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Chambre des représentants de Belgique
Séance du mercredi 28 mars
1838
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre, notamment
pétitions relatives aux droits sur les fils de lin (Verhaegen,
Stas de Volder)
2) Projet de loi relatif aux droits d’entrée sur
les fils de lin (Zoude, Mast de Vries,
de Nef, Desmet, Mercier,
Verhaegen, Mercier, Verhaegen, Pirmez, d’Huart, de Jaegher, Smits, Desmet, Lebeau,
de Muelenaere, de Jaegher,
Pirmez, Rogier, Mercier, Manilius, Zoude, Smits, de
Muelenaere, Rogier, Desmet, Mercier, de Jaegher, Desmet, Mercier, Desmet,
de Jaegher, Smits, Desmet, de Jaegher, Smits, Angillis, Zoude,
Desmet)
(Moniteur belge n°88, du 29 mars 1838)
(Présidence
de M. Raikem.)
M.
B. Dubus procède à l’appel nominal à une heure et demie.
M.
Lejeune donne lecture du procès-verbal de la dernière
séance. La rédaction en est adoptée.
M.
B. Dubus donne communication des pièces suivantes
adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
«
Le sieur W. Wilford, fabricant de toile à voile, adresse des observations sur
le projet de loi relatif aux droits d’entrée sur les fils étrangers. »
« Des
négociants de Bruxelles demandent le maintien de la perception au poids du
droit à l’entrée sur les fils de lin étrangers. »
________________
« Des
fabricants de tabac de Courtray et de Haerlebeke adressent des observations sur
le projet de loi relatif aux droits sur les tabacs étrangers. »
« Des
fabricants de tabac, de Malines, demandent qu’on ne fasse aucune augmentation
de droits sur les tabacs. »
________________
« Le sieur Isidore Very (à Houffalise)
déclare convertir sa demande de grande naturalisation en celle de
naturalisation ordinaire. »
________________
« Le vicomte du Toict de Steuren-Ambacht
demande de nouveau qu’on augmente sa pension. »
________________
« La dame veuve Selifet, messagère à
Seneffe, demande l’exemption du service de la milice pour son fils aîné qui
pourvoit à sa subsistance. »
M.
Verhaegen demande qu’on fasse lecture de la pétition des négociants
de Bruxelles, relative aux droits sur les fils de lin.
M. Stas
de Volder. - Parmi les pétitions dont on vient de nous
donner l’analyse, il en est une du sieur William Wilford, de Tamise (Flandre
orientale), qui réclame contre l’élévation du nouvel impôt à établir sur les
fils qui servent à la confection des toiles à voile. Cette pétition est
accompagnée de chiffres qui tendent à prouver que le revient d’une pièce de
toile fabriquée avec du fil imposé suivant le nouveau tarif serait de fr. 9
23/24 supérieur à celui d’une pièce de toile venant de la Hollande. Le
pétitionnaire conclut à ce que le fil des n°1 à 14, servant pour les toiles à
voile, ne soit imposé que d’après le tarif existant pour l’entrée des toiles à
voile. Si ses calculs sont bien établis, ils me paraissent être de nature à
être pris en sérieuse considération par la chambre. Je demande donc le dépôt de
la pétition du sieur Wilford sur le bureau pendant la discussion du projet de
loi sur les fils.
-
Cette proposition est adoptée.
Second vote des articles
M. Zoude, organe de la commission
d’industrie à laquelle le projet et les amendements avaient été renvoyés, monte
à la tribune. Il déclare que cette commission, au nombre de six membres, s’est
partagée sur la question relative à la perception au poids ou à la valeur, et
que par conséquent il n’a point de conclusions à prendre sur ce point
important. Quant au tableau présentant les rapports entre les numéros anglais
sous lesquels on classe les fils, et les numéros belges, elle ne s’en est point
occupée, M. le ministre des finances lui ayant promis de faire ce travail.
M. le
président. - Il s’agit de décider sur la question de
savoir si le droit sera au poids ou à la valeur.
M. Mast de Vries demande la lecture de
la pétition des fabricants de toile à voile.
M.
B. Dubus, en conséquence de la décision que prend la
chambre, donne lecture de la pétition des négociants de Bruxelles et de celle
des fabricants de toile à voile.
(Note du webmaster : suivent le texte
intégral de ces deux pétitions, non repris dans la présente version numérisée.)
M.
Fallon monte au fauteuil.
M. de
Nef. - C’est avec une bien vive satisfaction que
j’ai vu dans les séances précédentes plusieurs membres de la chambre exprimer
leurs sentiments de sympathie en faveur de la fabrication des coutils, laquelle
pendant des siècles a assuré des moyens d’existence à la majorité des habitants
de la ville de Turnhout.
La séparation de la Belgique et de la France, et
surtout l’établissement de droits véritablement prohibitifs, ont tellement nui
à cette industrie en lui enlevant son principal débouché qu’ils l’ont mise
aujourd’hui à deux doigts de sa perte ; si ces coups successifs ont été
pénibles pour les fabricants, du moins est-il vrai de dire qu’ils étaient
portés par l’étranger, tandis que maintenant, si la matière première
indispensable allait en outre être frappée d’un nouvel impôt, ce dernier coup,
venant consommer définitivement la ruine de ces fabricants, leur serait
d’autant plus sensible qu’il partirait d’une chambre belge, qui s’est toujours
montrée protectrice de toutes les industries et surtout de celles qui
malheureusement étaient tombées en souffrance.
Opposé
à tout impôt nouveau sur le fil étranger, je ne puis donc faire de proposition
pour abaisser la tarification actuellement projetée, et ce n’est conséquemment
que pour le cas où le système de l’impôt serait admis que j’insisterais de
nouveau pour que du moins cet impôt soit notablement diminué pour les fils
nécessaires à la fabrication des coutils, et pour qu’en outre il soit établi
une différence assez forte entre le fil écru et le fil blanc, afin de ne pas
nuire aux nombreuses blanchisseries indigènes.
M.
Desmet. - Messieurs, il me paraît que la chambre veut
revenir sur le mode de perception. Chaque fois qu’il a été question de modifier
le tarif des douanes, on a voulu changer le système de perception qui est à la valeur.
Les partisans de la liberté du commerce préfèrent la perception à la valeur ;
ceux qui veulent protéger l’industrie préfèrent le droit au poids ; ceci suffit
pour juger la question qui nous occupe, car les partisans de la liberté du
commerce ne veulent aucune protection pour l’industrie nationale, et parce
qu’ils savent que le mode à la valeur est une illusion, c’est pourquoi ils le
présentent toujours.
Quand
vous avez établi le droit au poids sur la bonneterie, il y avait certainement
plus de distinction à faire entre les produits de cette fabrication qu’entre
les fils ; à plus forte raison peut-on appliquer le poids aux fils.
Pour
la bonneterie il y a des distinctions à faire non seulement entre les fils de
coton, mais encore entre les fabrications des divers pays ; par exemple, la
bonneterie de Tournay et des environs est supérieure à celle de Saxe et
d’Angleterre, et je ne comprends pas bien l’honorable M. Trentesaux, qui a voté
pour la bonneterie de mode au poids, il demande aujourd’hui celui ad valorem
pour le fil. Il n’y a rien qui varie plus que le prix des cristaux ; on les
vend depuis 2 fr. jusqu’à 200 fr., cependant vous avez mis un droit unique sur
ces produits industriels.
Il
n’y a pas de marchandise plus facile à numéroter que le fil. Quand on en vend,
on ne présente pas d’échantillons, on envoie seulement des prix pour chaque
numéro.
J’ai
à la main le prix courant des fils à Manchester. On y voit des numéros depuis
14 jusqu’à 200 et même au-delà. Il n’y a pas d’objets plus faciles à classer.
Vous
avez consulté les chambres de commerce, les commissions d’agriculture, les
gouverneurs et les députations permanentes des provinces ; la majorité des
suffrages est pour le droit au poids. Selon les chambres de commerce, le droit
à la valeur est illusoire.
Dans
l’enquête française, la question du droit au poids et à la valeur a été
discutée avec une grande maturité, et comme je l’ai déjà dit, ceux qui
voulaient protéger l’industrie française préféraient le droit au poids.
L’honorable
M. Trentesaux a trouvé une objection dans la différence qui existe entre les
fils et entre les matières de fabrication. Cette objection a quelque apparence
de réalité quand on l’examine superficiellement ; mais quand on sait comment on
file, elle se réduit à rien. Pour avoir du fil pour les belles toiles, il faut
filer du lin du Tournaisis, de Courtray ou du pays de Waes ; le lin du Hainaut
donne de moins beaux fils.
A
la valeur il n’y a pas moyen de contrôler les employés, puisque les évaluations
dépendent d’eux ; au poids un inspecteur peut faire des vérifications, c’est ce
qu’un sait bien au département des finances.
On
dira qu’à la valeur il y a les préemptions ; mais personne ne sera préempté, et
il n’y a aucun moyen de faire exécuter convenablement la loi avec le mode à la
valeur.
