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d’intention
Chambre
des représentants de Belgique
Séance du jeudi 16 janvier 1840
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre
2) Rapport sur les élections de Hamme-sur-Heure
3) Motion d’ordre relative à une pétition d’un concessionnaire de route (de Puydt)
4) Rapport de la commission des pétitions (industrie cotonnière) (Zoude, Manilius, Vandenbossche, Pirmez, de Brouckere, Van Hoobrouck de Fiennes, de Mérode, de Brouckere)
5. Projet de loi portant le budget des travaux publics pour l’exercice 1840. Discussion générale. Canal de l’Espierre : utilité, préjudice flamand (notamment pour le canal de Bossuyt), constitutionnalité de la concession, etc. (de Muelenaere, Dolez, de Muelenaere, Dolez, Dumortier, Nothomb, Dumortier, Nothomb, Van Cutsem)
(Moniteur belge n° 17 du 17 janvier 1840)
(Présidence de M. Fallon)
M. Scheyven fait l’appel nominal à midi et demi. La séance est ouverte.
M. Mast de Vries lit le procès-verbal de la séance précédente, dont la rédaction est adoptée.
M. Scheyven présente l’analyse des pièces adressées à la chambre :
« Des cultivateurs marchands et fabricants de lin de l’arrondissement de Courtray adressent des observations en faveur d’une augmentation de droits sur les lins à la sortie. »
- Renvoi à la commission avec demande d’un prompt rapport et insertion au Moniteur.
___________________
« Des propriétaires et
négociants des communes environnant
« Le conseil communal de Péronne (Hainaut) adresse des observations contre le projet de barrage d’Autrive. »
- Dépôt de ces deux pétitions sur le bureau pendant la discussion du budget des travaux publics.
___________________
M. Metz informe la chambre qu’un accident grave survenu à l’un de ses enfants, ne lui permet pas de revenir en ce moment à la chambre et demande un congé d’un mois qu’il abrégera autant que possible.
- Pris pour notification.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) adresse à la chambre un rapport sur les élections qui ont eu lieu dans la commune de Hamme-sur-Heure, le 14 juillet 1836, et sur les réclamations dont elles ont été l’objet de la part du sieur Tallois.
Dépôt au bureau des renseignements.
M. de Puydt – Dans une de nos précédentes séances, la pétition d’un ingénieur concessionnaire d’une route a été renvoyée à la commission des pétitions ; je demanderai que la chambre revienne sur cette décision, et renvoie le mémoire à la commission qui a été chargée de l’examen du budget des travaux publics, considérée comme commission spéciale, avec l’invitation de faire un prompt rapport.
M. de Brouckere – Il s’agit d’un concessionnaire d’une route qui demande que le gouvernement la lui rachète.
M. Dumortier – La chambre a déjà pris une décision sur cette affaire.
M. de Brouckere – La chambre n’a décidé autre chose, sinon le renvoi de la pétition à la commission des pétitions ; mais M. de Puydt croit que la commission chargée d’examiner le budget des travaux publics sera plus apte pour procéder à l’examen de la question soulevée dans la pétition ; il croit de plus que par cette voie on aura un rapport plus promptement.
M. Dumortier – Parce qu’un entrepreneur s’est trompé dans se calculs, ce n’est pas une raison pour qu’on en charge le gouvernement.
- La proposition de M. de Puydt est adoptée.
M. Zoude, rapporteur de la commission des pétitions, demande la parole - Messieurs, dit-il, les délégués de l’industrie cotonnière viennent rappeler à vos souvenirs que, dans la séance du 10 septembre 1835, vous avez reconnu que leur industrie n’était pas suffisamment protégée, que pour certains tissus la protection était nulle, que pour d’autres le droit protecteur n’était que trop facilement éludé, et que le ministre des finances, partageant vos convictions, prit alors l’engagement de présenter un projet de loi qui assurerait la perception du droit de manière à ce qu’il fût une vérité.
Dans la confiance que cette promesse, faite à la face de la nation, serait bientôt exécutée, les cotonniers n’hésitèrent pas à employer de nouveaux capitaux pour améliorer certains procédés de fabrication et en perfectionner d’autres ; mais loin de leur tenir compte de ces efforts, on leur en fit un grief de prospérité, et on la présenta comme preuve de l’inutilité d’une nouvelle loi.
Cette erreur s’accréditant, les fabricants virent, mais trop tard, qu’aux sacrifices déjà faits, ils venaient d’en ajouter inutilement de nouveaux, et c’est ainsi que s’éteignit insensiblement cette espérance d’un avenir qui devait dissiper tant d’inquiétudes. Cependant, une lueur s’éleva encore pour quelques-uns ; mais cette lueur fut celle de l’incendie qui consuma leurs établissements qui restent encore ensevelis sous les cendres.
D’autres, fatigués de se bercer d’illusions, recoururent à la triste ressource de l’émigration, dans l’espoir qu’une terre étrangère leur serait plus hospitalière, ou bien, refusant de se compromettre davantage, abandonnèrent une carrière qui ne présentait plus guère que des chances de ruine.
Cependant il en fut qui, consultant plus leur courage que leurs forces, s’obstinèrent dans une lutte et finirent par succomber, la plupart pour ne jamais se relever.
Toutefois, il en est qui ont fait tête à l’orage, et qui, à force de capitaux, d’économie et de prudence, sont restés debout, et ce sont ceux-là qui viennent vous déclarer, la main sur la conscience, qu’ils se sentent lentement et douloureusement minés, qu’ils marchent à leur ruine et qu’elle est inévitable, si vous tardez davantage à porter la loi douanière promise en 1835.
Il est vrai qu’on a cherché à égarer l’opinion publique, en attribuant leur défaut de prospérité à l’indolence d’une marche routinière, et, tranchons le mot, on les accuse d’ignorance, et pour preuve on leur signale un établissement qu’on disait plein de force et de vigueur, on le cite comme modèle à suivre, un exemple à imiter.
Mais la commission d’industrie fut bientôt chargée d’apprécier cet établissement modèle à sa juste valeur ; le compte vous en a été soumis et son résultat a présenté la perte de 20 p. c. du capital qui eût facilement atteint la moitié si, dans l’inventaire du mobilier, on n’avait porté les mécaniques à une valeur exagérée.
Nonobstant ces preuves
démonstratives d’un mal organique, il est encore des adversaires qui, plus
heureux en calcul que les industriels en expérience, veulent prouver que
Mais on ajoute que ce malaise est général, qu’il se fait également sentir en France, en Angleterre et dans d’autres pays ; oui, au-dehors où la marche progressive de cette industrie s’est accrue de 50 à 75 pourcent, tandis qu’en Belgique elle a constamment rétrogradé ; et lorsque son activité, considérablement réduite, aurait dû la préserver du malaise général, elle s’en trouve doublement atteinte, d’abord par la cause générale qui affecte tous les cotonniers, et puis par une autre spéciale qui tient à la libéralité ou à l’inefficacité d’un tarif, qui permet à l’étranger d’introduire ses produits sur nos marchés, tandis que l’étranger nous refuse toute allée chez lui.
On a dit encore qu’une preuve du bon système qui nous régit, c’est que nous n’avons pas éprouvé les secousses, les faillites qui ont éclaté ailleurs ; malheureusement ce fait est inexact ; mais si les catastrophes n’ont pas été plus fréquentes, on le doit à la prudence et plus encore à la moralité de nos fabricants, à la loyauté enfin qui distingue si éminemment les Belges depuis les sommités jusqu’aux classes du plus bas étage.
Après s’être justifiés des reproches qui leur ont été adressés, après vous avoir exposé avec sincérité quelle a été depuis quelques années la situation de leurs industries, les désastres qui ont signalé sa marche, les pétitionnaires vous demandent, comme remède à leurs souffrances, de leur assurer enfin ce qui est leur droit légitime, la possession du marché intérieur, déjà trop restreint, surtout depuis le traité qui a retranché un dixième de la population ; et, à cet effet, ils sollicitent avec les plus vives instances la loi douanière promise en 1835.
Si leur demande ne pouvait être
accueillie, ils réclament comme dernier moyen de salut la réunion douanière à
Votre commission appréciant toute l’importance de l’industrie cotonnière, et désirant l’arracher à la ruine qui la menace, à l’honneur de vous proposer le renvoi de cette pétition à MM. les ministres de l’intérieur et des finances, avec prière, à la chambre, de vouloir s’occuper, sans retard, de l’examen du projet de loi présenté par M. le ministre des finances, le 18 décembre dernier, ce projet renfermant non seulement les mesures promises par M. d’Huart, pour protéger l’industrie cotonnière, mais encore les produits de toutes les autres fabriques du royaume.
M. le président – On vient d’entendre les conclusions de la commission des pétitions ; elle demande le renvoi aux ministres des finances et de l’intérieur.
M. Manilius – Je désirerais que la chambre demandât aux ministres qu’ils voulussent s’expliquer catégoriquement sur la demande des pétitionnaires ; si le gouvernement peut, oui ou non, leur accorder le marché intérieur, afin qu’ils sachent une bonne fois à quoi s’en tenir et ne reviennent plus inutilement à la charge.
M. Vandenbossche – J’appuie la demande faite par l’honorable M. Manilius. A Alost, il y a un fabricant qui a renvoyé tous ses ouvriers, et qui ne se propose plus de les reprendre ; il se propose même de s’expatrier si les ministres ne donnent pas une promesse formelle d’assister l’industrie.
M. Pirmez – Nous avons bien entendu que c’est une demande de renvoi aux ministres de finances et de l’intérieur ; mais il nous semble qu’on a demandé autre chose.
M. le président – On demande en outre que la chambre s’occupe des projets sur les douanes.
M. de Brouckere – Il est fait droit à cette partie de la demande, puisque M. le président a convoqué les sections pour qu’elles procédassent à l’examen des lois de douanes présentées.
M. Van Hoobrouck de Fiennes – En 1835 la chambre a été saisie d’un projet sur l’industrie cotonnière; alors cette industrie était souffrante: ses souffrances se sont accrues; s’il est indispensable d’y porter remède, c’est dans ce moment.
Quoique le projet qu’on va soumettre aux sections soit incomplet, il faut qu’on s’en occupe. Toutefois, je demanderai le renvoi du rapport aux ministres des finances et de l’intérieur afin qu’ils examinent s’il n’y a pas d’autres moyens de remédier au mal que ceux indiqués dans les projets de loi de douanes.
M. le président – Ces conclusions sont précisément celles qu’a prises la commission.
M. F. de Mérode – Je ferai observer à ceux qui veulent que l’on s’occupe des lois, qu’il faut abréger l’examen des objets purement administratifs ; ce que je dis est relatif au canal de l’Espierre que nous discutons depuis quatre jours. Si nous ne terminons rien, tous les projets qu’on nous présenterait ne conduiraient à rien.
M. de Brouckere – Le rapport de M. Zoude conclut au renvoi aux ministres des finances et de l’intérieur, et demande, en outre, que la chambre veuille bien s’occuper le plus tôt possible des lois de douanes présentées ; or, j’ai dit qu’il avait été fait droit à cette dernière demande, puisque M. le président avait convoqué les sections pour leur soumettre ces lois.
- Les conclusions de la commission sont adoptées.
M. de Muelenaere – Je demanderai la permission de répondre quelques mots à un honorable préopinant. J’avoue que, n’étant pas ingénieur, je me considère comme entièrement incompétent pour discuter devant vous la partie du discours de l’honorable député qui le premier a porté la parole dans la séance d’hier. De pareilles questions d’ailleurs ne me paraissent pas propres à être traitées à la tribune ; elles exigent des connaissances plus ou moins étrangères aux personnes qui composent les assemblées législatives. Ces personnes, en pareilles matières, ne peuvent se former une conviction que sur des mémoires rédigés par des hommes de l’art, et dans lesquels les différents points litigieux sont contradictoirement débattus. Or, ce qui m’a le plus frappé dans l’examen que j’ai fait de toutes les publications qui nous ont été distribuées, c’est la divergence d’opinion qui, dès le principe, s’est manifestée entre des hommes spéciaux, entre des ingénieurs, je ne dirai pas sur l’utilité de telle voie de transport, sur son produit présumé ; mais quelquefois même sur la possibilité physique d’exécution. Dans le cours de ces débats, messieurs, on vous a parlé, à différentes reprises, d’un ouvrage publié en 1820 par M. Cordier, ingénieur en chef du département du Nord à cette époque D’une part on a voulu vous prouver que le projet de M. Cordier ne repose que sur des suppositions vagues et impossibles à exécuter, et, d’autre part, on vient de vous distribuer une brochure dans laquelle on lit un extrait d’un rapport sur la situation des travaux publics en France au 31 décembre 1838, auquel il me semble résulter que M. Dufaure, ministre secrétaire d’Etat au département des travaux publics, partage en grande partie les vues de M. Cordier sur les améliorations dont les voies navigables sont susceptibles dans le département du Nord. Dès lors, dans ce conflit d’opinion, il doit bien nous être permis d’avoir quelque défiance, et les craintes que nous avons manifestées sur les résultats que la construction du canal de l’Espierre peut avoir pour la navigation par les Flandres, nous semblent suffisamment justifiées.
Je n’ai plus l’intention d’entrer dans le fond de la question ; je craindrais d’abuser de la bienveillance attention que vous voulez bien me prêter. Les observations, d’ailleurs, que j’ai eu l’honneur de vous proposer, subsistent en leur entier ; aucune ne me paraît avoir été réfutée.
Je me bornerai à répondre quelques mots à l’honorable député de Diekirch.
On a bien voulu nous rendre cette justice, que nos observations en faveur du canal de Bossuyt nous étaient imposées par le sentiment du bien public. En effet, aucun de nous, ni directement, ni indirectement, n’a le moindre intérêt dans la construction d’un ou de l’autre de ces canaux. Mais, derrière vous, dit-on, se cache un intérêt privé. Hélas ! il n’est malheureusement que trop vrai que l’intérêt privé joue un grand rôle dans la plupart des affaires. Mais s’il est vrai qu’un intérêt prié s’oppose au canal de l’Espierre, croyez-vous qu’un intérêt privé bien autrement puissant ne provoque pas la concession de ce même canal ? C’est au gouvernement et aux chambres de se placer au-dessus de cet intérêt privé et à ne se prononcer que par de motifs d’intérêt général. C’est ce que, pour notre part, nous avions cherché à faire.
Il n’y a qu’un intérêt de localité, dit l’honorable auteur, qui réclame la construction du canal de Bossuyt. Quoi ! l’intérêt d’environ 400,000 habitants, n’est-ce qu’un intérêt de localité ? mais, à ce compte, comment qualifierons-nous l’intérêt qui exige le canal de l’Espierre ? l’intérêt des exploitants du couchant de Mons est-il donc plus sacré, plus respectable que l’intérêt des nombreuses populations des arrondissements de Courtray et d’Ypres ? Si le premier de ces intérêts est un intérêt de clocher, quel nom donnerez-vous au second ?
« Il n’y a jamais eu de soumissionnaire sérieux pour le canal de Bossuyt ? »
Cette objection n’est pas neuve ; elle a été reproduite par les partisans du canal de l’Espierre dans toutes ses formes ; plusieurs fois elle a été faite à nous partisans du canal de Bossuyt. On a dit que la demande en concession n’était pas sérieuse. Eh bien nous avons constamment répondu à cette objection que, quant à nous, qui demandions dans un intérêt général la construction du canal de Bossuyt, nous ne voulons pas un instant prêter notre appui à une demande en concession qui ne serait nu sérieuse ni loyale. Nous avons même déclaré que si le gouvernement avait le moindre doute sur ce point, il ne dépendait que de lui d’imposer, par le cahier des charges, aux demandeurs en concession du canal de Bossuyt, l’obligation de pousser, dans le plus court délai possible, les travaux à un degré d’avancement tel qu’il ne fût plus possible de révoquer en doute les intentions du concessionnaire.
Eh bien, si le gouvernement avait employé ce moyen et si le concessionnaire ne se fût pas conformé au cahier des charges, j’aurais été le premier à demander que l’on n’eût aucun égard à sa demande.
L’honorable député auquel je réponds
vous a entretenu d’une mesure prise il y a quelque temps dans
Si j’avais pu prévoir cette objection, il m’eût été facile de réunir les documents nécessaires pour démontrer à la chambre et au préopinant, qui probablement a été induit en erreur, combien est mal fondé le blâme qu’il a voulu jeter sur le conseil provincial.
Les canaux de
L’augmentation des droits de péage votée par le conseil provincial n’a eu qu’un seul but : celui d’élever les revenues des voies navigables au niveau de leurs frais d’entretien.
Je vous demande s’il y a beaucoup de concessionnaires et de propriétaires qui se contenteraient d’un pareil revenu.
Au surplus, je n’ai aucune mission pour défendre dans cette enceinte les actes du conseil provincial. Cette décision du conseil n’a été mise à exécution qu’en vertu d’un arrêté royal. Cet arrêté royal a été contre-signé par un ministre responsable. Dès lors, le ministre des travaux publics a fait la mesure sienne ; et certes si cette mesure était attaquée, je suis persuadé que M. le ministre des travaux publics s’empresserait de la défendre. Au reste, sa tâche sera extrêmement facile ; et je crois que dans cette circonstance, il n’aurait besoin du secours de personne.
