Accueil Séances plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Bibliographie et
liens Note d’intention
Séance précédente Séance suivante
Chambre des représentants de Belgique
Séance du lundi 12 mars
1838
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre
2) Projet de loi autorisant le gouvernement à
contracter un emprunt pour l’achèvement du chemin de fer (d’Huart)
3) Projet de loi relatif aux ventes à l’encan (Lebeau, Desmaisières, Lebeau, de Theux, Coghen,
Maertens, Milcamps, de Perceval, Liedts, de Theux, Pollénus, Lebeau, Pollénus, Lebeau, Verhaegen, de Theux, Pirmez, Lebeau)
(Moniteur belge n°72, du 13 mars 1838)
M.
de Renesse procède à l’appel nominal à une heure et quart.
M.
Kervyn donne lecture du procès-verbal ; la rédaction
en est adoptée.
M.
de Renesse présente l’analyse des pièces adressées à la
chambre.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
«
La chambre de commerce et des fabriques de Venloo adresse de nouvelles observations
sur le projet de loi relatif à une majoration de droits d’entrée sur le
café. »
-
Dépôt sur le bureau de la chambre pendant la discussion du projet de loi sur le
café.
_________________
Le
sénat informe qu’il a adopté le projet de loi relatif à la taxe des barrières.
-
Pris pour notification.
_________________
M.
Duvivier, qui doit s’absenter pour des affaires de famille, demande un congé de
12 à 15 jours.
-
Accordé.
PROJET DE LOI AUTORISANT LE GOUVERNEMENT A CONTRACTER
UN EMPRUNT POUR L’ACHEVEMENT DU CHEMIN DE FER
M. le
ministre des finances (M. d’Huart) présente un projet
de loi ayant pour but de réaliser un nouvel emprunt pour compléter l’achèvement
des chemins de fer, et pour opérer la conversion de l’emprunt de 100 millions
opéré en 1831 à 5 p. c.
L’article
premier de ce projet autorise le gouvernement à contracter un emprunt qui ne
pourra dépasser 180 millions, à l’intérêt de 4 1/2 p. c., applicables soit à
l’achèvement des chemins de fer, soit au remboursement au pair des 10 millions
de bons du trésor dont l’émission a été ordonnée en 1836. Les autres articles
déterminent le mode à suivre dans ces diverses opérations. (Nous donnerons ce
projet de loi dans notre numéro de demain).
M. le
président. - Ce projet et les motifs qui l’accompagnent
seront imprimés et distribués et renvoyés à l’examen des sections.
M. le
ministre des finances (M. d’Huart). - Ce projet me
paraît avoir, à raison de sa nature, une certaine urgence. Je demanderai donc
que les sections veuillent bien s’en occuper dans une de leurs premières
réunions.
-
Cette proposition est adoptée.
PROJET DE LOI RELATIF AUX VENTES A L’ENCAN
Discussion générale
M.
Lebeau. - Je demande la parole pour présenter une
nouvelle rédaction de mon amendement.
Dans
la séance d’avant-hier, j’ai bien plutôt entendu soumettre à la chambre un principe
qu’un amendement qui réunisse toutes les conditions désirables pour devenir un
article de loi. Pour éviter les objections auxquelles pourrait donner lieu mon
amendement, ainsi que je l’ai d’abord rédigé, j’ai cru nécessaire de mieux
préciser ma pensée et de la consigner dans un nouvel amendement qui a le même
but que le premier et dont la rédaction seule diffère.
Il
serait ainsi conçu :
« A
partir du 1er janvier 1839, il sera prélevé un droit d’enregistrement de 10 p.
c. en principal sur le prix les ventes à l’encan des marchandises neuves
ci-après désignées, quand les ventes auront lieu en quantités moindres que
celles déterminées au présent article. »
Voici
un article 3 nouveau que je crois utile de présenter dès ce moment, afin que la
chambre comprenne que mon système est un ensemble, et réalise l’engagement que
j’avais pris dans la discussion générale
«
Art. 3. Les conseils communaux sont autorisés à faire des règlements pour
constater les qualités des marchandises ci-dessus désignées qui sont exposées
en vente, et pour garantir les acheteurs contre toute tentative de vol et
d’escroquerie.
«
Ces règlements seront soumis à l’approbation du Roi. »
M.
Desmaisières. - Messieurs, comme l’honorable M. Verhaegen,
je suis d’opinion que le projet de loi que nous discutons sur les ventes à
l’encan ne porte aucune atteinte à la liberté du commerce dans le sens qu’il
faut attacher à celte expression. Pour le prouver, je n’ai besoin que de
rappeler en peu de mots quels sont les principaux abus résultant de la liberté
des ventes à l’encan, abus qui déjà vous ont été signalés. L’un de ces abus
consiste en ce que l’on vient vendre dans notre pays des objets volés à
l’étranger et même volés dans le pays ; on vient les vendre à l’encan et à tout
prix, par une bonne raison, parce qu’ils ne coûtent rien à ceux qui les
vendent. On a répondu à cela qu’il existait des lois contre les escrocs et les
voleurs, qu’on n’avait qu’à appliquer ces lois.
L’honorable
membre qui a fait cette objection, sait mieux que personne, à raison des
fonctions judiciaires qu’il exerce, que le plus souvent les voleurs savent se
soustraire à l’action des lois. Ensuite, comment appliquer les lois de notre
pays aux vols commis à l’étranger ? Les voleurs ont bien soin de ne pas venir
eux-mêmes tenir les ventes à l’encan des objets volés ; ils les cèdent à
d’autres personnes qui en font la vente. Il y a d’autres abus très graves : ce
sont les ventes à l’encan de marchandises provenant de banqueroutes
frauduleuses qui ont lieu, soit à l’étranger, soit dans le pays même. Voici
comment il est arrivé plusieurs fois et comme il est encore arrivé récemment
que des négociants étrangers ont fait vendre à l’encan en Belgique leurs
marchandises au détriment de leurs créanciers. Quand un négociant étranger veut
s’enrichir aux dépens de ses créanciers, que fait-il ? Il envoie en Belgique,
là où l’on permet librement les ventes à l’encan, il envoie toutes ses
marchandises, ou presque toutes ses marchandises, pour être vendues à quelque
prix que ce soit, et lorsqu’il sait qu’elles sont vendues, il dit adieu à ses
créanciers et vient rejoindre en Belgique son agent. S’il craint la loi
d’extradition, il va dans un autre pays. Dira-t-on que la législation sur les banqueroutes
est là pour porter obstacle à ce que ces faits, que je viens de citer d’une
manière générale, puissent se produire ? Mais tout le monde sait, tout le monde
se plaint de l’insuffisance de la législation sur les banqueroutes, et encore
une fois comment appliquer nos lois en supposant qu’elles fussent suffisamment
répressives des banqueroutes frauduleuses, comment les appliquer aux
banqueroutiers étrangers qui envoient chez nous leurs marchandises pour les
vendre au préjudice de notre commerce et de notre industrie ?
Un
autre abus très grave qui a été aussi signalé comme résultant des ventes à
l’encan, c’est la concurrence qu’à l’aide de ces ventes l’industrie étrangère
soutient contre l’industrie nationale. Un fabricant étranger qui jouit dans son
pays d’un système douanier réellement protecteur, qui peut vendre sur son
marché à l’abri de ces lois, commence par vendre sur ce marché, à bon prix, une
bonne partie des marchandises qu’il a fabriquées ; et quand il ne reste plus
que celles rebutées, qu’il s’est remboursé de tous ses frais quelconques, qu’il
a fait déjà un certain bénéfice, alors il se garde bien de gâter le marché de
son pays en y vendant à tout prix ce qui lui reste, parce que les consommateurs
étant fournis, il devrait baisser le prix pour en trouver la vente. Que fait-il
? C’est encore sur la Belgique qu’il dirige ces objets, parce que là on a toute
liberté pour vendre d’une manière quelconque. Les Français, les Anglais, les
Allemands nous envoient tous leurs fonds de magasin pour être vendus à l’encan,
au grand détriment de l’industrie nationale et du commerce.
Je
ne pense pas cependant que nos honorables adversaires, quand ils s’établissent
les défenseurs de la liberté du commerce, veuillent défendre la liberté de
vendre les objets volés ou les objets soustraits à leurs créanciers par de vils
banqueroutiers, la liberté pour les fabricants étrangers de vendre sur nos
marchés leur trop plain à vil prix. Je ne crois pas que ce soit cette liberté
de commerce que nos adversaires prétendent défendre ; je les crois trop portés
pour les intérêts de leur pays, pour croire que ce soit cette liberté qu’ils
entendent défendre.
Quant
aux autres ventes à l’encan, les articles 2 et 4 du projet donnent toute espèce
de satisfaction, puisque les autres ventes sont exceptées. En effet, les ventes
par cessation de commerce, par décès, par préemption légale, les ventes de
mont-de-piété, sont exceptées des dispositions du projet de loi.
Quelques-uns
ont pensé qu’en apportant des restrictions aux ventes à l’encan on porte coup à
la liberté du commerce ; c’est au contraire en laissant subsister la liberté
des ventes à l’encan qu’on tue la liberté du commerce, et qu’on tue non
seulement la liberté de commerce, mais encore la liberté d’industrie et de
travail, liberté à laquelle un peuple aussi actif, aussi industriel, aussi
probe et aussi moral que le peuple belge, attache du prix avant tout.
Quant
à l’objection qui s’appuie sur les intérêts du consommateur, il en a été si
souvent fait justice dans cette enceinte que je ne dois pas devoir insister
pour la réfuter. Les agriculteurs, les industriels, les commerçants de toute
espèce, tous sont consommateurs et. producteurs, les uns à l’égard des autres.
Dès lors ils se doivent mutuellement aide et protection, et je ne vois pas
comment on pourrait isoler une classe de consommateurs de manière à ne la
mettre en rapport avec aucune espèce de commerce ou d’industrie. En ce qui
touche les ventes à l’encan spécialement, on ne pourrait citer aucune pétition
qui nous soit venue de la part des consommateurs contre le projet de loi en
discussion. Je crois même avec l’honorable M. A. Rodenbach qu’il ne se
présenterait pas 12 personnes en Belgique pour pétitionner contre le projet de
loi. Je crois que si l’on pouvait aller aux voix, si l’on pouvait recueillir
les voix de tous les habitants de la Belgique, il n’y en aurait peut-être pas
cent qui s’opposeraient au projet de loi. Mais, dit-on, nous en convenons, il y
a des abus ; il y a nécessité de prendre des mesures restrictives contre les
ventes à l’encan ; toutefois nous ne voulons pas des mesures que vous proposez,
parce qu’apparemment elles sont trop efficaces. Messieurs, lorsqu’on veut la
fin on doit toujours vouloir les moyens et surtout les moyens les plus
efficaces. Ces moyens efficaces sont toujours les meilleurs lorsqu’il s’agit de
combattre un mal.