On a dit, messieurs, que si vous adoptez le
droit au poids, vous frapperez également le fil d’étoupe et le fit de lin ;
comme on l’a déjà démontré, il n’y a pas d’étoupe : telle étoupe vaut mieux que
tel lin ; par exemple, l’étoupe du pays de Waes, de Courtray est beaucoup
meilleure que le lin pur du Hainaut ; on ne peut donc établir aucune
distinction entre le fil d’étoupe et le fil de lin.
Je
n’en dirai pas plus, messieurs ; je crois que tout le monde doit être convaincu
de l’impossibilité d’établir le droit à la valeur ; chaque fois que la chambre
a voulu accorder une protection réelle une industrie quelconque, elle a établi
le droit au poids. Je crois qu’il faut encore adopter ce mode aujourd’hui.
M. Mercier.
- On vous a déjà fait remarquer, messieurs, qu’il y a une grande différence
entre l’objet dont il s’agit en ce moment et ceux sur lesquels la chambre a
précédemment établi un droit au poids ; il y a tant de différentes catégories
de fil qu’il est impossible de fixer le droit au poids sans que les bases de la
loi soient injustes ; si le droit à la valeur peut donner lieu à quelques
erreurs accidentelles de la part des employés, le droit au poids ne peut être
établi sans que la loi soit vicieuse consacre des erreurs permanentes, sans que
la loi soit vicieuse dans son principe ; non seulement il y a dans chaque pays
un numérotage différent, mais il y a même de différents numéros dans un seul
pays, en Angleterre : un pour les fils d’étoupe et un autre pour le fil de lin.
Je crois donc qu’il faut de toute nécessité en revenir à la tarification à la
valeur.
L’honorable
M. Desmet émettait tout à l’heure l’opinion qu’avec le droit à la valeur les
employés supérieurs ne pourraient pas contrôler les opérations de leurs subordonnés.
C’est là une erreur ; car lorsque les agents de la douane veulent se rendre
compte de la valeur des fils qui leur sont déclarés, il faut bien qu’ils les
pèsent pour en constater la quantité, et leurs chefs auront nécessairement les
mêmes moyens pour contrôler leurs opérations par appréciation.
Je
crois donc que la chambre agira sagement en statuant que le droit sur les fils
sera perçu à la valeur, sauf à fixer ensuite la quotité du droit.
M.
Verhaegen. - L’honorable M. Mercier vient de vous dire,
messieurs, que, puisqu’il y a tant de différentes catégories de fil, il est
impossible d’établir le droit autrement qu’à la valeur, et il pense que pour
établir le droit en prenant pour base la valeur, il faudra d’abord s’attacher
aux divers numéros, car la valeur ne se déterminera que d’après les numéros. Or
ceux qui veulent la tarification au poids conviennent également qu’il s’agira
de s’attacher aux différents numéros des fils. Dès lors la seule différence
entre les deux systèmes, c’est qu’avec la tarification au poids on aura quelque
chose de mathématique, tandis qu’avec le droit à la valeur on n’aura
qu’incertitude. Je m’explique.
Dans l’opinion de ceux qui veulent la
tarification au poids, on établira certaines catégories d’après les numéros des
fils ; on pourra peut-être s’entendre pour en établir plus qu’il n’en a été
proposé dans le principe ; maintenant on vient de nous lire une pétition dans
laquelle on nous dit de quelle manière les douaniers pourront s’assurer si tel
fil est réellement de tel numéro ou s’il est de tel autre ; vous avez vu,
messieurs, que cela se fait en mesurant une partie du fil et en le pesant ; que
le numéro se reconnaît d’après le rapport qu’il y a entre le poids et la
longueur ; le droit au poids offre donc, comme je l’ai dit, quelque chose de
certain, quelque chose de positif, quelque chose de mathématique, tandis que le
droit à la valeur n’offre qu’incertitude. Il n’y a donc pas de doute qu’il faut
donner la préférence à la tarification au poids, d’autant plus que ceux qui
veulent le droit à la valeur doivent avoir pour prémisse le numéro dont ceux
qui veulent le droit au poids ont également besoin.
M. Mercier.
- Messieurs, pour faire une loi juste en adoptant la perception au poids, il
faudrait établir 10, 15 ou 20 catégories, et alors on conçoit facilement que la
loi serait inexécutable dans les bureaux de la douane ; si l’on se borne, au
contraire, aux deux catégories qui ont été proposées, les fils seront imposés
de 5, 10, 20 et jusqu’à 25 p. c., suivant leurs qualités, ce que ne peut
vouloir la chambre. Ainsi, messieurs, en multipliant les catégories, la loi,
juste en principe, sera inexécutable dans la pratique ; en les restreignant à
deux ou à trois, elle dépassera le but qu’on s’est proposé puisqu’elle frappera
de droits énormes certaines espèces de fils.
M. Verhaegen. - Il est très
facile, messieurs, de répondre à l’argument que vient de faire valoir
l’honorable M. Mercier ; il faudra qu’on fasse, avec le droit à la valeur, ce
qu’il dit qu’on devra faire avec le droit au poids ; dans le système de
l’honorable membre on devrait établir autant de catégories qu’il y a de
qualités de fil ; c’est la une chose impossible ; il faut faire des lois qui
soient exécutables ; si par exemple, au lieu de deux catégories, on en
établissait quatre, je crois qu’on arriverait au but que se proposent les
partisans de la perception à la valeur ; ainsi on pourrait établir une
catégorie pour les numéros 1 à 15, une pour les numéros 16 à 30, une pour les
numéros 31 à 45 et ainsi de suite ; alors chaque espèce de fil serait autant
que possible imposée proportionnellement à sa valeur, mais il est de toute
impossibilité de faire autant de catégories qu’il y a de différentes qualités
de fil.
Messieurs,
il ne faut pas se dissimuler qu’il y a ici une chose qui domine, c’est qu’on
veut revenir sur ses pas ; ceux qui ne veulent pas le droit au poids, ont
l’intention bien prononcée de diminuer autant que possible le droit protecteur
qui a été fixé par la chambre ; mais nous qui désirons donner à l’industrie une
protection qui ne soit pas illusoire, nous voulons le droit au poids, et à ce
égard nous sommes d’accord avec nous-mêmes, nous nous en sommes toujours expliqués
de la même manière chaque fois que des questions de cette nature ont été
traitées dans cette enceinte.
M. Pirmez. - Je ne comprends
pas comment l’honorable préopinant soutient qu’il faudrait établir des
catégories si nous adoptions le mode de perception à la valeur ; avec un droit
à la valeur il n’y a pas de catégories ; les objets introduits sont déclarés
pour telle valeur ; les douaniers vérifient si la déclaration est exacte, et
alors la marchandise paie en raison de cette valeur ; il n’y a donc là aucune
catégorie à établir.
M. le
ministre des finances (M. d’Huart). - M. Mercier n’a
pas dit qu’il fallait, en stipulant le droit à la valeur, établir dans la loi
l’obligation de peser la marchandise ; il a dit seulement que, pour se rendre
compte de la valeur des fils présentés, les douaniers pèseraient quelquefois
une partie de ces fils ; ils auraient, d’ailleurs, encore d’autres moyens de
vérifier si les déclarations sont exactes ; dans tous les cas, il est évident
qu’avec un droit à la valeur, il ne peut être question d’établir des
catégories.
Je
dirai un mot, messieurs, de la multiplicité de catégories qu’on voudrait
établir pour s’approcher autant que possible de la réalité dans la fixation du
droit au poids ; si vous exigez qu’en douane l’on divise les fils suivant un
grand nombre de catégories, quatre par exemple, on va obliger les employés à
examiner, un à un, les écheveaux de fil, et on dégoûtera ainsi le commerce par
les opérations gênantes auxquelles il sera assujetti.
Une
voix. - Ces inconvénients existent aussi dans le
système de la tarification à la valeur.
M. le ministre des finances (M.
d’Huart). - Dans le système à la valeur il y a la sanction
de la préemption, et si l’employé, sur l’inspection sommaire d’un paquet, a des
doutes, il recourt seulement alors à un examen plus détaillé des objets.
Je
dis, messieurs, qu’en établissant une grande division de catégories, vous allez
en quelque sorte prohiber le fil étranger par les embarras que le commerce
éprouvera dans les visites auxquelles il sera nécessairement soumis à la
douane.
Je
crois donc que si la chambre maintient le droit au poids, il faut s’en tenir
aux deux catégories admises au premier vote.
M.
de Jaegher. - Messieurs, tous les arguments que vient de
faire valoir M. le ministre des finances à l’appui de la tarification à la
valeur, auraient, je crois, été beaucoup mieux à leur place dans la discussion
de la question des droits sur la bonneterie.
M. le ministre des finances (M. d’Huart).
- Je les ai fait valoir ; j’ai lutté pendant 15 jours pour le système de la
tarification au poids.
