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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 16 mai 1839

(Moniteur du 17 mai 1839, n°137)

(Présidence de M. Raikem)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Lejeune procède à l’appel nominal à 1 heure.

M. de Renesse lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Lejeune présente l’analyse des pièces adressées à la chambre :

« Cinq sauniers de Bruxelles renouvellent la demande qu’ils ont faites relativement à la révision de la législation sur le sel. »


« Le conseil communal et les habitants notables de Theniville (Luxembourg) demandent que le siège du tribunal de l’arrondissement soit fixé à Laroche. »


« Les collèges des bourgmestres et échevins des communes de Flobecq, Everbecq et Wadecq, réclament contre la pétition de la commune d’Ellezelles, afin d’obtenir le chef-lieu du canton. »


« Le sieur P.-A. Heysel, pharmacien à Stavelot, renouvelle sa demande en révision de la loi sur la police médicale. »

Projet de loi approuvant la convention conclue avec les concessionnaires du canal de Charleroy

Rapport de la commission

M. Zoude dépose sur le bureau un rapport sur le projet de loi relatif au rachat du canal de Charleroy.

La chambre fixera ultérieurement le jour de la discussion de ce projet

Projet de loi relatif au remboursement du péage sur l'Escaut

Discussion des articles

Article premier

M. le président – Dans la séance d’hier on a fermé la discussion générale. Nous allons passé à la discussion des articles.

D’après l’article premier, le péage sera remboursé à tous les navires, excepté aux navires hollandais.

Plusieurs amendements ont été proposés.

La section centrale propose le remboursement du péage même aux navires hollandais.

M. Van Cutsem a présenté cet amendement

« Le péage à percevoir par le gouvernement des Pays-Bas sur la navigation de l’Escaut, pour se rendre de la mer en Belgique ou de la Belgique à la mer par l’Escaut ou le canal de Terneuzen, sera remboursé par l’état aux armateurs belges et à ceux des autres nations, qui admettent nos navires dans leurs ports sur le pied des navires provenant des nations les plus favorisées, et à la Hollande du moment où cette puissance recevra nos navires tant dans son pays que dans ses colonies, sur le pied des nations les plus favorisées. »

M. Dechamps a fait cette proposition ;

« Le péage à percevoir par le gouvernement des Pays-Bas sur la navigation de l’Escaut, pour se rendre de la mer en Belgique ou de Belgique à la mer par l’Escaut ou le canal de Terneuzen, sera remboursé par l’état :

« 1° Aux navires belges ;

« 2° Aux navires étrangers appartenant aux pays de provenance et arrivant de ces pays directement et sans rompre charge. »

M. Donny a soumis cet amendement :

« Le péage à percevoir par le gouvernement des Pays-Bas sur la navigation de l’Escaut, pour se rendre de la mer en Belgique ou de la Belgique à la mer par l’Escaut ou le canal de Terneuzen, sera remboursé par l’état aux navires belges faisant la navigation de long cours ou le cabotage. »

M. le ministre des finances a enfin proposé cet amendement et la rédaction suivante :

Après les mots « les navires néerlandais exceptés », ajouter ceux-ci : « toutefois, si les circonstances lui paraissent l’exiger, le gouvernement est autorisé à suspendre l’application de cette exception. »

Le dernier paragraphe de l’article premier se trouvant alors, pour pouvoir être compris, trop éloigné de la disposition à laquelle il s’applique, la loi devrai être divisée en trois articles, au lieu de deux, comme suit :

« Art. 1er. Le péage à percevoir par le gouvernement des Pays-Bas sur la navigation de l’Escaut, pour se rendre de la mer en Belgique ou de la Belgique à la mer par l’Escaut ou le canal de Terneuzen, sera remboursé par l’état aux navires de toutes les nations, les navires néerlandais exceptés ; toutefois, si les circonstances lui paraissent l’exiger, le gouvernement est autorisé à suspendre l’application de cette exception.

« A cet effet, il est ouvert au gouvernement un crédit de trois cent mille francs destiné à couvrir les dépenses des derniers mois de l’exercice 1839. »

« Art. 2. Avant le 1er janvier 1843, il sera examiné si le bénéfice de l’article précédent doit être maintenu en faveur des pays avec lesquels il ne sera pas intervenu d’arrangements commerciaux de douane ou de navigation. »

« Art. 3. Pour faire face en partie au remboursement prescrit par l’article premier, il sera prélevé trois centimes additionnels sur les droits de douane, de transit et de tonnage, à partir de la date qui sera fixée ultérieurement par le gouvernement. »

M. Smits (Moniteur du 18 mai 1839) – Messieurs, il est souvent peu favorable de prendre la parole et d’être à l’arrière-garde à la fin d’une discussion générale sur un objet comme celui qui nous occupe dans ce moment, alors surtout qu’on arrive après des hommes de talent et de conviction qui ont épuisé la question et qui laissent fort peu de chose à dire.

Cette expérience je viens encore de la faire aujourd’hui ; car en revoyant ce matin mes notes, je me suis aperçu que messieurs Liedts, Lebeau et Pirmez vous avaient déjà présenté la plupart des remarques que je comptais vous soumettre.

J’essaierai néanmoins de vous présenter encore quelques observations nouvelles ; mais avant tout je dois insister sur une réflexion par laquelle M. Lebeau a terminé son discours, celle que la conférence de Londres a rendu l’Escaut réellement libre, sauf le péage, et qu’il ne dépend maintenant plus que de la législature de consacrer cette liberté.

Cette vérité, il importe d’autant plus de l’établir que, dans la discussion politique du mois de mars dernier, quelques orateurs ont égaré l’opinion en soutenant que le gouvernement s’était laissé prendre pour dupe, et que le traité du 23 janvier dernier était plus onéreux que celui du 15 novembre.

Permettez-moi d’ouvrir mon avis à cet égard, moi qui ai toujours défendu la question de l’Escaut, moi qui ai toujours été mêlé personnellement dans les négociations fluviales de 1832 et de 1833.

Lorsque celles de 1833 s’ouvrirent, voici quels étaient les soutènements de la Hollande et de la Belgique :

La Hollande disait : « Il n’y a point d’exemple dans l’histoire des traités qu’un état indépendant ait soumis le pilotage et le balisage d’un de ses propres fleuves à la surveillance commune d’un autre gouvernement ; qu’il ait consenti à fixer les droits de pilotage d’un commun accord avec un état étranger, et, par conséquent, à faire dépendre les droits que paieront ses propres sujets, de la volonté d’un de ses voisins, et à substituer au principe souvent adopté, que le pavillon étranger sera traité comme celui de la nation la plus favorisée, ou assimilé au pavillon national, le principe opposé que le pavillon national sera traité comme celui de l’étranger et comme celui-ci le jugera convenable ; qu’il ait assujetti son propre commerce, en ce qui concerne la navigation de ses eaux intérieures, aux mêmes péages que celui de l’étranger, et qu’il ait accordé à un autre état le droit de pêche et du commerce de pêcherie dans toute l’étendue d’un de ses fleuves, stipulation dont l’analogie se trouve seulement sur les côtes de certaines colonies. Le gouvernement des Pays-Bas ne peut souscrire à ces clauses dérogatoires aux droits de souveraineté de tout état indépendant. »

Voici, messieurs, ce que les plénipotentiaires de Pays-Bas soutenaient conformément à leur déclaration officielle du 14 décembre 1831, que je viens de rappeler textuellement. Ils prétendaient conséquemment que c’eût été mettre la Hollande en dehors du droit commun des nations que de lui refuser la perception d’un péage comme reconnaissance de son droit de souveraineté à l’embouchure ; qu’il eût été inouï de la frustrer de réglementer seule le pilotage et le balisage, la pêche et le commerce de pêcherie ; enfin qu’il n’y avait point d’exemple qu’une nation étrangère eût été admise à parcourir, sur le pied des nationaux, des eaux intérieures qui ne touchent point son territoire et où conséquemment elle ne pouvait faire valoir aucun droit.

Au reste, disaient-ils encore quant à la question du péage, le traité du 15 novembre en a consacré le principe dans ce sens que, d’après le premier et le dernier paragraphe de son article 9, l’Escaut devait dans tous les cas être assujetti de prime abord aux dispositions et au tarif de la convention de Mayence. La Hollande alla même plus loin, et si on peut en juger par les discours que prononcèrent messieurs Verstolk de Zoelen et Van Zuylen de Nyeveld aux états-généraux de cette époque, elle prétendit que l’article 14 du traité de Munster subsista encore dans toute sa plénitude comme n’ayant pas été abrogée par aucun traité postérieur.

La Belgique, que répliqua-t-elle à ces prétentions qui, il fait en convenir, étaient appuyées par plus d’une exemple tiré de la situation fluviale de l’Europe ? Elle répliqua précisément par les mêmes arguments que Messieurs. Dumortier et Dechamps firent valoir dans la dernière discussion politique.

Nous disions en effet qu’il était bien vrai que le dernier paragraphe de l’article 9, qui applique aux fleuves et rivières qui séparent ou traversent les deux états, les articles 108 à 117 de l’acte général du congrès de Vienne, était un principe général, dont on ne pouvait peut-être ne pas méconnaître l’application quand aux eaux intérieures et à la Meuse ; mais qu’à ce principe, le paragraphe 2 avait immédiatement dérogé en faveur de l’Escaut, en déclarant exceptionnellement qu’il ne serait perçu sur ce fleuve d’autres droits que des droits de pilotage ; que cette dérogation était conforme aux précédents historiques, au droit général et même à l’article 111 de l’acte général du congrès de Vienne que l’on invoquait contre nous : aux précédents historiques, puisqu’avant le quinzième et le seizième siècle ni après le traité de l’an III entre la république batave et la république française, jamais aucun péage n’avait été prélevé au profit de la Hollande sur le Hondt ou Escaut occidental ; au droit général, parce qu’une exception comme celle établie par le paragraphe 2 de l’article 9 déroge toujours en matière politique comme en matière civile, aux dispositions générale d’un contrat quelconque ; enfin à l’acte du congrès de Vienne lui-même, parce qu’il ordonne que les droits à établir sur les fleuves et rivières ne pouvaient jamais excéder ceux alors existants, c’est-à-dire ceux existants en 1815 ; or, qu’à cette époque il n’existait pour l’Escaut d’autre droit que celui du pilotage, et que même le règlement particulier pour l’Escaut, joint à l’acte général du congrès de Vienne, n’a pas non plus déterminé de péage comme il l’avait fait pour le Necker, le Mein, la Meuse et la Moselle, ; qu’au reste les puissances représentées à Londres devaient être convaincues qu’une Belgique sans une entière liberté fluviale n’était point viable et aurait toujours été un embarras pour l’Europe et un obstacle à la paix générale.

Et ne croyez pas, messieurs, que le langage que je viens de retracer soit fait après coup. Veuillez lire le rapport de lord Palmerston, annexe B., page 48 des pièces officielles, et vous trouverez la confirmation de ce que je viens d’avancer. Toutefois, vous comprenez, messieurs, que je ne présente ici que le résumé très succinct de ce qui fut dit et écrit alors ; mais je me hâte d’ajouter que si nos réclamations ne furent pas admises dans tout leur ensemble, cela tenait à trois causes qu’il est important de vous faire connaître : la première, c’est qu’on craignait, en adoptant dans son entier le programme de la liberté fluviale que je présentais à cette époque, d’éloigner davantage l’adhésion du roi Guillaume au traité du 15 novembre ; la seconde, c’est que quelques-unes des puissances représentées à Londres avaient un intérêt privatif direct à consacrer le principe d’un péage, afin de ne pas affaiblir leurs propres droits sur les fleuves dont elles tiennent elles-mêmes les embouchures, et qui traversent d’autres états ; la troisième enfin, et c’est la plus importante, c’est qu’à défaut d’avoir été éclairée à temps, la conférence avait déjà déclaré de la manière la plus formelle qu’elle avait entendu stipuler l’application à l’Escaut, non seulement du tarif, mais ce qui est pis encore, de la convention de Mayence.