M. Dolez – Avant d’aborder la question qui nous occupe, je demande à la chambre la permission de lui dire quelque mots qui me concernent.
Des adversaires du canal de l’Espierre, attachant à mon silence une importance qu’il ne mérite point, ont cherché à me l’imposer en insinuant à plusieurs d’entre vous que des intérêts de famille se rattachaient pour moi à cette entreprise.
La chambre au sein de laquelle j’ai l’honneur de siéger depuis trois ans, me rendra, j’espère, la justice de croire que s’il en était ainsi, je n’aurais besoin des avertissements de qui que ce soit pour suivre la règle de conduite que me marqueraient les exigences de la plus rigoureuse délicatesse. Déjà, messieurs, j’ai su vous en donner la preuve dans une autre occasion, lors de la discussion sur les lits militaires. Permettez-moi de vous faire connaître les faits qui ont servi de prétexte à ces insinuations.
Plusieurs industriels du Hainaut, pénétrés des avantages que la création du canal de l’Espierre, devait procurer à notre pays, et à cette province en particulier, s’étaient réunis, il y a plusieurs années, bien moins dans la vue de l’entreprendre que dans celle de parvenir à en faire décréter l’exécution.
Quelques-uns d’entre eux, rebutés des lenteurs sans nombre que ce projet rencontrait, renoncèrent successivement à continuer leurs démarches. Deux seulement persévérèrent jusqu’au bout. Ce furent MM. Corbisier, votre ancien collègue, de l’amitié duquel je m’honore, et Legrand Gossart, à la famille duquel j’appartiens par alliance.
Aux termes du cahier des charges deux éventualités pouvaient se réaliser pour eux.
Ou aucun soumissionnaire, moyennant un péage moins élevé que celui indiqué dans le cahier des charges, ne se présentait, et alors ces messieurs devenaient eux-mêmes concessionnaires.
Ou un rabais était offert, et alors, comme auteurs du projet, ils devaient recevoir de l’adjudicataire une indemnité de 15,000 francs.
Cette seconde éventualité s’est réalisée.
Le sieur Massen, adjudicataire, doit donc remettre à MM. Corbisier et Legrand-Gossart une somme de 15,000 francs. Là semble au premier aspect se rencontrer pour eux un intérêt direct et personnel à l’adjudication du canal, et cet intérêt, quelque mince qu’il fût, eût suffi pour me commander une abstention complète. Mais cet intérêt lui-même s’est à son tour évanoui !
Peu avant l’adjudication, les demandeurs en concession avaient annoncé leur intention d’abandonner à deux établissements publics du Hainaut la prime que le cahier des charges leur assurait. Peu de jours après sa consommation, ils ont réalisé cette intention en adressant à la députation provinciale du Hainaut une lettre dont j’extrais le passage suivant :
« A la députation permanente du conseil provincial du Hainaut.
« Par une lettre datée du 22 août 1837, notre intention d’appliquer ces 15,000 francs au soutien des écoles des mines et des arts et métiers fondées récemment à Mons et à Tournay vous fut manifestée par l’un de nous, et nous nous disposons, messieurs, à les verser prochainement dans la caisse du receveur de la province. »
La donation en est faite à cette dernière sous la condition suivante :
Convertie en obligation de l’emprunt Rothschild, cette somme produira une rente annuelle de sept cent vingt francs, au moins, à répartir en six bourses, qui seront affectées, savoir ; trois à l’école des mines, et trois à l’école des arts et métiers.
Une bourse près de chacune de ces écoles sera respectivement à la disposition des administrations communales de Mons, de Tournay et de Frameries, en faveur d’élèves de ces communes et à défaut de ceux-ci en faveur d’autres élèves que ces administrations jugeraient en être le plus dignes.
Si, contre toute attente, l’un ou l’autre de ces établissements, ou tous les deux, venaient à être supprimés, les bourses seraient conférées dans la même proportion, et suivant le mode indiqué ci-dessus, à des jeunes gens de ces trois communes, pour les aider à suivre les cours du collège de Mons et de l’athénée de Tournay, ou des institutions qui remplaceraient ceux-ci.
Par là s’est effacé l’intérêt individuel qu’avait un des votants à l’adjudication du canal, et rien ne peut désormais me dispenser de remplir dans ce débat mes devoirs de député ; et je puis le faire, en vous déclarant, comme l’on fait Messieurs. Doignon et de Muelenaere, que je n’y ai aucun intérêt direct ou indirect.
M. de Muelenaere – Je ne sais s’il m’est échappé un mot auquel ferait allusion l’honorable préopinant. Je déclare que c’est alors entièrement à mon insu, car je n’y ai pas pensé le moins du monde.
M. Dolez – M. de Muelenaere, à l’imitation de M. Doignon, a déclaré qu’il n’était ni directement ni indirectement intéressé à la concession du canal de l’Espierre.
M. de Muelenaere – C’est M. de Puydt qui m’a rendu cette justice.
M. Dolez – C’est cette même justice que je réclame pour moi.
M. de Muelenaere (à M. Dolez) – Et moi aussi je vous la rends.
M. Dolez – J’accepte cette assurance.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Mais personne ici n’est intéressé ni directement ni indirectement dans la concession du canal de l’Espierre.
M. Dolez – Je l’avouerai pourtant, messieurs, les insinuations dont je viens de vous entretenir, aidées de la juste défiance de moi-même, avec laquelle je prends d’ordinaire part à vos débats, m’auraient porté à garder le silence, si un sentiment qu’aucun de vous ne blâmera, j’espère, ne m’avait dit que le silence ne m’était point permis.
L’adjudication du canal de
l’Espierre était vivement sollicitée par le commerce du district qui me députe
dans cette enceinte ; c’était, quoi qu’on en dise, bien plus à son
insistance qu’à celle de
Messieurs, j’ai toujours cru, pour
mon compte, que pour
Dans l’occurrence, cette croyance serait-elle une erreur ? le canal de l’Espierre, par une inexplicable exception, serait-il une conception ennemie de notre industrie et toute favorable à l’étranger ?
Tel est du moins le reproche que lui ont adressé ses adversaires et qu’ont répété, dans cette enceinte, MM. Angillis et van Cutsem.
Pour répondre d’un mot à cette question, je m’adresse spécialement à ceux d’entre vous qui envisagent ce débat avec calme, exempts de toutes passions d’intérêts de localité, et je leur demande, faisant appel à leur raison s’il leur est donné de concevoir qu’un canal qui ne coûtera pas un sol au trésor, dont la propriété revient de plein droit à l’état qui servira uniquement à transporter à l’étranger des produits dont notre sol abonde, puisse être une conception malencontreuse, antinationale ?
Mais voyons l’objection de plus près.
La création du canal de l’Espierre est, dit-on, une concession faite à l’étranger, elle est un acte de lâcheté condescendante à ses obsessions puissantes.
L’étranger ! est-ce donc lui
qui en a fait naître la pensée chez l’ingénieur en chef de
Est-ce lui qui a guidé les voix toutes nationales qui tant de fois l’ont réclamé ?
Avant que la chambre eût abordé ce débat, ceux d’entre vous qui n’en connaissaient point la base ont dû croire sans doute, d’après ce que tant de fois on avait répété, que ce canal n’avait trouvé en Belgique que répulsion ou tout au moins que quelques intérêts privés pour seul appui.
Eh bien, messieurs, ce n’était là qu’une erreur.
S’il a soulevé quelques oppositions toutes d’intérêt local, et presque toujours mal entendu, une foule de voix lui ont prêté leur appui, même au sein des Flandres.
Le 18 janvier 1834, la régence de la ville de Tournay écrivait au gouverneur du Hainaut dans ces termes remarquables :
« Il n’y a qu’une voix sur les avantages immenses d’une telle communication, sous le triple rapport de l’intérêt local, de l’intérêt provincial et de l’intérêt général : le conseil a arrêté que son vœu pour la prompte réalisation du projet serait transmis, par votre intermédiaire, M. le gouverneur, à la commission d’enquête qui doit se réunir mardi prochain à Mons, pour délibérer sur cette importante question ; le conseil avait même estimé convenable d’envoyer un ou plusieurs délégués à cette assemblée, pour autant qu’il pussent y être admis.
« Une plus grande facilité de transport de nos chaux, de nos pierres, de nos grès, de nos bois et de nos foins vers des points de forte consommation, voilà l’intérêt local de Tournay, de sa banlieue, de Basècles, de Péruwelz, Blaton, etc. et il est constant que la diminution du fret doit énormément contribuer à accroître cette consommation.
« La même considération milite en faveur des charbonnages de Mons et au-delà : ainsi se trouve intéressée à l’exécution du canal de Roubaix la majeure partie de la province de Hainaut.
« La seule exploitation de la houille en Hainaut, forme dans l’état une branche d’économie politique tellement importante, que l’accroissement de l’exportation rentre dans l’intérêt général du royaume tout entier.
« Nous nous bornons donc, organes du conseil de la ville de Tournay, à répéter qu’il n’est qu’une voix dans toute notre circonscription sur les bienfaits que nous promet la communication dont il s’agit. »
Je sais bien que depuis, la régence de Tournay a émis un autre avis, mais il n’en reste pas moins vrai qu’elle atteste l’opinion unanime de cette localité en faveur du canal.
Le 27 février 1834, la chambre de
commerce de Bruges écrivait au gouverneur de
« Monsieur le ministre d’état,
« Par suite de l’arrêté de M. le ministre de l'intérieur, en date du 30 janvier dernier, relatif au creusement d’un canal de jonction depuis l’Escaut jusqu’à la frontière de France vers Roubaix, nous avons pris communication de l’avant-projet rédigé par M. l’ingénieur des ponts et chaussées, le 31 octobre 1827, ainsi que de la demande en concession faite au Roi, le 20 octobre 1833, par M Ferdinand Corbisier, négociant à Mons, au moyen d’un péage de 1 franc 75 centimes par tonneau de houille, chaux, pierres, cendres, bois, foins, etc. pendant un terme de 90 ans.
« L’examen de ces pièces, ainsi
que du plan y annexé, nous a convaincus que l’ouverture de ce nouveau canal de
jonction sera non seulement avantageuse aux propriétaires des mines de Mons et
à celles de Tournay, mais encore aux nombreuses usines de Lille et de ses
environs, qui obtiendront le charbon de terre à 4 francs au-dessous du prix
actuel ; qu’en outre, par cette nouvelle voie, les habitants des bourgs de
Quesnoy, de Warneton, Comines et Wervick, et même les villes de Menin et de
Courtray obtiendront également une réduction de prix ; qu’enfin ce nouveau
canal sera tout à fait à l’avantage de notre navigation qui se fera par l’intérieur
de
« Voici donc les nombreux avantages que cette nouvelle voie offrirait au commerce et à l’industrie des deux royaumes.
« Maintenant nous allons
examiner avec impartialité s’il existe ou pourrait exister par la suite des
inconvénients qui seraient dans le cas de mettre des entraves à notre navigation
par les Flandres, vers Dunkerque, par suite de cette nouvelle communication,
qui laisserait aux bateliers la faculté de remonter la haute Deule pour se
rendre à la même destination par les canaux de
« Nous avons l’honneur de vous
informer, monsieur le ministre d’état, qu’il résulte des nombreux
renseignements que nous avons recueillis des bateliers de Condé, de Mortagne et
de Maulde, les seuls qui naviguent vers Dunkerque, qu’il n’y a que les bateaux d’un tonnage au-dessous de
80, qui pourraient prendre cette nouvelle direction, mais que, pour ceux
supérieurs, ils donneront toujours la préférence à la voie par les Flandres,
par la raison que les tirants d’eau de ces canaux, particulièrement celui
d’Aire à Saint-Omer, sont bien souvent au-dessous d’un mètre
« Que, quant aux frais de
navigation, ils s’élèvent par les Flandres, pour un bateau de 134 tonneaux, de
347 francs, et par
Le 15 avril 1834, la chambre de commerce de Tournay émet un avis dont voici un passage :
« Pour la ville de Tournay et son arrondissement, la question posée de l’utilité du canal de l’Espierre, n’en est réellement pas une : agriculture, commerce, industrie, extraction, navigation, toutes ces diverses branches de notre économie politique ont plus ou moins, immédiatement ou médiatement, directement ou indirectement, intérêt à la réalisation du projet dont il s’agit ; aucune n’y a un intérêt contraire.
« L’intérêt particulier de l’arrondissement de Tournay se trouve aussi plus ou moins partagé par les deux autres arrondissements de la province du Hainaut.
« A quoi tient donc qu’un tel projet, sollicité depuis huit ans par le Hainaut sur son propre territoire, à l’unanimité de ses producteurs et de ses consommateurs, n’ait pas été exécuté aussitôt que conçu ?
« A quoi ? … A une crainte chimérique de l’ancien gouvernement d’abord, et à l’opposition d’une localité en dehors du Hainaut.
« La première cause a disparu par le nouvel état de choses ; la seconde est toujours la même, elle agit sans cesse par tous les moyens qui sont en son pouvoir. »
Le 24 mars 1834, une première commission d’enquête se prononce à l’unanimité en faveur de l’utilité publique du projet.
M. Devrière, commissaire du district de Bruges, membre de cette commission, n’ayant pu assister à ses travaux, avait écrit en avril 1834 à M. F Corbisier pour lui faire connaître son avis favorable au projet.
Le 26 avril 1834, la députation du Hainaut se prononce formellement en sa faveur.
M. le ministre des finances, d’Huart, par une lettre adressée à (erratum , Moniteur belge du 18 janvier 1840 :) son collègue de l’intérieur, se prononce pour l’utilité du canal de l’Espierre et démontre que le trésor public gagnera à cette concession un revenu annuel de 120,000 francs sur le canal d’Antoing.
J’omets de rappeler de nouveaux avis de la chambre de commerce de Courtray toujours favorables au projet, et de citer les avis de la régence de Mons et de la chambre de commerce de cette ville.
Mais, messieurs, j’ai peut-être abusé de votre temps en faisant une preuve que le premier discours de l’honorable M. de Muelenaere s’était chargé de rendre inutile.
En présence de ce discours, les reproches de conception antinationale disparaissent, il n’est plus même permis de regarder comme sérieux celui d’anti-flamande qu’on lui avait adressé.
« M. le ministre des travaux
publics, vous disait l’honorable député de Courtray, vous a présenté l’opinion des partisans du canal de
Bossuyt comme absolument exclusive de la construction du canal de l’Espierre.
Pour ma part, je proteste contre cette interprétation ! Dans le système
suivi par M. le ministre des travaux publics, le canal de l’Espierre, en fait,
exclut le canal de Bossuyt ; cela est évident. Aussi, est-ce le reproche
grave que nous adressons au gouvernement.
« Dans mon système, je n’exclus aucun des deux
canaux ; l’un au contraire aide à la construction de l’autre, et tous deux
peuvent se réaliser. »
Ainsi, aux yeux de l’orateur, loin que le canal de
l’Espierre soit une conception antinationale, la supposition qu’il veut s’y
opposer est presqu’une injure contre laquelle il éprouve le besoin de
protester !
Soyez donc bien rassurés à cet égard, messieurs :
les intérêts nationaux n’ont point été sacrifiés à l’étranger, et le véritable
mobile de tout ce débat ne méritait point la centième part de l’importance
qu’on lui donne.
Ce mobile, c’est encore M. de Muelenaere qui nous le
montre :
« Dans la position que leur a faite la convention
de Paris, les concessionnaires du canal de Roubaix devaient faire gratis le
canal de l’Espierre ; la propriété devait en appartenir au gouvernement et
les revenus de ce canal devaient être versés dans le trésor de l’état pour
continuer en partie à la construction du canal de Bossuyt. »
Vous le voyez par ces paroles si significatives dans
la bouche d’un député de Courtray, un intérêt purement local est seul ici
directement en jeu ! Que le canal de l’Espierre serve de passeport à celui
de Bossuyt, et l’objet de tant de malédictions ne provoquera plus désormais que
des actions de grâces !
Je vous l’avouerai, messieurs, quelque habitués que
nous soyons aux élans si actifs des intérêts de localité, je n’ai pu voir sans
surprise, j’allais dire sans peine, l’honorable M. de Muelenaere faire d’un
débat qu’il réduisait lui-même à de telles proportions, une question
gouvernementale.
Il faut avoir la franchise de le dire, cet esprit de
localité, qui tend à s’accroître de jour en jour parmi nous, est pour le pays
un déplorable symptôme. Qu’il fasse quelques progrès encore, et rien de grand
ne sera plus désormais possible.
Je sais bien que l’honorable comte pourra me dire que,
de mon côté, c’est l’intérêt de mon district que je défends. Je pourrais
répondre qu’en défendant cet intérêt, je défends aussi l’exercice que fait le
gouvernement d’une prérogative incontestable ; mais méritais-je, d’ailleurs,
ce reproche ; quelle différence entre la position de l’honorable M. de
Muelenaere et moi ?
Que moi, homme sans antécédents politiques, appelé à
remplir parmi vous un modeste mandat, je me préoccupe, malgré moi, des intérêts
de la localité qui me le confère, peut-être me le pardonnera-t-on sans peine.
Mais le mal devient plus grave, et dénote des progrès qui m’effrayent, alors
qu’il gagne un homme d’état, qui, par ses antécédents distingués, semblait
devoir appartenir toujours au pays tout entier.
