

La cour de cassation n'a pas tergiversé non plus, il est vrai ; elle a émis un système tout contraire ; mais, quelle que soit l’autorité de la cour de cassation, les cours d'appel n'en ont pas moins persisté dans le système. Et c'est ce qui fait que vous avez à examiner le différend qui existe entre ces cours.

Vous avez donc, messieurs, une loi d'interprétation à faire. Cette loi, c’est à tort, selon moi, que quelques orateurs lui ont donné un caractère de rétroactivité.

Non, messieurs, une loi interprétative n’est pas une loi rétroactive, parce que vous ne modifiez pas la loi, vous n’en changez pas les dispositions, mais vous en fixez le sens ; vous déclarez clair ce qui jusque-là paraissait obscur. De manière que la loi, telle que vous en fixez le sens, est censée avoir eu la même portée depuis sa promulgation.

Hier, nous ne paraissions être en présence que de deux systèmes ; celui qui dessaisit le failli au moment de la faillite, au moment du report de la faillite, si vous voulez, et celui qui ne le dessaisit que par le jugement déclaratif de la faillite.

Quant aux amendements proposés par M. le ministre de la justice et par la section centrale, il est vrai de dire, messieurs, qu’au fond c’est tout à fait le système des cours d’appel qu’on a cherché à rendre un peu plus clair.

De manière qu’il n’y avait jusque-là que deux systèmes. Mais un troisième vient de se faire jour : c’est celui présenté par l’honorable M. Dolez, et dont il a puisé les éléments dans un arrêt de la cour de cassation.

Nous allons donc, messieurs, examiner en très peu de mots ces trois systèmes et voir quel est celui qui traduit le plus fidèlement les préceptes de la loi.

La faillite n’a jamais été définie par aucune législation ; toutes se sont bornées à en déterminer le caractère. Elles ont dit à quels signes on pouvait la reconnaître.

Ne pas faire honneur à sa signature, ne pas satisfaire à ses obligations, c’est faillir à ses engagements. Fait donc faillite celui qui ne paie pas ses créanciers ; c’est précisément ce que porte l’article 437 du code de commerce ainsi conçu : « Tout commerçant qui cesse ses paiements est en état de faillite. »

Ainsi, messieurs, la faillite se manifeste par des faits. La faillite est indépendance du jugement qui la déclare, la cause en est préexistante ; le jugement ne fait qu’assigner à la faillite une époque légale. La cause existe ; elle n’est que reconnue par un jugement et le report en détermine l’époque.

On nous a demandé, messieurs, comment se fixait le report d’une faillite. Serait-ce, nous demandait-on, par la cessation d’un seul paiement ? Faudrait-il la cessation de plusieurs paiements consécutifs ? Faudra-t-il y joindre la notoriété publique, et qu’est-ce que cette notoriété publique ? Et là-dessus de faire un long procès à toutes les dispositions de nos lois qui font un appel à la notoriété publique.

Messieurs, selon moi, la fixation de la faillite, ou, si vous voulez, le report de la faillite se détermine par tous toutes les circonstances qui étaient concomitantes au fait de la cessation des paiements, par tous les faits qui ont accompagné le refus de paiement. Et alors, messieurs, que le juge s’entoure encore après cela de la notoriété publique, qu’il fasse un appel aux papiers du failli pour savoir quel était à telle époque l’état de ses affaires. C’est dans toutes ses circonstances, dont l’appréciation est toute dans le domaine du juge que celui-ci pourra trouver tous les éléments propres à former son opinion sur l’époque à laquelle il convient de fixer la faillite.

Les juges de commerce, messieurs, sont dans ces circonstances de véritables jurés. Ils font la fonction d’un jury appréciant la conduite du failli et déterminant l’époque de la faillite, d’après tous les renseignements qui peuvent venir à sa connaissance.

Aussi, remarquez-le bien, la cour de cassation, à qui on avait déféré un jour un arrêt qui fixait le report d’une faillite, a déclaré qu’elle ne pouvait pas en connaître, parce que cette question était nécessairement une question de fait.

Que le juge se montre sévère dans le report des faillites, il le peut, je dirai même qu’il le doit, car si on se plaint des abus de notre interprétation, c’est parce que la loi n’a point toujours été sagement appliquée et que parfois on s’est montré trop (erratum, Moniteur du 17 janvier 1842) faciles dans les reports.

S’il y avait eu plus de sévérité, il est probable que vous n’auriez jamais eu à vous occuper de cette question.

Je dis donc, messieurs, que c’est la cessation du payement, expliquée comme je viens de le faire, qui constitue la faillite. Les effets en sont réglés par la loi, la cause en est l’insolvabilité présumée du débiteur. Les conséquences remontent nécessairement à cette cause.

La première et principale de ces conséquences, c’est la mise en action de ce principe si généralement reconnu, que les biens du débiteur forment le gage commun de tous les créanciers. Dès lors, messieurs, le dessaisissement devient une nécessité de l’application de ce principe. Il ne faut pas, en effet, que le débiteur puisse, après sa faillite, avantager certains créanciers au préjudice d’autres créanciers.

On a vu souvent dans des faillites, provenant d’hommes appartenant à des familles riches, qu’aucun membre de la famille du failli ne figure parmi les créanciers. Pourquoi, messieurs ? Parce que très souvent les opérations ne se font pas entre parents comme entre étrangers, et parce que le failli trouve toujours le moyen de désintéresser ses parents et ses meilleurs amis. C'est là un abus que le législateur doit tâcher d’éviter. Il ne faut pas que les créanciers actifs, vigilants, qui, comme on l'a très bien fait observer hier, ne sont pas toujours les plus honnêtes, puissent se faire payer au détriment de ceux qui peuvent être plus tolérants ; il ne faut pas que les créanciers qui sont sur les lieux soient dans une position plus favorable que ceux qui sont éloignés. Ceux qui se trouvent dans le voisinage du failli connaissent le désastre ou l'approche du désastre ; ils font toutes les diligences nécessaires pour se faire payer ; les créanciers éloignés, au contraire, qui ne sont pas à même d'avoir les renseignements suffisants, ne réussiraient souvent qu'à recueillir zéro, alors que les autres se seraient fait payer. La loi n'a pas voulu que le failli pût aggraver les pertes de ses créanciers en contractant de nouvelles dettes qui pourraient même n'être que supposées.

Ainsi, messieurs, la faillite existant et tous ses effets remontant au jour de l'existence légale de la faillite, il s'ensuit que du jour de cette faillite, jour qui est enfin déterminé par le report qui a lieu quelque temps après, il s'ensuit que de ce jour le failli se trouve en état de d'interdiction, Or, messieurs, les principes en matière d'interdiction font toujours remonter l'interdiction aux actes posés à une date où la cause de l'interdiction était existante. C'est à tel point qu'alors même que le jugement ne remonte pas jusqu'à certains effets qui auraient été posés au détriment de l'interdit à une époque où les causes de l'interdiction existaient ; ces actes sont cependant susceptibles d'être annulés.

« Mais, dit-on, vous faites une fausse application du principe que vous invoquez, car l'art. 503 du code civil ne dit pas que tous les actes contractés avec une personne frappée plus tard d'interdiction seront nuls. »

Celui, messieurs, qui fait cette objection n'a pas compris le point de comparaison ; le point de comparaison ne tombe pas sur la valeur des actifs, il tombe sur la cause de l'interdiction. Et puis, messieurs, pourquoi donc tous les actes faits avec un interdit, alors que la cause de l'interdiction existait, pourquoi tous ces actes ne sont-ils pas nuls de plein droit ? La raison en est fort simple ; c'est que les actes faits avec ceux qui sont mis en tutelle on en curatelle, sont (erratum, Moniteur du 17 janvier 1842) annulés non pas parce que la personne avec laquelle ces actes ont été faits se trouve en tutelle ou en curatelle, mais parce que cette personne a été lésée par ces actes.

Remarquez bien, messieurs, que le dessaisissement est indépendant du jugement. Le dessaisissement s'opère de plein droit aux termes de la loi.

Messieurs, par ces expressions, le législateur a révélé toute sa pensée : quand on dit qu'une chose a lieu de plein droit, cette chose a lieu par la seule puissance de la loi, sans que l'intervention du juge soit nécessaire.

A cette objection, qui me paraissait très forte et qui a été recommandé à votre attention par l'honorable M. Jonet, on a répondu beaucoup de choses. On a dit, par exemple : « Mais il faut que quelqu'un remplace le failli dans son administration ; Or, la loi ne dit pas que les créanciers sont saisis de plein droit. »

Si cette objection était fondée, messieurs, il s'ensuivrait que depuis la faillite jusqu'à la vérification des pouvoirs il n'y aurait personne pour administrer. Vous étendez donc bien autrement l'intervalle, si vous supposez que les créanciers doivent être saisi lorsque le failli est dessaisi. Ce n'est pas là ce qu’a voulu la loi ; il y a un agent qui administre dans l'intérêt des créanciers, mais la loi ne dit nulle part que les créanciers doivent être saisis ; elle dit seulement que le failli est dessaisi.

On ajoute que les mots de plein droit se trouvent dans tous les systèmes ; on dit, par exemple, qu'ils se trouvent dans la disposition qui a été adoptée lors de la révision faite sous le royaume des Pays-Bas, qu'ils se trouvent dans la loi française actuelle. Alors, messieurs, qu'est-ce que cela prouve ? Cela prouve précisément la force de notre raisonnement ; en France, on a changé l'époque du dessaisissement et la loi dit encore qu'il aura lieu de plein droit, c'est-à-dire sans qu'il soit besoin que le jugement le prononce ; en Belgique, au contraire, le dessaisissement commence au jour fixé pour le report de la faillite, et, comme en France, il n'a pas besoin du secours de la justice pour exister.

Je partage entièrement l'opinion de l'honorable M. Raikem, qui vous a fait remarquer, messieurs, que le dessaisissement est une innovation du code de commerce. Avant ce code toutes les opérations relatives à une faillite étaient en quelque sorte conventionnelles ; ce n'est que le code de commerce qui a donné à la faillite un caractère judiciaire. L'ordonnance de 1673 disait à quels caractères on pouvait reconnaître la faillite ; d'après cette ordonnance, la faillite était réputée ouverte depuis le jour où le débiteur s'était retiré ou que les scellés avaient été apposés sur ses biens. L'art. 4 de la même ordonnance déclare nuls tous actes faits en fraude des droits des créanciers. Cette disposition-là n'était pas nouvelle, elle n'était peut-être même pas nécessaire, car il est de principe général que tout acte fait en fraude des droits des créanciers doit être annulé.

Le législateur de 1702, qui avait l'expérience de l'insuffisance des dispositions de l'ordonnance de 1673, a maintenu à la faillite les mêmes caractères, mais il a ajouté une disposition en quelque sorte pénale, en annulant tous les actes faits dans les 10 jours avant l'ouverture de la faillite, parce que ces actes peuvent être suspectés de fraude.

Mais vous aurez pu remarquer, messieurs, que ces deux législations sont entièrement muettes sur le dessaisissement. Le code de commerce au contraire, tout en laissant subsister les signes des lois préexistantes relativement à la faillite, a voulu y ajouter un signe plus frappant encore sans lequel les autres, ne suffiront pas ; ce signe c'est la cessation de paiement. Et pour réaliser le principe d'une juste répartition de l'actif du failli entre tous les créanciers, le code de commerce a ordonné la mainmise judiciaire remontant au jour du report de la faillite.

Remarquez bien, messieurs, que le jour du report est celui de la faillite ; la faillite, avant le report, n'a qu'un existence de fait ; au jour du report elle acquiert une existence légale.

Dans le système que je viens d'avoir l'honneur d'exposer, tout se coordonne, tout s'explique. La loi répute frauduleux certains actes posés dans les dix jours avant la faillite, ces actes sont annulés. Quant aux actes postérieurs à la faillite, ils subissent le sort de tous ceux qui sont faits avec des personnes incapables.

Hier, messieurs, on a semblé tirer un grand argument de ce que les partisans de l'opinion que je défends ne s'entendaient pas trop sur les effets du dessaisissement. Mais, messieurs, remarquez une chose ; ce ne sont pas les effets du dessaisissement que nous avons à déterminer maintenant ; nous avons à faire l'application d'un principe, nous avons à décider la question de savoir si le dessaisissement a lieu depuis le jour de la faillite ou depuis le jour de la déclaration de la faillite. Quant aux effets du dessaisissement, c'est aux tribunaux à les déterminer ; nous n'avons, nous, qu'à poser un principe, et c'est au juge à en faire l'application.

Vous comprenez, messieurs, que si vous vouliez entrer dans tous les cas qui peuvent se présenter dans l'application de cette loi, il faudrait faire un code tout entier, et alors on ne serait pas encore sûr d'avoir pu prévoir tous les cas auxquels est applicable le principe qu'il s'agit de poser.

Encore une fois, messieurs, le législateur pose des règles, et c'est au juge à appliquer ces règles aux divers cas qui se présentent.

