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Note d’intention
Chambre des représentants
de Belgique
Séance du
vendredi 15 mars 1839
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre
2) Motions d’ordre relatives aux mesures à prendre par suite du décès de M. Bekaert (F. de Mérode, Lebeau, Ernst, Verhaegen, de Theux, Dumortier, F. de Mérode, Dumortier, Mast de Vries)
3) Projets de loi concernant le
traité destiné à régler la séparation entre
(Moniteur du samedi 16 mars
1839, n° 73)
(Présidence de M. Raikem)
M. Lejeune procède à l’appel nominal à 11 heures.
M. B. Dubus lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
PIECES ADRESSEES A
M. Lejeune fait connaître l’objet des pièces adressées à la chambre :
« Des étudiants en droit de l’université de Liége demandent que la chambre adopte le projet de loi présenté par le gouvernement, tendant à proroger d’un an la loi transitoire du 27 mai 1837. »
- Renvoi à la commission chargée de l’examen du projet de loi relatif à l’enseignement supérieur.
_______________________
« Des habitants de la commune de Maldeghem demandent que la chambre rejette le projet de loi relatif au traité de paix. »
« Les habitants de la ville de Gand demandent que la chambre rejette le projet de loi relatif au traité de paix. »
« 70 habitants de Tamise demandent que la chambre rejette le projet de loi relatif au traité de paix. »
« Les habitants de la commune de Villers et Warisoul (Namur) demandent que la chambre rejette le projet de loi relatif au traité de paix. »
- Ces pétitions seront insérées au Moniteur.
_____________________
M. Ernst – Je suis chargé de déposer une pétition contre le morcellement du territoire, signée par le conseil communal, le clergé et les habitants notables de la commune d’Aubel. Il est inutile que je demande l’insertion au Moiteur, puisque la chambre a déjà posé des règles à cet égard.
M. Dumortier – Je suis également chargé de déposer deux pétitions contre le morcellement du territoire : l’une de plusieurs habitants de la ville de Renaix, l’autre de plusieurs habitants de la commune de Peruwelz.
M. Vandenbossche – Je dépose une pétition de la commune de Saint-Lievin –Essche contre le traité, qu’on vient de me remettre. Elle signée par tous les électeurs de cette commune.
- Ces diverses pétitions seront insérées au Moniteur.
M. F. de Mérode – Messieurs, l’acte émané de la conférence de Londres a déjà commencé à porter des fruits de douleur et de deuil.
Un de nos collègues, étranger à la froide et cruelle impassibilité des diplomates arpenteurs de sol (je ne saurais qualifier plus modérément ceux qui partagent et séparent les populations dont la nature, la religion et de longs souvenirs forment les liens), vient de succomber hier, au milieu de cette enceinte victime de l’émotion que lui causait un vote forcé, si contraire à des sentiments que nous éprouvons tous.
Un tel événement, messieurs, ne pouvait que vivement affecter vos cœurs ; mais, dans une occurrence si grave, nos regrets individuels profonds doivent être accompagnés d’une manifestation religieuse et publique de sympathie à l’égard d’un collègue dont nous avons tous apprécié les vertus attachantes.
Je propose qu’un service demandé par le bureau de la chambre soit célébré, pour l’honorable défunt M. Bekaert, dans notre église principale, et je ne doute pas qu’un nombre considérable de représentants, et d’autres habitants de la capitale, ne s’empressent d’assister à cette triste et pieuse cérémonie.
Plusieurs membres – Nous y assisterons tous.
M. Lebeau – Je demanderai si l’honorable comte a eu quelques relations avec la famille du défunt. Il y a, dans ces douloureuses circonstances, des susceptibilités qu’il faut prendre garde de blesser. Je crois qu’il serait délicat, dans une conjoncture semblable, de pressentir les opinions de la famille de feu M. Bekaert, avant de prendre aucune résolution de ce genre.
M. Ernst – En ce qui concerne l’enterrement de notre honorable collègue, il est évident qu’il ne peut avoir lieu que de l’assentiment de la famille, parce qu’elle peut désirer qu’il soit transporté à Courtray, lieu de sa naissance et de son domicile.
Mais, en ce qui concerne les obsèques, la famille et le pays ne peuvent qu’applaudir à un témoignage d’estime et d’affection religieuse de notre part.
M. Verhaegen – Quant à moi, j’ai l’honneur de connaître particulièrement le gendre de l’honorable M. Bekaert. La famille est dans une position à pouvoir et à vouloir rendre elle-même les derniers devoirs à son parent. Je pense donc qu’il serait inconvenant que la chambre prît des mesures à cet égard. Je pense qu’il convient d’attendre l’arrivée de la famille. C’est mon opinion. J’ai cru devoir la dire. Je pense que la famille ne désavouera pas mes paroles.
M. F. de Mérode – Je n’ai pas demandé que la chambre fît les frais des funérailles de notre honorable collègue. J’ai demandé qu’elle assistât à un service. Si on croit qu’il convient d’attendre l’arrivée de la famille, je ne m’y oppose pas. Tout ce que je désire, c’est que nous accordions un témoignage public à la mémoire de notre collègue. (Approbation.)
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Je crois qu’il conviendrait d’attendre l’arrivée à Bruxelles de la famille de l’honorable M. Bekaert. Le bureau se consulterait avec elle et ferait une proposition à la chambre.
M. Dumortier – Je pense que c’est dénaturer la proposition de l’honorable M. de Mérode que de ne pas l’adopter dans son entier. Evidemment nous sommes tous affligés du malheur qui vient de frapper la famille de l’honorable M. Bekaert. Nous avons fort bien que la famille a parfaitement le moyen de faire les funérailles de son parent ; elle ne peut néanmoins se formaliser de ce que la chambre lui fasse un service solennel. J’appuie donc de tous mes moyens la proposition de l’honorable M. de Mérode ; la rejeter ce serait faire preuve d’une mesquine lésinerie dans une circonstance où nous devons tous être animés d’un même sentiment, celui de la douleur.
J’appuie la proposition de M F. de Mérode telle qu’elle a été faite.
M. Verhaegen – Quant à moi, je propose d’attendre l’arrivée de la famille et de laisser au bureau la faculté de faire ce qu’il jugera à propos.
M. Wallaert – Je crois qu’il conviendrait d’attendre l’arrivée de la famille. Le bureau s’entendrait avec elle.
M. F. de Mérode – Je me rallie volontiers à la proposition de M. l’abbé Wallaert. Peu m’importe que la chambre donne d’une manière ou d’une autre une marque de sympathie à son collègue. Dès que cette marque de sympathie a lieu, cela me suffit. (Adhésion.)
M. le président – Je vais consulter la chambre.
Plusieurs membres – On est d’accord.
M. le président – Le bureau de la chambre s’entendra avec la famille de M Bekaert. (Adhésion.)
M.
Dumortier – Il
me semble que dans cette circonstance nous avons un autre devoir à remplir. Les
convenances exigent, ce me semble, que tant que le corps de notre honorable
collègue sera dans le palais de
Dites ce que vous voudrez. Pour moi, je considère ma motion comme une motion de haute convenance.
Comment ! lorsqu’en France un député est tombé faible au milieu d’une séance, la chambre est restée trois jours sans se réunir ; et lorsqu’un collègue est tombé frappé de mort au milieu de nous, lorsque son corps est encore dans le palais de la chambre, on voudrait que la chambre continuât tranquillement ses discussions ! Ce serait une haute inconvenance.
M. Mast de Vries – Messieurs, nous devions nos prières à notre honorable collègue. Nous venons de les lui accorder. Mais ce serait aller contre ses vœux, dans la cause dont il est mort martyr, que d’ajourner maintenant nos débats. Le pays attend avec impatience une solution. Je demande que cette solution ait lieu le plus tôt possible.
- La proposition de M. Dumortier est mise aux voix ; elle n’est pas adoptée.
M. Dumortier – Soit ; mais ma proposition a été faite.
M. le président – La parole est à M. Desmaisières « sur » le projet.
Discussion générale
M. Desmaisières
– Messieurs, je suis ainsi que vous trop vivement affecté de
l’événement terrible dont nous avons été hier les témoins malheureux pour ne
pas penser que si mon devoir de mandataire de la nation m’oblige à faire de
grands efforts sur moi-même pour me décider à reprendre la parole, mes devoirs
d’hommes me commandent aussi d’abréger autant que possible le discours que
j’avais commencé. Je supprimerai donc, sauf à les reproduire dans le Moniteur,
les pages de mon discours dans lesquelles j’ai exposé les raisons qui m’ont
fait répondre « oui » à la question d’inconstitutionnalité sur
laquelle j’ai eu à me prononcer dans ma section.
Ces raisons sont telles, je le déclare d’avance,
qu’elles me feront encore répondre « oui » à cette question si elle
vient à m’être faite de nouveau dans cette enceinte. Mais il a toujours été et
il sera toujours loin de ma pensée d’en faire un motif d’abstention, quant au
vote sur le projet de loi lui-même.
Je dois avouer que l’urgence dont on argumente pour
provoquer une prompte décision ne me paraît, à moi, pas tout à fait
démontrée ; mais telle est l’opinion de la chambre, et dès lors il y a
urgence aussi pour moi, à l’exemple du Roi, au mois d’août 1831, et à celui de
la chambre de novembre de la même année.
Je crois que nous acquérons qualité pour décider la
question, et je ne puis, avec l’honorable M. Desmanet de Biesme, que regretter
bien sincèrement que le ministre n’ait pas aperçu, alors qu’il était temps
encore, que la constitution lui faisait un devoir de consulter le pays par
l’appel à des chambres convoquées conformément à l’article 131 de la
constitution.
Je m’en suis déjà expliqué dans ma section, messieurs,
jusqu’au moment où le plénipotentiaire français a apposé sa signature au
traité, au bas duquel il n’y a plus que notre signature, notre seule signature
dont l’absence se fait remarquer. J’ai cru sincèrement que la résistance était
possible, qu’elle devait même amener de bons résultats, et pour les intérêts
moraux et pour les intérêts matériels du pays.
Tout le monde sait que le royaume des Pays-Bas a été
formé dans des vues, et rien que dans des vues de ce que l’on a appelé
équilibre européen, dirigé contre
Le traité de Vienne n’a pas eu d’autre but que de
circonscrire la puissance colossale de
Eh bien, messieurs, évidemment qu’a voulu faire la
conférence, vis-à-vis de l’impossibilité qu’il y avait de reconstruire sur le
même plan ce système de barrières opposés aux envahissements incessants de
Elle a, d’autre part, voulu que son système de
barrière contre les empiétements de
Ensuite, non pas pour que nous ayons aussi une province
de Luxembourg, mais pour que les frontières de la coalition européenne contre
J’ai donc bien pu comprendre alors que le roi
Guillaume a eu la bonne politique, pour lui et pour son peuple, de négocier
avec l’Allemagne des traités de commerce qui l’établissent intermédiaire obligé
entre ces deux importants pays. J’ai donc bien pu comprendre alors qu’un
général anglais vînt encore, chaque année, inspecter nos forteresses élevées
contre
Mais, quoi qu’il en soit aujourd’hui, cette signature,
Mais, dis-je, depuis que
Quelle doit être, avant tout, la règle à suivre dans
la solution d’une aussi grave et importante question ; et, si j’ai cru
devoir faire connaître publiquement quels sont les motifs de mon vote sur la
question d’inconstitutionnalité, c’est parce que, d’une part, il est bon pour
l’avenir que cette question soit une bonne fois vidée, et que, d’autre part,
lorsque, par l’effet d’une profonde conviction, on cède au cri de sa conscience
qui commande de se soumettre à la loi de la nécessité, en vue du salut de la
patrie, il n’est pas inutile de démontrer, sur l’infraction elle-même que l’on
a eu le courage de commettre, en même temps et sciemment contre les formes
prescrites par la constitution, que l’on n’a réellement cédé qu’à une dure
nécessité amenée par un concours de circonstances et de faits dont il n’a pas
été donné à nous législateurs d’empêcher l’accomplissement.
C’était donc avant tout le fait de la signature de
J’admets, je crois sincèrement, qu’il a fait tout ce
qu’il a cru pouvoir faire à cet égard ; j’en ai pour garant sa probité
avouée par tout le monde dans cette enceinte. Mais a-t-il fait tout ce qu’il
était possible de faire ?...
Il s’est attaché d’abord uniquement à la question de
la dette, et ensuite quelque peu celle
de l’Escaut, donnant ainsi à entendre, sans le vouloir, qu’en ce qui touchait
la question du territoire, il passait condamnation. Cependant, la question
vitale pour nous, la question qui seule importait aussi à
Aussitôt ces dispositions du roi Guillaume connues,
j’aurais voulu qu’au lieu de chercher à entretenir l’élan patriotique et des
chambres et du peuple entier, on eût rédigé un manifeste pour le présenter à
l’assentiment des chambres et de la nation ; j’aurais voulu non pas mettre
de suite toute notre nombreuse et belle armée sous les armes, non pas dépenser
de l’argent inutilement, mais établir la disposition des troupes, et disposer
notre matériel de manière à pouvoir faire entrer en ligne, en très peu de
temps, jusqu’au dernier soldat de notre belle armée ; j’aurai voulu qu’on
n’attendît pas que les chambres, trompées par les mots « persévérance et courage »,
vinssent elles-mêmes rédiger un manifeste, venu malheureusement trop tard et
que les hésitations de nos hommes d’état ont fait passer, d’ailleurs, à
l’étranger, pour une démonstration peu sérieuse ; j’aurais voulu organiser
partout la défense du pays, un appel, mais un véritable appel, aux volontaires,
j’aurai voulu, enfin, qu’on présentât ensuite, à la conférence, dès sa première
réunion, ce manifeste ainsi appuyé sur la volonté nettement dessinée, et bien
arrêtée de la nation. Voilà le fait, celui de la volonté nationale bien
prononcée que, selon moi, il aurait fallu avoir eu le soin de faire poser,
avant même que le ministère français n’ait eu la pensée de signer la fatal
traité ; et bien certainement ce ministère ne l’aurait point eue ensuite, cette
pensée, sûr qu’il devenait alors d’obtenir de meilleurs conditions, non pas
pour nous, mais pour
Quant à vous, messieurs, alors que le ministère nous
laissait dans l’ignorance des faits diplomatiques ; alors que, par son
vote unanime avec nous de l’adresse, et par toute sa conduite postérieure, il
était venu nous confirmer dans l’espoir que nous donnait le système de la
résistance ; alors, enfin, qu’il n’avait pas même saisi, pour nous
consulter, l’occasion que lui avait offerte le comité secret de la chambre,
pour l’examen de son budget, que devions-nous nous dire à nous-mêmes ?
Ce que tous, et partisans actuels de la paix, et
partisans actuels de la guerre, nous nous sommes dit ; je n’en excepte
personne. Nous devions nous dire, et nous nous sommes dit :
La résistance doit nous faire réussir à obtenir
justice de l’aréopage européen que s’est établi notre juge.
Et, dès ce moment, un seul et même cri est parti du
cœur de nous tous :
Plutôt la guerre que de céder aux exigences injustes
que l’on montre envers nous !
Et ce cri il faut le reconnaître, a bientôt été répété
d’un bout du royaume à l’autre.
L’industrie et le commerce, tous nos intérêts
matériels et moraux quelconques l’on répété ce cri patriotique, et tous
devaient le répéter, selon moi, dès qu’il s’agissait d’obtenir, dès qu’il y
avait la moindre chance de réussir à obtenir pour tous, de meilleures
conditions de vie et de prospérité.
J’ose espérer, messieurs, que vous croirez d’autant
plus à la sincérité de mon opinion à ce sujet, que vous m’avez toujours vu
combattre à l’avant-garde de cette chambre, lorsqu’il s’est agi des intérêts de
l’agriculture, de l’industrie et du commerce.
Mais à présent, encore une fois, je dois l’avouer
franchement et loyalement, la signature du traité par le ministre
plénipotentiaire de France est venue m’ouvrir les yeux. En présence de ce grand
fait, de ce fait fatal pour nous, je n’ai plus vu d’autre voie de salut que
dans la question des réserves, et si je n’avais pas eu devant moi un autre
grand fait qui était à la veille de s’accomplir en France, je n’aurais même
plus eu cette faible leur d’espoir elle-même.
J’ai pensé qu’il était possible que de ce fait, que
des élections françaises, il résultât une manifestation en notre faveur. J’ai
pensé que dans ce cas, s’il ne nous était malgré cela plus possible d’obtenir,
quel que fût la chambre française qui aurait été élue, quel que fût le
ministère auquel sa composition aurait donné naissance ; j’ai pensé que
s’il ne nous fut plus possible même alors d’obtenir le retrait de la signature
de
Voilà, messieurs, pourquoi je me suis abstenu lors du
vote en section sur le projet de loi, et voilà pourquoi aussi j’ai voté en
faveur du vœu que ma section a émis et qui consistait à demander que la section
centrale examine s’il ne conviendrait pas d’ajourner son rapport jusqu’à ce
qu’elle ait connaissance du résultat des élections en France.
Messieurs, personne plus que les membres des diverses
sections centrales auxquelles la chambre a renvoyé l’examen du budget de la
guerre, à partir de celui de 1833, n’aurait le droit d’argumenter de nos
armements, de nos dispositions à la guerre pour expliquer la crise financière,
industrielle et commerciale qui tourmente en ce moment notre pays. Car
certainement cette crise eût été bien plus forte encore si, contre les avis
unanimes de ces diverses sections centrales, on avait maintenu le budget du
département de la guerre sur le pied de 70 à 80 millions à dépenser par année.
Elle eût été bien plus forte aujourd’hui cette crise, si d’accord en cela avec
nos braves militaires qui ne voulaient point d’abus, qui ne voulaient pas et ne
voudront jamais que la patrie s’impose en leur faveur des sacrifices qui ne
seraient pas exigés par la défense du pays, si d’accord avec eux, dis-je, nous
n’avions pas réduit les dépenses de la guerre à de justes proportions,
c’est-à-dire à des proportions telles que le bien-être et la forte organisation
de notre armée étaient également assurés ; elle eût été bien plus forte,
enfin, si nous n’étions pas, par nos efforts constants dans l’accomplissement
des devoirs que nous imposait notre mandat, arrivés à cet important résultat
que dans les circonstances critiques actuelles elles-mêmes, le chiffre total du
budget du département de la guerre est encore de 20 millions au-dessous du
chiffre qu’on nous avait demandé pour l’exercice 1833.
Personne donc plus que mes honorables collègues et moi
ne serait en droit d’argumenter des dépenses du département de la guerre pour
expliquer la crise financière, et cependant je ne le ferai pas, parce que dans
mon opinion ce ne sont ni les forts armements que nous avons dû faire, ni les
effets de la crise politique elle-même auxquels on doive attribuer la grande
crise commerciale et industrielle qui tourmente en ce moment si fortement le
pays.
Qu’ai-je besoin de vous le dire ? vous le savez
tous, messieurs, c’est dans les nombreuses et grandes fautes commises, c’est
dans la désastreuse direction donnée au mouvement des capitaux que se trouve la
cause réelle, la véritable cause de la gêne actuelle de notre commerce et de
notre industrie.
On a perdu de vue malheureusement en Belgique les
véritables bases sur lesquelles doit reposer l’action des établissements de
Belgique.
Voici, messieurs, selon moi, ce que doit être une
banque qui veut être réellement utile à l’industrie, et au commerce ;
voici la définition que je donne d’une pareille institution ; vous la
trouverez peut-être d’une grande simplicité, mais il me suffit de penser que
vous la trouverez au moins aussi vraie que simple pour que je n’hésite pas à la
produire.
On a oublié en Belgique qu’une banque est une machine
qui, à l’aide de comptes, de crédits ouverts, d’achats et de ventes de métaux
précieux, d’émissions de billets et d’obligations, de prêts sur dépôts, de
comptes courants et d’autres opérations semblables, imprime aux capitaux
qu’elle possède un mouvement perpétuel circulaire, sans jamais laisser les
capitaux se fixer, s’immobiliser nulle part, et qui, ensuite, entraîne dans ce
mouvement fait au profit de l’agriculture, de l’industrie et du commerce, la
plus grande somme possible aussi bien des autres capitaux que possède le pays
que de ceux de l’étranger, lesquels viennent forcément se joindre aux nôtres
lorsque l’industrie, l’agriculture et le commerce sont véritablement protégés
par la législation.
C’est dans cet oubli fatal, messieurs, des devoirs qui
sont imposés aux banques que gît la véritable cause de la crise financière, et,
par conséquent, n’en cherchons pas d’autres.
Mais, je le dis encore, je ne veux point le nier, il
est certain qu’il y a crise ; il est certain que cette crise est arrivée
aujourd’hui à tel point que, si elle devait se prolonger longtemps encore, nous
ne tarderions pas à voir note pays, pourtant si beau, si riche et si plein de
ressources, succomber dans l’absence de tout travail, dans l’absence des moyens
nécessaires à nos populations pour gagner de quoi les nourrir et les
vêtir ; succomber, par conséquent, sous le poids du plus affreux des
malheurs qui puisse accabler un peuple qui, comme le nôtre, est poussé
incessamment vers le travail, et par ses habitudes, et par sa religion, et par
son caractère, et par son génie si éminemment industriel ?
Toutefois qu’on ne s’y trompe pas, la crise financière
n’étant pas née de la crise politique, on ne doit pas croire que, celle-ci résolue
pacifiquement, la première viendra immédiatement à cesser. Pour qu’il en fut
ainsi, il faudrait que la paix ait le pouvoir de faire, à l’instant même où
elle viendrait à être conclue, reconnaître la confiance perdue par les fautes
de principe, par les fautes de système que l’on a malheureusement commises dans
la haute direction du mouvement des capitaux.