Un
honorable membre a parlé de substituer au projet de loi un droit
d’enregistrement de 10 p. c. Mais ce droit d’enregistrement serait d’abord une
mesure tout à fait illusoire, à raison même de la difficulté qu’il y aurait à
le percevoir. Je crois que 1’honorable ministre des finances, qui cependant est
le défenseur-né des intérêts du fisc, ne se montrera pas très jaloux d’accepter
cet amendement car il y a tant de moyens d’éluder l’application du droit qu’il
serait impossible d’arriver à percevoir seulement une partie raisonnable du
droit dont la loi aurait pour but d’assurer la perception, sans augmenter infiniment
les mesures de surveillance de l’administration des finances, sans une
augmentation de personnel, et sans ajouter à cela des mesures éminemment
vexatoires contre les contribuables, contre les consommateurs, des intérêts
desquels cependant on a voulu se montrer si soucieux ; ensuite ce droit de 10
p. c. frapperait directement les consommateurs, parce que, bien qu’il ne fût
pas payé, on en profiterait pour faire payer plus cher aux consommateurs. Ainsi
vous voyez que ce droit va contre les intérêts de ceux dont on s’établit le
défenseur. Ce droit sera surtout illusoire, en ce qui concerne les ventes à
l’encan, auxquelles on a pour but de l’appliquer. Ces ventes que je viens
d’énoncer viennent d’objets volés, d’objets soustraits par des banqueroutiers
frauduleux, et de trop plein de magasins. Eussiez-vous un droit de 50 p. c., et
pût-on le percevoir, cela n’arrêterait pas ces ventes, parce, que dans les
trois espèces de ventes dont je viens de parler, tout est bénéfice pour le
vendeur.
Mais,
a-t-on dit, nous craignons qu’une fois qu’un pas aura été fait on ne veuille
aller plus loin ; nous craignons qu’une fois que les ventes à l’encan illicites
auront été interdites, on ne vienne ensuite pétitionner pour obtenir
l’interdiction du colportage, des bazars et des foires. En ce qui touche le
colportage, mon honorable ami M. Desmet a déjà, selon moi du moins,
parfaitement répondu ; et je ne crois pas que parmi tous ceux qui soutiennent
le projet de loi, il y en ait qui soient dans l’intention de demander plus tard
qu’on défende le colportage ; car, contrairement aux ventes à l’encan
illicites, le colportage produit quelque bien, produit même souvent du bien.
Quant
aux foires, l’honorable préopinant qui a exprimé la crainte de leur voir
appliquer l’interdiction a mal compris l’observation de l’honorable M. Mast de
Vries. Il a cru que M. Mast de Vries avait présenté les foires comme faisant
une concurrence redoutable aux marchands détaillants ; mais, au contraire, M.
Mast de Vries a présenté une observation sur les foires qui est en faveur du
projet. Il a dit que dans certaines villes où les foires sont nécessaires, où
l’on vend à ces foires des objets de consommation générale, tels que des draps,
il se trouvait autrefois jusqu’à 100 marchands détaillants qui venaient s’établir
à la foire, où ils avaient à payer un droit de place indépendamment du droit de
patente, et il a dit qu’aujourd’hui, grâce à la liberté illimitée des ventes à
l’encan, ces marchands ne sont plus aux foires, et qu’au lieu de cent, c’est
tout au plus si l’on en trouverait dix ou douze ; et pourquoi ? Parce que à
côté de la foire, et pendant la foire, on vient vendre à l’encan des objets ou
volés, ou provenant de banqueroutes frauduleuses ou des fonds de magasin. Loin
donc que les honorables membres puissent exprimer des craintes de l’application
aux marchands forains de l’interdiction demandée des ventes à l’encan, au
contraire c’est en faveur des foires qu’on demande cette interdiction.
Pour
ce qui est des bazars, je ne crois pas que personne en demande l’interdiction.
Dans tous les cas, on ne pourrait la demander, car ce sont des magasins comme
d’autres où l’on vend en détail, sauf que le prix est fixé et marqué sur la
marchandise ; et combien de magasins de détail n’y a-t-il pas où le prix est fixé
et marqué sur la marchandise !
D’ailleurs, j’ai, moi, une meilleure opinion des
législatures futures. J’ai toujours vu la chambre voter selon sa conscience,
rechercher ce qui est utile au bien-être et à la prospérité du pays ; je crois
que les législatures futures feront de même. Si plus tard il arrive que l’on
vote des restrictions à la liberté des foires, des bazars et du colportage, je
croirai que ces mesures ont été dictées uniquement par l’intérêt général du
pays, et que sans ce motif on n’y songerait pas ; comme maintenant nous
demandons des restrictions à la liberté des ventes à l’encan, parce que nous
croyons ces restrictions nécessaires dans l’intérêt général du pays, dans
l’intérêt du commerce comme de l’industrie.
M. Lebeau.
- Messieurs je m’expliquerai dans cette occurrence, comme dans toutes les
autres, avec une entière franchise, et je proteste d’avance que mon intention
n’est de blesser aucune susceptibilité. Je dois cependant rendre compte à la
chambre de quelques circonstances qui ont précédé la présentation de mon
amendement.
Lorsque
j’ai manifesté, en dehors de cette enceinte, l’intention de combattre le projet
de loi actuellement en discussion, des personnes qui me portent quelque intérêt
m’engagèrent à ne rien faire. C’est, me disaient-elles, une tentative qui sera
tout à fait infructueuse ; il n’en résultera rien, sinon quelques désagréments
pour son auteur. Il s’agit, ajoutaient-elles, d’une question électorale, d’une
question dans laquelle l’intérêt de localité exerce une influence extrêmement
vive. Je me récriai, comme vous l’entendez bien, contre une semblable
supposition, et je rappelai l’honorable indépendance avec laquelle chaque
membre de cette assemblée soutenait son opinion, et la soutenait non seulement
contre l’intérêt de localité, mais même contre le pouvoir. A cela on me
répondit : Prenez-y garde, l’opposition au pouvoir est exempte de grands
périls, et chacun s’en passe volontiers la fantaisie : mais il n’en est pas de
même de l’opposition aux opinions, aux intérêts des collèges électoraux ; tel
qui se donne le plaisir facile et sût de braver le pouvoir, est fort humble et
fort docile devant les électeurs.
Or,
les détaillants sont en grande majorité dans les collèges électoraux ; ils y
sont plus nombreux, plus actifs, moins reconnaissants ou moins oublieux que les
consommateurs. Je me récriai de nouveau, et avec plus d’énergie ; je regardai
cette supposition comme gratuitement injurieuse pour la chambre, et la preuve
que j’en pense ainsi, c’est que j’ai déposé mon amendement. Après ces
considérations, que je livre aux méditations de mes collègues, et qui ne sont
pas aussi éloignées de mon objet qu’on pourrait le croire, j’entre en matière.
La
chambre a sous les yeux mon amendement. Il tend à remplacer non seulement le
projet de la section centrale qui est une extension monstrueuse de la
proposition du gouvernement ; mais il tend encore à remplacer le projet du
ministre de l’intérieur, qui, dans cette circonstance, comme en général dans
toutes les autres, et une fois le principe admis, se tient dans les bornes
d’une sage modération.
Je
vais dans ma proposition plus loin peut-être que je ne devrais aller pour
maintenir le principe des ventes à l’encan. J’aurais dû n’élever le droit qu’à
5 p. c. ; mais j’ai voulu par une concession un peu large préparer les voies à
un système de conciliation.
La
première objection que j’aie entendu faire contre mon amendement, c’est
l’impossibilité de son exécution. J’avoue que j’ai peine à comprendre la force
de cette objection : comment mon amendement serait-il inexécutable ? Est-ce
qu’aujourd’hui les ventes à l’encan se font gratuitement ; est-ce qu’elles ne
se font pas sous la condition de la perception d’un droit d’enregistrement ?
Pourquoi
la surveillance fiscale ne s’exercerait-elle pas efficacement sur ces ventes,
comme elle s’exerce en général sur les ventes plus nombreuses d’objets
mobiliers, sur les ventes de meubles, sur les ventes de fruits pendants par
racines, sur les ventes d’arbres, lesquelles ont lieu, en général, dans les
localités où ne résident pas de préposés du fisc, et où ils doivent se
transporter ? L’objection prouve beaucoup trop et ne prouve rien par conséquent
; car si aujourd’hui personne ne se plaint de l’inexécution de la loi, si le
droit étant fixé à un demi p. c. il se perçoit, il me semble que la sollicitude
du gouvernement sera bien autrement éveillée quand on aura donné au fisc
l’appât d’un droit de dix p. c.
D’où
vient donc qu’il n’y aurait pas possibilité de surveiller les ventes à l’encan et
la perception d’un droit élevé ? Est-ce par la facilité de substituer de la
marchandise neuve à une marchandise déjà entamée ? Mais si cela est vrai dans
le système de mon amendement, cela est vrai dans le système de la loi ; et vous
ne pouvez faire cette objection contre mon amendement sans qu’elle ne retombe
de tout son poids sur le projet de loi.
Pour
qu’il n’y ait pas fraude, pour qu’il n’y ait pas substitution à des
marchandises neuves, de marchandises vieilles, il faut une surveillance ; s’il
faut une surveillance, il faut des préposés.
Voilà
comment je crois pouvoir faire justice de l’objection dirigée contre mon
amendement.
Cette
objection tombe encore devant l’article nouveau que je viens de déposer sur le
bureau de la chambre. Dans cet article, je cherche à combiner le principe des
ventes à l’encan avec une salutaire surveillance, et je la place dans le
pouvoir dont seraient investis les conseils communaux pour constater la bonne
qualité des marchandises mises en vente, pour faire des règlements concernant
la matière, pour faire au besoin la désignation des préposés ou des officiers
ministériels auxquels serait confiée l’exécution des ventes à l’encan.
Veut-on
que ce soit les notaires seuls qui, dans quelques localités, soient chargés de
la direction des ventes à l’encan ? Eh bien, les conseils communaux en
délibéreront ; et s’ils jugent que cette garantie est efficace, ils la
proposeront au gouvernement.
On
pourrait créer des officiers priseurs si l’on veut : un règlement communal
permettrait de créer, avec l’approbation du gouvernement, des commissaires
priseurs ; et vous auriez ainsi la garantie que présentent des hommes probes et
reconnus pour tels. Vous auriez encore par ce moyen prévu l’impossibilité qu’on
a alléguée, de surveiller l’exécution du système que j’ai proposé.
Je
ne reviendrai pas sur les considérations que j’ai développées dans la séance
d’avant-hier en faveur de mon amendement ; je prie mes collègues de se les
rappeler ; je leur recommande surtout le discours de l’honorable M. Corneli,
qui a examiné tout le système de la loi, et les objections pleines de justesse
présentées par l’honorable député de Bruxelles mon collègue.
Répondrai-je
au reproche de contradiction qui m’a été adressé par un autre honorable député
de Bruxelles ? J’aurais, dit-il, dans une circonstance récente, soumis à la
chambre un projet de loi qui porterait une bien autre atteinte à la liberté de
l’industrie que l’interdiction des ventes à l’encan ; il s’agit d’un projet de
loi sur la police des cabarets que je prendrai en mûre considération, en
attendant l’effet de la loi sur les débitants de boissons. Mais l’objection
fût-elle vraie, je n’en repousserais pas moins la prohibition des ventes à
l’encan, parce que je crois ce projet inique. Ce n’est pas comme inconstitutionnel
que je combats ce projet ; et si par malheur il était adopté par vous, je ne
pense pas que vous auriez rien fait contre la constitution ; seulement j’aurais
peine à ne pas rester convaincu que vous auriez pris une mesure dépourvue
d’équité.
Je
crois que dans des intérêts d’ordre public et de morale on peut apporter des
restrictions à l’industrie, et que ces restrictions peuvent se concilier avec
le texte et l’esprit de la constitution ; la constitution n’a pas placé la
liberté du commerce sur la même ligne que la liberté de la presse et la liberté
de l’enseignement. Mais la restriction qui, par parenthèse, est ici
l’interdiction, ne me paraît pas justifiable. On vous a cité l’exemple de la
France ; mais en France il n’y a rien de semblable à ce que propose aujourd’hui
la section centrale. Si mes renseignements sont exacts, toutes les fois qu’en
France on a tenté d’obtenir une loi pour l’interdiction absolue des ventes à
l’encan, la chambre des députés a passé à l’ordre du jour sur les pétitions faites
dans ce but.
