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Chambre
des représentants de Belgique
Séance du samedi 28 décembre 1839
Sommaire
1. Pièces adressées à la chambre (notamment pétition du général van Koekelberg pour obtenir une pension (de Brouckere))
2. Décès de Nicolas Lesoinne
3. Projet de loi portant le budget des travaux publics pour l’exercice 1840. Discussion générale. Canal de l’Espierre : utilité, préjudice flamand (notamment pour le canal de Bossuyt), constitutionnalité de la concession, etc. (de Mérode, de Muelenaere, Nothomb), motion d’ordre (de Brouckere, de Mérode, Desmet, Rodenbach, Eloy de Burdinne, Nothomb, Van Hoobrouck de Fiennes, Nothomb, Eloy de Burdinne, Dumortier)
(Moniteur belge n°364 du 30 décembre 1839)
(Présidence de M. Fallon)
M. Lejeune procède à l’appel nominal à 1 heure.
M. Mast de Vries donne lecture du procès-verbal de la dernière séance, dont la rédaction est adoptée.
M. Lejeune donne communication des pièces adressées à la chambre :
« Le sieur François-Dominique Maertens,
lieutenant au 14e régiment de réserve, né en Zélande, demande la
naturalisation. »
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
_____________________
« Le conseil communal de Furnes adresse des
observations sur la concession du canal de l’Espierre. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget
des travaux publics.
_____________________
« Le sieur Jaspers, à Eeckeren, demande qu’il
soit porté au budget des travaux publics une somme nécessaire au paiement des
expropriations faites pour le réendiguement du polder de Lillo. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget
des travaux publics.
____________________
« Le conseil communal de Lierereux (Liége)
réclame contre le projet de réunir cette commune au canton de
Vieil-Salm. »
- Dépôt au bureau des renseignements.
___________________
« Le général de brigade van Koekelberg,
aide-de-camp honoraire du Roi, sollicite l’intervention de la chambre à l’effet
d’obtenir soit une pension correspondant à son grade, soit une indemnité pour
les pertes que la révolution lui a fait éprouver. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
__________________
« Un grand nombre de filateurs de coton des
arrondissements de Mons et de Nivelles sollicitent de la législature de mesures
de protection, afin de leur assurer la vente dans l’intérieur du pays, par
compensation aux différents débouchés que leur industrie a perdus en
1830. »
M. le président – Je proposerai le renvoi à la commission avec invitation de
faire un prompt rapport.
M.
Milcamps – J’allais faire la même
proposition que M. le président ; je me bornerai donc à l’appuyer de toutes
mes forces.
- La proposition est adoptée.
___________________
« Le sieur Alexandre, notaire, adresse des
observations sur le projet de loi relatif aux notaires de Neufchâteau. »
« Même pétition du sieur Henry, notaire à
Yzel. »
- Dépôt sur le bureau de la chambre pendant la
discussion de la proposition concernant les notaires de Neufchâteau.
____________________
« Les commis-greffiers du tribunal de première
instance de Mons adressent des observations sur le projet de loi relatif à
l’augmentation des traitements judiciaires. »
- Renvoi à la commission spéciale.
___________________
« Le conseil communal de Marchiennes-au-Pont
demande qu’il soit alloué au budget des travaux publics un subside, pour
réparer les grandes routes de Marchiennes. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion des
travaux publics.
____________________
« Le sieur Metton-Leduc, professeur à Ixelles,
demande qu’il soi alloué des fonds au département de la marine, pour créer un
service régulier des paquebots de l’état. »
- Renvoi à la section centrale qui a examiné le budget
de la marine, comme commission spéciale.
_____________________
M. de Brouckere – On vient de vous faire connaître l’objet d’une pétition
adressée à la chambre par M. le général van Koekelberg. Sans vouloir préjuger
la valeur de cette pétition et jusqu’à quel point la chambre doit y avoir
égard, je pense que la qualité du signataire et les services qu’il a rendus au
pays, dans les premiers temps de la révolution, méritent quelque considération ;
je demanderai, en conséquence, que la chambre veuille bien inviter la
commission des pétitions à faire un prompt rapport sur ce mémoire.
Il y a une raison spéciale pour que ce rapport soit
promptement fait ; c’est qu’à la pétition sont jointes des pièces
importantes dont le général doit désirer n’être pas longtemps dessaisi ;
un autre motif, c’est que cette pétition peut faire naître des observations sur
la discussion du budget du ministère de la guerre ; aussi je demanderai
que la commission veuille bien présenter son rapport avant la discussion du
budget du ministère de la guerre.
- La proposition de M. de Brouckere est adoptée.
____________________
M.
Pirmez demande le renvoi de la pétition de Marchiennes-au-Pont à la
section centrale du budget des travaux publics, pour procéder à son examen
promptement. Il fait observer qu’il y a entre la commune et le gouvernement un
contrat.
La proposition de M. Pirmez est adoptée. La pétition
reste en outre déposée sur le bureau pendant la discussion du budget des
travaux publics.
____________________
M. Jadot, informe la chambre qu’une affaire urgente
l’empêche d’assister à la séance de ce jour.
Pris pour notification.
M. Adolphe Lesoinne, fils, écrit à la chambre pour lui
faire part de la mort de M. Lesoinne, son père, décédé le 26 de ce mois.
- Pris pour notification.
M. le président – La parole est à M. de Mérode.
Plusieurs membres – M. le ministre des travaux publics n’est pas présent ;
on ne peut commencer !
- M. le président, sur cette observation, suspend la
séance pour attendre l’arrivée de M. le ministre des travaux publics, laquelle
a lieu presque immédiatement après la suspension.
M.
F. de Mérode – Messieurs, si jamais
question fut instruite avec un extrême soin, c’est assurément la question dont
on nous occupe en ce moment ; si M. le ministre des travaux publics a
commis une erreur en autorisant l’exécution du canal de l’Escaut vers Roubaix,
ce n’est certes pas faute d’un long et mûr examen. En cas de décision malencontreusement
prise, il y a eu de sa part faute bien grave de sens et d’appréciation des
faits ; car il s’est livré à des recherchez bien scrupuleuses sur tout ce
qui pouvait motiver son jugement. Rien, en effet, n’a été épargné pour comparer
la valeur des allégations contradictoires, délais, informations de toute
nature, enquêtes, commissions. Se fût-il agi de la fortune du royaume entier,
on n’eût point pris plus de précautions, cherché plus de lumières. Mais, en
réalité messieurs, l’objet de tant de sollicitudes n’a point l’importance
qu’ont voulu lui attribuer les champions
de quelques intérêts locaux ou privés. La prospérité de l’agriculture de
D’autre part, le canal de l’Espierre ne sera point un
Pactole pour le Hainaut, mais il fournira aux exploitations charbonnières de
cette province de notables facilités pour l’exportation de leurs produits.
Telle est la vérité simple, dégagée du cortège de toutes les figures ou
fantômes qu’on lui adjoint, si mal à propos ; de plus, comme il est
vivement sollicité par nos voisins du département du Nord, ce canal contribuera
à lier les intérêts belges aux intérêts de
Le canal de l’Espierre est demandé par le commerce du
Hainaut pour le débit d’une marchandise encombrante, qui a un besoin de voies
d’eau multiples et courtes. Appartient-il au ministre des travaux publics
d’adopter, envers l’industrie la plus importante d’une province belge, un
système d’empêchement, véritable oppression des uns au bénéfice des autres, en
admettant toutefois un prétendu profit. On oblige le charbon du Hainaut à
circuler à travers les Flandres pour atteindre Dunkerque. Cela ne suffit-il
pas ? Faut-il encore l’astreindre à naviguer exclusivement sur des canaux
français ou à subir de longs détours pour arriver à Roubaix et lieux
circonvoisins ?
Je concevrais peut-être l’inertie paralysante du
gouvernement, si le commerce du Hainaut demandait au trésor public des frais
coûteux d’exécution ; loin de là il ne sollicite aucun subside, il s’agit
simplement de laisser faire, de ne pas empêcher une voie directe dont la nature
même facilite la création.
L’on voudrait donc que le ministère des travaux
publics devînt le ministère de l’empêchement public de travailler gratuitement.
Mieux vaudrait alors le supprimer, car il prodigue des millions pour les
chemins de fer qui grèvent notre avenir financier de dettes considérables,
tuent la circulation sur un grand nombre de routes préexistantes, et ruinent
une foule de personnes avec l’emploi d’une partie de leurs propres deniers
versés dans les caisses de l’état qui paie les chemins de fer.
Plût à Dieu que la généralité des projets de routes et
canaux fussent aussi économiquement réalisables que le canal de
l’Espierre ; nous aurions bientôt celui de Zelzaete dont l’ajournement est
très regrettable à mes yeux, malgré les millions qu’il devait coûter au
pays ; nous aurions le canal du Luxembourg, qui féconderait une contrée,
pauvre par la nature de son sol, il est vrai, mais qui peut gagner beaucoup si
on lui procure des moyens économiques d’importation et d’exportation.
