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Note d’intention
Chambre des représentants
de Belgique
Séance
du samedi 6 mai 1837
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre
2) Prise en considération de demandes en naturalisation ™ et règlement
de la chambre (de Brouckere, Verdussen,
Heptia, Donny, de Brouckere, Dumortier, de Brouckere, Gendebien, Verdussen, de Brouckere, de Jaegher)
3) Projet de loi relatif à la réciprocité internationale en matière de
succession (Ernst)
4) Motion d’ordre relative à la qualité du compte-rendu des séances
publié au Moniteur (Eloy
de Burdinne, Ernst, Dumortier,
Ernst, Eloy de Burdinne, F. de Mérode)
5) Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget du
département des travaux publics de l’exercice 1837, pour réparations des digues
aux polders. Convention militaire belgo-hollandais des 19 janvier-25 avril
1837, indemnités aux victimes de la révolution (Ullens, de Puydt, Nothomb, Pollénus, Rogier, Willmar, Rogier, Gendebien, de Theux)
(Moniteur belge n°127, du 7 mai
1837 et Moniteur belge n°128, du 8 mai 1837)
(Présidence de M.
Raikem.)
(Moniteur belge n°127, du 7 mai
1837) M. de Renesse fait l’appel
nominal à une heure moins un quart.
M. Kervyn lit le procès-verbal de la
séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. de Renesse présente l’analyse des
pièces adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A
« Des habitants et des membres du conseil de la section de Howinen (commune d’Eeckeren)
demandent le rétablissement de cette section comme commune séparée. »
________________
« Le sieur Vreucop demande la
canalisation de l’Ourthe jusqu’à la frontière française (près de
Virton). »
________________
« Les sieurs Demonceau
frères renouvellent leur demande en abolition du droit de douane de 3 p. c. sur
le lin à la sortie du royaume. »
________________
- Cette dernière pétition restera déposée sur le bureau pendant la
discussion du projet de loi modifiant le tarif des douanes ; les deux autres
sont renvoyées à la commission des pétitions.
RAPPORTS
SUR DES DEMANDES EN NATURALISATION
M. Mast de
Vries, M. Desmanet de Biesme, M. Fallon, et M. Milcamps déposent plusieurs rapports sur des demandes en
naturalisation.
- L’impression en est ordonnée
PIECES
ADRESSEES À
M. de Renesse
donne lecture : 1° de trois lettres de MM. J.-G. Garnier, professeur à
l’université de Gand, Hippolyte Guillery, professeur,
et Paul Cholet, artiste vétérinaire, qui, au lieu de la grande naturalisation
qu’ils avaient précédemment demandée, demandent la naturalisation ordinaire ;
et 2° des rapports sur les demandes en naturalisation ordinaire formées par les
sieurs :
Kuhn (Frédéric-Guillaume), employé à
l’administration des postes.
Crepinet (Pierre), visiteur dans les douanes.
Gondert (Gérard-Arnould), brigadier des douanes.
Georges (François), préposé de troisième
classe dans les douanes.
Bayart (Joseph-Firmin), géomètre du
cadastre.
Bott (Philippe), brigadier des douanes.
Jacquin (Nicolas), sous-lieutenant des douanes.
Wenckstern (Alexandre), employé de première classe dans l’administration
des contributions.
Frings (Jean-Léonard), commis de troisième classe.
Mandersmit (Louis-Théodore), préposé de première classe.
PRISE
EN CONSIDERATION DE DEMANDES EN NATURALISATION
M. Kervyn.
donne lecture des rapports sur les demandes en naturalisation ordinaire formées
par les sieurs :
Frees (Jean-Antoine), employé des douanes.
Collin (Jean), commis de deuxième classe.
Demarbais (Charles-Gustave), sous-lieutenant des douanes.
Hahn (Martin-Henri), commis de première
classe.
Jost (Benoît), commis de première classe.
Schmitz (Jean), sous-lieutenant des douanes.
Vandermeer (Guillaume), commis des contributions de troisième
classe.
Adeline (Auguste-Hyacinthe-Paul),
sous-lieutenant des douanes.
Hilgers (Jean-François-Winand),
brigadier des douanes.
M. le président
donne lecture des dispositions additionnelles au règlement, qui ont été prises
par la chambre, relativement au mode de voter sur la prise en considération des
demandes en naturalisation ordinaire, et nomme ensuite, par la voie du sort,
quatre bureaux de scrutateurs chargés de dépouiller le scrutin relatif aux
demandes en naturalisation qui viennent d’être énumérées.
Il est procède au vote par scrutin de
liste sur la prise en considération de ces demandes ; en voici le résultat :
74 membres ont pris part au vote, mais il
ne s’est trouvé dans l’urne que 73 listes et un billet blanc.
Il y a pour :
M. Garnier, 55 suffrages favorables et 18
votes négatifs.
Guillery, 41 favorables, 32 négatifs.
Cholet, 50 favorables, 23 négatifs
Kuhn, 64 favorables, 9 négatifs
Crepinet, 68 faborables 5 négatifs
Gondert, 65 favorables 8 négatifs
Georges, 64 favorables 9 négatifs
Bayart, 65 favorables 8 négatifs
Bott, 65 favorables 8 négatifs
Jacquin, 37 favorables 36 négatifs
Wenckstern, 65 favorables 8 négatifs
Frings, 65 favorables 8 négatifs
Mandersmit, 66 favorables 7 négatifs
Frees, 65 favorables 8 négatifs
Collin, 65 favorables 8 négatifs
Demarbaix, 65 favorables 8 négatifs
Hahn, 65 favorables 8 négatifs
Jost, 66 favorables 7 négatifs
Schmitz, 65 favorables 8 négatifs
Vandermeer, 65 favorables 8
négatifs
Adeline, 65 favorables 8 négatifs
Hilgers, 65 favorables 8 négatifs
M. le président.
- Le sieur Jacquin n’ayant obtenu que 37 suffrages
favorables, il s’agit de savoir si le membre qui a déposé un billet blanc doit
être compris dans le nombre des votants, et si, en conséquence, la majorité
absolue est de 37 ou de 38.
M.
de Brouckere. - Messieurs, M. le président vient de vous soumettre un
doute que voici : Il y a eu 74 votants, mais parmi les 74 billets il s’en est
trouvé un blanc, qui a été substitué à la liste imprimée ; un des
pétitionnaires a obtenu précisément 37 votes favorables, c’est-à-dire la moitié
du nombre des billets déposés ; par conséquent, si le billet blanc doit être
compté, le pétitionnaire n’a pas eu la majorité absolue, et si le billet blanc
ne doit pas être compté, il aura au contraire obtenu la majorité absolue ;
c’est à la chambre à décider comment le billet blanc doit être considéré ;
quant à moi, je pense qu’il n’y aurait pas d’inconvénient à ce que, sans que la
chose tirât à conséquence pour l’avenir, on regardât la majorité comme acquise
au pétitionnaire qui a obtenu 37 suffrages.
M.
Verdussen. - Messieurs, parmi les dispositions que vous avez adoptées
il y a quelques jours, relativement au mode de voter sur la prise en
considération des demandes en naturalisation, il en est une qui porte que
chaque membre recevra à domicile une liste portant les noms des personnes sur
la demande desquelles il s’agira de voter, qu’il effacera les noms des
pétitionnaires auxquels il veut refuser la naturalisation, qu’il déposera cette
liste dans une urne ; or, messieurs, un billet blanc n’est pas la liste dont il
s’agit, et je pense en conséquence qu’il ne doit pas être compté.
M. Heptia. - Il me semble, messieurs,
qu’il n’y a pas la moindre différence entre celui qui dépose dans l’urne un
papier blanc et celui qui efface de la liste tous les noms qui s’y trouvent ;
or, il a été déposé plusieurs listes où tous les noms étaient effacés, il ne
faudrait donc pas les compter non plus. Du reste, la chambre en décidera comme
elle le jugera convenable ; j’ai cru seulement devoir lui soumettre cette
observation.
M. Donny. -
Je ne puis, messieurs, partager l’avis de l’honorable préopinant : celui qui efface
tous les noms de la liste vote contre tous ceux qui s’y trouvent ; mais celui
qui dépose un billet blanc, ne vote pas du tout ; il n’y a donc pas d’analogie
entre les deux positions.
M.
de Brouckere. - Dans tous les votes de la chambre, lorsqu’une partie
des membres émettent un vote approbatif, d’autres un vote négatif, et que
quelques-uns s’abstiennent, il est certain qu’il faut compter comme votants
ceux qui se sont abstenus, parce que sans cela il pourrait arriver qu’il serait
impossible à la chambre, quoi qu’elle fût en nombre, d’émettre un vote ; je
pense que le bulletin blanc doit être considéré commue une abstention ; mais
comme ce n’est pas maintenant le moment de discuter cette question, j’avais
demandé, pour en finir, que, sans entendre rien préjuger pour l’avenir, on
considérât la majorité comme acquise au pétitionnaire qui a obtenu 37 voix.
M.
