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Chambre des représentants de Belgique
Séance du mercredi 21 mars
1838
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre
2) Projet de loi modifiant les droits sur les
fils de lin (Zoude, de Nef, A. Rodenbach, d’Huart, Verdussen, de Nef, de Theux, d’Huart, de
Nef, Verdussen, d’Huart, A. Rodenbach, Rogier, d’Huart, Rogier, Verdussen, Desmet, d’Huart, Zoude, de
Nef, d’Huart, Zoude)
3) Projet de loi relatif au droit d’accises sur
le sel (Hye-Hoys, Donny, (+droits
différentiels) (de Foere, d’Huart),
Seron, (+droits différentiels) (de
Foere, de Theux), de Man
d’Attenrode)
(Moniteur belge n°81, du 22 mars 1838)
(Présidence
de M. Raikem.)
M.
B. Dubus procède à l’appel nominal à une heure.
M.
Kervyn lit le procès-verbal de la séance précédente ;
la rédaction en est adoptée.
M.
B. Dubus fait connaître l’objet des pièces adressées à
la chambre.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
« Des
habitants de la commune de Lamoutzée (Liége) adressent des observations sur la
question de réforme électorale. »
_________________
« Même
pétition des habitants de Toumaide. »
_________________
« Le sieur Larton, expert du cadastre,
adresse des observations sur le projet de loi relatif aux chemins vicinaux. »
_________________
« Des fabricants de toiles à carreaux de
Bruges adressent des observations contre le projet de loi relatif aux droits à
l’entrée des fils de lin. »
« Des
propriétaires, fermiers et marchands de lin des communes de Frasnes, Villers et
Liberchies (Hainaut), demandent que la chambre adopte les conclusions de la
commission d’industrie relativement aux lins. »
«
Des négociants, cultivateurs et marchands en lin, fil et toile d’Ypres, demandent
que ces objets soient imposés du même droit à l’entrée en Belgique que celui
qui les frappe dans les autres pays. »
_________________
« Des sauniers de Nieuport adressent des
observations sur le projet de loi concernant le sel. »
_________________
-
Les pétitions relatives aux droits sur le fil et au projet de loi sur le sel
seront déposées sur le bureau pendant la discussion concernant ces objets.
Les
autres pétitions sont renvoyées à la commission.
_________________
M. le
ministre des finances (M. d’Huart) adresse à la chambre
le compte spécial de toutes les opérations relatives la négociation des bons du
trésor pendant l’année 1837.
-
Pris pour notification.
_________________
(Erratum inséré au Moiteur belge n°83, du 24
mars 1838 :) M. Dubus (aîné) demande un congé de quelques jours.
-
Accordé.
PROJET DE LOI MODIFIANT LES DROITS SUR LES FILS DE LIN
M. Zoude monte à la tribune et
propose, au nom de la commission d’industrie, de fixer le droit sur le fil de
la manière suivante :
« N°1
à 30 simple et écru, 15 fr.
« N°1
à 30 blanc, teint ou tors, 18 fr.
« N°31
jusqu’au fil de mulquinerie, simple et écru, 30 fr.
« N°31
jusqu’au fil de mulquinerie, blanc, teint ou tors, 35 fr.
« Le
fil de mulquinerie commencera au n°85. »
M. de Nef.
- Avant que l’amendement, que j’ai eu l’honneur de proposer, soit mis aux voix,
je crois encore devoir ajouter quelques explications ultérieures, étant
persuadé que la chambre s’empresserait de l’adopter, si elle connaissait la
véritable situation des fabricants de coutils ; cette situation est telle, que
les fabricants les plus aisés ne gardent plus leurs tisserands que par pure
commisération, et que d’autres, dont les sacrifices étaient épuisés, n’ont pu
continuer qu’en obligeant leurs tisserands à recevoir la majeure partie de leur
salaire en denrées, étoffes et autres objets indispensables à la vie. Si
maintenant vous allez encore augmenter la somme des sacrifices, vous allez
faire renvoyer une quantité d’ouvriers qui tomberont dans la misère, tandis que
d’autres fabricants, se trouvant eux-mêmes dans la détresse, disputeront à leurs
ouvriers un morceau de pain, ou leur livreront des denrées de mauvaise qualité.
Vainement
dira-t-on que l’impôt est léger ; il n’y a pas d’impôt léger lorsque le
fabricant est déjà antérieurement réduit à se contenter d’un bénéfice à peine
égal à cet impôt.
Enfin,
quant aux prétendus inconvénients de l’exception que je réclame, ils n’existent
réellement pas, puisque, d’une part, l’exception est limitée à une espèce de
fil très fin, et il ne s’en fabrique presque pas dans l’intérieur du pays, et
que d’autre part, pour prévenir davantage l’abus qu’on en voudrait faire, j’ai
limité l’exception au seul bureau d’Henri-Chapelle.
M. A. Rodenbach. - Messieurs, je
suis très porté à croire ce que nous dit l’honorable député de Turnhout, que
l’industrie des coutils est dans la souffrance ; mais avec la meilleur volonté
du monde il me semble qu’il est impossible d’admettre l’amendement de
l’honorable membre, tel qu’il est rédigé ; pour être conséquent avec le système
qui a été adopté d’établir la tarification par numéros, il faudrait que
l’amendement indiquât aussi les numéros auxquels il s’appliquerait.
D’ailleurs,
je désirerais savoir si M. le ministre des finances peut consentir à
l’exception que l’honorable M. de Nef veut établir en faveur du bureau
d’Henri-Chapelle ; il me semble que ce serait là un appât immense pour la
fraude : on ferait alors entrer une masse de fils par le bureau privilégié, et
la loi que nous aurions faite ne servirait à rien.
M. le ministre des finances (M.
d’Huart). - Il nous est impossible, messieurs, de nous
rallier à l’amendement de l’honorable M. de Nef. qui établirait, en faveur
d’une frontière déterminée, une exception dangereuse ; nous devons repousser
cet amendement, non seulement par les motifs commerciaux qu’a indiqués
l’honorable M. Rodenbach, mais aussi par des motifs politiques. Toutefois, il y
aurait peut-être moyen de satisfaire à la demande de l’honorable député de
Turnhout ; ce serait d’établir une catégorie particulière pour les fils du
numéro 1 à 24 (car je crois que ce sont là les qualités dont se sert
l’industrie dont M. de Nef défend les intérêts), ce serait, dis-je, d’établir
une catégorie particulière pour ces espèces de fils et de les laisser entrer
moyennant un droit modéré. Du moment où l’honorable membre atteindrait le but
qu’il se propose, il lui serait, je pense, fort indifférent que ce fût par
l’amendement qu’il a présenté ou par tout autre moyen.
M.
Verdussen. - Hier, messieurs, vous avez décidé deux
choses : d’abord qu’on n’établirait que deux catégories, ensuite qu’on
prononcerait ultérieurement sur l’amendement de M. de Nef. Vous avez décidé en
outre que tout en établissant le droit au poids, vous vouliez atteindre le droit
moyen de 5 p. c. de la valeur pour les fils écrus, et de 6 p. c. pour les fils
blancs, teints ou tors ; il est important que nous ayons quelques explications
sur la valeur des fils que la commission d’industrie range dans l’une et dans
l’autre des deux catégories qu’elle nous propose d’établir ; sans cela nous ne
pourrions pas juger en connaissance de cause si le droit proposé équivaut bien
réellement à la moyenne fixée par la chambre. Si j’ai bien compris M. le
ministre des finances, il nous a dit que les fils que l’amendement de
l’honorable M. de Nef a pour objet sont en général du numéro 24, et que pour
satisfaire à la demande de l’honorable député de Turnhout, on pourrait faite
une catégorie particulière pour ces fils jusqu’au numéro 25 ; je me permettrai
de faire remarquer à M. le ministre des finances que le but qu’il atteindrait
par une semblable disposition serait précisément l’inverse de celui que veut
atteindre l’honorable M. de Nef : il est certain que si l’on établit un droit
au poids uniforme, équivalent à 5 p. c. de la valeur, sur les fils du numéro 1
à 30, le n° 15 environ paiera ces 5 p. c., mais le n°1 paiera jusqu’à 10 p. c.,
tandis que le n°30 ne paiera peut-être que 3 ; si maintenant les fils dont
parle l’honorable M. de Nef, se trouvent dans les n°20 à 30, le droit dont ils
seront frappés sera bien faible, et je crois par conséquent qu’il n’y a plus
lieu aujourd’hui à prendre en considération l’amendement de l’honorable député
de Turnhout. Nous voulons tous favoriser la fabrication des coutils ; mais je
ne pense pas qu’il entre dans les vues de la chambre d’exempter entièrement du
droit les fils dont elle fait usage, en établissant un tarif exceptionnel à
l’égard d’une nation voisine.
D’un autre côté, si nous voulons favoriser la
fabrication des coutils, je crois qu’il faudrait plutôt étendre les numéros de
la première catégorie au-delà de 30 ; alors nous y comprendrions nécessairement
les fils qui servent à la fabrication des coutils ; nous pourrions par exempte
former la première catégorie des n°1 à 35 ou 36 ; alors les fils dont il s’agit
y seraient certainement compris, et ne paieraient qu’un droit de 3 à 4 p. c.,
puisque, comme je l’ai fait remarquer en commençant, les numéros les plus
élevés de chaque catégorie ne paient, eu égard à leur valeur, que le tiers à
peu près de ce que paient les numéros inférieurs.
D’après
ces considérations je pense, messieurs, que dans l’intérêt de la fabrication
des coutils de Turnhout il ne faut point faire de catégorie spéciale pour les
fils qui viennent d’Allemagne, mais plutôt étendre la première catégorie
au-delà du n°30, st tant est, comme je le crois, que les fabricants de coutils
fassent usage de numéros plus élevés.
M. de Nef.
- Je demande la parole pour déclarer que je ne tiens pas au bureau
d’Henri-Chapelle. Si M. le ministre peut fixer d’autres bureaux, cela m’est
tout à fait indifférent.
Maintenant
je dirai que descendre jusqu’au n°24, ce n’est pas assez ; il faut descendre
davantage.
M. le ministre de l’intérieur et des affaires
étrangères (M. de Theux). - On est allé
jusqu’au n°30.
