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Chambre des représentants de Belgique
Séance du lundi 20 novembre
1837
Sommair
1) Pièces adressées à
la chambre, notamment pétition relative à la cherté du charbon (A. Rodenbach)
2) Vérification des
pouvoirs d’un membre nouvellement élu (Peeters)
3) Projet de loi portant le budget du département
de l’intérieur pour l’exercice 1838
4) Rapport sur une pétition relative aux pratiques
de vente à l’encan (Corneli, Desmaisières,
Desmanet de Biesme, Desmaisières)
5) Projet de loi portant le budget de la dette
publique et des dotations pour l’exercice 1838. Partage de la dette
belgo-hollandaise (engagères) (Andries, de Foere), recours au chapitre des
dépenses pour ordre (remboursement des cautionnements) (Verdussen,
d’Huart, Verdussen)
6) Rapport relatif à l’organisation des
tribunaux de première instance (Ernst)
7) Projet de loi portant organisation de l’école
militaire. Discussion générale (de Puydt, de Brouckere). Utilité de l’école militaire, programme
des études, régime disciplinaire, liberté d’expression des militaires, instruction
religieuse, bourses d’études, régime disciplinaire, instruction primaire (Seron) caractère militaire ou mixte (civil-militaire) de
l’établissement (études polytechniques) et concurrence avec les universités (Verhaegen, Dechamps)
8) Budget des voies
et moyens pour l’exercice 1838. Nouvelle présentation des recettes de l’Etat (d’Huart)
(Moniteur belge n°325, du 21 novembre 1837)
(Présidence de M. Raikem.)
M. de Renesse procède à l’appel
nominal à 1 heure et demie.
M. Lejeune lit le procès-verbal de la séance précédente ;
la rédaction en est adoptée.
M. de Renesse présente l’analyse des
pièces adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A LA
CHAMBRE
« Le vicomte
Dutoict de Steurm Ambracht demande une augmentation de sa pension annuelle et
provisoire. »
- Renvoi à la
commission des pétitions.
________________
« Des fabricants
de sucre indigène de St-Vaast et Péronne demandent que la chambre s’occupe de
la question des sucres. »
- Renvoi à la
commission des pétitions.
« Des fabricants
et habitants de Roulers adressent des réclamations contre l’élévation du prix
du charbon. »
- Renvoi, sur la
proposition de M.
A. Rodenbach, à la commission des pétitions avec demande d’un prompt
rapport.
_______________
« Le sieur
Roulleau, sous-officier au 8ème régiment d’infanterie de ligne à Ypres, né en France,
demande la naturalisation. »
- Renvoi à M. le
ministre de la justice.
_______________
« Un grand
nombre de négociants détaillants de la ville de Gand adressent des observations
contre l’abus des ventes à l’encan de marchandises neuves. »
- Renvoi à la
commission des pétitions avec demande d’un prompt rapport.
_______________
M. Dequesne demande
un congé de trois jours.
- Accordé.
_______________
M. Jonet, conseiller à la cour d’appel de Bruxelles,
fait hommage à la chambre de 100 exemplaires de sa brochure contenant des
observations sur le projet de loi concernant le duel.
VERIFICATION DES
POUVOIRS D’UN MEMBRE NOUVELLEMENT ELU
M. Andries présente un rapport sur
l’élection de M. Peeters, nommé par le collège électoral de Turnhout.
La commission propose
l’admission de M. Peeters ; ces conclusions sont adoptées.
En conséquence M. Peeters est proclamé membre de la
chambre des représentants ; il sera admis au serment prescrit par la loi, quand
il sera présent.
PROJET DE LOI PORTANT
LE BUDGET DE L’INTERIEUR POUR L’EXERCICE 1838
M. Scheyven dépose le rapport de
la section centrale sur le budget du département de l’intérieur.
- Ce rapport sera
imprimé et distribué ; la discussion en sera ultérieurement fixée.
RAPPORT SUR UNE
PETITION RELATIVE AUX PRATIQUES DE VENTE A L’ENCAN
M. Corneli, organe de la commission
des pétitions, donne lecture du rapport suivant. - Messieurs, des négociants de
Nivelles, d’Ostende, de Bruges, de Tournay, de Tamise, de Wetteren, d’Anvers et
d’Alost, par des pétitions séparées, vous demandent une loi qui défende les
ventes publiques de marchandises neuves.
Ils allèguent que
depuis quelque temps des marchands ambulants viennent dans leur pays, au grand
détriment des marchands et des boutiquiers établis, faire des ventes publiques
de marchandises neuves par petites portions. Selon les pétitionnaires, ces
marchands ambulants choisiraient les époques de l’année les plus favorables
pour inonder les communes de leurs marchandises : toutes sortes de manœuvres
seraient employées pour attirer les acheteurs, et les boutiquiers auraient, par
suite de ces ventes, tellement peu à faire, qu’ils ne pourraient même pas
compter sur un bénéfice de 10 p. c. Cependant, ajoutent les pétitionnaires, ces
marchands ambulants ont plus de frais à supporter, tels que de transport de 10
p. c., à l’officier public qui fait la vente et autres ; il faut donc que les
objets qu’ils vendent soient de mauvaise qualité, qu’ils soient détériorés, ou
qu’ils proviennent de banqueroutes frauduleuses : dans le premier cas, les
acheteurs sont les dupes et, dans le second cas, les honnêtes boutiquiers
souffrent d’un trafic honteux.
Les pétitionnaires
soutiennent qu’il faut, en fait de concurrence commerciale, équité et égalité
parfaite pour tout le monde, sans privilège ; que cette égalité n’existerait
pas, qu’il y aurait privilège, tant qu’il serait permis à des étrangers qui ne
paient pas leur patente plus chère que les marchands établis, de vendre à
l’encan, par petites quantités, des marchandises neuves.
Sous l’ancien
gouvernement, messieurs, des arrêtés du 22 novembre 1814 et du 19 octobre 1817
autorisaient les administrations locales de prendre des dispositions
convenables pour prévenir l’abus de ces ventes, et pour régler les quantités
qui pouvaient être vendues.
Les régences de
plusieurs villes ont rendu des ordonnances en vertu des arrêtés de 1814 et 1817
; mais la cour de cassation par arrêt du 12 septembre 1834, a déclaré ces
ordonnances illégales et contraires à la loi du 21 mai 1819 sur les patentes.
Votre commission des pétitions, messieurs, n’a pas pu
se dissimuler que, s’il y a de la part des pétitionnaires quelque tendance à
écarter une concurrence gênante au moyen de dispositions légales ; que s’il
attaquent même le principe de liberté commerciale d’après lequel chacun peut
faire le commerce qu’il trouve le plus avantageux ; que si la loi, dans le sens
voulu par les pétitionnaires, pouvait avoir des conséquences défavorables aux
petits commerçants qui, dans des circonstances difficiles, trouvent dans ces
modes de vente des occasions promptes et faciles de se défaire de leurs
marchandises, il y a cependant aussi dans ces ventes de graves inconvénients,
de grands abus. Il s’agit de l’intérêt, et même en quelque sorte de l’existence
d’une classe de la société qui mérite plus particulièrement votre sollicitude ;
c’est surtout le fait relatif à la patente, que les pétitionnaires signalent,
qui a frappé l’esprit de votre commission, et qui lui paraît devoir être pris
en mûre considération. Cependant, dans l’absence de renseignements nécessaires,
elle s’abstient de toute proposition définitive.
Elle m’a chargé,
messieurs, de proposer le renvoi de toutes les pétitions à M. le ministre des
finances, afin qu’il donne telle suite qu’il reconnaîtra la plus juste et la
plus utile au commerce.
M. Desmaisières. - J’ai eu l’honneur
de déposer sur le bureau une pétition qui a été adressée à la chambre par un
très nombre de négociants et détaillants de la ville de Gand, qui se rapporte
au même objet que celui dont vient de vous entretenir M. le rapporteur de la
commission des pétitions. Le bureau a fait l’analyse de la pétition ; mais
comme elle n’a pas pu être comprise dans le rapport de la commission, je
demanderai la lecture de cette requête qui est d’ailleurs fort courte, et qui
n’est volumineuse que par le grand nombre de signatures qui y sont apposées.
M. Desmanet de Biesme. - Je ne m’oppose
pas à la demande que vient de faire l’honorable M. Desmaisières ; mais je vois
que la commission conclut au renvoi des pétitions à M. le ministre des
finances. Je crois que cet objet regarde le département de l’intérieur, et
qu’il faudrait renvoyer les requêtes à ce département avec demande
d’explications, avant la discussion du budget des voies et moyens.
Vous savez, messieurs,
quelles plaintes s’élèvent dans toutes les localités contre les ventes dont il
s’agit. D’un autre côté, le gouvernement demande une augmentation sur les
patentes dans le budget des voies et moyens. Il est probable que le
gouvernement ne renonce pas à sa demande, quoique la section centrale n’y ait
pas donné son assentiment ; il me paraît donc convenable qu’il soit pris
quelques mesures pour venir au secours des réclamants surtout si l’on vient à
augmenter leurs patentes.
Je demande donc le
renvoi des pétitions à M. le ministre de l'intérieur, avec demande
d’explications, avant la discussion du budget des voies et moyens.
M. Desmaisières. - Si la pétition de
Gand est renvoyée en même temps au ministre de l’intérieur, je crois qu’il est
inutile d’en donner lecture. Il n’y aurait lieu de lire la pièce que pour le
cas où il y aurait de l’opposition au renvoi au département de l’intérieur.
Des membres. - Personne ne
s’oppose au renvoi.
- Les conclusions de
la commission, tendant au renvoi des pétitions à M. le ministre des finances,
sont mises aux voix et adoptées.
La chambre décide
ensuite que les mêmes pétitions seront renvoyées à. le ministre de l’intérieur,
avec demande d’explications, avant la discussion du budget des voies et moyens.
Motion d’ordre
M. Andries. - Je demande la
parole. J’ai à faire une observation générale...
M. le président. - Aux termes du
règlement, je ne puis ouvrir la discussion que sur les articles qui ont été
amendés au premier vote.
M. Andries. - J’ai à faire une motion
d’ordre. Je veux proposer à la chambre d’inviter la commission des finances à
examiner la question des engagères.
M. le président. - C’est différent ;
M. Andries a la parole.
M. Andries. - Messieurs, la
question des engagères a été souvent agitée dans cette chambre. Les possesseurs
d’engagères étaient sur le point d’être liquidés au moment de la révolution, en
vertu du traité passé entre le gouvernement des Pays-Bas et l’Autriche. Le gouvernement
des Pays-Bas avait pris à sa charge la liquidation de ces créances. L’autorité
s’était déjà mise en devoir de prendre des renseignements auprès des
titulaires, et la liquidation était imminente. Après la révolution, les
titulaires d’engagères se sont adressés au gouvernement belge. La chambre a
accueilli leur réclamation et l’a renvoyée au ministre des finances avec
demande d’explications. M. le ministre a donné ces explications par lettre du
14 août 1835. Il élevait alors une fin de non-recevoir qu’on ne pourra plus
admettre aujourd’hui. « J’estime, dit-il en terminant, que l’Etat ne peut
ni ne doit se charger de la liquidation des créances dont il s’agit ; elles
incombent au gouvernement hollandais en vertu du traité du 15 novembre 1831. »
Cependant, messieurs,
c’est une dette belge ; l’argent a été employé dans l’intérêt du pays, du temps
que le Belgique appartenait à l’Espagne et à l’Autriche. C’est donc une dette
réellement nationale, et c’est un acte de justice que de l’acquitter. Toutefois
les titres ont besoin d’être examinés, car l’affaire est compliquée. Je
proposerai en conséquence d’inviter la commission de finance à examiner la
question et de faire un rapport avec les conclusions qu’elle jugera
convenables.