Dumortier. - Il me paraît, messieurs, que celui qui veut s’abstenir ne
met rien dans l’urne, et que celui qui dépose un billet quelconque doit être
considéré comme votant ; lorsque la chambre vote par assis et levé, ceux qui ne
se lèvent ni pour ni contre ; lorsque nous votons par appel nominal, celui qui
veut s’abstenir ne répond ni oui ni non ; il me semble donc que tous ceux qui
ont déposé un papier, quel qu’il soit, ont nécessairement pris part au vote, et
que l’observation de M. Heptia est parfaitement juste, qu’il n’y a en réalité
aucune différence entre celui qui a déposé un papier blanc et celui qui a
effacé tous les noms de sa liste. Il y a, du reste, un moyen fort simple de
lever la difficulté dont il s’agit en ce moment, c’est de revenir, la prochaine
fois, sur la demande du pétitionnaire à l’égard duquel il y a doute.
M.
de Brouckere. - Messieurs, lorsque j’ai pris la première fois la
parole, c’était pour éviter la discussion dans laquelle nous sommes entrés ;
déjà plusieurs fois nous avons discuté la question de savoir si celui qui a
déposé un billet blanc doit être, oui ou non, compté parmi les votants : si
nous recommençons cette discussion elle pourra durer longtemps encore, car il y
a beaucoup d’argument à faire valoir pour l’affirmative et pour la négative ;
or, ce dont il s’agit en ce moment est d’une assez faible importance, c’est
tout simplement de savoir si la demande du pétitionnaire dont il est question
est prise, on non, en considération : eh bien, qu’on aille aux voix sans que la
décision qui sera prise puisse tirer à conséquence pour l’avenir ; ce sera le
meilleur moyen de terminer la discussion sans inconvénient.
M. Gendebien.
- Messieurs, pour couper court à cette discussion il me semble qu’il serait convenable
de prendre une décision conforme à l’opinion de M. Verdussen, qui ne considère
comme bulletin valable que la liste imprimée qui nous a été distribuée ; si la
chose devait être résolue d’après les antécédents de la chambre, je lui
rappellerais que lorsqu’il s’est agi des élections de Liège, elle a décidé que
les billets blancs ne comptaient pas ; je n’étais pas de ce avis et je persiste
dans mon opinion, mais je ne sais pas s’il est nécessaire de renouveler une
discussion qui a duré alors pendant plusieurs séances, et il me semble que dans
le doute il faut se prononcer en faveur de la naturalisation d’un étranger qui
a combattu pour notre indépendance aux journées de septembre.
Il est possible que tout
le monde n’apprécie pas comme moi les services que nous ont rendus les
combattants de septembre ; mais tous ceux qui se trouvaient parmi eux leur
doivent une éternelle reconnaissance. Les hommes qui sont toujours prêts à
repousser ceux qui ont versé leur sang pour nous, ne savent pas quel était au mois
de septembre le prix d’un combattant de plus ou de moins.
Je prie donc la chambre d’adopter la
proposition de M. Verdussen qui me paraît très acceptable.
M.
Verdussen. - Je vous ferai remarquer, messieurs, que je n’entends pas
voter ici sur une question de personne ; je prie seulement la chambre de
décider si un billet blanc peut, oui ou non, être considéré comme une liste. Le
règlement dit que chacun de nous déposera dans l’urne la liste qu’il a reçue,
après en avoir effacé les noms des pétitionnaires auxquels il veut refuser la
naturalisation : il est évident, messieurs, que la liste dont il s’agit n’est
pas un billet blanc.
M.
de Brouckere. - Que M. le président pose la question comme il l’a posée
ou qu’il la pose d’une autre manière, il est évident, messieurs, que ce n’est
pas une question de personne que nous allons décider, On ne nous demande pas :
Voulez-vous naturaliser un tel ? On nous dit : il y a 74 bulletins, parmi
lesquels un papier blanc ; il s’y troupe 37 suffrages pour un tel et 36 contre
lui, considérez-vous la majorité comme lui étant acquise ? Il n’y a donc rien
de personnel dans la question que nous avons à résoudre. (Aux voix ! aux voix !)
M. le président.
- Il ne s’agit pas de voter sur une question de personne, mais seulement de
savoir si le scrutin qui vient d’avoir lieu donne la majorité au pétitionnaire
à l’égard duquel il y a doute
M. de Jaegher.
- J’avais tout à l’heure, messieurs, renoncé à la parole pour ne pas prolonger
la discussion mais M. Verdussen insistant sur une manière d’interpréter le
règlement, je dois vous présenter une observation : dans tout vote il est
permis de s’abstenir ; or, comment voulez-vous qu’ici l’on s’abstienne s’il
n’est pas permis de déposer un billet blanc ?
- La chambre décide que la majorité est
acquise au sieur Nicolas Jacquin.
En conséquence de ce vote, toutes les
demandes en naturalisation sur lesquelles il vient d’être statué, sont prises
en considération.
Il sera donné avis de cette décision au
sénat.
PROJET
DE LOI RELATIF A
M. le ministre de la
justice (M. Ernst) (pour une motion
d’ordre). - Messieurs, lorsque l’honorable M. Liedts a déposé son rapport sur
le projet de loi concernant la réciprocité internationale en matière de
succession, la chambre s’est réservée de fixer ultérieurement le jour de la
discussion de ce projet. Le rapport est imprimé et a été distribue hier ; je
prie la chambre de vouloir bien en fixer la discussion à une séance très
prochaine ; je me permettrai de faire ressortir deux observations qui militent
en faveur de ma proposition.
D’un côté, la commission adopte le projet
de loi sans aucune modification importante ; elle n’a fait que supprimer
quelques mots, et proposer un changement de rédaction auquel je me rallierai
bien volontiers, et qui n’exerce aucune influence sur le fond du texte.
D’un autre côté, la commission a reconnu
que le projet de loi était très urgent, et qu’il serait fort utile qu’il pût
être discuté dans la session législative actuelle.
De ces deux observations je tire la
conséquence que très probablement la discussion du projet de loi ne sera pas très
longue, et que la chambre reconnaîtra l’utilité qu’il y a de voter actuellement
ce projet de loi.
Je demanderai donc que la chambre mette le
projet de loi à l’ordre du jour, par exemple, après le vote de la loi sur les
polders. (Adhésion.)
- La chambre, consultée, décide que le
projet de loi relatif à la réciprocité internationale en matière de succession
sera mis à l’ordre du jour après le vote de la loi concernant les polders.
MOTION
D’ORDRE RELATIVE A
M. Eloy
de Burdinne (pour une motion d’ordre). - Messieurs, dans la séance
d’hier j’avais demandé que la chambre se réunît aujourd’hui à midi précis, afin
de procéder à la prise en considération des demandes en naturalisation, et je
faisais observer que cette opération serait terminée avant l’heure où la
chambre est accoutumée de commencer ses travaux ; répondant à une observation
de l’honorable M. Smits, j’ajoutais que cela ne retarderait pas la discussion
de la loi sur les polders proposée par M. le ministre des travaux publics.
Le Moniteur,
en rendant mes paroles, me fait parler un langage que je ne comprends pas ; ce
sont des mots réunis qui ne disent rien, et qui ne sont à la portée d’aucune
espèce de nation ; plusieurs de mes collègues à qui j’ai montré le Moniteur n’ont pu y comprendre plus que
moi....
M. Gendebien.
- Il est évident que ce sont des fautes d’impression.
M. Eloy
de Burdinne. - D’après cela, qu’on juge, messieurs, de la valeur du Moniteur belge. Nous dépensons pour ce
journal 50,000 francs par an : c’est un argent perdu, selon moi.
Habitué à voir dénaturer mes paroles, je
ne réclame plus de rectifications. Si les erreurs que je signale sont le fait
de MM. les sténographes, je n’en sais rien ; proviennent-elles des employés du
journal, je l’ignore encore ; sont-elles enfin les résultats d’ordres
supérieurs, je n’en sais pas davantage. Mais ce que je sais, c’est que, m’étant
plaint un jour au bureau du Moniteur
d’un fait qui me concernait, il me fut répondu qu’on avait agi en vertu
d’ordres supérieurs. (Marques
d’incrédulité dans l’assemblée.) Oui, messieurs, il me fut répondu qu’on
avait agi en vertu d’ordres supérieurs.
Je bornerai là mes
observations. Mais si l’on voulait un jour se prévaloir contre moi de ce qui
est imprimé dans le Moniteur,
relativement à une opinion que j’aurais précédemment émise, je répondrais que
ce n’est pas à moi qu’on doit adresser le reproche, mais bien au supérieur qui
a fait dénaturer mes paroles. Je déclare ne pas connaître ce supérieur, et je
ne veux pas faire sa connaissance.
M.
le ministre de la justice (M. Ernst). - Messieurs, j’espère que l’honorable préopinant me fera la justice de
croire que les ordres supérieurs dont il vient de parler n’ont rien de commun
avec moi.
J’ai regret que les paroles de l’honorable
membre aient été mal rendues. Je ne sais si la faute doit être attribuée aux
sténographes ou bien aux ouvriers du Moniteur.
Dans ce dernier cas, je m’engage à prendre des informations à cet égard.
M.
Dumortier. - Messieurs, je ne pense pas que M. le ministre de la
justice ait rien de commun avec les sténographes ; la sténographie ne regarde
pas le ministre de la justice, mais les questeurs seuls de la chambre.