Messieurs, bien qu’elle fût composée de onze membres
appartenant aux Flandres et de sept seulement étrangers à ces provinces, la
majorité de la commission que j’ai eu l’honneur de présider à Courtray a été
favorable au projet du canal de l’Espierre ; en effet, sur la question de
savoir si une nouvelle voie destinée au transport des produits pondéreux du
Hainaut est d’utilité publique, sept voix se sont prononcées affirmativement,
sept contre, et cinq se sont abstenues, seulement, remarquez-le bien,
« parce qu’il n’est pas prouvé à leurs yeux que le canal de l’Espierre
n’aura pas de conséquences funestes pour l’industrie gantoise en faveur de
l’industrie française. » L’abstention ne se motivait ni sur le préjudice
que le canal de l’Espierre porterait à la navigation des Flandres, ni sur l’incompatibilité
de l’existence de ce canal avec celui de Bossuyt à Courtray, ni même sur une
conviction que l’industrie gantoise serait réellement lésée par le transport
plus facile des charbons du Hainaut aux manufactures de Lille et environs, mais
sur un doute que cette lésion fût possible.
Dans le doute abstiens-toi, c’est un bon principe de
casuiste, c’est aussi un excellent principe d’égoïsme local, applicable à
toutes les opérations qui ne servent que l’accroissement du bien d’autrui.
Quant au ministre, qui ne doutait pas que la création gratuite du canal de
Roubaix ne fût favorable aux exploitations charbonnières du Hainaut, placé
entre une vague hypothèse et une certitude, il devait sortir du système
d’empêchement et marcher enfin, non pas vers le système agissant, on ne lui
demandait pas sa coopération, mais vers le système du « laissez
faire ». C’est ce qu’il a jugé opportun, d’accord avec tout le conseil des
ministres et d’accord avec le bon sens. Aussi, messieurs, s’étonnera-t-on plus
tard, j’en suis persuadé, de l’opposition qui s’élève aujourd’hui contre une
voie de communication directe, établie sans recours au trésor public, quand
nous en construisons beaucoup qui lui coûtent si cher. A l’égard de la question
constitutionnelle, elle a été suffisamment résolue par la réponse de M. le
ministre des travaux publics. Je sais, d’ailleurs, qu’en procédure, les
mauvaises causes se rattachent souvent aux moyens de nullité, grâce auxquels la
forme emporte le fond.
C’est pourquoi j’éprouve, pour ce genre d’argumentation,
peu d’attrait, déjà le pays souffre trop de tous les détails, de tous les
obstacles qu’oppose à l’expédition des affaires, l’accroissement que l’on tend
sans cesse à donner aux attributions de chambre ; elle ne suffit pas à ses
fonctions législatives, et on la pousse constamment à s’immiscer dans
l’administration ; alors toutes les prétentions de clocher se donnent ici
pleine carrière ; les projets de loi les plus essentiels, proposés par le
gouvernement ou par des membres de l’assemblée, demeurent au greffe, et la
session parlementaire se passe en discussions étrangères aux véritables travaux
dont nous avons à nous occuper ; interrompus encore par des vacances
générales qu’il est difficile de concilier avec le principe d’indemnité mensuelle
inscrit dans la constitution.
J’ose croire, messieurs, que ces vacances dont la
légalité est au moins équivoque, ne seront prises qu’après le vote du budget
des travaux publics, instamment et à bon droit sollicité par un ministre plein
de zèle et de savoir, et qui ne ménage ni son temps ni ses peines pour bien
servir le pays.
M. de Muelenaere – Cette discussion est d’une haute importance pour le
gouvernement et pour le pays. La conduite du ministère des travaux publics
relative aux canaux de l’Espierre et de Bossuyt, a été, en dehors de cette
enceinte, l’objet de virulentes attaques. D’un autre côté, une partie du pays a
conçu de vives inquiétudes ; la source de ces inquiétudes est d’ailleurs
d’autant plus légitime et respectable, qu’elles se rattachent à des droits
acquis par une possession, en quelque sorte, immémoriale. La discussion
actuelle fournira au ministère un moyen légal et constitutionnel de
s’expliquer, de justifier sa conduite et de dissiper ces inquiétudes, s’il parvient
à prouver qu’elles sont mal fondées, ou de revenir sur ses pas, si réellement,
comme nous en sommes convaincus, il s’est engagé dans une mauvaise voie. Mais,
pour atteindre ce but, nos débats doivent demeurer graves et calmes, dégagés de
toute personnalité. Par position et par caractère homme gouvernemental, je
regrette sincèrement, dans cette occurrence d’avoir à combattre le pouvoir et
d’anciens amis politiques. Mais j’obéis à une profonde conviction, je remplis
un devoir sacré.
M. le ministre des travaux publics vous a présenté
l’opinion des partisans du canal de Bossuyt comme absolument exclusive de la
construction du canal de l’Espierre. Pour ma part, je proteste contre cette
interprétation ! Dans le système suivi par M. le ministre des travaux
publics, le canal de l’Espierre, en fait, exclut le canal de Bossuyt ;
cela est évident. Aussi, est-ce le reproche grave que nous adressons au
gouvernement.
Dans mon système, je n’exclus aucun des deux
canaux ; l’un au contraire aide à la construction de l’autre, et tous deux
peuvent se réaliser.
Mais avant d’aborder cette question, je vous prie de
vouloir bien me permettre de me poser, pour quelques instants, sur le même
terrain que M. le ministre des travaux publics, et de vous exposer ma pensée sur
l’utilité respective pour
La jonction de l’Escaut à
L’ancienne administration de Flandre, à une époque où
les provinces n’étaient, pour ainsi dire, unies entre elles par aucun lien
avait déjà conçu ce projet ; le malheur seul des temps en empêcha
l’exécution.
Le canal de Bossuyt à Courtray forme le premier
chaînon de ce grand et beau travail. C’est là, dans l’état actuel de la
question, le seul objet à l’ordre du jour ; des observations générales sur
l’ensemble du projet pourraient vous paraître intempestives.
Le but de ce canal est d’opérer une jonction de
l’Escaut à
Depuis le village de Bossuyt, lieu de débouché de
l’Escaut et du canal projeté, d’après les voies existantes, la distance à
parcourir en descente, jusqu’à Gand, est de
Le canal de Bossuyt à Courtray remplace ce parcours
long, difficile et intermittent par une navigation continue de
Ainsi, dans l’état actuel de nos voies navigables, la
distance à parcourir pour arriver à Courtray est de 142,000 mètres ; la
navigation est intermittente et le batelier a besoin de 20 à 25 jours.
Dans l’hypothèse de la construction du canal de
Bossuyt, la distance n’est plus que de 15,000 mètres ; la navigation est
continue, et il ne faut au batelier qu’un seul jour au plus.
Il est vrai que les frais de construction du canal de
Bossuyt s’élèvent à des sommes considérables.
Mais, d’après le péage proposé par le demandeur en
concession lui-même et de l’aveu de M. le ministre des travaux publics (page 15
de sa première publication), le batelier gagnerait, indépendamment de
l’économie du temps, qui serait ici considérable, le montant des frais de
conduite de Bossuyt à Gand, ainsi que celui des droits imposés dans l’état
actuel des choses, à la navigation des deux rivières.
« Les canaux de l’Espierre et de Roubaix, ajoute
M. le ministre des travaux publics, comme ligne de jonction de l’Escaut à
L’utilité du canal de Bossuyt n’est donc contestée par
personne, pas même par nos adversaires, tant elle est évidence pour tout le
monde. Les avantages que ce canal offre à la navigation doivent produire une
forte diminution sur le fret, et, par une conséquence naturelle, une baisse sur
le prix du combustible pour le consommateur belge. Les charbons, la chaux, les
ardoises, les fers, les pierres, etc. obtiennent par là un nouveau débouché. Ce
débouché est sûr et durable ; il n’est pas subordonné au bon vouloir d’une
puissance voisine.
Peut-on espérer les mêmes avantages pour
Consultons l’exposé ministériel publié en 1838 ;
nous y lisons « Comme première section d’une ligne de jonction de l’Escaut
à
Indépendamment de ces considérations vraiment
péremptoires, on a fait valoir bien d’autres raisons contre ce canal. Mais
examinons plutôt les motifs qu’on fait militer pour son établissement. Ces
motifs je les trouve dans une pétition qui vous a été adressée le 2 décembre
dernier et parmi les signataires de laquelle figurent les demandeurs en
concession. Afin qu’on ne m’accuse pas de vouloir affaiblir ces motifs,
permettez-moi de vos citer textuellement les paroles des pétitions :
« Il (le canal de l’Espierre) est indispensable pour que nous puissions
approvisionner de nos houilles ces nombreuses fabriques de Tourcoing, de Lannoy
et de Roubaix, à l’exclusion des charbonnages du département du Nord et des
charbons anglais ; des intérêts essentiellement nationaux en réclament la
construction, quand un intérêt privé, un intérêt français peut seul en
souffrir.
Le but avoué du canal de l’Espierre est
d’approvisionner de nos houilles les nombreuses fabriques de Tourcoing, de
Roubaix et de Lannoy, à l’exclusion des charbonnages du département du Nord et
des charbons anglais.
Le charbon français jouit d’un droit protecteur ;
dans certaines zones ce droit est modéré ; mais partout il est fixé dans
l’intérêt combiné du producteur et du consommateur.
Si le canal de l’Espierre rend la navigation moins
longue et plus facile et qu’il amène ainsi en France le charbon belge à
meilleur compte,
Quant à la concurrence du charbon anglais, que vous
paraissez redouter pour l’approvisionnement des fabriques de Roubaix, Lannoy et
Tourcoing, cette crainte est entièrement chimérique. Dans l’état actuel des
choses, cette concurrence est physiquement impossible ; on l’a déjà dit à
satiété, c’est une supposition ridicule. Les houilles anglaises ne viennent pas
dans cette contrée, elle ne peuvent y venir. Les frais de transbordement et la
longue et dispendieuse navigation que ces houilles, après avoir traversé le
détroit du Pas-de-Calais, auraient à faire dans l’intérieur du territoire
français y mettent un obstacle insurmontable.