Nous avons agi de
cette manière à l’égard des légionnaires, lorsque la question nous a été
soumise ; nous avons porté intérêt à ces anciens braves de l’armée française,
nous avons chargé la commission des finances de nous présenter un rapport, et
nous avons fait droit autant que nous le pouvions. Je désire qu’on en fasse
autant pour les possesseurs d’engagères.
A l’appui de mon opinion je trouve, dans un discours
prononcé à une de nos dernières séances, un argument que je demanderai la
permission de rappeler. « Les faits financiers, dit l’orateur que je cite,
qui ont pu recevoir leur exécution sous l’ancienne Belgique, méritent votre
attention et peuvent vous lier. »
Le gouvernement
espagnol et ensuite le gouvernement autrichien, dans des moments où les
finances du pays étaient épuisées ont été obligés de recourir à cette ressource
pour suppléer au déficit qui se trouvait dans les caisses.
Je répète que
l’argent provenant de cette espèce d’emprunt n’a pas été employé au profit du
chef de l’Etat, mais au profit du pays. C’est donc une dette purement nationale
qu’en hommes loyaux et justes, nous ne pouvons pas refuser d’examiner.
M. de Foere. - La question des
engagères n’est pas une question financière, et par conséquent elle ne doit pas
être renvoyée à la commission de finances. C’est une question qui dépend des
traités internationaux. Elle devrait donc être examinée par une commission de
jurisconsultes et non par la commission de finances.
L’honorable
préopinant s’est trompé quand il a dit que les intérêts des légionnaires
avaient été examinés par la commission de finances. C’est une commission de
jurisconsultes qui a examiné cette question et fait son rapport à la chambre.
Je proposerai donc, si la chambre adopte le fond de la proposition de M.
Andries, de la renvoyer à une commission de jurisconsultes.
M. Andries. - Je me rallie à la
proposition de M. de Foere.
- La chambre
consultée renvoie la question des engagères à une commission spéciale nommée
par le bureau.
M. le président. - Nous reprenons le
second vote du budget de la dette publique.
Second vote des
articles
Titre premier. - Dette publique
Chapitre III. - Fonds
de dépôt
Article 2 (nouveau)
M. le président. - Sur la
proposition de M. le ministre des finances, le nouvel article 2 du chapitre III
a été renvoyé au budget des finances ; quand nous nous occuperons de ce budget,
nous soumettrons cet article au second vote.
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Il vaut mieux le
voter maintenant définitivement.
M. Verdussen. - Alors, je demande
la parole ; non pour faire changer le chiffre ou le libellé de l’article, mais pour
tâcher d’amener la chambre à reporter à l’article 2 du chapitre III, et dans
les dépenses réelles du budget, la disposition dont il s’agit. Depuis que M. le
ministre des finances, à la séance précédente, a proposé de porter le nouvel
article dont il s’agit aux dépenses pour ordre, j’ai eu le temps de réfléchir.
Il me paraît que je dois persiste à m’opposer à ce que cela se fasse.
D’abord je vous ferai
observer, messieurs, que les dépenses pour ordre qui figurent à la suite de nos
budgets, tant en recette qu’en dépense, ne sont jamais comprises dans le
chiffre global et ne forment qu’une annexe de sommes au sujet desquelles l’Etat
ne fait réellement que les fonctions d’un caissier. Ces sommes sont donc d’une
tout autre nature que les 100,000 fr. dont nous nous occupons, et qui
constituent une vraie dépense à supporter par le pays jusqu’à la liquidation
avec la Hollande.
Nous avons trouvé
dans le discours de M. le ministre des finances deux motifs principaux sur
lesquels il s’appuie pour faire porter la somme en question aux dépenses pour
ordre. La première, c’est qu’il ne faut pas, dit-il, grossir inutilement le
chiffre du budget. Il est toujours certain que si on vient réclamer le
remboursement des cautionnements, il faudra faire les fonds ; c’est blanc bonnet
et bonnet blanc, comme on le dirait en style familier. Qu’on prenne l’argent à
tel chapitre ou à tel autre, toujours est-il qu’il faut payer.
La seconde raison
alléguée par M. le ministre est que cela pourrait gêner l’imputation de ce
remboursement. Je ne trouve, pour ma part, aucun fondement à ce motif.
Lorsqu’il y a un crédit de 100,000 fr. ouvert aux dépenses ordinaires, la cour
des comptes ne peut autoriser aucun paiement au-delà de ces 100 mille fr., et
certes je pense qu’il en est de même des dépenses pour ordre.
Une fois la dépense
limitée, il n’est plus possible de dépasser cette limite quand il s’agit de
dépenses pour ordre, que quand il s’agit de dépenses ordinaires. Il n’y aurait
donc que la première raison, celle qu’il ne faudrait pas grossir le chiffre du
budget, et cette objection me paraît être de trop peu de valeur pour s’y
arrêter, quand en réalité la chose en revient au même pour nos finances.
Mais je vais vous
montrer que c’est une véritable dépense que vous allez déguiser, si vous adoptez
la proposition de M. le ministre des finances. Qu’arrivera-t-il si le
gouvernement fait usage du crédit de 100,000 fr. dont il s’agit ? Il est
certain que dans ce cas, l’année prochaine, le chiffre des intérêts des
cautionnements restés en Hollande devra être diminué de 4,000 fr. Il y a donc
analogie et rapport parfait entre les deux chiffres, et par conséquent ils
doivent appartenir au même budget ; car comment pourrait-il se faire qu’un
chiffre porté pour ordre eût une influence sur un chiffre de dépense réelle ?
Il y a là une analogie frappante qui doit vous faire voir que les deux objets
doivent se trouver dans la même catégorie.
En effet, à l’article premier du chapitre III,
nous avons porté une somme de 100,000 fr. pour intérêts des cautionnements dont
les fonds sont restés en Hollande. Si maintenant sur ces fonds 100,000 fr. de
capital sont remboursés, e chiffre de cet article premier devra être réduit en
1839 à 156,000 francs, car il y a moins d’intérêts à payer.
En portant ainsi
annuellement aux dépenses pour ordre le même chiffre alloué aujourd’hui pour ce
remboursement, vous verriez en apparence diminuer, d’année en année, le chiffre
des intérêts que vous devez pour les cautionnements, et au fonds vous vous
mentiriez à vous-mêmes, car c’est un véritable emprunt qu’on va faire à la
caisse des consignations et des cautionnements, et rien de plus.
M. le ministre nous a
parlé de la France ; il a dit qu’en France les recettes et les dépenses pour
ordre ne se balancent pas toujours. Cela est vrai ; mais nous ne pouvons pas
invoquer la France dans l’article des cautionnements : dans cette matière le
système de la France est tout différent de celui de la Belgique. En France les
capitaux mêmes des cautionnements servent à couvrir les dépenses ordinaires, et
figurent dans le budget des voies et moyens comme recettes ordinaires. Il n’en
est pas de même en Belgique ; car ce système, comme j’ai eu l’honneur de le
dire tantôt, déguise un emprunt véritable. C’est ce que nous ne voulons pas ici
; nous ne voulons pas d’emprunt déguisé. Lorsque nous avons besoin d’argent,
nous le disons franchement à la face de la nation, comme nous l’avons fait pour
l’emprunt Rothschild et pour l’emprunt de 30 millions.
Une autre objection nous a été présentée à la
précédente séance. On a dit : Si vous envisagez les cautionnements versés par
nos comptables comme un dépôt véritable, et si vous soutenez que M. le ministre
des finances ne peut pas y toucher pour les employer de la manière qu’il
trouvera la plus convenable, alors il faut laisser intact tout le fonds, et il
doit rester improductif dans les caisses de l’Etat. Non, messieurs ; c’est là
une véritable erreur, et la loi du budget des voies et moyens autorise chaque
année le ministère à placer ces fonds à intérêt, puisque dans ce budget il y a
un article à peu près ainsi conçu : « Intérêts des fonds des
cautionnements et des consignations. » Avec un semblable libellé M. le ministre
a sans doute le pouvoir de placer l’argent de la caisse des cautionnements et
des consignations, soit en bons du trésor, soit en obligations de l’emprunt
Rothschild ou de 30 millions.
Je crois donc qu’il
est nécessaire de ne pas porter ces 100,000 fr. aux dépenses pour ordre, dans
une loi qui n’est qu’une annexe du budget, et qui est en dehors du compte
général des recettes et des dépenses.
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Toutes les
observations de l’honorable M. Verdussen reposent sur une erreur de fait. Il
pense que nous avons à faire les fonds pour payer les 100,000 francs aux
titulaires d’anciens cautionnements ; or, il ne faut pas que nous fassions les
fonds, ils sont tout faits ; nous avons le produit des nouveaux cautionnements
entre les mains, et nous prélèverons sur ce produit le remboursement des anciens
; il n’y a donc pas à user des impôts pour fournir ces 100,000 francs.
Du reste, je suis
étonné que ce soit l’honorable M. Verdussen qui parle ainsi ; car vous vous
rappellerez qu’il a dit lors de la discussion du fond de la question :
« Ne vous effrayez pas, cette disposition (le vote des 100,000 francs) ne
sera pas onéreuse pour les contribuables. » Il avait raison, et je suis
d’accord avec lui sur ce point : il en résulte qu’il ne nous reste plus rien
d’autre à faire qu’à rendre possible l’imputation des 100,000 fr. sur les fonds
des nouveaux cautionnements qui sont entre nos mains, en portant ce crédit aux
dépenses pour ordre.
Mais, dit-on, vous
insérez bien au budget des dépenses un article : « Intérêts de
cautionnements anciens : fr. 160,000. » Cela est vrai, messieurs. Il faut
bien porter au budget des dépenses la somme des intérêts de ces anciens
cautionnements dont le capital est en Hollande ; c’est là une avance réelle que
nous faisons, parce que les intérêts produits par les nouveaux cautionnements
ne sont pas suffisants pour payer à la fois les intérêts de ces nouveaux
cautionnements et les intérêts des anciens.
Lorsque j’ai fait
remarquer que les recettes et les dépenses pour ordre ne se balancent pas
toujours en France, je me suis appuyé de cet exemple pour démontrer qu’il n’y
avait pas de règle absolue pour cela. Je savais que l’objection de rendre les
dépenses pour ordre égales aux dépenses pouvait être présentée, et c’était pour
la prévenir que je vous ai soumis cette observation. Je n’ai pas examiné si en
France les fonds de cautionnements figuraient dans les dépenses pour ordre :
cela importait peu pour l’exemple du mode de comptabilité que je citais, ne
voulant faire voir autre chose que l’inutilité de rendre les recettes et les
dépenses pour ordre absolument égales.
L’avantage principal à transporter dans un chapitre,
qui est en dehors des budgets, les 100 mille francs dont il s’agit, c’est que
nous pourrons ainsi les imputer sans contestation en diminution du montant des
nouveaux cautionnements, tandis que, si on considérait la chose comme étant une
dépense ordinaire, la cour des comptes n’admettrait pas ce prélèvement ainsi
entendu.
En un mot, dans mon
système, le dépôt des nouveaux cautionnements sera réduit de 100 mille francs
en 1838, tandis que, dans le système de M. Verdussen, ce dépôt resterait le
même, et nous devrions prendre la somme sur les recettes générales ; or, il y
aurait là quelque chose de très vicieux.
M. Verdussen. - M. le ministre
des finances a voulu me mettre en contradiction avec moi-même, parce que j’ai
dit dans la première discussion que la nation ne serait pas obérée si la
chambre adoptait la proposition que la section centrale lui avait faite. Mais
je n’ai jamais entendu que M. le ministre des finances pût approprier au
remboursement des cautionnements des anciens comptables les capitaux versés par
les nouveaux, sans y être autorisé par une loi spéciale, d’une plus longue
durée qu’une loi annale de budget.
Pour vous prouver que
vous ne pouvez imputer cette dépense sur la caisse des cautionnements, je
présenterai un exemple.