Pour ce qui est relatif au report, messieurs, M. le rapporteur est parti de ce point de droit qu'à dater du jour de la faillite, le failli se trouve en état d'incapacité ; il a dit : « Ceux qui contractent avec le failli après sa faillite doivent s'imputer les conséquences des actes qu'ils ont faits après celle époque, parce que chacun est censé connaître la condition de celui avec lequel il contracte (je rends la phrase en français).» Il y a encore une erreur, messieurs ; dans la manière d'apprécier cet argument ; on a dit : « Mais comment voulez-vous que l'on connaisse les affaires de tout homme avec lequel on contracte ; est-on en droit de lui faire déposer son bilan, d'exiger communication de ses livres ? » La comparaison, messieurs, a encore été mal saisie ici : ce n'est pas l'état des affaires qu'il s'agit de connaître, c'est l'état de capacité. Or, on est parti du principe qu'à dater du jour de la faillite, le failli est incapable, et par suite l'adage invoqué sous ce rapport a pu trouver ici sa place,

Le rédacteur du rapport a donc eu parfaitement raison de dire que celui qui traite avec un failli devait s'imputer de ne s'être pas enquis de sa position.

Je disais, messieurs, que dans notre système tout s'explique, tout se coordonne ; dans le système contraire, je ne vois qu'anomalies ; on ne sort d'une contradiction que pour retomber dans une autre, et l'on marche d'inconséquences en inconséquences. Quelques considérations, messieurs, vont vous le faire sentir.

La faillite existe. C'est un fait. Le jugement ne fait que constater le fait, il ne le crée pas. Les actes d'une certaine catégorie (ce sont les actes qui sont repris aux articles 443 et suivants du code de commerce), bien qu'ils aient pu être faits de bonne foi, sont annulés par une présomption de fraude. Des actes d'un même intérêt, peut-être d'une importance beaucoup plus grande, s'ils ont été posés après la faillite, vous les rendrez valables. Pourquoi ? parce que vous les protégez par une présomption de bonne foi.

La loi, dites-vous, est muette sur le sort des actes qui se sont passés, dans l'intervalle qui sépare la faillite du jugement qui la proclame ; et si elle est muette, le failli, pour tous ces actes, rentre dans le droit commun, et par conséquent on ne peut annuler que les actes que l'on prouvera être frauduleux.

Eh bien, cette manière de raisonner fait que la même cause produit des effets tout-à-fait opposés.

Les actes indiqués aux art. 443 et suivants du code de commerce sont nuls, parce qu'il y a faillite : c'est à raison de la faillite que la loi en opère la nullité. Quant aux actes posés après la faillite, vous les faites valables, vous les validez malgré la faillite, parce que vous présumez la bonne foi.

Ainsi, messieurs, les inscriptions qui auront été prises un jour avant l'ouverture de la faillite, vous les frappez de nullité ; mais le payement qui aura été fait, l'obligation pour laquelle on aura pris des inscriptions, sera valable. Ainsi donc l'accessoire sera nul et le principal subsistera.

J'aurai pris des inscriptions pour m'assurer une somme ; vous anéantissez les inscriptions qui n'étaient qu'un gage, une garantie, mais vous laissez subsister l'obligation, et si l'obligation vient à s’éteindre après l'époque de la faillite, vous déclarerez qu'elle est bien éteinte.

Voilà la première des contradictions dans lesquelles vous tombez.

Les inscriptions seront nulles, et cependant lorsque le failli aura posés des actes bien plus graves, lorsqu'il aura disposé de sa propriété, à titre onéreux, sa disposition sera valable ! Je vous demande, messieurs, si telle a pu être la pensée du législateur, je vous demande s'il n'y aurait pas lieu de l'accuser d'imprévoyance, s 'il avait réellement adopté un semblable système ? Je dis que ce système ferait affront à l'intelligence du législateur.

Ce n'est pas tout. Il y a encore d'autres inconséquences.

Si le dessaisissement n'opère que du jour du jugement ou par le jugement, que ferez-vous donc des actes postérieurs à la retraite du failli ? Que ferez-vous des actes postérieurs à la fermeture de ses magasins ? Si le dessaisissement n'opère que du jour du jugement, que ferez-vous des actes posés par le failli après sa déclaration de faillite, mais avant le jugement déclaratif de la faillite ?

Je conviens que l'intervalle est court ; mais dans tous les cas que je viens de supposer, le failli a pu faire encore des actes. On les annulera, me répondrez-vous, parce qu'il y aura eu dans ces circonstances une trop grande publicité. C'est donc de la publicité que vous ferez résulter la faillite. Mais, messieurs, c'est là un caractère tout nouveau. Est-ce que la cessation de paiements ne peut pas avoir le même degré de publicité que les actes que j'ai indiqués ? De la publicité… Mais la publicité n'est pas la même pour tous.

N'est-il pas vrai qu'il y a des personnes qui sont en relation d'affaires avec le failli, elles peuvent encore contracter avec le failli, avant de connaître la déconfiture. Eh bien, messieurs, si vous n'admettez pas le dessaisissement, opérant de plein droit par le fait de la faillite, voilà des actes que vous êtes condamnés à rendre valables.

Pour les hypothèques, les inscriptions et les privilèges postérieurs à la faillite, l'on a trouvé un moyen fort commode de les annuler. La loi, dit-on, frappe de nullité les inscriptions prises dix jours avant la faillite ; par la même raison, elle est censée avoir frappé de nullité les hypothèques qui suivent la faillite.

Ce raisonnement en droit est tout-à-fait inexact. Il est même contraire à toutes les règles d'interprétation. Les art. 443 et suivants du code de commerce renferment des dispositions exceptionnelles, dès lors, elles sont de stricte interprétation, et l'on ne peut pas les étendre à des cas qu'elles n'ont pas prévus.

Vous le voyez, messieurs, il n'y a que le dessaisissement opérant du jour de la faillite, qui puisse obvier à tous les inconvénients que je viens de signaler. Aussi, la cour de cassation a senti la force de ces raisonnements. Elle a compris la difficulté, et pour y remédier, elle s'est bien gardée de poursuivre les errements de sa première jurisprudence ; mais elle a créé un système mixte.

Tandis que les uns invoquent le dessaisissement opérant de plein droit du jour de la faillite et que les autres n'admettent le dessaisissement que du jour du jugement déclaratif de la faillite, la cour de cassation fait la part à chaque opinion, en donnant aux uns un dessaisissement fictif, et aux autres un dessaisissement réel.

Au moyen de cette distinction la cour de cassation élargit, j'en conviens, les proportions du report, car avec l'autre jurisprudence, avec celle que la cour semblait avoir contractée, savez-vous, messieurs, à quoi servait le report ? Il servait à une chose unique, il servait faire à déclarer la nullité des actes indiqués aux articles 443 et suivants du code de commerce. Mais, je le répète, la cour de cassation élargit maintenant les proportions du report.

Aujourd'hui, non seulement le report ainsi déterminé avec la distinction créée par la cour de cassation, a pour effet de prononcer la nullité des actes dont je viens de vous entretenir, mais elle place le failli dans un état flagrant de suspicion de fraude.

Messieurs j'ai, moi aussi, beaucoup de respect pour la cour de cassation ; souvent j'ai admiré la sagesse de ses décisions ; mais il faut bien que j'en convienne, je ne pousse pas mon respect aussi loin que l'honorable M. Dolez. Je ne pense pas, par exemple, que la première raison en droit doive nécessairement appartenir à la cour de cassation. S'il en était ainsi, nos institutions seraient remplies d'hérésies ; s'il en était ainsi, il n'y aurait qu'une chose à faire, ce serait d'autoriser la cour de cassation à statuer sur le fond des affaires, Or, c'est tout le contraire qu'on a voulu, il y a dans la constitution une disposition qui interdit à la cour de cassation de connaître du fond des affaires. Messieurs, si le principe qui a été développé hier pouvait être accueillie, il faudrait biffer de toutes nos institutions ce qui concerne les lois d'interprétation.

Je dis donc, messieurs, que, malgré tout mon respect pour la cour de cassation, je ne puis, dans cette circonstance, me soumettre à son autorité. Pour expliquer son système, la cour de cassation a dû trouver dans la loi ce que je n'y vois pas ; elle a dû faire une distinction que rien n'y révèle ; elle a dû enfin étendre à des cas non prévus des dispositions faites pour des cas prévus.

Où est, je vous le demande, messieurs, la loi qui fasse allusion à un dessaisissement fictif ? Le mot de dessaisissement fictif se trouve-t-il dans une seule de nos dispositions ? Mais en fait de dessaisissement, et alors surtout qu'on veut obvier à une malversation possible, il faut le dessaisissement le plus complet. Par cette distinction, on a fait du failli un être véritablement équivoque. Tantôt il est capable d'administrer, tantôt il se trouve en état de suspicion continuelle de fraude, tantôt il est en état d'interdiction. (erratum, Moniteur du 17 janvier 1842) Pour recevoir et donner quittance, il est capable ; c'est une espèce de gérant d'affaires que les créanciers ont accepté, par cela même qu'ils l'ont laissé administrer, après qu'ils savaient qu'il était en état de faillite.

Je l'avoue, parmi toutes les considérations qui se trouvent dans l'arrêt de la cour de cassation, celle-ci serait le plus facile à justifier.

Mais les actes de commerce, mais les actes d'administration, mais les actes d'aliénation à titre onéreux, ils seront nuls quant au failli, d'après ce système de la cour de cassation.

S'agit-il de privilèges ou d'hypothèques prises dans les 10 jours de la faillite ; ces privilèges, ces hypothèques seront nuls. Vous voyez que, dans ce système, pour traiter avec un failli, il faut déjà faire une étude de sa position.

Le premier tort de ces distinctions est de ne pas avoir d'appui dans la loi, je dirai même de lui être contraire ; le second tort, c'est de multiplier les embarras au lieu de les résoudre.

Je dis, messieurs, que le système de la cour de cassation n'est pas conforme à la loi, parce que je trouve que, pour en faire l'application, elle a dû, je le répète, étendre des dispositions exceptionnelles à des cas autres que ceux pour lesquels ces dispositions ont été faites.

Que si le dessaisissement est restreint au point de n'être plus qu'une fiction, il me semble que le législateur aurait dû s'en expliquer. Or, je le dis encore, messieurs, de dessaisissement fictif, on n'en voit nulle part dans la loi. On veut placer le failli dans un état continuel de suspicion de fraude, et rendre par là plus susceptible d'annulation les actes de son administration.

Mais, messieurs, je ne puis assez le répéter, la loi a prévu quels sont les actes pour lesquels il y avait, quant au failli, présomption de fraude ; ces actes se trouvent énumérés aux articles 443 et suivants (particulièrement à l'article 445) du code de commerce.

Cet article porte : « Tous actes ou engagements pour fait de commerce, contractés par le débiteur dans les dix jours qui précèdent l'ouverture de la faillite, sont présumés frauduleux quant au failli : ils sont nuls, lorsqu'il est prouvé qu'il y a fraude de la part des autres contractants. «

Voilà le seul texte de loi que vous trouverez pour placer le failli dans un état de suspicion de fraude légale. Si vous étendez cette disposition à tous les actes de leur administration (erratum, Moniteur du 17 janvier 1842) postérieure ; si vous frappez le failli d'une quasi-interdiction, vous sortez des prévisions de la loi, vous l'étendez à d'autres cas que ceux pour lesquels la disposition a été portée.

Eh ! qui ne voit qu'avec ce système on tourne la difficulté au lieu de la résoudre ! C'est l'exercice de l'action paulienne qu'on a voulu rendre plus facile. L'action paulienne, pour qu'elle eût lieu, exigeait plusieurs conditions, entr’autres la fraude de la part des deux parties contractantes. Par le système de la cour de cassation, la fraude est toujours supposée quant au failli. Voilà la moitié de la besogne faite ; mais la plus difficile reste à faire, celle de démontrer que ceux qui ont traité avec le failli ne peuvent pas se protéger de la bonne foi, qu'ils ont voulu frauder la masse des créanciers.

On le sait, il n'est pas de procès plus difficiles que ceux qui sont à la recherche de la fraude. .La fraude sait s'entourer de toutes les précautions nécessaires pour se cacher ; c'est quand on croit la saisir qu'elle vous échappe, surtout quand la partie qui a contracté a pour elle la présomption de bonne foi, présomption qu'il faut détruire pour faire annuler les actes. Vous voyez que tous les actes passés avec le failli seront susceptibles d'être annulés, c'est-à-dire que, pour chacun de ces actes, il faudra un procès particulier, de manière qu'on rend la liquidation de la faillite presque impossible, et qu'on perpétue pour ainsi dire la gestion des syndics ou des administrateurs.

Messieurs, le système que je défends a été combattu par d'autres raisonnements encore, dont il m'importe de vous présenter la réfutation.

Le législateur, a-t-on dit, s'est servi d'expressions différentes dans l'art, 442 et dans les art. 443 et suivants du code de commerce. Cette différence de langage suppose une pensée différente, une autre portée, un autre ordre d'idées.

Le dessaisissement, a-t-on ajouté, suppose également la saisine de ceux qui doivent se substituer à l'administration du failli. Ce n'est qu'après le jugement déclaratif de la faillite que les agents viennent prendre l'administration du failli, donc le dessaisissement n'a lieu qu'après le jugement déclaratif de la faillite.

