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Note d’intention
Chambre des représentants de Belgique
Séance
du lundi 13 mars 1837
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre
2) Composition des bureaux des sections du mois de mars 1837
3) Projet de loi portant le budget du département de la guerre pour
l’exercice 1837. Abus dans le service sanitaire de l’armée, refus du ministre
de transmettre un rapport, proposition de constituer une commission d’enquête
(question politique) (de Brouckere, Dolez, Pirson, Pollénus,
Gendebien, Donny, Verdussen, de Jaegher, Dumortier, Donny, Willmar, Desmaisières, Pollénus, (+ophtalmie militaire) Lebeau,
Desmaisières, Jullien, A. Rodenbach, Willmar)
4) Projet de loi relatif à l’organisation des élections provinciales
dans le district de Maestricht
(Moniteur belge n°74, du 15 mars 1837)
(Présidence de M. Raikem.)
(Moniteur belge n°72, du 13 mars 1837) M. de Renesse fait l’appel nominal à midi et
demi.
M. le président
procède par la voie du sort au renouvellement des sections.
M. Lejeune donne
lecture du procès- verbal de la séance. La rédaction en est adoptée.
M. de Renesse
présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A
« Le sieur
Arnold Geens, cultivareur à
Neerluiser, demande l’annulation des élections
communales qui ont eu lieu dans cette commune, le 18 juillet 1836. »
____________
« Le sieur Le Prevost, dit de Basserode,
notaire démissionné, se plaint de prétendues vexations exercées par un receveur
de l’enregistrement et demande la restitution des droits trop perçus. »
____________
« La chambre de commerce et des fabriques
de Bruxelles adresse des observations sur le projet de loi relatif au
sel. »
____________
- Cette dernière
pétition est renvoyée à la section centrale, chargée de l’examen du projet de
loi relatif au sel. Les deux autres pétitions sont renvoyées à la commission
des pétitions, chargée d’en faire le rapport.
COMPOSITION DES
BUREAUX DES SECTIONS DU MOIS DE MARS 1837
Première section
Président : M.
Keppenne
Vice-président : M.
Milcamps
Secrétaire : M.
Kervyn
Rapporteur des
pétitions : M. Andries
Deuxième section
Président : M.
Liedts
Vice-président : M.
Verdussen
Secrétaire : M.
Vanden Wiele
Rapporteur des
pétitions : M. Vuylsteke
Troisième section
Président : M.
Fallon
Vice-président : M.
Raymaeckers
Secrétaire : M. de
Jaegher
Rapporteur des
pétitions : M. Jadot
Quatrième section
Président : M.
Vanderbelen
Vice-président : M.
Watlet
Secrétaire : M.
Lejeune
Rapporteur des
pétitions : M. Manilius
Cinquième section
Président : M.
Coppieters
Vice-président : M.
Desmet
Secrétaire : M.
Pirmez
Rapporteur des
pétitions : M. Hye-Hoys
Sixième section
Président : M.
Devaux
Vice-président : M.
Dubus (aîné)
Secrétaire : M.
Mast de Vries
Rapporteur des
pétitions : M. Dumortier
________________
M.
Desmet et M. Vander Wiele s’excusent par lettre de ne pouvoir assister à la séance.
Discussion des
articles
Chapitre III. – Service de santé
M. le président. - La discussion
continue sur l’article concernant le service de santé.
M. de Brouckere. - Avant qu’on accorde la
parole à un orateur, je demanderai la permission de faire observer que l’art.
48 du règlement statue que la parole « sur » est exclusivement
réservée aux orateurs qui ont des amendements à proposer.
M.
le président donne lecture de l’art. 48 du règlement.
M. Dolez. - Messieurs, je
comptais prendre la parole dans la discussion actuelle, et par suite ne
l’obtenir qu’à mon tour de rôle. Toutefois, comme mon intention est de
soumettre à la chambre une nouvelle proposition, je crois qu’il serait dans
l’intérêt de la discussion elle-même que la parole me fût accordée dès à
présent. Les orateurs qui sont actuellement inscrits pourraient ainsi examiner
ma proposition concurremment avec celles qui ont déjà été déposées.
M.
le président. - Voici la proposition de M. Dolez :
« J’ai
l’honneur de proposer à la chambre d’inviter M. le ministre de la guerre à lui
faire un rapport sur les abus imputés au service de santé, à lui émettre son
opinion sur tous et chacun de ces abus, et à lui faire connaître les motifs sur
lesquels il la base ; l’inviter en outre à transmettre immédiatement tout le
dossier à une commission composée de l’auditeur-général près la haute cour
militaire et de deux auditeurs provinciaux, laquelle sera chargée d’examiner,
si des pièces de ce dossier et de toutes autres qui lui serait remises, il
résulte la présomption de délit ou de crime, et d’intenter immédiatement, s’il
y a lieu, les poursuites ordonnées par la loi, et de parvenir à leur répression
; enfin, en cas d’acquiescement de M. le ministre de la guerre à cette double
mesure, de passer immédiatement à l’examen et au vote des articles du budget
relatifs au service de santé. »
M. Dolez. - Messieurs, je ne
suis pas de ceux qui admettent avec beaucoup de facilité les accusations
lancées contre un fonctionnaire public, et dont la sympathie pour ces sortes
d’accusation semble s’accroître en raison de la gravité qu’elles présentent.
Loin de là, messieurs, lorsque de semblables accusations surgissent, ma
première pensée est de les repousser, de parler en faveur du fonctionnaire qui
en est l’objet ; c’est là, selon moi, l’application simple et naturelle de ce
principe d’éternelle justice, qui veut qu’aux yeux de la loi l’accusé soit
présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été reconnu coupable.
Je crois, au
surplus, que cette manière d’accueillir de telles accusations est aussi du
devoir d’un bon citoyen, ami de l’ordre et des institutions de son pays, parce
que j’ai déjà pu reconnaître que souvent on attaque les hommes pour ébranler
les institutions elles-mêmes.
Cependant, quelle
que soit mon opinion à cet égard, je dois déclarer hautement que l’état dans
lequel la question du service de santé se trouve actuellement, ne me paraît pas
satisfaisant. Je crois, en conséquence, qu’un vote pur et simple de la chambre,
qui pourrait être interprété, soit comme une approbation, soit même comme un
simple oubli du passé, non seulement ne satisferait pas le pays, mais serait encore
de nature à nuire au gouvernement lui-même.
Vous savez, comme
moi, que les accusations qui se sont élevées contre le service de santé et qui
ont été répandues et propagées par la presse de toute espèce, de toute couleur,
ont vivement excité l’attention publique, ont fait naître des inquiétudes, non
seulement dans l’armée, mais encore au sein des familles dont les enfants se
trouvent sous les drapeaux. Accusateurs et accusés, tous ont fait appel à
l’opinion publique ; les uns, en publiant leurs accusations ; les autres, en
publiant leur défense. Dans cette position, en présence de faits aussi graves,
pensez-vous qu’un simple vote de confiance accordé à M. le ministre de la
guerre, soit de nature à satisfaire l’opinion publique, à faire disparaître toutes
les incertitudes et à dissiper toutes les craintes ? Quant à moi, je ne le
crois pas. Si la chambre pouvait, dans l’état actuel des choses, émettre
un vote de nature à préjuger la
question, je voudrais qu’il fût émis en présence de faits tellement incontestables,
qu’il ne pût servir ni à abriter les coupables, s’il y en a, ni à alimenter la
calomnie, si, au lieu de coupables, il n’y a que des calomniateurs et des
calomniés.
Eh bien, je vous le
demande, messieurs, y a-t-il dans tous les documents qui nous ont été donnés
sur cette affaire, y a-t-il des renseignements tellement satisfaisants que nous
puissions émettre un pareille vote ? Y a-t-il des renseignements tellement
clairs que le doute disparaisse devant eux aux yeux de l’homme le plus
préoccupé ?
Il est vrai que M.
le ministre de la guerre s’est offert à donner à tous les membres de
l’assemblée tous les éclaircissements qui pourraient lui être demandés. Mais,
messieurs, cette offre de M. le ministre ne me satisfait nullement. Je ne la
crois même ni bien régulière, ni bien convenable.
Peut-il en effet
plaire aux membres de la chambre de s’ériger ainsi en accusateurs sur chaque
fait, et venir signaler à M. le ministre de la guerre tels ou tels griefs, et
lui demander des éclaircissements partiels pour chacun d’eux ?
Je crois,
messieurs, que, puisque le ministre a déclaré que sa conviction était formée,
ce qu’il y a de mieux à faire, c’est de nous présenter un rapport complet, un
rapport raisonné, embrassant tous les abus, et de nous exposer en même temps
les motifs qui ont déterminé sa conviction sur tous les points. La chambre a la
confiance dans le ministre de la guerre, sans doute ; mais cette confiance
doit-elle aller jusqu’à croire que sa conviction ne peut pas être erronée, bien
qu’elle soit de bonne foi ? je ne le pense pas ; et
c’est précisément pour cela que je désire savoir quels sont les faits, quels
sont les motifs sur lesquels le ministre appuie sa conviction ; nous pourrions
alors juger ces motifs.
Là, messieurs, se
trouve, selon moi, l’incontestable avantage du rapport réclamé par l’honorable
M. Milcamps, dont je ne puis qu’adopter les propositions.
Je vous disais tout
à l’heure que le gouvernement lui-même était intéressé à ce qu’un vote de
confiance ne vînt pas mettre un terme à la discussion qui nous occupe, et je
crois également pouvoir le démontrer.
Messieurs, au
moment où nous sommes, avec les institutions qui nous régissent et qui, certes,
il faut le reconnaître, n’ont pas fait au pouvoir exécutif une part trop large
d’influence et d’action, le gouvernement n’a qu’un seul moyen d’être
véritablement fort ; ce moyen, c’est de garder pour lui-même et d’inspirer à
tous le sentiment de sa propre dignité ; il ne peut être fort en un mot que
quand il est l’objet de la considération générale. Eh bien, je le dis, il n’y a
pas de considération possible pour un gouvernement, quand ses agents les plus
élevés peuvent être en butte à des soupçons d’une haute gravité, tels que ceux
qu’on a accumulés contre le chef du service de santé ; je dis que le
gouvernement ne doit pas tolérer ces soupçons, ne doit pas tolérer surtout que
les doutes et les incertitudes continuent d’exister. Or, dans l’état actuel des
choses, quelle sera la conséquence d’un vote de confiance donné à M. le
ministre de la guerre, c’est que tous les doutes, toutes les incertitudes, loin
de disparaître sur ce qui se rattache au service de santé, trouveront sans ce
vote un nouvel aliment. Ce vote que vous aurez émis par des motifs de confiance
envers le ministre, par des motifs de haute considération, ce vote sera
interprété par le pays dans un sens différent, et loin d’anéantir les doutes et
les incertitudes, vous le ferez grandir de jour en jour.
Il est donc de
l’intérêt du gouvernement lui-même de ne pas laisser poser la question dans ses
termes actuels.
Maintenant quels
sont les moyens à employer pour éviter les inconvénients qui vous entourent de
tous côtés ? Ici je vous l’avoue, messieurs, mon embarras est véritablement
grand.
Je vous avouerai
avec franchise que, dans l’origine de la discussion, je penchais en faveur de
l’enquête proposée par la section centrale ; cependant, messieurs, n’ayant pas
l’habitude de prendre dès l’abord une décision définitive sur des matières
aussi graves, j’ai réfléchi, j’ai écouté les réflexions et les arguments qui
nous ont été soumis dans la discussion, et j’ai été amené à croire que
l’enquête ne produirait pas le résultat qu’on doit en attendre.
Le droit d’enquête
existe incontestablement, et personne dans cette chambre n’a cherché à le
contester encore que quelques orateurs se sont donnés surabondamment la peine
d’établir l’existence de ce droit ; le droit d’enquête existe donc ; mais je
dis qu’il n’est point praticable avant d’avoir été réglé par une loi, et je
vais établir les bases de la proposition que j’avance.
Il est de l’essence
d’une enquête d’appeler à elle des témoins ; l’audition des témoins est
véritablement ce qui constitue l’enquête. il faut donc qu’une commission
d’enquête ait le droit d’appeler des témoins, de les contraindre à comparaître
; il faut, de plus, des garanties de la véracité de la déposition des témoins ;
il faut une sanction contre ceux qui se permettraient de porter un faux
témoignage des faits sur lesquels ils auraient à déposer ; eh bien, messieurs,
dans l’état actuel des choses, les témoins qui seraient appelés devant la
commission d’enquête pourraient refuser de comparaître ; quel sera le moyen de
les y contraindre ? Quelles seront les garanties de la véracité de la
déposition des témoins ; par quelles peines épouvanterez-vous ceux qui auraient
l’intention de venir vous tromper ? Ce sont là, messieurs, des difficultés non
seulement graves, mais insurmontables, dans l’espèce qui nous occupe.
Réfléchissez, messieurs, à la matière qui est en ce moment l’objet de nos
délibérations. Sont-ce des actes d’administration que vous avez à contrôler ?
Est-ce sur des actes d’administration que vous aurez à porter votre examen ?
Non, messieurs ; il s’agit de délits et de crimes prévus par nos lois pénales,
et punis par elle de la manière la plus sévère. La commission d’enquête aurait
donc pour mission de rechercher des délits et des crimes, de rechercher des
coupables ; il y aura donc à garantir, non seulement l’intérêt de la vérité,
mais encore l’honneur des hommes que l’on accuse ; et, messieurs, dans les
questions les plus importantes, dans les questions mêmes qui touchent à
l’existence des Etats, il ne faut pas faire bon marché de l’honneur des hommes.
Vous ne pouvez donc pas venir rechercher les faits dont il s’agit sans entourer
vos recherches de toutes les garanties que la loi établit pour assurer la
véracité du témoignage ; vous ne pouvez pas, en l’absence de semblables
garanties, vous livrer à une investigation qui aurait peut-être pour résultat
de stigmatiser des hommes. Lorsqu’il s’agit de la plus petite contravention de
simple police, chaque prévenu est certain que tous les témoins appelés par
l’accusation et par la défense comparaîtront ; chaque prévenu a pour garantie de
la véracité de la déposition des témoins le serment et les peines que la loi
pénale inflige aux faux témoins ; et lorsqu’il s’agit des faits les plus
graves, on ferait une instruction dépourvue de toutes ces garanties. Les
témoins arrivant spontanément ou au moins sur une simple invitation, on
n’aurait peut-être que ceux qui, soit par position, soit par passion, soit par
intérêt pour ou contre les prévenus, seraient en quelque sorte intéressés dans
la question ; je vous le demande, messieurs, y aurait-il là la moindre des
garanties que la loi accorde même en des matières bien moins importantes ?