Je profile de cette occasion pour dire que
j’ai été étonné d’apprendre que M. le ministre de la justice avait pris un
arrêté en vertu duquel on ne pouvait imprimer aucun de ses discours, sans qu’il
l’eût revu préalablement chez lui. Les députés qui veulent revoir leurs
discours sont bien obligés de passer au bureau du Moniteur ; il me semble, messieurs, qu’il ne doit pas y avoir en
cela plus de privilèges pour MM. les ministres que pour nous. J’ai connu des
ministres qui allaient eux-mêmes revoir les épreuves de leurs discours au Moniteur.
M. le ministre de la
justice (M. Ernst). - Messieurs,
l’honorable préopinant m’a bien mal compris. J’ai commencé par dire que je ne
savais pas si l’erreur dont se plaignait l’honorable M. Eloy de Burdinne devait
être imputée aux sténographes ou aux ouvriers du Moniteur. Si je n’ai rien de commun avec les sténographes de la
chambre, j’ai au moins quelque chose de commun avec la direction du Moniteur ; et pour le cas où la faute
serait le fait de cette direction, j’avais dit que je prendrais des
renseignements. En agissant ainsi, je crois avoir rempli un devoir envers la
chambre.
Quant à ce qu’a dit
l’honorable préopinant que le ministre de la justice aurait donné l’ordre
d’envoyer les discours des ministres à domicile, avant qu’ils fussent imprimés,
le fait est exact ; mais, en cela, je crois avoir fait ce que j’avais le droit
de faire. Certainement, ni mes collègues, ni moi, ne regardons au-dessous de
notre dignité de ministre à ce que nous nous rendions de notre personne au Moniteur, pour revoir nos discours. Mais
la chambre comprendra aisément qu’eu égard à nos nombreuses occupations, il
peut bien nous être permis de nous faire remettre nos discours à domicile, et
je ne pense pas que la chambre veuille s’associer à l’espèce de reproche que
l’honorable préopinant m’a adressé. Quoi qu’il en soit, j’ai donné l’ordre dont
il s’agit, et cet ordre sera exécuté.
M. Eloy de Burdinne. - Je n’aurais pas
pris la parole pour me plaindre si, dans l’occasion que j’ai rappelée à la
chambre, on ne m’avait pas répondu au Moniteur
que mon discours avait été imprimé d’une manière irrégulière par ordre
supérieur.
J’ai voulu signaler ce fait à la chambre,
pour qu’il soit pris des mesures afin qu’à l’avenir on puisse utilement
recourir au Moniteur, lorsqu’on
voudra consulter l’opinion de tel ou tel membre. Il peut arriver fréquemment
que pour répliquer à l’opinion qu’un membre émet aujourd’hui, on se réfère à ce
qu’il a dit antérieurement. Eh bien, de la manière dont le Moniteur est imprimé, comment pouvez-vous dire que tel ou tel a
émis telle ou telle opinion ? Ce serait impossible. Il est dès lors nécessaire
d’améliorer l’impression du Moniteur,
et c’est sur ce point que j’appelle l’attention de la chambre.
M. F. de Mérode. - Messieurs, il arrive souvent, et, en parlant ainsi,
je ne prétends nullement faire exception ; il arrive souvent, dis-je, que tel
ou tel orateur se fasse entendre assez difficilement et qu’il ne s’explique pas
d’une manière très claire. Dès lors nous ne devons pas nous étonner que de
légères inexactitudes se glissent parfois dans les reproductions de nos
discours au Moniteur ; mais il me
semble qu’il n’est pas juste d’en faire un texte d’accusation contre MM. les
sténographes.
M. Eloy
de Burdinne. - Messieurs, je n’ai
accusé personne ; l’honorable M. de Mérode a tort de dire que j’ai accusé MM.
les sténographes.
PROJET DE LOI ACCORDANT UN CREDIT AU BUDGET DU DEPARTEMENT DES TRAVAUX
PUBLICS DE L’EXERCICE 1837, POUR REPARATION AUX POLDERS
Discussion
générale
M. le président.
- Voici le texte du projet :
« Art. 1er. Il est ouvert au ministre
des travaux publics un crédit de 2,979,000 fr., à l’effet de pourvoir au réendiguement du polder de Borgerweert,
au rétrécissement de l’inondation autour de Liekhenshoek
et à la construction d’une digue intérieure dans le polder de Lillo. »
« Art. 2. Afin de pourvoir à cette
dépense, le gouvernement est autorisé à porter à 15 millions de francs
l’émission des bons du trésor fixée à 12 millions par l’art. 3 de la loi du 30
décembre dernier. »
M. le président.
- La commission propose l’adoption pure et simple du projet du gouvernement.
M. Ullens.
- Messieurs, les développements donnés par M. le ministre des travaux publics
au projet de loi soumis à vos délibérations, le rapport parfaitement élaboré de
notre honorable collègue et ami M. Smits, me laisseraient peu à ajouter si,
touché du malheureux sort d’un grand nombre de mes compatriotes, je n’avais cru
devoir joindre ma voix à celle du gouvernement pour venir devant vous plaider
leur juste cause. Pour donner quelque poids à ces allégations, je dois faire
remarquer préalablement que désintéressé dans la question, je n’ai demandé la
parole que parce que je connaissais quelque peu les localités de Lillo et de Borgerweert dont nous devons nous occuper. Il serait
inutile de vous remettre sous les yeux la somme de 15,000 fr. à payer à beaux
deniers comptants, par suite du contrat, si, avant le 10 mai, l’une des deux
chambres n’avaient voté le crédit nécessaire pour l’endiguement du polder Borgerweert ; mais ce que je ne puis laisser passer sous
silence, c’est que la route directe d’Anvers à Gand est envahie par les eaux ;
c’est que le temps de faire de grands travaux est arrivé, et que ne pas le
saisir au passage, c’est perdre la campagne tout entière. Messieurs, voilà deux
fois depuis la révolution que je vois submergés par les eaux du fleuve les
magnifiques pâturages et les riches terres qui bordent l’Escaut vis-à-vis la
ville d’Anvers ; voilà deux fois, également, que les cultivateurs et les
propriétaires ont vu s’évanouir en un instant les fruits de leurs travaux et
l’espoir qu’ils fondaient sur l’avance de nouveaux capitaux. Il faut que vous
sachiez, messieurs, que dans l’intervalle que le polder a été asséché, des
sommes considérables avaient été employées, tant pour déblayer les campagnes,
que pour rouvrir les voies d’écoulement que l’impétuosité des eaux étaient venu
totalement changer. Tout délai dans les travaux d’endiguement ajouterait à des
pertes déjà trop considérables des pertes nouvelles, que nous pouvons et que
nous devons par suite éviter. Je rends grâce, du reste, au zèle et à l’activité
de M. le ministre des travaux publics, et je crois remplir ici un devoir, en
lui en témoignant hautement ma gratitude.
Que je m’estimerais heureux, messieurs, si
je pouvais faire passer dans votre conviction que si l’endiguement de Borgerweert, dont je viens de parler, est d’une pressante
nécessité, les travaux autour de Lillo ne sont point d’un moindre intérêt, par
les conséquences immenses que pourrait entraîner tout retard, même peut-être le
retard de quelques jours. Pour réveiller toute votre sollicitude, je n’aurais
qu’à vous parler des nombreuses pétitions qui, depuis plus de cinq ans, nous
sont venues de ces malheureuses contrées. Toujours accueillies par des rapports
favorables, on devait toutefois se borner à donner aux pétitionnaires de belles
paroles et de vaines consolations. Il était réservé à la législature de 1837 de
traduire en un acte matériel tant de vœux stériles, en autorisant une loi pour
soustraire à l’empire des eaux plus de
Je frémis quand je songe, comme je l’ai vu
depuis, que quelques lames plus fortes, par une marée montante, auraient pu
faire céder les digues d’Ettenhoven et Ordam et amener à quatre lieues de ce point les eaux jusque
sous les murs d’Anvers et même au-delà. Il est autre chose encore qui m’inspire
de vives inquiétudes, el je prie instamment M. le ministre d’en faire l’objet
de ses plus sérieuses méditations. C’est que, pendant une année entière, et
même plus longtemps, et ce malgré l’acceptation du projet, ces infortunés des
polders limitrophes verront toujours l’épée de Damoclès suspendue sur leur
tête. Est-ce bien sérieusement, en présence de tels faits, qu’on voudrait
parler d’honneur national blessé, alors qu’il est facile de démontrer qu’on n’y
a point porté atteinte ? Quand de part et d’autre on négocie, quand
Messieurs, dans ma conviction intime, je pense
qu’il n’existe point de meilleur moyen pour réunir franchement toutes les
opinions au nouvel ordre de choses, que de fermer autant que possible des
plaies saignantes, suites de toute révolution.
Le gouvernement et la
commission que vous avez nommée vous convient à entrer dans cette voie ; faites
donc aujourd’hui un premier pas en adoptant la loi proposée. Dans quelques
jours vous serez appelés à discuter les indemnités : si vous faites alors,
comme je n’en doute pas, le second, vous aurez contribué puissamment, pour
votre part, à rendre vraie, dans la plus large acception des mots, notre devise
nationale : « L’union fait la force » ; car un Etat ne peut être fort
qu’en s’appuyant sur la justice.
D’après les considérations qui précèdent,
je voterai pour la loi.