Je crois avoir présenté dans toute leur force les raisonnements opposés au système que je défends. Ces raisonnements séduisent au premier abord, mais ils ne sont que spécieux et ne supportent pas l'épreuve d'un examen attentif.

Le jour de la faillite et le jour de l'ouverture de la faillite sont dans le langage usuel une seule et même chose, Qui dit : le jour de la faillite, dit : le jour de l'ouverture de la faillite : Ces termes sont absolument synonymes. Si vous en vouliez la preuve, vous la trouveriez non seulement dans le langage usuel, mais dans tous les textes du code civil qui ont rapport à cet objet, dans les textes du code de commerce autres que l'article 443 et suivants et dans le code de procédure lui-même. On ne s'y sert jamais que du mot faillite, et cependant on entend toujours, par ce mot, faillite ouverte ou ouverture de la faillite. S'il fallait donner une raison différente à cette différence d'expression, ce ne serait pas celle qui a été indiquée, celle que je vais énoncer serait beaucoup plus raisonnable, si je ne me trompe.

La disposition de l'art. 442 s'applique au failli, elle le frappe de dessaisissement et annule les actes qu'il a posés depuis qu'il est en état de faillite, cela ne concerne que le failli, et il sait mieux que personne depuis quand il est en état de faillite. Les articles 443 et suivants, au contraire, s'appliquent à des tiers, frappent des droits acquis avant la faillite. Remarquez que la nullité ou le maintien de ces droits peut dépendre de 24 heures, car il s'agit d'actes faits dix jours avant la faillite. Il n'est pas étonnant, dès lors, que le législateur plus circonspect ajoute une expression qui précise davantage l'époque d'où dépend l'existence ou la nullité de ces actes.

Voilà une raison qui suffit pour expliquer la différence d'expression dont on a argumenté.

L'administration, a-t-on dit, ne peut pas être vacante. Il faut que quand le failli ne peut plus administrer, que d'autres puissent prendre l'administration de ses biens, droits et actions. (erratum, Moniteur du 17 janvier 1842) Comme les agents et les syndics ne peuvent entrer en fonctions qu’après le jugement, il s’ensuit que jusque-là le failli continue son administration et que jusque-là sa capacité n’a pont été altérée.

L'observation est vraie, mais la conséquence ne l'est pas également. C'est ce que vous allez voir par l'économie de la loi. Le législateur n'a pas supposé qu'il y aurait un long intervalle entre la faillite et la déclaration de la faillite. En effet, le failli est tenu de faire la déclaration de sa faillite dans les trois jours de la cessation de paiements ; les créanciers peuvent la faire proclamer au moyen d'une requête présentée au tribunal de commerce. Le tribunal de commerce peut déclarer la faillite d'office, par suite de la notoriété et le juge de paix, sans l'intervention des créanciers, peut apposer les scellés. Voilà toutes les précautions que la loi a prises. Si, malgré ces précautions des actes d'administration ont lieu, que s'en suit-il ? Que ces actes sont valables ! Mais ce serait donner une récompense à la désobéissance à la loi. Non, cela ne peut pas être. Je pense que la seule réponse raisonnable à donner, c'est que les actes faits avec le failli subiront le sort de tout contrat passé avec des personnes incapables.

Je crois avoir répondu aux principales objections qui ont été présentées. Je pourrais borner ici ma tâche. Mais j'ai encore une observation à faire sur le mot notoire qui est dans le projet de la commission.

Au sein de la commission, j'avais conçu quelques doutes sur cette espèce d'innovation, innovation qui serait dans le texte, mais qui, à vrai dire, ne devait pas donner une autre portée à la loi. J'avais émis quelques observations, mais on me fit l'objection que ce mot était ajouté pour rendre le juge plus circonspect sur la fixation du jour de l'ouverture de la faillite. Je n'insistai pas, me trouvant seul à exprimer des doutes sur cette adjonction, Je regrette que l'honorable M. Pirmez ne m'ait pas appuyé au sein de la commission des arguments qu'il a présentés à la chambre, qu'il n'ait pas mis au service de mes observations, ses connaissances en droit ; peut-être alors, ce qui sera probablement résolu par la chambre, l'eût-il été par la commission elle-même.

Je reviens donc à ma première opinion sur le mot notoire. Je n'en vois point l'utilité et il pourrait être dangereux. Il ne me paraît pas utile, parce que, comme je viens de l'expliquer, le report se fait d'après l'ensemble de faits, de circonstances dont l'appréciation est dans le domaine du juge. La notoriété publique se compose aussi d'une réunion de circonstances que le magistrat doit considérer dans leur ensemble et d'après lequel il doit se décider.

D'après ces considérations je voterai pour le système présenté par M. le ministre de la justice.

M. Demonceau. - La question que nous avons à examiner est d'autant plus grave qu'elle semble diviser plusieurs de nos honorables collègues et sur le fond et sur les conséquences. Nous sommes en présence, selon moi, de deux systèmes : celui de la cour de cassation, d'après lequel il n'y a dessaisissement de plein droit qu'autant qu'il y a déclaration de la faillite, et celui des cours d’appel, d'après lequel il y a dessaisissement de plein droit à dater du jour de l'ouverture de la faillite, c'est à dire à compter du jour où les tribunaux fixent l'ouverture de la faillite. C'est entre ces deux systèmes que nous devons choisir comme législateurs interprètes de la loi. Nous devons admettre ou que le dessaisissement s'opère de plein droit avec toutes ses conséquences, comme le proclament les deux cours d'appel qui ont eu à juger la question, ou nous devons admettre qu'il n'y a dessaisissement de plein droit que du jour où il y a jugement déclaratif de la faillite.

Les défenseurs du système des cours d'appel prétendent qu'il n'y a aucun doute ; les partisans du système opposé déclarent aussi qu'il ne peut y avoir doute ; comment se fait-il, s'il ne peut y avoir doute, que nous sommes appelés à trancher la question ? C'est précisément parce qu'il y a doute légal, parce qu'il faut opter entre l'un ou l'autre de ces deux systèmes. S'il n'y avait pas de doute, nous n'aurions pas à juger la question, à déclarer laquelle des deux opinions nous voulons adopter.

Le système du dessaisissement de plein droit a pour effet de rendre le failli incapable de toute espèce d'acte, à dater du jour de l'ouverture de la faillite, c'est-à-dire du jour où les tribunaux déclarent qu'il y a faillite. Ainsi, pour me faire comprendre plus facilement, je suppose que la faillite soit déclarée aujourd'hui et que le jugement qui la déclare fixe le jour d’ouverture de cette faillite au 1er décembre de l'année dernière. C'est à l’époque du 1er décembre de l'an dernier que le failli sera dessaisi de plein droit et qu'il aura été déclaré incapable tout ce qu'il aura fait dans l’intervalle sera nul de plein droit.

Si, au contraire, vous adoptez le système de la cour de cassation, voici comment je le conçois : A dater du jour du jugement déclaratif de la faillite, il y a dessaisissement de plein droit ; mais entre le jour où la faillite est déclarée et le jour auquel la faillite est reportée, tout ce qui a été fait de bonne foi dans cet intervalle par des tiers est valide. Pour les actes faits dans les 10 jours qui précèdent l'ouverture de la faillite, il faut recourir aux articles 443, 444, 445 et 446 du code de commerce ; mais pour les actes qui peuvent être validés ou invalidés, suivant les circonstances, selon qu'ils auront eu lieu de bonne ou de mauvaise foi, avec profit ou perte pour la masse, nous avons une disposition qui doit, dans tous les cas, recevoir son application ; c'est la disposition de l'art. 447 qui, sans distinguer l'époque, déclare nuls tous actes ou paiements faits en fraude des créanciers. Et quand vous comparez cet article 447 avec la théorie du code civil, vous trouvez une différence immense que l’honorable M. Fleussu n'a pas bien saisie, selon moi. L’action paulienne de l'art. 1167 du code civil n'est pas l'action en nullité autorisée par l'art. 447 du code de commerce.

Il faut des conditions bien différentes pour pouvoir intenter l'action paulienne de l'art. 1167, et pouvoir user du bénéfice de l'article 447 du code de commerce ; tandis que, d'après les principes du droit civil, les actes ne peuvent être annulés que quand il y a fraude, nous trouvons, dans le code de commerce, que tous les actes ou payements faits par un débiteur failli peuvent être invalidés, s'ils ont eu lieu entre le jour où la faillite est déclarée et celui auquel elle est reportée, s'ils causent préjudice à la masse. Pensez-vous qu'avec le système de la cour de cassation les tribunaux hésiteraient à invalider de tels actes ? Je vais plus loin : je dis que, s'il était trouvé que même avant les dix jours qui précèdent l'ouverture de la faillite, un créancier eût reçu quelque somme au préjudice de la masse, les tribunaux ne balanceraient pas à prononcer la nullité de pareils payements.

Je puis en citer un exemple. Je suis fâché de ne pas avoir le jugement sous la main ; il a été rendu, moi plaidant, en 1826 ou 1827, contre ce célèbre jurisconsulte, qui est considéré comme l’importateur en Belgique du système du dessaisissement ; ce jugement a décidé que, même antérieurement aux dix jours qui précèdent l'ouverture de la faillite, des paiements faits au préjudice de la masse doivent être rapportés. Voici les faits : Un teinturier était créancier d'un fabricant de draps pour une somme de 6,000 fr. environ. Ce fabricant de draps lui avait remis une traite à vue qui fut protestée faute d'acceptation. La retraite étant revenue au teinturier, il écrivit au fabricant de draps à peu près en ces termes : « Je vous renvoie votre traite protestée faute d'acceptation ; vos draps ne sont pas parvenus à destination ; on n'a pas voulu accepter votre traite ; on a dit qu'on payerait si les draps arrivaient. Dans l'intervalle, pour ne vous gêner en aucune manière, vous pouvez me remplacer cette traite en d'autres valeurs, soit en numéraire, soit même en marchandises ». Le fabricant de draps remet au teinturier une balle de laines et plusieurs pièces de drap. Quatre mois après, le fabricant de draps fut déclaré en faillite ; sa faillite fut reportée au 27 octobre. Ce n'était pas dans les dix jours qui précédèrent cette époque que s'étaient passés les faits que je viens d'énoncer. Mais par la correspondance du fabricant de draps et du teinturier, il fut prouvé que celui-ci avait connaissance de l'état de gêne de son débiteur, et comme il avait reçu des valeurs qu'il n'avait pas l'habitude de recevoir, le tribunal de commerce ne balança pas à prononcer le report à la masse ; M. Teste ne crut pas devoir appeler de ce jugement. Ainsi, dans le système de la cour de cassation, Il y a possibilité de faire application de l'art. 447, dans les circonstances où l’on prouve que quelqu'un a profité au préjudice de la masse. Mais voyez les conséquences du système contraire : tous les actes sont nuls de plein droit. Ainsi, je suppose (pour être compris par ceux de mes honorables collègues qui n'ont pas l'habitude de l’étude des lois), je suppose, dis-je, le propriétaire d'un troupeau de moutons, qui a l'habitude de vendre comptant le produit de ses troupeaux ; un négociant se présente chez lui et lui dit : « Je vous achète le produit de votre troupeau, moyennant une somme de 10,000 francs que je payerai en enlevant la marchandise. Le propriétaire fait l'opération. Un mois après la livraison, le négociant est déclaré en faillite, et la faillite est reportée à une époque antérieure au jour où le propriétaire a fait cette opération, Le failli était donc dessaisi de plein droit ; s'il ne pouvait payer, il ne pouvait non plus acheter. » Eh bien, en acceptant le système des cours d'appel de Bruxelles et de Liége dans toutes ses conséquences, qu'arrivera-t-il ? Il arrivera que ce propriétaire, qui s'est dessaisi de ses marchandises contre espèces, sera obligé de rendre les espèces.

Vous allez croire sans doute que les administrateurs de la masse lui rendront la laine qu'il a livrée. Eh bien, il n'en sera pas ainsi. Cette laine forme le gage commun de tous les créanciers et le propriétaire ne pourra se faire admettre au passif de la faillite pour ultérieurement prendre part aux distributions des dividendes, s'il y en a. Pensez-vous que jamais le législateur qui proposa l'art. 442 du code de commerce ait entendu autoriser un système d'interprétation aussi inique ? Pour moi, il m'est impossible d'y croire.

Qu'on ne dise pas que tantôt il est parlé dans divers articles du code de la faillite et de l'ouverture de la faillite pour désigner l'état de faillite. Il suffit de lire attentivement l'art. 440 du code de commerce pour voir qu'il est impossible de fixer l'ouverture de la faillite sans qu'elle soit reportée. En effet, d'après l'article 440, il est accordé un délai de trois jours au failli, pour faire la déclaration qu'il prescrit. De là découle la nécessité, selon moi, de reporter chaque fois la faillite, à moins toutefois que la déclaration ne se fasse le premier jour de la cessation des payements et que le jugement ne soit porté ce jour même, ce qui arrivé bien rarement.

