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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 21 janvier 1840

(Moniteur belge n°22 du 22 janvier 1840)

(Présidence de M. Fallon)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Scheyven procède à l’appel nominal à une heure. Il lit le procès-verbal de la dernière séance dont la rédaction est adoptée. Ensuite il présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.

Pièces adressées à la chambre

« Les conseils communaux de 29 communes du Luxembourg demandent l’autorisation de transporter la chaux pour l’agriculture avec des chariots à jantes étroites, attelés de deux chevaux. »

- Renvoi au ministre des travaux publics, après la discussion du budget de son département.


« L’administration communale de Hooghlede adresse des observations en faveur du déplacement du chemin de fer entre Gand et Bruges.

- Renvoi à M. le ministre des travaux publics.

M. A. Rodenbach – Je pense que, dans cette pétition, la commune de Hooghlede adhère à la pétition de la régence de Huy tendant à ce que le chemin de fer soit déplacé. On avait demandé au ministre des travaux publics qu’il fît un rapport avant la discussion du budget de son département. Je crois que M. le ministre a répondu au député de Thielt que quand le conseil des ingénieurs s’en serait occupé, il ferait son rapport. Il est nécessaire que les communes intéressées connaissent les intentions du gouvernement. Je demande donc que M. le ministre des travaux publics, aussitôt que le conseil des ingénieurs aura donné son avis, fasse le rapport qu’il avait promis de faire avant la discussion du budget de son département.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Il m’est impossible de tout faire à la fois. J’ai dû faire à la chambre des rapports sur d’autres objets. Je dois d’ailleurs attendre l’avis du conseil des ingénieurs.


M. le secrétaire analyse la pétition suivante :

« Des cultivateurs, marchands et fabricants de lin de Courtray, demandent l’augmentation du droit sur le lin à la sortie. »

- Renvoi à la commission avec demande d’un prompt rapport et insertion au Moniteur.

M. A. Rodenbach – Il serait essentiel qu’il fût enfin fait un prompt rapport sur les quarante pétitions renvoyées à la commission. Cela est d’autant plus important qu’il paraît qu’en ce moment, en France, plusieurs députés ont présenté un projet de loi tendant à faire imposer nos fils et nos toiles. Si cela arrivait, ce serait une véritable calamité pour nos Flandres ; car en ce moment la crise est bien grande. Si, contre notre attente (je dis contre notre attente car le ministère français est opposé au projet) ce projet de loi était adopté en France, je demanderais qu’on frappât d’un droit double les vins de France et les articles du commerce de Paris ; car il faut user de représailles ; et quand on veut anéantir notre commerce, il faut que nous montrions assez de courage civique pour faire du tort à la France.

M. Cools – Je ne m’oppose pas à la proposition de l'honorable M. A. Rodenbach. Cependant je ferai remarquer que les lins sont en baisse ; il y a quelques temps ils coûtaient 5 florins 10 sols ; aujourd’hui ils ne coûtent plus que 5 florins. Je n’entre pas dans le fond de la question ; mais je crois que le droit sur les lins n’aura aucun résultat sur l’industrie linière. Le fait que j’ai cité est de nature à mettre la commission en garde contre un trop prompt rapport.


M. le secrétaire reprend l’analyse des pétitions :

« Des habitants de Sweveseele demandent que la chambre prenne des dispositions pour faire cesser les abus et les violences qui se pratiquent dans l’exécution de la loi électorale. »


« Le sieur F. Berg, ex-officier, demande la demi-solde ou à être réintégré dans l’armée. »

Ces deux pétitions sont renvoyées à la commission.

Composition des bureaux de section

M. le secrétaire fait ensuite connaître que les sections se sont constituées ainsi qu’il suit :

Première section : M. Dubus (aîné), président ; M. Dumortier, vice-président ; M. de Villegas, secrétaire ; M. van Cutsem, rapporteur de la commission des pétitions.

Deuxième section : M. Angillis, président ; M. Sigart, vice-président ; M. Dedecker, secrétaire ; M. Zoude, rapporteur de la commission des pétitions.

Troisième section : M. de Behr, président ; M. de Langhe, vice-président ; M. Lys, secrétaire ; M. Lange, rapporteur de la commission des pétitions.

Quatrième section : M. de Puydt, président ; M. de Nef, vice-président ; M. de Roo, secrétaire ; M. Maertens, rapporteur de la commission des pétitions.

Cinquième section : M. d’Huart, président ; M. de Brouckere, vice-président ; M. Kervyn, secrétaire ; M. Mercier, rapporteur de la commission des pétitions.

Sixième section : M. Coppieters, président ; M. Scheyven, vice-président ; M. Cools, secrétaire ; M. Morel-Danheel, rapporteur de la commission des pétitions.

Projet de loi portant le budget du ministère des travaux publics de l'exercice 1840

Discussion du tableau des crédits

Chapitre V. Chemins de fer

M. le président – La chambre est arrivée au chapitre V, « chemin de fer »

Articles 1 à 3

« Article premier. Entretien et police de la route proprement dite : fr. 800,000 »

« Art. 2. Dépenses de transport : fr. 1,830,000. »

« Art. 3. Frais de perception : fr. 460,000. »

« Total : fr. 3,090,000. »

La section centrale propose l’allocation des sommes ci-dessus demandées par le gouvernement. La parole est à M. le ministre des travaux publics.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Je sens qu’il convient que je laisse d’abord à l’honorable rapporteur la parole sur le fond. Je tiens cependant à faire une observation préalable.

La section centrale du budget des travaux publics a jugé à propos, au sujet du chemin de fer, de s’occuper de la construction en général. Sans doute la chambre et la section centrale, qui la représente, ont le droit de s’occuper, à propos du budget, de toutes les questions qui se rattachent à un département ministériel.

Cependant, d’après le cours naturel des choses, je devais supposer qu’on ne s’occuperait dans le budget d’exploitation du chemin de fer, que de l’exploitation du chemin de fer. La construction, le mode de construction du chemin de fer semblaient se rattacher plus naturellement à la discussion des crédits nécessaires pour la construction du chemin de fer. C’est ainsi qu’on aurait pu s’occuper de la construction du chemin de fer récemment, lorsque le gouvernement a demandé un nouveau crédit de 12 millions. C’est ainsi qu’on pourra s’occuper de la construction du chemin de fer, lorsque le gouvernement demandera, comme il doit le faire dans le cours de cette session, les mesures financières définitives pour compléter l’exécution des deux lois. Assurément la section centrale, en donnant cette extension à son mandat, n’a fait qu’user de son droit. Aussi, je ne m’en plains pas. Je ne nie pas son droit. Mais ce qui m’a surpris, je dois le dire, c’est que je n’aie pas été informé de cette intention de la section centrale. Je ne pouvais supposer que la section centrale avait l’intention de s’occuper, à propos du budget ordinaire, du chemin de fer en général, du mode de construction du chemin de fer, en remontant jusqu'au lendemain de la promulgation de la première loi de mai 1834.

Je tiens d’autant plus à faire cette observation qu’en lisant le rapport de la section centrale, et notamment les pages 23et 24, on pourrait supposer qu’il y a eu un débat contradictoire entre la section centrale et moi. Il n’y a pas eu de débat contradictoire entre la section centrale et le gouvernement. J’ai complètement ignoré l’extension, très légitime d’ailleurs, que la section centrale entendait donner à son mandat. Je le regrette, parce que je me serais empressé de donner des explications à la section centrale, et de prévenir ainsi de fâcheux malentendus.

A la page 24, vous lisez :

« Nous concevons, avec M. le ministre, que les adjudications publiques deviennent impossibles pour les objets relativement auxquels il n’existe pas de concurrence.

« Nous concevons avec le ministre », ce qui fait supposer que le ministre a été entendu, appelé au sein de la section centrale, et mis en demeure de donner des explications. Je dois supposer que la section centrale, en disant : « Nous concevons avec le ministre », a entendu parler d’un de mes rapports, de mon rapport du 12 novembre 1839 ; mais j’aurais désiré qu’on se le dît.

Plus bas, on dit :

« Nous n’avons pu nous expliquer comment le sable de mer, fourni sur la section de Malines à Anvers, a coûté en moyenne 3 francs 57 centimes, le mètre cube, tandis qu’il avait coûté 17 francs, rendu sans la station de Bruges. »

« Nous n’avons pu nous expliquer. » Ceci fait encore supposer qu le ministre a été appelé à la section centrale, qu’il a donné des explications, qui n’ont pas été jugées satisfaisantes, et que la section centrale a dû dire : « Nous n’avons pu nous expliquer. »

Je ne fait de cela reproche à personne. Je tenais à ce qu’un fait soit constaté. Les membres de la section centrale reconnaîtront sans doute qu’il n’y a pas eu débat entre la section centrale, organe de la chambre, et le ministre des travaux publics, organe du gouvernement en ce qui concerne l’exécution du chemin de fer.

M. Van Hoobrouck de Fiennes, rapporteur – Le rapport de la section centrale, ayant été l’objet de commentaires divers, j’éprouve le besoin d’entrer dans quelques explications.

Je déplore vivement les interprétations que l’on a données à ce rapport ; ces interprétations, je n’ai pas besoin de vous le dire, n’étaient ni dans la pensée de la section centrale ni dans celle du rapporteur.

Dans les développements qui vont suivre, je ne ferai aucune distinction entre l’administration actuelle du chemin de fer et celle qui l’a précédée. Ce ne sont pas les personnes que j’attaque, c’est un système que je combats, parce que je le crois évidemment contraire à toutes conditions d’une administration régulière.

Vous avez remarqué, messieurs, que la pensée qui a dominé les délibérations de la section centrale a été une pensée d’économie. Elle a été préoccupée des dépenses que le chemin de fer avait occasionnées, dépenses qui ont si fortement dépassé toutes les prévisions. Elle a cru que devant un pareil état de choses, il était plus que jamais nécessaire de réaliser toutes les économies praticables, et que l’on pouvait y parvenir en adoptant, comme règle générale, l’adjudication publique avec libre concurrence, tandis que le système contraire, le système de marchés directs, trop généralement adopté jusqu’à ce jour, ne devrait être que l’exception commandée par les circonstances : cette pensée fondamentale a servi de base à toute la rédaction du rapport ; c’est donc dans ce cadre que je restreindrai les observations que j’aurai l’honneur de vous soumettre.

Je dois d’abord vous faire observer, messieurs, que la section centrale n’a pas fait de l'entreprise des sables un grief isolé à charge de l’administration du chemin de fer, mais qu’elle l’a citée comme une preuve à l’appui de son système. Aujourd’hui, en se bornant, du moins pour le moment, à cet objet seul je démontrerai, par les explications de M. le ministre lui-même, jusqu’à quel point était fondée sa prévoyante sollicitude.

M. le ministre commence par relever une inexactitude dans laquelle la section centrale serait tombée, en disant dans son rapport, page 24, que jamais le sable n’aurait fait l’objet d’une adjudication publique, tandis que ces fournitures auraient eu lieu 14 fois au moyen de ce mode.

La section centrale ne saurait entrer dans tous les détails de l’administration. Elle ne peut juger que de l’ensemble des choses et par les pièces officielles mises à sa disposition, mais celles-ci du moins doivent pouvoir faire autorité pour elle. Eh bien, messieurs, veuillez jeter les yeux sur le tableau n° 2, page 15 du compte-rendu, tableau comprenant la nomenclature des adjudications publiques, et vous verrez qu’il ne comprend qu’une seule fourniture de sable adjugée d’après ce mode.

J’ai été à même de vérifier le fait ; l’assertion du ministre est vraie sans détruire celle de la section centrale. Les sables dont il est ici question ont été adjugé la plupart du temps collectivement et comme partie intégrante de marchés en bloc : c’est de cette manière que le ministre est autorisé à dire, qu’ils ont été adjugés publiquement.

Mais j’accorde qu’il y ait eu erreur, qu’en résulte-t-il ? c’est que, à l’exception des 14 adjudications précisées pour fourniture de sables, et d’un petit nombre encore pour d’autres objets, toutes les fournitures du chemin de fer se sont faites, au moins jusque dans ces derniers moments, au moyen de marchés directs et sans adjudications ; c’est que ces marchés, qui s’étendent aux fournitures les plus fortes comme aux plus minimes, sont la règle générale de l’administration. Il n’est donc pas étonnant qu’une exception ait pu échapper à la section centrale. Je suis bien certain que l’on ne contestera pas l’exactitude de mes paroles ; M. le ministre pourra peut-être chercher à justifier ce système, mais il ne saurait du moins nier qu’il n’ait été généralement suivi.

La section centrale a cru que ce système était contraire à toutes les règles adoptées en fait de travaux publics, et qu’il devrait être abandonné dans l’intérêt même de l’administration, alors encore qu’il n’amènerait aucune résultat économique.

Or, le ministre ayant dit dans son rapport que ce n’était pas peut-être l’adjudication publique qui avait donné les prix les plus bas, je vais vous donner sommairement un aperçu des avantages réels obtenus par ce mode et des pertes considérables que les devis estimatifs de l’administration, dans le système élevé où ils sont conçus, auraient fait essuyer si l’on n’avait pas eu recours à l’adjudication publique. Je comparerai ensuite les résultats obtenus par l’un ou l’autre système dans des conditions identiques.

La preuve la plus évidente des avantages du système préconisé par la section centrale m’est encore fournie par M. le ministre des travaux publics, dans le tableau II du compte-rendu : sur une somme de 6,929,625 francs, l’adjudication publique a fait obtenir un bénéfice de 617,570 francs. C’est donc plus de 9 p.c. Si ce mode avait été appliqué à toutes les dépenses, au moins à celles où il était praticable, il aurait épargné plusieurs millions. Mais examinons quelques entreprises en détail :

Travaux de terrassement de la section d’Ans à la Meuse : Estimé : fr. 1,335,282 ; adjugé : fr. 1,184,063 ; différence : fr. 151,219.

Construction d’un pont sur la Meuse : estimé : fr. 1,155,000 ; adjugé : fr. 1,019,000 ; différence : fr. 136,000

Parachèvement des travaux de terrassement sur la section de Tirlemont à Ans : Estimé : fr. 746,075 ; adjugé : fr. 647,000 ; différence : fr. 99,075.

Fourniture de 12,000 mètres cubes de sable : fr. 163,200 ; adjugé : fr. 117,500 ; différence : fr. 45,700.

Est-il possible de fournir une preuve plus palpable des économies qui peuvent résulter de l’adjudication ? mais aussi, ne pourrait-on pas en induire que les devis des ingénieurs sont en général trop élevés. Le dernier exemple que je viens de citer donne lieu, pour une simple fourniture de sable, à un rabais de 46,200 francs, c’est-à-dire 29 p.c. ou 3 fr. 77 c. par mètre cube de sable.

Quelles n’eussent pas été les conséquences si une pareille entreprise eût été donnée par contrat privé sur la base du devis estimatif.

Trois adjudicataires s’étaient présentés, offrant le premier, 157,000 francs, le second 152,000 francs, le troisième, 117,000 francs ; mais si par hasard l’adjudicataire actuel ne se fût point offert, l’Etat payait le sable à raison de 152,000 francs, c’est-à-dire 3 francs par mètre cube de plus qu’aujourd’hui.

Cette circonstance s’est passée, pour ainsi dire, sous mes yeux ; je connais particulièrement l’ingénieur en chef qui dirige cette ligne de nos chemins de fer. Cet ingénieur est sans contredit, un des hommes les plus remarquables de notre corps des ponts et chaussées, jouissant de la considération générale, et dont la probité et la délicatesse n’ont jamais été révoquées en doute par qui que ce soit. S’il a pu se tromper ainsi dans ses évaluations, ou si le génie de l'industrie a pu trouver le moyen de réduire sur le devis estimatif, les autres ingénieurs ne se trouvent-ils pas placés dans les mêmes conditions ! Et n’ont-ils pas pu également se tromper eux qui n’ont pas sans doute à invoquer une aussi longue expérience ?

Voyons maintenant quelques résultats qui naissent de la comparaison des deux systèmes.

Il a été passé en 1839 deux adjudications ayant pour objet la construction d’une deuxième voie sur les sections entre Malines et Gand et Malines et Haecht.

Cette deuxième voie comprend une étendue de 36,367 mètres cubes ou plus de sept lieues. Dans les devis estimatifs la quantité de sable à fournir et à employer sur le chemin de fer est portée à 74,456 mètres cubes et l’élévation de sa dépense à une somme de 332,192 francs. La dépense totale des travaux est évaluée en bloc dans les devis à 407,484 francs (Voir tableau II, compte-rendu). L’adjudication s’est faite pour 345,189 francs. Différence : 62,293 francs, c’est-à-dire de près de 15 p.c.

En appliquant ce rabais de 15 p.c. à la somme de 352,192 francs portée dans les devis pour la fourniture et emploi du sable, cette somme est ramenée à celle de 282,364 francs, ce qui présente pour la fourniture de 74,456 mètres une moyenne de 3 francs 80. Or, il a été fourni et employé sur les sections complètes de Malines à Gand et de Malines à Louvain, une quantité de sable de 120,477 mètres ; en appliquant à cette quantité le prix moyen présenté par les deux adjudications, l’on trouve une somme de 57,812 francs, tandis que la somme réellement payée pour cet objet a été de 606,788 francs. Il y a donc une différence en plus de 148,976 francs, c’est au-delà de 32 pour cent.

Je citerai encore un exemple. Si l’on appliquait la même moyenne de 3 francs 80 résultat des deux adjudications ci-dessus aux travaux de la sections de Malines à Anvers, qui, relativement au sable, se trouve dans les mêmes conditions que la section pour laquelle la prédite adjudication a eu lieu, on trouverait que les 80,377 mètres cubes de sable, pour les deux voies n’auraient coûté que 305,432 francs, alors que l’on a payé pour la première voie : 199,945 francs et pour la seconde voie, 340,903 francs, total, 540,846 francs, ou 235,416 francs de plus, c’est-à-dire au-delà de 76 p.c.

Il est néanmoins à remarquer qu’il a été fourni 33,540 mètres cubes de coquillages ; c’est cette fourniture qui, bien qu’à peu près d’une valeur intrinsèque identique au sable, a occasionné cette grande différence, à raison des distances considérables pour le transport à pied d’œuvre.