Ce n’est pas tout
encore ; cette enquête aura un résultat : ou elle mènera à reconnaître que
c’est à tort que des plaintes se sont élevées contre le service de santé, ou
elle mènera à reconnaître que ces plaintes étaient fondées ; qu’aurez-vous
fait, s’il résulte de l’enquête que les plaintes n’étaient pas fondées ?
Aurez-vous fait disparaître les doutes qui existent dans le public ? Aurez-vous
fait taire les accusations ? Non, messieurs ; on viendrait dire alors que tous
les témoins n’ont pas comparu, que ceux qui ont comparu n’ont point donné en
justice la garantie du serment ; les mêmes doutes continueraient à exister ; et
vous vous trouveriez après l’enquête au point où vous en étiez au moment où
elle aurait commencé. Si, au contraire, il résultait de l’enquête que les faits
reprochés au service de santé existent, il y aurait des poursuites à intenter
contre ceux que l’enquête aurait signalés comme coupables, et si, après la
justice régulière, la seule véritablement compétente pour connaître des
affaires dont il s’agit, allait absoudre ceux que vous lui auriez fait déférer,
que deviendrait la dignité de la chambre, dont nous devons aussi nous montrer
les soigneux gardiens ?
Je le répète donc,
je ne crois pas que l’enquête puisse amener un résultat quel qu’il soit ; je
crois qu’elle laisserait subsister les doutes qui existent aujourd’hui, et que
par conséquent elle n’atteindrait pas le seul but que nous puissions désirer,
et qu’il est utile au pays d’atteindre le plus promptement possible.
Il est une autre
voie, bien naturelle, bien simple, selon moi, d’atteindre ce but : nous avons
dans nos institutions des corps organisés à l’effet de connaître des crimes et
délits ; eh bien, n’empiétons point sur le pouvoir judiciaire ; puisqu’il
s’agit de crimes et délits, voyons venir la décision des tribunaux. C’est,
messieurs, dans cette pensée que ma proposition est conçue.
Nous avons
messieurs, deux points sur lesquels nos investigations doivent porter ; d’abord
le point de vue administratif, et c’est à cet égard que je demande que M. le
ministre de la guerre soit invité à fournir un rapport circonstancié ; nous
avons ensuite le point de vue judiciaire, et c’est sous ce rapport que je
demande que la justice ordinaire soit saisie de toute cette affaire. Je sais
très bien que le moyen que je propose à la chambre n’est point parfait ; mais,
messieurs, dans une affaire qui a été viciée dès l’origine par la faiblesse
qu’on a apportée soit à réprimer les accusations injustes si elles étaient
reconnues telles, soit à punir les coupables s’il y en avait, dans une pareille
affaire il est impossible de faire tout à fait bien ; nous devons donc tâcher
de faire le moins mal possible, et je pense que c’est le résultat que nous
atteindrions en adoptant la proposition que j’ai eu l’honneur de vous
soumettre.
Je ne crois pas que
M. le ministre de la guerre soit intéressé à s’opposer à l’adoption de ma
proposition, je dirai même qu’elle est parfaitement d’accord avec la marche que
nous avons vu suivre très récemment par un de ses collègues du cabinet : il y a peu de temps, une accusation avait
aussi été élevée contre le département de la justice ; un journal avait jeté
une sorte de cri d’alarme ; le ministre de la justice prit immédiatement des
mesures pour que la vérité fût connue : « S’il est des coupables, disait
le ministre de la justice, s’il est des prévaricateurs, il faut qu’ils soient
punis, ; s’il est des calomniateurs, il faut qu’ils soient réduits au
silence. » Une instruction judiciaire eut lieu, et elle tourna à la
considération du ministère de la justice. C’est là, messieurs, ce qu’aurait dû
faire le ministère de la guerre dès l’origine de l’affaire qui nous occupe en
ce moment, c’est ce que je désire qu’il fasse encore aujourd’hui.
M.
Pirson. - Je demande la parole ; j’ai une proposition à faire qui se
rattache à celle de M. Dolez.
M. Pollénus. - Je demande que mon tour de parole
y soit maintenu, car j’ai aussi une proposition à faire.
M. Gendebien. - M. Pollénus a déclaré qu’il
voulait parler « sur » la proposition, c’est que vient de faire
l’honorable préopinant. Le règlement veut qu’on entende alternativement un
orateur « sur », « pour » et « contre. » Puisque
le dernier orateur entendu à la séance de samedi a parlé pour, c’est maintenant
à un orateur qui se propose de parler contre, qu’on doit donner la parole.
Chacun des orateurs qui ont des amendements à présenter, ce sont ceux qui
veulent parler sur, viendra à son tour ; non que je veuille contrarier le
désir qu’à M. Pollénus de parler maintenant, mais parce que si on adoptait la
marche qu’il propose, d’entendre d’abord ceux qui ont des propositions à faire,
tous les orateurs pour ou contre viendraient s’accumuler à la fin de la
discussion.
M. Pollénus. - Mon désir de parler n’est pas si
vif qu’on semble le supposer. En réclamant la parole, je demande qu’on
m’applique la mesure qu’on vient d’appliquer à l’honorable M. Dolez, qui
demanda à parler « sur » pour faire une proposition et obtint la
préférence sur moi. Si la chambre a cru devoir donner la parole à M. Dolez,
parce qu’il avait une proposition à faire, il s’agit de savoir si on veut
m’appliquer la même mesure qu’à M. Dolez.
M. Gendebien. - M. Pollénus ne m’a
pas compris, puisqu’il pense que je lui ai supposé le désir de parler dans
cette discussion ; je n’ai parlé que de son désir de prendre la parole
immédiatement. J’aurais mauvaise grâce à trouver mauvais qu’il parle dans une
discussion, car il use d’un droit ; je n’ai à cet égard aucune observation à
faire ; ce que je disais ne tombait que sur l’opportunité.
M. le président. - Je vais consulter la
chambre sur la question de savoir si elle veut entendre de suite les
développements des propositions.
M.
Donny. - Il me semble qu’en procédant de cette manière, on viole le
règlement, qui veut qu’on entende successivement un orateur pour, un orateur
contre et un orateur sur. Si ceux qui doivent présenter des amendements, qui
sont ceux qui parlent sur, sont d’abord entendus, comme le propose M. Pollénus,
ce ne sera qu’après que cette liste aura été épuisée que vous entendrez
alternativement un orateur pour et un orateur contre.
M. Verdussen. - Aux termes du
règlement, les orateurs doivent déposer leurs amendements en quittant la tribune,
et il me semble qu’il faut que les diverses propositions soient connues pour
que les orateurs puissent se classer parmi ceux qui doivent parler pour ou
contre. Il me semble donc nécessaire d’entendre d’abord dans leurs
développements les orateurs qui veulent proposer des amendements, afin qu’on
puisse les comprendre dans la discussion.
M. de Jaegher. - Si l’on procède
comme le propose l’honorable préopinant, la moindre divergence d’opinion fera
l’objet d’une proposition. Dans toutes les discussions, il est rare que
quelques orateurs s’entendent parfaitement sur tous les points ; il suffira
qu’un membre entende une proposition d’une manière différente, quelque légère
que soit la différence, pour la formuler en proposition et prendre la parole
hors de tour. On ne peut pas envisager comme proposition une légère différence
sur une proposition première.
M. Dumortier. - Il faut en finir avec
cette motion d’ordre qui nous fait perdre du temps. Je demande qu’on suive
l’ordre des inscriptions.
M.
le président. - Le dernier orateur entendu a parlé pour la proposition
d’enquête immédiate ; je vais donner la parole à un orateur contre, à M. Donny.
M.
Donny. - Messieurs, je commence par exprimer mes vifs regrets, de ce
que M. le ministre de la guerre ait cru devoir déclarer que si la chambre
votait l’enquête parlementaire proposée par la section centrale, il devrait
considérer ce vote comme un acte de défiance dirigé personnellement contre lui.
Je ne conçois rien à cette déclaration. M. le ministre de la guerre a entendu
que de toutes les parties de la salle des voix nombreuses se sont élevées contre
cette interprétation du vote que nous avons à émettre, pour lui donner
l’assurance la plus formelle que dans l’esprit d’aucun de nous il n’existe la
moindre défiance envers lui. Il est évident, d’après cela, pour tout homme qui
veut voir, que la chambre accorde pleine confiance au ministre de la guerre.
Dès lors, j’ai le droit de lui demander, faisant un appel à son intelligence si
éclairée, s’il est bien raisonnable de vouloir trouver de la méfiance là où il
y a confiance entière, et de nous attribuer des sentiments qui sont en
opposition complète avec les nôtres ?
J’ai encore une
autre observation à faire sur la marche que suit le ministre dans cette
discussion. Quand des faits importants ont fixé l’attention du pays et que la
chambre en fait l’objet de ses délibérations, il est dans l’ordre naturel des
choses que le gouvernement vienne éclairer la discussion au moyen d’un rapport.
C’est là ce qui s’est fait presque toujours. C’est aussi ce que le ministre
paraît disposé à faire, puisqu’il nous a dit qu’il s’était mis en demeure de
donner à la chambre les explications les plus détaillées sur tous les faits qui
lui seraient indiqués. Cependant quand M. Milcamps a invité le ministre à faire
un rapport sur l’affaire, ajoutant que, selon lui, ce rapport pourrait faire
l’impression la plus profonde sur l’esprit de la chambre ; M. le ministre n’a
pas pris la parole pour donner ce rapport ; et aujourd’hui, lorsqu’un orateur
qui siège derrière moi vient de provoquer à son tour la production d’un
rapport, M. le ministre est encore resté muet.
Il est vrai qu’il
nous a interpellé antérieurement et à plusieurs reprises de lui indiquer un à
un les points sur lesquels on veut qu’une discussion s’établisse. Mais il est
impossible que des interpellations de cette nature produisent le moindre
résultat. J’en appelle encore ici au bon sens de M. le ministre, peut-il
sérieusement croire qu’il se trouvera un seul membre dans cette assemblée, qui,
sans avoir examiné les pièces volumineuses de cette affaire, veuille se charger
d’engager une espèce de lutte avec lui sur les faits signalés, qui veuille se
charger en quelque sort de l’attaque, lorsque le ministre qui a examiné
l’affaire dans tous ses détails et à loisir, se tient bien tranquillement sur
la défensive ? Certainement il n’en sera pas ainsi.
De toutes les
opinions qui ont surgi dans cette discussion, celle que je puis le moins
partager, c’est l’opinion énoncée par l’honorable membre qui siège derrière
moi. Cet honorable membre nous a dit qu’il était superflu de continuer les
investigations sur l’affaire dont il s’agit, parce que nos investigations ne
pouvaient conduire à aucun résultat utile. Je pense qu’en cela l’honorable
membre se trompe, et qu’alors même que nos investigations ne pourraient amener
certains résultats que l’honorable membre a spécialement eus en vue, elles
pourraient du moins produire d’autres effets, qui ne seraient pas sans utilité
pour le pays.
L’honorable membre
conviendra que l’affaire qui nous occupe est d’une haute importance, non
seulement parce qu’elle se rattache à la santé de l’armée, mais encore parce
qu’elle a excité dans le pays une inquiétude assez générale dont il est facile
de se rendre raison, quand on songe qu’il est extrêmement peu de familles qui
ne comptent quelqu’un de leurs membres dans les rangs de l’armée.
Si ce que je viens
de dire est vrai, nous avons évidemment un double devoir à remplir ici, celui
de nos éclairer nous-mêmes sur les faits à charge du service de santé et celui
d’éclairer et de tranquilliser le pays. J’ajoute que ce dernier devoir ne me
semble pas le moindre des deux.
J’ai toujours pensé
et je pense encore que si la révolution a rencontré dès l’origine tant de
sympathie, c’est que tout le monde était convaincu, et qu’il existait de graves
abus, et qu’il n’était pas permis d’espérer la réforme par la représentation
nationale telle qu’elle était constituée à cette époque.
Il importe
d’empêcher que le pays croie à la possibilité du retour d’un pareil état de
choses, il importe que la nation soit bien convaincue que ses mandataires ont à
la fois le pouvoir et la volonté de réprimer tous les abus qui pourraient se
glisser dans l’une ou l’autre des branches des services publics.
Le meilleur moyen,
le seul peut-être que nous ayons pour donner cette conviction à la nation, c’est
de faire des investigations propres à éclairer le pays sur la véritable nature
des faits qui lui ont été présentés, à tort ou à raison, comme de graves abus.
Maintenant, je me
demande quelle marche nous avons à suivre pour remplir les devoirs que nous imposent
les circonstances.
Faut-il, ainsi que
le propose la section centrale, recourir brusquement à l’enquête parlementaire,
c’est-à-dire au mode d’action le plus énergique peut-être que nous possédions,
après la mise en accusation des ministres, ou bien faut-il, comme le propose
l’honorable M. Lejeune, s’en tenir à des mesures préalables, aux voies
d’instruction ordinaires, voies d’instruction que quelques membres considèrent,
à tort suivant moi, comme des demi-mesures ? je dis à
tort, car ces moyens ont une grande étendue, et peuvent avoir une grande
efficacité ; en effet, les voies ordinaires d’instruction ne me semblent pas
consister uniquement dans l’examen des pièces transmises à la section centrale
; elles peuvent comprendre des investigations bien plus étendues.
Par exemple, qui
peut empêcher la section centrale de rechercher des renseignements en dehors
des pièces que le gouvernement lui soumet, d’interroger les personnes disposées
à venir volontairement devant elle pour lui fournir ces sortes de renseignements
? Et certes, il serait facile d’indiquer à la section centrale des personnes
ayant la volonté de paraître devant elle, et se trouvant en état de lui fournir
des éclaircissements utiles.
Entre la
proposition de la section centrale et celle, à mon avis beaucoup plus calme,
beaucoup plus sage, de l’honorable M. Lejeune, mon choix ne saurait être
douteux. C’est à la dernière que je donne la préférence.
Seulement, je ferai
observer qu’il conviendra de mettre plus de précision dans le libellé de cet amendement,
d’y insérer des chiffres, puisqu’il s’agit du vote d’un article de budget. Au
reste, comme le ministre a déclaré accepter l’amendement, c’est apparemment lui
qui se chargera de le compléter en proposant le chiffre qu’il faut y insérer.
Lorsque cet
amendement aura été complété, je le voterai, parce que je pense, avec
l’honorable membre, que l’enquête parlementaire, appliquée à la recherche
d’abus administratifs, est un moyen extrême, parce que je pense, avec lui, que
l’on ne doit recourir aux moyens extrêmes que dans les cas d’absolue nécessité,
et parce qu’enfin je pense encore avec lui que dans cette affaire le cas de
nécessité ne s’est pas présenté jusqu’ici.
A ces observations
développées par l’honorable membre, j’en ajouterai une nouvelle.
Jusqu’ici nous
n’avons jamais fait une enquête parlementaire pour constater des abus
administratifs ; nous ne pouvons par conséquent, dans ce moment-ci, ni calculer
les conséquences, ni prévoir les inconvénients d’une marche semblable.