Or, ce sont là des fautes que l’on ne réussit pas à
réparer en un jour, malheureusement ! la paix peut-être ici d’un grand
poids comme auxiliaire, qu’elle est nécessaire ; mais il ne lui est pas
donné de pouvoir mettre fin tout à coup aux maux dont nous nous plaignons. Avec
la paix, nous aurons donc encore à souffrir, ne nous faisons pas illusion à cet
égard ; mais je le répète, il est vrai aussi de dire que ce n’est qu’à
l’aide de la paix que nous pouvons réellement parvenir à cicatriser les plaies
que les fautes financières commises ont faites aux trois grandes branches de la
prospérité publique.
D’un autre côté, il est vrai aussi qu’il y a deux moyens
d’obtenir la paix : c’est de céder aux dures conditions que l’on nous
impose ; l’autre, c’est de passer par la guerre, et si je ne croyais pas
qu’en présence d’un acte solennellement signé, au bout de huit années de
négociations, par les cinq puissances, qui tiennent en main le gouvernail de
l’Europe, la guerre ne pût nous conduire à atteindre notre but, je n’hésiterais
pas, malgré la crise, à voter le rejet du traité. Mais quand on ne peut pas
tout obtenir de ce qui est juste, au moins faut-il chercher à obtenir le plus
que l’on peut.
Oui, messieurs, il faut le reconnaître, il est
tellement vrai que la guerre n’est plus possible aujourd’hui, que les
honorables membres qui, mus par les sentiments du plus sincère, du plus pur, du
plus honorable patriotisme, n’ont pu réussir à arracher à leur raison leur
consentement à subir la loi d’une force majeure, abandonnent à eux-mêmes le
système de la guerre et se réfugient dans un système d’inertie qui consiste à
céder sans résistance à l’emploi de la force matérielle, mais à ne reculer
toutefois que devant l’emploi réel de la force matérielle.
J’en viens, messieurs, à mes conclusions ; vous
ressentez tous trop les sentiments pénibles que je ressens aussi, pour ne pas
croire à ma sincérité, quand je vous déclare que si ces conclusions sont dans
ma raison, elles ne sont nullement dans mon cœur, qu’elles blessent a contraire
très profondément.
Mon cœur veut le rejet immédiat, pur et simple du
traité, mais ma raison me dit que ce serait là un véritable acte de désespoir
qui nous conduirait infailliblement à la perte de notre belle patrie.
C’est donc dans un bon système de réserves que je vois
le seul moyen de salut qui nous reste. Car, messieurs, si
Sachons donc en profiter, puisqu’il ne nous reste plus
d’espoir qu’en lui ; suivons l’exemple du congrès national ; quelque
grande qu’ait été sa répugnance pour adopter les 18 articles, il les a acceptés
parce qu’il fallait un roi à
Songeons bien, de notre côté, que le rejet pur et
simple du traité nous isolerait complètement au milieu de toutes les puissances
de l’Europe, aujourd’hui liées contre nous par un acte solennel ; songeons
bien à ce qu’il n’est plus possible à
On a parlé de l’honneur de l’armée ; on a parlé
de l’honneur de
Oui, messieurs, il est douloureux, très douloureux
pour l’armée, dont l’amour de la patrie est si vif, dont l’organisation, la
discipline et l’instruction font l’admiration de tous les généraux étrangers
qui l’ont vue, il est douloureux très douloureux pour des soldats belges de
devoir rentrer dans leurs foyers sans avoir vu réaliser le vœu qui est dans le
cœur de tous, sauf avoir vu luire le jour du combat.
Ancien militaire, je sais, je comprends combien est
grand le sacrifice qui est demandé à l’armée, mais je sais aussi que son
honneur est sauf ; je sais, comme je l’ai déjà dit que dans cette enceinte
à l’occasion de la discussion du budget de 1833, je sais que Napoléon n’aurait
pas, en grande partie, composé sa garde célèbre impériale de Belges, s’il
n’avait pas jugé que le soldat belge était, avant tout, homme d’honneur et de
courage.
On a dit, messieurs, que tous nous devions être
arrivés dans cette enceinte avec une opinion formée et bien décidément arrêtée
à l’avance. Non, messieurs, il n’en a pas été ainsi de moi, je le déclare dans
toute la sincérité de mon âme ; hier encore j’hésitais sur le parti que
j’avais à prendre, et je crois qu’il est bien permis d’hésiter quand on a à
choisir entre deux routes également parsemées d’écueils, de dangers et de
malheurs de toute espèce pour la nation.
Telles étaient les paroles que j’avais commencé à
prononcer quand l’événement terrible qui nous afflige tous si profondément est
venu se produire, est venu ainsi attester la vérité de ma déclaration, avant
même que je n’aie eu le temps de la faire. Oui, l’honorable collègue dont nous
pleurons tous la perte a été victime des combats intérieurs que se sont livrés
son cœur et sa raison, dans l’intérieur de son âme. Nous l’avons tous
connu : homme sage, vertueux et dévoué à sa patrie. Sa vie a été celle du
juste ; sa mort celle du martyr de sa conscience. Espérons donc que c’est
près de lui que Dieu l’a appelé ; espérons que sa voix éteinte, hier, au
moment même où elle venait de prononcer des paroles de consolation, a retrouvé
toutes ses forces là-haut, près de l’Eternel, pour s’écrier avec nous :
Dieu sauve
- M. Fallon remplace M. Raikem au fauteuil.
M.
Ernst – Messieurs, la discussion
générale sur la question du territoire s’épuise ; les opinions sont
formées. La législature s’est crue forcée de souscrire à un arrêt injuste,
inhumain, impolitique. Après plusieurs années d’une vie commune, pleine de
bonheur,
Comme Belge, comme député, comme ministre, je me suis
associé à l’élan national. Je me suis dévoué de cœur et d’âme à une cause
sainte. Le devoir, l’honneur imposent à
Mais, dit-on, la résistance est impossible. La
résistance est inutile. Elle serait
dangereuse pour notre nationalité, ruineuse pour le pays.
« La résistance est impossible ! » Là
est toute la question ; on la résout toujours par la question même. La
résistance est impossible ! Mais cette impossibilité est-elle
démontrée ? Non.
L’exécution du traité aurait-elle lieu ?
Qui sera chargé de l’exécution ?
Quand, comment serait-elle opérée ?
A toutes ces questions on ne répond que par des
suppositions, des craintes, que toutes les probabilités combattent.
La résistance est impossible, dites-vous, parce que
nous ne formulons aucun système praticable, parce que nous n’avons pas assez de
troupes, parce que les ressources financières nous manquent.
Mais dire, messieurs, que nous repousserions la force
par la force, et que nous ne nous arrêterions que devant une force
irrésistible, et lorsque résister serait non plus se défendre, mais se
détruire ; répondre ainsi n’est-ce pas indiquer un système net et
praticable ? n’est-ce pas indiquer le système de tout peuple dont le
territoire est attaqué et qui veut le défendre ? je vous le demande,
messieurs, si, au milieu d’embarras politiques, lorsque tous vos alliés vous
abandonneraient, vous étiez sommés par un voisin dix fois plus puissant que
vous, d’abandonner une portion de votre territoire, ne vous défendriez-vous
pas ? Et si l’on vous demandait comment vous vous défendriez, ne
refuseriez-vous pas de répondre à une pareille question ?
« Nous n’avons pas les forces militaires nécessaires. »
Cette question, messieurs, a été traitée par l’honorable M. de Puydt, en homme
de métier ; cet honorable collègue vous a même dit avec raison qu’on le
forçait d’entrer dans des détails qu’il n’était pas juste de réclamer. Ainsi
qu’il vous l’a dit, messieurs, nous avons une armée nombreuse, vaillante,
animée du meilleur esprit, soutenue par le sentiment d’une juste cause,
soutenue par l’esprit national ; quelles seront les forces qu’on opposera
à cette armée ? Lorsque vous demandez, messieurs, comment nous nous
défendrions, je réponds que nous disons tout ce qu’en pareille circonstance il
est possible de dire, mais vous ne dites rien de ce qu’en pareille circonstance
vous devriez dire : vous ne dites pas comment ni par quelles forces nous
serons attaqués. Ainsi, vous voulez nous obliger à aller beaucoup plus loin que
vous n’allez vous-mêmes. Je serai juste, messieurs, envers mes
adversaires ; ils ne peuvent pas dire quelle sera l’attaque mais alors
qu’ils ne disent pas non plus que la défense sera impossible.
« Les ressources financières nous
manquent. » Je ne puis pas croire, messieurs, que cette objection soit
sérieuse. Au début de cette question tout le monde s’est dit que
Qu’il me soit permis, messieurs, de rappeler ce qui a
été dit par les partisans les plus prononcés de l’acceptation du traité, que
« sans la défection de
J’ai parlé, messieurs, de la défection de
On a parlé des malheurs de la guerre et des avantages
immenses de la paix. Sous ce point de vue, messieurs, je ne conçois pas même qu’il
puisse y avoir contestation sérieuse ; la guerre ne peut être considérée
que comme la plus grande de toutes les calamités, elle ne peut être considérée
que comme la ressource de la nécessité ; les malheurs de la guerre ne sont
donc pas une raison pour ne pas la faire, lorsque le devoir et l’honneur
national le commandent. C’est là la seule question, ainsi que je l’ai déjà dit.
Mais si cette nécessité existe, quels que puissent être les malheurs de la
guerre, il ne faut pas reculer. Si nous acquérons un jour la conviction que si
nous avions résisté, si nous avions persévéré avec courage dans la position
dans laquelle nous étions ; si jamais nous avons un jour la conviction
qu’en raison des difficultés où se trouve l’Europe, d’un incident quelconque
qui peut survenir, nous aurions conservé le territoire contesté, quelle ne
serait pas notre douleur, quels ne seraient pas nos regrets, nos remords
d’avoir déserté une cause aussi juste, une cause qui est, quoi qu’on en dise,
la cause de l’humanité, la cause de l’avenir des peuples !
« La résistance serait inutile. Pour qu’il y ait
force majeure, force irrésistible, il n’est pas nécessaire, dit-on, qu’on la
voie matériellement, il suffit qu’il soit certain qu’elle sera employée. »
Cela est vrai, mais on répond encore une fois à la question par la question. La
certitude de l’emploi de cette force n’existe aucunement. On pose en fait et
l’inutilité et l’impossibilité de la résistance, et l’on part de là pour dire,
ce qui sous un autre point de vue est très vrai, qu’on a satisfait à l’honneur
lorsqu’on a fait tout ce qui était possible ; c’est précisément là qu’est
la question : oui, par les relations diplomatiques, on a fait tout ce
qu’on pouvait pour conserver le territoire, mais est-il certain que nous serons
attaqués ; et ainsi que je le disais tout à l’heure si, au milieu de la
paix, un puissant voisin voulait nous arracher une portion de notre territoire,
ne nous défendrions-nous pas, alors même que nous n’aurions pas d’alliés ?
Cependant alors nous serions certains d’être attaqués ; aujourd’hui que
l’attaque est incertaine et que le résultat de l’attaque, si elle a lieu, peut
nous être favorable, vous abandonneriez votre territoire sans résistance !
Alors vous ne pourriez pas dire que vous avez fait tout ce que vous
pouviez ; alors vous ne pourriez pas dire que vous avez satisfait au
devoir.
« La résistance, dit-on encore, est dangereuse
pour notre nationalité. » Je ne pense pas, messieurs, que ce soit
sérieusement que cette objection a été faite ; je ne pense pas que ni le
partage de
« La résistance est ruineuse pour
Je protesterai par mon vote contre le traité qui est
soumis à notre acceptation.
- M. Dubus aîné remplace M.
Fallon au fauteuil.
M. le président – La parole est à M. Fallon inscrit pour le projet.
M. Fallon – Faut-il se résigner ? Faut-il résister ?
Cette cruelle alternative pèse de tout son poids sur la
responsabilité de notre mandat.
Si, pour diriger son choix, on arrête ses regards sur
ces localités dont on veut violemment nous détacher, ; si l’on ouvre son
cœur au langage des défenseurs courageux et éloquents qu’elles nous ont donnés
pour collègues ; si enfin l’on s’abandonne aux impressions profondes qui
nous pénètrent, lorsque c’est au nom de l’humanité et de la reconnaissance que
l’on nous conjure de ne pas abandonner des populations qui nous ont donné tant
de preuves d’attachement et de dévouement, qui, à nos premiers appels sont
venus mêler leur sang au nôtre pour la conquête de nos libertés, on se sent
entraîné à trancher la difficulté bien plutôt qu’à la résoudre, on se sent
entraîné à se jeter avec elles dans le parti de la résistance sans en calculer
le péril, certain que l’on est qu’il n’est rien de plus électrique que le
langage du sentiment, certain que l’on est de recueillir de nombreuses
acclamations.
Mais il ne nous est pas permis de céder aveuglément à
d’aussi touchantes émotions ; il ne nous est pas permis de n’envisager la
difficulté de notre position que sous une face aussi séduisante. La raison
d’état veut aussi que nous écoutions son langage ; elle nous impose le
devoir de ne pas nous arrêter à la surface ; mais de calculer tous les
accidents où l’on va se placer.
J’écouterai également ce langage, parce que c'est la
première obligation que j’ai contractée envers mon pays, en acceptant mon
mandat, mandat qui doit rester pur de toute influence de localité, de toute
prescription électorale.
Quelque délicate que soit ma position, quels que
soient les applaudissements ou les imprécations qui attendent mon vote, je
remplirai mon devoir franchement et consciencieusement ; je le remplirai
sans préoccupation, et sans me laisser entraîner dans la mêlée des
récriminations.
Ma tâche, circonscrite à l’exigence du moment, sera
déjà assez pénible pour ne pas m’engager dans des digressions plus propres à
exciter l’irritation des passions qu’à apporter le calme de la raison dans nos
débats ; plus propres à aider à l’égarement de l’esprit qu’à maintenir le
jugement solennel que nous allons prononcer sous l’influence d’inspirations
libres et dégagées de toutes préventions.
Le passé n’est plus à notre disposition ; c’est
le présent que nous devons interroger pour statuer sur le sort de
Pour cela faire, messieurs, il ne faudra probablement
pas au bon sens du pays tout le temps qu’on a assigné à nos repentirs.
Il faut avant tout pourvoir à un besoin plus
pressant ; l’urgence est flagrante ; il faut décider, et décider sans
plus de retard, si l’on se résignera ou si l’on se roidira.
Chacune des propositions de cette alternative est
également grave dans ses conséquences.
Quelle est celle qu’il faut se résoudre à
adopter ?
C’est là la difficulté dont le cercle s’agrandit ou se
resserre selon que l’on va du connu à l’inconnu, selon qu’on argumente sur des
faits certains ou sur des probabilités, selon qu’on croit devoir suivre les
conseils de la prudence ou qu’on pense pouvoir se livrer aux caprices des
éventualités, selon les chances de succès ou de malheurs que l’on entrevoit
dans une conflagration générale ou partielle.
Au milieu des nombreuses considérations plus ou moins
fondées qui ouvrent un si vaste champ aux calculs des prévisions, l’unanimité
d’opinion n’est pas possible, et, dans la crise où nous nous trouvons, les
convictions n’ont pas attendu jusqu’aujourd’hui pour se recueillir. Aussi, si
j’interviens dans ce débat solennel, ce n’est nullement avec la prétention de
réformer aucune opinion, et encore moins dans la pensée que je puisse ébranler
celles contre lesquelles je viens me heurter.
Si j’ai demandé la parole, c’est uniquement pour qu’on
ne se méprenne pas sur les motifs de mon vote, pour qu’on ne calomnie pas
mes intentions ; et c’est afin que mes concitoyens puissent me juger en
pleine connaissance de cause que je vais indiquer la route que j’ai suivie pour
arriver à une solution que je crois être tout au moins la plus prudente, si, ce
que l’avenir seul pourrait démontrer, elle n’est pas également la plus
profitable au pays.
C’est assez vous dire, messieurs, que c’est pour ma
seule justification que je prends la parole et nullement pour attaquer les
opinions que je ne partage pas ; je les respecte toutes et je les écoute
avec recueillement, sinon dans l’espoir, tout au moins dans le désir d’en voir jaillir des lumières propres à
mieux m’éclairer. Par réciprocité, j’ai le droit d’espérer qu’on voudra bien
aussi m’écouter, si non avec attention et avec bienveillance, tout au moins
avec indulgence et surtout avec la tolérance que réclame la liberté
constitutionnelle des opinions, dont la tribune ne doit cesser de donner
l’exemple.
Si, pour former son jugement ; si, pour arriver à
la solution de la grande question qui nous divise, le raisonnement n’avait à
s’exercer que sur des faits connus, on pourrait espérer d’arriver à une
conclusion rigoureusement exacte ; mais il n’en est pas ainsi ; la
difficulté ne se laisse pas envisager sur un seul aspect. Si, d’un coté, on
peut raisonner sur des faits connus, de l’autre le raisonnement ne trouve plus
pour élément de son action que des éventualités plus ou moins alarmantes, et
dès lors il faut bien que la logique se soumette à un calcul de probabilités.
En cédant, en acquiesçant au traité que les puissances
nous imposent définitivement, je puis raisonner sur quelque chose de connu, sur
quelque chose de certain, je sais parfaitement quelle sera ma position, tandis
qu’en rejetant ce traité, tandis qu’en résistant, je ne trouve plus à raisonner
que sur les conséquences plus ou moins probables qui peuvent résulter de mon
refus, de ma résistance, soit active, soit passive.
La première conclusion qu’il semble que l’on doive
tirer de cet état de choses, conclusion que conseille d’ailleurs la prudence
comme la logique, c’est qu’il ne faut pas repousser la première proposition, la
soumission au traité, que pour autant qu’en elle-même elle ne soit pas
acceptable, ou bien que l’on puisse raisonnablement espérer une meilleure
condition, en se livrant à l’éventualité de la seconde.
Il faut donc, pour apprécier avec sagesse celle de ces
propositions à laquelle il convient de donner la préférence, les examiner et
les discuter séparément, pour les mettre ensuite en regard et se prononcer.
Pour procéder méthodiquement à cette appréciation, il
importe de se livrer d’abord à des considérations générales communes aux deux
propositions et poser les principes dont on croit devoir leur faire une commune
application.
La principale considération qui doive vivement et
sérieusement nous préoccuper, c’est la conservation de nos libertés ; en
d’autres termes, c’est la consolidation de notre nationalité.
Une autre considération, d’un ordre non moins élevé,
c’est qu’il faut se garder de compromettre l’honneur et la dignité nationale.
Viennent ensuite des intérêts non moins précieux qui
appellent également toute notre attention : les intérêts matériels du
pays, et ceux de la défense de son indépendance.
La première considération, celle qui me semble devoir
nous toucher de plus près, me replace, sinon quant à son application absolue,
tout au moins quant à son principe, dans la même position où je me trouvais en
octobre 1831.
Je me demandais alors si, au risque de creuser
elle-même le tombeau de ses libertés,
Bien loin de regretter en aucun temps ce vote, je n’ai
cessé depuis lors de m’en applaudir, parce que s’il ne m’est pas permis de
savoir quelles eussent été, pour ma patrie, les conséquences fatales ou
avantageuses d’un refus, je sais du moins que mon vote a servi à perfectionner
l’œuvre de notre émancipation, et parce que je sais aujourd’hui, par expérience,
combien étaient frivoles les espérances que l’on plaçait dans les conversions
possibles des cabinets qui nous témoignaient le plus de bienveillance, et dont
les intérêts semblaient d’ailleurs intimement liés aux nôtres.
Si donc je me trouve aujourd’hui sous l’empire de
circonstances aussi peu rassurantes, ce que j’examinerai ultérieurement, le
principe dominant pour moi sera de choisir le parti qui me donnera le plus de
garantie pour la consolidation de notre indépendance et la conservation de nos
libertés.
La seconde considération, qui se lie intimement à la
première, est de savoir, si dans l’un comme dans l’autre cas de l’alternative,
c’est-à-dire si, en cédant comme en résistant, l’honneur et la dignité
nationale seront saufs.
C’est ici que je rencontre les objections les plus
irritantes, et tout la fois les
arguments les plus propres à ébranler la raison, à égarer le patriotisme le
plus sage.
Faute de ratification complète et d’exécution
immédiate, le traité des 24 articles n’avait pas formé un lien de droit
indissoluble, il était resté imparfait. Depuis lors les populations du Limbourg
et du Luxembourg, qu’on avait voulu nous arracher, ont resserré avec
Que la cause des peuples se trouve engagée dans la
question territoriale, je ne le conteste pas ; mais ce que je désire,
c’est que l’on ne puisse faire à
A ceux qui lui feraient un semblable reproche, je
demanderais si ce n’est pas à sa fermeté, et sans autre secours que son
courage, que le droit d’insurrection se trouve solennellement confirmé sur son
sol par les puissances les plus hostiles à la cause populaire ?