Où est donc cette intérêt essentiellement nationale
qui réclame d’une manière si impérieuse le canal de l’Espierre ? Je le
cherche en vain ; je ne le trouve nulle part.
Un intérêt français, disent les pétitionnaires, pourra
seul en souffrir.
Un intérêt français ! Eh, grand Dieu !
comment peut-on proférer une pareille absurdité. C’est une injure faite à votre
bon sens et à votre sagacité.
Quoi ! un intérêt français pourra seul en
souffrir !
Mais quelqu’un de vous ignore-t-il donc, messieurs,
les intrigues qu’on a ourdies, les ressorts qu’on a fait mouvoir depuis quinze
années, pour arracher au gouvernement des Pays-Bas et au gouvernement belge,
cette malencontreuse concession. Je passe sous silence une foule de faits et
d’actes très significatifs ; je ne veux m’arrêter qu’à des documents
publics.
Le retard qu’éprouvait le concession du canal de
l’Espierre était devenu en 1838 un grief contre le gouvernement français, de la
part de l’opposition. Un article virulent fut inséré dans l’ « Echo du
Nord ». Un journal, dépositaire de la pensée gouvernementale, répondit à
cette accusation ; je n’extrairai qu’une partie de cette réponse.
« Le Moniteur belge, incertain, ne se prononçait
pas (sur la concession du canal de l’Espierre) et nous faisait craindre un
refus définitif. Cette affaire sommeillait à Bruxelles dans les cartons de M.
le ministre des travaux publics.
« M. le ministre des affaires étrangères, M. le
comte Molé, averti par le préfet de l’état de choses, apporta un zèle constant
dans la poursuite de cette affaire, et fut dignement secondé par M. Serrurier,
ministre plénipotentiaire de France auprès de S.M. le Roi des Belges.
« L’instruction relative au canal de Roubaix prit
un nouveau cours, fut poussé avec vigueur. On doit beaucoup de reconnaissance à
M. Mimerel, pour les nombreuses et efficaces démarches qu’il a faites à
Bruxelles dans l’intérêt d’un projet si longtemps entravé.
« Dans le milieu de cette année (1838), une commission
d’enquête fut convoquée à Courtray. Son résultat fut tel que le gouvernement
pût, sans inquiétude pour sa responsabilité et les intérêts qu’il doit
protéger, prendre une décision définitive.
« Nous arrivions donc à la conclusion, et nous
paraissions tout près d’obtenir l’arrêté royal.
« M. Nothomb, ministre des travaux publics, crut
devoir préalablement consulter la chambre de commerce des grandes villes de
« Voilà où en est une affaire qui n’a pas été
abandonnée un seul jour depuis huit ans..
« Comment vient-on sommer le ministre, chargé de
nos intérêts au-dehors, de s’interposer dans un conflit aussi important avec
toute l’autorité et tout l’ascendant de
Et cependant, d’après les pétitionnaires, un intérêt
français seul peut souffrir de la construction du canal de l’Espierre et de
Roubaix. C’est donc pour le triomphe d’un intérêt anti-français que M. le
ministre de France à Bruxelles apporte cette « persévérance
patriotique », dont on lui sait si grand gré dans son pays ; c’est
pour le triomphe d’un intérêt anti-français qu’on somme le gouvernement, après
tant de retard, d’intervenir dans le conflit « avec toute l’autorité et
tout l’ascendant de
Il résulte de tout ce que j’ai l’honneur de vous
dire : 1° que le canal de Bossuyt, comme opérant la jonction de l’Escaut à
2° Que le canal de l’Espierre ne fait qu’ajouter une
troisième route aux deux voies déjà ouvertes sur le centre du département du
Nord ; qu’il ne procure au Hainaut aucun débouché nouveau, aucun marché
dont cette province ne soit déjà en possession ; qu’il sera toujours
facultatif à
Le canal de l’Espierre n’a pas le but avoué par les
pétitionnaires ; ce canal cache un but secret et ce dernier but est tout à
l’avantage de
C’est au mois de juin 1828 que le roi de France a posé
lui-même la première pierre à la nouvelle écluse sur
Après une pareille déclaration, est-il permis de
douter encore des intentions de
M. le ministre des travaux publics, dans la séance du
26 décembre, a paru révoquer en doute une opinion attribuée à M. Cordier,
ancien ingénieur en chef du département du Nord. J’ai lu l’ouvrage de M.
Cordier, et le passage auquel on fait allusion s’y trouve en entier.
Cet ingénieur, dominé par la pensée que les canaux
isolés ne suffiront pas à la prospérité du pays, mais qu’il faut les mettre en
communication avec la mer, soutient qu’au moyen des constructions et des
améliorations qu’il signale, on peut imprimer à la navigation, dans le
département du Nord, un mouvement rapide, inconnu dans toute autre localité et
faire suspendre la navigation de l’Escaut ou de
Voilà ce qui paraissait possible à M. Cordier, en
1820. Combien le canal de l’Espierre n’aiderait-il pas à l’exécution de ces
travaux ? Il est vrai qu’en
Pour ma part, j’ai des craintes sérieuses que la
concession du canal de l’Espierre, telle qu’elle est faite, ne contribue
puissamment à enlever aux Flandres sa navigation vers Dunkerque pour la transporter
sur le sol français. Ce qu’on a fait pour le canal de Condé est une preuve
manifeste de toute l’importance qu’attache
Qu’on ne m’objecte pas l’état d’imperfection des
canaux français et leur faible tirant d’eau. Ce qui a déjà été exécuté prouve
ce qu’on peut faire encore. L’état de
Ce qui n’existe pas aujourd’hui peut se faire demain.
Je lis dans un mémoire, rédigé il y a quelques temps déjà par des ingénieurs
belges chargés des études du canal de l’Espierre : « Qu’on donne
seulement au gouvernement ou aux concessionnaires la perspective d’avoir la
navigation qui passe maintenant par les Flandres, ils jugeront bientôt qu’ils
peuvent, sans élever les péages existants, trouver, dans l’augmentation de
leurs produits, des moyens très efficaces pour améliorer de mauvais canaux. Une
petite protection de la douane achèvera au besoin de faire pencher la balance
en leur faveur, témoin ce que l’on fait pour le canal de Condé. »
Aussi la commission d’enquêté, instituée par l’arrête
du 31 mai 1838 et qui s’est réunie à Courtray le 3 septembre de la même année,
s’est-elle montrée vivement préoccupée de ce danger. Cette commission était
composée, 1° de trois membres désignés par la députation de
Le première et la plus importante question dont toute
commission d’enquête ait à s’occuper, c’est la question d’utilité publique du
projet soumis à son investigation. Toutes les autres questions sont
nécessairement subordonnées à celle-là.
La question d’utilité publique du canal de Bossuyt à
Courtray a été résolue affirmativement par la commission d’enquête, à la
majorité de 15 voix contre 4. il ne pouvait en être autrement ; les
considérations en faveur de ce canal sont trop évidentes, trop palpables.
Avant que la commission se prononçât sur l’utilité
publique du canal de l’Espierre, un membre du Hainaut proposa l’amendement
suivant : « Le gouvernement sera invité à faire insérer dans le
cahier des charges de la concession du canal de l’Espierre, une condition
suivant laquelle il se réserve le droit de prendre telles mesures qu’il jugera
nécessaires pour empêcher : 1° que les canaux de l’Espierre et de Roubaix
ne puissent, à l’avenir, faire concurrence aux canaux des Flandres pour la
navigation de
M. le sénateur de Haussy, auteur de cet amendement,
reconnaissait donc que le prolongement sur le territoire belge du canal
français de Roubaix pouvait, dans un avenir plus ou moins lointain, enlever aux
Flandres la navigation de
Le gouvernement lui-même, partagea les justes
appréhensions de M. de Haussy, puisqu’ c’est l’amendement qui a donné naissance
à la convention diplomatique du 27 août dernier.
Nous démontrerons plus tard combien les garanties que
renferme la convention du 27 août sont insuffisantes ou illusoires.
L’amendement de M. de Haussy tendant à faire
disparaître les principaux griefs contre le canal de l’Espierre et à paralyser
les effets désastreux que sa construction pouvait entraîner ; cet
amendement était donc de nature à rallier bien des opinions au projet.
Cependant, malgré cet amendement, auquel les votes étaient subordonnés, sur la
question principale, sur la question d’utilité publique du canal de l’Espierre,
7 membres répondirent oui, 7 membres non, et 5 déclarèrent s’abstenir.
L’abstention de ces derniers était fondée sur ce que,
dans tous les cas, il ne leur était pas prouvé que le canal de l’Espierre
n’aurait pas des conséquences funestes pour l’industrie gantoise au profit de
l’industrie française.
Cette crainte était d’autant plus justifiée, que M.
Cordier, dans l’ouvrage déjà cité, affirme qu’avec un canal qui les alimente
d’eau et de charbon, les fabriques de Roubaix et de Tourcoing pourraient
fabriquer davantage et à plus bas prix que toutes les villes rivales
d’Angleterre.