Si un jour il vous
plaisait d’abolir par une loi les garanties à fournir en numéraire par nos
comptables, et de rembourser tous les cautionnements, est-ce que vous ne
trouveriez pas alors dans la caisse des cautionnements et des consignations un
déficit de ces 100,000 fr. que M. le ministre va y puiser peut-être en 1838 ?
Et comment pourrions-nous dans ce cas remplir cette lacune, si ce n’est par les
voies et moyens ordinaires ? Je ne puis donc croire que vous consentiez à vous
placer dans cette position, en prenant dans une caisse dont la destination est
autre que celle que veut lui donner M. le ministre des finances.
- La chambre confirme
par son vote l’adoption de l’amendement de M. le ministre des finances et le
renvoi de cette disposition aux dépenses pour ordre.
Vote sur l’ensemble
du projet
La chambre procède au
vote par appel nominal sur l’ensemble du projet de loi de budget de la dette publique
et des dotations ; en voici le résultat :
66 membres sont
présents.
3 (MM. de Foere,
Seron et Vilain XIIII) s’abstiennent.
63 prennent part au
vote et se prononcent pour l’adoption.
La chambre adopte.
Ont voté pour
l’adoption : MM. Andries, Beerenbroeck, Bekaert-Baekelandt, Berger, Brabant,
Corneli, de Behr, de Brouckere, Dechamps, de Jaegher, de Longrée, de Man
d’Attenrode, F. de Mérode, de Perceval, de Puydt, de Renesse, de Roo, de Sécus,
Desmaisières, Desmanet de Biesme, de Terbecq, Devaux, d’Huart, Donny, Dubois,
B. Dubus, Dumortier, Duvivier, Ernst, Gendebien, Hye-Hoys, Jadot, Keppenne,
Kervyn, Lebeau, Lecreps, Lejeune, Liedts, Maertens, Mast de Vries, Mercier,
Metz, Morel-Danheel, Nothomb, Pirmez, Pirson, Polfvliet, Pollénus, Raikem,
Raymaeckers, A. Rodenbach, C. Rodenbach, Scheyven, Simons, Thienpont, Troye,
Ullens, Vandenhove, Verdussen, Verhaegen, Wallaert, Willmar, Zoude.
M. le président. - Aux termes du
règlement, MM. de Foere, Seron et Vilain XIIII sont invités à exposer les
motifs de leur abstention.
M. de Foere. - Messieurs, je
n’ai pas voulu voter l’adoption du projet parce qu’il renferme des objets
auxquels je ne puis donner mon approbation ; (erratum inséré au Moniteur belge n°237, du 21 novembre 1837 :)
je n’ai pas voulu voter contre
le budget de la dette publique, parce que le rejet de ce budget pourrait
compromettre gravement le crédit public du pays ; j’ai donc dû
m’abstenir.
M. Seron. - Je me suis
abstenu parce que je ne puis admettre plusieurs des articles que le projet
renferme, et je ne puis rejeter d’autres articles que j’approuve.
M. H. Vilain XIIII. - Je me suis abstenu
parce que je n’ai pas assisté à la discussion.
RAPPORT RELATIF A
L’ORGANISATION DES TRIBUNAUX DE PREMIERE INSTANCE
M. le ministre de la justice
(M. Ernst). - Je prends la parole pour communiquer à la chambre
le rapport relatif à l’organisation de divers tribunaux, rapport qui m’a été
demandé sur la proposition faite par la section centrale. Je crois que la
chambre renverra ce travail à la section centrale qui l’a réclamé ; et si la
chambre me le permet, je prierai cette section centrale de présenter ses
conclusions le plus tôt possible.
- L’impression du
rapport déposé par M. le ministre de la justice et son renvoi à la section
centrale sont ordonnés.
M. le ministre de la justice
(M. Ernst). - (Erratum
inséré au Moniteur belge n°327, du 23 novembre 1837) M. Frison, qui est l’auteur de la proposition concernant le
tribunal de Charleroy, m’a assuré que cette section centrale était encore.
Discussion générale
M. de Puydt. - J’ai une question
concernant une position personnelle à adresser à la chambre : dans la dernière session,
j’ai été nommé rapporteur de la section centrale qui a été chargée d’examiner
le projet de loi sur l’école militaire ; depuis lors j’ai cessé d’être député.
Les électeurs de Diekirch m’ont donné un nouveau mandat de représentant, mais
je doute qu’ils aient pu renouveler mon mandat de rapporteur d’une section
centrale ; ainsi je ne pourrai plus parler au nom de la section centrale ;
toutefois, si la chambre le permet, je pourrai donner des renseignements
pendant la discussion. Je tiendrai d’autant plus à donner ces renseignements
que le ministre vient de réduire son projet, par les amendements qu’il a
présentés, aux limites dans lesquelles je pense qu’on doit le restreindre.
Plusieurs
membres. - Vous pouvez parler comme rapporteur.
M. de Puydt. - Si je puis parler
comme rapporteur, cela m’autorisera à prendre la parole quand je le croirai
nécessaire.
M. de Brouckere. - Non pas !
M. de Puydt. - Les antécédents
de la chambre me font penser que le rapporteur parle quand il le juge
convenable.
M. de Brouckere. - Cela se tolère !
M. le président. - Quand le
rapporteur est obligé de répondre à plusieurs orateurs, on lui permet de
répondre séparément à chacun, pour éviter toute fatigue ; mais la marche qu’on
a suivie n’est pas écrite dans le règlement.
M.
de Puydt. - Il me semble au moins que le rapporteur peut
résumer la discussion.
M. de Brouckere. - Non !
M. de Puydt. - Quoi qu’il en
soit, si la chambre me le permet, je parlerai au nom de la section centrale.
De toutes parts. - Oui ! oui !
M. Seron. - Messieurs, avec
du courage, du sang-froid, un jugement sain et un coup d’œil sûr, tout soldat,
même sans connaissances théoriques, petit devenir un excellent officier, un grand
capitaine, surtout s’il est mu par l’amour de la liberté et de l’indépendance
de son pays. L’histoire des guerres de la révolution française nous en fournit
la preuve à chaque page. Les Hoche, les Masséna, les Dugommier, les Augereau,
Les Kléber, et tant d’autres généraux républicains non moins célèbres,
n’avaient jamais fréquenté les écoles militaires. « Ces armées composées,
selon l’honorable rapporteur de votre section centrale, d’hommes nouveaux peu
exercés au commandement, et de bataillons improvisés, et de corps d’artillerie
et du génie manquant de sujets capables, » ces armées, dis-je, battirent
l’ennemi à Jemmapes, à Hondscote, à Valmy, à Wattignies ; elles le chassèrent
de la France ; elles reprirent Toulon, envahirent la Savoie, le comté de Nice,
la Belgique, la Hollande, les provinces rhénanes, et forcèrent le roi de Prusse
et le roi d’Espagne à reconnaître la république française. Un peu plus tard
elles conquirent l’Italie et l’Egypte ; elles dictèrent le traité de
Campo-Formio. Cependant elles n’avaient dans leurs rangs aucun élève de l’école
polytechnique à peine créée. Et dans les rangs opposés on comptait des fameux
officiers de l’ancien régime dont l’émigration venait de purger la France, et
cette foule d’officiers et de généraux piémontais, saxons, hollandais, hessois, bavarois, hanovriens, espagnols,
autrichiens, anglais et prussiens qui tous, vraisemblablement, avaient appris
l’art de la guerre dans les écoles et dans les livres, mais à qui, peut-être,
il manquait les qualités dont la nature avait doué leurs rivaux et qu’on ne
peut acquérir par des études.
On a fait une autre
remarque : l’artillerie et le génie, les deux corps assurément les plus
instruits de tous ceux dont une armée se compose, ont rarement fourni des
généraux en chef. Les meilleurs ingénieurs sont ordinairement de fort minces
tacticiens. Capables d’attaquer et de défendre les places, ils sont inhabiles à
diriger les mouvements des troupes et leurs manœuvres sur un champ de bataille.
Enfin, sans être versé comme eux dans les mathématiques, on peut fort bien
entendre la fortification de campagne.
L’objet de ces
observations, messieurs, est de faire voir qu’il ne faut pas attribuer aux
écoles militaires une influence trop grande sur les succès des armées. Je
n’entends nullement d’ailleurs refuser à la vôtre le bienfait de l’instruction,
moi qui voudrais qu’on l’étendît indistinctement à toutes les classes de la
société et qui regarde l’ignorance comme le plus grand des fléaux. Ainsi, quand
l’honorable rapporteur « voit, dans la substitution de la force
intellectuelle à la force brutale des masses, un progrès en arrière duquel la
Belgique ne peut rester ; quand il insiste sur la nécessité d’organiser
fortement l’armée afin de la mettre en état de prendre, au jour du combat, son
rang comme force et comme intelligence ; » de mon côté, je dis tout simplement
: « Il est bon d’assujettir à des études préliminaires les jeunes gens
destinés à devenir officiers sans avoir été soldats ; » et je crois être à peu
près d’accord avec lui. Toutefois, je souhaite que les nations fassent usage de
leur force intellectuelle pour vivre en paix, s’il est possible, et non pour
s’entre-détruire dans ces luttes folles, impies, malheureusement si fréquentes,
dont gémissent la philanthropie et la raison, et contre lesquelles devraient
s’élever sans cesse, dans leurs sermons, ces hommes de paix salariés pour nous
rendre meilleurs et nous mettre sur le bon chemin. Mais quoi ! jusqu’à présent
ils ont, au contraire, fait métier de bénir les drapeaux destinés à nous
montrer le chemin du carnage !
Je juge donc utile
une école militaire aux frais de l’Etat, surtout pour former des ingénieurs et
des artilleurs, et même, si l’on veut, des officiers d’état-major. Je la
voterai par ce motif et non parce qu’aujourd’hui « on trouve des écoles
militaires partout, même en Turquie et en Egypte, dans les Etats de Mehémet-Aly
pacha. » Je la voterai à condition que l’enseignement y sera toujours à la
hauteur des connaissances acquises, dût une semblable institution déplaire aux
hommes du mouvement rétrograde, dussent ces prétendus précepteurs du genre
humain y voir un empiétement sur leurs droits, eux qui, depuis six ans,
travaillent avec tant de zèle et de persévérance à accaparer l’enseignement, à
s’en rendre maîtres pour le devenir enfin des populations qu’ils auront
abruties, et faire de la Belgique une terre de promission pour eux,
c’est-à-dire une espèce de capucinière.
Mais, en approuvant
le principe, dois-je en même temps admettre les dispositions au moyen
desquelles on veut l’organiser, et donner mon adhésion à l’ensemble du projet ?
C’est ce que je vais examiner brièvement.
Une loi sans doute
n’est pas un règlement ; elle ne peut entrer dans tous les détails. Mais elle
doit être concise, faire entendre beaucoup de choses en peu de mots, ne rien
laisser à deviner, ne rien omettre d’essentiel. Si elle offre des lacunes, le
pouvoir les remplira ; il en abusera, car il est de son essence d’aimer
l’arbitraire. Or, les dispositions du projet ont principalement le défaut d’être
incomplètes. En voici plusieurs exemples. Premièrement, elles créent des cours
généraux et des cours spéciaux, mais elles se taisent sur l’objet des cours
spéciaux. Cependant la loi organique de l’école militaire devrait, ce me
semble, dire sans restriction ce qu’on enseignera dans l’école militaire. D’un
autre côté, le projet admet des élèves pour l’armée de l’infanterie et pour
l’armée de la cavalerie. Mais nulle explication sur la nature de leurs études.
On nous laisse donc ignorer si l’on veut en faire des hommes universels, s’ils
recevront la même instruction que les élèves de l’artillerie et du génie, et
si, pour commander une compagnie ou un détachement, il faudra connaître à fond
la géométrie descriptive, la physique, la chimie, la mécanique et l’architecture.