Cependant, chacun de nous peut se figurer que cette mesure ne sera pas exempte
d’inconvénients. Il peut s’attendre à des difficultés avec d’autant plus de
raison qu’il s’agit d’une enquête à faire dans les rangs de l’armée et par
conséquent de nature à exercer nécessairement une influence quelconque sur son
esprit, sur les biens moraux qui existent entre ceux qui en font partie. Cette
influence peut être favorable, elle peut être fâcheuse. Il se peut que l’armée
considère l’enquête parlementaire comme une preuve de la sollicitude de la
chambre pour son état sanitaire. Mais il se peut aussi qu’elle n’y voie qu’une
espèce de lutte entre ses chefs et la représentation nationale. Il est possible
que l’enquête parlementaire tranquillise le soldat sur le service de santé ;
mais il est possible aussi qu’il y trouve un nouveau motif d’inquiétude. Il est
possible que le soldat se dise : « Il faut bien que les reproches adressés au
service sanitaire soient graves, qu’ils soient probables et qu’ils durent
encore puisque la représentation nationale est sortie du cercle ordinaire de
ses travaux pour venir solennellement recherché jusqu’à quel point ces abus
existent. »
Je le répète, on ne
peut prévoir en aucune manière quel sera sur l’armée l’effet moral de l’enquête
parlementaire. L’expérience seule vous l’apprendra.
Et s’il en est
ainsi, je demande si le moment est bien choisi pour faire sur l’armée une
espèce d’expérience pratique de nos pouvoirs constitutionnels. Je demande si
nous devons entreprendre sans nécessité une mesure de
cette portée, au moment où l’armée est peut-être à la veille de marcher à
l’ennemi, au moment où il convient par conséquent de resserrer par tous les
moyens possibles les liens moraux qui doivent exister dans son sein ?
Quant à moi, je
répondrai négativement à cette question, et je ne m’associerai à une mesure de
ce genre que quand je serai en état de dire au pays : « Si j’ai voté une
enquête parlementaire, ce n’est qu’après avoir épuisé tous les autres moyens
d’instruction dont j’ai pu disposer pour m’éclairer ; et si l’enquête
parlementaire produit de fâcheux résultats, ce n’est pas à moi qu’il faut s’en
prendre ; la faute en est à la nécessité. »
En terminant, je
dirai quelques mots encore pour expliquer toute ma pensée.
Si, après avoir examiné les pièces qui lui ont été soumises, après avoir
employé tous les moyens d’instruction dont elle peut disposer, la section
centrale vient nous dire à une époque plus ou moins rapprochée, qu’il lui a été
impossible de s’éclairer sur les faits dont nous nous occupons, si elle ajoute
qu’une enquête, portant sur les faits, peut avoir un résultat plus
satisfaisant, si en même temps elle nous indique les faits sur lesquels
l’enquête parlementaire devrait porter, et nous propose des mesures pour que
l’enquête ne soit pas illusoire, pour que la commission d’enquête soit investie
de moyens de contrainte, sans lesquels il lui est impossible de remplir sa
mission ; si en un mol elle nous propose toutes les mesures nécessaires pour
assurer à cet acte solennel de la représentation nationale tout le respect dont
il convient qu’il soit entouré, alors je le déclare dès à présent, je voterai
l’enquête parlementaire, cédant à la nécessité ; je fermerai les yeux sur les
conséquences qui en peuvent résulter pour le pays. Mais je croirais faire un acte
de légèreté et d’imprudence, si, dans l’état actuel des choses, je contribuais
par mon vote à entraîner la chambre dans la voie d’une enquête parlementaire.
J’ai dit.
M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Dans
la séance d’avant-hier, j’ai seulement indiqué à la chambre un des
inconvénients que je trouve à l’enquête. L’orateur qui vient de parler a si
bien développé tous ceux qu’elle présente que je me bornerai à déclarer que je
me rallie entièrement à ce qu’il vient de dire contre l’enquête, croyant ne pas
avoir besoin de justifier autrement l’opinion que j’ai émise précédemment.
Cependant, je dois
me laver du reproche d’inconséquence que l’orateur semble m’avoir adressé, en
prétendant que je ne devais pas voir dans l’enquête une preuve de défiance
contre moi.
Je crois déjà avoir
exposé les motifs sur lesquels je fonde cette opinion. Puisqu’il paraît qu’ils
n’ont pas été suffisamment compris, je vais les reproduire. Pour cela, je vous rappellerai,
messieurs, la marche des délibérations et des rapports de la section centrale :
C’est le 20 janvier
que la section centrale a déposé son premier rapport ; ce rapport admettait les
crédits demandés pour le service de santé, et quoique certaines réductions
eussent paru pouvoir être proposées par la section centrale, celle-ci n’avait
pas cru devoir présenter d’amendement, afin de laisser au ministre de la guerre
toute latitude pour rechercher et réprimer les abus du service de santé s’ils
existaient.
Je dois prier la
chambre de remarquer que, dans la première conférence que j’ai eue avec la
section centrale, j’ai eu l’occasion de me prononcer sur cette question : que
le rapport d’une commission pour examiner les abus reprochés au service de
santé était confidentiel et n’était pas fait pour être rendu public. Sont venus
ensuite les amendements que j’ai cru devoir proposer au budget, et sur lesquels
la section centrale a eu un deuxième rapport à faire. Dans les conférences que
j’ai eues à ce sujet avec la section centrale, j’ai déclaré sur-le-champ que
toutes les autres pièces, documents et renseignements que l’on pourrait
demander, j’étais prêt à les fournir. Alors je me suis servi moi-même d’une
expression qui a, je crois, été répétée par les journaux. J’ai dit qu’il y
avait un mètre cube de documents : expression fort hyperbolique sans doute ;
car il suffit de jeter les yeux sur le bureau pour se convaincre qu’il y a à
peine la trentième partie de ce que j’avais dit.
Quoi qu’il en soit,
j’ai déclaré à la section centrale que j’étais prêt à lui fournir tous les
documents et tous les renseignements qu’elle pourrait demander. A la demande de
documents que la section centrale me fit quelques jours après et dans laquelle
elle comprenait le rapport des généraux, je répondis dans le moment même qu’il
m’était impossible de me dessaisir immédiatement des pièces que je pouvais
communiquer ; mais qu’aussitôt que j’aurais fini le travail auquel je me
livrais alors, je le lui remettrais. Sur ces entrefaites la section centrale
présenta son rapport, et elle déclara qu’il lui était impossible de faire une
proposition sur le service de santé, parce que, à défaut de documents, elle
n’avait pas été en état de s’éclairer sur les faits.
Ce fut sur ce
rapport que j’établis la première discussion sur les prétendus abus du service
de santé. Un orateur m’interpella pour me demander si dans les documents que
j’offrais de communiquer, je comprenais le rapport des généraux : je répondis
que pour moi cette communication était une question de principe, que je ne la
ferais pas, parce qu’elle était de nature à entraîner de grands inconvénients,
et que je ne pouvais pas revenir sur la détermination que j’avais prise à cet
égard.
Alors la discussion
s’établit sur la non-présentation de la pièce même ;
et l’orateur dont je viens de parler prétendit que la discussion était
impossible sans la pièce ; c’est ce que j’ai contesté. C’est alors que j’ai dit
que j’étais prêt à donner tous les renseignements qu’on demanderait. Par là je
n’ai pas prétendu mettre la chambre en demeure de me faire des interpellations,
mais je lui ai proposé simplement de lui donner tous les éclaircissements
possibles et tous les documents.
Je déclarai en même
temps qu’il n’y avait rien à reprocher au chef du service de santé, et que les
accusations dont il était l’objet n’avaient, à mes yeux, aucun fondement. J’ai
ensuite déposé les pièces qui se trouvent sur le bureau de la chambre et qui
furent renvoyées à la section centrale.
Je n’ai pas reçu de
la section centrale de nouvelles demandes de communication. Quelques jours
après le dépôt des pièces, le rapport de M. Desmaisières fut prêt, et la
majorité de la section centrale fut d’avis qu’il ne fallait réclamer aucun
nouveau renseignement, et qu’une enquête devait être proposée à la chambre.
Ainsi, sans aucun
fait nouveau autre que celui d’avoir énoncé mon avis, la section centrale a
proposé l’enquête. Il me semble d’après cela que l’adoption de l’enquête
signifierait que l’avis du ministre n’est pas de nature à être pris en
considération par la chambre, qu’elle doit s’en défier ; et dans cette
situation, j’ai le droit de dire que l’enquête serait une preuve de défiance
contre le ministre, et que par conséquent il serait de sa dignité de s’y
soustraire.
En parlant d’abus la
section centrale a parlé au présent, elle a fait mention d’abus existant
actuellement. Cependant, dans un second rapport, l’honorable rapporteur a
reconnu qu’il s’agissait de faits anciens, et que dans son premier rapport ses
expressions auraient dû être : « Les abus qui auraient existé dans le
service de santé. » Il est certain en effet que si des abus ont eu lieu
dans le service de santé, ils sont antérieurs à mon administration.
Il y a trois ans
qu’on se récrie contre le service de santé : aucune enquête n’a été proposée
pendant ce laps de temps ; si elle est dirigée maintenant, c’est donc contre le
ministre actuel qu’elle est dirigée. La proposition de la section centrale est
donc un acte de suspicion contre lui (dénégations)
; telle est ma manière de voir.
M. A. Rodenbach. - C’est contre le passé que
l’enquête est dirigée !
M. le ministre de la guerre (M. Willmar). -
L’honorable M. Donny semble n’avoir pas compris ce que j’ai dit dans la séance
d’avant-hier en réponse à la proposition faite par M. Milcamps.
Je ne pouvais pas
reculer devant la demande d’un rapport, puisque j’avais offert moi-même de
faire un rapport ou de répondre à toutes les interpellations ; seulement ce que
je désirais c’est que le rapport fût produit conformément à la marche régulière
dans une discussion de budget ; je voulais qu’il pût éclairer le vote de la
chambre sur les articles en discussion. Mais quand la proposition de M.
Milcamps est arrivée, je n’avais plus de données certaines sur la manière dont
mon rapport serait interprété ; et c’est par ce motif que j’ai déclaré que
j’étais prêt encore à faire mon rapport s’il pouvait conduire au vote.
C’est dans ces
entrefaites qu’est arrivée la proposition de M. Lejeune.
Ayant à m’expliquer
sur ce second amendement, j’ai dit que je ne m’y opposerais pas ; et je l’ai
considéré comme étant un expédient pour faire sortir la chambre de l’embarras
où elle s’était jetée ; mais je l’ai représenté comme ayant des inconvénients,
et notamment celui de prolonger l’état d’anxiété dans lequel on suppose que se
trouvent le pays et l’armée. J’ai donc dû, à propos de cet amendement, exprimer
l’opinion qu’il eût été préférable que la section centrale eût consenti à
consacrer quelques jours à examiner les pièces, examen dans lequel j’aurais pu
la seconde de manière à abréger le temps qu’elle y aurait consacré.
Après l’examen de
la section centrale serait venu l’examen en séance publique, et il me semble
que de cette double instruction seraient jaillies assez de lumières pour
motiver et expliquer le vote de la chambre. C’était là, je le répète, la marche
qui, selon moi, aurait dû être suivie.
Et à ce sujet, je
ne dois pas vous cacher, messieurs, que tous ces moyens, occasionnant des
retards, ont de grands inconvénients, et qu’il serait à désirer que je puisse
consacrer du temps à l’organisation de l’armée. Quoi qu’il en soit, mon avis
est toujours qu’une discussion, la plus approfondie possible, renfermée dans
les limites d’une discussion du budget, est ce qu’il y a de plus désirable dans
la situation.
Ceci m’amène à
répondre à M. Dolez. Le rapport qu’il demande, je suis prêt à le faire ; mais
je prierai l’honorable orateur d’observer que ce rapport ne produirait pas le
résultat qu’il en attend.
L’année dernière, à
propos de la discussion du budget, les prétendus abus du service de santé ont
été l’objet d’interpellations faites à mon prédécesseur ; celui-ci fit un
rapport sur l’objet de la discussion, et il accompagne son rapport de plusieurs
pièces à l’appui, il démontra que tout s’était passé régulièrement dans ce
service ; cependant ce point est encore un de ceux sur lesquels les débats sont
portées cette année, ; ainsi on ne peut concevoir l’espérance qu’un rapport
puisse parvenir à détruire les inquiétudes ou les préventions.
La seconde partie
de la proposition de M. Dolez a pour objet de faire faire une enquête par
l’auditeur militaire général, et par deux auditeurs militaires provinciaux. Il
existe, selon moi, un motif de convenance pour ne pas prendre ce parti. En
effet j’ai déclaré que je m’étais livré à l’investigation la plus approfondie
et la plus minutieuse afin de savoir si je devais renvoyer la question devant
les tribunaux et comment je devais le faire. Je ne prétends pas posséder des connaissances
très étendues comme jurisconsulte, aussi, ai-je pris les avis d’hommes éclairés
; et de ces avis et de mes propres investigations il est résulté que cette
marche ne pouvait être suivie.
Soumettre de nouveau la question à l’auditeur général et à deux autres
auditeurs, après l’avoir examinée moi-même, et après avoir fait connaître mon
jugement, me paraît contraire à la hiérarchie militaire ; il me semble que je
ne dois pas déférer mon opinion aux membres du parquet militaire, qui sont mes
subordonnés.
Je dois par
conséquent me renfermer, soit dans ma proposition, qui est de discuter le
budget, avec toutes les lumières qui peuvent être apportées dans une telle
discussion ; ou me référer à la proposition de M. Lejeune. Jusqu’à ce que la chambre ait fait un choix dans la
manière de procéder à cette discussion, je dois laisser marcher le débat
actuel, sauf à dire encore que si la chambre veut des détails, je suis prêt à
les lui donner.
M. Desmaisières, rapporteur. - Je regrette
infiniment d’avoir, en commençant à m’acquitter d’un devoir qui n’a jusqu’ici
dû être rempli, que je sache, par aucun rapporteur dans cette chambre.
Jamais, en effet,
on n’a vu un ministre accuser la section centrale qui a été chargée d’examiner
le budget de son département, de n’avoir pas voulu recevoir les
éclaircissements qu’aurait offerts ce ministre ; d’avoir été la cause elle-même
de ce qu’elle n’avait pas pu examiner la question, vu ou à l’aide des
renseignements offerts (cet examen aurait pu, selon moi, être terminé en
quelques heures) ; de n’avoir pas, quoiqu’elle eût mis 70 jours à élaborer son
premier rapport, voulu prendre 24 heures de plus pour se mettre à même de
mettre la chambre en état de se prononcer avec connaissance de cause ; d’avoir
enfin fait à la chambre la proposition d’une enquête parlementaire après que,
lui, ministre, avait été amené à déclarer que son opinion était arrêtée, que
son propre examen était terminé, qu’en un mot il avait jugé.