Quoiqu’il en soit, une abstention, ainsi motivée, doit
être considérée comme défavorable au canal de l’Espierre.
Dès lors la question d’utilité publique de ce canal a
été résolue négativement par la commission d’enquête à la majorité de 12 voix
contre 7.
Si l’on s’obstine à ne vouloir tenir aucun compte des
abstentions, il restera vrai qu’à la commission il y a eu partage sur cette
question, et qu’ainsi l’utilité publique du canal de l’Espierre n’a pas été
reconnue.
Comment donc le gouvernement, sans enquête ultérieure,
sans instruction contradictoire nouvelle, sans avoir consulté sur ce conflit
les conseils provinciaux de
Qu’il me soit permis, à présent, de jeter un coup
d’œil sur la convention diplomatique du 27 août.
Ce qu’il y a de plus clair dans la convention, c’est
que, par son article 1er, elle impose à
Nous avons vu plus haut que l’amendement adopté par la
commission d’enquête faisait une loi au gouvernement de prendre telles mesures
qu’il jugerait nécessaires pour empêcher : 1° Que les canaux de l’Espierre
et de Roubaix ne pussent à l’avenir faire concurrence aux canaux des Flandres
pour la navigation de
Cette double condition se trouve-t-elle être replie
par la convention ?
L’article 2 du traité est ainsi conçu :
« Aussitôt et aussi longtemps que la nécessité en
sera reconnue par le gouvernement belge, dans l’intérêt de la navigation belge
sur Dunkerque, les conducteurs de tous bateaux venant de l’Escaut et entrant
dans le canal de l’Espierre seront astreints à faire une consignation dont ils
obtiendront la restitution en produisant la preuve que leurs cargaisons
n’auront point été déchargées sur des parties du territoire français situées
au-delà de Watten, ou au-delà de Cassel, dans l’hypothèse d’un canal
d’Hazebrouck à Bergues. » Je ne veux pas épiloguer sur des mots, et
j’admets volontiers que l’article 2 doit être compris dans ce sens, que la
consignation est obligatoire dans l’état actuel des lignes des canaux français
conduisant de
Mais cette stipulation ainsi comprise offre-t-elle
quelque garantie réelle ?
D’après l’article 1er des articles
additionnels du cahier des charges, la somme à consigner est fixée à 25
centimes par tonneau.
Evidemment cette somme de 25 centimes par tonneau est
une garantie illusoire ; les bateliers la sacrifieront volontiers aussitôt
qu’il leur sera ouvert en France une navigation à grande section.
Il est vrai que, par l’article 7 des articles
additionnels du cahier des charges, le gouvernement s’est réservé le droit
d’augmenter le taux de la consignation, si ce taux est reconnu insuffisant.
Mais sera-t-il bien facile à
Mais il est une observation pénible à faire, c’est que
la convention du 27 août pêche par sa base, par l’absence d’une stipulation
fondamentale, sans laquelle toutes les autres stipulations ne peuvent avoir
aucun résultat pratique.
Maintenant que
D’après l’ordonnance royale du 25 novembre 1837, le
droit imposé aux houilles étrangères, de la mer à Halluin exclusivement, est de
50 centimes les
Or, comme vous n’avez pas stipulé que
Le retrait de la tolérance, en vertu de laquelle on
peut acquitter les droits à Condé, pour les charbons se rendant par les eaux
des Flandres en France, imposerait à cette navigation un droit de cinq francs
par tonneau, tandis que, par l’Espierre et le canal de Roubaix, on continuerait
à ne payer qu’un francs 50 centimes par tonneau : donc une différence
déjà, d’après les ordonnances existantes, de 3 francs 50 centimes, au profit
des canaux de l’Espierre et de Roubaix. Cette différence de 3 francs 50
centimes, le gouvernement veut la combattre par une consignation de 25 centimes
au tonneau.
M. le ministre des travaux publics ne craint rien de
la part de
Le gouvernement français ne prendra pas de mesure de
représailles ; mais il usera de son droit, et l’intérêt de sa navigation
qu’il n’a jamais cessé de favoriser, lui en imposera le devoir. Comment
pourriez-vous avoir un doute raisonnable à cet égard, lorsque les faits sont là
pour vous démontrer ce que le gouvernement a déjà fait par anticipation dans ce
but ?
Par la loi du 28 avril 1816,
En déplaçant cette séparation à Halluin la loi du 2 juin
1836 portait déjà le canal de l’Espierre dans la zone favorisée. Mais il était
stipulé que, d’Halluin à Baizieux exclusivement, les droits sur la houille
entant par des canaux devaient être acquittés d’avance au bureau de Condé.
Par l’ordonnance du 25 novembre 1837, encore en
vigueur, cette exception n’est pas reproduite et le canal de l’Espierre se
trouve sans aucune restriction dans la zone la plus favorisée.
Cette gradation est, sans aucun doute, très
remarquable. Ces précautions prises à l’avance au profit du canal de l’Espierre
nous donnent la mesure de ce que
Pour empêcher que les canaux de l’Espierre et de
Roubaix ne puissent faire concurrence au canal de Bossuyt à Courtray pour le
transport des produits de
Ces stipulations ne répondent pas même au vœu de
l’amendement. Celui-ci voulait assurer au canal de Bossuyt tous les produits
belges sur la haute Lys ; la convention les réduit à trois espèces, la
houille, les pierres et la chaux. La haute Lys belge comprend évidemment tous
les villages belges situés sur cette rivière ; c’est un triste jeu de mots
que de vouloir ici borner la haute Lys belge au point où une seule de ses rives
devient française. Cependant la commission ne permet l’établissement d’un droit
spécial au profit du canal de Bossuyt qu’en aval des écluses de Commines. Vous
abandonnez ainsi l’approvisionnement direct des communes populeuses de
Commines, Warneton et Neuve-Eglise, et le hameau de Pont-Rouge, aux
concessionnaires du canal français de Roubaix, au détriment du canal national
de Bossuyt.
La convention n’assure donc pas même au canal de
Bossuyt les faibles avantages que l’amendement lui-même tendait à lui garantir.
Or, l’amendement lui-même était déjà insuffisant, et le gouvernement, pour se
montrer impartial, aurait dû envisager la question d’un autre point de vue. Que
prétendent les demandeurs en concession du canal de l’Espierre ?
l’approvisionnement du centre du département du Nord. Ils n’ont pas,
disent-ils, d’autre but. Que veut le demandeur en concession du canal de
Bossuyt ? l’approvisionnement des Flandres et de la haute Lys, sans former
aucune prétention sur le centre du département du Nord. N’eût-il pas été facile
au gouvernement de concilier les parties, d’accorder à l’un et à l’autre objet
de sa demande, rien de plus aux demandeurs en concession du canal de
l’Espierre, rien de moins au demandeur en concession du canal de Bossuyt ?
On devait donc prendre les limites que la nature elle-même a posées,
l’embouchure de la basse Deule dans
J’ai donc pu dire avec raison que le canal de
l’Espierre, dans le système de M. le ministre des travaux publics, exclut le
canal de Bossuyt.
Quoique je persiste à croire que le canal de
l’Espierre ne peut pas procurer au Hainaut des avantages réels et durables,
cependant je ne m’oppose pas à sa construction, à la condition toutefois que le
canal de l’Espierre, loin d’entraver la confection du canal de Bossuyt, vienne,
au contraire, concourir à son exécution. Les intérêts de
Le canal de Roubaix (dont M. le ministre des travaux
publics évalue la dépense totale à 5,000,000), concédé en 1825, devait être
livré à la navigation le 1er janvier 1829. Ce canal n’est pas même
encore achevé aujourd’hui ; il ne peut se terminer qu’autant qu’on fasse
le canal de l’Espierre ; sans cela, le canal de Roubaix restera, pour
ainsi dire, entièrement improductif ; il ne sera jamais qu’une impasse. On
conçoit aisément l’immense intérêt qu’ont les propriétaires du canal français
de Roubaix à la construction du canal de l’Espierre, puisque c’est le seul
moyen de donner vie à leur canal.
La dépense pour le canal de l’Espierre n’est évaluée
par les demandeurs en concession, qu’à 1,100,000 francs, et cette évaluation
semble même quelque peu exagérée.
Qu’est-ce que la dépense d’un million pour les
concessionnaires du canal de Roubaix, en présence des revenus que leur donnera
ce canal lorsque celui de l’Espierre sera construit ?
Déjà, en
La chambre de commerce d’Ypres, admise à l’audience du
roi des Pays-Bas le 8 août 1827, s’exprimait ainsi : « le
concessionnaire du canal de Roubaix est tellement convaincu, sire, de
l’inutilité de ses travaux sur le territoire français s’il n’obtient pas cette
jonction (la jonction à l’Escaut par le canal de l’Espierre) qu’il est prêt à
faire le canal à ses frais et dépens, sans aucune compensation ou coopération
de la part du gouvernement (manque un mot)
que ceux qui demandent la concession de ce canal (manque quelques mots) en tireront le revenu pendant toute la durée
de la concession à titre gratuit et à pur bénéfice.
Il résulte d’un mémoire imprimé que j’ai sous les yeux
que M. le président de la chambre de commerce de Tournay a déclaré, en conseil
de régence de cette ville, le 31 août 1838, qu’au besoin on réduirait à zéro le
péage demandé pour le canal de l’Espierre.