En troisième lieu, on
nous donne le détail des punitions qui pourront être infligées aux élèves. Mais
si ce n’est à l’égard d’une seule, je ne vois pas les délits auxquels elles
seront appliquées. Cette omission peut avoir de dangereuses conséquences. En
vain, M. le rapporteur nous dit : « L’administration ne pourra, dans ses
règlements, introduire des punitions nouvelles ; » en vain il ajoute :
« Les dispositions pénales proposées sont les mêmes qu’à l’école
polytechnique, elles sont consacrées par l’usage dans les corps militaires. »
Tout cela est fort bien, mais il ne faut rien laisser à l’arbitraire, il faut
spécifier les fautes, les contraventions, les délits, et déterminer la punition
de chaque contravention, de chaque délit, de chaque faute. Autrement on abusera
de la loi. Souvent les peines les plus fortes seront appliquées aux cas les
moins graves et réciproquement, à la volonté des chefs qui ont aussi leurs
caprices et leurs passions.
Voici une lacune plus
considérable : « L’organisation intérieure de l’école, dit le projet, est
confiée au gouvernement » ; mais qu’est-ce donc qu’une organisation
intérieure ? Il manque ici une définition. Si on l’omet, si l’on ne trace pas
les limites d’où le gouvernement ne pourra sortir, il va se croire en droit,
avec une disposition aussi vague, de donner force d’exécution soit aux
règlements dont le projet est accompagné, soit à des règlements analogues et
non moins inconstitutionnels. Ainsi, et par exemple, il défendra aux élèves de
ne rien faire imprimer ou insérer dans des écrits périodiques sans en avoir
obtenu la permission de leurs supérieurs. Que ces élèves, s’ils abusent du
droit de publier leurs opinions, soient mis en présence de la loi et punis, à
la bonne heure ; mais vous, gardiens nés de la constitution, pouvez-vous
autoriser la censure préalable qu’elle a formellement proscrite ? Des insensés
aveuglés par leurs petites passions voudraient, je le sais, la rétablir ; ils voudraient enchaîner la presse, parce que
leur vanité blessée n’en voit que les inconvénients. Mais si quelquefois les
médecins ont tué leurs malades, est-ce une raison de supprimer l’art de guérir
? La liberté de la presse est le grand remède à toutes les plaies, tous les
maux du corps social. Elle est aussi le droit de tout le monde ; on ne peut,
sans fausser les principes, en priver le soldat. Son habit ne lui ôte pas la
qualité de citoyen et ne le fait pas descendre dans la classe des ilotes.
Malheur aux insensés, fussent-ils colonels ou même généraux de division, dont
le cerveau rétréci ne pourrait comprendre ces vérités.
Jusqu’à présent, il a
fallu, pour être reçu à l’école, faire les études préliminaires dont le rapport
de la section centrale offre le détail, et subir, ensuite, un examen. Le projet
se tait sur ces conditions d’admission. Je crois pourtant nécessaire de les
insérer dans la loi. Mais ce n’est pas assez, je voudrais encore que celle-ci
imposât à tous les élèves, sans exception, l’obligation d’étudier et
d’apprendre la loi fondamentale, la loi civile et la morale, pour connaître
leurs droits et leurs devoirs ; car il ne suffit pas d’en faire des soldats, il
faut encore en faire de bons citoyens. On a prétendu il y a quelque temps, dans
cette assemblée, que la direction de la morale ne peut regarder l’Etat. C’est
une grande erreur, une idée digne du temps où l’on admettait sérieusement
l’autorité des deux puissances, où la discussion de leurs attributions
respectives était la matière de controverses ridicules heureusement tombées
dans l’oubli. Assurément l’Etat n’a rien à voir dans le dogme, parce que toutes
les croyances religieuses doivent être respectées ; il ne peut se mêler du
culte, parce que chacun et libre d’adorer Dieu à sa manière ; mais la morale,
partie fondamentale de toutes les religions dans tous les temps et dans tous
les pays, entre nécessairement dans le domaine du législateur. Elle est, en
effet, la justice appliquée à la conduite de l’homme, la règle de ses devoirs
envers ses semblables, la base de l’ordre. Si la direction m’en appartenait pas
à l’Etat, de quel droit punirait-on, par exemple, les hommes coupables
d’attentats aux mœurs, et ces corrupteurs de la jeunesse qui publient, étalent
ou vendent des images ou des livres obscènes ? Enfin l’instruction aux frais de
l’Etat n’est pas établie pour former des pédants, nous n’en avons que trop ;
les élèves ne doivent pas non plus consumer le temps le plus précieux de la vie
à apprendre les langues mortes dont jamais peut-être ils ne feront usage. Mais
ils ne peuvent demeurer entièrement étrangers à la littérature. La loi doit
donc aussi mettre au nombre de leurs études les belles-lettres, dont la
connaissance est propre à les humaniser, à les polir, à corriger l’âpreté de
leur caractère, en un mot à les rendre plus sociables. Songez, messieurs, que
l’aménité des mœurs est la source naturelle de l’union des citoyens, et qu’elle
peut seule, avec le temps, faire cesser la justice du sabre et la barbarie du
duel, que les lois pénales du sénat tenteront inutilement de réprimer.
Mais, si le projet
est incomplet sous plusieurs rapports, ses rédacteurs n’ont pas oublié du moins
le personnel attaché à l’école ; il se compose de 42 personnes, y compris
l’aumônier et non compris les cuisiniers, hommes de peine et domestiques, dont
on ne peut se passer, puisque les élèves seront nourris et entretenus dans
l’établissement. Ce personnel vous paraîtra peut-être susceptible de réduction.
Pour moi je ne vois pas la nécessité d’un aumônier ni d’une chapelle dans
l’école, quand, à deux pas de leur logement, les élèves trouveront des églises
où, s’ils sont catholiques, ils pourront entendre la messe, sans qu’il en coûte
un sou au trésor public. Je prendrai donc la liberté d’opiner en ce sens que
l’aumônier soit retranché du personnel. Je prie, au reste, les âmes charitables
de vouloir bien ne pas me supposer l’intention d’entraver en rien l’exercice du
culte, car je déteste l’intolérance, et n’ai ici d’autre dessein que d’empêcher
une dépense dont l’inutilité me paraît incontestable.
En regard de cette
longue nomenclature d’officiers et d’employés de l’école, je vois (si toutefois
je saisis bien toute la portée du projet) un très petit nombre d’élèves, du
moins comparativement. Je vois, d’un autre côté, les bourses gratuites réduites
à douze. Ainsi, quand, suivant l’intention de la loi, on aura fait la part des
fils d’anciens militaires, et celle des jeunes gens dont les pères auront rendu
des services signalés à l’Etat ; quand on aura usé largement de cette dernière
disposition un peu ambiguë, je demande ce qu’il restera de bourses pour les
jeunes gens qui se seront éminemment distingués dans leurs études, et dont les
parents se trouveront hors d’état de payer la pension ? Et cette pension
elle-même, fixée à 800 francs, n’est-elle pas beaucoup trop élevée ? Dans la
discussion sur la forme du gouvernement, les plus fameux orateurs du congrès
nous ont fait de la monarchie constitutionnelle un tableau fort séduisant : ils
l’ont présentée comme la plus belle conception de l’esprit humain, comme plus
démocratique que la république elle-même, comme plus faite pour assurer la
liberté et le bonheur du peuple, dont, alors, on avait l’air de s’occuper
beaucoup. Nous avons la monarchie constitutionnelle ; mais qu’a-t-on fait
jusqu’ici pour le peuple ? Quels avantages tirera-t-il de la loi dont vous vous
occupez ? Ah ! messieurs, soyez moins mesquins et plus justes : diminuons le
prix de la pension, augmentons le nombre des bourses ; songeons que la
révolution a été faite par le peuple et au prix de son sang. Permettons qu’il
en tire un léger profit, qu’il ait part, à son tour, dans les bienfaits d’une
instruction réservée jusqu’à présent aux classes aisées ; ne rendons pas tout à
fait menteuses les promesses dont on l’a bercé quand on avait besoin de lui. Et
vous qui avez voté 300 mille francs et plus pour acheter la bibliothèque de Van
Hultem, où se trouvent tant de milliers de bouquins inutiles que personne ne
lira, et tant de livres profondément immoraux ou d’une obscénité dégoûtante (En
note de bas de page du Moniteur, on peut lire : Voyez le catalogue, deuxième
partie du 11ème volume, pages 426 et suivantes), ne m’objectez pas ici la
nécessité d’être économes des deniers publics et de ne pas augmenter le fardeau
des impôts.
Maintenant je dois
m’élever contre une disposition que je ne m’attendais pas, je l’avoue, à
trouver dans le projet. Quoi ! l’on veut appliquer aussi aux élèves de l’école
militaire les peines des lois de juin 1836, qui nous semblaient imaginées
uniquement pour atteindre de vieux militaires, de vieux pêcheurs incorrigibles
! Quoi ! l’élève sous-lieutenant sera renvoyé de l’école pour faits graves non
prévus par les lois et conséquemment non punis par les lois ! Il sera renvoyé
pour manifestation publique d’une opinion hostile à la monarchie
constitutionnelle, sans qu’on sache comment une opinion est hostile à la
monarchie constitutionnelle ! Il sera renvoyé pour offense à la personne du
Roi, sans qu’on nous dise comment on peut offenser la personne du Roi, et sans
que le Roi, peut-être, se croie offensé ; et le sous-lieutenant perdra son
grade et son avenir pour une imprudence, pour des paroles inconsidérées,
pardonnables à la jeunesse irréfléchie et auxquelles les hommes sensés ne font
aucune attention ! Mais à quoi bon supposer ces manifestations publiques et ces
offenses qui auront rarement lieu de la part de jeunes gens élevés dans une
école de l’Etat et souvent aux frais de l’Etat ? N’est-ce pas faire injure aux
professeurs de l’école ? N’est-ce pas les supposer capables, eux que le Roi
doit choisir, d’inculquer à leurs élèves des principes pernicieux ? Croyez-moi,
messieurs, il est des circonstances que la prudence du législateur ne doit
jamais prévoir ; croyez-moi ; effacez de la loi son article 17 comme inutile et
impolitique.
En vérité, plus
j’examine le projet, plus j’y remarque d’un côté l’absence des idées libérales
dont toutes vos lois devraient être imprégnées pour s’accorder avec la nature
d’un gouvernement constitutionnel, représentatif, basé, comme le nôtre, sur la
souveraineté du peuple ; plus, d’un autre côté, je crois y voir le dessein de
façonner à l’obéissance passive la génération qui s’élève, comme si elle était
destinée à vivre un jour sous le régime du bon plaisir. Soyons plus
conséquents, messieurs : n’étouffons pas dans les jeunes gens, espoir de la
patrie, le sentiment de la dignité de leur être, le germe de toutes les vertus
; ne faisons pas de pures machines ; souffrons qu’ils raisonnent et comprennent
qu’avant tout ils se doivent à leur pays. N’oublions pas que si la discipline
est nécessaire dans les armées, il ne faut pas cependant y introduire une
obéissance passive tellement aveugle, que la force publique payée par les
citoyens pour défendre la liberté et les lois puisse un jour être tournée
contre les lois et contre la liberté. Ne désavouons jamais les principes qui
ont légitimé votre insurrection de 1830 et l’expulsion des Hollandais.
Telles sont,
messieurs, les observations que j’avais à vous soumettre sur le travail de la
section centrale, et dont la plupart s’appliquent au projet ministériel, même
avec ses amendements. Elles peuvent se résumer en peu de mots : il faut une
école militaire ; mais les dispositions dont l’objet est de l’organiser sont
incomplètes et peu en harmonie avec la nature de votre gouvernement ; je ne
puis donc les adopter, à moins qu’elles ne soient considérablement améliorées
par les additions et les corrections que vous suggérera votre sagesse.