M.
de Jaegher. - Dans cette discussion, le gouvernement lui-
même a adhéré au système au poids ; car c’est sur la proposition de l’honorable
M. Smits que la chambre a admis trois catégories pour la bonneterie.
M.
Smits. - Oui, après que la chambre eut décidé le
principe.
M. de Jaegher. - On dit : après
que la chambre eut décidé le principe ; soit. Mais je pense alors que la
chambre sera conséquente avec elle-même, et qu’elle ne fera pas un retour sur
ses pas, retour qui me paraîtrait inexplicable.
M.
le ministre s’oppose aussi à l’adoption du principe des catégories. Il vous dit
que les employés de la douane seront obligés de prendre les écheveaux de fil un
à un, pour vérifier s’ils appartiennent à telle ou telle catégorie.
Je
ferai remarquer que si nous adoptons la tarification à la valeur, les mêmes
opérations devront se faire.
Messieurs,
je vois avec regret que certains membres de cette chambre insistent pour faire
revenir l’assemblée de la décision qu’elle a prise. Cette décision a été prise
dans le but de favoriser efficacement l’industrie linière. J’y ai vu un autre
résultat ; je désire, quant à moi, que l’introduction des mécaniques pour la
filature du lin se fasse promptement, et je dois avouer qu’en demandant un
droit élevé sur l’importation du fil, j’ai principalement pour but d’amener
dans un bref délai ce résultat que je regarde comme inévitable.
M. Desmet. - L’honorable ministre
des finances pense qu’il y aura beaucoup de difficultés à percevoir par
catégories de numéros, parce que, dit-il, il faudra à chaque envoi vérifier,
pour ainsi dire, chaque écheveau ; mais il m’étonne qu’il tienne ce
raisonnement, car il sait aussi bien que moi que, pour le fil de lin, les
Anglais ont un numérotage par paquet ; c’est-à-dire, quand un paquet contient
autant d’écheveaux d’une telle longueur chaque et pèse autant, il est d’un tel
numéro ; ce n’est donc pas très difficile à vérifier la déclaration ; il n’y a
qu’à peser les paquets.
L’honorable
M. Mercier croit qu’il y a un numérotage différent pour les fils d’étoupe que
pour les fils de lin ; mais il se trompe : les Anglais n’ont qu’un seul système
de numérotage pour les fils d’étoupe et pour les fils de lin ; d’ailleurs, je
ne sais pas pourquoi ils l’auraient, car ce n’est pas la qualité qu’on mesure
et qu’on pèse, ce n’est que la longueur qu’on mesure qui ne doit pas varier
quand le fil serait d’étoupe, et c’est le plus grand ou le plus petit poids
dans une même longueur qui donne la proportion de la finesse.
M.
Lebeau. - Messieurs, je suis peu touché de l’argument
de M. de Jaegher, que la chambre se déjugerait si, après avoir, à l’issue d’une
longue discussion, fait prévaloir le système au poids dans la question des
bonneteries, elle venait à faire prévaloir aujourd’hui le système de la
tarification à la valeur.
Je
crois d’abord que lorsque l’expérience aura fait apercevoir les vices de la
loi, on regrettera, même pour l’application du système au poids sur la
bonneterie, d’avoir adopté ce système. En effet, vous avez un avant-coureur de
ce qui doit se passer dans la pratique, par l’embarras où s’est trouvée la
chambre d’organiser, à l’égard des bonneteries, le droit au poids. On ne
trouvait rien de plus simple que de décider le système du droit au poids, et
quand il s’est agi d’en faire l’application, la commission d’industrie s’est
vue dans le plus grand embarras ; il y a eu des renvois successifs ; les contestations
les plus vives se sont élevées dans la chambre sur le rapport qu’il y avait
entre les chiffres qui étaient présentés, et le principe du droit tel qu’il
avait été décidé. C’est en quelque sorte au hasard que la loi a été votée, sans
que chacun de nous pût se rendre bien compte des résultats qu’elle devait
produire.
Mais
ce n’est pas seulement à l’occasion du droit sur la bonneterie que l’on a agi
au hasard dans l’application. La chambre a vu comment la substitution du droit
au poids à celui à la valeur pouvait l’entraîner dans des erreurs manifestes,
contre son opinion ouvertement énoncée. Il suffit de se rappeler quelle a été
la volonté de la chambre relativement aux droits d’importation sur les toiles
et quel en a été le résultat.
Remarquez
que le droit à la valeur’ est celui qui est aujourd’hui perçu sur l’objet en
discussion, et je n’entends pas que des plaintes se soient élevées de la part
du gouvernement contre la facilité que le système actuel offre à la fraude. Il
me semble que le gouvernement est, par sa position, le plus à même de savoir
si, dans la pratique, tel système de perception doit être remplacé par tel
autre, au préjudice ou à l’avantage du trésor public.
Il
y a d’ailleurs une différence que j’ai déjà fait remarquer entre la bonneterie
et les fils. La bonneterie n’est la matière première d’aucune industrie de
notre pays ; la bonneterie est un objet qu’on peut imposer, sans autre
conséquence qu’un dommage pour le consommateur. Mais ici il s’agit d’une
matière première indispensable à quelques-unes de nos industries. Et à cette
occasion, il y a lieu de regretter que ce ne soit pas le gouvernement qui
prenne toujours l’initiative en fait de question de douanes : nous aurions
alors les renseignements qui nous manquent totalement aujourd’hui.
Puisque
nous manquons de renseignements sur le sort que la loi, telle qu’elle a été
votée d’abord, réserve à plusieurs industries, je crois que nous devons nous en
tenir à la mesure la plus prudente ; or la mesure la plus prudente, c’est la
perception du droit à la valeur. Je ne puis assez m’étonner de l’union qui
règne entre les divers partisans de la loi. A entendre les uns, il s’agit de
protéger la filature à la main ; il s’agit d’amortir le coup qui peut lui être
porté par la filature à la mécanique. A entendre les autres, c’est au contraire
pour favoriser la filature à la mécanique, le plus redoutable adversaire de la
filature à la main, que l’on doit voter la loi. Evidemment, l’une ou l’autre de
ces deux opinions se trompe ; l’on ne peut pas soutenir simultanément que c’est
pour protéger, et pour tuer plus vite la filature à la main, qu’il est
nécessaire d’élever les droits sur les fils étrangers. Voilà cependant comment
se rapprochent les divers partisans de la loi actuelle.
Messieurs, il y a en outre une considération
politique qui doit naturellement se présenter à l’esprit de la chambre. La loi
que vous allez voter et dont la nécessité n’est nullement démontrée, n’est-elle
pas de nature à apporter une altération notable dans les relations de puissances
amies avec la Belgique ? J’avoue que je crains que la bonne harmonie qui règne
entre elles et nous n’en soit plus ou moins altérée.
Il
est impossible qu’on ne ressente pas plus ou moins le tort qu’on fait au
commerce de ces puissances, alors surtout que je pense que la loi n’est pas
motivée sur les besoins de l’industrie indigène ; si les besoins de l’industrie
indigène parlaient de manière à frapper tous les esprits, cette considération
pourrait ne pas arrêter la chambre, qui est parfaitement libre de fixer le
tarif comme elle le veut. Mais je crois que la chambre comprendra l’intérêt que
nous avons à conserver la bonne harmonie avec telle ou telle puissance que
pourrait indisposer la loi telle qu’elle est présentée. Je n’insisterai pas sur
cette considération qui est de nature à frapper tous les esprits. Je voterai en
conséquence pour des droits modérés à la valeur.
M.
de Muelenaere. - L’honorable préopinant vient de vous dire
que dans cette discussion une considération politique devait naturellement se
présenter à l’esprit des membres de cette assemblée. Je suis parfaitement de
son avis. Je crois que cette considération politique devrait nous engager à
venir au secours d’une partie importante de la population ouvrière. Cette
considération m’a paru avoir produit un grand effet sur l’assemblée. Dans une
autre occasion, l’assemblée, d’accord avec toutes les chambres de commerce du
pays, paraît avoir senti le besoin d’établir un droit à l’importation des lins
étrangers. Si cette vérité a été sentie, pour qu’elle soit réelle, tous les
hommes qui ont quelque connaissance du commerce des fils sont unanimement
d’accord que le droit doit nécessairement être établi au poids.
Quant
au droit à la valeur, il serait complétement illusoire. Si on établit le droit
à la valeur, on ferait aussi bien de ne pas voter la loi. En effet, quelle
sanction avez-vous, dans ce cas, de la bonne exécution de la loi ? Il n’y en a
pas d’autre que la préemption. Or, je vous demande si c’est là une sanction
véritable. Tous ceux qui connaissent le commerce des lins savent qu’aucune
marchandise n’est plus sujette à varier que les fils ; cette marchandise est
essentiellement variable ; elle varie à l’infini suivant les qualités ;
indépendamment de celle d’un jour à l’autre, cette marchandise éprouve des
variations considérables. Je vous demande si les employés de la douane seront
disposés à préempter des marchandises aussi sujettes à varier, alors surtout
que le pays est inondé de fils étrangers dont on ne trouve pas le placement.
