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Chambre des représentants de Belgique
Séance du mardi 21 novembre
1837
Sommair
1) Pièces adressées à la chambre
2) Projet
de loi portant le budget du département des finances pour l’exercice 1838
3) Projet de loi portant organisation de l’école
militaire. Discussion générale, notamment enseignement organisé aux frais de
l’Etat et concurrence avec les universités et caractère militaire ou mixte
(civil-militaire) de l’établissement (études polytechniques) (de Puydt, Lejeune, Desmanet de Biesme, (+enseignement de la religion) Vandenbossche, Devaux),
instruction des sous-officiers dans les écoles dites régimentaires (Gendebien), enseignement organisé aux frais de l’Etat,
concurrence avec les universités et caractère militaire ou mixte
(civil-militaire) de l’établissement (études polytechniques), programme des
cours, avancement des officiers (Willmar)
(Moniteur belge n°326, du 22 novembre 1837)
(Présidence de M. Raikem.)
M. de Renesse procède à l’appel nominal à 1 heure.
M. Lejeune lit le procès-verbal de la séance précédente ; la
rédaction en est adoptée.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
M. de Renesse annonce que des négociants-détaillants des villes et
communes de Zèle, Hamme, Sotteghem, Hal, Bruges, Termonde et Lokeren, adressent
à la chambre des observations contre l’abus des ventes de marchandises à
l’encan.
- Cette pétition est renvoyée
au ministre de l’intérieur, avec demande d’explications avant la discussion du
budget des voies et moyens.
PROJET DE LOI PORTANT LE BUDGET DU DEPARTEMENT
DES FINANCES POUR 1838
M. Zoude, rapporteur de la section centrale qui a examiné le budget
du département des finances, dépose son travail sur le bureau.
PROJET DE LOI PORTANT ORGANISATION DE L’ECOLE
MILITAIRE
Discussion générale
M. de Puydt.
- Je demande la parole pour une réclamation. Je n’ai dit que quelques paroles
hier, et le sens n’en a pas été saisi par le rédacteur du Moniteur. Je n’ai pas dit que je tenais à parler comme rapporteur,
parce que le ministre avait restreint le projet dans les limites posées par la section
centrale ; j’ai dit au contraire que je tenais à parler comme rapporteur, parce
que le ministre avait restreint, par son amendement, les limites posées par la
section centrale.
M. le président. - La parole est à M. de Brouckere.
M. de Brouckere. - Je la cède à M. le rapporteur ; je parlerai en son
lieu et place.
M. de Puydt. - Messieurs, divers
orateurs se sont prononcés contre le projet en employant des arguments à peu
près analogues pour prouver qu’il est inconstitutionnel et destructif de la
liberté de l’enseignement ; je vais essayer de démontrer l’inexactitude de ces
faits et le peu de fondement de l’opposition de ces orateurs.
D’abord je tiens à justifier
la section centrale dont je suis l’organe d’une espèce d’accusation formulée
contre elle par le premier orateur qui a parlé dans cette discussion.
Je lis dans le discours de
l’honorable M. Dubois les passages suivants :
« Depuis le 18 janvier
1834, jour auquel M. le ministre de la guerre présenta son projet à la chambre,
la nouvelle loi a subi d’étranges modifications. Elle a grandi, elle a pris des
proportions étonnantes, et, remaniée par la section centrale, elle nous est revenue
méconnaissable, presque entièrement étrangère à elle-même.
« Le ministre de la
guerre présente un projet en sept articles, et la section centrale produit une
loi en 19 articles ; elle organise d’abord une école polytechnique, pour
laquelle elle se propose de préparer les sujets qui se destinent aux diverses
carrières civiles ou militaires, et les fait entrer ensuite dans les écoles
spéciales qu’elle rattache à son école centrale.
« Le ministre de la
guerre demandait une école militaire ; il ne s’occupait que de sa spécialité,
ou du moins son intention était telle ; par un trait de plume, la section
centrale outrepasse cette intention ; elle dénature le projet. Le projet
présenté portait que l’école serait établie dans une place de guerre du royaume
; cette disposition éminemment sage a été supprimée, etc., etc. »
Il y a, messieurs, beaucoup
d’erreurs dans ces allégations, et l’accusation contre la section centrale
porte tout à fait à faux.
Le projet a été d’abord examiné en sections,
et je ferai remarquer que les orateurs dont l’opposition se manifeste le plus
vivement, sont précisément au nombre de ceux qui dans la chambre se prononcent
habituellement pour l’envoi des projets aux sections. D’où vient donc que,
malgré cette disposition presque systématique chez eux, ils n’ont pas jugé à
propos d’assister aux travaux de leurs sections respectives, puisque aucun des
arguments dont ils se servent n’a été articulé lors de la première instruction
du projet ? Nous en avons la preuve dans les procès-verbaux des sections qui
n’en font nulle mention : cependant ces arguments sont assez importants pour ne
pas leur avoir échappé.
La loi avait 7 articles en
sortant des mains du ministre. Elle en a 19 d’après le travail de la section
centrale. Mais, hors l’addition d’une division pour le génie civil et les
mines, il n’a rien été ajouté aux dispositions de principe, aux dispositions
substantielles du projet ; l’augmentation du nombre des articles résulte plus
de développements donnés à ces dispositions primitives.
La division en cours généraux
et cours spéciaux appartient au premier projet, quoi qu’en dise l’honorable
préopinant dont j’ai cité les paroles. Ce n’est donc pas à la section centrale
qu’appartient l’idée toute rationnelle de préparer les élèves, par une instruction
théorique, aux diverses applications nécessaires à la carrière que chacun peut
vouloir suivre.
La suppression du paragraphe
relatif à l’emplacement de l’école dans une place de guerre, dont on nous fait
un tort, a été demandée par cinq sections sur six dont la chambre se compose :
il y a là, je pense, une majorité suffisante pour que la section centrale soit
à l’abri de tout reproche d’avoir détruit une disposition qualifiée
d’éminemment sage.
Cette suppression, du reste,
est justifiée par ce qui est arrivé à l’égard du choix de la ville où l’école
devrait être. Des prétentions rivales se sont manifestées, et l’on n’aurait pas
tardé à voir, dans le sein de la chambre même, les représentants de diverses
localités plaider contradictoirement en faveur de toutes les villes où il a été
possible de trouver un local. Nous n’avons eu que trop d’exemples de semblables
débats pour ne pas désirer de n’y pas donner occasion. Les sections n’ont pas
voulu autre chose, et la proposition de laisser le choix de l’emplacement de
l’école à l’arbitraire du gouvernement a paru, à la section centrale, le
meilleur moyen de prévenir une lutte inutile.
Enfin, pour terminer ces
explications, je dirai que ce sont les propositions des divers rapporteurs des
sections qui ont porté la section centrale à présenter au ministre de la guerre
une série de questions dont la solution a eu pour résultat une rédaction
nouvelle de la loi en prenant pour base et pour thème le projet primitif.
D’après cela, il n’est pas
exact de dire, ni que « la loi est méconnaissable et entièrement étrangère
à elle-même, ni que la section centrale a outrepassé ses pouvoirs en dénaturant
le projet. »
Le projet est l’œuvre de la
chambre elle-même, et ceux qui, en le repoussant, semblent nous attribuer les
défauts qu’ils y trouvent, ont aux yeux de la section centrale le tort de lui
avoir refusé le concours de leurs lumières, en n’assistant pas aux
délibérations de leurs sections, ou en n’y faisant pas connaître, quand ils y
étaient conviés par l’ordre du jour des travaux de la chambre, les observations
dont ils s’étaient aujourd’hui pour combattre ce qu’ils auraient peut-être pu
empêcher.
Je vais examiner maintenant
les objections les plus sérieuses, sur lesquelles la discussion s’est établie.
Voyons le discours d’un honorable
préopinant :
« Le projet tend à monopoliser
l’instruction en Belgique, il porte une rude atteinte à nos lois organiques ;
il révèle des idées funestes et bien décourageantes sur l’avenir de nos
établissements scientifiques, élevés à tant de frais ; et son premier effet,
s’il était accepté, serait qu’il entraînerait à une ruine certaine les
universités de Gand et de Liége. »
Voilà, messieurs, un tableau
singulièrement rembruni ; voilà, en peu de mots, des griefs bien graves, et il
faut le dire, en l’absence de développements, en l’absence de preuves à l’appui
de ces assertions, on éprouverait un certain embarras à y répondre, si l’on ne
connaissait le secret de toutes ces craintes, et si le mal prédit si
solennellement ne s’expliquait de lui-même.
En effet, si l’avenir des
établissements scientifiques dont on parte est compromis par l’école militaire
; si les universités, ou tout au moins leurs facultés de sciences, doivent être
ruinées par le seul fait de son organisation, cela prouverait tout au plus que
les établissements scientifiques des universités sont vicieux, incapables de
remplir le but proposé, incapables de soutenir la concurrence avec l’école
projetée ; cela prouverait que, cette école étant appelée, de l’aveu même de
nos contradicteurs, à produire des résultats plus efficaces, ils la
reconnaissent comme meilleure, comme un progrès, et dès lors il est imprudent
de la combattre : il faut, au contraire se hâter de la sanctionner comme un
perfectionnement.
Oui, messieurs, cette
concurrence de l’école militaire considérée comme dangereuse par ceux qui
avaient un premier intérêt, un intérêt de position, à la redouter, a été
l’origine de toutes les objections. Je n’en veux d’autres preuves que les
écrits qu’on a déjà cités dans la discussion, écrits qui ont donné le premier
éveil sur les questions d’inconstitutionnalité et de monopole dans lesquelles
plusieurs membres sont entraînés, peut-être malgré eux. En vain voudrait-on
s’en défendre, il faut bien le reconnaître ; ce n’est pas de la chambre qu’est
partie la première attaque : depuis trois ans elle était saisie du projet dans
lequel existent les principes prétendument vicieux qu’on signale, et ces vices
ne l’avaient pas frappée. L’attaque est partie du dehors : elle a été dirigée
par ceux qui, appréciant les immenses avantages qu’offrait à la jeunesse
studieuse l’établissement formé à Bruxelles, ont compris que là, bien plus que
dans les universités, se trouvaient les éléments de succès pour des études
sérieuses ; par ceux qui ont compris que, de deux établissements en
concurrence, celui qui produirait les meilleurs élèves, les élèves les plus
complets, serait la ruine de l’autre : la ruine de l’établissement auquel leur
existence personnelle est attachée. Ils ont dû, dans leur intérêt propre, bien
plus que dans l’intérêt public, chercher à étouffer dès sa naissance une
concurrence aussi redoutable.
Enfin, messieurs, ce qui
m’étonne, c’est que les orateurs qui viennent ici prédire la perte des
universités, ne soient pas frappés des arguments qu’ils fournissent contre
eux-mêmes, par leurs propres paroles.
Le projet d’école militaire
tend à monopoliser l’instruction, dit-on, parce que les élèves des cours
spéciaux seront exclusivement recrutés dans une école théorique privilégiée.
C’est sur cela qu’on se fonde pour la dire inconstitutionnelle.
Eh bien, je dirai que s’il
faut trouver là un principe de monopole, alors les facultés des sciences des
universités méritent le même reproche.
Ces facultés ont été organisées
en vertu de la loi sur l’instruction supérieure, par les arrêtés des 26 et 27
septembre 1836.
Voici ce que dit l’arrêté
organisant l’école des ponts et chaussées de Gand :
« Art. 1er.
L’enseignement des branches ci-dessus désignées est réuni sous le titre d’école
du génie civil.
« Art. 2. Les leçons sont
données de manière à terminer les études en 4 ans.
« Pendant les deux
premières années, elles seront communes aux diverses sections, les études
seront spéciales à la carrière que les élèves se proposeront d’embrasser, et
formeront l’école d’application.
« Art. 6. Après avoir
satisfait aux examens des deux premières années, l’élève passera à l’école
d’application, dont l’enseignement sera réparti de la manière suivante… »
Voilà bien une école destinée
à former des ingénieurs civils, qui se recrute sur elle-même à l’exclusion des
établissements particuliers et à l’exclusion des élèves qui auraient reçu une
instruction privée. L’école des mines de Liége est organisée dans les mêmes
termes.
Ainsi, nous voyons là une
école polytechnique fournissant les sujets pour les différentes applications,
et consacrant le monopole dont on vous fait ici un effrayant tableau ; et tel
est l’empire de cet esprit de monopole, que c’est pour l’exercer plus librement
qu’on cherche à détruire la concurrence de l’école militaire. Est-ce là
respecter la constitution ?
La constitution a posé en
principe que l’enseignement doit être libre. Il en résultait donc que l’Etat
pouvait aussi avoir des établissements d’enseignement, Elle a dit que dans ce
cas la loi en réglerait l’organisation. Or, la législature qui a reconnu la
nécessité de créer des universités, qui en a réglé l’établissement, peut
reconnaître aussi la nécessité, que personne ne conteste, d’une école
militaire.