Ici mes chiffres ne sont plus d’accord avec ceux du ministre. Il y a une différence de 25,000 francs. L’erreur est du côté du ministre. Je le prie de vérifier avec moi, pages 12 et 13 de ses explications. Il résulte de la récapitulation générale qu’il a fournie à la section centrale que le sable pour la deuxième voie de Malines à Anvers, a coûté 336,600 francs 37 centimes. Or, cette somme provient :

1° de l’entreprise du 6 octobre 1835, montant à 199,945 francs 71 c ;

2° de l’entreprise du 19 mai 1838 montant à 161,727 francs 30 c.

Or, l’addition de ces deux sommes donne un total de 361,673 francs 01, et non un total de 336,600 francs 37 c.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Je maintiens l’exactitude des chiffres que j’ai indiqués. Ce travail a été fait avec le plus grand soin dans les bureaux. Avant le tirage, il a été fait 5 ou 6 épreuves ; les ingénieurs ont été appelés, et tout le travail a été révisé.

M. Van Hoobrouck de Fiennes – Il ne s’agit pas des ingénieurs ; il ne s’agit que d’une addition, que tout le monde peut faire et vérifier ; il s’agit de savoir s’il y a eu erreur ou non ; or, je soutiens qu’il y a eu erreur. Je n’attache pas une très grande importance à cette erreur ; je crois que tout le monde peut se tromper…, même un ministre. (On rit.)

Je signale cette circonstance, parce que j’ai remarqué, dans le travail du ministre, d’autres inexactitudes aussi remarquables ; et dès lors il m’a été impossible de baser mes calculs sur les chiffres donnés par lui.

Je pourrai si le ministre le désire, signaler d’autres erreurs.

Ces considérations que j’ai eu l’honneur de vous soumettre, acquièrent un haut degré d’importance lorsqu’on examine le tableau du compte-rendu, tableau qui a si vivement attiré l’attention de la section centrale. Vous verrez que les dépenses réalisées du chemin de fer dépassent les évaluations primitives dans une progression de :

30 p.c. pour les travaux de terrassements de d’art ;

185 p.c. pour les dépendances fixes ;

138 p.c. pour les acquisitions de terrain ;

315 p.c. pour le matériel.

Ainsi les prévisions étaient de 22,328,080 francs. Les dépenses faites jusqu’à ce jour, 41,900,184 francs, pour les sections actuellement en exploitation, non comprises celles de Gand à Courtray et de Landen à Saint-Trond.

J’arrive maintenant à la question des sables. Ici encore je restreindrai mes observations dans le cercle où la section centrale a circonscrit la question. Je ne récriminerai donc pas contre le passé, mais j’y puiserai d’utiles renseignements pour l’avenir. Je vous démontrerai combien a été vicieux le système suivi par le gouvernement pour la détermination du prix d’une manière insignifiante en apparence, mais qui a acquis un haut degré d’importance, puisqu’elle entre aujourd’hui pour un sixième dans les frais d’établissement proprement dits de nos chemins de fer.

La section centrale a dit, dans son rapport, que le sable de mer livré au dépôt dans la station de Bruges avait coûté 17 francs 60 c. le mètre cube. Ce fait n’est pas contesté par le ministre ; il ne pouvait pas l’être. Elle a dit encore que le sable de mer livré au dépôt sur la section de Malines à Anvers avait coûté 3 francs 78 c. et qu’elle ne pouvait s’expliquer cette différence. Ceci est encore exact. Il est vrai que, d’après le rapport de M. le ministre, il doit être ajouté au prix de 3 francs 78 c que le sable à coûté au dépôt celui de 4 francs 33 c pour l’emploi du sable à pied d’œuvre, ce qui donne effectivement une moyenne de 4 francs 11 centimes.

Mais que résulte-t-il de là ? une conséquence que M. le ministre n’a sans doute pas prévue : c’est que la moyenne de la deuxième voie et de 2 francs 80 centimes plus élevée que la moyenne de la première voie :

Ainsi la deuxième voie a coûté 354,632 francs, tandis que la première avait coûté 199,945 francs (plus 154,687 francs) et cependant pour le transport du sable l’on pouvait faire usage du railway sur toute l’étendue du parcours. Il est vrai que pour la deuxième voie il n’a été fait emploi que de coquillages, mais il n’est pas démontré qu’une adjudication publique n’aurait pas permis d’obtenir ceux-ci à au moindre prix ; et il n’est pas démontré davantage qu’en 1838, époque de ces fournitures, une adjudication pour les travaux de la deuxième voie n’était point praticable.

De la moyenne de 8,11 pour la deuxième voie de la section de Malines à Anvers, il résulte cette autre conséquence :

Que sur la section de Bruges à Ostende, le sable de mer devait présenter une moyenne moindre, pour cette double raison décisive, que le transport se faisait par eau et que la route en fer, dans toute son étendue, longe à faible distance le canal qui servait au transport, de sorte qu’il y avait dans toute la direction entre le chemin de fer et le canal, des communications rapprochées et faciles, surtout en été, époque où ces travaux se sont faits sur cette section. Cependant la moyenne pour la section de Bruges à Ostende a surpassé celle de Malines à Anvers, puisqu’elle est de 9 francs pour le sable de mer.

Voici maintenant, messieurs, l’explication naturelle de cette différence Je réclame un moment encore votre attention.

Les fournitures et transports de sable ont été faits d’après deux systèmes : dans le premier, l’administration passait un contrat avec l’entrepreneur, dans lequel contrat les lieux d’extraction et de dépôt du sable étaient déterminés ; c’est d’après cette base que les prix étaient fixés dans ce contrat.

Dans le deuxième système, le contrat sans indiquer les lieux d’extraction, se bornerait à déterminer le prix qui serait payé à l’entrepreneur en raison des distances. Ce prix était réglé par un tarif. Les lieux d’extraction et de dépôt étaient indiqués pendant le cours de l’exécution des travaux.

Vous comprendrez facilement combien ce moyen était défectueux ; il fallait tenir un contrôle non seulement du nombre de mètres cubes, mais simultanément des distances de parcours, lesquelles distances varient sans cesse, et ces contrôles étaient abandonnés à des agents subalternes, sans autre garantie que la prescription de probité, garantie très précaire au milieu de tant de moyens de séduction.

Les sections suivantes ont été exécutées d’après le première système : Malines à Anvers, première voie ; Malines à Termonde, Termonde à Gand, première voie. Elles ont présenté, pour les fournitures de sable, un prix moyen :

De Bruxelles à Malines, près de 3 francs ;

De Malines à Anvers, première voie, 5 francs ¼

De Malines à Termonde : 6 francs

De Termonde à Gand : 4 francs ¼.

Le deuxième système a été appliqué aux sections ci-après, lesquelles ont aussi donné un terme moyen :

De Malines à Anvers : 8 francs 11

De Gand à Bruges : 4 francs 1/3 ;

De Bruges à Ostende, sable de mer : 9 francs.

Idem, sable ordinaire : 2 francs 65 ;

De Malines à Louvain : 4 francs 45 ;

De Louvain à Tirlemont : 11 francs.

De Tirlemont à Waremme : 9 francs ;

De Waremme à Ans : 13 francs 84.

Le prix moyen du deuxième système présenté, comme on peut le remarquer, une notable différence avec celui que le premier a eu pour résultat ; cette différence est d’autant plus sensible qu’elle s’applique à des sommes plus considérables. L’on dira peut-être que la cause en tient aux localités, mais c’est précisément dans les localités où le sable devait coûter cher, qu’il importait d’en régler le prix à l’avance, au moyen de l’indication des lieux d’extraction et de dépôt, et ne point abandonner celui-ci à des indications vagues et qui n’auraient lieu que pendant l’exécution même des travaux.

Les indemnités qui étaient payées aux entrepreneurs intéressaient ceux-ci à rechercher les moyens de transporter à de très grandes distances ; aussi l’on voit que les transports ont eu lieu à des distances considérables, et, chose digne d’attention, il est des sections où la progression des distances est en raison même de la hauteur de l’indemnité. Je citerai la section de Waremme à Ans, où cette progression se présente d’une manière tout remarquable.

Ainsi, lorsque pour les parcours le tarif était gradué de 2 francs 40 c. à 7 francs 85 c., il n’a été transporté qu’une quantité de 5,715 mètres à raison de 25,889 francs. Lorsque ce tarif progressait de 8 francs 05 à 12 francs, l’on a transporté une quantité de 10,318 mètres ; mais lorsque le tarif de parcours atteignit les prix de 13 francs 70 c à 18 francs 36 centimes le mètre cube ; sa quantité était de 28,451 mètres qui ont coûté 447,908 francs !

Vous conviendrez, messieurs, que c’est un mauvais système que celui où l’entrepreneur, ayant le plus grand intérêt à parcourir une plus grande distance, n’et pas mis dans l’impossibilité de chercher à favoriser cet intérêt.

Les deux sections de Louvain à Tirlemont et de Tirlemont à Waremme présentent un moyen de comparaison irrécusable pour démontrer les conséquences onéreuses auxquelles donne lieu le système d’un tarif progressif en distances parcourue, à désigner pendant le cours des travaux.

Les deux sections ci-dessus ont été exécutées dans ce système, elles ont présenté une moyenne respective de 9 francs et de 11 francs.

En 1839, il a été passé deux soumissions, mais, toutefois, sans adjudication, pour établir sur les prédites sections un redoublement de voie… Cette fois, on n’a pas fait un tarif de distance ; les lieux d’extraction et de dépôt ont été déterminés d’avance dans un devis estimatif. Voici ce qui en est résulté :

Que sur la section de Louvain à Tirlemont on n’a payé pour une quantité de 13,230 mètres de sable au dépôt, que la somme de 34,398 francs ;

Que sur celle de Tirlemont à Waremme, on n’a payé une quantité de 12,854 mètres cubes que 31,378 francs.

En prenant maintenant pour les mêmes sections les quantités équivalentes qui ont été payées au moindre prix,

Sur la section de Louvain à Tirlemont, la quantité égale de 13,230 mètres, payée au moindre prix, a coûté 78,388 francs. C’est avec le prix de 1839, 34,398 francs, une différence de 43,990 francs

Sur la section de Tirlemont à Waremme, la quantité de 12,854 mètres, qui avait été appuyée au moindre prix, a coûté 56,098 francs. C’est avec le prix de 1839, 31,378 francs, une différence de 24,720 francs.

L’emploi du deuxième système donne lieu encore à une remarque bien importante, c’est qu’il a été appliqué indirectement de la même manière pour toutes les sections où il a été fait usage, la seule section de Waremme exceptée pour laquelle le tarif a été majoré. Pour les six autres sections, il n’y a eu qu’un seul tarif, sans égard pour les moyens de transport plus ou moins faciles que présentaient les diverses localités. C’est ainsi que l’on a appliqué à la section de Bruges à Ostende le même tarif adopté pour la section de Tirlemont à Waremme, c’est-à-dire que le tarif qui a présenté pour cette dernière section une moyenne de 9 francs ; on l’a appliqué à la section de Bruges, où il existe des moyens de transport qui permettent d’obtenir ce sable à très bas prix. Qu’en est-il résulté ? c’est que le sable de mer, précisément celui pour lequel l’on peut employer les voies navigables, a présenté la même moyenne que pour celle de Tirlemont à Waremme. Encore, messieurs, est-ce en donnant à ce tarif, évidemment fait pour les petites distances, car il s’arrête dans tous les contrats à 7,000 mètres, une extension qu’il ne comportait pas dans le principe que l’on est parvenu à payer dans la station de Bruges 17,600 francs. Si l’administration avait été dirigée dans cette occasion par cette sage prévoyance qui devrait caractériser tous ses actes, elle aurait fait un contrat séparé, ou tout au moins elle aurait adopté le premier mode, et dans ce cas, elle aurait obtenu ce même sable, rendant au même dépôt, à des prix relativement très bas, car il est constaté que le sable de mer s’obtient en tout temps, rendu à domicile dans la ville de Bruges, pour un maximum de 3 francs 50.

Maintenant, M. le ministre explique le haut prix payé dans une circonstance par l’impossibilité d’attendre les retours à vide, et par la célérité avec laquelle cette section a été construite.

C’est à vous, messieurs, à apprécier jusqu’à quel point ces explications sont satisfaisantes. La seule conséquence que la section centrale a déduite des faits qu’elle a signalés, c’est que le système que l’on avait suivi était mauvais ; puisque, pour la section de Bruges, comme pour les autres sections où il avait été employé, il avait été amené des résultats aussi désavantageux.

Toutefois, messieurs, la section centrale, comme son rapport le constate, a été assez juste pour reconnaître que de notables améliorations avaient été introduites successivement dans le service du chemin de fer.

Elle a tenu compte à l’administration des difficultés inséparables d’une période d’essai. Mais elle a cru aussi que le moment était venu d’entrer dans une voie normale.

Adopter l’adjudication publique indistinctement, et dans toutes les circonstances, tel n’est pas non plus son système. On sait qu’il est des cas où ce mode serait dangereux ou impossible ; mais ceux-ci sont exceptionnels.

Enfin, messieurs, la section centrale, vivement préoccupée de la progression des dépenses, qui avaient si fortement dépassé toutes les prévisions, a signalé au ministre le besoin d’économie et a indiqué les moyens d’amener ces résultats. C’était son devoir, messieurs, elle l’a rempli avec franchise, mais sans arrière-pensée, et je dois repousser en son nom toute autre induction que l’on aurait pu tirer de son rapport.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – L’honorable rapporteur de la section centrale a commencé par quelques considérations générales sur le mode d’exécution des travaux publics. C’et une question très controversée que de savoir quel est le meilleur mode à suivre. La question n’est pas seulement entre l’adjudication et le marché direct ; mais il y a plusieurs genres d’adjudication publique ; et c’est ce que l’honorable rapporteur a complètement perdu de vue. Il y a, pour ne m’en tenir qu’aux grandes distinctions, l’adjudication publique à bordereaux de prix, et l’adjudication publique ordinaire et à forfait. Dans mon rapport du 12 novembre, j’ai rendu compte, par le tableau n°2, des adjudications publiques faites, depuis quelques temps, en masse d’après un nouveau mode ; M. le rapporteur semble croire que ce tableau représentait toutes les adjudications publiques ; c’est une erreur, puisqu’il ne représente que les adjudications publiques faites d’après le mode récemment introduit.

Les adjudications publiques pour le chemin de fer, pour les terrassements entre autres, se sont faites longtemps à bordereau de prix ; on ne vous l’a pas caché ; on vous l’a annoncé dans la discussion de la loi du 1er mai 1834 ; on vous l’a avoué dans le rapport du 1er mars 1837. ce mode d’adjudication à bordereau de prix a été considéré comme nécessaire, parce que des données manquaient pour faire des adjudications publiques en masse et à forfait, parce qu’il y avait un problème à résoudre pour revenir à ce dernier mode, et que ce problème n’avait pas encore été résolu. L’administration publique à forfait, d’après le mode suivi autrefois, est un contrat inexorable ; on n’y tient pas compte de l'imprévu ; il fallait trouver une combinaison qui en tînt compte ; cette combinaison n’a été découverte que depuis un an et demi. C’est ce qui est exposé longuement au paragraphe 2, chapitre 2 du rapport du 12 novembre. Il y est dit : « En revenant à l’ancien système d’adjudication publique depuis longtemps en usage dans les ponts et chaussées, j’y ai introduit une modification importante qui consiste à conserver le bordereau de prix comme mode exceptionnel de règlement de compte, applicable aux quantités en plus ou en moins à résulter éventuellement des modifications dont l’opportunité serait reconnue durant l’exécution, et qu’il appartient au ministre seul d’ordonner. »

Dans cette chambre, un seul membre, l’honorable M. Desmet, avait signalé, il y a déjà trois ans, les inconvénients des adjudications à bordereau de prix ; on lui a répondu qu’on y avait recours principalement parce que, dans l’adjudication en masse et à forfait, on ne peut tenir compte de l’imprévu ; le moyen de tenir compte de l’imprévu n’était pas connu. Ce moyen consiste à introduire dans le cahier des charges un bordereau de prix éventuellement applicable au cas où l’on découvrirait qu’il y a des travaux à faire en plus ou en moins.

Le tableau n°2 fait mention d’une seule adjudication publique de sable ; il ne faut pas en conclure qu’il n’y a pas eu d’autres adjudications ; il y a encore eu 13 adjudications faites d’après différentes modes. Il était important de constater qu’il y avait eu 14 adjudications publiques, de différents genres ; j’omets d’en lire la liste (La liste est jointe en note de base de page).

Il est encore à remarquer qu’aujourd’hui, il y a cinq ingénieurs-directeurs ; il y en avait deux seulement autrefois.

Ces cinq ingénieurs-directeurs ont procédé tantôt par adjudication à bordereau de prix, et tantôt d’une autre manière ; et l’on a eu des résultats analogues eu égard aux circonstances.

Ainsi :

1° Il a eu différents modes, et notamment 14 adjudications publiques ;

2° Il y a eu différents ingénieurs.

En règle générale, j’admets l’adjudication publique ; c’est la forme la moins compromettante pour l’administration. Mais est-ce la forme la plus certaine par elle-même ? Si l’on ne considère que la fixation des prix, l’adjudication les fait connaître avec quelque certitude ; mais il y a autre chose que les prix ; c’est la constatation que la chose faite ou fournie est ce qu’elle doit être : la réception. Cette deuxième opération est hors de l'action de la forme de l’adjudication ; vous êtes forcés de vous en rapporter aux agents de l'administration ; cependant cette dernière opération est la plus importante.

Avant la révolution, il y a eu un scandale, un grand scandale, je veux parler de la construction des forteresses. Généralement on avait procédé par adjudications publiques ; mais la deuxième opération, la réception, avait manqué de garanties. Ces garanties sont dans les hommes.

Procédez comme vous voudrez, il faut vous en rapporter aux hommes pour les réceptions. Vous aurez beau recourir à l’adjudication publique, si la réception se fait d’une manière légère ou coupable, vous aurez échoué malgré vos formes prétendument garantissantes.