M. le ministre des finances (M.
d’Huart). - Messieurs, d’après les premières explications
de l’honorable M. de Nef, il est clair que c’est le gros fil qui est nécessaire
pour la fabrication du coutil de Turnhout ; or, s’il en est réellement ainsi,
je dis qu’en faisant une nouvelle catégorie et en y affectant un droit modéré,
on atteindrait le but que se propose l’honorable M. de Nef, sans accorder un
privilège à tel ou tel bureau. Si l’on établissait, par exemple, une catégorie
n°1 à 20, et si le fil dont parle M. de Nef se trouve dans cette catégorie, en
imposant ce fil d’un droit de 6 fr., par exemple, les 100 kil., le but que se
propose l’honorable M. de Nef serait atteint.
Il
faudrait donc s’entendre préalablement sur ce qui constitue le fil nécessaire à
la fabrication du coutil.
M. de
Nef. - J’ai l’honneur de faire observer à M. le
ministre que le fil qui mesure 1,462 mètres par hectogramme, est celui qui est
employé pour la qualité la pins inférieure. Pour le reste, je me rallie tout à
fait aux observations de M. le ministre.
M.
Verdussen. - M. le ministre aurait parfaitement raison,
si les qualités qui ont été désignées par l’honorable M. de Nef, étaient
véritablement les qualités communes du n°1 au n°12. Mais, messieurs, il n’en
est rien, du moins si je dois en croire ce qui a été dit hier, ce qui a été dit
aujourd’hui et ce qui a été dit dans l’amendement de M. de Nef.
L’honorable
membre a proposé cette disposition-ci :
« Le
fil écru et blanc, qui sera déclaré au bureau d’Henri-Chapelle et dont la
mesure sera de 1,462 mètres et au-dessus, par hectogramme, est exempt de droit
à l’entrée. »
Donc
le fil de 1,462 mètres par hectogramme est la qualité la plus commune employée
pour la fabrication des coutils dont a parlé M. de Nef, puisque, plus il y a de
longueur de fil dans un certain poids donné, plus aussi le fil est fin ; et M.
de Nef demande pour minimum 1,462 mètres à l’hectogramme. Quel est donc le
numéro qui représente 1,462 mètres-à l’hectogramme ? M. de Nef nous a dit que
c’est le numéro 24.
Or,
si c’est le n°24, ce numéro et donc le fil le plus commun qui serve à la
fabrication du coutil. Il faut donc, puisque M. de Nef demande 1,432 mètres et
au-dessus ; il faut donc, dis-je, partir du n°24, pour aller jusqu’au n°32, 34,
36, enfin, jusqu’au numéro qu’il est possible d’employer dans la fabrication
des coutils de Turnhout.
Ainsi, ou bien l’explication de M. de Nef est
erronée, ou bien M. le ministre des finances a versé dans une erreur, en
croyant que ce sont les fils du n°1 au n°12 qui servent à la fabrication des
coutils, tandis que l’honorable M. de Nef qui est l’auteur de l’amendement nous
assure que le n°24 est le fil le plus gros qui puisse servir à cette
fabrication.
J’ai
donc eu raison de dire que lorsque le fil qui est l’objet de l’exception que
propose l’honorable M. de Nef, se trouvera au haut de l’échelle d’une certaine
catégorie, il ne supportera qu’un droit assez faible, qui ne sera peut-être que
de 3 à 4 p. c. à la valeur, tandis que s’il était placé dans une catégorie
spéciale et au bas de l’échelle, il se trouverait alors frappé d’un droit très
fort qui pourrait aller jusqu’à 10 p. c.
M. le ministre des finances (M.
d’Huart). - Sauf erreur de calcul, le fil mesurant 1,462
mètres à l’hectogramme se trouverait très rapproché du n°15, parce que le n°30
a, je crois, environ 3,000 mètres par hectogramme ; donc le n°15 serait très
rapproché du fil dont vient de parler l’honorable M. de Nef ; mais M. Verdussen
vient de faire remarquer que ce fil pourrait se trouver entre les n°15 et 30. J’avais
compris, d’après les explications qui avaient été d’abord données, que c’était
le fil grossier qu’on emploie dans la fabrication du coutil, et qu’il n’allait
jamais au-delà du n°20 que j’ai cité tout à l’heure. Mais si réellement le fil
qui sert à cette fabrication va du n°15 au n°30, le droit ne sera guère que de
4 p. c. à peu près sur le fil employé à la fabrication du coutil.
Dans
cet état d’incertitude, je pense qu’il y a lieu de faire de la disposition de
M. de Nef l’objet d’un examen spécial ; que l’on passe maintenant au vote des
autres dispositions, sauf à revenir postérieurement à cet amendement lorsque
nous serons plus éclairés.
M.
A. Rodenbach. - Messieurs, je pense aussi qu’il y a lieu
d’ajourner l’amendement ; il est impossible de voter ; nous n’avons aucuns
renseignements.
M.
Rogier. - Messieurs, si la chambre est disposée à
aller aux voix, je demanderai sur quoi on veut voter.
Des
membres. - Sur le chiffre de 15 francs.
M. Rogier. - Cette partie de
la disposition est claire ; mais il règne beaucoup d’obscurité pour le n°1 à
30. Qu’est-ce que le n°1 à 30 ? Est-ce le numéro anglais ? (Oui !) Alors le numéro s’appliquera-t-il
aux fils allemands ? Par quels procédés appliquera-t-on les numéros anglais aux
numéros allemands ?
En
second lieu, la chambre est également dans une grande incertitude sur la valeur
des fils attribués à chaque numéro ; il n’a été fourni aucune espèce de
document à cet égard. L’on varie sur les qualités à protéger par un tarif
modéré, ou à protéger par une élévation de droit ; l’on varie encore sur les
prix.
Je
dis donc que la discussion est sans base certaine. Je ne pense pas qu’on puisse
aller aux voix, si l’on veut savoir sur quoi l’on veut voter.
M. le
ministre des finances (M. d’Huart). - Messieurs, vous
remarquerez que l’embarras qui se manifeste dans la discussion provient de ce
que l’on a admis le système au poids au lieu de celui à la valeur. Nous avions
prévu cet embarras ; mais maintenant que le système au poids est adopté, il
faut tâcher de le mettre en application.
L’honorable
M. Rogier demande quel est le numéro qui est indiqué dans les deux catégories ;
c’est le numéro anglais, comme l’a dit M. le rapporteur de la commission.
L’honorable M. Rogier demande encore comment on assimilera les fils allemands
aux fils anglais. A cet égard, je présenterai un amendement d’où résultera que tout
fil mesurant tant... sur un poids de… sera assimilé au n°30 anglais. Mais ceci
ne change pas du tout la base du calcul. Il s’agit de savoir si, par le droit
de 15 fr. pour le n°1 à 30 anglais, nous admettrons aussi approximativement que
possible la moyenne de 5 p. c. admise hier.
Or,
je crois qu’il sera assez facile de le prouver en indiquant les bases sur
lesquelles a opéré la commission, et on verra ainsi qu’elle ne propose pas un
droit moyen supérieur à 5 p. c.
Les
chiffres sur lesquels on a opéré sont les suivants :
Le
n°12 anglais vaut 203 fr. 15 c. les 100 kil. Au taux de 12 fr. par 100 kil., le
droit serait de 6 p. c., et au taux de 15 fr., il équivaut à 7 1/2 p. c.
Le
n°18 vaut 269 fr. 4 c. les 100 kil. Au taux de 15 fr., le droit sera de 5 9/16
p. c.
Pour le n°25 qui vaut 344 fr. 33 c. les 100
kil., ce droit sera de 5 1/16 p. c.
Et
pour le n°30 qui vaut 400 fr., le droit sera de 4 1/16 p. c.
Si
vous prenez la moyenne des droits sur ces 4 numéros réunis, vous trouvez le
taux moyen de 5 p. c. adopté par la chambre.
Quant
aux fils blanchis, teints ou tors, on suppose qu’ils ont un sixième de valeur
de plus, et on vous propose le droit en conséquence.
M. le
président. - Je vais mettre aux voix les propositions de
la commission.
M. Rogier.
- Je demande s’il sera fait une réserve pour le fil servant à la fabrication du
coutil. Il avait été entendu qu’on ferait une exception pour ce fil. D’après
les informations que j’ai reçues des fabricants de coutil, le droit proposé les
frapperait de 8 à 9 p. c. M. le ministre des finances dit 7 1/2. En admettant
ce chiffre, c’est, ce me semble, une aggravation énorme dans les conditions de
leur fabrication. Il en est de même pour plusieurs autres industries qui méritent
les mêmes égards que l’industrie des coutils.
Hier
il avait été convenu que le droit serait très modéré ; on avait parlé du droit
de 5 p. c., non comme minimum, mais comme moyenne, et voilà qu’on frappe d’un
droit de 7 1/2 p. c. les fils étrangers qui s’emploient avec les fils belges.
Je le répète, d’après mes renseignements, il résultera des propositions qui
vous sont faites une aggravation de 7 à 8 p. c. pour ces industries.
Ce
ne peut être l’intention du gouvernement et de la chambre car la chambre a
entendu établir un droit très faible.
M.
Verdussen. - M. le ministre des finances a donné 4
chiffres. Si je ne me suis pas trompé en les recueillant, on a forcé beaucoup
les 5 p. c. ; car, sur les quatre n°12, 18, 25 et 30, la moyenné des droits est
de 5 5/8 p. c., au lieu de 5 p. c.
En
effet, sur le n°12, vous a dit M. le ministre, le droit est de 7 1/2, soit 7
8/16 p. c. ; sur le n°18, il est de 5 9/16 p. c. ; sur le n°25, de 5 1/16 p. c.
; et enfin, sur le n°30, de 4 7/16 p. c.
Si vous faites l’addition de ces quatre chiffres
et que vous divisiez la somme par 4, vous trouvez pour moyenne les 5 10/16 p.
c. que j’ai annoncés il y a un moment.
La
résolution de la chambre a été d’établir un droit moyen de 5 p. c. et non de 5 1/2
à 5 3/4 p. c. Il faudrait donc réduire le chiffre de 2 fr. et établir le droit
de 13 et 16 fr. par 100 kil. au lieu de 15 et 18.
Dans
ces considérations, je ne me suis appuyé que sur les renseignements qui nous
sont donnés par les auteurs de la proposition, et je n’ai pas eu le loisir de
vérifier tous les calculs qui ont été présentés.
M. Desmet. - Ce sont les
chiffres proposés par M. le ministre des finances et M. Smits. Ceux de la
commission étaient plus élevés. Elle s’est ralliée aux propositions du
gouvernement.
