Accueil Séances plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés
Bibliographie et liens
Note d’intention
Chambre des représentants de
Belgique
Séance
du jeudi 16 mars 1837
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre
2) Fixation de l’ordre des travaux de la chambre (circonscriptions électorales
des cantons de Maestricht) (Simons, de
Puydt, Dubus)
3) Projet de loi portant le budget du département de la guerre pour
l’exercice 1837. Second vote des articles. Cadre des officiers de l’état-major
(Willmar), marché des lits militaires (marché Félix
Legrand) ((+ophtalmie militaire) Willmar, Desmaisières, Pirson, A. Rodenbach, Verdussen, Eloy de Burdinne, Gendebien,
(+éloge de l’action du général Evain) d’Huart, Dubois, (+critique de l’action du général Evain) Gendebien, Pirmez, Pirson, Dumortier, Gendebien, Dubus, Devaux), abus dans le service sanitaire de l’armée (de Jaegher, (position des officiers de santé, art de
guérir et jury universitaire) Dumortier, Willmar, Dumortier, Dubus, Ernst), Ernst,
Dubus, Ernst, Dumortier),
article anti-parlementaire paru dans une brochure
militaire (Dumortier)
(Moniteur belge n°79, du 20 mars 1837 et
Moniteur belge n°80, du 21 mars 1837)
(Présidence de M. Raikem.)
M. de Renesse procède à l’appel nominal à midi
et demi.
M. Lejeune lit le procès-verbal de la dernière
séance ; la rédaction en est adoptée.
M. de Renesse fait l’analyse des pièces
adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A
« Le sieur
Gall, professeur émérite à l’université de Liége, demande une augmentation de
pension comme professeur émérite. »
- Renvoi à la
commission des pétitions.
_________________
Le sénat, par un message
en date du 15 courant, informe la chambre qu’il a adopté le projet de loi
contenant le budget des travaux publics.
M.
Simons (pour une motion d’ordre.) - J’ai déposé, il y a quelques jours,
le rapport de la commission chargée d’examiner le projet de loi relatif aux
nouvelles circonscriptions des cantons électoraux sud et nord de Maestricht. Ce
rapport vient d’être distribué. Les honorables membres qui ont pris lecture de
ce rapport ont pu se convaincre qu’il ne donnera lieu à aucune difficulté. Il a
été adopté à l’unanimité par la commission. Et il est urgent que la chambre
vote ce projet de loi, pour le cas d’une session extraordinaire du conseil
provincial, afin qu’on puisse procéder à l’élection de conseillers provinciaux
du canton qui, à cause de la lacune qui sa trouve dans la loi, n’a pas pu
procéder à ces élections.
Je demande en
conséquence que ce projet de loi soit mis à l’ordre du jour après le vote du
budget de la guerre.
M. de Puydt. - Je suppose que M. Simons entend
que le projet dont il parle soit mis à l’ordre du jour après la loi relative à
l’école militaire.
M.
Simons. - Non, non, après le budget de la guerre.
M. de Puydt. - Alors, je m’y oppose.
M.
Simons. - Ce projet n’occupera la chambre que quelques minutes. Si on
ne le vote pas après le budget de la guerre, le sénat se séparera et ce projet
ne pourra pas être voté cette année.
M. Dubus. - Déjà nous avons à l’ordre du jour
des lois d’une grande importance : la loi concernant les indemnités et la loi
des mines. Je ne pense pas que le vote de lois d’un intérêt si majeur doive
être retardé pour une loi toute de localité et sans actualité. En effet, il
n’est pas question de réunir les conseils provinciaux et de procéder à
l’élection des membres qui doivent composer ces conseils.
- La proposition de
M. Simons est mise aux voix et adoptée.
PROJET DE LOI
PORTANT LE BUDGET DU DEPARTEMENT DE
Second vote des
articles
M.
le président. - Je vais mettre aux voix les articles de la loi.
M.
Fallon. - Comme on ne peut arrêter le chiffre du budget que quand on
aura voté définitivement les chiffres des diverses allocations, je proposerai
de remettre le vote des articles de la loi après le second vote des articles du
budget.
M.
le président. - S’il n’y a pas d’opposition, nous procéderons de cette
manière.
Chapitre premier. - Administration centrale
Article
3
M.
le président. - A l’art. 3 du chapitre premier, il y a eu une
augmentation de 7,000 fr. Mais le ministre s’y est rallié.
Chapitre II. – Soldes et masses de l’armée, frais divers des corps
Section première. – Solde des états-majors
Article
premier
M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Je m’étais
proposé de profiter de second vote de la chambre pour reproduire la proposition
du gouvernement ayant pour objet d’augmenter le cadre des officiers-généraux ;
mais comme on m’a fait observer que cette proposition était un amendement à la
proposition primitive du gouvernement, je ne la reproduirai pas, et je me
bornerai à déclarer que je regarde cette augmentation comme de la plus grande
utilité et que je n’y renonce que par respect pour le règlement.
- La chambre
confirme successivement les amendements adoptés aux deux premières sections du
chapitre II et aux six premiers articles de la section III.
Section III. – Masses des corps, frais divers,
indemnités
Article
7
« Art. 7.
Masse de casernement des hommes. »
M.
le président. - Le gouvernement avait demandé fr. 830,966 70 c. ; sur
la proposition de la section centrale, la chambre à réduit l’allocation à
773,805 70 c. : différence, fr. 57,161.
M. le ministre de la guerre (M. Willmar). -
Messieurs, je viens proposer à la chambre de revenir sur le vote qu’elle a émis
dans la séance où elle a prononcé sur l’article 7 du chap. II qui est en ce
moment en délibération. Je pense que ce vote a été plutôt émis dans l’intérêt
de quelques régences, que dans l’intérêt général du pays ; je vais en donner la
preuve.
Je ne m’arrêterai
pas sur la circonstance de l’ébranlement qui résulterait pour le crédit du pays
de ce qu’un marché conclu de bonne foi ne serait pas respecté. Mais
j’insisterai particulièrement sur la grande considération de l’amélioration que
le nouveau système de couchage a apportée au bien-être et surtout à la santé
des troupes.
J’ai lieu de
m’étonner de ne pas rencontrer d’accord avec moi les honorables membres que
j’ai eus pour adversaires dans la question relative au service de santé. Je
pense que la santé du soldat est aussi intéressée à ce qu’on lui procure un
couchage sain et isolé, qu’à ce qu’il ne soit pas mêlé aux médicaments qu’on
lui administre, des matières, je ne dirai pas délétères, mais pouvant en
diminuer l’effet.
Il n’y a pas là un
principe évidemment vicieux ; car, en augmentant la dose, on obtient les mêmes
résultats qu’on obtiendrait avec la substance pure.
Mais, dans le
système du couchage à deux, il y a inoculation de principes vicieux et
délétères ; et je crois être dans la vérité en disant que ce système de
couchage double toutes les infirmités et peut-être tous les vices.
Je prendrai pour
exemple le fléau qui a fait le plus de mal dans l’armée. Sans admettre le
chiffre de mille aveugles indiqué par M. A. Rodenbach, je suis obligé de
convenir que d’après le relevé que je possède, il est au moins de 700. Ce qui
est certainement beaucoup.
Quant à l’ophtalmie
dite militaire qui ne produit guère que la moitié du chiffre des ophtalmistes, quoique le système suivi par le gouvernement
soit celui de la non-contagion, on doit convenir que ce système n’a pas
rencontré l’assentiment universel. Il y a des personnes qui pensent encore que
l’ophtalmie est contagieuse. Il y a même des administrateurs et des médecins
qui ont eu la crainte que quelques miliciens n’aient porté la contagion dans
leurs foyers.
Mais on vous dit
qu’il n’y a guère que la moitié d’ophtalmistes
militaires. La plupart des autres ophtalmistes
viennent de défaut de constitution physique, ou bien d’excès de débauche ; et
je pense que l’ophtalmie due à ces deux causes est essentiellement contagieuse.
Sous ce rapport il est impossible de méconnaître les malheurs devant résulter
de la réunion dans un même lit de deux hommes : l’un sain et l’autre ayant le
germe d’une telle maladie. Je ne crois pas qu’il y ait besoin de beaucoup de
développements pour soutenir cette opinion, quoique ce soit là une opinion
médicale.
Sous ce point de
vue, je regarde comme contraire au bien général le rejet du système auquel nous
devons le bon couchage des troupes et surtout leur couchage un à un.
Maintenant je
reviens au système que j’ai exposé à la chambre.
Je crois avoir
démontré que le nouveau système de couchage est bon et n’est pas onéreux à l’Etat
; car il est comparativement moins cher que celui qu’il a remplacé. On m’a à la
vérité fait une objection contre les calculs que j’ai établis ; on m’a dit que
je ne tenais pas compte de la non-occupation. La non-occupation doit être
envisagée sous deux rapports : quant à la compagnie Legrand et quant aux
régences.
Quant à la
compagnie Legrand, on a mis en avant que la non-occupation serait toujours d’un
tiers. Pour moi je suis persuadé que le taux moyen ne dépassera pas un dixième
ou un huitième tout au plus. La première année, où l’organisation a rencontré
des difficultés très grandes, la non-occupation n’a pas été d’un sixième. Mais
j’accorde même la non-occupation. J’ai établi que le loyer d’un lit de la
compagnie Legrand, où nos hommes sont couchés seuls, coûte un demi-centime de
plus par jour que les lits doubles des régences. Si je joins à cela la
différence d’un tiers, j’ai pour résultat les cinq sixièmes, c’est-à-dire que
l’Etat paie 5 sixièmes de plus pour un bon lit où nos hommes sont couchés seuls
que pour un mauvais lit où ils sont couchés à deux. Mais, dit-on, les régences
ne reçoivent pas cinq centimes par jour ; par conséquent la différence de
non-occupation diminue le chiffre des régences.
Je crois que l’on
ferait bien de faire abstraction de la non-occupation des régences, puisqu’on
fait abstraction des frais d’entretien des bâtiments.
L’an dernier,
l’honorable rapporteur a appris à la chambre qu’à Gand on avait repris du
gouvernement de mauvaises couchettes, et que l’on avait regardé ce cadeau comme
onéreux.
Je ne comprends pas
d’abord comment on accepte un cadeau onéreux. Toujours est-il que l’on avait
donné pour raison de cette acceptation le grand avantage que procure une
garnison : notamment l’augmentation des revenus de l’octroi et des bénéfices de
tous les commerces à peu près de la ville. D’après cela, je pense qu’il y
aurait une injustice réelle à mettre sur la même ligne des entrepreneurs qui ne
jouissent pas de ces avantages et les villes qui les réclament.
Je reviens aux
chiffres.
Le simple soldat
d’infanterie qui reçoit la solde la moins élevée met tous les jours dans son
ordinaire 21 centimes. Le moindre denier de poche du soldat d’infanterie est à
peu près de 25 centimes ; par conséquent le soldat le moins bien payé dépense tous
les jours dans la ville où il est en garnison. Si maintenant je tiens compte de
la dépense plus grande des officiers et des sous-officiers, et en outre de ce
que les soldats reçoivent de leur famille et dépensent encore, je ne crois pas
exagérer en doublant la dépense que j’avais indiquée ; je crois que l’on peut
compter que chaque homme dépense tous les jours de 80 à 90 centimes par jour.
Malheureusement la consommation la plus grande est en eau-de-vie et en bière.
La consommation louable est en viande. Je crois que l’on peut évaluer taux
moyen les droits d’octroi à 30 p. c. du prix des denrées. Mais mettons-les à 20
p. c., soit même à 10 p. c. Prenez donc 10 p. c. à chaque soldat d’après la
consommation de 80 à 90 centimes par homme et par jour. Alors vous serez
convaincus qu’une régence reçoit par homme non pas 5 centimes pour le lit
qu’elle lui donne, mais en outre de 8 à 10 centimes sur la dépense qu’il fait.
La compagnie Legrand ne fait pas cette dernière recette. Si vous considérez en
outre qu’elle donne un bon lit au soldat et qu’elle le couche seul,
trouverez-vous que l’Etat donne trop lorsqu’il donne les 5/6 d’un centime de
plus ? Ne suis-je pas en droit de conclure que sous ce point de vue, qui est
fort rationnel, on ne peut dire que le marché de la compagnie Legrand soit onéreux à l’Etat ?