Repousser d’aussi
graves accusations est sans doute pour moi un devoir impérieux ; mais
heureusement, messieurs, c’est là un devoir aussi facile à remplir qu’il est
pénible dans son principe. Il me suffira, en effet, d’être simple narrateur des
faits tels qu’ils se sont passés.
Le projet de budget
général de l’Etat pour l’exercice
En nous le présentant,
M. le ministre des finances a avoué qu’un retard avait été apporté à cette
présentation, ou plutôt que le gouvernement n’avait pas tenu sa promesse de
nous le communiquer à domicile dans l’intervalle des sessions des chambres, et
s’en est excusé sur ce que le nouveau ministre de la guerre, nommé le 19 août,
avait dû avoir le temps nécessaire pour revoir le projet de budget de son
département.
La section centrale
se réunit aussitôt après que l’examen dans les sections fut terminé ; et dans
sa séance du 17 décembre elle me fit l’honneur de me nommer son rapporteur.
Malgré une
indisposition qui, bien que légère, fut de nature cependant à empêcher tout
travail de ma part pendant plusieurs jours, j’avais presque achevé mon projet
de rapport quand survinrent les vacances de la nouvelle année.
Aussitôt après la
reprise des travaux de la chambre, la section centrale examina mon projet de
rapport, et je le déposai le 20 janvier. L’impression en fut ordonnée, et il
fut distribué le 31 du même mois.
M. le ministre de
la guerre nous présenta le 11 février, le projet de budget supplémentaire qu’il
nous avait annoncé dans notre séance du 21 décembre. L’impression éprouva
quelque retard. Ce ne fut que le 17 février que nous pûmes nous assembler pour
l’examiner, et notre rapport fut déposé le 23 sur le bureau de la chambre.
M. le ministre
adressa enfin, le 1er mars, à la chambre les pièces relatives au service de
santé, et le 7 du même mois, nous déposâmes notre rapport sur ces pièces et
aussi sur les divers amendements importants qui avaient été renvoyés en même
temps à notre examen.
Maintenant,
messieurs, je vous le demande, peut-on faire à la section centrale le moindre
reproche sur ce qu’elle n’aurait pas mis assez d’activité dans ses travaux ? peut-on lui faire même le reproche d’y avoir mis moins
d’activité que M. le ministre avec sa nombreuse armée d’employés n’en a mis
dans le sien ?
En ce qui touche le
service de santé, vous avez vu par mon premier rapport, messieurs, que presque
toutes les sections ont subordonné leur vote sur l’allocation relative à ce
service à des explications satisfaisantes à donner à la section centrale par le
gouvernement, sur les abus signalés par la presse.
Ces explications
ont été demandées, et la note ministérielle en réponse à notre demande a été
insérée par nous, textuellement et entièrement dans notre rapport à la chambre,
parce que dans une question aussi grave nous avons pensé qu’on ne pouvait se
borner à analyser une telle pièce.
Nous avons
mentionné en outre le refus de la communication du rapport des
officiers-généraux, ainsi que la demande restée sans réponse et faite par M. le
ministre de la guerre à M. le ministre de l'intérieur, relative aux propriétés
thérapeutiques de la salicine et du sulfate de quinine.
Vous avez vu, messieurs,
que M. le ministre dit dans cette note qu’il était inutile de revenir sur le
fait de l’acquisition de charpie qui avait été la première cause des attaques
violentes de la presse et qui avait particulièrement appelé l’attention de la
chambre, dans la session dernière ; qu’il fallait, au contraire, ranger ce fait
au nombre des choses jugées, vu que la chambre, dans la session de 1835 et
1836, avait demandé et obtenu toutes les explications désirables,
satisfaisantes sans aucun doute, puisqu’elle n’avait proposé aucune mesure à
prendre ultérieurement à ce sujet.
Certes, lorsque
surtout on argumentait de l’absence de proposition formelle de la chambre sur
la question de la charpie, après avoir reçu l’explication, certes, dis-je, il y
aurait eu là déjà de quoi motiver pour la section centrale tout au moins un
ajournement de son vote sur les crédits demandés pour le service de santé.
Cependant, elle n’en fit rien, et il n’y eut qu’un seul de ses membres qui
ajourna son vote, jusqu’à ce que le ministre eût donné à la chambre des
explications plus positives. Les dix autres membres considéraient que les abus,
ou prétendus abus (car nous ne voulons pas encore rien préjuger), que les abus
dont on se plaignait, n’ayant dans aucun cas point été commis depuis que
l’honorable général Willmar était ministre de la guerre, il leur paraissait
qu’il fallait laisser à ce nouveau ministre le temps de se reconnaître ; de
punir, s’il y avait lieu, de prendre des mesures d’organisation telles qu’aucun
abus ne puis plus se reproduire, et de ramener enfin l’ordre et l’harmonie dans
celui des services militaires où ils sont plus que tout autre de nécessité
absolue.
Lorsque ensuite
nous fîmes l’examen du budget supplémentaire, qui contenait un article relatif
au service de santé, nous demandâmes de nouveau la production des documents
relatifs à l’enquête sur ce service.
Les documents que
je puis communiquer, répondit le 20 février M. le ministre, consistent dans les
pièces officielles qui ont été remises à la commission dite improprement
d’enquête ; et il nous marqua en même temps que ces pièces lui étant
nécessaires pour préparer ce qu’il avait à dire à la chambre, il ne pouvait
s’en dessaisir de suite.
Nous fûmes donc
obligés de remettre, le 23, notre rapport à la chambre, sans avoir pu obtenir
le rapport des officiers-généraux, qui nous était de nouveau refusé et au
présent et à toujours, et aussi sans avoir obtenu autre chose qu’un inventaire
très sommaire des pièces que l’on nous promettait bien, il est vrai, de nous
communiquer, mais en nous faisait connaître que ce serait seulement après que
M. le ministre aurait eu le temps de s’en servir pour préparer ce qu’il avait à
dire à la chambre.
Après plusieurs
jours de la discussion publique du budget commencée, M. le ministre se décida à
adresser à la chambre les pièces qui avaient servi à l’instruction faite par la
commission d’officiers généraux, et qui (remarquons toujours bien qu’il l’avait
annonce positivement) étaient toutes celles qu’il lui était possible de
communiquer.
La chambre témoigna
le désir d’avoir un prompt rapport sur ces pièces. Nous voulûmes nous mettre en
devoir de satisfaire à ce désir bien naturel dans une question aussi
importante, qui intéresse à un si haut point les défenseurs de la patrie. Mais
nous fûmes effrayés en voyant les nombreuses pièces qui nous arrivèrent, non
seulement sans être accompagnées du rapport des officiers généraux, mais même
sans indicateur ou inventaire détaillé.
Je ne sais point si
dans le cours de la discussion publique M. le ministre aurait été amené à dire
à la chambre que son opinion était arrêtée, qu’il avait jugé. Je ne me souviens
de rien de semblable : quoi qu’il en soit, il est au moins certain qu’il ne l’a
point dit à la section centrale ; il est au moins certain qu’il n’a fait
connaître à personne qui, soit parmi les accusateurs, soit parmi les accusés,
avait été condamné par son jugement.
Bien au contraire,
quand on lui a dit qu’il avait jugé, qu’il avait frappé l’accusateur principal,
il s’en est formellement défendu et n’a cessé de s’en défendre en assurant que
la punition infligée à cet accusateur était étrangère à la question quant au
fond.
Aurions-nous
d’ailleurs pu croire qu’il avait décidément jugé lorsqu’il nous déclarait
posséder tellement peu dans son esprit le contenu des pièces du procès
regardées par lui comme principales, qu’il était obligé d’en ajourner la
communication à la section centrale jusqu’à ce qu’il ait pu en extraire ce
qu’il avait à dire à la chambre ?
Je suis donc tenté
de croire que le mot jugé aura échappé à l’improvisation, et qu’il doit être
entendu dans le même sens que le mot enquête employé précédemment.
Quant au refus de
recevoir les explications offertes, qu’aurait fait la section centrale, vous
avez pu voir, messieurs, qu’il n’en était rien par le simple narré des faits
que j’ai présenté. Je ne peux cependant m’empêcher de faire remarquer à M. le
ministre que s’il avait d’autres explications à nous donner que celles qu’il
avait déclaré les seules pouvoir donner ; que si, revenant enfin à résipiscence,
il s’était présenté à nous pour donner ces explications nouvelles qui devaient
nous mettre à même de terminer promptement votre examen, nous aurions accueilli
avec empressement ces autres explications sans même lui faire le moindre
reproche sur ce qu’elles étaient plus ou moins tardives.
Mais, ainsi que je
viens d’avoir eu l’honneur de le faire remarquer encore tout à l’heure, M le
ministre ayant déclaré que les pièces communiquées étaient les seules qu’il
pouvait communiquer, et nous ayant constamment refusé de nous faire connaître
le rapport des officiers généraux, il y aurait eu manque de dignité de notre
part ; cela eût vraiment ressemblé à des supplications indignes de nous, si
nous avions fait de nouvelles démarches près de lui, pour obtenir d’autres
renseignements, d’autres documents.
Cependant il
devenait de plus en plus notoire que si peut-être les abus signalés
n’existaient pas, l’opinion publique et celle de l’armée continuaient alors à
s’égarer de plus en plus, et qu’un tel état de choses ne pouvait subsister plus
longtemps sans mettre en danger et la discipline et la santé de nos soldats.
M. le ministre dit
n’avoir reçu aucun rapport sur cet état de défiance qui existe parmi nos
soldats relativement aux médicaments des hôpitaux ; mais quand bien même,
messieurs, personne dans cette chambre n’aurait reçu des informations à cet
égard, ne devrions-nous pas penser qu’il en doit être ainsi, surtout après des
débats aussi animés de la part de la presse sur ce sujet, sans qu’une solution
quelconque n’ait été données à la question ?
Quoi qu’il en soit,
nous avons cru, nous, qu’il ne nous était plus permis de temporiser plus
longtemps, nous avons pensé que les choses en étaient venues aujourd’hui, par
suite de toutes les hésitations et temporisations qui jusqu’ici avaient été
mises en œuvre, à ce point qu’il était devenu nécessaire, qu’il était devenu
tout à fait urgent même d’appliquer un grand remède a un aussi grand mal.
Plusieurs membres
de la section centrale cependant, je puis dire tous même, auraient désiré
pouvoir conclure à ce que ce grand procès se traitât judiciairement. Mais la
prescription triennale qui résulte de l’article 635 du code pénal était, à cet
égard, un obstacle impossible à surmonter.
Après mûre délibération,
la section centrale se décida donc à vous proposer, messieurs, comme moyen
d’arriver enfin à éclaircir tout ce que cette importante affaire présentait
d’obscur ; la section centrale, dis-je, se décida à vous proposer la nomination
d’une commission d’enquête destinée à clore, par un acte solennel qui ne puisse
ainsi pas laisser soupçonner la moindre réticence, une procédure qui, à raison
même de l’espèce de tribunal (l’opinion publique) devant laquelle elle s’est
traité jusqu’ici, ne pourrait, s’il continuait à en être ainsi, qu’amener la
démoralisation complète de notre brave et belle armée.
Mais avons-nous pu
avoir la pensée de faire porter cette enquête ou plutôt cette sorte d’enquête
puisque c’est à ce qu’il paraît le mot qui blesse, sur des abus autres que ceux
sur lesquels a eu lieu l’instruction des officiers généraux ; avons-nous pu
penser par conséquent à vouloir diriger l’instruction contre l’honorable
général qui est aujourd’hui à la tête du département de la guerre ? Non
certainement, puisque les abus ou les prétendus abus dont il s’agit ont eu ou
auraient eu lieu avant son entrée au ministère. Est-on plus fondé lorsqu’on
interprète cette expression, « s’ils existent, » employée par nous,
comme si elle impliquait de notre part l’intention de vouloir parler d’abus
actuels ? non certainement encore, car des abus non
réprimées existent toujours, bien qu’ils soient antérieurs au temps où on en
parle.
Enfin, encore une
fois que disions-nous dans les conclusions de notre rapport ? Nous demandons la
nomination d’une commission d’enquête chargée de recueillir tous les
renseignements concernant les abus allégués et d’en faire rapport à la chambre.
Or il n’a jamais
été question d’aucun abus allégué qui aurait eu lieu postérieurement à
l’arrivée au ministère de l’honorable général Willmar, et bien certainement si
la chambre avait interprété nos conclusions comme M. le ministre, elle n’aurait
pas presque unanimement accueilli, aussi favorablement qu’elle l’a fait, la
lecture de nos conclusions.
Quant à la
proposition de M. Milcamps, qui paraissait, dans notre dernière séance, être
celle préférée par M. le ministre de la guerre, elle me paraît ne tendre à rien
moins qu’à n’amener aucune espèce de résultat, et on a vu, par la citation que
j’ai faite tout à l’heure d’un passage de la note remise à la section centrale
par M. le ministre de la guerre, ce à quoi s’expose une chambre lorsqu’elle
délibère longuement sans que ses délibérations produisent de résultat. On lui
oppose alors cette absence de résultat elle-même, comme une approbation
formelle d’actes que cependant elle n’a certainement, au moins, par entendu
approuver.
La nouvelle
proposition de l’honorable M. Dolez, loin d’être plus faible que celle de la
section centrale, m’a paru aller beaucoup plus loin encore dans le sens qui a
déterminé M. le ministre de la guerre à s’opposer à nos conclusions.
En ce qui concerne
la proposition de mon honorable collègue et ami, M. Lejeune, proposition qui
n’est au fond que la reproduction de celle des deux membres qui se sont
abstenus à la section centrale, c’est après y avoir mûrement réfléchi que je
n’y ai point adhéré en section centrale, et je ne puis par conséquent point
encore y souscrire.
Nous avons épuisé,
messieurs, tous les moyens qui étaient en notre pouvoir pour arriver à éclairer
la question ; nous n’avons cessé de demander des explications qui ne nous sont
point venues ; nous avons insisté à plusieurs reprises pour la production d’un
document que nous jugions seul pouvoir nous éclairer ; nous ne pouvons point
dans une question aussi délicate, aussi grave, procéder en nous posant de prime
abord accusateurs ou dénonciateurs, et certes c’est bien là où nous amènerait
le système de M. le ministre de la guerre, qui voudrait que nous articulions
des faits, que nous lui fassions des questions, que nous plaidions en quelque
sorte par devant lui sans instruction préalable faite par nous en toute liberté
d’action.
La chambre ne peut
se prêter à jouer un pareil rôle. Il faut que tous ses actes soient dignes de
son institution, et il ne le seraient pas si, après trois examens qui n’ont
abouti à rien en ce qui concerne le fond de la question, elle n’employait pas
le seul moyen qui lui reste pour arriver à une véritable solution quelconque.