Des ingénieurs belges, dans un mémoire rédigé en 1834,
après avoir exposé tous les avantages que les concessionnaires français
recueilleraient de la construction du canal de l’Espierre, ajoutent ces
mots : « les concessionnaires du canal français de Roubaix
gagneraient beaucoup encore et s’estimeraient fort heureux si on leur permettait
seulement de faire gratis le canal de l’Espierre. »
Le comité de conservation de
Les calculs que le comité produit à l’appui de ses
observations, prouvent que le canal de l’Espierre donnera un revenu annuel très
considérable ; et comme ce collège est aussi d’avis que les
concessionnaires du canal de Roubaix se chargeraient volontiers de la dépense
du canal de l’Espierre, ce serait, ajoute le comité de conservation, un véritable
scandale d’abandonner gratuitement de tels avantages à des particuliers au
détriment des contribuables, dont les avantages diminueraient les charges. Vous
avez cette pièce sous les yeux, vous pouvez en prendre lecture.
C’est donc moins la concession en elle-même du canal
de l’Espierre que je blâme, que le mode de concession.
Dans la position que leur a faite la convention de
Paris, les concessionnaires du canal de Roubaix devaient faire gratis le canal
de l’Espierre ; la propriété devait en appartenir au gouvernement et les
revenus de ce canal devaient être versés dans le trésor de l’état pour
continuer en partie à la construction du canal de Bossuyt.
Il résultait de ce système un autre avantage pour
J’ai encore à traiter plusieurs questions, mais je
suis fatigué ; je demanderai la parole dans le cours ultérieur des débats.
Je vous ai, messieurs, franchement exposé mon opinion
sur la question à l’ordre du jour. Je vous prie d’être persuadés que je n’ai
fait qu’obéir à un devoir pénible et impérieux, et que je n’ai d’autre désir,
d’autre but que de concilier autant que possible tous les graves intérêts
engagés dans la concession du canal de l’Espierre et de contribuer ainsi au
bien-être général du pays.
M. le ministre des
travaux publics (M. Nothomb) – Messieurs, la conclusion de
l’honorable préopinant, jusqu’à présent, n’est autre qu’un blâme jeté sur le
gouvernement, un blâme jeté sur moi personnellement. Ce blâme je le
repousse ; je le repousserai loin de moi. Il nous avait annoncé, en
commençant, qu’il nous présenterait cette question dégagée de toute
personnalité ; je regrette qu’en terminant il ait, à l’appui de son
opinion, cité des assertions cent fois démenties.
On prétend, je le sais, on prétend que les
concessionnaires français du canal de Roubaix ont, à plusieurs reprises, offert
de construire gratuitement le canal de l’Espierre en Belgique. Messieurs, j’ai
lu cette assertion dans beaucoup de mémoires ; j’ai interpellé les
concessions français sur cette allégation, elle a toujours été démentie par
eux. Je pourrais vous donner lecture de la lettre que les concessionnaires
français m’ont écrite à ce sujet ; je pourrais vous donner lecture des
demandes adressées au gouvernement des Pays-Bas pour obtenir le canal de
l’Espierre en Belgique ; il n’y est pas question de construction gratuite.
Je me réserve de faire insérer ces lettres au
Moniteur. (Ces lettres sont effectivement
insérées au Moniteur de ce jour.)
On vous a aussi représenté le roi Guillaume comme
hostile au canal de l’Espierre ; il l’a été d’abord ; je vous l’ai
avoué moi-même ; il ne l’était plus dans les derniers temps.
Je suis également détenteur d’une lettre que je
m’abstiens de lire, et qui peut trouver place dans les colonnes du Moniteur (Lettre insérée au Moniteur de ce jour.)
« De deux choses l’une, ou vous auriez dû
demander aux concessionnaires français la construction gratuite en Belgique, du
canal de l’Espierre, ou, en leur concédant, avec des péages, le canal de
l’Espierre en Belgique, vous auriez dû leur imposer la construction du canal de
Bossuyt. »
Telle est l’alternative que pose l’honorable
préopinant, telle est l’alternative qu’aurait dû poser le gouvernement ;
il ne l’a pas posée ; là est, dit-il, la faute.
Je n’ignorais aucune de ces allégations ; j’ai moi-même
posé cette alternative aux concessionnaires français ; mais elle a
toujours été repoussée.
Ils ont déclaré la première condition, à savoir la
construction gratuite du canal de l’Espierre en Belgique, absolument
impossible. Quant à la deuxième, qui leur imposait la construction d’un autre
canal devant coûter cinq millions, ils l’ont regardée comme tout à fait en
dehors des lois qui régissent les concessions dans tous les pays.
L’honorable préopinant nous a donné des
conseils ; nous avons fait mieux, nous sommes restés dans le
possible ; nous avons imposé aux concessionnaires du canal de l’Espierre
la clause du rachat.
Mais ce ne sont là, messieurs, que de pures
allégations qui ne changent rien au fond de la question qu’il faut voir, et je
regrette que l’honorable préopinant s’en soit écarté en terminant son discours.
L’honorable membre s’est bien a gardé de se placer au
point de vue du demandeur en concession du canal de Bossuyt ; il s’est
bien garder de se placer au point de vue d’Ypres et de Courtray.
Il n’a pas demandé la prohibition du canal de
l’Espierre ; il ne nous a pas dit, comme le demandeur en concession, dans
sa lettre du 9 octobre ; il ne nous a pas dit, comme le disent depuis si
longtemps les chambres de commerce d’Ypres et de Courtray, que la condition
d’existence du canal de Bossuyt était la non-existence du canal de l’Espierre.
Messieurs, il y a deux questions dans cette
question : c’est ainsi que j’avais moi-même résumé la discussion
avant-hier ; c’est ainsi que l’honorable membre la présente à son tour, et
avec raison ; il y a deux questions qui n’ont qu’une apparente
connexité ; il y a deux marchés à desservir, le marché de la haute Lys
belge et le marché français du département du Nord.
Est-il possible de desservir à la fois ces deux
marchés par le canal de Bossuyt ? c’est ce qu’on a prétendu bien
longtemps ; on a dit, pendant 15 ans, qu’il était possible de desservir
ces deux marchés par ce canal ; ce n’est que dans ces derniers temps qu’il
a été constaté à l’évidence qu’il était impossible de les desservir par un
moyen commun, le canal de Bossuyt.
Et cependant, messieurs, c’est cette erreur bien
constatée aujourd’hui, reconnue par le demandeur en concession du canal de
Bossuyt lui-même ; c’est cette erreur qui motive l’opposition, qui
explique l’indignation qu’a rencontrée ce qu’on appelle la préférence donnée
par le gouvernement au canal de l’Espierre.
Sans doute, messieurs, s’il avait été possible au
gouvernement de satisfaire deux besoins, le besoin de la consommation de Lille
et de Roubaix, et le besoin de la consommation de
Mais il n’est pas possible d’atteindre le marché du
département du Nord par le même moyen qui vous conduit au marché de la haute
Lys belge dans
Il y a donc deux marchés à desservir, on ne peut assez
le répéter : le marché de la haute Lys belge et le marché du département
du Nord ; or, le marché du département du Nord, nous ne pouvons y parvenir
que par le canal de l’Espierre.
Est-il désirable qu’on puisse, au lieu de faire un
détour par Gand, arriver directement à Courtray ? Qu’au lieu de faire
Est-il désirable qu’au lieu d’arriver au marché du
département du Nord par les canaux français, on y arrive par des canaux presque
tous belges ? est-il désirable qu’au lieu d’arriver au marché du département
du Nord par des voies très imparfaites, nous puissions y arriver par une grande
et belle ligne de navigation ? est-il désirable qu’au lieu d’arriver au
marché du département du Nord par une voie étrangère, où nous sommes en contact
avec des intérêts rivaux, nous puissions y arriver par une ligne à nous, par
une ligne que j’appellerai indépendante ? A mon tour, je dirai que
certainement il faut répondre affirmativement à ces questions.
Mais ce qu’on a eu soin de passer sous silence, c’est
l’importance des deux marchés, en les considérant au point de vue de la
consommation, en les considérant au point de vue où doit se placer le Hainaut.
Le marché de la haute Lys belge de Harlebeke à
Armentières est un marché de 35,000 tonneaux de houille, c’est un marché
intérieur, je l’avoue en faveur duquel nous devons sans doute faire tout ce qui
est possible ; mais je le répète, ce marché n’est qu’un marché de 35,000
tonneaux ; c’est tout ce qu’il demande à la production du Hainaut.
Or, le marché du département du Nord est bien
autrement important ; le Hainaut peut espérer de fournir 10,000 tonneaux
de houille à la seule consommation du district manufacturier de Roubaix. Ainsi,
à ne voir que la valeur des marchés, nous desservons, au moyen du canal de l’Espierre,
un marché bien autrement important pour la production du Hainaut que celui de
la haute Lys belge.
« Nous n’avons qu’un but dans
Messieurs, le charbon du Hainaut arrivera à l’avenir à
plus bas prix sur la haute Lys belge ; il y arrivera de l’une ou de
l’autre des deux manières suivantes : ou bien il y arrivera par le canal
de Bossuyt à Courtray, si ce canal se fait ; si ce canal ne se fait pas,
il y arrivera par le canal de l’Espierre, en transitant, il est vrai, par
Il y a aura donc, dans tous les cas, une voie plus
économique entre le Hainaut et le marché de la haute Lys.