La loi en ordonnera
l’organisation. Nous sommes donc dans l’esprit de la constitution. Cette école
militaire consacrera des divisions intérieures analogies à celles des
universités ; elle sera donc tout aussi légale que les universités elles-mêmes,
et l’on ne pourra d’après cela trouver que l’une soit plus inconstitutionnelle
que les autres.
Le monopole de l’école
militaire a tout aussi peu de fondement que son inconstitutionnalité.
A-t-on jamais dit que les
facultés des sciences monopolisaient l’instruction parce qu’elles renferment
des subdivisions ? Le législateur a compris que, pour être efficace,
l’enseignement doit être donné dans un même établissement où l’on ferait
succéder l’application à la théorie : il a pensé que la concurrence serait
suffisamment satisfaite du moment qu’on admettait aux cours généraux tous ceux
qui auraient assez d’instruction élémentaire pour être en état de les suivre
avec succès.
Eh bien, ce qui a été
considéré comme légal à l’égard des universités, ne le sera pas moins pour
l’école militaire dès que vous aurez voté son organisation. Cette école ne
monopolisera pas l’instruction, puisqu’on y admet après examen les élèves
provenant de tous les établissements publics ou particuliers.
Pour être d’accord avec nous
sur ce point, il faut préalablement s’entendre sur le caractère à assigner à
l’école.
Ici je rappellerai ce qu’a dit
l’honorable M. Dechamps en terminant son discours :
« L’enseignement de
l’école militaire ne doit commencer que là où commence sa spécialité. »
J’admets entièrement cette proposition
; mais, dans ma manière de voir, la spécialité de l’école militaire commence à
la première année des cours généraux de cette école ; car ce qui a paru
convenable sous ce rapport pour l’école des ponts et chaussées de Gand est non
seulement convenable, mais encore rigoureusement nécessaire, pour l’école
militaire.
Là est toute la question,
messieurs, et quand je serai entré à cet égard dans quelques explications, vous
serez de mon avis.
La carrière militaire, bien
qu’en aient pu dire ceux qui croient à l’existence d’une armée compatible avec
la liberté de raisonner les ordres de service ; la carrière militaire exige au
contraire des habitudes spéciales et des habitudes de vie intérieure qui lui
sont propres. Dans le monde ordinaire, pour se distinguer dans une carrière
quelconque, on doit recevoir tout à la fois l’éducation et l’instruction.
L’éducation vous forme aux usages sociaux ; l’instruction vous crée l’homme
d’une spécialité quelconque.
Dans la carrière militaire, il
faut, pour être un bon officier, la discipline et l’instruction.
La discipline, c’est
l’éducation du soldat : c’est l’observation de règles convenues et
rigoureusement nécessaires, sans lesquelles il n’y a pas d’armée possible.
La discipline est peut-être la
partie de l’enseignement militaire la plus essentielle, car sans elle les
autres connaissances sont inutiles. Elle est la garantie la plus sûre du pays
contre ce qu’il peut y avoir de dangereux dans la force militaire ; elle est
tout à la fois l’âme de l’armée et le principe de sécurité du pays.
La discipline ne s’apprend pas
en un jour ; elle ne s’apprend surtout qu’à une époque. C’est dès le début de
la carrière ; plus tard il devient pour ainsi dire impossible de s’y soumettre.
C’est précisément par cette raison
que vous ne formerez jamais de militaires, si vous ne les assujettissez à la
discipline dès les grades subalternes, soit dans les régiments, en les faisant
passer par tous les degrés de l’échelle ; soit dans les écoles, en les ployant
dès les premiers jours aux règles toutes particulières d’une carrière pour
ainsi dire exceptionnelle.
On comprend d’après cela que
les élèves de l’école militaire doivent sous ce rapport recevoir cette
instruction essentielle et contracter ces habitudes d’ordre, de régularité et
de soumission en commençant leur carrière. C’est pendant la durée des cours
généraux et au moyen du casernement que ces conditions sont remplies ; dans
tout autre situation cela devient impossible.
La spécialité de l’école
militaire commence donc aussi avec l’entrée de l’élève, et non, comme on le
prétend, avec la première année des cours spéciaux : il est donc inexact de
dire que l’école militaire se recrute en elle-même, puisqu’elle appelle tous
les ans au concours d’entrée tous les jeunes gens qui sont aptes à subir les
examens déterminés par le programme.
Si l’on veut être de bonne
foi, si l’on veut reconnaître ce véritable état de la question, on devra
convenir aussi que toutes les objections présentées tombent devant ce fait.
On se serait épargné tous les
raisonnements perdus jusqu’à présent à combattre la loi si l’on avait bien
choisi le point de départ de la question, si l’on avait envisagé l’école
militaire sous son véritable point de vue, si enfin on s’était attaché à
considérer ce qu’elle est, ce qu’elle produit, ce qu’elle peut produire ; si,
au lieu de jeter à tout hasard des cris d’alarme, on s’était borné à examiner
la réalité des dangers signalés, au lieu de les admettre avec une foi
implicite.
Je ne vois donc, messieurs,
aucun fondement dans les objections en apparence si graves de nos
contradicteurs, et la chambre peut être tranquille sur le sort de l’instruction
publique dans le pays. Cette instruction ne souffrira pas parce qu’il y aura un
établissement de plus, et surtout si, comme on semble le craindre, cet
établissement produit des hommes plus solidement instruits que tout autre.
L’honorable M. Dechamps a
critiqué plusieurs dispositions du projet. Il a émis quelques opinions sur des
points essentiels de l’enseignement ; à ses critiques comme à ses opinions, je
dois une réponse.
L’établissement d’écoles
séparées pour les différentes spécialités lui paraît une organisation consacrée
en France et dans d’autres pays, qu’il propose pour modèle à suivre.
En France, on l’a déjà dit, il
y a eu impossibilité matérielle de réunir l’application à la théorie, bien que
cette espèce de centralisation ait toujours été considérée comme préférable :
mais cependant la tendance à la centralisation se manifeste de plus en plus,
car l’école polytechnique qui, dans l’origine, ne fournissait qu’aux ponts et
chaussées, au génie et à l’artillerie, ajouta successivement des dispositions à
son programme pour le recrutement de l’artillerie de marine d’abord ; de la
marine et des ingénieurs géographes ensuite ; enfin, du corps royal
d’état-major.
Dans les pays étrangers la
centralisation comme nous la concevons existe.
Les académies militaires
d’Autriche, d’Angleterre, de Russie, de Hollande, des Etats-Unis, etc.,
comprennent deux divisons, cours généraux et spéciaux : cette organisation est
la meilleure et la plus sûre, c’est un perfectionnement que l’on fera toujours
bien d’admettre quand on le pourra matériellement. Jamais, a dit l’honorable
préopinant, une école qu’il appelle centrale, ne pourra offrir les avantages si
grands attachés aux localités de Gand et Liége.
Cette observation s’applique
principalement aux spécialités des ponts et chaussées et des mines. Elle me
semble à moi tout à fait oiseuse ; à Gand y a-t-il des routes et des ponts
modèles, et faut-il à une école de ce genre une étude de localité ? faut-il
Four l’étude des mines l’inspection journalière des exploitations des usines,
etc. ? Non certes, car les écoles des ponts et chaussées et mines de France
sont à Paris, ce qui n’empêche pas la France d’avoir de bons ingénieurs. Dans
un établissement central on craint aussi de voir sacrifier une spécialité à une
autre, les mines au génie par exemple.
Cette observation est tout
fait spécieuse dans un établissement comme l’école militaire auquel on réunirait
une division pour le génie civil et les mines. Cette confusion est impossible
par la marche même des études.
Après l’expiration des cours
généraux, ceux qui se destinent à une spécialité quelconque ne peuvent pas se
destiner à une autre. Les cours se donnent isolément à des élèves différents ;
il n’y a donc pas de confusion possible.
L’honorable M. Dechamps trouve
que l’enseignement des cours généraux de l’école serait incomplet ; il ne dit
pas en quoi. Qu’on examine la nomenclature de ces cours, elle répond à cette
objection. De ce que cet enseignement théorique a en vue des spécialités
militaires, s’ensuit-il que cet enseignement puisse en être altéré ? Des
mathématiques sont toujours des mathématiques, dans quelque but qu’on les
enseigne.
L’article
L’école polytechnique existe
en Belgique ; elle réside dans les universités : ses élèves seront plus .forts
que ceux de l’école militaire, etc. Telle est encore une des opinions
proclamées pendant la discussion.
D’abord, je ferai remarquer
que cela est en contradiction avec la peu qu’inspire la concurrence de l’école
militaire. On ne la craint que parce qu’elle est forte ; et en effet elle
l’est, elle sera toujours supérieure aux facultés des sciences des universités.
L’étude des sciences exactes
demande de l’assiduité et un travail non interrompu ; elle exige une
surveillance intérieure toujours plus facile à exercer dans un établissement
fermé et soumis à une discipline sévère, que dans des établissements privés de
ces avantages. La vie régulière, la division uniforme du temps, les
répétitions, les interrogations fréquentes, sont des moyens indispensables pour
faire des élèves forts et surtout des élèves également forts. Ces résultats, on
les obtient à l’école militaire, et je n’hésite pas à dire qu’on ne pourrait
pas les obtenir ailleurs par d’autres moyens. Que nos contradicteurs aillent
voir là ce qui se passe, ils pourront alors parler en connaissance de cause ;
il s’agit ici d’un fait facile à vérifier, et c’est médire gratuitement que de
parler sans savoir, quand on n’a qu’un pays à faire pour apprendre.
Comme étude, l’école militaire
paraîtra à tout homme impartial un établissement sans rival. Comme moyen
d’éducation, elle présente aussi beaucoup de garanties.
Quand des jeunes gens ont tout
leur temps employé à des travaux assidus et qui exigent une contention d’esprit
continuelle, quand ils sont soumis à une surveillance clairvoyante, il est
difficile qu’ils contractent des habitudes vicieuses ; et même, dans les courts
instants de liberté qu’on leur accorde, il devient presque impossible qu’ils se
dépouillent entièrement de cette influence d’ordre et de tendance à éviter ce
qui est blâmable.
La section centrale a été
au-devant de tous les besoins, elle a voulu joindre à toutes les garanties déjà
connues, des garanties morales par l’application aux devoirs religieux ; et
c’est dans ce but qu’elle a proposé l’adjonction d’un aumônier à
l’établissement : aumônier qui aura aussi une instruction à donner et des
exemples à prescrire.
Consciencieusement parlant, je
suis convaincu que l’école militaire sera toujours, pour les parents qui
veulent le bonheur de leurs enfants, un établissement préféré, et je n’en veux
d’autre preuve que ce qui se passe chaque année aux examens. Dès que le programme
est publié, bien qu’il ne faille souvent que 15 à 20 élèves, il se présente de
70 à 80 candidats. Je doute que les inscriptions aux facultés des sciences des
universités puissent offrir un pareil résultat.
Ces sont ces
considérations-là, messieurs, qui ont donné naissance à la proposition
d’ajouter à l’école militaire une section pour le génie civil et les mines.
La section a pensé que le
développement obligé que doit prendre un établissement comme l’école militaire
remplissant la presque totalité des conditions d’une école plus complète et
plus généralement utile au pays, ce complément devenait une simple question de
dépense. Or, le calcul démontre qu’avec une augmentation qui ne s’élève pas au
vingtième du budget de l’école, on pouvait y adjoindre la section du génie
civil et des mines. Il faut convenir que c’est atteindre un grand résultat avec
bien peu de moyens, et nous n’avons jamais pensé qu’on pût y faire une
objection raisonnable.
Tout ce qui a été dit pour
prouver que la loi organique proposée n’est pas inconstitutionnelle en ce qui
concerne la spécialité militaire, s’applique également aux sections du génie
civil et des mines ; ce que la loi a pu faire en créant les facultés des
sciences aux universités, elle le peut pour la création nouvelle. C’est une
concurrence de plus ; ce qui est bien autrement dans l’esprit de la
constitution que les restrictions qu’on vous conseille dans des vues plutôt
étroites que libérales. Dans un pays aussi éminemment industriel et travailleur
que la Belgique, on ne peut trop multiplier les foyers d’études ; c’est là une
vérité triviale qui n’a pas besoin de démonstration.
Les applications pour le génie
civil et les mines ne nécessitent aucun changement aux dispositions des cours généraux
et théoriques ; le corps spécial des ponts et chaussées ayant avec celui du
génie militaire des parties communes, il en résulte que l’enseignement
particulier pour cet objet se réduit à presque rien. Les constructions en
général, la résistance des matériaux, l’étude des ponts, voilà tous objets qui
doivent s’enseigner à l’école, qu’on forme ou non des ingénieurs civils ; et,
pour ce dernier cas, il suffit d’un seul professeur.
Le
cours des mines est absolument dans le même cas.
S’il y a des applications à
faire sur le terrain, elles peuvent avoir lieu dans le même ordre et suivant
les mêmes conditions que pour l’étude des fortifications, pour les travaux
topographiques, etc., lesquels sont dirigés par des professeurs qui à des
époques déterminées conduisent les élèves sur les lieux où il y a des levées à
faire. On pourra également conduire de cette manière les élèves dans les
établissements industriels et dans les exploitations, sans que l’éloignement de
ces exploitations soit plus un obstacle pour une spécialité que pour une autre.