Encore une réflexion,
et je finis. Vous avez érigé deux universités, bien qu’il suffisait d’une
seule, ainsi qu’on vous l’a prouvé dans le temps. Vous allez peut-être
sanctionner aujourd’hui l’existence d’une école militaire. Mais, il faut en
convenir, ces grands établissements fort dispendieux ne sont pas également
utiles ; car, après tout, les masses ne peuvent y avoir accès. Il est temps de
vous occuper d’elles. Créez donc maintenant, aux frais de la nation, des écoles
primaires où elles seront admises ; mais ne les créez pas sur les bases
étroites posées par les projets du gouvernement car, dans un pays où l’on veut
être libre, il ne suffit pas au peuple de savoir lire, écrire et chiffrer ; il
faut qu’il connaisse aussi les éléments des sciences naturelles, afin de perdre
les sots préjugés dont sa raison est offusquée depuis tant de siècles. Il doit
également comprendre la liberté et ses avantages et les devoirs de l’homme
social, dont jusqu’ici il n’a pas eu la moindre nation. Commencez par une école
modèle au chef-lieu de chaque canton. Cette institution, bien autrement
importante et plus salutaire que toutes les universités
et toutes les écoles militaires possibles, vous vaudra, n’en doutez pas, les
bénédictions de la postérité ; elle hâtera les progrès de la civilisation et
l’amélioration des mœurs ; elle contribuera singulièrement à la bonté des
élections populaires, cette puissante garantie contre les empiétements du
pouvoir et les abus de toute espèce ; car les citoyens, désormais plus éclairés
sur leurs véritables intérêts, sentiront la nécessité de donner leurs suffrages
aux plus dignes, et l’on ne verra plus des milliers d’électeurs ignorants à la
merci de la cabale et de l’intrigue.
M. Verhaegen. - Messieurs, le
projet de la section centrale soumis à vos délibérations forme un tout dont les
parties sont combinées et coordonnées de manière à remplir toutes les
conditions de l’établissement dont il s’agit.
L’école militaire
belge, d’après le projet, réunirait les cours de l’école polytechnique de
Paris, ceux de l’école d’application de Metz et de presque toutes les autres écoles
spéciales de France, réunion facile en Belgique, mais impossible chez nos
voisins à cause du nombre beaucoup trop considérable d’élèves que fournirait
une population de 32 millions d’habitants.
C’est néanmoins un
avantage inappréciable qu’on aurait tort de négliger ; l’unité, la conformité
des doctrines et des méthodes est ce qu’il y a de plus utile pour le progrès
des études ; toutes les sciences se tiennent, tous les services publics ont des
rapports entre eux ; le génie civil et le génie militaire, les travaux
industriels, les mines, les manufactures se touchent par une infinité de
points, et il importe que ce soit, comme dans le plan proposé, les mêmes
professeurs ou à peu près qui soient chargés des leçons préparatoires et des
cours d’application, de la théorie et de la pratique.
MM. Bommart et
Timmermans de l’université de Gand, dans la brochure qu’ils ont publiée,
considèrent comme préjudiciable à l’avancement des sciences la dissémination du
haut enseignement. Ce n’est certes pas là une vérité incontestable, et M.
l’ingénieur Dubois, dans une réponse méthodique, imprimée en regard des
objections, a complétement renversé ce système ; mais si toutefois il en est
ainsi, pourquoi veulent-ils disséminer les diverses branches de l’enseignement
de l’école militaire ? Pourquoi réclament-ils une école préparatoire à Gand
pour le génie civil et une autre à Liége pour les mines ? C’est multiplier sans
raison les rouages et les dépenses ; les universités de l’Etat sont des écoles
spéciales pour le droit et la médecine avec des facultés préparatoires. La
pratique y est jointe aussi à la théorie. Elles n’ont pas et ne doivent pas
avoir d’autre but ; en cela elles ont assez à faire, et le résultat des examens
de leurs élèves surtout pour le grade de candidat en sciences prouve
surabondamment qu’elles ne sont pas au-dessus de leur destination.
Pourquoi vouloir
attacher le sort de quelques-unes des parties constitutives de l’enseignement
de l’école militaire à l’existence des universités de l’Etat ? Est-il
certain qu’elles prospéreront toutes ? Est-il certain qu’elles seront
maintenues ? N’a-t-on pas fait pressentir, dans les considérants de la loi
organique qui les concerne, qu’elles n’étaient que provisoires, et que les
universités libres pourraient suffire un jour ? Or, par universités libres,
qu’entendait-on alors ? On le devine aisément, et il serait assez singulier que
si, contre notre attente, toutes les universités, dans un délai plus ou moins
long, venaient à se fondre en une seule comme du temps de Marie-Thérèse, on lui
laissât accaparer de plus, par droit de succession, les écoles spéciales du
génie et des mines.
Les universités de
l’Etat ne servent ici que de prétexte, et dans l’opinion de ceux qui combattent
le projet de la section centrale, leur intérêt n’est que secondaire pour ne pas
dire nul ; serait-ce les universités libres qu’on aurait en vue ?
Celle de Bruxelles,
dont je me glorifie d’être l’un des fondateurs, ne fera jamais valoir de
semblables prétentions ; ses principes sont ceux de la constitution. Quant à
elle, elle ne craint pas la concurrence, elle la désire au contraire, elle la
provoque au sein même de la capitale ; en admettant la liberté de l’instruction
sans réserve, elle a fait voir depuis longtemps que le seul étendard qu’elle
déplore est celui de la science, et que ses succès sont basés sur les résultats
des examens.
Il y a, d’ailleurs,
une grande différence entre l’établissement des universités et celui de l’école
militaire : les élèves des universités n’en sortent que pour des professions
particulières et indépendantes du gouvernement ; ceux de l’école militaire sont
destinés à l’administration et lui appartiennent déjà par le fait seul de leur
admission dans les sections d’application. Ils sont payés, aux frais de l’Etat,
ils ont le grade de sergent d’artillerie, ils sont militaires, et le
gouvernement, responsable de ses actes, doit avoir sur eux une inspection plus
immédiate comme sur ses employés, et en quelque sorte sur ses instruments
futurs.
Nous avons à répondre
à deux objections principales présentées par les adversaires du projet.
L’admission des
élèves aux écoles d’application constitue, disent-ils, un monopole, un
privilège en opposition à l’article 17 de la constitution, qui proclame la
liberté de l’enseignement. Ils vont même jusqu’à prétendre que le seul
établissement d’une école militaire constitue une dérogation à ce principe de
liberté.
Ensuite, une école
militaire ne peut, d’après eux, former en même temps des hommes capables de
diriger des travaux industriels. L’industrie n’a rien de commun avec l’art
militaire.
Quant à la première
de ces objections, nous vous communiquerons franchement nos doutes sur la
question de savoir jusqu’à quel point il résulterait de l’article 17 de la
constitution que les jeunes gens, quelque part qu’ils aient reçu leur
instruction, aient le droit de se présenter aux examens pour l’admission aux
écoles spéciales ; en poussant ce principe jusqu’à ces dernières conséquences,
ils pourraient aussi, sans passer par les écoles spéciales, prétendre à être
admis dans un service public quelconque ; ils iraient même jusqu’à refuser au
chef de l’Etat le droit de nommer les officiers de l’armée, droit que lui
accorde l’article 66 du pacte constitutionnel. En marchant d’une prétention à
une autre, on arrive à l’absurde.
S’il pouvait rester
quelque doute sur ce point, nous ferions observer que la liberté de
l’enseignement se résume dans l’établissement d’un jury impartial auquel les
élèves de toutes les classes, de toutes les opinions, n’importe où ils aient puisé
leur instruction, puissent faire valoir leurs droits à l’obtention d’un diplôme
ou d’une faveur quelconque : c’est l’établissement d’un pareil jury dont nous
abandonnerions volontiers, en ce qui nous concerne, la composition au ministère
responsable de ses actes, que nous réclamerons dans l’occurrence, par un
mandement formel, dans l’intérêt des universités de l’Etat, des universités
libres, et de tous les établissements particuliers ; les élèves de l’école
militaire, j’en ai la conviction intime, ne craindront jamais la concurrence ;
les progrès éminents de leurs études doivent leur assurer de brillants succès.
L’article 17 de la
constitution, en proclamant la liberté de l’enseignement, n’a pas mis le
gouvernement hors le droit commun ; l’instruction publique, dit le paragraphe 5
de cet article, donnée aux frais de l’Etat, peut être réglementée par une loi ;
le projet est destiné à atteindre ce but quant à l’école militaire.
Avec l’amendement que
je viens avoir l’honneur de vous annoncer, et que je remettrai sur le bureau
lors de la discussion des articles, on ne pourra plus reprocher au gouvernement
de vouloir s’arroger le monopole de la formation des officiers, en ouvrant une
large concurrence, en admettant aux deux dernières années d’étude de l’école
militaire les jeunes gens qui, instruits dans les universités ou ailleurs,
feraient preuve des connaissances exigées des élèves des deux premières années
pour passer aux dernières, les motifs allégués par les adversaires du projet de
la section centrale disparaissent complétement, et leurs craintes deviennent
chimériques.
Mais, en parlant de
ces principes, en établissant cette concurrence très utile, en ouvrant à tous
les jeunes gens la porte de l’école d’application, le gouvernement ne doit pas
négliger, au moins pendant quelque temps, de former, dans un établissement
central dont il conservera la direction, des élèves pour cette école. En effet,
il lui importe de ne pas manquer de bons officiers surtout dans les armes
spéciales ; ce n’est qu’en prenant les jeunes gens de bonne heure, en les
faisant travailler constamment, qu’il peut avoir les garanties convenables. De
là, la nécessité de deux premières années d’étude qui précèdent les deux années
d’application. Il en est de ces deux premières années d’étude, quant à l’école
militaire, comme il en est dans les universités, des facultés de philosophie et
lettres, et des sciences envisagées comme préparatoires, relativement aux
facultés de droit et de médecine.
Les deux premières
années d’étude à l’école militaire comprennent une infinité de matières
étrangères à l’enseignement des universités, et même aux sections spéciales qui
ont été récemment établies à Gand et à Liége.
Pour suivre avec
succès les études et les travaux de l’école d’application, il fait avoir une
grande habilité dans le dessin graphique, et nulle part cette habilité ne peut
être acquise à un si haut degré qu’à l’école militaire pendant les deux
premières années d’étude, par la raison qu’un très grand nombre d’heures sont
consacrées, par les élèves, à ce travail, sous les yeux des maîtres, et que les
précautions les plus minutieuses sont prises pour qu’aucun d’entre eux ne
puisse faire accepter un dessin qu’il n’aurait pas fait ou qui ne serait pas
exécuté convenablement.
En examinant
l’immense quantité de travaux graphiques que font les élèves pendant les deux
premières années, travaux qui correspondent à divers cours, il est facile de
reconnaître que la parfaire exécution de ces travaux exige une surveillance qui
ne peut être exercée que dans un établissement spécial, et il serait à désirer
que chacun de vous, messieurs, eût pu se convaincre comme je l’ai fait, par une
visite à l’école, de tout ce qui fait l’objet de l’enseignement et des progrès
qui en sont la suite. Il en est encore temps ; pour prononcer en pleine
connaissance de cause, il serait utile, peut-être, de vous faire représenter
les nombreux travaux graphiques qui reposent dans les archives de
l’établissement.
La nécessité des deux
premières années d’étude, à l’école, me paraît démontrée.
Mais en supposant que
d’heureuses modifications, apportées au régime des universités, et la libre
concurrence pour l’admission à l’école d’application, produisent des résultats
tels que, plus tard, on trouve à ces sources un nombre suffisant de sujets pour
alimenter cette école et la mettre en état de suffire aux besoins de l’armée,
le gouvernement pourrait alors, sans difficulté, supprimer les deux premières
années d’étude à l’école et réduire cette école à la spécialité de deux années
d’application ; mais tant qu’il ne sera pas prouvé par des faits, et notamment
par des succès dans les examens des sciences autres que ceux obtenus jusqu’à ce
jour, que les universités et les établissements particuliers peuvent fournir un
nombre suffisant de jeunes gens capables de suivre convenablement les cours
d’application, il y aurait grande imprudence à supprimer la portion de l’école
actuelle, qui fournit les sujets dont on a besoin.