Je
sais que depuis peu on est revenu à la charge ; je sais que le conseil général
du commerce et des manufactures a annoncé le projet de s’adresser à la
législature pour obtenir une loi contre les ventes à l’encan ; je sais de plus que
la connaissance de ce projet vient d’inspirer à quarante négociants de
Perpignan l’idée toute naturelle de demander la proscription du colportage.
Voilà où une première démarche conduit. Ainsi, en invoquant l’intérêt général,
avec l’intérêt général en aide, il y a un moyen d’arriver à tout, de tout faire
; aujourd’hui on prohibe les ventes à l’encan ; l’année suivante, à l’aide de
l’intérêt général on détruira le colportage, plus tard on détruira les bazars :
c’est ainsi que l’on progresse.
Un
membre. Il y a un milieu !
M.
Lebeau. - Je sais qu’il y a un milieu ; ce n’est pas à
moi, qu’on a si souvent qualifié d’homme du juste milieu, à l’ignorer. Quoi
qu’il en soit, je sais aussi que quand on s’engage dans une voie, quand on se
lance sur une pente rapide, on n’est pas toujours maître d’enrayer, de
s’arrêter.
Je
dis, messieurs, que, dans le système des partisans de la loi, vous ne pourrez
pas vous borner à proscrire les ventes à l’encan, parce que, quand vous les
aurez proscrites, vous n’aurez rien fait.
Je
vais me placer un instant dans la supposition la plus favorable aux défenseurs
du projet de loi ; j’admets un instant (et je l’admets bien gratuitement) que
les ventes à l’encan ne s’alimentent que de vols et d’escroqueries ; eh bien,
prohibez tant que vous voudrez les ventes à l’encan, vous n’aurez rien fait,
car celui qui est muni d’objets de banqueroutes frauduleuses, d’objets volés,
s’établira dans l’une ou l’autre de nos villes ; il inscrira sur son enseigne :
50 p. c., 25 p. c. de rabais sur le prix de facture, et il exercera ainsi une
concurrence tout aussi nuisible pour les détaillants que les ventes à l’encan.
Il est notoire qu’à Bruxelles, par exemple, on vend aujourd’hui des gants, par
dizaine ou par paire, à 25 p. c. de rabais ; à Dieu ne plaise que je regarde
les marchandises auxquelles je fais allusion, comme débitant des marchandises
qui n’auraient pas été acquises d’une manière parfaite, licite, une semblable
supposition est loin de ma pensée ; mais ils pourront facilement se défaire des
marchandises qu’ils auraient soustraites à leurs créanciers ; que c’est là un
commerce qui fait autant de mal aux détaillants que les ventes à l’encan. Il
faudra donc aussi proscrire ce commerce ? Car on ne veut pas sans doute que la
loi se réduise à quelques lignes sur le papier ; ceux qui veulent la loi
veulent quelque chose de positif. Dès lors, la loi il s’agit ne sera qu’un
premier pas dans un système de prohibition de toute espèce.
Remarquez,
messieurs, que s’il s’agit d’objets provenant de banqueroutes frauduleuses, de
vols, ces objets sont ordinairement en assez grande quantité, et que par
conséquent on pourra encore les vendre à l’encan, malgré la loi qui nous occupe
; seulement on les vendra pas quantités un peu plus fortes que la loi ne le
dira ; si c’est du drap, par exemple, au lieu de le vendre à l’aune, on le
vendra pas pièce, et ainsi de suite pour toutes les autres marchandises. Vous
le voyez donc, messieurs, pour atteindre le but que se proposent les défenseurs
du projet, il faut aller bien plus loin que n’est allé M. le ministre de
l'intérieur, que n’est allée même la section centrale.
Je
vous ai dit, messieurs, que vous n’en resteriez pas là, que le colportage
aurait son tour, et je vois, en effet, que c’est là l’espoir dont se
nourrissent ceux qui se sont adressées à nous pour provoquer la loi ; j’ai en
main une pétition par laquelle on demande l’interdiction, non pas seulement des
ventes à l’encan mais aussi de toutes les ventes à prix fixe, de celles-là même
dont je viens d’entretenir la chambre ; c’est la pétition de Wavre, et voici ce
que j’y lis : (L’orateur donne lecture d’un passage de cette pétition.)
Vous
voyez, messieurs, où veulent en venir ceux qui demandent des restrictions ;
donnez-leur gain de cause, en prenant une première mesure contre les ventes à
l’encan, et bientôt le bureau de la chambre sera encombré de réclamations
contre une foule d’autres modes d’exercer le commerce.
L’honorable
M. Donny a dit, dans une séance précédente, qu’on lui avait écrit (je remarque
que dans ces occasions on a toujours des correspondances particulières à
invoquer) que si les ventes à l’encan ne sont pas immédiatement prohibées,
avant six mois le quart des marchands d’une de nos villes auront fait faillite,
et qu’un autre quart se seront retirés du commerce ; depuis que la cour de
cassation a décidé que les règlements communaux concernant les ventes à l’encan
ne peuvent avoir force de loi sous l’empire de la constitution, c’est-à-dire
depuis quatre ans, l’état de choses actuel existe, et cependant nous n’avons
pas vu se réaliser des catastrophes comme celles dont nous menace l’honorable
membre ! Que voyons-nous si nous recourons à la statistique, qui fait souvent
bonne justice des exagérations parlementaires ? La statistique nous apprend que
le produit des patentes va croissant chaque année ; or ce ne sont pas
certainement les ventes à l’encan qui donnent lieu à cette augmentation,
puisqu’à entendre l’honorable M. Rodenbach, les directeurs de ventes publiques,
ces espèces d’ogres, ces espèces de vampires du commerce régulier, se réduisent
à une douzaine pour tout le royaume ; l’accroissement du produit des patentes
prouve donc que le grand nombre des commerçants ne sont pas près de faire
faillite, qu’il n’y a pas de désertion parmi ceux qui exercent les professions
commerciales, que de nouveaux magasins s’ouvrent. Ce sont là, messieurs, des
données beaucoup plus sûres que celles qu’on veut faire résulter des
renseignements fournis à l’honorable M. Donny.
« Mais,
dit le même orateur, ces ventes se composent en général de rebuts, d’objets
avariés. » En vérité, les consommateurs sont bien aveugles, ce sont des
gens bien simples, s’il leur est impossible de voir quelle peut être la qualité
bonne ou mauvaise d’une marchandise ! Mais enfin, me plaçant dans cette
supposition, faisant cette concession que la plupart des consommateurs sont
tellement aveugles, tellement bornés, qu’ils se laissent tromper par le premier
charlatan qui leur montre du papier pour du drap (comme l’a dit l’honorable
membre), admettant, dis-je, cette supposition, je préviens la fraude par
l’article 3 nouveau que j’ai déposé et qui permet aux administrations
communales de faire des règlements à cet égard. Les conseils communaux pourront
exiger, par exemple, que les marchandises destinées à être vendues soient
exposées pendant plusieurs jours à l’examen des amateurs. Si de semblables
mesures ne suffisent pas, si après cela il y a encore des gens qui achètent,
comme l’a avancé l’honorable député d’Ostende, du papier pour de l’étoffe,
alors je dis que ceux-là veulent être trompés et qu’il n’y a pas moyen de les
empêcher de faire des sottises.
Si
j’examine ensuite la moralité de la loi, considérée en principe, si je me
demande ce qu’on dit pour la justifier, j’entends parler d’utilité, j’entends
invoquer l’intérêt général : je dis d’abord que cette utilité est très
contestable, et que si les consommateurs avaient voix ici, s’ils avait autant
de voix pour les défendre qu’en trouvent les producteurs ou les vendeurs, nous pourrions
bien entendre un langage tout différent de celui que nous entendons. Mais
n’est-ce donc ici qu’une question de nombre ? N’est-ce pas aussi une question
de justice ? Est-ce que parce que les citoyens qui exercent la profession de
directeurs de ventes sont en petit nombre dans le royaume qu’il faut les
compter pour rien ? Depuis quand faut-il être nombreux pour obtenir justice ?
« Je conviens, dit l’honorable M. Rodenbach, qu’il y a quelques personnes
dont la loi pourra froisser les intérêts privés ; mais la classe nombreuse des
marchands en détail en profitera, mais l’intérêt général en profitera. »
C’est-à-dire que l’intérêt du petit nombre sera sacrifié à l’intérêt du grand
nombre ; je ne pense pas, messieurs, qu’on puisse justifier une loi par de semblables
arguments ; je crois qu’une loi doit avant tout reposer sur la justice, sur
l’équité ; que nous devons justice au petit nombre, tout comme à la majorité du
pays.
On
a dit, messieurs, qu’on ne voulait pas anéantir la faculté de faire des ventes
à l’encan, qu’on voulait seulement en modérer l’exercice, en prévenir les abus
; qu’on voulait non détruire, mais restreindre. Toutes ces protestations sont
vaines, messieurs ; ce qu’on veut réellement, c’est détruire, c’est anéantir
complétement la faculté de vendre à l’encan, et alors il serait plus digne de
la chambre de formuler la loi de cette manière : « A partir de telle
époque, les ventes à l’encan seront interdites dans tout le royaume de
Belgique. »
M. Bekaert.
- Ce n’est pas possible.
M.
Lebeau. - C’est tout aussi possible que ce qu’on nous
propose, et ce serait exprimer d’une manière plus claire ce que veulent les
partisans de la loi et entre autres l’honorable M. Bekaert qui m’interrompt,
car voilà ce que disait cet honorable membre dans une séance précédente :
« Il
ne suffit pas susciter des entraves au mal ; il faut le détruire et l’empêcher
de renaître ; c’est un poison qui ronge, qui mine, qui détruit, etc.,
etc. » (Explosion d’hilarité.)
Voilà
ce que veut l’honorable M. Bekaert ; eh bien ! que tous les membres qui
soutiennent le projet s’associent à la franchise de cet honorable député ;
qu’ils disent avec lui : « C’est un poisons qui ronge, qui mine, qui
détruit ; il faut l’anéantir ! » (On
rit.)
« Il
n’y a pas eu, dit-on, de réclamations sous le régime des règlements
antérieurs. » Mais, messieurs, il est facile de comprendre que le petit
nombre de voix intéressées à réclamer contre ces règlements ont été étouffés
par le grand nombre des intérêts contraires ; cependant les personnes qui se
trouvaient lésées par les règlements dont il s’agit ne sont pas tout à fait
résignées, et la preuve, c’est qu’aussitôt qu’elles ont pu espérer quelque
succès de leurs démarches, elles se sont adressées au pouvoir judiciaire pour
obtenir la liberté de leur industrie. « A Bruxelles, vous a dit un
honorable préopinant, à Bruxelles, quelques individus dont l’intérêt
particulier se trouvait lésés par les ordonnances, ayant été traduits devant
les tribunaux, se sont avisés de vous dire (voyez l’audace !) (on rit) que ces règlements étaient
contraires à la constitution. » Oui, messieurs, ils ont eu cette audace,
et ils ont bien fait, car les tribunaux ont décidé qu’ils avaient raison ; les
tribunaux n’ont pas trouvé qu’ils fussent si mal avisés, car ils leur ont donné
gain de cause. Les intérêts qu’on veut frapper aujourd’hui ne se sont donc pas
résignés, car ils ont saisi la première issue légale qui leur fût ouverte.
