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Chambre des représentants de Belgique
Séance du lundi 18 décembre
1837
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre, notamment
pétition relative aux droits sur les sucres (Rogier)
2) Proposition de loi visant à lutter contre le
recours abusif au mariage comme cause d’exemption en matière de milice (Seron)
3) Projet de loi relatif aux droits d’accises
sur le sel
4) Projet de loi relatif aux concessions de
péages
5) Projet de loi relatif aux droits sur les
sucres. Discussion générale (notamment prime d’exportation) (d’Huart,
de Brouckere, Desmaisières,
Dumortier, d’Huart, Dumortier, Gendebien, Dumortier, Smits, d’Huart, Pirmez, Verdussen, Eloy de Burdinne, Donny, d’Huart)
6) Fixation de la suite des travaux de la
chambre. Droits sur les sucres ou budget du département de la guerre pour 1838
(Willmar, Coghen, Eloy de Burdinne, de Muelenaere,
Desmaisières, Dumortier,
d’Huart, Coghen)
(Moniteur belge
n°353, du 19 décembre 1837)
(Présidence de M. Raikem.)
M. de Renesse
procède à l’appel nominal à midi et demi.
M. Lejeune
lit le procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est adoptée.
M. de Renesse
fait connaître l’objet des pièces suivantes adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
« Des habitants de la commune de Bastendorff, les
conseils communaux de Gleize, de Francorchamps, de Wanne, de Fosse et Vielsalm,
demandent la construction de la route de Stavelot à Ettelbruck et
Diekirch. »
- Renvoi au ministre des travaux publics.
_______________
« Des habitants de Florennes signalent à la
chambre les mariages simulés à Florennes et à Saint-Aubin, pour soustraire les
miliciens de 1838 au service militaire, et demandent des mesures
répressives. »
_______________
« Le sieur B. Valerius, répétiteur d’analyse
algébrique à l’école militaire, demande à être nommé membre du jury d’examen
pour la faculté des sciences. »
_______________
« Le sieur Houraut, cultivateur à Neuvllie (Liège),
demande que son fils, milicien de 1835, soit visité par des hommes de l’art et
renvoyé du service pour ses infirmités. »
_______________
« Des industriels et fabricants de Liége
demandent le maintien de la législation actuelle sur les sucres. »
_______________
« Le sieur Jacques-Paulin Roger, docteur en médecine à
Bruxelles, né en France et habitant la Belgique depuis 15 ans, demande la
naturalisation. »
- Renvoi au ministre de la justice.
« Les compagnons bateliers et pilotes au passage
de Gand réclament contre les pétitions tendant à obtenir la libre entrée des
charbons étrangers. »
- Renvoi aux ministres des travaux publics et de
l’intérieur, avec demande d’un prompt rapport.
_______________
M. Rogier.
- Au nombre des pétitions dont l’analyse vient d’être faite, il s’en trouve une
des industriels de Liège qui demandent le maintien de la législation actuelle
sur les sucres. Cette pétition est très courte, et comme elle est d’un grand
intérêt dans la question dont nous allons nous occuper, je demande qu’elle soit
insérée au Moniteur.
- L’insertion demandée par M. Rogier est ordonnée.
Les autres pétitions sont renvoyées à la commission
des pétitions.
_______________
M. le ministre de l’intérieur et des affaires
étrangères (M. de Theux)
adresse à la chambre une liste des membres et suppléants des jurys d’examen et
des professeurs des diverses facultés dans les universités.
- La chambre en ordonne l’impression.
________________
M. Verhaegen, retenu près de sa fille dangereusement
malade, demande un congé de 4 à 5 jours.
- Accordé.
PROPOSITION DE LOI VISANT A LUTTE CONTRE LE
RECOURS ABUSIF AU MARIAGE COMME CAUSE D’EXEMPTION EN MATIERE DE MILICE
Une proposition déposée par M. Seron est renvoyée dans les sections pour
savoir si la lecture en sera autorisée.
PROJET DE LOI RELATIF AUX DROITS D’ACCISES SUR
LE SEL
M. Zoude
dépose le rapport sur la loi concernant le sel.
- La chambre en ordonne l’impression.
PROJET DE LOI RELATIF AUX CONCESSIONS DE PEAGES
On passe à l’objet de l’ordre du jour.
M. le président.
- La commission propose l’adoption du projet du gouvernement, qui n’a qu’un
seul article ainsi conçu :
« La loi du 19 juillet 1832, sur les concessions de péages
(n°133 et 134 du Bulletin des lois), est prorogée au 1er janvier 1839.
- Personne ne demandant la parole, on procède à
l’appel nominal. Le projet de loi est adopté à l’unanimité des 59 membres
présents.
Ce sont : MM. Andries, Beerenbroeck, Bekaert-Beckelandt,
Berger, Brabant, Coppieters, Corneli, de Brouckere, de Florisone, de Foere, de
Jaegher, de Langhe, de Longrée, F. de Mérode, W. de Mérode, Demonceau, de Nef,
de Puydt, de Renesse, Desmaisières Desmet, de Terbecq, d’Huart, Donny,
Dumortier, Duvivier, Eloy de Burdinne, Frison, Hye-Hoys, Keppenne, Kervyn,
Lecreps, Lejeune, Maertens, Mercier, Metz, Milcamps, Morel-Danheel, Nothomb,
Peeters, Pirmez, Pirson, Pollénus, Raikem, Raymaeckers, A. Rodenbach, C.
Rodenbach, Rogier, Scheyven, Seron, Smits, Thienpont, Trentesaux, Ullens,
Vandenhove, Verdussen, Vergauwen, H. Vilain XIIII, Zoude.
PROJET DE LOI RELATIF AUX DROITS SUR LE SUCRE
Discussion générale
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Mon intention étant de présenter, au projet de loi
qui vous est soumis par la commission des sucres, divers amendements, je les ai
fait imprimer avec une explication en regard des articles nouveaux que je
propose. Je vais en remettre des exemplaires à M. le greffier, pour les faire
distribuer à l’instant à nos honorables collègues. De cette manière chacun
pourra apprécier la portée des dispositions nouvelles que je présente.
Je prierai M. le président d’en faire donner lecture
avant le commencement de la discussion.
M. le président donne lecture des propositions de la
commission et de celles de M. le ministre des finances ; elles sont ainsi
conçues :
(La lecture de ces deux projets n’est pas
reprise dans la présente version numérisée.)
M. Dumortier a proposé l’amendement suivant :
« La prime de réexportation sur le sucre sera acquise
sur le pied de l’accise de 100 kilog. de sucre brut introduit en Belgique lors
de l’exportation de 75 kilog. de sucre raffiné en pains ou candi, et pour les
sucres dits lumps qui n’ont recu qu’un raffinage, lors de l’exportation de 90
kilog.
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Je crois devoir donner une très courte explication
pour indiquer la différence qui existe entre le projet de la commission et les
amendements que j’ai eu l’honneur de déposer sur le bureau.
La commission propose de modifier le droit
d’importation qui est de 37 fr. 02 c. avec les additionnels, et de l’élever à
40 fr. sans additionnels ; je demande, moi, de ne pas toucher à cette
disposition, de la laisser telle qu’elle existe. Vous comprenez que dès lors,
par une conséquence nécessaire, il n’est pas question dans mon projet
d’articles supprimant les centimes additionnels et le timbre sur quittances,
articles que la commission a dû admettre, puisqu’elle voudrait un nouveau droit
sans additionnels. J’ai conservé du reste, par mes amendements, sauf de légères
modifications de rédaction, tous les articles en quelque sorte réglementaires
de la commission, si ce n’est l’article 2 qui est fondamental et que j’ai
remplacé par la disposition de mon article premier, de laquelle résulterait la
certitude pour le trésor de percevoir un quart du droit d’accises sur les
quantités de sucres importés. Les raffineurs continueraient au surplus d’être
sous la législation actuelle quant aux trois autres quarts.
Ainsi le trésor serait assuré de la perception d’un
million environ, ce que je tâcherai de démontrer lorsque nous en serons arrivés
à la discussion des articles, et d’un autre côté les raffineurs resteraient
sous l’empire de la loi actuelle quant à la majeure partie des sucres pris en
charge.
Rien ne serait donc changé, quant à présent, sur la
question si controversée du rendement. La solution en serait ajournée à une
autre session, dans laquelle le gouvernement présenterait un projet complet,
qui comprendrait les sucreries de sucre de betterave.
D’après le budget
des voies et moyens l’impôt du sucre doit nous procurer 800,000 fr. ; ce qui
est bien modéré si on considère que ce produit devrait rapporter au trésor 4
millions ; or, mon projet pourvoirait largement à cette prévision.
On dira peut-être que l’article premier de mon projet
entravera le commerce qui se fait exclusivement pour l’exportation ; mais je
répondrai d’avance qu’il est avéré qu’une partie des sucres importés est
nécessairement livrée actuellement à la consommation intérieure, puisque le
trésor ne touche presque plus rien sur les sucres. Ainsi nous ne gênerons pas
le commerce exclusif d’exportation, parce qu’il n’y en a pas d’exclusif, en
réalité, pour les sucres pris en charge.
M. de Brouckere. - Je crois qu’il importe de décider sur quel projet sera établie la
discussion et quel est le projet qui sera considéré comme projet primitif.
Je pense qu’on pourrait considérer comme projet
primitif le projet de la commission et les amendements du ministre. Toutes les
autres dispositions qui seraient adoptées seraient considérées comme des
amendements au projet primitif.
M. le ministre des finances (M.
d’Huart). - Je dois dire,
messieurs, que je considère les dispositions que j’ai présentées comme des
amendements au projet de la commission, qui me semble devoir être pris dès lors
pour projet principal.
M. de Brouckere. - Pour ma part, je me rallie à cette proposition. Il suffit d’établir
sur quel projet la discussion sera établie. Puisque M. le ministre des finances
veut bien que ses propositions soient considérées comme des amendements, il n’y
a aucune difficulté. Il est entendu que le projet principal sera le projet de
la commission.
M. Desmaisières, rapporteur. - Après l’explication de M. le ministre des
finances, je n’ai puis rien à dire ; car je me proposais de soutenir que la
discussion doit être établie sur le projet de la commission, et que les
dispositions proposées par M. le ministre des finances doivent être considérées
comme des amendements.
Plusieurs membres.
- On est d’accord.
M. Dumortier. - Il m’importe assez peu de savoir quel est le
projet sur lequel s’établira la discussion. Mais il m’importe que l’attention
de l’assemblée ne soit pas détournée de l’objet principal qui nous occupe. Ce
sont les amendements de M. Lardinois et de moi, qui ont apporté une
modification au système actuel de législation sur les sucres : je tiens à ce
que l’assemblée ne perde pas de vue que c’est là l’origine de la discussion qui
nous occupe.
M. le président. - J’ai donné lecture des amendements de M. Dumortier
et de M. Lardinois. Mais la chambre ayant décidé que le projet de la commission
serait considéré comme projet principal, les propositions de MM. Dumortier et
Lardinois devront être considérées et mises aux voix comme amendements.
M. le ministre des finances (M.
d’Huart). - Je prie l’honorable M. Dumortier de remarquer
que son amendement et celui de M. Lardinois sont réunis et amendés dans
l’article 2 du projet de la commission, c’est-à-dire de l’article qui détermine
la quotité de la décharge pour l’exportation du sucre.
Peu importe que l’une ou l’autre disposition soit
considérée comme projet principal ; car ce sera un chiffre à mettre aux voix si
l’article premier du projet que je viens de remettre n’est pas admis. Cet
article 2 est le seul du projet de la commission dont les amendements que j’ai
présentés s’écartent essentiellement.
M. Dumortier.
- Je suis d’accord avec l’honorable ministre des finances. Mais je dois faire
remarquer que chacun pouvait comprendre la portée de mon amendement et de
l’amendement de M. Lardinois. Ces amendements n’avaient pour but que de
modifier le rendement fixé par la loi, de substituer un chiffre à un autre.
Cela était parfaitement clair. Au lieu de cela la commission introduit un
système complétement nouveau. Je prie la chambre de ne pas perdre de vue cette
considération qui domine toute la discussion. Pour moi je prétends que la
discussion devrait être établie sur ma proposition et sur celle de M.
Lardinois, parce que la portée de ces dispositions peut être comprise par
chacun, parce que chacun ne peut comprendre la portée de l’article qu’on a
présenté.
M. Gendebien. - Cette discussion me paraît oiseuse. Nous allons
établir une discussion générale qui portera et sur les propositions faites
l’année dernière, et sur les propositions de la commission, et sur celles du
ministre des finances. Lorsque la discussion générale sera terminée, on
abordera les articles premier et deuxième. Je crois que toute discussion
ultérieure est inutile. La discussion générale est une discussion de principe.
M. le président.
- Il s’agit de savoir si l’on prendra pour projet primitif la proposition de la
commission ou la proposition de MM. Lardinois et Dumortier.
M. Dumortier.
- Je me rallie à la proposition de M. Gendebien, que l’on commence par la
discussion générale.
M. le président. - Comme il faut que ce point soit décidé, je vais
consulter la chambre.
- La chambre décide qu’on prendra pour base de la
discussion le projet de loi présenté par la commission ; en conséquence, les
propositions du ministre et de MM. Lardinois et Dumortier seront considérées
comme amendements.
M. Smits.
- Messieurs, pour le moment je me propose seulement de vous soumettre quelques
considérations générales sur la manière dont il convient d’examiner l’objet qui
est à l’ordre du jour ; mais il me sera impossible, vous le pensez bien, de
m’occuper du projet tout à fait nouveau qui vient d’être lancé par M. le
ministre des finances. Je le pourrais d’autant moins que, souffrant de la
fièvre dans ce moment, il me sera peut-être difficile de traiter tous les
points que je me proposais de faire entrer dans le cadre de mon discours.
Depuis l’époque où la législature du pays a été saisie
du droit exorbitant d’initiative parlementaire dans les questions d’intérêt
matériel, depuis que ce droit est devenu presque effrayant par la faculté que
le règlement de cette assemblée a accordee à chacun de nous de lancer au milieu
des discussions des amendements improvisés sans les astreindre à un examen
préalable, depuis cette époque, dis-je, jamais une question plus digne
d’intérêt n’a été soumise à vos délibérations : question devant laquelle les
esprits les plus éclairés de pays voisins n’ont pas craint de reculer, et
qu’ici néanmoins on a voulu trancher accidentellement avec une hardiesse, une
témérité presque égale à la gravité et à l’importance de son objet.
En m’élevant le premier contre les propositions qui
vous ont été soumises l’année dernière, et dont la chambre se trouve encore
légalement investie, je prie mes honorables collègues de croire que je
n’entends nullement me constituer l’organe d’une industrie particulière, d’un
intérêt privé. Ce rôle m’irait mal ; autant que personne j’ai toujours défendu
dans cette enceinte les intérêts généraux ; autant que personne encore, je
tâcherai d’arriver au but que nous voulons tous atteindre, celui d’assurer au
trésor une large part de revenus sur l’article qui nous occupe.
Mais, en dirigeant nos efforts vers ce but, vous me
permettrez aussi, je l’espère, messieurs, de m’élever avec quelque force, avec
quelqu’énergie contre toutes les propositions qui pourraient tendre à anéantir
ou à paralyser une industrie antique qui, par l’heureuse influence qu’elle
exerce sur toutes les autres branches de la prospérité nationale, est digne au
plus haut degré de toute votre attention, de toute votre sollicitude.
Habitué à lutter avec les intérêts privés, habitué à
scruter leurs allures et les attaques diverses, multipliées et incessantes,
qu’ils dirigent quelquefois contre des intérêts rivaux, je n’ai nullement été
étonné de rencontrer à la traverse de nos débats une industrie jeune,
intéressante et vivace, qui a eu le tort grave, selon moi, de venir, au début
de la carrière, réclamer la dictature du monopole ; mais ce qui, je dois le
dire, m’a vivement affligé, découragé même, c’est d’avoir vu quelques députés
appartenant à des districts industriels, se jeter dans une arène qu’ils
n’avaient sans doute pas suffisamment mesurée, pour venir appuyer les
réclamations irréfléchies de cette jeune industrie dont je viens de parler, et
qui, pour vivre et prospérer, n’avait pas besoin de demander les dépouilles de
sa rivale. J’espère néanmoins que ces honorables membres lorsqu’ils seront
mieux éclairés, reviendront à d’autres sentiments, à d’autres opinions.
Car, qu’ils ne s’y méprennent point : de toutes les
questions de finances qui ont été agitées dans cette enceinte, aucune peut-être
ne présente autant de gravité que celle des sucres. Elle est du nombre de
celles qui ne s’isolent point ; pour la traiter, il faut parcourir le cercle
entier, immense, de notre économie générale ; vouloir la résoudre par une
pensée purement financière, par un chiffre de revente, ce serait s’exposer au
danger de briser cette longue chaîne d’intérêts divers qui attache
l’agriculture à l’industrie, l’industrie au commerce, le commerce à la
navigation, le tout ensemble à la politique et à la prospérité du pays.
Non, messieurs, l’impôt sur les sucres ne constitue
pas purement une question de revenu ; car, outre qu’il est de principe
d’exempter des impôts autant que faire se peut, les objets qui servent
d’élément aux échanges internationaux, nous trouvons, dans la législation même
qui nous régit, la preuve, sans réplique, que l’idée qui a présidé à la
confection de la législation dont il s’agit, n’a pas été une idée fiscale, mais
une idée de haute portée mercantile qui avait pour objet de contrebalancer la
législation anglaise, de déplacer le marché des sucres, de l’attirer au pays et
de favoriser par là l’écoulement de nos produits agricoles et industriels,
ainsi que de faciliter l’importation des matières premières indispensables à
nos nombreuses manufactures et à notre consommation.
On a dit que toute loi industrielle devait suivre le
progrès ou le recul de l’industrie à laquelle elle s’applique, et que puisque
le raffinage du sucre avait fait d’immenses progrès, il fallait modifier la
législation dans le sens de ce progrès ; mais, messieurs, quel est l’homme un
peu au courant de la situation industrielle du pays qui ignore que les
raffineries des sucres exotiques sont très anciennes parmi nous, et qu’elles
ont toujours marché au progrès ; que même bien souvent elles ont servi de
modèle à celles des autres peuples, tellement que sous l’empire encore on
exigeait quelquefois, des candidats pour le professorat en chimie, des preuves
positives de leurs connaissances dans les procédés de notre fabrication.