Loin de moi, du reste, la pensée d’être hostile au
canal que la ville de Courtray réclame, je suis au contraire tout disposé à le
désirer avec elle.
Mais je le veux par les voies régulières et
raisonnables, je le veux comme tout autre travail de ce genre et non point
comme condition parasite d’une autre création qui, utile au premier degré, ne
demande rien à personne qu’un laisser-faire, qui jamais ne devrait se refuser à
qui s’offre à créer une communication nouvelle.
C’est assez dire que je ne m’associe point au blâme
que l’honorable député de Courtray a déversé sur la marche suivie par M. le
ministre des travaux publics.
Ces reproches on les a basés sur ce que, profitant de
l’intérêt que pouvaient avoir les concessionnaires du canal de Roubaix à la
création de celui de l’Espierre, il eût fallu leur imposer l’obligation de le
faire gratis au profit du trésor belge, qui aurait fait contourner ses produits
à la création du canal de Courtray.
Cette combinaison avait pour base le consentement
supposé des concessionnaires du canal de Roubaix ; or, M. le ministre vous
a dit que jamais une telle disposition n’avait été manifestée par eux. La
combinaison disparaît donc et avec elle le reproche auquel elle servait de
thème.
Mais cette condition, au-devant de laquelle les
concessionnaires n’ont, paraît-il jamais été, eût-il été bien digne de notre
pays, bien digne de notre loyauté nationale, de penser à la leur imposer ?
Quant à moi, je ne le pense point, et je ne fais
qu’appliquer en cela à un gouvernement des règles de délicatesse que chaque
jour nous voyons appliquer aux particuliers. Qu’un individu ayant intérêt à ce
qu’une chose se fasse, profite néanmoins de la circonstance qu’elle en
intéresse un autre pour lui vendre son consentement à la convention, n’y
aura-t-il point dans son fait quelque chose que la délicatesse réprouve ?
Mais il est une considération digne d’attention dans
les dernières paroles de l’honorable M. de Muelenaere.
« Il résulterait de ce système un autre avantage
pour
Moi aussi, je regarde comme utile que le canal de
l’Espierre devienne la propriété de l’Etat, non point pour pouvoir parer, en
faveur de la navigation des Flandres, à des dangers auxquels je ne crois pas,
mais parce que je pense qu’il est utile au commerce que le gouvernement, tout
en ne les exécutant point, soit propriétaire des voies de navigation
intérieure.
Ce serait donc à mes yeux un reproche grave à adresser
à M. le ministre que de pouvoir lui dire qu’il n’a point veillé en ce point aux
intérêts du pays. Mais encore une fois, ce reproche porterait à faux.
Lisez l’article 8 additionnel du cahier des charges,
et vous y verrez :
« Le gouvernement se réserve le droit de racheter
la concession du canal pendant dix ans, à partir de l’ouverture de la
navigation, moyennant le remboursement de la dépense d’exécution, à déterminer
par expertise contradictoire, plus le cinquième de cette dépense à titre de
prime. »
Ainsi, moyennant une prime qui n’élèvera pas même le
prix du canal à ce qu’il aurait coûté si l’état l’eût fait par lui-même, car on
sait que l’état paie toujours plus cher que les particuliers, le gouvernement
pourra éteindre la concession et entrer immédiatement en jouissance de ses
produits. Il aura de plus l’avantage de ne le reprendre que quand l’expérience
aura démontré l’étendue de ses bénéfices.
Vous le voyez donc, tout ce grand débat qui, à en
croire certains orateurs, devait soulever les Flandres, se réduit, dans la
bouche de M. de Muelenaere, lui-même, à ce que l’état devra payer peut-être
130,000 francs pour obtenir un canal qu’on aurait pu obtenir gratis, suivant
lui, en imputant aux concessionnaires du canal de Roubaix une condition qu’ils
n’ont jamais acceptée et que, dans ma conviction, peut-être erronée, j’ai qualifiée
de peu loyale, de peu digne de notre pays.
Dois-je maintenant revenir sur tout ce qui a été dit
pour vous démontrer l’utilité du canal ? ou plutôt n’en suis-je point
dispensé par tout ce qui vous a été
avancé, d’ailleurs avec exagération, des bénéfices qu’il doit produire ?
Les produits d’un canal ont été de tout temps la
preuve la plus convaincante de son utilité, et sans doute cette vérité ne sera
point méconnue dans cette chambre.
Quelques mots seulement sur ce point.
Les principaux avantages du canal de l’Espierre se
résumaient pour moi de la manière suivante ;
1° Ouverture d’une voie nouvelle de communication
entre
2° Garantie d’un débouché important pour les produits
pondéreux du Hainaut et notamment pour ses houilles vers Roubaix, Lannoy,
Tourcoing et Lille.
3° Navigation intérieure substituée à une navigation à
l’étranger.
Quant aux premiers de ces avantages, les Flandres
elles-mêmes ne seront point étrangères à ses bienfaits, elles ont avec
Quant au second il a, messieurs, plus d’importance que
certains orateurs paraissent le croire.
L’industrie charbonnière du couchant de Mons, par le
nombre d’ouvriers qu’elle emploie, par les capitaux qu’elle représente, par
l’importance de ses produits exclusivement tirés de notre sol est un des plus
importants du pays.
Le changement du système douanier sur les houilles
dans ce dernier pays a livré à l’Angleterre tout le littoral que nous
approvisionnions autrefois. Un pas de plus, et le marché français presque tout
entier échappe à notre industrie qui menace d’ailleurs les progrès d’une autre
concurrence, celle d’Anzin.
Le département du Nord, partie importante de ce marché,
peut nous rester assuré en améliorant nos moyens de transport.
Le gouvernement qui, après un long examen l’a reconnu,
n’eût-il point été coupable de ne point le faire ?
Jusqu’ici, pour arriver à Lille, nos charbons doivent
suivre la voie toute française de
Mais la compagnie d’Anzin, disposant d’immenses
ressources et guidée par une administration éclairée, travaille en ce moment à
s’assurer d’invincibles avantages, au moyen de la création d’un chemin de fer,
qui mènera directement ses produits à
Le canal de l’Espierre doit nous mettre à même de ne
point redouter cette amélioration. Nous la refuser, c’eût été vouloir tuer
notre industrie.
Mais ces avantages, j’ai peut-être tort de vous les énumérer,
car la chambre de commerce de Courtray les redoute, elle les range au nombre de
ses griefs à la charge du canal de l’Espierre.
Ecoutez plutôt ce qu’elle dit dans son avis du 20
février 1834 :
« Un mal bien autrement incalculable et qui sera
la suite de l’exécution d’un tel projet, c’est que, vu la proximité des lieux
(de l’Espierre à Roubaix, France), le charbon de terre se livrera à meilleur
marché aux fabriques de Roubaix et environs (fabriques rivales des nôtres)
qu’aux fabriques des deux Flandres ; et partant, que les machines à vapeur
de la populeuse ville de Gand, et les fabriques comme celles de Courtray, en un
mot, tout l’intérieur de
Loin de cherche à favoriser l’exportation de nos
produits, il faut donc, suivant un corps qui s’intitule chambre de commerce,
lui susciter des entraves, afin de la rendre impossible et d’assurer par là
leur vente à vil prix, au profit du consommateur de l’intérieur.
Mais si tels sont les principes d’économie politique
de la chambre de commerce de Courtray, pourquoi ne demande-t-elle point des
entraves (erratum, Moniteur belge du 18
janvier 1840 : ) à l’exportation de nos toiles , afin d’assurer leur
vente à bas prix au consommateur de l’intérieur ?
Toutefois, que la chambre de commerce se rassure, il
ne s’agit point de ruiner nos fabriques au profit de celles de Roubaix, il
s’agit seulement de nous permettre de continuer à livrer à celles-ci des
charbons qu’elles prendraient à d’autres.
Au reste, la navigation vers Audenaerde et Gand
appelle aussi des améliorations, et notre concours est à l’avance acquis à
toute mesure qui pourrait tendre à ce but. Qu’on rectifie l’Escaut, et nos
houilles arriveront en Flandre à des conditions plus favorables. Nous avons dit
que le canal de l’Espierre substituait une navigation à l’intérieur à une
navigation française.
Je dois rencontrer à cet égard une objection de M. le
comte de Muelenaere, objection qui s’applique en même temps aux considérations
que je viens de produire pour vous montrer que le nouveau canal serait
favorable à notre industrie ; cette objection la voici : Comment
est-il possible de croire que ce soit pour nous appeler à faire concurrence à ses
propres produits, à sa propre navigation, que
Cela se conçoit à merveille quand on se donne la peine
de réfléchir aux intérêts opposés qui se trouvaient en présence chez nos
voisins.
D’une part l’intérêt de la navigation et des
houillères d’Anzin s’opposaient de toute leur puissance à la création du
canal ; aussi, tant que prévalut leur influence, le prolongement du canal
de Roubaix ne fut-il point décrété.
Ecoutons à cet égard d’incontestables autorités.
On lit dans un rapport fait au conseil général du
département du Nord, dans sa séance du 18 juillet 1834 :
« En première ligne se présente cet ensemble si
sage, si bien combiné, si fortement possédé et défendu des canaux français,
qui, sans rien emprunter au territoire étranger, et par une navigation toute
intérieure et toute française, unit le grand centre de production des houilles
avec le centre de fabrication où fleurissent Lille, Roubaix et Tourcoing.
« Quelle grande nécessité d’abandonner cette
ligne de navigation qui est nôtre ; qui ne relève que de nous, sur
laquelle s’élèvent nos forteresses, pour aller envoyer nos chargements en
transit, par Antoing et Tournay, sur le territoire étranger ?
« Qu’on ne dise pas qu’il ne s’agit nullement
d’abandonner
Ecoutons surtout ce que disait le concessionnaire des
canaux français dans un mémoire publié en 1833 sur cette question :
« Le 28 juin 1838 expire la concession de
l’écluse de Goeulzin dans Condé ; elle produit par an pour droits perçus
exclusivement sur les charbons belges en destination sur Lille, en 1834 (voyez
les tableaux) 39,580 francs 78 centimes.
« Le 26 décembre de la même année expire
également la concession de l’écluse de Rodignies. Les droits de navigation sur
les charbons belges, même destination, s’élèvent à (1834) 72,040 francs 8
centimes.
« Les canaux de la haute et de la basse Deule feront
retour à l’état dans 19 ans : le produit total, dans lequel il n’a pas été
possible de faire la part des charbons belges, est de (1834) 279,886 francs 92
centimes.
« Plus tard et successivement feront également
retour à l’état toutes les autres concessions consenties par le
gouvernement : Fresnes dans 25 ans, Lambres et Courchelettes dans 5 ans,
Iwuy dans 33 ans,
« Ouvrez le canal de l’Escaut, et vous faites
tarir pour le trésor ces sources fécondes de revenus, dont les deux premières
lui sont acquises dans 3 années, 2 autres dans 5 et qui, dans 25 ans, donneront
un produit annuel de plusieurs centaines de mille francs.
« Ainsi, M Brame demande à l’état de ruiner les
canaux qui lui appartiennent et dont il va jouir, au profit du canal de
Roubaix, dont la concession a été consentie à perpétuité, en faveur de M.
Brame, et au profit du canal d’Antoing, qui appartient au gouvernement
belge. »
Voulons-nous dans notre pays un contrôle désintéressé
de ces allégations françaises, nous le trouvons aussi clair que péremptoire
dans la lettre de M. le ministre des finances d’Huart, document que le
caractère si honorable de son auteur, bien plus encore que sa date, met à
l’abri de toute suspicion d’avoir été fait pour la cause.
« 1,800 bateaux chargés de houille sur le canal
de Mons, disait l’honorable M. d’Huart dans sa lettre du 7 décembre 1838,
aident à alimenter l’approvisionnement de Lille, Roubaix et communes
environnantes ; le port de ces bateaux est actuellement, en moyenne, de
125 tonneaux, et serait au moins de 175 tonneaux par la nouvelle navigation du
canal de l’Espierre. En supposant même que de ces 1,800 bateaux, il n’y en
aurait que 1,200 qui viendraient par le canal d’Antoing, leur tonnage dépassera
200,000 tonneaux de chargement réel, et ils assureront par conséquent au
domaine une augmentation annuelle de produits de 120,000 francs, sauf déduction
du surcroît des frais d’entretien, d’alimentation et d’administration qui en
résulteraient. »
Et plus loin :
« En résumé, M ; le ministre, j’estime que
le canal de Bossuyt n’aura aucune influence sur le canal de Pommeroeul, que
celui de l’Espierre en augmentera les produits, et qu’enfin, si l’un de ces
deux projets devait être sacrifié à l’autre, l’intérêt général est d’accord
avec l’intérêt particulier du domaine pour faire donner la préférence au canal
de l’Espierre. »
En présence de tels documents il n’est certes plus
permis de douter que le canal de l’Espierre soit éminemment favorable à notre
navigation intérieure, au détriment des canaux français.
Notons, en passant qu’il résulte encore de la lettre
de M. d’Huart qu’il faut joindre aux avantages que doit produire le canal de
l’Espierre un bénéfice de 120,000 francs, au profit de l’Etat sur les droits du
canal d’Antoing. 120,000 francs, messieurs, c’est le tiers de ce qu’il faut
pour améliorer le sort de notre magistrature entière.
Mais un autre intérêt a porté le gouvernement français
à désirer la création de cette nouvelle voie de communication ; cet intérêt,
c’est celui trop souvent méconnu du consommateur.
Ne pouvant recevoir les houilles anglaises à cause des
droits qui les frappent, ne pouvant obtenir l’anéantissement complet de ces
droits que le gouvernement français maintient, partie dans l’intérêt de ses
houilles, partie dans l’intérêt de ses relations douanières avec nous les
consommateurs de Lille, de Roubaix, de Tourcoing, et réclament le prolongement
du canal de Roubaix ; les concessionnaires de ce canal réclamaient aussi,
au nom de la justice ; c’est à leurs vœux réunis qu’a déféré le
gouvernement français.
Sans doute
Je ne crois point devoir me livrer à d’inutiles
redites pour vous démontrer que le canal de l’Espierre n’enlève rien,
absolument rien à la navigation des Flandres ; cette tâche a été remplie
d’une manière victorieuse par M. le ministre des travaux publics. Je veux
seulement vous dire quelques mots de la convention faite avec le
gouvernement français.
M. de Muelenaere nous a dit qu’il ne s’opposait point,
pour son compte, à ce que le Hainaut obtînt le canal qu’il désirait…
De son côté le Hainaut ne s’est jamais opposé à la
création de celui que veut obtenir la ville de Courtray ; ou plutôt je me
trompe, tandis que tout ce qui se rattache à Courtray s’efforçait à entraver la
construction du canal de l’Espierre, tous les délégués du Hainaut accédaient
aux désirs de cette ville pour le canal de Bossuyt.
Loin de répondre à la mesquine opposition, dont ils
étaient l’objet par des représailles dont il eût peut-être été facile de
démontrer la légitimité, les délégués du Hainaut à la commission d’enquête de
Courtray, témoignaient hautement de leur vouloir de ne point faire la plus
petite concurrence au canal de Bossuyt.
Ce fut sous l’emprise de cette disposition que l’un
d’eux, M. le sénateur de Haussy, soumit à la commission, qui l’adopta, la
proposition suivante :
« Le gouvernement sera invité à faire insérer
dans le cahier des charges de la concession du canal de l’Espierre, une
condition suivant laquelle il se réserve le droit de prendre telles mesures
qu’il jugera nécessaires pour empêcher : 1° que les canaux de l’Espierre
et de Roubaix ne puissent, à l’avenir, faire concurrence aux canaux des
Flandres pour la navigation de
Certes ce délégué du Hainaut prouvait bien par là que
si cette province est soigneuse de ses propres intérêts, elle n’a nullement
envie de nuire à ceux des autres. Son but, en demandant le canal de l’Espierre,
était le marché de Lille, Roubaix, Tourcoing ; vous voyez avec quelle
loyauté elle vous prouve qu’elle ne veut rien de plus.
Le gouvernement tout en pensant que le danger signalé
n’existe pas, veut donner tous les apaisements qu’on réclamait par là pour
d’actifs préjugés. Il fait plus que ce que demandait la proposition de M de
Haussy ; celle-ci ne réclamait que des stipulations dans le cahier des
charges entre l’état et l’entrepreneur, le gouvernement va jusqu’à en demander
à
On la blâme comme excédant les pouvoirs du
gouvernement, on la blâme comme impuissante.
Quant au premier grief, deux mots suffisent pour y
répondre.
En droit public comme en droit civil, il existe de
grandes divisions dans la nature des conventions ; mais à côté de ces
divisions se rencontrent des contrats qui ne tombent point d’une manière
directe sous l’une ou l’autre d’entre elles. En droit civil ces sortes de
contrats s’appellent des contrats innommés ; or, sans entrer dans la
discussion plus ou moins subtile à laquelle on s’est livré pour démontrer que
la convention forme un traité de commerce, je dirai qu’à mes yeux, elle est, en
politique internationale, un véritable contrat innomé, facio ut facias, n’ayant
point de caractère déterminé.
Pour reconnaître si une convention de cette espèce
sort ou non des limites du pouvoir royal, il est une règle aussi sûre que facile.