Je demanderai où sont ces nations dans l’ordre de
C’est là un fait dont on ne peut se refuser à lui
tenir compte ; et si, dans l’application du nouveau droit européen au fait
de l’insurrection belge, de hautes considérations politiques, conçues bien plus
en vue d’assurer la paix de l’Europe que de favoriser
Lorsqu’en 1831, le cabinet français, qui nous tendait
et nous retirait la main tout à la fois, suivant qu’il croyait qu’il était de
son intérêt de nous servir ou de nous abandonner ; lorsqu’en 1831, ce
cabinet a pensé qu’il était de sa politique de ne pas résister aux exigences
des autres puissances de la conférence, et de consentir au morcellement, les
mandataires du peuple français sont restés très bénévoles spectateurs de
l’inhumanité de cette mesure, qui fut même appuyée par la plupart d’entre eux,
sans aucune ni la moindre contradiction de la part de leurs collègues ; et
lorsqu’en 1838, ce même cabinet se montra sourd à nos plus vies instances, à
nos plus pressantes protestations, alors qu’il était temps encore de nous venir
efficacement en aide, alors que la spoliation n’était pas encore consommée, ces
mêmes mandataires de la nation française ne s’occupèrent de nous que dans
l’intérêt des partis qui se disputaient le pouvoir ; ils firent entendre à
la tribune des choses fort touchantes en faveur de nos frères du Limbourg et du
Luxembourg, mais et c’est là un fait qui jette une vive lumière sur le parti
qu’il nous reste à prendre, aucun de ces brillants orateurs, aucun de ces
hommes populaires qui avait le plus de chance d’arriver à la direction du
cabinet, ne lâcha le moindre mot d’où l’on pût induire l’engagement de venir
activement à notre secours, le cas arrivant où ils seraient placés en position
de s’opposer au morcellement.
Ce n’est pas lorsqu’en présence de faits semblables,
Qu’on accuse de lâcheté une nation qui ne fait pas, en
faveur de cette cause, ce qu’elle a le pouvoir de faire avec plus ou moins de
chances de succès, cela se conçoit ; mais il est par trop extravagant de
prétendre que, dans l’isolement où elle se trouve, et sans l’assistance d’aucun
allié, c’est pour
Je ne puis donc admettre le point d’honneur ou de
dignité nationale dans la question du morcellement, alors qu’il ne nous est
permis de la débattre qu’en présence d’une coalition plus redoutable encore,
car
Prenons-y garde, messieurs, cette question d’honneur
et de dignité nationale que vous élevez si haut, aura du retentissement en
France ; elle peut réveiller les anciennes gloires de l’empire.
L’honneur et la dignité nationale se trouveraient
engagés si, restant associés dans le système de résistance avec nos
compatriotes du Limbourg et du Luxembourg, nous avions quelque espoir de les
sauver avec nous ; mais si, après avoir calculé toutes les chances de
succès de ce système, cet espoir nous échappe, alors c’est le pays tout entier
qui nous fait, de la conservation de sa nationalité, non seulement un point
d’honneur et de dignité, mais une question d’obligation rigoureuse.
On a parlé de lâcheté, de honte et de trahison. Je ne
réponds à ces sortes d’arguments, excès ordinaires, et fort peu réfléchis, de
l’exaltation des passions politiques, que par le sourire de la pitié ;
cependant je croirais me faire personnellement application de ces accusations
si, convaincu que, par la résistance, je ne puis conserver ces localités à mon
pays, j’avais la faiblesse de faire, aux exigences de la popularité, le
sacrifice de l’opinion que me dicte ma conscience, de faire violence à mes convictions,
et de consentir à entraîner ma patrie dans la ruine.
Ce morcellement, ce funeste événement au milieu duquel
nous nous débattons, n’a pas été chose imprévue, même dans les premiers jours
de nos triomphes populaires. Dans la prévision d’une aussi fatale épreuve, on a
bien pensé que l’honneur national n’irait pas jusqu’au point d’étouffer la
raison d’état, n’irait pas jusqu’au point d’exiger le suicide de notre
indépendance et de nos libertés ; c’est un langage plus élevé, c’est un
patriotisme plus sévère qui s’est exprimé dans les articles 1 et 68 de la
constitution, où l’on a pris soin de réserver à la législature, placée en
présence des dangers de la guerre, le pouvoir de restreindre les limites de
l’état et d’abandonner des portions de territoire. Les députés des territoires
menacés siégeaient alors comme aujourd’hui dans cette enceinte, et quoiqu’alors
comme aujourd’hui ces portions de territoire se trouvassent déjà menacées, ils
ont généreusement considéré avec nous que le sacrifice du tout n’améliorerait
aucunement le sort de la partie dont une force brutale exigerait la
distraction, et ils n’iront pas jugé alors que nous étions encore dans toute
l’exaltation de nos premiers succès, qu’il y aurait humiliation à sauver l’état
aux dépens d’une portion de son territoire, comme en effet, il ne peut jamais y
avoir de honte pour un pays à se courber sous le joug de l’impérieuse
nécessité, alors qu’il conserve son existence comme nation.
Quant à nos intérêts matériels, une expérience de neuf
ans a trop bien prouvé quelles sont les ressources pour que l’on puisse
sérieusement se demander si, avec le nouveau traité, elle pourra continuer à
vivre et à prospérer.
Le traité du 15 novembre, dont on n’a pas fait l’essai
encore, ne valait sans doute pas le statu quo dont nous avons joui ; mais
on n’a jamais pu se flatter que ce statu quo serait indéfini, et si nous sommes
arrivés au moment de devoir rentrer dans le régime du traité du 15 novembre,
nous avons tout au moins l’avantage de n’y rentrer qu’avec d’importantes
améliorations, améliorations qu’il entre dans le système de résistance de
dénier, mais qui n’en sont pas moins réelles.
On a déjà fait justice de la critique du nouveau
traité sur ce point ; j’en dirai ultérieurement quelques mots pour aider
aux explications que quelques-uns de mes collègues ont désirées.
Je m’arrête peu au point de savoir si, dans ses
nouvelles limites,
Les résultats du système d’acquiescement au traité
sont donc certains. Quelqu’onéreuses qu’en soient les conditions, quelque dur,
quelque choquant qu’il soit pour l’orgueil national, il reste incontestable
qu’avec le traité,
Avec ce système, c’est donc sur des faits certains que
je puis raisonner ; je sais quelle sera la position de
Si j’examine maintenant le système de résistance, je
n’ai plus pour élément du raisonnement qu’un calcul de probabilités ;
c’est dans les hypothèses que mon jugement doit s’égarer ; c'est dans les
ténèbres que je dois chercher la lumière ; je ne puis suivre qu’une route
tortueuse ; j’ignore où je vais, je ne sais plus où je m’arrêterai.
Discutons toutefois quels sont les avantages et les
chances de succès que l’on se promet de ce système.
L’un de ces avantages consiste en ce que l’on satisfera
d’abord à un sentiment d’honneur national qui a vivement éclaté de toute part
dans ces derniers temps.
J’ai partagé pour ma part cet enthousiasme, cet élan
patriotique, et je m’y suis associé dans les termes mêmes de l’adresse du 17
novembre 1838 dont on dénature complètement l’esprit et la portée. Je m’y suis
associé, non pas dans cette pensée extravagante que je prenais là l’engagement
de défendre, par la voie des armes, le Limbourg et le Luxembourg contre toutes
les puissances de l’Europe, si elles parvenaient à se mettre d’accord pour
confirmer la stipulation du morcellement ; mais parce qu’à cette époque,
et sur ce point, il paraissait certain, et le ministre des affaires étrangères
en avait suffisamment exprimé l’appréhension dans le sein de la commission,
parce qu’il paraissait certain, dis-je, que le cabinet français allait nous
faire défaut ; parce qu’à cette époque on avait quelqu’espoir de trouver
un appui dans les chambres françaises qui ne devaient pas tarder à s’occuper de
nous, pensée qui est traduite en toutes lettres dans notre adresse ; parce
qu’à cette époque on pouvait espérer également que la conférence y songerait à
deux fois en présence d’une conflagration générale dont nous lui faisions
entrevoir le foyer ; parce qu’à cette époque une démonstration énergique
de la part des chambres belges pouvait puissamment appuyer les négociations qui
n’étaient pas encore arrivées à leur terme. Si je m’y suis associé, enfin,
c’était dans la prévision, et je m’en étais suffisamment expliqué dans le sein
de la commission de l’adresse, c’était dans la prévision que le moment pourrait
bien arriver où il faudrait apporter des tempéraments à ces démonstrations.
Aussi je considère comme étant fort injuste le reproche que l’on adresse au
ministère de s’être associé à ce moyen ; et, en effet, s’il l’eût
repoussé, le thème de l’accusation qu’on porte aujourd’hui contre lui serait
rédigé précisément en sens inverse. On lui dirait : A la seule pensée que
la conférence pourrait rester inébranlable sur la question territoriale, toute
la nation s’était mise en mouvement, et pour me servir de l’expression qui
paraît usitée aujourd’hui en pareil cas, toute la nation s’était levée comme un
seul homme ; vous pouviez utiliser cet enthousiasme, ne fût-ce que pour révéler
l’apathie du gouvernement français, ne fût-ce que pour mieux faire concevoir au
cabinet anglais nos plus vives sympathies pour nos compatriotes du Limbourg et
du Limbourg, ne fût-ce enfin que pour tâcher d’ébranler les puissances de la
conférence. Vous n’avez pas compris tout le parti que vous pouviez tirer de cet
enthousiasme, vous n’avez pas su l’utiliser ; vous l’avez étouffé, alors
que les débats étaient encore ouverts, alors que l’arrêt n’était pas
prononcé ; vous avez perdu le pays. Ce qui veut dire, messieurs, que si le
ministère eût fait précisément ce qu’on lui reproche aujourd’hui de ne pas
avoir fait, il se fût trouvé sous le poids d’une accusation tout autrement
grave, tout autrement difficile puisqu’il ne lui eût pas été possible de
démontrer aujourd’hui qu’en acceptant alors plutôt qu’en refusant le secours de
démonstrations énergiques, qu’en excitant plutôt qu’en décourageant l’élan
patriotique, on n’eût pu obtenir un meilleur résultat.
Je viens de vous parler de l’injuste reproche que l’on
tire du fait de l’adresse contre le ministère ; je dois ajouter, pour
rendre hommage à la vérité, qu’en ce point, il y a eu, de la part de mon
honorable collègue de Tournay, plus que de l’exagération. J’ai fait partie de
la commission de cette adresse, et j’atteste que les choses se sont passées
comme vous l’a déclaré M. le ministre des affaires étrangères ; il a
insisté, ainsi que moi, pour obtenir la suppression de divers passages des
projets qui étaient proposés par deux membres de cette commission ; il a obtenu
la suppression de plusieurs phrases, mais non de plusieurs expressions qui ne
furent maintenues que contre son gré, expressions qui lui semblaient dépasser
la véritable portée qu’il convenait de donner à cette adresse.
Dire qu’à l’ouverture de la session le gouvernement
eût dû nous tenir le langage qu’il nous tient aujourd’hui, ce n’est pas se
rendre un juste compte des circonstances au milieu desquelles se remuaient
alors les esprits.
Enfin messieurs, la seule conclusion raisonnable que
l’on puisse tirer, et du discours du trône et de cette adresse, c’est que ce
fut là une combinaison politique qui n’a pas produit les fruits qu’on en
attendait, et que, sans qu’on puisse en accuser bien le gouvernement ni les
chambres, les choses en sont malheureusement venues au point où l’action de
l’enthousiasme de la nation a fait son temps.
Mais non, me dit-on, cet enthousiasme n’a pas fait son
temps ; nous n’avons pas encore acquiescé au traité ; ce puissant
ressort peut encore agir ; nous tenons encore dans les mains la torche qui
peut embraser l’Europe ; nous pouvons encore faire trembler ceux qui ne
craignirent pas de nous opprimer ; nous pouvons encore exiger les
conditions de notre existence telle que nous prétendons qu’elle doit nous être
faite ; la sympathie des peuples est pour nous, et avec son assistance,
puisque tout autre appui nous est refusé, nous pouvons encore dicter la loi et
non la recevoir.
Ce serait là sans doute une bien généreuse, une bien
noble résolution. Mais avant de prendre une semblable position, la prudence et
la sagesse exigent d’en calculer les chances, et c’est à ce calcul que je vais
livrer mes convictions.
Je crois à la sympathie des peuples ; telle doit
être naturellement la conséquence de notre origine, de nos institutions toutes populaires
et de la position malheureuse où se trouvent nos frères du Limbourg et du
Limbourg ; mais je ne crois pas qu’elle puisse nous venir utilement en
aide ; je crois tout au contraire que la mise en action serait du plus
grand danger pour la conservation de notre nationalité.
Il ne faut pas se le dissimuler ; dans l’action
de la sympathie chacun parle bien plus à ses intérêts qu’à ceux d’autrui ;
son effet est d’attirer l’un vers l’autre, et ce serait bien nous qu’elle
attirerait vers nos voisins, et nullement nos voisins qu’elle attirerait vers
nous.
Il est certains voisins qui, s’ils pouvaient, au moyen
de l’intervention, se donner nos institutions, tiendraient tout autant à leur
nationalité que nous à la nôtre ; qui, s’ils pouvaient délivrer nos frères
du Luxembourg, tiendraient autant à les conserver qu’à nous les rendre.
Les peuples ont aussi leur égoïsme, et je puis même
ajouter leur despotisme, témoin, dans l’histoire contemporaine, la république
française, qui proclama les principes les plus libéraux et les plus généreux,
et qui, dans son ardente sympathie pour la cause des peuples, envahissait les
états voisins bon gré mal gré et sans le moindre égard s’ils tenaient ou ne
tenaient pas à leur indépendance.
Voyons toutefois (le nombre n’en est pas grand) sur la
sympathie désintéressée de quels peuples nous pourrions calculer nos succès.
Je ne doute aucunement que nous puissions compter sur
la sympathie du peuple français, je ne doute pas qu’il existe là, en assez
grande majorité, un vif désir de nous voir résister. Mais, je le dis
franchement, je me défie beaucoup de la sympathie que nous mettrions en action
de ce côté, parce que je ne crois pas du tout que ce serait bien sincèrement
dans l’intérêt de nous assurer la possession des deux portions de territoire
qui nous sont contestées, que ce désir de notre résistance serait excité.
Si l’incendie que nous allumerions ici pouvait se
propager, là avec assez d’intensité pour que ce que l’on appelle la cause
populaire, pût y gagner une force, une autorité assez puissance pour dicter de
nouveau la loi à l’Europe, savez-vous quelle serait la conséquence des hasards
que nous aurions courus ? Savez-vous quelle serait la récompense des
services que nous lui aurions rendus ? La voici : c’est qu’elle nous
absorberait de nouveau, tout en nous prouvant, à sa manière, que c’est un
avantage inappréciable pour une petite nation que d’être intiment associée à
une grande puissance, à une puissance de premier ordre.
Si, au contraire, cette cause populaire, en réveillant
les craintes et les rivalités des autres puissances, et après avoir mis de
nouveau toute l’Europe en mouvement, finissait par se trouver comprimée, le
résultat serait pour moi infaillible : ce serait une restauration totale
ou partielle, ou bien un partage qui, quoi qu’on en dise, est encore dans le
portefeuille de la conférence pour y recourir en cas où il faudrait en venir à
cette extrémité ; et ce qui pourrait d’ailleurs nous arriver de moins
funeste, ce serait d’être replacés au point de départ, non pas dans le même
état mais au milieu de désastres et de ruines, car c’est encore indubitablement
ici que l’Europe viendrait terminer sa querelle.
Je me défie donc à l’excès de la sympathie que nous
excitons en France ; son attraction me paraît mortelle pour nous ;
pour elle,
Il existe aussi, nous assure-t-on, une sympathie sur
laquelle nous pouvons compter dans les provinces rhénanes, et, sans en être
toutefois bien convaincu, je veux bien le croire encore ; mais se flatter
que nous pourrions produire là une insurrection à notre profit, c’est pour moi
une illusion, et quant à la possibilité de l’insurrection elle-même, et quant à
ses conséquences si elle avait lieu. Là, si l’insurrection pouvait se réaliser
au point de détacher ces provinces de
Enfin, l’aveuglement de l’exaltation a été jusqu’au
point de nous promettre, par l’intermédiaire d’un brillant agitateur, les
sympathies de l’Irlande, comme si l’on pouvait nous expédier de là-bas une
armée tout comme une cargaison de marchandises ; comme si l’on pouvait,
dans d’aussi graves conjonctures, se laisser bercer par de semblables
hallucinations.
Je n’attends donc rien de plus avantageux pour
Je répète donc qu’en méditant sur nos antécédents
politiques, tout me fait trembler pour la nationalité de mon pays, si la
sympathie que l’on nous vante tant venait à se convertir en action.
Examinons, toutefois, comment, dans la supposition
même où nous n’eussions rien à craindre de cette sympathie, on concevrait ce
système de résistance.
Ou bien cette résistance serait active en ce sens que
l’on irait en avant, sans différer, ou bien elle serait passive en ce sens
qu’on refuserait le traité et qu’on attendrait l’exécution : refuser ou
avant en avant, et aller en avant sans doute du côté de
Mais voilà précisément ce qu’il ne nous est pas permis
d’entreprendre sans nous exposer aux plus grands périls, sans nous mettre au
ban des nations de l’Europe.
Ce serait évidemment fouler aux pieds la convention du
21 mai ; violer les engagements que nous avons contractés envers
Refuser et attendre l’exécution.
Attendre l’exécution, sans doute pour y résister ou la
souffrir.
Si l’on ne prend cette position que dans l’intention
de souffrir passivement l’exécution, c’est-à-dire dans ce sens que nos troupes
se retireraient en présence des forces de la confédération germanique qui se
présenteraient pour occuper les portions du Limbourg et du Luxembourg sur
lesquelles les droits des états allemands sont transférés, ce ne serait, en
réalité, que masquer une soumission par un assez puéril subterfuge, et ce ne
serait sans doute pas là une satisfaction dont
Pour en arriver là, si l’on ne voulait pas aller plus
loin, pour ne faire faire à notre armée qu’une semblable évolution, il me semble
qu’il serait beaucoup plus honorable et plus digne de la représentation
nationale d’acquiescer franchement au traité, tout en protestant qu’on ne cède
qu’à la violence, qu’on n’évacue ces portions de territoires que comme
contraints et sous la réserve de s’en relever si un jour les circonstances
politiques offrent à
Si l’on ne veut résister que dans l’espoir que les
puissances reculeraient devant le danger d’allumer une conflagration générale
qui pourrait les compromettre elles-mêmes, cet espoir ne me paraît aucunement
fondé, ce n’est là qu’une illusion qui ne peut plus nous éblouir.
Je ne doute pas que les puissances de la conférence ne
craignent et n’ont cessé de craindre une semblable coalition ; mais c’est
précisément parce qu’elles la craignent sérieusement, et parce qu’elles ont
toutes et chacune le plus grand intérêt à la prévenir et à l’empêcher dans leur
propre sécurité, que j’en conclus qu’elles s’entendront sur les mesures à
prendre pour en comprimer le germe et de manière à éviter que la discorde ne
vienne les diviser.
Si l’on ne résiste passivement que dans l’attente du
nouveau cabinet que les élections françaises vont donner à
Si la coalition arrive là, ou bien elle maintiendra
les faits consommés, et l’on sait combien sont puissants chez les hommes
d’état, à quelque nuance qu’ils appartiennent, les faits qui sont arrivés à ce
degré de maturité ; ou bien elle désavouera la signature donnée au traité,
et l’on sait également que la coalition elle-même a déclaré bien explicitement
aux électeurs que c’était là chose impossible, puisqu’elle ne veut pas de conflagration,
puisqu’elle ne vient rien faire de nature à compromettre la paix.
Il n’y a pas, du reste, à s’abuser sur les intentions
de cette coalition parlementaire en ce qui nous concerne.
Ecoutez M. Guizot, dans sa lettre du 18 février au
maire de Lisieux ; il y dit bien formellement que les choses sont arrivées
au point que toute résistance de notre part est devenue impossible ; et
s’il se plaint du cabinet français à notre égard, c’est qu’alors que
l’influence de
Si l’on ne résiste passivement que dans la prévision
que les puissances ne nous exécuteront pas par la voie des armes, qu’elles se borneront
à chercher à nous réduire sans coup férir, en nous entourant d’un cordon
d’observation, ce qui nous laisserait la possession des territoires contestés,
et l’avantage de l’attente de tout autre événement politique, cette position ne
me paraît pas supportable. Nous ne pourrions pas résister à ce genre de
contrainte, sans nous épuiser en très peu de temps ; la consomption ne
tarderait pas à nous gagner. Notre commerce, notre industrie, déjà si
compromis, ne tarderaient pas à périr et à entraîner dans leur ruine le crédit
public, et je ne sais pas, sinon en épuisant pour longtemps nos ressources
agricoles, où nous irions chercher, sans secousses, sans convulsions
intérieures, les moyens de satisfaire à nos armements et à toutes les exigences
d’une semblable position.
Non seulement on s’aveugle sur les moyens de pourvoir
à l’urgence des besoins du système de résistance passive ou active, mais on
ferme encore les yeux sur les conséquences de ce système. On veut bien qu’une
de ces conséquences sera de ne payer, en attendant, aucune portion de dette à
S’il faut entendre le système de résistance passive
dans le sens de l’un de nos honorables collègues, c’est-à-dire qu’on
commencerait par évacuer les territoires cédés et qu’ensuite on protesterait de
ne pas vouloir payer la dette avant d’en avoir compte de nouveau, avant d’avoir
obtenu sur ce point pleine et entière satisfaction, il n’est pas possible de
s’y arrêter un instant. Ce serait évidemment là un véritable jeu de dupe, en
supposant même que les puissances nous laisseraient parfaitement tranquilles
dans nos nouvelles frontières ; car enfin il faudrait bien, pour nous y
tenir tranquilles, nous y contenir dans le statu quo armé ; il faudrait
bien prolonger et souffrir toutes les conséquences de l’état de crise et
d’inaction de notre industrie et de notre commerce, et un tel état de choses
nous serait incontestablement beaucoup plus onéreux que de nous soumettre et de
payer la dette.