Mais, dit-on, la
première n’a allégué qu’une question de temps. Non messieurs, il y a ici
inexactitude de la part de ceux qui disent cela. Car si en commençant notre
rapport, nous faisons connaître que le temps nous a manqué pour examiner d’une
manière détaillée les volumineuses et nombreuses pièces renvoyées à notre
examen, loin du présenter ce manque de temps comme le seul motif de nos
conclusions, nous n’en faisons pas même un motif. Qu’on relise en effet nos
conclusions à la page 4 de notre troisième rapport, et l’on y verra que nos
motifs sont : d’abord l’impossibilité de faire agir ici le pouvoir judiciaire ;
puis l’importance qu’il y a d’éclaircir ce qui est relatif au service de santé,
d’en constater les abus, s’il en existe, ou de vérifier que les allégations à
cet égard sont dénuées de fondement, et enfin la confiance qu’il est essentiel
de ramener chez les militaires qui doivent être rassurés sur un objet qui les
touche de si près.
Messieurs, il est
encore un autre motif, selon moi, pour instituer une commission d’enquête ou
d’instruction, c’est qu’il serait naturellement et matériellement impossible à
la section centrale d’arriver à un rapport dont elle puisse assumer la
responsabilité sans faire une information, une instruction quelconque, et
cependant elle ne pourrait en faire une puisqu’elle n’aurait pas reçu les
pouvoirs nécessaires. Je ne me suis jamais refusé à remplir aucune des missions
que j’ai reçues de la chambre, et je ne m’y refuserai point encore, si, contre
mon attente, la proposition de M. Lejeune était adoptée. Mais je dois l’avouer,
ce serait avec ce sentiment bien pénible sans doute pour un franc et loyal
député, de se voir chargé d’une mission qui emporte avec elle une immense
responsabilité, sans avoir les pouvoirs nécessaires pour l’accomplir dignement et
de manière à ne laisser à personne le droit de soupçonner son travail je ne
dirai pas de mauvaise foi, mais de simple réticence.
J’espère donc qu’il
n’en sera pas ainsi ; j’espère que la chambre ne nous chargera pas d’une
mission sans nous investir en même temps des pouvoirs nécessaires pour que nous
puissions la remplir dignement ; j’espère même que l’honorable général Willmar
cessera de voir dans notre proposition d’enquête des vues qui lui seraient
personnellement hostiles. Si la section centrale se fût défiée de lui, comme il
a paru le penser, elle aurait, qu’il veuille bien le croire, eu le courage de
le déclarer ouvertement et franchement ; et si elle ne l’a pas déclaré, par
conséquent, il faut en conclure que c’est parce que cette défiance était loin,
mille fois bien loin de sa pensée.
Quant à moi
personnellement, je puis même dire sans crainte d’être contredit, quant à mes
honorables collègues de la section centrale, nous ne nous opposerions pas à ce
que, pour satisfaire toute la susceptibilité de M. le ministre, on limitât
formellement, ainsi que cela a toujours été dans notre intention, d’ailleurs,
l’enquête à intervenir aux abus qui ont eu lieu dans le service de santé, avant
le 12 août 1836, jour auquel je crois, M. le ministre de la guerre a pris
possession de son portefeuille.
Mais un nouveau
renvoi à la section centrale ne me paraît que devoir faire perdre encore
beaucoup de temps et nous n’en avons déjà que trop perdu. C’est au point que
ceux-là même qui nous font la proposition de ce renvoi sont d’accord avec nous
en cela, puisqu’ils reconnaissent eux-mêmes toute l’urgence qu’il y a d’arriver
à éclaircir promptement la question. De combien de soldats, en effet, l’état de
défiance qui paraît général dans toute notre armée, contre les médicaments
fournis aux hôpitaux, ne peut-il pas causer la mort si on ne se hâte de
remédier à cet état de choses si fâcheux, d’une manière efficace ? Chaque
jour de retard peut ainsi amener des pertes cruelles, et sensibles pour la
patrie.
Réfléchissons donc bien, messieurs, à la détermination que nous allons
prendre, songeons à toute la responsabilité qu’elle peut faire peser sur nous,
songeons à ce qu’il y a ici de questions d’humanité, de discipline et d’ordre
public qui dominent sur le tout ; songeons à ce que la vindicte publique doit
être satisfaite à l’égard des accusés s’ils sont coupables, à l’égard des
calomniateurs si ce sont des calomniateurs ; songeons à ce que l’humanité et la
discipline s’accordent pour exiger de nous que nous fassions tout ce qui est en
notre pouvoir pour rassurer complètement le soldat, et à ce que le soldat enfin
ne peut plus être rassuré aujourd’hui que par un acte solennel de notre part.
M. Pollénus. - Messieurs, lorsqu’au début de
cette séance, M. le président voulut bien m’accorder la parole, une
bienveillante observation m’apprit que pour pouvoir conserver mon tour
d’inscription sur le projet, je devais soumettre une proposition à la chambre ;
je me suis rendu à cette observation, et j’ai déposé un amendement à la
proposition de la section centrale. Cet amendement, je l’ai rédigé à la hâte,
et je déclare que je n’y tiens pas le moins du monde. Cependant il ne me
serait pas difficile de le justifier, et pour cela je n’aurais qu’à m’emparer
d’une observation que M. le ministre de la guerre faisait dans la précédente
séance. Cet honorable ministre trouvait étrange que la section centrale
proposât la nomination d’une commission d’enquête, sans modifier l’allocation
pétitionnée au budget.
En effet, la
demande d’enquête repose sur le doute qui existe sur la bonne ou mauvaise
administration du service de santé, et j’ai trouvé alors avec M. le ministre
qu’en admettant l’existence de ce doute, il convenait de s’abstenir jusqu’à ce
que ce doute fût dissipé. Mais comme il faut qu’en attendant l’administration
marche, j’ai cru qu’il était logique dans le sens de la proposition de la
section centrale, de ne proposer qu’un crédit provisoire. Toutefois, je le
répète, je ne tiens nullement à ma proposition ; elle m’a été suggérée par la
fin de non-recevoir que m’opposait un honorable membre au commencement de la
séance.
Messieurs, je ne
puis vraiment concevoir que le M. le ministre de la guerre persiste à
considérer la proposition de la section centrale comme devant lui être hostile.
Après toutes les déclarations qui ont été faites par la presque unanimité des
membres qui ont pris la parole dans cette discussion, il a pu se convaincre des
sentiments d’estime et de confiance qu’il inspire à nous tous ; s’il pouvait y
avoir encore des doutes à cet égard dans l’esprit de qui que ce soit, je
n’hésiterais pas non plus à dire à mon tour que, quant à moi, je partage sans
réserve ces sentiments de mes honorables collègues.
Je ne puis admettre
dès lors que M. le ministre de la guerre puisse considérer cet acte comme ayant
quelque chose d’hostile pour lui. En effet, qui est engagé dans cette
discussion ? Quelques agents du service de santé et peut-être l’administration
à laquelle M. Willmar a succédé. Mais l’honorable M. Willmar ne partagera-t-il
pas mon avis, qu’une succession ministérielle ne s’accepte jamais que sous
bénéfice d’inventaire ?
La proposition de
la section centrale n’a donc rien d’hostile au chef actuel du département de la
guerre.
Messieurs, un point
sur lequel tout le monde est d’accord, c’est que dans ce débat il existe une
lacune ; les ministres eux-mêmes en conviennent : or, s’il existe une lacune,
il faut la remplir ; mais comment ? Au moyen des pièces qui ont été demandées
par la section centrale, au moyen d’une enquête dont le ministre seul possède
les éléments, enquête dont il conteste l’exercice à la chambre, tandis que
c’est lui qui a donné à la chambre la pensée première de cette enquête.
Ainsi, loin de
trouver un blâme dans la proposition de la section centrale, le ministre devra
y voir la preuve d’une sympathie pour sa propre opinion, car je ne pense pas
que le ministre de la guerre croie que l’examen de la chambre doit être moins
complet que le sien ; je ne pense pas non plus qu’il puisse soutenir que notre
jugement sur la question qui nous occupe doit être moins éclairé, moins
consciencieux que le jugement d’un ministre.
J’ose dire, en
conséquence, que le moyen que propose la section centrale est un moyen que M.
le ministre de la guerre a d’autant plus de mauvaise grâce de contester, qu’à
lui en appartient la première pensée.
Je suis encore
obligé de revenir sur la question qui a été si longuement débattue dans la
séance de samedi, c’est-à-dire sur la question de savoir si l’enquête de la
commission est véritablement une pièce confidentielle.
L’honorable membre
qui a parlé le dernier dans la séance de samedi vous a démontré qu’une enquête
sur des faits n’avait par sa nature rien de confidentiel ; il n’a nullement été
répondu, je pense, aux arguments de M. Dubus…
M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Je
demande la parole.
M. Pollénus, reprenant. - Mais pour savoir si
l’enquête des généraux est une pièce confidentielle, oui ou non, le ministre de
la guerre n’a pu lui-même s’en assurer qu’en prenant connaissance des documents
qui reposent dans les archives de l’administration de la guerre ; car ce n’est
pas M. Willmar qui a institué la commission d’enquête, elle date d’une époque
antérieure à son entrée au ministère.
Il faut donc que
dans l’opinion du ministre actuel le caractère de la mission attribuée à la
commission résulte des pièces reposant aux archives du département de la
guerre. Or l’honorable M. Willmar vous a dit dans le cours de cette discussion
que d’après la lettre, la circulaire ou l’arrêté, comme on voudra, qui a
institué la commission, devait avoir ce caractère. Il aurait été nécessaire que la pièce
concernant l’institution de la commission portât, suivant les usages
administratifs, le mot : « confidentielle. » Avez-vous entendu que la
pièce portât cette inscription ? M. le ministre ne vous l’a pas dit, et je
ne pense pas qu’il puisse affirmer que la lettre de son prédécesseur qui
institue la commission d’enquête porte le mot « confidentielle » ou
qu’en renferme la moindre expression qui indique ce caractère.
Messieurs, ce qui
me donne la pleine conviction qu’elle n’est pas confidentielle, c’est le motif
suivant : Pour que l’enquête sur le service de santé pût être considérée comme
confidentielle, il faudrait que toutes les pièces qui la composent eussent le
même caractère. Car si je parvenais à trouver qu’une de ces pièces a été
considérée par le département de la guerre lui-même comme n’étant pas
confidentielle, je pourrais en conclure qu’évidemment dans l’opinion du
ministre de la guerre, l’enquête entière n’était pas confidentielle. Eh bien,
je n’ai pas dû à cette fin faire de très longues
recherches, car je trouve dans le numéro du Moniteur
du 8 mai 1836 un rapport de MM. Caroli, Froidmont et de Hemptinne,
relatif aux médicaments de la pharmacie centrale. Bien certainement, cette
pièce concernait le service de santé ; or, le ministre n’a pas hésité de
publier cette pièce, tout à fait favorable au service sanitaire, « afin,
comme il est dit, de dissiper les craintes que la malveillance cherche à
répondre sur la nature des médicaments de la pharmacie centrale. »
Ainsi, l’enquête ne
peut être considérée comme confidentielle puisque le ministre en a publié une
partie.
Ainsi, l’on a eu
raison de dire que lorsqu’il y avait une pièce favorable au service de santé,
on se hâtait de la publier ; on serait donc en droit de conclure que les pièces
qui ne sont pas livrées à la publicité n’ont pas ce caractère.
Si la pièce était
confidentielle, dans l’opinion du ministère, aurait-on fait la déclaration que
vous avez entendue au début de la séance de samedi ? Un membre du cabinet
aurait-il dit qu’une enquête s’instruisait. Il était inutile de nous faire
cette confidence, si on regardait l’enquête comme confidentielle. En nous
avertissant qu’une enquête se faisait, ne voulait-on pas faire entendre qu’on
se proposait de nous la communiquer ?
Messieurs, dans la
séance précédente, M. le ministre de la guerre a invoqué, en faveur du service
de santé, le silence des mêmes généraux qui ont fait partie du conseil
d’enquête. Il nous a dit : Ces généraux ont un commandement, et pendant tout le
temps de leur commandement, ils n’ont pas fait un seul rapport contre le
service de santé.
J’ai éprouvé un
certain étonnement d’entendre le ministre invoquer un silence des mêmes
personnes dont il s’abstient de nous communiquer les investigations, le
jugement motivé ; mais ce silence des généraux s’explique fort bien, l’examen
de l’objet dont il s’agit n’est évidemment pas dans les attributions des
généraux, un général n’est pas censé avoir des connaissances en pharmacie, de
manière que le silence des généraux en pareil cas est très peu significatif,
suivant moi.
Je pense donc que
ces courtes observations, ainsi que celles qui ont été faites dans une séance
précédente, établissent qu’il n’y a pas une ombre de preuve ni d’indice d’où
l’on puisse conclure que l’enquête est confidentielle ; je ne crois pas que
personne dans cette chambre ait trouvé fondées les considérations qu’on a
émises pour prouver que l’enquête doit être regardée comme confidentielle ; en
faveur de qui s’obstine-t-on à vouloir lui donner ce caractère ? Certes,
messieurs, je pense que le conseil d’enquête ne réclame pas ce caractère ; il
doit désirer que le soldat et le pays apprennent qu’il a rempli sa mission et
leur attente.
Si la chambre
adoptait cet avis, cela modifierait singulièrement, suivant moi, les
conséquences de la proposition de l’honorable M. Milcamps à laquelle le cabinet
tout entier cependant s’est rallié ; car si, comme je crois qu’on l’a démontré,
l’enquête ne doit pas être considérée comme confidentielle, rien ne nous
empêcherait alors d’adresser au ministre de la guerre des interpellations
telles que, pour y répondre, M. le ministre serait obligé de puiser dans
l’enquête : vous avez entendu quelques orateurs dire que l’enquête est
extrêmement défavorable au service de santé ; d’autres ajoutent même que sur
vingt et un faits treize ou quatorze ont été déclarés constants. Si l’on
demandait dès lors au ministre : est-il vrai que le conseil a déclaré tel ou
tel fait blâmable ? Si l’on demandait encore, par exemple, si après la
réception de l’enquête, le ministre de la guerre lui-même n’a pas exprimé une
opinion tant soit peu différente de celle qu’il a exprimée dans cette enceinte
dans la séance de samedi, M. le ministre pourrait se trouver assez embarrassé
pour répondre. Cependant on pourrait faire beaucoup de questions de cette
nature dans l’embarras où nous place la lacune qui existe dans nos débats.
On pourrait
peut-être aussi demander à M. le ministre de la guerre à quel endroit du budget
figure le boni des hôpitaux ; car, d’après les on-dit, il y aurait tel hôpital
qui fournirait annuellement un boni assez considérable, boni que quelques-uns
évaluent de 20 à 30,000 francs ; je ne fais pas cette question ni aucune
autre, mais la possibilité de la faire n’en existe pas moins dans l’hypothèse
où la chambre ne reconnaîtrait pas à l’enquête le caractère confidentiel que le
ministre lui attribue, à tort, selon moi.