M. le
ministre des finances (M. d’Huart). - On ne peut pas
arriver, à un centime près, au chiffre adopté par la chambre comme moyenne du
droit. On a préféré le système au poids à celui à la valeur : il faut en
admettre les conséquences assez incertaines.
Je
crois toutefois avec la commission que le droit moyen de 15 fr. par 100 kil. se
rapproche le plus du chiffre de 5 p. c. adopté par la chambre.
M. Zoude. - J’ai avec moi un
échantillon de fils que le droit que nous proposons ne frapperait que de 2 1/4
p. c. de la valeur. (Aux voix ! aux voix
!)
Les
propositions de la commission sont mises aux voix et adoptées.
M. le
président. - Si M. de Nef persiste dans son amendement,
je vais le mettre aux voix.
M. de
Nef. - Je persiste dans mon amendement. On
désignera un autre bureau si l’on veut, mais il est indispensable d’admettre
une exception pour les fils qu’emploient des fabriques qui travaillent depuis
longtemps sans bénéfice aucun, et qui seraient tuées par le droit qu’on vient
d’adopter.
M. le
président. - Cet amendement est ainsi conçu :
« Le fil écru et blanc, qui sera déclaré au
bureau d’Henri-Chapelle et dont la mesure sera de 1,462 mètres et au-dessus,
par hectogramme, est exempt de droit à l’entrée.
-
Cet amendement n’est pas adopté.
M. le
président. - Ce qui concerne les étoupes a été ajourné.
Des
amendements ayant été adoptés, le second vote sera remis à vendredi.
M. le
ministre des finances (M. d’Huart). - Dans le cours de
la discussion relative à l’importation des fils, il a été dit que la mesure
proposée ne serait pas très efficace pour les fileurs, attendu qu’il allait
s’établir en Belgique des filature à la mécanique, et que le résultat de la loi
pourrait n’être en réalité que de faire payer aux tisserands, inutilement et
même contrairement aux intérêts du pays, le droit que nous allons établir
actuellement. Cela est tellement vrai que si ces établissements avaient pu
produire maintenant le fil nécessaire à nos tisserands, on n’aurait pas voulu
augmenter les droits existants, attendu que c’eût été donner à ces nouveaux
établissements une prime à payer par les tisserands.
Dans une semblable position ne serait-il pas
prudent de rendre la loi temporaire et d’en limiter la durée à 3 années ? Il
est certain que d’ici là il sera établi des filatures à la mécanique, puisque
des sociétés sont constituées et qu’on construit déjà les bâtiments. Du reste,
si, après cet espace de temps, il n’existait pas suffisamment de ces
établissements, ou si on reconnaissait qu’ils ont besoin de protection, on
pourrait proroger la loi ; tandis que si on la rendait permanente, nous serions
peut-être trop engagés et nos tisserands pourraient subir longtemps le droit
que nous établirions actuellement. Je vais donc présenter un amendement pour
donner à la loi une durée de trois ans.
M.
Zoude. - La commission d’industrie qui a été
consultée se rallie à la proposition de M. le ministre des finances.
-
La disposition additionnelle proposée par M. le ministre des finances et ainsi
conçue : « La présente loi n’aura de force obligatoire que pendant 3
ans, » est mise aux voix et adoptée.
Discussion générale
M. le
président. - La discussion est ouverte sur l’ensemble du projet
présenté par le gouvernement.
M.
Hye-Hoys. - Messieurs, soigner les intérêts du trésor et
réprimer une fraude nuisible à l’industrie, tels sont les motifs qui ont
inspiré le rapport du projet de loi sur le sel qui nous est soumis aujourd’hui
; mais nous voyons ici se reproduire ce que nous avons vu à différentes
reprises dans les lois d’industrie, une marche timide dans certaines parties,
et un excès d’embarras dans d’autres parties de la loi ; ce qui prouve que,
dans les matières de commerce, le gouvernement n’est jamais suffisamment
instruit ni fourni de renseignements suffisants. La production et le commerce
de quelque produit que ce soit est une chose à laquelle cependant on ne peut
toucher sans les plus grands ménagements, sans soulever une foule de questions
ou blesser une multitude d’intérêts divers.
Depuis
sept ans, tous les ministres des finances se sont successivement occupés de la
question du sel ; il est temps enfin, messieurs, que l’on aborde sérieusement
la question pour sortir de ce provisoire, qui est on ne peut plus nuisible pour
l’industrie, et qui semble aussi accuser l’incurie de la chambre.
Vous
savez, messieurs, qu’en modifiant les lois qui établissent tel ou tel impôt,
les réclamations qui nous sont adressées de toutes parts sont tellement
nombreuses et contradictoires qu’il faut beaucoup d’habileté pour découvrir la
vérité dans des observations dictées pour la plupart par un esprit étroit de
localité ; nous sommes heureusement mieux placés aujourd’hui pour bien
apprécier la question du sel ; ce n’est pas que nous n’ayons aussi entendu des
prétentions exagérées se faire jour jusque dans cette enceinte, et que ces
prétentions n’aient employé tout l’artifice imaginable, pour faire impression
sur nous. Nous voyons en effet dans le rapport de l’honorable M. Zoude que deux
villes, Bruges et Louvain, pour exagérer leur importance comme ville
d’importation de sel, accusent de 20 à 22 millions de kilogrammes de sel brut
importés directement, c’est-à-dire une quantité équivalente à l’importation
totale du pays ; je suis loin d’attaquer notre honorable collègue M. Zoude et
de prétendre qu’il se fait le défenseur de prétentions exagérées et ridicules ;
je suis des premiers à rendre hommage à son zèle et à ses connaissances ; mais
il m’est permis d’attaquer des chiffres de l’exactitude desquels il ne peut pas
répondre, qu’il ne peut nous donner que parce qu’on les lui a transmis comme
tels, mais dont pour certaines localités, j’ai été à même de faire le contrôle.
Il aura d’ailleurs déjà été remarqué par vous, messieurs, que cette importation
de certaines villes est un double emploi, qu’elle est accusée aussi par les
villes d’Anvers et d’Ostende, et qu’elle appartient en réalité à ces deux
villes, qui seules reçoivent des importations directes de sel brut. Cette
observation pourra, d’ailleurs, être confirmée par les renseignements de
l’administration, et, pour ma part, je puis affirmer, d’après les
renseignements que j’ai pris chez des personnes dignes de foi, que depuis la
fermeture du canal de Terneuze, il ne s’est fait à Gand aucune importation
directe, bien que l’honorable M. Zoude dise dans son rapport qu’il s’y importe
5 millions de sel directement. A cet exemple j’aurai pu en ajouter d’autres ;
mais celui-ci suffit pour vous prouver que les renseignements qu’a obtenus
notre honorable rapporteur ne sont pas tous d’une grand exactitude, et qu’ils
exagèrent le mal que nous connaissons et que nous sommes appelés à faire
disparaître.
Notre
discussion de la loi sur le sel pourra, ce me semble, ne prendre que peu de
temps, car les amendements à apporter à la loi existante ne sont pas très
nombreux, et l’utilité en est généralement reconnue.
La
question du sel, après les travaux faits par les commissions et les ministres
depuis notre révolution, est, pour ceux qui se sont occupés de cette matière,
dégagée de toutes ces entraves et de ces embarras qui dans d’autres
circonstances nous ont si souvent divisés en nous faisant adopter des systèmes
contradictoires.
La
libre circulation du sel raffiné et le maintien du crédit permanent que le
projet fait disparaître, voilà deux points capitaux à introduire dans la loi et
sur lesquels je crois que nous nous réunirons tous. D’abord, qui ne croit que
les entraves apportées aujourd’hui à la libre circulation du sel raffiné soit
extrêmement onéreuses et sans avantage pour le gouvernement ? Voyez en effet le
laissez-passer que doivent se procurer ceux qui transportent le sel ; lisez ces
indications de jour, d’heure de départ, des lieux de passage et d’arrivée ;
voyez comme tout est contre le commerce, comme tout est prévu sauf ce qui peut
lui être avantageux, pas même la force majeure ; et dites-moi à qui cela
profite ?
Le
crédit permanent n’est pas un privilège, il permet seulement des approvisionnements
dont la consommation profitera, et l’absence de ce crédit peut entraîner dans
certaines circonstances une disette, et procurer en 2 ou 3 jours un
renchérissement considérable, très préjudiciable à tout le monde comme, cela
s’est vu en 1814 à l’entrée des alliés, sous l’empire d’une loi qui n’accordait
pas le crédit permanent aux négociants en gros ; mais accorder le crédit à
terme au petit fabricant, c’est admettre une mesure souvent défavorable au
trésor et au débitant lui-même : nous savons en effet que les impôts payés par
petites quantités se paient plus facilement et plus régulièrement, et que si
nous imposons le crédit à terme au débitant de sel, on éprouvera souvent
beaucoup de peine, souvent même il faudra recourir à des mesures extrêmes pour
obtenir ce qu’ils doivent légalement au trésor. On doit donc, dans l’intérêt de
tous, accorder ainsi le crédit permanent au petit fabricant, le gouvernement
n’y perdra jamais rien, puisqu’il sera toujours à couvert par une caution pour
sa créance.
D’après
les données officielles, nous voyons que la consommation moyenne du sel en
Belgique s’élève à 10 kil. au moins par tête ; cette quantité, d’après ce que
j’ai pu apprendre, et d’après ce qui se passe en Prusse, en France et en
Angleterre, est d’une acquisition assez facile.
Cependant
depuis longtemps j’ai entendu dire que les habitants des provinces wallonnes se
récriaient contre le haut prix du sel ; il me semble donc qu’en portant le
droit à 12 fr. net par 100 kil., nous concilierons et les besoins des
consommateurs et les intérêts généraux du trésor ; car cette réduction de 5 fr.
71 c. pourra éminemment favoriser notre exportation vers la Prusse et la
France.