Eh bien, malgré ces progrès, le législateur a-t-il
diminué la ristourne, le drawback des droits, depuis que les sucres ont été
assujettis à un impôt de consommation ; a-t-il modifié les lois en vue
d’augmenter les recettes du trésor sur un article qu’on peut presque considérer
comme un impôt de luxe ? Non, messieurs, il ne l’a point fait, parce qu’il
savait comme nous que les progrès dont j’ai parlé, et qui étaient alors ce
qu’ils sont encore aujourd’hui résidaient seulement dans l’amélioration des
produits, dans l’activité et l’économie de notre travail, mais nullement dans
le rendement de la matière brute, dans l’augmentation du produit fabriqué.
Aussi suivez avec attention la marche de la
législation sur les sucres, et vous remarquerez que d’abord elle avait établi
le rendement à 60 kilog. de sucre raffiné fin pour 100 kilog. de sucre brut ;
que plus tard elle a fixé ce rendement à 55 p. c., et que finalement ce
rendement aurait été établi à 53 p. c. si, en 1829, les chambres législatives
eussent sanctionné les propositions du gouvernement, qui étaient le résultat
d’une longue et minutieuse enquête.
Maintenant supposons que cette législation ait créé
une prime en faveur des raffineries nationales, cette prime n’aurait-elle pas
été établie comme je le disais tout à l’heure dans l’intérêt des échanges qui
exigeait impérieusement et qui plus que jamais exige aujourd’hui que nous
conservions nos moyens de concurrence au-dehors ? Evidemment ; et sans cet
intérêt puissant, il n’aurait pu jamais entrer dans la pensée d’une législature
quelconque de créer des primes dans un intérêt privatif que le seul bon sens
réprouve et que les règles de l’économie politique repoussent également.
Toutefois poussons la supposition jusque-là ; allons à l’extrême ; supposons
que les lois de 1822 et de 1829 aient voulu créer ces primes dans un intérêt
privatif, ce que trop fréquentes faillites parmi les raffineurs viennent par
trop victorieusement contredire ; eh bien ! dans cette hypothèse même y
aurait-il justice à en priver aujourd’hui une industrie mère dont les immenses
capitaux se sont engagés sur la foi de la législation et qui vivifient tout ce
qu’ils touchent ? Je ne le pense pas.
Mais le législateur n’a pas établi de prime ; il a
calculé le rendement du sucre brut, qualités mélangées, etc. ; il a reconnu que
le mélange ne pouvait offrir une moyenne plus forte que de 53 à 65 p. c. en
sucre fin raffiné exportable.
Certes, messieurs, cette moyenne serait dépassée, si
nos raffineries employaient exclusivement du sucre blanc ou blond de la Havane
; mais par contre le sucre de Manille, du Brésil, de Siam, de Porto-Rico, de
l’île San-Jago, etc., qu’on emploie le plus généralement, restent plutôt
en-dessous qu’au-dessus du rendement calculé.
Ces faits confirmés d’ailleurs par les tableaux que M.
le ministre des finances a fait
distribuer à votre commission spéciale, nous les établiront dans la discussion
de détails, et si je les indique ici, c’est uniquement pour vous prémunir
d’avance contre toute surprise dans une question pratique, et qui ne peut se
résoudre que par l’expérience.
En Hollande aussi le produit de l’impôt sur les sucres
a considérablement diminué et s’est presque réduit à rien ; mais la Hollande
a-t-elle cherché pour cela à modifier sa législation qui est absolument la même
que la nôtre ? Nullement. Dans ce pays, qui connaît ses intérêts commerciaux,
le ministre des finances au contraire est venu hautement proclamer à la tribune
des états-généraux que « bien que les revenus du trésor diminuaient en
proportion de l’augmentation des exportations en sucres raffinés, le
gouvernement ne jugeait pas devoir toucher à la législation existante, attendu
que l’industrie des raffineries se rattachait trop directement à toutes les
autres branches de la richesse publique. »
D’ailleurs, ajoutait le ministre, « la position des raffineurs en
général et surtout à Amsterdam est très pénible ; trois sont déjà en faillite,
et l’on devra se féliciter si ce nombre ne devient pas plus grand. »
En Angleterre, la question s’est présentée sous une
autre face : là il n’y a pas eu décroissement sensible dans les revenus, mais
une industrie rivale, la fabrication du sucre de betteraves, est venue se
placer comme concurrente de l’ancienne industrie, préludant probablement comme
ici, par réclamer quelques avantages.
Eh bien, au lieu de faire droit à ces réclamation, M.
Poulet-Thompson, président du bureau de commerce, a voulu, avant que les
capitaux n’allassent se jeter dans cette industrie nouvelle, fixer son sort, et
il a demandé en conséquence que le sucre indigène fût frappé d’un droit de 48
schellings (60 francs) par 100 kilog., droit égal à celui que paie le sucre des
colonies.
Je n’ai pas besoin de dire que cette proposition a été
adoptée par la grande majorité du parlement qui, dans cette circonstance, a
prouvé qu’il savait envisager de pareilles questions avec cette hauteur de vues
et d’ensemble qui doivent présider toujours aux questions d’intérêts matériels.
Si donc l’organe officiel et compétent du gouvernement
hollandais d’une part a cru devoir tenir ce langage, lui, le mandataire d’un
pays moins industriel que le nôtre, et possesseur d’immenses colonies qui
suffisent aux besoins de ses produits manufacturés, et si d’autre part le
ministre du commerce et de l’industrie de la Grande-Bretagne n’a pas craint
d’arrêter l’essor de la fabrication du sucre de betterave, pour maintenir le
travail du sucre exotique, quelle est, je vous le demande, la ligne de conduite
que nous devons tenir en présence de deux nations qui ont une législation
presque identique à la nôtre ; nous, messieurs, qui sommes dans un pays sans
colonies et dont la production excède de bien loin les besoins de la
consommation intérieure ; nous qui avons conséquemment le plus impérieux
intérêt à déverser au-dehors et sur des marchés divers l’excédant de nos
produits, au risque de périr de misère au sein même des richesses et de
l’opulence ?
Je n’hésite pas à le dire : notre conduite doit être
identique ; nous devons bien nous garder de porter une main téméraire sur une
loi qui est la sauvegarde de nos relations transatlantiques, et que tous les
esprits de quelque portée commerciale considèrent, avec raison, comme le
palladium de notre existence industrielle et maritime.
J’arrive à la démonstration de ce fait incontestable.
Autrefois, je l’ai déjà dit, presque toutes nos
relations industrielles, maritimes, se concentraient sur l’exploitation du
marché hollandais dans les Indes orientales, et ce marché, par son immensité,
suffisait presque seul à nos besoins ; mais, depuis notre séparation, force
nous a été de suppléer à ce débouché, en nous dirigeant vers d’autres parages.
Ainsi, dans l’autre hémisphère, le Brésil, la Havane,
la côte occidentale de l’Amérique du sud, l’Amérique du nord, quelques ports des
Antilles, ont été explorés avec quelque activité, et d’un autre côté on a
cherché à renouer des relations plus actives avec le nord, avec les échelles du
Levant, avec Gènes, Constantinople, Trieste, Livourne, Odessa et autres ports
méditerranéens. Mais comment ce commerce s’est-il établi ? Uniquement,
messieurs ,par les sucres, et vous allez le comprendre.
La Havane, le Brésil, Santos, Portoricco, Manille et
autres lieux n’offrent presque généralement que des sucres en retour des
cargaisons que nous leur importons, et qui consistent spécialement en farines,
genièvres, armes, tissus, clous, ouvrages en fer, verres, verreries et antres
produits de notre industrie ; or, pour pouvoir vendue ces produits, il faut de
toute nécessité pouvoir prendre les sucres en retour, car si nous ne le
pouvions pas, si les sucres ne pouvaient pas se travailler dans notre pays,
comme cela arriverait si les raffineries venaient à tomber, il nous serait
matériellement impossible d’exporter dans ces parages la moindre parcelle de nos
produits agricoles ou industriels puisque les navires, devraient, dans cette
hypothèse, revenir à vide et seraient obligés conséquemment de faire supporter
un double fret à leur cargaison de sortie, de sorte que celle-ci ne pourrait
plus, pour la vente, soutenir la concurrence avec les produits des autres
nations.
J’insiste sur cette observation ; elle est si
capitale, elle intéresse si vivement notre agriculture et notre industrie, que
je ne puis me résoudre à l’abandonner, dans la crainte qu’elle n’aurait pas été
saisie par ceux de nos honorables collègues moins familiarisés avec nos
relations internationales.
Le Brésil, la Havane et presque tous les pays
transatlantiques avec lesquels nous entretenons un commerce actif produisent du
sucre. Le sucre est le principal mobile de leurs échanges ; ils reçoivent des
Européens les produits fabriqués nécessaires à leur consommation ; les produits
les mieux fabriqués et les moins chers obtiennent la préférence ; pour pouvoir
le donner à un prix raisonnable, il faut pouvoir prendre des sucres en retour.
Sans cela les produits manufacturés auraient un double fret à supporter, et dès
lors la concurrence avec les produits d’autres nations, opérant ces retours,
serait impossible. Or, les retours ne peuvent pour la majeure partie consister
qu’en sucres ; donc sans ce dernier article, tout commerce, tout échange, toute
exportation en un mot devient impraticable.
Maintenant retournons le tableau, et il ne vous sera
pas difficile de voir que son revers vient ajouter encore une vigueur et des
teintes nouvelles à la force des arguments pratiques que je viens de faire
valoir.
J’ai eu l’honneur de vous dire que des nouvelles
relations ont été établies avec le nord et les ports méditerranéens de
l’Europe, et que ces relations s’entretiennent et grandissent tous les jours
par le commerce du sucre ; mais ici, ce n’est plus le sucre brut qui constitue
le principal élément de nos échanges ; c’est le sucre raffiné qui, après avoir
laissé dans le pays le bénéfice d’une main-d’œuvre de 2 millions et plus
peut-être, va se déverser en Allemagne, dans la Baltique, à Gênes, à Livourne,
à Trieste, à Constantinople, Smyrne, Odessa, etc.
Ce sucre forme à la sortie ce que le sucre brut forme
à l’entrée, c’est-à-dire, ce qu’on appelle en commerce maritime la matière
encombrante du navire, sans laquelle il n’y a point de navigation possible. Or,
c’est parce que notre marine possède heureusement encore cette unique
ressource, que les draps de Verviers, les verreries de Charleroy, les armes de
Liége, la clouterie, les tissus de lin et de coton, trouvent toujours des
occasions, et presque les seules occasions pour déboucher, par pacotilles
diverses, les produits de leurs manufactures. Changez la loi, rendez la
position du raffineur belge moins favorable que celle du raffineur anglais ou
hollandais, majorez le tantième du rendement, et ces moyens d’échange et
d’écoulement vous échappent aussitôt et peut-être pour toujours.
Je ne vous entretiendrai pas des nombreuses industries
particulières qui dépendent directement, immédiatement du raffinage, telles que
les papeteries pour une certaine qualité de leurs produits, le tonnelage, les
fabriques de formes, les chaudronniers ; je ne mentionnerai pas les nombreux
ouvriers qu’elles entretiennent quoique je pusse en faire quelque bruit, si à
l’exemple de plusieurs de nos honorables collègues, je voulais me complaire à
vous dérouler le tableau effrayant des misères dans lesquelles une modification
au principe constitutif de la loi viendrait les plonger. Pour moi, j’aime mieux
les défendre que de les émouvoir. L’appel aux réclamations populaires n’est pas
de mon goût, et jamais cette arme ne trouvera un appui dans mes mains.
Mais, messieurs, vous me permettrez au moins de vous
parler encore de l’état d’abandon, de délaissement auquel notre marine
marchande serait réduite, si par une mesure imprudente, vous alliez
compromettre le commerce des sucres. Que lui reste-t-il en effet, si ce n’est
ce commerce et celui du sel ? Me répondra-t-on qu’elle pourra encore importer les
cotons, les bois de teinture, les cuirs et autres articles de cette nature ?
Oui, elle le pourra rigoureusement ; mais avec perte par la raison que je vous
ai déjà indiquée : celle que les sucres seuls dans la plupart des parages, et les cafés, dans quelques
autres, forment la cargaison encombrante des navires, et que les autres
marchandises ne sont pour ainsi dire que des accessoires, qui, par cela même
que le chargement est formé, peuvent se transporter et être livrés à meilleur
compte à ceux de nos industriels qui les manipulent.
Et veuillez le remarquer, la contradiction choquante
qu’il y aurait à paralyser la marine marchande dans ses mouvements, alors que
récemment encore vous avez voulu l’agrandir par des primes de construction,
primes qui ont déjà porté quelques fruits en ce que d’une part elles ont
coopéré à augmenter notre marine, et que de l’autre elles ont donné la vie
presque éteinte à nos chantiers de construction. Encore une fois modifiez la
loi sur les sucres, seul élément de navigation, et les primes deviennent
inutiles et les constructions s’arrêtent.
Me dira-t-on, nous apprécions comme vous toute
l’importance du commerce des sucres, tout l’intérêt qu’inspirent les
raffineries ; mais la législature doit protéger toutes les branches industrielles,
et elle doit conséquemment couvrir de son égide tutélaire la fabrication des
sucres de betteraves, industrie nouvelle et qui, par sa liaison intime avec
l’agriculture, mérite une attention toute spéciale.
Je suis d’accord sur tous ces principes ; oui, il faut
accorder une protection équitable à toutes les industries ; mais il ne faut
jamais sacrifier une industrie ancienne et principale à une industrie nouvelle
et relativement secondaire.
Je dis principale pour la première et secondaire pour
la seconde parce que l’une est l’élément vivace de notre industrie, de notre
commerce, de notre navigation, et que l’autre au contraire ne peut exercer
aucune influence quelconque, ni sur l’importation avantageuse des matières
premières nécessaires à notre consommation et à nos nombreuses manufactures, ni
sur l’exportation facile et favorable de nos produits fabriqués.
Tout ce que cette seconde industrie pourra produite,
ce sont les bienfaits ordinaires qui résultent de la création d’un nouvel
élément de travail et de la circulation de nouveaux capitaux ; mais je le
répète, son influence sera peu de chose sur l’industrie générale, le commerce
et la navigation aussi longtemps du moins que les nations transatlantiques
s’occuperont de la culture de la canne à sucre et que d’autres consommeront de
préférence ce dernier produit.
On a cherché à la comparer sous le rapport agricole, à
la production du lin et de la garance ; mais on n’a pas réfléchi que ces
derniers articles constituent essentiellement un élément d’exportation et
d’échange, tandis que le sucre indigène ne pourra s’exporter nulle part en
concurrence avec le sucre exotique et qu’il ne pourra donner lieu à des
importations.
Et d’ailleurs si la Belgique veut tout produire, à
quoi se réduiront, comme le demandait l’autre jour l’honorable M. Gendebien à
l’occasion de l’industrie sétifère, à quoi se réduiront nos moyens d’échanges
avec d’autres nations ? Car il est très vrai, ainsi qu’il le disait, que pour
pouvoir donner, il faut aussi pouvoir recevoir.
Maintenant quant à l’influence favorable que la
culture et la fabrication de la betterave est appelée à exercer sur les
intérêts agricoles en général, le temps seul peut nous l’apprendre. Toutefois,
d’après ce qui se passe dans un pays étranger et voisin, le doute à cet égard
est encore permis.
Je ne l’examinerai pas pour le moment pour ne pas
allonger mon discours, me réservant de traiter cet objet dans une discussion
subséquente ; il me suffit d’avoir établi et prouvé en quelques mots que le
parallèle entre la fabrication du sucre exotique et la fabrication du sucre
indigène était, commercialement, industriellement parlant, tout à fait à
l’avantage du premier.
Mais, me dira-t-on, si le système actuel est vicieux,
s’il compromet les intérêts du trésor, vous ne voulez donc pas qu’on
l’améliore, vous voulez donc laisser subsister des abus. Ma réponse sera facile
: non, je ne veux pas laisser subsister des abus ; je veux comme tous mes
collègues que le sucre rapporte davantage au trésor ; mais je soutiens que quant
aux dispositions principales, celles qui règlent le rendement et drawback, il
faut les laisser subsister. C’est là la loi de notre existence industrielle et
commerciale, et tant que cette loi sera conservée en Hollande et en Angleterre,
pays avec lesquels nous sommes les plus en rivalité, il faut la maintenir en
Belgique.
Ainsi le veut aussi notre intérêt politique, car du
moment où vous aurez porté la main au système du drawback, vous aurez donné le
monopole commercial du sucre à la Hollande ; vous aurez enrichi son marché de
toutes les dépouilles qui restent au nôtre, vous aurez coupé l’artère qui donne
la vie à votre industrie.
Et puis, puisqu’ici j’en suis sur la question
politique, quel intérêt auront certaines puissances transatlantiques à faire des
traités de commerce avec nous lorsqu’elles ne nous pourrons presque plus rien
envoyer, lorsque nous ne pourrons plus rien leur expédier ? Quel puissant
intérêt auront encore la Prusse et d’autres Etats d’Allemagne à se lier avec
nous par des conventions et des chemins de fer ? Lorsque notre marché sera
appauvri, notre marine affaiblie et que nous ne pourrons plus servir
d’intermédiaire, ni pour l’importation des matières premières dont ces Etats
ont besoin, ni à l’exportation de leurs produits fabriqués ? Aucun, messieurs.
Et qu’on ne me dise point que l’intérêt de ces
puissances sera toujours le même, puisque dans toute hypothèse nous recevions
le sucre destiné à la consommation de l’Allemagne. Messieurs, c’est là une
erreur et une erreur grave : une fois que nos raffineries seraient anéanties ou
paralysées (et elles le seraient en touchant au drawback) avant que
l’Angleterre ou la Hollande y aient touché, les sucres cesseraient d’arriver ;
car pour qu’une marchandise ait un accès toujours facile, il faut aussi qu’elle
ait deux moyens d’écoulement à sa disposition, c’est-à-dire le marché intérieur
ou le transit ; si le marché intérieur est encombré, on a la voie du transit ;
si le marché de transit est encombré, on a le marché intérieur ; mais, je le
répète, sans ces deux moyens, aucun commerce un peu étendu est impraticable.
Toutes les considérations industrielles, agricoles,
commerciales, maritimes et politiques viennent donc former un faisceau imposant
pour ne pas changer ce qui existe et pour maintenir au pays une branche qui
procure d’aussi éminents avantages que le commerce et l’industrie des sucres
exotiques.