Dès lors, en établissant le droit à la valeur, la loi est sans sanction.
Les
objections qui ont été faites dans cette assemblée quant au numérotage des
lins, m’ont étonné ; car j’ai vu des négociants qui m’ont dit que la fixation
du numéro métrique était extrêmement facile, qu’il ne fallait pas plus de deux
minutes pour faire cette opération avec la plus grande exactitude ; qu’il
suffisait de prendre au hasard une partie de la marchandise, d’en faire un
écheveau, de le dévider et de le peser. Dès lors le numérotage ne doit pas vous
arrêter dans la fixation du droit au poids.
Veuillez
d’ailleurs remarquer que si vous fixez le droit à la valeur, vous serez obligés
de faire la même opération ; car vous ne pouvez pas, pour la fixation de la valeur,
vous en rapporter à l’importateur.
Avec
la tarification au poids, vous recevrez un droit réel, tandis qu’avec la
tarification à la valeur, vous ne recevrez rien du tout, parce qu’avec la tarification
à la valeur il n’y a qu’un moyen de sanction, c’est la préemption. Et les
employés seront peu disposés à y recourir à cause de la grande variété des
qualités du fil et de la grande difficulté d’en déterminer la valeur.
Quant
à la distinction entre le fil de lin et le fil d’étoupe, je vous avoue qu’après
avoir pris des informations auprès de plusieurs négociants, j’ai été étonné
qu’on ait pu proposer de faire cette distinction. Je suis convaincu, et ces
négociants sont convaincus, qu’après les numéros les plus bas, il y a
impossibilité pour l’homme le plus exercé de distinguer à la vue et même au
maniement le fil d’étoupe du fil de lin.
On ne parvient à faire cette distinction dans
les numéros élevés que par l’usage, par l’emploi du fil et par les opérations
qu’on lui fait subir, par la teinture et par le lavage. A défaut de cela, il y
a impossibilité, d’après les déclarations les plus positives d’hommes qui ont
fait longtemps ce commerce, passé les numéros 12 ou 14, de faire la distinction
entre le fil d’étoupe et le fil de lin.
Je
pense donc qu’il ne faut faire aucune distinction entre le fil d’étoupe et le
fil de lin, parce qu’elle serait illusoire, et que bientôt tous les fils
étrangers entreraient sous la dénomination de fil d’étoupe exclusivement.
D’après cela, il me semble évident que la tarification doit être faite au
poids, parce que la tarification à la valeur est une tarification réellement
illusoire.
M.
de Jaegher. - J’ai simplement demandé la parole pour expliquer
un point. L’honorable M. Lebeau trouve inexplicables, inconciliables, les
opinions de certains membres qui demandent des droits à l’entrée du fil
étranger pour protéger le filage au rouet, et celles d’autres membres qui
disent qu’en établissant un droit efficace sur le fil, ils veulent aussi
faciliter l’établissement du filage à la mécanique dans le pays. Il y a un
moyen de prouver que la conciliation de ces opinions n’est pas impossible,
comme il le suppose.
Je
crois que la différence entre le prix de revient du fil travaillé à la
mécanique et celui du fil travaillé au rouet est telle qu’aucun droit ne
pourrait être assez élevé pour la compenser.
D’après cela, je pense que l’introduction du fil
à la mécanique, quels que soient les efforts qu’on ferait pour l’empêcher,
deviendrait une conséquence immédiate.
Ce
premier point posé, si, comme le prétendent certains membres, les toiles
fabriquées avec du fil au rouet ont une qualité, un degré de force qui leur
assure la préférence sur les toiles fabriquées avec du fil à la mécanique, les
fileurs au rouet n’ont rien à craindre de l’introduction des mécaniques, parce
que l’avantage de la qualité, de la solidité, leur restera. Quant à l’avantage
qui résultera de l’établissement de mécaniques, il consiste en ce que les
industries pour lesquelles on vient demander des exceptions, la fabrication des
coutils et des toiles à carreaux, des toiles à voiles et autres, trouveront
leur apaisement et pourront se fournir sur nos propres marchés de ce qu’ils
vont aujourd’hui chercher à l’étranger.
Voilà
comme je concilie ces opinions.
Les
honorables membres qui prétendent que les toiles faites avec du fil fabriqué au
rouet ont un avantage sur les toiles faites avec le fil à la mécanique auront
raison ou bien ils auront tort, et alors les fabricants devront suivre le
mouvement général et adopter le fil à la mécanique. Voilà pourquoi je ne crains
pas l’introduction des mécaniques, et si elle doit avoir lieu, je désire que ce
soit plutôt maintenant que plus tard.
M.
Pirmez. - Le but des partisans du projet est
d’augmenter le droit sur l’entrée des fils. M. de Muelenaere a dit qu’il était
d’une sage politique de venir au secours des populations qui se livrent à la
fabrication du fil à la main. Mais ce qu’il fallait prouver, c’est que par la
loi actuelle, en imposant le fil étranger à l’entrée, on venait au secours de
ces populations. C’est ce que n’a pas fait l’honorable membre. Il est vrai
qu’il a suivi les avis des chambres de commerce et de quelques négociants. Mais
ces opinions ne prouvent rien. Il vaut mieux une bonne démonstration que mille
opinions et mille citations. Quant à moi, je pense qu’au lieu de venir au
secours des populations des Flandres, nous allons augmenter leur misère. Je ne
parlerai pas du consommateur, il est toujours hors de cause quand il s’agit ici
d’industrie ; mais heureusement dans cette circonstance il ne s’agit pas du
consommateur.
Le
fil n’est pas compris directement dans les objets de consommation, il sert à
faire d’autres objets tels que des toiles, des coutils, etc. Evidemment, si par
votre loi vous parveniez à améliorer le sort du fileur, ce qui n’est pas
prouvé, vous empireriez le sort du tisserand. M. de Nef l’a démontré pour le
coutil, et ce qui est vrai pour le coutil l’est pour toutes les espèces de
toiles dans la fabrication desquelles il entre du fil. Si donc vous parveniez à
améliorer de 10 centimes le gain que fait par jour le fileur, vous diminueriez
d’autant ce que gagne le tisserand. Mais je ne crois pas que vous amélioriez le
sort du fileur en augmentant le droit sur le fil étranger ; selon moi, le
fileur ne peut gagner que ce que son opération ajoute de valeur à la matière
qu’il travaille. Vous ne ferez jamais qu’il gagne davantage.
Si vous parveniez, par exemple, à prohiber tous
les fils étrangers, je crois que momentanément le fil indigène augmenterait de
valeur, mais alors vous auriez une plus grande quantité d’individus qui se
livreraient à ce travail ; mais cela resterait toujours à la valeur qu’ils donnent
à la matière qu’ils travaillent. Impossible donc, par un droit protecteur,
d’améliorer le sort du fileur ; mais ce qui est évident, c’est que vous empirez
le sort du tisserand de tout ce que vous voulez donner au fileur.
Comment
voulez-vous, en présence de l’introduction des mécaniques en Belgique, protéger
les fileurs à la main ? Il faudra qu’ils fassent concurrence à la mécanique, et
cette concurrence, ils ne pourront pas la soutenir.
Il
est donc impossible d’améliorer le sort du fileur, et il est évident que la
mesure que vous voulez prendre dans ce but, empirera le sort du tisserand.
M.
Rogier. - Cette discussion a déjà duré très longtemps
; cependant je ne puis laisser sans réponse quelques assertions d’un honorable
préopinant qui a soutenu le système de la perception au poids en s’appuyant sur
l’opinion de personnes ayant des connaissances dans le commerce de fil de lin.
Eh bien, en nous en référant à ceux qui sont présumés devoir en supporter les
conséquences, nous voyons que le système que nous défendons aujourd’hui était
également défendu par les chambres de commerce, non pas des villes connues par
leur libéralisme en matière commerciale ; nous voyons, dis-je, que ce système
était défendu par la chambre de commerce de Courtray comme par celle de Bruges.
On
nous reproche de vouloir frapper l’entrée des fils d’un droit illusoire. Je
demanderai si elles voulaient frapper les fils d’un droit illusoire, quand
elles demandaient qu’on les imposât, la chambre de commerce de Bruges, de 3 p.
c., et celle de Courtray, de 5 p. c.
Voilà
pourtant des opinions d’hommes compétents, et qu’on peut opposer à celles de
quelques négociants intéressés dans la question des fils. Cela mérite de fixer
l’attention de la chambre.
Au
mois de novembre dernier la chambre de commerce de Courtray se contentait d’un
droit de 5 p. c. à la valeur, et la chambre de commerce de Bruges se contentait
de 3 p. c. à la valeur. Que s’est-il donc passé depuis cette époque, pour qu’un
aussi grand changement soit survenu dans les opinions ?