S’il faut entendre maintenant le système de résistance
passive dans l’esprit de certains conseils évangéliques qu’on nous a
charitablement donnés, système qui consisterait à exciter les populations
menacées à s’armer et à se défendre elles-mêmes, moyennant quelques mille hommes de notre armée que nous mettrions à
leur disposition pour tenter ainsi l’aventure et nous procurer à nous
l’avantage d’avoir pris acte de l’abus de la force qui aurait été employée pour
elles, je le repousse avec la plus profonde indignation, comme je repousserais
toute autre combinaison qui n’aurait pour objet qu’une semi-résistance ou
qu’une résistance simulée.
Exposer une garnison à se défendre jusqu’à la dernière
extrémité et à s’ensevelir sous des ruines, en prenant la résolution de ne pas
lui porter secours, et avec la conviction qu’elle ne peut tarder à
succomber ; exposer une portion de l’armée à se faire battre contre des
forces supérieures, et dans la résolution de laisser le reste l’arme au bras et
dans l’inaction, ce sont là, pour certaines consciences des faits de nature à
satisfaire ce vain amour-propre de n’avoir tout au moins cédé qu’après avoir
combattu ou plutôt qu’après avoir simulé une courageuse résistance ; mais
ce sont là pour moi des faits qui constituent l’assassinat, et l’assassinat
prématuré d’une partie de mes concitoyens, et jamais on ne me verra complice
d’une aussi immorale, d’une aussi odieuse combinaison. Ce serait au surplus un
bien cruelle, une bien vile manière de témoigner des regrets aux populations
dont nous devons nous séparer, que de les convier à se sacrifier de nouveau
pour nous, tout en prenant soin que les désastres et les ruines de la
semi-résistance restent pour leur compte et s’arrêtent à nos nouvelles frontières.
Tous ces systèmes de résistance plus ou moins passive,
plus ou moins active, n’ont de la résistance que le simulacre plus ou moins
puéril, plus ou moins odieux, plus ou moins flétrissant.
Il n’y a qu’un système de résistance qui soit digne de
la nation, c’est la résistance franche et loyale, c’est la mise en action de
toutes nos forces et de tous nos moyens, et c’est là le seul système que l’on
puise honorablement mettre en opposition au système de soumission.
C’est ce système qu’il me reste à examiner.
Il ne s’agit pas ici de
Si les puissances se mettent d’accord pour nous
exécuter par la force militaire, et le siège d’Anvers nous apprend qu’elles ont
pu s’entendre sur semblable expédient, même au péril des conséquences qui
pouvaient résulter de l’entrée et du séjour des troupes françaises en Belgique,
leur résister c’est plus que de la témérité, c’est de la frénésie.
Je sais que l’on peut compter sur l’ardeur belliqueuse
de notre armée, et pour auxiliaire sur l’enthousiasme et le courage de mes
compatriotes ; mais contre des forces qui, chaque jour, pourront se
renouveler plus nombreuses, tandis que les nôtres s’affaibliront dans la même
proportion, l’issue ne peut être douteuse pour personne ;
Contrainte par notre résistance à en arriver là, il
n’y a pas de raison d’espérer que la coalition nous traiterait plus favorablement
qu’elle n’a traité
Il n’est pas inutile de rappeler ici qu’en 1815 les
frais d’une semblable exécution, par les puissances coalisées, ont coûté à
Il y a eu là beaucoup d’argent et beaucoup de ce que
l’on appelle de l’humiliation, et cependant, il y a 25 ans que ces choses se
sont passés, et cependant
Dans ce système de résistance « quand
même », j’aperçois parfaitement toutes les horreurs de la guerre, je vois
du sang et beaucoup de sang versé, j’y compte les nombreuses victimes du
patriotisme le plus pur, j’y entends les lamentations de nombreuses familles
frappées dans ce qu’elles ont de plus cher, dans leurs plus vives
affections ; je vois enfin le pays couvert de ruines, et rien ne me
garantit que j’aurai échappé au morcellement, et rien ne me garantit qu’au
milieu de tous ces désastres, je retrouverai encore debout la nationalité
belge.
Maintenant que je crois avoir fidèlement tracé le
tableau du système d’acquiescement et de résistance ; maintenant que j’ai
mis en regard les avantages, les inconvénients, les chances de succès et les
périls de chacun d’eux, la conclusion que je dois tirer de ce rapprochement ne
se fait pas attendre.
J’ai déjà dit qu’avec l’un comme avec l’autre de ces
systèmes, l’honneur et la dignité nationale seront saufs, parce qu’il s’agit
ici d’une irrésistible nécessité, qui commande impérieusement la résignation,
parce qu’il s’agit d’une force majeure contre laquelle tout orgueil humain doit
se briser.
Avec le premier système, j’ai la certitude de consolider
la nationalité belge, de conserver ses institutions et ses libertés ;
j’assure à mon pays l’existence et la paix ; tandis qu’avec le second, je
livre cette nationalité et ces institutions aux chances les plus aventureuses,
j’appelle sur mon pays tous les malheurs et les calamités de la guerre, et je
l’ébranle jusque dans ses fondements pour n’avoir fait autre chose peut-être
que de l’avoir enseveli sous des ruines ; ou lui avoir fait subir des
conditions plus onéreuses encore.
C’est donc pour la paix, et par conséquent pour la
soumission au traité, que je voterai, et non pour la guerre, c’est-à-dire pour
le système de résistance.
Si quelque doute me laissait encore dans
l’irrésolution, il est une circonstance qui ne me permettrait plus d’hésiter.
J’appelle, messieurs, toute votre attention sur cette
circonstance parce qu’elle a jeté pour moi une vive lumière sur la difficulté,
et m’a fait apercevoir plus clairement le but vers lequel certaines prévisions
nous poussent au moyen du système de résistance.
Je reconnais qu’au nombre des partisans de ce système,
tant dans cette chambre qu’au dehors, il existe des âmes nobles et généreuses,
dont les intentions sont droites, qui ne sont dirigées que par le patriotisme
le plus pur, et qui n’agissent qu’avec la conviction que la résistance doit
avoir pour effet d’améliorer notre condition. Mais lorsque, en dehors de cette
enceinte, dans certains organes les plus exaltés de ce système, et qui n’ont à
la bouche que les propos les plus révoltants, que les plus dégoûtantes injures
contre tout ce qui est respectable chez nous, j’aperçois précisément les divers
partis qui sont systématiquement les plus hostiles à notre nationalité, la
vérité m’apparaît dans tout son jour, et voici les réflexions qu’elle me
suggère.
Si les partisans de la dynastie déchue nous poussent
aussi énergiquement à la résistance par certain journal stipendié, c’est qu’ils
ne doutent pas que la résistance pourrait amener, sinon une restauration, tout
au moins quelque chose qui ne vaudrait pas mieux pour nous.
Si les partisans de la république en font de même par
la voie de leurs journaux, c’est qu’ils espèrent que la résistance produira des
ruines, et que ce n’est que sur des ruines, cimentées par le sang, que l’on
peut reconstituer dignement le culte de la liberté, de l’égalité et de la
fraternité.
Si les partisans d’une nouvelle réunion à
Si certains hommes exaltés, qui ne connaissent de leur
doctrine que l’intolérance et le despotisme nous prêchent également la
résistance par leurs organes, c’est qu’ils s’attendent qu’une violente
convulsion, ou que l’insuccès même de leur opposition pourrait les faire
arriver au pouvoir pour exercer l’oppression dont ils rêvent le monopole.
J’ajoute à tout cela les imprécations violentes des
fauteurs de désordre sous tous les régimes, et tandis que je conçois parfaitement
une coalition de ces divers éléments poussant au même but et par le même moyen,
je ne puis m’expliquer cette conformité de sentiment et de calcul avec le
langage sincère et de conviction que je rencontre dans mes honorables
collègues, chez des hommes qui ont toute mon estime et mes affections et dont
le patriotisme n’est pas douteux pour moi ; je ne puis, dis-je,
m’expliquer ce fait qu’en en tirant cette induction qu’il faut bien que
l’opposition soit dans l’erreur et du mauvais côté, puisque c’est à son opinion
que s’est empressé de se grouper tout ce qu’il y a de plus hostile à notre
nationalité, à nos institutions et à la paix publique.
En parlant des intérêts matériels, j’ai dit que la
critique faite au traité était exagérée, et qu’avec ce traité
A la vérité, ses ressources se trouveront réduites par
la privation des portions de territoire, qui lui seront enlevées et par
l’augmentation des charges lourdes et onéreuses qu’elle aura à supporter envers
On a jeté le cri d’alarme, quant à la liberté de
l’Escaut ; mais là encore il y a eu exagération. Le fait est que, bien
loin que cette liberté soit compromise, elle est assurée de la manière la plus
formelle, et par la nouvelle stipulation et par l’intérêt commun des puissances
maritimes. La navigation se trouve, à la vérité assujettie à un péage toujours
trop onéreux à nos relations commerciales, mais ce péage n’a plus du moins ce
cachet de vasselage que l’article 9 du traité du 15 novembre semblait lui
imprimer, suivant l’interprétation que les plénipotentiaires hollandais
voulaient attribuer à cet article dans les négociations de 1832. La nouvelle
rédaction de cet article établit clairement la copropriété avec tous ses
attributs. Je sais bien qu’il n’y a jamais rien d’assez clair pour ceux qui ne
veulent pas du traité ; mais les plus clairvoyants, pour moi, ce sont ceux
de mes honorables collègues qui ont des connaissances toutes spéciales sur
l’application à l’Escaut de la nouvelle stipulation du traité, et ce n’est pas
du banc de ces honorables collègues que nous parvient ce cri d’alarme.
Dans l’ardeur de tout exagérer, pour entretenir
l’irritation et empêcher des défections chez les partisans du système de
résistance, on a dit que, sur la question de la dette, le nouveau traité ne
valait pas mieux que le précédent, et que notamment la diminution de 3,400,000
florins sur le chiffre se trouvait compensée par la privation de notre moitié
part dans le boni qui serait résulté d’une liquidation du syndicat d’amortissement,
de manière que ce que nous eussions gagné d’un côté, nous l’eussions perdu de
l’autre ; mais ici encore on dénature les faits.
Le traité a laissé sans solution quelques difficultés
financière que nous aurons à débattre avec
C’est assez vous dire, messieurs, que je ne parlerai
de la dette et des points financiers qui s’y rattachent, qu’avec la réserve que
commandent les intérêts du pays.
Si je ne satisfais pas suffisamment aux explications
qui on été réclames par quelques-uns de mes honorables collègues, si je
m’abstiens de réfuter les allusions qui, dans cette partie de nos débats, me
sont plus ou moins personnelles, j’espère que la chambre voudra bien tenir
compte de ma position, j’espère qu’elle n’oubliera pas que l’on me place ici
sur un terrain où l’on sait bien qu’il me sera interdit de me défendre avec
toutes mes armes ; j’espère qu’elle voudra bien attendre, sans prévention,
le moment où il nous sera permis de discuter toutes ces questions secondaires
sans commettre des indiscrétions qui pourraient nous nuire dans le règlement
des difficultés financières, prévues ou imprévues, que soulèveront l’exécution
du traité et l’application de quelques-unes de ses dispositions.
Je me bornerai donc, pour le moment, à vous démontrer
que, sous le rapport de nos relations financières avec
Je dois d’abord donner connaissance à la chambre de
quelques faits qu’il lui importe de connaître pour bien apprécier cette partie
de la discussion.
La mission dont les commissaires belges furent
chargées, n’avait absolument rien de politique ; elle n’avait
exclusivement pour objet que d’appuyer, dans les conférences qui pourraient
avoir lieu à Londres, les principes et les conclusions posés dans le rapport de
la commission des finances qui avait été organisée au département des finances,
commission dont faisait partie l’honorable député de Tournay ainsi que les
commissaires belges, et qui était présidée par M. le baron d’Huart, alors
ministre de ce département.
Cette commission avait été chargée de donner son avis
motivé sur chacun des points financiers qui pourraient être soulevés au sujet
du traité du 15 novembre ; et de tracer la marche qu’il conviendrait
d’imprimer aux négociations de ce chef. C’est ce qu’elle fit et ce fut ainsi
que son travail, adopté par la cabinet, devint le thème que suivit le ministre
des affaires étrangères, et en même temps le cercle dans lequel la mission des
commissaires belges à Londres fut circonscrite.
Or, messieurs, veuillez reporter un instant votre
attention sur ce rapport et me permettre de lire seulement l’exposé des
principes dans l’application desquels elle fut d’avis qu’il convenait de
restreindre les négociations financières, et vous apprécierez à sa juste valeur
combien est injuste et exagérée la critique que l’on a faite du résultat de ces
négociations.
« La commission nommée par arrêté de M. le
ministre des finances en date du 29 juin 1838, afin de donner un avis motivé
sur chacun des points financiers qui seraient nécessairement soulevés dans les
négociations qui pourraient être ouvertes au sujet du traité du 15 novembre
1831, s’étant réunie, a d’abord délibéré sur la question de savoir quelle
serait la marche la plus convenable à suivre à l’effet de ramener la fixation
de la dette qui se trouverait à la charge de
« Le premier point qu’elle a ainsi abordé,
consiste à savoir si, pour parvenir à la réparation du préjudice provenant
d’erreurs commises au détriment de
« La commission , après avoir examiné et discuté
les motifs qui appuient ce dernier système, a pensé qu’il fallait
principalement tenir compte des circonstances suivantes, sur lesquelles il
importait d’appeler spécialement l’attention :
« Que les éléments les plus propres à éclairer la
conférence sur la véritable situation des dettes respectives et communes aux
deux divisions du royaume, n’ont pas été remis sous les yeux avec les détails
et explications nécessaires, par les plénipotentiaires hollandais, au pouvoir
desquels se trouvaient ces éléments ;
« Que c’est principalement cette circonstance,
autant que les principes d’équité et de justice qui dirigeaient les puissances
médiatrices, qui ont déterminé leurs plénipotentiaires à déclarer, dans le
protocole dudit jour 6 octobre 1831, que si les tableaux qui avaient été
fournis par les plénipotentiaires hollandais, se trouvaient inexacts, malgré
toutes les précautions qui avaient été prises pour en garantir l’exactitude,
les cinq cours seraient par là même en droit de regarder comme non avenus les
résultats des calculs auxquels les
tableaux en question auraient servi de base, déclaration renforcée dans le
memorandum du jour suivant, où il est dit que si, malgré la garantie positive
du plénipotentiaire des Pays-Bas, ces tableaux renfermaient des inexactitudes
essentielles, alors la conférence serait en droit d’effectuer un arrangement
propositionnel dans les calculs qu’elles a basés sur ces mêmes tableaux ;
« Que c’est sous la foi de cette même réserve et
tout en prenant acte dans les termes les plus formels, que le plénipotentiaire
belge a déclaré dans la note remise à la conférence le 12 novembre suivant que
son gouvernement adhérait au traité ;
« Qu’en conséquence, c’est bien dans le sens de
cette même réserve et sans y préjudicier aucunement, qu’il faut nécessairement
comprendre la réponse que la conférence a donnée à la demande qui lui était
faite dans la même note, de quelques modifications à d’autres stipulations du
traité, en déclarant, ainsi qu’elle l’a fait dans l’acte postérieur du 14 du
même mois, ni la lettre des 24 articles ne sauraient désormais subir de
modification, et qu’il n’était plus au pouvoir des cinq puissances d’en
consentir une seule.
« En présence de ces faits et circonstances, il a
paru évident à la commission que pour faire prévaloir le bon droit de
« Par suite de ces considérations, la commission
a résolu unanimement que pour écarter toute fin de non-recevoir et mieux
assurer l’adoption des mesures dont l’opportunité se fera sentir par l’examen
et la discussion auxquels elle va se livrer, elle se renfermera strictement
dans l’application des principes de la liquidation de la dette, tels que ces
principes sont énoncés dans le protocole n°48, dudit jour 6 octobre 1831 ;
et c’est dans ce sens qu’elle a dirigé ses travaux d’après l’ordre retracé,
dans le tableau annexé qui a été suivi par la conférence dans ce même
protocole, en les appuyant de documents authentiques, mais en en résumant le
développement le plus possible, afin que l’ensemble puisse en être plus
facilement saisi. »
Comme vous le voyez, messieurs, la marche qui avait
été adoptée par la commission de finances, et qui, de son avis, était la plus
prudente, c’était de la renfermer strictement sans l’application des principes
de la liquidation de la dette, et de ne s’occuper des autres points financiers
résultant de la communauté, réglés ou non réglés par le traité du 15 novembre,
que comme considérations propres à appuyer les négociations sur la révision de
la dette.
Comment se fait-il maintenant que l’honorable député
de Tournay déserte son propre ouvrage, et vienne faire au gouvernement le
reproche le plus virulent de n’avoir point insisté tout à la fois, non
seulement sur la révision du traité quant à la dette, mais sur la révision de
toutes les autres dispositions relatives aux faits de la communauté, et n’ait
pas reproduit toutes les réclamations financières qui avaient été ou qui
auraient pu être faites avant ce traité, sur lesquelles il n’avait pas été
statué ; je ne m’arrêterai pas à rechercher quelles sont les causes plus
ou moins probables de cette désertion : cet honorable membre suit maintenant
le système de résistance à toute outrance, et dans ses mouvements il saute
au-dessus de ce qu’il croit bien ne pouvoir renverser.
La diminution de 3,400,000 florins sur la dette n’est
pas tout ce que nous avions droit d’obtenir, si justice pleine et entière nous
eût été rendue ; mais c’est cependant là quelque chose, et quelque chose
d’assez important, si l’on tient compte des faits suivants :
1° Qu’on ne pouvait pas espérer d’obtenir gain de
cause sur tous et chacun des chefs de notre demande en révision, dès lors que
les plénipotentiaires de France et de
2° Qu’en effet la conférence, et notamment les
plénipotentiaires français et anglais, n’ont jamais voulu admettre le principe
de la révision que dans les termes des engagements qu’ils avaient pris dans le
protocole n°48 du 6 octobre 1831, c’est-à-dire qu’en ce qui concernait les
tableaux fournis par les plénipotentiaires hollandais, repoussant quant aux
dettes austro- et franco-belge, les arguments que nous puisions, pour obtenir
également la révision de ces chefs, dans le memorandum annexé à ce protocole,
et ce sous le prétexte qu’en ce qui regardait les dettes austro- et
franco-belge, bien loin d’avoir pris l’engagement d’admettre une révision, ils
y avaient déclaré, tout au contraire, que si, de ces chefs, il y avait des
erreurs ou inexactitudes, elles se trouvaient couvertes par des considérations
politiques qui les avaient irrévocablement liés entre eux et dont ils croyaient
ne pas devoir rendre compte.
3° Et qu’enfin, par le retranchement qui a été fait,
au traité du 15 novembre, des stipulations relatives à la liquidation du
syndicat à l’encaisse existant dans les mains du caissier-général au 30
septembre 1830, et aux « los renten », la réduction que nous avons
obtenue sur la dette ne s’arrête pas seulement au chiffre de 3,400,000 florins,
mais va évidement beaucoup plus loin.
Je pose d’abord en fait, et j’ai, quant à moi, la
conviction que ce fait est certain, que si la stipulation du traité, quant à la
répartition de la dette, eût été maintenue, c’est-à-dire si nous eussions dû
supporter la rente de 8,400,000 florins, sauf à en déduire la moitié du boni à
provenir d’une liquidation avec le syndicat, outre que nous ne fussions pas
venus à bout d’une semblable liquidation, outre qu’en attendant nous eussions
dû payer en totalité la rente de 8,400,000 florins, les nombreuses difficultés
que nous eussions dû traverser pour mettre à fin cette liquidation, ne nous
auraient pas produit la réduction d’un centime, et cela par deux motifs que je
considère comme péremptoire :
Premièrement, c’est qu’alors que nous faisions tous
nos efforts pour obtenir qu’il soit procédé à cette liquidation, préalablement
à la fixation d’aucun chiffre, liquidation qui nous était opiniâtrement
refusée, on ne voulait même admettre la liquidation qu’en la reportant à
l’époque du 1er novembre 1830, ce qui, comme le disent les
commissaires belges dans le mémoire en réponse à la note de messieurs Senfft et
Bulow, était un véritable piège tendu à la bonne foi, vu qu’à couvert d’une
semblable stipulation,
Ainsi, premièrement, la liquidation reportée au 1er
novembre était au moins illusoire, si elle ne devenait même très préjudiciable
à
Secondement, elle n’eut pas moins été illusoire pour
nous en lui assignant même la date du 30 septembre ; voici pourquoi :
C’est qu’en procédant à une liquidation approximative sur des documents
authentiques, c’est-à-dire sur l’état de situation du syndicat arrêté à la date
du 15 janvier 1829, et sur le compte rendu aux états généraux par l’assemblée
générale du syndicat, le 13 octobre même année, on eût obtenu pour résultat un
déficit considérable, et nullement un boni.
Ce n’est pas tout ; il ne faut pas perdre de vue,
comme je viens de le dire, que le bénéfice de la nouvelle stipulation au
traité, sur le partage de la dette, ne s’arrête pas seulement à ce chiffre de
3,400,000 florins ; il est un autre bénéfice indirect, mais néanmoins très
réel, dont il faut tenir compte. C’est qu’en procédant à la liquidation du
syndicat, nous eussions dû rapporter à cette liquidation ce que, depuis la
séparation, nous avons perçu de l’avoir qui lui appartenait à cette époque, et
notamment ce que nous avons perçu en numéraire, en lieu de « los
renten » sur le prix des domaines ; les domaines qui depuis lors sont
entrés dans nos mains par déchéances, et qui représentent le prix de
vente ; les recouvrements faits sur les fonds de l’industrie, ainsi que
sur les autres valeurs dont vous a parlé l’honorable député de Tournay, mais
auxquelles il faut encore ajouter la moitié de l’encaisse du caissier général
existant au 30 septembre 1830. Toutes ces valeurs forment évidemment un
bénéfice qu’on peut évaluer de 30 à 33 millions de francs, dont la rente vient
encore naturellement augmenter le chiffre de la réduction de 3,400,000 florins.