Il y a plus, messieurs, c’est que déjà, en 1831, la conférence avait engagé le roi Guillaume à appliquer ce tarif et cette convention à l’Escaut, chose à laquelle ce souverain ne voulut point consentir, dans la crainte probablement de donner par là une adhésion implicite au traité du 15 novembre.

Ce qui prouve, du reste, ce que je viens d’avoir l’honneur de vous dire, c’est la déclaration formelle faite par les cinq puissances dans leur memorandum du 24 septembre 1832, annexe C, portant que l’application du tarif de Mayence à l’Escaut, se trouvant consignée dans l’article 9 du traité du 15 novembre, la Belgique aurait dû la subir, si le roi de Pays-Bas avait accepté ce dernier traité.

Maintenant que serait-il résulté si cette adhésion donnée plus tard avait été acceptée, et si le traité du 15 novembre avait été exécuté d’après l’interprétation donnée par la conférence ? Voici :

D’abord tous les navires sans distinction eussent été assujettis, conformément à l’article 14 de la convention de Mayence, a un droit de reconnaissance de 14 francs par bureau, et Dieu sait combien on en aurait établi.

En second lieu, ils auraient eu à acquitter un droit sur le chargement à raison du chargement du navire, et ce droit se serait élevé à 9 francs par tonneau.

Ainsi, d’un côté, arrestation ou retard à Flessingue, d’abord pour la jauge d’après laquelle devait s’opérer le droit de reconnaissance, en second lieu pour l’examen du manifeste d’après lequel le droit sur le chargement devait se prélever.

Ce n’est pas tout, le navire, en cas de suspicion de fraude (et les prétextes n’auraient peut-être pas manqué) pouvait être retenu et déchargé ; et comme rien n’était fixé pour le service sanitaire, il est probable que d’autres entraves seraient résultées de ce côté.

Jusqu’ici je n’ai fait mention que de l’application du tarif de Mayence ; maintenant si je voulais analyser les dispositions de la convention conclue en la même ville, convention qui se compose de 108 articles, il me serait facile de démontrer que, rigoureusement appliquées, ces dispositions seules, et sans le tarif, fermaient hermétiquement le fleuve à toute navigation. Pour le prouver, il me suffira de citer l’article 42, qui prescrit de n’admettre à la navigation du fleuve que des patrons expérimentés qui auront préalablement fait preuve de leurs connaissances. » De manière, messieurs, qu’on aurait pu exiger un examen de tout capitaine de navire avant de l’admettre à la navigation de l’Escaut. Je vous demande après cela ce qu’eût été la liberté ? Et veuillez ne pas perdre de vue que ni le tarif, ni le règlement de Mayence, ne détermineraient rien quant au pilotage, au balisage, au service sanitaire, à la pêche, au commerce de pêcherie, point sur lesquels nous serions difficilement parvenus à nous entendre.

Au lieu de cela, qu’avons-nous obtenu ? Surveillance commune du balisage, pilotage facultatif, c’est-à-dire le droit de créer un pilotage qui nous soit propre, non seulement dans l’Escaut qui traverse notre territoire, mais même dans l’Escaut qui traverse le territoire hollandais, droit précieux et immense dont nous n’avons jamais joui, et qui constitue à lui seul, à mon sens, une co-souveraineté véritable. De plus, la liberté du cabotage, la pêche et le commerce de pêcherie dans toute l’étendue du fleuve, nous ont été garantis ; notre navigation est devenue indépendante sous le rapport du service sanitaire ; jamais, et dans aucun cas, nos navires ne pourront être arrêtés, et au lieu d’un droit de reconnaissance de 7 francs par bureau et d’un droit sur le chargement de 9 francs par tonneau, le péage a été réduit à 3 francs 16 ½ centimes.

Vous dire par quelle suite d’efforts le gouvernement du Roi parvint à faire réformer le jugement porté par la conférence et qui emportait la ruine commerciale et maritime de la Belgique, est un sujet qui m’entraînerait trop loin. J’ai hâte d’ailleurs d’arriver à la question spéciale portée à l’ordre du jour ; mais vous conviendrez avec moi, messieurs, d’après ce que je viens d’avoir l’honneur de vous dire, que l’honorable M. Lebeau avait raison lorsqu’il soutenait que le traité du 15 novembre, tel qu’il a été interprété par la conférence, était l’esclavage absolu, tandis que le traité du 23 janvier dernier est le régime de la liberté relative.

Messieurs, la législature belge voudra-t-elle, par un vote négatif à la proposition qui lui est soumise, compromettre les efforts et les succès du gouvernement ? Voudra-t-elle, par une décision hostile à cette proposition, détruire la confiance que la paix a fait naître dans six de ses principales cités ? Voudra-t-elle enfin mettre Anvers, Bruxelles, Gand, Louvain, Malines, Termonde en dehors du droit commun ?

Car, messieurs, telle est véritablement la question que vous êtes appelés à examiner, et cette question a toujours été résolue négativement, tant par le ministère actuel que par ceux qui l’ont précédé.

En effet, en 1833, l’honorable M. Rogier, alors ministre de l’intérieur, m’écrivit la lettre dont je vous demande d’autant plus volontiers la permission de vous donner lecture, qu’elle témoigne hautement de tout l’intérêt que portait l’honorable membre au beau fleuve dont la Belgique a tant de motifs de s’enorgueillir. La voici :

« Bruxelles, 2 août 1833,

« Monsieur,

« Je vous écris à la hâte, pressé par le départ de mon courrier. L’article qui concerne l’Escaut est, sans contredit, avec celui qui règlera la dette, le plus important du traité. S’il faut en passer par un péage, il faut au moins que cette charge ne soit acceptée par nous qu’à des conditions qui garantissent sous tous autres rapports la liberté du fleuve : ainsi taux modéré du péage, perception dégagée de toutes formalités, pilotage facultatif, avec la certitude pour nous de pouvoir l’exercer sans entraves ; garantie enfin que les navires en destination pour Anvers ne soient retenus à Flessingue, ni sur tout autre point du territoire hollandais, sous prétexte de précautions contre la fraude, les maladies contagieuses, etc., etc. La pêche non plus ne doit pas être perdue de vue, etc., etc. »

Je répondis à cette communication dans les termes suivants, sous la date du 6 août :

« M. le ministre,

« J’apprécie comme vous toute l’importance de la question de l’Escaut pour l’avenir futur de la Belgique ; elle est, comme vous le dites, avec la dette, le point capital de la négociation. Aussi entre-t-il dans mes intentions de rester à Londres jusqu’à ce que toutes les conditions aient été parfaitement réglées. Toutefois, il ne s’agit encore aujourd’hui, ainsi que vous l’aurez appris par la correspondance de messieurs Van de Weyer et Goblet, que de tomber d’accord sur le montant du péage. La Hollande, qui demandait d’abord 3 florins, ensuite 2, se contentera, paraît-il, de 1 florin 50 c., au lieu de 1 florin réglé par le thème de lord Palmerston.

« Je ne sais si cette puissance est sincère, comme on l’assure ici, dans son désir d’arriver à une conclusion finale de nos différends. Si elle ne l’était pas, la concession me paraîtrait dangereuse : ce ne serait qu’un précédent que le cabinet de La Haye chercherait à établir, et dont il prendrait acte pour nous l’opposer plus tard. C’est un point que le gouvernement du roi aura à examiner ; mais si, comme je l’espère, le gouvernement hollandais est sincère, et que pour assurer la paix, la Belgique voulût faire la concession de 1 florin 50, dans la prévision d’arriver d’un autre côté à des économies sur les dépenses considérables que l’état de guerre occasionne aujourd’hui, dans ce cas, M. le ministre, veuillez ne point perdre de vue que la navigation ne saurait par elle-même supporter la moindre partie du péage, car vous comprenez que du moment où sa condition sera plus onéreuse que celle de la navigation hollandaise, dès ce moment aussi les bienfaits du chemin de fer disparaîtraient à jamais pour elle. Autant vaudrait ne plus s’occuper de ce projet et abandonner aussi celui du libre transit que nous voulons établir, car nos relations avec l’Allemagne seraient compromises à jamais. »

Que fit le gouvernement ? Il autorisa messieurs Van de Weyer et Goblet à consentir au péage de 1 florin 50 cents, mais sous la condition d’obtenir le rachat de toutes les garanties et franchises indiquées dans la lettre de M. Rogier dont je viens d’avoir l’honneur de vous donner lecture.

Ainsi, messieurs, à toutes les époques, en 1832 comme en 1833, en 1835 comme en 1839, le gouvernement a considéré le péage comme une charge de l’état, comme une dette dérivant essentiellement du pacte qui constitue l’indépendance de la Belgique. Et il n’en pouvait être autrement, messieurs, car qu’est-ce que le traité, si ce n’est un engagement de charges et de bénéfices ayant un but commun : la nationalité belge ?

Cette nationalité est le bénéfice ; le péage est une partie des charges moyennant lesquelles le bénéfice a été acquis. Mais qui a acquis ? Est-ce Anvers, Bruxelles, Gand, Malines, Louvain, Termonde, privativement parlant ? Non, c’est la nation ; c’est la nation en masse qui va, pour la première fois, jouir de son indépendance ; et ce serait donc rigoureusement à la nation en masse à supporter les conditions onéreuses du traité.

Et ici, remarquez-le bien, messieurs, ce devoir est d’autant plus impérieux, d’autant plus sacré, que la nation, en opérant sa révolution, a trouvé l’Escaut dégagé de tous droits et de toutes entraves : la révolution doit être fière aujourd’hui pour ne point le remettre dans le même état, et s’il est possible, entouré d’une protection plus grande encore que celle dont il a joui sous des gouvernements étrangers.

Ce serait en effet une étrange anomalie que de voir une nation faire les plus grands sacrifices pour acquérir une somme de libertés plus grandes, et de faire tourner ensuite ces libertés contre les franchises maritimes de quelques-unes de ces villes, et surtout contre celles de sa métropole commerciale.

Permettez-moi de le dire, messieurs, ce ne serait seulement pas une anomalie, ce serait une inconséquence ; plus encore, une absurdité.

Cependant des réclamations se sont élevées. On ne veut plus qu’Anvers, Bruxelles, Gand, Malines, Louvain, jouissent des avantages fluviaux dont ils jouissaient avant la révolution ; on demande qu’on leur fasse supporter une partie des charges dérivant du pacte qui constitue l’indépendance nationale.

Si ces réclamations étaient parties de Rotterdam, de Dort ou de Rotterdam, je les comprendrais ; mais je ne les comprends plus lorsqu’elles émanent de localités belges.

Non, messieurs, je ne les comprends plus ; car si la localité qui m’a envoyé dans cette enceinte venait en masse me solliciter de mettre le moindre de nos hameaux en dehors du droit commun, je repousserais avec indignation une pareille proposition. Je lui dirais : Vous m’avez envoyé ici pour défendre et soutenir les droits généraux, ce qui est juste et équitable ; mais non ce qui s’écarte de ces droits, ce qui est injuste et déraisonnable.