La section centrale a donc cru
faire une chose éminemment utile en profitant des éléments que présente l’école
militaire pour multiplier les moyens d’avoir en Belgique des bons ingénieurs
civils en même temps qu’on la dotera de bons officiers de toutes armes.
M. Lejeune. - Messieurs, la Belgique doit avoir son école
militaire. Sur ce point la chambre est, je pense, unanimement d’accord.
Le projet de loi tendant à
établir cette école ne devait être, à son origine, qu’un projet de loi
secondaire ; mais nous voyons ce projet tellement grandi avec le temps, il se
présente aujourd’hui à la chambre dans des proportions tellement exorbitantes,
qu’il est devenu un projet de loi de premier ordre, un projet de loi organique,
qui touche à une de nos liberté les plus précieuses, nous pouvons dire la plus
précieuse, la plus chère aux Belges : la liberté de l’enseignement ; liberté
qui place la Belgique au plus haut degré de l’échelle constitutionnelle.
Nous avons organisé
l’enseignement supérieur, en ayant tous les égards possibles pour le principe
de la libre concurrence et pour l’admission aux grades et aux emplois, sans
distinction du lieu où les candidats ont puisé leurs connaissances.
D’un côté, messieurs, nous
devons conserver intacte la liberté de l’enseignement ; d’un autre côté nous ne
pouvons prêter la main à désorganiser l’enseignement supérieur, à peine mis au
creuset de l’expérience.
Cette désorganisation serait,
sous tous les rapports, nuisible au pays, aux universités libres, comme aux
universités de l’Etat, puisqu’il ferait cesser cette lutte, cette concurrence
qui contribue beaucoup à rendre les études solides, surtout dans ces
établissements qui ne viennent que de naître.
Si nous voulons conserver la
liberté de l’enseignement et ne pas désorganiser les universités de l’Etat,
nous devons être sur nos gardes.
On a pu remarquer souvent que,
dans tout ce qui concerne le département de la guerre, il y a une tendance de
se mettre à côté de la constitution, et de s’affranchir des lois organiques.
Ceci soit dit, messieurs, sans application au chef de ce département : c’est
une observations générale qui ne doit pas même se borner à la Belgique ; c’est
un fait ; tout ce qui s’agite dans un département de la guerre veut avoir les
coudées franches. Ce n’est pas sans efforts qu’on parvient à cramponner, pour
ainsi dire, ce département aux principes constitutionnels. Qu’avons-nous vu
récemment, messieurs ? A peine l’enseignement supérieur était-il organisé, qu’on
vint réclamer pour le département de la guerre une école spéciale de médecine.
Je sais bien, messieurs, qu’on nous a dit alors qu’un médecin militaire doit
savoir beaucoup de choses que l’on n’enseigne pas dans les universités de
l’Etat ; mais j’aurais répondu alors comme à présent : Si les militaires ont
une manière particulière d’être malades et de se guérir, si les études
universitaires sont insuffisantes, ajoutez à celles-ci un cours de médecine
militaire, organisez l’enseignement médical dans nos universités, de manière à
pouvoir y puiser toutes les connaissances nécessaires au médecin de l’armée.
Aujourd’hui, messieurs, on va
beaucoup plus loin : on veut joindre à l’école militaire une école de génie
civil et une école de mines. C’est de l’école militaire que devraient nous
arriver à l’avenir tous les ingénieurs dans l’ordre civil. C’est à l’école
militaire que ces fonctionnaires civils devraient avoir reçu leur instruction
et leur éducation. Ici ce n’est plus simplement s’affranchir du joug d’une loi organique,
c’est empiéter sur d’autres départements.
Il est vrai que le
gouvernement a abandonné ce système de former des ingénieurs civils l’école
militaire ; abandon bien faible et motivé uniquement sur l’opposition qu’on
prévoyait de rencontrer. D’ailleurs, si le mot est supprimé, avec les
amendements du ministre de la guerre, la chose reste. Et si le gouvernement
abandonnait de fait le système de la section centrale, ce système étant soutenu
par plusieurs honorables membres, il reste toujours en discussion.
Pour nous engager à ériger sur
les bases les plus larges notre école militaire, on nous met sous les yeux ce
qui se fait dans les autres pays ; on nous cite entre autres la Turquie et la
Russie. Je puis admettre, messieurs, que l’empereur Mahmoud a fait très bien en
Turquie, que l’empereur Nicolas fait peut-être mieux encore en Russie ; mais si
nous faisions en Belgique comme Mahmoud en Turquie, comme Nicolas en Russie,
nous ferions, je pense, fort mal. Nous avons à consulter, ce que ces pays n’ont
pas, une loi fondamentale. Nous avons en outre sur l’enseignement supérieur,
une loi organique faite en conformité de la loi fondamentale. Nous ne devons
pas prendre pour point de départ ce qui se fait dans toutes les écoles
militaires du monde. Nous devons nous conformer aux principes fondamentaux
établis en Belgique. Méconnaître la constitution et même simplement la loi
organique sur l’enseignement supérieur, ce serait placer l’édifice à côté de sa
base.
Pour établir une école militaire
conforme à nos institutions et aux besoins du pays, l’enseignement doit y
commencer là où les études universitaires finissent, là où la spécialité,
qu’exige l’état militaire, commence.
Voulez-vous établir, comme le
propose la section centrale, des cours théoriques à côté de ceux qui existent
déjà dans nos universités ? Il est évident que vous détruisez une partie de
l’enseignement universitaire ; vous dites au département de la guerre : Allez
et supprimez ce que le département de l’intérieur vient à peine d’organiser
conformément à la loi.
Dire-vous, peut-être, que les
mêmes cours universitaires continueraient à subsister à côté des cours
semblables donnés à l’école militaire ? Mais vous maintiendrez de droit ce qui
serait détruit de fait. Et si ces établissements rivaux pouvaient continuer à
exister sans s’entre-détruire entièrement, à quoi bon cette triple dépense
aussi onéreuse qu’inutile ?
Mais, vous a dit un honorable
orateur, la Belgique aura toujours le soin d’une école militaire fortement organisée,
où les études théoriques et pratiques soient complètes ; pour les cours
théoriques vous voulez renvoyer aux universités de l’Etat. Est-il donc certain
que les universités de l’Etat seront maintenues ? En faisant cette question,
l’honorable M. Verhaegen émet ses doutes à cet égard.
Pour moi, messieurs, je fais
des vœux pour que les universités de l’Etat se maintiennent et se consolident
par une sage administration, par une direction éclairée des études ;
l’enseignement n’en sera que mieux soigné, et les études plus solides dans les
universités libres.
L’honorable orateur que je
viens de citer doute de l’existence future des universités de l’Etat ; mais ce
doute serait extrêmement aggravé, ce doute commencerait aussi pour moi, si nous
prêtions aujourd’hui la main à les étouffer à leur naissance.
Le même orateur a si bien
compris que les cours théoriques à l’école militaire formeraient double emploi,
et que ceux des universités de l’Etat pourraient suffire, qu’il consent à
borner l’enseignement de l’école militaire aux études d’application ; mais ce
n’est pas pour le moment.
L’honorable
membre veut que nous commencions par organiser l’école militaire sur les bases
les plus larges, en comprenant tous les cours de théorie et d’application
proposés par la section centrale. Cela est nécessaire parce que l’enseignement
universitaire est insuffisant ; après cela organisez mieux, dit l’orateur, ces
branches d’instruction dans les universités de l’Etat, et alors le gouvernement
pourra supprimer sans difficulté les deux années d’études théoriques de l’école
militaire. Je ne pense pas que la chambre soit tentée d’adopter cette marche.
Si les études universitaires sont insuffisantes, le moyen de les compléter, ce
n’est pas de les détruire.
En
résumé, messieurs, la Belgique doit avoir, selon moi, son école militaire ;
mais cet établissement doit avoir pour bases la constitution et la loi
organique sur l’enseignement supérieur, il doit offrir toutes les ressources
nécessaires pour les études spéciales d’application aux différentes armes, il
doit être organisé de telle manière qu’il puisse exister simultanément avec les
universités de l’Etat, sans en être le rival,, sans les absorber en partie,
sans les désorganiser.
M. Desmanet de Biesme. - Messieurs, ayant comme membre de la section
centrale proposé, avec l’honorable M. de Puydt, l’adjonction à l’école
militaire d’une école pour le génie civil et les mines, j’avais cru devoir me
faire inscrire pour appuyer le projet ; mais l’honorable rapporteur ayant
suffisamment répondu à toutes les objections qui ont été faites, je crois
inutile d’entretenir plus longuement la chambre à cet égard.
M. Vandenbossche. - Lors de la discussion de la loi sur l’instruction
supérieure, j’ai proposé de restreindre l’enseignement universitaire en y
supprimant les articles 2 et 4 du projet.
Ici, je propose d’étendre
l’enseignement, dans l’école que nous nous proposons d’ériger, aux sciences
relatées dans ces dits articles, et d’y ajouter un cours complet des sciences
mathématiques, physiques et naturelles. Je propose enfin d’ériger une école
polytechnique sur la plus grande échelle.
Les universités doivent nous
produire les jurisconsultes et les médecins, et c’est dans ces deux branches de
sciences, le droit et la médecine, que je désirerais aussi d’obtenir de hautes
capacités spéciales.
Pour devenir une spécialité
qui puisse honorer un pays, on doit avoir un génie supérieur ; mais quelle que
soit son étendue, tout génie a des bornes.
Quelque vaste que soit
l’intelligence d’un homme, s’il veut être homme universel, nécessairement il
restera en tout homme ordinaire.
Or, quelles sont les sciences
qui offrent le plus d’attrait pour les esprits supérieurs ?
Les sciences exactes et
naturelles.
Supposons donc un élève qui se
destine pour le droit ou la médecine, et qui soit particulièrement doué d’une
conception facile et d’une mémoire heureuse ; il voudra tout apprendre, assuré
qu’il est d’être toujours à même de pouvoir se tenir de niveau avec ses
confrères ; il prendra les inscriptions exigées ; il fréquentera par nécessité
les cours prescrits, pour parvenir aux grades qu’il se propose ; mais il
fréquentera par goût, et par conséquent avec plus d’assiduité, les cours des
sciences qui n’y ont aucune relation, et dont il s’occupera de préférence dans
ses études. il y trouvera ainsi de quoi surcharger sa vaste intelligence, et,
s’il devient homme universel, il restera en tout homme ordinaire. Or, ce ne
sont pas les hommes universels, mais les hantes spécialités, qui honorent
notamment au pays, et qu’il nous importerait de pouvoir obtenir en Belgique.
Ces hommes spéciaux,
messieurs, la Belgique les obtiendrait en bornant l’enseignement universitaire,
et en érigeant une école polytechnique particulière, bien plutôt qu’en
concentrant l’enseignement de toutes les sciences dans un seul établissement.
Voilà les motifs qui, en 1835,
lors de la discussion du projet de loi sur les universités, m’ont fait proposer
une école spéciale pour les sciences relatées dans les articles 2 et 4, et qui
m’engagent ici à vous proposer l’érection d’une école polytechnique sur la plus
grande échelle, dans l’espoir qu’on ne tardera pas à supprimer dans nos
universités les sciences qu’ils relatent.
L’enseignement ainsi
circonscrit dans nos universités, les matières y seront encore trop multipliées
pour le commun des élèves. Mais il se trouvera à la portée d’un génie
supérieur, et ne surchargera pas sa capacité ; il pourra profiter de toutes les
leçons, et il pourra se rendre compte, ainsi que rendre compte aux autres, des
sciences qu’il y aura acquises.
Dans la discussion de la loi
sur les universités, un honorable membre a dit « qu’on ne saurait trop étendre
les connaissances d’un avocat. »
L’honorable M. Jullien
ajoutait que celui qui n’a d’autres connaissances que celle du droit pourra
être fort savant, mais que ce sera bien, en société, le plus sot mortel qu’il y
ait au monde. » Tout cela peut être vrai ; mais à défaut de pouvoir connaître
d’une manière complète et distincte différentes branches de sciences, il vaut
mieux n’en connaître qu’une, celle qui constitue son état et de la connaître à
fond. Qu’importe ici la conversation sociale ? On trouve des personnes très
spirituelles en société, mais, en revanche, très bornées dans ce qu’il leur
importe notamment de bien connaître. Et ce qui regarde ici les avocats et les
magistrats, s’applique aux médecins et à tous les états de la vie sociale.
Je pense donc qu’il serait à
désirer, dans l’intérêt de la science, de supprimer dans l’enseignement
universitaire les hautes sciences mathématiques et géométriques dans leurs
diverses applications, lesquelles ne sont d’aucune utilité en droit ou en
médecine, et qui ne peuvent pas même orner l’esprit d’un avocat ou d’un médecin
; d’établir par contre une école spéciale pour leur enseignement.