Il est encore une circonstance qui ne doit pas peu
contribuer à vous faire concevoir que si l’on eût soumis à l’épreuve d’une
liquidation préalable avec le syndicat sur la réduction à opérer sur le chiffre
primitif de 8,400,000 florins, on était loin de pouvoir se flatter d’obtenir
une réduction de 3,400,000 florins.
Un de nos honorables collègues, qui n’a cessé, depuis
le traité de 1831, de s’occuper de la surcharge qui vous était imposée dans la
dette, et qui dans ses derniers temps, en publiant les fruits de ses recherches
et de ses connaissances sur ce point, a rendu au pays des services que je me
plais à reconnaître, l’honorable M. Dumortier enfin, nous disait, le 23 août
1833, dans la discussion du budget sur la dette publique, qu’en profitant des
réserves du protocole n°48, car c’était bien là qu’alors même nous puisions
déjà nos droits à une révision ; il nous disait, dis-je, qu’en profitant
des réserves faites dans ce protocole, nous avions le droit de compter sur une
réduction de (erratum, Moniteur du 17 mars 1839 : ) 2 millions de florins ;
et, revenant sur cette matière, le 31 du même mois, il nous disait encore qu’il
ne savait pas quel serait le bénéfice que nous pourrions obtenir d’une
liquidation avec le syndicat, mais qu’il avouait qu’il doutait beaucoup que nous
en retirions aucun, répétant encore qu’on pouvait cependant compter sur un
dégrèvement de 2 millions.
Il ne parlait pas alors de la dette austro- et
franco-belge parce qu’à leur égard ce protocole était loin de nous faciliter
l’ouverture à une révision, ; aussi je ne rappelle ici ses pensées de 1833
que pour vous faire remarquer que lui-même n’avait aucune confiance dans
l’avantage à résulter pour nous d’une liquidation avec le syndicat, et pour en
conclure qu’il se trompe aujourd’hui lorsqu’il veut faire considérer, comme
étant désavantageuse pour nous, la circonstance qu’en nous déchargeant des
capitaux portés au passif du syndicat, on nous a privés en même temps du boni à
résulter d’une liquidation avec cet établissement.
Je puis, au surplus, invoquer sur ce point une
autorité plus grave encore, le ministre des affaires étrangères, dans son
rapport fait à
Ce qui prouve bien du reste que le gouvernement
hollandais espérait effectivement trouver dans la liquidation préalable du
syndicat d’amortissement une ample compensation avec le retranchement, dans le
chiffre primitif de la dette, des rentes provenant des capitaux de 110 et 30
millions, c’est la note de Messieurs ; de Senfft et de Bulow qui est
imprimée à la suite du rapport du ministres des finances, note qui avait
évidemment été concertée avec le plénipotentiaire hollandais, et où ces
messieurs avaient pris soin de stipuler que le bilan de la liquidation se
trouvait favorable à
Vous avez vu, messieurs, la réponse que firent les
commissaires belges à une proposition aussi insidieuse.
L’honorable député de Tournay fait un grief à notre
gouvernement d’avoir laissé subsister à notre charge les 600 mille florins pour
avantages commerciaux, et de ne s’être pas occupé des pensions, des traitements
d’attente, des engagères et de nos droits sur la flotte et les colonies.
D’abord, ces reproches ne seraient fondés que pour
autant qu’il serait démontré qu’il y avait possibilité de surmonter la fin de
non recevoir systématique que la conférence avait pris la résolution invariable
d’opposer à toutes réclamations étrangères à la révision de la dette, et
jusqu’à présent cette démonstration n’est pas faite ; de ce chef, les
reproches sont déjà dépourvus de base, ils sont également non fondés sous
d’autres rapports.
Il n’a jamais été question de revenir sur le premier
traité, quant aux 600 mille florins pour avantages commerciaux, chiffre, comme
vous le savez, qui se trouvait confondu dans celui de 8,400,000 florins,
qu’afin d’obtenir que cette partie de rente de 600 mille florins fît l’objet
d’un article séparé de la dette proprement dite, et ne fut couverte par aucun
transfert du grand livre, et cela dans le but de procurer à
Quant aux pensions et traitements d’attente, il n’y
avait pas non plus à revenir sur le traité, où il avait été stipulé que chaque
pays prenait à sa charge les pensions dues aux titulaires nés sur son
territoire, et cela conformément aux lois existantes, à l’époque de la
séparation, lois que nous n’avons cessé de respecter, non en vertu du traité,
mais parce que c’était là une obligation de stricte justice.
Je sais que nous avons laissé quelques traitements
d’attente en souffrance, mais je ne crois aucunement qu’en acquiesçant au
traité, nous nous engagions à revenir sur nos pas à cet égard. La raison en est
que le traité ne nous impose d’autre obligation, sur ce point, que de payer les
traitements d’attente conformément aux lois en vigueur au 1er
novembre 1830 ; la raison en est qu’un traitement d’attente n’est pas une
pension, mais un traitement toujours révocable de sa nature ; que cette
révocation n’est interdite par aucune loi existante à l’époque de la
séparation, et qu’enfin le traitement d’attente ne constitue aucun droit
irrévocablement acquis en vertu de l’arrêté-loi du 14 septembre 1814. La
commission de finances n’avait pas pensé qu’il fût prudent de revenir sur ce
point du traité.
Quant aux engagères, bien loin d’avoir négligé de s’en
occuper, la commission de finances, dans son rapport du 27 juillet dernier,
avait appelé l’attention du gouvernement sur ces sortes de créances, sur
lesquelles les commissaires belges n’ont cessé d’insister dans les divers
conférences qu’ils ont eues avec les plénipotentiaires de France et
d’Angleterre, témoin leur mémoire en réponse à la note de Messieurs Senfft et
Bulow, qui est joint au rapport du ministre des affaires étrangères.
Quant aux colonies, nos droits à cet égard ont été si
peu négligés qu’à la vue d’un mémoire remis sur ce point à la conférence par
les commissaires belges, nous avons obtenu la décharge complète de la portion
de dette qui, de ce chef, avait été portée à notre compte. Il fallait faire
plus, dit l’honorable député de Tournay, il fallait revendiquer notre moitié
part dans ces possessions.
Mais d’abord, cela n’était pas possible, puisque, lors
du traité des 24 articles, le gouvernement belge, prévoyant les difficultés
auxquelles nous exposerait une communauté avec
Et puis, avant de reprocher au gouvernement de ne pas
être revenu à la charge sur ce point, il faudrait tout au moins être conséquent
avec soi-même, et ne pas oublier que, dans le rapport de la commission de
finances, l’honorable député de Tournay avait dit, au gouvernement, avec ses
collègues, que ce n’était pas la revendication de notre part dans les colonies
qu’il fallait réclamer, mais seulement la décharge de notre part dans la dette
contractée pour ces possessions.
L’intention de la conférence, est-il dit dans ce
rapport, n’a pas été de donner à
Enfin quant à la flotte on a fait ce qui était indiqué
à cet égard dans le même rapport de la commission de finances, on a fait valoir
les droits de
Cette résolution de la conférence de trancher toutes
difficultés sur nos réclamations financières au moyen d’un chiffre
transactionnel, n’était que l’application du principe invariablement adopté par
elle de ne nous écouter sur aucun autre point que sur les erreurs commises dans
les tableaux des commissaires hollandais portés au passif, système dont la
prévision avait frappé la commission de finances, ainsi qu’on le voit dans le
début de son rapport. Mais, quelque brutale et quelqu’absolue que fût cette
résolution, encore fallait-il bien, pour se faciliter le moyen de la combattre,
si la conférence venait à y persister, chercher à connaître quels avaient été
les éléments de son calcul transactionnel.
C’est ce que firent les commissaires belges, mais sans
pouvoir obtenir des données certaines.
C’est dans cette occasion que mon honorable collègue,
dans son adresse aux Belges, leur dit que, malgré la démonstration qu’il en
avait faite, la question de la dette ne fut pas comprise, vu qu’il était facile
aux commissaires belges de voir que la réduction proposée était précisément,
chiffre pour chiffre, la suppression des rentes et emprunts de 110 et 30
millions, qu’en conséquence la conférence avait bien dû rire en voyant notre
ministre se fourvoyer ainsi lui-même dans une aussi grave question, et
qu’enfin, puisque le ministère ignorait les bases de la fixation de la dette
réduite à 5 millions, il allait le lui apprendre, et c’est ce qu’il fit dans
cette même adresse au peuple belge, en posant quatre chiffres qui, additionnés
ensemble, donnent effectivement 5 millions de florins, sauf toutefois une
petite différence de 40 mille florins.
Sur cette accusation d’incapacité dirigée à la fois
cotre le ministère et contre les commissaires belges, je ferai d’abord une
première observation, c’est qu’avant d’accuser aussi légèrement les autres de
s’être fourvoyés, il faudrait être bien sûr de ne pas se fourvoyer soi-même.
J’ajoute, pour seconde observation, que l’accusation de mon honorable collègue,
n’est nullement fondée, et que c’est lui qui, dans cette occasion, s’est
fourvoyé, et s’est fourvoyé doublement : je vais le démontrer.
Je prétends d’abord qu’il n’est pas exact de dire qu’à
mon honorable collègue seul a appartenu le privilège d’avoir démontré et
d’avoir bien compris la question de la dette ; nous avions dans les mains
l’excellente brochure de M. Ansiaux, publiée en 1833, et qui déjà alors avait
jeté une vive lumière sur les points les plus importants de cette question,
question qui, quoi qu’en ait dit tout récemment l’honorable député de Tournay,
avait besoin d’autre chose, pour être bien comprise, que d’ouvrir tout
simplement le Bulletin des lois.
Il faudra bien,, du reste, qu’il convienne, puisqu’il
faisait partie de la commission de finances, que cette question avait été bien
comprise et démontrée dans le rapport de cette commissions du 27 juillet 1838,
qui n’était lui-même que le résumé des recherches et des études auxquelles le
ministre des finances s’était antérieurement livré, que le résumé des observations
consignées dans le rapport qu’il avait fait au Roi dans les premiers jours de
juin précédent.
Justice étant ainsi rendue à tous ceux qui le
méritent, je vais démontrer par des faits irrécusables, que c’est l’honorable
M. Dumortier qui s’est fourvoyé, et non pas le ministère ni les commissaires
belges.
Pour prouver que les commissaires belges n’auraient
pas dû ignorer les éléments du chiffre global de la réduction proposée par la
conférence, il établit ses calculs sur le chiffre auquel la dette a été
définitivement fixée, c’est-à-dire à 5 millions de florins, ce qui suppose que
la réduction proposée était de 3,400,000 florins.
Mais ce n’est pas cela du tout ; lorsque les
commissaires belges revinrent à Bruxelles, il étaient en présence, et étaient
porteurs de la décision de la conférence du 16 octobre, qui avait fixé le
chiffre de la réduction non pas à 3,400,000 florins, mais à 3 millions
seulement, et ce sont les éléments de cette réduction de 3 millions, et non de
3,400,000 florins, que les commissaires belges avaient cherché vainement à
connaître d’une manière officielle. Ce n’est que plus d’un mois après leur
retour en Belgique que l’on apprit, par le protocole du 6 décembre, qu’après ce
retour la conférence était revenue sur sa décision du 16 octobre, et avait
déféré en partie aux vices instances des commissaires belges, en augmentant la
réduction de 400,000 florins de plus.
Lors donc que l’honorable M. Dumortier nous dit que
nous aurions dû saisir aisément les bases de la dette fixée à 5 millions, son
accusation manque de base puisqu’il ne s’agissait pas du tout de la dette fixée
à 5 millions, mais de la dette fixée à 5,400,000 florins.
Si, du reste, nous avions besoin de connaître
maintenant quelles sont les bases auxquelles la conférence s’est arrêtée pour
la fixation définitive de la dette à 5 millions, nous devrions bien prendre
garde de nous en rapporter à ce que nous en apprend l’honorable collègue ;
car il se trompe encore complètement à cet égard.
Je ne m’arrête pas à cette première circonstance, pour
faire remarquer qu’il s’est mis d’abord trop commodément à l’aise en laissant
inexplicable l’excédant de 40 mille florins dont il se débarrasse dans son
addition ; j’arrive à quelque chose de plus important, j’arrive au chiffre
de deux millions qu’il y fait figurer du chef de la dette française, parce
qu’ici c’est une erreur non moindre d’un million de florins qu’il commet.
En effet, si les commissaires belges n’ont pu obtenir
de la conférence le dégrèvement complet de la dette française, dette qui
s’était éteinte par compensation pendant la communauté, bénéficie qui aurait dû
profiter à
Ainsi, ce n’est plus, comme prétend nous l’apprendre
l’honorable député de Tournay, à raison de deux millions de florins que cette
dette figure dans le chiffre de 5 millions qui nous est définitivement imposé,
mais à raison seulement d’un million, ainsi que l’explication en est donnée
dans le rapport du ministre des affaires étrangères.
Ce n’est cependant pas tout, cet honorable membre commet
encore une erreur lorsqu’au nombre des bases de la fixation du chiffre de 5
millions, il fait figurer une portion de rente de 225,000 florins sous le titre
de complément de la dette austro-belge.
Ainsi qu’il le prétend erronément, cette rente de 225,000
florins n’a pas été maintenue à la charge de
L’honorable M. Dumortier prétend qu’il n’était pas
d’une bonne politique d’insister sur ce point, en ce que l’on pouvait
indisposer contre nous la maison d’Autriche, ; qu’il avait fait cette
observation dans la commission de finances, et que s’il avait su que le rapport
de cette commission fût destiné à être remis sous les yeux de la conférence, il
n’y aurait pas apposé sa signature.
La meilleure politique, suivant beaucoup de monde, est
celle qui réussit ; et assez généralement on préférera la mauvaise
politique de la commission de finances qui nous a déchargés de 225 mille
florins de rente, à la bonne politique de cet honorable membre qui nous eût
fait passer condamnation sur ce point.
Je vous demande, au surplus comment on pouvait même
supposer qu’en insistant sur cette réduction on indisposerait l’Autriche,
tandis que l’Autriche n’avait pas le plus petit intérêt à ce que l’on dégrevât
ou ne dégrevât pas
L’honorable membre a dit, toujours dans cette même
lettre aux Belges, que si l’on ne nous eût promis que le rapport de la
commission de finances était pour le gouvernement seul, il ne l’eût point
signé, et qu’il s’en était suffisamment expliqué dans le sein de cette
commission. Il me répugne beaucoup de révéler ce qui peut s’être dit dans le
sein d’une commission en dehors de ce que contient le procès-verbal, mais enfin
lorsque l’on est attaqué, lorsque l’on est injustement dénigré, il faut bien se
défendre, il faut bien que je puisse dire que l’assertion de l’honorable membre
auquel je réponds est encore, sur ce point, inexacte, et j’en appelle, au
besoin, aux souvenirs de l’honorable ministre des finances qui nous présidait.
Il est vrai que M. Dumortier a énoncé l’opinion qu’il
ne serait pas d’une bonne politique d’insister sur le dégrèvement de cette
portion de rente de 225 mille florins, mais cette opinion n’a été partagée par
aucun de ses collègues ; il est vrai aussi que l’on s’était demandé si le
travail que l’on réclamait de la commission était destiné à être remis sous les
yeux de la conférence, mais ce qui est encore vrai, c’est que, bien loin qu’il
fût convenu qu’il n’en serait pas fait cet usage, il fut observé, tout au
contraire, qu’il allait de soi-même qu’après l’avoir examiné le gouvernement
prendrait à cet égard le parti qu’il jugerait utile, et c’est ce qui donna lieu
à l’attention toute particulière de la commission sur la rédaction du préambule
de son rapport, préambule qu’il suffit de lire pour rester convaincu que
c’était bien dans la prévision que ce rapport serait employé par le
gouvernement, comme moyen de parvenir à la révision de la dette, que cette
commission procédait au travail qui lui était demandé.
C’est donc bien à tort que, dans sa lettre aux Belges,
l’honorable M. Dumortier a accusé le ministère et les commissaires belges de
n’avoir pas compris la question de la dette, de s’être fourvoyés, et d’avoir
faire rire la conférence aux dépens de
Quel que fût d’ailleurs le choix des négociateurs, il
n’y avait pas de mission qui pût réussir complètement en présence des
impitoyables fins de non-recevoir que la conférence opposait à nos
réclamations.
Il reste encore deux points sur lesquels l’honorable
M. Dumortier a égaré, ou tout au moins alarmé, l’opinion sur le mérite des
stipulations financières du traité, sur lesquels points la plupart de mes
honorables collègues ont désiré obtenir des apaisements ou tout au moins des
éclaircissements.
Le ministère est accusé de n’avoir rien fait stipuler
dans le traité relativement au grand livre auxiliaire de Bruxelles ainsi qu’aux
propriétés du syndicat situées en Belgique comme s’il lui eût été libre de
forcer la conférence à s’expliquer sur les choses dont elle ne voulût as
entendre parler.
Quant au livre auxiliaire de la dette publique ouvert
à Bruxelles, tout le monde comprendra aisément que la stipulation de l’article
13 du traité ne permet aucune chicane sur ce point, pas plus que la
substitution du mot « et » au mot « ou », stipulation qui,
bien loin de nous nuire, rend plus claire encore l’application de la
disposition.
Or, cette dette inscrite au livre auxiliaire de
Bruxelles a fait bien partie de la dette publique existante au moment de la
séparation ; l’expression même de « livre auxiliaire » au grand
livre d’Amsterdam, dont il ne formait réellement qu’une fraction, et qui
n’avait été formé comme auxiliaire que pour faciliter le service dans les
provinces méridionales ; cette expression dis-je, le prouve plus
évidemment encore.
Donc, il n’est pas douteux que si
Quant aux deux redevances de la société générale, de
500,000 florins chacune, dues, l’une au syndicat et l’autre à l’ancienne liste
civile, bien loin de se plaindre que le traité n’en fait aucune mention, non
plus que de l’encaisse de l’ancien caissier général, des domaines qui avaient
été assignés au syndicat, du prix reçu en numéraire sur les domaines vendus,
des domaines rentrés dans nos mains par déchéances, des fonds de l’industrie et
de toutes les autres créances que nous avons perçues provenant du
syndicat ; bien loin, dis-je, de nous plaindre du silence que le traité a
gardé sur toutes ces valeurs, nous devons, me semble-t-il, nous en
applaudir , car il ne faut pas perdre de vue que les intérêts hollandais
étaient en majorité dans la conférence ; et il est très rationnel d’en
conclure qu’à la manière dont elle tranchait nos prétentions financières, elle
n’eût pas touché à toutes ces questions secondaires sans nous enlever encore
une bonne part de ce nous possédons.
Toutes ces valeurs que nous possédons, nous les
conservons, en totalité, par là même que le traité n’en parle pas, par là même
qu’il ne nous oblige pas d’en compter.
La démonstration de cette assertion est facile.
Je pourrais déjà argumenter, avec tout avantage, de la
circonstance que, dans le traité du 15 novembre, l’obligation d’entrer en
liquidation tant du chef du fonds du syndicat que du chef de l’encaisse du
caissier général et des « los renten » nous était imposée, et que
cette obligation se trouvant maintenant supprimée par le nouveau traité, la
conséquence qui en résulte est qu’il ne s’agit plus de rien liquider, et qu’ainsi
nous n’avons rien à rendre d’aucun chef.
Je ne m’arrête cependant pas à cette argumentation qui
cependant est déjà bien propre à nous donner tout apaisement ; je vais
plus loin.
Je demande d’abord qu’on ait la bonté de me dire à
quel titre
Il en est de même pour nous. Ce n’est sans doute pas
en vertu du traité que nous pourrions repousser
En raisonnant de la sorte, je ne vous apprends rien de
nouveau. Ce principe du droit des gens, en vertu duquel le vainqueur conserve
la propriété de toutes les choses mobilières ou immobilières, corporelles ou
incorporelles, appartenant au trésor ou aux domaines du gouvernement déchu, sur
lequel il a pu étendre la saisine, si le traité de paix n’apporte pas de
modifications à la possession ainsi acquise, a été proclamé, à deux reprises et
sans contradiction, dans les deux rapports que j’ai déposés au nom de la
commission spéciale, chargée de l’examen des diverses questions relatives à la
société générale, ainsi qu’au nom de la section centrale jointe à cette
commission pour l’examen de la transaction relative aux arrérages des deux
redevances de 500 mille florins dus au syndicat et à l’ancienne liste civile.
Ce n’est pas à dire toutefois que nous aurons le droit
de percevoir ces deux créances de 500,000 florins chacune, autrement qu’avec
une réduction proportionnelle aux biens situés en Hollande dont ces créances
représentant partiellement le prix, et ainsi que la commission spéciale, et la
section centrale dont je viens de parler, en ont fait la liquidation provisoire
quant aux droits de
Si, pour le surplus, nous pouvons nous applaudir que
la conférence se soit abstenue de ces divers points financiers, et notamment en
ce qui concerne la redevance due à l’ancienne liste civile, le ministère, non
plus que les commissaires belges, n’ont nullement à s’en faire un mérite
puisque la conférence avait adopté pour système, système dont elle n’a jamais
voulu se départir, de ne nous entendre sur aucun sujet d’intérêts financiers
qu’en ce qui pouvait avoir un trait direct à la rectification des tableaux
fournis en 1831 par les plénipotentiaires belges, concernant le partage de la
dette publique.