Si encore, depuis la révolution, les localités qui réclament, avaient été spoliées au profit des localités qu’on menace ; si les premières avaient perdu en importance maritime ce que les autres auraient gagné, on pourrait jusqu’à un certain point, je ne dis pas justifier, mais excuser les prétentions qu’on soulève ; mais lorsque c’est précisément le contraire qui existe, on ne peut attribuer qu’à un sentiment de rivalité jalouse des exigences que je ne croyais pas pouvoir exister.

Oui, messieurs, depuis la révolution, c’est Ostende qui a gagné en importance maritime, c’est Anvers qui a perdu. J’en félicite Ostende, car je désire que tous les localités fleurissent et prospèrent ; je désire que partout une noble émulation s’établisse ; mais je demande aussi que cette émulation ne dégénère point en une étroite et mesquine jalousie, jalousie qui jadis a provoqué des guerres civiles et qui, dans le 14e et le 15e siècle, a fait descendre nos provinces du haut rang industriel, commerce et maritime, où elles s’étaient placées.

Que cette leçon du passé nous serve pour le présent ; occupons-nous sans relâche à entretenir l’harmonie et la concorde, et ne brisons point par des exceptions une union d’autant plus précieuse que c’est d’elle seule désormais que doit dériver la paix intérieure.

Je le répète, mon vœu le plus sincère est que toutes nos localités prospèrent, chacune d’après sa position, ses capitaux et l’intelligence qui préside à leur emploi.

Mais, dit-on, nous ne voulons appauvrir ni Anvers, ni Bruxelles, ni Gand, ni Louvain, ni Malines, ni Termonde ; nous voulons que leur marine nationale puisse naviguer avec franchise du péage ; ce que nous demandons, c’est que le pavillon étranger qui abordera dans ces ports, ne jouisse pas des mêmes privilèges.

Eh, messieurs, là précisément est l’injustice, là se trouve l’exclusion qu’on veut faire peser sur six de nos principales cités ; car ne comprend-on point que les navires étrangers qui voudraient trafiquer avec la Belgique et qui seraient exclus des ports de Bruxelles, de Gand, d’Anvers, de Louvain, de Malines et de Termonde, pourront néanmoins continuer de naviguer en franchise sur Ostende, Blankenberghe et Bruges ; et, dans ce cas, où sera, je le demande, la protection pour le pavillon national qu’on réclame ? Où sera le remède contre le mal que redoutait l’honorable M. Dolez ? Les fers et les charbons anglais ne pourront-ils point aborder à Ostende, si tant est que leur concurrence soit à craindre en présence du tarif actuel ?

Je me plais à croire que cette simple observation dissipera tous les doutes de l’esprit, si juste d’ailleurs, de l’honorable député de Mons, et qu’il tombera d’accord avec moi que la question de l’importation des fers et des houilles n’est pas une question de navigation, mais une simple question de douanes.

Ce que l’honorable député auquel je fais allusion comprendra encore, c’est qu’en éloignant la navigation de Bruxelles et d’Anvers, les produits du Hainaut, de la province de Liége, de Namur, du Limbourg, du Luxembourg, du Brabant et d’Anvers, devront aller chercher à l’autre extrémité du royaume des moyens d’exportation qu’ils trouvent aujourd’hui sous la main ; c’est que les matières premières dont l’industrie de ces provinces a besoin leur reviendront plus cher, devant venir de plus loin ; c’est enfin que la concurrence de leurs produits sur les marchés étrangers deviendra d’autant plus difficile.

Ce que les opposants au projet du gouvernement vous proposent donc d’établir, ce n’est point un acte de navigation, ce n’est point un système de droits différentiels applicables à tous les navires étrangers, mais un système de droits différentiels exceptionnels pour quelques ports.

Si je me trompe, qu’ils le disent ; qu’ils m’affirment qu’ils n’ont qu’un seul but, celui de protéger la marine nationale contre la concurrence étrangère, et que, conséquemment, ils ne demandent pas mieux que de faire payer également à Ostende le péage qu’on percevrait à Anvers. J’attendrai cette déclaration. En attendant, je me dispenserai d’examiner la question des droits différentiels en elle-même. Qu’on formule un système complet à cet égard, et on me trouvera près à entrer en lice sans craindre de me voir accusé de protéger le pavillon étranger.

Eh ! grands dieux, messieurs, où en serez-vous sans son indispensable concurrence ? Où en serait l’industrie agricole et industrielle du pays ? Où en seraient nos ports si leur navigation devait s’alimenter uniquement par les 150 bâtiments que la Belgique possède et qui sont répartis entre les différentes villes ?

Je vais vous le dire, messieurs ; l’industrie manquerait de moyens pour l’importation de ses matières premières et l’exportation de ses produits fabriqués ; les bassins d’Anvers, de Bruxelles, de Louvain, etc., seraient désertés, et le pays, naguère si florissant par la fréquentation du pavillon des deux mondes, tomberait dans le marasme, dans l’anéantissement de la mort.

Qu’on ne perde pas de vue, messieurs, que la Belgique avant tout est agricole et industrielle, et que la navigation n’est pas un but, mais un moyen. Elle constitue, si j’ose m’exprimer ainsi, le roulage par mer, et plus vous aurez de voitures de cette espèce à votre disposition, plus vous importerez économiquement vos matières premières, plus vous exporterez vos produits fabriqués, plus vous pourrez soutenir la concurrence sur les marchés étrangers.

Messieurs, un honorable membre de cette chambre, M. A. Rodenbach, vous a dit dans la séance d’avant-hier : « Mais qu’importe le péage ! personne ne pourra en souffrir s’il continue de subsister ; les armateurs s’enrichissent, ils vivent dans l’opulence ; dès lors, un péage d’un florin 50 cents (telle était a conclusion de l’honorable membre) ne peut leur être fort onéreux. »

S’il est vrai que les armateurs s’enrichissent, je demanderai pourquoi il faudrait établir les droits différentiels, car évidemment les droits différentiels commencent par tourner au bénéfice des armateurs.

L’honorable membre n’a pas été plus heureux quand il a cité la chambre de commerce d’Anvers, et qu’il a dit que cette chambre avait accepté le thème de lord Palmerston. Mais la chambre de commerce d’Anvers a très bien fait ; elle a accepté le principe de la liberté fluviale renfermé dans ce thème, que je me glorifierai toujours d’avoir aidé à négocier ; elle servait ainsi les intérêts du pays. Car, veuillez le remarquer, dans le thème de lors Palmerston le rachat du péage est sanctionné ; la Belgique pouvait se racheter moyennant 150,000 florins ; de plus, elle pouvait racheter la dette annuelle même par une capitalisation.

Un autre orateur, M. de Foere, est revenu hier sur son système favori des droits différentiels…

M. de Foere – C’est inexact !

M. Smits – Je vous demande pardon, monsieur ; vous avez dit que toutes les importations et toutes les exportations devaient se faire par le pavillon national. Vous avez dit qu’il en était ainsi en Angleterre et en Hollande. Et là-dessus j’ai pris la liberté de vous interrompre, pour vous dire que la Hollande suivait les mêmes errements que nous, que nous avions le même système que celui qui est suivi dans ce pays.

On veut suivre l’exemple de l’Angleterre ; mais, messieurs, pour suivre cet exemple, il faudrait être l’Angleterre ; il faudrait des possessions coloniales ; il faudrait avoir la clef de toutes les mers ; il faudrait, outre cela, avoir une position insulaire

Dans un pays comme le nôtre, pays agricole et industriel, il n’est pas de notre intérêt de l’exclure. Notre intérêt, dans une Belgique comme celle que nous occupons, c’est, je le répète, d’importer vos matières premières le plus économiquement possible, c’est d’exporter vos produits fabriqués avec la même faveur. Voilà ce qu’il nous faut, parce que, sans cela, la lutte avec l’étranger sur les marchés étrangers devient impossible.

On parle de l’Angleterre ; mais l’Angleterre est une puissance immense ; elle a un pied sur l’Inde et l’autre sur le golfe de Californie. C’est un autre colosse que celui de Rhodes, car il est à califourchon sur les deux hémisphères. Quand la Belgique se trouvera dans la même position, elle pourra suivre le système de la Grande-Bretagne.

Un troisième orateur vous a dit : « Le système d’aujourd’hui est mauvais, détestable ; votre marine dépérit à vue d’œil. »

Messieurs, c’est un autre mot que l’honorable député de Courtray aurait dû prononcer ; il aurait dû dire : « la marine a péri ». Oui, la marine a péri par suite de naufrages, de sinistres, mais non par suite du système qui a été suivi. A aucune époque, au contraire, la marine nationale n’a trouvé plus d’emploi qu’elle n’en trouve aujourd’hui ; dans ce moment il y a encore 20 navires en construction ; mais, je le répète, sui les navires manquent, ce n’est pas la faute du système que nous avons suivi, c’est la faute des tempêtes qui les ont engloutis.

On insiste, et l’on dit encore : « Oui, le système est mauvais ; car, d’après vos propres tableaux, les importations excèdent de beaucoup les exportations. » Mais je voudrais qu’on me citât un seul pays, à l’exception de l’Angleterre, un pays qui progresse, où les importations n’excèdent pas la masse des exportations. En Hollande, dans les villes anséatiques, en Amérique, en Russie, dans tous les pays commerçants enfin, les importations excèdent de beaucoup les exportations.

Et qu’on en croie pas, messieurs, qu’une augmentation dans les importations constitue toujours une défaveur pour le pays. A ce compte, la Belgique serait ruinée depuis longtemps ; ce sont des idées qui appartiennent à la vieille école ; c’est l’utopie de la balance commerciale.

Eh, messieurs, je pourrais vous le prouver par l’exemple le plus simple. J’ai devant mes yeux un livre ; ce libre me coûte 3 francs ; j’en achète 10,000 ; j’envoie ces livres en Amérique ; j’aurai donc dépensé 30,000 francs ; à la douane on constatera conséquemment une exportation de la même somme ; mais, en Amérique, je vends mes livres à raison de 5 francs la pièce ; je gagne ainsi 2 francs par livre, et je me procure 50,000 francs. J’achète du coton avec ces 50,000 francs, et en ne supposant plus aucun autre bénéfice de retour, je serai chargé pour 50,000 francs d’importation. Maintenant, je le demande qui a gagné ? qui a perdu ?

Ainsi, vous le voyez, cette soi-disant balance commerciale est une véritable utopie, elle ne supporte pas le moindre examen.

On a dit encore : « Nos exportations languissent, nous n’exportons rien. »

Eh bien, je soutiens qu’à aucune époque, même pendant les temps les plus prospères, nous n’avons exporté autant de produits industriels par la voie maritime ; nos exportations suivent un mouvement perpétuellement ascendant, et je vais le prouver.

Je vous prie, messieurs, de faire attention aux chiffres que je vais citer ; je ne serai pas long.

Exportation totale depuis 1831

Marchandises belges et marchandises étrangères :

1831 : 104 millions

1832 : 122 millions

1833 : 124 millions

1835 : 135 millions

1836 : 165 millions

Maintenant, je citerai les produits exclusivement belges :

1831 : 96 millions

1832 : 111 millions

1833 : 108 millions

1834 : 118 millions

1835 : 138 millions

1836 : 144 millions

Vous voyez donc, messieurs, que le mouvement de l’exportation a été très ascendant. Je ne puis pas mettre sous vos yeux les tableaux de 1837 et de 1838, parce qu’ils ne sont pas encore imprimés. Mais, à quelques exceptions près, résultant de causes particulières, je crois pouvoir garantir d’avance qu’ils présenteront des résultats aussi satisfaisants que ceux que je viens de signaler.