N'allez pas croire non plus que ce soit indifféremment, que le législateur se serve du mot faillite dans l'art. 442, et des mots ouverture de la faillite dans d'autres articles. Il y a entre ces deux expressions, quoiqu'on en dise, une très grande différence. Lisez attentivement les articles 442 et 494, ces deux articles sont en corrélation parfaite ; à dater de la déclaration de faillite, il faut une administration quelconque.

Si tout était nul à dater de la faillite, ainsi qu'on le prétend, comment la loi (art. 494) déclare-t-elle valide les actions intentées par ou contre le failli, avant la faillite. S'il est dessaisi à dater de la faillite, il est incapable d'intenter une action quelconque ou d'y répondre. C'est donc des actions dirigées antérieurement à la déclaration de la faillite que traite l'art. 494 du code de commerce. Admettre qu'il pût en être autrement, serait même détruire dans certains cas l'avoir du failli. Et voici des exemples : le code de commerce exige impérieusement que l'endosseur d'un effet qui est protesté, dénonce le protêt à l'endosseur précédent, dans un délai fixé. Je suppose qu'avant la faillite, c'est-à-dire la faillite déclarée, le négociant gêné dans son commerce, soit porteur d'un effet protesté, et qu'il fasse la dénonciation de ce protêt, avec assignation devant le tribunal de commerce. Si le failli est dessaisi de plein droit, la signification, quoique faite dans le délai, sera nulle ; qu'arrivera-t-il, lorsque la masse des créanciers viendra ou voudra faire valoir plus tard ses droits ; il y aura le plus souvent déchéance acquise, et les endosseurs ne manqueront pas de l'opposer. Le même failli, dessaisi de plein droit, a-t-il intenté quelqu'action révocatoire ou autre, ayant pour but d'interrompre une prescription, et l'a-t-il exercée dans l'espace de temps qui s'est écoulé entre le jour de l'ouverture de la faillite et celui de la déclaration de la faillite. Encore une fois, s'il est dessaisi de plein droit, à dater de l'ouverture de la faillite, l'action qu'il aura intentée sera nulle de plein droit. Eh bien, je suppose que dans l'intervalle il y ait encore des déchéances encourues, ce sera la masse de ses créanciers qui sera victime.

L'honorable M. Fleussu a dit que la cour de Liége n'a jamais varié dans sa jurisprudence ; je crois qu'il est dans l'erreur. Si mes souvenirs ne me trompent pas, je crois qu'il existe dans l'affaire de Gomjée un arrêt qui décide le contraire de ce qui a été décidé plus tard ; cet arrêt même a été dénoncé à la cour de cassation, et à l'instant même mon honorable ami M. Raikem me donne le volume où se trouve l'arrêt de rejet prononcé par cette cour ; je me dispenserai de vous donner lecture de cet arrêt, il est en harmonie parfaite avec le système qu'a adopté depuis la même cour de cassation.

Ainsi, messieurs, c'est en se cramponnant (permettez-moi l'expression), à un texte de loi, que les cours d'appel sont parvenues à fausser le système. Et s'il y a des tribunaux qui ont faussé le système en matière de faillite, ce sont les deux cours dont nous combattons ici l'opinion.

M. Jonet. - Je demande la parole.

M. Demonceau. - La jurisprudence des cours de France interprétant notre législation, qui est française, est bien différente de celle de nos cours d'appel.

La cour de cassation de France surtout n'a, que je sache, jamais varié dans son système d'interprétation ; je ne me souviens pas d'avoir lu un seul arrêt de cette cour qui décide le contraire de ce qu’a jugé notre cour de cassation.

Maintenant, messieurs, comme j'ai entendu parler d'autorités respectables, entre autres de Pardessus et de Locret, j'ai à mon tour une autorité, que je considère comme très respectable, parce que l’auteur dont je vais invoquer l’opinion a traité ex professo la matière.

Cet auteur est Chardon, dans son traité du Dol et de la Fraude en matière civile et commerciale.

Vous me permettrez, j'espère, de vous faire connaître quel est le système de M. Chardon et les autorités qu'il invoque pour le justifier. Je serai un peu long, mais je crois qu'il importe que je vous donne lecture de l'opinion de cet auteur :

« On a cependant voulu obtenir de ces règles exceptionnelles des effets beaucoup plus étendus, en donnant à l'art. 442 une étrange interprétation, et prétendant que puisqu'il dessaisit, de plein droit, le failli de ses biens, à compter du jour de la faillite, il en résulte pour lui une incapacité absolue, et telle, que tout ce qu’il a fait depuis l'ouverture de cette faillite est nul, même à l'égard des tiers de bonne foi ; qu'ainsi ceux qui se sont libérés doivent payer une seconde fois ; ceux qui ont reçu ce qui leur était légitimement dû, doivent le rapporter ; ceux qui ont acheté de lui meubles ou immeubles, qu'ils les aient payés ou non, cessent d'en être propriétaires ; ceux qui sont devenus les créanciers, ne le sont plus, etc.

« Dans ce système, non seulement tous ces traités sont présumés frauduleux, mais les intéressés ne sont pas même admis à prouver leur bonne foi. « Il ne faut, a-t-on dit, aucune présomption légale de fraude pour les annuler, les articles 1242 du code civil et 442 du code de commerce ne permettent pas de les déclarer valables, » Telle est la doctrine professée en 1811 par M. Pardessus, p, 577, doctrine dont l'intérêt personnel s'est depuis emparé plusieurs fois, mais heureusement sans succès.

« Il serait difficile d'énumérer toutes les injustices que l'administration de ce système eût entraînées. Un commerçant trébuche longtemps avant de tomber ; si ses proches, ses confidents et quelques créanciers s’aperçoivent de ses premiers embarras, combien d'autres les ignorent, et continuent de traiter de bonne foi avec lui ! La loi ne retient la fraude, par ses présomptions, que pour protéger la bonne foi ; il ne faut donc pas les diriger dans un sens contraire ; de tout temps, les législateurs ont voulu prévenir les manœuvres des débiteurs envers leurs créanciers ; mais, tant qu'ils n'étaient pas des dessaisis, de fait, de l'administration de leurs biens, les traités faits avec eux étaient valables jusqu'à la preuve de la fraude. C'est le texte formel de la loi 6, § 7 quœ in fraud. cred. L'ordonnance de 1673 n’avait, à l'égard des faillites, aucune disposition rétroactive. »

Cette idée de la supposer ouverte du jour où le marchand a manqué à quelques engagements, n'avait pas encore été conçue. Cependant, dès 1666, le commerce de Lyon, effrayé des actes frauduleux avec lesquels, dans presque toutes les faillites, on trouvait moyen de frustrer les créanciers légitimes, avait demandé et obtenu une loi particulière qui annulait tous les traités faits avec le failli dans les dix jours précédant la faillite, et le 18 novembre 1702, le roi en fit une loi générale. Mais ces deux lois ne parlent que de la faillite publiquement connue ; ce qui ne pouvait s'entendre, et ne s’entendait en effet que du jugement qui le déclarait.

« Il est vrai que, plusieurs fois, on voulu donner à ces lois une interprétation contraire ; que des arrêts de circonstance paraissant l’adopter furent obtenus, mais ceux qui l’ont rejetée sont en bien plus grand nombre. On peut consulter, sur ce sujet, la nouvelle édition du Répertoire de jurisprudence, au mot faillite, où M. Merlin discute et établit ce point de droit de la manière la plus lumineuse.

« La question est donc de savoir si le code de commerce a dérogé à ces règles dictées par l’équité, suivies pendant vingt siècles, et confirmées expressément par l’article 1167 du code civil. Nous ne craignons pas de dire que cette dérogation est une chimère que l’obscurité de la rédaction a pu faire concevoir, mais qu’un peu de réflexion sur le texte, et plus encore sur l’esprit des dispositions, aurait dû dissiper.

« On doit observer que si, d’un part, ce que prescrivent les articles 443, 444, 445 et 446, se réfère aux dix jours qui précèdent l’ouverture de la faillite, de l’autre, l’article 442 ne dessaisit de plein droit le failli de l’administration de ses biens que du jour de la faillite. La différence de ces deux locutions indique suffisamment que le dessaisissement de droit, prononcé par l’art. 424, n’est que le corrélatif du dessaisissement de fait autorisé par les art. 454 et suivants pour l’administration des syndics. Plusieurs passages du discours de M. de Ségur, en présentant au corps législatif le projet, ne permettent pas d’en douter.

« De cette interprétation de la lettre, passant à celle de l’esprit, il faut reconnaître que la loi a bien pu enlever au failli l’administration de ses biens pour l’avenir, mais qu’elle n’a pas pu vouloir que ce qui avait été fait ne l’ait pas été. Si les rédacteurs de cette loi avaient eu la même pensée que ses interprètes, à coup sûr ils se seraient autrement exprimés ; ils auraient annulé les effets de l’administration passée, et n’auraient pas prononcé un dessaisissement qui ne peut jamais avoir lieu que pour l’avenir.

« Si l’on voulait développer tous les points de juste critique dont l’interprétation contraire est susceptible, la discussion serait interminable. Mais nous ne pouvons résister au besoin de présenter cette dernière réflexion. On doit au moins avouer que le texte de cette partie du code de commerce fait naître le doute, et quand une loi nouvelle est dans cet état d’imperfection, c’est au sens qui la rapproche davantage des principes immuables de l’équité naturelle qu’il faut donner la préférence.

« Or, si le système que nous examinons est fondé, il comprend non seulement les négociations volontaires avec le commerçant dont, au moindre soupçon de tendance à la faillite, on peut s’abstenir, mais encore les négociations obligées auxquelles on ne pourrait pas se refuser, dans la crainte d’un mal futur et incertain, sans en éprouver un certain et actuel. Par exemple, le débiteur d’un commerçant inquiet sur sa solvabilité, et craignant que, s’il tombe en faillite, on en fixe l’ouverture à une époque antérieure à sa libération, devra donc, en refusant son paiement, s’exposer à toutes les poursuites que ce commerçant, que rien ne flétrit encore, a le droit d’exercer contre lui, même à la contrainte par corps, si la dette est commerciale, même à être aussi suspecté de faillite par cette suspension de paiement.

« Un système qui, dans ses conséquences, fait produire à la loi des effets aussi monstrueux, est évidemment l’erreur ; aussi la jurisprudence l’a-t-elle repoussé comme il devait l’être.

« La première fois qu’il fut présenté, ce fut devant le tribunal de commerce de Nantes, et, dans l’espèce, il devenait d’autant plus absurde, qu'il s'agissait d'un créancier, qui, pour être payé de ses loyers, avait fait saisir et vendre les meubles de son locataire, meubles sur lesquels il avait un privilège que la faillite de son débiteur ne faisait pas cesser. Néanmoins, les autres créanciers, en interprétant l'art. 442, comme M. Pardessus, et attendu que, depuis cette vente, ils avaient fait déclarer le débiteur en faillite, avec fixation de son ouverture à une époque antérieure aux poursuites, prétendirent que les deniers reçus devaient être rapportés ; les juges de commerce se laissaient entraîner à cette opinion. La cour de Rennes, le 8 juin 1813, et la cour de cassation, le 16 mai 1815, réformèrent, sans décider précisément la question, trouvant dans la circonstance du privilège un motif suffisant pour maintenir le payement. (Voy. Dalloz, t. 15, p. 87.)

« La question fut agitée plus isolément, quelques années après, devant le tribunal de Belfort. Meyer avait cédé à sa femme tous ses biens, en paiement de ses droits et reprises ; et un des moyens des créanciers, pour faire annuler cette cession, était l'incapacité dans laquelle on prétendait que Meyer avait été de disposer de ses biens, l'ouverture de sa faillite étant antérieure à la cession. Cette prétention, rejetée par le tribunal de Belfort, fut portée devant la cour de Colmar. Cette cour, par arrêt du 30 juillet 1819, annula la cession en la réputant le fruit d'une fraude certaine, commise sciemment par la dame Meyer ; mais elle n'en crut pas moins de son devoir de signaler comme erreur le moyen d'incapacité du failli, plaidé pour les créanciers ; ses motifs sont :

« Que, dans la nouvelle législation, le jugement qui déclare la faillite peut en faire remonter l'ouverture et étendre à plusieurs mois, même à plusieurs années, le terme de dix jours qui était précédemment fixé ;

« Que, s'il a été reconnu qu'il était dans l'intérêt du commerce que l'on puisse appliquer les effets de la faillite, pendant tout le temps intermédiaire entre la déclaration de la faillite et les dix jours qui précèdent son ouverture, il a été reconnu aussi qu'il importait à la foi publique, à l'intérêt même du commerce, qu'il soit déterminé quels étaient les actes qui, remontant aux dix jours avant l'ouverture de la faillite, étaient susceptibles d'être maintenus ou annulés ;

« Que cette détermination a été faite d'une manière précise par l'article 444 du même code, lequel prononce la nullité de tous actes translatifs de propriété, faits à titre gratuit par le failli, et qui maintient les actes de ce genre, faits à titre onéreux, s'ils ne paraissent aux juges porter les caractères de fraude ; qu'ainsi, ces caractères de fraude devenaient l'unique point à examiner, en ce qui concerne la vente des immeubles, faite par le failli, en 1816, à sa femme séparée quant aux biens, pour lui remplacer ses apports.