Si vous veniez dire que, pour les chemins de fer, on reçoit légèrement les ouvrages ; si vous veniez porter cette accusation, je dis qu’elle serait très grave. C’est là qu’est vraiment la grande garantie ; c’est le résultat qu’il faut voir. Sous ce deuxième rapport, je défie que l’on puisse articuler le moindre reproche contre l’administration du chemin de fer ; généralement on rend hommage à la manière dont les travaux sont surveillés ; en un mot, on reconnaît la bonté des résultats : ce que l’on critique, c’est le mode suivi. Il ne s’agit en définitive d’adjudication publique que pour constater les prix ; hors de là vous devez vous en rapporter à ceux qui doivent exercer la surveillance et opérer la réception. Ne nous faisons pas illusion quand on dit que l’adjudication publique offre une garantie absolue : non, messieurs ; elle laisse intacte l’opération la plus importante, la réception. C’est ce que savent tous ceux qui voient le fond des choses et qui ne s’arrêtent pas aux apparences.

Lorsque j’ai jugé convenable d’insérer dans mon rapport du 12 novembre le tableau n°2 donnant le résultat des adjudications d’après le nouveau mode, je voulais établir la comparaison entre le mode ancien du forfait absolu et le mode nouveau que j’ai conçu ; je voulais constater que l’essai tenté par l’administration avait amené d’heureux résultats. Il ne faut pas croire que l’on n’ait fait l’adjudication que pour la somme de 6 millions mentionnés au rapport ; on a fait des adjudications publiques pour une somme beaucoup plus forte. Sous ce rapport, il faut distinguer trois espèces d’objets :

1° Objets qui, par la force des choses, doivent se faire par adjudication publique ;

2° Objets qui ne peuvent se faire par adjudication publique ;

3° Objets qui, selon les circonstances, peuvent se faire ou par adjudication publique ou autrement.

Les objets qui tombent dans la première catégorie ont été faits par adjudication publique. Il en a été fait pour plus de 20 millions.

1834 : 1,161,923 francs 27

1835 : 1,908,799 francs 98

1836 : 5,490,701 francs 83

1837 : 89,170 francs.

C’est l’année où l’on a fait une espèce de halte pour rechercher si on ne pouvait pas revenir à l’ancien mode, avec certaine modification.

1838 : 2,473,015 francs 11

1839 : 9,837,147 francs.

Total : 20,960,757 francs 19.

La deuxième catégorie des dépenses, s’élevant à 31 millions, comprend les expropriation, les locomotives, les fers, marchés qui ne peuvent se faire autrement que directement.

En troisième lieu viennent les entreprises qui pouvaient se faire par adjudications et par soumissions directes. Quant on a donné la préférence aux soumissionnaires directes, c’est que les prix étaient bien constatés ; c’est qu’on désirait avoir un moyen d’action sur l’entrepreneur ; c’est pour d’autres circonstances que je puis faire connaître et qui justifiaient la mesure. Il est donc inexact de dire que le nouveau mode d’adjudication en masse et à forfait n’est appliqué que depuis un an et demi.

J’ai dit, messieurs, qu’il était très heureux pour l’administration qu’il y ait eu 14 adjudications publiques pour le sable. En effet, messieurs, en prenant les chiffres isolément, nous trouvons que les résultats des adjudications ont été moins avantageux que les résultats des marchés publics. Prenons par exemple l’adjudication publique qui a été faite pour la section de Landen à Saint-Trond, vous pourrez faire le parallèle suivant :

Sable à 300 mètres, sur la section de Landen à Saint-Trond, par adjudication publique, 2 francs 52 le mètre cube ;

Sable à 250 mètres (ce qui est la même distance), sur la section de Bruges à Ostende par soumission directe, 1,80

Sable à 1,400 mètres, sur la section de Landen à Saint-Trond, par adjudication publique, 4,56.

Sable à 3,000 mètres, sur la section de Landen à Saint-Trond, par adjudication publique, 5,81.

Sable à la même distance, sur la section de Bruges à Ostende, par soumission, 4,20.

Une voix – Oui, mais il faut tenir compte des moyens de transport, des circonstances.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Je suis de votre avis, et c’est ce que je demande ; cette déviation de ma part n’est qu’apparente et momentanée.

Il faut tenir compte des circonstances, des moyens de transport et ne pas considérer les chiffres isolément. Pour apprécier chaque chiffre, il faut tenir compte d’une foule de détails, de délais quelquefois fugitifs, qu’on a peine à se remémorer après un certain temps, de détails insaisissables pour une assemblée publique.

C’est ainsi qu’il faut apprécier les prix en général ; c’est ainsi surtout qu’il faut les apprécier quand il s’agit de travaux d’urgence ; tels que ceux de la section de Bruges à Ostende.

Chacun des chiffres qui se trouvent indiqués dans les tableaux dont j’ai cité quelques extraits, chacun de ces chiffres est accompagné de ce qu’on appelle un « sous-détail » ; c’est-à-dire les éléments qui constituent chaque chiffre, une pièce justificative de chaque chiffre ; ces sous-détails se trouvent déposés au ministère et même, d’après une résolution que j’ai prise l’été dernier, sur la demande des entrepreneurs, ils sont imprimés aujourd’hui à la suite du cahier des charges.

Parlant de la section de Waremme à Ans, l’honorable membre a indiqué des inconvénients qui réellement n’existent pas ; il a supposé que les agents subalternes auraient arbitrairement indiqué les carrières où le sable devait être pris par l’entrepreneur.

M. Van Hoobrouck de Fienne, rapporteur – Je n’ai pas dit cela

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Vous avez dit que le tarif progressif présente cet inconvénient que les lieux d’extraction sont indiqués par les agents subalternes ; vous avez dit que si l’on prenait le tarif de progression, on verrait que là où le prix est peu élevé on a soin de prendre peu de sable, mais qu’à mesure que le prix s’élève on en prend des quantités plus grandes, en un mot ce que vous avez dit indiquerait une connivence entre les agents subalternes et les entrepreneurs.

Eh bien, messieurs, c’est ce qui est inexact en fait ; c’est ce qui d’après l’état des lieux, a été impossible. Le terrain entre Waremme et Ans ne présente que très peu de sable ; on doit prendre le sable dans des carrières qui se trouvent à une grande distance du chemin de fer. On a supposé que, dans le cours de l’exécution des travaux, on découvrirait quelques veines de sable ; ces veines de sable offraient des avantages à l’administration, on a eu soin de les épuiser et l’on n’est allé aux carrières éloignées que lorsqu’il n’y avait plus de sable plus près. Si, par exemple, on constatait que ces veines de sable n’ont pas été totalement épuisées, qu’on a pris du sable aux carrières éloignées lorsqu’on pouvait en trouver à une distance plus rapprochée, alors, messieurs, les agents qui auraient concouru à ces faits seraient coupables ; qu’on me le prouve, et je les punirai. J’ai tous les jours un moyen de constater que la connivence indiquée par l’honorable membre n’a pas existé. Les chiffres les plus élevés sont justifiés par des sous-détails.

Vous voyez au n°14 du tableau n°13, que le sable de la carrière de Saint-Nicolas a été payé 10 francs 89.

J’ai sous les yeux le sous-détail de cette évaluation, où tous les éléments de ce chiffre sont indiqués. Ce sous-détail, messieurs, je pourrais le lire à la chambre ; mais il serait impossible de le comprendre à une simple lecture. Je le ferai insérer au Moniteur (inséré en note de bas de page).

Le sable indiqué au n°21 a été pris à Oreye ; il y en a eu 10,600 mètres ; c’est le sable qui a coûté le plus cher ; ce n’est pas en effet 17 francs 60 c., comme à Bruges qu’on a payé ce sable, c’est 18 francs 36 c. J’ai également sous les yeux tous les éléments de ce chiffre (inséré au Moniteur en note de base de page).

J’ai dit, messieurs, que depuis quelques mois j’avais soin de faire imprimer même les sous-détails ; on trouve, en effet, à la suite du cahier des charges pour le sable de la couche supérieure des sections de Gand à Deynze et Courtray, approuvé le 20 avril 1839 le sous-détail du sable destiné à être pris à la carrière de Cruyshautem ; il y a eu un fort rabais ; mais l’adjudication a été publique ; le sous-détail, précaution toute nouvelle, a été imprimé. Peut-on pousser plus loin la publicité et la bonne foi ! Par suite du rabais, la sable a coûté 9 francs 79 c. ; voyez les tableaux n°8 et 9. Il avait été évalué 13 francs 60 c. ; évaluation que tout le monde a été appelé à apprécier, s’il y a eu un rabais aussi considérable, c’est par des circonstances spéciales, en dehors de l’appréciation des ingénieurs. Ce sous-détail pourra également être inséré au Moniteur (annexé au Moniteur).

L’honorable membre considère les adjudications publiques, entre autres pour le sable, comme le moyen le plus infaillible ; eh bien, messieurs, ce moyen est quelquefois le plus dangereux ; je vais le prouver : il est impossible de faire une adjudication pour le sable sans faire aussi un tarif progressif et pour faire ce tarif progressif, il faut connaître tous les lieux d’extraction, tous les lieux qui offrent du sable. Nous faisons donc une adjudication publique de sable ; elle est faite et quelque temps après l’entrepreneur découvre une carrière beaucoup plus rapprochée que toutes celles qui sont citées dans le tarif progressif ; que faire alors ? La carrière nouvelle offre du sable dans la quantité voulue ? Que dire à l’entrepreneur lorsqu’il viendra déclarer à l’administration qu’il ne prendra le sable aux lieux d’extraction indiqués, mais qu’il le prendra dans une carrière très rapprochée du chemin de fer qu’il vient, lui, de découvrir ? Nous n’avons rien à répondre à cela et l’entrepreneur profite ainsi de tout l’imprévu que présente cette opération.

J’ai voulu, par suite des accusations que l’on a prodiguées depuis 15 jours contre l’administration, j’ai voulu prescrire aux ingénieurs de faire toujours des adjudications publiques pour le sable. Je vais vous dire, messieurs, ce qui m’a été objecté, et il m’a été impossible, je le déclare, de répondre à cette objection : l’ingénieur en chef du chemin de fer du Hainaut m’a envoyé, malgré mes instructions, un cahier des charge pour la section de Jurbise vers Mons, où il n’est pas parlé de la fourniture du sable : « Il est, dit l’ingénieur, très probable que nous découvrirons du sable entre Soignies et Mons, il vaut mieux attendre ; nous faisons aujourd’hui des travaux de fouilles assez coûteux, et si nous adjugeons maintenant le sable, l’entrepreneur jouira plus tard de tous les avantages que pourrait présenter la découverte de sable dans des lieux plus rapprochés que ceux qui seraient indiqués ; si nous adjugions maintenant le sable et que plus tard l’entrepreneur découvrît des carrières plus rapprochées on ne manquerait pas de dire que nous savions qu’en faisant l’adjudication, que ces carrières existaient. Nous nous exposerions donc, à force de prendre des précautions, aux accusations les plus graves. » Ce sont ces considérations, messieurs, qui m’ont fait renoncer à l’idée que j’avais d’abord de faire procéder de prime abord et avec les terrassements à l’adjudication publique de la fourniture du sable pour la section de Jurbise à Mons.

J’arrive enfin à la section de Bruges et Ostende.

Lorsqu’il s’est agi, messieurs, de l’entreprise des travaux de la section de Bruges à Ostende, on a déclaré dans un premier acte en date du 31 décembre 1837, que l’on appliquerait à cette section, pour le sable, la soumission qui avait été approuvée pour la section de Tirlemont à Louvain, le 8 mai 1837, mais il devait être bien entendu qu’il ne s’agissait ici que du transport par terre. N appliquant ce bordereau au transport par eau, on aurait eu des prix exorbitants ; il est impossible que j’indique ces calculs. (Annexé en note de bas de page au Moniteur.)

Le contrat présentait donc une lacune, le transport par eau du sable qui devait venir de la mer ; il fallait remplir cette lacune par un arrangement supplémentaire ; c’est ce qui a été fait.

On aurait pu faire un arrangement supplémentaire d’après des bases rigoureuses. Voici, entre autres, les bases du sous-détail de cet arrangement supplémentaire ; je prie la chambre de me prêter ici toute son attention.

Le sable à fournir à 5,000 mètres, d’après ce sous-détail devait coûter 5 francs 62 c ; il n’a coûté, en effet, que 5 fr. 90 c. ; j’expliquerai tout à l’heure pourquoi. Le sable à fournir à 11,000 mètres devait toujours, d’après ce sous-détail, coûter 10 francs 16 c., et il n’a coûté en effet que 9 francs 80 c. Je vous dirai aussi tout à l’heure pourquoi. Le sable à fournir à 24,000 mètres ne devait coûter que 12 francs 67, et il a coûté 17 francs 60 c.

Vous voyez donc, messieurs, que le sable à fournir à la distance de 24,000 mètres a été payé environ un quart de plus que ne le portait le sous-détail ; mais pour le sable à 11,000, 5,000 mètres et pour les distances plus rapprochées, on paye moins que ne le portait le sous-détail. Ainsi pour la distance de 5,000 mètres, au lieu de 8 francs 62 c., on n’a payé que 5 francs 90 c. ; pour la distance de 11,000 mètres, au lieu de 10 francs 16 c., on n’a payé que 9 francs 80 centimes.

Voici, messieurs, ce qui a été fait. L’on a reconnu qu’on pouvait faire un forfait avec l’entrepreneur, et déclarer qu’on appliquerait pour la moitié des distance quant au transport, la soumission de Tirlemont à Louvain, lorsqu’l s’agirait des transports par eau, c’est-à-dire qu’on paierait à l’entrepreneur pour le transport à 24 mille mètres de distance par eau, ce qu’on paie à l’entrepreneur pour un transport de 12 mille mères de distance par terre. C’est ainsi qu’on est arrivé aux résultats dont il est rendu compte au tableau n°7, résultats qu’on peut, dans ce système de compensation et eu égard aux circonstances, déclarer avantageux à l’administration.

En effet, l’on a payé à 5,00 mètres 5 francs 90 c, ce qu’on aurait dû payer 8 francs 62 c. ; à 11,000 mètres 9 francs 80 c., ce qu’on aurait dû payer 10 francs 26 c. ; et à 24,000 mètres 17 francs 60 c. ce qu’on aurait dû payer 12 francs 67 c.

La quantité de sable fournie à Bruges est de 1,485 mètres cubes ; on a payé 26,126 francs ce qu’on aurait dû payer 18,963 francs 45 c. ; par conséquent il y a une perte pour Bruges de 7,172 francs 55 c. mais sur tout le reste de la ligne on a réalisé un gain proportionnellement beaucoup plus considérable.

Aussi en définitive c’est l’administration qui a profité le plus de ce forfait.

J’ai dit qu’on s’était trouvé dans des circonstances extraordinaires. En effet, vous vous rappelez que le chemin de fer de Bruges à Ostende a été fait avec une célérité sans exemple, en huit mois. J’ai dit qu’il y avait eu un renchérissement momentané de la main-d’œuvre et que les bateliers entre autres s’étaient montrés d’une extrême exigence. On a paru croire que c’état là une de ces allégations faites après coup ; je me trouve à même de prouver ceci par des pièces authentiques que personne ne récusera, si d’ailleurs je n’avais pour moi tous vos souvenirs.

A cette époque, le gouvernement faisait aussi construire en gravier la route de Furnes à Nieuport ; le gravier venait par eau ; l’ingénieur en chef de la Flandre occidentale, qui n’est pas celui qui est chargé du chemin de fer, a demandé au gouvernement de la province que les bateliers français fussent assimilés aux bateliers belges, et qu’il leur fût permis de lui apporter par eau, aux mêmes conditions que les bateliers belges, le gravier dont il avait besoin pour la route de Furnes à Nieuport.

Je vais donner lecture de la lettre que cet ingénieur a écrite à cet égard, au gouvernement de la Flandre occidentale.

« Bruges, le 26 juillet 1838.

« Monsieur le gouverneur,

« Par la visite de M. l’ingénieur Forret aux carrières de Saint-Omer, en France, nous avons obtenu, pour la construction de la route de Nieuport à Furnes, un gravier beaucoup meilleur que celui qu’on fournissait jusqu’alors ; mais aujourd’hui, une nouvelle entrave dans l’avancement des travaux de cette route se présente, c’est la difficulté de réunir le nombre suffisant de bateaux pour faire le transport du gravier, depuis la carrière jusqu’à pied d’œuvre.

« L’entrepreneur que l’administration ne cessait de presser vivement, pour accélérer ces transports, vient par sa lettre, que je joins ici, d’exposer les causes du retard qu’éprouve l’arrivage du gravier, parce que les canaux français qu’on doit parcourir, ne permettent en été qu’une navigation au tirant d’eau tout au plus de 90 centimètres ; ce ne sont donc que les bateaux de 40 à 50 tonneaux qui peuvent, avec chargement, naviguer dans ces canaux.

« La pénurie de ces sortes de bateaux belges provient de ce que la navigation charbonnière, par ce pays vers Dunkerque et au-dessus, ayant considérablement diminué par suite du charbon anglais, qui entre actuellement dans ce dernier port, un grand nombre de bateaux de l’espèce, qui servaient d’allèges aux grands bateaux de charbons et qui, en voyage de retour, chargeraient du gravier, ont quitté cette ligne de navigation ; beaucoup de ceux-ci sont employés, en ce moment, au transport de sable de mer et autres matières pour le chemin de fer en construction de Bruges à Ostende.

« Si l’entrepreneur de la route en gravier ne donnait pas un prix convenable, pour fréter son gravier, j’y appliquerais le déficit de bateaux, mais je sais qu’en ce moment on paie ce fret à raison de 3 francs 50 c. le mètre cube ; ce qui dépasse de 75 centimes les prix en usage. »

M. le ministre, interrompant sa lecture – Vous voyez que le fret était augmenté d’un quart.

M. le ministre reprend sa lecture.

« Si, ainsi que l’expose l’entrepreneur les bateliers français transportant du gravier en Belgique n’étaient, pour la durée des travaux soumis à la patente belge, qui fait monter les frais de transport du gravier a environ un franc le mètre cube, impôt que les bateliers belges navigant en France ne paient point, il est à présumer qu’il ne manquerait pas de moyens de transport pour permettre l’achèvement de la route dans un court délai.