Je n’ai pas besoin de revenir sur la question des frais de réparation et
d’entretien, puisqu’il me semble qu’elle n’a pas été contestée.
Je ne traiterai pas
la question constitutionnelle ; mon intention n’est pas de l’attaquer.
Si l’honorable
général Evain avait prévu tous les désagréments que lui a attirés cette
question, il s’est acquis un titre de plus à la reconnaissance de l’armée. Pour
moi il faudrait une nécessité absolue pour que je m’exposasse aux mêmes
désagréments. A moins de cela, fût-ce même pour faire le bien, je ne le ferais
pas. La chambre n’a donc pas à craindre, si elle sanctionne ce marché de 20
ans, que ce soit un acheminement et une voie ouverte à des marchés semblables.
Je crois pouvoir borner
là mes explications et prier la chambre de voter le chiffre du gouvernement.
M. Desmaisières, rapporteur. - L’honorable
ministre de la guerre a commencé par faire observer à la chambre que l’opinion
qui avait prévalu dans une précédente séance reposait principalement sur
l’intérêt des régences. Je dois d’abord lui faire observer que ce n’est que
secondement que l’intérêt des régences a été mais en jeu dans la discussion.
Maintenant M. le
ministre de la guerre vous a fait un nouvel exposé des améliorations que le
système de couchage adopté avait introduites dans l’intérêt du soldat. C’est là
une question sur laquelle dès le premier abord tout le monde a été d’accord.
Le rapport que j’ai
eu l’honneur de faire au nom de la commission spéciale a commencé par
reconnaître que ce nouveau système était un bienfait. Nous rendons grâce au
ministre d’avoir porté des modifications au système de couchage dans l’intérêt
du soldat.
Messieurs, ce que
nous avons critiqué, ce que nous critiquerons encore, ce que nous critiquerons
toujours, c’est le mode d’exécution de ce système, c’est la manière dont on l’a
pratiqué ; c’est là ce qui est onéreux à l’Etat, au soldat, et aux communes.
L’honorable
ministre de la guerre a dit encore qu’il ne croyait pas que les lits de la
compagnie Legrand pouvaient rester inoccupés, ou qu’il n’y en aurait que le
dixième qui serait inoccupé. Je ne sais pas s’il entend borner cette assertion
à la situation actuelle du pays, ou s’il entend parler de la situation de
guerre, d’hostilité ; dans ce cas, je crois qu’on n’en occupera presque pas, et
peut-être même pas un seul, et par conséquent, aux charges de guerre que nous
devrons alors supporter, nous devrons ajouter 432,000 fr. annuellement sans
utilité aucune.
S’il a parlé de
l’état de paix, il est encore certain que nous éprouverons une lésion qui,
comme je l’ai fait remarquer dans mon rapport, monte à 228,000 francs par
année.
Si c’est de la
situation actuelle seulement que le ministre a entendu parler, je suis à même
de montrer que dès la première année de l’exécution du marché de 1836, si le
service avait été complété, on n’aurait pas occupé tous les lits de la
compagnie.
Je tiens ici un
état qui a été remis à la section centrale par le ministre de la guerre, er qui
indique les chiffres des diverses garnisons d’infanterie dans toutes les villes
du royaume pendant l’année 1836. D’après cet état, il y aurait en troupes
d’infanterie dans les places où le service de la compagnie Legrand est établi
(successivement pendant la durée des camps, hors de la durée des camps).
Bruxelles, 2,000 -
2,300
Vilvorde, 150 - 200
Charleroy, 110 -
400
Anvers, 1,770 -
2,300
Liége, 890 - 1,200
Mons, 630 - 1,000
Namur, 630 - 1,000
Tournay, 630 - 800
Lierre, 350 - 300
Hasselt, 440 - 400
Total, 7,450 -
9,700.
A déduire pour
Namur et Liège, où le service Legrand n’est établi que partiellement, et pour
les malades aux hôpitaux, en restant beaucoup au-dessous de la proportion de
l’état que je tiens en main, 745 - 970.
Reste : 6,705 -
8,730.
Ce qui présente, en
supposant la durée des camps à 2 mois, tandis qu’au budget on l’a portée à 100
jours, une moyenne de 8,392 hommes.
D’après l’annuaire,
les garnisons en troupes de cavalerie, en supposant le complet du budget, auraient
présenté pour un escadron à Anvers, trois à Namur, deux à Charleroy, six à
Tournay et quatre à Bruxelles (déduction faite pour les malades), 3,051 hommes.
C’est faire une
large concession que de supposer qu’un tiers du complet, selon le budget, ait
été pendant toute l’année en garnison dans les places du service Legrand, 2,662
hommes.
Total des troupes
qui auraient pu être couchées sur les lits Legrand en 1836, si le service eût
été complété dès le 1er janvier 1836, 14,105 hommes.
Or, le service Legrand
est établi pour 21,705 hommes.
Donc il y aurait eu
des lits inoccupés pour 7,600 hommes.
Et par conséquent,
de ce chef, dès la première année du marché, on aurait payé, dans l’état de
dislocation des troupes que l’on avait établi sans doute de manière à ce qu’il
fût en rapport avec la situation du pays, on aurait payé, dis-je, 150,000 fr.
en trop.
Le ministre a fait
ensuite ressortir les avantages qui résultent pour les villes d’avoir garnison
: nous sommes d’accord avec lui sur ce point ; certainement, ces villes ont de
très grands avantages par suite des garnisons, et c’est pour cela que nous
avons toujours soutenu que l’Etat pouvait mieux traiter avec les régences
qu’avec les entrepreneurs, parce que les entrepreneurs ne pouvaient pas obtenir
les avantages indirects qu’ont les villes. Ainsi, loin de combattre, par là,
notre opinion, le ministre n’a fait que la renforcer.
On a constamment
cherché à nous entraîner sur un terrain où nous ne voulions pas aller ; on a
constamment cherché à réduire la question à une question d’intérêt personnel,
en quelque sorte, entre des entrepreneurs rivaux. Nous n’avons jamais voulu
nous poser sur ce terrain. Nous l’avons fait, il est vrai, dans notre premier
rapport, parce que cette question avait été le principal point sur lequel avait
porté la discussion avant la nomination de la commission spéciale, au nom de
laquelle j’ai présenté ce rapport, et nous l’avons fait alors, parce qu’alors
aussi il était de notre devoir d’examiner la question des lits militaires sous
ce point de vue. C’est pourquoi nous avons posé la sixième et la huitième des
questions que nous avons résolues. La sixième question était ainsi conçue :
« Aux
conditions de l’adjudication, eût-il été plus avantageux à l’Etat d’acquérir et
de fournir lui-même les couchettes en fer que d’en charger l’entrepreneur
? »
La huitième
question était celle-ci :
« La
soumission de Félix Legrand et compagnie était-elle plus avantageuse que celle
de Destombes. »
Vous le voyez,
messieurs, alors et alors seulement nous avons été obligés de considérer aussi
la question des lits militaires sous ce point de vue, parce que la force des
choses nous y avait entraînés, parce que le ministre lui-même l’avait traitée.
Mais la section
centrale n’a pas voulu de nouveau s’engager dans cette discussion ; elle a
voulu que la discussion fût dégagée de tout ce qui pouvait être personnel à des
intérêts rivaux. Cependant, puisqu’on est revenu sur ce point, je vais présenté
à la chambre quelques calculs qui prouveront à l’évidence que l’auteur de
l’adjudication a mal choisi entre les deux bases que lui-même avait posées.
La soumission de Destombes, sur la seconde base, c’est-à-dire sans
couchettes, où les couchettes fournies par l’Etat, était de 375,237 fr. 80 c.
La soumission de la
compagnie Legrand, qui a été accueillie sur la première base (avec couchettes)
s’élevait à 432,650 fr.
Différence en plus,
fr. 57,400.
Or, payer 57,400
fr. par année, pendant vingt années, revient à payer aujourd’hui, c’est-à-dire
au commencement de la première des vingt années, en calculant les annuités à 5
p. c., 715,000 fr. Ainsi l’auteur de l’adjudication, en choisissant la base de
l’adjudication Legrand, faisait payer à l’Etat une somme de 715,000 fr. ; en
pourquoi ? pour le simple usage des lits de fer, et non pour en acquérir la
propriété, car au bout des vingt ans l’Etat n’avait rien.
La compagnie
Legrand dit actuellement, ainsi que l’auteur de l’adjudication, que les lits de
fer lui reviennent en définitive à 650,000 fr. (Notez bien que c’est après des
modifications qu’il a fallu faire au modèle reconnu tout à fait défectueux.)
Eh bien, sur ces
650,000 fr., vous aurez encore une différence de 65,000 fr.
Et si aujourd’hui
la compagnie Legrand n’avait fait aucune proposition de transaction, si elle
s’était tenue au marché, il faudrait au bout de ce marché ajouter à ces 65,000
fr., qui deviennent alors 172,000 fr. par suite des intérêts composés, encore
le prix des couchettes, ce qui fait 650,000 fr. ; ainsi le désavantage total
pour l’Etat est de 822,000 fr.
Mais comme la
transaction dernière réduit à 290,000 fr. le prix des couchettes au bout des
vingt ans, il en résulte une diminution à faire de 360,000 fr. ; il resterait
toujours un désavantage, pour l’Etat, de 462,000 fr., et l’on aurait les lits
en fer entièrement détériorés.
Ainsi, messieurs,
vous voyez que la question doit être tranchée comme nous vous le proposons, en
la restreignant même dans les limites étroites où l’on veut à toute force la
retenir et dont nous avons, nous, toujours voulu sortir, puisqu’il ne s’agit
pas de savoir s’il fallait adjuger à Destombes plutôt
qu’à Legrand ou à Legrand plutôt qu’à Destombes, mais
qu’il s’agit de l’intérêt de l’Etat, de l’intérêt du soldat, de l’intérêt des
communes ; veuillez relire, dirai-je, encore une fois, en pages 42, 43 et 44 du
rapport de la section centrale, et vous y verrez si ces intérêts ont été
ménagés ou s’ils n’ont pas été évidemment lésés.
Je le répète,
messieurs, la principale objection qui ait été faire contre le marché, celle
qui domine toutes les autres, c’est que la prime de loyer est payée à la
compagnie, que les lits soient occupés on non ; c’est là l’article du contrat
qui est le plus onéreux à l’Etat.
Je ne reviendrai point sur les propositions de transaction que j’ai
faites l’autre jour, mais je soutiens que ce sont les seules bases qui puissent
concilier tous les intérêts.
Le ministre de la
guerre se propose d’établir une nouvelle dislocation des troupes, parce qu’il
considère celle qui existe maintenant comme vicieuse, comme pouvant nuire aux
intérêts de la défense du pays ; eh bien, messieurs, si la transaction que je
regarde comme la seule possible, comme la seule qui puisse concilier tous les
intérêts, avait lieu, M. le ministre de la guerre ne serait nullement gêné dans
l’exécution de la mesure de dislocation qu’il se propose de prendre, tandis
qu’il le sera infailliblement dans l’état actuel des choses : car d’une part il
se trouvera en présence des contrats faits avec les régences, et d’autre part
il se trouvera en présence du contrat fait avec la société Legrand ; il devra,
pour satisfaire aux intérêts du trésor, faire en sorte que tous les lits de la
société soient occupés, autant que possible ; il devra donc augmenter les
garnisons là où elles ne sont pas assez nombreuses pour occuper tous les lits
de la société qui s’y trouvent, et d’un autre côté, s’il ne veut pas manquer à
la foi des promesses, il devra aussi augmenter les garnisons des villes avec
lesquelles il a traité pour le couchage des troupes. Je le demande donc,
messieurs, le ministre de la guerre ne sera-t-il pas éminemment gêné dans le
système de dislocation qu’il veut établir ?
M.
Pirson. - Messieurs, dans l’état où la question qui nous occupe en ce
moment s’est présentée l’année dernière, lorsque le ministre de la guerre nous
a demandé un crédit pour la masse de casernement des troupes, après qu’il eut
conclu un marché de vingt ans pour le couchage des soldats, il était, selon
moi, impossible de voter en faveur de ce crédit, parce que le marché n’était
pas accompagné des pièces nécessaires, et entre autres d’un tarif qui mît le
soldat à l’abri des concussions qui auraient pu être exercées à son préjudice ;
il était impossible de voter contre le crédit, parce qu’il n’était pas
suffisamment démontré qu’il fut onéreux pour l’Etat. Je proposai donc un
libellé qui ne renfermait autre chose que l’ajournement de la question jusqu’à
cette année. Ce libellé fut amendé par M. le ministre des finances et adopté
ensuite par la chambre.