En signalant la redevance due à l’ancienne liste
civile comme étant plus spécialement l’un des points sur lesquels nous n’avons
pas à regretter que la conférence ait refusé de nous entendre, vous me
comprendrez facilement, messieurs, si vous voulez recourir à ce qui vous a été
dit dans mes deux rapports sur nos différends avec la société générale.
Enfin, quel que fut d’ailleurs notre bon droit, aidé
des puissants motifs que nous fournissaient le défaut de ratification complète
du traité, ainsi que son inexécution, nous n’avons jamais pu nous flatter qu’en
présence de l’aréopage qui s’était arrogé le droit et le pouvoir de juger
souverainement notre différend ; qu’en présence de médiateurs et
d’arbitres qui faisaient tout autant les affaires que les nôtres, et où la
majorité était hollandaise, nous obtiendrions autre chose que l’exécution de
l’engagement qui avait été pris par le protocole n°48, c’est-à-dire le
redressement plus ou moins complet des erreurs essentielles que nous pourrions
signaler dans les tableaux fournis par les plénipotentiaires hollandais, et sur
la question de la dette seulement.
De la manière que la conférence avait résolu de
resserrer le cercle de la reprise de ses travaux, tous nos efforts ont échoué
et devaient échouer pour obtenir qu’elle nous écoutât sur tous autres sujets
d’intérêts financiers, et il est fort heureux que, sur la question de la dette
même nous ayons obtenu une aussi forte réduction, puisque, comme vous en avez
la preuve dans la note de Messieurs Senfft et Bulow, on voulait bien daigner
nous entendre sur l’application du protocole n°48, mais tout en nous déniant l’application
du memorandum qui y est annexé.
Aussi voyez comment elle fit pour couper court à
toutes nos sollicitations.
Après avoir semblé adopter le principe de la révision
quant à la dette, nous n’eûmes pas plus tôt fait observer que la liquidation du
syndicat était un préalable au règlement d’aucun chiffre ; nous n’eûmes
pas plus tôt signalé les autres points financiers sur lesquels il était
indispensable de s’expliquer pour ne laisser en souffrance aucun sujet de
difficulté, qu’elle se hâta de nous fermer la bouche, non seulement sur la
question de la dette, mais sur tout autre sujet de réclamation financière,
qu’elle se hâta, dis-je, de nous fermer la bouche en imposant arbitrairement
aux deux parties un chiffre transactionnel, sans leur permettre de débattre ce
chiffre, sans leur donner même le moyen d’en apprécier les bases.
Sans doute, il est à regretter que nos prétentions
financières aient été aussi brutalement repoussées ; sans doute il est à
regretter que nous n’ayons pas obtenu une satisfaction plus complète dans nos
rapports financiers avec
L’honorable député de Tournay a argumenté de la
circonstance qu’il nous resterait quelques points financiers avec
En vérité, messieurs, il est pénible de devoir relever
de semblables écarts.
Ainsi donc, la reconnaissance la plus solennelle de
toutes les puissances de l’Europe, jointe à la reconnaissance même de
Ces points financiers, messieurs, seront réglés avec
J’aborde maintenant la question constitutionnelle.
Il y a chose jugée sur la question de
constitutionnalité.
La nation a jugé solennellement cette question en
1831, et son jugement a été exécuté sans aucune réclamation.
Notre honorable collègue, M. Pollénus, s’imaginant
d’abord que le scrupule constitutionnel avait échappé à la perspicacité des
chambres de 1831, s’en est saisis avec empressement, croyant que ce serait là
une bonne fortune pour le parti de la résistance ; et, en effet, ce moyen
ne pouvait manquer de sourire tout à la fois et aux partisans du système de
résistance passive, et à ceux qui, quoique partisans du système de paix,
trouveraient beaucoup plus commode de pouvoir s’abstenir de se prononcer sur le
traité, trouveraient là un excellent expédient pour esquiver leur vote.
L’honorable P. Pollénus s’est trompé :
l’opposition de 1831 avait déjà offert à la chambre les attraits de ce
moyen ; mais, comme je viens de le dire, il y a chose jugée aujourd’hui,
il y a chose jugée que ce n’est là qu’une exception dilatoire tout à fait
illusoire, et qu’il n’a d’autre mérite que de vaines subtilités.
Je sais que, pour certaines membres de cette
assemblée, il y aurait peu d’inconvénient dans le mauvais effet que produirait
à l’étranger une nation qui en 1839, et dans le même procès, déciderait la même
question de principe constitutionnel dans un sens diamétralement opposé à ce
qu’elle a décidé en 1831, à une époque où elle était encore sous l’impression
de l’esprit qui avait dicté, quelques mois auparavant, les dispositions
constitutionnelles, à une époque où le sens et la portée de ces dispositions
étaient encore tout frais à leur mémoire.
Je sais aussi que, sauf le scandale d’un semblable
subterfuge, la chambre de 1839 n’est pas liée par les chambres de 1831, et que,
prétendument mieux éclairée aujourd’hui, elle pourrait, sans excès de pouvoir,
porter un jugement tout différent sur la question de compétence.
C’est là, je reconnais, un pouvoir que je ne puis lui
dénier, mais c’est précisément parce que je ne lui conteste pas que je ne me
borne pas à dire qu’il y a chose jugée ; j’ajoute qu’il y a chose bien
jugée, loyalement jugée et jugée d’une manière digne de la nation.
Pour justifier qu’il y a chose jugée et chose bien
jugée, je crois ne pouvoir mieux faire que d’ouvrir le Moniteur, et de
soumettre de nouveau à la chambre les considérations que je lui ai exposées sur
la question en 1831, considérations qui s’appliquent parfaitement à la
circonstance actuelle.
« J’ai écouté avec d’autant plus d’attention les
considérations sur lesquelles notre honorable collègue, M. Leclerq, a replacé
l’exception d’incompétence qui a été soulevée par M. Julien, que j’étais avide
d’y saisir le moyen de nous décharger, loyalement et légalement, de la
responsabilité morale qui, dans la circonstance actuelle, est attachée à
l’épreuve de notre mandat.
« C’est avec un vif empressement, sans doute, que
la plupart de nous accepterait la dispense de se prononcer sur l’adoption ou le
rejet du projet de loi qui est en délibération ; mais chacun de nous
aussi, je pense, n’accepterait cette dispense que pour autant qu’elle fût
légale et de nature à nous défendre suffisamment contre une accusation de
pusillanimité.
« Il ne fait pas se faire illusion ;
l’exception d’incompétence nous jette contre un autre écueil, et nous place en
présence d’une genre de responsabilité non moins grave.
« En effet, si cette exception n’est pas bien
évidemment fondée, il n’est pas douteux qu’à l’intérieur comme à l’extérieur,
elle sera considérée ou bien comme une défection indigne de la fermeté des
représentants d’un peuple libre, ou bien comme un refus masqué, dont la
conférence pourra bien ne pas être dupe, et qui, par suite, n’entraînerait pas
moins les conséquences d’un refus positif de délibérer.
« Or, quant à moi, bien loin de trouver
l’exception d’incompétence évidemment fondée, je n’aperçois que des subtilités
dans les arguments sur lesquels on l’appuie.
« Voici bien l’argumentation réduite à ses plus
simples expressions.
« Par son décret du 18 novembre le congrès a
proclamé l’indépendance du peuple belge.
« Par son décret du 24 novembre il a déclaré que
les membres de la famille d’Orange-Nassau sont à perpétuité exclus de tout
pouvoir en Belgique.
« Et, par un autre décret du 24 février 1831, il
a identifié ces deux décrets avec la constitution qui était alors publiée, en
déclarant que c’était comme corps constituant que ces deux décrets avaient été
portés.
« L’indépendance d’un peuple est bien le droit de
régler souverainement et librement ses intérêts intérieurs et extérieurs, et
l’acte de la conférence ne peut cependant recevoir son exécution, sans
paralyser l’indépendance de
« Le décret d’exclusion de la famille
d’Orange-Nassau affecte toutes les portions de territoire que la constitution
embrasse.
« Donc, l’acquiescement au traité est une
modification du décret constitutif de l’indépendance nationale, et il est
également une modification du décret d’exclusion, en ce qui regarde les
portions de territoire qui se trouveraient replacées sous la domination des
Nassau.
« Donc, dans un cas comme dans l’autre, il faut
modifier le régime constitutif de l’état, et ce pouvoir n’appartient qu’à une
nouvelle chambre créée en exécution de l’article 131 de la constitution.
« Il y a plus, ajoute-on : il y aurait, en
outre, violation de l’article 1er de la constitution, puisqu’il y
aurait morcellement de provinces, et que, s’il est permis de faire des cessions
de territoire, ce ne peut être qu’en vertu , non pas d’une loi ordinaire, mais
d’une loi toute extraordinaire, c’est-à-dire précédée d’un appel au pays, d’une
dissolution des chambres.
« Voilà bien l’argumentation dans toute sa force.
« Voici maintenant les motifs par lesquels ma
conviction la repousse.
« En fait, le traité porte atteinte à
l’indépendance de
« Mais, en droit, il n’est pas exact de dire que
la législature ordinaire n’a pas le pouvoir de souffrir semblable atteinte.
« je puis d’abord me prévaloir, avec tout
avantage, du décret du congrès du 9 juillet qui, en acceptant les 8 articles, a
restreint le sens absolu de son décret précédent du 18 novembre.
« Vous les savez, messieurs, le congrès a décidé
alors, solennellement que l’indépendance de
« Or, ces deux décrets émanent tous deux du corps
constituant, et je ne vois pas comment on pourra faire comprendre que le second
n’a pas fixé le sens du premier ; qu’il n’a pas été dérogé au premier par
le second, et qu’enfin c’est exclusivement dans le premier, et non dans le
second, que nous devons puiser notre règle de conduite.
« J’ai entendu dire dans les séances précédentes
que, lors de la discussion des dix-huit articles, il ne s’agissait pas de
morcellement ; mais il suffit d’ouvrir le Moniteur et de lire, sans
prévention, l’article 3 de ces préliminaires pour se convaincre que cette
assertion est erronée.
« Cet article 3 disait en termes que la question
du Luxembourg resterait en dehors des limites déterminées dans les articles
précédents, et le congrès comprenait si bien qu’en votant cet article on votait
indirectement le morcellement du Luxembourg, et par suite une dérogation à
l’article 1er de la constitution qu’aux décrets précédents sur
l’intégrité territoriale, que la question préalable fut proposée et rejetée
dans la séance du 9 juillet, par 144 contre 51. Ce fait est d’autant plus
certain, qu’à l’instant même de ce vote, il fut déposé sur le bureau une
protestation signée par 37 membres de l’assemblée, protestation fondée sur ce
que ce vote était une violation de l’article 1er de la constitution
quant au Luxembourg, et de l’article 80 relatif au serment du Roi sur
l’intégrité territoriale.
« Il reste donc vrai de dire que par son décret
du 9 juillet 1831 le congrès a restreint le sens absolu que l’on veut de
nouveau attribuer à ses décrets précédents sur l’intégrité territoriale, et
notamment en ce qui concernait le Luxembourg.
« Je ne m’arrête pas toutefois à cette
considération ; je vais plus loin, et je me dis qu’en supposant même que
le congrès eût alors excédé ses pouvoirs (ce qui serait difficile d’admettre,
puisqu’il exerçait le pouvoir constituant), la législature ordinaire pourrait
faire aujourd’hui ce que le congrès eût pu croire ne pouvoir faire alors.
« Alors, nous n’étions en état de guerre qu’avec
« Mais, aujourd’hui, nous sommes en état de
guerre, non seulement contre
« En effet, par l’acte de la conférence dont il
s’agit, les cinq puissances déclarent explicitement qu’elles n’entendent
respecter en aucune manière cette indépendance et ce principe de
non-intervention proclamés par le congrès ; qu’elles entendent régler elles-mêmes
nos limites constitutionnelles, et qu’enfin la voie des armes sera employée
pour nous y contraindre.
« Si ce n’est pas là contre nous, de la part des
cinq puissances, une déclaration de guerre en bonne et due forme, je ne sais où
l’on trouvera les éléments d’un fait plus hostile à l’indépendance d’un peuple.
« Ne nous y trompons pas ; il ne s’agit pas,
pour le moment, d’un traité de paix avec
« Voici ce qui y est dit :
« 1° Que ces articles auront toute la force et
valeur d’une convention solennelle entre le gouvernement belge et les cinq
puissances.
« Et non, comme vous voyez, entre le gouvernement
belge et
« Plus loin, il est ajouté au n°6 que ces
articles contiennent les décisions finales et irrévocables des cinq puissances
qui, d’un commun accord, sont résolues à amener elles-mêmes l’acceptation
pleine et entière des dits articles par la partie adverse, si elle venait à le
rejeter’.
« Nous voilà donc bien, malgré nous à la vérité,
en état d’hostilité flagrante avec les cinq puissances, et dans la position où
il s’agit de faire la guerre ou la paix, avec un nouvel ennemi autrement
redoutable que
« Or, dans cette position, l’article 68 de la
constitution laisse à la législature ordinaire le soin et le pouvoir
d’autoriser ou de sanctionner un traité de paix, au prix de cessions de
territoire et de toute autre charge ou sacrifice.
« Cet article s’applique à tous les cas où le
sort du pays est mis en péril par des actes d’hostilité auxquels la législature
croit ne pouvoir résister ; et, à coup sûr, c’est bien maintenant, ou
jamais, le cas d’en faire usage, si l’on ne croit pouvoir se soustraire à une
intervention aussi violente et aussi brutale.
Quant au moyen tiré du décret d’exclusion, il n’est
évidemment pas fondé, parce qu’il prouverait trop, et ferait surgir un
véritable contresens entre ce décret et l’article 68 de la constitution, qui,
en cas d e traité de paix, permet des cessions de territoires.
« Ce décret d’exclusion n’a voulu, et n’a pu
vouloir autre chose que l’exclusion de la famille d’Orange-Nassau de tout
pouvoir sur
« L’entendre autrement, ce serait supposer qu’il
a voulu que, dans aucun cas de guerre avec
« Sans doute, on n’attribuera jamais à ce décret
cet inconcevable esprit d’avoir voulu qu’au besoin
« Le décret d’exclusion, pas plus que celui
d’indépendance, n’empêche donc aucunement la législature ordinaire de faire
usage des pouvoirs que lui confère l’article 68 de la constitution ; et
si, dans l’exercice de ces pouvoirs, elle sanctionne l’abandon d’une trop
grande étendue de territoire, il pourra y avoir « abus », mais non
« excès » de pouvoir, ce qui est bien différent.
« Quant à la violation de l’article 2er, je
l’aperçois moins encore, en présence de l’article 3 qui permet à la ;oi de
changer les limites de l’état, et de l’article 68 qui, en cas de traité de
paix, permet également à la loi des cessions de territoire.
« Je n’aperçois pas, du reste, l’exactitude de ce
calcul, qui réduit au chiffre de 7 ou 8, les 9 provinces de la constitution,
puisque réduites toutefois considérablement, je les retrouve toutes les neuf
dans le traité.
« Enfin, je ne puis concevoir qu’il soit
judicieux de faire constitutionnellement une distinction entre la loi destinée
à consacrer une cession de territoire, et les autres lois exceptionnelles que
permet la constitution, dans les différents cas spéciaux qui y sont prévus.
« Ces cas sont notamment prévus par les articles
6,7,8 et 128 de la constitution. La règle générale veut l’égale admissibilité
aux emplois civils et militaires, l’inviolabilité du domicile, la faculté de
s’assembler paisiblement et sans armes, la protection de l’étranger, et
cependant ce sont là des libertés bien constitutionnelles qu’il est permis à la
législature ordinaire de modifier.
« Tous ces cas sont également graves, puisque,
dans chacun d’eux, il s’agit de déroger à la règle constitutionnelle ; et,
par conséquent, pour établir qu’en cas de cession de territoire la loi
n’appartient pas à la législature ordinaire, il faudrait prouver que tous les
autres cas donnent également ouverture à une dissolution des chambres ; et
c’est là un système qui est évidemment inadmissible.
« Je devrais donc me résoudre à renoncer aux
avantages séduisants de l’exception d’incompétence, si la discussion ultérieure
ne l’établit pas sur des bases plus solides, et plus propres à justifier la
défection de la chambre, dans le moment où l’état a le plus urgent besoin de sa
coopération. »
Telles sont les paroles que j’ai prononcées au
congrès, dans la séance du 31 octobre 1831, et qui sont rapportées dans le
Moniteur du 2 novembre suivant.
Je m’attends bien que l’on cherchera à me mettre en
opposition avec moi-même ; qu’on me dira qu’il était au fond de ma pensée,
en 1831, que l’article 6 ! de la constitution dans son paragraphe relatif
aux cessions de territoire, ne pouvait recevoir son application par la
législature ordinaire qu’alors qu’il s’agissait d’un traité de paix, qu’alors
qu’on se trouvait en présence d’une déclaration de guerre ; que nous ne
sommes plus sur le même terrain ; que nous ne sommes plus aujourd’hui en
présence des mêmes circonstances, que ce ne sont que des propositions qui nous
sont faites par la conférence, et qu’en conséquence, en reproduisant
aujourd’hui ce que j’ai dit alors, je suis en contradiction de principe.
Cette objections se réfute aisément.
Je reste dans mon opinion de 1831, non pas telle qu’on
veut en exagérer la portée, mais telle que je l’ai exprimée, c’est-à-dire que
je persiste dans l’opinion que la disposition du dernier paragraphe de
l’article 68 de la constitution est applicable, par la législature ordinaire,
dans le sens de l’article auquel ce paragraphe appartient : en d’autres
termes, lorsqu’il s’agit de traité de paix, d’alliance ou de commerce, ou de
tout autre traité qui pourrait grever l’état ou lier individuellement des
Belges de manière que je reste conséquent avec moi-même si je me trouve en
présence des mêmes circonstances qu’en 1831.
L’objection se réduit donc à la vérification d’un
fait.
Nous ne sommes pas aujourd’hui comme alors, dit-on, en
état d’hostilité flagrante avec les cinq puissances ; nous ne sommes pas
sous la menace d’une guerre ; ce ne sont que de simples propositions qui
nous sont faites, et nous sommes parfaitement libres de les accepter ou de les
refuser.
Ce ne sont que des propositions qui nous sont
faites ! En vérité, messieurs, il faut que le jugement se trouve sous
l’oppression d’illusions bien tyranniques, pour que l’on puisse ainsi qualifier
les actes sur lesquels nous avons à nous prononcer, puisqu’on en parle comme
s’il ne s’agissait que de ces sortes de propositions qui sont font d’égal à
égal, et qu’il est toujours permis de ne point accepter tant qu’il n’en résulte
aucune conséquence préjudiciable.
Mais donnez-vous la peine d’examiner la nature de ces
actes que vous appelez de simples propositions, et sachez voir par qui,
comment, et dans quelles circonstances elles vous sont faites.
Ces actes sont incontestablement des traités de
paix ; l’un est un projet de traité de paix entre
Ces actes viennent des cinq plus grandes puissances de
l’Europe, en présence desquelles nous sommes relativement bien petits quoi
qu’on en dise. C’est l’expression d’une volonté bien autrement puissante que la
nôtre, et d’une volonté délibérée sérieusement pendant huit ans ; c’est
alors même que cette volonté, n’ayant tenu aucun compte des démonstrations les
plus énergiques qui avaient éclaté sur tous les points de
Cette volonté a beau nous dire que si nous refusons,
elle avisera aux moyens de donner suite aux titres que
Dans semblables circonstances vouloir nous persuader
qu’en présence des traités qui nous sont proposés, nous ne sommes pas dans la
même position qu’en présence du traité du 15 novembre, que la déclaration qui
nous est fait qu’on avisera aux moyens de nous contraindre n’est pas, en
d’autres termes, aussi hostile que celui qui accompagnait le traité de
1831 ; que le refus, dans ce cas, comme le refus en 1831, ne serait pas un
véritable casus belli, c’est l’extravagance d’un enthousiasme tellement
irréfléchi, tellement aveugle, que le jugement n’a plus la perception des
choses telles qu’elles sont.
Pour tous ceux dont le jugement ne se trouve pas sous
la même influence, il restera évident que nous sommes bien dans le cas de
guerre ; que ce sont bien des traités de paix qui nous sont proposés, et
qu’un refus est incontestablement un acte passif d’hostilité contre toute l’Europe,
Ecoutez comment on comprend ces propositions sur le
terrain de la conférence :
Au parlement anglais, lord Palmerston, le chef de la
conférence, répondant à une très mince fraction du parti radical, qui seul
s’occupa de nous, disait que toute tentative de la part de
En semblables circonstances, c’est donc bien le cas où
il nous est permis d’exercer le pouvoir que nous confère le dernier paragraphe
de l’article 68 de la constitution.
Comme vous l’avez sous doute remarqué, messieurs,
l’imagination de l’opposition, dans son ardeur et dans ses illusions, n’a pas
été en 1831 aussi loin qu’elle va aujourd’hui.
Un nouveau scrupule est venu troubler la conscience de
nos plus belliqueux collègues, et ce scrupule on le fait ressortir très
sérieusement des dernières expressions de l’article 1er de la
constitution.