Cette règle, c’est à l’honorable M. Angillis que je l’emprunte, et je suis
heureux de pouvoir par là m’acquitter envers lui de l’honneur inespéré qu’il m’
fait de me citer dans son discours.
« Le roi, vous a-t-il dit, ne peut faire par des
traités que ce qu’il pourrait faire par des ordonnances. »
Telle est à mes yeux la véritable règle.
Or, la question de savoir si le roi pouvait décréter
l’exécution du canal de l’Espierre par un simple arrêté ne peut être une
question sérieuse. La loi du 19 juillet 1832 est là pour le dire.
Son unique but est seulement de conférer au
gouvernement le pouvoir qu’on voudrait indirectement lui contester aujourd’hui.
Quant au grief d’insuffisance adressé à la convention,
tout en n’y croyant point, je suis d’avis qu’il faut étendre jusqu’aux limites
du possible les garanties que nous adversaires peuvent désirer.
La plus efficace qu’ait entrevue M. de Muelenaere,
c’est de mettre le canal de l’Espierre, dès sa confection, à la disposition de
l’état ; eh bien, qu’il soit entendu qu’il devra en être ainsi ;
j’anticipe sur votre vœu, en engageant le gouvernement à user, quand le moment
en sera venu, de la faculté de reprise qu’il a eu la sagesse de se réserver par
l’article 8 additionnel du cahier des charges.
Vous jugerez s’il est dans mes paroles d’aujourd’hui
un seul mot qui ne soit en parfaite harmonie avec celles que vous a citées
l’honorable M. Angillis, et que je vous demande la permission de vous rappeler
à mon tour.
« Je suis parfaitement
d’accord, vous disais-je
dans votre séance du 9 décembre, avec M. le ministre des travaux publics et
avec l’honorable M de Brouckere sur l’utilité d’examiner la question relative à
la réduction du droit de navigation sur
« Il vous a dit avec raison que le gouvernement devait dominer tous les intérêts de localité, et que par conséquent il ne devait consulter que la somme plus grande de bien-être qui devait résulter d’une mesure pour la généralité.
« Quelle est la conséquence de ce principe ? c’est que le gouvernement doit procéder en toute question comme un père de famille ; il doit voir si, en accordant un avantage à un enfant, la perte qui en résulterait pour un autre enfant ne l’emporte pas sur le bien qu’en retire l’enfant favorisé. Que faut-il donc que le gouvernement examine dan la question qui nous occupe ? Il faut qu’il examine si le bien que Charleroy pourrait retirer d’une réduction ne serait pas compensé et au-delà par le préjudice que Mons pourrait en éprouver.
« Ce principe, messieurs, ne m’appartient pas. Il appartient à la législature elle-même. Il existe dans une de nos lois les plus importantes un principe formel qui repousse l’opinion de l’honorable M. Pirmez : c’est la loi sur le chemin de fer. Dans cette loi, on a, à la demande juste et équitable du Hainaut tout entier, on a posé en principe que, quand le chemin de fer serait ouvert aux houillères de Liége et d’autres productions similaires du Hainaut, les droits sur les canaux du Hainaut seraient proportionnellement réduits. En vertu du principe posé par l’honorable M. Pirmez, à savoir qu’il faut consulter la somme totale de l’avantage que le pays tout entier doit retirer d’une mesure, en vertu de ce principe, dis-je, que peut-il faire dans le cas actuel ? Il faut engager le gouvernement à suivre activement la voie dans laquelle il est entré, à examiner cette question avec maturité, et il arrivera à une solution qui probablement conciliera tous les intérêts. Quant à moi, je déclare que jamais je ne m’opposerai à une mesure destinée à faciliter l’exportation des produits de Charleroy. Je sera le premier à lui donner mon concours. »
Aujourd’hui comme alors, je pense que le gouvernement devait dominer tous les intérêts de localité, et c’est pour cela que j’ai pris sa défense contre ceux qui voulaient lui contester ce droit, ou plutôt le faire manquer à ce devoir ; aujourd’hui, j’ai prouvé, comme je l’assurais alors, que je serais toujours le premier à donner mon concours à toute mesure destinée à faciliter l’exportation de nos produits ; aujourd’hui, enfin, j’ai persévéré à désirer pour mon pays le régime bienveillant de père de famille, en joignant mes vœux aux désirs de ceux que j’ai combattu avec conviction, mais non point sans regrets.
J’aborde maintenant quelques objections spéciales, et d’abord celle par laquelle on reproche au gouvernement la brièveté du délai qui a séparé l’annonce de l’adjudication du canal de l’adjudication elle-même.
Vous me permettrez de vous soumettre à cet égard une première observation. C’est qu’il y a une véritable contradiction de la part de ceux qui prétendent que la concession du canal de l’Espierre est une mesure désastreuse pour notre pays, à montrer des entrailles plus paternelles encore pour ce canal, que nous, députés de Mons, qui sommes intéressés, pour notre première industrie, à sa construction, en prétendant qu’on n’a pas fait assez pour lui.
C’est une chose vraiment digne de remarque que ce soient les intéressés les plus directs à l’ouverture du canal qui loin de se plaindre de la manière dont a procédé le ministre des travaux publics, ont envoyé à cette chambre une pétition pour déclarer qu’ils adhéraient à ce qui a été fait. Pourquoi vous l’ont-ils transmise ? parce qu’ils savaient que, dans tout ce qui a été dit sur l’adjudication, il n’y avait rien de sérieux qu’une chose : le désir de retarder pendant des années encore l’exécution d’un projet qu’on était parvenu à entraver pendant aussi longtemps.
Mais j’aborde l’objection en elle-même.
Messieurs, s’il existait une loi déterminant un délai nécessaire pour une adjudication, et si cette loi n’avait pas été respectée par le gouvernement, quelque partisan que je sois, dans cette occurrence, du fait accompli, je serais le premier à m’élever contre la violation de la loi. Mais si au contraire il n’existe point une telle loi, ce n’est plus à mes yeux qu’une question de convenance administrative que celle du délai qui doit séparer l’annonce de l’adjudication elle-même.
Dans ce dernier cas, messieurs, la chambre doit-elle descendre de sa position élevée pour se livrer à de semblables critiques pour demander pourquoi on n’a pas donné huit jours de plus aux concurrents, pour se préparer à l’adjudication, et cela, quand nous avons tant de travaux dans le cercle de nos attributions qui réclament le temps que nous consumons à de pareils débats.
Or, messieurs, aucune loi n’a pu être citée par ceux qui ont soulevé ce débat. Mais l’on pourrait peut-être vouloir faire de cette question une objection morale contre l’accomplissement de l’adjudication du canal ; cette objection, j’aurais pu la comprendre, la trouver sérieuse même, si après l’annonce de la mise en adjudication un amateur de l’entreprise avait écrit au ministre des travaux publics, avant le moment de l’adjudication, pour demander une prorogation de délai, en se fondant sur ce que celui qui avait été accordé était trop court pour examiner les conditions de la concession ; je blâmerais le ministre de n’avoir pas, dans ce cas, accordé la prolongation demandée.
Mais rappelez-vous, messieurs, ce qui s’est passé au jour de l’adjudication. Trois certificats ont été produits constatant le dépôt des cautionnements exigés par le cahier des charges pour prendre part à cette adjudication ; l’un par M F. Corbisier de Mons, un autre par M. Meissel de Nieuport, et le troisième par M. Ronstorff.
Pour quiconque a connaissance de ce qui se passe en matière d’entreprise de travaux par voie de soumissions secrètes, il est une vérité incontestable, c’est que, dans toute adjudication, les amateurs sont intéressés à savoir s’ils ont des concurrents ; dans toute entreprise importante, un amateur ferait des sacrifices souvent immenses, pour savoir s’il aura ou non des concurrents, et la raison en est simple, c’est que, s’il est certain de ne point avoir de concurrents, il soumissionnera l’entreprise aux conditions les plus onéreuses pour l’état, tandis que, s’il sait qu’il aura des concurrents, il offrira les conditions les plus avantageuses dans la crainte d’être évincé ; c’est là l’unique but des adjudications par soumissions cachetées ; on veut obtenir de chaque amateur, par la crainte de concurrents éventuels, les conditions les plus favorables pour l’Etat ; eh bien, messieurs, voyez quelle était la position du sieur Ronstorff ; il venait de déposer son cautionnement, lorsqu’il vit ses deux concurrents déposer le leur ; voyant qu’il a deux concurrents, il demande un délai dans le but de faire une soumission autre que celle qu’il avait préparée ; car si le temps lui avait manqué pour établir ses calculs, ce n’était point 5 minutes avant l’adjudication, c’était avant le jour de l’adjudication qu’il devait demander un délai. M. le ministre des travaux publics ne pouvait donc plus, alors que le secret de l’adjudication était déjà en quelque sorte violé, alors que le secret des soumissions n’était plus intact, consentir à la prorogation qu’on demandait et contre laquelle les concurrents protestaient.
A la fin de la séance d’hier, messieurs, vous avez entendu un honorable député de Gand combattre aussi le canal de l’Espierre ; mais cet honorable membre l’a fait par des motifs entièrement différents de tous ceux qui on été allégués jusqu’ici. Si l’honorable M. Delehaye combat le canal de l’Espierre, ce n’est point parce que ce canal doit porter préjudice à la ville qui lui a conféré son mandat, il reconnaît, au contraire, avec une bonne foi à laquelle je rends hommage, que dans la ville de Gand personne ne songe à s’opposer à la construction du canal de l’Espierre ; mais il dit que, puisque le gouvernement n’a point fait pour l’industrie cotonnière ce qu’il croit qu’il devait faire, il ne veut point qu’on fasse pour l’industrie du Hainaut ce que les besoins de cette industrie réclament. Ainsi, messieurs, parce que l’honorable membre croit qu’une industrie importante, pour laquelle j’ai beaucoup de sympathie, parce qu’il croit que cette industrie n’a point obtenu du gouvernement la protection qu’elle méritait, il veut qu’une autre industrie qui est aussi digne du plus haut intérêt soit entièrement abandonnée, c’est comme s’il disait : « Un malheur n’est pas assez pour mon pays, j’en réclame deux. » L’honorable membre n’y a pas pensé, il reviendra, j’en suis certain, d’un pareil langage ; il reconnaîtra que s’il y a une plaie saignante dans notre pays, ce n’est pas une raison pour en ouvrir une nouvelle.
L’honorable membre était d’ailleurs
dans l’erreur lorsqu’il vous a dit que l’industrie charbonnière devait tout à
la révolution, qu’elle est aujourd’hui plus florissante que jamais. L’industrie
charbonnière a eu ses mauvais jours depuis la révolution, tout aussi bien et
plus peut-être que l’industrie cotonnière. Ne sait-on pas ce qu’était pour les
bassins houillers de Mons et de Liége le débouché de
Je terminerai, messieurs, ces observations en appelant votre attention sur le dernier document qui a été distribué à la chambre, je veux parle d’une nouvelle pétition de la chambre de commerce et des fabriques d’Ypres ; voici comment se termine cette pièce :
« Dans un de ces moments
d’épanchement si familiers aux ministres du roi Philippe, M. Villemain disait
l’autre jour à la tribune que
Est-ce là, messieurs, le langage d’hommes que guide l’intérêt de leur pays ?
Je suis, messieurs, de ceux qui
accordent aux intérêts matériels du pays une importance fort grande, mais je
dois avouer que cette importance n’a jamais été jusqu’à m’entraîner à former
des vœux impies contre la nationalité de mon pays. Chaque fois que j’ai cru
devoir élever des plaintes dans l’intérêt de l’industrie du Hainaut, j’ai toujours
rendu un langage assorti par sa modération aux question que je traitais, et
jamais je ne croirai qu’il soit digne d’un bon citoyen, d’un homme
véritablement ami de son pays, de jeter ainsi dans la balance des intérêts
matériels tous nos intérêts moraux les plus chers ; tous, jusqu’à cette
nationalité que
J’éprouvais le besoin, messieurs, de protester contre ces paroles de la chambre de commerce d’Ypres, paroles imprudentes et peu dignes, qui, j’en ai la conviction, ne trouveront pas plus dans son arrondissement que dans cette chambre, ni écho ni sympathie.
M. Dumortier – Je partage, messieurs, l’opinion que les concessions désastreuses qui ont été successivement faites à l’étranger, loin de consolider notre nationalité, ne peuvent que l’ébranler fortement. Sous ce rapport, je combats la dernière observation de l’honorable préopinant et j’appuie celles qui ont été présentées par la chambre de commerce d’Ypres. Il n’est pas douteux que, lorsque le gouvernement est venu successivement céder à toutes les exigences de l’étranger, lorsqu’il est venu sacrifier tour à tour tous les intérêts matériels de notre pays pour satisfaire aux demandes de l’étranger, il n’est point douteux qu’en pareil cas notre nationalité est singulièrement compromise, car un pareil système de faiblesse n’engendre que le mépris, et l’on a bientôt brisé ce que l’on méprise.
L’exemple de ce qui vient de se passer à la tribune d’un état voisin nous prouve où nous a mené la fausse politique du gouvernement ; lorsque le gouvernement ne sait plus défendre les droits du pays, lorsqu’il cède devant l’étranger, il compromet donc au plus haut degré la nationalité belge.
Avant d’aborder la question qui nous occupe, je dois m’expliquer, messieurs, sur la manière dont j’envisageais autrefois le canal de l’Espierre, et sur ma manière dont je l’envisage aujourd’hui. Sans doute, lorsqu’on examine d’un premier coup la question du canal de l’Espierre, il semble d’abord que ce canal est très avantageux, très utile au pays ; moi-même je partageais autrefois cette opinion.
En effet, lorsqu’on jette les yeux
sur la carte et qu’on voit avec quelle promptitude les produits du Hainaut
pourraient passer du bassin de l’Escaut dans le bassin de
Ainsi, messieurs, la question n’est
plus du tout ce qu’elle était il y a quelques années ; elle est tout à
fait changée, si donc lors de la discussion de la loi sur les concessions de
péages, je regardais le canal de Lille à Roubaix comme profitable au Hainaut,
et si aujourd’hui je partage l’opinion contraire, c’est que des faits nombreux
ont dû nécessairement modifier tout à fait mon opinion ; ces faits je les
ferai connaître sommairement ; c’est d’abord le travail de M. Cordier,
qui, le premier, a conçu le projet du canal. Dans ce travail que j’ai ici sous
les yeux, M. Cordier dit en propres termes que le canal qu’il propose a pour
but d’enlever à
Chacun, messieurs, dans cette discussion a parlé des intérêts de localité, et comme M. le ministre des travaux publics a invoqué à diverses reprises l’intérêt que la ville de Tournay pouvait avoir à la construction du canal de l’Espierre, la ville de Tournay a, au contraire, le plus grand intérêt à la construction du canal de Bossuyt que le canal de l’Espierre rend impossible.
Messieurs, c’est une vérité reconnue que toutes les fois qu’on peut aller chercher les matières premières au lieu de production, et les transporter à pied d’œuvre dans le cours d’une seule journée, le système du transport par chariots est toujours plus avantageux, et ne peut jamais d’être détruit par le transport par canaux.
Et la chose est facile à comprendre. Ainsi, si vous transportez de la chaux, de Tournay jusqu’à Roubaix, par bateaux, vous devez d’abord la transporter depuis les fours où on la cuit jusqu’à l’Escaut ; il faut ensuite la déposer sur le rivage, l’embarquer dans les bateaux et faire finalement le trajet depuis Tournay jusqu’à Roubaix : toutes opérations qui prennent nécessairement un temps plus ou moins long ; on arrive à Roubaix, vous devez décharger la chaux sur le quai, la mettre au besoin en magasin, et ensuite la transporter au lieu de consommation. Or, tout cet ensemble de frais sera toujours plus considérable que celui auquel on est obligé, alors qu’on peut aller chercher la marchandise au lieu de production, pour la transporter le même jour à pied d’œuvre.
Je dis donc, messieurs, que, dans cette hypothèse, le canal de l’Espierre ne remplacera pas le moyen de communication par terre, puisque, la distance n’atteint que de trois lieues, il sera toujours plus économique d’aller chercher la marchandise au lieu de production et de la transporter à pied d’œuvre, que de faire toutes les opérations qu’entraînera le transport par le canal de l’Espierre.
Ainsi le canal ne présentera pas pour notre industrie les avantages que l’on annonce.
Maintenant, le canal sera-t-il
préjudiciable ? oui, il le sera, parce que l’exécution du canal de
l’Espierre est obstative de la construction du canal de Bossuyt à Courtray. Or,
la grande différence entre les prix de production et de consommation n’est pas
entre Tournay et Roubaix, elle n’est là que très peu de chose ; mais s’il
existe au contraire une grande différence dans ces prix entre Tournay et
Courtray, et cette différence provient de la distance qu’on a à parcourir et
des difficultés de la navigation de
C’est donc là un marché à créer, c’est à Courtray que nous devons exporter nos marchandises, si nous voulons avoir un débouché nouveau. Quand la houille s’y vend à raison de 3 francs l’hectolitre, il ne peut s’en faire qu’une faible consommation ; mais si vous pouvez créer un canal par lequel on puisse y transporter la houille à raison d’un francs 50 centimes l’hectolitre, évidemment le débit sera beaucoup plus grand. Par le canal de l’Espierre, on se borne à créer un quatrième système de communication entre le bassin de Mons et le bassin de Lille et Roubaix, où nous avons déjà le monopole des houilles et des chaux. Tandis que le canal de Bossuyt créerait un débouché tout à fait nouveau, créerait un marché là où il n’en existe pas aujourd’hui.