Le gouvernement a
donc le droit de faire ce que vous propose la section centrale, et le pays y a
intérêt ; vous voyez, messieurs, que dans l’occurrence nous allons même plus
loin que les ministres, qui sont chargés de faire valoir les droits du chef de
l’Etat. Si dans certaines circonstances nous sommes forcés à combattre les prétentions
du ministère, à faire rentrer le gouvernement dans les vraies limites de son
pouvoir, nous nous empresserons d’autre part à soutenir tout ce que nous
croirons juste et utile au pays, n’importe d’où vient l’initiative.
Nous voulons donc que
tous les jeunes gens auxquels un jury impartial reconnaîtra des capacités
puissent être admis indistinctement aux écoles d’application, et en ce point
nous admettons les exigences des adversaires du projet ; mais une fois leur
admission proclamée, leurs capacités reconnues, rien ne s’oppose à ce qu’on les
envisage de préférence à d’autres comme candidats à certaines fonctions : la
constitution a reconnu au chef de l’Etat le droit de nommer les officiers de
l’armée, et certes, en lui accordant la fin, elle n’a pas voulu lui refuser les
moyens.
Le second argument
que présentent les adversaires du projet consiste à dire qu’une école militaire
ne peut en même temps former des hommes capables de diriger des travaux
industriels. Ce second argument se réfute aussi facilement que le premier : il
suffit à cet effet de faire remarquer que l’état militaire est de toutes les
industries celle dont les peuples anciens et modernes se sont le plus occupés,
et pour laquelle les travailleurs ont toujours été formés par une instruction complète
et bien coordonnée, tendant directement au but que l’on voulait atteindre.
Cette instruction, destinée aux hommes chargés des travaux de la guerre, et
perfectionnée par la succession des temps, est donc éminemment propre à former
des hommes pour les travaux de la paix de manière à leur faire atteindre avec
ordre et promptitude à la perfection de ces travaux.
En effet, les
ouvriers de nos usines et de nos fabriques, comme les soldats de l’armée,
doivent être bien exercés au maniement des outils qu’ils emploient ; ils
doivent en connaître toutes les parties, savoir les démonter, les nettoyer et
les remonter, ensuite savoir faire tous les travaux dans un temps donné et avec
précision. Le chef d’atelier, comme l’officier doit avoir, outre l’instruction
de l’ouvrier ou du soldat, des connaissances plus étendues et beaucoup
d’intelligence, afin de savoir diriger et commander le travail à propos, et de
le faire exécuter avec perfection. Le manufacturier comme le colonel doit
songer à tous les besoins des ouvriers et des chefs d’atelier, ou des soldats
et officiers, régler la comptabilité générale, s’assurer des
approvisionnements, tirer profit des produits, maintenir l’ordre dans les
travaux, et les diriger avec ensemble vers le but le plus utile. Enfin, le commerçant
comme le général ne saurait joindre une connaissance trop étendue de la théorie
aux plus minutieux détails de la pratique, ainsi que l’étude approfondie des
localités des diverses contrées du globe, des mœurs, des habitudes et des
moyens d’existence de leurs habitants.
On voit que nos
succès en industrie et en commerce dépendent, comme dans l’art de la guerre, de
la dextérité, de l’habitude et de l’instruction des individus chargés de
soutenir la lutte de l’industrie et du commerce national contre l’industrie et
le commerce étranger.
Et quels sont les
hommes chargés aujourd’hui de la direction de nos hauts fourneaux et de nos
grandes manufactures ? Ce sont, pour la plupart, d’anciens élèves de l’école
polytechnique, sortis des armes spéciales de l’artillerie et du génie. Ed les
faits parlent et sont irrécusables ; notre école militaire est donc plus à même
que tout autre établissement d’instruction de fournir, dans le plus court délai
possible, des sujets pour la direction des travaux industriels.
L’école militaire
peut atteindre ce but sans occasionner pour ainsi dire de nouvelles dépenses à
l’Etat : car tout le monde est d’accord sur ce point que l’ingénieur militaire
est en même temps ingénieur civil. Quant aux officiers chargés de la direction
des fonderies, des manufactures d’armes, des travaux d’un arsenal, de
constructions : ces hommes-là sont évidemment propres à diriger des travaux
industriels dans tous les genres, et, comme nos officiers d’artillerie, sont en
outre chargés de faire transporter et manœuvrer ces anciennes machines à feu si
redoutables, dans le piston en sortant du cylindre sous la forme de boulet, va
porter au loin la destruction et la mort. Nul doute que nos artilleurs seraient
bien plus capables que d’autres hommes de faire manœuvrer des remorqueurs, ces
nouvelles machines à feu où le piston soumis à l’action de la chaleur et retenu
dans le cylindre a été dompté et dirigé par l’homme, de manière à employer sa
force au transport d’une suite de wagons parcourant nos chemins de fer avec une
rapidité merveilleuse.
L’école militaire
peut donc rendre un double service au pays sans occasionner de nouvelles
dépenses à l’Etat : d’abord, en offrant à l’armée les officiers pour les armes
spéciales du génie, de l’artillerie et de l’état-major ; en un mot, en
permettant de prendre en Belgique des officiers que naguère, et dans des temps
de désastre, on devait aller chercher en France ; ensuite, en formant des
hommes capables de diriger avec succès des travaux industriels, de manière à
assurer la prospérité de la Belgique ; et si le gouvernement s’est alarmé, à
tort d’après nous, des nombreuses associations qu’il a vues surgir dans le
pays, n’y a-t-il pas lieu au moins d’espérer qu’il s’empressera de seconder
l’impulsion donnée par l’opinion publique pour développer l’instruction
industrielle ? On pourra s’abstenir alors d’aller chercher en Angleterre des
ingénieurs, des mécaniciens qui, en maintes circonstances, ont éveillé la
susceptibilité nationale.
Il nous reste à
donner quelques détails sur l’organisation de l’école actuelle : l’instruction
est donnée pendant 4 ans.
L’enseignement
pendant les deux premières années correspond pour tous les cours, les travaux
et les exercices, à celui de l’école polytechnique, à l’exception du cours de
mécanique dont le programme à l’école belge n’est pas aussi étendu qu’à l’école
de Paris ; cela tient à ce que les élèves, en entrant à l’école de Bruxelles,
sont moins avancés que ceux qui entrent à l’école polytechnique, mais cette
lacune est comblée dans le courant de la troisième et quatrième année ;
d’ailleurs, elle disparaîtrait en étendant convenablement chaque année le
programme d’admission.
Les deux années
suivantes sont employées aux études théoriques et pratiques d’application :
mécanique industrielle, construction, chimie appliquée aux arts, art militaire,
etc. : c’est là l’école de Metz complète : et comme à cette célèbre école
l’instruction est poussée au plus haut degré, que le plus grand nombre de cours
qui y sont faits sont donnés aussi sans plus d’extension aux écoles des ponts
et chaussées et des mines, il en résulte que les élèves de l’école militaire
belge fourniraient des ingénieurs civils, si on ajoutait à l’enseignement de
l’école d’application seulement deux cours relatifs aux spécialités du génie
civil, ce qui augmenterait la dépense tout au plus de 5,000 fr.
Comme nous l’avons
dit, on n’agit pas ainsi en France, parce que le nombre de sujets qu’exigent
les services publics est assez considérable pour rendre trop nombreuse l’école
qui alimenterait tous les services. Lorsqu’on sépara en France les écoles, on
déplora la nécessité absolue qui faisait perdre, dit-on, cette unité de
doctrines d’une si heureuse influence sur tous les services publics qui ont des
rapports entre eux dans de nombreuses circonstances. Cette conformité de vues,
puisée à une même école, simplifiait beaucoup ces rapports. Les adversaires du
projet de réunion en Belgique de l’école des ingénieurs civils et militaires
feignent d’ignorer tout cela, mais ce n’en est pas moins une vérité ; et
lorsque M. Arago visita l’école belge, il ne manqua pas d’exprimer qu’il était
fort heureux que la Belgique, par sa petite étendue, permît de concentrer, en
une seule école, des études qu’en France on est obligé de séparer ; il ne manqua
pas non plus de donner à l’école belge les éloges qu’elle a si justement
mérités.
« Je ne demande pas mieux (disait M. Arago dans
une lettre qu’il adressa à M. Quetelet, sous la date du 8 novembre 1837) que
d’être appelé à dire publiquement non opinion sur votre école militaire : elle
m’a paru excellente : les résultats surtout en géométrie descriptive m’ont
véritablement étonné. L’école dirigée par M. le colonel peut hardiment prendre
dès aujourd’hui le titre d’école polytechnique belge. Elle rendra incontestablement
à votre pays d’immenses services. »
Cette occasion si
belle de créer en Belgique une école polytechnique à l’instar de celle de
France, qui jouit d’une si haute réputation dans toutes les parties du globe,
vous ne la laisserez pas échapper ; vous ferez abnégation, dans cette
discussion, de tout esprit de parti, de tout intérêt de localité, et vous ne
verrez dans le projet de la section centrale, amendé comme je le propose, qu’un
hommage rendu à la science et aux besoins du siècle.
(Moniteur belge n°326, du 22 novembre 1837) M. Dechamps. - Messieurs, ne partageant
pas l’opinion de l’honorable préopinant, je commencerai par féliciter le
gouvernement de ne pas avoir adhéré à la proposition faite par la section
centrale d’adjoindre à l’école militaire une division pour le génie civil et
pour les mines. J’espère que ce refus d’adhésion ne sera pas purement nominal
comme on pourrait légitimement le craindre à la lecture de l’article 2 du
projet nouveau, qui a été présenté récemment par le ministre.
En effet, messieurs,
en comparant l’énumération des matières qui doivent être enseignées d’après le
projet nouveau du ministère, et l’énumération des matières qui doivent être
enseignées d’après le projet de la section centrale, vous vous apercevrez que
cette énumération est à peu près la même dans les deux projets ; et cependant
les deux projets reposent sur des principes différents et opposés, et nous
aurions dû nous attendre qu’ils auraient donné des résultats moins identiques.
Le gouvernement a
consenti, ii est vrai, à supprimer dans le projet de loi le nom d’enseignement
polytechnique, mais il y a laissé à peu près la chose. Je compte que, mieux
éclairé par la discussion, il réalisera son intention d’une manière plus
complète : il est, en effet, impossible que le gouvernement puisse admettre le
système présenté par la section centrale ; n’est-ce pas lui qui dans cette
enceinte a soutenu la loi organique de l’enseignement supérieur qui consacre un
système tout opposé ? N’est-ce pas le ministre de l’intérieur qui, par des
arrêtés récents, a organisé l’enseignement polytechnique dans les écoles de
Liége et de Gand ? Le ministre de la justice n’a-t-il pas contribué à faire
rejeter par le sénat un amendement de M. Thorn, dont la proposition de la
section centrale n’est qu’une reproduction ? Pour croire que le gouvernement
adhérât au projet de la section centrale, on aurait dû supposer qu’il pût
soutenir le pour et le contre en si peu d’intervalle et dans une matière aussi
grave ; on aurait dû supposer qu’il pût aider la section centrale à détruire ce
qu’il a lui-même élevé, ce qu’on pourrait considérer comme son propre ouvrage.
La chambre, je l’espère, suivra l’exemple que lui donne le gouvernement ; elle
saura maintenir aussi sa première décision ; elle se rappellera l’accueil qu’on
a fait à la demande de l’honorable M. Vandenbossche qui, lui aussi, proposait
la création d’une école polytechnique isolée. Mais puisque la section centrale
n’a pas renoncé à son projet, puisque ce projet est soutenu par des membres de
la chambre, vous me permettrez, quoique je ne croie pas qu’il ait beaucoup de
chances de succès, de le combattre.