Les
droits du trésor ne sont bien défendus et garantis, le producteur honnête n’est
encouragé et protégé par la loi, que lorsque celle-ci prévient ces abus et ces
gains illicites qui découragent la probité ; il vous a été dénoncé par le
gouvernement une fraude qu’il est de notre devoir de prévenir, et qui, malgré
les réclamations de plusieurs villes de l’intérieur, se pratiquera toujours sur
la même échelle, tant que les lieux d’introduction pour le sel brut seront
aussi nombreux qu’ils le sont aujourd’hui ; peut-être certaines villes de
l’intérieur seront-elles momentanément un peu froissées par la réduction des
lieux de déchargement que nous devons consacrer dans la nouvelle loi ; mais
quelle est la loi, quelque vicieuse qu’elle soit par elle-même, qui ne rattache
des intérêts à son existence, et doit-on, par un respect outré pour ces
intérêts, continuer à en blesser tous les jours de plus grands ? C’est cette
considération qui doit aujourd’hui nous guider. Avec les nombreux ports de
déchargement pour le sel, nous voyons une fraude scandaleuse ; et qu’on n’en
accuse pas l’administration des accises et la connivence ou la corruption de
ses agents ; il faut connaître nos provinces coupés d’une infinité de canaux
abordables de tous côtés, pour savoir qu’il est impossible de prévenir le
déchargement frauduleux du sel dans l’espace qui sépare un port d’un autre, à
moins d’échelonner une armée de douaniers sur toutes les rives, ce qui
équivaudrait à faire absorber l’impôt du sel par ceux qui seraient chargés d’en
assurer la rentrée ; il est donc urgent que nous restreignions l’introduction
directe du sel brut aux deux ports d’Ostende et d’Anvers. Il sera plus facile
au gouvernement d’avoir dans ces deux localités un petit nombre d’agents
fidèles, et de prévenir toute fraude, et le commerce s’en applaudira lui-même.
Que perdront à cette mesure les villes de Gand, de Bruxelles, de Louvain et de
Bruges ? Les bénéfices résultant d’un emmagasinage ? Mais si, comme je crois
pouvoir le prédire, la réduction de l’impôt sur le sel brut en augmente
l’importation, la fabrication et l’exportation du sel raffiné, les villes qui
se plaignent aujourd’hui de devoir perdre le droit d’importation directe,
auront reçu un ample dédommagement, et le commerce en général y aura gagné
partout.
Messieurs, je crois que les améliorations que je
viens d’indiquer sommairement devront être apportées à notre législation
actuelle sur le sel, et je pense que nous aurons ainsi, sur cette matière, une
loi qui répondra aux besoins du trésor et du commerce ; je me propose de
démontrer ultérieurement la nécessité de ces mesures quand nous en seront
arrivés aux articles.
M.
Donny. - Je voterai le principe fondamental de la
loi, c’est-à-dire la disposition qui prescrit de constater la quantité du sel
brut importé en Belgique, dans un des deux premiers ports belges où doivent
arriver les navires qui en sont chargés. Toutefois comme cette disposition
semble avantager plus ou moins la ville qui m’a fait l’honneur de m’envoyer à
la chambre, je laisserai à M. le ministre des finances et à l’honorable
rapporteur de la section centrale le soin de de défendre le principe, s’il est
attaqué ; et je suis persuadé que dans cette tâche les arguments ne leur
manqueront pas. Je craindrais, si j’agissais différemment, que les arguments
favorables au projet ne perdissent leur importance en passant par ma bouche, en
raison du désir que vous me prêteriez d’augmenter le bien-être de la ville
d’Ostende.
Je
me bornerai donc à énoncer simplement que l’adoption du principe fondamental de
la loi est peut-être le seul moyen efficace d’arrêter cette fraude énorme, sur
l’existence de laquelle tout le monde semble aujourd’hui d’accord.
Si
j’admets le principe fondamental de la loi, je n’admettrai pas avec autant de
facilité quelques-unes des autres dispositions que le projet renferme ; et, par
exemple, je repousserai bien certainement la proposition de mettre un impôt sur
l’eau de mer ; cette proposition est injuste, et d’ailleurs elle n’est fondée
sur aucun motif que puisse accueillir un homme raisonnable ; cela est injuste,
parce qu’elle tend à priver les sauniers des provinces maritimes d’un avantage
qu’ils tiennent de leur position naturelle, la facilité d’employer de l’eau de
mer ; tandis que les sauniers de l’intérieur du royaume restent en pleine
possession d’un autre avantage local, celui de payer le combustible à un prix
bien moins élevé que les sauniers des provinces maritimes. Il y a aujourd’hui
compensation entre ces avantages de position ; rompre cet équilibre serait une
véritable injustice.
Je
dis que cette proposition n’est d’ailleurs fondée sur aucun motif raisonnable ;
car je ne puis accepter comme tel le prétexte d’empêcher la fraude qui se
commet au moyeu du transport de l’eau de mer. Des bâtiments chargés d’eau de
mer s’approcheraient, dit-on, des bâtiments chargés de sel ; ceux-ci
déverseraient une partie de leur cargaison dans l’eau de mer dont les autres
sont chargés, et ces derniers importeraient, en franchise des droits, le sel
dissous dans leur cargaison d’eau. Si le but qu’on veut atteindre est
l’empêchement d’une fraude de ce genre, il est certain qu’on ne l’atteindra pas
en établissant un impôt sur l’eau de mer ; en imposant l’eau de mer, vous ne la
rendrez pas impropre à dissoudre le sel, à servir de véhicule et de masque à la
fraude. Tout ce que vous ferez, ce sera de diminuer, et de bien peu de chose
encore, le bénéfice du fraudeur ; quant à la fraude, vous ne l’empêcherez pas.
Il n’y a qu’un seul moyen de l’arrêter, si elle se commet, et ce moyen vous est
proposé par le projet, c’est de prohiber à l’entrée tout eau saumâtre
lorsqu’elle dépasserait en densité une certaine limite fixée par la loi.
Il
y a dans le projet quelques dispositions réglementaires sur lesquelles la
chambre de commerce d’Ostende a cru devoir appeler votre attention. Ces
dispositions déterminent d’une manière extrêmement détaillée les conditions et
formalités qu’il faudra remplir pour jouir de l’exemption accordée à la pêche
nationale. La chambre de commerce d’Ostende pense que ces détails doivent
disparaître du projet, et qu’il convient de les remplacer par une disposition
unique, qui accorderait au gouvernement l’autorisation de réglementer cette
matière de la manière qu’il jugerait convenable ; je pense que sur ce point la
chambre de commerce d’Ostende a parfaitement raison.
En
thèse générale, l’industrie est progressive de sa nature ; elle change ses
procédés assez souvent d’une manière très lente, mais parfois aussi d’une
manière extrêmement rapide, tandis que la loi est essentiellement stable et
stationnaire. Quand on veut faire marcher de front la loi et l’industrie, au
bout d’un temps plus ou moins long il arrive de deux choses l’une : ou la loi
devient une barrière qui arrête les progrès de l’industrie, où l’industrie
trouve le moyen de tourner la loi, qui, dès lors, manque son but et permet à
l’industrie de se livrer à tous les écarts que l’intérêt lui commande. Il est
beaucoup plus convenable de laisser au gouvernement le soin de suivre
l’industrie dans sa marche. Il peut, d’un côté, lui tendre une main protectrice
pour encourager ses développements, et, d’un autre côté, prendre les mesures
nécessaires pour empêcher que les progrès ne deviennent eux-mêmes une nouvelle
source d’abus.
Si
ces réflexions sont justes en thèse générale, elles le sont à plus fortes
raison quand on les applique à la pêche.
Il
est un second motif pour lequel j’appuie les observations de la chambre de
commerce d’Ostende : c’est que le gouvernement est bien plus à même que la
législature de s’éclairer sur les mesures qu’il conviendrait de prendre pour
assurer les droits du trésor sans nuire à la pêche nationale. Par exemple, le
gouvernement pourrait (c’est ce que demande la chambre de commerce d’Ostende)
nommer une commission mixte composée de quelques chefs d’administration et de quelques
armateurs, et la charger d’examiner quelles seraient les dispositions
réglementaires à établir, dans l’intérêt commun du trésor et de la pêche
nationale. Certes, le moindre bien qui pourrait résulter des conférences d’une
semblable commission serait d’empêcher qu’à l’avenir on insérât dans les lois
sur la matière des dispositions dont le ridicule saute à tous les yeux.
Un
troisième motif, et c’est le dernier, me porte à appuyer les observations de
cette chambre de commerce ; c’est que les dispositions réglementaires qui se
trouvent dans le projet font absolument double emploi avec d’autres
dispositions plus générales qui s’y trouvent déjà.
D’après le projet l’on ne pourra jouir de
l’exemption accordée à la pêche qu’après avoir obtenu préalablement une autorisation
du gouvernement ; et le gouvernement aura le pouvoir de révoquer cette
autorisation ; mais si le gouvernement est libre d’accorder ou de refuser
l’autorisation nécessaire ; si, après l’avoir accordée, il peut encore la
révoquer, quel besoin a-t-il, je vous le demande, de faire insérer dans la loi
des conditions et des formalités qu’il peut prescrire par un arrêté ?
Messieurs,
je vois encore dans le projet quelques autres dispositions que je ne suis pas
disposé à voter ; je n’en entretiendrai pas la chambre en ce moment ; je me
réserve d’y revenir lorsqu’on en sera arrivé à la discussion des articles.
M.
de Foere. - Les principes d’administration générale sur lesquels
le projet, actuellement devant nos yeux, est basé, fournissent une nouvelle
preuve éclatante que les hommes qui sont au pouvoir ne savent ni tirer de leurs
propres actes les immenses avantages qui pourraient en résulter pour le
commerce et pour l’industrie, ni combiner les besoins du trésor avec les
exigences impérieuses du commerce et de l’industrie, ni reconnaître le droit
sacré de la possession immémoriale pour laquelle, d’après les avis puissants
des gouvernements antérieurs et éclairés du pays, la Belgique a fait des
sacrifices énormes.
Sans
sortir du projet de loi en discussion, je tâcherai de prouver que le ministère
actuel est purement fiscal, et que, presque par chaque projet de loi tant soi
peu important qu’il nous présente, tantôt il entrave, tantôt il détruit le
commerce, et, par une conséquence inévitable, l’industrie du pays. Je n’ai pas
besoin de vous dire qu’un ministère de pure fiscalité est un des plus
pernicieux de tous les ministères, surtout pour un pays comme le nôtre, qui, en
raison de l’exubérance de son industrie et de sa population, a besoin de
commerce extérieur. Cette vérité ne sera contestée par aucun membre de la
chambre.
Pour
arriver au but que je me suis proposé, je commencerai par établir, à l’égard
d’une première question ressortissant du projet de loi, trois faits qui ont été
posés par le ministère même et qu’il ne pourra pas nier.