Me résumant, messieurs, je dis : Je reconnais,
avec les partisans du projet de loi, que les détaillants, lesquels
j’appellerai, si vous le voulez, le commerce régulier, ne sont pas sur la même
ligne que les directeurs de ventes à l’encan, que j’appellerai, si vous le
voulez, le commerce exceptionnel et non pas irrégulier, car il est tout aussi
régulier, tout aussi légal que l’autre ; je crois qu’il faut une protection
pour le commerce régulier, permanent, qu’il faut équilibrer les charges, et
cette protection, je pense l’avoir peut-être exagérée ; car ceux qui se sont
occupés de ces questions estiment que le maximum raisonnable était de 5 p. c.
J’ai proposé 10 p. c. ; en proposant ce droit, j’ai voulu, je le répète,
messieurs, faire une tentative de conciliation ; je ne me suis pas arrêté là :
j’ai chargé, par la loi, les administrations toutes paternelles des villes et
des communes de faire, sous le contrôle du gouvernement, en qui j’ai une pleine
confiance sous ce rapport, des règlements qui préviennent la abus attachés aux
ventes à l’encan, par des exhibitions par la vérification des objets exposés,
par la désignation, si l’on veut, des officiers ministériels qui seront chargés
de diriger ces ventes, Mais je ne crois pas qu’on puisse aller plus loin, sans
commettre une injustice, sans s’exposer peut-être à donner quelque peu de
crédit aux suppositions injurieuses dont j’ai entretenu tout à l’heure la
chambre et contre lesquelles, pour mon compte, je me suis énergiquement élevé.
M. le ministre de l’intérieur et des affaires
étrangères (M. de Theux). - Messieurs, avant
d’aborder les diverses objections qui ont été faites contre le projet de loi,
je crois qu’il n’est pas inutile de répondre quelques mots aux observations
qu’on a présentées, relativement à ce qui se passe en France sur la matière.
Je
dirai d’abord que depuis les temps les plus reculés, une interdiction,
semblable à celle qui a été adoptée par les régences de nos villes
commerçantes, ensuite d’un arrêté royal de 1815, a existé en France, au sujet
des ventes à l’encan.
M.
Lebeau. - Mais on demande d’une interdiction totale.
M. le ministre de l’intérieur et des affaires
étrangères (M. de Theux). - Je répondrai à
cela, il n’y a rien d’innové.
Je
dis, messieurs, que des mesures semblables ont existé en France, et que dans
l’opinion du gouvernement français, ces mesures existent encore ; j’en ai pour
témoin une circulaire adressée par le garde des sceaux aux diverses autorités
judiciaires sous la date du 8 mars 1829.
Dans
cette circulaire, on signale l’abus qui a été fait relativement à l’usage qui
commençait à s’introduire, des ventes à l’encan, contrairement aux dispositions
existantes. Les abus qu’on fait connaître dans cette circulaire sont en général
les mêmes que ceux qui ont été exposés à l’appui du projet de loi, ou qui ont
été signalés dans le cours de la discussion.
La
circulaire se termine par une interdiction formelle à tous les officiers
publics de procéder à ces ventes, hors les cas prévus de cessation de commerce
et de faillite.
Il
est vrai que la jurisprudence est partagée en France sur la valeur des
dispositions qui ont été invoquées dans cette circulaire, et nous avons lieu de
croire que c’est dans l’attente que la jurisprudence soit complétement fixée
sur ce point qu’on s’est abstenu de présenter une disposition nouvelle.
Je
disais que le projet de loi n’est pas une nouveauté. En effet, le projet de loi
ne renferme d’autres principes que ceux qui ont été adoptés par toutes les régences
des villes, en suite de 1’arrêté du gouvernement précédent de 1815.
Ce
n’est donc nullement un projet nouveau que nous cherchons à établir, nous avons
été conduit à vous présenter le projet de loi, parce que récemment la cour de
cassation, interprétant la loi de 1819 sur les patentes, a pensé que cette loi
se trouvait en opposition avec les règlements existants ; depuis que ces arrêts
ont été rendus, l’usage des ventes à l’encan a repris vigueur, et il s’étend
journellement. Maintenant qu’on peut considérer cette jurisprudence comme fixée
et qu’elle est généralement connue, les ventes à l’encan prennent de jour en
jour plus d’extension ; cette extension deviendra plus grande encore à mesure
que le commerce régulier des marchands détaillants se trouvera ruiné davantage
; et que les fabricants eux-mêmes ne trouvant plus parmi les marchands
détaillants des placements aussi avantageux, seront obligés de recourir
eux-mêmes aux ventes à l’encan, par l’intermédiaire d’officiers publics.
Il
est à remarquer que cette mesure qu’on qualifie d’illibérale a été prise sous
un gouvernement qui portait au suprême degré le principe de la liberté
commerciale ; qu’elle a même reçu son application dans la ville d’Anvers qui a
toujours été signalée par les principes pratiques de la liberté commerciale ;
et que récemment encore la régence de cette même ville s’est associées aux
réclamations des nombreux marchands détaillants qui se sont adressés à la
chambre.
Au
surplus, je vois que nous ne sommes guère en désaccord sur le principe, c’est
plutôt sur les moyens à employer que nous différons. Car, qu’on veuille bien le
remarquer, le droit de 10 p. c. qu’on propose est en quelque sorte un droit
prohibitif, à l’exception de certaines circonstances, telle, par exemple, que
celle d’un marchand décidé à faire faillite, qui recourrait à une vente à
l’encan, pour débiter promptement ses marchandises, et pour réaliser des fonds.
Mais il est certain qu’un droit de 10 p. c. peut être régulièrement considéré
comme un droit prohibitif. Dès lors, puisqu’au fond l’on veut une prohibition
déguisée, pourquoi ne pas adopter simplement la prohibition, dans les limites
que nous avons nous-mêmes indiquées, soit quant au nombre, soit quant à la
valeur des objets composant les lots ; car nous ne défendons d’une manière
absolue et sans restriction les ventes à l’encan ; nous ne les défendons que
dans certaines limites.
On
nous a objecté que nous nous sommes constamment montrés opposés aux droits
prohibitifs en matière de douanes, et qu’en cette circonstance nous paraissons
être en contradiction avec nos précédents. Il y a ici erreur complète. D’abord,
en ce qui concerne le système des douanes, nous pensons que l’intérêt même du
pays exige que les étrangers puissent faire le commerce avec la Belgique ; qu’ils
puissent y envoyer leurs marchandises, si nous voulons de notre part conserver
des débouchés à l’étranger. Le commerce doit être réciproque : nous ne pouvons
prétendre prohiber les marchandises étrangères, et livrer les nôtres à
l’exportation.
En
outre, nous avons toujours considéré que la prohibition, en matière de douanes,
est une véritable illusion, parce que c’est une mesure sans sanction, à moins
qu’on n’organise en même temps les recherches à l’intérieur et tous les moyens
onéreux qu’exige la stricte observation de la prescription de la loi,
lorsqu’elle est prohibitive.
Mais
il n’en est pas le même des ventes à l’encan, rien n’est plus facile que de
s’assurer de l’exécution des dispositions du projet qui vous est soumis.
Messieurs,
en ce qui concerne le droit de 10 p. c. outre qu’au fond il reviendra aux mêmes
résultats que notre projet, il se présente une objection très sérieuse, qui a
été soulevée par plusieurs députés ; je veux parler des moyens d’exécution,
pour assurer la perception des 10 p. c. Ainsi, messieurs, il faudrait en cette
circonstance une surveillance extrêmement active, pour prévenir la fraude.
Mais,
nous dit-on, il existe déjà aujourd’hui un droit d’enregistrement sur les
ventes publiques d’objets mobiliers ; ce droit est perçu, et il ne donne pas
lieu à la fraude que l’on craint relativement aux 10 p. c. Remarquez qu’il y a
une différence énorme entre l’amendement de M. Lebeau et le droit
d’enregistrement qui existe actuellement. Le droit actuel n’est que d’un demi
p. c ; indépendamment de cela, il est stipulé que toutes les marchandises
exposées en vente, et dont la vente n’est pas réalisée, n’en supportent pas
moins la moitié du droit, c’est-à-dire 1/4 p. c.
Or
établira-t-on le droit de 10 p. c. sur les lots non adjugés. Si c’est ainsi
qu’on l’entend, c’est renforcer la prohibition indirecte et déguisée qu’on
propose sous la forme d’un droit de 10 p. c. Si, au contraire, le droit le 10
p. c. n’est pas perçu sur les lots non adjugés, il est évident que vous ouvrez
la porte la plus large et la plus facile à la fraude.
Pour
nous, nous avons pensé qu’il valait mieux exprimer et formuler nettement notre
opinion dans le projet de loi ; que puisque nous voulions apporter un remède
aux abus qui se commettent au moyen des ventes à l’encan, il fallait nettement
proposer ce remède, qui est celui qu’ont adopté les anciens règlements des
régences.
L’on
a manifesté les craintes qui ne nous ont paru nullement fondées en ce qui
concerne la disposition qu’on pourrait réclamer ultérieurement pour prohiber le
colportage, l’établissement de bazars, celui des foires et marchés.
Messieurs,
nous avons été nous-mêmes au-devant de ces prévisions, car dans l’exposé des
motifs nous avons indiqué le colportage, les foires et marchés comme des moyens
d’une concurrence légitime avec les marchands domiciliés. Ainsi, il n’est
nullement entré dans notre pensée de prêter jamais l’oreille aux plaintes qui
pourraient s’élever contre le colportage, contre les foires et marchés.
Mais,
messieurs, ces moyens de concurrence ne sont pas aussi dangereux pour le
commerce régulier que les ventes à l’encan. En effet, le colportage n’est pas
entouré de tous les prestiges, de tous les moyens frauduleux, par lesquels on
cherche à faire valoir la marchandise exposée à l’encan. Au moyen du
colportage, la marchandise est présentée à domicile, chacun a le moyen de la
vérifier à l’aise ; le marchand colporteur a une réputation à conserver, s’il
veut avoir des chalands.
Quant
aux foires et marchés, ce sont les mêmes marchands qui se présentent
périodiquement aux foires des mêmes villes ; ils ont également une réputation à
conserver. L’acheteur a plus de facilité pour vérifier les marchandises
offertes dans une foire que celles offertes dans une vente à l’encan. En outre,
les foires et marchés ne se représentent qu’à des époques fixes, l’objet est
connu à l’avance, les détaillants ne sont pas pris à l’improviste, ils ont pu
prévoir qu’à telle époque ils rencontreraient une concurrence. Mais, pour les
ventes à l’encan, il n’en est pas de même. Il arrive qu’à une époque de l’année
où tous les marchands ont dû s’assortir pour fournir leurs pratiques, on
annonce des ventes à l’encan ; les approvisionnements des marchands deviennent
inutiles ; il devient impossible aux marchands de faire face à leurs affaires,
et leur ruine est bientôt consommée. Par cette considération, on ne doit pas
avoir égard aux avantages que le trésor pourrait retirer d’un droit de 10 p. c.
dont on frapperait les ventes à l’encan. Cette recette ne s’opérerait que sur
la ruine des marchands établis ; ce serait une recette fatale à l’intérêt du
pays. Au surplus, il n’est pas douteux que le nombre des marchands domiciliés
diminuerait, et le trésor éprouverait une réduction sur le produit des
patentes.