Mais, messieurs, il est d’autres considérations encore
qui militent en faveur de ce maintien, et ces considérations-là seront
puissantes sur vos esprits, puisque je les tire de l’impérieuse nécessité de ne
point diminuer les revenus généraux de l’Etat.
Or, messieurs, parmi ces revenus figurent en seconde
ligne les droits de douane qui ont toujours été en augmentant, parce que la
Belgique heureusement a conservé le commerce des sucres, ainsi que le prouve
l’état de ses importations successives. Si donc vous détruisez ce commerce qui
alimente tous les autres, vous diminuerez nécessairement non seulement les
droits de douane, à l’entrée et la sortie, mais les droits de navigation et de
tonnage, ainsi que la consommation importante produite par le mouvement
commercial et les équipages des navires que ce commerce entretient.
Je n’exagère pas en calculant à plus d’un million la
diminution des recettes qui résultera de cet affaiblissement de nos
importations et de nos exportations, et je n’y ajoute pas la perte que la
fraude hollandaise nous fera éprouver ; car veuillez ne pas perdre de vue que
dès que vous aurez mis nos raffineurs dans une position moins favorable que
ceux de la Hollande, il sera devenu matériellement impossible d’empêcher la
fraude, qui est encore retenue aujourd’hui par la concurrence que peuvent faire
nos industriels. Détruisez cette concurrence, les sucres hollandais déborderont
par tous les points de nos frontières, en même temps que les recettes présumées
de l’accise échapperont également au trésor.
On s’est plaint, et avec raison, de la diminution de
nos revenus ; mais qu’on veuille faire attention que les raffineries de sucre
de betteraves commencent déjà à jeter des quantités considérables dans la
consommation sans être assujetties au paiement d’aucun droit, quantités qui,
pour 1838, atteindront peut-être le chiffre de 6 à 7 millions, tandis que la
fraude hollandaise approvisionnant déjà trois de nos provinces, vient également
dans une très forte proportion alimenter la consommation.
Faites disparaître cette
fraude, et peut l’atteindre en laissant la concurrence à nos raffineries
nationales ; écoutez les réclamations de la députation des états du Limbourg
contre ce trafic infâme qui démoralise nos populations frontières ; apportez à
la loi les sages modifications proposées par votre commission spéciale, et vous
atteindrez le but désiré en conservant au pays un commerce et une industrie
antique qui fait peut-être l’objet de la jalousie de nos rivaux.
Me sentant un peu fatigué, je bornerai ici mes
observations, me réservant toutefois de prendre une seconde fois la parole dans
la discussion générale pour entrer dans des détails spéciaux et aussi pour
répondre aux observations que mon discours aura pu faire naître ; en attendant,
je m’estimerai heureux si j’ai pu vous faire envisager la question sous son
véritable point de vue et si j’ai pu vous faire partager les convictions qui
m’animent.
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Messieurs, mon intention n’est pas d’entrer
maintenant dans la discussion générale ; j’attendrai que quelques orateurs
aient encore pris la parole, mais il importe que je rectifie immédiatement deux
erreurs qui ont été commises par la commission et que l’honorable préopinant
vient de reproduire.
On voudrait prétendre que des tableaux que le
gouvernement a fournis à la commission, il résulte la preuve évidente que le
rendement sur les sucres est tel qu’il est établi par la loi, savoir de 55 kil.
environ p. c.
Je vous prie, messieurs, de jeter les yeux sur les
pages 54 et 55 du rapport de la commission, et vous y trouverez de la manière
la plus convaincante et par les tableaux mêmes que l’on a cités, le contraire
du cette assertion. En effet, d’après ces tableaux, le déchet véritable sur les
sucres n’est que de 5 37/1000 p. c. . c’est-à-dire qu’on obtient 95 p. c. de
produit sur une perte de 5 37/1000.
Des membres. - Nous
n’avons pas contesté cela.
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Vous n’avez pas contesté cela ; mais alors que
signifie l’objection que vous prétendez tirer de l’assertion que vous avez
avancée.
Qu’on ne vienne donc pas soutenir que le rendement,
d’après mes propres renseignements, n’est que de 55 p. c.
Jetez les yeux sur le tableau de la page 54, contenant
les renseignements obtenus à Anvers, et vous y verrez à la première ligne que
100 kilogrammes de sucre brut donnent d’abord 50 kilogrammes de sucre en pain,
22 kilogramme et demi de sucre en lumps (produits qu’on exporte avec la haute
décharge).
Ensuite, 14 kil. et demi de cassonade, 10 kil. de
sirop, et 5 kil. de déchet.
Jetez maintenant les yeux sur le tableau de la page
suivante et vous y verrez à peu près les mêmes résultats.
Enfin, messieurs, je viens d’établir la moyenne du
déchet des deux tableaux, elle est comme je l’ai dit, cinq trente-sept
millièmes sur le raffinage de 100 kil. de sucre brut.
Maintenant j’entends qu’on m’oppose qu’il n’y a que 55
kil. de sucre exportable ; cela n’est pas tout à fait exact, mais que fait-on
des 40 kil. restants ? On les vend en Belgique à des prix très élevés, dans
lesquels est compté le montant de l’impôt, bien que l’Etat n’en reçoive rien.
Il n’est pas nécessaire de s’appuyer sur des tableaux pour prouver que le
rendement est erronément établi dans la loi actuelle, le chiffre du faible
produit de l’accise parle plus haut que tout le reste ; nous ne percevons
presque rien d’un impôt qui devait produire au trésor 4 millions que paie
cependant le consommateur ; 4 millions, messieurs, qui concourent à favoriser
la navigation, j’en conviens volontiers, et en cela je ne suis pas entièrement
opposé aux considérations générales que nous a présentées l’honorable M. Smits
; mais enfin ces 4 millions ont pour résultat principal de faciliter la
concurrence de nos raffineurs sur les marchés étrangers et d’y faire manger le
sucre à meilleur marché.
Il est, dis-je, évident, d’après le produits de
l’accise, que le rendement supposé dans la loi est beaucoup trop bas ;
toutefois, on a objecté, pour le contester, que la fraude considérable
d’importation était plutôt la cause de la diminution des droits perçus, et on
nous a cité un rapport de l’autorité provinciale du Limbourg, duquel il
résulterait que la fraude d’importation du sucre est excessive par Maestricht,
et je le dirai en passant, c’est aussi là exclusivement qu’il se fait
réellement de la fraude de sucres.
Eh bien, je vais prouver d’une manière incontestable que
cette contrebande est très peu de chose en comparaison de la consommation
totale du sucre en Belgique.
Il ne peut évidemment se frauder dans le Limbourg que
le sucre introduit à Maestricht par la libre navigation de la Meuse. Or, nous
connaissons les quantités de sucre qui s’importent par cette voie.
En 1835 elles ont été de 173,716 kil., en 1836 de
511,699 kil. ; du 1er janvier au 1er novembre 1837, de 429,434 kil.
Il ne peut, je le répète, être
fraudé que sur ces quantités. Et remarquez qu’il faut en défalquer d’abord la
consommation de la ville de Maestricht, puis les saisies de la douane, et ces
saisies ne sont pas peu importantes, puisqu’elles se sont élevées pour les six
premiers mois de 1837 à une valeur de 28,700 francs. Vous voyez donc qu’en
évaluant d’après les limites des chiffres que je viens d’indiquer, mais aussi
haut que possible les quantités de sucre introduites en fraude par le Limbourg,
ces quantités ne sont que fort peu de chose en comparaison du sucre qui se
consomme en Belgique et que l’on peut évaluer sans exagération à 12 millions de
kilogrammes de sucre brut.
J’attendrai la suite de la discussion pour aborder les
considérations générales dans lesquelles est entré l’honorable M. Smits ; je me
hâte de dire cependant que je suis loin de contester que la navigation doit
trouver des avantages dans la législation actuelle des sucres ; mais faut-il
que l’Etat sacrifie en entier 4 millions pour favoriser cette navigation, c’est
là ce qu’on aura de la peine à nous démontrer.
M. Pirmez.
- Depuis la révolution, plusieurs impôts de consommation très productifs sont
en quelque sorte anéantis pour le trésor ; il faudra donc sans cesse recourir
aux emprunts pour faire face aux dépenses qui croissent tous les jours. Que
l’on ait sacrifié les impôts antipathiques à la nation, rien de mieux ; mais
que, de gaîté de cœur, on renonce à ceux qu’elle paie sans répugnance, c’est à
notre avis être peu sage. Dans les pays riches comme la Belgique, l’impôt de
consommation est indispensable pour frapper les citoyens que l’impôt ne peut
atteindre directement, et à notre sens, loin de laisser improductifs les impôts
existants, le législateur devrait multiplier les impôts de consommation, en
prenant toutefois la précaution de les établir légers en proportion qu’ils
seront nombreux.
Et malgré les attaques dont ces impôts sont souvent
l’objet, il est vrai que le fisc n’a pas d’autre moyen d’atteindre les
richesses cachées. La règle générale est que celui qui possède beaucoup non
seulement consomme beaucoup, mais diversifie surtout ses consommations dans la
proportion de ses richesses, et si quelques citoyens font exception à cette
règle, les richesses qu’ils accumulent trouvent infailliblement après eux
d’autres citoyens qui rétablissent la règle et la confirment.
Entre toutes les consommations, celle du sucre paraît
surtout réunir au plus haut degré les conditions qui la rendent imposable. En
effet, le sucre n’est pas considéré comme une nourriture absolument nécessaire,
et sa consommation est immense ; il est prodigué dans toutes ces recherches que
le luxe rend indispensables. Aucune substance peut-être ne peut prendre plus de
formes et mieux s’allier à d’autres substances pour satisfaire la sensualité de
l’opulence ; et l’impôt sur le sucre est justifiable aussi, parce qu’il ne
blesse pas les idées de la masse de la nation, idées que, dans cette matière,
le législateur froisse rarement sans danger.
Messieurs, si les opinions diffèrent sur le mérite des
impôts de consommation en général, nous n’avons entendu aucune objection à ce
qui vient d’être dit dans l’intérêt du fisc en ce qui regarde l’impôt sur le
sucre. Le consommateur ou contribuable le supporte sans répugnance. Aucune plainte
de sa part ne s’est élevée jusqu’aujourd’hui ; il paie, sans mot dire, celui
que la loi d’accise a établi. Elle frappe le sucre brut d’un droit de
consommation de 37 fr. par 100 kilogr., et comme 14 millions de sucre brut
exotique sont consommés annuellement en Belgique, il résulterait que le
consommateur ou contribuable est chargé par cette loi d’accise d’un impôt de
plus de 5 millions, qui doit entrer dans le trésor public, et cette somme sur
un seul article de consommation est un fort beau produit.
Mais, malheureusement, tel n’est pas le résultat de la
loi. Le trésor public n’a jamais reçu les millions que donne ce calcul, il
s’est rencontré une année où il n’a reçu que 120,000 francs, c’est-à-dire
presque rien.
Un pareil résultat connu devait causer une grande
surprise. On s’enquit de ce que devenaient les millions payés par le
consommateur, et on tâcha de s’expliquer par quelle étrange opération ils
n’entraient pas dans le trésor.
Vous jugerez, messieurs, qu’il n’était pas facile de
dire ce que ces millions deviennent, lorsque vous saurez que de prime abord les
raffineurs de sucre exotique soutinrent que le consommateur ne les paie pas, ou
au moins qu’il ne paie qu’une bien faible partie de cette somme. Quant à
expliquer comment ce que le consommateur paie réellement n’entre pas dans le
trésor, cela est fort facile. Le voici :
Tout le sucre brut importé en Belgique n’y est pas
consommé ; la plus grande partie au contraire y est raffinée et réexportée sous
la forme de candi, pains et lumps.
Or, à la sortie du sucre la restitution du droit de
consommation a lieu. Pour le sucre raffiné en candi, pains et lamps, la
restitution s’opère de manière que 55 kil. de ces espèces de sucre raffiné
reçoivent une somme égale à celle qui est due pour le droit de consommation de
100 kil. de sucre brut.
Mais remarquez bien que 100 kilog. de sucre brut
produisent plus de 55 kilog. de sucre candi, pains et lumps. Ainsi 100 kilog.
de sucre brut transformés en candi, pains et lamps, reçoivent à la sortie plus
qu’ils n’ont payé pour le droit de consommation. Il doit donc résulter que
l’exportation de ces espèces de sucre raffiné, si elle est assez considérable,
peut absorber les millions que le consommateur paie ou pense payer sur le
sucre.
C’est ainsi qu’aujourd’hui une exportation énorme fait
que le fisc ne reçoit qu’une somme minime sur la consommation de 14 millions de
la Belgique, et si cette exportation était encore un peu plus forte, vous
comprenez bien que le trésor ne recevrait plus rien.
Il est bien clair que, quelque faible que soit la
quantité de sucre candi, pains et lumps qu’on obtienne au-dessus de 55 kil.
avec 100 kil. de sucre brut, il est toujours possible, au moyen d’exportations,
d’anéantir pour le trésor le droit de consommation. Il faut seulement pour cela
que l’exportation soit forte dans la proportion que la différence entre 55 kil.
et la quantité réelle qu’on obtient de candi, pains et lumps avec 100 kil, de
sucre brut, est petite. Mais le fait que 100 kil. de sucre brut produisent plus
de 55 kil. de candi, pains et lumps, n’est-il pas contesté ?
A cette occasion, les raffineurs de sucre exotique ont
fait remarquer qu’on avait dit d’étranges choses sur le raffinage du sucre, et
qu’il fallait beaucoup d’assurance pour poser le chiffre de la quantité de
candi, pains et lumps, que donne le sucre brut ; car ceux qui ont quelque
expérience de ces matières savent, disent-ils, qu’il y a une différence de près
de moitié entre le produit d’un sucre d’une contrée et celui d’une autre
contrée, entre le Manille brun et le Havane blond par exemple. Et malgré cette
énorme différence et malgré la loi qui semble donner une si grande faveur au
sucre brut qui produit le plus de candi, pains et lumps, il arrive parfois que
le bas prix de celui qui produit moitié moins le fait préférer par le raffineur
belge. Le simple exposé de ce fait suffit pour démontrer combien ce qui a été
avancé sur le produit du sucre brut est hasardé.
Mais, messieurs, quoi qu’il en soit de la réalité de
la différence qui existerait entre le produit des divers sucres bruts, toujours
est-il que les fabricants de sucre exotique soutiennent que l’abolition totale
du droit de consommation sur le sucre brut leur serait préjudiciable. Tous les
documents qu’ils ont présentés, tendent à faire rejeter cette abolition, ainsi
que tous les changements proposés à la loi.
Et combattre l’abolition du droit de consommation,
n’est-ce pas admettre aussi complétement qu’on puisse le faire que la moyenne
de tous les sucres bruts que les raffineurs introduisent en Belgique produit
plus de 55 p. c. de candi, pains et lumps, et que par conséquent, comme il leur
est à la sortie restitué plus qu’ils n’ont payé pour droit de consommation, ils
perçoivent à leur profil, au moyen d’exportations assez fortes, la presque
totalité des sommes que, d’après les intentions du législateur, la hausse du
sucre produite par le droit devait faire entrer dans le trésor public,
c’est-à-dire que le consommateur donne aux raffineurs près de quatre millions
au lieu de les donner au fisc.
Ici, messieurs, on a dit, dans l’intérêt des
raffineurs, qu’on était bien loin d’admettre toutes les conséquences que nous
déduisons de leur opposition à l’abolition du droit de consommation. Nous en
rejetons, disent-ils, la plus grande partie. Nous l’avouons, combattre l’abolition
totale du droit, c’est convenir que la moyenne des sucres bruts donne plus de
55 p. c. de candi, pains et lumps, c’est convenir que cet excédant est
profitable au raffineur ; mais remarquez-le bien, ce n’est pas convenir que le
consommateur paie réellement la totalité du droit fixé par la loi, et
conséquemment ce n’est pas convenir que la totalité du droit profite aux
raffineurs. Et comment peut-on concevoir, poursuivent-ils, que le consommateur
paierait la totalité du droit aux raffineurs de sucre exotique. Il existe cent
raffineries en Belgique ; terme moyen, chacune d’elles recevrait quarante mille
francs annuellement, et cependant plusieurs raffineries chôment, quelques
raffineries même ont failli, et comment chômer et faillir avec de pareils avantages
! Les raffineurs de sucre font-ils exception à la règle commune, les lois de la
concurrence sont-elles donc sans effet pour eux ? Peut-on imaginer que 100
industriels puissent se liguer pour maintenir l’élévation de prix d’une denrée,
et ne faut-il pas gratuitement supposer cette ligue pour soutenir que le droit
tout entier est profitable au raffineur ? Convenez que cette ligue n’est pas
possible ; le projet en aurait été conçu que mille circonstances l’auraient
fait avorter. Les raffineurs dont les établissements chôment, par exemple, et
ceux qui ont failli, l’auraient déjà renversé.
Nous l’avouons cependant, la concurrence entre les
raffineurs n’a pas encore été poussée jusqu’en ses dernières fins. Les grandes
industries, celles où il faut beaucoup de capitaux, résistent aux lois de la
concurrence bien puis longtemps que les petites ; aussi ne nions-nous pas que
la hausse produite par le droit profite aux raffineurs qui exportent des sucres
lumps en pains ou candi ; mais cette hausse n’atteint pas le chiffre du droit,
elle est limitée par la concurrence des raffineurs à l’intérieur, et cette
hausse dont la pétition des raffineurs de Gand donne le chiffre est très
petite.
Messieurs, ces objections ne nous ont pas convaincus,
et nous pensons qu’à part la consommation fournie par la fraude et par la
betterave, consommation minime d’ailleurs, le consommateur paie au profit des
raffineurs presque tout le chiffre du droit.
En effet, ce n’est pas l’intérieur du pays qui est le
champ où se livre le combat de la concurrence ; c’est l’extérieur. Tant que par
la grandeur de leurs exportations les raffineurs n’auront pas absorbé tout ce
que paie le consommateur, ce champ sera toujours plus beau que l’autre,
puisqu’ils reçoivent une prime pour s’y rendre. Or, le raffineur ne perçoit pas
encore tout ce que paie le consommateur, puisque, dans sa plus mauvaise année,
le fisc a encore reçu 120 mille francs.
D’ailleurs, il est un fait patent, c’est le prix du
sucre en entrepôt et en consommation, c’est-à-dire le prix du sucre vendu à
l’intérieur et à l’extérieur. Nous prenons ces prix dans les pétitions des
raffineurs eux-mêmes. On voit dans la pétition de Gand que la moyenne des prix
de candis, pains et lumps, vendus à l’extérieur, est de 20 fl. par 100 l.
d’Anvers, et le prix de ces mêmes espèces de sucre vendus à l’intérieur est de
35 fl. Si l’on rapproche ces prix de la quantité de sucre consommée en
Belgique, on verra que le raffineur doit absorber à peu près tout le droit.