M. de Puydt.
- Messieurs, le gouvernement vient vous demander une somme de 2,979,900 francs
pour faire des travaux de réparation aux deux rives de l’Escaut. Cette somme a
deux destinations. Une partie qui est de 929,000 francs est destinée à réparer
les désastres arrivés au polder de Borgerweert. Je
n’ai à cet égard aucune observation à faire : je crois qu’il convient de réendiguer ce polder aussi promptement que possible, et que
tout commande au gouvernement de faire cette dépense aux frais de l’Etat. Quant
à l’autre partie, de 2 millions environ, ayant pour objet de réendiguer une partie du polder de Lillo et de
Liefkenshoek, il n’en est pas de même. La question se présente mes yeux sous un
tout autre aspect.
Il y a quelques jours, avant d’avoir lu
les rapports du ministre, je n’avais envisagé cette affaire que sous le point
de vue de la situation malheureuse des habitants de ce polder et des pertes
qu’éprouvaient les propriétaires ; je ne voyais qu’une question de commisération,
et j’étais porté à considérer comme utile de faire les travaux proposés par le
gouvernement, dans quelque forme qu’ils se présentassent. Mais après avoir lu
les rapports qui nous ont été distribués, et vu à quelles conditions les
travaux sont consentis par le gouvernement hollandais, j’ai reculé devant un
vote entièrement affirmatif.
Pour faire comprendre mon opinion, je vais
examiner les faits.
L’inondation du polder de Lillo, principal
objet de la discussion, date de 1831 ; elle a été opérée dans l’intérêt de la
défense du fort Lillo. Elle a été étendue démesurément au-delà des limites
strictement nécessaires à la défense de ce fort ; il n’a pas dépendu des
Hollandais de l’étendre moins, parce que pour l’arrêter il aurait fallu une
digue quelconque ; et celle qui y existait se trouvait plus éloignée qu’il ne
leur convenait strictement de l’avoir dans l’intérêt de leur défense.
Cet état de choses qui nous est très
préjudiciable, nous l’avons toléré parce que nous avions l’espoir de voir
cesser le statu quo, et notamment que la prise de la citadelle d’Anvers nous
aurait mis en possession des forts Lillo et Liefkenshoek. Cet espoir a été
trompé ; nous avons dû y renoncer ; le gouvernement a songé sérieusement alors
à améliorer la situation des propriétaires et des habitants des terrains
inondés. Il a fait préparer des projets par la direction des ponts et
chaussées, il a entamé des négociations avec le gouvernement hollandais pour
prévenir les entraves à l’exécution de ces projets.
C’est en juin 1836 que les premières
conférences ont eu lieu ; et c’est dans le mois d’août suivant qu’une première
note a été échangée, par laquelle on posait les bases d’une convention à
conclure pour régler les conditions d’exécution d’une digue à établir à une
certaine distance de Lillo. Ces bases indiquant les conditions principales ont
paru trop dures au gouvernement, il n’a pas cru devoir les accepter.
De nouvelles conférences furent ouvertes
quelques mois après. Une seconde conférence a été proposée par les commissaires
hollandais. Cette seconde convention contenait des conditions à peu près
semblable aux premières, avec cette différence qu’elles étaient plus dures
encore. C’est dans ces circonstances que le gouvernement présenta aux chambres
un premier rapport le 6 février 1837. Une commission a été nommée pour
l’examiner et proposer des conclusions. Avant que cette commission eût terminé
son rapport, arrivèrent les désastres de la nuit du 24 février ; la marée a
rompu la digue de Borgerweert, elle a rompu celle qui
soutenait les eaux du polder de Lillo et a empiré la situation des choses.
Arrêtons-nous un instant à ce premier état
de la question, à l’époque où le gouvernement a fait son rapport du 6 février,
pour le cas d’une digue à établir à une distance moindre que celle du fort
Lillo au fort Lacroix, c’est-à-dire pour celui d’une digue à
Le commissaire belge dut nécessairement en
référer au gouvernement pour savoir s’il devait accepter les conditions posées
par
Telle était la situation des choses au
commencement de cette année. La rupture des digues occasionnée par la marée du
24 février a amené de nouveaux projets, et en avril suivant on a rouvert les
conférences sur cet objet avec les Hollandais ; conférences qui amenèrent une
troisième nouvelle convention sur laquelle on est venu nous faire un deuxième
rapport. Cette fois, on ne nous parle plus « de dignité nationale, de
défense militaire. », on a passé ces points de vue de la question tout à
fait sous silence ; et on nous propose d’accepter purement et simplement un
acte renfermant des conditions plus dures que les précédentes ; et c’est là ce
que j’ai à désapprouver dans le projet.
En effet, par la convention du 19 janvier
1831, le fort Lacroix devait être démoli sans qu’il pût être reconstruit à
moins de
Par la convention du 25 avril suivant,
cette « reconstruction ne sera plus tolérée qu’à
Par la convention du 19 janvier, il était
stipulé qu’aucun ouvrage de défense ne serait fait de l’Escaut au fort
Frédéric-Henry.
Par celle du 25 avril on ajouta que
« cette interdiction s’étendrait jusqu’à la limite du Brabant
septentrional. »
Par la convention du 19 janvier, on
prescrivait de démolir les ouvrages de défense établis sur la rive gauche de
l’Escaut, à trois mille mètres en amont de Liefkenshoek, d’une part, et en aval
dudit fort jusqu’à la limite de
Par la convention suivante on stipule que
si l’on contrevient à ces stipulations, « la grande inondation sera tendue
de nouveau sans avertissement préalable. »
A ces conditions nouvelles on ajoute
encore « qu’aucune digue ne pourra être élevée dans les polders sans le
consentement du gouvernement néerlandais sous peine de voir de nouveau
l’inondation tendue. »
L’aggravation de conditions relatives à
l’ordre des travaux est également remarquable.
Dans la convention du 5 août, la première
de toutes, il était dit : « Les bateaux transportant les matériaux devront
avoir une lanterne allumée au mat. »
Dans les conventions suivantes on ajoutait
: « Ceux qui contreviendront à cette disposition seront coulés bas sans
avertissement préalable.
« Ces bateaux pourront être visités
en tout temps. »
« La démolition du fort Lacroix sera
faite aux frais du gouvernement belge. Un officier du génie néerlandais sera
chargé de la surveiller ; il pourra résider dans le fort. »
Vous voyez qu’à mesure que nous avons
cédé, les Hollandais sont devenus beaucoup plus difficiles, beaucoup plus
exigeants ; ils ont profité de la situation que nous leur faisions.
Ainsi nous sommes avertis que si nous
essayons de faire non seulement des travaux de défense militaire, mais un
mouvement quel qu’il soit qui pourra déplaire aux Hollandais, ils pourront
rompre la digue que vous aurez fait construire à grands frais, pour la somme
énorme de 2 millions.
Ainsi aucune digue, même éloignée des
forts, ne pourra être faite dans l’intérieur des polders asséchés sans le bon
plaisir du gouvernement néerlandais. Dans le cas où on en ferait, il se réserve
la faculté de tendre la grande inondation.
Cette faculté il l’a maintenant, mais ce
n’est qu’une faculté, tandis que si vous souscriviez à la convention qu’on vous
propose, ce serait un droit que vous auriez cédé.
« Le commandant du génie des forts
Lillo et Liefkenshoek pourra en tout temps, et au moyen d’un sauf-conduit à lui
délivré, visiter les polders et digues dont il est fait mention aux articles
précédents. »
Ainsi un commandant étranger aura la
faculté de se promener, quand bon lui semblera, sur notre territoire, pour
juger de l’état de nos digues, faire un examen critique de nos moyens et
infliger au besoin des punitions sévères.
Je vous demande si la seconde convention
ne contient pas des conditions plus dures que la première.
On dit qu’il est naturel que nous
consentions à la démolition du fort Lacroix, parce que les Hollandais, en
consentant à la construction d’une digue à
Je n’admets donc pas qu’ils aient à se
plaindre d’une restriction apportée à leurs moyens de défense pour demander en retour
que nous démolissions le fort Lacroix. Pour mon compte, je n’attache aucune
espèce d’importance à la conservation de ce fort en lui-même ; je ne le
considère ni comme un point dé défense, ni comme un moyen offensif, C’est un
point insignifiant ; nous l’avons occupé comme point d’observation et nous
avons tenu à le conserver ; nous nous y sommes fortifiés, nous avons établi des
logements commodes pour les troupes. Cependant, tout en ne considérant pas
cette position comme importante, je pense qu’il ne faut pas, sur une injonction
des Hollandais, y renoncer, consentir à le démolir sur des prétentions aussi
humiliantes que celles qu’on élève.
Ce serait également une erreur de croire
que le fort Lacroix est la clef de l’Escaut, comme on l’a prétendu. Le fort
Lacroix ne peut guère empêcher la circulation des navires dans I’Escaut. Il
serait plus avantageusement placé pour ce but à l’endroit où la rivière fait le
coude, c’est-à-dire à
J’ai fait remarquer que, par la première
convention, le fort Lacroix pouvait être replacé à
Je ne sais si vous comprendrez comme moi
tout ce qu’a d’humiliant la proposition de faire diriger les travaux de
démolition d’un de nos forts par un officier hollandais, et de le mettre en
contact avec un fonctionnaire belge : je vois avec plaisir, ou plutôt avec
moins de peine, que cette humiliation n’est pas imposée à un officier du génie
belge ; c’eût été une tâche bien dure pour le corps auquel j’appartiens.