Que
la situation des marchands domiciliés soit fâcheuse en présence des ventes à
l’encan, c’est ce qui ne peut être douteux pour personne. L’expérience des
mesures prises à une autre époque par les régences démontre l’utilité de celles
qu’on vous propose aujourd’hui. En France et dans d’autres pays, des mesures
restrictives des ventes à l’encan ont aussi été prises.
L’on
a dit que les marchands détaillants avaient quelquefois recours à des ventes à
l’encan pour se procurer des ressources dans des moments de gêne. Mais ce n’est
pas le seul moyen. Nous maintenons le colportage, l’établissement des bazars ;
nous laissons également dans toute latitude les foires et marchés. Quant aux
manufacturiers, nous pensons que leur intérêt est le même que celui des
marchands détaillants, parce que le manufacturier a intérêt à avoir des
marchands sur lesquels il puisse compter pour le placement de ses marchandises
et dont la situation de fortune lui soit connue. Il ne lui importe nullement
d’avoir pour principale ressource les ventes à l’encan où les marchandises
seront souvent dépréciées, dont le succès sera toujours plus ou moins
incertain.
En
ce qui concerne l’intérêt du consommateur, il nous paraît clairement démontré
qu’il consiste à ce qu’il y ait des marchands domiciliés nombreux, bien
approvisionnés. C’est là qu’il trouvera une concurrence légale, des sûretés
pour ses acquisitions.
Je le demande, y a-t-il un seul pays comparable
à la Belgique, sous le rapport de la facilité des approvisionnements du
consommateur ? Il y a un nombre infini de boutiques dans toutes les villes et
dans les principales communes ; il y a des facilités extraordinaires pour se
rendre à tel ou tel lieu de vente, si l’on ne trouve pas à s’approvisionner
convenablement au lieu de son domicile. Il y a les colportages qui offrent
d’amples ressources aux consommateurs qui ne veulent pas se déplacer.
Toutes
les considérations se réunissent pour l’adoption d’un remède certain d’une
application facile, de préférence à un remède incertain et d’une exécution
difficile, qui, s’il est réel, si l’exécution s’en fait, équivaut aux
dispositions que nous proposons sauf qu’il laisse une porte ouverte à ceux qui,
pour faire faillite, voudraient se défaire de leurs marchandises instantanément
et en emporter le prix.
M.
Coghen. - Je regrette de ne pouvoir partager l’opinion
de l’honorable M. Lebeau et appuyer les amendements qu’il a proposés et
développés d’une manière si éloquente.
Messieurs,
au début de cette discussion, il semblait que le projet du gouvernement, amendé
par la section centrale, mettait en péril la liberté du commerce. Mais ces
opinions se sont modifiées, et les honorables collègues qui les avaient émises,
ont eux-mêmes demandé des dispositions restrictives des ventes à l’encan. Moi
aussi, je veux la liberté du commerce, mais je veux cette liberté qui ne ruine
pas, qui soit utile à tous et ne procure pas à l’intrigant, à l’homme de
mauvaise foi, qui prémédite de mauvaises affaires, le moyen de faire de
nombreuses victimes ; je veux une liberté de commerce qui protégé l’honnête
bourgeois, l’honnête homme, le père de famille qui doit vivre du débit de son
petit commerce et qui parfois se trouve ruiné par les ventes à l’encan qui se
font dans la localité où il avait eu l’espoir de trouver des moyens d’existence,
dans le commerce qu’il y avait établi.
Un
honorable membre qui a cessé de faire partie de la chambre, à qui vous
accordiez estime et confiance, m’a dit que dans deux localités du Hainaut, le
commerce de détail était ruiné pour trois ans par suite des ventes à l’encan
qu’on y a faites successivement. Ces ventes font la désolation du détaillant,
causent beaucoup de craintes au commerce et au manufacturier, parce qu’elles
donnent trop de facilités pour préparer des faillites.
Des
dispositions existaient autrefois contre ces sortes de ventes, et je n’ai
jamais vu qu’elles fissent l’objet d’aucune réclamation La cour de cassation a
rendu un arrêt déclarant permises les ventes publiques à l’encan ; aussitôt des
réclamations se sont élevées de la part des chambres de commerce, car j’ai vu
une pétition signée par les commerçants les plus honorables de la ville de
Bruxelles. Les régences qui, dans leur paternelle administration, sont à même
d’apprécier les besoins de leurs administrés, ont aussi réclamé des dispositions
contre les ventes à l’encan.
Abandonner
à des règlements locaux le soin de régler les ventes à l’encan, s’il n’y a pas
de dispositions générales, serait un moyen illusoire parce qu’à côté des
grandes villes, dans de petites localités où on n’aurait pas pris de mesures,
les ventes se feraient sans obstacles, et on éluderait ainsi les dispositions
prises.
Quant
au consommateur, il n’aura à craindre aucun monopole par suite de la
suppression des ventes à l’encan, parce que le nombre de détaillants de tous
les objets désignés dans le projet de loi est assez grand, indépendamment du
colportage, des foires publiques, des bazars, des marchands ambulants, pour
garantir que le consommateur ne sera pas victime de la trop grande exigence des
détaillants.
Dans
un pays voisin, en France, les dispositions sont absolues ; en Hollande, on ne
permet pas la vente à l’encan de marchandises neuves ; quand on la permet,
c’est dans des locaux désignés avec l’autorisation des autorités locales.
Un honorable membre m’a interpellé, m’étant
déclaré partisan de la loi ; de dire mon opinion sur un grand établissement qui
fait périodiquement des ventes publiques à l’encan. Je répondrai que je n’ai
connaissance de ces ventes que par les avis que les journaux en ont donnés. Je
ne suis ni directeur, ni administrateur, ni commissaire de cet établissement ;
je n’ai aucune autorité, aucune influence sur sa manière de procéder. Je sais
seulement que comme c’est le premier établissement qui a travaillé le sucre
indigène en Belgique, il a été obligé de recourir aux ventes publiques pour
dissiper les préventions que des intérêts opposés cherchaient à propager. Si
cet établissement se permettait de vendre par quantités moindres de 500 kil.,
je serais le premier à réclamer, dans l’intérêt du commerce de détail, des
dispositions dans la loi.
M.
Maertens, rapporteur. - Comme rapporteur de la section centrale, je
demanderai la permission de développer les motifs qui me déterminent à adopter
le projet qui vous est soumis. Si je le fais, ce n’est pas pour me rendre
populaire, comme un honorable membre a semblé l’insinuer ; c’est parce que la
nature de mes fonctions m’a mis à même d’apprécier les justes plaintes que le
commerce fait entendre depuis six ans, parce que j’ai suivi de près la matière,
et que j’ai acquis la conviction que la loi qui nous est présentée est
nécessaire pour prévenir les abus qui existent et les désordres qui se sont
déjà manifestés. Car chez nous des désordres, des commencements de pillages ont
eu lieu. Le public, indigné d’avoir été trompé, a commencé le pillage des
marchandises du vendeur dont il avait reconnu la fraude ; l’autorité judiciaire
a dû intervenir pour arrêter le pillage, et l’autorité locale a dû, pour mettre
un terme à ces ventes scandaleuses, suspendre les ventes à l’encan, dans
l’intérêt de la sûreté publique.
Tels
sont les abus qui ont eu lieu. Ce sont ces abus qui me déterminent à appuyer
les mesures que l’on nous propose pour en prévenir le retour.
Une
chose qui m’étonne, c’est que des membres se soient levés dans cette enceinte
pour combattre un projet de loi qui est généralement réclamé depuis quatre ans,
et qui a été accueilli par tout le pays avec bienveillance.
Et,
messieurs, ce ne sont pas seulement les détaillants qui se sont élevés contre
l’abus des ventes à l’encan, c’est le commerce entier, ce sont les chambres de
commerce en masse qui se sont adressées au gouvernement et au pouvoir
législatif, et à ces autorités se sont jointes les régences de toutes les
villes un peu populeuses du royaume. Ce ne sont pas là des intérêts privés qui
parlent, ce sont des autorités irrécusables parfaitement à même d’apprécier les
besoins du commerce et du consommateur. Je prie nos adversaires de vouloir bien
y réfléchir plus mûrement qu’ils ne l’ont fait jusqu’ici.
Mais
ce qui m’étonne bien davantage encore, c’est de voir critiquer un projet
sanctionné par l’expérience, et qui pendant 20 ans a satisfait à tous les
besoins sans donner lieu à aucune plainte ; car le projet de loi n’est que la reproduction
des divers règlements pris par les villes populeuses sous le roi Guillaume.
Sans doute un pareil système doit être préféré à son système d’essai que l’on
met en avant et qui serait tout à fait illusoire, comme je le démontrerai tout
à l’heure ; mais si quelque chose doit rassurer le commerce, et doit rassurer
sur le sort de la loi, c’est que les arguments présentés contre le projet ne
sont vraiment pas des arguments. Quelque chose a-t-il pu faire croire que cette
loi serait un acheminement à l’interdiction du colportage dans les foires et
dans les bazars ? Qu’y a-t-il de commun entre les ventes à l’encan et le
colportage nécessaire aux habitants des campagnes pour un grand nombre de
produits qu’ils ne trouvent pas chez eux ? Est-ce qu’on n’a pas le temps
d’examiner les marchandises achetées soit à un colporteur soit dans les foires
? Y a-t-il quelque chose de semblable dans les ventes à l’encan ? Elles ont
lieu dans les grandes villes à côté des marchands établis, par de nombreux
appels au peuple elles cherchent à abuser de la crédulité du public ; on n’a
pas le temps d’examiner les marchandises en vente, on achète sans avoir vu, et
quand on voit on regrette d’avoir acheté.
Je
ne m’étendrai pas sur la question de constitutionalité ou d’inconstitutionnalité
du projet, les auteurs mêmes de cette observation en ont fait justice, je puis
donc me dispenser d’en parler.
Si
je m’attendais à voir combattre le projet, je dois m’étonner de ce que les
arguments qu’on a opposés n’ont été tirés d’aucun intérêt réel, car je
m’attendais à voir défendre un intérêt fondé. Je suppose que les honorables
adversaires du projet ne défendront pas les banqueroutiers frauduleux qui
viennent vendre les objets soustraits à leurs créanciers, ni les étrangers qui
viennent vendre leur fonds de magasin après avoir couvert leurs frais et fait
des bénéfices dans leur pays ; certes, ce ne sont pas là les personnes qu’on
voudra défendre dans cette enceinte. Serait-ce le consommateur qu’on voudrait
défendre ? On se tromperait encore à cet égard. Quel est l’intérêt bien senti
du consommateur ? C’est d’avoir des boutiquiers établis bien assortis, à même
de satisfaire à tous ses besoins ; d’avoir dans la localité plusieurs boutiques
de même espèce, afin d’avoir, par sa concurrence et le choix, les objets de la
meilleure qualité et au meilleur marché possible ; d’avoir des boutiquiers
responsables qui lui donnent à crédit lorsqu’il n’est pas à même d’acheter au
comptant et auprès desquels il puisse réclamer lorsqu’ils lui ont livré de
mauvaises marchandises. Avec ces garanties le consommateur est toujours assuré
d’avoir de bonnes marchandises et de ne rien payer au-delà de sa juste valeur.