Le
projet de loi sur le sel, présenté par l’administration actuelle, ne contient
aucune disposition tendante à assujettir le sel, importé du Levant par navires
nationaux, à des droits inférieurs à ceux proposés sur le sel importés de
l’Angleterre et aussi par navires nationaux. Premier fait.
Cette
même administration a demandé, depuis, 200,000 fr. pour établir une mission à
Constantinople. La majorité de la chambre les lui a accordés. Deuxième fait.
Le
ministère a spécialement motivé la demande de ce crédit de 200,000 fr. par le
besoin de donner, dans le Levant, un appui et une plus grande extension à notre
commerce. Troisième fait.
Avant
de tirer des conséquences claires et positives de ces faits, j’ai besoin
d’établir à leur côté quelques propositions dont l’évidence est comprise par
chaque membre de la chambre pour peu qu’il connaisse la conduite des affaires
commerciales.
Notre
commerce régulier avec Constantinople et avec les échelles du Levant et, par
suite, l’exportation suivie des produits de notre industrie, ne sont possibles
qu’au moyen de la navigation. Ce n’est pas par terre qu’on arrive dans ces
contrées avec des produits industriels.
La
navigation du pays ne peut, sous peine de se dévouer à une ruine certaine,
s’établir régulièrement avec le Levant ni exporter nos produits dans ces
parages, sans pouvoir s’assurer d’avance des cargaisons de retour.
L’importation
du sel venant de la Méditerranée ne peut, à cause de la longueur du voyage, et
par conséquent, à cause du fret plus élevé, se soutenir contre l’importation de
ce minéral venant de l’Angleterre.
Cette
importation pourrait se soutenir ; le chargement de retour serait assuré à nos
navires ; notre commerce et notre navigation pourraient ouvrir, dans le Levant,
des débouchés réguliers et suivis à plusieurs produits de notre industrie, si
une réduction de droits sur le sel, importé de la Méditerranée, était proposée
et admise, réduction suffisante pour compenser le fret plus élevé des navires
venant de ces parages.
A
cette condition, notre commerce et l’importation de nos produits industriels
pourraient se soutenir dans les échelles du Levant une mission diplomatique.
Sans cette condition, tous les ambassadeurs du monde ne pourraient faire faire
un seul pas à notre commerce dans le Levant. On ne fait pas le commerce avec de
la diplomatie ; il faut des éléments de commerce ; il faut des échanges, et par
conséquent des affaires ; hors de là, il y a impossibilité absolue.
Pour
ne pas faire perdre inutilement à la chambre un temps précieux, je n’ai pas
cherché à prouver ces faits et ces assertions. Leur évidence est palpable pour
les esprits même les plus romantiques en affaires commerciales. Je me bornerai
donc à proposer à la chambre quelques questions comme conséquences directes qui
résultent de ces faits et de ces assertions.
Si
l’administration actuelle avait la moindre intelligence des affaires
commerciales, ne se serait-elle pas empressée de présenter dans son projet de
loi un droit sur le sel venant de la Méditerranée inférieur à celui demandé sur
le sel importé de l’Angleterre ?
Si
cette administration était capable de combiner, dans l’intérêt du pays, ses
propres actes, sa mission dans le Levant avec son projet sur le sel,
n’aurait-elle pas proposé elle-même une réduction de droits sur le sel importé
de ces parages ?
Si
elle avait été capable de comprendre l’impossibilité absolue du commerce
régulier avec le Levant, sans changer son système de navigation, aurait-elle
osé venir appuyer dans la chambre sa mission à Constantinople et dans les
contrées environnantes sur le besoin de développer notre commerce dans ces
parages ?
Attendu
que sans navigation régulière le commerce est impossible et, par suite,
l’exportation des produits de notre industrie dans toute l’étendue qu’elle
comporte, les 200,000 fr. demandés pour la mission dans le Levant ne sont-ils
pas jetés comme pâture à un luxe effréné de diplomatie, sans qu’il puisse en
résulter aucun avantage commercial et réel pour le pays ?
Si
les hommes qui sont actuellement au pouvoir comprenaient toute la puissance
qu’exerce la navigation sur le développement du commerce, et, par une
conséquence naturelle, sur l’exportation des produits de notre industrie ;
s’ils savaient seulement que la navigation est la condition impérieuse de tout
commerce régulier et de toute exportation suivie, n’auraient-ils pas proposé,
depuis longtemps, eux-mêmes un système protecteur de navigation nouvelle, ou du
moins, eu égard à l’insuffisance de notre navigation et aux intérêts de la
consommation, un changement partiel sur quelques articles d’importation ?
Non,
messieurs, vous le savez. Cette modification sur un seul article a été repoussée
par le ministère, au point de n’en pas même permettre la discussion.
Messieurs,
pour vous faire bien comprendre que le ministère est fiscal, et uniquement
fiscal dans ses lois, je vous citerai quelques-unes de celles qu’il nous a
présentées. Vous verrez, en effet, en toutes en me bornant à celles qui ont
quelque importance, que toutes sont empreintes du même caractère de fiscalité
exclusif, et que dans aucune les dispositions fiscales n’y sont combinées avec
les besoins impérieux du commerce et de l’industrie.
Vous
vous rappelez que le projet de loi sur les sucres, proposé par le gouvernement,
était entièrement fiscal, et que sans la chambre de commerce d’Anvers, qui
seule près des ministres a le privilège d’être entendue, ce projet serait resté
exclusivement fiscal. Un autre projet entièrement fiscal, dernièrement proposé
par les ministres, est celui concernant le café ; cependant cette loi offrait
au pays une occasion extrêmement favorable pour avantager notre navigation,
l’agent moteur, l’âme du commerce et de l’exportation des produits du commerce
du pays.
La
loi sur les céréales n’est pas le fait du ministère actuel. Elle avait pour but
de concilier les intérêts des fermiers et des propriétaires avec ceux des
consommateurs. Depuis qu’elle a été adoptée, nous avons exporté urne quantité
considérable de farines : je crois qu’on peut porter cette quantité, pour
l’année 1837 seule, au-delà de vingt mille barils.
On
a fait aussi depuis des efforts immenses pour importer de la France et des
Etats-Unis une industrie que nous n’avons pas, j’entends les établissements
mécaniques pour réduire les grains en farine. Cet article est, à côté de
quelques autres, un des éléments d’exportation les plus propres à la navigation
lointaine. Eh bien, cette nouvelle industrie et notre navigation de long cours
exigent impérieusement qu’il soit porté une modification à cette loi. Afin de
pouvoir soutenir avantageusement la lutte avec les exportations étrangères de
farines, afin de pouvoir les fournir dans les colonies à des prix au moins
égaux, il faudrait qu’il fût permis que les grains étrangers pussent entrer
sans droits, non pour la consommation intérieure, mais pour leur réexportation
après avoir été convertis en farine. Le ministère abandonne ces efforts
commerciaux et industriels à eux-mêmes, et il reste muet devant la loi.
Il est encore d’autres projets par lesquels le
ministère a prouvé que son seul génie d’administration était exclusivement
fiscal ; mais je pense qu’il est inutile que je multiplie davantage les exemples
; ceux que j’ai allégués suffisent pour démontrer que les projets de loi les
plus importants qu’il ait proposés dans l’intérêt du trésor, sont empreints
d’un caractère exclusif de fiscalité sans qu’il ait pu les combiner avec les
intérêts du commerce et de l’industrie.
(M.
de Foere se dit fatigué. Il prendra une deuxième fois la parole dans la
discussion générale pour développer la proposition qu’il a annoncée au
commencement de son discours.)
M. le
ministre des finances (M. d’Huart). - Messieurs, dès
l’entrée de M. l’abbé de Foere au sein de la législature belge, il vous a donné
la preuve incontestable de sa haute capacité ; vous vous rappellerez qu’en
effet, lorsqu’il s’est agi de formuler la constitution, ce fut à M. l’abbé de
Foere que nous avons dû la brillante conception d’une cour d’équité qui devait
se charger de juger le chef de l’Etat. Dans cette circonstance, il est vrai,
les idées de M. de Force ne prévalurent point ; mais sans doute il est resté
convaincu que le congrès était ignorant, puisqu’il a rejeté cette proposition
si réfléchie.
Depuis
l’époque que je viens de rappeler, M. l’abbé de Foere vous avait plus toutefois
présenté de motion transcendante, ne vous avait plus rien suggéré de si bon, de
si extraordinaire ; mais depuis quelque temps, à raison de la position nouvelle
et toute particulière de l’orateur, à raison des connaissances pratiques qu’il
a nécessairement acquises dans cette position, il a découvert la nécessité de
droits différentiels de navigation. Comprenant, toujours à raison de cette même
position particulière, toute la portée de ces droits différentiels, il a décidé
dans sa sagesse que ceux qui ne s’empressaient pas d’adopter cette nouvelle
idée étaient des ignorants, des ineptes ; mais comme il y a eu 48 membres de la
chambre qui ont partagé l’opinion des ministres, favorable à l’ajournement de
la discussion des droits différentiels, nous savons qu’il se trouve 48 ineptes
dans cette assemblée, et nous nous résignons à subir avec eux la terrible
réprobation de M. de Foere.
Il
y a eu à la vérité 25 membres qui ont voté dans cette occasion avec l’orateur ;
mais qu’il ne s’y trompe pas, plusieurs d’entre eux n’ont voulu par là se
prononcer sur les droits différentiels, et n’avaient d’autre but que d’entendre
encore quelques discours ; il faut donc réduire d’une manière assez notable ce
chiffre de 25 qui, selon l’orateur, représente sans doute exclusivement le
nombre des hommes non ineptes qui siègent ici. Quoi qu’il en soit, nous avons
subi le jugement du préopinant, et nous l’acceptons, car à quoi tend-il ? A
nous retirer la confiance de M. de Foere dont nous nous passerons aisément.
Mais
que vient d’ajouter aujourd’hui M.de Foere à ses premières accusations ? Que le
ministère, à propos d’une loi sur le sel, était fiscal ! Je voudrais bien
connaître l’impôt quelconque qui ne fût pas fiscal. Est-ce que le préopinant ne
veut plus de droit sur le sel ? Aussi longtemps qu’il faudra un droit sur le
sel, il y aura de la fiscalité dans la loi. Voudrait-il que l’on réduisît les
droits ? Serait-ce là ce qu’il n’appellerait plus de la fiscalité ? Mais la
diminution des impôts doit être accompagnée d’une condition essentielle, c’est
d’avoir d’autres moyens de couvrir les dépenses. Or, si nous ne maintenions à présent
les impôts à leur hauteur, nous ne parviendrions pas à mettre nos recettes au
niveau de nos dépenses indispensables.