Maintenant,
messieurs, notre position n’est plus la même : nous avons maintenant un tarif
qui met le soldat à l’abri de toute espèce de concussion ; nous avons la
possibilité d’acquérir la propriété des lits de fer à l’expiration du marché ;
nous avons en outre une circonstance avantageuse qui ne dépend ni de nous ni de
la société : c’est le grand renchérissement du fer qui est maintenant d’un
tiers plus cher que l’année dernière ; d’où il résulte que, puisque la
compagnie offre de nous céder la propriété des lits de fer pour à peu près la
moitié du prix auquel ils étaient cotés l’année dernière, nous avons en
définitive le moyen d’acquérir ces lits pour le tiers environ de leur valeur
actuelle.
Je ne dirai plus rien des avantages du nouveau système de couchage comparativement
à l’ancien ; la section centrale, le ministère, nous tous, tout le monde
reconnaît que le nouveau système est, sous le rapport de la salubrité et de la
morale, infiniment meilleur que l’ancien.
M. le ministre de
la guerre a fait un appel aux sentiments de la chambre ; il a dit que ses
adversaires d’hier doivent aujourd’hui appuyer son système ; eh bien,
messieurs, je réponds à cet appel, et cela prouve que je ne fais point une
opposition systématique. Mais, par la même raison que, de notre côté, nous ne
faisons point de la question une affaire d’amour-propre, le ministère ne doit
point non plus faire de la question qui a été discutée hier une affaire
d’amour-propre. S’il ne pèse point sur certains individus une culpabilité
suffisante pour qu’ils soient dénoncés aux tribunaux, il est au moins certain
qu’il y a de mauvais administrateurs, et un ministre doit savoir faire justice
des mauvais administrateurs.
M. A. Rodenbach. - Messieurs, je voterai le chiffre
qui est proposé par la section centrale ; je ne saurais sanctionner un marché
qui a été conclu comme celui des lits de fer : quelques semaines avant la
réunion des chambres, un ministre prend sur lui de conclure un marché si
considérable pour un terme de vingt ans, au lieu d’attendre quelques semaines
et de proposer d’abord à la législature une loi qui l’autorisât à conclure un
marché pour le couchage des troupes ; s’il avait agi de cette manière, il
aurait entendu les mandataires de la nation, il se serait éclairé et il en
serait résulté un marché qui n’eût pas été aussi onéreux pour l’Etat que celui
dont il s’agit en ce moment. La section centrale aussi bien que les ministres,
aussi bien que nous tous, veut que le soldat soit bien couché ; nous aurions
tous donné la main à un arrangement qui assurât aux soldats un bon couchage et
qui ne lésât pas les intérêts du trésor.
Lorsqu’il s’est agi
de première fois de ce marché, le ministre et ceux qui l’appuyaient tenaient le
même langage qu’aujourd’hui ; on nous disait en faveur du marché tout ce qu’on
nous dit aujourd’hui ; cependant depuis lors la compagnie Legrand a fait des
concessions, elle nous a successivement fait plusieurs propositions ; si nous
avons le courage de les refuser, il n’y a pas de raison pour qu’elle n’en fasse
pas de nouvelles, d’autant plus qu’elle est dans son tort puisqu’elle devait
connaître la loi, puisqu’elle devait bien savoir qu’un ministre n’avait pas le
droit de conclure un semblable marché sans le concours des chambres ; nous ne
pouvons donc que gagner en adoptant la proposition de la section centrale ;
nous y gagnerions au moins un million ou un million et demi.
En France les troupes ne sont pas mal couchées, et là cependant le
couchage ne coûte que 15 francs par homme ; ici vous payez 20 francs et des
centimes, ce qui fait un quart de plus qu’en France où personne ne peut se
plaindre du couchage du soldat.
Je répète donc que
le marché est onéreux, et que si nous voulons ne pas prodiguer les deniers des
contribuables, nous devons adopter la proposition de la section centrale ; le
soldat n’en sera pas moins bien couché, il n’en aura pas moins des lits du fer,
et nous aurons soigné les intérêts du trésor ; nous aurons appris aux ministres
à ne pas contracter des marchés pour vingt ans sans le concours des chambres.
M. Verdussen. - Messieurs, j’ai déjà en
l’occasion de le dire plusieurs fois, et il faut que je le répète encore
aujourd’hui, j’aurais été prêt à voter une somme beaucoup plus forte que celle
qui nous est demandée, s’il eût dépendu de cette somme de procurer au soldat un
couchage avantageux ; mais la seule chose dont il s’agissait, c’est qu’au
moment où le marché a été conclu par le prédécesseur de M. le ministre de la
guerre, il n’était pas nécessaire de faire les sacrifices qu’on a faits pour
assurer le bon couchage des soldats ; c’est sous ce seul rapport que j’ai
trouvé le marché onéreux pour l’Etat.
Lorsqu’il s’est agi
de voter le chiffre, je me suis abstenu et je vous ai fait connaître les motifs
de mon abstention ; ces motifs subsistent encore aujourd’hui ; mais il en est
encore un autre, c’est que je ne puis admettre ni l’un ni l’autre des chiffres
qui nous sont proposés : celui du ministre de la guerre est insoutenable, ce
que je crois avoir prouvé ; celui de la section centrale me paraît trop faible
: il me semble qu’il faudrait voter un chiffre intermédiaire.
Je ne l’ai pas
présenté, je ne le présente pas encore, parce que je ne pense pas qu’il puisse
faire fortune dans la chambre.
Je saisis cette
occasion pour rectifier une erreur dans laquelle paraissent être tombés
plusieurs des orateurs qui ont parlé sur le chiffre que j’avais posé. J’en
excepte cependant l’honorable M. Gendebien qui m’a compris.
Lorsque j’ai dit que le chiffre de 13 mille fr. était celui que le
ministre avouait être payé en plus qu’il ne fallait, je n’ai pas voulu prendre
sur moi tous les chiffres qui avaient été la base du mien ; mais, pour ne pas
rencontrer de contestations, j’ai pris les bases de mon calcul dans un mémoire
que le ministre avait présenté sous le titre d’exposé succinct. Ces chiffres
pouvaient être contestés, mais je n’ai pas voulu batailler avec le ministre sur
ces chiffres. J’ai commencé par dire que j’acceptais ses chiffres
hypothétiquement, et que dans cette hypothèse on payait 18 mille fr. de trop.
Mais il faut ajouter à ce chiffre 10 mille francs pour frais d’entretien, parce
que cet entretien venait à la charge du fournisseur des literies d’après
l’article 4 du cahier des charges. Je suis d’accord avec la section centrale,
il aurait fallu que le ministre acceptât l’autre base, et la faute capitale
qu’il a commise, c’est d’avoir adopté la base à laquelle il a donné la
préférence.
Je n’ai jamais
voulu faire retourner le soldat à son détestable couchage ; je serais même
disposé à faire de plus grands sacrifices que ceux demandés pour éviter un
pareil résultat.
Cependant, comme le
chiffre de la section centrale pourrait avoir cette conséquence, je
m’abstiendrai encore une fois.
M. Eloy de Burdinne. - Messieurs, il est assez d’usage que les membres
qui n’ont pas assisté à une discussion s’abstiennent de voter. Cependant, quoique j’aie été retenu
chez moi par une indisposition, je ne m’abstiendrai pas dans la question qui
nous occupe. J’ai lu attentivement le Moniteur
pendant tout le temps qu’a duré cette discussion, et j’ai été plus à même
d’apprécier la force des arguments du pour et du contre que si j’avais assisté
à la séance, parce que j’ai pu examiner avec beaucoup d’attention, sans être
interrompu par personne.
J’ai reconnu donc
que le marché Félix Legrand et compagnie était bon, surtout depuis qu’on a fait
quelques concessions qui n’existaient pas l’année dernière, quand je me suis
abstenu lors du vote du budget de 1836.
Je n’entrerai pas
dans les motifs qui me portent à voter en faveur de ce marché. On en a dit
assez, je crois, pour que chacun de nous soit convaincu ou pour ou contre.
Pour moi, je
considère que l’augmentation de dépense d’un centime, fût-elle de deux ou de
trois, pour pouvoir coucher nos soldats seul à seul et leur éviter ainsi des
maladies, doit être votée sans hésiter. Ce motif seul doit nous décider à voter
le chiffre demandé par le gouvernement. Un autre motif me détermine encore à voter
ce chiffre ; c’est que dans la supposition où il ne serait pas voté, je
craindrais que le gouvernement ne fût obligé de cantonner l’armée, ou à laisser
les soldats sur les grabats des régences, couchés deux à deux et exposés à
toutes sortes de maladies. Ce motif d’humanité ne sera pas, j’en suis sûr,
perdu de vue par la chambre.
Il est à remarquer que l’homme fatigué, quand il est bien couché, se
remet de ses fatigues, récupère ses forces, tandis que quand on est mal couché
et deux dans un même lit, on se lève plus fatigué qu’on ne l’était en se
couchant.
Comme la sûreté de
l’Etat réside dans la force de l’armée, je crois de mon devoir de dire tout ce
qui dépend de moi pour que cette armée soit bien couchée, bien nourrie et en
état de nous défendre à l’occasion.
En conséquence je
ne m’abstiendrai pas ; je voterai le chiffre du ministre, et je ratifierai le
marché contracté avec Félix Legrand et Cie.
M. Gendebien. - Je ne veux en aucune façon
rentrer dans la discussion : depuis longtemps elle est épuisée ; mais je dois
protester contre l’intention qu’on nous suppose et sur laquelle le ministre est
revenu. Chacun de nous est convaincu de la nécessité d’un changement dans le
couchage des soldats ; la section centrale et la commission qui l’a précédée
ont applaudi au régime adopté. Jamais la question n’a été de savoir si nos
soldats devaient être bien ou mal couchés ; nous sommes tous d’accord qu’ils
doivent être couchés le mieux possible. La question a été de savoir si on ne
pouvait pas les coucher aussi bien et même mieux, à un prix moins élevé.
Dans la première
discussion j’ai dit que s’il fallait dix centimes par homme et par jour, je
n’hésiterais pas à accorder la somme pour empêcher qu’on ne revienne à l’ancien
régime du couchage qui n’a duré que trop longtemps. La question est de savoir
si l’Etat doit être spolié sans avantage pour le soldat. C’est là le seul
rapport sous lequel le marché a été envisagé.
J’ai cru devoir
revenir sur cette protestation à cause des insinuations faites au commencement
de cette séance par le ministre de la guerre ; jamais on n’a mis en question si
les soldats devaient être bien ou mal couchés ; et moi, je le répète, c’est le
résultat du marché pour le trésor qu’on a seul examiné ; et si on me prouvait
qu’il est nécessaire de doubler la somme, c’est-à-dire de payer dix centimes
pour que le soldat fût mieux couché, dès à présent je les voterais. Ce qu’on ne
voulait pas, c’est que le trésor fût surchargé de dépenses inutiles, et que le
soldat ne fût pas exploité par la compagnie.
Si quelqu’un a
droit à la reconnaissance du soldat, ce n’est pas le général Evain ; car il
avait livré le soldat à la merci de la compagnie. C’est la commission qui a
seule droit à la reconnaissance du soldat, en empêchant qu’il continuât à être
exploité, en faisant disparaître du règlement ce qui offrait à la compagnie des
moyens d’exploitation.
Voilà, puisqu’on parle de reconnaissance, à qui elle est due.
Je ne dirai qu’un
mot du marché. Il est onéreux pour l’Etat, on l’a prouvé de toute manière.
J’ajouterai une seule considération, En France le couchage de chaque soldat
couchant seul coûte, non compris la couchette en fer, 15-24. La couchette est
fournie par le gouvernement ; l’intérêt à payer pour le capital employé à
l’acquisition des couchettes n’aurait été que de 1-25 par homme, total 16-49.