Du reste, si l’on doit conclure une
convention avec
Vous sentez que, d’après l’opinion que
j’ai exprimée, je ne suis nullement disposé à voter le crédit pour établir la
digue à
Cette hypothèse suppose la construction
d’une digue à
Dans ce cas, d’après les termes mêmes du
rapport, il y aurait sécurité absolue pour les polders circonvoisins.
Le dessèchement s’opérerait sur les deux
tiers de la surface inondée et les frais d’entretien actuels seraient réduits
de moitié.
Mais comme la partie du terrain restant
sous l’eau serait plus considérable qu’avec la digue à
Ces résultats, infiniment
plus avantageux que le statu quo, quelque peu moins avantageux que ceux à
espérer du projet proposé, laisseraient intact notre honneur national ; car,
dans ce cas, il ne serait pas question de la démolition du fort Lacroix, et
parlant de l’état où était la question au moment de la présentation de la note
du gouvernement, on aurait simplement à convenir avec les Hollandais des
conditions d’ordre et de surveillance à arrêter pour la durée des travaux.
Je serais donc d’avis d’accorder un crédit
pour construire cette digue à
(Moniteur
belge n°128, du 8 mai 1837) M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb).
- La proposition qui vous est soumise
comprend deux objets. Le premier concerne le réendiguement
du polder de Burgerweert ; le deuxième, la
construction d’une digue intérieure dans le polder de Lillo.
Comme ce deuxième objet se rattache à une
convention conclue avec le gouvernement hollandais, convention qui soulève des
questions, plus spécialement du ressort de la discussion générale, c’est de ce
deuxième objet que je m’occuperai exclusivement.
La situation qu’il s’agit de faire cesser
date de plus de six ans. Vainement on a tenté plusieurs fois d’y mettre un
terme. C’est une situation désespérante ; voulez-vous en sortir ? Telle est la
question : question que vous discutez librement ; que vous discutez parce que
vous l’avez voulu. Vous avez exprimé au gouvernement le désir de négocier ; il
a négocié ; il vous apporte tout ce qu’il lui a été possible d’obtenir. Ce
résultat, vous pouvez l’accepter, vous pouvez le rejeter ; vous pèserez la
conséquence du rejet comme celle de l’adoption. Mais je ne puis assez vous le
répéter ; rien ne vous est imposé, vous êtes restés libres. Vous userez de
votre volonté, non pas avec passion, mais avec cette impartialité qui sied à
des hommes politiques.
Je commence donc par écarter toute idée de
violence.
Si vous rejetez la proposition qui vous
est faite, vous resterez dans le statu quo ; vous savez à quelles conditions.
Mais il vous est libre d’y rester.
Je crois par cette réflexion générale
faire disparaître de la discussion tout ce qu’elle pouvait avoir d’irritant et
de pénible. Il n’y a rien de commun entre cette discussion et d’autres
discussions politiques où la même alternative malheureusement ne nous était pas
laissée.
Pour écarter aussi toute apparence de
contradiction que l’on pourrait me reprocher, je me permettrai de rappeler à la
chambre que dans mon premier rapport, je m’étais abstenu de toute conclusion.
J’avais posé, ce qui avait paru fort
singulier, trois hypothèses :
La première : le maintien du statu quo ;
La seconde : la construction d’une digue
intérieure à
La troisième : la construction d’une digue
intérieure à
Je voulais ainsi préparer les esprits ;
appeler l’attention de la chambre, du public sur les divers partis à prendre.
Avant de passer en revue chacun des partis
que nous pouvions prendre, recherchons quels intérêts se trouvent en présence,
quels sont les différents objets que nous voulons remplir.
Il y a quatre intérêts qu’il faut chercher
à satisfaire.
Le premier, c’est l’intérêt de la
navigation de l’Escaut. Il est incontestable que si les inondations se
perpétuent dans leur étendue actuelle, la navigation de l’Escaut finira par se
trouver compromise.
Un atterrissement se forme entre Lillo et
les ruines du fort Frédéric-Henry. Cet atterrissement peut devenir un obstacle
à la navigation de l’Escaut. L’inondation autour de Liefkenshoek et de Lillo
présente un grand lac, sujet à toute l’action de la mer, tous les accidents du
flux et du reflux de la marée, à toute la violence des vents. En un mot, pour
quiconque connaît les lieux et les conditions de la navigation de l’Escaut, il
est évident que cet état de choses menace dès à présent la navigation du
fleuve, et qu’il peut entraver cette navigation dans un avenir peu éloigné.
Le deuxième intérêt est celui des
habitants expulsés de leurs habitations et des propriétaires dépossédés de
leurs propriétés. Je n’ai pas besoin d’insister sur cet intérêt. Vous savez que
deux villages entier, Vieux-Lillo et Lacroix, et 32
fermes sont submergés. Vous savez que l’inondation s’étend sur environ
Le troisième intérêt, celui des polders
circonvoisins. Et je dois comprendre dans cet intérêt la sécurité même de la
ville d’Anvers ; car, comme vous l’a dit un honorable député du district
d’Anvers, si l’endiguement venait à se rompre dans la partie que l’on désigne
sous le nom de digue d’Ordam, les eaux pourraient se
précipiter jusques à Anvers même. (Murmures
d’étonnement.) Ceci n’est pas une supposition faite pour effrayer vos
esprits : quiconque ira sur les lieux sera frappé de ce danger ; placés sur la
digue d’Ordam, vous dominez le pays, et vous avez en
face de vous Anvers.
Le quatrième intérêt, c’est l’intérêt
financier. D’abord le trésor perd l’impôt foncier de tous les terrains
submergés ; en second lieu, il accorde des secours, chaque année, aux victimes
de l’inondation. Or, en ce moment, on sollicite une loi d’indemnité. On a même
été plus loin, on a songé au rachat des polders. En troisième lieu, le trésor
est tenu à un entretien très considérable. Enfin, messieurs, il est à désirer
que l’ouvrage que l’on fera soit un ouvrage définitif, un ouvrage destiné à
être maintenu, quelles que soient les éventualités, c’est-à-dire, quand même
Il y a donc quatre intérêts à satisfaire :
l’intérêt de la navigation de l’Escaut, l’intérêt des propriétaires et des
habitants des polders submergés, l’intérêt des polders circonvoisins et des
populations circonvoisines, et l’intérêt du trésor public. Pour poser la
question comme elle doit l’être, nous devons nous demander de quelle manière
nous pourrons donner satisfaction à ces quatre intérêts ; eh bien, je n’hésite
pas à répondre que vous ne les satisferez qu’en adoptant le parti qui vous est
proposé en construisant une digue à
En effet, cette digue sera assez
rapprochée du fleuve pour qu’à l’avenir la navigation de l’Escaut ne soit plus
compromise, pour que les atterrissements que l’on craint cessent de s’étendre,
pour que les digues de mer ne soient plus menacées ; l’inondation étant ainsi
restreinte, le fleuve ne sera plus exposé à perdre son lit.
En second lieu, un hameau reste seulement
inondé, le hameau du vieux Lillo de
En troisième lieu, à part la construction
de la digue, telle qu’elle est proposée, vous mettez à l’abri de tout danger
les polders circonvoisins, les populations avoisinantes ; vous leur donnez une
sécurité absolue.
En quatrième lieu, vous agirez de la
manière la plus avantageuse pour le trésor. En asséchant
Si
Si vous-mêmes vous étiez mis en possession
de Lillo, vous n’auriez plus de nouvelle digue à construire.
A l’aide de la digue construite à
Maintenant, messieurs, demandons-nous avec
impartialité si c’est le parti qu’il faut adopter, ou bien s’il faut en adopter
un autre qui ne présenterait pas au même degré tous ces avantages matériels,
quelle est la condition principale mise à l’adoption du parti proposé.
La condition principale, c’est la
démolition du fort Lacroix.
Nous sommes arrêtés par une première
objection ; quelle est l’importance du fort Lacroix ?
L’honorable préopinant, plus compétent que
moi à cet égard, a détruit cette objection tout en attaquant le projet.
Il vous a déclaré que le fort Lacroix est
de peu d’importance.
Une voix. - Insignifiant.
M. le ministre des
travaux publics (M. Nothomb). - Qu’il est insignifiant pour la défense de l’Escaut et la défense
générale du pays. Après avoir posé ces prémisses, l’orateur conclut cependant
qu’il faut conserver le fort Lillo : Il est, dit-il, donc il doit rester ; s’il
n’était pas, il ne faudrait pas le construire. Je ne suis pas aussi absolu, et
la chambre, je l’espère, ne sera pas aussi absolue. Je ne puis assez répéter
qu’il y a sur cette rive une position plus avantageuse que celle qu’offre le
fort Lacroix ; cette position c’est l’angle en amont de ce fort ; tout se
réduit donc à y reconstruire le fort.
Le fort Lacroix a coûté 150,000 fr. C’est
donc cette dépense qu’il faudra renouveler pour avoir un nouveau fort.