« J’ai cru nécessaire, monsieur le gouverneur, de porter à votre connaissance l’exposé de la cause sur laquelle l’entrepreneur fait valoir le retard dans l’arrivée du gravier de France, pour compléter l’achèvement de la route de Furnes à Nieuport, vous priant de vouloir en référer à M. le ministre des travaux publics.

« L’ingénieur en chef, J. de Brock. »

Le gouvernement m’a alors écrit la lettre suivante :

« A M. le ministre des travaux publics

« Bruges, 21 août 1838.

« Monsieur le ministre,

« J’ai l’honneur de vous communiquer, par copie, une lettre du sieur Dekeuwer, entrepreneur de la construction de la route en gravier de Nieuport à Furnes, ainsi que la lettre d’accompagnement de M. l’ingénieur en chef des ponts et chaussées, à Bruges, toutes deux relatives aux entraves qu’on l’on rencontre dans le transport du gravier depuis la carrière jusqu’à pied d’œuvre ; ce qui retarde nécessairement l’avancement des travaux. Ces entraves consistent dans la difficulté de réunir un nombre suffisant de bateaux pour effectuer les transports ; vous remarquerez que les bateaux belges ne sont pas assez nombreux pour importer la grande quantité de gravier dont on a besoin, et que les bateliers français ne veulent pas se charger de ces transports, parce que le haut droit de patente qu’ils doivent payer en Belgique les en détourne. Je vous prie, M. le ministre de vouloir me faire connaître vos intentions à l’égard de ce retard. IL serait à souhaiter que M. votre collègue du département des finances pût trouver le moyen de faire disparaître le motif qui empêche, dans l’occurrence, les bateliers français d’importer du gravier en Belgique.

« Le ministre d’état, gouverneur ; Comte de Muelenaere. »

Je me suis alors adressé à M. le ministre des finances, et M. le ministre a momentanément assimilé les bateliers français aux bateliers belges, en les exemptant de la patente extraordinaire pour le transport du gravier de la route de Furnes à Nieuport.

Vous voyez donc, messieurs, que les circonstances exceptionnelles dans lesquelles nous nous sommes trouvés sont bien justifiées, et ces circonstances suffiraient à elles seules, indépendamment du système de compensations que j’ai expliquées tout à l’heure, pour rendre raison du surcroît de prix payé à la station de Bruges.

Je conçois, messieurs, que le prix du sable à la station de Bruges a dû étonner singulièrement le public ; le public s’est d’abord demandé à quoi bon le sable de mer ; vous savez, messieurs, pourquoi il fallait du sable de mer ; il en fallait pour la couche supérieure de la station de Bruges. Le public a dû se demander : pourquoi paie-t-on ce sable 17 francs 60 centimes Le public ignorait qu’il y avait eu un forfait entre l’entrepreneur et le gouvernement, et que si l’entrepreneur recevait 17 francs 60 centimes pour la station de Bruges, il payait sur toutes les autres parties de la ligne moins que n’aurait indiqué que le sous-détail.

Je m’explique donc très bien l’étonnement du public ; le public a vu les faits isolément, mais vous qui, aujourd’hui voyez les faits dans leur ensemble, vous ne partagerez pas cet étonnement du public.

En résumé, je suis d’accord avec la section centrale, en ce sens qu’il faut recourir le plus possible à l’adjudication publique à forfait. Mais cette opinion n’est pas nouvelle ; ce n’est ni le système de la section centrale, ni mon système en particulier, c’est le système de tous les gouvernements ; c’est le système le moins compromettant pour l’administration. Mais je dois ajouter que je ne regarde pas ce système comme étant toujours celui qui offre d’une manière infaillible les résultats les plus avantageux.

Ce qui est nouveau, c’est la combinaison dans l’adjudication à forfait et en masse du bordereau pour les cas imprévus ; combinaison que nous avons introduite.

Messieurs, si j’attache une certaine importance à ce débat, ce n’est pas à cause de moi, car les accusations auxquelles les observations de la section centrale, mal appréciées par quelques personnes ont donné lieu ; ces accusations n’ont pu remonter jusqu’à moi. Quand on dit qu’on fait au ministère des travaux publics des marchés directs, on s’imagine que le ministre fait mander secrètement dans son cabinet un entrepreneur ou un fournisseur et qu’il lui dit : « telle chose vaut trois francs, eh bien je vous en offre dix. » Messieurs, c’est là une scène purement imaginaire ; la chose est absolument impraticable, le ministre ne fait pas de marchés ; le ministre décide pour certains cas, eu égard aux circonstances, qu’il y a lieu de faire un marché direct ; l’ingénieur lui présente alors le marché, c’est l’ingénieur qui a débattu les prix, le ministre approuve : il y a une signature qui précède la sienne.

Aussi, messieurs, je ne puis cacher à l’assemblée que ces accusations ont vivement ému l’administration du chemin de fer et celle des ponts et chaussées ; et je crains que si ces accusations devaient se perpétuer, elles ne jetassent le découragement parmi les fonctionnaires attachés à ces deux administrations. J’ai encouragé ceux de ces fonctionnaires qui m’ont fait part de la douleur qu’ils éprouvaient en cette circonstance, je leur au dit que leur zèle, leur dévouement, leur intelligence et leur probité étaient appréciés par vous tous, et j’ai osé leur dire, messieurs, que nous ne donneriez pas de démenti à mes paroles.

M. Delehaye – Si M. le ministre des travaux publics a cru devoir engager les employés occupés au chemin de fer, à ne pas perdre courage, parce que la chambre n’accueillerait pas les accusations dirigées contre eux ; nous aussi, en acquis de notre mandat, nous ne devons pas perdre courage, nous ne devons pas nous taire, dussent les employés du chemin de fer se formaliser de nos observations.

Le chemin de fer est dû à la révolution : nous qui avons pris une part active à ce grand événement, il nous sera permis de faire à cet égard des observations critiques. Ces critiques, dans mon bouche, n’auront d’autre but que d’arriver à une économie qui est d’autant plus nécessaire qu’elle nous mettra à même de répondre aux exigences des qualités qui ne jouissent pas des avantages du chemin de fer.

Les travaux du chemin de fer se divisent en deux catégories : 1° travaux de terrassement et travaux d’art ; 2° les travaux des railway. Quant aux travaux de terrassement, je conviens que je n’ai pas les connaissances nécessaires pour en apprécier l’exécution, je n’en parlerai pas. Cependant je crois devoir faire une remarque dont je prie M. le ministre de tenir compte ; c’est que dans les Flandres, les ponts destinés à l’écoulement des eaux sont faits avec très peu de soin. Depuis la construction du chemin de fer dans les Flandres, beaucoup de propriétés sont devenues de véritables marais. Plusieurs membres appartenant à la même province que moi, pourront donner à la chambre des renseignements positifs à cet égard. Si M. le ministre le désire, je lui indiquerai les communes qui présentent des parties de terres qui pendant plusieurs mois ne sont pas susceptibles de culture.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Faites les connaître.

M. Delehaye – Ce sont toutes les communes depuis Gand jusqu’à la station d’Hansbeck et même jusqu’à la station d’Aeltre.

D’après le compte-rendu du 12 novembre 1839, la longueur des lignes décrétées serait de 519 kilomètres 82 mètres. M. le ministre n’a point fait entrer en ligne de compte la section de Courtray à Tournay, d’une longueur de 22 kilomètres, et l’embranchement de Lierre, d’une longueur de 5 kilomètres 20 mètres, lequel, par cela seul qu’il se trouve englobé dans les devis de MM Simons et de Ridder, ne peut être omis dans le réseau décrété de nos chemins de fer. Ces deux lignes ensemble, d’une longueur de 27 kilomètres 20 mètres, ajoutés aux 549,82 kilomètres, portent la longueur totale de lignes étudiées et décrétées à 567,02 kilomètres.

Ainsi, au lieu de 549 kilomètres 82 mètres, dont parle le rapport du 12 novembre, la longueur totale de nos lignes de chemins de fer que l’on peut considérer comme décrétée est de 567 kilomètres 02 mètres, équivalent à 141,80 lieues de postes française, soit 133,44 lieues de Brabant.

Les devis estimatifs des diverses lignes sont connues à l’exception des devis de la ligne de Courtray à la frontière française par Mouscron d’une longueur de 15,30 kilomètres, et la seconde, de Tournay jusqu’à la frontière française, d’une longueur de 17,91 kilomètres, ensemble 33,20 kilomètres, dont déduction faite, nous avons 534 kilomètres de railway décrétés, pour lesquels les devis des ingénieurs sont connus.

Pour ces 534 kilomètres, les devis, avec une prévision qu’il serait facile de prouver devoir être au moins de 20 p.c. pour la double voie, station et dépendance, et pour les frais d’administration et de conduite des travaux, l’intérêt des capitaux pendant l’exécution, les frais d’étude des projets, tout enfin compris, à l’exception du matériel des transports ; les devis, disons-nous, montent à la somme de 84,543,938 francs, répartis comme suit : 79,969,201 francs, directement affectés, par les ingénieurs à la construction du railway, stations et dépendances ; 1,590,232 francs pour frais d’administration et de conduite des travaux ; 2,876,505 francs pour l’intérêt des capitaux pendant l’exécution ; et enfin 108,000 francs pour les frais d’étude des projets. Ensemble 84,343,938 francs.

Répartis sur les 534 kilomètres de railway, dont les devis sont connus, le capital de 79,959,201 francs directement affectés à la construction de la route, par les ingénieurs, fixerait le prix de revient du kilomètre à 149,755 francs, double voie, stations, dépendances, tout compris.

Il est inutile, messieurs, de vous soumettre ligne par ligne le montant des devis. Il suffira de vous faire observer que, pour les diverses lignes étudiées par MM. Simons et de Ridder, j’ai eu recours à l’analyse des mémoires de ces ingénieurs ; que pour les lignes étudiées par MM. Vifquain, de Moor et Noël, formant la branche de Gand à la frontière française par Courtray et Tournay, ainsi que la ligne de Bruxelles à la frontière française par Valenciennes, j’ai consulté le Moniteur ; qu’enfin, c’est encore à la feuille officielle que je me suis adressé pour la ligne du Limbourg, étudiée par MM Vifquain et Groetaers, ainsi que pour la ligne de Namur, étudiée par M. Vifquain seul.

L’exactitude des données que nous vous soumettons ici, est d’autant plus authentique, d’autant plus irrécusable, qu’elle est confirmée par les propres données de M. le ministre des travaux publics, par ses paroles prononcées dans cette enceinte. En effet, nous venons de voir que le capital sus-indiqué fixait le prix du revient du kilomètre à 149,755 francs, double voie, tout compris, excepté le matériel du transport. Eh bien, ajoutons pour ce matériel 10,000 francs par kilomètre, sur ce pied, les 234 kilomètres fourniront un matériel de 5,340,000 francs.

Ainsi, pour nous borner maintenant aux frais de construction du railway officiel, il résulte de vos données qu’en ajoutant 10,000 francs par kilomètre, nous arrivons à la somme de 160,000 francs, par kilomètre, double voie, stations, matériel des transport, tout compris. Or, messieurs, c’est précisément la somme que, dans la séance du 9 mai 1838, M. le ministre, lors de la discussion sur l’emprunt de 37,000,000 de francs vous a dit être le prix du revient du kilomètre. Le chemin de fer belge sera construit, a-t-il dit, avec raison, de 150 à 160 mille francs par kilomètre, double voie, stations matériel, tout compris. Certes ce ne pouvait être qu’appuyé sur des données analogies aux nôtres et peut-être même exactement correspondantes, que M. le ministre alors a voulu rassurer le pays sur le coût immense du chemin de fer. Impossible donc de constater mieux l’authenticité de nos données que le cadre restreint d’un discours ne me permet pas de vous donner succinctement.

La somme de 160,000 francs à laquelle M. le ministre faisait monter le coût du kilomètre, se trouve déjà singulièrement dépassée et ce n’est pas trop s’aventurer dans les suppositions, que de dire que dans un an le kilomètre reviendra à 250,000 francs.

D’après le tableau n°7 du compte-rendu du 12 novembre dernier, les 13 sections y mentionnées reviennent en dépenses à 35,406,996 francs non compris les frais d’administration et d’études et les stations ; il est vrai que dans cette somme se trouve le coût de 82 kilomètres, formant double voie et représentant à raison de 41,000 francs par kilomètre un capital de 3,362,000 francs, dont défalcation faite, les 13 sections avec simple voie ne reviendraient qu’à 32,044,996 francs, mais pour ces 13 sections, les devis des ingénieurs, pour expropriations de terrains, ouvrages d’art, terrassements, stations et dépendances, mais avec simple voie de rails, ne s’élèvent que jusqu’à 28,142,157 francs ; la différence est de 3,902,839 francs ; elle porte principalement sur les terrains acquis pour la route.

Le devis estimatif concernant le railway comprend tout le terrain nécessaire aux deux voies, les terrassements et travaux d’art.

En outre, les frais d’administration des travaux pour ces 13 sections figurent au compte rendu pour 1,394,475 francs. Or, ces 13 sections n’ont qu’une longueur de 311 kilomètres 34 mètres, mais les devis des ingénieurs, pour la totalité du railway, ne font entrer en ligne de compte que 1,390,232 francs, de sorte que les 311 kilomètres 54 mètres dépassent déjà l’évaluation faite pour les 534 kilomètres. Et voulez-vous savoir, messieurs, comment les frais d’administration et de conduite des travaux ont été évalués dans le devis ; ouvrez le Moniteur du 6 octobre 1837, vous y verrez que MM. Simons et de Ridder pensent que le service de direction et de conduite des travaux du railway peuvent très bien se faire aux taux suivants :

Un ingénieur directeur : fr. 15,000

Deux ingénieurs ordinaires : fr. 8,000 chacun.

Six conducteurs : fr. 5,000 chacun

Vingt surveillants à fr. 2,500 chacun

Frais de comptabilité et de bureau : fr. 17,500.

Et avec des devis basés sur de pareils salaires les frais de conduite se sont trouvés encore dépassés sur les 13 sections exécutées, et mentionnées au compte-rendu du 12 novembre.

Il en résulte que, si vous voulez mettre un terme à des dépenses qui pourraient creuser un gouffre où viendrait s’engloutir la fortune publique, vous devez dès à présent prescrire la plus grande économie exercer le contrôle le plus sévère.

Le railway national n’a présenté dans son exécution aucune difficulté imprévue ; il n’a donc pu y avoir aucun mécompte qui ait pu faire dépasser les devis des ingénieurs. Le seul ouvrage dont les difficultés pouvaient présenter quelque surcroît de frais, était le tunnel de Contich ; il est prouvé aujourd’hui que les prévisions n’ont point été dépassées.

Il serait donc inutile de nous parler de mécomptes, il ne peut y en avoir au détriment du pays, et notre chemin de fer ne supporte pas non plus la comparaison avec ceux de France et d’Angleterre, où ils ont rencontré des difficultés d’exécution dont il était impossible de calculer les frais.

Messieurs, il me reste une seconde partie à traiter, c’est celle qui concerne le sable. Je me trouverai dans la nécessité de répéter des choses dites par M. Van Hoobrouck de Fiennes, mais comme j’en tirerai des conséquences toutes autres, vous me permettrez de rappeler là-dessus votre attention.

La fourniture de sable a donné lieu à deux opérations distinctes : le transport du sable de l’endroit de l’extraction de l’emprise jusqu’à des lieux de dépôt, et en second lieu, de ces dépôts jusqu’à l’endroit où il devenait nécessaire ; c’est ce qu’on nomme jusqu’à pied d’œuvre.

Les travaux, y compris le sable de la section de Gand à Courtray ont été soumissionnés pour une somme à forfait. Pour les terrassements, il y a eu bordereau de prix.

Il est à remarquer qu’avant 1838, les prix soumissions ont quelquefois été majorés par le gouvernement ; cet abus donné lieu à de réclamations de la cour des comptes, qui dans ses observations sur le compte général et définitif de l’exercice de 1834, expose les graves inconvénients qui peuvent résulter de ces majorations (page 78.)

J’arrive aux conditions concernant les transports des sables.

Le transport se faisait sur bordereau de prix.

On fixait le prix à un certain nombre de mètres à parcourir. Par exemple, 1 franc 80 par 3 relais, ou 90 mètres en plaine, sans déterminer à l’avance les distances qui seraient parcourues.

Ce point était réglé plus tard entre l’entrepreneur et l’administration.

Cette latitude pouvait donner lieu à de grandes erreurs et même à des abus.

En second lieu, ils se sont aussi effectués en indiquant d’avance l’endroit de l’extraction et celui des dépôts. Dans ce cas le contrat mentionnait ces lieux.

Les différentes sections du chemin de fer que je vais énumérer ont été construites par contrat privé.

Première voie :

Bruxelles à Malines.

Le prix le plus élevé pour le gravier est de 3 francs 49 centimes, y compris l’emploi et le transport. Le sable à coûté 3 francs 40 centimes.

Cette section a nécessité l’emploi de 30,064 mètres cubes de ce chef et a coûté 88,897 francs 18 centimes.

(Suit tableau plus détaillé, non repris ici)

Dans tous ces frais sont compris la fourniture, le transport et l’emploi.

De Termonde à Gand.

La pose du railway a été effectuée par deux entrepreneurs (Blomme et Borguet), ce dernier a transporté, à une distance de 1,500 mètres (8 minutes) à raison de 4 francs 20 centimes, 4,687 mètres cubes pour la somme de 19,687 francs 50 centimes

De Gand à Bruges.

Sur cette section on a indiqué des distances éventuelles à parcourir sans détermination préalable des lieux d’emprise ou d’extraction et ceux de dépôt, pour la somme de 1 franc 80 centimes pour 3 relais.

Cette section a nécessité un emploi de 98,142 mètres cubes pour la somme de 349,289 francs 42 centimes. Pour une distance de 4,000 mètres, il a été payé 7 francs 98 centimes.

Il est à remarquer que le canal de Gand à Bruges se trouvant à proximité du chemin de fer, rendait le transport plus facile.