Nous
sommes, dit-on, inondés de fils étrangers. A-t-on perdu de vue le principe de
cette discussion, l’observation judicieuse présentée par M. Eloy de Burdinne,
et le tableau des importations et exportations communiqué par le gouvernement,
document sur l’authenticité duquel aucun doute ne pouvait s’élever, attendu que
les droits perçus à l’entrée, étant d’une valeur minime, sont tous perçus. Par
conséquent le montant des sommes indiquées doit être exact. Nous nous rappelons
que la valeur des importations qui ont eu lieu en 1836, année où on a introduit
la plus grande quantité de fils, nous nous rappelons, dis-je, que ces
importations se sont élevées à la somme de 1,200.000 fr., et que les
exportations ont de beaucoup dépassé ce chiffre. A-t-on eu raison de dire que
nous étions inondés de fils étrangers ? Na-t-on pas ajouté que les fileurs ne
trouvaient plus à vendre leurs fils ?
Moi
aussi j’ai consulté des personnes dont l’occupation est d’acheter des fils sur
nos marchés. Elles se sont plaintes de la rareté du fil, elles m’ont dit qu’à
certaines époques on n’en trouvait pas sur les marchés. Comment peut-on dire
que les fileurs ne trouvent pas à vendre leurs fils, alors qu’il est reconnu
que l’exportation va toujours en augmentant ? Ce n’est pas quand vous aurez
privé le pays d’une importation de 1,200,000 fr. de fil de lin que vous aurez
rendu la vie à cette industrie qu’on viendra bientôt représenter comme
mourante.
L’argument
contre la perception au poids reste toujours debout. Loin de l’avoir renversé,
les raisons qu’on nous a opposées n’ont fait que confirmer notre première
opinion.
On
vient de dire que le droit à la valeur n’était pas admissible, parce qu’il
portait sur un objet d’une valeur très variable. Mais si c’est un objet d’une
valeur variable, et que vous vouliez le frapper d’une manière égale en raison
de sa valeur, c’est un droit à la valeur qu’il faut établir, un droit qui en
suive les fluctuations.
Puisque
la valeur de l’objet est mobile, ne le frappez pas d’un droit immobile. Ou
bien, il arrivera que dans telle circonstance le droit sera insuffisant et que
dans d’autres il sera exorbitant. Cet argument de la variabilité de la valeur
de la marchandise est donc un argument en faveur d’un droit à la valeur qui
suive la marchandise dans toutes ses variations.
On
a dit qu’il était impossible, passé certains numéros, de distinguer le fil
d’étoupe du fil de lin. Mais nous n’avons jamais demandé qu’on fît cette
distinction pour les numéros élevés, nous avons dit que c’était pour les
numéros les plus bas que cette distinction était nécessaire, et que c’était ces
numéros que votre droit frappait de la manière la plus arbitraire et la plus
injuste. On vient de reconnaître que pour les numéros bas on pouvait faire la
distinction que nous demandons. C’est pour ces numéros que nous disions que le
droit était prohibitif. La chambre n’a pas voulu prohiber ces fils, mais
seulement les frapper d’un droit de 5 p. c. Or, sur les fils d’étoupe qu’on
peut facilement distinguer, le droit sera de 15 à 20 p. c. C’est là
véritablement un droit prohibitif, et cependant personne n’a eu le courage
d’avouer dans cette enceinte qu’il voulût prohiber ces fils.
Oui,
nous voulons un droit à la valeur, parce que nous savons ainsi le droit que
nous établissons. Vous, vous voulez le droit au poids, parce qu’en ayant l’air
d’établir un droit modéré, vous excluez la marchandise de nos marchés. Vous
savez les inconvénients attachés à ce genre de perception ; vous savez qu’elle
est injuste, qu’elle entraîne une multitude de vérifications et qu’elle empêche
encore plus l’entrée de la marchandise par les formalités que par la hauteur du
droit. C’est pour cela que vous tenez tant à la perception au poids.
Nous
le répétons, il y a encore cette circonstance particulière que la matière que
vous voulez frapper est une matière première pour un certain nombre
d’industries. Répondez donc à cette observation : Voulez-vous frapper ces
industries dans leur matière première ?
Quand,
dit-on, vous aurez protégé les futures manufactures de lin à la mécanique, les
industriels qui font usage de ce fil en trouveront dans ces établissements. Je
demanderai, jusqu’à ce que ces mécaniques puissent fournir aux immenses besoins
de la consommation, ce que deviendront ces industries ? Elles ont droit elles
aussi à votre sollicitude.
Comment
voulez-vous qu’elles se soutiennent vis-à-vis des industries rivales de
l’étranger, en attendant que le fil à la mécanique puisse leur être fourni par
nos établissements aux mêmes conditions que par l’étranger ?
En
frappant le fil étranger de 10 à 12 p. c., vous augmentez d’autant le fil
national et vous aggravez d’autant la position du tisserand national vis-à-vis
du tisserand étranger. Vous allez frapper l’industrie nationale de 8 ou 10 ou
12 p. c., car je ne sais au juste droit que vous allez obtenir en faveur du
fileur ; enfin vous la frapperez de toute la faveur que vous accorderez au
fileur.
Je
ne m’explique pas encore sur les conséquences possibles de l’établissement des
mécaniques pour les fils. Quelques-uns croient que la filature à la mécanique
et celle à la main sont conciliables, qu’elles pourront vivre ensemble ;
d’autres, au contraire, et les plus nombreux, pensent que le fil à la mécanique
est destiné à faire disparaître entièrement le fil à la main.
J’accepte
comme un fait inévitable l’établissement des machines à filer ; mais quand ceux
qui se mettront à la tête de ces établissements ne réclament rien, pourquoi
leur faire un pareil cadeau au détriment d’industries qui protestent ? Nous
pouvons nous tromper ; nous croyons que les vrais intérêts du pays sont
beaucoup mieux garantis, beaucoup mieux défendus par le système que nous
appuyons que par l’autre.
Un des faits auxquels on n’a pas répondu, et qui
prouve l’impossibilité d’établir d’une manière équitable la perception au
poids, est celui-ci : un numéro anglais renferme souvent plusieurs qualités de
fils dont la valeur diffère de moitié, c’est-à-dire qu’un même numéro referme
des fils de 8 schellings et de 16 schellings, par exemple : en le frappant au
poids vous frappez donc des marchandises si différentes de prix d’un même
droit. Est-ce qu’un droit établi de cette façon est juste ? Je désire que l’on
réponde à cette question.
On
a argumenté de ce fait pour soutenir que la perception à la valeur était
inexécutable ; mats il est facile de reconnaître dans un même numéro les
différentes qualités qui le composent, tandis que le droit au poids frappe
indistinctement.
S’il
n’y avait pas au fond une question de principe, je n’aurais pas autant insisté.
Il y a déjà trop longtemps que la discussion dure, et je demande pardon à la
chambre de l’avoir prolongée.
M.
Mercier. - Un des honorables préopinants soutient qu’il
n’y a pas de différence entre le numérotage anglais des fils de lin et celui
des fils d’étoupe : le numérotage anglais est déterminé par le nombre de yards
de fil par livre anglaise. Il faut bien que ce nombre ne soit pas le même pour
le fil d’étoupe que pour le fil de lin, puisqu’il résulte d’opérations faites
sous mes yeux avec une exactitude rigoureuse qu’un poids de 15 grammes 600
millig. de fil d’étoupe n°30 renfermait 42 mètres de fil, tandis que le même
poids du même numéro en fil de lin donnait une longueur de 378 mètres. Des
différences aussi sensibles ont été reconnues sur d’autres numéros. Je ne puis
les expliquer que par un défaut d’uniformité qui doit exister dans le
numérotage anglais.
Un
autre honorable préopinant a basé son opposition au système de tarification à
la valeur sur deux objections principales : la première, c’est que les espèces
de fil sont extrêmement multipliées ; mais je ferai remarquer à cet égard que
c’est précisément pour ce motif que le droit à la valeur est préférable pour ne
pas tomber dans l’inconvénient de frapper des droits énormes sur certaines
catégories de fil.
La
seconde objection présentée par cet honorable orateur est puisée dans la grande
variation du prix des lins. Il est possible en effet, messieurs, que pendant
ces dernières années il y ait eu peu de fixité dans le prix des fils de lin par
suite des progrès successifs qui ont été introduits dans l’industrie du filage
; mais il n’est pas à présumer qu’il en soit de même à l’avenir, et il est
probable au contraire qu’ils se maintiendront, comme les autres marchandises, à
des prix qui subiront moins de changements.