Mais, dira-t-on, le consommateur trouve toujours à meilleur marché dans les
ventes à l’encan. Cela est vrai, lorsqu’un marchand dans la gêne soustrait à
ses créanciers, avant de faire banqueroute, les marchandises qui sont leurs
gages ; mais cela n’arrive pas très souvent. Dans tous les autres cas les
marchandises ne peuvent être vendues à meilleur marché par les marchands à
l’encan que par les marchands établis. L’un et l’autre, pour avoir les mêmes
marchandises, doivent puiser à la même source. Ensuite pour soutenir la
concurrence, les marchands sédentaires doivent se contenter de prix tellement
modérés qu’ils gagnent peu de chose lorsqu’ils veulent maintenir leur débit. Il
est vrai que les marchands sédentaires ont à payer un loyer, des contributions,
une patente ; mais il y a lieu de supposer que les marchands à l’encan ne sont
pas des vagabonds, qu’ils ont un gîte et des magasins, et que, par conséquent,
ils ont aussi à payer un loyer, des contributions, une patente, de manière
qu’on doit mettre sous ce rapport sur la même ligne les marchands sédentaires
et les marchands ambulants. Maintenant qui ne sait les frais énormes qu’ont à
supporter les marchands ambulants, frais que n’ont pas les marchands
sédentaires ? Dans chaque ville il leur faut loger fort cher à l’hôtel,
louer une salle pour leurs marchandises ; ils ont des frais de transport
considérables, pour eux, leurs agents et leurs marchandises, des frais
d’emballage, des frais de déballage ; ils ont en outre de 10 à 15 p. c. à payer
sur le produit de la vente ; d’après cela vous devez être convaincus que, sauf
le cas où l’on vend à l’encan des objets soustraits à des créanciers, il est
impossible qu’on donne au même prix des objets de même qualité que chez les
marchands sédentaires. Aussi ne vend-on guère dans ces ventes que des
marchandises de rebut, des fonds de magasin, c’est le seul moyen que puissent
employer les marchands ambulants pour l’emporter sur les marchands établis.
C’est ainsi que le consommateur est constamment dupe ; il croit avoir de bonne
marchandise, et il n’a que de la marchandise, sinon tout à fait mauvaise, au
moins de qualité inférieure et qu’il aurait à bien meilleur marché chez les
marchands sédentaires. Pourquoi n’achète-t-il pas ces objets chez ces marchands
sédentaires ? Parce qu’il leur demande de la première qualité et que le
marchand sédentaire responsable de la vente ne veut pas lui fournir, comme le
marchand à l’encan, une qualité inférieure comme première qualité.
J’ai
dit que les marchands à l’encan ont de 10 à 15 p. c. de frais de vente. Voici
comment cela se pratique. Ce n’est pas le marchand qui fait la vente, c’est un
directeur de vente qui donne trois mois de crédit, garantit le prix de la vente
et est responsable des acheteurs. Il reçoit pour cela 10 p. c. sur le produit
de la vente. Si vous ajoutez à cela le salaire de l’huissier, celui du crieur
et de toutes les personnes nécessaires pour la vente, vous reconnaîtrez que les
frais montent bien à 15 p. c. Certes les marchands à l’encan qui ne sont pas
arrêtés par des frais aussi considérables ne le seront pas davantage par le
droit d’enregistrement de 10 p. c. proposé. Que feront-ils ? Ils s’adjoindront
un huissier connaissant la solvabilité des acheteurs, se passeront du directeur
de vente, trouveront ainsi les 10 p. c. du droit d’enregistrement, et les
choses seront dans le même état qu’aujourd’hui.
D’ailleurs
ces 10 p. c., vous ne pourrez pas les percevoir, vous n’avez aucun moyen de
perception. Combien croyez-vous que le fisc ait d’agents chargés de la
surveillance des ventes dans tout le royaume ? Deux seulement ; un à Bruxelles
et un à Anvers. Certainement on ne prétendra pas qu’ils peuvent assister à
toutes les ventes ; d’ailleurs, je le sais ; jamais ils ne donnent signe de
vie. Déjà le droit actuel, qui est d’un demi p. c. seulement, ne se paie pas.
Le directeur des ventes annote sur son registre les objets vendus, le nom des
acheteurs, et le prix de la vente, l’huissier qui est censé faire la vente n’y
paraît pas, le directeur des ventes rédige le procès-verbal sur timbre après la
vente ; si elle s’est élevée à 20,000 fr, il peut ne porter dans le
procès-verbal que pour une valeur de 2,000 fr., et parvient ainsi à frauder les
droits. L’huissier signe et paie les droits d’après le procès-verbal. Voilà
comment les choses se passent, je défie qui que ce soit de porter remède à
cela. Les droits seront constamment fraudés sans que les agents du fisc
puissent constater ou empêcher cette fraude. Je suppose que le marchand à
l’encan ait 50 châles à vendre. Il vendra le premier à l’encan pour 20 francs
et paiera 2 francs pour le droit d’enregistrement de 10 pour cent ; mais pour
les autres châles il dira : Vous pouvez éviter ce droit d’enregistrement, venez
me trouver, et je vous passerai les châles à 20 fr., vous n’aurez pas de droit
d’enregistrement à payer. Il y a mille moyens d’éluder ainsi la loi. Ces
matières me sont trop familières pour que j’en puisse conserver le moindre
doute. Mais j’admets et bien gratuitement que le droit d’enregistrement puisse
être perçu, cela n’empêchera pas, comme l’a fait observer l’honorable M.
Desmaisières, les ventes à l’encan d’objets provenant de banqueroutes
frauduleuses, ou de fonds de magasin que l’étranger jette sur notre sol. A
ceux-là la marchandise est un fardeau, et ce n’est que de l’argent et de
l’argent à tout prix qu’ils demandent.
Je
ne terminerai pas, messieurs, sans vous avoir fait connaître l’état de
souffrance dans lequel se trouve le commerce aujourd’hui, par suite des ventes
à l’encan. Je vous ai déjà dit que ce n’était pas le détaillant seul qui
souffrait, et alors même que ce ne serait que lui, n’est-ce pas déjà une classe
très intéressante de la société, qui est digne de toute la sollicitude du
législateur, n’est-ce pas la classe la plus nombreuse, puisqu’en parcourant nos
villes, l’on voit dans plusieurs rue sur 5 maisons 3 boutiques au moins ;
n’est-ce pas elle qui paie une large part dans les contributions et une plus
grande part encore dans les droits de patente ? Et c’est cette classe si
nombreuse et si intéressante que l’on voudrait sacrifier, ce sont des revenus
aussi sûrs, des ressources aussi certaines pour le trésor que l’on voudrait
sacrifier à des droits éventuels, qu’il sera toujours impossible d’atteindre.
Certes un pareil système ne prévaudra pas dans cette enceinte.
Mais
ce n’est pas cette classe seule qui réclame protection, c’est le commerce en
général qui s’élève contre l’intrigue et la mauvaise foi, c’est le marchand en
gros, le fabriquant qui souffre. Car par le nombre toujours croissant des
ventes à l’encan qui se sont succédé l’année dernière, le détaillant a à peine
vendu assez pour suffire à ses besoins journaliers : aujourd’hui que le moment
du paiement et la saison de l’approvisionnement est venu, il répond au
fabricant qu’il ne peut point payer et qu’il n’a pas besoin de nouvelles
marchandises, qu’il n’a rien vendu et que la marchandise qu’il a prise l’année
dernière remplit encore sa boutique. Voilà donc aujourd’hui le marchand en
gros, le fabricant, privé d’une part des recettes dont il a besoin pour continuer son négoce et d’autre part dans l’impossibilité de
placer la marchandise dont ses magasins se trouvent aujourd’hui encombrés. Mas,
messieurs, un tel état de choses ne peut subsister longtemps, il doit
inévitablement amener une crise commerciale et par suite l’appauvrissement de
la classe ouvrière et la ruine comptée du pays. Et c’est en présence d’un
semblable avenir, à la veille de malheurs aussi imminents que l’on vous propose
d’accorder pendant 9 mois encore, à ceux qui ont amené cet état de choses, un
brevet d’achèvement, parce que l’on trouve qu’il y aurait de l’indélicatesse de
les gêner dans l’exécution des projets malveillants qu’ils peuvent encore avoir
tramés contre le commerce. Et ce serait seulement alors, quand tout remède
serait devenu inutile, que l’on voudrait vous proposer un moyen d’essai, qui
comme je vous l’ai démontré, serait tout à fait illusoire, tandis que de notre
côté nous vous proposons un moyen immédiat, qui a pour lui l’expérience du
passé et qui ne peut manquer d’atteindre son but. Entre ces deux systèmes,
messieurs, le choix ne peut être douteux pour personne.
M.
Milcamps. - Après les discours que nous avons entendus,
ii serait difficile de dire du neuf sur l’objet en discussion. Je n’en ai pas
la prétention, je tiens seulement à énoncer les motifs qui me font préférer la
proposition de la section centrale à celle de percevoir un droit proportionnel
d’enregistrement de 10 p. c. sur le prix de ces ventes.
On
nous a prouvé dans la séance de samedi que les ventes publiques à l’encan de
marchandises étaient soumises en Allemagne, en Hollande et naguères en
Belgique, à une législation spéciale qui prohibait ces sortes de ventes ou les
rendait moins habituelles.
Je
trouve un argument bien puissant et bien péremptoire contre les ventes
publiques à l’encan de marchandises neuves, dans les règlements de nos
principales villes qui prohibaient ou rendaient moins fréquentes ces sortes de
ventes, et qui ont été en vigueur pendant quinze ans sans que ces règlements
aient rencontre des inconvénients ou soulevé des réclamations. En France, où la
législation ne paraît pas être différente pour la vente de marchandises que
pour celle d’effets mobiliers, les courtiers de commerce avaient demandé de
pouvoir procéder aux ventes publiques à l’encan. A l’occasion de cette demande
le conseil du commerce du département de la Seine fut consulté sur la question
de savoir si les ventes publiques à l’encan de marchandises et matières
premières sont utiles au commerce ailleurs que dans les ports de mer.
Après
avoir rapporté toutes les raisons pour et contre, il a été d’avis, 1° que ces
sortes de ventes sont nuisibles au commerce des villes qui ne sont pas ports de
mer et, 2° qu’elles doivent être bornées à trois cas : la cessation de
commerce, l’exécution judiciaire, le décès du négociant.
La
lecture de ce document et des réclamations de toutes nos grandes et petites
villes ne me laisse aucun doute que les ventes publiques à l’encan de
marchandises neuves sont nuisibles au commerce régulier en général, et à mon
avis les mesures qui rendront ces ventes moins fréquentes sont celles qu’il
faut admettre.
Or,
celles que nous présente la section centrale me paraissent susceptibles de
produire ce résultat, tandis que je ne l’attends pas d’un droit proportionnel
d’enregistrement de 10 p. c. sur le prix de ces ventes.
Ici,
messieurs, l’intérêt du trésor doit être écarté, puisque le trésor n’y
gagnerait qu’autant que le mal que produisent les ventes publiques à l’encan de
marchandises se perpétuerait.
Or,
c’est ce mal que nous avons l’intention et la volonté de faire disparaître.
Je
dois même croire que l’honorable M. Lebeau partage notre opinion et qu’il n’y a
division que sur le mode de rendre ces ventes moins fréquentes.
Pour
moi, messieurs, en adoptant la proposition de la section centrale, en prohibant
même les ventes à l’encan, ce qui serait plus franc, je ne croirai pas porter
atteinte à la liberté du commerce.
Je ne connais pas de disposition fondamentale
portant que chaque citoyen aura le droit de vendre des marchandises de la
manière qu’il l’entendra.
Les
lois de commerce sont des lois d’exception.
A
mon avis, ce ne sont pas ceux qui vendent en plein air qui composent le corps
du commerce, ce sont les magasiniers, les fabricants, les négociants en général
qui soutiennent le crédit, qui en paient les charges et fournissent à l’approvisionnement
de toutes les sortes de marchandises ; ce sont ceux-ci que les lois doivent
favoriser.