Nous payons à la compagnie Legrand 20 50 par homme et par an ; différence 4-01
par homme, sur 20,700 lits dont 1,000 lits à deux places : cela fait plus de
21,000 individus couchés par la compagnie. Si vous multipliez ce chiffre par 4,
je néglige la fraction, le centime, il en résulte que nous payons 84 mille fr.
plus qu’en France ; ajoutez à cela qu’en Belgique tous les objets de
couchage sont 25 p. c. meilleur marché qu’en France : jugez de la différence et
des sacrifices inutiles. Voilà sous quel rapport la commission a envisagé la
question. Sous ce rapport, je persiste à dire que le marché est onéreux, et je
persisterai à voter contre, réitérant ma protestation contre l’intention qu’on
nous a supposée de vouloir ramener le soldat à l’ancien couchage, déclarant que
si une nouvelle proposition est faite, je suis prêt à accorder dix centimes par
jour et par soldat pour qu’il soit mieux couché qu’il ne l’est d’après le mode
actuel.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). -
Messieurs, je suis charmé que l’honorable préopinant soit entré dans des
comparaisons de prix du couchage des troupes en France et en Belgique. Je me
proposais moi-même d’aborder ces comparaisons, qui ont été souvent faites dans
cette discussion, parce que les arguments qu’on en a tirés contre le marché
dont nous nous occupons vont tomber devant les raisonnements fort clairs et
fort simples que je vais avoir l’honneur de vous présenter.
Les prix qui
résultent du marché passé en France en 1822 sont de vingt francs par lit à deux
places avec couchettes en bois, et le prix de location d’un lit à une pièce, la
couchette en fer étant fournie par le gouvernement, est de 15 fr. 24 c., comme
l’a dit l’honorable préopinant.
Le gouvernement
français pouvait donc économiser une somme considérable s’il avait voulu
continuer à laisser les soldats coucher deux à deux dans un lit de bois,
puisque le couchage de deux hommes ne lui coûtait ainsi que 20 fr., tandis
qu’en les isolant, chacun coûte 15 fr. 24 c., indépendamment de la couchette
qui est livrée, par le gouvernement ; ce qui fait par conséquent, pour deux
soldats couchant seul à seul, un prix de location de 30 fr. 48 c., auquel on
doit ajouter au moins 3 fr. par lit pour les couchettes en fer, soit 36 fr. 48
c. ; d’où il résulte une différence de 16 fr. 48 c. par deux hommes dont le
gouvernement français a voulu faire le sacrifice, afin que les soldats pussent
coucher seuls ; c’est donc un sacrifice de 8 fr. 24 c, par homme, qui, appliqué
sur un nombre de 20,000 hommes, s’élève à 164,800 fr. Donc, en comparant les
choses dans les deux pays, je dis que
Mais, messieurs,
quand on vient dire que nous payons 20 fr. 50 c. par lit à une place, tandis
qu’en France on ne paie que 15 fr. 24 c., on oublie que la couchette est
fournie et entretenue par le gouvernement français, à qui elle revient au moins
à 3 fr. par homme et par an, ce qui porte à 18 fr. 24 c. le couchage par homme
et réduit la différence à 2 fr. 26 c. ; différence qui est elle-même l’argent
compensée par l’autorisation donnée aux entrepreneurs français d’employer à la
confection des objets de literie en laine les 2/3 des anciennes fournitures,
lesquelles, estimées d’abord valoir 13 millions par l’ancienne compagnie, lui
furent payées seulement, en suite d’une expertise qu’avait réservée le
gouvernement, à raison de 5,800,000 fr. Ces entrepreneurs ont donc employé la
majeure partie des anciens objets de couchage, tandis qu’ici nous avons eu des
literies tout à fait neuves ; aussi, est-il arrivé que les literies en France
n’ont coûté que 60 fr. par lit, tandis qu’ici elles ont coûté de 100 à 105 fr.
De plus, en France,
tous les anciens locaux ont été remis aux entrepreneurs, tandis qu’en Belgique
ils ont dû fournir des locaux à leurs frais. Cela représente une dépense qui
revient à 1 fr. 75 c. par lit. Ensuite nos literies sont plus lourdes, la
différence peut être évaluées à 1 fr. 15 c.
Ces différences de
conditions sont notables ; cependant, en ne s’y arrêtant même pas, il reste
toujours constant qu’en France le gouvernement a fait un sacrifiée de 8 fr. 24
c. par homme et par an pour obtenir un meilleur couchage des soldats, et en
Belgique, comparaison gardée, nous n’avons, toutefois, en obtenant mieux
encore, fait qu’un sacrifice de 1 fr. 65 c. par homme sur ce que nous étions
forcés de payer aux régences.
Je sais que nous
avons obtenu un meilleur couchage, car il faut remarquer qu’en France les
couchettes ne sont pas tout à fait en fer ; ce sont des tréteaux sur lesquels
on pose trois planches ; or, c’est là un grand défaut, attendu que l’air ne
pénétrant pas au travers des planches, comme cela arrive entre les tringles en
fer, la santé du soldat n’est pas aussi bien assurée avec ce mode qu’avec le
nôtre. Les insectes, les punaises finissent d’ailleurs par se loger dans ces
planches, et c’est là encore un bien grand inconvénient.
Vous le voyez,
messieurs, il est juste, lorsque l’on compare le couchage des soldats en France
avec le nôtre, de tenir compte de toutes les considérations qui ont pu faire
que les frais y aient été moindres qu’en Belgique.
Outre les
différences essentielles que je viens de signaler il en est encore une autre
très notable qu’on semble perdre de vue et sur laquelle il est bon d’appeler
l’attention de l’assemblée, c’est qu’en France les lits sont placés
définitivement dans les casernes auxquelles ils ont été destinés dès le
principe, ils ne peuvent pas être transférés dans d’autres localités, en
Belgique, au contraire, le ministre de la guerre s’est réservé le droit de
faire verser les couchettes qui sont en trop dans cette localité où il le juge
nécessaire, et cela aux frais de l’entrepreneur. En France, je le répète, elles
restent immuables où elles ont été primitivement placées : et qu’on ne prétende
pas que c’est sans importance ; on va construire de suite des casernes à
St-Trond et à Tirlemont, et le ministre y fera transporter des couchettes et
des literies de l’entreprise afin d’y coucher immédiatement la troupe, ce qui
évitera des cantonnements, contre lesquels vous vous êtes élevés avec raison
dans tant de circonstances.
Messieurs, ainsi
que le ministre de la guerre l’a dit tout à l’heure en terminant, nous avons
lieu de penser que si M. le général Evain avait prévu toute la peine, toutes
les tracasseries qu’il a essuyées par son marché des lits militaires, il se fût
bien gardé de contracter ce marché ; or, l’on n’aurait pas eu de reproches
sérieux à lui faire, parce qu’il serait resté dans la position où on était
depuis si longtemps. Cependant nous aurions ainsi eu depuis un an plus de 10
mille hommes en cantonnement, ce qui nous aurait coûté deux fois plus que le
capital de la somme annuelle contestée par la section centrale, indépendamment
des désagréments d’une partie de la population.
Honneur donc au
générai Evain, qui a risqué de contracter ce marché en s’exposant à tant de
tracasseries ; honneur à lui, car il a atteint un double but dans l’intérêt de
la morale et du trésor. Ce que je dis est incontestable ; car depuis que ce
marché a été passé, il n’y a plus eu de cantonnements, et sans cela vous auriez
eu plus de 10 mille hommes cantonnés, ce qui eût coûté une somme considérable
et la coûterait pendant un temps encore plus long.
Vous n’ignorez pas
qu’en effet les charges du trésor s’aggravent, par an, de 130 fr. par homme
cantonné qu’il coûte de plus que quand il est logé dans une caserne ; pour
10,000 hommes ainsi logés, nous eussions donc dépensé en plus 1,300,000 fr.,
tout en obligeant une grande partie de nos hôpitaux à subir les cantonnements.
Maintenant, a-t-on
bien pesé les conséquences qui peuvent résulter du rejet du marché dont il
s’agit en ce moment ? On proteste sans cesse qu’on ne veut pas revenir à
l’ancien mode de couchage, replacer les soldats deux à deux dans de mauvais
lits. Cependant ce résultat est inévitable, ou bien nous opprimerions le faible,
nous obligerions la compagnie adjudicataire à souscrire à des conditions
onéreuses, malheureuses. Pour moi, je ne veux pas forcer violemment la société
à transiger, et il me semble que la foi du contrat qui mérite bien quelque
égard, vous interdit de recourir à un tel moyen.
Et si, en rejetant
le marché, la compagnie pouvait se refuser à la transaction qu’on voudrait lui
imposer, nous tomberions inévitablement dans les embarras du cantonnement en
grevant le trésor d’un surcroît de dépense de 2,600,000 fr. par an ; car, avec
l’effectif auquel on porte notre armée, il faudrait cantonner au moins 20,000
hommes. Dans cette position que ferait le ministre de la guerre ? Ne devrait-il
pas venir vous demander mensuellement pour les cantonnements un crédit de
216,666 fr.
Les troupes ne
pourraient rentrer, même momentanément, dans les anciens lits, il n’en existe
plus au-delà du nombre nécessaire à 22 ou 23,000 hommes ; du reste, les
adversaires du marché protestent qu’ils ne veulent plus de ce couchage ; par conséquent
il est impossible de sortir de l’alternative, ou d’imposer la volonté du plus
fort à la compagnie, ou de recourir au mauvais couchage des cantonnements avec
ses conséquences désastreuses pour le trésor et pernicieuses pour les
habitants.
J’ai dit que la foi
due au contrat méritait aussi d’être prise en considération. Pensez-vous qu’à
force de rejeter des marchés faits dans l’intérêt du pays par des engagements
ministériels, l’on n’éloignerait pas les honnêtes gens qui pourraient avoir
l’intention de traiter avec l’Etat ? On ne voudra plus passer de marché de
quelque durée, et on aura raison, car c’est la certitude de l’exécution du
contrat qui inspire la confiance et qui permet de traiter à des conditions
avantageuses pour le trésor. On risquera donc de compromettre cet avantage en
rejetant le marché dont il s’agit en ce moment.
Le préopinant vient
de dire que s’il y a quelque honneur à retirer dans l’affaire qui nous occupe,
il appartient à la commission de la chambre, attendu que c’est elle qui a amené
le règlement sur les dégradations, lequel est favorable aux soldats. Je vous
rappellerai, messieurs, qu’il n’existait aucun règlement avant celui dont on
parle, et que, dès le début des premières discussions relatives aux lits
militaires, l’ancien ministre de la guerre a déclaré qu’il n’avait pas encore
arrêté de règlement définitif, parce qu’il attendait de quelques mois
d’expérience du nouveau service l’appréciation convenable des moyens propres à
prévenir dans ce règlement toute espèce d’exactions à l’égard du soldat.
Je le répète donc,
il n’existait pas alors de règlement, et celui qui a été fait depuis, c’est
l’ouvrage d’une commission nommée par l’ancien ministre de la guerre.
M. Dumortier. - Vous dénaturez les faits.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Je ne
dénature nullement les faits. L’ancien ministre a déclaré plus d’une fois qu’il
voulait s’éclairer d’une expérience de quelques mois avant de formuler un
règlement définitif.
M. Dubus. - Il y avait un règlement qu’on
appliquait au su et vu du ministre de la guerre.
M. le ministre des finances (M. d'Huart).
- Il est constant que ce règlement n’était que provisoire ; et d’ailleurs, qui
a nommé la commission qui a rédigé le règlement définitif actuel ? C’est
l’ancien ministre de la guerre.
Quoi qu’il en soit,
en admettant un moment que le général Evain se soit trompé à cet égard, et que
c’est la commission de la chambre qui a amené seule le bon résultat du nouveau
règlement, je vous abandonne cela ; mais prenez ce résultat, puisqu’il existe,
pour en former avec moi votre conviction en faveur du marché.
Il est reconnu que
le soldat ne peut pas être exploité par la compagnie ; or, comme c’était là le
motif principal, unique même, de certains orateurs pour s’opposer au marché, je
ne concevrais pas qu’ils persistassent à le repousser, lorsque de l’aveu de
tous les honorables membres, sans exception, toute exaction envers le soldat
est devenue impossible.
M. Dubois. - Je n’ai que deux mots à
dire. Ainsi que l’honorable M. Eloy de Burdinne, je n’ai pu assister à la
discussion de la question qui nous est soumise ; cependant j’ai suivi cette
discussion avec toute l’attention qu’elle méritait, et d’ailleurs l’année
dernière j’ai assisté à la longue discussion que cette question a soulevée.