La constitution indique, dans cet article, de quelle
manière
Si l’on adopte le traité, dit-on, cette province de
Luxembourg telle que la restreint le traité, n’aura plus aucune relation avec
la confédération germanique ; donc le traité supprime la réserve faite
dans l’article 1er de la constitution, et la suppression d’une
réserve faite dans la constitution est une inconstitutionnalité.
Formulé de la sorte, il est plus qu’étonnant qu’un
semblable argument ait pu sérieusement produire un scrupule constitutionnel.
Vous dire pourquoi a été faite cette réserve dans la
constitution, est chose fort inutile, vous le savez du reste. La confédération
germanique avait acquis des droits politiques sur le Luxembourg, et comme la
révolution belge n’avait pas pour cause des griefs imputables à la
confédération allemande, mais bien au roi Guillaume, il n’y avait pas de
raison, en déniant à celui-ci ses droits sur
Si la réserve des relations du Luxembourg avec la
confédération avait pour objet de conserver à cette province des droits utiles
à l’égard de la conférence, on concevrait l’argument, et l’on pourrait dire,
avec raison, que priver le Luxembourg d’un avantage que lui assure la
constitution, c’est violer la constitution. Mais ce n’est pas d’un droit utile,
ce n’est pas d’un avantage qu’il s’agit de priver le Luxembourg, c’est d’une
charge, c’est d’un assujettissement politique qu’il s’agit de le libérer, et
dès lors, en faisant cesser les relations du Luxembourg avec la confédération
germanique, bien loin d’enfreindre la constitution c’est exécuter parfaitement
sa volonté.
Le duché de Luxembourg n’ayant été déclaré par la
constitution province belge qu’à la charge de
A la vérité, c’est au moyen du morcellement de cette
province que nous remplissons cette obligation, mais alors la prétendue
inconstitutionnalité ne serait plus dans le fait du rachat même des droits de
la confédération germanique, n’est plus dans la circonstance que la réserve
faite dans la constitution aura cessé ses effets, ou, comme on le dit très
improprement, aura été supprimée, mais uniquement dans le moyen qui aura été
employé pour exercer ce rachat ; et c’est alors de l’inconstitutionnalité
du chef du morcellement qu’il s’agirait, et non de la suppression d’une
disposition constitutionnelle.
Une hypothèse va mieux démontrer combien ce scrupule
est irréfléchi.
Je suppose que le traité de Vienne, en assignant le
grand-duché au prince d’Orange-Nassau en remplacement de ses états allemands,
au lieu de grever ce duché d’un assujettissement politique au régime
constitutionnel de la confédération germanique, l’eût grevé envers elle d’une
redevance pécuniaire ou de toute autre charge rachetable, prétendrait-on que
nous ne pourrions racheter une semblable charge sans enfreindre la
constitution ?... non sans doute ; et cependant par un semblable
rachat nous supprimerions la réserve constitutionnelle qui, après le rachat, ne
serait plus qu’une lettre morte dans la constitution.
Je vais même plus loin, et je fais remarquer que pour
rester conséquent avec le motif du scrupule, il faudrait aller jusqu’à
prétendre qu’on ne pourrait même, sans commettre une inconstitutionnalité,
accepter ni de
L’opposition, dans ses recherches sur les fins de
non-recevoir propres à empêcher le projet de loi d’arriver de sitôt à la
discussion, nous a parlé de
l’application de l’article 131 de la constitution relatif à la
révision ; mais ici il y a encore quelque chose qui fait défaut à
l’argumentation, c’est la démonstration de l’opportunité, de la nécessité ou de
l’utilité de cette mesure.
Personne, je pense, n’a demandé ni ne demande qu’avant
de statuer sur le projet de loi qui nous est soumis, il soit procédé à la
révision d’un article quelconque de la constitution, seul cas où il pourrait
avoir lieu de mettre en question l’application de cet article.
Ce ne sont pas sans doute les partisans de la
résistance qui formuleraient une semblable demande, puisque, pour eux, la
constitution, sur la question de compétence, est claire comme le jour.
Ce ne sont pas non plus les partisans de la paix,
puisque, pour eux aussi, la constitution ne laisse aucun doute.
La demande ne pourrait donc nous être faite que par un
très petit nombre de partisans de l’un ou de l’autre système qui seraient
restés dans l’incertitude, et ceux-là, s’ils avaient même l’espoir d’obtenir
une majorité, sentiront fort bien que, dans les circonstances où se trouve le
pays, une semblable mesure ne ferait que prolonger une crise mortelle et ne
pourrait être, quel que fût son résultat, que préjudiciable au pays.
Quoi qu’il en soit, il est bon cependant de prévoir
quelles sont les dispositions de la constitution dont on demanderait la
révision.
Il faudrait ensuite examiner et discuter le point de
savoir si ces dispositions sont assez obscures au jugement de la majorité pour
qu’il soit indispensable de recourir au remède de la révision.
Si la proposition était adoptée dans cette chambre, il
n’est pas certain qu’elle serait adoptée au sénat.
Je suppose toutefois que là elle soit également
adoptée.
Dans ce cas, il faut d’abord dissoudre les chambres,
et procéder aux élections pour former celles qui procéderaient à la révision,
et à la révision exclusivement, car l’article 131 ne permet pas autre chose.
Cela fait, et après que ces chambres auraient délibéré
et statué sur les points de révision, et si elles sont parvenues à se mettre
d’accord, il faudrait également les dissoudre, et procéder encore à de
nouvelles élections pour réformer la législature ordinaire qui reprendrait les
choses dans l’état où nous les aurions laissées.
Si maintenant le sénat n’adoptait pas la proposition
de révision, il faudrait un rouage de plus, il faudrait d’abord dissoudre les
chambres actuelles et en former de nouvelles, non pas encore pour réviser les
points que l’on aurait demandé de soumettre à une révision, mais seulement pour
délibérer sur la question de savoir s’il y a lieu à révision.
Cette impasse, comme on voit, nous conduit fort loin,
et je l’appelle impasse, parce qu’il n’est pas du tout improbable qu’elle
serait effectivement sans issue. Et, en effet, si le sénat persistait à ne pas
vouloir admettre le système de révision, tandis que la chambre des
représentants persisterait dans ce système, le moment de pouvoir répondre à la
conférence n’arriverait jamais.
Je ne sais vraiment comment on pourrait se faire
illusion au point de croire que les puissances de l’Europe pourraient se
laisser jouer de la sorte, seraient assez aveugles pour ne pas apercevoir le
but de la manœuvre, et n’entreraient pas chez nous, non pas pour nous empêcher
de délibérer tout à notre aise sur la révision de notre constitution, mais pour
nous contraindre tout d’abord à évacuer le territoire contesté.
Je reconnais que la proposition de révision, si elle
pouvait être accueillie, pourrait avoir pour but soit d’échapper au
conséquences de la responsabilité d’un vote sur un projet de loi ou qui nous
est soumis, soit d’obtenir un ajournement par voie indirecte ; mais cette
simulation n’échapperait à personne, car, en vérité, il ne serait pas possible
de lui assigner un but sérieux.
En effet, vouloir faire réviser l’article 68 de la
constitution pour le modifier de manière qu’il serait bien permis au Roi de
faire la guerre, mais qu’il n’aurait pas le pouvoir de faire des traités de
paix qui emporteraient cession de territoire, même avec le concours de la
législature ou de son assentiment ; ce n’est sans doute pas là ce que l’on
veut, car je vous demande ce qu’il en arriverait de la nationalité belge dans
la circonstance donnée ou, à la suite d’une guerre malheureuse, le pays se
trouverait envahi par l’ennemi.
Tout moyen ultérieur de résistance viendrait à
manquer, et ni le Roi, ni les chambres n’auraient la capacité, moyennant une
cession de territoire, d’arrêter par un traité de paix que l’envahissement
n’embrassât tout le pays.
Il faudrait avant tout convertir les chambres
ordinaires en chambres de révision, et remplacer ensuite les chambres de
révision par des chambres ordinaires.
Ce n’est donc pas là ce que l’on voudrait demander aux
chambres de révision.
Ce n’est donc pas le renversement du principe qui
confère au Roi, d’accord avec les chambres, le pouvoir de céder des portions de
territoire, lorsqu’il s’agit d’un traité de paix ; ce n’est donc pas le
renversement de ce principe que l’on demande.
Ne serait-ce peut-être qu’une modification à ce
principe que l’on voudrait obtenir, afin que le pouvoir que l’article 68
confère au Roi et aux chambres ne reste pas aussi illimité ; afin qu’il
soit déterminé jusqu’à concurrence de quelle étendue territoriale des cessions
de territoire pourront être consenties en vertu de cet article ?
Non, sans doute encore, car un semblable aveu
renfermerait la condamnation de l’exception d’incompétence.
Et, en effet, prétendre que les pouvoirs que nous
confère l’article 68 sont trop illimités, qu’ils peuvent donner lieu à des
abus, et qu’il faut demander à une chambre de révision de les restreindre,
c’est bien reconnaître qu’aussi longtemps qu’une chambre de révision n’aura pas
touché à l’article 68, nous pouvons constitutionnellement exercer ces pouvoirs,
aussi illimités qu’ils sont.
Les abus d’application que l’on craint sont d’ailleurs
chimériques.
Sans doute, le congrès n’a pas voulu abandonner le
sort du pays à l’arbitraire du pouvoir royal ; il n’a pas voulu attribuer
au Roi le pouvoir illimité de faire la guerre ou la paix ; personne ne
prétend qu’un pouvoir aussi absolu lui est attribué par la constitution ;
le congrès a pris soin de placer à côté d’un pouvoir un autre pouvoir pour le tempérer,
et le pouvoir législatif est là. Si les chambres pensent qu’il est imprudent de
faire la guerre, elles refusent les subsides ; si elles pensent qu’un
traité de paix, moyennant une cession de territoire, est préjudiciable au pays,
elles refusent leur assentiment.
Mais, dit-on, si le pouvoir royal, d’accord avec les
chambres, peut, en vue de sauver le pays par un traité de paix, céder une
portion de territoire, quelque minime qu’elle soit, il pourrait aussi
constitutionnellement céder un quart, une moitié ou même le tout, puisque la
constitution ne limite rien à cet égard.
La seule réponse qu’il me semble convenable de donner
à une semblable objection, c’est de dire que c’est là raisonner jusqu’à
l’absurdité.
L’article 32 nous dit que les chambres représentent la
nation, et que ce n’est que là où la nation exprime constitutionnellement sa
volonté. Or, n’est-ce donc pas la nation, et la nation tout entière, d’accord
avec son Roi, qui, en cas de traité de paix, délibère sur l’opportunité d’une
cession de territoire, et peut-on supposer que le congrès eût pensé que la
nation ainsi représentée serait plus imprévoyante dans ce cas que dans tous
autres où elle agit par la même voie d’action ?
Autant vaudrait dire que si les chambres, d’accord
avec le Roi, peuvent frapper le pays par des impôts, il faut recourir bien vite
au remède de l’article 131, attendu que c’est là un pouvoir trop illimité, et
que si elles peuvent ainsi prendre quelques portions minimes dans la bourse des
contribuables, elles pourraient en prendre le quart, même le tout, et ruiner
ainsi tous les contribuables.
Lorsque le congrès a voulu éviter que la législature
n’abusât des pouvoirs illimités que lui conférait une disposition
constitutionnelle ; lorsqu’il a voulu, pour la formation de la loi, ce que
veut l’article 131, c’est-à-dire la présence des deux tiers des membres et les
deux tiers des suffrages, il s’en est formellement exprimé et, comme on le voit
dans l’article 62 de la constitution, ce n’est que sous les mêmes conditions
prescrites en l’article 131 qu’il permet à la législature ordinaire de
consentir à ce que le Roi puisse être en même temps chef d’un autre état.
Ce que le congrès a voulu dans ce cas, il ne l’a pas
voulu dans le cas où il s’agissait d’un morcellement ; quoique les pouvoirs
que confère à la législature ordinaire le dernier paragraphe de l’article
6 ! fussent illimités, et quoique la conséquence d’un pouvoir illimité fût
naturellement la possibilité d’un abus, il n’a pas voulu soumettre la loi à
l’épreuve des deux tiers des membres présents et des deux tiers des suffrages.
Il n’a pas voulu surtout que, dans ce cas, et quelle
que fut la portion de territoire qu’il s’agirait d’abandonner, il pût être
question de recourir au remède de révision ont il s’agit dans l’article 131.
J’en trouve la preuve irréfragable dans l’article 84
de la constitution, qui porte qu’aucun changement la constitution ne peut être fait pendant une
régence.
Or si, dans le système de l’opposition, la législature
ordinaire ne peut faire application du pouvoir illimité que lui confère
l’article 68, qu’après avoir usé du remède de l’article 131, c’est-à-dire
qu’après avoir fait réviser cette disposition constitutionnelle ou tout autre,
je demande que l’on ait la bonté de m’expliquer ce que l’on ferait constitutionnellement
si, le trône étant en tutelle, il ne restait d’autre moyen qu’une cession de
territoire pour empêcher le vainqueur d’envahir tout le pays ?
Je ne sais pas ce que me répondra l’opposition, mais
je sais bien ce que me répondrait le congrès s’il pouvait encore se faire
entendre.
Que le Roi soit majeur ou qu’il soit mineur, il faut
qu’en cas de guerre, le gouvernement, d’accord avec les chambre, puisse sauver
le pays, même aux dépens d’une portion quelconque de territoire, si la
nécessité la commande ; si nous avons dit dans l’article 84, et d’une
manière aussi générale, qu’aucun changement ne pourrait être fait à la
constitution pendant une régence, c’est que nous savions fort bien que, pour le
cas de guerre et de cession de territoire, l’article 68 conférait au
gouvernement, d’accord avec les chambres, des pouvoirs suffisants sans qu’il
fut besoin du remède de la révision.
Il faut forcément que l’on tire cette conséquence de
l’article 84, sinon il faudrait supposer que le congrès eût été assez
imprévoyant pour empêcher que, pendant tout le cours de la tutelle du trône, il
eut été interdit à la nation de consentir aucun traité de paix emportant une
cession de territoire quelle qu’elle fût.
- Pendant le discours de M. Fallon, M. Raikem a repris
place au fauteuil.
M. Dumortier (pour un fait personnel) –
Messieurs, l’honorable préopinant, revenant sur ce qui avait été dit dans une
séance précédente, relativement à ce qui s’était passé dans le sein de la
commission de l’adresse, a déclaré que j’avais commis des erreurs, en ce que
j’avais avancé que M. le ministre avait demandé des changements dans plusieurs
expressions qui se trouvaient dans les deux projets d’adresse, et que ces
changements avaient été accordés. Messieurs, je ne conteste pas cela. Il est
vrai que le ministre des affaires étrangères, convoqué au sein de la
commission, a demandé des changements et que ces changements ont été
accordés ; l’honorable préopinant aurait pu ajouter que la plupart de ces
changements étaient étrangers au projet que j’ai présenté. Mais la question
n’est pas là. La question est de savoir si M. le ministre des affaires
étrangères avait oui ou non consenti au projet d’adresse, tel que nous le lui
soumîmes, lorsqu’il était présent aux délibérations de la commission. Puisqu’il
existe des contestations sur ce point, j’aurais désiré beaucoup et je désire
encore qu’on précise des faits, au lieu de se borner à de simples démentis, et
qu’on déclare quelles sont dans l’adresse même les phrases que nous avons
introduites malgré le ministre. Je crois qu’on ne saurait en signaler aucune.
J’étais donc en droit de dire que la déclaration que l’honorable préopinant
vient de faire n’infirme en aucune manière la vérité des faits que j’avais
annoncés précédemment.
Je pourrais répondre maintenant à ce qu’a dit
l’honorable préopinant relativement à la question de la dette, j’aurais
beaucoup à dire sur ce point ; mais comme j’ai entendu que M. le
commissaire du Roi a demandé la parole dans une séance précédente, je me
réserve de m’expliquer sur ce point, lorsque mon tour de parole sera venu (je
prie M. le président de m’inscrire), alors je pourrai faire voir que M. le
commissaire qui vient de parler n’a pas compris la question de la dette telle
qu’elle a été posée à Londres, et qu’il ne la comprend pas encore aujourd’hui.
M. le ministre de l'intérieur et
des affaires étrangères (M. de Theux) – La chambre n’exigera
certainement pas que je prenne en main le projet d’adresse, pour que j’indique
chacune des phrases dont j’avais demandé soit la suppression, soit la
modification. Je persiste entièrement dans la déclaration que j’ai eu l’honneur
de faire. Je n’ai pas tenu procès-verbal de tous les détails qui se sont passés
dans le sein de la commission. Mes relations avec la commission ont été toutes
de confiance ; la commission a bien voulu m’appeler dans son sein, je m’y
suis rendu ; on s’est expliqué de part et d’autre avec franchise. Quant à
moi, je regrette vivement qu’on ait fait mention, en séance publique, de ce qui
s’était passé au sein de la commission ; je ne m’attendais nullement à
cela.
M. Fallon – La chambre comprend qu’il m’est impossible de préciser en ce
moment toutes les expressions sur lesquelles M. le ministre a particulièrement
insisté ; mes souvenirs me permettent cependant de dire que M. le ministre
a principalement insisté sur le paragraphe commençant par les mots :
« Nous sommes prêts, sire », et finissant par ceux-ci :
« une paix durable. »
M. le président – La parole est à M. Dubus aîné, inscrit contre le projet.
(Moniteur belge
du 17 mars 1839) M.
Dubus (aîné) – Messieurs, les propositions
qui nous sont faites au nom de la conférence de Londres sont, dit-on, un traité
de paix. J’attache peu d’importance à la qualification qu’elles méritent. Pour
apprécier si la chambre est compétente pour se prononcer, il m’importe peu,
quant à moi, si c’est un traité de paix ou si ce n’en est pas un. Ce qui
m’importe, c’est de savoir si cet acte, qu’on l’appelle proposition ou qu’on
l’appelle traité de paix ; si cet acte, dis-je, dans son exécution
porterait atteinte au pacte fondamental, aux bases mêmes sur lesquelles la
constitution est assise.
C’est là, messieurs, la première question à examiner,
la seule que j’examinerai.
Elle a déjà été traitée par différents orateurs. Il en
est, pour le talent et le caractère desquels je professe la plus grande estime,
qui croient que la chambre est compétente ; c’est après un mûr examen que
j’ai cru pouvoir me prononcer pour l’opinion contraire ; cette opinion,
comme la leur, je vous prie d’en être persuade, est tout à fait consciencieuse,
et le résultat d’une profonde conviction.
Je crois d’abord devoir rappeler le principe :
que les lois ne peuvent être modifiées, changées ou révoquées que par le
pouvoir qui les a établies ; que l’interprétation, par voie d’autorité des
lois, celle qui en fixe le sens, ne peut également émaner que de cette même
source, c’est-à-dire du pouvoir qui les a établies.
De ce principe découle la conséquence qu’aucune
modification, aucun changement ne peut être apporté aux lois
constitutionnelles, si ce n’est par le pouvoir constituant, c’est-à-dire par
des chambres ayant reçu du peuple le mandat spécial de réviser le pacte
fondamental, de la même manière que ces lois n’ont été établies que par une
assemblée ayant reçu du peuple un mandat express pour les établir.
Cette conséquence du principe que j’invoque est écrite
dans l’article 131 de la loi fondamentale ; cet article n’est réellement
que l’application du principe que je viens de rappeler, principe que nous
devrions respecter, alors même que l’article 131 n’eût pas été écrit dans la constitution.
Je pars encore d’un autre principe, à savoir ;
que cette immutabilité (si je puis m’exprimer ainsi) des lois fondamentales
consiste encore plus dans les choses, dans l’essence des dispositions, que dans
les mots ; qu’ainsi on ne peut admettre qu’on s’attache à la lettre, pour
tuer l’esprit ; qu’en matière de loi constitutionnelle, l’on s’attache à
la lettre, pour tourner en quelque sorte la difficulté constitutionnelle, et
pour éviter le recours au pouvoir constituant, alors qu’il est manifeste que la
constitution est sensiblement altérée.
Si j’ai bien compris mes honorables adversaires, ils
s’arment des articles 1 et 68 de la constitution ; ils donnent à ce
dernier article un sens illimité ; ils prétendent qu’il confère à la
législature ordinaire, pour autoriser les cessions de territoire, le pouvoir le
plus étendu. Pour éluder la difficulté que peut présenter l’article 1er,
on fait remarquer que le traité sur lequel nous délibérons conserve encore à
Je crois qu’il est nécessaire de remonter à la source
même de ces expressions qui ont été introduites dans l’article 1er
de la constitution : cette source, c’est le décret d’indépendance du 18
novembre 1830. C’est là que vous voyez figurer pour la première fois ces
mots : nous devons donc rechercher quelle signification ils ont dans ce
décret d’indépendance.
Auparavant je crois devoir constater quel serait le
résultat du traité qui nous est proposé.
Et d’abord je dirai que j’entends, moi, par le
Luxembourg la province qu’on appelait
sous le gouvernement déchu le grand-duché du Luxembourg, province dont les
limites sont tracées dans l’acte du congrès de Vienne et qui, en vertu de cet
acte, est entrée dans le système de la confédération germanique.