La digue à construire étant évaluée à 2
millions, ajoutez-y 150,000 fr. et vous arriverez à un total de 2,150.000 fr. ;
mais remarquez que le maintien du statu quo exigerait une dépense de 2,800,000
francs ; et par cette dépense vous ne feriez que du provisoire. Supposons qu’au
lieu de dépenser 150,000 fr. pour la construction d’un fort nouveau, il en
faille dépenser 800,000 ; certainement le ministre de la guerre fera, avec
cette somme, construire un fort bien plus respectable que le fort Lacroix.
Réduisons la question à une question de
chiffres ; avec la somme nécessaire à l’exhaussement d’une digue provisoire,
vous pouvez faire une digue définitive, et substituer au fort Lacroix un fort
mieux situé, plus approprié à la défense de l’Escaut.
Examinons maintenant de plus près la
convention à laquelle se rattache l’emploi du crédit ; demandons-nous si cette
convention est conclue dans un système exclusif de concession. Je dis,
messieurs, que cette convention est conclue, non pas dans un système exclusif,
mais dans un système réciproque de concessions. Le fort Lillo est en ce moment
protégé par une inondation de plus de
L’honorable préopinant a mis en regard ce
qu’il appelle trois conventions, quoiqu’il n’y ait réellement que deux
conventions successivement conclues. Il n’y a eu d’abord qu’une proposition
faite par la note du 5 août 1836 ; ensuite a été conclue la première convention
du 19 janvier ; puis la convention du 25 avril. Une chose que l’honorable
préopinant, en faisant ce rapprochement, a totalement perdue de vue, c’est que
la note du 5 août exigeait la démolition préalable du fort Lacroix ; il était
dit dans cette note : « La démolition du fort Kruisschaus
devra précéder la mise en œuvre de la construction de la digue. » Il ne
s’agit plus en ce moment de démolition préalable ; il ne s’agit plus d’abattre ce
fort avant la mise en œuvre de la construction de la digue. D’après la
convention du 25 avril la démolition et la construction doivent être
simultanées ; on a même laissé quelque chose à l’exécution, on a réservé aux
commissaires nommés de part et d’autre le soin de régler cette simultanéité.
Toutefois un cas qu’on a voulu prévoir dès à présent parce que c’était une
garantie pour le gouvernement belge, c’est que si les écluses d’évacuation
étaient seules construites dans le cours de l’année, on se bornerait à raser le
fort Lacroix d’un mètre. Ainsi, messieurs, une circonstance qui a entièrement
échappé à l’honorable préopinant, c’est la distinction très importante qu’il
faut faire entre la démolition préalable du fort Lacroix et la simultanéité de
cette démolition avec la construction de la digue ; la démolition préalable
nous laissait entièrement sans garantie, la simultanéité nous donne une
garantie qui nous était indispensable.
L’honorable préopinant, entrant dans les détails
de l’exécution des travaux, a trouvé les conditions extrêmement dures ; j’ai eu
soin, messieurs, de vous faire remarquer dans l’exposé des motifs que ces
dispositions règlementaires étaient plutôt imposées à l’entrepreneur futur
qu’au gouvernement belge ; ces conditions sont dures, mais il est bon qu’elles
soient dures ; il faut que l’entrepreneur qui souscrira à la convention du 25
avril, en même temps qu’il acceptera l’entreprise de la construction de la
digue, sache à quelles conditions il peut faire les ouvrages ; ces conditions,
il faut qu’il les accepte, il faut qu’il les remplisse sous sa responsabilité ;
ce sera à lui de se constituer de manière à n’amener aucune collision avec les
autorités hollandaises, ce sera à lui de prendre les précautions nécessaires à
cet effet, ce sera même à lui de chercher si par sa position personnelle il ne
peut pas obtenir, pour l’exécution, des conditions plus avantageuses, des
conditions que le gouvernement belge n’obtiendrait pas s’il exécutait les
travaux en régie.
L’honorable préopinant fait remarquer que,
d’après la note du 5 août, le gouvernement belge aurait pu élever le nouveau
fort à une distance de
On pourrait nous dire : Mais quelles
garanties avez-vous qu’une fois la digue construite à grands frais, et le fort
Lacroix démoli, le gouvernement hollandais ne rompra pas la digue et n’étendra
pas de nouveau les inondations au point où elles le sont aujourd’hui ? Je
répondrai, messieurs, que nous avons pour garantie l’intérêt ou plutôt
l’absence d’intérêt du gouvernement hollandais : le gouvernement hollandais, je
pense, ne fera pas le mal pour le mal ; j’ai, je l’avoue, la bonhomie de le
supposer ; eh bien, il n’aura pas le moindre intérêt à rompre la digue du
moment que, de notre côté, nous observons la convention
en maintenant la démolition du fort Lacroix, en faisant disparaître les ruines
du fort Frédéric-Henry, en ne construisant pas de nouvelles fortifications dans
le cercle indiqué. Si telle est notre conduite, je dis que le gouvernement
hollandais n’aura pas le moindre intérêt à rompre la digue. Mais si une
semblable objection avait une si grande force, il ne faudrait rien faire, il
faudrait purement et simplement rester dans le statu quo : car, messieurs, on
peut rompre la digue à deux ou trois cents mètres, tout comme on peut la rompre
à
Je vous dirai en terminant, messieurs, que
l’honneur national bien entendu est aussi l’intérêt national bien entendu ;
vous avez le plus grand intérêt à rendre notre situation le plus tolérable
qu’il soit possible ; il y a une plaie dans le pays ; Cette plaie, le moyen de
la fermer vous est offert.
M. Pollénus.
- Messieurs, lorsque j’ai demandé la parole, c’était pour répondre à ce que venait
de dire l’honorable député d’Anvers, qui, au début de la séance, a pris la
défense du projet.
Il a commencé par remercier la commission
des polders du projet qu’elle a présenté à nos délibérations. Pour ma part, il
me semble qu’il serait difficile de s’identifier davantage avec les intérêts
des propriétaires des polders, que ne l’a fait l’honorable préopinant. En
effet, si la chambre pouvait être considérée comme votant le projet de loi sous
l’impression du rapport de la commission, on serait tenté d’admettre que ce
n’est pas un système de secours qu’elle veut faire adopter en faveur des
propriétaires des polders, mais un véritable système d’indemnité complète. Bien
certainement, les propriétaires des polders n’auraient qu’à s’applaudir de
l’adoption d’un pareil système.
J’ai été assez étonné de voir que le
rapport de la commission a été également l’objet des éloges de la part
d’organes du gouvernement, Car me rappelle que chaque fois qu’il a été fait une
demande de crédit à la chambre en faveur des victimes des ravages de la guerre,
on a représenté ces allocations comme étant simplement destinées à des secours,
et ne se rattachant nullement à un système d’indemnité, que le gouvernement a
toujours paru redouter. Et cependant, si l’on examine les termes dont la
commission s’est servi dans son rapport, on trouve que c’est le système
d’indemnité entière que la commission semble vouloir faire sanctionner.
M. F. de
Mérode fait un signe négatif.
M. Pollénus.
- J’entends un honorable membre de la commission des polders me dire que ce
n’est pas ce système que la commission a entendu consacrer. Mais je ferai
remarquer à cet honorable membre que les termes dont la commission se sert dans
son rapport semblent pourtant indiquer que telle est son intention ; on n’a
qu’à lire la page 2 du rapport.
L’honorable député d’Anvers, au discours
duquel je viens de faire allusion, a invoqué une considération qui a fait sur
mon esprit une impression toute différente de celle que, très probablement, il
cherchait à produire. Si vous ne vous empressez pas, dit-il, d’admettre le
projet du gouvernement, vous exposez les propriétaires et les habitants des
polders circonvoisins à être inondes ; l’inondation, ajoute-t-il, pourra un
jour s’étendre jusque sous les murs d’Anvers.
Messieurs, c’est en effet la possibilité
de l’extension de cette inondation qui m’a frappé, lorsque j’ai vu que, dans la
proposition du gouvernement, l’on consentait à la démolition du fort Lacroix.
Je ne me permettrai pas d’examiner la question de savoir si sous le rapport
stratégique, le fort Lacroix est plus ou moins important. Je conviens
volontiers que des hommes plus compétents que moi pourront s’expliquer sur
cette question. Je ne puis, cependant, m’empêcher de faire une réflexion : je
vois que le fort Lacroix, tel qu’il est placé, domine la digue d’Ordam ; que, dans sa position, il peut protéger cette
digue. Otez le fort Lacroix : eh bien, cette digue, à laquelle s’arrête
aujourd’hui l’inondation, va être à la merci des Hollandais, si l’on adopte le
projet du gouvernement.
Ainsi donc, la possibilité de l’extension
de l’inondation qu’a invoquée l’honorable M. Ullens, est une considération qui
fait un effet tout différent sur mon esprit et me fait penser que le fort
Lacroix n’est pas aussi insignifiant qu’on veut le prétendre. Puis-je admettre,
messieurs, que le fort Lacroix soit véritablement insignifiant, lorsque je vois
le gouvernement hollandais attacher une aussi grande importance à la démolition
de ce fort ? Si je n’avais pour moi que l’insistance des commissaires
hollandais pour obtenir cette démolition, cette preuve me paraîtrait suffisante
pour établir que le fort Lacroix a plus d’importance qu’on ne croit.