Depuis lors des modifications favorables ont été faites au marché ; je croirai
pouvoir voter avec toute connaissance de cause. J’avais besoin de faire
connaître les motifs de mon vote. (Aux
voix ! aux voix ! la clôture !)
M. Gendebien. - Je demande la parole.
M.
le président. - M. Lebeau est inscrit avant vous,
M.
Lebeau. - Si l’intention de la chambre est de clore la discussion, je
renoncerai à la parole. Je n’ai que quelques mots à dire ; mais comme je
parlerai dans le même sens que M. le ministre des finances, il serait plus
logique d’entendre d’abord un orateur dans le sens contraire, si on n’entend
pas clore ; mais me réserve la parole après, parce que j’ai quelques mots à
dire.
M. Gendebien. - Le ministre des finances ne m’a
pas compris. Il a commencé par supposer que j’aurais oublié que le gouvernement
français avait fourni les lits. Mais c’est ce que j’ai dit. J’ai dit à la
chambre ce que paie le gouvernement français pour les fournitures d’un lit à
une place. Il paie 15 francs 24 centimes. J’ai ajouté à cela de la somme
nécessaire pour acheter la couchette complètement en fer en Belgique ; d’où il
résulte que pour chaque lit l’on paie 4 fr. 1 c. par an, plus en Belgique qu’en
France. J’ai ajouté qu’en Belgique, tout en payant 25 p. c. de plus qu’en
France, les objets de couchage coûtent au moins 20 p. c. de moins qu’en France
; de là j’ai conclu qu’il y avait exorbitance dans le marché.
Qu’on vienne après
cela nous dire que la compagnie française a acheté des objets qui avaient déjà
servi et les a fait entrer dans ses fournitures. Mais il en est de même en
Belgique. On a cédé des objets à la compagnie.
Un membre. - On n’a fait que lui en prêter.
M. Gendebien. - Eh bien, l’avantage n’en est
que plus grand ; car elle n’a rien payé pour la location de ces objets prêtés ;
au moins je n’ai rien vu porté de ce chef au budget des recettes.
En France on a cédé
à la compagnie, qui les a payés, de mauvais objets ayant déjà servi. Mais ces
objets ont dû être renouvelés plutôt que des objets neufs. Ainsi, en
définitive, le résultat est le même pour les entrepreneurs.
On vous a parlé des
couvertures ; elles valent mieux qu’en France, vous a-t-on dit. Je rencontrerai
cette observation en répondant à ce qu’a dit le ministre des finances sur le
règlement. Vous verrez ce qui a été fait relativement aux couvertures, et vous
n’en serez pas édifiés.
On vous a dit qu’en
France les couchettes n’étaient pas tout en fer, qu’il y avait trois planches
au fond des lits. Mais ai-je fait mes calculs pour des lits partie en bois,
partie en fer ? Non. J’ai pris pour base de mes calculs des lits totalement en
fer. Ainsi, l’objection du ministre ne répond à rien ; et par conséquent les
punaises n’ont plus rien à faire dans cette discussion.
On vous a parlé des
grands inconvénients des cantonnements. Si le général Evain n’avait pas
contracté de marché, les troupes, dit-on, seraient en cantonnement. Mais on a
contracté un marché, et les troupes vont être cantonnées, si bien que l’on vient
vous demander un supplément pour un grand nombre de troupes à envoyer en
cantonnement. C’est là le résultat de notre situation de quasi-paix ou de
quasi-guerre ; il y aura toujours des cantonnements, qu’il y ait ou non des
couchettes en fer. Ainsi, cet argument tiré des cantonnements doit être rayé
des observations du ministre en réponse à mes calculs, auxquels elles ne
répondent d’ailleurs en aucune façon.
Mais, dit-on, si le
général Evain avait prévu tous les désagréments que lui attire ce marché, il ne
l’aurait pas passé. Mais il lui était bien facile de prévoir tous ces
désagréments ; il savait ce qui s’était passé sous son prédécesseur, sous
lequel il avait travaillé, M. de Brouckere ; il savait donc qu’il fallait une
loi ; car M. de Brouckere, sur mon observation, l’avait reconnu au sein de la
chambre. M. Evain n’avait qu’à proposer une loi ; on aurait discuté les bases
du marché. Il aurait dû le faire d’autant plus qu’en France il y avait eu un
autre marché ; il est convenu que ce marché lui a causé les plus grands
désagréments, qu’il a été pour lui l’objet d’une disgrâce. Il avait donc et
l’expérience de ce qui s’était passé en France, et l’expérience de ce qui passe
dans cette chambre.
On est revenu sur
les prétendues atteintes au crédit public, si le marché était annulé. Mais je
dis, moi, que quand on verra que la chambre veille à ce que toutes les dépenses
soient faites au meilleur marché possible, le crédit public s’en trouvera
affermi. Je crois qu’un homme économe, quelle que soit sa position, a plus de
crédit que celui qui ne veille pas rigoureusement à ses dépenses.
Quant à l’influence
que le marché peut avoir pour les entreprises futures, cette influence est
nulle. Toutes les fois qu’un marché dépassera le terme d’une année, le ministre
sera obligé de demander une loi aux chambres, et dès lors, sans loi, le
ministre ne trouvera pas d’entrepreneurs : à cela il n’y a pas de mal. Ce sers
une garantie de plus contre le retour de marchés tels que celui fait par le
général Evain ; ce sera une sanction de plus pour la conservation de nos
prérogatives.
M. Willmar a dit
que l’on ne devait pas craindre, en sanctionnant le marché, d’établir un
précédent, parce que lui prenait l’engagement de ne pas contracter de marché
semblable. Mais M. Willmar est-il éternel au ministère ? Vous avez vu, dans la
séance d’hier, qu’il n’y tenait guère ; car, au sujet du plus léger différend,
il voulait s’en aller. Le successeur de M. Willmar respecterait-il ses
engagements ? M. Willmar n’oserait pas le garantir. Par conséquent cette
objection tombe comme tant d’autres.
Enfin on vous a dit
encore que c’était un abus de la force que de mettre la société dans la
nécessité de transiger, quand, après des démarches si multipliées, on devait
présumer qu’elle ne pouvait pas faire de sacrifices. Mais n’a-t- il pas été
établi qu’il est payé en trop, d’après mes calculs, 37,000 fr. pour les
couchettes seules ; et, d’après les calculs de M. Verdussen, 18,000 fr. avec la
possession des couchettes à la fin des 20 années ?
Nous ne demandons que
le sacrifice de cette somme ou même d’une partie de cette somme : après cela il
restera encore une différence de plus de 3 fr. par lit en faveur de la
compagnie Legrand sur la compagnie française, sans parler des avantages
résultant du prix plus avantageux de tous les objets de fournitures en
Belgique.
On a conteste
d’abord à la commission (puis on a ensuite abandonné cette prétention) le droit
qu’elle peut prétendre à la reconnaissance du soldat, pour avoir fait modifier
les règlements qui le livraient à l’exploitation de la société. On dit, pour
justifier le général Evain, qu’il n’y avait pas de tarif, ou au moins que le
tarif n’était que provisoire.
S’il en était
ainsi, je dirais que le général Evain est très condamnable et qu’il y a eu au
moins imprudence et même incurie de sa part ; mais il y a plus, le général
Evain n’a pas dit la vérité ; car il y a eu un tarif, et ce tarif a été publié
à la suite du cahier des charges dont un exemplaire a été remis à chacun des
membres de la commission. Ce tarif n’était que provisoire, dit le ministre des
finances. Mais quels changements y ont été faits ?
On a changé le
tarif, mais ce fut pour l’augmenter et aggraver la position du soldat, et cela
avant que la commission ne s’occupât des lits de fer ; on l’a augmenté
notamment pour les couvertures dont a parlé M. d’Huart.
L’évaluation des
dégradations a été augmentée dans plusieurs articles. Pour n’en citer que deux,
je vous ferai remarquer que pour les couvertures de laine elles étaient portées
au tarif annexé au cahier des charges à 10 fr. pour les lits à une place et à
13 fr. pour les lits à deux places ; eh bien, Evain les a portées à 15 fr. et à
18 fr. Il connaissait donc le tarif, il l’avait même révisé, mais au profit des
entrepreneurs.
Voila comment le
général Evain a stipulé pour l’intérêt du soldat : il a augmenté, après
l’adjudication, les articles du cahier des charges, lorsqu’il s’est agi de
restitutions à faire par le soldat. Et l’on dira après cela que le soldat doit
une grande reconnaissance au général Evain ?
Le général Evain à
dit dans la première discussion qu’il avait amélioré les couvertures, qu’il
avait exigé qu’elles fussent d’une meilleure qualité, que c’est pour cela qu’il
avait augmenté le tarif des pertes et dégradations. J’ai demandé où il avait
stipulé cette qualité meilleure des couvertures ? Cette question est restée
sans réponse. Ainsi le général Evain augmente à la charge du soldat le prix des
réclamations des objets fournis, et quand, pour s’excuser, il vient vous dire
que les prix ont été augmentés, il se trouve qu’il n’y a aucune stipulation
vis-à-vis des entrepreneurs. Je demande si cette conduite mérite l’éloge de la
nation et la reconnaissance de l’armée. Voilà dans quel sens le général Evain
s’est occupé du soldat, voilà comment il a bien mérité de la patrie ainsi qu’il
s’en est vanté dans plusieurs discours.
Maintenant je ne
reviendrai pas sur l’examen du tarif. Vous avez entendu s’expliquer sur ce
point, dans les précédentes séances, un grand nombre d’orateurs. Tous vous ont
exprimé une profonde indignation ; l’honorable M. Desmanet de Biesme vous
a dit que l’on ne suivait même pas le tarif, et il vous a donné la liste des
sommes que l’on faisait payer ; il a cité principalement les soldats des
guides, et toute la chambre en a été indignée.
Eh bien, je ne crains pas de dire que si je n’avais pas donné l’éveil à
la chambre, le tarif aurait subsisté ; on aurait attendu que l’excès du mal
amenât le remède, que le soldat fatigué de ces exactions réclamât bien haut.
C’est ce que la commission a voulu éviter. C’est en ce sens que non seulement
le soldat, mais aussi le gouvernement, lui doit de la reconnaissance.
Un grand nombre de membres. - La clôture !
M.
Lebeau. - Si la chambre veut clore la discussion, je renonce volontiers
à la parole.
M.
Pirmez. - Je demande la parole contre la clôture.
Je n’ai que trois
mots à dire. J’ai été absent ; et cependant je ne m’abstiendrai pas. Mais je
voudrais dire pourquoi ; c’est l’affaire de trois mots. Je voulais dire...
M.
le président. - La clôture ayant été demandée, je ne puis vous donner
la parole que contre la clôture.
- La clôture est
prononcée.
(Moniteur belge n°80, du 21 mars
1837) M. le président. - La chambre a à
statuer sur l’article « Masse de casernement des hommes. »
Conformément aux
antécédents de la chambre, je mettrai d’abord aux voix le chiffre le plus
élevé, celui de 830,666 fr. 70 c., proposé par le ministre.
M. Pirson. - Je demande la parole sur la
position de la question.
Nous allons voter
sur 2 chiffres différents : l’un proposé par la section centrale, l’autre
proposé par M. le ministre. Il est nécessaire qu’avant de voter, nous sachions
bien quelle est la portée du vote que l’on va émettre. L’an dernier, il y avait
un libellé. Il était dit que le chiffre était adopté sous toutes réserves,
quant au marché. Cette année-ci, je demande s’il ne serait pas nécessaire
d’ajouter un libellé.
Si le chiffre de la
section centrale est adopte, c’est le rejet du marché. Mais si l’on adopte le
chiffre du ministre, c’est l’adoption du marché. Cependant il ne faut pas qu’il
y ait erreur sur ce fait. Il ne faut pas que l’on puisse revenir sur cette
discussion plus tard. Ainsi, il est clair que ceux qui voteront pour le chiffre
du ministre adopteront le marché.
Je n’insiste pas sur un libellé quelconque, parce qu’il est bien entendu
que si l’on adopte ce chiffre, on laisse à la sagacité du ministre de
l’employer et d’obtenir les conditions les plus avantageuses qu’il pourra
obtenir.