Une école polytechnique telle
que je propose, se trouverait plus fréquentée que la première université du
royaume, et Gand ou Liége ne feraient que gagner, si elles pouvaient échanger
leur université contre une pareille institution ; et attendu qu’une université
de l’Etat suffit aux besoins de la nation, vu que la Belgique possède en outre
deux universités libres, érigées sur un pied convenable, et qui se concilient,
aussi bien que les universités de l’Etat, la confiance des parents ; vu
d’ailleurs que tous les sièges de nos différentes universités se communiquent
par le chemin de fer qui en abrège les distances et les rend, pour ainsi dire,
voisins l’un de l’autre ; je désirerais la suppression d’une des deux
universités de l’Etat, et son remplacement dans la ville qui la perdrait par
l’école polytechnique que je propose d’établir.
Agissant ainsi, je pense que
nous agirions et dans l’intérêt des sciences et dans l’intérêt du trésor
public, en conférant un avantage à la ville qui l’obtiendrait en échange de son
université.
J’approuve, et au besoin
j’aurais même proposé d’attacher à cette école polytechnique une école
militaire d’application.
Voilà l’école que je
désirerais, dans l’intérêt des sciences et du trésor public, voir établir ;
toute autre institution ne pourrait point obtenir mon assentiment.
Quant à l’instruction
scientifique, elle sera, je l’espère, complète ; d’ailleurs, le principe admis,
on examinera les matières d’enseignement dans la discussion des articles. Mais
peut-on bien négliger dans cette école tout instruction morale ? Peut-on bien y
faire abstraction de tout enseignement religieux, et de tout devoir de religion
?
L’article 14 de la
constitution garantit la liberté des cultes, celle de leur exercice public,
ainsi que la liberté de manifester ses opinions en toute matière.
Faut-il, pour être fidèle à
cette disposition constitutionnelle, s’abstenir d’imposer aux élèves certains
devoirs religieux, certaines pratiques de religion ?
Si on nous proposait une loi
proprement dite, je pense qu’on pourrait soutenir cette thèse. Mais ce n’est
pas une loi proprement dite que nous nous proposons de faire, c’est un acte de
pouvoir législatif par lequel nous autorisons l’érection d’une école aux frais
de l’Etat. Nous agissons ici comme tout particulier est en droit d’agir ;
l’enseignement est libre. (Article 17.)
Si nous érigions une école,
outre le but direct que nous nous proposons, nous devons aussi nous proposer de
la rendre prospère, et à cet effet nous devons concilier à notre école la
confiance des pères de famille.
L’Etat n’a pas de religion,
mais nous ne pouvons pas contester que la nation en a une, et que les 19/20 du
peuple belge sont catholiques, et ces catholiques ne donneront leur confiance à
notre institution que pour autant qu’on y élève leurs enfants dans le respect
et les devoirs de leur religion.
La raison donc nous prescrit
d’ériger notre école sur un pied éminemment catholique.
Ceci posé, j’ai vu avec surprise
le « tableau de la distribution des études et de l’emploi du temps pendant
une semaine, » où je ne trouve pas un seul quart d’heure destiné à la
prière et aux pratiques de la religion catholique, la religion de 19/20 des
Belges.
C’est pour l’instruction du
peuple belge que nous érigeons notre école : ceci établi, n’y aurait-il pas une
absurdité à en exclure les 19/20 pour opinion religieuse, et cela en vertu de
la liberté de religion ?
Si on rencontrait des personnes qui prétendent élever
leurs enfants dans l’indifférentisme religieux, ne serait-il pas plus rationnel
de dire à ceux-ci : L’enseignement est libre, vous connaissez les sciences que
l’on doit posséder pour arriver aux grades que nous entendons conférer ; faites
instruire vos enfants ailleurs, et quand ils auront acquis les connaissances
exigées, qu’ils se présentent aux examens, et ils seront accueillis de même que
les élèves de l’école.
Pour ces motifs je me
trouverai encore forcé de rejeter le projet si on n’y introduit l’enseignement
moral basé sur la religion catholique.
(Moniteur belge n°327, du 23 novembre 1837) M. Devaux. - Messieurs, j’avais l’honneur
de faire partie de la commission chargée par M. le ministre de l’intérieur de
préparer le projet de loi organique de l’instruction donnée aux frais de l’Etat
; l’opinion que j’y soutiens n’était pas favorable à l’établissement de deux
universités. Je voulais un système nouveau, aussi nouveau que la position même
du pays en matière d’enseignement ; un système qui, tout en prévenant
l’agglomération trop grande des jeunes gens dans un établissement unique, ne
forçait cependant pas l’Etat à se faire concurrence à lui-même, assurait à
l’instruction des bases larges et complètes, et aux divers cours, des auditeurs
nombreux. Après de longs débats, mon opinion fut admise par la majorité de la
commission. Mais plus tard on y revint, on craignit surtout que ce qu’elle
avait de trop nouveau et d’un peu trop compliqué ne l’empêchât de réussir
devant les chambres et devant le pays.
La commission l’abandonna.
Sans l’appui du gouvernement et de la commission, il devenait inutile de la
reproduire- dans la discussion parlementaire, où les amendements, lors surtout
qu’ils sont présentés par un membre isolé, doivent, pour première condition de
succès, être simples, d’une appréciation facile et rapide, et ne pas trop
heurter les idées reçues.
La chambre adopta les deux
universités ; quoiqu’ayant été, dès l’origine, d’une autre opinion, je ne
partageai pas, je l’avoue, toutes les craintes qui furent exprimées dans cette
assemblée. Les deux universités, dans mon opinion, pouvaient vivre, et vivre
d’une vie assez brillante ; mais à cette double condition, que nous,
législateurs, dans nos décisions ultérieures, nous leur portassions aide et
bienveillance, et que, de son côté, le gouvernement remplît tous ses devoirs,
qu’une main active, intelligente et sympathique ne cessât de les soutenir et de
les protéger. Si un jour elles venaient à être frappées de langueur, c’est que
l’une ou l’autre de ces conditions n’aurait pas été accomplie.
Toutefois, il est impossible
de se dissimuler que la position des universités de l’Etat est plus difficile
en Belgique que dans aucun autre pays, obligées qu’elles sont de se faire
concurrence entre elles, et de soutenir la libre concurrence des établissements
privés. Il faut à de tels établissements non seulement des professeurs
distingués, des noms illustrés par la science, mais encore des élèves assez
nombreux pour qu’il y ait vie et émulations dans les études, et pour que le
professeur se sente encouragé et soutenu par son auditoire. Dans des classes à
moitié désertes, les études s’attiédissent, le froid passe du banc de l’élève à
la chaire du professeur, et le but de l’enseignement oral, qui est
principalement d’être plus animé et plus saisissant que l’étude solitaire, est
perdu.
Ces difficultés de la position
des universités, qui, pour n’être pas insurmontables, n’en sont pas moins
réelles, c’est à nous et au gouvernement à ne jamais les perdre de vue. Soyons-en bien persuadés, ce serait un grand
malheur pour la civilisation du pays que la chute des universités de l’Etat. Si
elles n’étaient plus là, ou comme modèle ou comme stimulant des autres
établissements, l’instruction supérieure en Belgique descendrait bientôt du
niveau où elle est parvenue. Ce niveau n’est malheureusement pas très élevé
encore ; nos efforts doivent tendre à le rehausser. Ce serait une honte pour
nous, pour le gouvernement, pour le pays, de le voir descendre.
Ces considérations, ces vues
d’ensemble dominent-elles les deux projets qui nous sont présentés par la
section centrale et par le ministre de la guerre ? Il me semble que non ; les
auteurs de ces deux projets ont pour but de fonder une bonne école militaire,
et je conçois que l’œuvre leur ait paru d’une grande importance nationale ;
c’est sans doute parce que cette importance les a vivement frappés, que leur
préoccupation en est devenue exclusive. Et le ministre de la guerre et la
section centrale ont borné leur horizon aux intérêts de l’organisation de
l’école militaire ; ils n’ont vu que ce but, et pourvu qu’ils y arrivassent,
ils ne se sont pas inquiétés de savoir ce qu’ils renversaient ou froissaient
sur leur passage.
Ils n’ont pas vu que leur projet
portait aux universités de l’Etat, je ne dirai pas le coup de mort, mais un
coup malheureux dont elles n’avaient certes pas besoin pour augmenter les
difficultés de leur position, et qu’elles ne devaient attendre ni de nous, à
qui elles doivent l’existence, ni du gouvernement, qui les a organisées. Les
auteurs des deux projets n’ont pas vu qu’ils nous proposaient de faire une
bonne chose et en même temps une très mauvaise, alors qu’il était si facile de
se borner à en faire une bonne et même d’en faire deux bonnes à la fois.
Je ne m’attacherai guère au
projet de la section centrale en ce qui concerne l’extension polytechnique
qu’il veut donner à l’école militaire ; cette partie du projet, n’étant pas
appuyée par le gouvernement, a dès lors peu de chances de succès. Mes
observations, en s’adressant aux amendements de M. le ministre, s’appliqueront,
à plus forte raison, au travail de la section centrale.
Quelle est l’organisation
proposée par M. le ministre de la guerre ?
L’école militaire, telle que
M. le ministre de la guerre propose de l’établir, se composerait de deux
sections, chacune de deux années d’études ; la section supérieure serait
l’école militaire proprement dite ; là on enseignerait l’art militaire et
toutes les branches qui s’y rapportent directement ; ce serait l’instruction
spécialement militaire. Au-dessous de cette section il y en aurait une autre ;
ce qu’on appelle les cours généraux, les cours préparatoires, en un mot,
l’enseignement des mathématiques supérieures, de la physique et de la chimie.
Eh bien, messieurs, ce dernier
enseignement existe ; non seulement il existe, mais l’Etat l’a déjà créé deux
fois. Je vois, dans le projet de M. le ministre de la guerre, que dans la
section préparatoire ou, en d’autres termes, dans les cours généraux,
l’enseignement comprendra les mathématiques (complément des mathématiques
élémentaires, haute algèbre, analyse appliquée à la géométrie, calcul
différentiel et intégral, calcul des probabilités), la mécanique analytique, la
géométrie descriptive et ses applications, la physique, la chimie et les
manipulations, l’astronomie, la géodésie et la topographie, l’architecture, les
belles-lettres, la mécanique appliqué, la chimie et la physique appliquées aux
arts militaires. Ce sont là les diverses branches des cours généraux. Ouvrez
maintenant la loi organique de l’enseignement supérieur du 27 septembre 1835,
vous y lirez (article 3) que, dans les facultés des sciences des universités de
Liège et de Gand, on enseignera :
L’introduction aux
mathématiques supérieures (haute algèbre), les mathématiques supérieures, la
théorie analytique des probabilités, l’astronomie, la physique, la chimie, la
mécanique analytique, la mécanique céleste, la physique, la chimie et la
mécanique appliquée aux arts, la minéralogie, la géologie, la zoologie,
l’anatomie et la physiologie, la botanique et la physiologie des plantes, la
géographie naturelle, l’anatomie végétale.
L’article 4 de la même loi
ajoute :
« Dans la faculté des sciences
de Gand, on enseignera l’architecture civile, les constructions nautiques,
l’hydraulique, la construction des routes et des canaux, la géométrie
descriptive avec des applications spéciales aux machines, aux routes et aux
canaux.
« Dans la faculté des
sciences de Liége, on enseignera l’exploitation des mines, la métallurgie, la
géométrie descriptive avec des applications spéciales à la construction des
machines.
« Des maîtres de dessin ou
d’architecture pourront être attachés à ces deux facultés. »
Ainsi, messieurs, voilà
exactement le même enseignement que vous avez déjà créé deux fois et qu’on vous
propose de fonder, moins complet, une troisième. Ces articles de la loi
organique du haut enseignement ont été mis à exécution, l’article 3 depuis la
promulgation de la loi, et le dernier depuis 3 mois, par un arrêté royal de
1836 ; les cours des écoles spéciales des ponts et chaussées sont ouverts à
Gand, l’enseignement y a tous ses développements et les cours sont suivis. Les
travaux graphiques, dont on a parlé hier, se font également dans ces écoles spéciales
de vos universités.
Ainsi, même dans le projet du
ministre de la guerre, il y a une nouvelle concurrence que l’Etat se fait à
lui-même. Il y a une troisième fois un enseignement identique pour toutes les
branches de la section préparatoire des deux années de cours généraux.
Ainsi l’Etat fonderait trois
fois le même enseignement, en attendant encore un quatrième enseignement qu’on
va lui proposer de fonder sur des bases analogues pour l’école vétérinaire, et
alors que plusieurs pensent qu’aujourd’hui il y a trop d’universités en
Belgique et que tout le monde, du moins, sans exception, est d’avis qu’il y en
a largement assez.
On a beau retrancher le
paragraphe de la section centrale qui érige l’école militaire en école
polytechnique ; il est évident que pour les deux premières années au moins le
nom seul est changé ; c’est la concurrence de l’Etat établie contre ses propres
universités. On croit que des élèves militaires seuls fréquenteront l’école ;
mais qui peut même le garantir ? Je dis pour ma part que l’école militaire
renferme aujourd’hui, et renfermera plus tard en plus grand nombre, des jeunes
gens qui ne se destineront pas à l’état militaire, mais qui embrasseront la
carrière du génie civil ou une autre profession.