Les
accusations de fiscalité sont donc vides de sens.
Dans
la séance où le préopinant a commencé ses attaques contre le ministère, et à
laquelle n’assistait pour le gouvernement que le ministre de la guerre, il est
venu représenter la Belgique comme étant réduite à la misère, comme n’ayant en
perspective que le sort de la nation la plus malheureuse du monde, et il a
attribué cette situation aux ministres ; mais les faits témoignent trop haut
pour qu’il soit besoin de répondre à de semblables allégations.
L’orateur
a parlé aussi des revenus de l’Etat, qui selon lui tombent à rien, et à
l’entendre il semblerait que les rentrées effectives de 1837 auraient été de
beaucoup inférieures aux ressources prévues du trésor, et cependant tout le
monde sait que l’exercice 1837 a procuré, selon les mêmes bases d’impôt, des
revenus énormes, dépassant les prévisions.
Et
pourtant, depuis 1830, les revenus avaient été en s’augmentant d’année en année
; progression qui démontre à la fois la prospérité et suffisamment la bonne
administration du pays. Toutes les déclamations de M. l’abbé de Foere ne
reposent donc sur rien. Et je m’étonne vraiment qu’il ose revenir encore
aujourd’hui sur ses accusations touchant les droits différentiels, qu’il ose en
parler après les nouvelles politiques rendues publiques depuis sa dernière
sortie ! Comment n’a-t-il pas réfléchi sur la position où la Belgique se trouve
maintenant ! Mais il faudrait mettre en accusation les ministres s’ils avaient,
eux, sans réflexion et sans ménagement, adopté les droits différentiels, s’ils
n’avaient, comme leur antagoniste, tenu aucun compte des considérations de
bienveillance internationale à l’égard de ceux qui peuvent étayer les droits de
la Belgique de leur puissante influence.
En vérité, messieurs, je crois qu’il eût été
inutile de répondre à des accusations grossières d’ineptie et d’incapacité,
quand l’orateur qui les a lancées n’a pu s’appuyer d’aucune espèce de faits
pour les alléguer. J’eusse peut-être dû, messieurs, opposer le silence le plus
absolu à des attaques semblables, et, dans tous les cas, ce qui s’est déjà
manifesté dans cette enceinte lorsque M. l’abbé de Foere a fait sa première
sortie, dédommage au centuple le ministère des injures qui lui ont été
adressées si singulièrement.
Je
n’aborderai pas en ce moment les différents points qui ont été touchés par deux
honorables orateurs, en ce qui concerne la loi sur le sel. J’attendrai que la
discussion générale ait continué encore quelque temps.
M. Seron.
- Messieurs, si je me sentais quelque disposition à admettre, quant au fond, le
projet soumis à votre examen, j’opinerais avec le ministère pour la libre circulation
du sel brut et du sel raffiné ; j’opinerais avec la section centrale pour la
diminution du droit d’accise sur le sel, et je demanderais que l’eau de mer en
fût entièrement affranchie, malgré les propositions contraires de cette section
et du gouvernement. Dans la même hypothèse, je voudrais qu’un article
exprès de la loi contraignît les marchands de sel à le livrer au poids, car
l’art des raffineurs est parvenu à le rendre si léger qu’aujourd’hui le pauvre
peuple, qui l’achète à la mesure, n’a rien pour son argent. Je tâcherais aussi
de supprimer comme trop dure la peine de la prison établie contre les
fraudeurs, et comme peu équitable l’exclusion donnée notamment au port de
Bruxelles. Enfin, je ferai mes efforts pour obtenir, s’il était possible, une
loi moins compliquée, plus concise, plus claire et plus méthodique.
Mais
je ne veux pas de l’impôt, et, dès lors, je n’ai pas à m’occuper des moyens de
le rendre plus supportable ; j’ai seulement à déduire les motifs qui me portent
à le rejeter ; je le ferai en peu de mots.
Quand
en France le tiers-état, esclave des prêtres et des nobles, allait en sabots
toute l’année, réduit, comme il le disait lui-même, à travailler six jours de
la semaine pour le roi, alors il était tout simple qu’aux droits féodaux et aux
corvées de toute espèce dont l’accablait le régime des privilèges et des abus,
se joignît l’impôt créé par Philippe de Valois et dont lui vint le nom de roi
de la loi salique. Mais cette odieuse gabelle est intolérable dans un Etat
libre et bien ordonné ; elle cessa d’être perçue dès les premiers jours de la
révolution de 1789. Il fallut que la réaction de l’an II, les nombreuses
violations des lois constitutionnelles et le machiavélisme de Bonaparte eussent
tué l’esprit public pour que, dix-sept ans plus tard, ce grand partisan des
vieilles institutions osât la rétablir et la substituer aux droits de
barrières. Les hautes puissances alliées la supprimèrent ici en 1814, aux
applaudissements des grands et des petits, des riches et des pauvres ; et lorsque
le gouvernement hollandais la fit revivre, ce fut avec la promesse formelle de
ne pas en prolonger l’existence au-delà de l’époque où la taxe des routes
serait remise en vigueur.
Qu’à
cet égard l’auteur de la loi-mouture ait manqué à sa parole, nous ne devons pas
nous en étonner ; c’était une conséquence de ses principes fiscaux. Mais que la
gabelle du sel ait pu survivre à la révolution de 1830, que le congrès ne l’ait
pas supprimée à toujours, et qu’aujourd’hui il soit sérieusement question de la
perpétuer par une nouvelle loi, c’est assurément ce que personne n’aurait
prévu, quand vous chassiez d’ici le roi Guillaume et ses faiseurs, en
promettant au peuple la réforme de tous les abus. En effet, messieurs, le sel
n’est pas plus imposable que le pain ; c’est une denrée de première nécessité
consommée en immense quantité par les classes indigentes, que c’est l’unique
assaisonnement de leur nourriture. Les impôts dont on le grève, plus
impopulaires que l’abattage, au lieu de prendre l’argent où il est, pèsent
principalement sur la misère. Plus la famille du pauvre est nombreuse, plus il
consomme de sel. Ainsi, sa part contributive augmente avec son dénuement ; et
cette part contributive est pour lui exorbitante, puisque, de l’aveu des
sauniers de la Flandre et du Brabant, elle fait le quadruple de la valeur de la
matière imposée. C’est pourtant une maxime fondamentale en fait de charges
publiques que chacun doit les supporter proportionnellement à ses facultés, ses
forces. La taxe du sel choque donc le bon sens et la justice.
Vainement
on viendra me dire qu’elle s’acquitte sans que le consommateur s’en aperçoive ;
car, soit que durant un exercice on lui enlève 20 fr. au moyen d’une
contribution directe versée par douzième ou par mois, soit que dans le même
laps de temps on prélève sur sa consommation une somme égale divisée en un
beaucoup plus grand nombre de paiements, le résultat pour lui sera toujours le
même à la fin de l’année ; l’argent sorti de sa poche, il ne l’aura plus.
Je
dois l’avouer ici, messieurs, mes assertions sont peu d’accord avec les
principes et les idées d’un saunier dont la pétition a cela de remarquable,
qu’on y trouve l’éloge de l’accise contre laquelle je m’élève. Les gouvernants
ont pu la regarder comme un mal nécessaire ; mais, suivant lui, « le sel
vaut mieux comme matière imposable que des articles de luxe qui donnent
seulement des recettes fortuites et subordonnées à la volonté du
consommateur. » M. Appelius n’aurait pas mieux parlé. Il ajoute :
« On ne doit pas craindre que le droit de 16 fr. par 100 kilog. soit trop
onéreux pour la masse ; car, en admettant la consommation annuelle à 6 kilog.
et demi par habitant, chaque consommateur paie à l’Etat 2 centimes 21 centièmes
de centime seulement par semaine. Mais ses calculs pour établir la consommation
sont loin d’être clairs. Pour trouver la vérité, il ne faudrait pas les fondre
comme il fait, sur les produits de l’impôt, il faudrait leur donner pour base
la consommation effective ; autrement il est impossible d’apprécier ce que paie
le contribuable, car les droits fraudés ne lui profitent pas à lui s’ils
profitent au saunier. Enfin notre économiste nous dit : « Le pauvre
supporte la moindre part de cet impôt ; le riche n’employant pas seulement le
sel par nécessité, mais encore comme un objet de luxe, et ce qui le prouve
c’est la consommation plus forte, proportion gardée dans les villes que dans
les campagnes. » Mais il perd de vue que, proportion gardée, les villes
renferment bien plus de pauvres que les communes rurales ; il perd de vue aussi
que les communes rurales ont l’habitude de s’approvisionner dans les villes ;
en sorte qu’on pourrait expliquer par ces deux circonstances cette différence
dans la consommation, par lui supposée, en admettant qu’elle existe.
Je
sais, au reste, messieurs, que malgré notre grande économie, nous avons besoin
de beaucoup d’argent ; je sais aussi que l’accise du sel figure pour la somme
de 3 millions 700 mille francs, non compris le timbre des expéditions, au
budget des voies et moyens de 1838, et je ne prétends pas l’en retrancher dès à
présent. Mais il dépend de vous de ne pas la faire reparaître au budget de 1839
et d’y substituer des droits plus raisonnables, plus humains et plus justes.
Pour moi, je crois toujours que vous devriez remettre en vigueur le droit de 2
fr. établi par la loi du 22 frimaire an VII, sur toutes les ventes mobilières
indistinctement, et que, pour quelques-unes, la loi du 31 mai 18324 a mal à
propos réduit à 50 centimes p. c. Je l’ai déjà dit : qu’après le décès d’un pauvre
diable, il faille vendre ses haillons pour acquitter les dettes qu’il a léguées
à ses pauvres enfants mineurs ; qu’un autre pauvre diable soit exécuté dans ses
meubles, dans ces deux cas, le droit de 2 p. c. est perçu ; pourquoi faut-il
qu’en même temps, et par l’effet d’une législation bizarre et partiale, les
marchandises neuves vendues à l’encan, les récoltes sur pied, les taillis des
communes, la futaie du riche s’il vend ses taillis à main ferme, ne supportent
qu’un droit de 50 c. par 100 fr. ? N’est-ce pas là une inégalité choquante, un
privilège en matière d’imposition contraire au vœu formel de l’article 112 de
votre charte ? D’un autre côté, quel inconvénient y aurait-il à imposer le thé,
à augmenter le droit sur le genièvre à la fabrication, à doubler le droit sur
le sucre, à tripler le droit sur le café récemment voté par la chambre ? On a
dit : « Le café est la boisson du peuple. » Quelle boisson ! Quand on
réunira tous les chimistes de l’Europe pour analyser mille balles de moka, leur
science ne parviendrait jamais à en extraire une once de substance nutritive.