Eh bien, messieurs, lorsque j’examine les premiers
articles du traité, il me paraît évidemment que si nous y donnions notre
consentement, nous reconnaîtrions que cette province dont je viens de parler,
telle qu’elle est désignée dans l’acte du congrès de Vienne ; que celle-là
même qui a des relations avec la confédération germanique, dont la capitale est
la forteresse de Luxembourg ; que cette province, dis-je, ne nous
appartient pas ; que
Eh bien ! messieurs, d’après les actes du congrès
de Vienne, je prends à tâche de prouver que le congrès a voulu décider et a
expressément décidé la question du Luxembourg ; qu’il a décidé que, non
pas un lambeau, mais le grand-duché, la province entière qui a des rapports
avec la confédération germanique, est une province belge ; qu’il en a
proclamé l’indépendance ainsi que du reste de
Le décret d’indépendance du 18 novembre 1830 était
d’abord rédigé de la manière suivante : « Le congrès national
proclame l’indépendance du peuple belge. »
Au moment où le congrès s’est occupé de ce décret qui
n’était encore qu’une proposition, la question du Luxembourg venait d’être
agitée à la tribune française. Comme l’a rappelé, au début de la présente
discussion, M. le ministre des travaux publics, M. Bignon a déclaré
En effet, dès l’ouverture de la discussion, deux
motions ont été faites ; toutes deux se rapportaient à la question du
Luxembourg. L’une était une espèce de motion d’ajournement. On proposait au
congrès de demander au gouvernement provisoire de
« La question a été posée dans les sections, elle
est à l’ordre du jour avec celle de l’indépendance et se confond avec celle-ci.
Nous ne pouvons nous refuser à la résoudre ; une solution implicite,
indirecte, ne peut même suffire. Nous devons une réponse à l’Europe. Il faut
que la discussion s’ouvre immédiatement sur cette question. »
Après avoir démontré que la question ne pouvait être
ajournée, il est entré dans la question même, et s’appuyant sur un grand nombre
de documents et de raisonnements, il a établi que nous devions proclamer
l’indépendance du Luxembourg, comme de tout le reste de
Ainsi, on a vu monter à la tribune le vénérable doyen
d’âge du congrès, M. Gendebien père, qui est venu ajouter aux faits allégués
d’autres faits qui étaient à sa connaissance personnelle comme membre de la
commission qui avait rédigé la loi fondamentale de 1815, faits qui
établissaient que le Luxembourg était une province belge.
M. Beytz est aussi entré dans des détails tendant à
établir nos droits sur le Luxembourg.
D’autres orateurs ont simplifié la question ; ils
ont fait voir qu’il n’était pas même nécessaire de rechercher dans les actes
antérieurs si le Luxembourg avait pu être ou non considéré comme province belge ;
que le titre de la province du Luxembourg à l’indépendance était le titre des
autres provinces, que c’était le titre même de la révolution des autres
provinces, le droit de se soustraire à la domination de l’étranger.
« La qualité de Belge, a dit M. Lebeau, est
prouvée pour les Luxembourgeois comme pour les habitants de toutes les autres
provinces ; hors la portée du canon de la forteresse, les élections se
sont faites librement pour le congrès et l’indépendance du grand-duché a été
proclame en fait par l’admission de ses députés dans l’assemblée.
« L’incorporation de la province du Luxembourg,
dit M. Van de Weyer, est un fait consommé ; la révolution a eu dans le
Luxembourg comme ici le même but, la destruction d’un ordre de choses imposé
par l’étranger. Le peuple luxembourgeois a fait son mouvement national. »
M. Forgeur a parlé dans le même sens.
Un autre député, un député du Luxembourg, a même fait
entendre des accents patriotiques qui ont excité une vive émotion dans
l’assemblée.
« Ce duché, messieurs, s’est-il écrié, entend
faire partie de
C’est l’honorable M. d’Huart qui a proféré ces
énergiques paroles, qui ont été couvertes d’applaudissements.
Cette discussion a produit son effet. L’auteur de la
proposition d’ajournement, qui était M. Destrivaux, a retiré sa motion, en
déclarant que personnellement il n’avait jamais eu aucun doute sur la question,
et qu’il n’avait fait cette motion que dans le but d’éclairer ceux qui avaient
besoin de l’être.
Mais il faut convenir que la rédaction primitive du
décret aurait pu laisser quelque chose à désirer, qu’elle paraissait ne pas
répondre suffisamment à ce que demandais M. Nothomb que la solution ne fut pas
implicite ou indirecte, mais tellement expresse qu’on ne pût en mettre la portée
en doute. Cela a été senti par un autre membre du congrès qui proposa, pour
conclusion à la mémorable discussion qui avait eu lieu, et pour trancher
explicitement la question du Luxembourg, d’ajouter cette phrase au
projet : « sauf les relations du Luxembourg avec la confédération
germanique. »
L’auteur de cette proposition était M. de Robaulx.
Voici en quels terme il l’a motivée :
« L’adoption de cet amendement est d’autant plus
nécessaire que d’honorables préopinants ont paru laisser la possibilité d’un
doute sur la question de savoir si le pays du Luxembourg est compris sous la
domination de
« … Il est nécessaire de lever tout doute ;
il faut qu’aujourd’hui le congrès s’exprime de manière à faire sentir que la
déclaration d’indépendance comprend le Luxembourg. Tel est le but de ma
proposition. »
A cette proposition, un autre membre en a opposé un
autre qui était encore un ajournement. Il a proposé un article ainsi
conçu :
« La loi fondamentale déterminera l’étendue du
territoire de
M. Forgeur prit la parole pour s’opposer à
l’ajournement et insista sur la nécessité de décider immédiatement.
De sorte que cet amendement a été écarté et que c’est
celui de M de Robaulx qui a été adopté et qui est entré dans le décret.
Ainsi, quand on a inséré dans le décret d’indépendance
les mots : « sauf le relations du Luxembourg avec la confédération
germanique, », ce n’était pas ainsi qu’on l’a dit dans le rapport de la
section centrale, comme une réserve ; ce n’était pas comme on vient de le
dire, pour y rappeler une charge sans droits, utiles pur
Il me semble, messieurs, que cette discussion ne peut
laisser de doutes sérieux sur le sens et la portée du décret d’indépendance. Au
reste, c’est ainsi que le décret a été compris par tout le monde et particulièrement
par le gouvernement. Et ici je vous rappellerai la proclamation du 9 janvier
1831 aux Luxembourgeois, émanée de deux commissaires du gouvernement. Je la
rappelle, non que je veuille mettre l’un des signataires de cette proclamation
en contradiction avec lui-même. Il vous a dit, dans l’une des premières
séances, qu’alors il espérait conserver le Luxembourg à
« En 1830, vous vous êtes spontanément associés à
la révolution belge, et vous vous êtes réintégrés dans vos droits. Le congrès
national a formellement compris votre province dans la déclaration de
l’indépendance ; il n’est au pouvoir de personne d’annuler cette
décision… » Et plus bas : « Rassurez-vous, le congrès national
ne rétractera jamais sa décision. »
Vous voyez que le gouvernement a bien compris le sens
et la portée du décret d’indépendance ; en ce qui touche le grand-duché du
Luxembourg ; qu’il y a vu une question formellement tranchée, sans qu’il
fût au pouvoir de personne d’annuler cette décision.
Cependant, la conférence de Londres s’était emparée de
la question. Un protocole du mois de décembre semblait même déjà la préjuger
contre
Dans cet état de choses, et pendant qu’on s’occupait
de la discussion et du vote de la loi fondamentale, la section centrale chargée
de présenter, d’après le rapport des sections, le projet de cette loi
fondamentale, a cru devoir ajourner le titre « du territoire », car
il y a une chose assez remarquable, c’est que le titre du territoire qui est le
premier a été voté à peu près le dernier. Dès le mois de novembre, on avait
arrêté la division de la constitution en titres. Vous trouvez cette division
dans le premier rapport de la section centrale en date du 9 décembre 1830. On y
indiquait pour premier titre : celui du territoire et de ses
divisions ; pour second titre, celui des Belges et de leurs droits. Ce
second titre est celui qui a fait l’objet du premier rapport, et le premier
titre on n’en a pas abordé la discussion, précisément à cause de cette
difficulté qu’on rencontrait devant la conférence de Londres.
Vraisemblablement, on voulait attendre, avant de donner à la solution de cette
question le caractère d’une disposition constitutionnelle.
Mais le temps a marché ; les protocoles du 20 et
du 27 janvier sont arrivés ; ils ont décidé la question formellement
contre
Après ce second acte du congrès est arrivée la
discussion du titre « du territoire » de la constitution. Elle eut
lieu le 5 février, quatre jours après. L’article 1er de la
constitution reproduisait quant au Luxembourg les expressions du décret
d’indépendance : « sauf les relations du Luxembourg avec la
confédération germanique ; » mais il les reproduisait avec la même
signification : car cette signification, vous devez la prendre
naturellement dans le décret d’où les expressions sont tirées. Cet article a
donné la sanction constitutionnelle à ce décret d’indépendance, si tant état
qu’on eût pu la lui contester. Il résulte de cet article que le Luxembourg,
compris dans les neuf provinces dont se compose
« Par votre décret du 18 novembre dernier vous
avez proclamé l’indépendance du peuple belge ; mais en même temps vous
avez déclaré votre intention de ne pas déroger aux relations du Luxembourg avec
la confédération germanique ; c’est ainsi que vous avez solennellement
brisé les fers pour nous enchaîner à
« La déclaration d’indépendance a été unanime.
Toutes les provinces appelées ci-devant provinces méridionales des Pays-Bas ont
concouru , par l’organe de leurs représentants, à cette déclaration ;
elles ont donc toutes le droit de jouir de ce bienfait.
« Ces provinces forment le territoire de
Il me semble qu’il n’est pas possible d’exprimer d’une
manière plus formelle qu’on entend donner la sanction constitutionnelle à la
proclamation d’indépendance de toutes les provinces et du Luxembourg en
particulier. Cependant on a cru que ce n’ était pas encore assez, et
lorsqu’il a été question de l’élection d’un régent, on a pensé qu’il fallait
placé le décret d’indépendance sous une garantie plus forte encore
d’irrévocabilité ; et c’est alors qu’a été proposé le décret du 24 février
1831, ainsi conçu :
« Le congrès national déclare que c’est comme
corps constituant qu’il a porté ses décrets des 18 et 24 novembre 1830,
relatifs à l’indépendance du peuple et à l’exclusion à perpétuité des membres
de la famille d’Orange-Nassau de tout pouvoir en Belgique. »
Quel était le but de ce nouveau décret ? c’était
de proclamer d’une manière plus formelle encore l’irrévocabilité qui avait
notamment tranché la question du Luxembourg, et de celui qui avait prononcé
l’exclusion.
J’aurai dû vous dire d’abord que le décret du 24
novembre 1830, relatif à l’exclusion à perpétuité des membres de la famille
d’Orange-Nassau de tout pouvoir en Belgique, était une suite du décret sur
l’indépendance ; que, d’après la discussion qui l’a précédé, il avait été
porté pour toute cette Belgique même dont l’indépendance venait d’être
proclamée, pour le Luxembourg comme pour les autres provinces de
C’est de ces deux décrets du 18 et du 24 novembre que
l’on voulut assurer l’irrévocabilité par des actes géminés. Je dis par des
actes géminés parce qu’en effet tous les actes qui avaient suivi ces décrets
les avaient considérés comme irrévocables par leur essence, et le rapport de la
section centrale du 9 décembre 1830 les présente comme des dispositions dont
émane pour ainsi dire la constitution entière.
C’était en quelque sorte la base de la loi fondamentale
elle-même. Aussi la section centrale annonçait-elle que ces deux décrets
seraient placés en tête de la constitution.
Eh bien, on a voulu plus que les placer en tête de la
constitution, on a voulu proclamer expressément qu’ils émanaient du pouvoir
constituant, afin que l’irrévocabilité n’en pût plus être mise en doute.
« Vous allez nommer un régent, disait l’auteur du
décret ; il va prêter serment à la constitution, il est essentiel que les
décrets sur lesquels reposent l’indépendance et la liberté du pays en fassent
partie. » Cet orateur disait encore : « Certes, il n’est entré
dans l’esprit de personne, lorsque les décrets du 18 et du 24 novembre ont été
rendus, qu’ils pussent être révoqués par le législateur ; nous avons voulu
les placer plus haut que les lois ordinaires. »
Voilà, messieurs, quels ont été les motifs qui ont
fait admettre le décret du 24 février 1831, qui porte que c’est comme corps
constituant que le congrès a porté ses décrets du 18 et du 24 novembre 1830.
Messieurs, je vous demande de réunir ces divers actes,
d’interroger vos consciences et de vous demander si le congrès a entendu que la
législature ordinaire pût modifier le décret d’indépendance en ce qui concerne
le grand-duché de Luxembourg. J’interroge la mienne, et elle me crie non ;
elle me crie : Il est évident que le congrès a manifesté, non pas une
fois, mais plusieurs fois, une intention toute contraire.
Il me semble, messieurs, que l’article 1er
de la constitution, joint au décret d’indépendance, et au décret d’exclusion,
fournit une preuve assez claire que le congrès a voulu enlever aux législatures
ordinaires le droit de prononcer sur ce point. Il me semble qu’il ne peut
rester aucun doute que la mention faite dans les actes du Luxembourg et de ses
relations avec la confédération germanique emporte la déclaration explicite que
le grand-duché du Luxembourg fait partie de
Eh bien, on prétend que cela peut se faire par la
législature ordinaire, pourvu que cela se fasse au moyen d’un traité, et on dit
que cela résulte de l’article 68 de la constitution, c’est-à-dire que le
congrès, malgré la triple précaution prise pour assurer l’irrévocabilité de ses
décrets, aurait pris tout exprès, dans la constitution même, un moyen de mettre
toute sa prévoyance en défaut ; que l’article 68 efface tous les
décrets dont je viens de vous parler.
Car remarquez bien que si on entend l’article 68 de
cette manière, toutes les précautions prises par le congrès deviennent, en
effet, tout à fait inutiles ; il est évident surtout qu’alors c’est très
inutilement qu’on a motivé le décret du 24 février sur cette considération
qu’on ne voulait pas que les décrets des 18 et 24 novembre pussent être
révoqués par la législature, mais qu’ils fussent placés plus haut que les lois
ordinaires puisque l’article 68 aurait précisément ouvert la voie à ce qu’une
loi ordinaire pût avoir l’effet que le décret du 24 février 1831 lui dénie,
celui de révoquer les décrets d’indépendance et d’exclusion.
Messieurs, pour qu’il fût permis de donner un pareil
sens à l’article 68 de la constitution, il faudrait qu’il ne fût pas possible
de lui en donner un autre, il faudrait que ce fût non pas une disposition telle
que celle qui nous occupe, à laquelle on donne un sens illimité, précisément
parce qu’il n’est pas défini, mais une disposition claire et explicite, qui
enlevât la possibilité du doute, et telle, en un mot, qu’elle fût inconciliable
avec la proposition que je défends. Or, messieurs, on n’a pas même cherché à
prouver que l’article 68 aurait cette portée, on n’a pas cherché à prouver que
le congrès aurait attaché à cet article un sens qui fût en opposition avec son
décret du 24 février. Il y a plus, messieurs, l’article 68 fut voté sans
discussion le 9 janvier 1831 et le décret que j’invoque, le décret qui a
imprimé et qui avait pour unique but d’imprimer le sceau de l’irrévocabilité
aux décrets précédents, ce décret ne fut voté que le 24 février ;
pouvez-vous croire que si le congrès ait, en quelque sorte annulé d’avance le 9
janvier un décret qu’il a porté le 24 février suivant ? Toutes ces
dispositions eussent-elles la même date encore faudrait-il les entendre de
manière à les mettre en harmonie entre elles, à les concilier, mais jamais dans
un but tel que l’un effacerait, annulerait complètement l’autre. Je crois,
messieurs, que c’est là la première règle de l’interprétation, et qu’il n’est
pas permis de s’en départir.
On vous a dit, messieurs, qu’il n’est pas sans exemple
que la constitution ait renvoyé à la législature ordinaire pour les modifications
à y apporter. Il est vrai que la constitution, après avoir posé des règles, à
quelquefois admis expressément que le législateur pourrait stipuler des
exceptions pour des cas particuliers ; mais ici ce ne serait pas du tout
cela, ce seraient ici deux dispositions en opposition manifeste, et tellement
en opposition que l’effet de l’une serait d’effacer, d’annuler entièrement
l’autre de rendre les précautions prises dans l’autre complètement inutiles.
L’article 68 ne dit certainement pas tout ce qu’on lui
fait dire : on ajoute à ses dispositions, on définit ce qu’il ne définit
point, sans doute d’après le principe commode qu’il ne faut pas distinguer là
où la loi ne distingue pas ; mais on a oublié que ce principe d’interprétation est tout à fait
inapplicable là où, à défaut de distinction, on arrive à une opposition entre
les divers ses dispositions de la loi.
« Il résulte de l’article 68, dit-on, que pour
toute cession, échange, ou adjonction de territoire, il suffit d’une
loi. » D’abord, je ferai remarquer que l’article n’est pas conçu de cet
manière : cet article, messieurs, est conçu en termes négatifs : le
but de cet article est de limiter le pouvoir royal et nullement de définir ou
de régler le pouvoir législatif ordinaire car c’est au chapitre « du Roi
et des ministres » qu’il se trouve ; il s’agit donc de la prérogative
royale et nullement de la prérogative des chambres.
Il est certain que cette proposition :
« Nulle cession ne peut avoir lieu qu’en vertu d’une loi », ne
représente pas, d’après les règles de la logique, celle-ci : « Toute
cession, quelle qu’elle soit, peut être faite en vertu d’une loi » ;
mais il n’est pas même besoin d’entrer dans cette considération tirée du
texte : nos adversaires disent que toute cession peut être faite en vertu
d’une loi ; eh bien, je leur concéderai cela, et je leur demanderai par
qui cette loi doit être faite ? On me répond : « par le pouvoir
législatif ordinaire ». Mais c’est ce que l’article que l’on invoque ne
dit pas. Je dis moi que toutes les fois qu’un traité peut porter atteinte à la
loi fondamentale, la seule autorité compétente pour approuver ce traité, c’est
une législature ayant reçu du peuple un mandat exprès pour modifier la
constitution et en cela, je suis d’accord avec ce principe que le pouvoir qui a
fait une loi est seul compétent pour la modifier.
Mais s’il en était autrement, messieurs, l’article 68
ne fournirait pas seulement le moyen d’effacer et de révoquer les décrets dont
je viens de parler, il fournirait le moyen de détruire toutes les libertés
constitutionnelles, sans qu’il fallût recourir au pouvoir constituant ; il
suffirait de prendre la voie des traités, et, au moyen d’un traité et de la
législature ordinaire, on échangerait toute la constitution ; on aurait
beau dire : « Ce traité grève l’état ; il lie les belges ;
il ravit au pays ses garanties constitutionnelles ; » on répondrait
par un autre paragraphe de la constitution qui porte que « tout traité qui
pourrait grever l’état ou lier les belges sens de l’article 68 de la constitution
avaient été soulevés devant le congrès ; si, pour lever ces doutes, on lui
avait proposé une semblable rédaction, le congrès l’eût-il acceptée ?
Messieurs, du fond de ma conscience, je dis non ; il est évident qu’il
l’eût rejetée à l’unanimité et avec indignation. Si cela est vrai, il me paraît
que la question est jugée.
Mettez la rédaction dont je viens de parler en rapport
avec le décret du 24 février 1831 et avec le motif de ce décret qui
était : « Que le décret d’indépendance ne pouvait pas être révoqué
par la législature ordinaire »… et répondez !
D’après ce que je viens de dire, vous voyez,
messieurs, qu’il m’importe peu que n’a d’effet qu’après avoir reçu
l’assentiment des chambres. » Et l’on vous dirait : Cette disposition
qui porte atteinte à vos libertés constitutionnelles se trouve dans un traité
et , d’après l’article 68, les chambres ordinaires sont compétentes pour donner
leur assentiment au traité.
Ainsi l’article 68, d’après la portée qu’on lui donne,
serait la ruine de la constitution. La loi fondamentale n’aurait plus la
garantie qui ne doit pas lui être enlevée ; celle d’être irrévocable, à
moins que le peuple n’envoie des mandataires qui aient mandat exprès d’y
apporter des modifications.
Pour se convaincre mieux encore que les honorables
membres auxquels je réponds donnent au dernier paragraphe de l’article 68 un
sens et une portée qui ne peuvent pas lui être donnés, il suffit de rédiger la
disposition de manière à rendre explicite l’effet qu’ils veulent lui attribuer.
Au lieu de dire : « Nulle cession de territoire ne peut avoir lieu
qu’en vertu d’une loi, » il faut dire : « Pour toute cession de
territoire, fût-elle de la moitié du royaume, et encore qu’elle emportât pour
cette partie du royaume la révocation des décrets d’indépendance et d’exclusion
de la famille d’Orange-Nassau, il suffit d’une loi portée par la législature
ordinaire. » Voilà évidemment le sens que nos honorables adversaires
donnent à l’article. Eh bien, messieurs, je me fais cette question : Si
des doutes sur le mot « cession », dans l’article 68, s’applique à
une cession considérable de territoire, à une cession d’une province entière ou
d’une demi-province, ou seulement à ces légères modifications qui sont le
résultat inévitable d’un traité de limites. Peu m’importe, en effet, le sens,
l’étendue que vous donnerez à cette expression ; mais, lorsqu’il s’agira
de l’application dans un cas particulier, ma règle de décision sera
celle-ci : Si le traité porte atteinte à une disposition
constitutionnelle, il ne peut être consenti que par une chambre ayant un mandat
spécial du peuple pour modifier la constitution ; sinon, il suffit de la
législature ordinaire.
Je n’ai pas besoin d’insister après cela, messieurs,
sur la réfutation de quelques objections qui ont été faites….
Des membres – A demain ! à demain !
M.
Dubus (aîné) – Si la chambre est fatiguée,
je remettrai à demain les observations que j’ai encore à présenter.
- La séance est levée à 5 heures moins un quart.