M. Dumortier. - Il ne faut pas se
tromper sur le vote que nous allons émettre. Nous allons voter un chiffre et
rien qu’un chiffre. Si vous adoptez le chiffre de la section centrale, le
marché est rejeté, car ce chiffre ne suffit pas pour satisfaire au contrat, ou
bien il faudra que le marché soit modifié d’après votre vote. Mais si vous
adoptez le chiffre du ministre, ce n’est pas l’approbation du marché ; car vous
ne pouvez pas approuver un marché de 20 ans.
M. Gendebien. - Il me semble qu’aux
termes du règlement les amendements doivent être remis aux voix à une séance
suivante. Or, c’est l’amendement de la section centrale qui a été adopté ;
c’est donc cet amendement qui doit être mis aux voix.
M. Dubus (aîné). - Il n’y a pas de question de
priorité. Je crois qu’aux termes des art. 44 et. 45 du règlement les
amendements adoptés doivent être soumis à une nouvelle discussion et un second
vote. Comme l’a fait observer l’honorable préopinant, c’est l’amendement de la
section centrale qui a été adapté. C’est donc cet amendement qu’il faut mettre
aux voix.
M.
le président. - Je ferai observer que, d’après les antécédents de la
chambre, on a toujours commencé par mettre aux voix le chiffre le plus élevé.
M.
Devaux. - Il est indifférent dans quel ordre on votera ; mais je dis
que le règlement ne décide pas la question ; car le chiffre du ministre est un
amendement au chiffre adopté au premier vote.
- La chambre
consultée donne la priorité au chiffre proposé par le ministre.
La chambre procède
au vote par appel nominal sur l’article :
« Masse de
casernement des hommes (chiffre proposé par le gouvernement) : fr. 830,966 70
c. »
Voici le résultat
du vote :
81 membres sont
présents.
3 (MM. Raikem,
Dolez et Verdussen) s’abstiennent par les motifs qu’ils ont énoncés lors du
premier vote.
78 prennent part au
vote.
41 votent pour
l’adoption.
34 votent contre.
La chambre adopte.
Ont voté pour
l’adoption : MM. Berger, Coppieters, Cornet de Grez,
Corneli, David, Dechamps, de Man d’Attenrode, F. de Mérode, W. de Mérode, de
Nef, de Puydt, Dequesne, de Sécus, Desmet, de Terbecq, de Theux, Devaux, B.
Dubus, Dubois, d’Huart, Eloy de Burdinne, Ernst, Goblet, Jullien, Lardinois,
Lebeau, Legrelle, Meeus, Milcamps, Morel-Danheel,
Nothomb. Pirmez, Pirson, Polfvliet, C. Rodenbach, Rogier, Smits, Ullens,
Vandenhove, Vanderbelen, Vilain XIIII (Hippolyte), Vuylsteke
(Constant), Watlet, Willmar.
Ont voté contre :
MM. Andries, Brabant, de Longrée, de Jaegher, Demonceau, e Renesse, de Roo,
Desmaisières, Dubus (aîné), d’Hoffschmidt, Doignon, Dumortier, Fallon, Frison,
Gendebien, Hye-Hoys, Keppene, Kervyn, Lejeune,
Liedts, Manilius, Pollénus, Raymaeckers, Rodenbach (Alexandre), Scheyven,
Seron, Simons, Stas de Volder, Trentesaux, Troye, Vandenbossche, Vergauwen, Vuylsteke (Louis), Donny.
- Tous les articles
déjà adoptés, jusqu’au chap. III, relatif au service de santé, sont de nouveau
adoptés. Mais l’article du service de santé donne lieu au débat suivant :
Chapitre III. – Service de santé
M. de Jaegher. - Dans la discussion dont nous
venons heureusement d’atteindre le terme, il a été articulé des faits assez
graves pour faire une profonde impression sur mon esprit.
Des médicaments ont
été sophistiqués ; la mortalité a été, est peut-être encore plus forte dans
l’armée que rationnellement on n’aurait dû l’attendre ; jusque là, je n’ai
malheureusement rien à tirer en doute ; mais, quand, au lieu d’une série de cas
de falsification de médicaments, je n’en ai entendu citer qu’un seul, le
mélange du sulfate de quinine avec la salicine, je n’ai pu, je vous l’avoue,
messieurs, me contenter de l’opinion de ceux qui ont attribué cette
augmentation de mortalité à ce mélange incidentel de
drogues, et il m’a paru qu’un si grand résultat devait avoir été amené par des
causes plus grandes, exerçant sur la santé du soldat une influence plus
générale.
Ce n’est donc pas à
ce fait isolé que j’ai cru devoir m’arrêter ; c’est dans l’examen du système
général des adjudications de médicaments que j’ai cherché à me rendre compte
d’aussi déplorables effets.
Je vous ferai
grâce, messieurs, de toute dissertation pour laisser parler les faits.
Lorsqu’il s’agit de
procéder à une adjudication de médicaments, il est présenté aux adjudicataires
concurrents des listes indicatives des différents objets qui figurent comme
médicaments dans la pharmacie de l’Etat. Chacun de ces médicaments y est coté
par le gouvernement à un prix d’évaluation, sans indication s’il en sera ou non
demandé dans le terme de l’adjudication ni en quelle quantité il en sera
demandé. On présente ces évaluations comme mises à prix, en demandant aux
concurrents quel est le rabais qu’ils consentent à subir sur ces différentes
mises à prix subdivisées en quatre séries de 30 ou 40 articles. Si tous ces
prix supposés étaient en égal rapport avec la valeur réelle en commerce des
objets demandés, peu importerait qu’ils soient portés de 5, de 10 ou de 20 p.
c. au-dessus de cette valeur ; mais par le peu de soin (car je ne veux pas
supposer autre chose) qui est apporté à la confection de ces listes
indicatives, il se trouve que certains objets y figurent cotés 60 p. c.
au-dessus du prix de commerce, tandis que certains autres n’y sont cotes qu’a
40 p. c. au-dessous de ce prix rationnel.
Comme, d’après le
cahier des charges de l’adjudication, il est loisible au gouvernement de
requérir de l’adjudicataire telle quantité qu’il juge convenable de chaque
article en outre de tels articles de la liste qu’il désigne, il en résulte que
l’exécution du même contrat présente trois chances à l’adjudicataire pour
savoir :
1° Qu’il en retire
le bénéfice légitime sur lequel il a compté en faisant sa soumission dans le
cas où il lui est demandé, de chacun des articles, une quantité égale ;
2° Qu’il peut
perdre de 30 à 60 p. c. si, de la série dont il est adjudicataire, on ne lui
demande que la livraison des articles cotés au-dessous de la valeur ;
3° Qu’il peut
gagner de 30 à 40 p.c. si on lui demande les articles dont la mise à prix
figure sur la liste évaluative d’autant au-dessus de la valeur réelle.
Vous déduirez de
cette simple citation que ce n’est pas, comme a cru devoir l’indiquer
l’honorable M. Lebeau, parce que la rivalité et la concurrence poussent les
adjudicataires à de trop considérables rabais, qu’ils se voient parfois dans
l’obligation de livrer à perte, mais parce que par le mode d’adjudication il
dépend de l’agent du service de santé, chargé de l’exécution du contrat, de
ruiner ou d’enrichir l’entrepreneur.
Je ne crois pas
nécessaire, messieurs, d’établir les inconvénients qui peuvent résulter d’une
pareille latitude, d’une latitude qui doit si puissamment faire sentir à l’un
l’importance de se ménager la bonne intelligence de l’autre.
Je veux croire cet
agent, quel qu’il soit, parfait honnête homme ; mais je m’étonne que, pour
lui-même, il n’ait pas cherché à faire cesser cet état de choses qui écarte des
soumissionnaires de bonne foi, qui se contentent, dans leur commerce d’un
honnête bénéfice, et qui ne veulent pas être exposés à devoir spéculer sur les
bonnes grâces de l’un ou l’autre agent pour faciliter une fortune ou éviter une
ruine.
Voilà un point que je recommande instamment à la sérieuse attention de
M. le ministre, parce que c’est là qu’il faut chercher les motifs pour lesquels
il se présente si peu de soumissionnaires dans les adjudications de
médicaments, pour lesquels des fournisseurs ont été placés dans la funeste
alternative de se ruiner ou de fournir de mauvais produits.
Voilà, messieurs,
pour ce qui est des médicaments, ce qui explique le fait isolément cite de
falsification de quinine, ce qui expliquerait d’autres falsifications et leur
effet sur le chiffre de la mortalité dans l’armée.
Il est d’autres
causes déterminantes de cette augmentation de mortalité ; mais la chambre
manifestant le désir de passer outre au budget, pour que le sénat puisse encore
le recevoir aujourd’hui, je me réserve le soin de prendre la parole en une
autre circonstance pour entretenir M. le ministre de l’organisation du service
de santé.
M. Dumortier. - Messieurs, il existe un grand
nombre d’abus dans le service de santé, et j’en dois signaler un fort grave ;
c’est l’état précaire dans lequel le gouvernement laisse les officiers de
santé. Des plaintes ont déjà retenti dans cette enceinte sur ce point, et l’on
s’est demandé comment il se faisait que tous les officiers de l’armée eussent
le diplôme de leur grade, et que dans le service de santé un immense nombres
d’officiers ne soient que commissionnés et n’aient pas de diplômes,
c’est-à-dire puissent être révoqués de leur emploi.
Je tiens en main
une note qui a été fournie à la section centrale l’année dernière, ou il y a
deux ans ; d’après cette note, sur 89 médecins adjoints, 83 n’auraient que de
simples commission, et six seulement auraient des brevets.
Comment peut-on
imaginer qu’un jeune homme qui a fait ses études, qui quelquefois a dépensé sa
fortune pour acquérir les connaissances nécessaires à l’art de guérir, puisse
consentir à entrer dans le service de santé où il ne trouvera qu’une situation
précaire ? Il est manifeste que nous n’aurons que le rebut des hommes qui se
livrent à l’art de guérir, dans le service de santé. Ce n’est pas à dire
qu’actuellement nous ayons du rebut dans nos hôpitaux militaires ; mais ces
hommes qui ont servi depuis la révolution restent dans la position où ils sont.
La santé du soldat doit nous être aussi chère que la santé des autres citoyens,
et nous ne devons pas maintenir un état de choses qui lui serait funeste par la
suite.
Lorsque nous voyons
les abus les plus graves, lorsque nous voyons les médicaments falsifiés, lorsque
l’on met sur les plaies du soldat de la charpie pourrie, il est pénible d’avoir
d’autres griefs à ajouter à ceux-là.
Les quatre
cinquièmes des officiers du service de santé ne sont que commissionnés, tandis
que dans l’armée tout officier reçoit un brevet pour son grade ; ces officiers
ont une position acquise ; pourquoi refuse-t-on une position acquise aux
officiers de santé ? C’est parce que le chef du service de santé n’éprouve
aucune sympathie pour les officiers sous ses ordres, et qu’on veut les tenir
sous sa férule ; c’est là une iniquité.
Il y a deux ans, et
au budget de l’année dernière, on vous a demandé des fonds pour établir une
école de médecine, dans laquelle on aurait fait des médecins militaires ; vous
avez refusé ces crédits, et vous avez déclaré que nul ne pouvait exercer l’art
de guérir dans l’année s’il n’était élève d’une université.
Dans la loi sur les
universités vous avez dit positivement que nul ne peut pratiquer de guérir en
qualité de médecin ou de chirurgiens s’il n’a été reçu docteur, conformément à
la même loi. Un autre article a, il est vrai, excepté les élèves qui alors
faisaient leurs études ; mais cette exception prouve la règle. En présence de
ces textes de la loi, qu’a fait le chef du service de santé ? Il a établi une commission
pour recevoir des docteurs, et ce qui est plus fort, pour réviser les diplômes
donnés par le grand jury. Le grand jury national que vous avez placé si haut
dans l’opinion publique, est soumis à un appel dans l’ordre militaire ! Un
homme qui a reçu un diplôme de docteur en médecine et en chirurgie doit aller
subir un examen devant une commission du service de santé, et peut voir son
diplôme annulé ! Remarquez quelle est la conséquence de ce système ; c’est bien
moins contre le candidat que l’affront est dirigé que contre le grand jury, car
par là on le déclare incapable de prononcer un bon jugement.