Comme rapporteur de
la section centrale qui a examiné la loi organique de l’enseignement supérieur
donné aux frais de l’Etat, vous ne serez pas étonnés que je fasse tous mes
efforts pour que la chambre ne revienne pas sur sa première décision pour
m’opposer à la spoliation qu’on voudrait faire en faveur de l’école militaire
d’une branche d’instruction qui n’entre pas dans le cadre de sa spécialité, et
qui doit demeurer dans le domaine de l’enseignement universitaire.
A la lecture
attentive du rapport, d’ailleurs si bien fait, de l’honorable M. de Puydt, une
chose sans doute vous aura frappés comme moi, c’est la différence énorme qu’il
y a entre ce projet et le système d’enseignement militaire adopté chez les
grandes nations européennes, pour lesquelles l’instruction militaire est chose
plus importante encore que pour nous.
En France il y a
presque autant d’écoles d’application qu’il y a d’armes différentes. Les études
spéciales pour le génie et l’artillerie se font à Metz ; l’école de St-Cyr
fournit à l’armée les officiers d’infanterie ; l’école de Saumur et celle de
St-Germain ont chacune une destination particulière. Vous pouvez vous
convaincre encore, messieurs, à la lecture du rapport de M. de Puydt, que ce
système de diviser les études d’applications en écoles distinctes a été adopté
chez la plupart des nations voisines et particulièrement en Prusse.
En Prusse on a placé
dans chaque division de l’armée des écoles régimentaires où se forment les
officiers de cavalerie et d’infanterie ; une école pour les armes savantes est
établie à Berlin ; il y a en outre une école militaire près de chaque brigade
de l’armée.
En Autriche, où
l’instruction militaire est regardée comme très forte, le même système de
décentralisation a été suivi. Ici, messieurs, on refuse de suivre ces autorités
qui devraient cependant avoir quelque poids pour nous.
Le gouvernement et la
section centrale, qui sont ici d’accord, proposent de concentrer dans cette
seule école l’enseignement d’application qui se donne séparément en France,
dans les diverses écoles spéciales de Metz, de Saumur, de St-Germain et de
St-Cyr. Cette concentration peut être utile, messieurs, et pour ma part je vous
avoue ici ma complète incompétence ; je me propose d’écouter avec beaucoup
d’attention les arguments que pourront nous présenter à cet égard M. le
ministre de la guerre et l’honorable rapporteur de la section centrale ; mais
vous avouerez, messieurs, qu’en face de l’exemple qui nous est donné par les
grandes nations militaires, il doit paraître déjà fort hardi de réunir ici des
écoles d’application qui presque partout ont été séparées.
Mais ce n’est là,
messieurs, que le premier degré du système de centralisation qu’on nous propose
d’admettre : outre la réunion des diverses écoles d’application dans une seule
école militaire, on nous propose d’établir dans cette école des cours généraux,
c’est-à-dire les cours préparatoires qui se donnent en France à l’école
polytechnique, qui se donnent ici dans les facultés de science de nos
universités. On nous propose non seulement de réunir les écoles d’application,
mais encore de faire de l’école militaire une grande école théorique et
pratique pour toutes les armes à la fois. Vous voyez, messieurs, que nous
sommes en progrès.
Mais la section
centrale ne s’est pas contentée de cette centralisation déjà inouïe : elle nous
propose encore d’adjoindre à cette vaste école, à la fois théorique et
pratique, une division pour l’enseignement industriel, le génie civil et les
mines. Sous l’écriteau modeste d’école militaire, la section centrale voudrait
donc établir une espèce d’université pour tous les services publics. Cette
proposition, messieurs, doit paraître d’autant plus étonnante que le système
d’enseignement polytechnique, précédemment adopté, n’a rencontré dans cette
enceinte aucune objection sérieuse, et qu’en effet ce système est le plus
rationnel, le plus vaste, le plus approprié au pays, que l’on puisse établir.
L’existence des deux
universités une fois admise, les ressources locales et si importantes que
présentaient Liége pour les mines et Gand pour l’architecture civile et les
ponts et chaussées, devaient naturellement nous porter à partager ces diverses
branches entre les deux universités. Outre l’économie évidente qui en
résultait, on y avait tout à gagner sous le rapport de la science. Vous
concevez, en effet, messieurs, qu’aucune école centrale n’aurait pu, sous le
rapport des études d’application, offrir les avantages immenses attachés aux
diverses localités dont je viens de parler. Vous concevez fort bien, par
exemple, qu’il sera toujours impossible d’établir à Bruxelles une école des
mines. On a ri, messieurs, lorsque l’honorable M. Vandenbossche a proposé
d’établir une école polytechnique centrale à Nivelles ; je ne conçois pas
comment on ne fait pas le même accueil à la proposition éventuelle d’établir
une école des mines à Bruxelles ; car, à moins qu’on ne fasse voyager les élèves
de cette école par le chemin de fer, pour lui faire visiter les mines de Mons
ou de Liége, ils ne pourront jamais faire de véritables cours d’application.
Ainsi donc, sous le
rapport des études d’application, il est de la dernière évidence que jamais une
école centrale ne pourra réunir les avantages locaux que présentent Liége pour
les mines et Gand pour le génie civil. Sous ce point de vue théorique,
messieurs, les facultés des sciences, telles qu’elles sont organisées dans les
universités de l’Etat, seront toujours supérieures à l’enseignement théorique
d’une école spéciale, aussi bien sous le rapport du personnel des professeurs
que sous celui des matières enseignées. Ainsi, messieurs, pour me résumer, sous
le rapport de l’enseignement théorique comme sous le rapport des études
d’application, le système que vous avez précédemment adopté est bien supérieur
à celui qu’on nous propose actuellement d’y substituer.
Ce système est bien
supérieur encore sous un autre rapport, et je désire, messieurs, fixer
particulièrement votre attention sur ce point.
En rattachant les
cours, appliqués aux arts et aux travaux publics, aux universités de l’Etat,
vous avez rendu ces cours publics, et par là ils sont devenus accessibles à
tous les jeunes gens qui parcourent une carrière industrielle quelconque. Je
vous prie de remarquer, messieurs, que c’est là une innovation heureuse, et que
peuvent, à bon droit, nous envier les grandes nations qui nous entourent. En
France, en Allemagne, en Angleterre, ces cours appliqués ne se donnent pas
publiquement ; cet enseignement n’a lieu que dans des écoles spéciales
destinées chacune à une carrière différente ; de sorte que cet enseignement est
réservé à une certaine classe d’adeptes, à ceux qui se destinent à l’une ou à
l’autre de ces professions particulières. C’est comme un sanctuaire fermé aux
profanes, et ces profanes, messieurs, ce sont tous ces jeunes gens engagés déjà
dans une carrière industrielle, et à qui il ne manque, pour devenir habiles,
que des connaissances générales qu’ils n’ont pu acquérir.
En Belgique nous
avons rendu ces cours publics ; leur accès est devenu facile pour tous, et nous
avons rendu par là un service signalé à la science et à l’industrie. Et c’est
justement tout ce que l’on vous propose de détruire ; c’est ce progrès qu’on
veut que vous effaciez pour revenir à la méthode routinière de nos voisins, à
un enseignement tout à fait rétrograde ! Certainement, messieurs vous avez trop
de jugement pour y consentir, et la chambre ne reviendra pas sans aucuns motifs
sur une décision solennelle qu’elle a prise il y a 18 mois ; elle ne chantera
pas ainsi une inconvenante palinodie pour le seul plaisir de se contredire.
Je passe maintenant à
une autre observation. Vous vous souvenez peut-être, messieurs, que, lorsqu’il
s’est agi d’adjoindre l’enseignement polytechnique aux universités de l’Etat,
on avait fait une objection à ce système, tirée de la différence d’habitudes et
de mœurs qui résultait du but opposé de ces diverses carrières. En répondant à
cette objection, j’avais fait remarquer que les cours spéciaux pour le génie
militaire et les différentes armes faisaient partie de l’école militaire, et
qu’ainsi l’objection n’avait aucun fondement. Eh bien, messieurs, on vous
propose aujourd’hui de réaliser l’inconvénient que l’on craignait alors, mais
en sens inverse, et, je vous le demande, est-il bien convenable, sous le
rapport des habitudes et de l’éducation, de soumettre au même régime et au même
enseignement les élèves qui se destinent à une carrière civile ou industrielle,
et les élèves qui se destinent à la profession des armes ?
Voici un autre
inconvénient de cette confusion dans l’enseignement : Joindre les études, pour
le génie civil, pour les arts et manufactures, et les mines, à l’enseignement
militaire, c’est amené immanquablement ce résultat que l’une des branches
absorbera l’autre ; et, d’après le projet, il est facile de se convaincre que
sera l’enseignement industriel qui est destiné à être sacrifié à l’enseignement
militaire. D’abord je vous ferai observer qu’aux matières déjà enseignées
actuellement dans l’école militaire, il n’est ajouté que deux cours nouveaux
pour faire face aux études pour le génie civil et les mines, et ces cours sont
la métallurgie, les constructions et les communications civiles.
Je n’y vois nulle
part désignés un cours de minéralogie, de géologie, un cours de recherche et
d’exploitation de mines, c’est-à-dire que les branches les plus essentielles à
l’enseignement du génie civil et des mines y sont précisément oubliées.
M. le ministre des
travaux publics a très bien fait de ne pas se sentir bien satisfait de
l’obligation qu’on lui impose de recruter ses ingénieurs parmi des élèves dont
les connaissances seront à ce point faibles et insuffisantes.
Je ne sais,
messieurs, si vous avez fait une sérieuse attention à l’article 3 du projet ;
son examen vous prouvera encore à quelles mesquines proportions on y a réduit
les études pour le génie civil et les mines.
Voici comment cet
article est conçu :
« Les cours
spéciaux dureront deux ans au plus ; on y enseignera les applications dans les
matières des cours généraux qui sont communes aux différentes armes, au génie
civil et aux mines, ainsi que les applications particulières pour l’artillerie,
le génie et l’état-major. »
Ainsi, messieurs,
remarquez-le bien, ce qu’on entend par cours d’application au génie civil et
aux mines, c’est tout bonnement l’enseignement appliqué des matières qui sont
communes aux différentes armes ; de manière, messieurs, qu’un ingénieur civil
ou des mines, en sortant de cette école, ne saura rien autre chose en fait de
travaux civils ou d’exploitation des mines que ce qu’aura dû apprendre un
sous-lieutenant d’artillerie. Les véritables cours particuliers d’application
sont exclusivement réservés pour l’artillerie, le génie et l’état-major.
N’est-ce pas là un véritable simulacre d’enseignement industriel, et vaut-il
bien la peine de vouloir créer une école centralisante pour tout rapetisser
ainsi ?
Que l’on établisse
une école militaire fortement constituée, rien de mieux, et je suis disposé
pour ma part à voter toutes les améliorations qui tendent à fortifier cette
organisation ; que l’on fasse mieux qu’â Metz, qu’à Saumur, qu’à St-Cyr, je le
désire, mais que l’école militaire reste une école d’application, comme ses
aînées ; ce ne sera pas en éparpillant les matières enseignées, qu’on rendra
les études bien fortes.
Plus j’examine le
projet, plus je reste convaincu que le seul but qu’on s’est proposé, c’est
d’élever l’école militaire sur une espèce d’échasses, pour en faire une sorte
d’université, une école pour tous les services à la fois. Messieurs, c’est à
nous de voir si cela nous convient, et surtout si cela convient au pays.
Par tout ce que je
viens de dire, messieurs, vous concevrez que vous devez rejeter l’amendement de
la section centrale à l’art. premier et remanier complétement l’article 3. Mais
l’article 2 me paraît bien plus encore que les deux autres s’opposer au système
général d’enseignement supérieur que nous avons admis.
Quel est le système
d’enseignement supérieur qui résulte de la loi organique que nous avons votée ?