Messieurs, que ceux qui trouvent que la marine nationale n’a pas assez d’emploi, consultent les tableaux du commerce, et ils verront que le mouvement de cette marine a été également en augmentant. Que ceux aussi qui pensent que la concurrence avec la navigation étrangère n’est pas utile, y jettent également un regard, et ils trouveront que la marine étrangère a exporté à peu près les 2/3 de produits nationaux de plus que la marine belge ; cela tient sans doute à l’infériorité numérique de cette dernière marine ; mais il n’en est pas moins vrai que la marine étrangère concoure puissamment à l’exportation de nos produits.

Quant à nous, messieurs, qui défendons le système qu’on a suivi, nous nous glorifions d’un pareil résultat, et nous doutons fortement que le système opposé, le système qu’on veut à toute force introduire incidemment dans la loi qui nous occupe, puisse en produire de pareils.

Si nous devions exclusivement nous servir de notre pavillon, je vous le demande, où en serait notre industrie, notre agriculture ? Nous avons 160 navires environ, non compris ceux qui sont sur le chantier ; ils ont un tonnage d’environ 32,000 tonneaux, et nous avons besoin de 390,000 tonneaux, pour importer nos matières premières, pour exporter nos produits fabriqués. Ainsi, il y a véritablement un déficit d’environ 358,000 tonneaux, soit 358 millions de kilogrammes de marchandises. Eh bien, messieurs, à côté d’un pareil chiffre, je vous demande ce que signifie l’insistance que mettent quelques personnes à vouloir exclure les navires étrangers.

Messieurs, il ne suffit pas de dire : Je veux établir un système de droits différentiels, il faut encore se demander quels en seront les résultats ; or je mets en fait que si vous excluez de vos ports le pavillon étranger, votre marché est virtuellement perdu. Je ferai une seule question à M. de Foere : je lui demanderai si le café que la société de commerce de Bruges a fait venir directement du Brésil dans le port de cette ville y a été aussi bien vendu qu’il l’aurait été sur le marché d’Anvers, qui est beaucoup plus étendu par le nombre des navires qu’il reçoit ? S’il peut me répondre affirmativement, je changerai peut-être d’opinion ; mais je doute qu’il puisse le faire.

Réfléchissez y bien, messieurs, aucun des amendements présentés ne peut atteindre le but qu’on s’est proposé. Si vous ne remboursez pas le péage aux navires étrangers, vous établissez un droit différentiel contre Anvers, Gand, Bruxelles, Malines, Termonde, etc. ; mais, je le répète, ce n’est pas là un droit différentiel maritime, d’autant moins qu’il ne sera pas général et qu’il ne sera pas applicable à Ostende, Bruges, Nieuport, etc.

Je voterai pour l’article 1er. Mais, si ce que je ne pense point, si, ce qui n’est pas possible, la chambre écartait le projet de loi qui lui est soumis par le gouvernement, ce rejet retentirait comme un coup de canon bien plus désastreux que ceux qui ont détruit nos propriétés, incendié nos entrepôts et réduit à la misère un grand nombre de familles qui, après neuf ans de souffrance, attendent encore que la législature vienne à leurs secours.

Je n’en dirai pas davantage. Je suis d’ailleurs un peu fatigué.

(Moniteur du 17 mai 1839) M. A. Rodenbach - Le système d’Adam Smith, de J.-B. Say, et d’autres économistes que vient de préconiser l’honorable préopinant, nous l’avons lu dans les auteurs ; mais je doute fort qu’il fût avantageux à la Belgique. Sans vouloir comparer notre pays à l’Angleterre, qui a 25 mille vaisseaux sur toutes les mers, et qui exporte chaque année pour deux milliards de francs, je dis que si l’Angleterre s’est créé une marine marchande en lui assurant une protection, notre pays peut également, par un système de protection, se créer une marine en rapport avec ses besoins. L’on ne peut contester la richesse de notre pays, qui donne amplement matière au commerce étranger, lorsqu’on sait que dans les magasins du pays il y a les sept huitièmes de marchandises étrangères.

M. Rogier, rapporteur – Je m’étais préparé pour parler dans la discussion générale ; mais les discours prononcé dans la séance d’hier et dans la séance d’aujourd’hui me dispensent d’aborder une partie de ma tâche. Déjà la discussion dure depuis trois jours. L’adhésion unanime que le projet avait rencontré dans les sections ne m’avait pas donné lieu de penser que cette discussion se prolongeât aussi longtemps. C’est dans le but d’abréger la discussion et de ramener la question à ses véritables termes que je m’appliquerai à défendre plus particulièrement le principe adopté par les sections, et reproduit par la section centrale, à savoir que le rachat du péage sur l’Escaut par l’état serait considéré comme une dette nationale, comme une conséquence naturelle de l’exécution du traité. Cela n’a été révoqué en doute par personne dans les sections. Aucun membre de la chambre, dans les sections, n’a élevé de doutes sur la justice et l’opportunité d’une telle réparation.

Le traité des 24 articles a fait à la Belgique de grandes lésions, l’une malheureusement était irréparable ; vous vous occupez en ce moment à les réparer autant qu’il est en vous. Je le déclare pour ma part, si pour le Limbourg et le Luxembourg le gouvernement nous avait proposé des mesures de réparation plus larges, je les eusse accordées de grand cœur, et j’ose répondre que mes amis eussent fait comme moi. Une autre grande lésion (mais dont vous avez le moyen de faire cesser les effets funestes), c’était l’asservissement de l’Escaut par un péage. C’est cette lésion que le gouvernement, conformément à tous les engagements antérieurs, vient vous demander de réparer. Je paraîtrai peut-être aller trop loin ; mais je dirai qu’un déni de justice vis-à-vis de l’Escaut, si vous lui refusiez la réparation qu’on vous demande, serait d’autant plus éclatant que dans toutes les négociations l’Escaut a été en quelque sorte choisi comme victime. Pour obtenir des avantages sur d’autres points, on s’est relâché de ses prétentions sur l’Escaut lui-même. En voici la preuve. Puisqu’il s’agit de faits accomplis, il n’y a pas d’indiscrétion à révéler les circonstances des négociations, d’autant plus qu’elles se rapportent à une époque où j’avais l’honneur de faire partie du cabinet. Les ministres plénipotentiaires de la Belgique à Londres avaient, comme l’a rappelé l’honorable M. Smits, consenti à un péage sur l’Escaut. Le cabinet de Bruxelles leur dit qu’il trouvait qu’ils avaient été un peu pressés de consentir à l’augmentation de ce péage.

Voici textuellement ce que nous répondaient les deux ministres plénipotentiaires à Londres, au mois d’août 1833 :

« Nous avons demandé l’autorisation de consentir à un droit de 1 florin 50 c. sur l’Escaut, parce que nous prévoyions que cette augmentation de péage pourra terminer bien des difficultés. »

Et dans une autre lettre, voici ce qu’ils écrivaient :

« Si en définitive nous avons cédé au droit plus élevé sur l’Escaut, c’était pour porter toutes nos forces sur d’autres points. Nous avons en quelque sorte réservé toutes nos forces pour la question du syndicat et des arrérages. »

Ainsi, vous le voyez, si l’on consentait à un chiffre plus élevé du péage sur l’Escaut, c’est parce qu’on espérait des conditions meilleures sur le syndicat et sur les arrérages ; c’est parce qu’on espérait diminuer par là la somme assignée à la dette. Cet espoir n’a pas été vain. Vous avez obtenu une forte diminution de la dette, et on a en quelque sorte passé condamnation sur le péage ; de telle sorte, on peut le dire, que cette question n’a été introduite dans les derniers temps à la conférence que d’une manière très accessoire et certes très tardivement.

Le gouvernement n’a pas hésité, soit à l’époque dont je parle, soit à une époque plus rapprochée, à considérer le péage sur l’Escaut comme une dette nationale. C’est ainsi que le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères l’a présenté dans son rapport. Il l’a fait sans qu’aucune protestation se soit élevée dans cette chambre sur cette manière d’envisager le péage. Et dans la discussion du traité, bien loin que des voix se soient élevées pour protester contre les intentions du ministre, on trouvait que le rachat du péage ne suffisait pas, qu’il en fallait l’abolition. On exprimait pour l’affranchissement de l’Escaut des sympathies tellement vives que nous-mêmes, hommes modérés, nous trouvions parfois qu’on allait trop loin. On nous a reproché notre silence dans cette circonstance, ne fût-ce sans doute que pour avoir le plaisir de nous faire un reproche d’être l’organe de ce qu’on a appelé un intérêt de localité.

Nous n’avons pas donné dans ce piège, nous n’avons pas voulu paraître révoquer en doute les sentiments de sympathie qui se manifestaient alors pour cette grande cause.

Aujourd’hui on dit que l’on est encore disposé à faire pour l’Escaut la réparation promise dès le principe ; seulement il y a différentes manières d’entendre le mode de réparation. Nous, nous demandons simplement le maintien de ce qui est ; nous disons : Laissez l’Escaut dans le statu quo. D’honorables membres, au contraire, qui reprochent à mes amis et moi de nous montrer novateurs, ne se contentent pas du statu quo, il leur faut faire des expériences ; ils nous proposent d’essayer à cette occasion du système des droits différentiels qui jusqu’ici n’a pu trouver accès dans la chambre. On veut, malgré les défenseurs de la liberté de l’Escaut, faire au fleuve plus de bien qu’il n’en demande. Et pour cela les moyens ne manquent pas ; car il est surgi depuis deux jours cinq à six systèmes bien caractérisés. C’est à qui proposera des remèdes plus ou moins héroïques, des mesures plus ou moins puissantes pour tirer parti de la liberté du fleuve.

L’un veut borner l’exemption du péage aux navires belges, l’autre l’accorde aux navires de tout pays sortant chargés ; un troisième ne veut rembourser le péage qu’aux navires des puissances chez lesquelles les nôtres sont admis sur le pied des nations les plus favorisés. Un quatrième accorde le remboursement seulement aux navires qui viennent directement des pays de provenance Un cinquième veut que le péage soit supporté par le haut commerce d’une manière ou d’une autre. Un sixième, et c’était aussi le système du ministère, veut une exception pour les navires hollandais ; cependant cette exception ne se présente plus maintenant avec le caractère absolu qu’elle avait dans le principe.