Et quant aux raffineries qui chôment et quant aux
faillites, ces faits particuliers ne peuvent rien prouver. Des faveurs dix fois
plus fortes seraient données aux raffineurs qu’elles n’empêcheraient pas que,
parmi les personnes qui se livrent à cette industrie beaucoup ne se ruinasse.
La réussite des opérations particulières dépend trop de l’intelligence, de
l’ordre, de l’économie, de toute la conduite enfin de ceux qui les
entreprennent, pour que des faits isolés puissent être invoqués en pareille
matière.
Et certes, on se méprendrait étrangement, si, lorsque
nous disons que le droit de consommation presque entier est payé aux raffineurs
qui travaillent pour l’exportation, on comprenait que nous disons que, dans
cette opération, ces industries ont pour bénéfice tout le montant de ce qui
leur est payé par le consommateur ; telle n’est pas notre pensée. Le bénéfice
dépend du résultat général de l’opération d’importer, de raffiner, d’exporter
et de vendre à l’extérieur, et quand bien même ce résultat serait une perte
ruineuse non seulement pour quelques exportants, mais même pour tous les
exportants, cette circonstance n’empêcherait pas que le droit payé par le
consommateur n’eût été sacrifié dans cette opération par ceux qui
l’entreprennent.
Messieurs, c’est ici la place de présenter une des
principales objections des raffineurs de sucre exotique. Tout le monde est donc
d’accord, disent-ils, que le sacrifice imposé au consommateur contourne bien
plus à l’avantage de l’opération générale de raffinage et d’exportation qu’au
bénéfice individuel de citoyens qui se livrent à cette opération, mais vous
exagérez démesurément le sacrifice du consommateur.
En effet, poursuivent-ils, pour démontrer combien
grand est ce sacrifice, vous citez la différence du prix de consommation et
d’entrepôt des sucres candis, pains et lumps ; différence énorme en réalité ;
mais le sucre raffiné consommé en Belgique ne consiste pas seulement en candis,
en pains et en lumps ; il consiste aussi en vergeoises ou sucre en poudre,
qualité qui ne reçoit qu’un drawback égal au droit d’accise sur le sucre brut ;
il consiste encore en mélasse ou sirop qui ne reçoit aucun drawback.
N’est-il pas évident que la situation dans laquelle la
loi place ces deux dernières espèces de sucres, les force en quelque sorte à
être consommés en Belgique ? Or, comme il est impossible de produire des lumps,
des pains et des candis, sans produire en même temps des vergeoises et de la
mélasse, il résulte naturellement que plus considérable est la quantité
produite de ces premières qualités, plus considérable aussi est la quantité
produite des secondes. Et comme la quantité produite des candis, des pains et
des lumps est immense relativement à la consommation de la Belgique, il résulte
que la quantité produite de vergeoises et de mélasse est immense aussi ; et
comme ces deux dernières qualités ne peuvent guère s’exporter, le prix n’en
doit-il pas baisser à l’intérieur dans la proportion des quantités qui y sont
offertes, et n’y sont-elles pas offertes dans la proportion que l’exportation des
candis, des pains et des lumps est considérable ?
Et remarquez bien que ce sont les classes inférieures
de la société qui consomment le sucre en poudre et la mélasse. Ces classes se
trouvent donc très favorisées par la loi actuelle.
Elles profitent des sacrifices imposés aux classes
supérieures qui consomment le sucre en pain et le sucre candi. Si d’un côté les
consommateurs riches sont frappés, la consommation du pauvre en est d’autant
allégée.
Et à ceux, disent-ils encore, qui prétendent que le
vœu du législateur est trompé parce que la loi d’accise sur le sucre ne produit
presque rien au trésor, n’est-ce pas l’occasion de demander s’ils prouveraient
bien, eux, que ce vœu n’était pas le résultat obtenu aujourd’hui par la loi,
celui de porter au haut degré qu’elle a atteint l’industrie des raffineries, de
créer par là un immense commerce extérieur ; et ce résultat, de l’obtenir en
chargeant la consommation des classes riches pour favoriser d’autant celle des
classes pauvres, de manière qu’il y eût en quelque sorte compensation, et que
la somme de privation imposée à la nation considérée en masse ne fût pas plus
forte que si la loi n’existait pas ?
Messieurs, les observations des raffineurs que nous
venons de présenter dans toute leur force n’ont de valeur que lorsqu’on les
reçoit sans réfléchir. D’abord nous ne sommes pas bien d’accord que c’est
favoriser les classes pauvres que de rendre rares les subsistances délicates,
pour rendre communes les subsistances grossières ; que ce serait favoriser les
classes pauvres, par exemple, que de doubler le prix de la viande pour baisser
de moitié le prix de la pomme de terre. Quoi qu’il en soit de cette question
qui ne peut être traitée ici, est-ce à nous qui connaissons la différence des
prix en entrepôt et en consommation des sucres candis, pains et lumps, est-ce à
nous qu’on persuadera que cette énorme différence n’impose à la nation aucune
charge, et qu’elle gagne sur la consommation de la mélasse et du sucre en
poudre ce qu’elle perd sur la consommation des lumps, des pains et des candis ?
La mélasse et le sucre en poudre sont à meilleur marché que si la loi
n’existait pas ; cela peut être, mais l’insistance même des raffineurs à
soutenir le maintien de cette loi prouve évidemment qu’il n’y a pas de
compensation approximative. Si, par la quantité de sucre en poudre et de
mélasse que consomme la nation et qu’elle paie trop bon marché, il y avait
rachat presque complet de ce qu’elle paie en trop sur sa consommation de
candis, de pains et de lumps, évidemment les raffineurs n’auraient pas
d’intérêt à l’existence de la loi, et tous les efforts qu’ils font pour la
maintenir seraient inexplicables.
Ces efforts s’expliquent fort bien, répondent-ils,
sans qu’il soit besoin de nous supposer un grand bénéfice sur le consommateur.
Tout travail bien ordonné, toute entreprise conduite avec intelligence ne
procurent-ils pas une rémunération, un salaire, et le raffinage du sucre comme
toute autre industrie bien conduite jouit de ce salaire. N’est-il pas naturel
que nous tâchions d’empêcher la destruction de l’industrie du raffinage, et
d’autant plus que les instruments de travail, c’est-à-dire les capitaux que
nous y avons engagés, sont immenses ? Ils sont proportionnés à la faculté
d’exporter qui a été créée par la loi, et comme abolir la loi c’est détruire
notre industrie et nos capitaux, il n’est pas nécessaire de nous supposer un
grand bénéfice sur la masse de la consommation intérieure pour comprendre
l’intérêt que nous avons à son maintien.
Et quant à ce bénéfice dont on a fait tant de bruit,
les raffineurs de Gand, dans leur pétition du 5 janvier dernier, ont démontré
par des calculs ce que la nation considérée en masse payait réellement en impôt
sur le sucre. Voici l’analyse de ces calculs.
Ils admettent, pour faire une large part aux
exigences, en protestant contre toutes les conséquences que l’on voudrait tirer
de cet aveu, que le sucre brut donne 70 p. c. de candi, pains e lumps. Pour
obtenir ce produit, il faut employer le sucre le plus riche ; c’est le Havane
blond, et c’est celui qui est le plus généralement employé.
100 kil. de ce sucre soumis au raffinage donnent les
produits suivants : 70 kil. candi, pains et lumps ; 10 kil. sucre en poudre ou
vergeoises, 15 kil. sirop ou mélasse, 5 kil. de déchet ou freinte, c’est-à-dire
sont anéantis.
Or, dit la pétition de Gand comme une exportation de
55 kil. de candis, pains et lumps, nous décharge du droit de consommation, il
est naturel de supposer cette quantité exportée, et que tout le restant des
produits du raffinage des 100 kil. de sucre brut est consommé dans le pays ;
ainsi : 55 kil. de candi, pains et lumps, sont exportes ; 15 kil. de candi,
pains et lumps sont consommés à l’intérieur ; 10 kil. de sucre en poudre sont
consommés à l’intérieur ; 15 kil. de sirop ou mélasse sont consommés à
l’intérieur ; 5 kil. de déchet.
Le prix d’achat du sucre brut et les prix de vente en
entrepôt et en consommation, c’est-à-dire le prix de vente à l’étranger et à
l’intérieur vous donneront la juste mesure des bénéfices des raffineurs et des
sacrifices imposés à la nation par la loi d’accise.
L’achat de 100 kil. de sucre brut havane blond, droit
de douane compris, est de 36 fl. 51.
(Remarquez que le prix de vente se compte en livres
d’Anvers ; 100 kil. équivalent à 213 d’Anvers.)
Le prix moyen des candis, pains et lumps en entrepôt
est de 20 fl. les 100 liv. d’Anvers.
Le prix moyen de ces qualités de sucre en consommation
est de 21 fl.
Le prix du sucre en poudre en consommation est de 21
fl.
Et enfin le prix de la mélasse est de 7 fl.
Les 55 kil., ou 117 liv. d’Anvers, candi, pains et
lumps exportés, produisent donc 23 fl. 40 ;
Les 15 kil. ou 32 liv. de candi, pains et lumps
consommés à l’intérieur, 11 fl. 20 ;
Les 10 kil. ou 21 liv. de sucre en poudre consommés à
l’intérieur ; 4 fl. 41 ;
Les 15 kil. ou 32 liv. de sirop ou mélasse consommés à
l’intérieur ; 2 fl. 24 ;
Les 5 kil. ou 11 liv. déchet ou freinte, 0 fl.
Ensemble (consommés à l’intérieur) : 17 fl. 85
Total : 41 fl. P.-B. 25
Vous avez remarqué, continuent les raffineurs de Gand,
que 100 kil. sucre brut Havane blond nous coûtent 36 fl. 51 c. et la vente des
produits raffinés de ces 100 kil. ne sont payés que 41 fl. 25 c. Nous devons
donc prendre dans une somme de 4 fl. 76 les frais de fabrication et tous nos
bénéfices. Vous serez convaincus que ceux-ci ne peuvent être considérables.
De tous ces chiffres ne résulte-t-il pas,
poursuivent-ils, que le consommateur belge, c’est-à-dire la nation considérée
en masse, ne paie guère le sucre plus cher que si aucun droit n’existait sur
cette denrée ? En effet :
Les 55 kil. vendus à l’étranger sont payés 23 fl. 48,
ou 42 cts (54 c.) le kil.
Les 40 kil. consommés à l’intérieur sont payés 17 fl.
85 c. ou 44 cts (65 c.) le kil.
Les 95 kil. réunis ensemble sont payés 41 fl. 25 ou 43
cts (43 c.) le kil.
Ainsi, dit la pétition de Gand, la loi fait payer par
kilogramme ce que la Belgique consomme de sucre : 44 cents 63 centièmes, ce ne
serait pas possible de lui fournir si la loi n’existait pas, à moins de 43
cents 43 centièmes une différence de 1 cent. 22 c. par kil. Voilà l’impôt dont
on fait tant de bruit, et valait-il seulement la peine qu’on en parlât ?
Messieurs, il est arrivé dans cette question ce qui
arrive dans tant d’autres, c’est qu’en soutenant obstinément une thèse absurde
on parvient d’ordinaire à en démontrer soi-même l’absurdité. C’est ce qui
arrive encore ici aux raffineurs au moyen des calculs de la pétition de Gand.
Et en effet, ces calculs et les conséquences qu’on en tire sont si étranges que
nous nous sommes longtemps demandé s’ils n’étaient pas une dérision.
D’abord pour parvenir au résultat qu’ils imaginent
obtenir de leurs chiffres, les raffineurs de Gand distribuent arbitrairement la
consommation des différentes espèces de sucre et d’une telle manière que
l’inexactitude de cette distribution frappe à l’instant l’œil le moins exercé.
A qui fera-t-on croire, par exemple, que la Belgique
consomme autant de kilog. de mélasse (ce qu’on nomme vulgairement du sirop de
boulanger) qu’elle consomme de kilog. de candi, de pains et de lumps réunis
ensemble ? C’est pourtant ce qu’il faut pouvoir se figurer pour comprendre
leurs calculs ; mais admettons toutes les données qui en forment la base,
admettons que la Belgique consomme 24 kilog. de mélasse et de sucre en poudre
réunis, pendant le temps qu’elle consomme 14 kilog. de candi ; pains et lumps
réunis ; admettons que les frais de fabrication et les bénéfices légitimes
doivent être portés à 4 fl. 76 par 100 kilog. ; admettons enfin sans
restriction toutes les bases de calculs des raffineurs, considérons-les comme
vraies, inattaquables, quelque fausses et étranges qu’elles nous paraissent.
Avec ces bases nous obtiendrons pour résultat, il est
vrai, que 40 kilog. des trois espèces de sucre consommés à l’intérieur,
considérés comme ne formant qu’un tout, qu’un seul sucre, sans distinction de
la valeur des trois espèces qui concourent à former ces 40 kilog., ne coûteront
au consommateur que 1 cent vingt-deux centièmes par kilog. de plus que si la
loi n’existait pas ; comptant toutefois pour rien aussi, dans le cas où la loi
n’existerait pas, la différence de valeur des espèces de sucre consommées.
Et parce qu’on obtient un pareil résultat, n’est-ce
pas une déception, une moquerie que de conclure que la nation n’est imposée par
la loi que d’un cent vingt-deux centième par kilog., c’est-à-dire que sur une
consommation de dix millions de kilog, elle n’est réellement chargée que de la
légère somme de 122,000 fl. ?
Etrange conséquence qu’on obtient en confondant toutes
les espèces de sucre, en supposant qu’il est indifférent que la nation
considérée en masse consomme pour le même prix une grande quantité de mélasse
et une petite quantité de candi, pains et lumps, ou une grande quantité de
candi, pains et lumps, et une petite quantité de mélasse. Et cependant, d’après
les prix que les raffineurs donnent eux-mêmes, le consommateur, c’est-à-dire la
nation considérée en masse, estime les candis, pains et lumps 35 fl., cinq fois
plus que la mélasse qu’il n’estime que 7 fl. C’est-à-dire que le consommateur
estime autant le kil. de candi, pains et lumps que le kil. de mélasse.
Evidemment donc, en réunissant les prix de ces espèces de sucre pour n’en
former qu’un seul prix de sucre, les raffineurs font le plus singulier calcul
qu’on puisse imaginer.
Ils prouvent par ce calcul que le consommateur ne paie
le sucre qu’un cent vingt-deux centième plus cher que si la loi n’existait pas,
mais ils avaient eu plus de mélasse à leur disposition ; ils pouvaient prouver
non seulement que la loi ne le frappe pas, mais au contraire qu’elle le
favorise beaucoup ; tout le secret de cette preuve consiste à lui faire
consommer beaucoup de mélasse qui selon les raffineurs eux-mêmes vaut 7 florins
les 100 livres et très peu de candi, pains et lumps qui valent 35 fl. les 100
livres, et de supposer qu’on n’éprouve aucune perte en consommant pour le même
prix ce qu’on estime 7 au lieu de consommer ce qu’on estime 35.
C’est avec un pareil raisonnement que l’on
démontrerait que lorsqu’on paie le pain de son aussi cher qu’on paierait celui
composé de la plus belle farine, le pain n’est pas augmenté, et cela par
l’excellente raison que le pain de son se nomme pain aussi bien que celui de
farine, comme la mélasse se nomme sucre aussi bien que le plus beau candi.
Les calculs des raffineurs de sucre qui tendaient à
prouver que la nation n’est chargée par la loi d’accise que d’un cent
vingt-deux centième par kilog. sont donc dénués de toute apparence de raison,
mais du moins ils ont pour nous un avantage, c’est celui de nous présenter des
chiffres ; nous les acceptons tous, quelque favorables que pour eux ils
puissent être ; ils nous conduiront à connaître ce que d’après eux-mêmes la loi
d’accises coûte au consommateur.
Nous admettons que tous leurs calculs qui tendent à
prouver que si la loi n’existait pas, ils fourniraient l’ensemble de leurs
produits à 43 florins 43 cents les 100 kil. ; mais en quoi consiste l’ensemble
de leurs produits, quels sont les produits qu’ils fourniraient au consommateur
pour 43 fl. 43c. si la loi n’existait pas ?
Cet ensemble ne se compose-t-il pas, selon les
raffineurs, de 95 parties, dont 70 en candis, pains et lumps, 10 en sucre en
poudre et 15 en mélasse
Eh bien, ce sont ces 95 parties distribuées
proportionnellement pour faire un poids de 100 kil., que les raffineurs disent
qu’ils fourniraient pour 43 fl. 43 c. si la loi n’existait pas.
Maintenant que la loi existe, combien coûtent au
consommateur, d’après le prix que les raffineurs donnent eux-mêmes, 100 kil. de
sucre composés de ces 95 parties ? Ils coûtent 61 fl. 9 c. En voici le détail :
70 kil. ou 149 liv. d’Anvers, candi, pains et lumps, à
35 fl., 52 fl. 15
10 kil. ou 21 liv., sucre en poudre, à 21 fl., 4 fl.
41.
15 kil. ou 32 liv., mélasse, à 7 fl., 2fl. 24.
En tout, 58 fl. 80 c., ce qui pour 100 kil. fait 61
fl. 09 c.
Et les raffineurs démontrent que si la loi n’existait
pas, ils livreraient les 100 kil. de sucre composés de 95 parties ci-dessus
détaillées, à 43 fl. 43 c.
Différence : 17 fl. 66 c.
Ce n’est donc pas d’un cent vingt-deux centième, mais
le dix-sept cent soixante-six centièmes par kil. de sucre, dont est frappé le
consommateur ; et si la consommation de la Belgique est de 10 millions de kil.,
ce n’est pas de 122.000 fl. dont elle et annuellement frappée par la loi, mais
de 1,760,00 fl. Ce sont les chiffres des raffineurs de Gand qui le démontrent à
l’évidence.