Pourriez-vous
admettre que le ministre de la justice, par exemple, voulût qu’on passât un
second examen de docteur en droit pour obtenir les emplois auxquels on est
apte, d’après la loi, quand on est docteur ? Cependant l’analogie a lieu pour
le service de santé ; c’est inconstitutionnel. Je ne peux comprendre comment un
ministre tolère un pareil abus.
Si des places sont vacantes dans le service de santé, que le
gouvernement ouvre un concours, rien de mieux, parce que dans un concours il
n’y a pas de révision des diplômes ; mais soumettre à un examen sur les mêmes
matières celui qui a été déclaré capable par le grand jury, c’est un abus
énorme.
Au reste, ce n’est
pas dans le service de santé seul que cet abus s’est introduit.
J’ai vu avec
étonnement qu’il existait et dans l’école militaire et dans l’école des ponts
et chaussées. Dans ces écoles, un docteur en sciences doit toujours subir un
examen.
Je demande au
ministre des explications sur ces faits. Si M. Vleminckx
se croit le pouvoir de créer des docteurs, la santé du soldat se trouve
grandement compromise, car nos troupes seront exposées à subir des expériences
pour l’instruction de gens que la loi ne reconnaît pas. Quand je vois qu’on
admet ainsi aux examens des hommes qui n’ont pas de diplôme, je dis que c’est
un abus des plus scandaleux.
M. le ministre de la guerre (M. Willmar). -
J’aurais quelque peine à mettre d’accord les deux propositions qui font la base
du discours de l’honorable membre. Quoi qu’il en soit, il reconnaît lui-même
que pour obtenir le brevet d’officier de santé, on peut ouvrir un concours,
c’est-à-dire, ouvrir des examens, et c’est ce qui a eu lieu.
Je n’ai point à
traiter ici la question d’amour-propre du grand jury ; cependant il n’est pas
venu à ma connaissance que des hommes ayant diplôme n’aient pas été admis à
concourir. Au reste il n’y a eu qu’un examen, et dans cet examen on a respecté
les droits de l’ancienneté autant qu’on l’a pu, principe que je regarde comme
très large, et qui est tout en faveur des officiers de santé.
L’orateur a comparé la situation des officiers du service de santé à
celle des officiers de l’armée ; mais tous les officiers de l’armée sont censés
avoir rempli les conditions nécessaires pour l’occupation de leur grade ; il
n’en est pas de même pour les officiers du service de santé et pour les
officiers des corps savants de l’artillerie et du génie : pour être officier
dans ces corps, il faut avoir fait preuve de connaissances spéciales, et avoir
par conséquent subi des examens. Ceux qui, par suite des circonstances, sont
entrés dans ces corps sans examen préalable, ont dû en subir pour obtenir de
l’avancement. Il est inutile de dire pourquoi on doit s’assurer de la capacité
des officiers de santé et des officiers des corps savants. Quant au grand
nombre d’officiers de santé commissionnés, je dirai, messieurs, que
l’organisation du corps ne permet pas de les breveter tous. Ces officiers se
trouvent dans le même cas que la plupart des employés de l’ambulance que l’on
peut licencier, lorsque l’on n’en aura plus besoin.
M. Dumortier. - Il n’y a pas de contradiction
dans mes observations. Je me suis plains de ce que l’on accordait des diplômes
à des gens auxquels la loi déniait le droit d’exercer l’art de guérir. Si, dans
les médecins adjoints, il s’en trouve qui n’aient pas de diplôme, le ministre
doit les placer dans les villes où il y a des universités, afin qu’ils puissent
se mettre en état de passer des examens devant le grand jury, seul capable de
donner des diplômes.
Quant à ce que dit
M. le ministre de la guerre, que les officiers de l’armée sont censés avoir
rempli les conditions nécessaires pour l’occupation de leurs grades, et que
rien de semblable n’existe pour les officiers de santé, je ne puis le
comprendre : comment ! des officiers de santé exercent depuis la révolution,
ils ont reçu des diplômes du jury, et vous les regarderez comme incapables ?
S’ils sont incapables, ôtez-les de l’armée ; mils s’ils ont bien rempli leurs
grades, vous devez leur donner des brevets.
Il est certain que
dans ce déplorable service de santé on veut retenir tous les officiers sous la
férule du chef, parce que ce chef est détesté. Et c’est parce qu’on veut
maintenir ce chef, source de tant d’abus, qu’on maintient l’abus que je
signale.
Il faut faire
régner la justice dans l’armée : sur plus de deux cents officiers il y en a à
peine 53 qui ont des diplômes. Tous portent les insignes des fonctions qu’ils
remplissent, et cependant d’un jour à l’autre vous pouvez leur enlever leur
emploi et les dégrader ; n’est-ce pas là un abus de pouvoir énorme, c’est plus,
c’est un crime aux yeux de la nation !
M. Dubus (aîné). - Je ne peux pas m’empêcher
de prendre la parole pour appuyer les observations présentées par mon honorable
ami. Il y a ici un grief réel. Il s’agit de l’exécution de la loi, et d’après
les faits allégués, et la loi, et la constitution seraient violées.
Le gouvernement
chargé de l’exécution de la loi ne doit pas permettre que l’on élude la
constitution, que l’on viole la loi ; encore moins doit-il y donner les mains.
Le premier grief
articulé est l’état précaire où l’on tient les officiers de santé ; cependant
les officiers de santé sont maintenant compris dans la disposition
constitutionnelle, qui veut que les grades ne puissent être enlevés que
conformément à la loi. En rédigeant cet article, le congrès a voulu donner une
garantie à tous les officiers de l’armée ; cette garantie s’évanouit si on peut
imposer une condition pour être continué dans son grade, si on peut remplacer
le titre primitif par un autre titre. Une pareille manière de procéder n’a pu
entrer dans la pensée du pouvoir constituant, car sans cela il ne se serait pas
donné la peine de rédiger dans la constitution un article sur cet objet.
Si cela était
permis pour le service de santé, pourquoi cela ne serait-il pas permis pour les
autres grades militaires ? Pourquoi ne remplacerait-on pas les brevets par des
commissions ? Ne pourrait-on pas, par ce moyen, éluder toutes les garanties
données à l’armée ?
Quant au second
grief, la loi est formelle. Elle porte que l’on ne pourra exercer l’art de
guérir sans avoir obtenu un diplôme de la manière qu’elle prescrit ; or, si
l’on institue une commission pour accorder des diplômes, on aura beau dire que
c’est pour exercer l’art de guérir dans l’armée on viole la loi, car la loi ne fait
pas de distinction. L’humanité n’en fait pas non plus ; il faut la même
capacité pour exercer l’art de guérir dans l’armée que dans l’ordre civil ; il
faut donc les mêmes garanties. Que l’on doive devenir médecin militaire ou
médecin civil, on a besoin de faire les mêmes études et de recevoir le même
diplôme des mains du jury d’examen. Si donc une commission n’est instituée que
pour examiner ceux qui n’ont pas de diplôme, il y a violation de la loi.
Si, comme le croit
mon honorable ami, (mais le ministre a mis le fait en doute), la commission
avait refusé de reconnaître les diplômes délivrés par le jury d’examen, l’abus
serait plus grave. M. le ministre n’a pas répondu à l’observation qu’a faite
mon honorable ami, quand il a dit : « Que penserait-on d’une mesure par
laquelle le ministre de la justice instituerait une commission pour délivrer
des diplômes de docteur en droit à ceux qui désireraient entrer dans les corps
judiciaires ? » Mais on ne pourrait pas assez s’élever pour flétrir une
pareille mesure. M. le ministre de la guerre a-t-il plus de droit d’établir une
commission pour délivrer ou refuser des diplômes de docteur en médecine que M.
le ministre de la justice n’a le droit d’établir une commission pour délivrer
ou refuser des diplômes de docteur en droit ? Il y a donc un double grief qui
doit fixer toute l’attention du gouvernement.
J’aurais désiré que M. le ministre de la guerre eût répondu à
l’observation qui a été faite par l’honorable M. de Jaegher ; là encore, si le
fait qu’il a signalé est exact, il y aurait sinon un abus, au moins la porte
ouverte aux abus : cela doit être senti par tout le monde, car s’il dépend soit
du chef du santé, soit d’un autre administrateur quelconque appartenant à ce
service, de ruiner un fournisseur ou de lui faire faire de gros bénéfices selon
qu’il lui fera des commandes d’une espèce ou d’une autre, ne voyez-vous pas que
dès lors tous les fournisseurs seront à la merci du chef du service de santé ?
Je crois que le
fait que l’honorable M. de Jaegher a signalé à l’attention du gouvernement doit
être également signalé à l’attention de la section centrale, et que la section
centrale fera bien d’examiner s’il n’y a pas là une cause réelle des plus
graves abus.
M.
le ministre de la justice (M. Ernst). - Messieurs, la comparaison qui
été faite par un honorable préopinant entre le cas où le ministre de la guerre,
avant d’employer des docteurs en médecine ou en chirurgie dans le service du
santé de l’armée, les soumet à une épreuve, et le cas où le ministre de la
justice exigerait d’autres conditions que celles qui sont déterminées par la
loi pour remplir des fonctions judiciaires, n’est pas exacte. Je conçois que la
loi détermine des conditions sine qua non pour l’exercice d’une fonction quelconque,
mais rien n’empêche qu’on exige de celui à qui on veut conférer cette fonction,
outre les conditions voulues par la loi, d’autres garanties qu’il la remplira
convenablement. Il ne s’agit pas de réviser les diplômes, mais de s’assurer que
celui qui se destine à exercer l’art de guérir dans l’armée, a assez de
connaissances spéciales et d’expérience pour inspirer de la confiance. C’est
ainsi que le ministre de la justice, sans imposer un examen à ceux qui se
mettent sur les rangs pour obtenir des fonctions judiciaires, prend cependant
des informations sur la capacité, la moralité, les connaissances pratiques des
divers candidats.
Si plusieurs
docteurs demandent un emploi dans le service de santé de l’armée, pourquoi M.
le ministre de la guerre ne pourrait-il pas les soumettre à une épreuve, afin
de donner la préférence à celui qui a le plus de mérite ? Personne n’est obligé
d’accepter cette épreuve ; il n’est pas question de réviser les diplômes, mais
d’établir une espèce de concours afin de pouvoir choisir l’homme le plus
capable.
Puisque j’ai la
parole, je relèverai des attaques injustes faites dans une séance précédente
par un honorable préopinant à l’occasion des poursuites auxquelles la
sophistication du sulfate de quinine a donné lieu. Il est d’autant plus
nécessaire de repousser des attaques que certains journaux en ont tiré parti
pour se livrer à des commentaires malveillants.
Vous le savez, messieurs, ce délit grave a un caractère tout particulier
; le ministère public ne peut pas le poursuivre d’office, mais seulement en
vertu d’une dénonciation formelle du gouvernement. Eh bien, dès que M. le
ministre de la guerre a connu la sophistication du sulfate de quinine, il m’en
a aussitôt averti, et de mon côté je me suis empressé de faire la dénonciation
exigée par l’art. 433 du code pénal. Les poursuites ont commencé immédiatement,
elles ont continué sans interruption ; le délit a été instruit sous toutes ses
faces et dans ses rapports avec tous ceux qui ont été inculpés. Dès que
l’instruction sera terminée, la chambre du conseil statuera.
Mais, a-t-on dit,
le principal prévenu est laissé en pleine liberté ; depuis qu’il est revenu de
Londres, il parcourt librement les rues. Cette insinuation est aussi offensante
pour le magistrat chargé de l’instruction, pour un magistrat inamovible, que
pour les officiers du parquet.
Le juge
d’instruction a entendu le sieur de Paepe sous mandat de comparution, il l’a
interrogé plusieurs fois ; mais il n’a pas cru nécessaire dans l’intérêt de la
justice de soumettre le prévenu à un emprisonnement préalable. Le juge
d’instruction, aussi bien que le parquet et le ministère, a rempli son devoir ;
personne n’avait mérité de reproche.