Mais d’ailleurs la boisson des masses, ce n’est pas le café, c’est la chicorée
de Bruges conjointement avec l’eau-de-vie indigène. Les véritables
consommateurs de café appartiennent à la classe des gens aisés ; ils peuvent
sans difficulté payer l’impôt. Enfin, messieurs, si avec les ressources que
j’indique l’argent manquait encore, je m’adresserais aux terriens plutôt qu’aux
malheureux prolétaires.
Quand le peuple en 1830 combattait et répandait
son sang dans le parc, c’était pour améliorer sa condition, ce n’était pas pour
maintenir dans toutes ses parties un système d’impôts absurde et que
désapprouvait la nation entière. Voilà, messieurs, les réflexions que je
voulais soumettre à votre philanthropie et qui me feront voter dans le sens que
j’ai dit.
M.
de Foere. - Je m’étais attendu, messieurs, à voir le
ministère entrer dans le fond de la question comme il convient à la dignité de
tout ministre. Il a préféré me répondre par de misérables récriminations, par
des personnalités auxquelles je dédaigne de répondre. Il en est une cependant
que je relèverai. Le ministre des finances a répété plusieurs fois que le
discours que j’ai prononcé tenait à ma position particulière. Messieurs, je
repousse une accusation semblable ; je n’ai d’autre position que celle d’un
membre de la chambre parfaitement indépendant.
Je
n’ai en vue dans toute ma conduite parlementaire que le seul intérêt de mon pays
; si je me suis enfin déterminé à attaquer ouvertement le système commercial
que suit le ministère, et que je crois contraire aux intérêts du pays, c’est
qu’il n’a pas voulu qu’on lui administre les preuves de son pernicieux système.
Il est venu étouffer la discussion.
J’aurais
dit que son projet est fiscal, et il demande si un projet de loi concernant un
impôt sur le sel ne devait pas l’être nécessairement. Je n’ai pas accusé le
projet d’être fiscal ; j’ai dit qu’il était exclusivement fiscal ; que, sans
nuire aux intérêts du trésor, il n’est pas combiné de manière à favoriser la
navigation, le commerce et l’exportation des produits de note industrie ; j’ai
dit qu’il fallait frapper plus faiblement le sel venant de la Méditerranée que
celui qui vient de l’Angleterre ; que cette disposition aurait eu pour effet la
possibilité d’établir un commerce régulier avec l’Orient et de ne pas rendre
notre mission à Constantinople, pour laquelle on est venu nous demander des
fonds considérables il y a quelques jours, complétement inutile sous le rapport
commercial.
Vous
êtes dédommagés, dit-on, par la confiance de la chambre, par l’effet que mon
discours aurait, selon vous, produit dans cette enceinte. Prenez-y garde ; vous
abusez de la confiance de la chambre. Vous savez mieux que moi comment les
majorités parlementaires se composent ; mais vous ne savez peut-être pas assez
comment elles se décomposent ; c’est à amener cette dissolution que je
consacrerai désormais tous mes efforts, si vous ne changez pas votre ligne de
conduite en ce qui concerne les affaires commerciales.
J’aurais
dit que la Belgique est réduite à la misère ; que nous sommes la nation la plus
misérable de l’Europe ; je vous le demande,
messieurs, y a-t-il une seule partie de mon discours qui soit le
synonyme de cette assertion, ou même dont on puisse tirer une semblable
conséquence ? La seule partie qui puisse avoir donné lieu à la fausse
accusation du ministre est celle où j’ai dit qu’avant peu d’années, si le
système commercial du ministère n’est pas modifié, nos industries, qui ont pris
depuis quelques années un si bel élan, se verront refoulées au-delà de leur
point de départ. Est-ce là, je le demande, dire que la Belgique est
actuellement réduite à la misère, que nous sommes la nation la plus misérable
de l’Europe ?
Le
ministre des finances me reproche d’avoir demandé les droits différentiels dans
un moment où la Belgique peut avoir besoin de l’appui de ses alliés ; je lui
ferai remarquer que c’est jeudi dernier que j’ai prononcé mon discours, et que
les nouvelles auxquelles il fait allusion n’étaient alors pas encore connues.
C’est évidemment un anachronisme. Quoi qu’il en soit de cette nouvelle
position, je ne recule pas devant la demande que j’ai faite de l’établissement
de droits différentiels, car j’ai la conviction intime qu’une semblable mesure,
appliquée au seul article café, ne pourrait en aucune manière mécontenter les
puissances, puisque, comme je l’ai déjà dit, cet article est en dehors des
traités de réciprocité de la France et de l’Angleterre. Nos navires ni aucun
autre navire étranger ne peuvent importer une seule livre de café, soit en
Angleterre, soit en France, malgré leurs traités de réciprocité navale.
Les
produits de l’Afrique, de l’Asie et de l’Amérique ne peuvent être importés en
Angleterre que par navires anglais. Il y a prohibition dans les termes de la
loi anglaise. En France, l’article café est prohibé à l’importation, non par
les termes de la loi, mais par des droits différentiels qui équivalent à la
prohibition.
Serait-ce
la Hollande, par hasard, que le ministère craindrait de mécontenter ? Il est,
en effet, connu par tous les négociants du pays que la Hollande importe chez
nous plus que la moitié des besoins de notre consommation en café.
Quand
on ne sait pas discuter le fond des questions, quand on ne répond à ses
adversaires que par de misérables récriminations, je le demande, messieurs,
est-on bien en droit d’en appeler à la confiance de la chambre ? N’est-ce pas
évidemment abuser de cette confiance ? Vous évitez continuellement de vous
placer sur le terrain d’une question qui intéresse au plus haut degré la
prospérité du pays. Vous refusez d’accepter la lutte quand elle vous est
offerte. Mais vous avez par devers vous, dites-vous, des motifs secrets ;
n’est-ce pas encore abuser de la confiance de la chambre, alors qu’il
s’agissait seulement de la discussion de cette question et non de son
application comme conséquence inévitable ?
Vous
repoussiez dans la séance de jeudi dernier le droit différentiel sur le seul
article café, parce que c’était, selon vous, un « système nouveau. »
En admettant une semblable assertion, vous justifiez vous-même le reproche que
vous ne connaissez pas, non seulement les législations étrangères sur l’espèce
mais même notre propre législation.
Il
existe en Belgique un système général d’après lequel les navires étrangers
paient pour les marchandises qu’ils importent 10 p. c. de plus sur les droits de douane. A côté de ce système général, il existe trois
articles spéciaux pour lesquels le droit différentiel est majoré en faveur de
la navigation nationale : ce sont les articles sel, sucre et foulards. Je le
demande, messieurs, est-ce introduire un système nouveau que d’ajouter un seul
article, l’article café, à trois autres déjà existant dans notre législation ?
Je désire, messieurs, dans l’intérêt du pays (et non pas à cause de ma position
particulière, car je n’ai, je le répète, d’autre position que d’être
complétement indépendant de toute espèce d’intérêt autre que celui de mon
pays), je désirerais, dis-je, que le ministère acceptât la discussion sur les
droits différentiels et qu’il ne la repoussât pas continuellement par des fins
de non-recevoir, d’une futilité évidente. Tout le commerce, toutes les
industries du pays demandent que la question soit au moins examinée. Il est
d’autant plus urgent qu’elle soit éclaircie par la chambre que les droits
différentiels sont le moteur de notre navigation, de notre commerce et de
l’exportation de notre industrie. Le pays doit savoir à quoi s’en tenir à l’égard
de cette immense question. Nous produisons plus que nous ne consommons ; il
nous faut des exportations à tout prix. Il nous faut en conséquence des moyens
qui ne sont que dans notre navigation et dans les mesures protectrices à
prendre pour étendre cette navigation. J’ai dit.
M. le ministre de l’intérieur et des affaires
étrangères (M. de Theux). - Messieurs, des
modifications à la loi actuelle sur le sel ont été réclamées depuis un grand
nombre d’années, du temps même du congrès national.
Ces
modifications étaient demandées dans un double intérêt : l’intérêt financier
d’abord, pour réprimer la fraude, et en second lieu, l’intérêt de l’industrie
indigène, en facilitant la libre circulation.
M.
le ministre des finances vous a proposé un projet de loi, par lequel il espère
atteindre le double but désiré.
A
cette occasion, l’on ressuscite la question des droits différentiels. Vous
savez, messieurs, qu’il existe déjà un droit différentiel considérable sur
l’importation du sel ; mais l’on vient vous proposer maintenant des droits
différentiels, à raison du pays de provenance, ou au moins, si l’on n’en a pas
fait la proposition formelle, l’on a établi la discussion sur ce point.
Pour
nous, nous croyons que les mêmes motifs qui ont déterminé la chambre à ne pas
discuter actuellement la question des nouveaux droits différentiels proposés
sur le café, à raison des pays de provenance ; nous croyons, dis-je, que ces
motifs doivent engager l’assemblée à ne pas discuter en ce moment les droits
différentiels, à raison des pays de provenance, en ce qui concerne le sel.
L’on
est cependant encore revenu à ce qui s’est passé à l’occasion du projet de loi
sur le café ! Mais qu’on ne s’y trompe pas : si alors nous avons demandé
l’ajournement de la discussion, ce n’est pas que nous n’eussions pas étudié à
fond la question ; ce n’est pas que nous n’eussions une connaissance complète
de notre législation et de la législation étrangère, ainsi que des traités qui
règlent cette matière entre les différents pays ; mais nous avons cru qu’il
était intempestif, qu’il était contraire aux intérêts des négociations
ouvertes, de rien changer à notre législation, de discuter même la question
avant que nous sussions à quoi nous en tenir sur les résultats de ces
négociations.
Nous
ne chercherons pas à justifier le gouvernement ni la chambre, quant à la
décision qui a été prise. Nous ferons seulement remarquer que les inculpations
du préopinant s’adressent à tous les hommes politiques qui ont occupé le
ministère depuis que la Belgique s’est constituée en nation indépendante.