Or, comme les deux canaux sont
obstatifs l’un de l’autre, comme vous ne pouvez faire le canal de Bossuyt alors
que vous exécutez le canal de l’Espierre, il est évident que le canal de
l’Espierre est une calamité, et, loin d’offrir un avantage au Hainaut, il
devient un désastre pour cette province en ne lui donnant pas un débouché
nouveau sur l’arrondissement de Lille et en empêchant la création d’un débouché
dans
Maintenant, messieurs, le
gouvernement avait-il le droit de concéder ce canal et de faire sans
l’assentiment des chambres un traité avec
Voilà deux questions d’une grande
importance. Pour moi, il n’est pas douteux que le gouvernement n’avait pas, sans
l’assentiment des chambres, le droit de concéder le canal, en vertu d’un traité
avec
D’abord que porte la constitution ? la constitution dit, article 68, que les traités de commerce et ceux qui pourraient grever l’état ou lier individuellement les Belges, n’ont d’effet qu’après avoir reçu l’assentiment des chambres.
Or, le gouvernement a contracté un
traité avec
« LL. MM. le roi des Belges et
le roi des Français, désirant, autant que possible, satisfaire aux réclamations
élevées dans le département du Nord, au sujet des droits établis sur l’entrée
des charbons étrangers, et considérant que ce but peut être atteint en créant
une voie directe de communication entre le centre de ce département et le
Hainaut, tout en écartant les dangers que cette voie pourrait offrir pour la
navigation intérieure de
Vous le voyez, messieurs, dès le
préambule, le gouvernement avoue que c’est une convention commerciale qu’il
conclut avec
« La loi répute pareillement actes de commerce : toute entreprise de construction, et tous achats, ventes, et reventes de bâtiments pour la navigation intérieure et extérieure, ; toutes expéditions maritimes, tout achat ou vente d’agrès, apparaux et avitaillements, tout affrètement ou nolisement, emprunt ou prêt à la grosse, toutes assurances et autres contrats concernant le commerce de mer ; tous accords et conventions pour salaires et loyers d’équipages ; tous engagements de mer, pour le service de bâtiments de mer. »
Vous voyez donc, messieurs, que la loi répute actes de commerce les opérations de navire, tant pour la navigation à l’intérieur qu’à l’extérieur.
Les transports par eaux sont donc des actes de commerce. Comment peut-on dès lors prétendre qu’un traité fait à l’usage de personnes qui toutes sont passibles du tribunal de commerce, ne fait pas un traité de commerce ? Evidemment c’est un traité de commerce dans toute son étendue, et ce traité, par cela seul, devait être soumis à la ratification de la législature. Le gouvernement n’a pas cru devoir demander l’assentiment des chambres. Mais, c’est le même motif pour lequel il a fait adjuger le canal la veille de l’ouverture de la session ; pour lequel il a même été plus loin, lorsqu’il a envoyé un exprès à Wiesbaden pour obtenir une ratification précipitée.
Et cela pourquoi ? parce qu’on ne voulait pas que la chambre examinât cette question ; on savait bien que si la question fût restée entière, le canal eût été probablement écarté ; on voulait par là faire plaisir à une puissance voisine ; l’on voulait arriver à la chambre avec un fait accompli, afin que les convictions pussent être ébranlées.
Je viens de démontrer que le traité
conclu entre
« Les traités, ajoute la constitution, qui grèvent l’état sont soumis à la ratification de la législature. »
Le traité actuel grève-t-il l’état,
ou non ? Messieurs, la réponse à cette question n’est pas douteuse ;
oui, le traité grève l’état considérablement. En effet, il enlève à
Ainsi, par cette double
considération, que la convention conclue avec
Mais, messieurs, le traité grève
encore l’Etat sous un autre point de vue, c’est que ce traité enlève à
« Le canal de Roubaix est
destiné à réunie
Vous voyez donc qu’on avoue dans cet
ouvrage, et l’aveu est précieux, puisque c’est l’auteur lui-même du projet qui
le fait ; on avoue, dis-je, que le canal de l’Espierre aura pour résultat
d’enlever à
Peut-on prétendre qu’un traité fait
avec
Messieurs, il résulte de ces
observations que le traité conclu avec
Mais, dit M. le ministre des travaux publics, admettons que le gouvernement ait fait un traité qu’il devait soumettre à la législature ; le gouvernement n’en a pas moins été armé du droit de concéder un canal ; la loi est positive à cet égard ; elle lui donne le droit de concéder un canal ; il a pu faire une pareille concession avec ou sans traité. Voilà l’argument du gouvernement.
Examinons donc, messieurs, si pour la concession du canal de l’Espierre, le gouvernement est resté dans les obligations que la loi lui imposait. Or, vous ne devez pas perdre de vue que la constitution porte que le roi n’a d’autres pouvoirs que ceux qu’il tient de la constitution et des lois portées en vertu de la constitution ; dès lors, s’il est prouvé que, par la constitution ou par les lois portées en vertu de la constitution, le gouvernement n’était pas autorisé à faire ce qu’il a fait pour l’adjudication du canal de l’Espierre, il restera constant que le gouvernement a violé la loi.
Voyons donc la loi du 19 juillet 1832 ; cette loi s’exprime ainsi dans son article 2.
« Les péages à concéder à des personnes ou à des sociétés sous charge d’exécution de travaux publics, sont fixés pour toute la durée de la concession. »
Vous voyez, messieurs, que d’après cet article le gouvernement peut accorder des péages aux personnes ou aux sociétés qui se charge de l’exécution de routes ou canaux. Or, pour qu’il n’y ait pas de doute sur la question de savoir quelles sont ces personnes, dans l’arrêté pris pour l’exécution de la loi et qui détermine les formalités à remplir en matière de travaux publics, il est dit : « Lorsque les droits devront être perçus, pour couvrir les frais de l’entreprise, le tarif de ces droits sera joint à l’avant-projet. »
Ainsi, les seuls droits qu’on puisse autoriser sont ceux nécessaires pour couvrir les frais de l’entreprise. Hors de là la perception d’aucune espèce de droit ne peut être autorisée. La constitution dit formellement qu’aucun impôt ne peut être perçu si ce n’est en exécution de la loi.
Eh bien, qu’a fait le gouvernement ? Par l’article 9 du cahier des charges du canal de l’Espierre, il a établi un droit de 2 francs par tonneau au profit des concessionnaires du canal de Bossuyt, et cela sur tous les bateaux qui passeront par le canal de l’Espierre. Je voudrais savoir dans quel article de la constitution ou des lois, M. le ministre a puisé le pouvoir d’établir un droit au profit d’un tiers. Si demain il venait dire à un demandeur en concession : Je vous concède à condition que vous paierez à tel particulier une pension de 20 ou 30 mille francs, la concession serait-elle valide ? Evidemment elle ne le serait pas, parce qu’on ne peut établir sur l’objet concédé un droit qui ne soit relatif à la concession. Qu’a fait ici le gouvernement ? Il a fait le contraire de ce que prescrit la loi, il a établi un droit en faveur d’un autre canal.
Messieurs, lorsque M. de Theux, alors ministre de l’intérieur, présenta à la chambre, en 1832, le projet de loi sur les concessions, voici comment il s’expliquait relativement à la définition des péages. Dès la première phrase de son rapport, il aborde franchement la question : « L’exécution de travaux publics au moyen de péages en faveur des entrepreneurs permet, dit-il, l’ouverture de nouvelles communications, sans grever l’état de charges nouvelles. »
Le péage ne doit donc être accordé qu’en faveur des entrepreneurs. Ici le gouvernement indépendamment de l’indemnité pour la construction du canal qu’il concède, accorde encore une indemnité à des tiers, à la charge de cette concession. Il a beau dire : c’est une réserve, c’est une restriction. Je lui réponds, ce n’était pas à vous, c’était à la législature à poser cette restriction.
Cela prouve une chose : que
vous avez voulu aller au-devant des objections afin de soustraire à la
législature les moyens d’examiner la question du canal de l’Espierre. Toujours
est-il constant que la loi, comme la constitution, a été violée dans
l’adjudication de ce canal ; rien n’a été sacré, parce qu’on voulait à
toute fin arriver à la concession, afin, dit le traité, de satisfaire aux
réclamations élevées dans le nord de
Maintenant, messieurs, la loi sur les concessions ajoute, article 4 : « Aucune concession ne peut avoir lieu que par voie d’adjudication publique et qu’après une enquête sur l’utilité publique des travaux à concéder et sur la hauteur du péage et à sa durée. » Remarquez le texte de la loi : « Aucune concession ne peut avoir lieu », c’est dire que les stipulations de l’article sont de rigueur pour que la concession puisse être accordée.
Cette disposition renferme plusieurs stipulations : d’abord, pour qu’une concession puisse avoir lieu, il faut qu’il y ait adjudication publique ; en second lieu que ce soit après une enquête sur l’utilité publique. Il faut donc, de toute nécessité, que l’utilité publique soit démontrée pour que le gouvernement puisse accorder l’adjudication.
Le pouvoir législatif n’a pas voulu laisser le gouvernement juge de l’utilité publique d’un grand travail, il a exigé qu’une enquête eût lieu pour la constater. Cette enquête n’était donc pas une vaine formalité.
Examinons maintenant ces faits.
Quant à l’adjudication publique, nous savons tous comment elle a eu lieu, au jour de l’adjudication, tris concurrents se sont présentés. Il est resté constant que l’on n’a pas eu un temps moral suffisant pour pouvoir faire le travail indispensable pour arriver à la concession, comme il est évident que les deux autres se sont entendus pour ne présenter qu’une même soumission.
M. de Puydt – On a eu dix ans pour s’y préparer.
M. Dumortier – C’est précisément parce qu’il y avait dix ans que ce projet avait été conçu qu’on aurait du accorder un délai plus long aux soumissionnaires, parce qu’on avait perdu cet objet de vue.
Il s’agit de la construction d’un canal et on veut qu’en 15 jours, on ait le temps nécessaire pour faire toutes les études préparatoires, pour former une association afin d’exécuter l’entreprise, pour se rendre sur les lieux, calculer les dépenses à faire, examiner le tracé, apprécier les difficultés ; on veut qu’en quinze jours on ait établi tous ses calculs pour estimer les revenus que ce canal doit produire ; cela n’était pas possible. Ce n’est pas en 15 jours qu’on peut faire tout cela.
Vous dites qu’il y a dix ans qu’il est question de ce canal ? C’est pour cela qu’il était nécessaire d’accorder un temps moral, pour faire un nouvel examen ; Tout le monde en Belgique pensait que le canal était abandonné. Il n’y avait qu’une seule opinion à cet égard. Il n’y a que ceux qui étaient dans le secret qui ont pu se présenter pour la concession. Cela est tellement vrai que M. Ronstorff, qui avait dû déposer 50 ou 60 mille francs pour prendre part à l’adjudication, s’est retiré, faute de temps, en protestant contre l’insuffisance du délai. Un homme qui vient faire un dépôt semblable pour prendre part à une adjudication ne peut pas être considéré comme un homme de paille. Il avait le droit de s’attendre à ce que l’adjudication fût retardée et qu’un délai suffisant fût accordé pour faire ses calculs.
Les concurrents, vous a dit M. Dolez, ont intérêt à connaître le nombre de ceux qui leur disputent la concession. Si celui qui vient demander la concession sait qu’il n’aura pas de concurrents, il proposera le plus élevé.
Mais c’est précisément là ce qui est arrivé après la retraite de M. Ronstorff, il ne restait que deux soumissionnaires ; eh bien, ils se sont entendus ; une seule demande a été déposée pour le compte des deux concessionnaires, et on a demandé le prix le plus élevé. Il en a été ainsi parce qu’on a écarté la demande d’ajournement, on a précisément amené le résultat que semblait craindre M. Dolez. Ainsi c’est à ce refus qu’est due l’élévation du prix du péage.
L’article 4 ajoute qu’aucune concession ne peut avoir lieu qu’après enquête pour constater l’utilité des travaux. Cette enquête a été tenue. Le conseil était en grande partie composé de personnes qui s’étaient à l’avance prononcés pour la construction du canal, qui l’avaient sollicitée. Malgré cela, les arguments qu’on a fait valoir ont été tellement forts, que par sept voix contre sept, elle n’a pas été admise. Il y a eu partage, et aux termes de la constitution, quand il y a partage, la proposition n’est pas admise.
Il n’y a donc pas eu démonstration d’utilité publique ; et quand le gouvernement est venu procéder à l’adjudication de la concession, bien qu’il n’y ait pas eu d’utilité publique démontrée, il a violé l’article 4 de la loi sur les concessions de péage.
Messieurs, l’honorable M. Dolez qui vient de parler a sans doute tellement bien compris la force de cette argumentation, qu’il a cherché à établir l’utilité publique au moyen d’une foule de documents étrangers à l’enquête d’avis qui datent de huit à dix ans. D’abord il a parlé d’un avis de la régence de Tournay en 1834, où l’on disait qu’il n’y avait qu’une voix dans l’arrondissement pour reconnaître les avantages du canal projeté. Si l’honorable membre voulait jeter un coup d’œil sur les avis donnés par la régence de Tournay depuis 1834, il verrait que cette régence a fait des efforts inouïs pour empêcher l’exécution du projet du canal de l’Espierre. Le motif de ce changement est bien simple. On a compris, depuis le premier avis, tout ce que ce canal devait avoir de préjudiciable par suite de l’effet qu’il aurait sur l’Escaut, sans procurer aucune compensation à notre commerce.
Cette question présentée depuis
En effet, messieurs, on comprend à
Tournay que le canal de l’Espierre aura pour résultat de réaliser ce que disait
hier M. de Puydt, la construction d’un nouveau barrage sur l’Escaut, et par
conséquent la canalisation de ce fleuve. Or, il n’est pas possible d’imaginer
dans
Le produit des prairies qui bordent
l’Escaut de Tournay à Gand est détruit, c’est une perte de 15 à 20 millions de
francs. Ce n’est pas une chose minime qu’on puisse considérer avec le sourire
du dédain. C’est la plus belle source de revenu de
M. de Puydt a dit que la canalisation de l’Escaut était un ouvrage d’art, auquel tous les hommes de l’art s’étaient arrêtés. Si les hommes de l’art n’ont envisagé que la question d’art, sans se préoccuper des enseignements de la géologie, ils ont fait preuve de la plus grossière ignorance ; car le talent des ingénieurs ne consiste pas à tracer le profil d’une écluse ; il faut, avant tout, consulter ces enseignements. Or, lisez tous les ouvrages de géologie, vous y verrez quel danger il y a à canaliser les fleuves qui charrient leur limon. Lisez les ouvrages des hommes les plus savants qui ont écrit sur cette matière, lisez les ouvrages de Cuvier, qui est certes une des plus grandes illustrations du siècle, vous y verrez qu’en entravant le cours des fleuves qui charrient du limon on élève leur lit, et qu’on transforme les prairies avoisinantes en des marais infects.
Si vous élevez sur l’Escaut barrage
sur barrage, vous entraverez le cours des eaux, et, au bout de quelques années,
elles seront exhaussées de plusieurs pieds. Que ferez-vous alors ? Vous
aurez de deux moyens l’un : ou de faire le curage de l’Escaut, ou d’en
relever les berges. Or, le curage de l’Escaut sur une étendue de 30 à 40 lieues
coûterait au moins dix millions de francs. Assurément vous ne ferez pas une
pareille dépense. Vous élèverez donc les berges du fleuve, et vous aurez un
fleuve suspendu comme sont le Pô et l’Adige ; et les prairies
environnantes ne seront plus que des marais infects, comme le sont les bords du
Pô et de l’Adige ; il importe qu’il n’en soit pas ainsi en Belgique, et
que
Je viens de justifier le vote du conseil communal de Tournay et de vous démontrer d’une manière incontestable combien il a eu raison de réclamer contre la concession du canal de l’Espierre, alors surtout que ce canal n’offrait pour nous aucun espèce de dédommagement pour les pertes énormes qu’il allait créer.
Maintenant le conseil provincial de Mons, loin d’avoir voulu émettre un avis favorable au canal de l’Espierre, a émis un avis contraire à ce canal dans sa séance du 22 octobre 1836. Alors un membre du conseil provincial (l’honorable M. Corbisier, je crois) engagea le conseil provincial à émettre un avis favorable au canal de l’Espierre. Cette proposition fut discutée et écartée dans cette séance.
Ceci me rappelle encore que le gouvernement a négligé de se conformer à l’une des dispositions de l’arrêté relatif aux péages. Cette disposition porte que le conseil provincial doit être consulté. Eh bien, il n’a pas été consulté. Pourquoi ? Parce que le conseil provincial du Hainaut avait émis, le 22 octobre 1836, un avis défavorable à la construction du canal. A une immense majorité le conseil a écarté la proposition qui avait été faite de réclamer du gouvernement l’exécution du canal. Cette décision a été présentée en octobre 1836, c’est-à-dire il y a à peine 3 ans. Et remarquez bien que les partisans du canal de l’Espierre n’ont eu garde de soumettre de nouveau cette question au conseil provincial du Hainaut ; il l’avait résolue à une très grande majorité pour qu’on pût croire qu’il dût par la suite modifier son avis. Ceci prouve, d’une manière incontestable qu’il s’en faut bien que ce canal soit aussi utile au Hainaut qu’on l’a dit dans cette enceinte.