Et remarquez qu’en dehors de
l’enseignement, et l’instruction y fût-elle inférieure à côté de l’université,
l’école militaire offre un grand avantage aux jeunes gens ; elle leur présente
de plus que les universités l’appel d’une grande économie. En effet, pour 800
fr., l’élève trouvera à se loger et à se nourrir à l’école militaire, tandis
qu’il en coûte peut-être deux ou trois fois autant aux parents pour placer
leurs enfants dans une université de l’Etat.
C’est un premier avantage ; un
autre, c’est qu’après deux années le jeune homme, entré dans une université de
l’Etat, n’a aucun caractère, aucun titre ; à la fin du même temps, l’élève de
l’école militaire a le choix d’entrer dans l’armée, et comme il peut très bien
vouloir se conserver l’alternative, il entrera à l’école sans se destiner à la
carrière militaire, l’enseignement y fût-il inférieur à celui des universités.
Enfin, un autre avantage
encore, c’est que, pour de très jeunes gens surtout, les parents peuvent
préférer le casernement de l’école militaire, la surveillance qui s’y exerce, à
la vie libre des étudiants auprès des universités de l’Etat.
Quoi qu’il en soit, je suppose
que l’on parvienne à compenser ces divers avantages, toujours est-il vrai que
l’on va former un troisième établissement, alors que de l’aveu de tout le
monde, en ce qui concerne l’instruction, nous avons assez de deux
établissements, si pas trop.
Déjà, sous le régime
hollandais, les facultés des sciences étaient pauvres en élèves ; cependant il
n’y avait alors en Belgique que trois universités dont la fréquentation était
imposée à tous ceux qui aspiraient aux grades académiques.
Déjà, à cette époque, les
cours de la faculté des sciences étaient faiblement suivis. Aujourd’hui, le
gouvernement, en exécution de la loi, a organisé, une faculté en quelque sorte
industrielle près de chaque université : Gand possède une école spéciale des
arts et manufactures et du génie civil ; Liége, une école spéciale d’arts et
manufactures et des mines.
Comme aujourd’hui la disposition
générale des esprits tend vers l’industrie, il en résulte que la création de
ces écoles spéciales doit donner une nouvelle vie aux facultés des sciences ;
peut-être cette nouvelle institution est-elle destinée à devenir la source la
plus féconde de prospérité pour les universités. Ces cours nouveaux ne sont en
activité que depuis quelques mois, et déjà on leur fait la guerre, et c’est le
gouvernement lui-même qui commence cette hostilité.
Je reconnais toute
l’importance d’une école militaire ; je sais combien il est désirable de voir
entrer dans le corps des officiers des jeunes gens instruits, disciplinés, bien
élevés, imbus de bonnes idées et de bonnes habitudes ; mais je ne crois pas
qu’on doive atteindre ce but en minant les universités de l’Etat, alors surtout
qu’on peut y parvenir par d’autres moyens.
J’avoue que je n’accepterais
ni une école militaire ni une école polytechnique comme un équivalent des
universités.
Nous commettrions une grande
faute, une faute dont nous aurions à rendre compte aux générations futures, si
nous sacrifions les intérêts des universités de l’Etat qui sont le principal
foyer des études fortes el l’espoir le plus sûr de notre civilisation. Leur
perte assurément serait en définitive un malheur pour toutes les opinions. Et
si elle venait à se réaliser un jour, ce serait avoir fait au ministère qui
assisterait à de pareilles funérailles une position fort commode que de lui
avoir permis d’en rejeter la responsabilité sur les lois que nous avons faites.
Messieurs, je viens de vous
soumettre quelques observations critiques. Comme j’ai peu de goût à la critique
négative, et que j’appartiens par mes opinions, non à la politique qui se plaît
à détruire, mais à celle qui aime à construire ou à reconstruire ; après avoir
dit ce qu’il ne fallait pas faire, je me hâte d’ajouter ce qu’il y avait à
faire suivant moi.
Il y avait plusieurs partis à
prendre, aussi faciles l’un que l’autre : le premier eût été, messieurs, si
l’intérêt de l’armée le permet (et j’insiste sur la réserve), de se borner à
des cours d’application.
Sous le rapport de
l’instruction, les cours préparatoires de l’école militaire ne sont pas
nécessaires ; il existe dans le pays assez de moyens d’instruction pour toutes
les branches d’enseignement qui forment ces cours ; si d’ailleurs
l’enseignement universitaire laissait à désirer encore, on pourrait l’améliorer
; et, subordonnant l’entrée de l’école militaire à un examen sévère, on
arriverait quant à l’instruction des officiers au même résultat.
Mais ici s’élève une autre
question. N’est-il pas nécessaire, dans l’intérêt de la discipline, que le
ministre de la guerre puisse avoir les élèves militaires, pendant quatre ans et
non pendant deux ans seulement, sous sa surveillance ? J’avais des doutes à cet
égard, et j’en conserve encore.
Je conçois très bien que dans
un pays neuf comme le nôtre, dans un pays où n’existent pas des traditions
militaires, dans lequel l’esprit militaire est faible, par la raison qu’une
nation n’a d’esprit militaire que lorsqu’elle se bat pour son propre compte,
lorsqu’elle a un drapeau, et que le nôtre date d’hier ; je conçois, dis-je,
qu’il nous faille plus de temps et plus d’efforts qu’aux nations qui se
trouvent dans des conditions différentes, pour faire entrer l’esprit de
discipline dans le sein de l’armée, pour former les véritables mœurs de
l’officier.
Toutefois, messieurs, les
doutes que j’avais à cet égard sont un peu diminués, depuis que M. le ministre
de la guerre lui-même a proposé un amendement, par suite duquel les officiers
d’infanterie et de cavalerie ne resteront à l’école que pendant deux ans.
Les officiers d’artillerie ne
doivent pas être soumis à une discipline plus sévère que les officiers
d’infanterie et de cavalerie. Si l’on peut se contenter de deux ans, en ce qui
concerne ces derniers, la discipline n’exige pas que l’on outrepasse ce terme
pour les autres. Toutefois, malgré cette espèce de contradiction de M. le ministre de la guerre, il me reste des
doutes sur la possibilité de retrancher les cours préparatoires sans nuire, non
pas à l’instruction, mais à l’esprit et aux mœurs militaires des officiers ;
aussi ne serait-ce qu’avec beaucoup de répugnance, et en quelque sorte en
désespoir de cause, que je voterais leur suppression.
J’ajoute que ne regarderais
pas comme inconstitutionnel ‘établissement des cours généraux. Et si le
ministre de la guerre avait réellement besoin, dans l’intérêt de la discipline,
de conserver les jeunes gens pendant quatre ans, avant de les admettre de plein
sauf dans les rangs des officiers, la disposition qui accorderait cette faculté
au ministre, ne peut paraître inconstitutionnelle à aucune opinion.
A cet égard, je ne partage pas
l’avis de l’honorable député qui a pris le dernier la parole dans la séance
d’hier (l’honorable M. Dechamps). Il a admis, lui, que l’Etat peut recruter
exclusivement dans ses propres écoles, les ingénieurs civils et autres
fonctionnaires des services spéciaux, pourvu que ces écoles soient spéciales.
Mais, dès le moment que les
cours généraux sont nécessaires, l’école militaire même avec les cours généraux
devient spéciale. Ainsi, dans ce sens, même dans l’opinion de l’honorable
membre, cette extension de l’école militaire ne peut avoir rien
d’inconstitutionnel. Mais quelle que puisse être la nécessité de ces cours,
encore ne faudrait-il pas adopter le projet tel qu’il est conçu.
Dans ce cas, il y a encore à
choisir entre deux plans qui, au lieu de faire la guerre à l’enseignement
universitaire, lui viendrait l’un et l’autre en aide.
Le premier serait de placer
toute l’école militaire près de l’une des universités de l’Etat, de l’y
transporter avec son chef, son organisation et ses répétiteurs ; elle y
resterait sous l’autorité du ministre de la guerre, qui en ferait les
règlements, en nommerait le directeur, les surveillants, les répétiteurs, ainsi
que tous les professeurs de l’enseignement militaire proprement dit :
seulement, les cours généraux des deux premières années seraient donnés par les
professeurs de l’université, soit à l’école militaire, en présence des élèves de
l’université, soit dans le local de l’université, en présence des élèves de
l’école militaire ; c’est ainsi que les élèves de l’école normale en France
suivent les cours de la Sorbonne et d’autres.
Pour le reste, même discipline
qu’à l’école militaire de Bruxelles, même casernement ; en un mot, organisation
absolument semblable à celle qui régit aujourd’hui l’établissement de la
capitale.
Pour l’école militaire, il n’y
aurait rien de changé que quelques professeurs spéciaux, c’est-à-dire que les
cours donnés par des professeurs spéciaux à l’école militaire seraient donnés
par des professeurs de l’université.
Pour les universités, tout
serait changé ; ce qu’elles devaient craindre comme une cause de ruine,
deviendrait pour elles un véritable bienfait. Au lieu de leur arracher des
élèves au profit de l’école militaire, on leur en assurerait un plus grand
nombre ; et les élèves de l’école militaire, par cela même qu’ils seraient
conservés, deviendraient, dans l’intérêt des études, un exemple utile
d’émulation pour les autres élèves.
De cette manière, vous
supprimez encore une dépense déjà faite deux fois, une partie du personnel de
l’école. Je ne lésinerai jamais sur les dépenses utiles de l’instruction
publique ; mais on ne peut se dissimuler qu’en temps ordinaire, l’école
militaire ne pouvant pas espérer, même, je crois, dans l’opinion de M. le
ministre, de réunir plus de 60 élèves destinés à l’état militaire (car, en
temps ordinaire, pas plus de 15 places d’officier par an ne seront disponibles
pour les élèves de l’école, surtout dans les armes spéciales) ; on ne peut se
dissimuler, dis-je, que c’est beaucoup qu’un personnel enseignant s’élevant à
56 personnes pour 60 élèves.
Croit-on que les professeurs
de l’université ne pourraient pas donner aux élèves de l’école militaire des
leçons de mathématiques, de physique et de chimie aussi bien que les
professeurs spéciaux de l’école ? Je fais ici abstraction de personnes, je
parle en thèse générale. Mais les professeurs de l’école militaire sont moins
bien payés que les professeurs de l’université, d’après le projet de la section
centrale ; d’après le projet du ministre, ils ont encore les minervales de
moins. Dans tous les cas donc le ministre de l’intérieur a encore un peu plus
de choix que le ministre de la guerre pour ses professeurs. Il serait singulier
que le gouvernement dît au pays : Voilà des hommes aptes à enseigner les
mathématiques, la physique et la chimie, à tous les jeunes gens du pays ; mais
je les déclare incapables de donner le même enseignement aux officiers de
l’armée.
Il y aurait, à cet égard,
avantage à ce que les élèves de l’école militaire suivissent les cours des
sciences de l’université, et que le ministre de la guerre exerçât sur ces cours
une surveillance par ses répétiteurs et ses examinateurs ; s’ils trouvent
qu’ils faiblissent, il adresserait ses observations au ministre de l’intérieur,
il lui dirait : Votre faculté des sciences ne satisfait plus aux besoins de mon
école, il faut surveiller les professeurs ou les changer.
Je ne verrais aucun
inconvénient à ce que la faculté des sciences de l’université fût subordonnée à
toutes les exigences de l’école militaire. Je n’en verrais même pas à ce que,
pour les cours de sciences communs à l’école et à l’université, les nominations
fussent faites sur la présentation combinée des ministres de l’intérieur et de
la guerre.
Que si on pense que l’école
militaire doit rester sous l’œil du gouvernement, à Bruxelles même, il
resterait ce dernier parti à prendre. Ce serait de maintenir à Bruxelles la
section d’application et de transporter auprès de l’université la section des
cours généraux qui fait concurrence et double emploi avec les universités. On
séparerait ce qui, en France, est également séparé ; cette section
préparatoire, vous la soumettriez au même régime que l’école militaire ; le
même esprit, le même chef si l’on veut, les dirigerait toutes deux ; vous
donneriez à cette section des répétiteurs, vous la soumettriez au casernement,
à toutes les mesures réglementaires que vous jugeriez convenables, mais elle
recevrait l’enseignement universitaire des professeurs de l’université. Ce
serait, comme on dit aujourd’hui, une pédagogie militaire.