Pour
nous, messieurs, nous avons cependant fait un pas vers la solution de cette
grave question, et nous n’avons pas reculé devant les difficultés qu’elle
pouvait présenter dans l’avenir. Nous n’avons pas hésité à ouvrir des
négociations avec différents pays ; et je le répète encore, nous avons la
persuasion que ces négociations amèneront des résultats satisfaisants. S’il en
est ainsi, nous aurons obtenir la justification la plus éclatante que nous
puissions espérer.
Quoi
qu’il en soit, messieurs, il n’y a pas de péril en la demeure ; ce que n’aurait
pas été discuté dans le cours de cette session, pourrait, au besoin, se
représenter dans une autre session, et alors nous ne craindrions nullement
d’aborder la question à fond et dans tous ses détails.
La
force et l’indépendance d’un pays ne consistent pas seulement à faire tout ce
qui lui plaît, mais consistent encore et surtout à faire ce qui est
véritablement utile au pays. Or, messieurs, il est certain que ce n’est pas en
cherchant à établir une législation prohibitive, exceptionnelle, en écartant
des négociations amicales avec les pays voisins, que l’on consolide la
nationalité. Il faut sans doute garantir les intérêts du pays, et sur ce point j’espère
que nous ne serons jamais en défaut ; mais il faut encore mettre ces intérêts
en rapport avec ceux d’autres pays ; il faut pour la prospérité de la Belgique
que les autres nations aient un intérêt commun à la conservation de la libre
navigation de l’Escaut ; il faut créer des relations d’amitié fondées non
seulement sur l’intérêt politique, mais encore sur l’intérêt commercial.
Le
préopinant s’est plaint de ce qu’on n’ait pas encore modifié la législation sur
l’importation des grains étrangers, à l’effet de faciliter le commerce de
farine. Le gouvernement, messieurs, n’a pas tardé jusqu’ici de s’occuper de
cette question. Un projet de loi est soumis à l’avis des chambres de commerce
et des commissions d’agriculture. Lorsque les avis seront rentrés, nous
espérons pouvoir vous saisir d’une proposition satisfaisante sur cet objet.
Le même orateur a de nouveau critiqué la mission
d’Orient ; la reconnaissance de la Belgique par la Porte est un fait dont nous
pouvons nous prévaloir ; nous ne sachons pas qu’il fût dans l’intérêt de notre
commerce de ne pas chercher à étendre nos relations politiques avec d’autres
pays. Nous avons toujours cru, et en cela nous avons imité l’exemple des
nations les plus florissantes ; nous avons cru, dis-je, qu’il fallait, par tous
les moyens possibles, nouer des relations politiques et commerciales. Tel est
le but de la mission de Constantinople.
Le
préopinant a cru que nous pouvions savoir de quelle manière se formaient les
majorités dans les chambres, mais que nous ignorions peut-être de quelle
manière elles se dissolvaient. Je terminerai par cette seule réflexion : M. de
Foere ne sera pas le dissolvant de la majorité actuelle.
M. de Man d’Attenrode.
- Messieurs, depuis quelques années nous avons entendu répéter souvent : Il
faut une nouvelle loi sur le sel ; quand discutera-t-on sur le sel ? Mais à
peine cette loi tant désirée eut-elle vu le jour, mais à peine la section
centrale y eut-elle donné son avis favorable, que des requêtes nombreuses,
ayant pour organes les conseils municipaux de nos villes importantes, des
chambres de commerce, sont venus nous représenter la loi nouvelle comme
nuisible au commerce, insignifiante sous le rapport du prix de revient au
consommateur, ne remplissant nullement le but qu’on se propose.
J’ai
cherché à me rendre compte des motifs sérieux qui ont amené le nouveau projet
de loi, je les ai cherchés d’abord dans l’exposé des motifs du gouvernement, et
je n’en ai trouvé aucun : il semble n’avoir formulé et présenté son nouveau
projet que pour céder aux instances de quelques honorables collègues. Mais
voici, si je ne me trompe, L’origine de la loi nouvelle qu’on nous propose. Il
y eut à l’époque de 1830 réaction contre le système spoliateur du fisc
hollandais ; ces motifs sont assez connus ; après l’expulsion de l’étranger, on
voulut remédier aux abus en chargeant une commission de la révision du système
d’impôt, et elle fut installée en 1831.
L’impôt
sur le sel fit l’objet de ses investigations ; elle formula un système nouveau,
et le gouvernement présenta une nouvelle loi en 1832 : la dissolution des
chambres en 1833 ajourna l’examen de ce travail. C’est donc la juste réaction
de 1830 qui est l’origine de la nouvelle loi sur le sel ; mais notre
gouvernement national ayant mis dans l’exécution des lois d’impôts, que nous
ont léguées les Hollandais, des formes moins fiscales et plus paternelles, les
plaintes ont cessé, et la patrie en a profité pour faire face aux grandes
dépenses que nous avons eu à faire pour soutenir notre indépendance. Je pense
donc que les motifs qui sont à l’origine de la loi qui nous occupe, ont cessé
d’exister.
Le
gouvernement ne m’ayant pas donné des raisons sérieuses pour modifier la loi en
vigueur, je les ai cherchées dans l’exposé de la section centrale ; d’après
elle ce serait en premier lieu le vœu du pays, exprimé par des membres de la
législature ; ce seraient les plaintes des sauniers contre les entraves à la
libre circulation, ce serait la fraude qui se commet aux dépens du trésor et du
commerce.
Quant
au vœu du pays, je puis vous assurer que ma position, qui me met en contact
avec toutes les classes de la société, m’a mis à même de savoir que mes
commettants n’expriment pas de vœu semblable. Il est vrai que les sauniers,
dans des localités qui me sont étrangères, sollicitent des modifications à la
loi, et réclament contre les formalités auxquelles leur débit est astreint.
Mais la question est de savoir si ces formalités ne sont pas indispensables
pour traiter d’un objet imposé à quatre fois sa valeur, afin de préserver le
trésor et les sauniers eux-mêmes d’une fraude ruineuse.
Le
motif fondé sur la fraude, qui s’exercerait sous le régime actuel, me semble
tout aussi hasardé.
D’après
l’exposé de la section centrale, il est présumé que la fraude est considérable
parce qu’après avoir établi assez légèrement en Belgique la moyenne de la
consommation du sel, à 10 kilog. par tête, l’impôt ne représentait qu’une
consommation de 5 kilog. par tête, ou de 2 millions pour le royaume, tandis que
les seules villes de Louvain et de Bruges auraient établi dans leurs mémoires
que les seules importations sont en quelque sorte élevées à ce chiffre. Mais
cet argument, qui semble prouver une fraude effrayante, perdra en gramde partie
sa valeur, si l’on réfléchit que le sel pris en charge à Louvain ou à Bruges
l’a déjà été deux ou trois fois dans d’autres localités par suite de
combinaisons commerciales, ce qui en apparence double et triple les quantités
de sel importées. Il est d’ailleurs impossible de fixer la consommation
annuelle d’après l’importation pour un article sur lequel l’excellente
disposition de la loi en vigueur des crédits permanents permet d’en faire des
spéculations commerciales, qui assurent quelquefois au pays, en fort peu de
temps, les approvisionnements pour plusieurs années.
Mais
admettons que la fraude soit considérable, ce n’est pas en établissant la libre
circulation, en la restreignant même au sel raffiné, que vous la réprimerez ;
ce n’est pas en abrogeant une loi de consommation, qui rend le sel poursuivable
partout, pour la remplacer par une espèce de loi de douane, que vous la
réprimerez ; loin de la faire disparaître, vous la déplacerez en la
transportant aux frontières, et l’étranger en fera son profit aux dépens du
trésor et du commerce national.
La
loi en vigueur rend au contraire la fraude étrangère impossible, et elle donne
aux agents de l’administration financière tous les moyens de la faire
disparaître à l’intérieur. Les seules mesures qu’il resterait peut-être à
prendre, seraient de mieux payer les agents inférieurs, que leur modique
traitement de 5 ou 600 fr. rend plus abordables à la corruption ; de renvoyer
au lieu de déplacer ceux qui se rendent coupables ; d’ajouter aux formalités de
la fermeture des écoutilles et autres celle de constater le tirant d’eau du
navire au premier bureau à l’entrée, comme un des meilleurs moyens de vérifier,
lors du déchargement, si le bâtiment s’est débarrassé frauduleusement de
certaines quantités pendant le trajet depuis la frontière jusqu’au lieu de la
prise en charge.
Il
me semble donc établi que l’on n’a pas allégué de motifs suffisants pour chaque
système d’impôt sur le sel ; il en est au contraire d’importants pour maintenir
ce qui existe. Le pays a besoin de toutes ses ressources dans les circonstances
présentes ; l’impôt sur le sel lui en assure de positives. Qui peut prévoir si
l’adoption de la nouvelle loi n’occasionnera pas un déficit sur cet article
important des voies et moyens ? J’ai même tout lieu de le craindre, car la loi
proposée n’est que le replâtrage des lois de 1816 et 1819, que le gouvernement
hollandais fut obligé d’abandonner à cause des abus qu’elles occasionnaient.
Le
pays est habitué à la loi actuelle, et j’ai ouï dire souvent que des lois
d’impôts les meilleures étaient celles qui sont entrées dans les habitudes.
Personne ne se plaint, sauf quelques sauniers qui réclament la suppression des
documents à la circulation, sans réfléchir que ces documents sont leur propre sauvegarde
contre la fraude. Je suis même convaincu que la suppression d’un impôt élevé
dont on a contracté l’habitude, cause moins de reconnaissance et de plaisir que
l’établissement d’un nouvel impôt moins élevé n’occasionne de plaintes. Je
viens d’en acquérir encore la preuve.
Le
gouvernement et la section centrale ont proposé la réduction de l’’impôt sur le
sel, et un petit droit sur l’eau de mer
; eh bien, les personnes peu instruites s’imaginent et se plaignent que le
gouvernement a l’intention d’élever le droit sur le sel. Pour satisfaire
quelques sauniers, l’on mécontentera plusieurs villes importantes, qui perdront
diverses sources de prospérité, que lui procurait le négoce du sel. Je ne
parviens donc à découvrir de bénéfices réels pour personne dans la suppression
de la loi en vigueur, et l’adoption de la nouvelle loi ne me semble fondée sur
aucun motif plausible.
-
MM. les représentants quittent leurs bancs.
La
séance est levée à 4 heures et demie.