Quelques honorables
orateurs ont considéré l’exercice du droit d’enquête comme une chose impossible
; à cet égard je ne suis pas de leur avis, tout en admettant qu’il ne fait
recourir à l’exercice de ce droit que quand la nécessité de le faire est bien
reconnue ; mais cette nécessité me paraît résulter du refus de communication de
l’enquête. Jusqu’à présent la chambre n’ayant pas encore usé du droit
d’enquête, l’expérience ne nous a encore rien appris sur l’impossibilité qu’il
y aurait à l’exercer ; je ne puis donc pas admettre que le congrès national
aurait écrit dans la constitution un droit impossible, une lettre morte.
On dit : « Les
témoins ne comparaîtront pas ; » mais s’il est vrai, messieurs, comme je
le crois, que l’opinion publique est extrêmement favorable au projet de faire
des investigations sur les abus qui sont reprochés au service de santé,
certainement elle n’encouragera pas la négligence de ceux qui seraient appelés comme
témoins ; je crois que tous les citoyens qui seraient appelés non pas pour
déposer dans l’intérêt de telle ou telle passion, de tel ou tel ressentiment,
mais pour rendre hommage à la vérité dans une affaire qui intéresse la santé du
soldat, s’empresseraient de comparaître ; et s’il en était qui osassent manquer
à l’invitation qui leur aurait été faite par la commission, l’opinion publique
flétrirait un semblable refus ; la puissance de l’opinion m’apparaît comme une
garantie qui me rassure contre l’obstacle que la probité nationale ne nous
autorise pas même de supposer légèrement.
« Mais,
dit-on, par esprit de discipline, quelques personnes appartenant à l’armée
pourraient prouver des difficultés à se présenter devant la commission
d’enquête. » Messieurs, cet embarras n’en est pas un : si un membre de
l’armée refusait de venir, il devrait opposer à la commission d’enquête un
ordre qui lui aurait été donné à cet égard par son chef, et dans ce cas le
ministre de la guerre serait là pour nous rendre compte d’un semblable fait ;
les moyens ne manquent pas à la chambre des représentants pour faire justice
d’un obstacle qui la mettrait dans l’impossibilité d’exercer un droit que la
constitution lui confère.
On est encore
revenu aujourd’hui sur les mêmes arguments qu’on avait déjà fait valoir dans
les séances précédentes pour inférer des circonstances politiques actuelles que
l’exercice du droit d’enquête serait inopportun dans ce moment ; on a dit :
« A la veille peut-être où l’armée devra marcher à l’ennemi, il ne
convient pas de faire l’enquête dont il s’agit. » Mais, messieurs, s’il
faut reconnaître avec la section centrale qu’il règne dans l’armée un malaise,
une défiance du service de santé, alors il me paraît que la question
d’opportunité est jugée. En effet, c’est bien que le soldat est appelé à
marcher à l’ennemi qu’il a besoin de confiance. Nous savons par notre courte
expérience que le nombre ne fait pas tout dans une armée, mais qu’il y faut
surtout de la confiance : si le soldat, en marchant à l’ennemi, à la veille
d’exposer sa vie, de recevoir des blessures, n’a pas la confiance d’être traité
convenablement, je crois qu’il ne marchera pas à l’ennemi avec autant de
sécurité que s’il avait cette confiance. La question d’opportunité ne pouvait
donc jamais être soulevée dans un moment moins favorable. Je ne pourrai donc
adopter la proposition de l’honorable M.
Milcamps.
J’étais assez
disposé à admettre la proposition de l’honorable M. Lejeune, mais depuis que
nous avons entendu M. le rapporteur de la section centrale, je ne vois plus
moyen d’adopter cette proposition ; en effet, il nous a dit : « La section
centrale se trouve dans l’impossibilité de présenter un autre rapport
puisqu’elle est unanime à reconnaître qu’en l’absence du rapport des généraux
elle ne saurait continuer son examen. » Un nouveau renvoi à la section
centrale me paraît d’après cela tout à fait inutile parce qu’il serait sans
objet.
L’honorable M.
Lejeune a parlé dans ses développements du renvoi à l’autorité judiciaire ; il
est vrai que dans sa proposition il n’en fait pas mention, mais tous ses
développements ont porté sur ce point : je vous avoue, messieurs, que le renvoi
à la haute cour militaire est quelque chose qui peut séduire au premier
instant, mais je ferai remarquer à la chambre que nous n’avons aucun pouvoir
pour saisir la justice militaire de ce procès ; il ne faut pas non perdre de
vue que l’examen des cours de justice militaire ne porterait que sur les faits
qualifiés crimes ou délits, par les lois pénales, et qu’un semblable examen
serait insuffisant, puisque la chambre n’a pas à s’occuper de crimes ni de
délits d’accusés ni de coupables, elle n’a à examiner que ce seul point :
« Dans telle ou telle branche de l’administration pour laquelle le
ministre pétitionne des subsides, il existe oui ou non des abus ? » Voilà
tout et rien de plus. D’ailleurs, vous apprenez par le rapport de la section
centrale qu’il y a des faits qui sont couverts par la prescription et à l’égard
desquels la justice militaire s’abstiendrait par conséquent d’informer.
Je dis donc qu’il
n’appartient pas à la chambre de saisir un tribunal quelconque de l’examen de
telle ou telle affaire ; cette observation s’applique également à la
proposition de l’honorable M. Dolez, qui est celle qui me paraît la moins soutenable,
car si je l’ai bien compris, il s’agirait de renvoyer l’affaire à une
commission d’auditeurs militaires ; je voudrais bien qu’on m’indiquât l’article
de la constitution qui nous autoriser à nommer autre chose qu’une commission
d’enquête. On me fait remarquer que l’honorable M. Dolez ne propose pas de
faire nommer cette commission par la chambre, mais d’inviter M. le ministre de
la guerre à la nommer.
Mais, messieurs,
comment peut-on espérer quelques résultats d’une telle proposition quand le ministre
de la guerre a déclaré à différentes reprises que déjà il avait jugé qu’il y
avait eu tout au plus des irrégularités, irrégularités cependant qu’il
s’abstient de préciser ? Si le ministre déclare qu’il a jugé, peut-on espérer
que le ministre se déjugera ? Il est donc tout à fait inutile, selon moi, de
renvoyer cette affaire au ministre de la guerre dans l’état où elle se trouve
aujourd’hui, pour lui faire adopter une opinion différente de celle à laquelle
il paraît définitivement vouloir s’arrêter.
Je dis que, dans
l’état de choses actuel, il est impossible d’espérer un résultat quelconque de
ce renvoi au ministre, parce que déjà le ministre a prononcé.
- Le ministre se
retourne vers l’orateur.
M. Pollénus. - Je prie M. le ministre de ne pas
tirer de mes paroles une autre induction que celle que j’y attache. M. le
ministre a jugé l’affaire dans l’état où elle est. Je ne désespère pas que si
la chambre, en exerçant son droit d’enquête, parvenait à jeter plus de lumière
sur les faits dont l’appréciation lui a été soumise, M. le ministre ne revînt
de son opinion, et que l’on ne pût, ainsi en appeler avec confiance au ministre
mieux informée.
Telle est l’opinion
que je me forme de la bonne foi du ministre et de son désir de connaître la
vérité.
Mais en présence de
renseignements, de documents incomplets et de l’absence d’une pièce déterminée,
réclamée par la section centrale, convient-il à la chambre d’abdiquer son droit
de libre examen et de libre discussion qui est inhérent à l’examen de tout
budget, au vote des subsides ?
Cette libre discussion, quand il s’agit de l’examen du budget, je la
considère comme la principale garantie dans l’ordre constitutionnel ; la
responsabilité ministérielle, c’est là bien peu de chose en l’absence d’une loi
qui en détermine les conditions, le libre examen, la libre discussion au sein
de la représentation nationale ; lorsqu’ils s’appuient sur des principes vrais,
sur les véritables intérêts du pays, alors cette discussion libre et bien
comprise prépare l’opinion publique, qu’il est de l’intérêt de tout pouvoir de
ne pas méconnaître.
M.
Lebeau. - Je commence par déclarer que je ne viens pas faire de
proposition nouvelle. (On rit.)
Appelé à mon tour de parole, je soumettrai immédiatement à la chambre les
motifs de mon opinion, qui est contraire au projet d’une commission d’enquête.
Messieurs, mon
embarras est assez grand en abordant la discussion actuelle, car je ne sais pas
véritablement quel doit en être le caractère, quelles en sont les limites. Une
foule de propositions ont vu le jour, les unes après les autres ; elles sont
successivement ou cumulativement l’objet des discussions auxquelles nous nous
livrons. Ainsi, vous avez d’abord été saisis de la question actuelle, par le
premier rapport de la section centrale, chargée d’examiner le budget de la
guerre. La section centrale a proposé, dès l’abord, l’adoption pure et simple
de l’allocation demandée par le ministre, pour faire face aux frais du service
de santé, déclarant implicitement que si la questions des abus reprochés au
service de santé était soulevée à l’occasion de la discussion des budgets, le
ministre donnerait sans doute des explications qui mettraient la chambre à même
de refuser ou de voter l’allocation demandée. Depuis, messieurs, la section
centrale, saisie de nouveau de l’examen des prétendus abus reprochés au service
sanitaire, a proposé la nomination d’une commission d’enquête. A côté de cette
proposition a surgi la proposition de M. Milcamps, puis celle de M. Lejeune, et
enfin celles des honorables MM. Dubus et Pollénus.
Dans ce pêle-mêle
de rapports, de conclusions et de propositions, je ne sais, en vérité, par où
commencer l’examen auquel je dois me livrer ; c’est une véritable macédoine
parlementaire que je ne sais par où aborder.
Cependant, il y a
une proposition grave, grave par les questions de principe qu’elle soulève,
grave par la résistance qu’on y a opposée et par les conséquences qui
paraissent devoir en découler ; elle me paraît mériter les honneurs de la
priorité, c’est la proposition d’une commission d’enquête.
Certes, il ne
viendra à l’esprit de personne, on l’a dit avec raison, fût-on même défavorable
au droit d’enquête, de nier ce droit. Il est écrit dans la constitution ; mais,
ainsi que vous l’a fait observer avec raison un honorable préopinant (M.
Dolez), tout n’est pas fait lorsque la constitution a décrété le principe du
droit d’enquête ; comme beaucoup d’autres principes déposés dans la
constitution, il a besoin d’être organisé par une loi. Telle est mon opinion ;
et déjà dans des circonstances précédentes, j’ai eu l’occasion de l’exprimer.
Pour la justifier, je m’en rapporte volontiers aux arguments pleins de lucidité
et de logique de cet honorable membre.
Messieurs, le droit
d’enquête, entendu dans son sens naturel et pratique, est une attribution fort
extraordinaire et dont l’exercice n’a, à mon avis, rien qui doivent émouvoir ni
la chambre ni le ministère. Les enquêtes, telles qu’elles ont lieu en
Angleterre, telles qu’elles ont eu lieu quelquefois en France, depuis la
révolution de juillet, sont un événement fort ordinaire. J’entends parler
d’enquêtes industrielles, financières ou économiques, qu’on peut appeler
proprement enquêtes législatives. Non seulement, même en l’absence d’une loi organique, ces
enquêtes ont eu lieu en France ; mais nous en avons eu des exemples en
Belgique, sans que cela rencontrât la moindre opposition, soit d’une partie de
la chambre, soit de la part du ministère.
Malgré l’absence de
législation organique sur ce point, le droit d’enquête a été exercé très
utilement, très efficacement chez nous dans une question industrielle de la
plus haute importance, dans la question des cotons, et je pense que dans ce moment
la chambre fait une véritable enquête sur une question industrielle non moins
importante que celle dont je viens de parler, sur la question des sucres.
Mais, messieurs, en
est-il de même d’une enquête qu’on peut appeler, qui est une véritable enquête
politique ? Je n’hésite pas à dire non : je n’hésite par à dire que c’est à
tort qu’on a cité à l’appui de l’expérience favorable à l’enquête, l’exemple de
peuples voisins et notamment de l’Angleterre. Je n’hésite pas à dire qu’en
Angleterre il n’y a pas un ministre qui ne regardât comme le mettant en état de
suspicion, la résolution d’une enquête de la nature de celle qu’on vous propose
en ce moment.
Quelles sont les
enquêtes qu’on fait d’ordinaire en Angleterre ? Vous l’avez vu récemment, quand
il s’agit de modifier, d’améliorer une partie de la législation, le parlement
procède à des enquêtes ; et je ferai accessoirement remarquer qu’il y a pour
cela une raison spéciale, tirée de la constitution anglaise, c’est que le
gouvernement n’a pas l’initiative ; en matière de législation, le gouvernement
n’a que le veto.
Ainsi, tout
récemment, quand il s’est agi d’améliorer la législation des dîmes en Irlande,
la législation sur la taxe des pauvres, il y eu des enquêtes auxquelles le
gouvernement s’est empressé d’adhérer. Ces enquêtes n’avaient pas de caractère
politique, elles n’impliquaient pas une idée de défiance contre le cabinet ;
aussi le cabinet s’y est-il associé très volontiers. Mais une enquête qui
présente quelque analogie avec celle qu’on vient proposer en ce moment, une
enquête admise malgré la résistance du ministère, je ne pense pas qu’on puisse
en trouver un seul exemple dans l’histoire moderne du parlement anglais.
J’ai donc raison de
le dire, et la solennité de cette discussion le prouve assez, il s’agit ici
d’une enquête politique, d’une enquête qui a été qualifiée avec justesse par
quelques membres comme étant presque l’ultima ratio
de la chambre.
Si vous avez pu
jusqu’à présent procéder sans inconvénient à ce que j’appellerai des enquêtes
législatives ; si vous avez pu procéder en l’absence d’une loi, non sans
quelques inconvénients, je me trompe, car la chambre a rencontré des
résistances qui ont plus ou moins compromis sa dignité, il ne peut en être de
même dans une enquête politique. En l’absence d’une loi qui règle ce droit, qui
en pose les limites, vous seriez exposés, à chaque instant, sans que la section
centrale en ait eu la pensée, à envahir sur les autres pouvoirs de l’Etat,
tantôt sur la libre action du pouvoir judiciaire, tantôt sur la libre action du
pouvoir royal.
En effet, si de
l’enquête proposée il résulte que la chambre vienne à constater l’existence de
crimes ou de délits, à constater des abus graves qui compromettent des
subordonnés du ministre, ses conclusions doivent être et seront implicitement
qu’il y a lieu de poursuivre ou qu’il y a lieu de destituer, et que si l’on ne
fait ni l’une ni l’autre de ces choses, la chambre doit rejeter l’allocation
destinée au service de santé.