De Bruges à Ostende.

Les prix admis pour les travaux de la section de Louvain à Tirlemont ont été pris pour base, quoique tous les transports des sables aient pu se faire par eau.

Il a été transporté des sables sur cette section, à raison de 17 francs 60 centimes, pour la distance de 12,000 mètres. A Bruges, le sable des Dunes, transporté par la chaussée de Blankenberge, coûte communément 5 francs ; le sable de mer, transporté par eau, coûte 3 francs.

Malines à Louvain.

Pour parcourir une distance de 5,000 mètres, par conséquent une lieue, on a payé 9 francs 20 centimes.

Louvain à Tirlemont.

Pour la distance de 10,500 mètres, 15 francs 80 centimes.

Waremme à Ans.

Pour la distance de 10,600 mètres, on a payé 18 francs 36 centimes.

Sur cette section, on évalue le sable à 75 centimes.

Le devis estimatif pour la pose du railway, fourniture, transport et emploi de sable, montait à 172,300 francs ; elle a été adjugée à Parent pour 168,854 francs.

Dans la section de Deynze se trouve un dépôt de 12,000 mètres de sable, extrait des carrières de Chruyshautem, à 8,000 mètres de distance. Ce sable a coûté pour transport 117,500 francs. Jusqu’ici il n’a été employé de ce sable qu’une faible partie.

Voici messieurs, le devis estimatif d’après lequel les frais du transport de ces 12,000 mètres ont été évalués :

« 1° Déblai de la couche végétale. On suppose que la couche végétale et celle de mauvais sable aient ensemble une hauteur moyenne de 0m³ 80, tandis que le sable à extraire aura une hauteur de 1 mètre. Il en résulte que pour un mètre cube de sable on devra déblayer dans la couche supérieure, un cube de 0m³ 9 raison de 50 centimes transport compris ; soit donc pour un mètre cube de sable, une valeur de 40 centimes.

« 2° Extraction du sable, chargement sur brouettes, et transport. On suppose que le sable sera d’abord mis en dépôt aux carrières mêmes, à trois relais de distance, ce qui vaudra par mètre cube : 45 centimes

« 3° Rechargement des fouilles d’extraction transport compris : 20 centimes.

« 4° Chargement sur tombereaux. On compte une fouille, ou enlèvement : 15 centimes. »

Je passe à l’article 9 du devis.

Si ce prix était admis, il n’y aurait pas d’ouvriers terrassiers qui ne gagnaient au moins 6 francs par jour. Ce n’est pas d’après des connaissances personnelles que je fais ces observations, j’en entre les mains un ouvrage fait par M. Tell-Poussan, dont l’expérience est connue, et qui est d’accord avec l’ingénieur français Coulon, d’après lequel un ouvrier peut, dans une journée de 10 heures, fouiller et jeter 15 mètres cubes de terre légère. En admettant le prix de 40 et 45 centimes par mètre cube, vous aurez la journée d’ouvriers portée à 6 francs. En supposant qu’elle doive être de 2 francs, voilà une augmentation de 200 p.c.

« Art. 5 du devis estimatif. Transport jusqu’au dépôt de Petegem : 7 francs 22 centimes. »

Messieurs, je suis porté à croire que l’auteur du devis ne connaissait point les lieux. S’il les eût connus, il n’eût certainement pas porté à 7 francs le coût du transport de Chruyshautem jusqu’à Deynze.

La première de ces communes est située sur une hauteur ; Deynze se trouve au bas de la montagne, une bonne chaussée sépare ces communes, le transport pourrait se faire, par conséquent, d’une manière très facile.

Aussi, je puis donner à l’assemblée l’assurance que le transport n’ a réellement pas coûté au-delà de 3 francs, c’est le prix d’une sous-adjudication ; un grand nombre de mètres a été transporté à raison de 2 francs 50 centimes. Nous en avons payé 7 francs 22 centimes, c’est plus de 100 pour cent de bénéfices.

Je passe à l’article 9 du devis.

« 9° Déchet, tassement et pertes diverses. On compte que le déchet dans le transport, le tassement et les pertes diverses occasionnées par les pluies et le vent, peuvent s’élever à un quart, soit donc de ce chef 2 francs 37. »

J’ai déjà cité un ingénieur d’un grand mérite dont on ne contestera pas la capacité. Il suppose qu’endéans les deux ans le déchet doit être d’un cinquième, et d’après cet article du devis, il serait d’un quart pour le transport de Chruyshautem à Petergem.

Le ministre me dira : de quoi vois plaignez vous, puisque ce transport a été mis en adjudication publique.

Je lui répondrai que la clause insérée dans le devis entraînant l’obligation de faire le transport endéans les 3 mois, était inutile quoique très onéreuse, puisqu’en effet jusqu’aujourd’hui on n’a encore employé de ce sable qu’une bien faible quantité.

Ce n’est pas pour trouver le gouvernement en défaut que je me suis livré à ces investigations ; je ne veux qu’une économie ; Mais on se demande comment il se fait qu’on ait été insérer une clause qui, en définitive, ne devait pas être exécutée, puisque le sable est encore là et qu’il y sera encore l’année prochaine. Il devra être transporté dans les trois mois, et deux ans se sont écoulés, quand il sera employé en entier.

J’aurais bien d’autres observations encore à présenter sur le chemin de fer ; qu’il me soit permis d’en émettre encore une seule. Vous savez qu’on construit à Gand une fabrique pour l’industrie linière : cet établissement a besoin de sable pur le chemin de fer qu’il fait construire. Eh bien savez-vous combien lui coûte le sable pour lequel on a été obligé de payer un droit d’écluse ? les bras m’en sont tombés quand j’ai lu la lettre de l'administration de cet établissement. Le mètre cube a coûté un franc.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – On présente l’adjudication comme un mode infaillible de procéder. Le discours de l'honorable préopinant, en acceptant comme exacts les faits qu’il a allégués prouverait que l’adjudication publique n’a pas l’infaillibilité qu’on lui attribue généralement. Remarquez que, pour les sections de Gand à Deynze et de Deynze à Courtray, des adjudications publiques ont été faites ; il y a eu appel à tout le monde ; il y a eu concurrence. Le cahier des charges que je tiens à la main porte le n°39 des cahiers des charges de 1839. Ce cahier des charges a été imprimé en entier ; de plus, contre l’usage suivi jusque-là, j’ai fait imprimer le sous-détail que l’honorable membre vient de critiquer. Il ne s’agit donc plus ici du mode d’exécution, mais du sous-détail fait par les ingénieurs. Ce sous-détail, je dois le trouver exact ; car les hommes qui l’ont donné et ceux qui l’ont examiné ont toute ma confiance ; je le trouve encore tel, je n’y vois pas l’exagération que l’honorable membre y signale ; je dois récuser sa compétence pour le critiquer.

Il y a eu adjudication publique, ce sous-détail a pu être examiné par tous ceux qui voulaient concourir à l’adjudication ; pouvez-vous avoir une garantie plus grande ? peut-on procéder avec plus de bonne foi que de faire imprimer le sous-détail à la suite du cahier des charges ?

Autrefois ces sous-détails manuscrits étaient déposés chez les ingénieurs, chez le gouverneur de la province, et au secrétariat général du ministère. Les entrepreneurs m’ont dit qu’il leur serait plus agréable de ne pas se déplacer et m’ont prié de faire imprimer les sous-détails. Comme ce sont eux qui paient les frais d’impression, je n’ai trouvé aucun inconvénient à satisfaire à leur demande ; j’ai fait imprimer ces pièces. Il faut avouer que ces entrepreneurs et toutes les personnes qui veulent faire fortune, entendent bien mal leurs intérêts. Voilà une adjudication publique annoncée à l’avance où le sous-détail, contre l’usage, est imprimé, et il ne se trouve pas un homme en état de faire l’examen auquel vient de se livrer l’honorable membre, examen qui, s’il était fondé, aurait dû entraîner un rabais des sept huitièmes.

Le montant de l’estimation de l’administration était de 163,000 francs. Le rabais a été de 45,700 francs. Pourquoi un rabais aussi fort ? cela dépend des circonstances spéciales, personnelles, en dehors de l’appréciation de l’ingénieur qui ne prend en considération que les circonstances communes à tout le monde.

On dit que cet entrepreneur a sous-traité, et qu’il a fait travailler en régie. Il a très bien fait. Mais si l’administration avait opéré en régie ou par marché direct, c’est alors que les critiques de M. Van Hoobrouck de Fiennes l’atteignaient à leur tour. Car que fait-on ? Quand nous procédons par adjudication publique, on nous dit « l’entrepreneur a sous-traité ; et il a gagné des sommes considérables en faisant travailler en régie ou par marchés directs. » Quand, au contraire, nous ne procédons pas par adjudication publique, et que nous faisons travailler en régie ou par marchés directs, on nous dit : « Vous négligez le seul moyen qui présente des garanties infaillibles ; pourquoi n’usez-vous pas de l’adjudication publique ? »

Je vous avoue que mon embarras est fort grand. De quelque côté que je me tourne, on doit, en raisonnant de la sorte, trouver le côté vulnérable. Cependant on ne pouvait plus mal choisir que de s’attaquer aux sections de Gand à Deynze et de Deynze à Courtray. Ces sections, je ne puis assez le répéter, ont été adjugées avec des garanties nouvelles, avec l’impression des sous-détails. Maintenant, quand on dit que l’entrepreneur, en faisant travailler en régie, a réalisé des bénéfices considérables, je n’ai rien à répondre ; cela nous échappe. Tout ce que je puis faire, c’est que les adjudications aient lieu publiquement, avec impressions des sous-détails. Je ne puis faire davantage ; exiger davantage des ingénieurs et de moi, c’est exiger l’impossible, ou bien exiger ce que l’on nous interdit : le marché direct et le travail en régie.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar) – M. le ministre des travaux publics n’étant pas ingénieur de profession, n’a pu répondre d’une manière précise à quelques observations qu’a faites le préopinant. Comme j’ai quelque expérience en cette matière, parce que j’ai fait des devis, et que je les ai fait appliquer, je crois devoir répondre à quelques-unes de ces observations. Elles portent sur la citation de quelques auteurs dont l’orateur s’est appuyé pour critiquer les évaluations qui ont été faites. Je ne connais pas les ouvrages que l’orateur a cités. Mais j’en connais d’autres que je crois au moins aussi distingués et aussi connus.

Je connais les sous-détails de Gauthez, Perronet, Rondelet, Sgansin, et d’autres plus modernes, et lorsque dans les travaux que j’ai préparés et que j’ai dirigés, j’ai voulu appliquer les calculs de ces messieurs, je les ai toujours trouvés en défaut dans une proportion très forte.

Ainsi, quand on dit qu’un homme seul peut fouiller et charger, par jour, quinze mètres cubes, c’est une exagération, c’est une évaluation purement théorique. Quand un ingénieur écrit cela, il prend pour base un travail exécuté d’une manière théoriquement régulière ; il suppose qu’un homme travaille à de la terre végétale, avec la bêche seule, et qu’il la charge immédiatement sans être détourné de son travail par aucun autre travail. Dans la pratique il n’en est pas ainsi. Pour que le calcul fût exact, il faudrait qu’on prît la terre à une profondeur d’un pied ou d’un pied et demi. Mais la plupart du temps, on la prend à une profondeur beaucoup plus grande ; alors il faut plus d’effort, et par suite plus de temps pour la monter ; puis l’ouvrier doit mettre la terre sur une brouette ou une charrette ; enfin souvent il faut qu’il égalise la terre qu’il dépose. Ce sont toutes choses dont on ne tient pas compte dans les théories.

On a parlé du tassement ; on a prétendu que le tassement se réduisait à un cinquième, et qu’il n’avait lieu qu’au bout de 2 années. Dans le corps des ponts et chaussées de France, auquel on ne reproche pas le défaut d’instruction, on admet qu’il faut laisser à des terrassements plus considérables une saison, un hiver pour les tasser ; et même depuis vingt ans l’on a souvent renoncé à ce délai. Il est avéré qu’il n’y a rien qui varie plus que le tassement.

Ces vues, si absolues en cette matière, ne servent qu’à faire porte un jugement tout à fait erroné.

M. Delehaye – Si j’ai critique les dépenses pour la section de Deynze, ce n’est pas que je prétends que le ministre ait bien ou mal fait, c’est que je prétends que tous les moyens qu’on a employés ont donné lieu à des abus.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Je nie cela.

M. Delehaye – Pour moi je soutiens le contraire, et je crois que le pays sera de mon avis.

Pourquoi l’adjudication de Deynze a-t-elle eu lieu à un prix élevé, parce qu’il s’y trouvait des clauses onéreuses. Ce n’est pas seulement le gouvernement qui agit ainsi ; les provinces encourent le même reproche. Comme conseiller provincial, j’ai eu l’occasion de signaler cet abus. Il arrive presque toujours qu’on insère dans le cahier des charges des clauses qui sont onéreuses pour les uns et qui ne le sont pas pour les autres. Lorsque c’est un tel, la clause onéreuse disparaît ; si c’est tel autre, elle devient une charge insupportable.

Voilà ce que j’ai entendu dire, et je persiste à soutenir que tous les moyens employés par le gouvernement ont donné lieu à des abus.

M. le ministre de la guerre, qui est venu en aide à son collègue, a dit qu’il ne connaît pas les ingénieurs dont j’ai parlé. Cependant M. Coulon est un ingénieur français qui a publié le dernier ouvrage qui ait paru sur le chemin de fer.

Je n’ai pas dit qu’en dix heures de temps on pouvait fouiller et charger 15 mètres cubes de terre. Voici ce que dit sur ce point M. l’ingénieur Poussin.

Un ouvrier fait en 10 heures un travail, fouiller et jeter 15 mètres cubes de terre légère en dépôt, et le salaire de cet ouvrier monte en France à 1 francs 63.

L’opinion de M. Coulon est conforme à celle de M…

J’ai à faire une autre observation qui m’est échappé la première fois que j’ai pris la parole.

D’après les documents de la cour des comptes, les quantités fournies pour Ans à Waremme, telles que je les ai extraites des états de l’entrepreneur, s’élèvent à 44,476 mètres. Elles ont coûté 571,194 francs 90 centimes. Il est à remarquer que dans les prix de 2 francs 40 centimes à 7 francs 85 centimes, il n’a été fourni qu’une quantité de 5,705 mètres cube pour une somme de 25,889 francs 67 centimes ; que, sans les prix de 8 francs 9 centimes à 12 1 c., une quantité de 103,183 mètres pour la somme de 97,397 francs 18 centimes, et dans les prix de 13 francs 70 centimes à 18 francs 36 centimes, une quantité de 28,452 mètres cubes pour une somme de 447,908 francs 5 centimes. Le terme moyen pour le prix de Ans à Waremme est de 12 francs.

Sans doute, je ne prétends pas inférer qu’il y ait eu abus, mais vous comprendrez que c’est un singulier hasard que, toutes les fois que les prix ont été élevés on ait fourni d’immenses quantités, et que toutes les fois que les prix ont été bas on n’ait fournir que de faibles quantités.

Il est vrai que pour la section de Bruges à Ostende, il n’en a pas été ainsi, et qu’une quantité moindre à coûté 17 francs 60 centimes ; mais le ministre a eu soin d’indiquer que le sable qui a coûté 17 francs 60 centimes devait servir pour la station de Bruges.

Pour la section de Bruges à Ostende, il a été fournir une quantité de sable d’emprise de 26,770 mètres cube pour une somme de 55,425 francs 30 centimes, et une quantité de sable de mer de 25,837 mètres pour la somme de 219,037 francs.

Les fournitures les plus remarquables sont les suivantes : 3,182 mètres cubes à 8 francs 59 centimes pour 27,333 francs 38 centimes ; une quantité de 1,633 mètres à 9 francs 80 centimes pour 16,903 francs ; une quantité de 1,195 mètres à 12 francs 20 centimes pour 14,579, et une quantité de 1,485 mètres à 17 francs 60 centimes pour 26,136.

En admettant que toutes les quantités (25,837 mètres) de sable de mer eussent été payées à l’entrepreneur à raison de 3 francs, il aurait reçu 77,511 francs. Elle a coûté 219,037 francs. Profit : 141,626 francs.

Il est à remarquer que 3 francs est le prix de revient du sable de mer à Bruges.

Je me permettrai de vous répéter une observation de l'honorable M. Van Hoobrouck sur laquelle il n’a pas appuyé. C’est celle-ci :

La construction de la première voie de Malines à Anvers a nécessité l’emploi de 37,592 mètres cubes. Ce sable a coûté 199,945 francs. La seconde voie a nécessité l’emploi de 42,785 mètres cubes qui a coûté 354,632 francs. Il y a une différence de 154,687 francs.

Pour m’expliquer cette différence, j’ai vu par l’examen de l’état de l’entrepreneur que la fourniture des 42,785 mètres cubes coquillages avait coûté le prix uniforme de 3,78 francs et que l’emploi des mêmes coquillages avait coûté 4,33 francs, ensemble 8,11 francs, tandis que pour la première voie il avait été payé pour ces mêmes objets des prix variant de 3,10 francs jusqu’à 7,10 francs, d’après la distance des transports.

Il y a d’autres travaux qui ont été accordés aux entrepreneurs sans adjudication. Je citerai, dans le nombre, les terrassements sur la section de Malines à Louvain et de Louvain à Tirlemont, donné en entreprise particulière à Borguet pour la somme de 200,230 francs ; le même entrepreneur a fait en outre les travaux d’achèvement sur la section de Gand pour la somme de 46,392 francs. Les renforcements des remblais contre le rempart de Bost et le viaduc d’Hoegarde pour la somme de 34,115 francs ; les constructions des bâtiments de recettes à établir à Tubise à MM. Dupont et Guilmut pour 135,857 francs ; enfin, toutes fournitures, telles que voitures, bois en construction, draps, houille, graisse, etc.