« Cette doctrine de la cour de Colmar, opposée à celle de M. Pardessus, est d'autant plus remarquable, que l'arrêt a été rendu sur une consultation donnée par lui, ainsi que par M. Locré, et qu'il a eu occasion de défendre son système. Nous ferons encore observer que, dans sa consultation, comme dans son Cours de droit commercial, n° 1118, il avait reconnu lui-même que son premier commentaire de l'article 442 devait, au moins, subir de grandes modifications ; il faisait une distinction entre les actes relatifs à des opérations terminées au moment même où elles sont conclues, et ceux qui ont pour objet des engagements destinés à être remplis plus tard ; il convenait que les premiers sont inattaquables, persistant à soutenir que les seconds ne devaient être maintenus, qu'autant qu'ils tourneraient au profit de la masse des créanciers.

« Cette modification condamne son système, parce qu'elle est arbitraire, et n'est pas dans la loi ; que l'article 442 établit une incapacité absolue, et non relative à certains actes. Il faut donc substituer à cette distinction, qu'aucun mot dans la loi ne justifie, la véritable, c'est-à-dire que tous les actes qui seront reconnus frauduleux doivent être annulés, et que tous les autres doivent être maintenus. C'est ce qu'ont fait les cours, en rejetant le second système de M. Pardessus, comme le premier.

« Il reparut, en effet, devant le tribunal de la Seine, en 1820, au sujet d'une cession faite par le sieur Choisy à la dame Potier, de 30,000 fr. à prendre dans une créance qui lui était due par l'administration de la guerre. Cette cession, du 13 novembre 1813, avait pour cause de libérer le sieur Choisy de ce qu'il devait à la dame Potier. Sept ans après, le 14 janvier 1820, le tribunal de commerce de Strasbourg déclara le sieur Choisy en faillite, et en fixa l'ouverture au 16 septembre 1813, deux mois avant la cession. Aussitôt le sieur Detroyes, syndic de la faillite, forma contre la dame Potier demande en nullité de sa cession, se fondant sur ce que le sieur Choisy, dessaisi de l'administration de ses biens, n'avait pas pu lui transmettre une créance dont il n'avait plus la libre disposition. Le tribunal de la Seine abonda dans ce sens, et, par jugement du 20 avril 1820, annula le transport. Mais il n'en fut pas de même devant la cour royale : Me Persil, pour la dame Potier, attaqua ce système, en développa les erreurs et les dangers, et obtint un succès complet. Le jugement du tribunal de la Seine fut réformé, et la cession faite à la dame Potier maintenue, « attendu que le transport a été fait de bonne foi, et sans fraude, à une époque où la faillite Choisy n'était point déclarée, ni publiquement connue, et où Choisy n'était point dessaisi de l'administration de ses biens. » Cet arrêt est du 31 Janvier 1821.

« Enfin, la cour de cassation sur le pourvoi du sieur Detroyes contre cet arrêt, eut l'occasion de donner à cet important point de droit toute la force de son autorité. Son arrêt, du 28 mai 1823, s'exprime ainsi :

« Attendu que l'article 442 du code de commerce, qui dispose que le failli, à compter du jour de la faillite, est dessaisi, de plein droit, de l'administration de ses biens, a uniquement pour objet d'assurer le gage des créanciers, en les autorisant a se saisir d'une administration dont le failli aurait pu abuser, s'il l'avait conservée ; que les règles relatives à la validité des actes faits par le failli, et des effets qu'ils doivent produire, sont déterminés par le droit commun en général, et spécialement par les articles 443,444, 445, 446, 447 et suivants du code de commerce ; que par suite, c'est à ces règles qu'il faut recourir et s'attacher, pour la solution de ces difficultés ; qu'aucune des ces règles n'annule les actes faits par le failli au préjudice de ses créanciers, que pour fraude légalement présumée ou constatée, et ce par des preuves positives ; que, dans l’espèce, le transport dont il s'agit n'est dans aucun des cas de nullité pour fraude présumée légalement, et qu'au contraire, il est constant et reconnu, en fait, par l'arrêt attaqué, qu'il a été fait de bonne foi, et sans fraude, à une époque où la faillite n'était point déclarée, ni publiquement connue, et où Choisy n'était pas dessaisi de l'administration de ses biens ; que, conséquemment, en confirmant cet acte, loin de violer l'art. 442, l'arrêt attaqué n'a fait qu'une juste application des règles de la matière ; rejette, etc. ( Voyez Dalloz, t. 15 p. 9)

« Un arrêt de la cour d'Amiens qui avait annulé un payement de 140,000 fr., fait par le failli le jour même où l'on avait fait remonter l'ouverture de la faillite, a également, et par les mêmes motifs, été cassé le 22 juillet 1823. » (Voyez Dalloz, t. 15, p. 93)

Vous le voyez messieurs, la cour de cassation de France et plusieurs autres cours du même pays ont adopté le système qui est, selon moi, celui de la cour de cassation de Belgique, c'est-à-dire qu'il n'y a dessaisissement de plein droit qu'à dater du jour du jugement déclaratif de faillite.

Ce système, messieurs, est le même que celui qui a été adopté en 1826, si je ne me trompe, dans la loi sur les faillites qui devait régir le royaume des Pays-Bas, et qui régit aujourd'hui la Hollande ; système mieux coordonné sans doute que celui adopté la nouvelle loi française.

Eh bien, messieurs, lorsque tous nos efforts semblent se diriger vers l'extension de nos relations commerciales avec la Hollande et avec la France, le gouvernement, qui devrait, dans l'intérêt du commerce de ces deux pays et du nôtre, adopter autant que possible une législation en rapport avec les habitudes de nos voisins, avec lesquels nous voudrions avoir des relations plus intimes, le gouvernement abandonne le système de la cour de cassation pour adopter un système contraire à celui qui existe en Hollande et en France.

M. le ministre de la justice est sans doute dans son droit quand il abandonne le système de ses prédécesseurs, mais quand il nous dit que celui qu'il adopte ne présente pas des inconvénients graves, qu'il nous permette au moins de ne pas le croire sur paroles. Ceux de nos honorables collègues, qui ne partagent point notre opinion, ne méconnaissent pas que ceux qu'ils défendent, peut entraîner des abus et des abus graves ; à mon tour j'avoue que le système de la cours de cassation n'est pas non plus tout à fait exempt d'inconvénients, mais entre deux systèmes qui présentent l'un et l'autre, les inconvénients, il faut chercher celui qui en offre le moins. Eh bien, messieurs, nous sommes en position de pouvoir faire ce choix, nous avons le droit de le faire, car il y a doute légal, et dès qu'il y a doute légal nous pouvons interpréter dans l'un comme dans l'autre sens.

Messieurs, je n'ai rien à ajouter à ce que je viens de dire, si ce n'est de vous citer quelques paroles que j'ai extraites du réquisitoire si remarquable de M. le procureur-général près de la cour de cassation, copié à la suite de l'expose des motifs du projet du gouvernement. Voici comment il y qualifie le système des cours d'appel :

« Interpréter ainsi l'art. 442, c'est, dit M. Leclercq,

« Compromettre une foule d'existences commerciales;

« C'est jeter l'incertitude et la défiance dans les relations du négoce ;

« C'est faire de la faillite, instituée dans l'intérêt du commerce, une espèce de jeu de hasard dans lequel, sous le nom du failli, les uns s'emparent de la dépouille des autres pour se la partager;

« C'est enfin violer les principes les plus anciens et les plus respectables du droit civil et commercial. »

Ainsi, messieurs, vous voyez quelle était dans l'opinion de l'honorable magistrat qui a porté la parole pour faire accueillir par la cour de cassation le système qu'elle a adopté, vous voyez, dis-je, quelle était dans l'opinion de cet honorable magistrat, la conséquence du système qu'il combattait ; je n'ai pas besoin d’en dire davantage pour qu'avec moi vous vous rangiez à l'opinion qu’il a émise dans cette circonstance et pour que vous adoptiez le projet tel qu'il vous a été présenté primitivement par le gouvernement.

M. Henot. - Messieurs, l'honorable M. Raikem a soutenu à la séance d'hier un système que je ne puis admettre, et que je me crois d'autant plus obligé de combattre qu'il est proposé par un membre dont les paroles doivent exercer la plus grande influence lorsqu'il s'agit, comme dans l'espèce, d'une question de droit.

L'honorable député de Liége, après avoir développé avec le talent qu'on lui connaît, tous les arguments favorables au système qu'il adopte, a fini par dire que la question de savoir si le dessaisissement du failli devait opérer, dans l'intention du législateur, du jour même de l'ouverture de la faillite, ou seulement du jour du jugement qui la déclare, était au moins douteuse, et que dans cette occurrence il fallait s'arrêter à l'interprétation la plus avantageuse à l'intérêt général, et embrassait le système qui offrait le moins d'inconvénients.

C'est cette opinion que je ne puis partager ; sans admettre que l'un système entraînerait plus d'inconvénients que l'autre, il ne faut pas perdre de vue, qu'il ne s'agit ici que d'interpréter une disposition décrétée en 1807 ; qu'il faut donc se reporter à cette époque, et se demander quelle a été l'intention du législateur de 1807. En se faisant cette demande, on sera forcé de reconnaître qu'à cette époque le législateur ne connaissant pas, et ne pouvant connaître les résultats qu'allait avoir la disposition de l'art. 442 du code de commerce, ces résultats n'ont eu, ni pu avoir aucune influence sur son esprit, ni le déterminer à vouloir que le dessaisissement s'opérât plutôt du jour de la déclaration de faillite que de celui du jour de son ouverture : et s'il en est ainsi, il est incontestable que ces résultats ne peuvent également exercer aucune influence sue nous qui, devant nous placer dans la position où le législateur se trouvait en 1807, devons faire abstraction des résultats que l'art. 442 a pu avoir, et rechercher, sans nous arrêter à ces résultats, l'intention qui lui a dicté la disposition dudit article.

Partant de là , je cherche l'entente du législateur, non pas seulement dans l'article 442 qui nous occupe, mais dans tous les autres qui traitent de la faillite ; je coordonne leurs différentes dispositions, je les interprète les unes par les autres, je fais abstraction des résultats obtenus, et il devient évident alors, pour moi, que cette intention n'a été autre que de faire opérer le dessaisissement à compter du jour de l'ouverture de la faillite.

Il me reste un mot à dire au sujet de l'amendement de l'honorable M. Dolez ; il me paraît que l'honorable membre a perdu de vue qu'il ne s’agit pas de faire une loi, mais simplement d'interpréter une loi existante ; qu'il ne s'agit pas de créer, mais d'expliquer, qu'il ne s'agit pas enfin d'ajouter à la loi, mais seulement de rendre l’intention de son auteur plus claire, et que par conséquent ou ne peut, comme il le demande, ajouter à l'article 442 une disposition toute nouvelle qui consiste à dire que le dessaisissement n'annulerait les actes à titre onéreux passés avec les tiers de bonne foi, qu’à compter du jugement déclaratif de la faillite.

M. Lys. - Je ne prends la parole, messieurs, que pour justifier mon vote. Je ne rentrerai dès lors dans une discussion approfondie de la question agitée devant vous, car il reste bien peu de choses à dire, et pour soutenir et pour critiquer la proposition du gouvernement.

On a voulu, messieurs, vous démontrer plutôt les inconvénients de l'interprétation que donne le gouvernement, que de prouver qu'elle n'était pas conforme au vœu du législateur primitIf. Mais ce n'est pas là notre mission, nous ne devons porter remède à la loi existante, nous devons nous borner à expliquer l'intention des auteurs du code de commerce dans son art. 442, quelques soient les résultats de cette interprétation, fussent-ils même désastreux.

Oui, sans doute, messieurs, cette explication amène après elle des inconvénients, mais ces inconvénients seraient bien plus graves, si votre interprétation avait lieu dans le sens que présentent ceux qui ne veulent accorder le dessaisissement qu'à partir du jugement déclaratif de la faillite.

Alors ce ne serait point seulement des créanciers, qui fourniraient les fonds pour acquitter un ou deux effets protestés afin de valider une opération postérieure ; mais chaque créancier de la localité prétendrait se couvrir soit par des paiements fictifs, soit par des délégations, soit par des achats de marchandises, présentant l'acquit de la facture, de manière que tout l'actif de la faillite disparaîtrait au profit des créanciers actifs et au détriment des créanciers éloignés.

La porte au détournement de l'actif de la masse n'est déjà que trop large ; restez-en convaincus, messieurs, je vous parle appuyé sur une fort longue expérience des affaires commerciales, qui remonte à la publication du code de commerce et même sous le système antérieur.

Mais, nous dit-on, la loi n'a pu vouloir qu'une faillite reste sans administrateur, ce qui existerait si vous reportiez le dessaisissement à l'époque fixée pour son ouverture ; non messieurs, la loi ne l'a pas voulu, ou au moins elle a pris toutes les précautions pour l'éviter.