Je
tenais, messieurs, à énoncer cette opinion.
M. de Perceval.
- Je n’ajouterai que quelques observations aux discours qui ont été prononcés
en faveur du projet de loi par mes honorables collègues, pour motiver mon vote
qui sera favorable au projet de loi. D’abord l’amendement de l’honorable M.
Lebeau ne me semble pas de nature à faire cesser les inquiétudes des marchands
permanents et à apporter une amélioration dans leur état : considéré comme
mesure fiscale, je crois pouvoir assurer que la continuation de l’existence
d’une partie très considérable de marchands, indemnisera largement le trésor de
la ressource que ce surcroît d ‘impôt pourrait lui procurer.
Le
moyen proposé par cet amendement n’atteint pas directement le but que la
chambre se propose, car il ne fera pas cesser les ventes frauduleuses dont on a
le plus à se plaindre, ni empêcher les ventes à l’encan à tout prix, qui sont
si désastreuses pour le commerce.
A
mon avis, l’adoption du projet de loi présenté par la section centrale est le
seul et unique moyen de prévenir efficacement le découragement et la ruine dont
sont menaces les marchands permanents. J’ajouterai, messieurs, que dans la
ville que je représente, les ventes à l’encan deviennent de plus en plus
fréquentes, au point qu’elles alarment tellement les commerçants et portent
tant d’inquiétude dans les approvisionnements, que plusieurs m’ont déclaré que
si la législature n’y apportait prompt remède, ils se verraient forcés de
cesser leur commerce, ne pouvant se résoudre à supporter des pertes certaines
pour soutenir la concurrence, ni à se faire eux-mêmes marchands ambulants.
Et
veuillez remarquer, messieurs, que lorsque semblables ventes ont lieu, elles
sont annoncées avec beaucoup d’emphase, non seulement dans la ville où elles se
font, mais aussi dans toutes les communes environnantes ; qu’elles y continuent
quelquefois de 5 en 5 jours consécutifs et enlèvent aux marchands établis toute
possibilité de faire écouler leurs marchandises souvent sujettes à
détérioration ou à dépréciation, par suite du caprice des modes.
Eh
! que l’on ne me dise pas que l’intérêt du consommateur ne doit pas être
étranger à l’objet qui nous occupe : dans un pays comme la Belgique, où tout
respire commerce et industrie, où pour ainsi dire les villes se touchent, une
concurrence raisonnable ne manquera jamais par la protection que le projet de
loi accordera aux détaillants.
Au
contraire, l’on peut prévoir que dans toutes les localités le nombre des
marchands permanents augmentera, et que même, là où il n’en trouve pas maintenant, il s’en fixera à l’avenir. Par ces motifs, je rejetterai
l’amendement de l’honorable M. Lebeau, parce qu’il n’atteindrait pas le but
qu’on se propose, et je voterai pour le projet de la section centrale parce que
je le considère comme pouvant, seul, faire droit aux réclamations fondées des
marchands établis, comme favorable même aux fabricants par un écoulement plus
régulier et plus assuré de leurs marchandises, et comme indispensable pour
conserver un grand nombre de marchands dont la fortune est en péril ; je le
voterai aussi dans l’intérêt des ouvriers et des pères de famille, dont les
moyens d’existence sont gravement compromis par ces ventes à l’encan, qui
viennent enlever leur pain et les réduire à la misère. Je fais d’autant plus
des vœux, messieurs, pour la prompte adoption du projet qui nous occupe, qu’au
moment même où je vous parle, une vente à l’encan de draps et de toute espèce
d’habillements neufs a lieu dans une commune populeuse de mes environs, et
vient ravir à d’honnêtes artisans sans autre ressource, les moyens de procurer
les premiers besoins à leurs familles, et les livrer au désespoir.
M.
Liedts. - Je crois que la chambre commence à se
fatiguer de la discussion ; aussi je serai court.
Il
y a un point sur lequel on est d’accord, c’est la nécessité de changer la
législation sur les ventes à l’encan : nous ne différons que sur le moyen. J’ai
été peut-être le premier à indiquer le remède que propose M. Lebeau,
c’est-à-dire de frapper les ventes à l’encan de marchandises neuves d’un droit
de 10 p. c., mais après y avoir réfléchi et après avoir parlé à des personnes
pratiques, je me suis convaincu de l’inutilité du remède.
Remarquez
qu’il arrive toujours de deux choses l’une ; on bien les marchandises que l’on
vend à l’encan ont une origine illicite, immorale, et dans ce cas le droit de
10 p. c. n’atteint pas le but qu’on se propose ; ou bien les marchandises ont
une origine licite, et proviennent d’un commerce régulier, et alors le droit de
10 p. c. équivaut en réalité à une prohibition.
Pour
ma part, j’aime mieux une prohibition claire et nette, qu’une prohibition
indirecte.
Personne
ne soutiendra ici qu’une vente à l’encan de marchandises licites puisse se
faire avec profit en payant un droit de 10 p. c. ; il est donc impossible
d’adopter ce droit ; et il faut avoir recours à un autre remède.
Ce
remède, le seul du moins que j’ai trouvé, c’est la prohibition totale dans les
cas désignés par le projet de loi.
La
première question que je me suis adressée, c’est de savoir si la prohibition
était contraire à notre constitution…
Plusieurs
membres. - Tout le monde est d’accord sur ce point.
M.
Liedts. - Si tout le monde est d’accord, je
m’abstiendrai de parler de cette question.
Un
honorable préopinant s’est attaché à faire voir que nous passions subitement
d’une liberté sans limites à une prohibition absolue ; qu’il faudrait un terme
moyen, qu’on établît un droit peu élevé ou une patente ; et il a ajouté qu’à
aucune époque des prohibitions semblables n’avaient été prononcées ; à cet
égard, c’est l’inverse qui est vrai. Depuis 70 ans, depuis 1767, par un décret
de Marie-Thérèse, les ventes à l’encan ont été défendues, et ce décret a reçu
son exécution jusqu’à ces derniers temps, ou jusqu’au moment où la cour de
cassation a trouvé que la loi sur les patentes l’avait abrogé.
Je
n’ai pas le décret de Marie-Thérèse à la main ; mais il est rapporté dans un
acte des bourgmestre et échevins de la ville de Mons en ces termes :
« Vu
le décret de l’impératrice Marie-Thérèse en date du 7 avril 1768, lequel, entre
autres dispositions, défend tant aux étrangers qu’aux habitants de la province
du Hainaut de faire dans ladite province aucune vente publique et en détail des
marchandises neuves…, à peine de confiscation de ce qui aura été exposé en
vente ou de la valeur, et d’une amende de dix écus (26 florins des
Pays-Bas.) »
A
la législation de Marie-Thérèse a succédé celle du souverain des Pays-Bas, en
1814. C’est donc la prohibition des ventes de marchandises neuves à l’encan qui
fait la règle, et l’autorisation de ces ventes qui fait l’exception.
Messieurs,
il semble que le seul intérêt que l’on invoque soit celui des consommateurs ; à
cet égard, je me suis rappelé que dans un ouvrage de Say, on cite un passage
qui n’est pas étranger à l’objet en discussion et que je m’en vais vous lire.
Le voici :
« Franklin,
dans sa Science du bonhomme Richard,
suppose qu’un grand nombre de gens se rendent à une vente publique et se
laissent tenter par des objets dont le besoin ne s’était jamais fait sentir à
eux. Le bonhomme Richard leur dit : « Vous venez dans l’espoir d’avoir des
marchandises à bon compte ; mais ce qui n’est pas nécessaire est toujours cher…
J’ai vu quantité de personnes ruinées à force d’avoir fait des bons marchés… Il
est plus facile de réprimer la première fantaisie que de réprimer toutes celles
qui viennent ensuite… C’est qui achètent le superflu finissent par vendre le
nécessaire. »
« Voilà
d’excellents principes d’économie privée, dit Say. »
Eh
bien, pour moi, je ne veux pas d’une législation qui tend à exciter les
citoyens à pourvoir à des besoins factices, au détriment de la satisfaction de
besoins réels. C’est en effet ce qui est arrivé dans une commune de notre pays,
s’il faut s’en rapporter à une pétition. Beaucoup de paysans, y est-il dit,
tentés par les marchandises qu’on leur établait, s’approvisionnèrent à l’entrée
de l’hiver d’une foule d’objets qui n’étaient bons que pour l’été, et ils ont
été obligés de les vendre pour se procurer les objets d’hiver dont ils avaient
besoin.
Je
voterai pour le projet de loi parce que je ne veux pas laisser subsister plus
longtemps un état de choses si nuisible aux consommateurs.
-
La clôture est demandée.
La
chambre consultée ferme la discussion générale.
Discussion des articles
Article premier
M. le
président. - Nous allons passer à la discussion des
articles. Voici comment est conçu l’article premier, présenté par la section
centrale :
« Art.
1er. Les marchandises neuves ci-après désignées ne pourront être vendues
publiquement à l’encan soit à l’enchère, soit au rabais, par quantités moindres
que celles déterminées au présent article, savoir :
« 1°
Les objets de quincaillerie et de mercerie, par loi de cent francs au moins, ou
par grosses ;
« 2°
Les étoffes et tissus de toute espèce, par deux pièces entières, ayant cap et
tête, ou par une pièce entière si elle mesure au moins 30 mètres ;
« Les
étoffes et tissus qui ne seraient pas par pièces entières, par lots de 40
mètres au moins ;
« Les
étoffes qui ne se débitent point à l’aunage, telles que schalls, foulards, et
autres semblables, et en général tous les objets de modes et d’habillement, par
douze pièces du même genre ;
« Les
mouchoirs et cravates, par six douzaines ;
« 3°
La bonneterie et ganterie, par deux douzaines de pièces ;
« 4°
La porcelaine, la faïence et la poterie, savoir :
« Les
assiettes, par six douzaines ;
« Les
plats, par douze pièces ;
« Les
soupières, par six pièces ;
« Les
tasses avec leurs soucoupes, par six douzaines ;
« Les
jattes, par douze pièces,
« Et tous les autres objets de même nature,
par six douzaines ;
« La
verrerie et cristallerie, par lots de cent francs au moins ; « 5° La
chapellerie, par douze pièces ;
« 6° La cordonnerie, par douze pièces ;
« 7°
Les fils et rubans, par grosses et douzaines, suivant l’usage du commerce en
gros ;
« 8°
Les livres, par douze exemplaires du même ouvrage.
« Les
marchandises manufacturées neuves, non comprises ci-dessus, ne pourront être
vendues publiquement à l’encan, que par quantité de même espèce d’une valeur de
cent francs au moins. »
M. le ministre de l’intérieur et des affaires
étrangères (M. de Theux). - Comme jusqu’ici
la discussion a roulé sur la disposition du projet relatif aux marchandises
neuves, et que, d’autre part, M. Lebeau a proposé un droit de 10 p. c. sur ces
marchandises, je crois qu’il faut délibérer sur un principe.
M.
Pollénus. - Je crois qu’avant d’aborder la discussion de
l’article premier et de l’amendement qui s’y rapporte, il conviendrait que
l’auteur de cet amendement donnât une explication sur un point qui me paraît
important. M. le ministre de l'intérieur a demandé si les lots non adjugés
devaient être soumis à un droit ; j’ai entendu d’un côté de l’assemblée
répondre oui, de l’autre répondre non ; il faut savoir à quoi s’en tenir.