Je n’ai rien dit de
l’établissement d’une école polytechnique. Dans la commission qui a rédigé le
projet de loi sur l’instruction publique, on
a agité la question de savoir si on créerait, en dehors ou auprès des
universités, une école polytechnique. A cette époque les pédagogies n’étaient pas
introduites en Belgique ; on crut qu’on y répugnerait ; ce fut une des raisons
principales qui firent abandonner le casernement des élèves de l’école
polytechnique ; mais on convint de fortifier l’université même et d’y établir
l’école polytechnique, sauf le casernement. C’est ce qui a été prescrit et
exécuté par les arrêtés de 1836. C’est ce qui existe aujourd’hui. Je tiens en
main le programme des cours de l’université de Gand. A Gand il y a une école
des arts et manufactures et une école des ponts et chaussées avec tous ses
développements ; à Liége, il y a une école des arts et manufactures et une
école des mines. Ainsi, l’école polytechnique qu’on demande existe, au
casernement près ; elle existe même à peu près deux fois ; car certaines
parties sont répétées à Liége et à Gand. Faut-il maintenant introduire le
casernement ? Je suis très disposé à l’admettre. Ainsi, je veux bien qu’on
institue une école polytechnique comme la section centrale l’entend, pourvu que
ce ne soit pas au détriment des établissements actuels de l’Etat. Mais, encore
une fois, il reste pour cela très peu de chose à faire : la pédagogie,
c’est-à-dire le casernement, voilà tout ce qui manque. Un directeur, quelques
surveillants à nommer ; les répétiteurs existent déjà dans les écoles spéciales
des universités ; et, quant à la dépense, ce serait peu de chose, attendu que
le prix de la pension payée par les élèves la couvrirait en très grande partie.
En
résumé, je ne m’oppose pas à ce qu’on donne tout le développement désirable à
l’instruction militaire, à ce qu’on crée même une école polytechnique ; mais je
ne veux pas qu’on détruise d’une main ce qu’on a créé de l’autre. Il ne faut
pas qu’inutilement et déraisonnablement l’Etat se fasse une concurrence funeste
à lui-même, et là il y a déjà assez de concurrence. Qu’on coordonne une
organisation utile et forte de l’école militaire avec l’existence des
universités, et je serai le premier à l’appuyer, parce que j’en reconnais la
haute importance.
(Moniteur belge n°326, du 22 novembre 1837) M. Gendebien. – Je ne puis laisser
terminer la discussion générale, sans émettre mes idées sur l’instruction
militaire. Je ne dirai rien de neuf ; mais je crois devoir rappeler ce que j’ai
dit à plusieurs reprises au ministre actuel et à son prédécesseur.
Messieurs, nous allons faire,
pour le service militaire, à peu près ce qu’on a fait quand on a créé les
universités. On va s’occuper de l’instruction supérieure, en quelque façon de
l’instruction aristocratique, et on oubliera encore l’instruction des masses.
C’est ainsi que quand on a présenté la loi sur l’instruction, elle se composait
de trois titres, mais on a proposé de n’en discuter qu’un seul, celui relatif à
l’instruction universitaire ; on a subdivisé ce chapitre, et on est arrivé à
créer un jury d’examen ni plus ni moins. Aujourd’hui on ne subdivise pas le
projet, parce qu’on est arrivé de suite, sans s’occuper de l’instruction
inférieure, à l’instruction supérieure.
On se contente de répudier un
amendement relatif à une instruction spéciale, qui paraissait le complément
nécessaire de l’enseignement supérieur de l’école militaire. Je veux parler de
l’école polytechnique proposée par la section centrale. Je ne m’occuperai pas
de cette question ; assez d’autres s’occupent de l’instruction supérieure. Pour
moi, je ne vois d’instruction utile, d’instruction nationale, d’instruction
constitutionnelle, que l’instruction offerte à tous les soldats,
sous-officiers, officiers de troupes et d’état-major, y compris les généraux destinés
à commander nos armées. Pour les soldats, je veux de bonnes écoles
régimentaires, de bataillons, même de compagnies, s’il le faut, pour arriver à
mon but.
Je sais que le ministre a pris
un arrêté récent pour encourager l’instruction réglementaire. Je ne connais pas
les détails de cet arrêté ; mais, quel qu’il soit, cela ne suffit pas ; c’est
une loi qu’il faut, une loi prescrivant comme obligation, comme premier devoir
au ministre, d’établir l’instruction régimentaire, afin qu’un ministre, quel
qu’il soit, ne puisse pas la négliger sans compromettre sa responsabilité. Je
suppose les meilleurs intentions à M. le ministre de la guerre actuel ; M.
Evain en avait aussi de très bonnes, à ce qu’il disait ; il nous a fait les
plus grandes protestations, mais elles n’ont abouti à aucun résultat.
J’admets que le ministre
actuel mette tous ses soins à établir cette instruction, son successeur pourra
être d’une opinion contraire. Cependant, s’il faut en croire les renseignements
qui nous parviennent, tel ne serait pas l’esprit qu’on voudrait faire
prédominer dans l’armée. Non seulement on éloignerait les soldats de l’étude,
mais on s’attacherait à jeter un vernis de ridicule et de mépris sur ceux qui
s’appliquent, et certain chef de corps ne craindrait pas de dire : « Nous
ne voulons pas d’avocats, de savants ni de philosophes ! » En un mot, on
veut l’abrutissement des masses pour arriver à l’obéissance passive, à la
compréhension de toute idée libérale.
Eh bien, je m’opposerai à
toute loi qui n’établira pas pour premier devoir, qui n’imposera pas au
gouvernement l’obligation d’instruire les soldats. C’est un devoir sacré de
leur donner quelque instruction en retour du sacrifice que vous les forcez de
faire à l’Etat de leur plus belles années.
Vous appelez sous les drapeaux
une partie de la population chaque année, pour l’exposer non seulement aux
dangers de la guerre, c’est là le moindre mal ; mais aux dangers de l’oisiveté
et du casernement, en retour, vous ne leur donnez rien, vous les renvoyez dans
leurs foyers plus mauvais qu’ils ne l’étaient quand ils en sont sortis. Tout
cela se fait en vertu du devoir de servir son pays, qu’on proclame comme sacré
; mais toute la peine est pour le malheureux prolétaire, sans bénéfice aucun
pour lui. Qu’on y réfléchisse enfin, c’est pour la deuxième fois que je le
répète, dans un gouvernement constitutionnel, on ne peut imposer aucune charge,
aucun devoir, sans une juste compensation.
Eh bien, personne ne me fera
croire que le malheureux milicien, qui est resté au service 7 ou 8 ans, soit
dignement récompensé, quand il a reçu seulement la nourriture et le vêtement.
Il lui faut autre chose, et pour lui et pour la société active dont il a été
soustrait dans l’intérêt général. Si on encourageait l’instruction dans les
régiments, si on faisait comprendre aux chefs de corps qu’il est inutile
d’ennuyer le soldat par toute espèce de corvées et de lui faire perdre son
temps à mille niaiseries, si on leur faisait comprendre que ce qu’il y a de
plus utile pour la discipline et le bien-être du soldat et du pays, c’est
l’instruction ; je suis persuadé qu’ils trouveraient tous pendant l’hiver, et
même en tout temps, le moyen de consacrer 4 ou 5 heures chaque jour à
l’instruction.
Pendant l’été, si les travaux
sont plus grands, les journées sont plus longues ; on peut, sans inconvénient,
consacrer plusieurs heures à l’instruction. C’est d’ailleurs le premier devoir
d’un gouvernement et surtout d’un gouvernement constitutionnel, d’un
gouvernement vis-à-vis d’une armée qui n’est pas composée, comme autrefois, de
gens qui se vendent, de gens recrutés dans les égouts des grandes villes, mais
de citoyens auxquels la loi impose la charge du service militaire, comme un
devoir constitutionnel.
Ce que je viens de dire peut
me conduire immédiatement aux officiers. (Je reviendrai tout à l’heure aux
sous-officiers.) De même que notre armée n’est plus recrutée dans les égouts
des grandes villes pour soutenir le despotisme, et se compose de citoyens de
toutes les classes, de même on ne peut plus, comme autrefois, composer une
aristocratie militaire pour la commander. Puisque vous avez des citoyens qui
portent le fusil, ayez des citoyens pour les commander. C’est la manière digne
de notre époque de faire régner l’harmonie entre les supérieurs et les
inférieurs.
Ainsi, plus d’aristocratie
militaire pour commander dans l’armée. Est-ce à dire pour cela que je ne
veuille pas d’instruction chez les officiers. Non, sans doute ; mais je veux
qu’on aille chercher ailleurs que chez les personnes qui peuvent payer une
pension annuelle de 800 fr. et les accessoires ; et c’est le devoir du
gouvernement d’aller chercher ailleurs. C’est dans les régiments que vous devez
trouver des officiers. Ayez de bonnes écoles régimentaires, et vous y trouverez
de bons sous-officiers ; prenez dans les sous-officiers ceux qui auront les
plus heureuses dispositions, et vous aurez d’excellents officiers. Ainsi vous
ne condamnerez pas les vrais, les seuls éléments militaires constitutionnels à
être toujours soldats ; vous leur donnerez à tous l’espoir et la possibilité
d’être un jour sous-officiers et officiers ; vous établirez une concurrence,
une émulation qui, tout en contribuant à une bonne discipline, préparera de
bons et d’utiles citoyens.
Après avoir créé de bonnes
écoles régimentaires, formez dont de bonnes écoles de sous-officiers. Je sais,
ou du moins on m’a assuré, que le ministre a pris une disposition au sujet des
sous-officiers. C’est après mes demandes réitérées pendant 6 ans qu’on y a
enfin pensé. Mais comme je le disais tout à l’heure, cela ne suffit pas, il
fait que cela soit consacré dans la loi. Je ne vois pas pourquoi l’on ne
stipulerait pas pour les sous-officiers et soldats, les mêmes garanties que
l’on croit nécessaires pour les officiers. Vous demandez une loi pour consacrer
des droits aux élèves destinés à entrer dans l’armée comme officiers ; pourquoi
n’avoir pas la même sollicitude pour les soldats citoyens que la loi contraint
au service militaire ?
Encore une fois, j’admets que
le ministre ait les meilleures dispositions possibles. (Ils ont toujours, tous,
aussi longtemps qu’ils sont ministres, les meilleures dispositions, c’est
incontestable.) Je vais plus loin, je veux admettre que M. le ministre de la
guerre, dérogeant aux habitudes de ses très honorables, très consciencieux
prédécesseurs, veuille bien tenir ses promesses ; qui nous garantir que ses
successeurs auront la même opinion ? Ainsi, le ministre aura beau s’engager à
composer une bonne école de sous-officiers, je veux à cette institution une
autre garantie ; je veux qu’une loi fasse au gouvernement un devoir de la
former et de la maintenir bonne et durable, utile avant tout au pays.
J’admettrai l’école
d’officiers, mais à la condition sine qua non de la concurrence en faveur de
tous les hommes qui s’instruiront, quelle que soit leur position, à la
condition surtout de la concurrence des soldats et des sous-officiers ; mais si
je ne vois pas cette concurrence, toute constitutionnelle, je voterai contre la
loi.
Mais je voudrais autre chose
que ces trois écoles ; je voudrais que, hors des temps de campement et
d’exercice, il y eût à Bruxelles, ou ailleurs, mais surtout à Bruxelles où
reposent les archives du génie, de l’artillerie et de l’état-major, une réunion
d’officiers de tous grades et de toutes armes, où ils fussent initiés aux
hautes sciences stratégiques.
Je voudrais qu’on réunît ces
officiers pendant 4 ou 5 mois par an, et qu’après leur avoir donné les notions
nécessaires, on leur donnât, la même année ou l’année suivante, une partie de
la Belgique à explorer, à étudier ; qu’on établît, en quelque façon, un
concours à l’effet de donner le meilleur plan de défense et d’attaque ; qu’on
s’occupât ainsi successivement de chaque partie de la Belgique, afin que les
officiers connaissent le terrain et ne soient pas obligés d’improviser une
défense ou une attaque, au moment où il s’agira de combattre. Voilà le
complément de l’instruction de l’armée, depuis le soldat jusqu’au général en
chef.
Si vous ne coordonnez pas un
ensemble dans l’instruction militaire, vous n’arriverez à rien d’utile pour le
pays ou pour le gouvernement ; vous pourrez faire quelques demi-savants qui
passeront pour des pédants, qui seront odieux par leur morgue scolastique aux
camarades qu’ils viendront joindre dans les régiments ; ils seront un objet de
jalousie et d’antipathie, précisément parce qu’ils viendront prendre la place
d’autres qui auront les mêmes droits et souvent plus de droits qu’eux au grade
d’officier. Vous aurez jeté dans l’armée des germes de perturbation, au lieu de
germes féconds de discipline que vous pourriez faire éclore, par un bon système
d’instruction générale.
On dit sans cesse : « Il
faut deux, trois ou quatre ans pour instruire et polir les officiers, pour leur
donner l’éducation et l’esprit de discipline. » J’admets, si l’on veut,
ces idées ; mais si vous les bornez à une catégorie, si ces officiers
privilégiés trouvent dans les corps des éléments hétérogènes, au lieu de
concourir à augmenter la discipline, ils n’amèneront que de l’envie et du
désordre. C’est le résultat inévitable de tous les privilèges. Généralisez
l’instruction, et vous arriverez à un
résultat tout contraire.