M. Dubus. (pour un fait personnel).
- A entendre M. le ministre de la justice j’aurais, messieurs, affirmé un fait
inexact, j’aurais même accusé un magistrat inamovible, je dirai, en passant,
que comme juge d’instruction le magistrat dont il s’agit n’est pas inamovible ;
toutefois, je n’ai accusé personne, j’ai fait remarquer des faits à la chambre,
et toutes les circonstances que j’ai citées existent. Quant aux conjectures de
la presse, cela ne me concerne pas. J’ai dit qu’avant et pendant la discussion
de l’adresse on prenait la peine de nous informer par le Moniteur qu’il était dirigé des poursuites. J’ai lu un premier
article dans le Moniteur où l’on nous
annonçait que le ministre de la justice avait dénoncé le fait au procureur
général ; peu après le Moniteur
contenait un second article extrait d’un autre journal, qui nous apprenait que
le juge d’instruction avait procédé à un interrogatoire ; depuis que l’adresse
a été votée, nous n’avons plus rien appris à cet égard ; nous ne savons plus ce
que l’instruction est devenue. J’ai dit qu’on annonçait dans les journaux qu’un
des individus poursuivis et qui s’était sauvé en Angleterre, était revenu et se
promenait tranquillement dans une ville de
Voilà, messieurs,
ce que j’ai dit ; je demande comment on peut voir en cela une accusation
dirigée contre un magistrat.
M.
le ministre de la justice (M. Ernst). - Lorsque j’ai interrompu
l’honorable préopinant, c’était parce qu’il parlait de cette poursuite comme si
elle n’était entre les mains du gouvernement qu’un moyen, en quelque sorte, de
tromper la chambre ; il a dit qu’on laissait les inculpés en pleine liberté,
que le Moniteur ne parlait plus de
cette affaire ; mais, messieurs, le Moniteur
n’en a parlé que pour rectifier une assertion d’un autre journal. Il y a un
fait incontestable, c’est que le gouvernement a fait dans cette affaire tout ce
qu’il pouvait faire dans l’intérêt de la justice ; la poursuite n’a pas été
interrompue, elle continue avec la même activité. (Aux voix ! aux voix ! la clôture !)
- La clôture est
mise aux voix et prononcée.
Le chiffre de
245,000 fr., comme crédit provisoire, est définitivement adopté par la chambre.
Chapitre V. – Matériel de l’artillerie et du génie
Article
2
- L’article 2 du
chapitre V (matériel du génie), dont le chiffre a été par amendement porté à
2,747,000 fr., est mis aux voix et définitivement adopté.
M.
le président. - La proposition de la section centrale relativement au
couchage des troupes n’ayant pas été adaptée, les articles réglementaires
qu’elle avait proposés à cet égard deviennent sans objet par suite du vote que
la chambre a émis ; je ne les mettrai donc pas aux voix.
Il s’agirait de
savoir si l’on veut faire du crédit provisoire que l’on vient de voter, un
article spécial.
M. Dumortier. - La loi ne serait pas régulière
si l’on allait insérer au milieu de crédits annuels un crédit provisoire ; il
faut donc que l’on fasse un article spécial pour le crédit de 245,000 fr.
M.
le président. - Voici ce qu’on pourrait faire : on fixerait d’abord
dans l’art. 1er le chiffre total des crédits définitifs, et un second article
accorderait eu outre un crédit provisoire. (Assentiment.)
Le chiffre du
budget, non compris le crédit provisoire de 245,000 fr., est de 41,319,738 fr.
16 c. Pour rendre le chiffre rond, comme il a été entendu qu’on le ferait, il y
aurait lieu à défalquer des dépenses imprévues une somme de 738 fr, 16 c., ce
qui réduirait les dépenses imprévues à 83,966 fr. 71 c.
- Ce chiffre est
mis aux voix et adopté.
Les articles de la loi, y compris un article relatif au crédit
provisoire pour le service de santé, sont successivement mis aux voix et
adoptés. Ils sont ainsi conçus :
« Art. 1er. Le
budget du département de la guerre, pour l’exercice de 1837, est fixé à la
somme de 41,319,000 fr, conformément au tableau ci-annexé. »
« Art. 2, Le
chap. III (service de santé) n’étant porté que pour mémoire, il est, outre la
somme portée à l’art. 1er, ouvert au même département un crédit provisoire de
245,000 fr. pour satisfaire aux besoins de ce service, en attendant que cette
partie du budget soit réglée définitivement. »
« Art. 3. La
présente loi sera obligatoire le lendemain de sa promulgation. »
M. Dumortier (pour une motion d’ordre.) -
Messieurs, à l’ouverture de la discussion, j’ai signalé à l’assemblée une brochure
qui a été distribuée avec profusion dans l’armée, et dans laquelle les attaques
les plus graves, les plus violentes sont dirigées contre la législature : ces
attaques ne tendent à rien moins qu’à représenter la législature comme hostile
à l’armée, qu’à la rendre odieuse à l’armée ; et quel moyen emploie-t-on pour
cela ? celui d’un journal qui paraît sous le patronage du département de la
guerre, Je vais lire deux passages de cette brochure, afin que chacun de nous
puisse juger jusqu’à quel point ces attaques…
Plusieurs membres. - Vous rentrez dans la discussion générale.
M. de Jaegher. - Le sénat attend le budget de
la guerre ; il serait à désirer que nous le votions immédiatement ; M.
Dumortier pourra ensuite présenter ses observations.
M. Dumortier. - Ma motion d’ordre ne sera pas
longue ; si l’on ne m’avait pas interrompu, j’aurais déjà fini. J’invoque la
dignité de l’assemblée, j’invoque ses prérogatives...
Plusieurs membres. - Laissez voter avant le budget !
M. Dumortier. - Si la chambre le préfère, je
parlerai après le vote du budget.
- La chambre
procède au vote par appel nominal sur l’ensemble du budget ; en voici le
résultat :
71 membres ont pris
part au vote.
6 se sont abstenus.
62 ont voté
l’adoption,
9 ont voté le
rejet.
En conséquence le
budget est adopté.
Ont voté l’adoption
: MM. Berger, Coppieters, Cornet de Grez, David, de
Brouckere, Dechamps, de Jaegher, de Longrée, de Man d’Attenrode, F. de Mérode,
W. de Mérode, de Nef, de Puydt, Dequesne, de Renesse, de Roo, de Sécus, Desmet,
de Terbecq, Devaux, d’Hoffschmidt, d’Huart, Dolez, Donny, Dubois, Bernard
Dubus, Eloy de Burdinne, Ernst, Frison, Goblet, Hye-Hoys, Keppenne, Kervyn,
Lardinois, Lebeau, Legrelle, Lejeune, Liedts, Meeus,
Milcamps, Morel-Danheel, Nothomb, Pirmez, Pirson, Polfvliet, Raikem, C.
Rodenbach, Rogier, Smits, Trentesaux, Troye, Ullens, Vandenhove, Vanderbelen,
Verdussen, Verrue-Lafrancq, Hippolyte Vilain XIIII,
Constant Vuylsteke, Watlet
et Willmar.
Ont voté le rejet :
MM. Desmaisières, Doignon, Dubus (aîné), Dumortier, Gendebien, Manilius, Seron,
Stas de Volder et Vergauwen.
Se sont abstenus :
MM. Brabant, Corneli, Fallon, Jullien, A. Rodenbach et Thienpont.
M.
le président. - Les membres qui se sont abstenus sont appelés à motiver
leur abstention.
M. Brabant. - Je n’ai pas voulu dire oui, parce
que je n’ai pas voulu sanctionner le marché pour les lits de fer, je n’ai pas
voulu dire non, parce que je crois la grande masse des crédits que renferme le
budget, indispensables pour établir la défense du pays sur un pied respectable,
et que j’ai confiance au ministre qui est maintenant à la tête du département
de la guerre.
M. Corneli. - Je me suis abstenu parce que n’étant que depuis
quelques jours membre de la chambre, je n’ai pas eu le temps d’examiner le
budget.
M.
Fallon. - Je me suis abstenu par les mêmes motifs que M. Brabant.
M. Jullien. - Je me suis abstenu parce que je ne
voulais pas sanctionner le vote que la chambre a émis à l’égard du service de
santé.
M. A. Rodenbach. - Je me suis abstenu par les
mêmes motifs que M. Brabant.
M. Thienpont. - Je me suis abstenu par les
mêmes motifs.
Motion d’ordre
M. Dumortier. - Messieurs, ce que j’ai à
signaler à la chambre est assez grave. Comme l’heure est avancée, si on veut,
je remettrai mon interpellation à demain. (Parlez
! parlez !)
Messieurs, lors du
commencement de la discussion du budget de la guerre, j’ai eu l’honneur de
signaler les attaques les plus virulentes lancées contre la chambre, dans une
brochure anonyme, imprimée au bureau du journal de l’armée belge, qui paraît
sous le patronage du département de la guerre. J’ai eu l’honneur de lire un des
passages de cette brochure, mais ce n’était pas encore ce qu’elle contient de
plus virulent contre nous, de plus inconvenant, de plus haineux contre la
représentation nationale. « Partout ailleurs qu’en Belgique, dit l’auteur
de ce pamphlet, le budget de la guerre peut passer au milieu des préliminaires
d’une session législative, sans occasionner beaucoup de tumulte. »
Ecoutez, vous
verrez si un général qui voudrait préparer un 18 brumaire, pourrait faire
imprimer des choses plus fortes que celles que je vais signaler. (Interruption.)
Ecoutez :
« Chez nous, la présentation du budget de la guerre est et a toujours été
l’occasion d’attaques virulentes contre l’armée, comme si les hommes qui la
composent étaient hostiles ou à charge. »
Ainsi, on présente
la représentation nationale comme hostile à l’armée.
Plus loin, l’auteur
dit encore : « L’adversaire le plus acharné, le plus invulnérable du
système régénérateur de M. Willmar, ce sera la législature. » Ainsi, vous
le voyez, on présente la législature comme l’adversaire le plus acharné du
système d’amélioration de l’armée. Voilà sous quelles couleurs on dépeint à
l’armée la représentation nationale, qui a constamment accordé au gouvernement
toutes les demandes pour l’armée.
Remarquez que ce ne
sont pas des paroles vagues jetées en l’air ; ce sont, je le répète, des
paroles qui partent du bureau d’un journal qui est sous le patronage du
département de la guerre. Examinez le dernier numéro du journal de l’armée
belge, vous verrez comme on y annonce cette brochure, comme on engage tous les
officiers à se la procurer.
« Cette
brochure importante, dont on ne saurait contester l’extrême utilité au moment
où les chambres vont voter le budget de la guerre, est un document dont la
connaissance est indispensable à tous les officiers qui veulent connaître
l’état et les ressources militaires de leur pays. Elle est remarquable par
l’intérêt qu’elle comporte et par son bon marché. »
J’ai trop le
sentiment de notre dignité pour laisser passer sous silence des injures aussi
violentes, surtout après le discours que nous avons entendu dans la séance
d’hier. Il est certain que si en Angleterre on se permettait la centième partie
de ces injures contre le parlement, on en aurait bientôt fait justice.
Je vous le demande,
messieurs, si un étranger disait dans un journal que l’adversaire le plus
acharné des améliorations dans l’armée, c’est le Roi, il ne demeurerait pas 24
heures en Belgique. Or vous remarquerez que l’auteur de cette brochure est un
étranger qui reçoit ici l’hospitalité. Mais c’est la chambre des représentants
qu’il a attaquée, le gouvernement ne s’en est pas ému.
Un journal nous
apprend que cet étranger se nomme J .B. Petit, éditeur du journal de
l’armée belge. Quand j’ai eu connaissance de ces faits, j’ai eu peine à
contenir mon indignation. Si un étranger disait un seul mot contre
Louis-Philippe ou contre un ministre dans un café, on l’aurait bientôt expédié
à l’étranger. Car c’est ainsi qu’on se conduit. Mais quand des attaques
virulentes sont lancées contre la représentation nationale, quand on la met au
ban de l’armée, on vient nous dire qu’il faut mépriser de pareilles choses.
Pour moi je comprends trop bien la dignité de la représentation nationale pour
me contenter d’opposer le mépris à de pareilles attaques.
Je me borne à
signaler ces faits, j’espère que le ministère s’empressera de faire justice de
pareils abus pour en empêcher le retour. Si la chambre n’obtenait pas
satisfaction, je proposerai un projet de loi pour qu’à l’avenir elle ne puisse
être impunément l’objet de semblables attaques qui préparent la voie aux coups
d Etat contre le peuple et la liberté.
- La séance est
levée à quatre heures et demie.