Voilà donc cinq à six systèmes ; la difficulté n’est pas de les produire, mais de les coordonner. Après avoir demandé la question préalable sur toutes les propositions se rattachant aux droits différentiels, je ne combattrai pas tous ces systèmes ; cela me conduirait trop loin ; je m’attacherai à un seul, à celui qui a été développé selon moi avec le plus de talent, au système de l’honorable M. Dechamps. J’établirai que, tel qu’il est, il est véritablement impraticable. Le système de M. Dechamps restreint l’exemption du péage aux navires étrangers appartenant aux pays de provenance et arrivant directement de ces pays. Le but de cet amendement, si j’en ai bien compris les développements, est de favoriser les voyages de long cours. Vous voulez favoriser les voyages de long court, et vous ne favorisez pas moins le grand et le petit cabotage. Qu’est-ce qu’un pays de provenance ? Le Brésil est un pays de provenance pour le sucre ; les Etats-Unis d’Amérique est un pays de provenance pour le coton ; mais de même l’Angleterre pour les manufactures, la France pour les vins, la Hollande, sinon pour grand-chose, du moins pour certaines choses, sont des pays de provenance. Les navires, venant de ces pays de provenance, auront-ils droit au remboursement du péage. Si tel est le sens de l’amendement, j’y vois moins d’inconvénient, car il y a lieu de rembourser le péage à la plupart des navires. Mais dans le système de cet amendement que fera-t-on pour les pays de provenance qui n’ont pas du tout de navires ? Il y en a plusieurs dans ce cas. Le Brésil, le Mexique, l’Egypte, ont peu ou point de navires. Il ne sera pas possible de restituer le péage aux navires de ces pays, puisque ces pays-là n’ont pas de marine. Voudrez-vous par hasard que les navires étrangers venant de ces contrées n’aient pas droit au remboursement du péage ? alors ne dites pas que votre but est de protéger la navigation au long cours, si vous excluez tous les pavillons autres que le pavillon national et le pavillon des pays de provenance. Mais qu’arrivera-t-il si les navires étrangers autres que ceux des pays de provenance sont assujettis à un péage ? Vous ne les aurez pas dans les ports d’Anvers et de Gand, je le veux bien ; ils seront forcés de se rabattre sur le port de Rotterdam ou d’Ostende ; si tant est qu’Ostende leur offre un marché tout aussi avantageux que les ports de Rotterdam et d’Amsterdam. Et c’est ici que j’arrive au point faible de votre système ; c’est là le vice radical d’un système de droits différentiels établi à propos d’un péage sur l’Escaut. Voudrez-vous que vos droits différentiels ne se bornent pas à la navigation de l’Escaut, mais s’étendent à toute la Belgique ? Vous le voulez ainsi sans doute, car vous n’établirez pas, pour deux ports à quelques lieues l’un de l’autre, deux régimes différents. Eh bien, oserez-vous, dans les circonstances où nous sommes, pressés par le temps, aidés d’aussi peu de lumières, établir dès à présent pour toute la Belgique le système des droits différentiels. Oserez-vous dire à Ostende : Tout navire étranger arrivant dans votre port sera soumis à un droit de péage qu’il devra supporter pour être mis sur le même pied que les navires arrivant à Anvers ?

Je ne sais pas quelle est l’opinion de la chambre d’Ostende sur cette question ; mais je dis qu’elle est assez importante pour mériter son examen et ses délibérations. Si la chambre d’Ostende consent à introduire chez elle le système des droits différentiels, devez-vous par cela les admettre ? Messieurs, avant d’aborder de pareilles questions, je vous conseillerai de vous laisser le temps de la réflexion. Quoi, établir tout à coup des droits différentiels dans tous nos ports ! mais qu’est-ce, messieurs ? c’est rompre en visière avec toutes les nations. Vous voulez faire des traités de commerce, serait-ce le moyen d’y parvenir ? Au moment où vous avez fait la paix en consentant à de douloureux sacrifices, au moment où vous allez entrer dans la grande famille des nations, vous signaleriez votre entrée par une déclaration de guerre ! au moment où vous avez fait les plus grands sacrifices pour avoir la paix politique, vos premiers actes seraient une hostilité commerciale envers les nations au nombre desquelles vous allez prendre place. Messieurs, je viens d’établir les difficultés dont serait hérissée l’introduction du système des droits différentiels parmi nous. Reste à vous décider si vous voulez l’écarter tout entier de la discussion.

Quant à moi c’est mon avis. Je crois qu’on a eu tort de le proposer, qu’on a eu tort de le discuter ; et je prendrai garde à ce que par des questions posées accessoirement on ne vienne annihiler la question principale qui doit occuper la chambre. Or, quelle est la question qui nous occupe ? C’est de maintenir l’Escaut dans l’état où il est, c’est de faire disparaître par le trésor public l’obstacle financier que la conférence a établi en compensation, suivant moi, de divers franchises et prérogatives dont la navigation jouira à l’avenir. Au nom de quels intérêts vient-on demander autre chose ? et qui désirent un système nouveau ? est-ce Liége, Gand, Verviers, Charleroy, qui demandent des droits différentiels ? est-ce le commerce qui se fait sur l’Escaut qui demande ces droits que vous considérez comme sa prospérité ? Ni les industries que je viens de citer, ni le commerce de l’Escaut n’ont demandé les droits différentiels ; avant donc de stipuler en leur nom, vous devriez au moins les avoir entendues. Ils regardent votre prétendu bienfait comme inutile, sinon comme nuisible ; j’en parle pertinemment pour le commerce d’Anvers, et je ne doute pas que les autres industries ne fassent la même réponse.

La question principale, dépouillée de toutes les questions accessoires qui sont venues autour d’elle, se trouve très simplifiée ; elle est tout entière dans le premier paragraphe du projet de loi ; et il me semble que pour procéder avec ordre, l’on ferait bien de suivre la marche qui a été adoptée par la section centrale et de poser successivement les questions ; de cette manière la discussion pourrait se préciser.

La première question serait de savoir si le péage doit être considéré comme charge nationale ; on demanderait ensuite s’il faut établir des exceptions. En troisième lieu on mettrait en délibération la question de savoir s’il faut des droits différentiels ; la quatrième question serait relative au mode de perception ; la cinquième enfin porterait sur la durée de la loi. C’est ainsi qu’a procédé la section centrale. Si M. le président n’y voit pas d’inconvénient, je lui demanderai de consulter la chambre à cet effet.

M. Dumortier – Messieurs, il est une chose que vous avez dû remarquer, c’est que beaucoup d’orateurs qui, il y a un mois, avaient parlé pour le traité des 24 articles, sont venus aujourd’hui vous démontrer que ce traité était mauvais, détestable. Nous l’avions prévu. Oui, le traité est mauvais, détestable ; et ainsi que je l’ai prouvé dans la discussion publique qui a eu lieu sur cet objet important, ce traité est plus mauvais que le premier traité de novembre 1831 ; car, par le premier, on conservait l’Escaut dans son intégrité, tandis que par le second la co-souveraineté de l’Escaut est changée en servitude envers la Hollande.

L’orateur qui a parlé le premier a prétendu que le traité de 1831 était la fermeture du fleuve ; mais il a prouvé tout le contraire par son discours. Il y avait dans ce traité une clause formelle d’après laquelle l’Escaut ne pouvait être soumis qu’à un simple droit de pilotage et point à un droit de péage. Lors donc que le gouvernement a préféré le second traité qui établissait sur l’Escaut un péage, il a forfait à son devoir, puisqu’il a placé la Belgique dans une position pire que celle qui existait précédemment.

L’honorable M. Smits a prétendu qu’il y avait amélioration dans le traité nouveau en se fondant sur les interprétations des diplomates étrangers ; mais les documents que l’on doit consulter doivent être pris non dans les écrits de lors Palmerston, mais dans le texte même du traité ; or, là où le texte est clair, il n’y a pas lieu à interprétation. Mais admettons même la condition la plus fâcheuse résultant du traité du 15 novembre ; admettons que la Belgique dût provisoirement payer un péage en vertu du dernier paragraphe de l’article 9, il n’en est pas moins écrit dans le traité de novembre que l’Escaut devait être définitivement libre et que nous étions toujours maître de dire à la Hollande, lorsqu’elle aurait demandé le paiement de la dette : Nous ne paierons que quand l’article 9 du traité sera exécuté.

L’orateur qui a parlé avant moi a prétendu que le traité nouveau avait apporté des améliorations considérables relativement à la dette ; qu’il fallait en tenir compte et voter l’augmentation de dette qu’on vous propose. Messieurs, il y a dans le traité nouveau un chiffre moins élevé que le chiffre précédent ; mais pourquoi cette différence ? Elle est la suite de la rectification des erreurs qui ont été signalées et dont nous devions obtenir le redressement dans toute hypothèse, si nos droits avaient été bien défendus.

On paraît perdre de vue que dans la somme imposée à la Belgique, sont compris 1,250,000 francs pour les avantages commerciaux ; or, quels sont ces avantages commerciaux ? C’est évidemment la co-souveraineté sur l’Escaut que le traité primitif nous accordait et que le nouveau traité nous enlève. Nous perdons ainsi l’avantage tout en conservant la charge ; c’est perdre la chose et la payer deux fois.

Notre gouvernement a été d’autant plus coupable en souscrivant à la modification relative à l’Escaut, que le roi de Hollande avait accepté purement et simplement le traité du 15 novembre, et qu’il avait ainsi mis de côté toutes les observations faites par lui en 1832, 1833 et les années suivantes. Il n’y avait donc plus lieu à remettre en question les avantages qui résultaient pour l’Escaut du traité du 15 novembre, et le premier devoir du gouvernement était d’exiger ces avantages.

Maintenant la position de la Belgique est fixée ; cette position, ce n’est pas nous qui l’avons voulue, nous avons employé tous nos efforts pour l’écarter ; nous avons démontré combien ses dispositions relatives à l’Escaut étaient onéreuses ; eh bien, nos paroles n’ont pas été entendues, elles n’ont pas produit l’effet que nous en attendions, et ce sont précisément les mêmes membres qui trouvent aujourd’hui le traité si nuisible, qui l’ont appuyé alors de tous leurs efforts et qui l’ont accepté !

Je dis donc, messieurs, que la position de la Belgique est aujourd’hui tracée ; cette position est détestable, je suis le premier à le déclarer, mais que nous reste-t-il à faire ? ce qu’il nous reste à faire, c’est de tirer de la position de la Belgique le parti le moins mauvais possible ; je ne dis pas le meilleur parti, parce qu’il n’y a rien de bon à en espérer : notre position va devenir extrêmement fâcheuse. Je ne parlerai pas de l’honneur national, je ne parlerai pas des habitants du Limbourg et du Luxembourg que vous avez vendus comme un vil troupeau, que vous avez replacés sous le joug du maître qu’ils avaient expulsé ; j’examinerai seulement la position de la Belgique restante, et je l’examinerai dans les chiffres. Vous avez à payer annuellement 11 millions à la Hollande, vous avez en outre à faire face à 4 millions que les parties cédées du Limbourg et du Luxembourg vous rapportaient, déduction faite des frais d’administration ; voilà donc quinze millions que vous aurez à trouver sans augmenter les impôts qui ne sont déjà que trop élevés et dont j’espère bien que la chambre retranchera les centimes additionnels de guerre que nous avons votés précédemment dans un tout autre but que celui que nous avons obtenu. Vous voudrez après cela conserver une armée, vous voudrez satisfaire aux besoins de la paix, faire des créations et des créations gigantesques peut-être, élever des palais, des monuments ; je le demande, est-il bien convenable d’augmenter encore la dette qui vous écrase, et cela pour favoriser le commerce étranger qui inonde vos marchés de produits exotiques au grand préjudice de vos propres produits ? J’espère que, loin d’entrer dans un pareil système, la chambre songera au contraire à opérer des économies sérieuses, et que, en ce qui concerne notre législation commerciale, elle sentira le besoin de prendre des mesures qui soient dans l’intérêt de la Belgique et non pas dans l’intérêt de l’étranger. Trop longtemps le gouvernement a fait les affaires de l’étranger, il est plus que temps de faire les nôtres.

Depuis la révolution, messieurs, le commerce maritime a été réglé exclusivement dans l’intérêt de l’étranger ; tandis que toutes les autres industries ont prospéré, celle des armateurs seule a toujours été en déclinant, et elle se trouve aujourd’hui dans la dernière décrépitude. Cela prouve combien ce système dans lequel le gouvernement a versé jusqu’ici est mauvais et destructif des intérêts du pays.