Quant à moi, je n’exige pas qu’il y ait adjudication publique. Tous les modes indiqués par le ministre sont bons pour moi, pourvu qu’ils procurent des économies. Comme aucun de ces moyens n’a conduit à ce résultat, je les rejetterai tous.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Je crois que tous les modes sont bons quand ils amènent des résultats économiques ; et à cet égard les ingénieurs étrangers ont trouvé que nos résultats étaient des plus économiques ; et précisément un de ceux qu’a cités l’honorable membre est venu visiter nos chemins de fer ; il a été étonné qu’on ait pu, avec les sommes consacrées, obtenir de tels résultats. Je connais personnellement M. Tell-Poussin ; il est venu me voir ; je lui ai recommandé d’examiner avec soin la construction du chemin de fer, de se constituer officieusement à mon égard, comme un inspecteur des chemins de fer, je lui ai fait remettre toutes les pièces. Je ne crains pas son jugement. Les conclusions de l’honorable membre semblent un peu en désaccord avec son débat ; car il avait dit d’abord que tous les modes avaient donné lieu à des abus. Ce serait chose singulière que d’arriver par des abus de détail à un ensemble avantageux ; et l’ensemble est avantageux ; l’étranger s’en étonne et en doute presque.

Je devrais me faire assister dans cette chambre par tous les ingénieurs comme commissaire du Roi ; car je me sens dans l’impossibilité de discuter les sous-détails. Si le débat devait se placer sur ce terrain, il faudrait que je les eusse à mes côtés ; et vous tous, qui n’êtes pas ingénieurs, comment leur répondriez-vous ?

Si, quelque mode que l’on suive, on arrive à des abus, il faudra en conclure que le gouvernement ne peut et ne doit rien faire ; au reste, je défie que l’on me présente un ouvrage quelconque où je ne puisse, par des conjectures plus ou moins hasardées, soulever des soupçons et des critiques.

L’honorable membre est revenu sur les sections de Gand à Deynze et à Courtray ; je ne puis que répéter que les sous-détails m’ont été présentés par des hommes qui ne sont pas novices dans le métier ; par des hommes dont un a été ingénieur en chef de la Flandre orientale depuis 1815, homme d’honneur et d’intelligence ; comment un tel homme aurait-il osé me présenter des sous-détails aussi fautifs, et m’en demander l’impression ? Il faudrait le taxer d’extravagance.

Pour garantie de son travail, j’ai son intérêt personnel, il n’aurait pas risqué une réputation honorable et intacte ; réputation d’ingénieur et d’homme qui restera intacte, malgré les critiques que l’on hasarde ici. J’ai donc suivi le mode d’adjudication publique avec une précaution particulière, l’impression des sous-détails. Je ne puis en faire davantage ; je ne puis que m’en rapporter du reste aux ingénieurs que je considère comme plus compétents en ces matières que l’honorable préopinant.

Pour la section d’Ans à Waremme on critique le tarif de progression et on suspecte l’usage qui en a été fait. Tous ceux qui connaissent le pays savent que les carrières sont à Oreye et à Hollogne, lieux qui sont à une assez grande distance. On a eu recours à ces carrières, chaque fois que l’on n’a pas trouvé le sable en qualité et en quantité suffisante près du chemin de fer ; voilà comment nous avons dû agir. Faut-il jeter dans la chambre une accusation aussi grave que celle lancée par le préopinant ?

Les quantités les plus considérables ont été fournies pour les prix les plus élevés, c’est-à-dire tout à l’avantage des entrepreneurs ! mais si l’on me démontrait qu’il y avait des veines de sable près du chemin de fer et qu’on n’en a pas tiré parti, je sévirais contre les employés qui les auraient laissées sans emploi. Il n’y a guère qu’un sol marneux d’Ans à Waremme ; les plus petites veines de sable dans les tranchées ont été épuisées avec soin.

Enfin, je ne puis m’empêcher de déclarer de nouveau à la chambre que tous les modes offrent des inconvénients, qu’il faut les apprécier d’après l’usage qui en est fait, et d’après les circonstances dont il faut tenir compte. Une adjudication publique a forfait de sable faite précipitamment, et de prime abord, pourrait offrir, par la découverte subséquente d’une carrière très à proximité du tracé, les plus grands avantages à l’entrepreneur, en exposant l’administration aux plus graves accusations ; j’ai cité le Hainaut où l’on espère trouver du sable sans pouvoir encore désigner les endroits. On n’a pas répondu à cette observation ; et l’on n’y répondra point.

M. de Puydt – La chambre conviendra avec moi qu’il serait très difficile de suivre les honorables préopinants dans l’examen des calculs auxquels ils se sont livrés. Il serait cependant désirable de pouvoir le faire, et je regrette que la section centrale, au lieu de venir jeter cette discussion dans la chambre, n’ait pas préféré vider ce débat, en faisant venir le ministre dans son sein.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – On ne m’a point prévenu, ni fait appeler.

M. de Puydt – En entendant le ministre, on aurait eu sur les faits des renseignements qui auraient peut-être tout expliqué. Je me bornerais donc à faire des observations très générales, et je me hâte d’en venir au fait principal, celui qui a donné lieur au débat sur les sables de mer fourni au prix de 17 francs le mètre à Bruges et sur la section de Bruges à Ostende.

Le prix de 17 francs a paru exorbitant ; mais, messieurs, je trouve son explication dans ce que vient de dire l’honorable M. Delehaye lui-même : les transports, dit-il, se sont faits en grande partie par la voie de terre, de la mer à Bruges.

Or, quel est généralement le prix des transports. Qu’il me soit permis d’imiter l’honorable M. Delehaye, et de recourir à des auteurs.

D’après les tables d’expérience du capitaine Morin, que j’ai sous les yeux, ouvrage renfermant des éléments de calculs établis d’après des expériences bien constatés, l’effet utile d’un cheval attelé à une voiture marchand au pas et transportant des matériaux est de 700 kilogrammes.

Le sable de mer a une pesanteur spécifique de 1 à 9. Le mètre cube pèse donc 1,9 kilogrammes. Il faudrait alors près de trois voitures attelés d’un cheval pour le transport d’un mètre cube et, comme de Bruges à la mer, il y a une journée de marche en comptant le retour, le passage si difficile et si fatigant des dunes, le chargement et trois voitures ne pourraient donc faire qu’un voyage par jour ; or, d’après les bordereaux de prix du génie militaire, une voiture à un collier se paie 6 francs 30 centimes par jour, ce serait alors un peu moins de 18 francs par mètre.

Je sais bien que pour le transport par terre, les entrepreneurs prendront un moyen plus économique, ils auront des voitures à plusieurs chevaux, marchand par convois, etc., mais au moins on peut déjà reconnaître par ces éléments, combien le prix du transport doit être considérable, et que dans le cas dont il s’agit, il a pu s’élever à plus de 17 francs.

On dira, et c’est vrai, que le transport n’a pas dû se faire par voitures ; mais il faut considérer que les travaux en question, ayant dû s’exécuter dans un temps très court, l’entrepreneur n’a pas toujours été maître de choisir le moyen de transport ; il en avait deux à sa disposition, mais il était lui-même à la disposition de l'ingénieur, obligé à son tour d’obéir aux nécessités des travaux, dès lors, l’entrepreneur a dû calculer la moyenne de son prix sur le cas le plus défavorable.

Ici, messieurs, je ferai une observation générale, et que le ministre des travaux publics vous dit qu’il n’est pas en position de discuter, sans ingénieurs à ses côtés, les détails techniques des devis, j’irai plus loin, et je dirai que la chambre elle-même n’est pas dans les conditions convenables pour prêter son attention à de pareils débats ; ce sont là des détails d’administration, tellement spéciaux, qu’une assemblée législative ne doit pas s’en occuper, surtout en séance publique.

Une voix – La chambre n’a donc rien à faire ?

M. de Puydt – Elle n’a au moins pas cela à faire.

Les travaux publics en général sont soumis à tant d’éventualités et les détails d’exécution de ces travaux se trouvent influencés par des circonstances si diverses que la critique s’égarera toujours quand elle séparera des faits quelconques de l’une ou de l'autre des circonstances qui en doivent être inséparables pour les apprécier convenablement.

Avant de se déterminer, par exemple, sur le choix du mode d’exécution, il faut examiner lequel des modes connus remplira le mieux le but qu’on doit avoir en vue, solidité et économie.

Un ouvrage peut se faire par adjudication à forfait, par adjudication sur bordereau de prix, ou en régie.

Le même ouvrage peut être divisible, et ses diverses parties pourraient être exécutées suivant différents modes.

A l’administration seule appartient l’appréciation des conditions dans lesquelles se trouvent les ouvrages à faire ; elle seule peut savoir le mode qu’il convient de choisir pour tout ou partie de ces ouvrages.

Les prix des devis sont surtout influencés par ces circonstances. Remarquez que souvent les entrepreneurs, lorsqu’on met en adjudication une entreprise sur bordereau de prix, font des rabais uniformes sur toute la série de ces prix, ou seulement des rabais sur quelques-uns ; ils diminueront davantage des maçonneries que sur des terrassements, non à cause du plus ou moins d’exactitude des prix, mais à cause des circonstances relatives aux quantités, aux localités, à leur position personnelle, à leurs habitudes de faire telle ou telle espèce d’ouvrage, ce qui leur permet d’opérer ces rabais de cette manière plutôt que de tout autre.

Eh bien, ces circonstances, pouvons-nous les apprécier ici, sommes-nous en mesure d’en calculer l’influence ?

Ses prix varient :

Suivant les qualités des matériaux ;

Suivant les quantités à fournir dans telle ou telle localité ;

Suivant l’espèce de transport ;

Suivant l’état des routes ;

Suivant la position de l'entrepreneur, qui, s’il n’a qu’un marché de peu d’importance, doit calculer autrement que s’il a plusieurs entreprises à la fois.

Enfin, il est des considérations qui agissent dans chacun de ces cas divers.

Les qualités des matériaux se rattachent à des conditions de localités et de transports.

Le temps dans lequel les fournitures doivent se faire vient, à son tour, influencer toutes les autres causes de variations de prix.

Ces causes se combinent une à une, deux à deux, elles se combinent toutes ensemble, selon l’espèce d’ouvrages.

Dans cet état de choses, il est évident que, faute de tenir compte de tant de considérations, souvent contradictoires, on doit être entraîné à porter un faux jugement sur des faits, du moment qu’on les isole, et c’est ce qui a été fait dans la circonstance actuelle.

Je répète donc que la chambre n’est réellement pas en position de prendre, à cet égard, une décision qui n’est pas de son ressort, et tout ce qui se dit ici ne peut qu’embrouiller les idées.

M. Van Hoobrouck de Fienne, rapporteur – C’est comme rapporteur, messieurs, que je dirai quelques mots, et par conséquent, je ne m’écarterai aucunement de ce que cette mission m’impose.

M. le ministre des travaux publics ayant accepté le système préconisé par la section centrale au moins comme règle générale, et n’ayant rien objecté ni à mes calculs, ni aux conséquences que j’en ai tirées, je me bornerai à rencontrer en peu de mots ses observations.

M. le ministre des travaux publics a dit d’abord que les adjudications publiques ne constataient que des sommes et que la réception restait entièrement abandonnée à l’arbitraire des ingénieurs. Mais, messieurs, n’est-ce exactement la même chose pour tous les autres modes de réception d’objet à fournir ? Ne faut-il pas également que ce soient le ingénieurs, les agents du gouvernement, qui reçoivent tous ces objets ; qu’il s’agisse d’un contrat privé, d’un marché direct, d’une adjudication publique, cet inconvénient est toujours le même, et je dirai qu’il est infiniment plus grand lorsqu’il n’y a pas adjudication publique, parce que, dans les adjudications publiques, les échantillons ont été examinés d’avance par les intéressés et que les agents du gouvernement n’ont plus qu’à constater la conformité.

M. le ministre a également semblé dire que j’avais pris pour base de mes calculs des chiffres isolés ; je ne puis admettre ce reproche, car, comme vous avez pu le voir, messieurs, j’ai fait des calculs sur la section de Gand jusqu’à Huy, c’est-à-dire, sur toutes les sections réunies où une comparaison était possible, et j’ai pris pour base de ces calculs les chiffres présentés par M. le ministre lui-même.

Parlant du système qui consiste à n’indiquer les lieux d’extraction que pendant les cours des travaux, j’ai dit que le mode était mauvais, parce que l’entrepreneur ayant le plus grand intérêt à parcourir de longues distances, n’est pas mis dans l’impossibilité de favoriser cet intérêt.

Les entrepreneurs ont presque toujours sauvé le terrain, ils savent où se trouve le sable ; mais ils se gardent bien d’indiquer à l’administration les endroits où ils n’ont pas intérêt à le prendre. Je citerai à cet égard, un fait que M. le ministre ne contestera pas : Les agents d’un entrepreneur ayant été chargés de sonder le terrain pour reconnaître les endroits où ils pouvaient se trouver du sable, ils ont indiqué à l’entrepreneur des localités où il s’en trouvait ; mais celui-ci n’a pas voulu faire usage de leur découverte, parce que ces localités n’étaient pas assez éloignées du chemin de fer.

M. le ministre a parlé de la section de Bruges à Ostende, il a expliqué à sa façon de quelle manière on était arrivé au chiffre de 17 francs 60 centimes pour le transport du sable à cette section. Je dois insister sur ce fait parce qu’il a été cité dans le rapport de la section centrale. M. le ministre vous a dit qu’on avait appliqué au sable de mer le tarif de Tirlemont à Waremme, réduit de moitié, et que l’administration n’avait qu’à se féliciter des avantages qui en étaient résultés ; eh bien, messieurs, veuillez jeter les yeux sur le tableau qui se trouve à la page 21 du rapport, vous verrez que les distances sont calculées jusqu’à 24,000 mètres, tandis que la mer n’est distante de Bruges que de 12,000 mètres, à quoi sert-il alors que le tarif soit réduit de moitié, lorsque les distances sont doublées, car, je le répète, les tarifs étant calculés sur nos distances, il ne fallait plus tenir compte du parcours que l’entrepreneur pouvait faire dans son intérêt.

M. le ministre des travaux publics a fait à mon rapport, ou plutôt à la section centrale, le reproche d’avoir été, en quelque sorte, la cause de toutes les insinuations qui ont été faites contre l’administration du chemin de fer, depuis trois semaines.

J’ai déjà dit, messieurs, que je déplorais les conséquences qu’on avait tirées des faits dont il s’agit, et que ces conséquences n’étaient nullement dans la pensée de la section centrale ni dans la mienne.

Mais ce n’est pas de notre faute si l’administration a précisément suivi le système condamné par la section centrale, si au lieu de faire des adjudications publiques on a donné presque toutes les fournitures depuis les plus considérables jusqu’au plus minimes par des marchés directs, par des contrats de la main à la main et quelquefois sans contrat du tout. C’est à cause de cela que bien des personnes ont supposé de la connivence.

Cette supposition est injuste, je le sais, mais elle devait obtenir faveur aux yeux du public, toujours près à juger d’après les apparences lorsqu’on a vu des entrepreneurs réaliser en peu de mois des fortunes considérables.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – « Il y a, dit-on, certaines apparences contre le chemin de fer ; le public se préoccupe depuis longtemps de ces apparences, et ce sont elles, mais non pas le rapport de la section centrale qui ont amené une sorte d’explosion. » C’est ainsi que l’honorable membre répond à ce que j’ai eu l’honneur de dire, au début de la discussion, lorsque je me plaignais de n’avoir pas été entendu à la section centrale. L’administration du chemin de fer a été jugée par défaut. C’est un fait que l’on ne contestera pas ; j’en appelle aux honorables membres de la section centrale eux-mêmes. Les apparences que l’on signale, ce sont entre autres les fortunes que l’on dit avoir faites par des entrepreneurs ; je n’ai pas mission, messieurs, de défendre ici les entrepreneurs, mais cependant je citerai un seul fait qui prouvera que c’est encore là une apparence trompeuse : vous m’accorderez, messieurs, qu’un entrepreneur doit pouvoir gagner sur les entreprises 10 p.c. (Marque d’assentiment.) Or, il y a tel entrepreneur qui a eu depuis 5 ans pour plus de 5 millions d’entreprises ; en gagnant 10 p.c. il doit être parvenu à faire une fortune d’un demi-million. Eh bien, je dis que si cette fortune qui suppose 10 p.c. de gain a été faite, elle est légitimement acquise, et il ne faut en signaler le possesseur ni à l’animadversion, ni à l’envie du public.

Nous devons ici respecter l’honneur des citoyens, quand même ce seraient des entrepreneurs. (Adhésion.) J’ai toujours entendu dire qu’on était honnête homme jusqu’à preuve du contraire ; il paraît que ce principe n’est plus applicable quand on a le malheur de s’occuper de près ou de loin des affaires publiques.

Messieurs, ce n’est pas d’après des apparences qu’il faut se diriger, surtout lorsqu’on fait partie de la chambre législative, lorsqu’on siège ici comme homme politique ; c’est le fond des choses qu’il faut voir, et c’est ce qu’on n’a pas fait, en vous signalant ce qu’on appelle des fortunes scandaleuses.

L’honorable membre a la prétention de m’imposer un système ; eh bien, c’est contre cette prétention que je m’élève. La section centrale ne nous impose pas un système d’administration des travaux publics, parce que le système qu’on préconise était conçu avant le rapport de la section centrale ; ce système vous est clairement exposé dans mon rapport du 12 novembre, à la page 13, on rappelle comment autrefois, de l’assentiment de la chambre, on avait fait les entreprises de terrassements par bordereau de prix ; la chambre a-t-elle jamais récusé ce système ? Non ; si j’avais procédé de la même manière, on n’aurait aucune plainte à élever contre le passé, car c’est le passé de nous tous, quant au mode d’entreprises. C’est spontanément que le gouvernement a changé ce mode, et j’explique, à la page 4 de mon rapport, de quelle manière il a pu faire ce retour, sans tomber dans les inconvénients de l’ancien mode absolu d’adjudication publique à forfait ; il a pu faire ce retour en imaginant une combinaison qui consistait à faire insérer un bordereau des prix dans le cahier des charges comme exception, pour les cas où il y aurait des travaux en plus ou en moins à faire.

Voilà donc le système dont l’antériorité est prouvée. Ce système n’est pas inventé par la section centrale ; tout ce que le rapporteur avait le droit de dire, c’est qu’il acceptait avec satisfaction le nouveau système décrit par le gouvernement, à la page 14 de son rapport, système qui semble écarter les inconvénients qu’offrait le mode ancien, antérieur à 1834, et le mode nouveau suivi de 1834 à 1837.