D’après ce que je viens de dire, il ne m’est
pas démontré que les intérêts des habitants des polders circonvoisins, qu’a
invoqués M. le ministre des travaux publics, soient si admirablement servis par
le système qu’il vient nous présenter. Au contraire, lorsque je vois les moyens
de défense diminuer, je vois les propriétés des habitants de ces polders moins
protégées, je les vois entièrement à la merci de notre ennemi, en l’absence des
obstacles destinés à protéger les digues intérieures.
Cette observation s’applique également la
digue projetée à la distance de
Je crois qu’il n’est pas de l’intérêt du
gouvernement de consacrer une somme aussi considérable à un ouvrage qui doit
être abandonné à la discrétion de nos ennemis.
Il me paraît résulter de ces diverses
observations que les intérêts des habitants des polders circonvoisins ne sont
nullement servis par le projet qui nous a été présenté par le gouvernement.
Ces observations répondent également à ce
qu’a dit M. le ministre des travaux publics qu’avec cette dépense une fois
faite, on aurait des travaux définitifs, circonstance qui dispenserait l’Etat
de donner de nouveaux secours aux propriétaires des polders inondés ; mais,
messieurs, l’exécution du projet du gouvernement ne me paraît présenter aucune
des conditions d’un travail définitif. Car peut-on dire qu’un travail présente
le caractère d’une chose définitive, durable, lorsqu’il est placé à la
discrétion de notre ennemi, qui à chaque instant pourra le détruire et nous
placer dans une situation bien plus fâcheuse que celle où nous nous trouvons en
ce moment ?
Mais, a dit M. le ministre des travaux
publics, ce fort Lacroix n’est pas le seul moyen de défense de
M. le ministre des travaux publics nous a
présenté la convention conclue avec les commissaires hollandais, comme offrant
un système de concessions réciproques. Messieurs, j’ai lu et relu cette
convention, et je dois déclarer que je n’y trouve que des stipulations
favorables à
Eh bien, s’il était possible d’obtenir un
système de dessèchement qui n’aurait pas eu tout à fait la même extension que
celle que pourrait autoriser la digue projetée à la distance de
Messieurs, en présence de quelles
considérations avez-vous voté des millions pour augmenter l’effectif de notre
armée ? N’est-ce pas le sentiment qui vous engagera encore à voter bientôt de
nouveau millions pétitionnés par le département de la guerre, pour opérer la
concentration de nos forces militaires, et pour renforcer notre système de
défense ?
Eh bien, vous avez autre chose que la
convention avec M. Vanderwyck, vous avez la
convention, du 21 mai entre le gouvernement hollandais,
Demain peut-être nous aurons à nous
occuper du projet de campement de M. le ministre de la guerre, de la
concentration des troupes ; invoquerez-vous encore alors la confiance que nous
inspire le gouvernement hollandais ?
Pour ma part, je désire pouvoir venir en
aide aux malheureux habitants des polders. Mais pourquoi, en présence des
circonstances politiques où nous nous trouvons, ne pas se contenter de faire à
l’égard des habitants des polders ce qu’on fait à l’égard des autres habitants
de
Il est facile de prévoir,
d’après ceci, ce que sera la loi d’indemnité. Ce que vous aurez fait pour les
propriétaires des polders, vous ne pourrez pas vous refuser à le faire pour les
propriétaires des hôtels et maisons incendiés de Bruxelles. Je crois en avoir
dit assez pour motiver mon opinion. Les conditions de la convention passée avec
le commissaire hollandais me paraissent onéreuses et sans garantie. Les
événements de 1831 doivent être encore présents à vos souvenirs et suffisent
pour vous donner la mesure de la garantie que la promesse de ce gouvernement
peut donner à
M.
Rogier. - Je désirerais savoir si M. le ministre de la guerre jugera
opportun de prendre la parole dans cette discussion pour s’expliquer sur la
question. Sons le rapport militaire, son opinion serait d’un très grand poids,
en présence de ce que vient de dire l’honorable préopinant.
M. le ministre de la guerre (M. Willmar).
- Je n’avais pas l’intention de prendre la
parole dans la discussion ; un honorable membre qui a combattu le projet avait
rempli ma tâche en déclarant que sous le rapport militaire il n’attachait
aucune espèce d’intérêt à la conservation du fort Lacroix. Comme je ne me
proposais de traiter que ce point de la question, je pourrais me dispenser de
parler. Si ce que vient de dire M. Poilions pouvait avoir jeté du doute dans
quelques esprits, je chercherais à le combattre.
Si le fort Lacroix a été construit, c’est
en grande partie parce qu’après le siège de la citadelle d’Anvers, il s’est
trouvé que le point où il est élevé était le point le plus rapproché d’un des
forts occupés par les Hollandais.
Je pense que les officiers hollandais tiennent
tant à le voir disparaître à cause de l’irritation qu’ils ont éprouvée et
qu’ils éprouvent encore de voir un fort établi si près d’eux. Après la prise de
la citadelle d’Anvers on pouvait croire, d’après l’exaspération des deux
partis, que les deux armées en viendraient aux mains. Des officiers du génie
français et belge furent chargés de faire des reconnaissances et de chercher
les points les plus convenables à occuper pour rendre impossible toute attaque
contre Anvers par l’Escaut. Il existe trois rapports faits par deux officiers
du génie français et par un officier du génie belge. Tous s’accordent à
représenter la position du fort Lacroix comme très peu importante, comme
défectueuse, d’abord par son isolement complet, ce fort étant abandonné à ses
propres forces, tandis qu’il a contre lui deux forts plus considérables et la
flottille hollandaise.
En second lieu, on a trouvé qu’il voyait
assez mal la passe de l’Escaut et ne pouvait produire que très peu d’effet sur
les bâtiments hollandais qui voudraient se porter vers Anvers. Je répète donc
qu’on a toujours considéré ce fort comme d’une importance militaire très
faible. Le fort qu’on voudrait construire dans le rentrant du fleuve verrait
mieux le chenal navigable du côté d’aval et du côté d’amont. On produirait
ainsi un double effet beaucoup plus utile. Le point considéré comme le plus
important de cette partie de l’Escaut est celui qui est à la hauteur du fort
Sainte-Marie.
Les batteries du fort Philippe continuent
à rendre la défense de ce passage formidable ; cet endroit est considéré comme
la véritable passe entre les forts de Lillo, Liefkenshoek et Anvers.
L’honorable membre qui vient de parler
contre le projet a dit que si on abandonnait le fort Lacroix, les Hollandais
pourraient étendre l’inondation jusqu’à Anvers ; il a supposé qu’une attaque
pourrait être dirigée par la marine hollandaise contre Anvers en traversant les
polders.
L’honorable membre a dit, en effet, que si
la digue d’Ordam ou d’Ettenhoven
était rompue et l’inondation tendue jusqu’à Anvers, les bâtiments hollandais ne
seraient plus forcés de passer sous le feu des forts Ste-Marie et St-Philippe
pour se porter sur Anvers.
Mais ce n’est pas là ce
qu’a voulu dire un autre honorable membre qui a parlé en faveur du projet. La
rupture de la digue d’Ordam n’aurait pas pour
conséquence que la sûreté d’Anvers serait menacée, mais qu’une immense partie
du pays serait couverte d’eau.
Le fort Lacroix serait impuissant pour
empêcher la rupture de cette digue ; il suffit de jeter les yeux sur la carte
pour s’en convaincre. A cause de sa grande étendue, elle est accessible à un
trop grand nombre de points hors de la portée du fort Lacroix. Cette digue est
donc hors de la question.
En résumé, sous le point de vue militaire,
je regarde comme indifférent que nous ayons ou que nous n’ayons pas le fort
Lacroix.
Je crois avoir suffisamment répondu à
l’interpellation de M. Rogier et pouvoir borner là mes observations.
M. Rogier.
- Je remercie M. le ministre de la guerre des explications dans lesquelles il a
bien voulu entrer. Elles ne feront que me fortifier dans l’opinion que je vais
émettre et qui sera approbative du projet du gouvernement.
S’il y avait dans les mesures proposées la
moindre chance de nouveaux dangers pour le pays, si la position militaire du
pays devait s’en affaiblir, quelque intérêt que nous devions porter tous, en
particulier, à la position des polders, j’aurais été un des premiers à
repousser ces mesures, avec d’autres honorables membres, quelle que soit ma
confiance dans le patriotisme du ministre, qui, après tout d’ailleurs, ne les
aurait pas proposées, si elles devaient compromettre le salut du pays.
Deux propositions nous sont soumises. Il
s’agit de réparer sur les deux rives de l’Escaut les malheureuses conséquences
de la révolution, qui d’ailleurs a eu de si heureux résultats pour le pays en
général. Il s’agit de construire une digue à Borgerweert,
sur la rive gauche de l’Escaut. A cet égard, il ne paraît pas qu’aucune
objection doive être faite. Mais il s’agit en outre d’apporter remède à un mal
qui dure depuis des années, par suite d’une convention qui a été si profitable
au reste du pays ; il s’agit de construire une digue dans l’intérieur du polder
de Lillo. Le premier orateur qui a pris la parole n’a vu là qu’une question de
commisération. Messieurs, n’y eût-il que de la pitié pour ceux qui souffrent,
qu’un mal à faire cesser dont une partie de nos compatriotes sont victimes dans
l’intérêt de tous, que la question mériterait un examen sérieux et la sympathie
de la chambre. Mais il y a autre chose que de la commisération, il y a un acte
de justice nationale, il y a même un intérêt fiscal ; enfin, la sûreté d’une
grande partie du pays, son honneur même, s’y trouvent compromis.