Est-il encore nécessaire, messieurs, d’insister
davantage pour démontrer l’absurdité des raisonnements qui tendent à prouver
que le kil. de sucre n’est imposé par la loi que d’un cent vingt-deux centième
par kil. ? Comment s’imaginer que les raffineurs, après avoir établi eux-mêmes
le prix des différentes espèces de sucre, dont les unes se paient cinq fois
plus que les autres ; comment s’imaginer qu’ils aient tenté de persuader que la
nation n’éprouve aucune perte en consommant pour le même prix :
35 25/40 kil. de sucre candi, pains et lumps, qui
valait 35 f. les 100 liv. d’Anvers
23 30/40 kil de sucre en poudre qui valait 21 f. les
100 liv. d’Anvers
35 25/40 kil. de sucre en mélasse qui valait 7 f. les 100
liv. d’Anvers ;
Au lieu de consommer :
70 kil. de sucre candi, pains et lumps, qui valait 35
f. les 100 liv. d’Anvers
10 kil de sucre en poudre qui valait 21 f. les 100
liv. d’Anvers
15 kil. de sucre en mélasse qui valait 7 f. les 100
liv. d’Anvers.
Cette tentative est inexplicable.
Messieurs, les raffineurs ont
fait de faux raisonnements, mais tous leurs aveux restent acquis à la
discussion, et c’est pour les livrer aux débats que, le premier, nous avons
pris la parole. Ces aveux sont d’autant plus importants à vous être déférés que
le rapport de la commission n’en parle pas. Vous ne les perdrez pas de vue,
messieurs, quelques efforts que l’on fasse pour donner le change sur ce point ;
vous vous souviendrez que les raffineurs ont prouvé d’une manière irréfragable,
au moyen de bases qu’eux-mêmes ont choisies, que si la loi n’existait pas,
l’ensemble de leurs produits coûterait 43 fl. 43 cents les cent kilogrammes, et
qu’ils ont prouvé qu’au moyen de la loi d’accise, le consommateur est chargé au
profit des raffineries d’un impôt de 17 cents 66 centièmes par kilogramme.
En augmentant le chiffre de ce qu’on appelle le
rendement, vous restituerez au trésor ce que les raffineurs reçoivent en sa
place, et cette restitution aura naturellement lieu dans la proportion de
l’élévation du chiffre. En le portant à 70 comme les raffineurs de Gand
eux-mêmes l’ont porté, vous serez sans doute bien au-dessous du rendement réel.
Car l’intérêt de ces industriels était de démontrer que la nation ne souffrait
pas beaucoup de la loi d’accise, et moins le chiffre était élevé, plus la
démonstration était donnée.
Quant au sucre indigène, on ne peut l’atteindre par le
système de la loi qui nous régit. Une loi spéciale, dont nous a déjà entretenus
M. le ministre des finances, est nécessaire pour l’imposer.
M. Verdussen.
- Messieurs, comme il est naturel que tous les discours qu’on entend en dernier
lieu font toujours le plus d’impression, je me permettrai, avant d’entrer dans
la discussion générale, de répondre un seul mot à une assertion qui vient
d’être émise par l’honorable M. Pirmez.
M. Pirmez a dit que c’est un aveu échappé aux
raffineurs de Gand, qu’ils tirent 70 kilog. de sucres en pains, candis et
lumps, 10 kil. de sucre en pondre, 15 kil. de sirop et 5 kil. de déchet.
Vous n’avez, messieurs, qu’à jeter les yeux sur la
page 7 de la pétition des raffineurs de Gand, et vous serez convaincus que ces
raffineurs n’ont pas fait un aveu, mais qu’ils se sont placés dans une
hypothèse. Voici ce qu’ils ont dit :
« Pour faire une large part aux exigences des
personnes qui attribuent à notre fabrication des rendements extraordinaires,
nous prendrons ici celui de 70 p. c. de sucre en pains, candis et lumps, fixé
en France par la loi du 20 avril 1835 ; mais nous protestons d’avance contre
les conséquences que l’on pourrait tirer de ce chiffre, auquel les procédés
même les plus nouveaux ne nous permettent pas d’atteindre. »
Vous voyez donc, messieurs, que M. Pirmez a jugé à
propos de se créer un cheval de bataille, afin d’avoir un moyen de combattre.
Messieurs, le projet de réviser la législation sur les
sucres amène devant la chambre une des questions commerciales les plus graves
et les plus compliquées dont elle puisse s’occuper. Son importance est
suffisamment prouvée par les nombreux écrits qui ont été récemment publiés sur
cette matière, et par la diversité des intérêts qui s’y rattachent. La
navigation marchande, et, par elle, toutes les industries du pays ; notre
admission aux marchés étrangers pour les produits de nos raffineries ; une
nouvelle source de prospérité ouverte à l’agriculture ; des milliers d’ouvriers
et de cultivateurs ; les revenus publics et les égards dus aux consommateurs
d’une denrée devenue indispensable : tels sont les intérêts liés à la question
qui va nous occuper, et qui, par conséquent, embrasse dans ses ramifications le
pays entier.
On ne me supposera pas la ridicule prétention de
traiter à la fois tant de matières diverses : mon intention n’est même pas d’en
approfondir une particulièrement dans cette discussion générale, comme l’a déjà
fait avec quelqu’étendue le premier orateur qui a parlé aujourd’hui sur la
question ; je ne saurais pas davantage aborder les amendements que vient de
nous communiquer M. le ministre des finances ; mais je chercherai à jeter
quelque lumière sur des points devenus plus ou moins familiers aux membres de
cette assemblée, et que trop souvent on leur a présentés dans un faux jour. Je
chercherai à détruire l’impression que peuvent avoir faite sur leur esprit des
assertions inexactes, répétées à tout propos, et dont la réfutation immédiate
n’était guère possible, sans s’écarter du règlement de la chambre et sans
blesser les convenances parlementaires.
Parmi les erreurs que je crois devoir relever, il en
est quelques-unes auxquelles les organes mêmes du gouvernement ne sont pas
restés étrangers. C’est ainsi que je signalerai une contradiction frappante
qu’on rencontre dans deux documents émanés du même ministère, et qui semble
indiquer que jusque dans les bureaux du département des finances, on n’a pas
des notions très précises ni des idées bien arrêtées sur la question des sucres
exotiques. Pour justifier ce reproche, je n’ai qu’à comparer les tableaux C et
D, annexés au rapport de l’honorable M. Desmaisières, avec un état des
importations, transits et exportations des sucres, opérés en 1835 et une partie
de 1836, pièce que M. le ministre des finances a présentée à la chambre dans sa
séance du 19 décembre 1836 et qui porte le n°42 de ses imprimés. Ce dernier tableau
tend à indiquer la quantité de sucre brut destinée à la consommation intérieure
de la Belgique, et pour arriver à la connaître, on y déduit du chiffre de
l’importation celui des sucres raffinés qui ont été exportés, avec une
augmentation de vingt pour cent sur le poids exporté, ce qui est tout à fait
contraire à la vérité et au système des tableaux Cet D susmentionnés. Sur quoi,
en effet, repose cette augmentation de 20 p. c. ? Croit-on, par hasard, au
ministère des finances, que le sucre brut soumis au raffinage perd, par cette
opération, seize à dix-sept pour cent de son poids, ce qui justifierait la
majoration des 20 p. c. sur le sucre non raffiné pour obtenir la quantité de la
matière brute ? Une erreur de cette nature pourrait être commise par des personnes
qui ne savent pas et qui ne doivent pas connaître en quoi consiste le raffinage
du sucre, mais il est inconcevable que le gouvernement publie deux pièces
contradictoires qui nous laissent dans le doute sur sa véritable opinion au
sujet d’une question aussi grave, à laquelle les intérêts généraux du pays se
trouvent intimement liés. En voyant une méprise aussi majeure, je ne m’étonne
plus d’avoir entendu déraisonner sur le rendement du sucre brut et sur le
déchet que donne le raffinage, et j’éprouve le besoin de préciser quelques
faits qui, je l’espère, ôteront un peu de la confusion qui jusqu’ici a régné
dans les idées de la plupart des membres de cette chambre qui ont parlé sur la
matière.
La première opération que subit le sucre brut est
d’être fondu afin de pouvoir être clarifié et débarrassé des matières
hétérogènes qu’il renferme. Le montant du déchet qui est le résultat de la
clarification varie selon la qualité de la marchandise : tel sucre très commun
perd jusqu’à 8 p. c. de son poids, tandis que tel autre sucre but, blanc et
sec, donne à peine 2 p. c. de déchet : terme moyen, on peut évaluer à 5 p. c.
la perte que fait le raffineur par la clarification sur le poids de la matière
première, et cette perte constitue le seul véritable déchet du sucre. Les
tableaux C et D dont j’ai déjà parlé, confirment cette vérité. C’est donc sans
aucune raison que nous avons entendu parler d’un déchet de 16, de 20, de 30,
voire même de 45 p. c., et ceux qui ont tenu un pareil langage n’ont prouvé que
leur parfaite ignorance, malgré le ton d’assurance avec lequel ils nous l’ont
tenu. Mais ce serait une erreur non moins grande de croire que les 95 p. c. de
sucre clarifié qui restent au raffineur, peuvent en totalité être transformés
en pains, en candis ou en lumps ; non, messieurs, ces 95 p. c. renferment
nécessairement une certaine quantité de sirop commun dit mélasse, une partie de
sucre en poudre dit vergeons, et une quantité plus ou moins forte de sucre fin
propre à l’exportation, avec la grande décharge des droits d’accise. Il n’est
donné à qui que ce soit d’indiquer les proportions exactes de ces divers
rendements qui varient à l’infini non seulement d’après la différence des
sucres bruts qu’on a travaillés, mais encore selon le degré de talent du
raffineur. Toujours est-il que le premier produit du sucre clarifié, soumis au
raffinage par l’ébullition et d’autres opérations, consiste en sucre candi ou
sucre en pains, et qu’ordinairement ce n’est qu’à la suite de la seconde ou de
la troisième décoction qu’on obtient les gros pains dit lumps, qu’un de mes
honorables collègues a néanmoins déclaré n’avoir reçu qu’un raffinage.
La chambre me pardonnera, je l’espère, d’entrer dans
ces détails. J’ai pensé que la connaissance de quelques faits incontestables
n’était pas tout à fait inutile pour imprimer à la discussion ce ton de vérité
qui ne devrait jamais lui rester étranger et afin de la débarrasser de ces
exagérations ridicules qui tendent à l’égarer. En effet, à quoi bon soutenir
d’une part que le sucre brut soumis au raffinage éprouve une perte énorme,
erreur démentie chaque jour par l’expérience ? Et que sert-il d’affirmer
d’autre part que le sucre brut ne subit aucun déchet à la clarification, ou
d’insinuer avec les auteurs de la pétition insérée au Moniteur du 18 décembre 1836, que le raffineur, après avoir obtenu
la restitution de l’impôt par l’exportation de 22 1/2 kil. de sucre raffiné
verse encore, sans droits, dans la consommation une pareille quantité de sucre,
ce qui tend à établir que le raffinage donne un excédant de poids de 11 p. c.
sur le sucre brut ? A quoi bon avancer qu’on peut raffiner du sucre sans
produire en même temps une certaine quantité, même assez notable, de mélasse et
de sucre en poudre, d’où la mélasse découle ?
Cette proposition, messieurs, n’est pas moins ridicule
que celle de soutenir qu’on peut bluter de la farine sans produire de son. Et
c’est pourtant là la conséquence de l’amendement proposé par M. Dumortier,
puisqu’il a supposé qu’on peut tirer jusqu’à 90 kil. de lumps d’un quintal de
sucre brut ! Les notions les plus simples et l’expérience journalière n’ont
malheureusement pas réussi jusqu’ici à faire justice entière de ces
exagérations démesurées ; c’est ce qui m’a engagé à élever aussi la voix pour
les combattre, ainsi que d’autres erreurs, répandues par l’ignorance ou la
mauvaise foi, et parmi lesquelles j’en distingue surtout une qui me paraît plus
dangereuse que les autres, à cause de l’apparence de vérité dont elle est
revêtue, ce qui peut avoir contribué à la faire accueillir trop légèrement par
des hommes intègres et impartiaux.
Cette erreur consiste dans ce point-ci : on dit :
« Le législateur de 1829 a frappé le sucre brut d’un droit d’accise de 37
centimes le kilogramme ; or le droit d’accise est un droit de consommation, donc
chaque kilogramme de sucre raffiné, consommé en Belgique, doit produire au
trésor 37 centimes. » Eh bien, messieurs, quelque simple, quelque naturel que
paraisse ce raisonnement, il est faux en tout point, en fait comme en droit.
D’abord il repose sur cette supposition toute gratuite, que cent kilog. de
sucre donnent cent kilog. de produits raffinés, et nous avons déjà établi que
la matière brute perd au raffinage, terme moyen, 5 pour cent de son poids ;
sous ce rapport donc, et dans l’opinion même de nos contradicteurs, ils n’ont
pas été assez loin, et dans leur propre système ils auraient dû dire que chaque
kilogramme de sucre raffiné, mangé dans le pays, devait tout au moins produire
au fisc 39 centimes, ou davantage encore, selon le plus ou moins de déchet
qu’ils supposent devoir provenir du raffinage.
En droit, le raisonnement que nous combattons est plus
sophistiqué encore, et loin de s’appuyer sur la législation existante, je
m’attacherai à prouver qu’il n’est ni dans le texte, ni dans l’esprit, ni dans
le résultat de la loi.
Pour rendre le système de nos adversaires plus ou
moins soutenable, la loi de 1829 devrait se borner au seul article qui frappe
le sucre brut d’un impôt de 37 francs par quintal ; mais comme on ne peut
admettre de raisonner sur un article isolé de la loi sans prendre celle-ci dans
son ensemble, on nous permettra de rappeler que la disposition législative qui
établit le droit de 37 fr. à l’importation du sucre brut, établit aussi la
décharge du sucre raffiné fin, en cas d’exportation, non pas au taux de la
prise en charge, mais approximativement au taux de 67 fr. le quintal. Devant ce
taux différentiel, devant le seul rapprochement de ces deux chiffres, tombe
tout l’échafaudage du raisonnement de nos adversaires.
Si le législateur avait établi le drawback à la sortie
sur le même pied que la prise en charge à l’importation, c’est-à-dire à 37 fr.
les 100 kilog.. et si en même temps il avait décrété que cette décharge de
droit serait accordée sur toute espèce de sucre raffiné sans distinction de
qualité, c’est-à-dire aussi bien sur le sucre candi ou en pains que sur la
mélasse, alors, mais seulement alors, on pourrait soutenir, avec plus ou moins
de raison, que chaque kilogramme de sucre raffine, consommé dans le royaume,
doit payer au trésor ses 37 centimes. Le raisonnement ne serait pas tout à fait
exact, à cause du déchet que subit le sucre brut par le raffinage ; mais au
moins il approcherait de la vérité.
Si d’un autre côté la loi avait assis l’impôt, non sur
le sucre brut, mais sur le raffiné, et si par exemple elle avait suivi le débit
de celui-ci chez le détaillant, en frappant indistinctement tous les produits
du raffinage, l’opinion de nos adversaires pourrait encore, avec un pareil
système, être admise ; mais rien de tout cela n’existe dans la loi, le
contraire y est formellement tracé, et dès lors il est évident que de son texte
il ne résulte aucunement que toutes les sortes de sucres raffinés sont frappées
d’un droit uniforme de consommation.
Mais cela résulte-t-il de l’esprit de la loi ? Pas
davantage.
Quiconque veut réfléchir sérieusement sur la
différence établie dans la loi entre le chiffre du droit du sucre brut à
l’importation, et celui de la restitution à l’exportation du sucre raffiné fin,
y trouvera la preuve de la vérité de ce que j’avance. En effet, lorsqu’on
considère que, sur cent kilogrammes de sucre introduit, il suffit d’exporter
environ 55 kil. pour annuler la dette que l’introducteur a contractée envers
l’Etat, et pour faire ainsi disparaître la totalité du droit d’accise, il est
notoire que l’intention du législateur de 1829 a été que, l’exportation une
fois opérée, le restant, soit 45 p. c. du quintal de sucre brut, fût affranchi
de tout impôt et livré sans charge à la consommation de l’intérieur, car on ne peut
supposer des absurdités dans les vues du législateur ; on ne peut croire
qu’après avoir libéré son débiteur, il ait eu le projet de laisser agir
celui-ci à l’égard du consommateur comme si la dette existait encore ; ce
serait là le comble de l’inconséquence et si cela est incontestable dans
l’hypothèse de l’exportation totale des 55 kilog. de sucre fin, cela reste
encore relativement vrai avec un moindre chiffre d’exportation.
En effet, supposons que le raffineur, pris en charge
pour 37 francs, n’exporte que 25 kilogrammes de sucre fin, sur lesquels le fisc
lui accorde une décharge à raison de 67 fr. le quintal, il se verra crédité
pour 16 fr. 75 c., et ne devra donc plus au trésor que la somme de 20 fr. 25 c.
sur les 75 kilog. (déchet compris) qui lui resteront de son quintal de sucre
brut, ce qui fait seulement 27 c. par kilog., et c’est à ce taux que, dans
l’opinion que je combats, le consommateur devrait payer le droit dans l’exemple
donné. Si maintenant je suppose que le raffineur exporte jusqu’à 40 kilog. de
sucre fin, la proportion change tout à fait, et les 60 kilog. restants ne
seraient plus imposés qu’à raison de 17 c. le kil. C’est ainsi que chaque fois
que le nombre des kilog. exportés par le raffineur viendrait à changer,
celui-ci pourrait varier aussi son prix de vente sur la partie de marchandise
qui lui reste. Un pareil système mène à l’absurde, il blesse la saine raison,
et tout homme sensé doit demeurer convaincu de cette vérité, très importante
pour le point en discussion, que le but du législateur de 1829 a été de
n’atteindre dans chaque quintal de sucre brut que les 55 1/2 kil. de sucre fin
raffiné qu’il a supposé pouvoir en être tirés. S’est-il mépris dans ce calcul
de rendement, c’est ce que nous n’examinerons pas dans ce moment, parce que
cela est étranger au point spécial qui nous occupe. J’ai voulu simplement
prouver ici que le but du législateur de 1829 n’a pas été d’imposer
spécialement chaque kil. de sucre raffiné, mais seulement 55 kil. environ sur
les 95 kil. de sucre clarifié que fournit, terme moyen, un quintal de matière
brute et d’exempter de tout droit les 40 autres kilog. qui forment les produits
communs du raffinage et servent plus particulièrement à la nourriture de la
classe inférieure de la société. Le projet de faire ainsi peser sur la classe
aisée tout le fardeau du droit d’accise, et d’en exempter le consommateur peu
fortuné, a été couronné d’un plein succès, et l’événement a prouvé que le but
qu’on s’est proposé a été atteint. C’est le point qu’il me reste à établir.