Dans
cette circonstance, comme dans presque toutes, et notamment toutes les fois
qu’il s’est agi des lois organiques dont on prétend avoir doté le pays, on n’a
pris que des demi-mesures, on a mis en avant que des idées mesquines, toujours
indignes de notre régénération politique.
Pour moi, sans avoir la
prétention d’appartenir par mes opinions à la politique de construction, comme
on le disait tout à l’heure, je déclare que je veux autre chose que ce qu’on a
fait. Tout en me prononçant pour la démolition des projets du gouvernement et
de la section centrale, j’ai indiqué des moyens de construction plus complets,
plus efficaces dans l’intérêt du pays, de l’armée et même du gouvernement.
Je me bornerai à ces
observations.
Je déclare que je voterai
contre le projet de la section centrale et contre le projet du gouvernement, si
on ne propose pas quelque chose qui soit plus d’accord, plus en harmonie avec
notre régénération politique, plus conforme au gouvernement constitutionnel et
aux intérêts du pays.
(Moniteur belge n°327, du 23 novembre 1837) – M. le ministre de la guerre (M. Willmar).
- Je dois déclarer à la chambre que tous les discours que j’ai entendus ne
m’ont pas fait changer d’opinion sur la convenance de conserver une école
militaire telle que j’ai l’honneur de la proposer à la chambre.
En conséquence, je regarde
comme ma tâche de répondre, aussi succinctement que possibles, aux principales
objections des orateurs qui se sont succédé.
Le discours de l’honorable M.
Dubois, qui a été entendu le premier, peut être regardé comme se divisant en
deux partie. La première a principalement pour objet de s’opposer à
l’institution de ce qu’il a appelé une école polytechnique. Je n’ai pas besoin
de m’occuper de cette partie de son discours, ayant déclaré que je me bornais à
défendre le projet d’une école purement militaire.
L’honorable orateur, en
s’occupant de ce projet, a commencé par blâmer la section centrale, et
probablement le ministre de la guerre, de ce qu’on avait supprimé la
disposition qui plaçait l’école militaire dans une ville de guerre.
Dans l’état actuel des choses,
il est impossible de dire qu’on a trouvé dans une ville quelconque un local qui
convienne pour une école militaire. C’est là un motif qui a fait ajourner la
question d’emplacement.
L’école militaire, quoique ne
possédant pas toutes les conditions de son entier développement, se trouve
cependant assez bien établie pour qu’il soit permis d’ajourner la solution de
cette question, sans inconvénient, jusqu’à ce que de nouvelles recherches et un
nouvel examen aient indiqué le meilleur parti à prendre à cet égard.
Une deuxième objection de M.
Dubois a eu pour objet le grand accroissement de dépense qui serait occasionné
par l’établissement de l’école telle qu’elle est proposée. Il a fait remarquer
que, dans le projet de 1834, on n’avait proposé qu’une dépense de 52 mille fr.,
et il a évalué à plus de 210 mille fr., celle qui résulterait de l’adoption du
projet actuel.
Je dois faire observer à la
chambre que le chiffre de 52 mille fr. dont on parlait en 1834, s’appliquant à
l’école militaire telle qu’elle existait alors, c’est-à-dire ne possédant que
le quart des élèves qu’elle devait avoir, et n’ayant qu’une division. Ce
chiffre a dû nécessairement s’accroître tous les ans jusqu’au moment où le
maximum des sections a été atteint.
Toutefois, il y a de
l’exagération dans les chiffres dont l’orateur a parlé. Je suis persuadé qu’une
école primaire, organisée d’après les amendements que j’ai proposés au projet
de la section centrale, ne nécessitera jamais une dépense au-delà de 170 mille
fr.
La question la plus grave que
l’orateur ait traitée, a été celle de l’inconstitutionnalité d’une école
militaire.
L’opinion de l’honorable
membre, qu’il n’a du reste énoncée que comme un doute, est loin, je pense,
d’être partagée par tout le monde.
L’école militaire ne me semble
présenter qu’une instruction aux frais de l’Etat ; or, c’est une exception à la
liberté indéfinie à l’instruction, admise par la constitution. Et si cette
exception doit être mise en usage, je crois qu’elle est particulièrement
applicable à l’état militaire qui est un état exceptionnel.
La constitution n’a pas posé
cette instruction, c’est-à-dire, à l’instruction donnée aux frais de l’Etat,
d’autres conditions que celle d’être organisée par une loi ; c’est donc au
gouvernement et à la chambre à déterminer les limites dans lesquelles l’école
militaire doit être circonscrite ; mais en principe on peut établir cette
instruction exceptionnelle.
Et à propos de ces limites, je
crois devoir faire observer qu’elles doivent être posés par une loi spéciale,
et ne peuvent être trouvées dans d’autres lois spéciales concernant des objets
différents. Je ferai remarquer, en passant, que cette circonstance, que la loi
est indispensable pour régler cette instruction exceptionnelle et un motif pour
la voter le plus tôt possible, et une excuse de l’insistance avec laquelle j’ai
prié la chambre de vouloir bien la mettre à l’ordre du jour.
C’est surtout à cause de la
création d’une école préparatoire, d’une école renfermant des cours généraux,
que l’école militaire a été présentée comme inconstitutionnelle ; je ne vois
pas que l’inconstitutionnalité puisse résulter de la nature particulière des
cours que l’on fait dans l’école dont il s’agit ; il me semble ici que c’est
l’égalité qui pourrait être blessée plutôt que la liberté.
L’instruction aux frais de
l’Etat ne me paraît pas donner plus d’avantages que l’instruction libre. Les
examens qui succèdent aux études dans les universités confèrent le droit
d’aspirer à exercer telle ou telle profession dans la société, comme les
professions d’avocat et de médecin ; et l’école militaire a pour objet de
conférer, dans les limites posées par la législation spéciale, le droit d’être
admis aux grades dans l’armée. L’école préparatoire ne donne pas immédiatement
le droit d’admission au grade, mais si l’on convient qu’il faille passer par
cette instruction préliminaire pour arriver aux grades, on fait en quelque
sorte de cette école militaire une annexe à l’état militaire.
Il y a d’ailleurs une
observation à faire. La loi du 16 juin 1836 sur l’avancement a décidé que pour
pouvoir devenir officier dans l’armée, il fallait avoir passé deux ans dans une
école militaire, ou bien avoir été pendant deux ans sous-officier dans l’armée
; l’école militaire telle qu’elle existe, ainsi qu’on l’a dit, conduit
également aux grades de sous-lieutenant dans l’infanterie, et dans la
cavalerie, comme dans l’artillerie et dans le génie ; mais comme il n’est pas
nécessaire de faire des études aussi longues pour les premières armes que pour
les deux dernières, deux années suffisent afin d’arriver aux grades dans la
cavalerie et dans l’infanterie ; sous ce rapport, il serait donc impossible de
supprimer cette école préparatoire ; et comme elle tient lieu du grade de
sous-officier pendant deux ans, elle peut être regardée comme faisant partie du
service militaire pour ceux qui y passent ; et elle ne peut être regardée comme
donnant un privilège, puisqu’elle fait partie de l’état militaire.
Ainsi tous ceux qui, par
examen, peuvent être admis à l’école, doivent se considérer comme aptes aux
grades après de nouveaux examens, qui suivent leurs études ou leur service de
deux années. Il me paraît que cette circonstance satisfait ceux qui demandent
que toute instruction reçue dans les écoles publiques ou privées conduise aux
emplois, puisque les examens, au lieu de conduire directement au grade
d’officier, conduisent à une situation par laquelle il faut passer pour arriver
à ce grade.
On a contesté l’utilité, et la
nécessité à plus forte raison, de cette école préparatoire. Je viens d’établir
déjà qu’elle était indispensable pour les armes de l’infanterie et de la
cavalerie. Messieurs, il est assez rare que les jeunes gens se présentent aux
examens de l’école militaire avec l’intention bien arrêtée d’entrer dans une arme
quelconque, dans l’infanterie ou dans la cavalerie ; la plupart visent à ce
qu’ils croient le plus haut, et le plus grand nombre se destine presque
toujours aux armes spéciales du génie et de l’artillerie ; mais il leur arrive
quelquefois de se faire illusion sur leurs dispositions naturelles ; alors, au
bout d’un certain temps, ils reconnaissent qu’ils ne sont pas appelés à suivre
tous les développements de l’instruction nécessaire à ces armes, et ils
renoncent à suivre cette carrière, et se destinent à la cavalerie ou à
l’infanterie. Cette connaissance de leurs dispositions peut arriver au bout
d’un an, même au bout de six mois. Pour ceux dont la vocation est volontaire,
c’est au bout de l’année que leur résolution est prise.
Parmi ceux qui aspirent à ce
qu’ils appellent les armées élevées, il en est qui persistent dans leurs
projets et qui continuent leurs études préparatoires pendant deux années :
s’ils échouent, ils sont forcés d’accepter d’être sous-lieutenants dans
l’infanterie. Cela même peut arriver au bout de trois ans.
Il me semble qu’il ne peut
résulter de là que de bons effets : ces jeunes gens qui auront ainsi poussé de
plus en plus loin leurs études ne peuvent faire que des officiers d’autant plus
instruits et d’autant meilleurs.
L’école préparatoire est
surtout nécessaire, comme éminemment propre à donner aux jeunes gens qui se
destinent à l’état militaire, le véritable sentiment et le goût de cet état, la
conviction de la nécessité de la discipline, la faculté de concilier
l’élévation d’esprit, l’élévation des sentiments, le point d’honneur avec la
subordination ; l’école préparatoire a le grand avantage de donner aux jeunes
gens l’habitude du travail, de les éloigner de l’oisiveté, du goût de la vie
des lieux publics qui est peut-être ce qu’il y a de plus funeste à la
conservation du véritable esprit militaire, du respect pour soi-même, du
respect et de l’habit qu’on porte. Comme cet enseignement moral est de la plus
haute nécessité, il me semble qu’on ne saurait trop prolonger le temps pendant
lequel il peut être donné.
Mais, dit-on, puisque deux
années suffisent pour les élèves qui se destinent à l’infanterie et à la
cavalerie, deux années devraient suffire également pour les élèves qui se
destinent à l’artillerie et au génie. Je viens déjà d’établir, messieurs, que
quand les élèves se présentent à l’école militaire, ils ne peuvent pas savoir
s’ils seront officiers d’artillerie ou du génie. Un examen, dira-t-on, pourrait
établir de suite s’ils ont le degré de connaissance nécessaire à cet effet ;
mais lorsque les jeunes gens qui se destinent à l’artillerie et au génie, après
les études préalables et longues qu’ils ont été obligés de faire, sont arrivés
au point de pouvoir être admis dans l’une ou l’autre de ces armes, ils
reçoivent le grade de sous-lieutenant, et deviennent par cela même moins
propres à se former à des habitudes d’obéissance. Or, une partie essentielle de
l’instruction militaire serait manquée.
Si vous supprimez l’école
préparatoire, vous n’aurez plus de garantie de l’instruction des jeunes gens
qu’on admettra dans les armes spéciales, où, de l’avis de tout le monde,
l’instruction supérieure est cependant indispensable. Vous n’aurez plus sous ce
rapport d’autres garanties que celles des examens qui sont tout à fait
insuffisantes ici. Je le répète, pour bien remplir les devoirs d’officier de
l’artillerie ou du génie, il faut avoir une instruction très solide et très
étendue ; il faut avoir ce que j’appellerai son instruction dans la main ; il
faut en posséder fortement tous les éléments pour pouvoir en faire usage, sans
hésitation aucune, dans toutes les circonstances possibles.
Eh bien, messieurs, les
examens de fin de cours ne donnent pas une garantie suffisante que
l’instruction est possédée à un tel degré ; ces examens sont souvent précédés
de travaux forcés, d’études poussées à l’excès, qui ont chassé, pour un moment,
les notions dans la tête, mais qui ne leur ont pas permis d’y prendre de
profondes racines. J’ai vu très souvent à des examens brillants succéder des
études très faibles.
Une école préparatoire donne
des garanties bien autrement fortes que l’instruction est évidemment profonde
et qu’elle a été acquise pas à pas ; que jamais un pas n’a été fait sans que
celui qui a précédé n’ait été convenablement assuré. Cela, messieurs, résulte
de l’organisation même de l’école préparatoire, dans laquelle les professeurs,
secondés par des répétiteurs, ne perdent jamais l’élève de vue. Ces inspecteurs
d’études sont non seulement chargés d’expliquer aux élèves les points difficiles
qu’ils n’ont point suffisamment compris dans la leçon, mais font aussi des
interrogations fréquentes qui ont pour objet de faire connaître si l’élève a
suffisamment profité des leçons.