Messieurs, je dis
que c’est là indirectement, d’une part, exercer le pouvoir judiciaire, et,
d’autre part, usurper sur le pouvoir royal ; d’une part, exercer des
attributions qui ont beaucoup d’analogie avec celles d’une chambre des mises en
accusation ; d’autre part, forcer en quelque sort la main au ministre, et, par
la menace d’un refus partiel du budget, provoquer des destitutions qui doivent
être libres et spontanées.
Encore une fois, je
ne dis pas que ce soit là la pensée de ceux qui demandent et qui appuient
l’enquête : chacun sait combien peu il est dans mes habitudes de provoquer par
insinuations, par inculpations d’intentions mauvaises ; mais je dis que par la
force des choses il en est ainsi.
En présence
d’objections, de raisons de cette nature, il y a lieu de réfléchir, surtout
lorsque le cabinet est en dissidence avec la chambre ; car je crois que c’est
une question qui engage le cabinet tout entier et qu’il ne s’agit pas seulement
du ministre de la guerre. (Dénégations.)
Je demanderai la permission
d’exprimer franchement toute ma pensée. J’en ai d’ailleurs le droit. (Le silence se rétablit.)
Si je comprends
bien l’importance de l’objet en discussion, il s’agit d’une question de
principe, d’une question de prérogative.
A mon avis,
l’enquête parlementaire, telle qu’elle est proposée en ce moment, sans loi,
sans règle, pourrait conduire à des usurpations, soit sur le pouvoir
judiciaire, soit plus probablement encore sur le pouvoir exécutif. Sous ce
dernier rapport spécialement, y résister est le devoir de tous les ministres
sans distinction.
Je ne comprends
point par quel privilège le ministre de la guerre serait chargé seul de la
défense des prérogatives du gouvernement, compromises, dans mon opinion, par la
proposition d’enquête. Le mettre à l’écart dans cette circonstance, ce serait,
à mon avis, révoquer en doute la loyauté politique de ses collègues.
Je toucherai ici à
un point assez délicat.
M. le ministre de
la guerre vous a déclaré (et quand on connaît la réserve et la réflexion que M.
le ministre de la guerre apporte habituellement dans ces résolutions, cette
déclaration est grave) qu’il considérait l’admission d’une enquête comme un
acte de défiance envers lui-même.
Vous avez entendu
ensuite protestations sur protestations (protestations dont je n’ai nullement
l’intention de contester la sincérité), que cette défiance n’entrait en aucune
façon dans la pensée de ceux qui proposaient ou appuyaient à l’enquête. On a
fait remarquer, à l’appui de ces protestations, que les griefs reprochés au service
de santé étant tous antérieurs à l’entrée de M. Willmar au ministère, il était
évident que la recherche de ces griefs ne pouvait l’atteindre, qu’il y était
complètement désintéressé, et n’avait nulle raison pour s’opposer à l’enquête.
Mais c’est déplacer
complètement la question. La question n’est pas de savoir si les faits sont
antérieurs ou postérieurs à l’avènement du ministre. La question la voici
réduite à ses plus simples éléments : des abus sont reprochés au service de
santé ; ce n’est pas dans la chambre, car personne jusqu’à présent n’a formulé
une accusation précise et détaillée. M. le ministre de la guerre, allant
au-devant des sollicitations de la chambre, vous dit : « A peine suis-je
arrivé aux affaires que mon premier soin, ma première sollicitude se sont
portées sur les accusations dirigées contre le service de santé. J’ai tout
examiné ; j’ai tout vu, et j’ai acquis la conviction que si quelques abus ont
pu exister, ce sont des abus inséparables de toute administration, mais qu’il
n’y a ni crime, ni prévarication, d’aucune espèce, rien enfin que soit de
nature à porter atteinte à l’honneur et à la délicatesse de ceux qui, par des
pièces extra-parlementaires, ont été principalement
accusés. Il m’a été dénoncé un délit, un crime qui n’était pas couvert de la
prescription. Je l’ai déféré aux tribunaux. S’il y a eu quelques abus anciens,
peu importants, de légères irrégularités, je me suis mis en mesure d’en
empêcher le renouvellement. »
Eh bien ! quand un ministre tient un tel langage, je demande si la
proposition d’enquête ne revient pas à ceci :
« Nous ne
voulons, nous ne pouvons vous croire. Nous n’accusons pas votre bonne foi ;
mais vous êtes tout au moins mal informé. Vous n’avez
pas une connaissance exacte des faits : bien que par votre position vous soyez
mieux à même de les connaître que nous, nous voulons examiner
nous-mêmes. »
Je dis que c’est
donner, pour appeler les choses par leur nom, un démenti à ce qu’a dit le
ministre de la guerre. C’est lui dire :
« Nous ne
croyons pas que vous ayez tout vu, tout examiné, tout fait pour réprimer, et
que vous ayez tout prévu pour l’avenir. »
Ce sont là
évidemment deux propositions qui s’excluent.
Je dis que c’est là
un manque de confiance, un manque de foi dans les assertions du ministre. Je dis
que ce manque de foi, quelles que soient vos protestations, aura pour
conséquence inévitable de porter en dehors de la chambre, à l’étranger, une
atteinte grave à la réputation, soit de capacité, soit de véracité du ministre.
D’ailleurs, en fait
de susceptibilité personnelle, il m’a toujours paru que le meilleur juge, le
juge le plus irrécusable, c’est celui qui éprouve cette susceptibilité. Le
premier gardien de notre dignité et de notre honneur, c’est nous-mêmes. Celui
qui se sent prêt à être frappé doit mieux juger que nous la portée des coups
dont on le menace. Je ne crois donc pas qu’il y ait de meilleur juge que le
ministre de la guerre de ce qui convient à sa dignité personnelle et à la
position qu’il occupe.
Je comprendrais, à
la rigueur, que l’on vînt dire au ministre :
« Quelle que
soit notre confiance en vous (et nous vous l’avons prouvée en vous prodiguant
des millions, en vous confiant la défense de l’honneur et de la sûreté du
pays), nous ne pouvons vous croire sur une simple assertion. »
Mais le ministre
s’est-il borné à une simple affirmation ? Il a dit, à l’ouverture de la
discussion : « J’ai jugé ; j’ai mes apaisements ; mais je dirai à la
chambre sur quels éléments, sur quelles données, repose ma conviction
consciencieuse » ? Est-ce là un ministre qui demande à être jugé sans
examen, qui désire imposer sa conviction ? A-t-il cessé de déclarer qu’il était
prêt à communiquer tous les documents, à répondre à l’examen de tous les
griefs, article par article ? Que voulez-vous qu’il fasse de plus pour
témoigner sa déférence à la chambre, qui, je le reconnais, a droit à cette
déférence par la confiance et par les bons procédés dont elle s’est montrée
prodigue envers lui ?
Mais, s’il y a des
abus dans le service de santé, il a pu également s’en glisser dans toutes les
autres branches de l’administration de la guerre. Je crois qu’il est impossible
qu’il en soit autrement. Je crois qu’il y a des abus dans toutes les branches
de l’administration publique. Devrez-vous donc pour chaque branche d’administration,
chaque fois qu’un abus sera indiqué ou imaginé par des journaux, instituer une
commission d’enquête ? Mais pourquoi donc y a-t-il un gouvernement ? N’est-ce
pas aussi pour prévenir les abus, pour les vérifier (place qu’il est dans une
position à pouvoir s’en faire rendre compte à chaque instant) et pour les faire
cesser ? Et lorsqu’il a assez de droits à votre confiance pour en obtenir des
votes qui mettent en quelque sorte la fortune publique à sa disposition,
comment en montreriez-vous si peu dans sa probité et dans sa capacité, que pour
ne pas le croire le premier, le principal intéressé à vérifier, à réprimer les
différents abus signalés soit dans la chambre, soit ailleurs ?
J’ai dit qu’un des
grands inconvénients d’une enquête, que je ne puis qualifier que d’enquête
politique, lorsque la loi n’a pas organisé ce droit, c’est que les pouvoirs de
la commission d’enquête ne sont en aucune façon limités, c’est que vous livrez
à sa merci (je ne parle toujours qu’en principe et laisse les personnes à
l’écart) tous les fonctionnaires dont il lui plaira d’examiner la conduite.
Voyez jusqu’où
pourrait aller l’abus vraiment dictatorial confié à cette commission. Le
ministre de la guerre vous a déclaré que non seulement par des motifs de
délicatesse, mais encore par des motifs puisés dans la connaissance des besoins
de l’administration, il ne pouvait fournir à la chambre un document revêtu,
selon lui, d’un caractère confidentiel. Eh bien, qu’a dit un honorable membre
dans une précédente séance ? Que cette répugnance serait facilement vaincue par
la commission d’enquête, puisqu’elle pouvait faire comparaître les généraux
chargés de ce rapport et les interroger sur tous les points qu’ils ont été
appelés à examiner. Si le ministre de la guerre croit que la mission des
généraux a été confidentielle, il doit leur interdire d’en dévoiler le secret à
qui que ce puisse être. Ne résulterait-il pas de là une collision, une
hostilité flagrante entre la commission d’enquête et le ministre de la guerre ?
Voilà un inconvénient (je pourrais en citer beaucoup d’autres) résultant de
l’institution d’une commission d’enquête dont les prérogatives et les
attributions ne sont définies par aucune loi organique : voyez quelle position
étrange vous feriez aux subordonnés de tous les ministres. Il ne suffira plus
désormais que le subordonné d’un ministre ait la confiance et l’estime de son
chef, que dans telle ou telle branche du service, le ministre de la guerre ait
eu l’occasion de rendre hommage à ses intentions, à sa capacité. Le voilà qui
relève d’une commission de la chambre, qu’il peut être appelé devant cette
commission, laquelle peut le blâmer pour les faits mêmes qui lui ont valu
l’éloge du ministre. N’est-ce pas là la plus étrange confusion ? Il me
suffirait de cette hypothèse pour voter contre l’institution d’une commission
d’enquête dans de semblables et d’aussi graves circonstances.
Puisqu’on refuse,
disait l’honorable M. Dubus, dans une séance précédente, de nous communiquer
l’enquête faite par le ministre de la guerre, il faut la faire nous-mêmes ;
mais c’est ici un peu abuser des mots, surtout en présence des déclarations du
ministre de la guerre ; car il a dit, je crois, à plusieurs reprises, qu’il
n’avait pas été fait d’enquête, dans le sens qu’on attache à ce mot ; qu’il ne
lui avait été fait qu’un simple rapport confidentiel ; que ce rapport aurait pu
être rédigé par les agents mêmes de son administration ; que c’est parce que
les pièces étaient nombreuses, et que l’affaire était d’une nature
particulière, qu’il n’a pas jugé devoir les distraire de leurs travaux, et
qu’il a confié ce soin à quelques généraux.
Je crois aussi,
moi, messieurs, que si le ministre avait la faiblesse de céder aux
sollicitations qui lui sont faites pour la communication d’un tel document, il
rendrait à peu près impossible les rapports confidentiels, non seulement entre
le ministre et ses subordonnés, mais encore entre tous les ministres et leurs
subordonnés respectifs.
L’honorable M. de
Jaegher vous a parfaitement exposé ces considérations, et en sa qualité de
fonctionnaire, il est à même de connaître le degré d’utilité des rapports
confidentiels qui ont lieu entre les ministres et leurs subordonnés à
différents degrés de l’échelle administrative ; l’honorable M. de Jaegher vous
a parfaitement exposé l’impossibilité de rendre publics les travaux des
commissions composées d’hommes qui sont dans la dépendance des ministres.
Je suppose qu’il
paraisse dans les journaux une accusation contre un parquet de tribunal ou de
cour ; le ministre de la justice se fera faire un rapport confidentiel par
quelques fonctionnaires, par quelques magistrats qui jouissent de sa confiance
; et quand viendra la discussion du budget, demandera-t-on communication du
rapport ? Tous les ministres peuvent se trouver placés dans une position
analogue.
La communication de
tels documents rendrait désormais impossibles les relations intimes entre un
ministre et ses subordonnés, ou les rendraient incomplètes, pleines de
réticence, mensongères.
Mais quel
inconvénient y a-t-il à communiquer des dépositions des témoins entendus, des
pièces dont on a fait l’analyse ?
Quant aux témoins,
le ministre a déclaré, je crois, qu’on n’en avait pas entendu un seul ; quant
aux pièces, il vous a déclaré, et vous devez l’en croire, car la supposition
contraire est inconciliable avec la confiance que vous lui témoignez, et
attaquerait sa probité, que pas un des documents soumis aux généraux n’est
soustrait aux investigations de la chambre.
Mais, dit-on, le
ministre est ici en contradiction avec les antécédents posés par son
prédécesseur ; on a bien publié le travail d’une autre commission, travail qui,
à la vérité, était favorable au chef du service sanitaire, ainsi qu’à d’autres
fonctionnaires ses subordonnés, contre lesquels des imputations plus ou moins
graves ont été dirigées. Le fait étant, je crois, antérieur à l’avènement du
général Willmar, ne saurait être invoqué contre lui. Je dirai en outre que si
la mission donnée par un ministre (celui de l’intérieur) avait été
confidentielle, c’eût été un grave abus de confiance que de rendre public son
travail. La loyauté de M. le ministre de l'intérieur est trop connue pour l’en
supposer capable.
Mais il y avait
dans l’institution de cette commission une notable différence avec celle dont
il s’agit ; d’abord elle n’était pas composée de subordonnés du ministre ; ses
membres pouvaient décliner la mission que le ministre voulait leur confier, ce
que ne peuvent pas faire aussi facilement les subordonnés d’un ministre.
Il s’agissait
d’ailleurs d’une opération toute matérielle, il s’agissait d’une expertise.
Mais, ajoute-t-on,
on s’est hâté de rendre publique la résolution de la commission, parce qu’elle
était favorable. Oui ; mais savez-vous ce qui est arrivé ? C’est que,
précisément, parce que les conclusions de cette commission étaient favorables
au service de santé, cette partie de la presse qui n’a cessé d’attaquer ce
service, a déclaré que la commission était indigne de confiance, que son
travail n’était qu’une vaine formalité, qu’une comédie, qu’une mesure
dérisoire, dont les conclusions ne méritaient pas l’examen du public. Ainsi une
commission est digne de confiance quand son rapport se rapproche de certaines
opinions ou plutôt de certaines passions, et en est indigne quand il s’en
éloigne ; aussi ce rapport a-t-il été considéré comme une espèce de chiffon
sans valeur. Cependant il était l’œuvre d’hommes indépendants du ministre. On
l’eût sans doute porté aux nues, s’il eût été défavorable aux chefs du service
de santé, et les membres de la commission eussent été proclamés des hommes
indépendants, intègres, etc. Voilà la justice des passions.