Je prends les choses au pis ; le canal de Bossuyt
ne se fera pas ; mais du moment qu’on dit qu’on ne demande que la
réduction du fret pour cette partie de
Si au contraire, malgré l’existence du canal de
l’Espierre, le charbon continue à faire, pour se rendre à Courtray, le détour
par Gand, c’est que ce canal, malgré toutes les prévisions qu’on a formées, n’aura
pu s’emparer du marché de la haute Lys belge ; dès lors ce marché reste à
la disposition de celui qui fera le canal de Bossuyt ; le canal de
l’Espierre n’aura, dans ce cas, amené de changement ni en bien ni en mal.
Ainsi, si le canal de l’Espierre apporte à la haute
Lys belge à meilleur prix le charbon du Hainaut, de quoi pourra se plaindre le
consommateur, puisque son but est atteint ?
Si le canal de l’Espierre ne parvient pas à desservir
le marché de la haute Lys belge, de quoi peuvent se plaindre les partisans du
canal de Bossuyt, puisque ce canal se trouve sans concurrent ?
Le canal de Bossuyt à Courtray, comme je l’avais dit
avant-hier, n’a pas seulement un but immédiat, celui d’amener le charbon de
Mons plus économiquement sur la haute Lys belge. Il a un autre but qui n’est
pas immédiat, qui est un but éloigné, c’est la jonction directe du Hainaut à la
mer du Nord, projet que je ne me sens pas le besoin de repousser, l’opinion que
je défends ne l’exige pas ; mais si je voulais donner l’éveil sur ce projet,
si je voulais à mon tour faire un appel aux passions populaires, je dénoncerais
ce projet aux trois villes influentes des Flandres, à Gand, à Bruges et à
Ostende ; je leur dirais qu’on se réserve de créer une ligne navigable
parallèle à la ligne actuelle, je soulèverais contre Ypres et Courtray le reste
des deux Flandres.
Ce projet est ancien, nous le savons, il date de plus
d’un siècle. Rien n’est plus naturel ; Ypres et Courtray demandent à
supplanter Gand et Bruges ; Nieuport même avait rêvé la dépossession
d’Ostende, et je vous ai montré que Nieuport se trompe ; on éviterait
Nieuport par le canal de Loo.
Si ce but qu’on présente dans le lointain, qu’on n’a
pas voulu dégager de tous les nuages, si ce but existe, qu’on l’avoue, et vous
verrez les deux Flandres protester contre ces espérances de Courtray et
d’Ypres.
De quoi donc, dit-on, vous préoccupez-vous ? le
marché du département du Nord, vous l’avez ; vous n’obtenez donc de
nouveau, en créant un nouvel accès à ce marché ; vous en avez deux ;
l’un par l’Escaut inférieur et le canal de
Vous craignez, dit-on, le charbon anglais, mais il ne
peut arriver dans l’intérieur du département du Nord ; il faudrait pour
cela que les communications fussent bien plus parfaites entre l’intérieur du
département du Nord et Dunkerque, c’est là ce qu’a dit le préopinant. Cela m’a
étonné, car il s’est mis en contradiction avec lui-même en disant bientôt après
que rien n’était plus facile que d’améliorer les lignes de navigation entre
Lille et la mer.
De quoi vous préoccupez-vous, disait hier un autre
député de Courtray, le charbon anglais est de si mauvaise qualité que bientôt
on en voudra plus. C’est encore là une assertion qui ne repose sur rien, mais
qui se trouve vingt fois reproduite dans les nombreuses réclamations des
chambres de commerce d’Ypres et de Courtray. Tout le monde sait que
l’Angleterre a des charbons d’aussi bonne qualité que les nôtres ; pour n’en
citer qu’un exemple, il y a du charbon dans New-Castle qui donne les mêmes
résultats à peu près que les charbons du Flénu. Ceci est tellement vrai, que
récemment les fabricants anglais de New-Castle qui nous fournissent des
locomotives, ont supposé que notre charbon n’était pas d’aussi bonne qualité
que celui de New-Castle, et ont exprimé le regret de ce qu’en envoyant une
locomotive, ils ne puissent pas y joindre le coak nécessaire à son alimentation
pendant un certain temps. Il m’a été proposé de demander qu’on complétât avec
du charbon le chargement du premier navire ayant une locomotive à bord ;
j’ai rejeté cette proposition ; je suis sûr que j’aurai, par ce seul
essai, alarmé nos producteurs indigènes.
D’ailleurs faut-il, pour le prouver, autre chose que
l’envahissement du littoral par le charbon anglais depuis que les zones ont été
changées par l’ordonnance royale du mois de novembre 1837 ? Rouen n’a reçu
que 16 bateaux de nos charbons en 1838, et encore était-ce pour compléter
l’exécution d’anciens contrats. Tout le littoral a reçu de
Vous avez donc perdu le marché du littoral ; la
question est de savoir s’il faut en outre compromettre le marché
intérieur ? Ne croyez pas que nos rivaux de production charbonnière restent
dans l’inaction. D’abord ils sont associés à toutes les entreprises de
canaux ; ils sont producteurs et navigateurs. Ce n’est pas tout. Anzin
vient de construire un chemin de fer jusqu’à Denain ; on s’est occupé à le
continuer sur Abscon, et bien on se prolongera vers Douay. Le bassin d’Anzin
évitera le trajet difficile de
Supposez, messieurs, que nos rivaux restent en France
dans l’inaction, c’est méconnaître toutes les idées qui dominent l’industrie,
c’est supposer que les exploitants d’Anzin voient avec plaisir que nous nous
rendons au marché commun par des moyens qui sont plus ou moins dans leur
dépendance.
A notre tour, mettons-nous à l’œuvre ;
assurons-nous la possession d’une voie à nous et sur laquelle on ne puisse
exercer aucune influence. Que les exploitants d’Anzin prolongent leur chemin de
fer vers Douay ; de notre côté, nous serons sans inquiétude sur l’avenir,
si nous nous sommes créé chez nous une voie nouvelle et plus parfaite.
Je croyais, messieurs, vous avoir expliqué de quelle
manière trois intérêts s’étaient longtemps trouvés en présence dans le
département du Nord : l’intérêt de navigation, l’intérêt de production et
l’intérêt de consommation.
En faisant allusion à certains noms propres, je vous
avais fait apercevoir de quelle manière l’intérêt de production et l’intérêt de
navigation ont pu l’emporter pendant 15 ans, en tenant en échec l’intérêt de
consommation. Ces deux intérêts ont dû finir par fléchir en France, mais est-ce
à dire que le gouvernement français, en sollicitant la construction du canal de
l’Espierre, s’est donné le ridicule de demander le triomphe d’un intérêt
anti-français ? Ce serait, comme je l’ai démontré, prendre la question
dans le sens le plus restreint.
Le gouvernement français a très bien compris que si deux
intérêts, celui de la production et celui de la navigation, devaient fléchir,
ce n’était que pour le triomphe d’un troisième intérêt très français également
et plus important.
Ne voulant pas reconnaître le but évident, le but
patent du canal de l’Espierre, on est bien réduit à lui supposer un but secret,
qu’on ne peut rendre vraisemblable qu’en se refusant à admettre les faits les
mieux constatés. Le but secret du canal de l’Espierre, est dit-on d’établir une
nouvelle ligne, au profit de
Il me vient une autre réflexion, qui vous prouvera
encore combien cette supposition du perfectionnement des canaux entre Aire et
Dunkerque, et de la construction d’un canal entre Bergues et Hazebrouck, est
invraisemblable. Aussi longtemps que le système de douanes assurait le littoral
français aux bassins d’Anzin et du Vieux Condé, je comprends qu’il y eût
tendance à faciliter l’accès du littoral en partant de l’intérieur. Les
producteurs français avaient intérêt à ce qu’on perfectionnât les voies de
communication pour arriver au littoral, dont la consommation lui était assurée.
Aujourd’hui, il se gardera bien de demander le perfectionnement de ces voies de
communication, car ce ne serait plus à son profit, mais au profit du producteur
anglais ; ce serait frayer à celui-ci, qui est déjà au littoral, le chemin
de l’intérieur. A défaut d’un système des douanes, l’état imparfait des canaux
est demeuré une barrière.
Charles X, en posant la première pierre de l’écluse de
Wambrecies, a dit (on a dit pour lui) que c’était un canal de l’Escaut par
Roubaix et Dunkerque. Qu’est-ce que cela prouve ? Est-ce qu’un dire prouve
la possibilité matérielle de la chose ? Est-ce qu’un dire prouve l’intérêt
actuel du producteur français à obtenir que ces voies de communication soient
aujourd’hui perfectionnées afin d’attirer dans l’intérieur les houilles
anglaises ?
M.
F. de Mérode – Ce sont des mots à effet,
et pas autre chose.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – M. Cordier, ajoute-t-on, a promis dans son ouvrage sur le
département du Nord, que ces voies de communication seraient perfectionnées à
ce point ? Mais que prouvent les promesses que M. Cordier a faites ?
Encore une fois les promesses de M. Cordier ou les
dires de Charles X, il faut les mettre en rapport avec les possibilités
matérielles, avec les intérêts actuels.