Pour prouver que l’effet de la loi de 1829 a été
conforme à l’attente de la législature de l’époque ; en d’autres termes, que
les produits communs du raffinage du sucre de cannes sont réellement livrés à
la consommation libres de droits, je n’ai qu’à vous mettre sous les yeux les
prix de consommation du sirop de mélasse en regard de ceux du sucre candi et en
pains : les prix courants des marchandises sur la place d’Anvers, font foi que
très souvent le sirop commun se traite sur ce marché au prix de 25 à 30
escalins les cent livres, ancien poids d’Anvers ce qui équivaut à 34 et 40
francs environ les cent kilog. ; ainsi, terme moyen, 37 fr., ou précisément le
montant du droit d’accise sur cent kilog. de sucre brut. Ce seul fait, que tout
le monde peut vérifier, suffit pour démontrer jusqu’à quel point il est inexact
de dire que chaque kilog. de sucre raffiné consommé en Belgique doit payer au
trésor public 37 centimes, puisque dans ce cas il ne resterait rien au raffineur
de a vente du sirop.
Une autre preuve du fait que j’avance, je la puise
dans les conditions de vente du sucre raffiné sur le marché d’Anvers ; là, les
transactions pour les candis, les pains et les lumps se font toujours sur les
prix en entrepôt, et, si l’acheteur déclare qu’il destine la marchandise à la
consommation du pays, alors on augmente le prix de la vente, en entrepôt, du
montant du droit d’accise, à raison de 67 fr. par 100 kilog., tandis que les
produits communs du raffinage, qui comprennent les sucres en poudre, dit
vergeoises, et le sirop de mélasse, se vendent toujours à un seul et même prix,
celui de la consommation.
Après avoir démontré qu’il est contraire au texte de
la loi de 1829 de prétendre que tous les produits du raffinage du sucre
exotique doivent indistinctement fournir au trésor leur part des droits
d’accises ; après avoir prouvé qu’il n’entrait nullement dans l’intention du
législateur qu’il en fût ainsi ; enfin, après avoir justifié ces assertions par
l’effet qu’a eu, et que devait naturellement avoir, la législation sur la
matière, je me bornerai, pour le moment, à tirer de tous ces faits une seule
conséquence, utile au point que je discute, que, pour évaluer le montant que le
trésor est en droit d’attendre de la consommation du sucre exotique, il ne
suffit pas de connaître la quantité globale qu’en réclame la Belgique, mais il
faut rechercher pour quelle part entre dans cette quantité générale le sucre
fin, qui, s’il avait été exporté, aurait joui de la haute décharge.
Je vais tâcher d’indiquer approximativement ce
chiffre, en n’appuyant mes calculs que sur des documents fournis à la chambre ;
et si je parviens à prouver que le sucre fin n’entre pas dans la consommation
totale du pays dans la proportion de 55 p. c., j’aurais aussi prouvé qu’il est
inexact de dire que la consommation du sucre exotique en Belgique a dû
annuellement fournir au trésor près de quatre millions de francs.
C’est à la quantité de dix millions de kilogrammes
qu’on évalue communément la consommation du sucre dans notre pays ; il y a des
motifs de croire que cette estimation ne s’éloigne pas beaucoup de la vérité.
En effet, nous trouvons au tableau littera I, page 65 du rapport de la
commission, que la moyenne de l’importation de sucre exotique des années 1834,
1835 et 1836 s’élève à environ 21,757,000 kil.
Cette quantité soumise au raffinage perd environ 5 p.
c. de son poids, soit 1,087,000 kil., comme l’indique la moyenne des tableaux C
et D, pages 54 et 55 ; il reste donc en sucre raffiné de toutes les qualités
20,670,000 kil. ; et nous voyons pas le tableau H, page 91, que la moyenne de
l’exportation pendant les exercices susmentionnés est de 10,750,000 kil. : donc
la moyenne de la consommation monte à 9,920,000 kil.
Ceci suffit pour la justification du chiffre
approximatif de dix millions.
Il nous importe maintenant de chercher quelle est dans
les 9,920,000 kilogrammes susmentionnés la quantité de sucre en poudre et de
mélasse sur lesquels le consommateur ne doit rien payer pour le trésor, et
quelle est la quantité de sucre fin sur lequel l’Etat devrait recueillir
régulièrement un droit de 67 fr. les cent kilogrammes.
Quoique personne n’ignore que la presque totalité de
l’exportation du sucre porte sur les qualités supérieures, il est néanmoins
certain que les qualités communes ainsi que le sucre brut y entrent aussi pour
une part. Les renseignements ministériels nous manquent pour pouvoir apprécier
ces proportions ; à défaut de documents officiels, j’aurai recours à un mémoire
imprimé à Anvers en novembre 1837, qui, au commencement du mois courant, nous a
été distribué. Là je trouve, quant à la mélasse au moins, que l’exportation de
cette marchandise entre pour 4 p. c. environ dans le chiffre général de
l’exportation du sucre ; d’après cette base, la mélasse devrait être comprise
dans la moyenne de l’exportation en 1834, 1835 et 1836, pour 40,000 kilog.,
quantité qui, par conséquent, doit être défalquée de celle du total du sucre
commun que le raffinage a produit en Belgique.
Pour connaître ce total, les tableaux fournis par le
ministère nous viennent encore en aide, car nous voyons par la moyenne des deux
tableaux C et D, déjà cités, que chaque quintal de sucre brut donne environ 39
pour cent de sucre en poudre et mélasse réunis. En appliquant cette proportion
aux 21,757,000 kilog. de sucre brut importé par année commune, nous aurons
8,485,000 kilog. de sucre raffiné de qualité inférieure, et quand j’en déduis,
pour la mélasse exportée, 430,000 kilog., il s’ensuit que la quantité du sucre
commun resté dans le pays pour la consommation monte à 8,055,000 kil. Et par
suite le sucre fin qui s’y consomme ne s’élève qu’à 1,865,000 kil., pour
parfaire le chiffre général de la consommation, 9,920,000 kil.
Ces 1,865,000 kil. de sucre fin, qui à l’exportation
aurait donné droit à la décharge de 67 fr. les 100 kilog., ne devraient par
conséquent fournir au trésor que la somme de 1,250,000 fr. environ. Ce qui est
loin de celle de quatre millions, dont on a tant parlé, et qui, au dire de
quelques-uns de mes honorables collègues, constitue une preuve en faveur de nos
raffineurs,
Ici se présente naturellement une objection qui ne
manquera pas de m’être faite ; on me dira : « Vos calculs viennent d’établir
que le trésor devrait recevoir annuellement 1,250,000 fr., et la recette de
l’exercice de 1836 n’a pas atteint le sixième de cette somme ; donc il y a
fraude au profit des raffineries de sucre exotique. » A cette observation
je réponds sans hésiter : Oui, messieurs, il y a fraude, ou plutôt il y a abus
de la loi, dont les dispositions vicieuses ont besoin d’être amendées ; mais ce
ne sont pas les raffineurs qui en profilent ; cette fraude, qui se commet à
l’aide des transcriptions ou transferts des crédits que les raffineurs n’ont
pas été à même d’assurer par 1’exportation de leurs propres produits, tourne à
l’avantage de ceux qui s’occupent de l’introduction clandestine du sucre
raffiné fabriqué à l’étranger, ou elle tourne à l’avantage des fabricants de
sucre de betteraves, qui se créent ainsi une prime des deniers dus à l’Etat,
comme je le prouverai en traitant le dernier point de fait dont je m’occuperai
dans cette discussion générale.
C’est donc pour terminer, messieurs, que je me
permettrai quelques réflexions qui ont trait aux producteurs du sucre indigène.
Rien ne doit nous paraître plus étrange que d’entendre
les fabricants du sucre de betteraves mêler leur voix à celle de quelques
représentants, lorsque ceux-ci se plaignent de ce que le droit d’accise sur la
consommation du sucre exotique ne produit que peu de chose au fisc. A en croire
les producteurs de sucre indigène, ils sont vivement intéressés dans la
question, leur avenir en dépend, et ils seraient sauvés si le trésor touchait
le montant dû légalement par les consommateurs du sucre de cannes. Eh bien,
messieurs, cette question des sucres, qu’on vous a présenté comme si facile à
résoudre, n’est pas même comprise par ceux qui ont le plus grand intérêt à la
connaître, qui déclarent l’avoir étudiée et qui pour vous éclairer, ont été
jusqu’à résumer dans un mémoire, daté du 20 janvier 1837, et qui vous a été
distribué dans le temps, leurs principaux moyens d’attaque et de défense.
De mon côté, je vais m’attacher à vous prouver que les
fabricants de sucre de betteraves n’ont, dans l’état actuel des choses, et
malgré le faible produit du droit d’accise sur le sucre exotique, pas à se
plaindre de ce qui existe, et qu’au contraire la législation actuelle et la
manière dont elle est appliquée leur est tout à fait favorable, et transforme
pour eux en véritable prime le drawback qui n’est jamais pour le raffineur que
la décharge d’une dette qu’il a contractée. Je ne puiserai les preuves de ce
que j’avance que dans les aveux de ceux que je combats.
Pour soutenir la réforme de la loi sur les sucres, ou
son exécution d’après l’esprit qu’ils lui supposent, les fabricants de sucre de
betteraves s’appuient principalement sur deux grands intérêts : leur propre
intérêt et l’intérêt du trésor public. Et comme, en fait d’industrie
commerciale, l’égoïsme domine tout, c’est en faveur de leurs établissements
naissants qu’ils élèvent d’abord la voix.
Notre industrie, disent-ils, est née sous l’empire
d’une protection suffisante ; qu’on fasse rentrer le droit de 57 francs dont
les sucres coloniaux sont frappés au quintal métrique, et nous sommes contents
de ce droit protecteur (de 50 p. c. environ !). Ainsi, ils avouent que si le
consommateur payait le montant de ce droit, pour se procurer le sucre de
cannes, ils n’auraient pas à se plaindre. Mais, messieurs, c’est précisément ce
qui a lieu, de l’aveu même des fabricants du sucre indigène, puisqu’ils
assurent que les raffineurs du sucre étranger jouissent du produit de tout un
impôt, que ce commerce est doté de quelques millions, comme M. Dumortier l’a
répété aussi vingt fois. Or, la consommation du sucre raffiné en Belgique est
évaluée à 10 millions de kilogrammes, ce qui dans l’opinion de nos adversaires
doit conséquemment produire au trésor de 3 à 4 millions de francs, chiffre qui
répond assez bien aux quelques millions dont on prétend que le raffineur du
sucre des colonies est doté.
Cependant, de deux choses l’une : ou le consommateur
belge paie cher le sucre de cannes raffiné, et dans ce cas la protection existe
pour le sucre de betteraves ; ou au contraire le consommateur belge achète le
sucre exotique comme s’il n’était pas grevé de droits, et alors les millions
dont on a tant parlé disparaissent. Ces deux faits ne peuvent exister à la fois
; il s’entre-détruisent, et pourtant nos antagonistes soutiennent leur
coexistence !
Cette contradiction inconcevable n’est pas la seule
dans laquelle ils sont tombés. En suivant leurs arguments, nous trouvons qui
l’intérêt du fisc est celui qui, après leur propre intérêt, les touche le plus
vivement. Dans leur sollicitude pour le trésor public, ils s’écrient qu’il
n’est personne qui ne soit convaincu que le sucre est l’une des matières les
plus imposables qui se puissent rencontrer. En faisant une pareille
déclaration, les fabricants de sucre indigène ne voient-ils pas que si la
législature était aussi pénétrée de cette vérité qu’ils paraissent l’être
eux-mêmes, cette conviction serait leur arrêt de mort ? Si le sucre, en thèse
générale, est une matière essentiellement imposable, l’extrait de la betterave
l’est aussi, et que deviendraient nos fabriques nouvelles si, à l’instar de ce
qui se pratique en Angleterre, leurs produits étaient frappés d’un droit égal à
celui qui pèse sur le sucre provenant des îles ? Enfin, c’est pour enrichir le
trésor national, disent nos fabricants de sucre indigène, qu’ils réclament la
rentrée de l’impôt existant, et en même temps tous les efforts tendent, ils ne
le cachent pas, à remplacer par leurs produits le sucre de cannes qui seul est
frappé de cet impôt. S’ils atteignaient le but auquel ils visent ; si l’usage
du sucre exotique était banni de la Belgique, de quel revenu jouirait alors le
trésor ? D’aucun. Et le consommateur ne profiterait pas non plus de la détresse
du fisc, car tout le monde sait que les fabriques nouvelles ont besoin d’un
droit de 50 p. c. pour soutenir la lutte avec le prix de consommation du sucre
exotique.
Je ne vous fatiguerai pas, messieurs, de l’énumération
de tous les contre-sens, de toutes les absurdités dont fourmille le mémoire que
j’ai mentionné ; et je me hâte d’en venir à la démonstration de cet autre fait
que j’ai avancé, que les fabricants de sucre indigène trouvent dans la
législation actuelle le moyen de s’approprier une véritable prime, et que c’est
au moyen du transfert de la prise en charge d’un raffineur de sucre exotique
qu’ils peuvent s’appliquer la jouissance de cette faveur.
Permettez, messieurs, que je m’arrête ici un moment
pour expliquer de nouveau en quoi consiste ce transfert ; car, à en juger
d’après ce que j’ai entendu dire dans
cette enceinte, peu de personnes savent comment cette opération a lieu.
Vous savez tous que le sucre de cannes, au moment
qu’il est livré au raffinage, est frappé d’un droit d’accises s’élevant en
principal et accessoire à 37 fr. par 100 kilog. Le raffineur n’est pourtant pas
obligé de verser immédiatement le montant de ce droit ; son compte n’en est que
débité, et il jouit d’un crédit de six mois pour se libérer.
Indépendamment du paiement en écus, à l’échéance des
six mois, le raffineur a deux autres moyens légaux de s’acquitter, avant cette
époque, envers le gouvernement ; l’un en exportant les sucres raffinés, et dans
ce cas on lui bonifie en compte courant la restitution des droits au taux de 67
fr. par cent kilogrammes, si ce sont des candis, des sucres en pains ou des
lumps qu’il fait passer à l’étranger. L’autre moyen consiste à transférer sur
une autre personne la dette qu’il a contractée vis-à-vis de l’Etat, et le
négociant qui prend sur lui une charge de cette nature, obtient de
l’administration des finances un nouveau délai de trois mois pour payer, terme
qui commence à courir du jour de la transcription de la dette, et, pendant
cette époque de crédit, le nouveau débiteur jouit aussi de la faculté
d’exporter des sucres à la décharge de son débet, de manière que très souvent
il solde son compte avec le gouvernement sans bourse délier.
On conçoit aisément que lorsqu’un raffineur endosse
ainsi à une autre personne la dette qu’il était à la veille de devoir acquitter
lui-même, il ne peut le faire qu’en payant une juste indemnité ; l’avantage
qu’il trouve dans ces transcriptions se borne à payer quelque chose de moins à
son remplaçant qu’il n’aurait dû payer à l’Etat, et cet escompte s’élève
parfois à 5 ou 6 p. c. et même au-delà.
Ce simple exposé suffit, messieurs, pour vous
démontrer que le fabricant de sucre indigène peut, au moyen d’un de ces
transferts, s’approprier une véritable prime en annulant la prise en charge
d’un raffineur qui lui en aurait bonifié le montant, par l’exportation de son
sucre de betteraves raffiné, et cette prime ne s’élèverait pas à moins de 64
fr. par cent kilogrammes, en supposant qu’il ait accordé au raffineur de sucre
exotique un rabais de 5 p. c. sur la somme que celui-ci avait à payer.
La facilité de la fraude, dans un pays ouvert comme le
nôtre, doit vous faire entrevoir, messieurs, que ce ne sont pas les seuls
fabricants de sucre de betteraves qui tirent parti de ces transcriptions de
crédits, mais qu’elles deviennent aussi une prime pour ceux qui se livrent à
l’introduction illégale du sucre raffiné que fournissent les pays voisins. Et
qu’on ne pense pas que les sommes qui, au moyen de ces transcriptions, sont
détournées du trésor public, sont de peu d’importance ; le tableau litt. A,
annexé au rapport de l’honorable M. Desmaisières, prouve que plus des deux
cinquièmes des prises en charge des raffineurs sont apurés au moyen de ces
transcriptions. Sans doute, en changeant la loi, tout l’impôt sur ces quantités
transférées ne viendra pas grossir les revenus de l’Etat ; mais lorsque nous en
viendrons à la discussion des articles du projet de loi qui vous est soumis, il
ne sera pas difficile d’établir que la perception du droit sur la sixième
partie des quantités de sucre transférées qui sont indiquées dans le tableau
précité, suffirait pour dépasser le chiffre porté par prévision au budget des
voies et moyens par M. le ministre des finances.
Par toutes les considérations qui précèdent, j’ai
tâché de constater quelques faits qui se résument principalement dans les
suivants :
1° Que cent kilogrammes de sucre brut ne donnent,
terme moyen, que 95 kilog. de sucre raffiné de toutes qualités ;
2° Qu’il n’est pas dans l’esprit de la loi de faire
peser le droit d’accise indistinctement sur tous les produits du raffinage,
mais uniquement sur la quantité de sucre fin qui à l’exportation jouit de la
haute décharge des droits ;
3° Que la modicité du produit de l’impôt sur le sucre
est principalement due au parti que les fraudeurs et les producteurs du sucre
de betteraves savent tirer des transcriptions des crédits ouverts aux
raffineurs de sucre exotique.
Si j’ai réussi, messieurs, à vous éclairer sur
quelques-uns de ces points et sur les conséquences qui en dérivent, j’ose
croire que la discussion de la loi à formuler ne pourra qu’y gagner, et le but
que je me suis proposé sera atteint.
M. Eloy de Burdinne. - Messieurs, la question qui vous est soumise est
une question grave et d’une haute importance sur le rapport de notre commerce
maritime, si nous en croyons la clameur des raffineurs, des armateurs et du
haut commerce. De nombreux mémoires nous ont été adressés de la part des
intéressés, tendant à ce que rien ne soit changé à la législation sur l’impôt
établi sur les sucres. Par contre, les fabricants de sucre indigène ont réclamé
de leur côté l’exécution de la loi, non d’après la lettre, mais bien d’après
son esprit. Ces derniers demandent que l’impôt soit perçu non en faveur du
commerce de sucre exotique, mais bien en faveur de l’Etat. Les premiers vous
demandent de ne rien changer à la législation sur le sucre et disent : Vous
nous ruinez si vous apportez le moindre changement à l’ordre de choses établi ;
vous nuisez à l’industrie du pays, par le motif que les navires qui apportent
le sucre brut, exportent vos fabricats, etc., etc.