Je ne veux donc pas que dans un, deux ou trois ans, on vienne dire que si des améliorations ont eu lieu, c’est par suite d’un système présenté par la section centrale du budget des travaux publics.

Et pourquoi le gouvernement a-t-il introduit son nouveau système ? C’est précisément parce qu’il a reconnu que les devis seraient dépassés, parce qu’il a reconnu que ce système d’adjudication, avait pour lui la forme à laquelle on attache tant d’importance. Je me suis dit : « Le chemin de fer de la vallée de la Vesdre, par exemple, coûtera au moins le double de ce qu’on avait d’abord supposé ; dès lors, il faut une forme qui ait pour elle toutes les apparences, tous les préjugés même. » Je me suis donc décidé à l’adjudication publique à forfait avec l’étude la plus complète, avec un cahier des charges, rédigé avec le plus grand soin, de 50 pages in-folio, et que j’ai fait imprimer. J’ai voulu que si plus tard on venait dire : « Comment se fait-il que le chemin de fer de la vallée de la Vesdre ait coûté plus du double de ce qu’on avait supposé d’abord ; j’ai voulu que je pusse me borner à répondre : Voilà le cahier des charges : faites-le vérifier. »

J’ai procédé de la même manière quant au chemin de fer du Hainaut et à d’autres sections. J’ai procédé ainsi, en résistant à l’impatience des populations ; j’ai procédé ainsi, en m’opposant à des accusations d’un autre genre, car vous savez, messieurs, combien j’ai été harcelé de toutes parts ; je puis dire que j’ai introduit le nouveau système, malgré tous les obstacles que j’ai rencontrés de la part de populations impatientes.

Quant on préconise un système d’adjudication publique, on ne doit pas s’en tenir à un côté de la question, la fixation des prix ; mais il y a, je le répète, une autre opération importante qu’il faut considérer : c’est la réception. C’est l’acte qui consiste à constater que l’objet qu’on fournit possède la qualité qu’on a exigée. J’ai dit que c’était une opération qui échappait à tous les modes de procéder, et pour laquelle on était bien forcé de s’en rapporter aux hommes, à leur probité et à leur intelligence. Si vous n’avez pas foi en cette probité, en cette intelligence, alors vous n’avez qu’un parti à prendre : ne faites rien.

Que m’a-t-on répondu ? On a dit que cette deuxième opération était insignifiante ; qu’il suffisait de comparer ce qui est livré avec l’échantillon primitif, avec le plan arrêté.

Mais c’est précisément cette comparaison qui est difficile. Je citerai, par exemple, la houille. Ici, j’ai encore cédé aux apparences, j’ai voulu faire des essais ; jusqu’alors la houille avait été livrée par marchés directs. En effet, il y a peu d’inconvénients à accepter la houille par marchés directs, puisque le prix de la houille est généralement connu. Néanmoins, j’ai essayé de l’adjudication publique ; eh bien, cet essai a été tel que nous n’avons pu admettre la houille que de deux entrepreneurs, et qu’il a fallu faire nos approvisionnements d’hiver au moyen des marchés directs, car enfin il fallait bien nous approvisionner. A la suite de cette adjudication publique, j’avais accepté neuf marchés ; de ces neuf marchés, deux seulement ont été exécutés, c’est-à-dire que la qualité qu’on avait exigée n’a pas été fournie.

J’avais eu l’honneur de dire à la section centrale, que j’allais faire un essai d’adjudication publique pour la houille, sans dissimuler les appréhensions que j’avais à cet égard, et en effet mes appréhensions ont été justifiées par l’événement.

Un autre honorable membre vous a parlé aussi de la circonstance que tout le matériel des voitures avait été fait sans adjudication publique. Nous avons trouvé plus de garantie à monter nous-mêmes les voitures à Malines, en faisant fournir les caisses et autres pièces par marchés directs, et ensuite à les ajuster nous-mêmes.

Nous avions encore un autre motif ; nous voulions donner de l’ouvrage aux petits industriels ; car que serait-il arrivé, il y a deux ans, si j’avais cédé à certaines sollicitations, et que j’eusse fait une seule et grande entreprise pour le chemin de fer ; un seul grand entrepreneur se serait présenté, il aurait eu l’entreprise ; j’aurais été dans sa dépendance absolue, et j’aurais mécontenté les petits industriels dont plusieurs mêmes ont souffert par suite du chemin de fer. Par exemple, un carrossier domicilié à Louvain, est venu nous dire, il y a deux ans : « Le chemin de fer m’enlève une partie de mon ouvrage ; je faisais des voitures pour les entrepreneurs de diligence ; les diligences vont cesser en partie leur service ; donnez-moi de l’ouvrage. »

Je lui ai fait donner de l’ouvrage ; on ne le pouvait que par marché direct, on ne le pouvait pas par adjudication publique. Du reste, les voitures sont là ; elles ont encore été l’objet de l’inspection des ingénieurs et des administrateurs étrangers ; et, en définitive, elles ont coûté moins que si elles avaient été fournies par adjudication publique.

Toutes ces précautions qui ont été prises par l’administration, on ne peut les prendre quand on a recours à l’adjudication publique ; l’adjudication publique vous livre presque à la merci aveugle de l’adjudicataire ; l’entrepreneur devient alors le maître de l’administration.

L’honorable rapporteur a dit que je n’avais pas détruit ses chiffres. Je ne puis, à cet égard, que reproduire ce que j’ai déjà eu l’honneur de dire ; et faire ressortir le fait qui a été signalé après moi par l’honorable M. de Puydt ; c’est qu’il ne faut jamais prendre un chiffre isolément, mais qu’il faut toujours le mettre en rapport avec les circonstances qui ont déterminé l’administration. Eh bien, ces circonstances toutes exceptionnelles pour la construction du chemin de fer de Bruges à Ostende vous sont maintenant connues. D’abord on était dans un cas spécial ; on voulait faire en huit mois ce qui, dans d’autres cas, exigeait un an, deux ans ; en second lieu, on a fait un forfait, c’est-à-dire que si le prix du sable rendu à la station de Bruges paraît trop élevé, on a obtenu une réduction considérable sur les autres points de la section.

L’honorable membre paraît attacher beaucoup d’importance au maintien de ses chiffres. Cependant en signalant même les prix du sable, il a commis une inexactitude, car il dit dans son rapport :

« Nous n’avons pu nous expliquer comment le sable de mer fourni sur la section de Malines à Anvers a coûté en moyenne 3 francs 57 centimes le mètre cube ; tandis qu’il avait coûté 17 francs, rendu dans la station de Bruges. »

Vous voyez, messieurs, qu’on compare ici un maximum de 17 francs avec une moyenne de 3 francs 57. Est-il juste et rationnel de comparer un maximum avec une moyenne ? On ne compare jamais un maximum qu’avec un maximum, et une moyenne qu’avec une moyenne. Et voilà ce que l’honorable membre aurait dû faire. L’honorable membre n’aurait pas dû dire qu’il est étonnant que la moyenne soit de 3 francs 57, tandis qu’un mètre cube a coûté à Bruges 17 francs ; il aurait dû dire que c’était d’un côté une moyenne et de l’autre un maximum : ce qui est tout autre.

L’honorable membre s’est plus à signaler une erreur qui se trouve dans un des tableaux ; d’après une note que l’on m’envoie de mes bureaux, l’erreur signalée à la chambre, dans le tableau n°3, section de Mailes à Anvers, ne porte ni sur les quantités, ni sur les distances de transports, ni sur les prix.

C’est simplement une erreur de report que plusieurs membres m’avaient déjà indiquées.

Le total pour la première voie (page 12) de 37,592 mètres cubes au prix moyen de 5,319 faisant 199,945 francs 71, a malheureusement été reporté à la récapitulation générale, page 13, comme suit :

37,592 mètres cubes à 5 francs 319, faisant 179,175,71, comme il est indiqué à la page 12.

Cette erreur, sans changer les moyennes partielles, fait varier la moyenne générale de la section d’Anvers, de 26 centimes, qui de 6,5 09 devient 6, 77.

Il n’en reste pas moins vrai que la moyenne d’Anvers à Malines n’est pas de 3,57 comme il est dit dans le rapport de la section centrale.

Mais tout cela ne change rien à l’ensemble de ce débat qui porte plus haut.

La question était de savoir en général si le gouvernement avait adopté le système offrant le plus de garanties ; je réponds oui à cette question générale ; puisque le gouvernement a spontanément changé, dès que les circonstances l’ont permis, l’ancien mode qu’il suivait de l’aveu de la chambre, l’adjudication publique par bordereau de prix, pour en revenir au mode d’adjudication publique en masse et à forfait avec la combinaison particulière que j’ai indiquée.

Si je ne craignais, comme je l’ai déjà dit, de soulever une question d’amour-propre entre le rapporteur de la section centrale et moi, je signalerais les nombreuses inexactitudes qui se trouvent dans son rapport. Tous les calculs sur ce qui reste à construire, sur l’exploitation, sur le coût de ce qui existe et le coût de ce qui reste à construire, sont inexacts. Pour faire ces calculs il fallait quatre bases, car on devait procéder du connu à l’inconnu.

Première base : Longueur des sections ou nombre de mètres en exploitation en 1840.

Deuxième base : Coût de construction.

Troisième base : Longueur des sections ou nombre de mètres en exploitation en 1839.

Quatrième base : Coût de l’exploitation pour ces sections ou ce nombre de mètres en 1839.

Toutes ces bases d’opération sont inexactement indiquées ; je me fais fort de le prouver si on l’exige.

Ainsi nous avons changé le mode d’adjudication, nous avons résisté à l’exigence des populations qui demandent à jouir du chemin de fer, parce que de cette manière nous arriverons moins vite à l’établir dans les localités où il n’existe pas encore. Nous n’avons pas reculé devant les réclamations des populations, nous avons cru dans l’intérêt de l’administration, dans l’intérêt de l’avenir du chemin de fer et de la réputation des fonctionnaires, qui y sont employés, devoir adopter un mode d’administration présentant en apparence plus de garantie sans offrir, au fond, d’autre résultat pour le trésor public.

M. de Man d’Attenrode – Messieurs, je commence par déclarer que les explications données par M. le ministre des travaux publics m’ont suffisamment satisfait. S’il y a eu des abus, et rien ne s’exécute dans ce monde sans cette pénible suite, son intégrité et son activité sauront les atteindre autant que possible dans l’avenir, j’en ai la confiance. Messieurs, j’ai, à l’occasion du chapitre du chemin de fer, à demander au gouvernement quelques explications concernant la station du chemin de fer de Louvain.

Lorsqu’il fut question, il y a quelques années, du tracé de Malines à Louvain et de l’établissement de la station de cette dernière ville, l’administration communale réclama avec instance que le chemin de fer fût dirigé à travers son enceinte non bâtie, elle fit valoir à l’appui de cette demande de nombreux motifs, qui en pourvoyant aux intérêts de ses habitants ne nuisaient pas à l’intérêt général. Ces réclamations ne furent pas écoutées, et le gouvernement arrêta un tracé, qui éloigna la station du centre de la ville et de ses bassins de commerce. Toutefois l’arrêté d’approbation de ce tracé du 14 mai 1836 portait par son article 2 qu’un embranchement serait construit aux frais d l’Etat depuis la station jusqu’aux bassins du canal.

La ville de Louvain, tout en déplorant ce que l’arrêté d’une station extérieure avait de désavantageux pour elle, espéra que la communication promise entre ses bassins et le chemin de fer réparerait au moins en partie le tort que lui occasionnait le refus de diriger la voie ferrée aussi près que possible de sa population agglomérée, elle attendait donc avec quelque confiance l’exécution de l’embranchement, qui lui avait été promis, quand la communication du cahier des charges arrêté le 10 octobre 1839 vint compromettre au moins ses espérances. En effet, ce cahier des charges annonce seulement l’adjudication de travaux, non pas jusqu’aux bassins, comme le promettait l’arrêté de 1838, mais jusqu’au bord du canal à l’extérieur de la ville, et dans une situation telle, que cet embranchement ne peut être d’aucune utilité au commerce ; cette manière d’interpréter l’arrêté de 1836, a répandu l’alarme et le découragement, on y a pressenti la possibilité de la ruine du canal, qui a été jusqu’à ce jour la source de sa prospérité, canal pour lequel l’on vient de dépenser en améliorations, environ 1,500,000 francs.

On s’est naturellement dit, pourquoi nous a-t-on autorisés à faire cette dépense, si on voulait annihiler le résultat ?

La ville de Louvain est au nombre de celles qui ont été expropriées, comme le disait naguère M. le ministre des travaux, au profit de l’intérêt général ; elle l’a été par la construction du chemin de fer de la mer à Cologne, elle l’a été par le tracé de celui de Namur arrêté vers la ligne du midi. Si les pertes sont sensibles, ne serait-il pas rationnel d’y apporter tous les adoucissements possibles ?

J’engage le gouvernement à faire une attention sérieuse à ses réclamations ; le pays ne peut retirer aucun avantage à entretenir le mécontentement dans la deuxième ville du Brabant ; je l’engage à prendre des mesures pour calmer les craintes d’une population inquiète de son avenir. Qu’il ne perde pas de vue que cette population a été une des plus empressées à lever le drapeau de l'indépendance nationale, qu’elle n’a reculé devant aucun sacrifice pour obtenir le grand résultat qui nous a constitués ce que nous sommes ; et je désire qu’on ne soit pas fondé à se dire, que l’on obtient davantage par de l’opposition que par du dévouement à l’ordre établi.

M. Van Cutsem – Messieurs, le commerce des Flandres se plaint de ce que l’administration du chemin de fer n’a pas mis les heures de départs des différents convois en rapport avec les heures de marché des principales villes des Flandres Gand, Bruges et Courtray. Avant l’établissement du chemin de fer, les marchands, les négociants trouvaient dans les différentes villes l’occasion de se transporter le jour même au lieu du marché. Depuis l’établissement du chemin de fer, ils sont obligés de quitter leur domicile la veille, ils perdent ainsi une partie de leur temps et augmentent leurs frais de voyage.

Je demanderai à M. le ministre si le service du chemin de fer ne pourrait pas permettre à cette administration de faire coïncider le départ des différents convois au mois trois fois par semaine avec l’heure des différents marchés ; il rendrait par là un grand service aux Flandres. Si la chose est possible, je le prie de faire jouir les Flandres du bienfait que je réclame aujourd’hui pour elles.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – J’ai déjà reçu, de la part des intéressés, des observations sur la nécessité d’établir la coïncidence que réclame l’honorable préopinant. Si on veut jeter les yeux sur le tableau des départs du chemin de fer, on verra qu’il renferme les plus grandes complications ; néanmoins on cherche à satisfaire à tous les besoins. Chaque fois qu’il s’agit de changer les heures de départ, j’en fais la recommandation au directeur qui doit me faire ses propositions. Nous sommes à la veille de changer les heures de départs, l’observation de l'honorable préopinant ne sera pas perdue de vue.

Je répondrai à l’honorable membre qui a parlé avant le préopinant que l’adjudication faite à Louvain pour faire une jonction vers le canal, n’est qu’un commencement d’exécution de l'engagement pris par mon prédécesseur. Il y aura complément de cet engagement ; nous avons pensé que, pour prouver que le gouvernement avait l’intention d’exécuter l’engagement, il fallait commercer par la partie qui n’offre aucune incertitude.

M. Lebeau – Avant de passer au vote, je désirerais adresser à M. le ministre une question sur un passage du rapport de la section centrale. A la page 26, je trouve : « Enfin, messieurs, une dernière section a émis le vœu de voir le gouvernement imprimer aux travaux du chemin de fer de Bruxelles à la frontière de France et de Bruxelles à Namur, l’activité qui leur a manqué jusqu’ici. » Le ministre a répondu que toutes les mesures étaient prises pour accélérer l’exécution complète du chemin du Hainaut par Mons ; que très prochainement une nouvelle adjudication aurait lieu pour la section de Jurbise à Erbissart, et pour le printemps, la ligne entre Bruxelles et Mons serait entièrement achevée, de plus, que le gouvernement s’occupait activement de la section entre Mons et Quiévrain.

C’est sur ce dernier passage que j’appelle l’attention de M. le ministre.

Je pense qu’il ne s’agit que de l étude de la section de Mons à Quiévrain.. Elle comporte un développement de 20 mille mètres ; si l’on prend pour point de comparaison ce qu’on a fait sur les autres lignes à double voie, on trouve que la dépense pour cette section serait de trois à quatre millions. Je désirerais savoir si M. le ministre est décidé à faire procéder à l’adjudication de cette section avant que le gouvernement français n’ait pris une décision quelconque et que ce gouvernement ou des demandeurs en concession n’aient annoncé l’intention d’établir une ligne de chemin de fer entre Paris et la frontière française.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Je répondrai à l’honorable préopinant qu’en général toutes les mesures ont été prises par le gouvernement pour que les deux lois relatives au chemin de fer reçoivent leur pleine et entière exécution. Si quelques retards ont été apportés à cette exécution, vous en connaissez la cause. C’est qu’il fallait faire une transition vers un nouveau mode d’adjudication ; cela a nécessité des études complètes, des cahiers des charges complets. Voilà la véritable cause des retards signalés maintes fois ; l’introduction d’un nouveau système, conçu par le gouvernement, et par le gouvernement seul.

L’honorable préopinant demande quelle est l’intention du gouvernement relativement à la section extrême du Hainaut. Je lui répondrai que la loi du 1er mai 1834 porte qu’une ligne de chemin de fer sera établie de Bruxelles à la frontière de France, en passant par le Hainaut, comme il le fait pour la Flandre ; il croit qu’il doit y avoir exécution entière tant pour la ligne du Hainaut que pour la ligne des Flandres.

L’intention du gouvernement est de procéder à l’adjudication dès que les études seront faites.