Ici qu’il me soit permis de signaler encore une fois
une erreur que l’on a rendue populaire pour donner un caractère odieux au canal
de l’Espierre. On suppose que c’est le canal de l’Espierre qui crée pour la
première fois la possibilité d’aller à Dunkerque autrement que par les canaux
flamands ; mais j’ai déjà fait remarquer que cette possibilité existe,
qu’elle est antérieure au canal de l’Espierre. Je vous ai montré, et vous
pouvez vérifier, par la carte, qu’on peut dès à présent aller de Mons à Condé,
autrement que par les canaux flamands, de deux manières. (car puisqu’on répète
toujours l’objection, je suis bien obligé d’en répéter la réfutation). On peut
y aller, soit par l’Escaut supérieur,
Remarquez encore que si on veut arriver à Dunkerque
par le canal de l’Espierre, il faudra retomber dans cette ligne dont on ne veut
pas se servir aujourd’hui. On craint que l’on ne se rende à Dunkerque autrement
que par les canaux flamands, mais les exploitants des bassins du Vieux Condé et
d’Anzin, actionnaires en grand nombre des canaux français, préfèrent la ligne
étrangère de Belgique à la voie dont ils peuvent disposer dès à présent.
J’ai déjà eu soin de faire remarquer que la partie la
plus défectueuse était celle entre Aire et Dunkerque. Vous avez pu vérifier mes
explications dans le rapport fait récemment par l’ingénieur Forret. En effet,
entre Aire et Dunkerque, il y a des points où la navigation obtient à peine un
tirant d’eau d’un mètre à
L’honorable préopinant s’est réservé d’examiner la
question de constitutionnalité ; mais comme hier un honorable député de
Tournay a traité cette question, je la discuterai en peu de mots, avant
d’aborder le fond de la convention.
Il existe une loi du 19 juillet 1832, qui autorise le
gouvernement à faire construire des canaux en concédant la perception de
péages. Cette loi ne distingue pas entre les voies de communication qui
aboutissent à la frontière et celles qui n’y aboutissent pas. Car un canal peut
être très national, très-belge et aboutir à la frontière. On est amené à faire
deux distinctions qui ne sont pas dans la loi ; au lieu de dire que le
gouvernement ne pouvait concéder des voies de communication aboutissant à la
frontière, on aurait dû dire qu’il ne pouvait concéder les canaux qui se
trouvaient dans ce cas, mais qu’il pouvait concéder les routes. Car il existe
deux routes aboutissant à la frontière française et construites par concession
sans qu’on ait jugé à propos de contester la légalité de ces concessions. Il y
a d’abord la route de Chimay à Trélon concédée par un arrêté royal du 23 avril
1836. Si la loi du 19 juillet 1832 devait s’entendre en ce sens que le
gouvernement ne peut concéder la construction de voies de communication
conduisant à l’étranger, alors la construction de la route de Chimay à Trélon
n’aurait pas été légalement concédée. Il y a une autre route qui aboutit à la
frontière et dont la construction a été concédée en vertu de la loi du 19
juillet 1832, c’est la route de Tournay à Roubaix, concédé par un arrêté royal
du 25 juillet 1838, une route dans la même direction. Ainsi le gouvernement
aurait pu concéder légalement la route de Tournay à Roubaix, et ne pourrait
concéder légalement le canal que je puis aussi appeler le canal de Tournay à
Roubaix. On voit donc que pour contester le droit du gouvernement, on est
obligé d’introduire deux distinctions dans une loi qui ne distingue pas.
Le droit du gouvernement de concéder un canal
aboutissant à la frontière n’est donc pas contestable.
Le gouvernement pouvait faire cette concession
purement et simplement ; pourquoi ne l’a-t-il pas fait ? C’est parce
qu’il voulait mettre deux restrictions à la perception des péages. Pourquoi
a-t-il donné à ces deux conditions la forme d’une convention ? parce qu’il
fallait, pour qu’elles eussent une véritable sanction, s’assurer le concours du
gouvernement français. On aurait pu, en faisant l’acte de concession, imposer
aux concessionnaires les deux restrictions ; mais il aurait fallu s’en
rapporter à leur bonne foi.
On s’exposait aussi, de la part du gouvernement
français, au reproche de faire acte de mauvais voisinage en imposant, sans son
concours, ces deux restrictions.
Peut-on dire que la forme aurait changé la nature du
droit ? Le gouvernement qui peut concéder est juge de la forme à donner à
son acte.
Il existait une loi du 1er octobre 1831 qui
autorisait le gouvernement jusqu’à la paix, à introduire dans le pays une armée
étrangère : ce cas a dû malheureusement se réaliser deux fois : la
première fois, la loi n’existait pas. La seconde fois, en présence de la loi,
il n’a cependant pas été permis à l’armée étrangère de se précipiter sur notre
territoire comme dans un pays conquis. Il a donc fallu régler les conditions de
l’admission de l’armée française, et stipuler des garanties de retraite,
lorsqu’il s’est agi du siège d’Anvers, en novembre 1832 ; cette
convention, qui est du 10 novembre 1832, a-t-elle été soumise à l’assentiment
de la législature ? Cette idée n’est venue à personne ; elle ne
pouvait venir à personne. Tout le monde s’est dit que le gouvernement ayant une
loi qui l’autorisait à admettre dans le pays une armée étrangère, était
autorisé en même temps à régler les conditions de son entrée, et à donner à
l’acte réglant les conditions telle forme qu’il jugerait convenable.
Aujourd’hui que cette loi n’existe plus, puisqu’elle
n’avait de durée que jusqu’à la paix, si le gouvernement croyait utile l’entrée
d’une armée étrangère sur notre territoire, la convention qu’il conclurait
serait au préalable sujette à l’assentiment législatif.
Il y a eu encore d’autres conventions qui n’ont pas
été soumises à l’assentiment législatif, d’autres conventions qu’au sujet
desquelles personne jusqu’à présent n’a fait de réclamations. Je citerai les
conventions postales. Dans les budgets (travaux publics, chapitre des postes,
et budget des non-valeurs) figurent deux articles pour le transport des
dépêches, et pour le remboursement aux offices étrangers. Les gouvernements
sont, dans certains cas, entrepreneurs du transport des lettres, l’un par
rapport à l’autre, et ces transports se règlent par des conventions entre les
offices respectifs.
C’est ainsi qu’on a conclu une convention :
Avec l’Angleterre, 17 octobre 1834 ;
Avec
L’office des postes du prince de
Dans la convention faite avec le gouvernement anglais,
il est stipulé que l’office belge paiera mille livres sterling, parce que c’est
le gouvernement anglais qui fait les frais des paquebots. Quatre fois par
semaine, il apporte les lettres qui nous viennent de Londres et emporte nos
lettres à destination de Londres. Le gouvernement anglais se faisant
entrepreneur de transport pour nous, une somme de 25,000 francs lui est accordée,
et cette somme est prélevée sur les allocations du budget : cependant ceci
grève l’état et l’on ne prétendra pas que c’est une convention qui rentre dans
l’article 168 de la constitution. Si on fait les stipulations sous la forme de
convention, c’est que la nature des choses exige que l’acte ait cette
forme ; on agit en vertu de l’autorisation résultant de la loi annuelle du
budget.
J’arrive à l’examen du fond de la convention.
La convention a eu pour but de donner à
Cette garantie concerne la navigation sur Dunkerque,
et le canal projeté, de Bossuyt à Courtray.
Occupons-nous d’abord de la navigation sur Dunkerque
(articles 2, 3 et 4 de la convention.)
En premier lieu, on se plaint de l’insuffisance de la
consignation.
Mais le gouvernement belge peut en exiger une plus
forte ; lisez l’article 2.
En second lieu, on dit qu’il n’existe aucun moyen de contrôle,
ce qui m’a paru faire quelque impression ; je vous prie de relire
l’article 4.
Si l’on avait bien lu, on n’aurait pu prétendre que la
preuve que le bateau n’a pas été à Dunkerque serait arbitrairement faite au
moyen d’un certificat délivré par une autorité étrangère, et qu’il faudrait
s’en rapporter aveuglement à ce certificat ; messieurs, il n’en est rien.
Voici comment la chose doit s’effectuer : Consignation au préalable, quand
même le bateau déclarerait ne pas aller à Dunkerque, il faut qu’il fasse la
consignation : c’est à lui de prouver qu’il n’y a pas été pour recouvrer
la somme consignée. Et s’il y a doute sur l’exactitude des pièces qu’il
présente, d’après l’article 4, on est autorisé à surseoir à la restitution de
la consignation.
Quand l’honorable membre a développé cette objection,
j’ai entendu à côté de moi : « C’est fort. » Vous pouvez en
juger maintenant.
Cet article 4, on ne l’a pas obtenu sans peine :
c’était mettre les autorités françaises en état de suspicion.
Passons à la garantie relative au canal de Bossuyt.
La commission d’enquête avait dit qu’il fallait
assurer au canal de Bossuyt le marché de la haute Lys belge ; pense-t-on
que cela veuille dire :
Il ne suffit pas de dire que l’on a privé le canal de
Bossuyt à Courtray de son avenir ; il faut dire de quoi on le prive en ne
lui assurant pas le marché depuis Commines jusqu’à Armenières, pour les choses
venant du Hainaut, et que le canal de l’Espierre doit intercepter en quelque
sorte. Remarquez que ce ne sont que de ces choses qu’il s’agit ; les
choses provenant de
Dira-t-on aussi que le droit stipulé par l’acte de
concession comme devant être payé à l’écluse de Comines est insuffisant ?
La convention donne au gouvernement belge la faculté
de l’augmenter ; l’article 5 est formel.