Dans cet état de choses, nous avons à nous prononcer
sur ces diverses réclamations. En nous prononçant d’après le vœu des raffineurs
du sucre exotique, nous devons renoncer à un impôt de 3 à 4 millions établi sur
une matière très imposable et qui frappe la classe aisée, et qui, selon moi,
peut très bien continuer à être perçu. Dans mon opinion, le consommateur paie
l’impôt au moins pour une forte portion (si pas intégralement), et la somme de
3 à 4 millions entre pour une forte quotité dans les caisses des raffineurs et
négociants à l’étranger, ou bien procure le sucre à meilleur compte, et cela au
détriment du trésor et à charge du consommateur belge.
Messieurs, j’entre en matière : la question qui nous
occupe me paraît d’une haute importance, elle mérite toute notre attention ;
d’un côté il s’agit d’un impôt de 3 à 4 millions au moins à maintenir en faveur
de l’Etat, sur la consommation du sucre, et personne n’ignore que cet impôt est
supporté par la classe aisée. Nous ne devons pas perdre de vue, messieurs, que
si nous renonçons à percevoir cet impôt, nous devrons chercher à le remplacer,
soit par des centimes additionnels, soit en frappant des contributions sur
d’autres objets de consommation.
D’un autre côté, on nous dit que si nous touchons à la
loi pour que l’impôt soit payé à l’Etat, nous anéantissons une branche
d’industrie très intéressante (les raffineries de sucre) ; que nous allons
porter de la perturbation dans la navigation, et paralyser l’exportation des
produits des diverses industries belges ainsi que le produit de notre sol.
Tels sont les désastres dont nous sommes menacés et
que nous prédisent les signataires de divers mémoires qui nous ont été
distribués, mémoires où on réclame le maintien de l’ordre de choses actuel sur
le rapport de l’impôt sur le sucre exotique ; et d’autres termes, que l’Etat
renonce à cet impôt en maintenant la loi. Si nous nous exposions à voir
réaliser les désastres dont on nous menace, la question deviendrait délicate
Avant de modifier la loi, nous devions y penser
mûrement ; mais je crois que les auteurs de ces divers mémoires se sont trompés
; nous allons essayer de le démontrer.
Avant de faire cette démonstration, je crois qu’il est
important de connaître le montant de l’impôt sur le sucre si la consommation
intégrale était atteinte. Aux termes de la loi, 100 kilog. de sucre brut
introduit en Belgique, pour la consommation de ses habitants, doivent un impôt
de 37 fr. 2 c.
Je ne crois pas exagérer en fixant la consommation du
sucre raffiné à 2 kilog. par tête d’habitant, taux moyen et année commune, ce
qui porterait la consommation en sucre raffiné à 8,250,000 kilogrammes pour une
population de 4,125,000 habitants. Aux termes de la loi, pour obtenir 8,250,000
kilo. de sucre raffiné, à raison d’un déchet de 45 p. c., on devrait employer
15,000,000 de kilogrammes de sucre brut qui, imposé à raison de 37 fr. 2 c. les
100 kilog., devrait produire un impôt de 5,552,200 francs ; mais comme il est
reconnu que, par suite du perfectionnement de l’industrie de raffiner le sucre
et par suite de l’amélioration apportée à la fabrication du sucre brut qui est
moins chargé qu’autrefois, le déchet est infiniment moindre qu’à l’époque où la
loi a été mise en vigueur, je porte ce déchet à 25 p. c. au lieu de 45, de
manière que la quantité de sucre brut nécessaire à la consommation intérieure
est réduite à 11,000,000, qui, à raison de 37 fr. 2 c. par 100 kilogrammes, devraient rapporter
à l’Etat 4,072,200 fr. Je crois que l’on peut l’établir à ce taux si la loi
n’est pas éludée par suite des dispositions qui établissent le drawback. Il
résulte que le gouvernement a perçu en 1837 186,890 fr. au lieu de 4,072,200
fr. ; différence 3,885,310 fr.
Si nos contradicteurs persistent à soutenir que l’on
ne peut obtenir que 55 kilog. de sucre raffiné, de 100 kilog. de sucre brut,
ils doivent admettre que l’Etat fait un sacrifice de 5,432,200 fr. en faveur de
cette industrie, et dans la supposition que cet impôt ne pèse pas en totalité
sur le consommateur comme on le prétend, et en admettant qu’il ne soit payé par
les consommateurs que pour la moitié, il en résulterait que l’industrie des
sucres et le haut commerce percevraient sur le consommateur environ 2,700,000
fr., et l’Etat 180,000 fr. seulement.
Si, comme on nous le dit, cette industrie ne peut se
soutenir qu’à l’aide de ce subside, nous devons en conclure qu’elle n’est que
factice et qu’elle doit être abandonnée. Il en est de cette industrie comme de
bien d’autres, on l’a portée sur une trop grande échelle.
Il y a quelques années, elle était dans un état de
prospérité, par le motif qu’il n’existait pas un aussi grand nombre de
raffineries. Aujourd’hui qu’on en a augmenté le nombre, les produits étant
supérieurs à la consommation, on ne trouve plus à placer avantageusement les sucres raffinés ;
on les exporte, et celui qui a besoin de réaliser sa marchandise doit la donner
à très bas prix ; même à perte. Voilà la cause du malaise des propriétaires de
raffineries. A l’appui de ce que je viens d’avancer, c’est que nombre de
raffineurs sont dans une position très fâcheuse, et par le maintien de l’ordre
de choses actuel, en d’autres termes, en continuant de renoncer à un impôt de 4
millions en faveur des raffineries, on ne parviendra pas à soutenir cette
branche d’industrie. Les ports de l’Allemagne leur seront sous peu fermés. Déjà
la Prusse a augmenté le droit d’entrée sur les sucres raffinés ; on cultive
dans ce royaume la betterave, et pour favoriser cette culture, on imposera le
sucre exotique à un taux plus élevé encore. A Hambourg, l’industrie de la
raffinerie y prend un accroissement tel qu’elle sera à même d’alimenter
l’Allemagne, et si les raffineurs de sucre ont pu se défaire de leurs produits
à l’étranger, c’est par suite de l’impôt qu’ils perçoivent en Belgique sur le
consommateur. Les raffineurs belges ne pourront continuer cette concurrence
malgré les grands avantages qu’ils reçoivent, avantages que l’on peut porter à
4 millions. Le gouvernement peut-il et doit-il renoncer à un impôt de 4
millions environ, en faveur d’une industrie qui s’est trompée. S’il en était
ainsi, vous devriez venir au secours de toute industrie qui ne prospère pas.
Voyez, messieurs, où cela vous conduirait : tous les jours on viendrait
réclamer des protections que vous ne pourriez pas accorder, et on aurait le
droit de vous dire que si vous accordez des faveurs à certaines branches
d’industrie, vous devez en accordez à toutes, et on serait fondé dans cette
réclamation. Quand on a frappé d’un impôt les sucres, ce fut en vue de créer
des ressources à l’Etat ; aujourd’hui que la loi ne remplit pas le but du
législateur, il est de notre devoir de la modifier, de manière à frapper le
consommateur d’un impôt en faveur de l’Etat et non en faveur de l’industrie. Un
gouvernement ne peut marcher sans impôt ; et il doit préférer ceux qui sont supportés
par la classe aisée à l’impôt qui pèse sur la classe pauvre. Je suis donc de
l’opinion que nous ne devons pas renoncer à l’impôt sur le sucre, et que nous
devons apporter à la loi les modifications nécessaires pour qu’il soit payé à
l’Etat 4 à 5 millions de francs de ce chef.
Si le gouvernement peut marcher privé de 4 millions
d’impôt, je demanderai que le sel en soit affranchi plutôt que le sucre ; le
sel est indispensable aux malheureux.
Le haut commerce et les raffineurs de sucre demandent
qu’on ne touche pas à la loi, cela se conçoit ; on renonce difficilement à une
aussi belle prime.
Ces messieurs prétendent qu’en modifiant la loi on
nuira à l’exportation des produits de notre industrie. Les navires belges,
disent-ils, vont chercher directement la moitié des sucres bruts aux Indes, et
y transportent le produit de votre industrie qu’ils échangent contre du sucre.
Si vous paralyser en même temps l’exportation des produits de vos fabriques et
de votre sol, vous manquerez des navires de retour qui, vous ayant amené des
produits exotiques, auront une trop grande quantité de produits provenant de
Belgique pour pouvoir suffire à les exporter. Curieux de connaître jusqu’à quel
point ces craintes et ces prévisions étaient fondées, j’ai consulté le tableau
général du commerce de la Belgique avec les pays étrangers, dressé et publié
par le ministre de l’intérieur ; j’y ai remarqué qu’en 1834 il avait été
introduit 19,115,496 kilog. de sucre brut dont 9,096,858 kil. par navire et
sous pavillon belge ; mais loin de les avoir été chercher directement aux
Indes, comme on le dit, j’ai reconnu que nos navires en avaient été chercher en
Angleterre 6,398,448, aux Etats romains et toscans 80,340, en Hollande, 79,435,
des villes anséatiques 790,454, et seulement 1,732,711 à Cuba et au Brésil, et
non, comme on nous l’a dit, 9 millions en demi. J’ai donc été rassuré sur ce
point, car quelle que soit la prospérité de notre industrie de sucres
indigènes, nous devrons toujours en chercher aux Indes une quantité même plus
forte qu’on en a été chercher en 1834 ; seulement on n’ira plus en charger en
Angleterre, en Hollande, à Hambourg ou ailleurs, et pour ces pays nous ne
manquons pas de navires pour exporter nos produits. Souvent ils retournent sur
lest après nous avoir amené des produits soit de leur industrie, soit de leur
sol.
Je ferai en outre remarquer que les navires qui vont
chercher aux Indes le café, le tabac, les épiceries, les riz, les cuirs, etc.,
etc. pourront suffire à y transporter les produits de notre industrie dont ont
besoin les Indiens ; on pourra les échanger contre du café au lieu de les
échanger contre des sucres. J’ajouterai que l’on introduit en Belgique
infiniment plus de produits étrangers qu’on en exporte, et j’ai remarqué dans
le document précité que, sur 6,896 navires entrés en Belgique avec chargement
pendant la période de 1831 inclus 1834, il en était sorti sur les 2,963, dont
568 belges, ce qui fait, taux moyen et année commune, 741 navires sortant sur
lest, de manière qui si on n’introduisait pas même un kilo. De sucre des Indes,
on aurait encore un grand nombre de navires qui partiraient de nos ports sans
chargement.
De tous les arguments employés par les raffineurs et
le haut commerce contre la modification à faire subir à la loi sur les sucres,
celui que je viens de combattre m’avait paru le plus important ; je crois y
avoir répondu de manière à tranquilliser nos producteurs manufacturiers qui, je
le répète, ne manqueront pas de navires de retour pour transporter, soit aux
Indes, soit ailleurs, le produit de leur industrie, quand même nous pourrions
nous passer de sucre des Indes.
Je ne puis non plus partager l’opinion des raffineurs
et du haut commerce qui prétendent que si on entrave le commerce de sucre
exotique, on privera d’ouvrage un nombre considérable de malheureux ; je crois,
au contraire, que si on favorise l’industrie naissante de la fabrication du
sucre indigène brut, on emploiera infiniment plus de bras que l’on n’en emploie
à raffiner seulement le sucre brut venant de l’étranger. En fait de la
fabrication du sucre, l’opération qui demande le plus de main-d’œuvre, c’est la
fabrication du sucre brut, opération qui jusqu’aujourd’hui s’est faite par les
Indiens, à qui nous payons annuellement un tribut d’environ 11 millions de
francs, tribut dont nous nous affranchirons en grande partie en favorisant la
production du sucre de betteraves. En même temps nos populations fabriqueront
le sucre brut aujourd’hui fabriqué par les Indiens.
Dans l’opinion de MM. les raffineurs de Gand les
fabricants de sucre de betterave jouissent d’une protection plus que suffisante
en Belgique sous l’empire de la législation actuelle. Je serais de leur avis si
toutefois on percevait un impôt de 37 fr. 02 c. par 100 kil. de sucre exotique.
Ces messieurs ajoutent qu’il faut maintenir les bases du système du drawback,
et ne pas apporter de changement à notre législation sur la matière. Il résulte
que sur 11 millions de sucre brut nécessaire à la consommation de la Belgique,
elle paie actuellement un impôt de 120,000 fr., ce qui revient à environ un
franc par 100 kil.
Telle est la protection accordée aux fabricants de
sucre de betteraves sur les fabricants de sucre des Indes et qui est considérée
par les raffineurs comme étant trop élevée.
Tandis que les fabricants raffineurs jouissent d’une
faveur par 100 kil. de sucre brut, de 36 fr. 02 c., l’Etat en reçoit un franc ;
mais comme ils disent dans leur mémoire que l’impôt ne pèse pas intégralement
sur les consommateurs, et en admettant bien gratuitement que MM. les raffineurs
renoncent à la moitié des 36 fr. 02 c., en faveur du consommateur, il leur
reste 18 fr. de prime qui leur donnent le moyen de faire manger aux Allemands
et à d’autres nations le sucre à bon marché.
MM. les raffineurs ne sont pas plus heureux lorsqu’ils
prétendent que les fabricants de sucre de betteraves, ayant créé leurs
établissements sous l’empire de la loi actuelle, doivent en subir les
conséquences. Ces conséquences sont que les sucres exotiques devraient payer un
impôt de 37 fr. 02 c. environ par 100 kil., vu qu’à l’époque où on a entrepris
cette industrie, l’Etat devait recevoir 3 à 4 millions d’impôt sur les sucres
et qu’on ne devait nullement prévoir qu’en 1837 cet impôt serait réduit à
120,000 fr., ou 1 fr. par 100 kil. Quoi qu’il en soit, il est du devoir de la
législature de remédier au vice de la loi sur les sucres. L’Etat doit recevoir
cet impôt, il en a besoin et ne peut y renoncer. On avisera plus tard à faire
payer également un impôt de consommation sur les sucres indigènes lorsque cette
industrie sera convenablement implantée en Belgique.
Qu’il me soit permis de dire aux raffineurs que, lors
de l’établissement de leur industrie, la loi imposait le sucre brut à l’entrée
à 37 fr. 02 c., et qu’ils doivent en subir les conséquences de cet impôt ; ils
ne devaient pas croire qu’ils parviendraient à éluder la loi au point de
réduire l’impôt de 37 fr. à 1 fr. En outre ils devaient bien s’attendre que le
gouvernement ne consentirait pas à une réduction, et que des modifications
seraient apportées à la loi pour rétablir l’impôt à 37 fr., même à un taux plus
élevé si telle était l’opinion du gouvernement. Telles sont les conséquences
qui doivent subir les raffineurs de sucre exotique.
Dans l’état de choses actuel il résulte de tout ce qui
précède que les fabricants de sucre indigène jouissent d’une protection d’un
fr. par 100 kilog., tandis que les raffineurs de sucre jouissent d’un impôt sur
le consommateur de 18 fr. 51 centimes, dans la supposition (ce dont je doute)
qu’ils fasse grâce au consommateur de la moitié du droit.
Dans un mémoire ils ont avancé que le consommateur ne
payait qu’une partie de l’impôt ; j’aimerais à croire que les faits sont
exacts, et pour ce motif je ne porte l’avantage en faveur des raffineurs que de
la moitié du droit imposé sur les sucres exotiques pour mémoire. En résultat,
en maintenant la loi telle qu’elle est, vous favorisez la fabrication du sucre
brut à raison de 18 francs 56 centimes par 100 kilogr. en faveur des Indiens,
et seulement à raison d’un franc en faveur des fabricants de sucre brut
indigène. C’est le cas de dire que nous sommes plus Indiens que Belges, si nous
maintenons l’ordre de chose actuel.
En résumé, pour soutenir une industrie qui est devenue
vraiment factice, et qui doit être anéantie, quoi que vous fassiez, et cela à
une époque très rapprochée, il s’agit de voir si vous consentirez à renoncer à
un impôt de quatre à cinq millions qui, supprimé, devra être remplacé par des
centimes additionnels ou par de nouveaux impôts. Consentirez-vous, toujours
dans l’intérêt des raffineurs de sucre et du haut commerce, à sacrifier une
industrie naissante (les fabriques de sucres indigènes), dont la matière
première est le produit de votre sol, et dont la fabrication du sucre brut est
l’œuvre de vos populations appartenant à la classe pauvre, et qui est occupée
pendant l’hiver, époque où elle manque d’ouvrage ? Consentirez-vous à accorder
aux Indiens la préférence sur les indigènes de fabriquer le sucre brut ?
Renoncerez-vous aux avantages immenses que doivent procurer au pays les
fabriques de sucre indigène, tels que l’amélioration du sol, suite de la
culture de la betterave ? Préférerez-vous payer aux Indiens dix à douze
millions annuellement que de les payer à vos concitoyens ?
Tels sont les sacrifices que réclament de vous les
raffineurs de sucre exotique.
Pour mon compte, je ne puis y souscrire ; je voterai
donc pour la révision de la loi, qui est devenue sans effet, et pour qu’elle
soit modifiée de manière à ce qu’il soit payé sur le sucre brut exotique un
impôt à l’Etat de 37 fr. par 100 kilog., et cela le plus tôt possible. Je ne
puis consentir à voir continuer à prélever un impôt sur le consommateur en
faveur d’une industrie, et comme je considère l’impôt sur le sucre perçu sur la
classe aisée, lorsque les sucreries indigènes seront bien établies, je serai le
premier à provoquer une loi qui impose le sucre indigène, mais de manière à ce
que nos manufactures puissent soutenir la concurrence sur les sucreries
indiennes.
J’ai suffisamment démontré que quand même on
n’introduirait pas de navire exotique en Belgique, on ne manquerait pas de
navires de retour pour exporter nos produits, et je crois pouvoir garantir
qu’il en sortira encore un grand nombre sur lest. Si l’on n’introduisait plus
en Belgique de sucres exotiques, les navigateurs qui vont échanger aux Indes
les produits de notre industrie contre du sucre, si l’impôt ne leur permet plus
de charger du sucre, ils chargeront du café, des épiceries, du tabac, du riz,
des cuirs ou autres produits, mais ils ne manqueront pas de charge en retour.