Cependant, pour justifier la conduite du gouvernement, on nous objecte les avantages du transit qu’il prétend favoriser. En matière de transit, messieurs, il faut distinguer ; je suis, pour mon compte, très grand partisan du transit, mais du transit qui procure des avantages au pays, qui améliore les affaires commerciales maritimes. On a parlé de l’intérêt du pays ; pour moi le véritable intérêt du pays est de faire le plus de bénéfices possibles au moyen des échanges commerciaux. Si vous pouvez faire seulement le transit, il faut favoriser le transit ; si vous pouvez faire le transit et la vente, il faut ajouter la vente au transit ; si vous pouvez faire en outre le transport, il faut encore y ajouter le transport, et si vous pouvez avec cela faire l’exportation, c’est là surtout ce qu’il faut soigner ; car c’est elle qui doit vivifier toutes les branches de votre industrie ; or, vous n’aurez pas une marine nationale, et vous ne parviendrez à créer une marine nationale que par les droits différentiels.

Lorsque la question des droits différentiels s’est présentée pour la première fois dans cette enceinte, j’ai déclaré dans les termes les plus positifs que dans ce moment j’aurais voté contre l’établissement de semblables droits, parce que dans l’intérêt de nos négociations il était nécessaire de nous rendre les puissances étrangères aussi favorables que possible, mais que le jour où un traité serait intervenu entre la Hollande et nous, les droits différentiels n’auraient pas de plus zélé défenseur que moi. Je ferai aujourd’hui ce que j’ai annoncé à cette époque.

Messieurs, lorsqu’un négociant étranger introduit en Belgique une cargaison de marchandises et en opère la vente, il vient faire ses affaires, et si après cela il va dans son pays sans rien emporter de nos produits, il n’a fait que servir son industrie, en déversant sur nos marchés des produits étrangers ; lorsqu’un négociant belge, au contraire, envoie un navire aux colonies, il le charge nécessairement de produits belges, et il nous rapporte en échange des matières premières pour nos manufactures ; eh bien, messieurs, c’est là ce que nous devons tâcher d’amener pour tous nos efforts ; nous devons tout mettre en œuvre pour obtenir une navigation national qui exporte nos produits.

Remarquez bien, messieurs, que lorsque je parle de l’exportation, je n’ai pas seulement en vue nos fers, nos houilles ; j’entends surtout parler des produits de nos manufactures. Or, je vous le demande, qu’avez-vous exporté jusqu’ici ? Quels sont les calicots, les toiles, les draps, les bonneteries, les produits manufacturés que vous avez déversés sur les marchés étrangers ? Vous n’avez rien exporté de tout cela, et la raison en est toute simple, c’est que vous n’avez pas de marine nationale, et que les étrangers qui fournissent vos marchés s’en retournent chez eux pour prendre les chargements de retour.

Eh bien, messieurs, vous n’aurez jamais de marine marchande sans avoir de deux choses l’une : ou bien des colonies, ou bien des droits différentiels ; c’est ce que l’expérience de toutes les nations démontre à l’évidence.

Maintenant, messieurs, j’accorderai de grand cœur la restitution du péage à tous les navires belges, je l’accorderai même aux navires étrangers qui exportent nos marchandises, j’irai jusqu’à l’accorder à ceux qui en exportent seulement le quart de leur cargaison ; mais je le demande, faut-il accorder cette faveur au navires qui viennent faire leurs affaires chez nous sans faire en même temps les nôtres ? Evidemment ce serait une absurdité. Comment ! nous rembourserions aux Anglais, aux Français un péage qu’ils nous ont imposé, nous rembourserions ce péage à la Hollande qui le perçoit ; mais, messieurs, ce serait le comble de la dérision !

Quant à la Hollande, si nous avons intérêt à renouer des relations avec elle, nous devons avoir soin de ne pas faire d’abord la part de cette puissance tellement belle que nous n’ayons plus rien à lui offrir ; si nous voulons obtenir des concessions de la Hollande, nous devons nous tenir en position de pouvoir lui en faire à notre tour, sans cela il est évident que tous nos efforts ultérieurs seraient complètement inutiles.

Indépendamment des avantages que j’ai démontré, tout à l’heure, devoir résulter pour nous de la création d’une marine nationale, il en résulterait encore la prospérité de l’industrie, des constructeurs de navires, qui était autrefois si importante et qui le sera encore ; d’une industrie que nous avons le plus grand intérêt à relever, d’autant plus qu’en même temps nous donnerons un développement immense à plusieurs autres industries. En favorisant la construction des navires, nous donnons une valeur beaucoup plus considérable à nos bois, à nos fers, à nos cuivres, à nos toiles, à nos cordages, en un mot à tous ceux de nos produits qui servent aux constructions navales. Eh bien, messieurs, pour atteindre ces résultats, il suffit de le vouloir : nous avons en Belgique une foule de localités qui sont éminemment propres à la construction des navires ; nous avons d’excellents constructeurs, il n’y a qu’à les encourager pour faire refleurir une industrie qui procurera les plus grands avantages au pays.

Messieurs, dans la séance d’hier, un honorable député de Bruxelles, M. Lebeau, a prétendu qu’il serait injuste de rembourser aux navires belges le péage imposé sur la navigation de l’Escaut, sans le rembourser en même temps aux navires étrangers. Ce serait, a-t-il dit, une violation des traités. M. Lebeau a été plus loin ; selon lui, une simple déclaration de chancellerie lierait la législature, pour que nous ne puissions pas sans injustice refuser aux navires étrangers le remboursement que nous payons aux navires belges. Tel est le sens des paroles que l’honorable M. Lebeau a prononcées hier.

Je suis étonné d’entendre un homme d’état proférer de semblables doctrines ; il est pénible de voir un pays dans la possibilité d’être gouverné par de pareilles mains. Car lorsqu’on a un si petite idée des relations internationales, évidemment on est exposé à chaque instant à sacrifier les intérêts nationaux aux intérêts de l’étranger.

Vous prétendez que lorsqu’il y a un traité d’assimilation entre une nation et une autre nation, cette assimilation s’applique et aux sommes que l’on reçoit et aux sommes que l’on paie. Voilà une grave erreur. Votre principe est vrai quand aux sommes qu’on reçoit, mais il ne l’est pas quant à celles qu’on paie. Voyez où mène l’argumentation de M. Lebeau : Vous donnez des primes pour construction de vos navires ; eh bien, de ce qu’il y a assimilation entre les navires étrangers et les navires belges, il faudra rembourser à ceux-là la prime que vous aurez accordée à vos navires pour construction. Voilà où mène le système de M. Lebeau.

Mais, je le répète, l’honorable préopinant ne s’est pas borné là ; il a été plus loin encore ; il est venu dire qu’une simple déclaration de chancellerie suffisait pour lier le pays. Mais alors que devient la constitution, qui dit formellement que le pays ne peut être lié que par la législature ? Comment ! un simple agent de chancellerie aura le droit de lier le pays envers l’étranger, même quand cet envoyé ne sera pas Belge, car nous avons des envoyés qui ne sont pas Belges ! Le pays pourrait donc être lié par des étrangers ! En vérité, je ne puis pas comprendre un pareil système ; mais je rentre dans la question elle-même.

Qu’est-ce que le gouvernement nous propose maintenant ? Lors de la discussion du traité des 24 articles, il semblait, à entendre les paroles de M. le ministre des affaires étrangères qu’on présenterait immédiatement un traité de commerce avec la Hollande ; qu’on rachèterait immédiatement et au prix de sommes bien modérées, disait-on, le péage de la navigation de l’Escaut.

Je ne sais si le gouvernement a été plus heureux dans cette circonstance qu’il ne paraît l’avoir été dans le calcul du tonneau de mer, calcul dans lequel les intérêts de la Belgique ont été traités avec la plus grande ineptie ; je ne sais, dis-je, si le gouvernement a été plus heureux dans cette affaire, mais ce qui est certain, c’est qu’aujourd’hui on vient proposer un rachat pur et simple. Les mesures vexatoires restent les mêmes ; vous aurez, comme par le passé, un employé hollandais qui percevra à Anvers ; vous aurez, comme par le passé, tous les embarras qui pourront résulter de cette mesure. Mais, bien Dieu ! avant de tomber dans l’extrême, essayez de faire avec la Hollande un projet de convention qui garantisse les intérêts de la Belgique. Mais lorsque de prime abord vous accordez tout, sans obtenir quelques avantages, quelques améliorations à la question, évidemment vous mettez la Belgique dans l’impossibilité de négocier à l’avenir. C’est là une faute grave à laquelle je ne puis m’associer.

Je le répète, nous avons besoin de lier des relations avec la Hollande qui, de son côté, a besoin de nouer des rapports avec nous ; mais il ne faut pas venir du premier coup accorder tout à la Hollande, si nous voulons que la Hollande nous accorde quelque chose. Car, qu’aurez-vous à offrir quand vous aurez tout donné de prime abord ? Il faudra donc recourir à de nouvelles concessions ; ce n’est pas ainsi qu’un gouvernement sage doit négocier dans l’intérêt du pays.

Tout a été déception dans cette circonstance ; le gouvernement paraît avoir reçu de la conférence une note d’où il résulterait que le tonneau de mer est devenu un tonneau métrique, ce qui augmenterait d’un tiers le droit à percevoir. J’aurais encore voulu une déclaration formelle et positive relativement à cet objet ; de simples paroles d’un ministre ne nous suffisent pas ; il nous faut des pièces, pour nous tirer de l’incertitude où nous sommes de ce que nous allons voter, car personne ne saurait dite si le péage doit se percevoir par tonneau métrique ou par tonneau de mer.

Messieurs, j’ai prouvé que la Belgique n’était pas dans une position à faire face à toutes les dépenses qui vont surgir de l’état de paix, sans une augmentation immense dans les impôts j’ai démontré d’autre part que notre grand intérêt était d’assurer à la Belgique le plus de bénéfices possibles au moyen de nos échanges commerciaux.

Maintenant, je vous le demande, messieurs, quand un navire anglais, un navire français ou même un navire hollandais, vient introduire en Belgique des cargaisons de sucre ou de café, de qui fait-il les affaires ? Evidemment il fait les siennes, lorsqu’il ne sort pas de la Belgique avec des produits de notre sol. Nous avons donc intérêt à favoriser l’exportation de nos produits, et il faut donner des avantages aux navires qui exportent les produits de nos manufactures, et surtout aux navires belges.

Voilà le seul système admissible dans un pays manufacturier comme le nôtre. Nos produits manufacturés excèdent de beaucoup les besoins du pays. J’accorde donc le remboursement entier aux navires belges ; j’accorde également remise entière du droit aux navires qui sortent de la Belgique avec une cargaison dont le quart au moins se compose de produits du pays. Quant aux navires étrangers qui viendraient en Belgique par l’Escaut pour faire uniquement leur affaires, et nullement les nôtres, je ne suis pas du tout disposé à leur accorder une remise.

- M. Dubus remplace M. Raikem au fauteuil

M. Lebeau – Messieurs, ce n’est pas sans doute avec préméditation (je l’espère du moins) que le préopinant a dénaturé l’argument que j’ai présenté hier. J’ai commencé par déclarer qu’il était irrationnel d’établir des droits différentiels dans un port, sans les établir en même temps dans les autres ports du pays ; que ce serait là une anomalie choquante, sans précédent chez nous, sans analogie peut-être dans la législation commerciale. Et je suis arrivé à cette conséquence naturelle : que si vous vouliez établir un système de droits différentiels à propos du droit de tonnage, il fallait de toute nécessité créer un droit de tonnage à l’entrée du port d’Ostende, équivalent à ceux qu’on paiera pour naviguer dans l’Escaut.