Si donc le droit de 2 francs est insuffisant, on peut
l’augmenter. Si l’impossibilité de faire le canal résulte de l’insuffisance du
droit que les demandeurs en concession le déclarent, le gouvernement
s’empressera d’élever ce droit de 2 francs à 3 ou à 5 francs, comme ils le
jugeront convenable, et il annoncera de nouveau l’adjudication.
Ce qui rend le canal de Bossuyt impossible, dit-on,
c’est :
1° La perte du marché de Commines à Armentières.
Vous avez vu ce que c’est que cette perte.
2° L’insuffisance du droit à payer à l’écluse de
Commines.
Ce droit, on peut l’élever.
Je crois avoir démontrer les objections présentées par
l’honorable préopinant ; en y répondant, je me suis efforcé de rétablir
les faits. J’ose ajouter que tout ce que j’ai dit avant-hier en exposant cette
grande question subsiste.
M. de Brouckere – Avant de lever la séance,
messieurs, je voudrais qu’il fût décidé si nous aurons séance lundi, oui
ou non. Pour ma part je suis tout prêt à venir lundi et même mardi mais je
désire que l’on décide, que l’on dise franchement si l’on veut que les vacances
commencent lundi ou si l’on veut qu’elles ne commencent que mercredi, afin que
nous ne venions pas ici pour ne pas non trouver en nombre.
M. F. de Mérode – C’est en provoquant constamment des décisions de cette
nature qu’on entrave les travaux de la chambre ; chaque soir on remet en
question s’il y aura séance le lendemain, et l’on arrive ainsi à empêcher qu’il
y en ait une. Nous sommes maintenant bien avancés dans la discussion de cette
immense affaire du canal de l’Espierre, qu’arrivera-t-il si l’on ne continue
pas cette discussion ? C’est qu’au retour on la recommencera de plus
belle ; tout ce qui a été dit jusqu’à présent sera dit de nouveau et
lorsque nous aurons discuté pendant plusieurs jours nous serons au même point
que maintenant.
M. Desmet – Je suis fâché, messieurs,
de devoir contredire l’honorable M. de Mérode, mais je dois appuyer la motion
de M. de Brouckere ; je désire savoir positivement s’il y aurait séance
lundi ou s’il n’y en aura pas. Je demande donc que la chambre fixe dès
aujourd’hui le jour de la rentrée et je proposerai de la fixer au 14 janvier.
M. A. Rodenbach – Je consens très volontiers à rester jusqu’à lundi, mais
comme l’honorable M. de Brouckere l’a fort bien dit, il est probable que nous
ne soyons pas en nombre. Je demande donc que la question soit mise aux
voix ; ceux qui voudront rester voteront pour qu’il y ait séance lundi, et
ceux qui ne voudront pas venir voteront en sens contraire. Mais si l’on ne
prend aucune décision, ceux qui voudront continuer la discussion du budget des
travaux publics seront dupes ; nous viendrons ici pendant trois ou quatre
jours sans nous trouver en nombre.
M. Eloy de Burdinne – Il me paraît, messieurs, qu’il ne serait pas convenable de
scinder la discussion du budget des travaux publics. Je suis persuadé que la
chambre sera en nombre lundi ; la question qui nous occupe est trop
importante pour qu’il en soit autrement.
M. le ministre des
travaux publics (M. Nothomb) – Si la chambre se croit dans
l’impossibilité de continuer à siéger jusqu’à ce qu’elle ait achevé la
discussion du budget des travaux publics, je ne puis m’empêcher d’exprimer tout
le regret que cela me ferait éprouver. Je dois rappeler aux membres de la chambre
qu’à ce budget se rattachent de bien grands intérêts, je dois leur rappeler
que, dans bien des circonstances, ils désirent eux-mêmes qu’on procède au
ministère des travaux publics avec célérité, que les affaires ne restent en
suspens. Vous serez peut être frappés, messieurs, des inconvénients qu’il y
aurait à ne pas continuer la discussion du budget des travaux publics, lorsque
vous songerez que vous réduirez par là l’action du ministère des travaux
publics pendant 1840, que vous réduirez cette action d’un mois ;
c’est-à-dire que l’année 1840, au lieu d’être une année de 12 mois, ne sera
pour le ministère des travaux publics, qu’une année de 11 mois. Ce sera là,
messieurs, une cause de retard bien fâcheuse pour les affaires.
M. Van Hoobrouck de Fiennes – Je regrette, messieurs, de devoir contrarier M. le ministre
des travaux publics, mais je crois que si la chambre a l’intention de prendre
une vacance, il est impossible qu’avant de se séparer elle examine le budget
des travaux publics avec toute l’attention, tout le soin qu’il mérite. Le
budget des travaux publics est un des budgets dont la discussion est la plus
importante ; chacun de ses chapitres donne lieu à une discussion
importante, il ne renferme pas un seul article qui ne se rattache peut-être à
des questions de la plus haute importance. Veuillez remarquez, messieurs, que
le département des travaux publics n’est créé que depuis trois ans, et que le
budget de ce département nous a toujours été présenté au moment où nous allions
nous séparer, de sorte que nous n’avons jamais pu l’examiner avec
l’attention qu’il réclame. Pendant trois
ans la section centrale m’a toujours confié l’honorable mission de faire la
rapport de ce budget ; je l’ai examinée avec beaucoup de soin, et j’aurai
cette année beaucoup d’observations à faire. Je reconnais que M. le ministre a
successivement introduit dans son administration beaucoup
d’améliorations ; mais, quelle que soit sa capacité, il est impossible
qu’il ait pu examiner toutes les questions avec maturité ; il a dû lui
échapper bien des choses sur lesquelles nous aurions à appeler son attention.
Je demande donc que si l’on a l’intention de prendre
des vacances, on ne vote le budget des travaux publics qu’après la rentrée. M.
le ministre lui-même conviendra que le service n’en souffrirait nullement, car
ce n’est pas un délai de 15 jours qui peut faire quelque chose ; nous
avons déjà voté un crédit de 12 millions pour le chemin de fer, et c’est
précisément à cela qu’il importait de pourvoir.
M. le ministre des
travaux publics (M. Nothomb) – Je remercie l’honorable
préopinant de la justice qu’il a bien voulu me rendre. J’ajouterai que les
améliorations qui ont été introduites dans le service l’ont été spontanément
par le gouvernement, et l’honorable membre ne trouvera pas mauvais que je
rappelle ici publiquement ce qui est arrivé il y a deux ans ; l’honorable
préopinant, alors aussi rapporteur, ayant bien voulu me dire qu’il ferait
l’éloge d’un service qu’il indiquait, je l’ai prié, précaution singulière de la
part d’un ministre, de supprimer cet éloge (hilarité) ;
je lui ai dit : « Ne faites pas cet éloge, car votre éloge serait
rétorqué contre moi et deviendrait un obstacle à des réformes que je
projette. »
Plusieurs voix – Vous avez très bien fait.
M. Eloy de Burdinne - Messieurs, on vous a dit
que, l’année dernière, on avait voté les budgets, sans qu’on les eût
convenablement examinés. Mais, messieurs, en demandant qu’on continue à
s’occuper du budget des travaux publics, mon intention n’est pas que la chambre
vote de confiance ; je veux au contraire que tous les budgets soient
attentivement examinés ; mais puisqu’on a commencé la discussion de celui
des travaux publics, et qu’il y a déjà trois jours que cette discussion dure,
je demande que la chambre la termine, avant de se séparer.
M. Dumortier – Messieurs, vous votez
maintenant qu’il est plus que jamais évident que la question qui nous occupe
depuis trois jours est de nature à se prolonger ; il est évident que
plusieurs jours s’écouleront encore avant que la discussion puisse être
terminée ; il est évident, d’un autre côté, que cette discussion est
entièrement connexe avec celle du budget des travaux publics, de façon que si
vous voulez terminer absolument la discussion relative au canal de l’Espierre,
il faut que vous preniez aussi la résolution de terminer le budget des travaux
publics. Or, je le demande à l’assemblée, l’assemblée pense-t-elle, oui ou non,
pouvoir terminer sans vacances le budget des travaux publics. Là, messieurs,
est toute la question, et si nous mettons la main sur la conscience, nous
serons forcés d’avouer que l’assemblée a manifesté hier d’une manière non
équivoque son intention de prendre des vacances au nouvel an. Vous le savez,
messieurs, les vacances de la nouvelle année sont d’un usage immémorial en
Belgique, et ces vacances seraient absolument sans effet, si elles devaient
arriver après les fêtes auxquelles elles sont destinées. A accorder à la
chambre des vacances au 10 ou au 15 janvier, ce seraient des vacances sans nul
effet, ce seraient des vacances illusoires ; mieux vaudrait ne pas en
prendre du tout ; mais l’assemblée a manifesté hier le désir qu’elle
voulait prendre des vacances ; eh bien, dans un pareil état de choses, il
convient beaucoup mieux de les prendre à partir d’aujourd’hui. (Aux voix ! aux voix !)
Je propose à la chambre de décider si elle prendra,
oui ou non, des vacances, et en cas que la question soit résolue
affirmativement, je propose de fixer notre prochaine séance au mardi 14
janvier, à une heure.
- La chambre consultée décide qu’elle prendra des
vacances ; elle décide ensuite que sa prochaine séance est fixée à mardi,
14 janvier, à une heure.
La séance est levée à 4 heures et demie.