J’ai sur ce point mes apaisements. Au surplus, d’ici à nombre d’années, nos
sucreries ne suffiront pas à la consommation du pays ; nous aurons besoin de
certaine quantité de sucre exotique. Ils pourront en chercher à Cuba ou au
Brésil au moins deux millions de kilogrammes annuellement, comme ils ont fait
en 1834 : seulement, ils s’abstiendront d’en chercher en Angleterre, en
Hollande, en Allemagne, ce qui ne nuira pas à l’exportation de nos produits, vu
que pour l’Angleterre il ne nous manque pas de navires de retour. Grand nombre,
après nous avoir apporté des marchandises de ce pays, retournent sur lest :
nous n’avons donc pas besoin d’aller y chercher du sucre pour y transporter nos
produits.
Je demande que la loi soit revue immédiatement, qu’on
y apporte les modifications nécessaires pour que l’impôt, à raison de fr. 37 02
par 100 kil. de sucre brut importé en Belgique pour la consommation soit perçu
en faveur de l’Etat ; par ce moyen, nous éviterons de devoir recourir à des
centimes additionnels à payer par des malheureux. Les consommateurs de sucre
doivent être plutôt imposés que le pauvre ; c’est le riche qui consomme le
sucre, et dans le cas où l’on pourrait se passer d’un impôt de quatre millions
environ, alors je demanderais que l’impôt sur le sel soit aboli, et non celui
établi sur le sucre. Le consommateur de sucre a mieux le moyen de payer des
impôts que le malheureux qui con somme le sel, dont il ne peut se passer, pas
plus que de pain.
Je fais observer que la loi sur le sucre ayant eu pour
but de frapper la consommation à raison de 70 cent. environ par kilog. de sucre
raffiné de provenance exotique, quand les raffineurs ont établi leur industrie,
ils ont dû en subir les conséquences et croire que si par la suite il était
reconnu que, par l’effet d’une amélioration en raffinerie ou autrement, il
résultait que l’impôt sur la consommation viendrait à être réduit, le
gouvernement ne manquerait pas d’y apporter les modifications nécessaires pour
obtenir le maintien du chiffre de 70 c. d’impôt par chaque kil. de sucre
consommé en Belgique venant de l’étranger ; par contre, quand on a établi les
fabriques de sucre indigène, les industriels qui les ont érigées ont dû croire
que la loi était une vérité et non un mensonge ; s’ils avaient pu croire qu’ils
n’obtiendraient pas un avantage suffisant sur les Indiens, ils se seraient
abstenus de compromettre leur fortune en implantant une industrie nouvelle en
Belgique ; et, en ne faisant pas exécuter la loi d’après son esprit, pas de
doute l’Etat les frapperait indignement ; ils auraient droit de se plaindre
d’avoir été trompés par lui.
Il me reste, messieurs, à dire quelques mots sur le
projet de loi qui nous est soumis.
Si mes prévisions sont fondées je doute fort que nous
atteignons le but voulu, qui est de faire payer l’impôt sur les sucres en
faveur du trésor.
En apparence, la commission en proposant une
majoration de droit de 3 francs par 100 kilog., on est tenté de croire qu’il
doit y avoir une augmentation de revenu pour le trésor, ce qui serait exact si
l’impôt était perçu par l’Etat ; comme il résulte qu’il ne perçoit presque plus
rien sur le sucre (il n’a perçu, en 1836, que la somme de 186,890 fr. 10 c.),
d’après ce que nous dit la commission, tandis que cet impôt devrait produire
environ quatre millions ; de manière que l’augmentation tournera au profit de
qui reçoit aujourd’hui les 3 à 4 millions que doit produire l’impôt sur la
consommation du sucre.
Le rendement ayant été maintenu, ou à peu près, par la
commission, je ne crois pas la loi nouvelle remédie au vice de l’ancienne.
L’impôt sur le sucre continuera être perçu par ceux
qui le prélèvent, depuis deux ans, sur une grande échelle, et depuis dix ans,
au moins, pour une moitié.
La fraude continuera à prendre une part dans l’impôt ;
à mon avis, la commission ne propose pas les moyens suffisants pour la
réprimer. Elle s’oppose à l’institution d’un jury d’expertise, sans lequel, je
crois, on ne pourra juger si le sucre exporté est bien du sucre raffiné.
Il en résultera donc que l’exportation de sucre brut
et tapé continuera à être considérée comme sucre raffiné à la sortie, pour
rentrer après comme sucre brut, ce qui donnera le moyen de livrer à la
consommation la même quantité de sucre affranchi du droit sur le report du
trésor, mais perçu en faveur du fraudeur.
J’ai vu avec plaisir que la commission reconnaît, avec
moi, que l’impôt sur le sucre est un des impôts les plus justes et les mieux
établis, vu qu’il frappe la consommation du riche.
Je regrette que ce principe, adopté par la loi
proposée par la commission, ne donne pas pour résultat la perception du droit
en faveur du trésor, et que l’impôt sera, comme il l’est depuis plusieurs
années, perçu encore au profit de l’industrie, etc., si la chambre l’adoptait
tel qu’il lui est présenté.
J’ai l’espoir que la chambre, en apportant des
modifications à la loi qui nous est soumise, en y introduisant des amendements,
parviendra à tirer un parti satisfaisant du travail de la commission ; si, au
contraire, il en était autrement, et que le projet de loi fût soumis à la
chambre tel qu’il est, je le déclare, je voterais contre, vu que je le
considère aussi mauvais, ou à peu près, que la législation actuelle ; et plutôt
que de voir grever les contribuables de 4 millions environ d’impôt, dont moins
de 200 mille francs rentrent dans les caisses de l’Etat, je proposerais de
supprimer l’impôt sur le sucre, par le motif que je ne veux pas qu’il soit
prélevé des contributions en faveur d’aucune industrie.
Je ne chercherai pas à combattre les nombreux motifs
qui ont dirigé la majorité de la commission, et qui ont influencé les
conclusions de son rapport.
Dans mon discours je crois en avoir déjà rencontré
plusieurs, entre autres, sur l’influence du sucre exotique sur notre marine
marchande.
D’autres que moi, plus versés dans l’économie
politique, sauront réduire les exagérations de la commission.
Je termine en déclarant que la
réduction sur le commerce du sucre exotique ne nuira pas à nos industries, sur
le rapport de l’exportation de ses fabricats.
J’ai acquis la certitude que nos navires, qui
introduisent les sucres bruts, ne vont pas les chercher aux Indes comme on nous
l’a dit ; le tableau général du commerce nous donne le résultat suivant. (Voit
le tableau B.)
En résumé, je prie la chambre d’aviser aux moyens de
faire payer, aux consommateurs de sucre, à 4 millions au profit du trésor et
non au profit du commerce, de l’industrie et des fraudeurs ; par ce moyen nous
éviterons de voir ajouter des centimes additionnels aux contributions, centimes
que je ne voterai jamais quand on aura les moyens de s’en passer, et le
gouvernement ne serait pas venu nous demander des augmentations si l’impôt sur
le sucre avait été perçu d’après l’esprit de la loi qui n’a jamais voulu
l’établir en faveur de l’industrie. On peut porter à dix millions perçus par
l’industrie depuis 10 ans sur les consommateurs de sucre au détriment du
trésor.
M. Donny.
- Messieurs, je ne suivrai pas pour le moment les honorables préopinants sur le
terrain sur lequel ils se sont placés. Je vais, pour aujourd’hui du moins, me
placer sur un terrain tout différent, et je le fais principalement pour
provoquer de la part de M. le ministre des finances des explications sur un
point très important.
Le principal reproche que les adversaires de la
législation actuelle lui ont adressé, c’est celui d’être la cause du déficit
considérable, que depuis quelques années, nous remarquons dans les produits de
l’accise sur le sucre.
Eh bien, messieurs, quoique ce reproche soit articulé
avec la plus grande assurance, si les chiffres donnés par le gouvernement sont
exacts, rien n’est moins fondé que ce reproche, et je vais le prouver, en
calculant ce que la loi a dû produire pendant 6 ans, de 1831 à 1836 inclusivement.
Au 1er janvier 1831, il y avait indubitablement une
certaine quantité de sucre prise en charge par l’administration des accises ;
je vais cependant négliger totalement cet avoir, quoiqu’il dût être bien réel,
et qu’il soit favorable à mon système. Je vais commencer mes calculs comme si
la législation actuelle datait du 1er janvier 1831.
En 1831, 1832 et 1833, il a été importé en sucre bruit
42,302,828 kil. Mais comme dans les mêmes années il en a été exporté 19,490 kil.,
il en est resté dans le pays 42,283,338 kil.
En 1834, on en a importé 19,115,100 kil., en 1835,
23,754,338 et en 1836, 22,396,690, soit 65,266,028 kil.
D’après cela, pendant les six années qui se sont
écoulées, de 1831 à 1836 inclusivement, il est entré dans le pays, en sucre
brut, 107,549,366 kil.
Pour arrondir, je vais faire une nouvelle concession,
contraire aux intérêts du système que je défends, je me bornerai au chiffre
total de 107,000,000 kil. Je négligerai 549,366 kil.
Ces 107,000,000 ont dû être pris en charge par
l’administration des accises, si, comme je n’en doute pas, elle a fait son
devoir. Ils doivent avoir été pris au taux de 37 fr. 02 c. par 100 kil.. Je
néglige encore les 2 c., et multipliant les 107,000,000 par 37 c., j’arrive à la
somme de 39,590,000 fr.
Il faut maintenant que l’administration des accises
nous renseigne ces 39,590,000 fr.
Sur cette somme, l’administration défalquera les
exportations.
De 1831 à 1833, elles ont été de 1,453,043 kil., en
1834 de 8,818,102 kil., en 1835 de 10,680,110 kil. et en 1836 de 12,751,499
kil. Le total des exportations pendant les 6 années a donc été de 33,702,754
kil.
Je ferai remarquer que parmi ces quantités de sucre
exporté, il s’est assurément trouvé une certaine quantité de cassonade, enfin
de sucre qui ne reçoit pas la haute décharge. Cependant, pour abréger, et
quoique cela soit contre l’intérêt de mon système. j’admets que les 33,702,754
kil. ont tous reçu la haute décharge. Celle-ci ne s’élève pas tout à fait à 68
fr. les 100 kil. Je prends cependant ce chiffre, toujours contre mon intérêt,
et j’arrive à la somme de 22,917,872 francs pour le montant des décharges
amenées par l’exportation.
Maintenant je déduis le chiffre de ces exportations
des 39,590,000 francs que l’administration des accises a dû prendre en charge,
et il me reste 16,672,128 francs.
Maintenant l’administration ne peut plus renseigner
cette somme de 16,000,000 que par des paiements.
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Vous oubliez les quantités en entrepôt.
M. Donny.
- J’allais en parler. Je dis que la somme de 16,672,128 francs n’a pu être
apurée que par des paiements ou par des restants en entrepôt. Or,
l’administration ne nous renseigne des paiements que jusqu’à concurrence de
7,979,638 fr., Il lui reste donc à renseigner d’une autre manière, 8,892,470
fr. J’espère que M. le ministre des finances voudra bien nous donner des
explications précises à cet égard.
S’il résulte de ces explications que les 8,692,470 fr.
ont été apurés de manière à ne pas donner lieu à la perception d’aucune partie
de l’impôt, les produits de l’accise pendant les six années de 1831 à 1836
resteront fixés à 7,979,658 ; mais la chose me semble peu possible, car pour
arriver à ce résultat, il faudrait admettre l’existence en entrepôt, au 31
décembre 1830, d’environ 25,000,000 de kil. de sucre brut, et il faudrait
admettre de plus l’exportation postérieure de cette quantité en nature ou d’une
quantité proportionnelle de sucre raffiné, et cela indépendamment de
l’exportation propre aux importations de 1837.
Si au contraire, il résulte
des explications du ministre que les 8,692,470 fr. n’ont pas été apurés de
cette manière ; mais qu’ils ont été encaissés depuis le 31 décembre 1836, ou
qu’ils restent encore dû au trésor, il faudra ajouter cette somme aux 7,979,658
fr. reçus antérieurement, et alors le produit de la loi, pendant les six années
dont il s’agit, se sera élevé à 16,672,128 fr., ce qui fait, terme moyen,
2,778,688 fr. par an. Certes, en ce cas, le produit aura été satisfaisant et ce
déficit dont nous nous plaignons n’aura été que fictif, et l’on aura tort de ne
pas nous éclairer à ce sujet.
Je ne me plains pas, au reste, de ce qu’on n’ait pas
compris dans les recettes des 6 années ce qui n’a été reçu que postérieurement,
mais seulement de qu’on ne nous ait pas prévenus que les recettes qu’on nous
indiquait ne formaient pas à elles seules le produit de l’accise pendant ces 6
années. En nous indiquant ces recettes, l’on aurait dû nous dire en même temps
quels éléments déterminés ou éventuels devaient y être ajoutés. Vous concevez,
messieurs, que ces renseignements sont intéressants pour se fixer sur le
produit de l’impôt et sur la convenance d’en changer la législation.
Quand M. le ministre aura donné les explications que
je réclame, je prendrai peut-être de nouveau la parole, si mon rhume me le
permet, pour argumenter sur des bases qui alors seront plus certaines.
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Il serait bien difficile de vérifier ainsi, à
première vue, tous les calculs que vient de présenter l’honorable préopinant.
Je dirai d’abord que j’ai regret de l’avoir interrompu tout à l’heure, car il
allait en conclure d’une manière absolue sans tenu compte des restants de sucre
en entrepôt, ce qui eût suffisamment démontré son erreur. Quoi qu’il en soit
des chiffres présentés par M. Donny, il est clair que les conclusions qu’il a
exposées tendent à laisser supposer que l’administration n’a pas renseigné les
sommes perçues ou qu’elle n’a pas perçu ce qu’elle devait percevoir ; or c’est
là une chose impossible, et il n’est pas permis de supposer que l’on n’aurait
pas renseignés les perceptions opérées ou que les comptes n’auraient pas été
tenus comme ils devaient l’être.
Nous nous expliquerons aussi demain par des chiffres,
et il nous sera facile d’en opposer de concluants à ceux que vous venez
d’entendre.
M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Messieurs, je prierai la chambre de mettre à
l’ordre du jour le budget de la guerre, après la discussion de la loi dont elle
s’occupe actuellement ; c’est l’objet le plus urgent.
M. Coghen.
- Messieurs, M. le ministre des finances vient de poser des amendements à la
loi sur les sucres. Ces amendements établissent un système tout nouveau. C’est
une question des plus importantes ; je crois qu’il serait dangereux de
continuer la discussion. Il conviendrait mieux de prendre immédiatement la
discussion du budget de la guerre, pour laisser le temps d’examiner la question
posée par le ministre des finances, et de reprendre cette discussion après mûr
examen.
M. Eloy de Burdinne. - Pour payer le budget de la guerre, il faut de
l’argent. Terminons le plus tôt possible un projet de loi qui doit en faire
entrer au trésor.
M. de Muelenaere. - M. le rapporteur est plus à même que tout autre membre de savoir si
on peut sans inconvénient continuer la discussion de la loi sur les sucres. La
question est grave et assez étrangère à nos méditations habituelles. Je le
prierai de s’expliquer à cet égard. S’il y avait le moindre doute sur la
possibilité de continuer avec fruit la discussion de cette loi après les
amendements présentés par M. le ministre, je crois qu’il vaudrait mieux adopter
la proposition de M. Coghen, commencer la discussion du budget de la guerre et
se préparer à reprendre ensuite la discussion de la loi sur les sucres.
M. Desmaisières. - Pour répondre à l’interpellation qui m’est
adressée, je dirai qu’ayant écouté avec attention les orateurs qui ont parlé,
je n’ai pas eu le temps de jeter les yeux sur les amendements présentés par M.
le ministre des finances, je ne puis dire dans ce moment si dans mon opinion,
il est possible de continuer la discussion sans que ces amendements aient été
préalablement examinés par la commission. Je ne puis même pas parler son nom,
car nous ne nous sommes pas réunis. Mais je crois la chambre agitait sagement
en renvoyant à la commission pour faire le plus promptement possible un
rapport, car le système de la commission est tout à fait opposé à celui du
ministre des finances.
M. Dumortier. - On veut nous laisser dans la position où nous
sommes, et M. le ministre veut en sortir. Les propositions de M. le ministre
sont assez claires pour qu’on puisse les discuter en regard de chacun des
articles. Si des objections sont faites, le ministre et moi seront là pour y
répondre. Il est nécessaire et urgent d’en finir. D’après M. le ministre, la
loi doit recevoir son exécution au 1er janvier. Il importe qu’elle soit
discutée non seulement dans la chambre des représentants, mais au sénat.
Or, une pareille loi, une loi de recette ne peut pas
souffrir de retard ; ce n’est pas de ces lois pour lesquelles on peut faire une
loi provisoire, tandis que pour le budget de la guerre on pourrait au besoin
admettre une loi de crédit provisoire. Il est de toute nécessité de continuer
la discussion commencée ; nous avons entendu plusieurs orateurs ; ce qu’ils ont
dit serait perdu de vue si on ajournait maintenant la discussion.
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Il y a lieu de continuer la discussion qui,
jusqu’à présent, a été générale, et dans laquelle on n’a pas encore examiné les
articles des projets présentés. On a parlé pour et contre un changement
quelconque à la législation existante. Les uns veulent le maintien de cette
législation, les autres veulent qu’on y apporte des modifications. Eh bien,
nous verrons quand nous serons arrivés aux articles quelles modifications il
convient d’adopter, et si nous sommes assez éclairés nous déciderons.
Je ferai observer que c’est par excès de zèle que M.
le ministre de la guerre vient de vous proposer de mettre son budget à l’ordre
du jour aussitôt que possible, mais nous aurions tort de le prendre au mot, car
il fait aujourd’hui sa première sortie après une indisposition grave, et il est
encore trop souffrant pour entreprendre sans danger, dès demain, une discussion
comme celle de son budget ; je pense qu’il vaut mieux qu’il prenne deux ou
trois jours encore pour se remettre, et, par ce dernier motif surtout, je prie
M. Coghen de retirer sa proposition.
M. Coghen.
- Ma proposition était subordonnée à la possibilité par M. le ministre de la
guerre de discuter son budget. Quant aux amendements, c’est un changement que
le ministre introduit dans la loi. Si la discussion générale continue deux
jours, on pourra bien apprécier la portée des nouvelles dispositions et passer
à la discussion des articles. Je retire ma proposition. (A demain, à demain.)
- La discussion est continuée à demain.
Le budget de la guerre est mis à l’ordre après le vote
de la loi sur les sucres.
La séance est levée à 4 heures et demie.