Eh bien, j’ai dit que ce système rencontrerait d’insurmontables obstacles de la part de plus de vingt états avec lesquels vous lient des traités de réciprocité, sous le rapport des droits de tonnage, de port et de pilotage

Voilà ce que j’ai dit. Mais je pourrais encore aller plus loin. Je suppose que pour donner vie au système des droits différentiels que l’on veut introduire à propos du nouveau droit de tonnage, il ne faille pas placer le port d’Ostende sur la même ligne que le port d’Anvers ; je suppose qu’on se borne à faire l’application du système des droits différentiels au port d’Anvers : eh bien, dans ce cas, je dis que, par l’effet du remboursement aux nationaux, il y aurait encore nécessité, convenance du moins, d’affranchir les vaisseaux des nations avec lesquelles sont intervenus des traités, comme conséquence de la loi du 26 août 1822, car c’est par votre fait, par le remboursement libre du droit à vos navires que vous portez atteinte à l’assimilation.

Mais, dit l’honorable membre, nous ne serons donc pas libres d’accorder des primes pour constructions. Je ferai remarquer qu’il y a déjà une grande différence entre accorder des primes de construction et accorder le remboursement d’un droit de tonnage. Mais de ce qu’on pourrait accorder des primes pour constructions, sans donner lieu peut-être à des mesures de représailles de la part de l’étranger, il ne s’ensuit pas, je le répète, que le remboursement du droit, véritable prime qui ferait cesser l’assimilation, ne pût pas donner lieu, aux puissances avec lesquelles des traités de réciprocité nous lient, de se dégager des liens de ces traités, et de se porter à des mesures de représailles.

C’est ainsi que bien que les primes d’exportation qui sont accordées en France sur certains produits soient purement des faits d’administration intérieure, vous les avez prises néanmoins en considération, lors de la discussion de la loi relative aux dernières modifications du tarif ; vous avez placé implicitement la France dans un régime exceptionnel, en disant qu’on tiendrait compte des primes d’exportation dans le calcul du droit d’entrée. Vous avez donc pris là en considération un acte d’administration intérieure. Qui empêcherait les états étrangers de prendre envers vous des mesures analogues ? Où est le tribunal qui viendra juger entre vous si ces états soutiennent que vous auriez blessé, dans leur esprit du moins, les traités conclus ?

Que veulent les traités ? Ils consacrent pour les droits de tonnage, de pilotage, de quai, etc., établis et à établir, l’assimilation parfaite des navires nationaux et étrangers. Si par une mesure d’administration intérieure vous créez une différence entre les navires nationaux et étrangers arrivant dans vos ports, on pourra dire que vous violez le traité dans son esprit, et cela peut, selon les circonstances, donner lieu à des représailles. Je prie de remarquer encore une fois qu’il ne s’agit pas ici de strict droit, de rigoureuse légalité, mais bien de rester fidèle à la pensée qui a présidé aux arrangements internationaux conclus en conséquence de la loi du 26 août 1822.

M. le président – Une pétition des armateurs du port d’Anvers en faveur du projet de la section centrale vient d’être déposé sur le bureau.

- La chambre ordonne l’impression de cette pétition au Moniteur.

M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Le député de Tournay prétend que tous les changements apportés au traité du 15 novembre par celui du 19 avril sont favorables à la Hollande et préjudiciables à la Belgique ; cependant aucun de ces changements n’a été proposé par le gouvernement néerlandais, tous ont été proposés par le gouvernement belge, et, je puis le dire, ce n’est que par suite de ses efforts soutenus qu’ils ont été adoptés par la conférence et qu’ils ont reçu l’adhésion du roi Guillaume. Il faut convenir que si le traité du 19 avril est défavorable à la Belgique, le roi Guillaume s’est montré fort habile dans les négociations quand il a laissé proposer par la Belgique tous les changements, quand il a fait semblant de les combattre et qu’il ne les a accordés qu’à son corps défendant ; mais il n’en est pas ainsi, à moins qu’on ne dise avec M. Dumortier qu’il vaut mieux payer 8,400,000 florins que 5,000,000 florins ; qu’il vaut mieux payer cette somme à partir du 1er novembre 1830 qu’à partir du 1er janvier 1839 ; qu’il vaut mieux un péage de 4 florins 50 qu’un péage de 1 florin 50 ; que mieux vaut, aux termes du traité du 15 novembre, avoir sur la navigation des eaux intérieures une disposition purement provisoire qui permettait à la Hollande d’établir des droits différentiels à la charge de nos navires que d’avoir la disposition du traité du 19 avril qui assure aux navires belges la même position qu’aux navires néerlandais ; que mieux vaut laisser le pilotage à la Hollande, comme portait le traité du 15 novembre, que de le rendre facultatif comme il l’est d’après le traité du 19 avril.

Et qu’on ne dise pas que le texte du traité du 15 novembre n’établit pas un péage de 4 florins 50 à la charge de notre navigation, ce serait un soutènement impossible. Non seulement le texte est suffisamment clair, mais la conférence, depuis le mois de janvier 1832 jusqu’à présent, a été unanime à déclarer que son intention était que la Hollande pût appliquer à l’Escaut le tarif du Rhin qui est un droit de 4 florins 50. Il est vrai que ce péage n’était que provisoire, mais on peut facilement s’imaginer que ce péage aurait duré longtemps puisqu’il était à l’avantage de la Hollande et qu’il n’y avait aucun moyen de contraindre la Hollande à le réduire. Sans doute elle pouvait le modifier ; mais si elle avait voulu maintenir le tarif de Mayence, je ne sais comment la Belgique aurait pu le faire modifier ; dans tous les cas soyez persuadés que ce droit n’aurait pas été abaissé à 1florin 50, comme il l’est aujourd’hui.

La question de l’Escaut a fait l’objet continuel de la sollicitude du gouvernement. Depuis que les négociations ont été reprises au sujet du traité du 15 novembre, de cette part on a fait les plus grands efforts pour l’améliorer, tandis que de la part de la Hollande, il y a eu les plus grands efforts pour le détériorer ; mais la Hollande n’a pu faire adopter aucune de ses propositions, tandis que la Belgique a fait adopter tous les changements qu’elle a proposés, sauf la faculté de rachat sur laquelle je vais m’expliquer.

On a paru croire que la dernière négociation a été tardive sur ce point, mais on a perdu de vue que, dès 1832 et 1833, cette question a été agitée et que la Hollande n’a pas voulu consentir à la faculté de rachat. D’après le dernier acte de la conférence, une négociation s’ouvrira sur ce point entre le deux pays. Cette négociation réussira-t-elle ? la Hollande consentira-t-elle au rachat du péage, c’est que je n’oserais affirmer, mais nous avons un moyen efficace d’arriver au même résultat, c’est le remboursement du droit actuel. Je dirai plus : si le rachat ne peut être obtenu à un taux modéré, mieux vaut que la Belgique se charge du remboursement, parce que c’est un moyen de négociation pour des traités de commerce et de navigation avec les autres pays.

Si vous adoptez les propositions du gouvernement, la situation de l’Escaut sera plus favorable que sous le gouvernement des Pays-Bas. En effet à cette époque le pilotage était dans des mains hostiles, il appartenait à l’administration de Flessingue. La conservation des passes de l’Escaut et le balisage du fleuve étaient exclusivement du ressort de l’administration néerlandaise. Une disposition très importante, c’est celle relative au service de santé. Sous le gouvernement des Pays-Bas, les navires en destination pour Anvers étaient obligés de jeter l’ancre devant Flessingue, il leur fallait quelquefois passer là plusieurs jours, cette circonstance a amené la perte d’un grand nombre de navires ; elle ne peut plus se reproduire d’après les déclarations formelles données par la conférence avant la signature du traité.

Je suis étonné qu’on soutienne que la conférence aurait voulu subrepticement augmenter de moitié le droit de tonnage par sa déclaration. La conférence a déclaré qu’il s’agissait du tonnage en usage ; or, le tonnage est le même dans les Pays-Bas et en Belgique, il ne peut donc y avoir aucune espèce de doute.

M. Dechamps – Dans cette séance, la question du péage de l’Escaut s’est étendue considérablement. Plusieurs préopinants se sont replacés au point de vue où l’on était lors de la discussion des traités du 23 janvier. Du reste, je m’en réjouis, et j’ai été bien aise d’entendre l’honorable M. Smits dire que le gouvernement, dans les négociations, a partagé l’opinion de plusieurs membres et la mienne ; que le principe d’un droit de péage sur l’Escaut n’était pas renfermé dans le traité du 15 novembre ; que ce droit de péage violait le principe fondamental de l’acte du congrès de Vienne qui a proclamé la liberté des fleuves.

Je rentre dans la discussion toute spéciale qui nous occupe. Je vous ai dit, dans une séance précédente, les motifs qui m’ont déterminé à présenter mon amendement ; je ne ferai qu’ajouter quelques observations, qui m’ont été suggérée par les discours que vous venez d’entendre.

Généralement vous aurez pu remarquer que les partisans du système de la section centrale ont plutôt attaqué l’amendement de M. Donny que le mien. L’honorable M. Smits a passé à côté sans y toucher ; il s’est occupé seulement des principes mis en avant par messieurs Donny et de Foere.

Beaucoup d’esprits confondent toujours, sous le nom général de droits différentiels, deux idées distinctes qu’il faut soigneusement séparer. D’abord les droits différentiels qu’on admet en faveur du pavillon national, ensuite le droit gradué qu’il s’agit de fixer en faveur des navires venant directement des pays de provenance. Ce dernier droit ne doit plus choquer les partisans d’une législation commerciale libérale que les droits de douane, tout aussi différentiels que nous établissons vis-à-vis telle ou telle frontière : notre tarif ne frappe pas les provenances de Prusse d’une manière égale aux provenances d’Angleterre et de France.

Mais le droit différentiel qui tend à favoriser d’une manière exclusive le pavillon national est une faveur pour une industrie du pays, pour l’industrie de la navigation.

Pour moi je conçois certainement les grands avantages d’une navigation nationale. Je conçois qu’une navigation nationale facilitera beaucoup les exportations, nous permettra de nous créer plus facilement des débouchés ; je comprends qu’une nation maritime est de deux pas en avant d’une autre qui ne l’est pas.

Cependant, je dois l’avouer, plusieurs motifs me font craindre d’adopter des droits différentiels trop tranchés pour créer d’une manière forcée une navigation nationale.

Je vais en citer deux. Si vous établissez en faveur de votre pavillon des droits assez élevés pour éloigner de vos ports les navires étrangers, évidement vous allez provoquer des représailles de la part des nations avec lesquelles vous avez intérêt à nouer des relations directes. Or, en créant une navigation nationale, quel est votre but ? C’est d’exporter vos produits, c’est d’aller quelque part ; eh bien, si on ferme les ports des pays lointains, vous aurez beau créer une marine, elle vous sera inutile, vous ne saurez où aller ; cette marine ne pourrait servir qu’à pourrir dans nos ports. En second lieu, comme nous ne possédons pas de marine nationale, il nous faudrait quelques années pour en créer une à la faveur des droits différentiels.

Il y aurait donc une lacune pendant laquelle le commerce serait en souffrance et nos ports déserts. Pendant ce temps-là des habitudes commerciales s’établiront ailleurs, et ces habitudes une fois perdues sont difficiles à refaire. Je voudrais donc que la Belgique se créât une marine d’une manière lente et progressive. Vous le voyez, messieurs, je n’accepte pas l’amendement de M. Donny.

Mon amendement a un but tout distinct : Je veux constituer en Belgique le commerce direct d’une manière plus effective qu’il ne l’est actuellement.

Les avantages du commerce direct, il est difficile de les méconnaître.

J’ai eu l’occasion de m’entretenir de cette grave question avec des membres distingués du haut commerce, avec des membres éclairés de la chambre de commerce d’Anvers ; ils sont tombés d’accord avec moi qu’il était important pour la Belgique de voir s’organiser un véritable commerce direct, un commerce d’échanges.