M. Lebeau.
- Messieurs, évidemment on ne doit pas percevoir de droit sur les lots non
adjugés ; ce serait une injustice que de faire cette perception, Quelle est la
base du droit d’enregistrement ? C’est la transmission de la propriété ; lors
donc que la propriété n’a pas changé de main, il n’y a pas lieu au droit. Et
qu’on n’objecte pas qu’il sera facile d’éluder la loi : je répondrai à cet
égard qu’il ne faut pas isoler ma proposition principale d’une autre qui en est
la sanction ; c’est-à-dire de la faculté accordée aux conseils communaux, avec
l’approbation du gouvernement, de faire des règlements concernant les ventes à
l’encan, et de l’obligation, où sont les officiers ministériels, qui tiennent
un répertoire, de déclarer préalablement que tel jour, à telle heure, il y aura
vente publique, afin de provoquer formellement les employés du fic à s’y
rendre. Je crois que cette disposition va au-devant de l’objection présentée.
Je
ne rentrerai pas dans la discussion, car il serait impossible de parler de
l’article premier sans reproduire les généralités qui ont été l’objet de nos
précédents débats.
M.
Pollénus. - Messieurs, le principal argument que j’ai
entendu présenter contre la proposition de M. Lebeau, c’est qu’elle serait
inefficace : « Comment, a-t-on dit, pourra s’opérer la perception du droit
d’enregistrement proposé par l’honorable M. Lebeau, lorsque nous n’aurons que
deux surveillants pour toute la Belgique ? » Mais, messieurs, s’il est reconnu
qu’au moyen de deux surveillants, il est impossible de faire rentrer même le
droit d’un demi pour cent qui existe aujourd’hui, quelle est la conclusion
qu’il faut tirer de ce fait ? C’est, me semble-t-il, qu’il faut augmenter ce
personnel. L’inefficacité qu’on reproche au système de M. Lebeau résulte donc
d’un état de choses auquel il est possible de remédier.
Je
ne puis m’empêcher de dire que je verrais quelques inconvénients à laisser aux
administrations locales, comme le propose M. Lebeau, le soin d’organiser en
quelque sorte un service public ; il me semble que quand on crée un système
nouveau, il serait plus que logique d’organiser par la loi même le service qui
doit en assurer l’exécution. Quant à moi, je pourrais difficilement me faire à
l’idée de se borner à poser un principe et de laisser aux autorités locales le
soin d’en régler l’application.
Je ne ferai qu’une simple réflexion pour
appuyer, quant au fond, le système de l’honorable M. Lebeau ; M. le ministre de
l’intérieur surtout fait valoir, pour combattre ce système, le prestige dont on
entoure les ventes à l’encan ; je crois, messieurs, que quand on annonce 25 ou
50 p. c. de rabais, c’est aussi un prestige et un prestige tout aussi grand que
celui des ventes à l’encan. Je n’en dirai pas davantage à l’égard de cette
objection, car l’honorable M. Lebeau y a répondu suffisamment. Je crois que,
quoique fasse le législateur, l’envie d’acheter à bas prix engagera toujours
certaines personnes à s’adresser chez des marchands qui ne leur donnent pas de
la bonne marchandise et qui peuvent par conséquent vendre à meilleur marché que
les autres ; que ces personnes achètent dans les ventes à l’encan ou ailleurs,
la chose reviendra toujours au même pour les détaillants ordinaires. Je dois
dire du reste que les inconvénients qu’on signale, comme résultant des ventes à
l’encan, sont tout à fait inconnus dans la province que j’habite.
Je
suis donc très disposé à adopter le système de M. Lebeau, mais je désirerais
qu’il cherchât à trouver un moyen d’en assurer l’exécution sans faire
intervenir les autorités communales, parce qu’il me semble que l’exécution
d’une loi ne doit pas dépendre du caprice d’une autorité locale.
M.
Lebeau. - Je voudrais bien, messieurs, satisfaire aux
scrupules de l’honorable préopinant, mais il y a dans ma proposition deux
objets tout différents ; les attributions sont diversement déléguées selon la
nature même des choses. Quant aux dispositions fiscales, je crois qu’elles ne
péricliteront pas si l’exécution en est confiée à l’administration financière ;
celle-ci prescrira, ici comme ailleurs,
toutes les mesures convenables, et ces mesures me paraissent fort
simples : d’une part augmentation de personnel pour la surveillance, car même
pour la perception du droit actuel le personnel est insuffisant, on le
reconnaît ; il y a ensuite un autre moyen d’activer la surveillance, c’est
d’attribuer aux agents de l’administration une part dans le produit des
amendes. Remarquez bien, messieurs, que si la perception d’un droit élevé
augmente les revenus de l’Etat, elle augmente aussi le bien-être des préposés
puisqu’elle augmente leurs remises.
Quant
à ce qui concerne la répression des abus, comme les cas varient suivant les
localités, je crois qu’il est impossible de la confier à une autre autorité
centrale, et qu’il appartient spécialement aux autorités communales d’adopter
les précautions qu’elles veulent prendre aux localités mêmes où les ventes ont
lieu.
On
a dit qu’il serait possible d’éluder la disposition que j’ai soumise à la
chambre. J’ai déjà fait voir que tout ce qu’on a dit, à cet égard, contre mon
amendement, s’applique également à la loi ; rien n’est plus facile que d’éluder
la loi même telle qu’elle a été modifiée par la section centrale : il suffira,
par exemple, d’avoir mis en vente plusieurs pièces en un seul lot pour vendre
tout le reste en détail, sans que la loi y mette le moindre obstacle ; je suppose, par exemple, qu’on vende 24 exemplaires d’un
ouvrage, d’un livre en un volume, qu’ils soient enchéris à 24 francs, n’est-il
pas évident que le lendemain tout le monde saura qu’on peut acheter cet ouvrage
à 1 franc l’exemplaire, et que si le public convient au public, on fera queue à
la porte du marchand pour l’obtenir ? Il y aura encore bien d’autres moyens
d’éluder la loi, et tout ce que vous dites contre mon amendement vous le dites
contre la loi ; il n’y a que cette différence, que mon amendement ne posera pas
un antécédent dangereux, qu’il n’engagera pas la chambre dans une voie où il
lui sera impossible de s’arrêter. Aujourd’hui tout le monde veut en rester là ;
c’est, j’en suis sûr, l’intention bien formelle de ceux qui appuient la loi ;
mais dans un an, lorsque de nouvelles réclamations surgiront de toute part, soutenues
par le principe que vous aurez posé, vous serez sans force pour repousser ces
réclamations, auxquelles vous aurez donné une prime d’encouragement. C’est là,
messieurs, ce que je veux éviter et c’est pour cela que je désire que la
chambre ne s’engage pas dans une voie semblable ; c’est pour cela que je lui
propose une mesure que je crois beaucoup plus efficace pour venir au secours
des détaillants et beaucoup plus dans l’esprit de nos institutions que celle
qui est proposée par la section centrale.
M.
Verhaegen. - L’honorable M. Lebeau pense, messieurs, que
la loi qui nous est soumise pourra être facilement éludée, que tous les
reproches qu’on a adressés sous ce rapport à son amendement s’appliquent
également à la proposition de la section centrale, j’ai l’honneur de lui
répondre que c’est là une erreur ; nous avons pour nous l’expérience ; comme
l’ont dit plusieurs honorables préopinants, les ventes à l’encan étaient
totalement défendues par suite des règlements de diverses régences porté sous
l’empire de l’arrêté du gouvernement précédent ; ce sont ces règlements contre
lesquels (je me sers des mêmes expressions qui ont été répétées par l’honorable
M. Lebeau), contre lesquels, dis-je, quelques individus en très petit nombre
ont fait des tentatives et sont parvenus à obtenir un arrêt de la cour de
cassation ; mais à l’exception de ces trois ou quatre individus, personne n’a
jamais réclamé contre les règlements dont il s’agit, et il n’était pas aussi
facile de les éluder qu’on le pense bien.
Si
l’expérience prouve en faveur de la proposition de la section centrale, elle ne
prouve pas moins contre l’amendement de M. Lebeau, car chacun sait combien il
est aisé d’éluder la loi de l’enregistrement : aujourd’hui on ne perçoit qu’un demi
pour cent sur les ventes d’objets mobiliers, et encore est-il certain que, quel
que soit le fonctionnaire qui préside à ces ventes, la plupart des objets qui
s’y vendent ne figurent pas au procès-verbal. Je voudrais bien que M. Lebeau
nous expliquât comment il s’y prendrait pour que le droit qu’il propose ne fût
pas fraudé : il faudrait non seulement qu’il y eût un surveillant dans chaque
vente, mais encore que ce surveillant y restât depuis le commencement jusqu’à
la fin.
On donnera aux régences la faculté de faire des
règlements, il y aura quelques fonctionnaires privilégiés, ceux-là seuls
pourront vendre. Voilà comment on arrive déjà à créer un monopole en faveur de
quelques-uns, et vous voyez que nos honorables adversaires, partisans de la
liberté illimitée, sont néanmoins en dernière analyse obligés d’arriver à des
résultats bien plus pernicieux.
On vous propose même d’autres mesures que nous
avons déjà eu à déplorer dans d’autres circonstances ; et pour donner de la force
à l’argument, l’on va jusqu’à insinuer qu’il faudrait donner aux employés une
part dans les amendes ; l’on ferait donc revivre ce système odieux dont nous
avons ressenti tous les inconvénients.
M. le ministre de l’intérieur et des affaires
étrangères (M. de Theux). - Je ne veux pas
rentrer dans le fond de la question. Je veux seulement faire observer à la
chambre que je demande l’adoption du paragraphe premier du projet du
gouvernement de préférence à celui de la section centrale. La raison en est que
la section centrale a cru devoir ajouter ces mots : « soit à l’enchère, soit au
rabais ; » or, je pense que la rédaction du gouvernement vaut mieux et
qu’elle est plus large.
M.
Pirmez. - Messieurs, le terme qui est indiqué dans
l’amendement de M. Lebeau me paraît un peu éloigné ; je désirerais que ce terme
fût un peu plus rapproché ; je proposerai la date du 1er juillet 1838.
M.
Lebeau. - Je me rallie à ce sous-amendement.
M. le
président. - Je vais mettre aux voix l’amendement de M.
Lebeau, sous-amendé par M. Pirmez.
Plusieurs
membres. - L’appel nominal !
-
Il est procédé au vote par appel nominal. En voici le résultat :
62
membres y prennent part.
18
répondent oui.
44
répondent non.
En
conséquence, l’amendement n’est pas adopté.
Ont
répondu oui : MM. Berger, Corneli, de Brouckere, Dechamps, de Langhe, Dequesne,
Devaux, d’Hoffschmidt, Dubus (aîné), B. Dubus, Eloy de Burdinne, Lebeau, Metz,
Pirmez, Pollénus, Raymaeckers, Scheyven et Peeters.
Ont
répondu non : MM. Andries, Angillis, Bekaert-Baeckelandt, Coghen, Coppieters,
de Florisone, de Foere, F. de Mérode, W. de Mérode, Demonceau, de Nef, de
Perceval, de Renesse, de Roo, de Sécus, Desmaisières, Desmanet de Biesme,
Desmet, de Terbecq, de Theux, Doignon, Dolez, Donny, Dubois, Hye-Hoys, Lecreps,
Liedts, Maertens, Mast de Vries, Mercier, Milcamps, Morel-Danheel, A.
Rodenbach, Simons, Smits, Trentesaux, Troye, Ullens, Vandenhove, Vanderbelen,
Verhaegen, Wallaert, Zoude et Raikem.
-
La séance est levée à 4 heures 3/4.