Si j’ai fait un signe dubitatif lorsqu’un
honorable membre a prétendu qu’il suffirait de deux à trois minutes pour
effectuer la vérification au moyen des opérations du pesage et du mesurage
qu’il a indiquées, c’est qu’il me semblait qu’il suffisait d’entendre
l’énonciation qu’il en faisait lui-même pour comprendre que cela était
impossible en un aussi court espace de temps. J’en ai d’ailleurs fait
personnellement l’expérience. Si le pesage et par conséquent le mesurage de la
partie pesée, se font sur de petites quantités, il faudra des balances d’une
exactitude tellement rigoureuse, qu’il sera impossible, à cause de leur prix et
des soins qu’elles exigent, d’en avoir dans nos bureaux de douanes ; si, au
contraire, on doit opérer sur de grandes quantités, il est facile de concevoir
que la vérification exigera beaucoup de temps.
M. Manilius.
- Je prie la chambre de remarquer que le droit à la valeur est le mode le plus
injuste qu’il soit possible d’établir, parce que les déclarations, pour des
objets identiques, seront différents selon la hardiesse ou la timidité de ceux
qui les font ; des divers degrés d’astuce des déclarants dépendra la hauteur
des droits. Est-il possible d’admettre un pareil système ?
L’honorable M. Mercier croit que l’on peut
distinguer le fil de lin du fil d’étoupe par le numérotage ; c’est une erreur.
Le numéro s’établit de deux manières, par l’aunage pour un même poids, ou par
le poids donné par un même aunage. En France l’aunage est constant, c’est mille
mètres. Quand ces mille mètres pèsent un demi-kilogramme, c’est le numéro
premier ; quand les mille mètres pèsent moins, ils forment les numéros 2, 3,
etc…
Ce
numérotage s’applique aussi bien aux fils d’étoupe qu’aux fils de lin, et ne
peut servir à les distinguer. Au reste, les fils de lin et les fils d’étoupe ne
peuvent se distinguer entre eux d’aucune manière ; les étoupes ne sont
susceptibles d’être filées que parce qu’elles contiennent du lin ; si elles
n’en contenaient pas, elles ne pourraient produire du fil.
M. Zoude. - Chaque fois que
la commission d’industrie vient vous faire un rapport, on demande si son avis
est appuyé de ceux des chambres de commerce, des commissions d’agriculture, des
députations permanentes ; dans la question qui nous occupe, on n’a pas manqué
de consulter et les chambres de commerce et les commissions d’industrie ; cependant,
vous n’avez égard ni à leur opinion ni à la nôtre ; je crois donc que vous
économiseriez beaucoup le temps de votre commission et celui des chambres de
commerce, que vous économiseriez, en outre, beaucoup de frais d’impression, en
ne renvoyant rien à l’examen de cette commission d’industrie, puisque vous
écartez toujours ses conclusions.
M.
Smits. - Pour ma part, je suis très disposé à
accorder un droit protecteur à nos filatures ; mais il me semble que cette
protection serait suffisante en la portant à 5 p. c. de la valeur. Les chambres
de commerce de Bruges et de Courtray n’en demandent pas davantage, et cela se
conçoit, car cela ferait une augmentation de 9 p. c. sur les droits actuels
pour les fils écrus.
Des
membres. - C’est là un droit de balance !
M.
Smits. - Je ne sais si c’est un droit de balance ; ce
que je sais, c’est qu’il est favorable à plusieurs industries et que la
majoration du droit jusqu’à 5 p. c. est fort raisonnable.
L’honorable
M. Manilius vient de vous dire que le droit à la valeur était injuste ; je
trouve, au contraire, que c’est l’assiette la plus équitable, parce que le
droit suit toujours le prix de la marchandise, ce qui ne doit jamais être perdu
de vue en matière de tarification.
Je
viens le démontrer par un exemple. Supposons qu’une marchandise valant
actuellement 100 fr. par 100 kilog. soit imposée à 100 fr., cela fera bien 100
fr. à la valeur. Eh bien, que ce prix baisse à 75, et le droit sera de 125 p.
c. Si au contraire, il s’élève à 125, le droit ne sera plus que de 75 p. c.
Vous
le voyez, messieurs, la tarification à la valeur est la plus équitable, la plus
juste, en ce qu’elle se modifie toujours en raison de la valeur des denrées.
La
chambre a voulu un droit de 5 p.c. ; pour établir ce droit, il a fallu
nécessairement l’établir sur tous les degrés de l’échelle des fils ; or, ce
droit de 5 p. c., appliqué au poids, s’élèverait pour le numéro 8 à 9 p. c. ;
pour le numéro 11 à 8 p. c. ; pour le numéro 12 à 7 1/2 p. c.
Mais
si vous appliquez le droit au poids sur les fils d’étoupe, les inégalités
seront bien plus grandes encore ; du numéro 1 au numéro 6 le droit serait de 15
p. c., et ainsi de suite en descendant.
Que
résultera-t-il d’une telle tarification ? D’abord une grande injustice pour les
numéros inférieurs, ensuite l’importation clandestine, car il est évident que
c’est là une marchandise qui peut se frauder très facilement ; j’ai lieu de
croire que la prime de fraude n’excédera pas 6 p. c. ; dès lors si vous adoptez
un droit de 10, 15 à 20 p. c., il est incontestable que le trésor ne percevra
rien et que l’industrie qu’on veut favoriser n’obtiendra en réalité aucune
protection.
Messieurs, dans une pétition qui nous a été présentée
tantôt, on fait ressortir avec beaucoup de vérité une des contradictions de la
tarification au poids ; on y fait remarquer que les toiles à voiles ne sont
frappées que d’un droit de 10 fr. aux 100 kilog., qui revient à 2 1/2 à 3 p. c.
de la valeur, tandis que d’après le projet les fils qui servent à faire ces
toiles seraient imposées de 15 à 20 p. c. ; évidemment ce serai chasser la
main-d’œuvre du pays ; et c’est là une chose que la chambre ne peut pas
vouloir.
Je
donnerai, messieurs, la préférence au système de la perception à la valeur,
parce que c’est aussi le seul moyen pratique de faire droit aux réclamations de
l’industrie de Turnhout, des fabricants de toiles à voile, de toiles à
carreaux, et d’un grand nombre d’autres industries que nous ne pouvons pas
sacrifier.
M.
de Muelenaere. - Messieurs, vous venez d’entendre un
honorable préopinant vous dire que dans leurs derniers avis les chambres de
commerce, et notamment celles de la Flandre occidentale, ont demandé à
l’unanimité la perception au poids, mais que par des avis précédents les
chambres de commerce de Courtray et de Bruges auraient demandé la tarification
à la valeur. D’abord, messieurs, il faudrait examiner dans quelles
circonstances ces avis ont été exprimés ; sur quelles questions les chambres de
commerce avaient été consultées. En dernier lieu elles ont été consultées sur
la question de savoir s’il fallait établir le droit au poids ou à la valeur ;
c’est là une question nette et positive, et à cette question toutes les
chambres de commerce répondent à l’unanimité que la tarification doit être
établie au poids ; dès lors il ne peut rester aucun doute sur l’opinion des
chambres de commerce en ce qui concerne le mode de tarification.
D’ailleurs,
messieurs, je viens de lire le rapport de la chambre de commerce de Courtray,
dans lequel elle aurait, au mois de novembre dernier, exprimé l’opinion que le
droit doit être établi à la valeur ; voici ce que porte ce rapport :
« Par la raison que nous demandons la libre
sortie du fil, nous devons demander un droit d’entrée qui devrait s’élever à 5
p. c. de la valeur. »
Je
le demande, messieurs, de ce que le droit devrait s’élever à 5 p. c. de la
valeur, pouvez-vous tirer la conséquence qu’il doit être perçu à la valeur ? La
chambre n’a-t-elle pas elle-même, dans une séance précédente, voté sur la
question de savoir à combien s’élèverait le droit, et n’a-t-elle pas décidé
qu’il s’élèverait à 5 et à 6 p. c. de la valeur, après avoir cependant décidé
qu’il serait perçu au poids ? N’a-t-elle pas renvoyé ce projet à la commission,
afin que celle-ci lui fît une proposition dans laquelle le mode de perception
au poids serait appliqué à ce droit de 5 et 6 p. c. de la valeur ? On ne peut
donc nullement conclure de ce que la chambre de commerce de Courtray a demandé
un droit de 5 p. c. de la valeur, que cette chambre de commerce serait en
contradiction avec elle-même.
M. Rogier. - Je ne tiens pas
beaucoup, messieurs, à mettre la chambre de commerce de Courtray en
contradiction avec elle-même ; mais il est cependant de fait qu’au mois de
novembre dernier elle a demandé un droit de 5 p. c., et que maintenant elle
demande un droit qui reviendrait à 25 p. c. La chambre de commerce de Bruges ne
demandait en novembre qu’un droit de 3 p. c., et celle-là n’a pas changé d’avis
; quant au mode de perception, elle demande seulement un droit plus élevé que
celui qu’elle demandait alors ; tout cela est fort simple ; lorsqu’on a demandé
à ces chambres de commerce si une protection plus forte conviendrait mieux à
l’industrie qu’elles représentent, il est tout naturel qu’elles répondent
affirmativement ; mais ce que je ne puis concevoir, c’est qu’un droit qui
suffisait il y a quatre mois, ne suffirait plus aujourd’hui, alors que les
circonstances sont absolument les mêmes.