M. Lebeau – Je suis aise que M. le ministre se soit expliqué aussi catégoriquement sur l’interprétation qu’il donne à la loi du 1er mai 1834. Je crois qu’il n’en a pas reproduit exactement les termes. Ils sont, je crois, un peu plus vagues ; la loi dit « vers les frontières de France par le Hainaut », ce qui est plus vague que les termes dont s’est servi M. le ministre ; au reste je l’insiste pas ; c’est une chose qu’on peut vérifier, je pourrais me tromper.

Je crois qu’il a été bien entendu, lorsque le chemin de fer a été décrété vers la frontière de Prusse, qu’on ne le porterait pas au-delà de Verviers, si on n’acquérait pas la certitude qu’il irait rejoindre le chemin de fer vers l’Allemagne ; si on n’avait pas eu cette certitude, le chemin de fer aura été provisoirement arrêté à Verviers, pur ne pas construire à grands frais une véritable impasse.

En effet, c’eût été une véritable impasse que la section de Verviers à la frontière, si elle n’avait pas abouti à un chemin de fer vers l’Allemagne ; je crois que ce qu’on aurait fait sur cette ligne, la prudence commande de le faire sur la ligne vers la frontière de France. Interpréter la loi du 1er mai 1834 comme le fait M. Le ministre de travaux publics serait en dénaturer l’esprit.

Je crois que la section de Mons à Quiévrain ne peut cesser d’être une impasse ou travail improductif, qu’autant que ce chemin soit lié à la France. Quant à la section qui va à la frontière française vers Lille, il y a moins d’inconvénient à la pousser jusqu’à la limite. Comme il n’y a que trois lieues de solution de continuité avec Lille, dès l’époque où le chemin de fer sera achevé, il est extrêmement probable que le gouvernement ou une compagnie concessionnaire viendra combler cette lacune. Il n’en est pas de même de la frontière de Quiévrain, la ligne ne sera bonne qu’autant qu’elle ira vers la capitale. Si le ministre se croit tellement lié par l’esprit et le texte de la loi du 1er mai 1834, qu’il doive mettre en adjudication cette section sans s’inquiéter de ce qu’on fera en France, j’aura à voir si je ne dois pas user du droit d’initiative que j’ai en vertu de la constitution pour demander qu’on modifie la loi de 1834.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – La loi du 1er mai 1834 porte qu’il sera établi un embranchement vers les frontières de France par le Hainaut. Je crois que la loi doit s’entendre en ce sens qu’on dépassera Mons. C’est ainsi qu’on l’a toujours entendu jusqu’à présent.

La section de Mons à Quiévrain aura un double développement de 19,551 mètres. La section de Courtray à la frontière de France, a 15,000 mètres ; différence, 4,000 ; malgré cela, je crois que la section de Courtray coûtera plus que celle de Mons à Quiévrain.

Les difficultés de terrains ne sont pas les mêmes, elles sont moindres entre Mons et la frontière. Il y a probabilité, dit-on, qu’on établira au moins une jonction entre Mouscron et la première ville de France, l’importante ville de Lille. Je répondrai à l’honorable membre qu’il est probable qu’on établira aussi une jonction, entre Valenciennes et Quiévrain. A cet égard même des conférences seront prochainement ouvertes entre les ingénieurs français et les ingénieurs belges pour reconnaître quel sera le point de rencontre près de Quiévrain, comme des conférences ont déjà eu lieu pour connaître quel sera ce point près de Mouscron.

Du reste, l’étude de cette section de Mons à la frontière n’est pas commencée ; elle le sera prochainement. D’ici là les conférences relatives au point de jonction auront eu lieu. Les probabilités sont les mêmes pour Valenciennes et pour Lille.

M. Desmet – Je crains avec M. le ministre que le pays devra subir tous les chemins de fer que la chambre a voté et tous les millions qu’ils auront coûtés.

Quoiqu’un peu tard il commence à voir quel sera le résultat de tout ce qu’on a voté pour les chemins de fer ; on commence à s’apercevoir qu’ils seront la lèpre du budget et que le pays n’en retirera aucun avantage réel pour sa prospérité.

Mais si on a voté des millions et des millions pour les chemins de fer du pays, je ne pense pas qu’on ait voté quelque chose pour des chemins de fer à l’étranger.

Je fais cette remarque parce qu’on débite dans le public que le gouvernement aurait pris 400 actions dans le chemin de fer de l’Allemagne. J’ignore si c’est vrai, mais ce serait bien extraordinaire que nous irions faire des chemins à l’étranger. Croit-on que le chemin de fer vers l’Allemagne va produire monts et merveilles ? Croit-on que toute notre prospérité commerciale et industrielle va consister dans le chemin de fer vers l’Allemagne ? Je crois qu’on se trouvera trompé.

D’abord on a pris une mauvaise direction vers le Rhin, ce n’était pas Cologne qu’on devait chercher, mais bien un centre industriel et commercial, qui est Dusseldorf ; c’était le tracé par la Campine qu’on aurait dû suivre, où le chemin n’aurait pas coûté le quart de ce qu’il coûtera actuellement et où il aurait procuré plus d’avantage au pays.

En second lieu, ce ne sera jamais le chemin de fer qu’on pourra utilement employer pour effectuer le transit vers l’Allemagne. Il y a quelques jours, l’honorable M. Mast de Vries avait parlé pour donner suite au projet de l’empereur, de joindre l’Escaut au Rhin par la Campine ; un honorable député d’Anvers répondit dans le moment même que ce canal n’était plus nécessaire depuis qu’on était sur le point d’avoir le chemin de fer exécuté vers l’Allemagne.

Je ne puis partager cette opinion, et je pense au contraire que par votre chemin de fer vous ne pourrez jamais faire quelque chose de conséquent pour le commerce du pays, et que pour le transit vous ne pourrez par cette voie lutter avec la Hollande ; mais si vous voulez réellement concourir avec ce pays, vous devez comme lui avoir une voie d’eau, et la meilleure que vous pouvez avoir c’est le canal vers le Rhin vers Neus et Dusseldorf par la Campine. Alors vous aurez quelque chose de réel pour le commerce de transit, mais avec le chemin de fer jamais rien pour la prospérité commerciale du pays.

M. A. Rodenbach – M. le ministre a répondu avec beaucoup de franchise à M. le rapporteur. Je me plais à croire qu’il répondra de la même manière à l’interpellation que je vais lui faire.

Le bruit s’est répandu dans le public que le gouvernement a acheté au pair pour 4 millions d’actions du chemin de fer de Prusse. Comme ces actions ont subi une baisse de 25 p.c, cela serait pour l’Etat belge une perte d’un million. C’est peut-être un faut bruit de journaux, mais ils s’agit d’une somme assez considérable pour que M. le ministre des travaux publics veuille bien dire à la chambre si ce bruit est fondé ou non.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Ce n’est pas un simple bruit de journaux ; le fait est réel ; le gouvernement a fait un arrangement, mais qui ne sera définitif que quand il aura reçu l’assentiment des chambres. Il n’y a pas de fait consommé ; il vous sera fait prochainement à cet égard une proposition au sujet de laquelle vous userez de vos droits en toute liberté.

M. Scheyven – Par la loi du 31 mai 1838, prorogée par celle du 31 mai dernier, « le gouvernement est autorisé à désigner, à l’effet d’exercer la police judiciaire sur toute l’étendue du chemin de fer ainsi que dans les stations et leurs dépendances, des agents de l’administration de ce chemin, auxquels il pourra conférer tout ou partie des attributions suivantes :

1° Le droit de constater par des procès-verbaux faisant foi jusqu’à preuve contraire, toutes les contraventions en matière de voirie, ainsi que toutes les contraventions aux lois et règlements sur l’exploitation et la police du chemin de fer ;

2° Les fonctions des officiers de police auxiliaires du procureur du Roi. »

La chambre, lorsqu’elle a voté ce projet de loi, en a reconnu l’utilité, je dira même la nécessité. Cependant je ne pense pas que jusqu’ici cette loi ait reçu la moindre exécution. Car aucun commissaire de police n’a été nommé ; je suis certain au moins qu’aucun commissaire de police n’a prêté le serment voulu par la loi.

Je crois que M. le ministre des travaux publics ferait bien en procédant à ces nominations. La création de ces commissaires de police serait d’une très grande utilité ; car si mes renseignements sont exacts, il est plusieurs personnes qui voyagent sur le chemin de fer, dans le but exclusif de commettre des soustractions d’objets que les voyageurs oublient en quittant les voitures du chemin de fer.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Mon intention est de procéder prochainement à l’exécution de cette partie de la loi rappelée par l’honorable préopinant. Si je ne l’ai pas fait encore, c’est que je veux le faire avec toutes les garanties désirables, et être bien sûr que ceux qui seront chargés des fonctions d’officier de police judiciaire, qui seront placés dans cette position privilégiée, le méritent par leurs antécédents.

La plupart des employés du chemin de fer sont traités très durement, et il le faut. Je suis inexorable envers eux. Je ne veux pas être exposé à avoir pour agents de police judiciaire au chemin de fer des hommes qui devront être destitués ou suspendus. Je veux de grandes garanties dans les personnes. Des présentations m’ont été faites. C’est par une réserve que tout le monde approuvera, que je n’ai pas encore fait usage de la faculté qui m’est donnée par la loi.

M. de Foere – L’honorable ministre des travaux publics est entré dans un grand nombre de considérations sur la question des sables fournis pour la construction du chemin de fer.

Je n’entrerai pas dans la discussion de ces considérations ; elles aboutissent toutes à ces deux objections qu’il a posées à ses adversaires : 1° Il ne faut pas prendre les chiffres isolément, mais le chiffre moyen auquel tous les sables ont été fournis ; 2° Du moment qu’il y a eu adjudication publique, j’ai fait tout ce que j’ai pu et dû faire.

Quant à la première objection, je ne vois pas de quoi droit logique M. le ministre déplace la question. Ses adversaires ne lui ont pas objecté le prix moyen du sable ; ils lui on reproché que le sable de mer de la station de Bruges a coûté à l’Etat 17 francs 60 centimes par mètre cube, alors que ce même sable aurait pu être rendu sur cette station à 4, 5 ou § francs. Tel est le véritable état de la question. Or, M. le ministre des travaux publics n’a pas nié que le prix de 17 francs 60 centimes ne fût le prix du sable de mer fourni à la station de Bruges. Le grief d’administration qui lui est reproché reste donc debout tout entier. Mais, dit-il, il ne faut pas considérer ce chiffre isolément, c’est là, messieurs, transformer une question particulière en une question générale, pour arriver à une justification quelconque.

Nous ne contesterons pas au ministre l’élévation des prix auxquels d’autres sables ont été livrées ; d’autres membres se sont chargés de cette tâche ; mais nous dirons qu’il n’a pas fait son devoir en ne s’informant pas, avant l’adjudication, du prix auquel le sable aurait pu être livré sur la station de Bruges.

Si l’on pouvait ainsi dénaturer une objection et confondre les questions les plus distinctes, il ne serait plus possible de discuter aucune question particulière dans la chambre. Avec un semblable système, imaginé pour détourner les esprits du véritable état de la question, on pourrait toujours faire entrer dans une question isolée et déterminée une foule de considérations qui sont tout à fait étrangères et qui laissent toujours la question en discussion dans toute son intégrité.

M. le ministre soutient qu’il a fait tout ce qu’il pouvait et devait faire en mettant les sables en adjudication.

Nous n’admettons pas une limite aussi commode du devoir qu’il se trace. L’Etat est un individu, une famille qui confie à quelques hommes, appelés ministres, la gestion de ses affaires. Avant de se procurer des marchandises dont il éprouve le besoin, un chef de famille prendre toutes les informations possibles sur le prix courant auquel il peut les acheter. Nous soutenons qu’avant de faire une adjudication de fournitures à livrer à l’Etat il est du devoir du ministère de s’enquérir de leur prix courant, et, si le prix offert à la première soumission est trop élevé, de procéder à une autre adjudication jusqu’à ce qu’il atteigne un prix approximativement juste et pour l’Etat et pour l’adjudication. Tel, croyons-nous, est le devoir du ministère. Or, ce devoir il ne l’a pas rempli.

M. le ministre des travaux publics vient de dire lui-même, qu’il a agi ainsi à l’égard de l’adjudication des houilles, dont il connait les prix courants. Il aurait dû en agir de même à l’égard de la fourniture des sables.

Un honorable membre s’est livré à des calculs pour rechercher le prix auquel le sable pouvait être obtenu à Bruges, soit par bateaux, soit par charrettes ; je suppose gratuitement que ses calculs soient exacts ; en résulte-t-il que ces sables n’aient pas coûté 17 francs 60 centimes, et qu’ils n’eussent pu être fournis sur cette station à 4, 5 ou 6 francs ? Assurément, non. Or, c’est la seule question qui soit en discussion.

Telles sont les considérations qu’à la fin de cette pénible discussion, j’ai cru devoir présenter à la chambre et au ministère. Je ne la prolongerai pas plus loin.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – L’honorable membre me reproche de n’avoir pas fait mon devoir comme ministre ; la chambre voudra bien m’accorder encore quelques minutes. J’aurais dû m’enquérir des prix, dit-il. C’est ce que j’ai fait. Qu’est-ce qu’un sous-détail ? C’est précisément le prix demandé par le ministre à un de ses agents. On a ajouté que je n’ai invoqué que des moyennes. J’aurais pu le faire. J’aurais pu me borner à citer les moyennes et à montrer que les résultats obtenus en masse par elles ne nous sont pas défavorables ; mais je ne me suis pas placé dans une situation aussi favorable. J’ai dit que, eu égard au sous-détail, le sable de mer aurait pu coûter moins à la station de Bruxelles, mais que d’après le même sous-détail, il aurait coûté plus à 11,000, à 5,000 mètres et sur d’autres points de la ligne. Il y a eu un marché à forfait ; il y a eu un système de compensation. C’est comme si je disais à une personne : Vous avez trois choses à me fournir ; je vous donnerai un peu plus pour la première, et moins pour les deux autres. La fourniture du sable pour la section de Bruges à Ostende a eu lieu à des conditions de ce genre ; on a donné un peu plus pour la station de Bruges, un peu moins pour les autres points de la ligne, eu égard au sous-détail. Ce n’est pas moi qui déplace la question, ce sont ceux qui s’obstinent à ne prendre en considération ni ce système de compensation, ni les circonstances d’urgence ; système de compensation que j’ai expliqué fort longuement ; circonstance exceptionnelle, que j’ai établie par des pièces authentiques.

M. Devaux – Je voudrais demander au ministre des travaux publics, s’il compte organiser le transport des marchandises ; car l’organisation actuelle n’est que transitoire.

Le ministre a mis son système à l’épreuve ; il doit avoir une opinion maintenant. Je désire savoir s’il compte adopter définitivement un mode compte de transport.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Il n’est pas exact de dire que j’aie mis en application un système qu’on appelle « mon système ». Nous avons procédé par essais ; nous avons commencé par louer des waggons, c’est tout ce que nous permettait l’état du matériel ; puis à la location des wagons, nous avons joint le transport par tonneau et même moins d’un tonneau ; il nous reste à transporter en détail par petits paquets. Si ce dernier service n’est pas exécuté, il faut l’attribuer au surcroît de travail que nous avons depuis quelques mois. Il est rendu compte de toute la marche de ce service dans le rapport du 12 novembre (page 47 à 50).

M. Dumortier – Je suis charmé qu’on ait appelé l’attention du ministre sur ce point. Quand on a décrété le chemin de fer ; on considérait comme but principal le transport des marchandises ; on ne comptait pas sur autant de voyageurs. Quoi qu’il en soit les transports rapporteront beaucoup. Mais faut-il abandonner les transports aux particuliers ? Faut-il que le gouvernement les fasse à ses propres frais ? C’est là une question grave. L’administration des chemins de fer coûte 10 p.c. ; c’est un prix exorbitant ; si l’on crée un nouveau personnel pour le transport des marchandises, on va augmenter des dépenses déjà trop considérables. Ne pourrait-on pas délivrer des coupons de transport de marchandises ? Le gouvernement ne pourrait-il pas s’entendre avec des maisons de roulage, en donnant la moitié du prix du transport ? De cette manière les chemins de fer donneraient un beau revenu sans augmenter les dépenses. Il est nécessaire que les chemins de fer ne donnent pas des revenus aussi faibles que maintenant ; ces revenus ne sont pas en proportion avec les capitaux employés à les construire.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Il ne faut pas s’exagérer l’importance de la lacune signalée dans l’organisation du transport des marchandises. On croit que les waggons ne sont loués qu’aux entrepreneurs des diligences, et que ces waggons loués ne contiennent que de petits paquets ; c’est une erreur. J’ai appelé l’attention de la législature sur cette erreur, par le tableau n°12, du rapport du 12 novembre. Les messageries ont loué en octobre 1839 58 waggons ; et les négociants et particuliers en ont loué 304, c’est-à-dire que ces derniers ont usé du chemin de fer, sans intermédiaire quelconque,. C’est à ce résultat qu’on voulait arriver. Toutefois il y a une lacune à remplir, et elle le sera prochainement. Je reconnais avec M. Dumortier qu’il s’agit d’une question fort délicate. Admettrons-nous le système de recevoir les petits paquets sans une espèce de frayeur, surtout depuis la discussion qui a eu lieu tout à l’heure, discussion qui prouve que l’administration sera exposée à bien des soupçons, à bien des accusations, à bien des reproches.

M. F. de Mérode – J’engage le ministre des travaux publics à tirer du chemin de fer tout ce que l’on peut en tirer pour l’avantage du trésor public ; car si on ne suit pas ce système, on n’obtiendra qu’un bien mince intérêt des capitaux employés. Cependant il ne faudrait pas ruiner tous nos routes en effectuant les transports à trop bas prix ; il ne faut pas enlever les moyens d’existence à ceux qui ont des maisons sur les routes et aux voituriers ; il ne faut pas que le gouvernement se crée un monopole onéreux au pays, puisqu’il donne des revenus trop faibles pour les déboursés.

- Les articles premier, deux et trois du chemin de fer, successivement mis aux voix, sont adoptés.

Rapport sur la situation de l'enseignement supérieur

M. le président annonce à l’assemblée le dépôt par M. le ministre de l'intérieur, d’un rapport sur la situation de l'enseignement supérieur dans le royaume.

- La séance est levée à quatre heures et demie.