Les études théoriques, les cours généraux, s’appliquant aux diverses
spécialités, se donnent dans les universités, et comme je vous l’ai déjà fait
remarquer, nulle part dans une école centrale quelconque cet enseignement
théorique ne pourra être aussi complet que dans une faculté complète de
sciences.
Ces cours généraux de
théorie étant faits, arrivent les écoles spéciales d’application pour les
services publics, qui sont comme les différentes branches sorties de ce tronc
commun pour suivre chacune leur direction particulière. En France, c’est ce
système qui a été suivi. L’école polytechnique de Paris est une école
théorique. Cet enseignement théorique se donne ici dans les universités. Les
facultés de sciences, voilà notre école polytechnique. Les élèves, en sortant
de l’école polytechnique de Paris, entrent dans les écoles spéciales, les uns à
l’école de Metz, les autres à celles des ponts et chaussées.
C’est ainsi que nous
avons agi à l’égard des écoles pour le génie civil et pour les mines, dont les
cours généraux font partie des cours de la faculté de sciences des deux
universités. Pourquoi, messieurs, suivrions-nous une autre marche à l’égard de
l’école militaire, qui ne doit être non plus qu’une école d’application ?
Pourquoi suivrions-nous une autre marche que celle adoptée pour toutes les
écoles de ce genre ? Pourquoi former ici des cours généraux qui ne seraient que
la répétition des cours donnés beaucoup mieux dans les universités ? Ce serait
créer une troisième faculté de sciences sans retirer aucun avantage
scientifique de cette dépense faite en double emploi.
Voici, messieurs, une
marche bien plus simple et plus rationnelle à choisir : d’abord placez l’école
militaire dans une ville universitaire qui sera en même temps une place de
guerre, comme le voulait primitivement le gouvernement. On suivrait à cet égard
le plan adopté pour les écoles du génie civil et des mines ; on rattacherait
l’école militaire au système général d’enseignement supérieur que nous avons
établi ; les élèves suivraient les cours théoriques dans une université, et
puis viendraient les études d’application.
En second lieu,
établissez dans la loi qu’on n’admettra à l’école militaire que ceux qui ont
obtenu vis-à-vis du jury central d’examen le grade de candidat en sciences
mathématiques et physiques. Vous aurez d’abord un résultat meilleur que celui
qu’on pourrait attendre de la création des cours généraux dont il est parlé à
l’article 2 du projet, puisqu’un candidat en sciences mathématiques et
physiques doit posséder plus de connaissances que celles comprises dans les
cours généraux de l’école militaire ; en second lieu, vous ne devrez pas élever
de nouvelles chaires, et puis vous ne briserez pas l’unité de notre système
d’enseignement supérieur.
Messieurs, je crois
avoir suffisamment prouvé que l’établissement des cours généraux de théorie
dans l’école militaire, qui serait une répétition des facultés des sciences
établies dans les universités du royaume, je crois, dis-je, vous avoir prouvé
suffisamment que cet établissement serait contraire à notre système général
d’enseignement supérieur.
On a fait une autre
objection dans une séance précédente, on vous a dit que l’érection de ces cours
généraux froissait, sinon la lettre, au moins l’esprit de notre constitution :
cette assertion a rencontré des incrédules parmi nous ; mais, en y regardant de
plus près, je pense qu’il est impossible d’en douter.
En effet, des cours
généraux, ou, en d’autres termes, l’enseignement théorique, se donnent dans les
établissements universitaires ; c’est là leur place. Ces études théoriques
servent à une foule de carrières différentes, aussi bien à faire des ingénieurs
civils que des officiers d’artillerie ; et dès lors, elles n’entrent pas
nécessairement dans le cadre d’une école militaire spéciale, dont
l’enseignement obligatoire ne doit commencer que là où commence sa spécialité.
Il en résulte qu’adjoindre ces cours généraux à l’école militaire, et les
rendre obligatoires aux jeunes gens qui se destinent à la carrière militaire,
c’est leur dire clairement : « Quoique ces cours théoriques ne soient pas
du domaine propre à l’école d’application, et que vous puissiez convenablement
les suivre dans un établissement d’instruction supérieure du royaume, cependant
vous ne serez pas admis comme candidats aux places de sous-lieutenants si vous
ne les suivez la seule école militaire. » Ainsi, parce que j’aurais étudié
la physique, la chimie, la géométrie et les mathématiques dans une université,
usant en cela du droit que me confère la constitution, je ne pourrai être admis
à l’école militaire qu’en recommençant ces longues études inutilement. Mais
n’est-ce pas là froisser l’esprit de notre charte fondamentale, qui veut que
chacun puisse aller puiser la science à telle source où il lui convient de la
puiser ?
Il y a donc ici deux
idées inconciliables, c’est que d’un côté la constitution me confère le droit
de suivre les cours académiques où bon me semble, et d’être, sur examen
suffisant, admis ensuite à tous les emplois publics ; et que l’autre part on
m’oblige de suivre une seconde fois à l’école militaire ces cours que j’aurais
suivis ailleurs, selon la faculté que me laisse la constitution et que nulle
loi ne peut m’ôter.
L’honorable M .Verhaegen
a dit qu’on pourrait rendre ces cours facultatifs. A quoi bon donc les créer,
s’ils ne doivent être que facultatifs ? Je n’en vois nullement l’utilité. De
deux choses l’une : si vous rendez les cours obligatoires, vous violez au moins
l’esprit de la constitution ; ou bien si, reculant devant cette objection vous
voulez rendre les cours de théorie facultatifs, alors ils deviennent inutiles,
puisqu’ils sont déjà donnés dans les universités du pays.
Je conçois fort bien
que le gouvernement, qui est responsable de ses agents, ait le droit d’imposer
à ceux qui veulent entrer dans un service public, certaines conditions
particulières d’admission.
Je conçois, par
exemple, qu’il ne choisisse ses candidats sous- lieutenants que parmi les
élèves de l’école militaire, et ses ingénieurs civils et des mines que parmi
les élèves des écoles de Gand et de Liége ; mais ce que je crois parfaitement
illégal, c’est de contraindre les élèves de l’école militaire à faire
exclusivement dans cette école les études toutes préalables qui n’entrent pas
dans le cadre obligé de son enseignement spécial. Autant vaudrait admettre que
les élèves des écoles d’application dussent passer dans ces écoles mêmes par
tous les degrés des connaissances humaines, depuis l’alphabet jusqu’au calcul
intégral. Une fois que vous sortez de la spécialité de l’école d’application,
je ne vois pas à quelle limite vous devrez vous arrêter. Ne nous écartons
jamais de ce principe fondamental : l’enseignement d’une école d’application ne
doit commencer que là où commence sa spécialité.
Je vous ai démontré
que les principes de la loi que vous propose la section centrale sont
contraires au système d’enseignement supérieur que nous avons admis ; je vous
ai démontré que le système d’enseignement civil et industriel qu’on veut faire
admettre, constituerait un enseignement faible, insuffisant, qui serait
sacrifié à l’enseignement militaire. J’ai prouvé que l’article 3 devrait être
remanié. J’espère vous avoir convaincus que l’article 2 était contraire au
système d’enseignement général que vous avez adopté, et à l’esprit de la charte
fondamentale. En ma qualité d’ancien rapporteur de la section centrale qui a
examiné la loi constitutive du haut enseignement, j’ai cru devoir défendre
l’œuvre de la section centrale ; et je compte que la chambre saura maintenir la
sienne, qu’on lui propose aujourd’hui de détruire.
(Moniteur belge n°325, du 21 novembre 1837) La discussion est
renvoyée à demain.
- La séance est levée à 4 1/2 h.
BUDGET DES VOIES ET
MOYENS POUR L’EXERCICE 1838
Nouvelle présentation
des recettes de l’Etat
(Moniteur
belge n°342, du 8 décembre 1837) M. le ministre des
finances (M. d’Huart).
-, Messieurs, ainsi que j’ai déjà eu l’honneur de le faire remarquer dans la
discussion du budget de la dette publique, il est à craindre que l’opinion ne
tende à s’égarer en ce qui concerne la hauteur réelle des impôts qui existent
en Belgique.
Prenant le chiffre total du budget des voies et moyens
pour thème de leurs dissertations sur les finances de l’Etat, plusieurs
journaux ont cru et fait croire à une charge incessante et considérable
d’impôts, tandis que des sommes importantes qui figurent dans ce chiffre et qui
résultent de l’exploitation du chemin de fer et des autres propriétés de
l’Etat, viennent au contraire rendre moins grands les sacrifices qu’auraient dû
faire les contribuables pour assurer la défense et l’administration du pays.
Pour parer à ce grave inconvénient, messieurs, qui
peut altérer notre crédit à l’étranger en donnant une faussé idée de notre
situation financière, j’ai cru utile de rendre palpable le véritable état des
choses, en classant le tableau des voies et moyens par nature de produits, c’est-à-dire,
en impôts, péages, capitaux et revenus, et remboursements.
Par « impôts, » j’entends tout ce qui grève
forcément, directement ou indirectement, le contribuable, sans qu’il reçoive en
compensation aucune prestation immédiate. Ainsi les contributions foncière et
personnelle ; les patentes ; les redevances des mines ; les droits de douanes,
d’accises et de garantie ; ceux de timbre, d’enregistrement, de greffe,
d’hypothèque et de successions, sont à mes yeux des impôts réels. J’ai classé
aussi les amendes dans cette catégorie, bien que, sous certains rapports, elles
doivent être considérées comme étant d’une nature différente.
Par « péages, » je comprends le prix
exigé pour l’usage momentané d’un objet appartenant à l’Etat, ou pour un
service rendu par l’administration.
Les droits d’écluse sur les canaux domaniaux ; ceux de
passage d’eau ; la taxe de barrières, sont ainsi des péages.
Les produits de la poste le sont aussi, parce que le
port de lettres n’est point un impôt gratuit, mais bien le prix d’un service
dont l’Etat s’est réservé le privilège exclusif.
Il n’en est pas de même des produits du chemin de fer.
Ceux-ci représentent le revenu d’une exploitation qui n’est point un monopole.
Chacun est libre d’user ou de ne pas user de cette voie de communication, car
d’autres moyens de transport existent également à côté de ceux-là. C’est donc
purement et simplement le rendage d’une propriété, comme celui des forêts et
des houillères domaniales,
Le chapitre des « capitaux et revenus » se
compose aussi du fermage et des produits des exploitations des propriétés de
l’Etat, et en outre des rentes, intérêts et capitaux qui lui appartiennent à
divers titres.
Quant au chapitre des « remboursements, » il
est formé de toutes les rentrées d’avances qui figurent successivement dans les
budgets des ministères, et qui grossissent fictivement les chiffres des
recettes et des dépenses dans l’intérêt d’une bonne comptabilité et pour
assurer le contrôle de la législature, sans cependant exercer aucune influence
sur la position des contribuables.
Le tableau des recettes ainsi classé pour 1838, et que
le Roi m’a autorisé à substituer à celui joint au projet de loi des voies et
moyens qui vous a été soumis, ne change rien aux chiffres détaillés déjà
examinés par les sections et la section centrale, et ne modifie aucunement
l’essence de ce projet. Toutefois il comprend une majoration du montant des
redevances sur les mines, majoration qui a été admise par la section centrale,
à la suite d’explications entre elle et les ministères des travaux publics et
des finances.
Cette substitution ne peut donc nuire à la clarté de
la discussion, mais elle a pour effet immédiat de démontrer à l’évidence que
sur un budget de 97,055,092 francs, les impôts proprement dits ne sont que de
79,166,092 fr., en sorte que, comptant la population du royaume à raison de
4,200,000 habitants, il n’est payé par tête à l’Etat qu’une cotisation moyenne
de 18 francs 85 cent.
Ce fait parle trop haut en faveur de nos institutions
et de l’administration du pays, et appuie trop efficacement la base de notre
crédit national, pour qu’il n’ait pas été de mon devoir, messieurs, de le faire
ressortir en ce moment avec force et clarté.