M.
Desmet. - Ce que l’honorable in. Rogier ne peut
concevoir est cependant très facile à comprendre : Bruges et Courtray ont
besoin de fil allemand, Courtray pour les damas, Bruges pour les toiles à
carreaux ; c’est pour cette raison que les chambres de commerce de ces villes
n’ont d’abord demandé qu’un faible droit ; mais quand elles ont vu l’immense
quantité de fil étranger qu’on introduit dans le pays, elles se sont convaincues
qu’il est indispensable d’accorder une protection réelle aux fileurs indigènes.
Elles ont considéré l’intérêt général du pays et l’importance de la filature du
lin, particulièrement pour la classe indigente.
-
La question de savoir si le droit sera perçu à la valeur est mise aux voix par
appel nominal ; voici le résultat du vote :
68
membres sont présents.
34
votent l’affirmative.
34
votent la négative.
En
conséquence, aux termes de la constitution, la proposition de fixer le droit à
la valeur n’est pas adoptée, et le premier vote de la chambre, établissant la
perception au poids, est maintenu.
Ont
voté la perception à la valeur : MM. Beerenbroeck, Berger, de Florisone, de
Langhe, de Nef, de Perceval, de Renesse, Desmanet de Biesme, de Theux, Devaux,
d’Hoffschmidt, d’Huart Eloy de Burdinne, Fallon, Heptia, Lebeau, Mast de Vries,
Mercier, Metz, Milcamps, Nothomb, Pirmez, Polfvliet, Rogier, Simons, Smits,
Trentesaux, Troye, Ullens, Vanderbelen, Vilain XIIII, Willmar, Peeters et
Raikem.
Ont
voté la perception au poids : MM. Andries, Angillis, Bekaert-Baeckelandt,
Corneli, David, de Brouckere, de Jaegher, F. de Mérode, de Muelenaere, de Roo,
Desmet, de Terbecq, Doignon, Donny, Dubois, B. Dubus, Hye-Hoys, Kervyn,
Lecreps, Lejeune, Liedts. Maertens, Manilius, Raymaeckers,
C. Rodenbach, Seron, Stas de Volder, Thienpont, Vandenbossche, Vandenhove, van
Hoobrouck, Vergauwen. Verhaegen et Zoude.
__________________
-
La chambre passe à la discussion des dispositions qui ont été adoptées lors du premier
vote dans les termes suivants :
« Art.
1er. Par modification au tarif des douanes, les droits d’importation sur les
fils étrangers, celui de mulquinerie excepté, sont fixés comme suit :
« N°1
à 30 écrus, 15 fr.
« N°1 à 30 blancs, teints ou tors, 18 fr.
« N°31
jusqu’au fil de milquinerie, écrus, 30 fr.
« N°31
jusqu’au fil de mulquinerie, blancs, teints ou tors, 35 fr.
« Le
fil de mulquinerie commencera au n°85. »
« Art.
2. La présente loi n’aura force obligatoire que pendant trois ans. »
M. le
président. - Voici une proposition faite par M. Mercier :
« Pour
le cas où la chambre établirait le droit d’après le poids et le numérotage des
fils, M. Mercier propose l’amendement suivant :
« N°20
métrique et au-dessus : fils de lin écrus : 30 fr. ; fils de lin blancs, teints
ou tors, 35 fr.
« N°15
métrique à 19 inclusivement : fils de lin écrus : 15 fr. ; fils de lin blancs,
teints ou tors, 18 fr.
« N°14
métrique et au-dessous : fils de lin écrus : 8 fr. ; fils de lin blancs, teints
ou tors, 12 fr.
« Le
fil de mulquinerie commencera au n°51 métrique. »
M.
Mercier. - Messieurs, je crois que nous ne devons pas
seulement adopter des mesures de protection en faveur de l’industrie du filage
; mais que les autres fabriques du pays ont aussi droit à notre sollicitude.
L’honorable M. de Nef vous a entretenus de la situation peu prospère des
fabriques de coutil de Turnhout. Nous ne devons pas perdre de vue non plus les
fabriques de toile de Zèle et de Lokeren. D’après les renseignements qui m’ont
été donnés, les fabriques de coutil de Turnhout emploient une certaine quantité
de fils des numéros anglais 30, 31 et 32. En confirmant le vote qui a été émis
dans la séance du 21, le droit sur cette espèce de fils serait de 30 et de 35
fr.
Je
voudrais, messieurs, qu’au lieu d’imposer les numéros 30, 31 et 32, l’on
commençât à percevoir le droit de 30 et de 35 francs à partir du n°33 ; la
différence jusque-là ne serait pas grande ; car il n’y aurait que les chiffres
30, 31 et 32 qui se trouveraient un peu ménages par suite de cette
modification.
La
seconde partie de l’amendement consisterait à ne frapper du droit de 15 et 18
fr. que les numéros anglais de 23 à 32 ; pour cette catégorie de fils la
proposition de la commission serait donc suivie, sauf seulement en ce qui
concerne les numéros 31 et 32.
La
troisième modification consiste à n’appliquer qu’un droit de 8 fr. aux fils qui
sont au-dessous du n° 22.
D’après un prix courant sur lequel j’ai basé mes
calculs, le droit pour le n°22 équivaut à 4 p. c. environ à la valeur, et
augmentera successivement à mesure qu’on descendra l’échelle des numéros.
C’est
à regret que je propose une catégorie de plus, parce qu’en réalité il
résulterait de cette complication de grandes difficultés d’exécution ; mais la
nécessité de venir au secours de fabriques assez importantes de notre pays m’a
engagé à présenter cet amendement.
Je
demande que cette proposition soit mise aux voix.
-
L’amendement est appuyé.
M. Mercier. - Messieurs, il me
reste à faire une observation : c’est qu’aux termes du décret de l’empereur du
14 décembre 1810, le kilogramme sert de base au numérotage. Ainsi, à moins de
faire une loi spéciale, il faut s’en tenir aux dispositions de ce décret.
M. de Jaegher.
- Messieurs, il est certain qu’il y a un certain nombre de membres (et je
n’hésite pas à dire que je suis de ce nombre) qui ne comprennent pas toute la
portée de l’amendement de M. Mercier. Je désirerais avoir une explication
ultérieure. Je n’ai pas compris les développements que l’honorable membre a
donnés ; il est placé si haut et il a parlé si bas que je n’ai pu saisir les
paroles qu’il a prononcées.
M.
Desmet. - Messieurs, le numérotage auquel a fait
allusion l’honorable M. Mercier, s’emploie pour le coton et non pas pour le
lin. Je ne conçois donc pas comment cet honorable membre veut établir un
rapport entre ces deux numérotages. Pour le lin les Anglais seuls ont un
numérotage, et celui-là diffère beaucoup avec le numérotage que les Anglais
emploient pour le coton. J’ai ici près de moi le tableau des rapports entre le
numérotage anglais et français, mais seulement pour le coton, et on ne pouvait
en faire parce que les Français n’ont pas encore établi de numérotage
particulier ; ils suivent comme les Allemands le système anglais.
M.
Mercier. - Messieurs, l’honorable M. Desmet prétend qu’il
n’y a pas de numérotage métrique pour le fil de lin dans notre pays. Je tiens
fort heureusement en main le décret de l’empereur qui établit le numérotage
métrique, et j’ajouterai que ce numérotage est usité pour les fils de lin dans
plusieurs parties de la Belgique.
Voici
comment sont conçus les deux premiers articles de ce décret qui est du 14
décembre 1810 :
« Art.
1er. A compter du 1er mars 1811 tous les entrepreneurs de filatures seront
tenus de former l’échevette des fils de coton, de lin, de chanvre ou de laine,
d’un fil de cent mètres de longueur, et de composer l’écheveau de dix de ces
échevettes, en sorte que la longueur totale du fil formant l’écheveau soit de
mille mètres.
«
Art. 2. A compter de la même époque, ces fils seront étiquetés d’un numéro
indicatif du nombre d’écheveaux nécessaire pour former le poids d’un
kilogramme. »
Le numérotage basé sur le nombre de mètres de
fil par kilogramme a été changé en France, depuis l’introduction des poids
usuels, et a été remplacé par le numérotage au demi-kilogramme. Nous ne pouvons
pas suivre cette nouvelle législation française, parce qu’elle n’est pas en
vigueur chez nous, et que nous en avons une autre, à moins d’abroger celle-ci
par une disposition spéciale, établissant un numérotage métrique qui serait
jugé préférable pour toutes les catégories de fil.