Maintenant qu’a fait le conseil
provincial de
Et on dit que Tournay est favorable à l’exécution de ce canal que Courtray seul s’y oppose. Evidemment cela est de la déraison alors que les derniers avis de toutes les localités sont plutôt défavorables que favorables à ce canal.
Le dernier avis de la commission d’enquête contraire au canal !
Le dernier avis du conseil provincial du Hainaut, contraire au canal !
L’avis du conseil provincial de
L’avis de la régence de Tournay, contraire au canal !
L’avis de la chambre de commerce de Courtray et d’Ypres, contraire au canal !
Ce sont là les localités les plus voisines du canal ; ce sont celles qui y sont directement intéressées ; toutes protestent contre son exécution.
Après cela on vient parler de la démonstration d’utilité publique. Mais elle n’existe pas. Dans la commission d’enquête on a été partagé sur cette question ; ainsi l’utilité publique n’a pas été démontrée.
Vous le voyez donc ; en
concédant le canal de l’Espierre sans que son utilité ait été démontrée, le gouvernement
a violé les articles 2 et 4 de la loi des concessions de péage, comme il a
violé la constitution dans son traité avec
Messieurs, pouvons-nous passer sous silence une telle conduite du gouvernement ? Je ne le pense pas. Nous ne pouvons laisser le gouvernement violer la constitution et les lois, agir en despote et en cadi, en présence de dispositions aussi formelles. Si nous devons passer l’éponge sur de tels actes, au lieu de perdre ici notre temps, nous ferions mieux de retourner chez nous, après avoir déclaré qu’il n’y a plus de constitution, et que le gouvernement est maître de faire ce qu’il veut.
Je viens de démontrer que la concession du canal de l’Espierre a violé les lois sous plus d’un rapport. Je pense que nous devons déclarer que nous n’approuvons pas cette concession. Je vais donc déposer sur le bureau une proposition ainsi conçue :
« La convention diplomatique du 11 octobre dernier, ne pourra avoir d’effet qu’après avoir reçu l’assentiment des chambres. »
Cela rentre dans l’esprit de la constitution, qui veut que les traités de commerce et ceux qui pourraient grever l’état ou lier individuellement des Belges, n’aient d’effet qu’après avoir reçu l’assentiment des chambres.
Vous verrez si vous voulez ou non
donner votre assentiment à cette convention. Mais vous avez prêté le serment
d’observer la constitution, vous ne pouvez donc vous refuser d’approuver ou de
rejeter la convention que le gouvernement a conclue avec
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Je remercie l’honorable préopinant de nous avoir fait sortir du vague en déposant une proposition. Je demanderai sur cette proposition l’ordre du jour, ou plutôt la question préalable.
Il est très vrai que, le 22 octobre 1836, le conseil provincial du Hainaut a renvoyé à la session suivante la question de savoir si le canal de l’Espierre ferait l’objet d’une démarche auprès du gouvernement. Il est très vrai qu’il n’a pas été donné suite à cette résolution dans les sessions suivantes.
Et pourquoi, messieurs ? C’est qu’on ne voulait pas renouveler dans le Hainaut la lutte qui existe malheureusement entre deux arrondissements de cette importance province ; c’est qu’on ne voulait pas de nouveau mettre au sein du conseil provincial Mons et Tournay en présence. Pour ma part, avant l’ouverture de la session dernière encore, j’ai été consulté par plusieurs membres du conseil provincial du Hainaut, s’il fallait reproduire la proposition ; je les ai prié de n’en rien faire, qu’il était inutile de jeter ce brandon de discorde au milieu du conseil provincial. J’approuve donc la réserve que ce conseil a montrée en 1839, 1837 et 1836 ; les opinions et les intérêts dont elles sont les expressions étaient suffisamment connus.
On a beaucoup parlé, depuis quelques temps, d’homogénéité d’opinion. Il serait difficile dans cette question de mettre d’accord les adversaires que nous rencontrons.
Les uns proscrivent le canal de
l’Espierre et demandent le canal de Bossuyt ; les autres demandent à la
fois le canal de l’Espierre et le canal de Bossuyt. Probablement si la
discussion continue, que nous entendrons des orateurs qui ne voudront ni de
l’un ni de l’autre. C’est ce qu’aurait pu demander l’honorable préopinant, s’il
avait été conséquent avec lui-même ; car si le canal de l’Espierre exige
un barrage sur
J’entends dire : mais il ne faudra un second barrage pour le canal de l’Espierre ; mais il faut une loi pour le décréter, et vous serez ici pour vous y opposer.
L’honorable député de Courtray, qui a pris pour la seconde fois la parole dans cette discussion, a dit qu’il maintenait ses observations ; je suis donc dans l’obligation de lui répondre une seconde fois.
Le système de conduite qu’il aurait voulu voir suivre par le gouvernement est celui-ci : les deux canaux sont utiles ; mais le canal de Bossuyt est plus utile que celui de l’Espierre, ce qu’il regrette, ce qu’il blâme, c’est que le gouvernement ne s’y soit pas pris de manière à faire faire les deux canaux à la fois, ce qui était possible. Selon lui, il y avait deux moyens d’y parvenir ; il aurait fallu accepter la proposition faite prétendument par les concessionnaires français de faire gratuitement la partie du canal en Belgique, cette assertion nous l’avons détruite par l’assertion contraire. On va plus loin : Le canal de l’Espierre, dit-on, est d’une telle importance pour les concessionnaires français, que vous auriez pu exiger d’eux à titre de corvée la construction du canal de Bossuyt. Laissons de côté la question de moralité et de la légalité traitée par MM. de Puydt et Dolez, et voyons la question de probabilité matérielle.
Les concessionnaires français ont fait des travaux en France pour deux millions et demi ; il ne s’agit pour eux que de ne pas perdre ces deux millions. Ils ont encore a faire en France un souterrain qui coûtera un million ; le canal en Belgique coûtera un million ; le canal de Bossuyt coûterait certainement cinq millions ; voilà sept millions ; il aurait donc fallu leur dire : Vous dépenserez sept millions pour que les deux millions et demi que vous avez dépensés en France ne soient pas compromis : je demande si un pareil langage pouvait avoir du succès ? C’est cependant ce qu’a dit l’honorable membre dans son premier discours.
M. de Muelenaere – C’est inexact.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – J’en appelle au Moniteur ; c’est l’expédient que vous avez indiqué : il n’était pas praticable.
J’ai déjà dit que nous avions fait mieux que cela, et j’ai besoin de revenir sur ce point. Nous avons imposé aux concessionnaires la clause exorbitante du rachat. J’ai dit à dessein que nous l’avions imposée, parce que cette clause ne se trouve pas dans les premières conditions : « Le gouvernement se réserve le droit (porte l’article 8 des articles additionnels) de racheter la concession du canal pendant dix ans, à partir de l’ouverture de la navigation, moyennant le remboursement de la dépense d’exécution, à déterminer par expertise contradictoire, plus le cinquième de cette dépense à titre de prime. »
La clause en elle-même est déjà exorbitante. En second lieu elle est imposée à une condition tout aussi exorbitante ; c’est qu’on ne rachètera le canal qu’en payant le coût d’exécution. En cas de rachat, le concessionnaire aura droit à une prime d’un cinquième ; c’est-à-dire que la prime sera de deux cent mille francs, si le canal coûte un million.
Si, comme on nous l’a dit, ce canal doit être productif ; s’il doit donner deux cent mille francs par an de péage, eh bien, le gouvernement faisant usage de son droit se bornera à ce langage : Nous vous rembourserons un million, et nous vous donnerons une prime qui n’est que le montant des péages pendant une année. Aussi, pour me servir d’une expression vulgaire, c’est une bonne ou une mauvaise affaire ; si l’affaire est mauvaise, nous la laisserons aux concessionnaires ; si elle est bonne, nous exercerons le droit que nous donne la clause de rachat ; n’est-ce pas là une belle alternative ? Est-ce mal entendre la gestion des intérêts publics ? En suivant attentivement ce débat, déjà si long, les idées qui se font jour sont absolument les idées inverses de celles qui avaient d’abord frappé le public. On doutait de l’utilité du canal de l’Espierre, et l’utilité du canal de Bossuyt n’était pas mise en doute ; aujourd’hui l’utilité du canal de l’Espierre n’est plus niée ; mais ce qui devient douteux, c’est l’utilité au moins actuelle du canal de Bossuyt.
Voilà le progrès de la discussion ; voilà l’effet moral de ces débats ; c’est le souvenir qui restera dans les esprits.
L’honorable député de Courtray a avoué, comme je l’avais annoncé moi-même, dans la séance du 26 du mois dernier, que le canal de Bossuyt a deux buts, un but immédiat et un but éloigné. Le but immédiat est d’amener le charbon du Hainaut sur le marché de la haute Lys belge. Cet honorable député nous avait dit : pour nous consommateurs de la haute Lys belge, toute la question est une question de fret ; eh bien, je réponds à l’honorable député de Courtray, le fret sera réduit ; vous aurez par le canal de l’Espierre le transport à plus bas prix que par Gand, vous l’aurez même à plus bas prix que par le canal de Bossuyt.
Etablissons ces deux points.
Première proposition : Vous avez le charbon à meilleur prix par le canal de l’Espierre que par Gand. J’ai sous les yeux le tableau comparatif du fret de ces deux directions. Prenons Warneton. Le fret pour Warneton par Gand est de 6,38 par tonneau ; il sera pour Warneton par l’Espierre de 4,40 ; différence en faveur de l’Espierre : 2 francs, moins deux centimes.
Je ferai insérer dans le Moniteur le tableau comparatif par localités.
Ce tableau prouvera à l’évidence que sur tout le marché de la haute Lys, d’Armentières à Courtray, et même à Harelebeke, le canal de l’Espierre offre un avantage sur les détours par Gand.
Vous aurez donc mieux que ce que vous avez maintenant.
Deuxième proposition. Le fret par le canal de l’Espierre sera inférieur au fret par le canal de Bossuyt. Je prendrai un seul point, Courtray, point le plus désavantageux. Eh bien, par le canal de l’Espierre le charbon arrivera à Courtray à raison de 4 francs 90 centimes : et par le canal de Bossuyt, à raison de 5 francs ; il y a encore avantage de 10 centimes par le canal de l’Espierre ; avantage plus considérable sur les autres points de Courtray à Armentières.
Messieurs, si cette deuxième proposition devait étonner quelqu’un, je devrais supposer que les appréciations du demandeur en concession n’ont pas suffisamment frappé cette personne : le demander en concession nous a déclaré que le canal de l’Espierre amènera le charbon sur la haute Lys belge a plus bas prix que le canal de Bossuyt ; c’est à son grief ; le canal de l’Espierre vaut mieux pour la haute Lys que le canal de Bossuyt, donc il faut proscrire le canal de l’Espierre : conclusion qui a lieu d’étonner.
Voyez, messieurs, à la page 216 du document que j’ai fait imprimer, la comparaison du fret jusqu’à Menin par le canal de l’Espierre et par celui de Bossuyt. Par le canal de l’Espierre, le droit serait de 2 francs 16 centimes. Par le canal de Bossuyt, il serait de 2 francs 33 centimes. Ainsi, de l’aveu du demandeur en concession du canal de Bossuyt, le charbon arrivera à Menin par le canal de l’Espierre à 17 centimes de moins qu’il n’y arriverait par le canal de Bossuyt. C’est aussi pour cela qu’il réclame la clause prohibitive du canal de l’Espierre. On veut donc le canal de Bossuyt, pour le canal ; ce n’est plus comme moyen, c’est comme résultat qu’on veut le canal de Bossuyt, c’est pour que la navigation se fasse dans telle direction plutôt que dans telle autre.
Le deuxième but, ce but éloigné du canal de Bossuyt à Courtray, c’est qu’il serait la première section du canal qui doit former une nouvelle jonction de l’Escaut à la mer du Nord, ligne parallèle à la grande ligne qui existe maintenant, celle de Gand par Bruges à Ostende. J’ai dit, messieurs, que bien des choses étaient restées obscures dans cette question ; si les populations de Gand, Bruges, Ostende ont donné leur adhésion au projet du canal de Bossuyt, c’est que ces populations ne connaissaient pas le fond de la question ; aussi chacun de vous sait qu’il s’est opéré à cet égard un singulier revirement dans les Flandres ; comme je vous le lisais déjà avant l’ajournement de la chambre, si on le voulait, on soulèverait bien des passions dans les Flandres contre cette espérance.
Rappelez-vous, messieurs, qu’Ostende
n’a pas toujours été le principal point de contact entre les provinces
méridionales des Pays-Bas et la mer du Nord, c’était autrefois l’Ecluse :
autrefois on allait de Gand à la mer du Nord par Liève sur Damme vers
l’Ecluse ; lorsqu’un canal s’est trouvé établi entre Ostende et Bruges,
les Brugeois demandèrent l’autorisation d’en construire un vers Deynze ;
chacun de nous sait ce qui en est résulté, une guerre entre Bruges et Gand (en
1378, sous le comte Louis de Maele) ; c’est par suite d’une transaction
qu’on a fait plus tard le canal direct de Bruges à Gand. Pensez-vous,
messieurs, que Gand, Bruges et Ostende se laisseraient aujourd’hui déposséder
si on leur posait la question dans ses véritables termes, si on leur demandait
s’il faut une nouvelle ligne de Bossuyt à la mer du nord, à laquelle elle aboutirait
non pas sur un point quelconque du territoire belge mais à Dunkerque ; car
je vous ai montré qu’on n’irait pas même à Nieuport ; on se dirigerait
vers
L’honorable député qui a parlé immédiatement avant moi a cherché à expliquer le changement qui est survenu dans son opinion ; j’avais cité moi-même les paroles qu’il a prononcées dans la discussion de la loi du 18 juillet 1832, mais j’avais omis de citer l’auteur de ces paroles, je voulais lui laisser à lui-même le soin d’expliquer son changement d’opinion ; à l’époque om la loi du 19 juillet 1832 sur la concession des péages, la loi organique du droit de concéder les péages a été rendue, l’honorable député était grand partisan du canal de l’Espierre et adversaire de la canalisation de l’Escaut ; dans cette double voie il proposa à la chambre d’insérer dans la loi deux amendement ont voici le premier : « le gouvernement ne pourra pas accorder l’autorisation de canaliser les rivières ni les fleuves. »
Cette disposition avait pour objet
d’empêcher la canalisation de l’Escaut dont l’honorable membre était alors
comme aujourd’hui ardent adversaire ; elle fut adoptée par la chambre.
Craignant ensuite de voir proscrire le projet du canal de l’Espierre par une
clause semblable à celle qui avait été insérée en France dans le cahier des
charges pour le canal de
L’honorable membre vous a dit, messieurs, que trois raisons avaient motivé chez lui ce changement d’opinion ; d’abord qu’en 1832 la navigation en France était beaucoup plus importante qu’aujourd’hui, qu’il y a une grande réduction du fret ; je sais que depuis 1832 beaucoup d’améliorations ont été faites aux canaux français, mais d’après la description que vous avez maintenant des canaux français, vous savez aussi que ces canaux n’en sont pas moins restés très défectueux encore.
Voici un fait que l’honorable membre
semble ignorer lorsqu’il parle de la réduction du fret, c’est que depuis le 1er
janvier de cette année, le péage sur
Mais, messieurs, quand tout cela serait vrai, quand le fret serait considérablement réduit, je demanderai s’il n’y aurait pas toujours un grand avantage pour les produits de Mons dans l’existence de deux lignes vers le même marché, de deux lignes se faisant concurrence entre elles et créant une émulation de réduction, pour répéter une expression dont je me suis déjà servi dans cette discussion.
Ainsi, messieurs, si le fret a été réduit sur une ligne, ce n’est pas une raison pour empêcher une nouvelle ligne de se former et donner lieu à une réduction plus considérable encore.
Mais, messieurs, ce qui prouve que
les craintes des concessionnaires des canaux français ne sont pas une
supposition de ma part, c’est la situation financière de
Lorsque la question du canal de
l’Espierre eut soulevé une discussion dans cette enceinte, l’espoir de voir ce
canal rencontrer de nouvelles difficultés fit remonter les actions de
Une personne de Lille, qui me
faisait l’honneur de venir me voir pour m’entretenir du chemin de fer, fut
naturellement amenée à me parler du canal de l’Espierre, et voici ce qu’elle me
dit : « J’étais un des actionnaires de
Voilà des faits, messieurs, qui constatent à l’évidence que les intérêts qui seront véritablement lésés sont des intérêts français ; ce sont les intérêts des concessionnaires des canaux français, les intérêts des exploitations des houillères d’Anzin. Aussi, messieurs, si j’étais le grand concessionnaires des canaux français, voici ce que j’aurais fait, c’est une simple supposition de ma part : j’aurais fait dire à Ypres et à Courtray : « Empêchez le canal de l’Espierre, je ferai le canal de Bossuyt, c’est-à-dire, je prendra les actions que vous ne parviendrez pas à placer. » C’est, je le répète, une simple supposition de ma part.