Il y a justice de s’occuper, dans le plus
bref délai, du sort des propriétaires inondés ; car (on ne peut trop le
répéter) pourquoi la province d’Anvers a-t-elle dans ce moment, et depuis 6
ans,
Il y a aussi, s’il faut traiter la
question financière, un intérêt fiscal à considérer. Depuis six ans
J’ai dit que la sûreté publique exige que
l’on s’occupe sans retard de la mesure proposée ; il ne s’agit pas seulement de
l’intérêt des propriétaires inondés. Je dirai même que ce ne sont pas ceux-là
qui réclament avec le plus d’instances ; ce sont surtout les propriétaire,
menacés. Nous devons songer à les mettre à l’abri du danger où ils sont.
Consultez les hommes du pays, les hommes de l’art et les hommes pratiques ; ils
vous diront qu’il suffirait d’une forte marée pour que les polders
circonvoisins fussent inondés. Rendez-vous sur les lieux ; consultez, non pas
les propriétaires intéressés, mais tous ceux qui ont vu les graves dégâts
résultant de la marée du 24 février ; ils vous diront que ce sera un pur hasard
si l’endiguement qui protège les polders jusqu’à Anvers ne cède pas au premier
gros temps.
Alors, je vous le demande, quelle sera la
position du pays si, aux
Il y a une question de sûreté publique non
seulement pour les polders circonvoisins, mais pour l’Escaut. M. le ministre
des travaux publics a fort bien établi que la navigation de l’Escaut était
gravement compromise par l’état actuel des choses. C’est un point sur lequel
nous n’aimons pas à insister, parce que nous sommes de ceux qui pensent que
Il y a aussi une question de prévoyance
qui ne doit pas nous échapper ; car, en supposant que le fort de Lillo soit un
jour rendu à
Enfin, j’ai dit qu’il y a ici une question
d’honneur national, mais non pas, comme le disaient tout à l’heure deux
honorables membres, d’honneur national de
Je le reconnais, les conditions imposées
par
Mais, en prenant le traité dans sa base
principale, n’y a-t-il pas réciprocité ?
Je sais que, tout en refusant la
convention, on ne manque pas de dire qu’on éprouve une vive sympathie pour les
malheureux habitants des polders. Rien n’est plus commode que ce système qui
concilie à la fois l’énergie et la philanthropie. Mais je demanderai où nous
arrivons avec cette philanthropie. L’honorable préopinant est plein de
sympathie pour les victimes des inondations ; mais il ne veut pas de la
convention. A-t-il au moins quelque chose à proposer pour la remplacer ? A-t-il
un autre moyen de réparer le préjudice si grand supporté par quelques-uns dans
l’intérêt de tous ? Qu’il le présente. Je ne demande pas mieux. Quant à moi
j’ose me dire susceptible autant que qui que ce soit en fait d’honneur national.
Mais je suis susceptible aussi en fait de souffrances subies dans l’intérêt
national. Nous ne voulons pas que nos frères souffrent lorsque tout le pays
profite de leur état de souffrance.
Il est certain, et l’honorable M. de Puydt
l’a fort bien indiqué, que de nouvelles négociations n’aboutiraient à rien.
Selon lui il faudrait, même s’il y avait des négociations nouvelles, souscrire
à des conditions plus onéreuses. Ainsi il ne peut être question d’engager des
négociations sur nouveaux frais.
Les négociations sont terminées. Il ne
s’agit plus que de savoir si vous mettrez le gouvernement à même d’exécuter les
travaux, oui bien si par votre refus, vous vous préparerez pour l’avenir le
regret de voir peut-être se joindre aux
Ainsi donc, les conclusions de ceux qui
s’opposent au projet de loi seraient le maintien du statu quo, c’est-à-dire le
maintien d’une grande injustice, d’un grand danger. Quant à nous, nous sommes
contre le maintien d’un pareil statu quo ; nous voulons que le gouvernement
s’occupe, sans plus de délai, de tous les moyens de restreindre l’inondation.
Pour ce qui concerne l’endiguement, deux
systèmes ont été présentés : l’un consistant à construire une digue à
Voilà les motifs qui me font opposer à cette
digue.
Quant à un troisième moyen, qui
consisterait à renforcer l’endiguement actuel, je le regarde comme
inacceptable. Cependant, si vous ne construisez pas la digue, vous serez forcés
de renforcer la digue actuelle, ou je regarderai comme fausse la philanthropie
que l’on a témoignée pour les habitants des polders. Eh bien, le renforcement
de la digue coûtera plus que la digue proposée.
Le renforcement ne répare rien, il laisse inondés
ceux qui sont inondés ; il procure un peu plus de sécurité aux polders menacés,
et c’est sous ce dernier point de vue qu’il peut mériter d’être examiné.
Mais j’ai consulté, à plusieurs reprises,
et les hommes de l’art, et les hommes pratiques, et les habitants des localités
; ils sont tous unanimes pour soutenir que, quel que soit le renforcement de la
digue, jamais on ne parviendra à donner toute sécurité aux polders
circonvoisins.
L’endiguement de Lillo forme aujourd’hui
un lac intérieur d’une immense étendue ; l’eau, poussée par les vents
nord-ouest dans ce grand golfe, tombe de tout son poids sur la digue, et ne
glisse pas sur les rives comme fait l’eau du fleuve. La digue est donc menacée
à chaque tempête, et plusieurs fois elle a été rompue de cette manière.
La digue d’Ordam
et Ettenhoven, qui garantit les polders jusque près
d’Anvers, a été sur le point de succomber à la dernière tempête ; et si
celle de Stabroek n’avait pas été
rompue, on croit que c’est celle d’Ordam qui l’aurait
été. La rupture à Stabroek est un grand malheur, mais le malheur eût été bien
plus grand si la cité d’Anvers eût été inondée.
Si on refuse au gouvernement les moyens de
fermer la rupture, vous ne pourrez sans la plus grande injustice vous refuser
au renforcement de l’endiguement actuel, et il ne faudrait pas moins de deux ou
trois millions pour cela. La chambre doit en être prévenue.
Je finirai par une
dernière observation : je rends justice au patriotisme des membres de la
chambre ; mais je voudrais qu’on tînt compte du patriotisme et de la
résignation de certaines provinces, et qui ne mettent pas dans la défense
d’intérêts purement locaux la persévérance et la chaleur que d’autres apportent
dans la défense de semblables intérêts. Je pose en fait que si l’inondation du
polder de Lillo, cette plaie honteuse du pays, avait existé dans telle ou telle
province, dans la province du Hainaut par exemple…
M. Gendebien.
- Je demande la parole.
M. Rogier.
- Depuis quatre ans, l’acte de réparation que nous réclamons aujourd’hui aurait
été fait par la chambre. Je pose en fait que l’on n’aurait laissé aucun repos
au gouvernement, aucun repos à la chambre, que tout ne fût réparé.
Ceci n’est pas une agression contre mes
collègues ; je rends hommage à la chambre et à la persévérance qu’ils y
auraient mises. Si j’ai cité la province de Hainaut, c’est parce que là, en
effet, on trouve de la persistance, de la chaleur, de l’éloquence.
Eh bien, il faut tenir compte à la
province d’Anvers de la modération, de la résignation qu’elle apporte dans la
défense de ses intérêts propres ; mais il n’y a pas de modération qui, à la
longue, ne s’échappe ; il n’y a pas de résignation qui, à la longue, ne
s’impatiente. Certes, loin de nous, messieurs, de vouloir faire ici ce qui
ressemblerait le moins du monde à une menace ; nous en sommes encore aux
supplications. Nous avons parlé à votre raison, à votre patriotisme, à votre
justice ; nous espérons que nous serons enfin entendus.
M.
Gendebien. - Je demande la parole pour un fait personnel. Je n’ai qu’un
mot à répondre à l’honorable préopinant pour ce qu’il a bien voulu dire des
députés du Hainaut. Je lui ferai remarquer, ainsi qu’à l’assemblée, que les
députés du Hainaut sont, je pense, ceux qui ont réclamé le plus constamment que
l’on vînt au secours et que l’on rendît enfin justice aux malheureux inondés de
Lillo. Si je défends avec chaleur les intérêts de ceux qui m’ont envoyé ici, on
ne peut méconnaître que j’ai défendu aussi avec chaleur les droits de ceux qui
ont tout perdu par les inondations : il n’y a pas de session où je n’ai élevé
vingt fois la voix en leur faveur, (Signes
affirmatifs.)
M. Rogier.
- C’étaient des discours ; maintenant c’est un acte que nous vous demandons.
M. le
ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - La chambre remarquera qu’il n’a pas dépendu du gouvernement
ni de la législature de construire la digue, parce que le gouvernement
hollandais s’y opposait.
- La séance est levée à quatre heures et
demie.