Dans
l’amendement que j’ai proposé, j’ai voulu que le numéro 33 anglais fût
seulement le commencement de l’échelle des fils soumis au droit de 30 fr., afin
que les fils numéros 31 et 32, employés dans la fabrication des coutils,
pussent n’être frappés que d’un droit de 15 fr. Quant aux fils numéro 22 et en
dessous, qui sont frappés d’un droit trop élevé et qu’on emploie également dans
la fabrication des coutils, je demande que le droit soit réduit à 8 fr. au lieu
de 15, afin que le droit soit de 4 p. c. sur le numéro 22 et qu’il descende
progressivement suivant l’échelle des numéros inférieurs. Voilà ce qui résulte
d’un prix courant sur lequel j’ai basé mes calculs.
M. Desmet.
- Voici le dernier arrêté pris quant aux numérotage français et anglais ; il
établit le numérotage métrique de la sorte que le numéro premier contient une
longueur de mille mètres dans un poids d’un demi-kilogramme ; et le numérotage
anglais, bien entendu pour le coton, est le nombre des écheveaux de chacun 840
yards de longueur, qui sont nécessaires pour faire une livre anglaise.
Il
est vrai que le premier arrêté parlait du lin et du chanvre, mais il n’a jamais
été mis en usage : depuis, les Anglais ont changé le numérotage du lin de
manière que la confrontation est impossible ; elle est insolite, puisqu’elle
n’a pas les mêmes bases.
Je
demande donc qu’on mette aux voix les amendements présentés par la commission
d’industrie. Si ces amendements sont rejetés, je demande subsidiairement que
l’amendement de M. Mercier soit renvoyé à la commission d’industrie ; car il
est nécessaire, il me semble, qu’on démontre que les calculs de rapports entre
les deux systèmes de numérotages ne sont pas exactement établis, et qu’ils ne
pouvaient pas l’être, puisque pour le lin il n’y a pas encore de numérotage
métrique établi ; jusqu’à ce jour, il n’y a que le numérotage anglais qui soit
connu pour les fils de lin.
M. de Jaegher. - Je ne puis
m’empêcher de faire une observation. De la manière dont nous procédons il est
possible que nous ayons chaque séance à voter le renvoi à la commission
d’industrie d’une nouvelle disposition. La discussion qui nous occupe est
tellement importante que la moindre disposition doit être pesée dans ses
conséquences, et comme personne ne peut connaître ces conséquences sans avoir
examiné par comparaison de produits, il devient indispensable de renvoyer tout
amendement à la commission d’industrie. Je crois cependant que la chambre en a
entendu assez sur cette question, et qu’elle peut donner la priorité du vote
aux amendements qui ont déjà été soumis à la commission d’industrie.
M.
Smits. - Je crois que le projet adopté au premier
vote doit, dans tous les cas, recevoir une modification. Les droits adoptés au
premier vote n’ont été calculés que sur les fils de lin, mais nullement sur les
fils d’étoupe ; or, il existe une différence très considérable entre la valeur
des fils de lin et la valeur des fils d’étoupe ; en voici quelques
exemples (successivement : valeur du fil d’étoupe - valeur du fil de lin)
:
N°
de 1 à 6 : 76 fr. - 130 à 150 fr.
N°12,
100 fr. - 203 fr.
N°14,
150 fr. - 230 fr.
N°30,
275 fr. - 400 fr.
Il faut donc de toute nécessité établir la
moyenne sur la valeur des fils d’étoupe, et sur la valeur des fils de lin. j’ai
cherché une combinaison favorable à cette fusion, et qui est nécessaire pour
donner suite à la décision de la chambre, et je suis arrivé à cette conclusion
qu’on obtiendrait le résultat désiré en fixant les droits comme suit sue les
fils de lin et d’étoupe réunis :
N°1
à 30 écrus, 12 fr. les 100 kil.
N°1
à 30 blancs, teints ou tors, 14 fr. les 100 kil.
N°31
et au-dessus écrus, 25 fr. les 100 kil.
N°31
et au-dessus blancs, teints et tors, 30 fr. les 100 kil.
M. Desmet.
- Quand nous avons soumis à la chambre une première catégorie, c’a été après
nous être mis d’accord avec les départements de l’intérieur et des finances
pour établir un droit de 5 p. c. Alors vous avez établi le droit à 15 francs et
à 30 fr. Qu’est-il arrivé ? On a dit qu’il ne s’agissait pas des étoupes, et on
a demandé qu’il n’y eût aucune différence dans le droit sur les fils de lin et
sur les fils d’étoupes.
Avec
les droits maintenant proposés, vous n’avez pas une protection de 5 p. c., vous
avez une protection de 3, de 4 et même de 1 p. c. seulement sur certains
numéros, tandis que, je le répète, avec le droit que la commission d’industrie
vous avait proposé, d’accord avec les départements de l’intérieur et des
finances, vous étiez assurés d’une protection de 5 p. c. en terme moyen.
Et,
messieurs, comme il est clair comme le jour que vous ne pouvez pas faire de
distinction entre les fils d’étoupe ni de lin, et comme elle est réellement
impossible, il faut absolument vous tenir à la première tarification ; alors
vous aurez moyennement une protection telle que la chambre l’a voulu de 5 p.
c., et, je le répète, si vous adoptez la nouvelle tarification présentée par
l’honorable M. Smits, votre moyenne ne sera pas 4 et même pas 3 pour cent.
M. de Jaegher. - Lorsqu’on nous a
demandé un droit de 10 p. c., cette première proposition n’a été rejetée qu’à
une très faible majorité. Du droit de 10 p. c. on est passé à celui de 5 p. c.
; la réduction était beaucoup trop forte. D’après la faible minorité qui s’est
prononcée pour le rejet du droit de 10 p. c., il est présumable qu’un chiffre
intermédiaire entre 10 et 5, s’il eût été soumis à la chambre, aurait été
adopté. Je fais cette observation parce que l’honorable M. Smits a dit que sa
proposition tendait à obtenir une moyenne. Il s’agit d’une moyenne de 5 p. c.,
c’est-à-dire que sur quelques espèces de fil le droit ne serait que de 2 ou 3
et moins encore ; entre cette proposition et l’intention qu’a manifestée la
chambre d’adopter un chiffre intermédiaire entre 10 et 5 p. c., il y a une
différence énorme que la chambre, je l’espère, ne franchira pas.
M.
Smits. - Quand
la chambre a décidé qu’il serait établi un droit de 5. p. c. au poids, elle a
entendu que l’on prendrait une moyenne sur tous les numéros.
La commission d’industrie a procédé de cette manière ; mais, comme je l’ai déjà
dit, elle n’a opéré que sur des échantillons et des valeurs de fils de lin. Il
s’agit maintenant de prendre la moyenne entre la valeur des fils de lin et la
valeur des fils d’étoupe. Pour avoir un droit de 5 p. c., il faut se dire :
« Sur les fils de lin un droit de 15 fr. les 100 kilog. revient à 5 p. c.
de sa valeur ; et sur les fils d’étoupe un droit de 9 fr. revient à la même
quotité. Or, ces deux droits réunis forment un total de 24, donc la moyenne est
de 1.2 »
C’est
là une opération équitable et mathématique que la chambre ne peut se refuser
d’adopter, à moins de vouloir prohiber les fils d’étoupe et de faire naître la
fraude pour un article qui, jusqu’ici, en a été exempt.
Messieurs,
je ne fais cette proposition que pour me conformer aux vœux de la majorité, et
en cela je crois montrer un esprit très conciliateur.
M. Angillis.
- Nous sommes tous d’accord sur ce qu’il y a de désagréable dans les renvois à
la commission d’industrie, cependant il est impossible de se rendre compte des amendements
proposés s’ils ne font pas l’objet d’un rapport soumis à la chambre ; je
demande donc que les amendements soient renvoyés à la commission d’industrie,
et que cette commission soit invitée à faire son rapport à l’ouverture de la
séance de demain, pour que la chambre puisse émettre un vote en connaissance de
cause.
M.
Zoude. - La commission d’industrie a déjà examiné la
proposition de M. Smits, et quand on a été aux voix, il y a eu partage par 3
voix contre 3. Il est probable que si vous prononcez le renvoi proposé par
l’honorable préopinant, il en sera de même encore, à moins qu’il ne vienne un
nouveau membre.
M.
Desmet. - Je veux expliquer à la chambre comment il y
a eu partage dans la commission d’industrie : les membres qui appuient la
nouvelle tarification présentée par l’honorable M. Smits établissent leur
calcul sur des numéros tellement bas et tellement petits en prix qu’ils peuvent
ainsi atteindre les 5 p. c. en terme moyen ; mais les autres membres qui la
repoussent démontrent que ces bas numéros et ces bas prix n’existent en réalité
dans le commerce que sous le numéro 10 ; il rentre dans le pays peu de fils, et
ces numéros qu’on fait valoir ne sont réellement qu’imaginaires ; j’ai près de
moi les prix courants de février dernier, et ils ne contiennent pas un numéro
en-dessous de 14. Qu’on consulte le commerce, on devra reconnaître que nous
avons raison.
-
La chambre, consultée, ordonne le renvoi des amendements à la commission
d’industrie,
La
séance est levée à 4 heures et un quart.