Messieurs, ne croyez pas qu’après
avoir tenu ce langage le canal de Bossuyt se serait fait ; il en eût été
du canal de Bossuyt comme du canal dont l’honorable M de Puydt vous a parlé
hier, du canal de Mons à
L’honorable M. Dumortier vous a dit
en second lieu que ce qui avait motivé son changement d’opinion, c’était
l’ouvrage de M. Cordier, c’étaient les espérances que M. Cordier avait
exprimées dans son ouvrage. Mais, messieurs, ces espérances, il faut les mettre
en rapport avec les possibilités matérielles, et à cet égard, je ne répéterai
pas tout ce que j’ai eu l’honneur de vous dire, tout ce que vous ont dit les
honorables MM. Dolez et de Puydt, sur l’impossibilité matérielle qui existe
d’enlever à
L’honorable préopinant allègue comme troisième motif à l’appui de son changement d’opinion, le tort que le canal de l’Espierre ferait au régime de l’Escaut.
Je pourrais dire ici que l’honorable membre est en contradiction avec lui-même, puisqu’en 1832 il conciliait parfaitement ces deux opinions, alors qu’il était partisan du canal de l’Espierre, tout en se montrant adversaire de la canalisation de l’Escaut.
M. Dumortier – Ce n’est pas le troisième motif que j’ai allégué, je me suis borné à dire que le canal de l’Espierre ne procurait aucun avantage, et que le canal de Bossuyt devait, au contraire, nous ouvrir un nouveau marché.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Soit ; j’accepte ce troisième motif ; mais ce troisième motif n’en est pas moins en contradiction ; si le canal de l’Espierre doit porter atteinte au régime de l’Escaut, le canal de Bossuyt doit porter également atteinte à ce régime, car, à l’égard de l’Escaut, les conditions des deux canaux sont identiques. La raison donc qui porte l’honorable membre à repousser le canal de l’Espierre devrait également le porter à repousser le canal de Bossuyt. Mais, dit-il, la loi est faite ; le barrage d’Autrive est autorisé. Mais si l’on vient demander un barrage pour le canal de l’Espierre, vous le repousserez, en prouvant qu’il a suffi de couper en deux à Autrive le grand bief de Tournay à Audenaerde ; et vous ne manquerez pas de raisons pour le soutenir.
Messieurs, j’ai cru devoir examiner les trois motifs par lesquels l’honorable membre vous a expliqué son changement d’opinion. Il a ensuite abordé la convention en elle-même ; mais l’honorable membre ne me paraît pas avoir détruit les raisons que j’ai données pour soutenir que le gouvernement n’avait qu’usé de son droit en concédant le canal d l’Espierre, en donnant à cette concession la sanction d’une convention conclue avec un gouvernement voisin : la forme qu’il a donné à l’exercice de son droit ne change pas le droit en lui-même.
Je dois me borner à renvoyer la chambre aux explications écrites sur une des questions qui m’ont été posées dans la séance du 20 décembre dernier. Je dirai en terminant qu’il n’existe aucune disposition réglementaire qui fixe un délai pour la mise en adjudication. Je repousse donc toutes les suppositions qu’on a faites à cet égard pour expliquer ma conduite. Si j’ai fixé à 18 jours de délai l’adjudication, c’est que ce délai m’a paru suffisant. Si au jour de l’adjudication, je me suis refusé à un nouvel ajournement, c’est que cet ajournement, tardivement demandé, m’a paru inutile et dangereux ; je désire ne pas en dire davantage ; j’ajouterai seulement que je n’entends être le jouet de personne.
M. Van Cutsem
– Messieurs, M. le ministre des travaux publics vous a demandé si le
nouveau royaume de
Nous avons donc voulu et nous n’avons pu vouloir autre chose, si ce n’est de prouver, à nos concitoyens du Hainaut que nous avions le même intérêt qu’eux dans la discussion qui s’agite en ce moment au parlement belge sur le canal de l’Espierre, loin de vouloir nous séparer d’eux, et nous devions le faire pour empêcher M. le ministre des travaux publics de nuire à nos intérêts communs en nous disant, et ce que nous avons déjà dit, nous le disons encore aux députés du Hainaut de se pénétrer de cette vérité que nos intérêts sont les leurs et nous les prions de nouveau de se joindre aux députés des provinces flamandes pour faire voir au gouvernement ou au ministre des travaux publics que d’avides spéculateurs ont trompés, quand on les a portés à consentir à la construction du canal de l’Espierre, à cette voie de communication qui doit faire tant de mal à nos commettants communs, parce qu’elle rend impossible une autre voie beaucoup plus utile au pays.
Député du Hainaut et des Flandres, faisons tous nos efforts pour montrer au gouvernement que ce canal de l’Espierre sans celui de Bossuyt est contraire aux intérêts du Hainaut bien entendus, comme à ceux de tout le pays ; rendons à la discussion que nous avons aujourd’hui sur le canal de l’Espierre sa véritable importance qu’on a cherché en vain à lui ravir ; ne laissons pas réduire une affaire aussi majeure aux mesquines proportions de l’intérêt privé, plaçons-là sur son véritable terrain, sur ce terrain d’où l’on n’aurait jamais dû la faire descendre ; traitons cette question comme un objet auquel toute la nation a intérêt et défendons nos droits contre un peuple voisin qui veut nous enlever une branche de notre prospérité, pour en jouir lui-même à nos dépens.
Je commencerai par vous demander, à
vous les représentants de Gand, de Bruges et d’Ostende, qu’on a voulu rendre
hostiles au canal de Bossuyt, si la question de constitutionalité que nous
avons soulevée dans la discussion sur le canal de l’Espierre n’est pas tellement
importante, tellement grande, que vous deviez oublier, les uns, pour un moment
que le canal de l’Espierre doit vous procurer quelques avantage, et les autres
que celui de Bossuyt pourrait vous enlever dans le lointain une navigation que
J’ai, dans un premier discours, traité la question constitutionnelle ; mon honorable collègue M. Doignon l’a traitée beaucoup mieux que moi ; d’autres orateurs ont encore démontré avec nous que le canal de l’Espierre ne pouvait se faire sans le consentement des chambres ; et qu’a répondu M. le ministre des travaux publics, qui est le seul de tous les orateurs qui ne partagent pas notre opinion dans la discussion du canal de l’Espierre qui ont traité cette question ? Il nous a dit, pour prouver qu’il avait le droit de concéder le canal de l’Espierre sans l’assentiment des chambres, qu’il avait déjà fait construire plusieurs routes qui communiquent avec l’étranger sans l’assentiment des chambres. De pareils arguments ne sont rien pour moi ; en effet, parce que vous auriez fait une chose que vous n’avez pas le droit de faire, perdrai-je, moi représentant de la nation, la faculté de vous dire, quand vous voulez passer pour la onzième fois à la perpétration d’un acte illicite, que la constitution et que la loi vous défendent de le passer ? Non, mille fois non, les droits constitutionnels sont au nombre de ceux qui ne se prescrivent pas.
Que vous ne pouvez pas concéder le
canal de l’Espierre sans l’assentiment des chambres, cela résulte de ce qu’il
ne vous était pas loisible de le faire sans l’intervention de
S’il en est ainsi, mes honorables
collègues du Hainaut, de Gand et d’Ostende, n’est-il pas vrai que tout le pays
a intérêt à la discussion qui s’agite à présent à la chambre ? Mais il ne
me suffit pas de vous avoir prouvé que la question intéresse à un haut point
nos libertés publiques, je vais encore prouver que le canal de Bossuyt, si la
législature le décrétait, procurerait de plus grands avantages au Hainaut,
auquel nous voulons même concéder le canal de l’Espierre, si on nous accorde
des garanties pour celui de Bossuyt ; je prouverai que oui, le Hainaut
gagnera beaucoup plus à la construction de ce dernier canal qu’à celui de
l’Espierre, et que si le canal de Bossuyt peut enlever à une époque lointaine,
aux canaux de
Pour prouver que le canal de Bossuyt
procurera de plus grands avantages au Hainaut que le canal de l’Espierre, je
dis que l’on ouvrira au Hainaut de nouveaux débouchés pour ses charbons et pour
ses chaux et autres produits, tandis que l’autre ne fera que lui donner accès à
un marché qu’il possède déjà, et que
Que dit M. le ministre des travaux publics pour que les députés du Hainaut ne soient pas frappés de l’utilité du canal de Bossuyt, pour que cette nouvelle communication ne captive pas toute leur attention ? Il diminue le marché de la haute Lys et il conduit à une consommation de trente-cinq mille tonneaux, tandis qu’il augmente considérablement celle de Roubaix.
Comment, M. le ministre, les habitants du pays que parcourt la haute Lys belge ne consomment que trente-cinq mille tonneaux de charbons, tandis qu’une ville d’une population de dix-huit mille âmes, Roubaix, en consommerait cent mille tonneaux ? Cela n’est pas admissible.
Comment, la consommation de Lille, d’une ville commerçante, industrielle ne va pas, d’après des relevés officiels, à plus de 67,600 tonneaux par an ; et vous voudriez porter celle de Roubaix à 100,000 ? C’est une erreur de chiffres.
A présent, messieurs, que je vous ai prouvé que la consommation que M. le ministre attribue à la ville de Roubaix, peut être réduite sans exagération à quarante mille tonneaux, je me permettra de dire à M. le ministre que la consommation de charbons sur le littoral et dans les dépendances du littoral de la haute Lys belge, est bien plus forte qu’il ne l’a cru, parce qu’en portant la consommation à 33,000 tonneaux, il a perdu de vue que les charbons arrivent encore à Courtray par d’autres voies que par bateaux ; qu’ils y sont transportés aussi par chariots ; et c’est ainsi qu’en 1839 6,000 chariots chargeant au moins chacun le poids de huit tonneaux sont passés par la seule ville de Courtray, sans compter ceux qui ont pris les routes qui se trouvent sur la chaussée de Courtray à Tournay avant d’arriver à Courtray ; en ajoutant aussi 33,000 tonneaux de charbon dans toutes les matières du Hainaut qui ont été transportées par axe dans les pays de la haute Lys belge, vous n’aurez pas trente cinq mille tonneaux, mais vous aurez cent cinquante mille tonneaux.
Ce chiffre est élevé sans doute, mais la consommation des charbons peut encore augmenter considérablement dans les dépendances du pays de la haute Lys belge, et mes adversaires seront obligés d’en convenir avec moi, parce qu’ils ne pourront pas nier que si Ypres et l’arrondissement de ce nom, qui comptent une population de plus de cent mille âmes, avaient des voies de communication pour recevoir leurs charbons à moindre frais, ils brûleraient du charbon au lieu de consommer du bois, quoiqu’il soit augmenté de plus de 50 p.c., leur revient encore à meilleur marché que nos houilles du couchant de Mons ; si je vous disais que, dans la plupart des maisons d’Ypres, on emploie dans les cuisines du bois au lieu de charbons, vous ne pourriez pas le croire, et je ne vous dirais cependant que la vérité.
Ajoutez à présent au chiffre déjà donné celui que vous pourrez obtenir par une consommation à faire par plus de cent mille âmes, et vous direz, j’en suis sûr, avec nous, que le canal de Bossuyt serait beaucoup plus utile au Hainaut que celui de l’Espierre, et qu’il faut le créer soit par concession, soit aux frais de l’état.
C’est un pareil canal que l’on veut sacrifier à des intérêts étrangers, c’est d’un pareil canal qu’on veut contester l’utilité publique.
Alors que nous la démontrons jusqu’à la dernière évidence, alors que la commission d’enquête a reconnu cette même utilité, si j’ai la mémoire bonne, à l’unanimité, tandis que la même commission d’enquête n’a déclaré l’utilité publique du canal de l’Espierre que par 7 voix contre 7, alors que dans cette commission d’enquête il y avait parmi les sept membres qui ont admis l’utilité du canal de l’Espierre un sujet français, qui n’avait sans doute pas le droit de se prononcer sur une question d’utilité publique. Si sept membres de la commission d’enquête ont déclaré que le canal de l’Espierre n’était pas d’utilité publique et que six seulement ont dit qu’il l’était, on a bien mauvaise grâce de contester l’utilité publique d’un canal dont toute la commission a reconnu l’utilité.
Vous aurez déjà sans doute, messieurs, fait justice de l’argument employé par l’honorable M. de Puydt pour établir que la commission d’enquête a admis l’utilité publique du canal de l’Espierre par douze voix contre sept : M. de Puydt, pour prouver que douze membres ont reconnu l’utilité du canal de l’Espierre, dit cinq membres se sont abstenus ; or, s’ils avaient été contre le canal de l’Espierre, ils se seraient prononcés, donc ils ont été pour le canal. Ce raisonnement est très logique d’après l’honorable représentant, mais que me dirait-il si je lui disais douze membres de la commission ont été contre l’utilité publique du canal de l’Espierre, parce que cinq membres se sont abstenus ; or, s’ils avaient été pour le canal de l’Espierre, ils se seraient prononcés, donc ils ont été contre ce canal.
Rentrons donc dans ce qui est raisonnable, et disons que les cinq membres qui se sont abstenus ne peuvent être comptés ni pour ni contre l’utilité publique, et s’il en est ainsi, l’honorable M. de Puydt contestera l’utilité publique d’un canal admise à l’unanimité, et il dira qu’il est hors de doute que sept membres qui ont été d’avis que le canal de l’Espierre n’était pas d’utilité publique doivent la céder à six membres qui avaient une opinion contraire.
Pour prouver que le canal de Bossuyt
peut être utile à
Le canal de Bossuyt à Courtray sera un canal qui ne demandera pas de travaux d’art, et on a prouvé dans le temps, que lorsque M. Debrock avait dit à l’ancien gouvernement que son exécution était impossible, elle n’était même pas difficile, de même que c’était à tort que le capitaine Hallewyn qui avait été chargé, après M. Debrock, de faire le plan du canal de Bossuyt à Courtray, avait fait figurer sur le plan de ce canal un tunnel à construire dans une vallée pour faire passer les bateaux au-dessus des diligences qui auraient circulé sur le pavé qui se serait trouvé sous ce tunnel ; je vous le demande, s’il est possible, quand on est de bonne foi, de faire figurer un tunnel sur le plan d’un canal qui doit traverser une vallée ?
Ce n’est donc pas le canal de
Bossuyt qui a été inventé pour empêcher l’exécution du canal de l’Espierre,
mais ce sont les difficultés de construction du canal de Bossuyt qui ont été
imaginées pour nous enlever à jamais le canal le plus utile que
L’honorable M. de Puydt dit que le perfectionnement des canaux français entre Aire et Dunkerque n’est pas possible. M. le ministre des travaux publics ne va pas si loin, il dit seulement qu’il n’est pas vraisemblable ; pour prouver que l’un et l’autre de ces orateurs peuvent se tromper dans l’opinion qu’ils ont sur les canaux français situés entre Aire et Dunkerque, je me permettrai de vous mettre sous les yeux ce que M. Dufaure, ministre secrétaire d’état au département des travaux publics en France, a dit dans le rapport qu’il a fait le 31 décembre 1838 sur la situation des travaux publics dans ce pays.
Ce ministre français a dit : « On distingue en France sept bassins principaux dans chacun desquels le fleuve dont il porte le nom forme une ligne magistrale, une grande artère sur laquelle viennent s’embrancher les divers affluents.
« Le bassin de l’Escaut est le
moins étendu ; mais sa population moyenne est de 2,363 individus par lieue
carrée, c’est-à-dire qu’elle est dans le rapport de 5 à 2 avec la population
moyenne de
Ce bassin se compose entre autres canaux et rivières :
6° De la navigation de
7° Du canal de
9° Du canal de Neuffossé ;
10° De la navigation de l’Aa, entre le canal de Neuffossé et celui de Bourbourg ;
11° Du canal de Bourbourg depuis l’Aa jusqu’à Dunkerque.
L’Aa doit être pendant l’hiver un
bassin de desséchement ; pendant l’été un réservoir d’eau pour l’arrosage
des wateringues ; à toutes les époques de l’année, une rivière navigable
pour atteindre ce triple but, l’Aa dont la surface s’étend maintenant suivant
un même niveau depuis Saint-Omer jusqu’à Gravelines, sera partagée en deux
biefs ; une écluse composée de deux sas inégaux, placés à l’extrémité du
Haut Pont, à Saint-Omer, soutiendra les eaux à une hauteur de
Le niveau du bief inférieur, depuis le faubourg du haut Pont à Saint-Omer, jusqu’à Gravelines, a été déterminé par des expériences de manière à préserver particulièrement à l’époque des crues, les wateringues des inondations.
Le tirant d’eau nécessaire à la navigation est obtenu au moyen de curages et d’approfondissements, exécutés depuis la nouvelle écluse jusqu’çà l’embouchure du canal de Bourbourg.
Le montant des adjudications ou des évaluations s’élève à 725,258 francs 31 centimes.
Les crédits ouverts en 1838 pour la navigation de l’Aa se montent à 550,000 francs.