Et en effet elle a voulu que le failli fît sa déclaration dans les trois jours de la cessation de paiement, elle a autorisé chacun des créanciers à provoquer le jugement déclaratif de la faillite, elle a donné pouvoir au juge de la déclarer d'office, elle a même voulu que le juge de paix pût établir les scellés sur la notoriété publique. Elle a donc pris toutes les précautions possibles.

Mais les tribunaux et les juges de paix se gardent ordinairement d'agir d'office ; ils craignent de nuire aux intérêts des créanciers, et souvent avec raison ; car combien de faillites réglées et liquidées sans déclaration, par des avantages faits à la masse souvent par la femme du failli qui renonce à ses reprises, par des proches parents du failli qui renoncent à leur dividende sur des créances considérables, et par là facilitent la liquidation en conservant l'honneur au failli, sacrifices qu'ils n'auraient pas faits si la faillite avait été déclarée. La déclaration en temps utile est dès lors toujours au pouvoir du créancier et du failli,

Et n'est-ce pas dès lors l'occasion de considérer l'administration du failli, à partir du jour fixé par l'ouverture de la faillite, jusqu'au jour du jugement déclaratif de la faillite, comme on considère la gestion d'un incapable, et de dire que tous les actes faits par lui qui ne seront pas onéreux à la masse, seront considérés comme valides, et que tous les autres seront déclarés nuls.

Telle est, messieurs, la marche suivie à l'égard de l'interdit. Celui-ci ne peut agir sans l'assistance de son curateur, à peine de nullité, et les actes antérieurs à l'interdiction peuvent être annulés, si la cause de l'interdiction existait notoirement à l'époque où ces actes ont été faits.

Vous voyez qu'on l'avait alors tardivement pourvu d'un curateur. Il en sera de même du failli avec l'interprétation donnée par le gouvernement ; il aura été pourvu tardivement d'agent à sa faillite, et pour le temps où il aura indûment administré, c'est-à-dire entre le jour fixé pour l'ouverture de la faillite et le jugement, ses actes auront le même sort que ceux d'un interdit, j'entends ceux faits antérieurement au jugement qui prononce l'interdiction, ceux faits au moment où la cause de l'interdiction existait.

Je ne puis, messieurs, partager l'opinion de mon honorable collègue, M. Dolez.

Il considère, à la vérité, comme entachés de nullité les actes à titre gratuit. Les actes concédant privilège ou hypothèque pour garantie de créances, mais il entend pouvoir valider les paiements faits ; ainsi un créancier aura pu recevoir le paiement de ce qui lui était dû, tandis qu'on annulerait l'acte qui ne lui assurait qu'une garantie pour le paiement de sa créance.

L'honorable M. Demonceau a fait ressortir les inconvénients qui résulteraient d'une différence de législation entre la Belgique et la France et la Hollande : mais cette différence, messieurs, ne résulte pas d'une loi interprétative, elle est le résultat de nouvelles lois établies et pour la France et pour la Hollande, et rien n'empêche qu'une nouvelle loi change aussi l'état des choses pour la Belgique ; mais vous ne devez, je le répète, vous occuper ici que de ce qui est, et non de ce qui devrait être.

Les motifs que je viens de développer succinctement, me forcent à repousser l'amendement de l'honorable M. Dolez, pour adopter celui présenté par M. le ministre de la justice.

(Moniteur belge n°17, du 17 janvier 1842) M. de Behr. - Messieurs, la commission dont je suis l'organe en ce moment a examiné avec soin et maturité le projet de loi que vous discutez eu ce moment, et elle est restée convaincue, à l'unanimité moins une seule voix, que le failli était dessaisi de l'administration de ses biens à l'époque de la cessation de paiement. M. le ministre de la justice a lui-même reconnu l'impossibilité de soutenir le projet primitif du gouvernement, et s'est rallié au système adopté par la commission. J'appelle sur ce point l'attention de l'assemblée, parce qu'il me semble mériter quelque considération de sa part. On a invoqué l'opinion de l'auteur du premier projet de loi ; je rends un hommage sincère aux lumières, et aux connaissances profondes de l'ancien ministre ; mais M. Ernst étant resté plus ou moins étranger à la pratique du droit, a pu se laisser dominer par l'idée des prétendus inconvénients de la version interprétative que nous défendons. Je démontrerai d'ailleurs que ces inconvénients ne sont en réalité que le résultat de l'abus du report des faillites, et d'une fausse application de la loi.

Dans le système du code de commerce, qu'est-ce que la faillite ? Rien autre que la cessation de paiements. Ces deux expressions sont tellement synonymes dans la pensée du législateur qu'il les emploie indifféremment l'une et l'autre pour exprimer la même chose. Eh bien, substituez les mots cessation de paiement au mot faillite dans l'art, 442, et la question d'interprétation est clairement résolue. Mais on ne veut pas de cette substitution, et l'on prétend que là le terme faillite signifie la déclaration de la faillite. Certes, s'il en était ainsi, il y aurait dans le langage du code une confusion singulière d'idées ; car la déclaration du juge ne crée pas la faillite, non plus que le jugement d'interdiction ne constitue la démence ou l'imbécillité. Si le législateur avait voulu que le failli ne fût dessaisi que le jour de la déclaration de la faillite ou du jugement, il lui était facile d'insérer ce mot dans l'art. 442, comme il l'a fait dans l'art. 502 du code, civil, et spécialement dans l'art. 470 du code de commerce. Mais il n'a pas entendu restreindre ainsi l'effet du dessaisissement, il était alors sous l'impression des dilapidations scandaleuses qui se commettaient chaque jour dans les faillites, et il voulait les prévenir par des mesures tellement exorbitantes qu'il s'était d'abord proposé de dépouiller le failli de plein droit de la propriété de tous ses biens au profit de ses créanciers. Mais il a reconnu ensuite qu'il pouvait atteindre son but en lui en ôtant l'administration, et c'est ce qu'il a fait par l'art, 442 que nous avons à interpréter. On peut voir par la discussion qui a eu lieu au conseil d"Etat que les auteurs du code ont voulu à tout prix conserver l'avoir du failli, et que le dessaisissement n'est rien autre qu'un séquestre légal apposé sur ses biens en faveur de la masse.

On a soutenu que dans l'article 494, le mot faillite ne pouvait s'entendre que de la déclaration de faillite. Mais tout ce qu'on pourrait en induire, c'est une exception au principe de l'art 442 en ce qui concerne les actions en justice, où la fraude est moins facile à pratiquer que dans les actes extrajudiciaires. Du reste, votre commission a déjà fait remarquer dans son rapport que l’on n’était pas d’accord sur la portée de l’art. 494. La première disposition est relative aux actions intentées avant la faillite ou cessation de paiement, et se concilie parfaitement avec les règles de la procédure. La seconde a pour objet les actions intentées après la faillite ; c'est celle dont nos contradicteurs argumentent.

En voici les termes :

« Et toute action qui serait intentée après la faillite, ne pourra être que contre les agents ou syndics. »

Certes, en lisant attentivement ce texte, il semble en résulter que l'action qui aurait été exercée après la faillite devrait être recommencée contre les agents ou syndics ; en sorte que cette disposition pourrait être invoquée plutôt comme une confirmation, que comme une exception du principe consacré par l'art. 442.

Maintenant, si l'on rapproche et combine entre elles les dispositions du chapitre Ier du code de commerce sur la faillite, on acquiert la conviction que l'art. 442 embrasse au point de vue de l'avoir du failli le temps qui suit l'époque de la cessation de paiement, et que les quatre articles suivants ne disposent que pour la période antérieure à cet événement. Aussi le législateur français, après avoir fixé le dessaisissement au jour seulement du jugement, a senti qu'il y aurait une lacune dans le système de la loi nouvelle, s'il ne statuait pas spécialement pour le temps intermédiaire, et il a modifié l'art, 446 en ces termes :

« Sont nuls et sans effet, relativement à la masse, lorsqu'ils auront été faits par le débiteur depuis l'époque déterminée par le tribunal comme étant celle de la cessation de paiement ou dans les 10 jours qui auront précédé cette époque. »

On a invoqué la jurisprudence de la cour de cassation de France. Je ne méconnais ce qu'a d'imposant l'opinion de cette haute magistrature, à l'époque surtout où elle comptait dans son sein des jurisconsultes d'un mérite éminent. Mais comment cette cour a-t-elle compris et appliqué dans le principe l'article en discussion ? Je me bornerai à citer ce considérant de son arrêt du 27 février 1823 :

« Attendu d'ailleurs qu'à compter de l'ouverture de la faillite et aux termes de l'art. 442 du code de commerce, de Frondat avait été dessaisi de plein droit de l'administration de tous ses biens qui étaient devenus le gage de ses créanciers auxquels il n'offrait plus aucune sûreté ; que dès lors, il n'avait plus qualité ni pour payer ni pour recevoir… »

Il est vrai que cette jurisprudence paraît avoir été modifiée dans la suite, mais c'est l'abus qu'on a fait du report des faillites qui a influé sur ce changement, Aussi le gouvernement français ne l'a-t-il pas jugée très conforme à la loi ancienne, puisqu'il en a provoqué une nouvelle. Pour en revenir au code qui nous régit, je ferai remarquer que l'art. 441, après avoir posé quelques actes propres à diriger l'opinion du juge dans la fixation du jour de la faillite, dispose ensuite que ces actes ne pourront servir à cette fixation qu'autant qu'il y aura cessation de payement ou déc1aration du failli.

La rédaction primitive portait cessation de tous paiements ; mais le mot tous a été retranché sur l'observation du tribunat, que le moindre paiement suffirait pour empêcher la faillite. Si donc la cessation ne doit pas être absolue, il faut au moins qu'il y ait des refus nombreux pour en constater l'existence, et on a vu quelquefois reporter en arrière, de plusieurs années, des faillites, pour arriver à la date d'un protêt qui n'avait pas été purgé, C'est là évidemment méconnaître l'esprit de la loi et en fausser le sens. Jamais un refus de paiement ne saurait constituer l'état de faillite, lorsque d'ailleurs le débiteur reste à la tête de la maison et continue son négoce. Il est sans doute parfois difficile de bien déterminer le jour de l'ouverture de la faillite ; mais chacun est libre d'intervenir dans la contestation, ou même de former opposition au jugement pour faire valoir ses droits et ses prétentions.

Le juge est par là mis à même de prononcer en pleine connaissance de cause sur tous les intérêts. S'il se trompe, il y a des droits lésés ; mais la loi n'est pas responsable de l’erreur des magistrats chargés d'en faire l'application. La cessation de paiement est un fait complexe, comme le délit d'usure ou l'état de démence. Le législateur se trouve dans la nécessité de laisser en ces matières un pouvoir discrétionnaire aux tribunaux ; s'ils apprécient mal les faits, il y a un mal jugé ; mais la loi n'en est pas moins à l'abri de tout reproche.

Si maintenant nous jetons un coup d'œil sur l'espèce jugée, qui a donné ouverture à l'interprétation qui nous est soumise, nous aurons la preuve que le jugement de déclaration de la faillite Devalensart l'a reportée a plus de deux années en arrière, et que le tribunal n'a eu aucun égard au sursis qu'avait obtenu la société obérée. Pourquoi le gouvernement n'a-t-il pas formé opposition à ce jugement ? Il y avait certes de puissants motifs à présenter contre la fixation du jour de la faillite.

Votre commission, pour mettre un terme à la fausse application de la loi, à été d'avis d'ajouter au mot faillite ou cessation de paiement le mot notoire. Si cette addition modifie la loi, elle doit être repoussée, parce que nous n'avons mission en ce moment que de l'expliquer et en interpréter le sens ; mais la notoriété ou publicité n'est-elle pas de la nature même de la faillite telle qu'elle est définie par le code de commerce ? La faillite n'est que la cessation de paiements ; mais cette cessation ne peut résulter que de refus nombreux et d'autres actes qui se produisent nécessairement au dehors, et ont de l'éclat dans le public. Ecoutons sur ce point ce que dit dans son commentaire sur les hypothèques M. Troplong, qui a le mieux traité cette matière.

« Ce qui a fait ombrage à quelques personnes, c'est qu'elles ont cru que l'ouverture de la faillite pourrait dépendre d'actes latents ; leur raison a répugné à admettre la nullité de contrats passés de bonne foi à une époque à laquelle le dérangement des affaires du débiteur pouvait être dissimulé par ses efforts pour maintenir extérieurement son crédit.

« Mais je crois qu'elles ont prêté à la loi une pensée qui ne leur appartient pas, et qui ne peut résulter tout au plus que de jugements qui ont fixé quelquefois avec légèreté l'ouverture des faillites. Ce sont les erreurs de la pratique qui ont fait calomnier la loi.

« L'ouverture de la faillite ne peut résulter dans l'esprit du code de commerce que d'actes publics capables d'instruire les tiers. Sans être absolue, il faut que la cessation de paiement soit constatée par des refus nombreux et publics. Il n'est guère possible de concevoir une faillite sans une notoriété qui s'y attache. Ainsi sous le code de commerce, comme sous l'empire de la déclaration de 1702, on n'annule que les hypothèques qui ont lieu dans les 10 jours de la faillite publiquement connue. Le code de commerce a suivi les errements de l'ordonnance de 1673 qui s'attachent à certains actes patents pour y attacher la présomption d'ouverture de la faillite.