D’ailleurs, messieurs, quand
on enseigne une chose, on ne l’enseigne pas tout entière ; on ne s’occupe que
de la démonstration des théorèmes fondamentaux ; la science est comme un de ces
grands fleuves de l’Amérique, dans lesquels les bâtiments tracent seulement un
sillon. Pour diriger leur course, c’est par des points de repères choisis dans
la descente que ceux qui les dirigent parviennent à retrouver la direction
qu’ils doivent suivre. Eh bien, dans l’enseignement des sciences il semble
qu’on doive opérer d’une manière analogue ; l’enseignement des sciences est
surtout efficace par l’application qu’on fait des théories. Lorsqu’alors on
donne une instruction scientifique un peu spéciale, on choisit tous les
exemples, toutes les applications qui se rapportent à cette spécialité. Sous ce
point de vue encore on peut dire qu’une école préparatoire est une véritable
annexe à une école d’application, et qu’elle fait même nécessairement partie
d’une école d’application.
L’honorable M. Dubois, auquel
je suis toujours occupé à répondre, a admis l’utilité d’une école militaire
proprement dite, d’accord en cela avec tous les orateurs qui ont déjà été
entendus ; il me semble que l’utilité d’une école préparatoire est tout à fait
évidente, et qu’on peut sans scrupule l’admettre également. J’ai encore une
autre objection à faire contre l’admission à l’école militaire spéciale pour
les armes de l’artillerie et du génie, à la suite d’un simple examen : les
élèves ne pourront guère arriver de la sorte à l’école qu’à l’âge moyen de 18 à
20 ans ; l’éducation de la maison paternelle ou l’éducation du collège, dans
lesquels règnent l’ordre et la discipline, ne peut pas conduire les jeunes gens
jusque-là ; il faudrait qu’ils traversassent un temps de liberté, un temps
d’indépendance, pendant lequel leur esprit contracterait des habitudes
auxquelles il faudrait renoncer lors de l’entrée dans l’école ; eh bien, cette
renonciation deviendrait fort difficile. L’instruction universitaire peut être
très bonne, et mon intention n’est pas d’imiter l’exemple de quelques orateurs
qui font le procès à l’école militaire au profit des universités ; mais je ne
pense pas que l’instruction universitaire soit bonne pour conduire à la
carrière des armes ; c’est pour ce motif-là que je pense que l’école militaire
doit saisir les jeunes gens au moment même où finit pour eux, soit l’éducation
de la maison paternelle, soit l’éducation du collège.
Le projet de l’école militaire
a été attaqué, quoique assez légèrement, sous un autre point de vue, par
l’honorable M. Seron ; je ne pense pas qu’il soit nécessaire de discuter sérieusement
ses objections contre l’établissement d’une école militaire : la nécessité
d’une semblable école est, je pense, généralement reconnue ; je n’ai donc à
répondre qu’à quelques objections de détail.
L’honorable orateur a
critiqué, en premier lieu, le défaut d’énonciation spéciale des cours qui
seront donnés dans les différentes sections. Je pense, messieurs, que de cette
énonciation pourrait naître une confusion fâcheuse dans la loi ; du reste,
l’article 2 de la loi donne un exposé général de tous les cours qui seront
donnés à l’école militaire, et cet exposé est assez explicite pour être devenu
l’objet des critiques d’un autre honorable membre, qui a cru y voir la preuve
que nous vouons établir une véritable école polytechnique. Cette nomenclature
générale doit convaincre l’honorable M. Seron que tous les besoins de
l’instruction que réclament les différents services publics de l’armée, seront
amplement satisfaits.
L’honorable orateur a regretté
aussi de ne pas trouver dans la loi tous les cas d’applications spéciales de
peines qui pourraient se présenter ; mais je lui ferai remarquer seulement
qu’une loi qui renfermerait toutes les applications ne serait pas une loi
d’école militaire, mais un véritable code pénal, un code de discipline. Au
reste, tous les cas de discipline sont généralement traités d’une manière fort
libérale, et comme il s’agit d’officiers futurs, d’hommes qui se destinent à
entrer dans l’armée, c’est en général le code de discipline de l’armée (avec
les modifications que réclame l’état particulier des personnes auxquelles il
faut appliquer les peines), qui sert de guide.
L’honorable orateur a craint
que cette disposition : que l’organisation intérieure de l’école serait réglée
par des arrêtés insérés au Bulletin
officiel, ne couvrît des intentions arbitraires.
Il me semble, messieurs, que
les détails dans lesquels le projet est entré, montrent assez qu’il n’y a pas
d’arrière-pensée à cet égard ; et d’ailleurs, on peut se rendre compte
facilement de ce qui reste encore à régler par des arrêtés, quant à
l’organisation intérieure :ce sont la distribution des cours, l’emploi du temps
des élèves, l’administration de l’école, enfin différents autres objets dont on
peut aisément apprécier la nature.
L’honorable orateur a paru
craindre que cela ne couvrît l’intention d’empêcher les élèves de prendre part
à des polémiques de journaux. Je pense qu’au lieu de rassurer les parents des
élèves contre cette crainte, je ferai mieux de les rassurer contre la crainte
contraire. Les élèves de l’école militaire auront assez d’autres besognes à
faire, pour ne pas être tentés d’écrire dans les journaux ; mais s’ils
s’avisaient de le faire, on devait, pour les en empêcher, employer tous les
moyens compatibles avec une bonne police.
L’honorable orateur aurait
voulu que le programme d’admission eût été également inséré dans la loi ; mais,
messieurs, ce programme est publié tous les ans, et sous ce rapport les
garanties de la publicité sont suffisantes.
L’honorable orateur s’est
plaint de ce que l’on n’exigeât pas un certificat de moralité ; mais s’il avait
lu le programme d’admission, il aurait vu qu’on exige un certificat de bonne
conduite : ce qui sans doute revient au même.
L’honorable orateur s’est
plaint qu’il n’y eût pas un cours de littérature à l’école militaire, et il a
fait ressortir les avantages que l’étude des lettres peut avoir pour amener
l’aménité des mœurs et la bonne harmonie parmi les hommes qui doivent vivre
ensemble.
Eh bien, messieurs, le
programme même indique qu’un cours de littérature fait partie de l’enseignement
de l’école militaire ; il en est de même d’un cours d’histoire générale comme
d’un cours d’histoire militaire.
Le personnel de
l’établissement, en ce qu’il serait trop nombreux, a été également l’objet des
critiques de l’honorable M. Seron ; ma réponse à cette objection s’appliquera
aux observations de plusieurs autres orateurs.
L’honorable M. Seron a fait la
nomenclature du nombre de personnes qui font partie du personnel de l’école ;
mais l’honorable membre n’a sans doute pas fait appel que ce personnel sert à
des besoins de plus d’un genre. Il y a non seulement l’enseignement, mais il y
a encore la surveillance des études ; il y a l’administration, ainsi que le
commandement militaire ; évidemment il faut un personnel assez nombreux pour
suffire à tous ces besoins.
L’honorable orateur trouve que
le nombre des élèves admissibles à l’école est trop petit ; d’autres seraient
tentés, peut-être, de le trouver trop grand ; mais, messieurs, cette limite est
commandée par les besoins de l’armée.
L’honorable membre a trouvé en
même temps que le nombre des bourses est également trop peu considérable. Mais,
si l’on ne veut pas rendre l’instruction de l’école militaire absolument
gratuite, il faut alors nécessairement admettre certain rapport entre le nombre
des élèves et celui des bourses que l’on veut conférer.
Admettant que l’école ne peut
pas être gratuite, l’honorable orateur a critiqué l’élévation de la pension ;
je pense que cette critique n’est pas fondée. Un autre orateur, M. Gendebien, a
paru craindre qu’il ne fût question d’établir une aristocratie militaire, en
n’admettant à l’école que des jeunes gens ayant assez de fortune pour pouvoir
payer une pension de 800 francs.
Je répondrai aux deux
honorables opposants qu’ils ont perdu de vue qu’une loi antérieure, la loi sur
l’avancement de l’armée, a déjà fait la part des grades qui doivent être
affectés respectivement aux sous-officiers de l’armée et aux élèves de l’école
militaire.
Je dirai maintenant que c’est,
suivant moi, une chose utile qu’il y ait une école militaire accessible, pour
ainsi dire, aux personnes ayant quelque fortune. Je vais expliquer ma pensée à
cet égard.
Je regarde comme utile que des
personnes ayant de la fortune entrent dans l’armée. Pour que l’armée soit
véritablement nationale, il faut qu’elle renferme des personnes appartenant à
toutes les classes de la société.
Or, si vous n’accordiez qu’aux
sous-officiers le droit de passer officiers, vous excluriez nécessairement
toutes les personnes qui jouiraient d’une véritable aisance sociale ; car ces
personnes ne voudraient pas passer par les grades inférieurs. La loi exige que,
pour passer sous-officier, on ait été pendant six mois soldat ou brigadier ;
les personnes dont je parle ne voudraient sans doute pas se soumettre à cette
condition.
Je pense donc que s’il n’y
avait pas d’école militaire, laquelle serait donc pour ainsi dire exclusivement
réservée aux personnes des classes aisées de la société, il existerait une
sorte de privilège en sens inverse au détriment de ces personnes, et par
conséquent aussi au détriment de l’armée.
M. Seron a craint que ne fît
abus de la faculté du renvoi de l’école ; il a trouvé, entre autres, exorbitant
que les principes d’exclusion, adoptés pour l’école militaire, fussent les
mêmes que pour l’armée.
J’avoue que je ne partage pas
cette opinion. Les officiers de l’armée ont déjà des droits acquis qu’il faut
certainement respectés au moins autant que ceux des jeunes gens qui sont admis
à l’école militaire. D’ailleurs, les officiers de l’arme auxquels la loi sur la
perte des grades vient à être appliqué, sont ordinairement des hommes qui ont
déjà atteint un âge où il est difficile de se plier à de nouvelles études, de
s’ouvrir une nouvelle carrière ; tandis que les jeunes gens de l’école militaire
qui, par mauvaise conduite, ne mériteraient pas d’y être conservés,
trouveraient dans leurs études un moyen d’embrasser une autre carrière.
L’obéissance passive a paru un
danger à craindre de la part de l’école militaire ; je pense, au contraire, comme
je l’ai déjà fait observer, que l’école militaire doit ranger, parmi les sujets
dont elle s’occupe, le soin d’appliquer cette obéissance passive, mais de
l’appliquer en en faisant comprendre la nécessité, et en faisant sentir qu’elle
n’est pas incompatible avec la véritable indépendance de caractère. C’est là,
surtout, à mon avis, le plus grand bienfait d’une école militaire ; c’est aussi
le motif pour lequel je pense que la durée du séjour dans cette école ne doit
pas être trop courte.
L’honorable orateur a traité
enfin la question de l’instruction primaire, sans l’étendre toutefois à
l’armée, comme l’honorable M. Gendebien. M. Gendebien a réclamé surtout une loi
qui organisât ce que j’appellerai l’école primaire de l’armée.
Pour ma part je n’éprouve aucune
répugnance contre cette loi, mais je pense qu’il n’y aura lieu de s’occuper de
cet objet que lorsqu’on organisera, par une loi, l’instruction primaire et
moyenne. Dans l’état actuel des choses, les écoles régimentaires, qui sont
convenablement organisées, répondent aux besoins que les deux honorables
orateurs ont signalés.
J’ai peu de chose à répondre
au discours de l’honorable M. Verhaegen ; je suppose que, voulant l’école avec
l’adjonction des cours du génie civil, il la voudra sans l’adjonction de ces
mêmes cours.
Quant à l’amendement que
l’honorable membre a annoncé, et qui aurait pour objet d’établir que, dans un
avenir plus ou moins éloigné, l’admission à l’école militaire spéciale serait prononcée
à la suite d’un examen subi devant le jury établi par la loi de 1835, j’ai déjà
exposé les objections que j’ai à faire contre ce système. Ces objections
consistent surtout dans la nécessité qui en résulterait pour les élèves de
cette partie du service spécial, pour les futurs officiers du génie et de
l’artillerie, de traverser un enseignement détaché des entraves d’une
discipline efficace, pour arriver à l’école spéciale militaire.
L’honorable membre a indiqué
lui-même l’objection des travaux graphiques. Cette objection est très grave, et
je ne pense pas qu’il y ait été entièrement répondu par l’honorable M. Devaux :
c’est là une chose assez difficile, lorsqu’on n’a pas une école militaire
organisée, où les élèves sont casernés, et sont l’objet d’une surveillance
facile et continuelle, c’est une chose assez difficile, dis-je, de s’assurer
qu’ils ont fait eux-mêmes les dessins qu’ils prétendent être les leurs. Or, je
pense que toutes les personnes qui connaissent le genre de dessin auquel se
livrent les élèves de l’école militaire, comprendront l’importance qu’il y a à
ce que les élèves fassent eux-mêmes ces dessins ; je crois d’ailleurs que M.
Devaux s’est trompé en présentant comme déjà organisées aux universités les
écoles où les élèves se livrent aux travaux graphiques sous les yeux d’un
maître ou surveillant ; je crois que ce n’est encore là qu’un projet. Comme
l’heure est assez avancée, et que les observations qui me restent à faire
seront assez longues, je les présenterai demain, si la chambre le désire. (Oui ! oui !)
(Moniteur belge n°326 du 22 novembre 1837) – La séance est levée à 4
heures 20 minutes.