Après la citation de pareils actes,
il me paraît que ce serait se refuser à l’évidence que de ne pas croire au
perfectionnement des canaux français ; aussi, j’ose croire que vous ne
serez pas seulement convaincus, comme nous, que ces canaux sont possibles, mais
que vous aurez aussi comme nous la certitude qu’ils s’effectueront pour
approvisionner une partie de
Vous devez encore comprendre,
messieurs, que le canal de Bergues à Saint-Venant ou à Hazebrouck par la vallée
de
Ce que je viens de dire à présent, prouve
que l’honorable comte de Muelenaere ne s’est pas mis en contradiction avec
lui-même, comme l’a dit l’honorable ministre des travaux publics, lorsque, dans
une partie de son discours, il a dit que le charbon anglais ne pouvait arriver
dans l’intérieur du département du Nord, et que dans une autre il a avancé que
rien n’était plus facile que d’améliorer les lignes de navigation entre Lille
et la mer pour faire recevoir le charbon anglais dans ce même centre du
département du Nord. Si l’honorable comte s’était servi des phrases que M. le
ministre des travaux publics vient de lui attribuer, il est évident qu’il se
serait mis en contradiction avec lui-même ; mais comme M. de Muelenaere a
exprimé son idée tout autrement que M. le ministre des travaux publics ne l’a
comprise, il ne s’est pas mis en contradiction avec lui-même ; en effet,
M. de Muelenaere a répondu à M. le ministre des travaux publics qui veut le
canal de l’Espierre pour éviter la concurrence des charbons anglais sur le
marché du centre du département du Nord, que dans l’état actuel des choses,
cette concurrence n’était pas à redouter, parce qu’aujourd’hui, il ne peut
arriver qu’avec des frais tels, dans le département du Nord, qu’on peut dire
avec raison que l’accès lui en est interdit, tandis qu’une fois qu’on aura pu,
à l’aide du canal de l’Espierre, améliorer la navigation intérieure de
Telle a été l’idée de M. de Muelenaere, et c’est ainsi que je l’ai comprise, sans doute avec toute la chambre ; qu’y a-t-il à présent de contradictoire dans une pareille pensée ? pour moi, je n’y vois rien que de très rationnel.
Voilà donc ce canal de l’Espierre,
qui devait assurer à
Si le canal de l’Espierre ne procure pas aux houillères du couchant de Mons une voie indépendante pour arriver à ce marché, que leur donnera-t-il ? M. le ministre des travaux publics convient lui-même que ce serait méconnaître toutes les idées de l’industrie, que de supposer que nos rivaux resteront en France dans l’inaction, quand nous faisons des efforts pour arriver plus vite et à moindres frais au marché commun ; c’est parce que nos rivaux ne resteront pas dans l’inactivité, attendu qu’ils améliorent chaque jour leurs canaux et qu’ils font des routes de fer pour abréger les distances qui les séparent de quatre lieues de plus que nous du marché commun, que nous avons dit que le canal de l’Espierre ne procurera aucun avantage aux houillères du couchant de Mons, qui par la concurrence qu’on leur fera en France ne pourront jamais fournir plus de la moitié du combustible dont on a besoin aujourd’hui dans ce pays, et que nous osons assurer que cette belle voie de l’Espierre, si elle devait l’emporter sur les canaux français ne jouirait pas longtemps de cette supériorité, parce que, malgré son indépendance, elle n’est pas tellement indépendante, qu’elle seraient à l’abri d’un droit de douane qui la mettrait à l’instant sur la même ligne ou en dessous des houillères françaises.
Mais, dira-t-on, si l’Espierre n’est
pas utile à
En démontrant que les canaux français peuvent être améliorés, qu’on peut en creuser de nouveaux, j’ai prouvé que l’Espierre, avec les garanties stipulées dans le traité du 27 août 1839, peut nous enlever notre navigation sur Dunkerque et qu’il peut encore enlever pour l’avenir au canal de Bossuyt cette même navigation sur Dunkerque et même l’approvisionnement de la haute Lys belge.
Je n’ai pas encore une fois en ceci une opinion conforme à celle de M. le ministre des travaux publics, qui prétend que les garanties stipulées dans le traité du 27 août 1839, entre le Roi des Français et le Roi des Belges, sont suffisantes pour assurer la navigation qui devait se faire par le canal de Bossuyt, et voici pourquoi : c'est que la consignation doit s’effectuer au préalable, quand même le bateau déclarerait ne pas aller à Dunkerque, et que le batelier doit prouver qu’il n’y a pas été pour recevoir la somme consignée, et c’est enfin parce que, lorsqu’il y a doute sur l’exactitude des pièces qu’il présente d’après l’article 4, on est autorisé à surseoir à la restitution de la consignation.
Je réponds à M. le ministre que cette garantie est bien faible ; qu’elle n’en est même pas une ; en effet de deux choses l’une, ou les employés français donneront ou ne donneront pas de certificat pour constater que les bateaux n’ont pas été à Dunkerque ; s’ils en remettent, ils ne viendront pas se dédire, et s’ils ne viennent pas se dédire, quel sera le tribunal qui jugera de la validité des certificats, et s’ils n’en remettent pas, alors il n’y a plus aucune difficulté, alors le concessionnaire du canal de Bossuyt aura vingt-cinq centimes, que le batelier qui emploiera l’Espierre sera toujours heureux de pouvoir lui payer pour éviter un droit de 3 francs 25 centimes, plus qu’il aurait à acquitter par tonneau pour entrer par le canal de Bossuyt en France.
Ensuite que peut-on attendre d’une
administration de douane étrangère à
M. le ministre des travaux publics
s’est exprimé, en parlant des garanties du canal de l’Espierre, comme si tous
les bateaux entrant à Dunkerque étaient tenus de payer 25 centimes au profit du
concessionnaire du canal de Bossuyt, et en cela il se trompe, puisque l’article
2 de ce traité ne stipule ce droit que dans le cas où les bateaux déchargent
leurs cargaisons sur des parties du territoire français situés au-delà de
Watten ou de Cassel, dans l’hypothèse du canal d’Hazebrouck à Bergues ;
or, j’ai déjà dit à la chambre que si le canal de Hazebrouck à Bergues ne se
fait pas, les bateliers ne seront pas tenus de faire la consignation demandée,
qu’ils ne devront pas faire également cette consignation si
M. le ministre pré »tend
ensuite que ce traité du 27 août assure à
Je dois ajouter encore que le traité
ne renferme aucune garantie pour
M. le ministre ne nous a pas dit non
plus pourquoi, puisque les demandeurs en concession du canal de l’Espierre
prétendaient qu’ils ne voulaient qu’un canal de débouché pour le centre du
département du Nord et nullement pour
M. le ministre n’a pas encore appris à la chambre ce qui l’avait empêché de lui soumettre l’avis du conseil des ponts et chaussées, qui avait voulu comme moi, par le canal de Bossuyt, les garanties dont je viens de parler.
Que M. le ministre veuille bien nous
dire aussi s’il ne pense pas comme nous que, pour conserver la navigation belge
sur Dunkerque par les canaux flamands,
En admettant donc pour un moment que
le consommateur du centre du département du Nord nous menaçait d’abandonner nos
houillères, nous ne lui livrons le canal de l’Espierre, alors encore je
soutiens que le gouvernement a eu tort de le lui concéder avec les stipulations
contenues au traité ; mais est-il bien vrai que le consommateur du centre
du département du Nord ait pu nous faire cette menace, comme nous l’a dit M. le
ministre des travaux publics. Ce haut fonctionnaire pose en principe qu’il faut
le plus possible abréger le chemin entre la production et la
consommation ; il fixe le lieu de la production en Belgique et le lieu de
la consommation à l’étranger ; mais nous lui avons montré que le canal de
l’Espierre ne peut pas faire concurrence à
Le consommateur français de Lille et
de Roubaix n’a pas pu tenir ce langage à son gouvernement, parce que celui-ci
aurait répondu comme je l’ai déjà dit, qu’il ne pouvait baisser les droits
d’entrée sur les charbons anglais sans perdre les houillères de
Le ministre dit encore que nous
dépossédons la navigation étrangère, et les enquêtes faites en France prouvent
qu’au moyen du canal de l’Espierre, ce pays aura de vastes communications
jusqu’à la mer du Nord, et qu’il nous enlèvera notre navigation intérieure
jusqu’à cette même mer du nord. Mais à quoi bon, dit M. le ministre des travaux
publics, votre navigation vers Dunkerque que vous n’avez livré en 1838 que
trente-six mille kilogrammes de houille sur le littoral de cette contrée ;
je réponds à M. le ministre que depuis plusieurs années nous avons perdu quatre
fois l’approvisionnement de Dunkerque pour la reprendre autant de fois, et que
si nous le perdons une fois, nous pouvons le retrouver encore si par des voies
de communications on ne nous l’enlève à tout jamais, comme on le fera en
procurant à
L’Angleterre, aujourd’hui alliée à
M. le ministre a dit aussi que les
2,764 bateaux expédiés en 1838 de Mons au département du Nord, prendront le
canal de l’Espierre au lieu de prendre les canaux français de
Pour établir que la concession du
canal de l’Espierre doit être utile à
Nous avons dit à M. le ministre
qu’en concédant le canal de l’Espierre comme il l’avait fait, il avait sacrifié
la navigation de
Quand M. le ministre nous dit que
les charbons nous parviendront à plus bas prix que par les canaux flamands, il
perd de vue, lui, qu’il sacrifie immédiatement une très grande partie de la
navigation de Gand, de Bruges, d’Ostende, tandis que si le canal de Bossuyt se
faisait, il ne prendrait cette navigation que dans bien des années et seulement
si
Croyez-vous à présent que si ce
second marché n’était pas productif pour
Il vaudrait, sans aucun doute, mieux
pour
Vous voyez, donc, M. le ministre,
que si le consommateur ne peut pas se plaindre directement d’avoir ses charbons
à meilleur compte par
M. le ministre des travaux publics a encore dit à la chambre, pour trouver des adversaires du canal de Bossuyt, que ce canal n’avait pas seulement un but immédiat, celui d’amener le charbon de Mons plus économiquement sur la haute Lys belge, mais qu’il avait encore un autre but, qui n’est pas immédiat, c’est la jonction directe du Hainaut à la mer du Nord, et que s’il voulait donner l’éveil sur ce projet, que s’il voulait à son tour faire un appel aux passions populaires, il dénoncerait ce projet aux trois villes influentes des Flandres, à Gand, à Bruges et à Ostende ; qu’il leur dirait qu’on se réserve de créer une ligne navigable parallèle à la ligne actuelle, qu’il soulèverait contre Ypres et Courtray le reste des deux Flandres.
Nous répondrons à M. le ministre et
uniquement dans l’intention de faire comprendre aux députés d’une partie des
Flandres qu’on voudrait susciter contre l’autre, pour enlever plus facilement
aux uns et aux autres plusieurs branches de leurs industries et de leur
commerce, que si nous avons dit que le canal de Bossuyt étai le premier chaînon
de cette vaste communication qui pourrait un jour, en cas de besoin, joindre le
Hainaut à la mer du Nord, nous n’avons pas avancé que le canal de Bossuyt
allait immédiatement et avant que le besoin s’en fît sentir, unir le Hainaut à
la mer du Nord ; notre intention a seulement été de montrer à la chambre
que si un jour
Aussi nous espérons que M. le
ministre, qui n’offre aux Gantois qu’une dépossession immédiate de toute la
navigation de
Je crois à présent, mes honorables collègues, avoir démontré par ces deux discours que j’ai prononcés dans cette enceinte pendant la discussion sur le canal de l’Espierre, que ce canal ne doit procurer aucun avantage à l’exportation des produits de notre sol, que ce canal tel qu’il a été concédé doit empêcher la construction du canal de Bossuyt éminemment nationale et utile au pays, et enfin que la constitution belge s’opposait à ce qu’il fût concédé sans l’assentiment des chambres, qu’il me soit permis à présent de m’emparer de ce que l’honorable comte de Muelenaere a dit à la chambre pour vous démontrer encore que, si l’Espierre devait obtenir, aux dépens de la navigation française, cette immense navigation que M. le ministre des travaux publics espère lui voir porter, que M. le ministre a eu bien grandement tort d’abandonner à d’autres concessionnaires un revenu considérable de près de cinq mille francs. Pour prouver la perte que le pays fait par la concession du canal de l’Espierre, je ne puis mieux faire que de vous donner lecture d’un passage de la brochure que les rédacteurs des annales du Hainaut nous ont adressé. Ce passage est conçu comme suit :
« M. de Muelenaere a dit que le ministère aurait dû ne faire qu’une seule et même concession des deux canaux de l’Espierre et de Bossuyt, ne pas adjuger l’un sans l’autre, et il assurait que leurs produits cumulés donneraient un beau dividende au concessionnaire. Il reprochait au gouvernement d’avoir sacrifié l’intérêt du trésor, en même temps que celui de l’industrie du pays, en concédant le canal de l’Espierre isolément, puisque, de l’aveu même des partisans de ce canal, il doit donner des produits immenses.
« On le voir, c’est en se plaçant sur le même terrain, que M. de Muelenaere est arrivé à cette conclusion. Que reste-t-il donc à faire ?
« Assurément notre conviction
n’est pas changée, et la complète inutilité du canal de l’Espierre, pour
desservir les marchés du département du Nord, ressort, pour nous, plus évidente
encore, de la nouvelle discussion qui s’est établie, en même temps qu’il nous
reste plus clairement démontré que ce canal est un obstacle infranchissable à
l’ouverture du canal de Bossuyt à Courtray, dont
« Mais nous tromperions-nous, et serait-ce bien le ministre des travaux publics qui est dans la vérité ? Alors il ne saurait échapper à cette accablante conséquence.
« Le canal de l’Espierre enlèvera, dit le ministre, aux canaux français tout l’approvisionnement des marchés du centre du département du nord, qu’il porte à 2,764 bateaux de 145 tonneaux chacun, soit ensemble : 400,780 tonneaux.
« Elle enlèvera l’approvisionnement de tout le marché de la haute Lys, et quoique ce marché, lorsqu’il y aura plus de facilité de l’approvisionner, doive augmenter considérablement, nous ne prenons que le chiffre que M. le ministre accuse pour les transports d’Haerlebecke à Armentières, ci : 35,000 tonneaux.
« Ensemble : 435,780 tonneaux.
« D’après l’adjudication de la concession on paierait 75 centimes 20/100 par tonneau à charge et le quart à vide ; dont, on peut compter, y compris le quart pour retour à vide, 544,725 tonneaux à fr. 0,75 20, ce qui donnerait un produit annuel de 409,633 francs 20 centimes. Or, ce canal, d’après l’évaluation du projet, doit coûter 1,100,000 francs, et l’on assure généralement qu’il ne coûtera pas 900,000 francs, supposons un million : le concessionnaire retirerait donc annuellement 41 p.c. du capital dépensé.
« Et le ministre des travaux publics, convaincu, comme il dit l’être, de l’importance du canal de l’Espierre, convaincu qu’il rapportera pendant 90 ans, 41 p.c. du capital dépensé, produit bien plus que suffisant pour payer les deux canaux de Bossuyt à Courtray et de l’Espierre, approuve l’adjudication de ce dernier seul, et fait sciemment un pareil cadeau à une compagnie, au lieu d’en profiter pour assurer l’exécution du canal de Bossuyt à Courtray ; cela est pour nous incompréhensible.
« Ainsi donc, de deux choses
l’une, ou nous avons dit la vérité, le canal de l’Espierre est de toute
inutilité, pour l’approvisionnement des marchés du département du Nord, et, par
son inutilité même, il ne sera d’aucun produit ; dans ce cas, il ne faut
pas le faire, puisque en venant enlever les marchés de
« Dans la première comme dans la seconde hypothèse, il y a donc un motif également puissant pour que la législature belge évoque l’affaire et annule tout ce qui a été fait jusqu’à présent. »
Je le demanderai à présent à tous mes collègues, si tout le pays est ou non intéressé à la perte d’un revenu annuel de plus de cinq cent mille francs, revenu qu’on aurait encore pu augmenter en exigeant du concessionnaire du canal de Roubaix, en compensation de l’avantage qu’allait lui procurer l’Espierre, qui devait lui donner aussi à lui un intérêt de 41 p.c. de capitaux improductifs depuis tant d’années.
Ce n’est donc pas sans raison que
nous mettons de l’importance à la décision de la question que nous
discutons ; ce n’est donc pas sans raison encore que des députations, des
pétitions ont réclamé contre la construction du canal de l’Espierre ; mais
M. le ministre des travaux publics a perdu ces démarches de vue, puisqu’il
révoque en doute que les Flandres réclament avec instance contre le canal de
l’Espierre, parce qu’il va leur enlever leur belle navigation par les canaux
flamands vers Dunkerque et leur navigation sur Lille et Roubaix par
Si les plaintes de l’arrondissement que je représente n’étaient pas fondées, si je ne voyais que les deux Flandres sont sur le point de faire des pertes immenses par le canal de l’Espierre, ma voix ne se serait pas fait entendre dans cette enceinte pour me placer sur la première ligne des adversaires du canal de l’Espierre ; j’ai rempli un devoir en prenant part à cette discussion, et si je suis un homme essentiellement gouvernemental hors de la chambre, je n’oublierai jamais qu’en homme d’honneur, j’ai encore une autre obligation à remplir dans ce lieu, celle de mandataire de la nation, et celle-là est la plus sacrée de toutes, je crois m’en être acquittée. Que la chambre juge, j’ai fait mon devoir. (A demain ! à demain !)
- La séance est levée à 5 heures.