Cette condition d’une grande prospérité commerciale sera surtout indispensable lorsque le chemin de fer étant terminé, nous devrons créer le commerce de transit vers l’Allemagne.

Il est évident, comme je le disais dans une séance précédente, que si vous consentez à tirer vos denrées coloniales du port de Rotterdam, comme vous le conseillait le Handelsblad, il est évident que ces denrées coloniales arrivant à Anvers chargées des frais de transport et de transbordement, enfin de tous les frais du commerce dispendieux de seconde main, vous ne pourrez soutenir en Allemagne la concurrence avec Rotterdam. Evidemment Anvers alors ne serait plus qu’un port en sous-ordre. Sur le fond, je suis, je crois, assez d’accord avec ceux qui se disent nos adversaires. Je crois qu’ils partagent les principes généraux de ce système ; la question entre nous est plutôt une question de temps. Pour moi, je pense que nous ne devons pas tout laisser au temps, je pense que nous devons, par une législation sage, favoriser les arrivages directs, comme toutes les nations l’ont fait.

Plusieurs préopinants ont craint que le système que je préconise n’empêchât l’affluence à Anvers des navires des diverses nations. Je pense que le contraire arrivera ; vous allez le comprendre : maintenant les relations sont établies entre les Etats-Unis et Londres. Les provenances des Etats-Unis qui doivent fournir notre marché, nous arrivent donc des ports de l’Angleterre, par des navires anglais. Ce commerce intermédiaire empêche dès lors les navires des Etats-Unis de venir régulièrement dans nos bassins. Mon système, en favorisant les relations directes, provoque donc les navires des pays qui commercent peu avec la Belgique, à affluer dans nos ports ; l’ordre actuel des choses les tient au contraire éloignés.

J’arrive à l’objection présenté par messieurs Rogier et Lebeau, objection qui n’affecte pas le fond de mon système, mais qui conteste son opportunité dans la question qui nous occupe. L’honorable M. Lebeau présente une objection dont vous a entretenus l’honorable M. Dumortier, et qui consiste à dire : Ce droit de péage qui frappe la coque du navire est une espèce de droit de tonnage, il est donc équitable, si vous le remboursez à vos propres navires, de le rembourser aux navires des nations avec lesquelles il y a des conventions qui les assimilent aux nôtres relativement aux droits de tonnage. Mais je ferai observer que le droit de péage est un droit spécial, à tel point que la conférence a délibéré s’il frapperait la marchandise ou le navire ; ce n’est que pour éviter des visites qu’on a établi un droit uniforme qui frappe le navire ; ce n’est donc pas un droit ordinaire ; il n’est pas établi par nous au profit de notre trésor, mais par la conférence au profit d’une nation étrangère.

Il y a une autre objection contre mon amendement, et c’est la plus sérieuse, c’est qu’établissant, à propos du péage, ce qu’on nomme des droits différentiels, vous allez frapper l’Escaut sans frapper les ports d’Ostende et de Nieuwport cette objection est spécieuse, et elle a une apparence de justesse ; cependant il y a plusieurs considérations à objecter :

D’abord si nous localisons la question des droits différentiels, ce n’est pas notre fait, c’est le fait du traité.

Il s’agit du remboursement d’un péage par la conférence. D’après nos convictions, nous avons cru dans l’intérêt de la Belgique et de son commerce ne pas devoir rembourser à tous les navires indistinctement ; nous avons cru qu’il valait mieux faire des catégories. On nous répond que nous n’obtiendrons pas le but que nous nous sommes proposé, que les navires arrivant des entrepôts d’Angleterre, au lieu de se diriger sur Anvers, se dirigeront sur les autres ports.

Cependant, en fait, l’objection n’est pas réelle ; il est certain que la supériorité du port d’Anvers sur celui d’Ostende est telle, que ce n’est pas un droit de 1 florin 50 cents qui déterminera les navires à se diriger sur Ostende.

Je ne nie pas que ce soit là un inconvénient, mais l’inconvénient qu’il y aurait à n’établir aucune distinction entre les navires qui favoriseraient notre commerce d’échanges, en nous arrivant directement des lieux de production, et les navires qui nuisent à ce commerce par leurs arrivages indirects, cet inconvénient nous a paru majeur, il pèse plus pour moi dans la balance de mes convictions.

Ainsi, messieurs, je persiste dans l’amendement que j’ai proposé, parce qu’il introduira dans notre législation commerciale un système qui favorisera nos intérêts industriels. Je n’aurai obtenu, par la présentation de mon amendement, qu’un résultat, celui d’attirer l’attention de la chambre et du pays sur cette importante matière, que je ne regretterais pas de l’avoir présenté.

M. Dumortier présente sur le bureau l’amendement conséquence des développements qu’il a présentés à la chambre.

M. de Foere – Qu’un orateur interprète mal les paroles qu’un des membres de cette assemblée vient de prononcer à l’instant même, qu’il n’en saisisse pas exactement la portée et les conséquences, cela s’explique ; mais qu’un orateur dénature des paroles imprimées, qu’il dénature un système tout entier et le discute en lui enlevant son caractère, voilà qui ne s’explique pas. C’est là cependant ce qui est arrivé au premier orateur que vous avez entendu. Il m’a attribué un système commercial que je n’ai jamais proposé ni défendu ; système même que je repousserais de toutes mes forces, s’il était présenté dans cette chambre. Ses prémisses sont fausses ; les conséquences qu’il en a tirées le sont nécessairement aussi. Selon l’orateur, j’aurai voulu exclure la navigation étrangère des ports du pays. Le but que je me suis toujours proposé n’a jamais été d’exclure la navigation étrangère, mais bien d’augmenter la navigation du pays et de diminuer la navigation étrangère. J’en appelle à tous les membres de la chambre si jamais j’ai développé un autre système. L’exagération que M. Smits m’attribue dénature tout à fait mon opinion commerciale. Voilà ce que j’ai soutenu, et je le soutiens encore. Je le soutiens d’abord parce que les faits commerciaux qui, depuis 150 ans, se développent dans tous les pays, prouvent évidement que les pays qui ont une marine nationale, exportent les produits de leur sol et de leur industrie dans une proportion de beaucoup supérieure à l’exportation des pays qui n’ont pas de marine ; ensuite parce que les pays qui ont une marine marchande exercent chez eux une industrie précieuse : celle de la construction navale, dont j’ai souvent fait ressortir tous les avantages ; en troisième lieu j’ai soutenu ce système parce qu’il favorise le travail national ; en quatrième lieu, parce que ce système est celui de toutes les nations à la fois maritimes et industrielles.

L’orateur a dit lui-même que souvent j’ai développé le système des droits différentiels ; seulement il protège et étend la navigation nationale par les droits de tonnage, de pilotage ou de douane qu’elle paie dans une proportion inférieure.

Je n’ai pas non plus, comme le prétend M. Smits, formulé un système qui, par des droits trop élevés tout à la fois, exclurait la navigation étrangère et nuirait à l’industrie et à la consommation du pays, soit par l’élévation des frets, soit par l’augmentation des prix des marchandises. D’abord, le projet de loi qu’en 1834 j’ai présenté à la chambre, offrait une gradation de droits jusqu’en 1846. Ensuite, si dans la discussion du projet, ces droits avaient paru à la chambre trop élevés, elle jouissait de la faculté de les diminuer. Je n’ai voulu établir que le principe de protection accordée à notre marine. Enfin, puisque la marine marchande du pays ne suffisait pas à l’importation des besoins du pays, les navires étrangers auraient rempli la lacune. Toujours, et sur tous les marchés du monde, la production répond à la demande. Il est donc inexact de dire que les navires étrangers auraient été de fait exclus par la proposition que j’ai eu l’honneur de faire, en 1834, à la chambre.

Enfin, messieurs Smits, Rogier et Lebeau ont dit qu’hier j’ai voulu appliquer le système de droits différentiels au péage de l’Escaut. Le fait est que je n’en ai dit mot. Ils confondent les droits différentiels avec toute autre protection accordée à la navigation nationale. Il existe un grand nombre de moyens d’avantager sa propre marine. Jamais je n’ai soutenu d’autre système que celui de la protection nationale. Vous l’accordez par des droits différentiels ou par d’autres moyens, peu importe ; c’est l’utilité et la nécessité du principe que je soutiens dans l’intérêt général du pays.

Pour imiter l’Angleterre, dit M. Smits, il faut être l’Angleterre avec ses 25,000 navires, ses immenses ressources commerciales, ses colonies, etc. C’est la principale raison pour laquelle il faut l’imiter ; l’Angleterre est arrivée à sa brillante position, particulièrement par les moyens puissants de protection que, pendant 150 ans, elle a accordée à sa marine. Si nous étions en possession des moyens de commerce et de navigation dont jouit actuellement l’Angleterre, nous n’éprouverions pas ce besoin impétueux de protéger ces deux branches indispensables de prospérité nationale. L’Angleterre a atteint son but. Elle possède la plus belle marine du monde. Cependant elle continue de la protéger efficacement. Elle en connaît toute la puissance commerciale et industrielle. Elle veut bien renoncer à ses droits différentiels en faveur de ceux qui y renoncent aussi, mais elle ne renonce pas aux autres protections dont elle favorise sa marine, protections beaucoup plus puissantes que celle qui résulte des droits différentiels ; c’est ainsi qu’elle exclut de ses ports la navigation étrangère à l’importation des produits des trois autres parties du monde. Elle accorde une foule d’autres protections à sa marine, malgré la toute puissance de sa marine marchande.

L’on a eu tort, messieurs, de dire que je reviens toujours sur les droits différentiels, mon seul vœu est de voir protéger notre navigation par un moyen quelconque, et c’est ce que font toutes les nations maritimes et industrielles ; c’est aussi ce qui est conforme à la raison et à l’expérience qui a démontré que, sans marine marchande, il est impossible de faire prospérer l’industrie. Vous pourrez bien, en effet, par des lois de douanes, assurer jusqu’à un certain point le marché intérieur à vos produits, mais cela ne suffit pas pour développer l’industrie, il faut pour cela que vous ayez des navires qui exportent vos marchandises à l’étranger.

M. de Muelenaere – Messieurs, d’après l’article 9 du traité du 23 janvier, il ne peut être établi sur l’Escaut que des droits de pilotage modérés ; ces droits de pilotage doivent être fixés de commun accord et doivent être les mêmes pour les navires de toutes les nations ; dans le même article il est dit que provisoirement (mais vous savez, messieurs, d’après ce qui s’est passé pour le Rhin que probablement ce provisoire sera définitif), que provisoirement il ne pourra être perçu des droits de pilotage plus élevés que ceux qui sont établis par le tarif de 1839, pour les bouches de la Meuse, depuis la pleine mer jusqu’à Helvoet, et depuis Helvoet jusqu’à Rotterdam, en proportion des distances.

Actuellement les droits de pilotage se perçoivent au profit d’une administration qui est une dépendance de l’administration communale d’Anvers, et ils ont été modifiés, si je suis bien informé, par une décision du conseil communal d’Anvers, en date du 1er septembre 1838, qui les a considérablement réduits ; je désirerais savoir quels étaient les droits de pilotage existant avant le 1er septembre 1838 et quel sera le montant de ceux qui seront perçus en vertu du tarif de 1839 pour les bouches de la Meuse. Je crois que le gouvernement serait à même de faire cette communication, et je désirerais qu’elle pût avoir lieu dans la séance de demain, car je pense que les documents qu’il pourra nous soumettre à cet égard seront peut-être de quelque poids dans la discussion qui nous occupe en ce moment.

M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Je ferai cette communication demain.

- La séance est levée à 5 heures.