« J’ai dit, continue l'auteur, que le code de commerce avait entendu que l'ouverture de la faillite découlât d'actes publics et notoires ; qu'ainsi, il y avait entre lui et la déclaration de 1702 une grande conformité d'esprit. »

Il résulte, messieurs, des considérations qui précèdent, que le mot notoire, loin de rien changer à l'esprit de la loi, en fait mieux ressortir le sens, et qu'en l'adoptant, on fera cesser les griefs opposés au système que nous avons adopté, et qui ne sont en réalité que la conséquence d'une mauvaise entente de l'art. 441 .du code de commerce, et de l'abus qu'on a fait du report des faillites. Du reste, il n'y a aucune difficulté sérieuse à craindre sur l'addition proposée, car elle ne fait que reproduire ce qui existait sous l'empire de la déclaration de 1702. Or, cette ordonnance a été longtemps en vigueur en Belgique, et son application n'a pas entraîné les inconvénients signalés par d'honorables préopinants.

Je vais maintenant, messieurs, dire quelques mots de l'amendement de l'honorable M. Dolez. Le dernier § de cet amendement est ainsi conçu :

« Néanmoins, ce dessaisissement n'annule les actes à titre onéreux passé avec les tiers de bonne foi, qu'à compter du jugement déclaratif de la faillite. »

D'après cet amendement, messieurs, l'hypothèque prise avant le jugement déclaratif de la faillite ne serait pas annulée. Mais ce système est diamétralement opposé aux dispositions générales de l'article 445 du code de commerce que voici :

« Nul ne peut acquérir privilège ni hypothèque sur les biens du failli dans les dix jours qui précèdent l'ouverture de la faillite. »

Dans le système de l'honorable M. Dolez, on pourrait cependant acquérir l’hypothèque après l'époque où aurait commencé le dessaisissement légal, de manière que les créanciers qui stipuleraient après l'ouverture de la faillite, seraient mieux traités que ceux qui auraient contracté dans les dix jours avant cette ouverture. Sous ce rapport, l'amendement introduirait un changement dans le code. D'autre part, cet amendement anéantirait complètement la nature du dessaisissement légal ; autant vaudrait le supprimer ; car il ne signifie plus rien, si le failli peut en éluder l'effet en disposant de ses biens à titre onéreux.

Je bornerai là mes observations, messieurs, car j'ai été fort occupé à des travaux de sections centrales qui m'ont empêché de me préparer à cette discussion autant que j'aurais désiré le faire.

M. Pirmez. - Un honorable député de Liége m'a fait, messieurs, des reproches auxquels je crois devoir répondre quelques mots. Ces reproches sont de ne pas avoir produit mes raisons contre le système de notoriété dans le sein de la commission.

Je me suis borné, dans la commission, à faire ressortir les inconvénients, les désastres qui résulteraient du système de rétroactivité que l'on voulait faire prévaloir. Quand j'ai vu que la commission s'appuyait sur la notoriété pour faire passer son système de rétroactivité, j'ai dû, dans mon discours, tâcher de renverser cette notoriété mise en avant par la commission. Je ne pouvais pas prévoir alors que ce système de notoriété aurait été abandonné par les membres de la commission. Si j'avais pu prévoir cela, je me serais attaché à traiter la question tout entière, mais, je le répète, la commission semblait faire reposer tout son système de rétroactivité sur la notoriété qu'elle mettait en avant et c'est pour cela que j'ai combattu cette notoriété, pensant que, si je la détruisais, je renverserais ainsi le système par sa base.

Si maintenant la chambre veut me laisser quelque temps pour me préparer, j'examinerai la question sous ses autres faces et je me mettrai en mesure de la traiter tout entière. Je le ferai d'autant plus volontiers, que je suis le seul membre de la commission qui ait combattu le système qui a prévalu dans son sein. Je le ferai d'autant plus volontiers encore, que le système de la notoriété sur lequel la concession s'était d'abord appuyé, se trouve maintenant abandonné par tous ses membres.

M. de Behr et M. Doignon. - Nous soutenons ce système.

M. Pirmez. - Vous paraissez le dire, mais, au fond, vous ne soutenez pas l'article que vous avez proposé ; l'honorable M. Fleussu l'a même abandonné. Je crois que l'honorable M. de Behr est le seul membre de la commission qui le soutienne.

Messieurs, je pense avoir renversé le système de notoriété, et il sera certainement renversé dans la chambre. Si l'on veut me donner le temps, je traiterai la question sous un autre rapport.

M. Verhaegen. - Messieurs, après plusieurs jours de discussion sur un point de droit que l'on considère à juste titre comme très important, je crois ne pas pouvoir me dispenser de vous faire connaître les motifs qui m'engagent à voter pour le projet de la commission, tel qu'il a été amendé par le gouvernement.

Messieurs, si je n'avais qu'à consulter les convenances, si je n'avais qu'à interroger l'intérêt de quelques sociétés financières, par exemple, qui sont dans l'habitude de prêter sur les fonds publics, l'intérêt même des sociétés hypothécaires durant les opérations peuvent être tous les jours compromises, j'adopterais volontiers le système de la cour de cassation.

Mais à coté de ces convenances et de ces intérêts particuliers, qui mériterons toute la sollicitude du législateur, alors qu'il s'agira de faire une loi nouvelle, vient se placer un devoir impérieux, celui que, dans l'occurrence, nous avons à remplir comme juges.

Il ne s'agit pas de se tromper sur la mission qui nous est donnée ; et tout d'abord je commence par répondre à une observation préliminaire, qui vous a été faite dans la dernière séance par l'honorable M. Dolez, et qui a été reproduite depuis par d'autres honorables collègues.

Ce que nous avons à faire, messieurs, c'est de décider un procès mû entre deux particuliers, une question du mien et du tien. En décidant la question dans tel ou tel sens, nous pouvons enlever à tel une partie notoire de sa fortune. Ne nous y trompons pas, c'est tellement un procès que nous avons à juger, que notre loi d'interprétation doit avoir un effet rétroactif, en ce sens que nous devons départager deux cours supérieurs de judicature qui sont en divergence d'opinion ; nous allons faire réellement ici ce que faisaient naguère, dans certaines circonstances, les membres des cours d'appel qui étaient adjoints, alors qu'il y avait partage d'opinion. Nous avons une véritable mission de juge, et notre loi d'interprétation doit mettre fin à une difficulté qui est restée indécise jusqu'à présent.

Et, à cette occasion, je dois faire observer que l'honorable M. Pirmez, qui voudrait faire ajourner le vote de la loi d'interprétation jusqu'à la discussion du projet de. loi destiné à changer la législation, se trompe du tout au tout. En effet, fussions-nous aujourd’hui même appelés à faire une loi nouvelle, nous ne pourrions pas encore nous dispenser d'interpréter la loi qui existe, parce que cette interprétation doit mettre fin au litige qui existe entre les parties.

Nous sommes donc appelés, comme législateurs, à départager deux grands corps de judicature qui n'ont pas pu s'entendre sur le point de droit dont il s'agit.

Pour remplir cette mission de juge, nous devons nous placer au point de vue du législateur de 1807.

Il y a, vous a-t-on dit, un doute grave sur la question de droit. Mais, s'il m'est permis d'exprimer toute ma pensée, je dirai, moi, que la question qui s'est agitée ne roule en réalité que sur le texte qui est clair et positif, et les inconvénients de ce texte, et que ceux qui ne partagent pas notre opinion, ont tâché de faire fléchir la rigueur de la loi existante, en présence des considérations dont ils ont fait emploi. Je prouverai facilement tout à l'heure que le texte né peut pas laisser l'ombre d'un doute.

L'honorable M. Dolez disait hier que, dans la position où nous nous trouvons, le gouvernement aurait dû donner la préférence à l'opinion de la cour de cassation. Comme d'autres honorables préopinants, je n'ai pas pu comprendre la portée de cette observation : Car, s'il faut donner la préférence a l'opinion émise par la cour de cassation, il n'y aurait alors jamais matière à interprétation.

Voudrait-on peut-être en revenir à ce qui existait autrefois ? Autrefois la cour de cassation jugeait irrévocablement les points de droit, comme la cour de cassation de France le fait aujourd'hui ; à parler franchement, je ne sais si ce système ne vaudrait pas mieux que celui qui nous régit actuellement.

Je ne pense pas que notre constitution porte obstacle au rétablissement de ce système eu Belgique ; car dans la disposition qui interdit à la cour de cassation de connaît du fond des affaires, je ne vois pas d'empêchement à ce que cette cour juge irrévocablement le point de droit ; car une fois le point de droit jugé, la cour d'appel à laquelle elle renverrait l'affaire, pourrait juger la question de fond.

Qu'il me soit permis de faire, en passant, quelques observations à ce sujet : elles pourront peut-être éveiller l'attention de M. le ministre de la justice, et l'engager à proposer un système nouveau.

Voyez, dans la position où nous nous trouvons, quels pourront être les inconvénients qui se présentent et qui se présentent nécessairement. Ceux qui ne partagent pas notre avis ont fait entendre qu'alors qu'il y a doute, il faut envisager la question au point de vue de l'intérêt général et qu'il faut la décider en quelque sorte ex œquo et bono.

Or, telle branche du pouvoir législatif pourra considérer la question d'une manière, et telle autre branche du même pouvoir, l'envisager d'une autre manière.

Qu'arriverait-il, par exemple, si nous, chambre des représentants, nous interprétions la loi de la manière que l'avait proposée M. Ernst, et si le sénat l'interprétait dans le sens du projet présente par M. le ministre de la justice actuel ? Ou bien, si la chambre des représentants et le sénat étant d'accord, le pouvoir exécutif adoptait une interprétation différente ? Je voudrais bien qu'on me dît ce qu'on ferait dans l'un ou l'autre cas ? car pour faire une loi, il faut le concours des trois branches du pouvoir législatif. Serait-on, dans ce cas, dans la nécessité de dissoudre les chambres ?

Mais voici un inconvénient plus grave : Je suppose que le pouvoir exécutif soit intéressé dans la question qui s'agite. Je suppose, par exemple, le cas où il s'agirait de la légalité d'un arrête porté par le pouvoir exécutif. Une cour d'appel aurait déclaré l'arrêt illégal, la cour de cassation aurait cassé l'arrêt. Une seconde cour d'appel aurait jugé comme la première, et son arrêt aurait encore été cassé par la cour de cassation. On viendrait alors proposer une loi d'interprétation. La chambre des représentants et le sénat interpréteraient dans tel sens, et le pouvoir exécutif dans un sens conforme à son intérêt ; il serait juge et partie !

D'après moi, ce système offre un vice radical, et, comme on vient de le voir, il peut donner lieu aux plus graves inconvénients. Jadis, la cour de cassation, sans juger le fond, jugeait irrévocablement le point de droit. Sa mission était alors en rapport avec le haut rang qui lui est assigné dans la magistrature. Si c'est dans ce sens que l'honorable M. Dolez a voulu dire qu'il faut donner la préférence à la cour de cassation, il pourrait à certains égards avoir raison ; car, j'en conviens volontiers, je préférerais une pareille législation à celle qui nous régit. Mais aussi longtemps que nous sommes sous l'empire de la législation actuelle, il faut en subir toutes les conséquences.

Le gouvernement n'a donc pas le tort de rejeter l'opinion de la cour de cassation et de s'en tenir à l'opinion de la cour d'appel, car le gouvernement a le droit d'avoir aussi une opinion.

Après ces observations générales, interprétons l'art. 442 du code de commerce, c'est-à-dire examinons ce qu'a voulu et ce qu'a fait en réalité le législateur de 1807, dont nous sommes les continuateurs.

On a beaucoup parlé des mots faillite, ouverture de la faillite qui se trouvent dans les divers articles du titre 1er, chapitre 1er ; on est entré dans des discussions approfondies sur la signification de ces mots ; on a combiné un grand nombre de dispositions ; on a eu recours au code civil. au code de procédure, aux dispositions du code de commerce, autres que celles du chapitre Ier ; on a cité de part et d'autre de nombreuses autorités. Mais il aurait été bien plus convenable, me semble-t-il, de rappeler les discussions auxquelles le code de commerce a donné lieu dans le sein du corps législatif ; pour ma part, je trouve dans ces discussions la preuve que ce que l'on a voulu en 1807 est précisément ce que nous voulons aujourd'hui : et c'est ce que l'honorable M. de Behr vient de confirmer il n'y a qu'un instant.

Mais, messieurs, je l'ai déjà dit, la question, telle que je l'envisage, n'en est pas une pour moi, car pour moi le texte est clair ; ce qui a provoqué la divergence d'opinion, c'est la rigueur du système admis par la législation qui nous régit, on a voulu faire fléchir le texte à raison des inconvénients prétendus auxquels il donne matière, et je vais le prouver par la conduite même de la cour de cassation. Ce sera une nouvelle réponse à l'observation de M. Dolez, qui prétendait, dans la séance d'hier, qu'il fallait donner la préférence au système de la cour suprême. En effet la cour de cassation n'est pas d'accord avec elle-même. Dans l'un de ses arrêts elle décide qu'il n'y a dessaisissement que du jour du jugement déclaratif de la faillite, et dans l'autre, celui au sujet duquel nous devons donner l'interprétation. Elle décide, contrairement au premier, qu'il y a dessaisissement même du jour auquel la faillite est reportée, mais elle ajoute que ce dessaisissement n'est pas un véritable dessaisissement, que ce n'est qu'un dessaisissement fictif.

Je dis que la cour de cassation s’est mise en contradiction flagrante ; car dire qu'il y a dessaisissement, mais que ce dessaisissement n'est pas un dessaisissement réel, et lui donner la qualification de dessaisissement fictif, c'est faire un jeu de mots. Quant à moi, je ne vois dans le code qu'un seul dessaisissement, c'est celui dont il est parlé dans l'art. 442, c'est-à-dire, le dessaisissement tel que la loi le détermine. Je ne vois qu'un seul dessaisissement, qu'une seule faillite, qu'une seule époque de la faillite. Où donc est-il parlé de deux faillites, ou de deux époques de la faillite, ou de deux dessaisissements ? Tout cela n’est que de l'imaginative, dans la loi que nous avons à interpréter, il n'est pas question de dessaisissement fictif, et l'arrêt de la cour de cassation, ne s'est servie de cette qualification que pour pouvoir appliquer ses principes en matière de fictions. Il a appelé dessaisissement fictif ce qui est dans la réalité le dessaisissement légal, c'est-à-dire, celui que la loi a établi ; et il n'y en a pas d'autre.

Pour arriver au résultat que nous voulons atteindre, il faut peu d'efforts : l'article que nous avons à interpréter est l'art. 442 du code de commerce. - Que porte cet article ?

« Le failli à compter du jour de la faillite est dessaisi de l'administration de tous ses biens. »

Tournez maintenant autour de la question, raisonnez à perte de vue, vous arriverez toujours à cette conséquence que du moment où il y a faillite, il y a dessaisissement, que le failli, à compter du jour de la faillite est dessaisi de l'administration de ses biens.

Reste à voir quand il y a un failli. C'est la loi qui le dit : art. 437 : « Tout commerçant qui cesse ses paiements est en état de faillite. » Comme le disait M. de Behr, il ne faut pas de grands efforts d'imagination pour arriver aux conséquences de cette disposition.

Il y a faillite quand le négociant cesse ses paiements et alors aussi le négociant est dessaisi de l'administration de ses biens ; à compter de quel jour ? à compter du jour de la faillite, c'est-à-dire du jour où il a cessé ses paiements. Substituez au mot faillite le mot cessation de paiements, et vous arrivez à la conséquence que le failli est dessaisi de l'administration de ses biens du jour où il cesse ses paiements.

On croit trouver une différence entre les mots jour de l'ouverture de la faillite et jour de la faillite. Mais c'est une erreur, le jour de la faillite et le jour de l'ouverture de la faillite se confondent, c'est absolument la même chose. On vous en a donné la preuve en citant plusieurs textes de loi qui se servent indifféremment de ces expressions. Le code civil, le code de procédure et le code de commerce dans les chapitres autres que celui qui nous occupe ne font aucune distinction à cet égard.

Je ne reviendrai pas sur les nombreuses observations qui ont déjà été présentées sur ce point avec beaucoup de lucidité. Je me permettrai seulement d'ajouter que dans les dispositions du chapitre premier, titre 1er du code de commerce, ces mots ont aussi la même signification.

En effet, l'art.440 porte : Tout failli sera tenu dans les trois jours de la cessation de paiements, d'en faire la déclaration au greffe du tribunal de commerce.

Ainsi avant la déclaration de la faillite, il y a déjà un failli. Je voudrais bien qu'on me répondît à cet argument.

On dit qu'il n'y a faillite dans le sens de la loi que quand il y a un jugement déclaratif de la faillite. Mais d'après l'article que je viens de lire, il y a faillite dans le sens de la loi avant le jugement déclaratif ; car, encore une fois, l'article dit : « Tout failli dans les trois jours de la cessation de paiements » et l'art. 437 porte : « Tout négociant qui cesse ses paiements est en état de faillite. »

D'après l'art. 441, « l'ouverture de la faillite est déclarée par le tribunal de commerce, son époque est fixée, soit par la retraite du débiteur, soit par la clôture de ses magasins, soit par la date de tous actes, constatant le refus d'acquitter ou de payer des engagements de commerce » ; néanmoins, ajoute l'article, « tous les actes ci-dessus mentionnés ne constateront l'ouverture de la faillite que lorsqu'il y aura cessation de paiements, » ce qui veut dire que cessation de paiements et ouverture de la faillite sont absolument la même chose, car ce qui est nécessaire pour l'ouverture de la faillite n'a de force que quand il y a cessation de paiements. Donc la conséquence logique à tirer du rapprochement des diverses parties de cette disposition, est qu'il n'y a faillite que quand il y a cessation de paiements, mais aussi que la faillite existe dès que la cessation de paiements existe.

D'après l'opinion de M. Raikem, il faudrait entendre par ouverture de la faillite l'époque à laquelle la faillite a été reportée par le jugement déclaratif. Si cette opinion est admise, tout est confusion dans le chapitre 1er du titre 1er du code de commerce, et il faut donner aux mots une autre signification qu'ils ne comportent naturellement.

Pour moi, je pense que faillite et ouverture de la faillite sont absolument la même chose. Si le législateur, dans quelques dispositions, s'est servi des mots ouverture de la faillite et dans d'autres seulement du mot faillite, c'est pour ne pas répéter les mêmes termes, pour donner une autre tournure à la phrase, car on n'aime pas plus dans une loi que dans un autre écrit de se servir toujours des mêmes expressions.

Voulez-vous en avoir la preuve, c'est que les articles 442, 443, 444, 445, 446 et 447 résument tous les principes sur la matière et par gradation en se servant indistinctement dés mots faillite et ouverture de la faillite.

L’article 442 dit que le failli, à compter du jour de la faillite, est dessaisi de plein droit de l'administration de tous ses biens. Nous avons vu ce que c'est que le jour de la faillite, c'est le jour de la cessation de paiement, et c'est de ce jour qu'il est dessaisi de l'administration de ses biens. Voilà donc le grand principe, à savoir qu'à compter du jour de la faillite, le failli est dessaisi de l'administration de ses biens.

En général, avant cette époque, le failli n'est pas dessaisi. Mais viennent des exceptions dans les art. 443, 444, 445 et 446. Dans ces articles le législateur s'occupe des actes faits dans les dix jours qui précèdent la faillite, et enfin dans l'art. 447 il s'occupe des actes faits même avant les dix jours qui précèdent la faillite. Voilà une véritable cascade, si je puis m'exprimer ainsi. Le législateur examine d'abord le mérite de tous les actes faits depuis l'ouverture de la faillite, et à cet égard il établit comme règle générale que tous les actes depuis cette époque sont frappés de nullité, le failli étant dessaisi de l'administration de ses biens. Il examine, en second lieu, la nature des actes faits dans les dix jours qui ont précédé la faillite, et il finit par examiner les actes faits même à une époque antérieure à cette dernière ; et ceux-ci sont susceptibles d'être annulés, s’il y a dol ou fraude.

L'art. 447 a été invoqué par les honorables membres qui ne partagent pas notre opinion, mais je le rétorque contre eux, car s'il a une disposition pour annuler les actes entachés de dol ou de fraude, on aurait dit deux fois la même chose quant à ces actes, si l’opinion de ces honorables membres était admise.

Le législateur a établi deux rétroactivités : d'abord il a fait rétroagir les effets de la faillite jusqu'au moment de la cessation de payement, sans avoir égard au jugement déclaratif ; c'est la première rétroactivité. Le tribunal déclare l'ouverture de la faillite et en fixe l’époque. C'est à cette époque que le législateur dépouille le failli de l'administration de ses biens. Arrive la deuxième rétroactivité, elle court de cette dernière époque jusqu'au dixième jour qui a précédé la faillite. Après cette deuxième rétroactivité vient la disposition générale qui porte que tous actes entachés de dol ou de fraude sont susceptibles d'être annulés.

Si cette disposition de l'art. 447 est si générale qu'on le prétend, il n’était pas besoin des art. 442 et 443, entendus dans le sens des adversaires du projet ; c'était une superfétation ; le système que nous combattons ne marche pas d'accord avec l'art. 447, et c'est ainsi que cet article est rétorqué avec fruit contre nos adversaires.

Voulez-vous voir ultérieurement que les mots ouverture de la faillite et faillite sont la même chose, lisez l'art. 448, qui rend exigibles, à dater du jour de l'ouverture de la faillite, les dettes non échues.

Eh bien, si l'ouverture de la faillite rend exigibles les dettes non échues, c'est bien la faillite, la cessation de paiement qui rend ces dettes exigibles, car le failli est celui qui cesse ses paiements. Le failli est dessaisi à dater de la faillite, c'est-à-dire à dater de la cessation de paiement. Ce que vous ferez en dehors de cette opinion, vous le ferez en dehors du texte de la loi.

Ce sont les grands inconvénients qui font douter les adversaires du projet. Ces grands inconvénients, s'ils existent, peuvent nous déterminer à faire une loi nouvelle. Mais ils ne peuvent influer sur l’interprétation à donner à une loi ancienne qui est claire et qui doit être appliquée, telle qu'elle est dans un procès à juger entre deux parties. Car ici nous portons une loi non seulement pour l'avenir, mais encore pour le passé, en ce sens que nous jugeons une question du tien et du mien.

On parle d’inconvénients, mais il y en a aussi dans le système opposé. En effet, combien de fois n'arrivera-t-il pas que des gens qui prendront toutes leurs précautions pourrons se faire donner des garanties et emporter tout l'actif de la masse au détriment d'autres créanciers ? La fraude se cache, et c'est au moment où vous croyez la tenir qu'elle vous échappe. Plusieurs fois on a vu que ceux qui se trouvaient sur les lieux étaient à couvert, et qu'il ne restait rien aux créanciers qui se trouvaient à l'étranger. S'il y a donc des inconvénients d’une part, il y a donc aussi des inconvénients et des inconvénients graves d'autre part.

Mais je pense qu’il y a un moyen de parer à tout cela. Il y a une disposition qui n’a pas été citée jusqu'ici, c'est la disposition de l’art. 457, d’après laquelle le jugement déclaratif de la faillite qui est exécutoire provisoirement, est susceptible d'opposition, non seulement pour le failli, mais encore, pour les créanciers présents ou représentés et pour tout autre intéressé. Quand un jugement reportera une faillite à une époque trop reculée, ceux à qui ce jugement peut porter préjudice y formeront opposition, feront valoir tous leurs droits ; ils plaideront devant les tribunaux la question de fait, qui ne doit pas être traitée ici, où nous n'avons à nous occuper que de la question de droit. Ici nous n'avons qu’à décider de quelle époque doit dater le dessaisissement ; quant aux effets du dessaisissement, cela est du domaine des tribunaux. Les cours et tribunaux ont peut-être eu grand tort en reportant avec trop de facilité l’époque de la faillite ; mais ce n’est pas une raison pour violer la loi. L’abus qu’on fait de la loi n’est pas un motif pour la faire interpréter dans un sens contraire à son véritable sens. Ainsi, tous les intéressés pourront s’opposer au jugement qui fixe l’ouverture de la faillite. Les tribunaux seront d’autant plus circonspects dans cette fixation, que la commission a mis dans son projet le mot notoire. Si elle ne considère ce mot que comme un mémento, je le conçois, mais s’il a une autre portée, je voterai contre.

Je ne sais si, après avoir, dans la discussion énoncé nos opinions d’une manière aussi claire qu’on l’a fait, la commission ne pourrait pas consentir à retrancher le mot notoire, car il suffira d’avoir appelé l’attention des tribunaux sur ce point. Si le mot reste, il est à craindre que, pour chaque affaire, on croie devoir faire une enquête pour établir la notoriété. C’est dans ce sens que, tout en admettant la proposition de la commission, j’admets l’amendement du gouvernement tendant à retrancher le mot notoire.

Il me reste à répondre à une seule objection qu’on a tirée de l’article 494. L’honorable M. de Behr y a déjà répondu en partie ; je me permettrai seulement d’ajouter une seule réflexion. On dit que, d’après l’article 494, les actions ne doivent être intentées contre les agents qu’à dater de telle époque. On en conclut que les actions intentées antérieurement contre le failli sont bien intentées. L’honorable M. de Behr a fait observer que c’était là un véritable séquestre auquel il fallait appliquer les principes qui y sont relatifs.

J’ajouterai, moi, que l’article 494 est une exception à la règle ; quant à certains effets du dessaisissement, avant la nomination des agents et syndics, il fallait bien admettre comme bien intentée l’action formulée contre le failli lui-même, et il fallait coordonner cette disposition avec le principe dominant que le dessaisissement date de la cessation de paiements.

Je voterai donc pour le projet du gouvernement.

- La séance est levée à 4 heures et demie.