Si le travail des
généraux avait été favorable on l’eût publié, dit-on… Messieurs, j’en doute,
car les principes exposés par le ministre de la guerre sur la nécessité de
conserver à une mission confidentielle le caractère qui lui a été donné,
s’appliquent à tous les cas. La divulgation de ce rapport, fût-il favorable,
n’en serait pas moins la violation de ces principes. De plus, il suffirait
qu’on eût donné une seule fois de la publicité au travail d’une commission
confidentielle, pour que l’on dît, chaque fois qu’un travail de cette nature
resterait secret, que les conclusions en sont défavorables. J’en conclus donc,
moi, que la circonstance que le rapport serait défavorable, circonstance que
personne ne connaît, et n’a le droit de connaître,
n’aurait rien changé à la détermination du ministre.
Il y a une
hypothèse qui pourrait se présenter, et je me hâte de déclarer que c’est une
pure hypothèse. Je suppose que le ministre trouve dans un rapport confidentiel
des inexactitudes, la trace de quelques préventions, l’empreinte d’une
préoccupation quelconque, même la plus excusable, voilà le ministre condamné à
livrer un tel document par les raisons que je viens de dire. Et si ce document
n’a pas opéré sur sa conviction, le voilà même obligé de combattre la pièce
qu’il aura produite, de réfuter, d’attaquer le travail de ses subordonnés ;
travail qui n’est pas spontané, qu’il leur a imposé ! Vous voyez que quand on
passe à l’examen des conséquences que la communication de pareils documents
entraîne, on arrive à de singuliers résultats.
Je ne sais pas,
messieurs, si j’ai le droit de sortir de la discussion de la proposition
d’enquête qui nous est faite ; je suis tenté de le croire, car lorsque
d’honorables orateurs ont signalé différents abus, lorsque, notamment
l’honorable M. Jullien a voulu effrayé la chambre de la mortalité qui avait eu
lieu dans les hôpitaux vers la fin 1831 ; lorsque M. Rodenbach vous a parlé du
vol et de sophistication, personne, ni M. le président, ni aucun autre membre
de la chambre, ne les a rappelés à la question : ce sont des attaques, des
accusations ; et lorsque les accusations sont lancées dans cette enceinte, il
est de la justice de la chambre d’entendre aussi quelques mots pour la défense.
Je commencerai,
messieurs, par demander à la chambre de quoi nous sommes réellement saisis ;
est-il arrivé une pétition sur le bureau ? Rien de semblable n’a eu lieu. Mais
les sections ont recommandé à la section centrale l’examen des griefs articulés
contre le service de santé ; je demanderai où les sections ont puisé les motifs
de cette sollicitude ? est-ce dans les pièces
adressées à la chambre ? non, c’est uniquement dans
les journaux. Certes, à moi qui m’honore d’avoir exercé la profession
d’écrivain politique, moins qu’à personne, il n’appartient pas de traiter
dédaigneusement la presse ; mais il appartient aux hommes qui ont quelque
expérience sur la manière dont la liberté de la presse est pratiquée en Belgique,
de se défier de ses attaques, en présence de ses fréquents écarts.
En définitif, qu’y
a-t-il dans cette affaire ? Il y a des journaux et une brochure ; c’est-à-dire
que tout est extra-parlementaire. Quelque
irrégularité que soit pour un corps législatif, la forme de ces dénonciations,
j’ai lu la plupart de ces articles de journaux : c’était mon devoir comme
député. Je me suis félicité ensuite de voir toutes ces attaques éparses dans
des feuilles quotidiennes, résumées en une brochure que, dans le public, on
appelle l’acte d’accusation du chef du service sanitaire. J’ai lu cette
brochure sans prévention, sans parti pris. Je dois le dire cependant, elle a
d’abord excité mes défiances par la futilité de quelques-uns des griefs
énumérés. Je me suis figuré que quand on me parlait de la santé du soldat, il y
avait quelque chose de mieux à faire que de s’occuper d’une armoire, d’une
table, et que de s’égayer sur le service d’un huissier de salle.
Je m’étais figuré
que quand on était animé d’une pure pensée du bien public, d’un pur sentiment
de philanthropie, on avait autre chose à faire que de s’exprimer avec colère,
et surtout d’écrire d’inopportunes et inconvenantes biographies.
Eh bien, malgré
cela, j’ai tout lu, j’ai tout examiné, mais j’ai lu aussi avec une attention
non moins sincère, non moins religieuse, la défense, la seule qui ait pu être
jusqu’ici opposée à l’attaque ; j’ai lu les brochures publiées par les
inculpés, brochures écrites en général avec calme et dignité. Eh bien ! dans mon opinion, elles ne laissent rien subsister de
l’accusation. Je déclare que si de nouvelles lumières ne sont pas répandues sur
la question du service sanitaire, sur les prétendues dilapidations de ce
service, rien de ce qui a été avancé jusqu’ici ne peut, aux yeux d’un homme
sensé et impartial, être de nature à porter la moindre atteinte à l’honneur, à
la délicatesse et à la réputation d’intégrité du chef du service de santé.
Puisque mon faible témoignage, et c’est aussi celui
d’un honnête homme, servir d’un commencement de compensation aux attaques dont
ce fonctionnaire a été l’objet !
D’ailleurs, et je
ne sais si j’ai besoin de le dire pour donner plus de poids à mes paroles, je
connais à peine l’accusé, et je ne connais pas les accusateurs ; le premier ne
m’a jamais fait de bien, les autres, au moins à ma connaissance, ne m’ont
jamais fait de mal.
Et, quand à l’appui
de cette réfutation, vous avez la déclaration formelle, précise, faite à ses
risques et périls par un honorable général qui a su en si peu de temps,
conquérir noblement je ne dirai pas seulement l’estime de la chambre, mais
celle du pays tout entier ; quand, dis-je, la réfutation est corroborée par une
telle déclaration, il m’est bien permis de dire que j’ai besoin d’autres griefs
pour ajouter foi à ce qui a été avancé contre le service de santé. (Adhésion.)
J’entends parler de
complicité, je ne sais si cela est sérieux. Je ne le pense pas. Sans cela, je
relèverais cette expression.
Des voix. - Allons donc, on ne songe pas à cela !
M.
Lebeau, reprenant. - Messieurs, les motifs de ma confiance dans cette
déclaration de M. le ministre sont précisément ce fait, cette considération que
tout à l’heure un honorable préopinant faisait valoir devant la chambre : c’est
que tous les griefs reprochés au service de santé sont étrangers à
l’administration de M. le ministre actuel. Et vous voudriez, si le ministre
n’était pas placé sous l’empire d’une conviction profonde, et n’eût pas la
certitude qu’il remplit un devoir honorable, celui de défendre ses subordonnés,
quand il les croit injustement attaqués ; vous voudriez que si sa conviction
était douteuse, le ministre vînt se mettre en opposition avec une chambre qui
lui a prodigué tant de marques de confiance et d’estime !... Non, messieurs, il
faut que le ministre, pour persister dans son refus, soit placé dans une
position où, de sa part, une conduite contraire serait l’abandon de ses devoirs
comme ministre. Quant à moi, je suis convaincu que telle est sa position, et je
n’ai pas assez d’éloges pour une pareille conduite. (Adhésion générale.)
Messieurs, le
ministre de la guerre a fait l’aveu que quelques abus, quelques irrégularités
avaient pu se glisser dans le service sanitaire depuis la révolution. Je suis
fâché que M. le ministre n’ait pas précisé ce qu’il entendait par ces abus, par
ces irrégularités, car, dans l’état de préoccupation des esprits, toutes le
paroles qui sortent de la bouche du ministre devraient en quelque sorte être
rigoureusement définies pour empêcher les fâcheux commentaires auxquels on se
livre.
Mais il est un fait
sur lequel j’attends de la loyauté de M. le rapporteur de la section centrale
une explication catégorique ; je la lui demande au nom d’un principe sacré, au
nom de la défense ; on a parlé de faits couverts par la prescription ; je
désire savoir à cet égard le sens de la déclaration de la section centrale. Je
désire savoir si on en a entendu reconnaître par là que des faits couverts par
la prescription existaient, ou si l’on a seulement voulu dire qu’on en a négligé
l’examen par la seule considération que la prescription leur était acquise.
J’espère que M. le
rapporteur de la section centrale voudra bien donner tout à l’heure quelques
mots d’explication sur ce point.
On a dit,
messieurs, qu’il y avait un vol dans ce qui se rattache au service de santé. Eh
bien, il est avoué par le gouvernement qu’en novembre 1835 on a découvert dans
le sulfate de quinine déposé dans la pharmacie centrale, un huitième de
salicine. Quelle a été la conséquence de cette découverte ? la
traduction immédiate devant les tribunaux du fournisseur qu’on supposait
l’auteur de cette fraude.
Messieurs, tout le
monde aurait pu être trompé. Les experts de la pharmacie centrale qui ont
procédé à la réception de ce médicament, n’ont pas reconnu qu’il y eût
sophistication. Les nombreux médecins qui ont employé ce médicament n’ont pas
réclamé.
Messieurs, il ne
faut pas perdre de vue que les fonctions d’expert sont extrêmement difficiles à
remplir. Quel est le système qui prévaut pour la fourniture des médicaments ? c’est le système d’adjudication publique au rabais. Eh bien,
ce système que je crois bon dans une foule d’occasions, je le regarde comme
sujet à de très graves inconvénients, en matière médicale, et la chambre le
comprendra aisément.
La soumission au
rabais amène un nombre plus ou moins considérable de concurrents, et vous savez
ce qui arrive dans cette lutte : presque toujours l’on va au-dessous d’un prix
raisonnable pour écarter les concurrents. Qu’en résulte-t-il ? assez souvent la nécessité d’aliéner la fourniture, sous
peine d’avoir faire une opération ruineuse.
Je n’hésite pas à le dire, voilà la position dans laquelle plusieurs
fournisseurs ont été placés, par suite du système d’adjudication publique. Cela
est si vrai que M. le ministre de la guerre pourrait vous dire que les experts
ont toute la peine du monde de se mettre en garde contre les tentatives de
fraude des fournisseurs ; qu’il n’y a pas un seul expert qui n’ait prié à
plusieurs reprises, soit le chef du service de santé, soit le ministre
lui-même, de le décharger de ses difficiles et pénibles fonctions, qui étaient
pour lui l’occasion d’une responsabilité immense.
Il y a d’ailleurs,
messieurs, une circonstance toute particulière qui rend la fraude extrêmement
difficile à découvrir : c’est que la salicine est une substance tout à fait
nouvelle, dont les caractères sont à peine connus de tous ceux qui ont
cependant des connaissances profondes en matière médicale. La salicine, si je
ne me trompe, a été découverte il y a six ou sept ans.
A ce propos,
l’honorable M. Jullien n’a pas craint d’avancer qu’il y avait eu 3,000
miliciens morts en 1831 et 1832 par l’effet des fièvres intermittentes. Or, il
faut remarquer que c’est en 1835, et, si je ne me trompe, dans un médicament
fourni après 1832, qu’on a découvert qu’il y avait eu des sophistications.
Je crois que
l’honorable M. Jullien est très mal renseigné sur le chiffre des soldats morts
par suite des fièvres intermittentes à l’époque dont il s’agit ; le ministre de
la guerre n’aura pas de peine, sans doute, à faire voir combien il y a
d’exagération dans le chiffre indiqué par l’honorable membre.
Mais quand même
cette mortalité eût existé, je dis qu’il n’y a pas aujourd’hui un praticien
éclairé qui puisse l’attribuer à la falsification du sulfate de quinine par la
salicine.
J’ai, messieurs,
sous les yeux les autorités les plus respectables, les plus illustres dont la
parole est pour ainsi dire sacrée en
Europe, en matière médicale. Je vous citerai notamment M. Andral, l’une des
lumières de la médecine moderne.
Tout le monde,
disent ces praticiens, s’accorde à dire qu’on obtient de l’emploi de la
salicine dans les fièvres intermittentes, dans tous les cas, les mêmes
avantages que de l’emploi du sulfate de quinine ; et dans certains cas spéciaux,
des résultats qu’on n’obtient pas du sulfate de quinine.
Messieurs, je ne
suis pas médecin, je fais simplement ici l’office de rapporteur : je ne vous
citerai pas des fragments de livres, c’est contraire aux habitudes de la
chambre. Mais j’ai ces livres sous la main, et je les tiens à la disposition de
chaque membre de la chambre qui voudra en prendre connaissance.
Impossible donc
d’assigner aux faits signalés par l’honorable M. Rodenbach les conséquences
qu’y a attribuées l’honorable M. Jullien, qui disait cependant que si en cela
il n’y avait que fraude, gaspillage, que si la question de la santé du soldat
était sauvé, il ne s’arrêterait pas beaucoup à la question du service
sanitaire. A moins que l’honorable membre ne prétende en savoir plus en matière
de médecine que l’académie de médecine de Paris et d’illustres praticiens, il
doit reconnaître que l’emploi de la salicine n’a pas eu les effets qu’il y a
attribués.
M. A. Rodenbach. - Je n’ai pas dit cela, j’ai
dit qu’on a volé !
M.
Lebeau. - Vous avez dit qu’on a volé ; le ministre l’a dit aussi,
l’inspecteur-général le dit aussi, tout le monde le dit, et la preuve qu’on le
dit et qu’on le croit, c’est qu’on poursuit l’homme qui est accusé d’être le
voleur. Il me semble toutefois qu’il n’est pas nécessaire de nommer une
commission d’enquête pour faire le procès à un voleur.
Il faudrait être
juste cependant, et lorsqu’on reproche au service de santé militaire des abus
que l’on et bien loin de prouver, il faudrait tenir compte aussi des nombreuses
améliorations qui ont été introduites depuis quelques années dans le service de
santé : c’est surtout aux soins éclairés de l’inspecteur-général de ce service
et de ceux qui l’ont secondé, qu’on doit l’extinction graduelle d’un fléau qui
naguère encore décimait notre armée ; je veux parler de l’ophtalmie.
M. A. Rodenbach. - Il y a plus de mille
aveugles.
M.
Lebeau. - Si mes renseignements sont exacts, il n’est pas entré à
l’hôpital de Bruxelles dix ophtalmistes. J’entends
parler de l’ophtalmie militaire, de l’ophtalmie épidémique depuis plus d’un an.
M. Gendebien. - On les a renvoyés chez eux.
M.
Lebeau. - Certainement, l’ophtalmie a exercé de grands ravages dans
notre armée ; on a renvoyé chez eux des ophtalmistes,
mais on peut se convaincre, par des renseignements puisés à toutes les sources,
que depuis un an ou deux, grâce aux soins innombrables du service de santé,
l’ophtalmie va diminuant progressivement en Belgique. C’est là un fait qu’on en
peut méconnaître sans nier l’évidence.
Je me résume : qu’y a-t-il dans toute cette affaire ? des
articles de journaux, une brochure et une réfutation que, pour mon compte, je
regarde jusqu’à présent comme péremptoire ; voilà, messieurs, ce qui est. Or,
dans de telle circonstances, le provisoire, ce n’est pas à l’accusation que
vous l’accorderez, c’est à la présomption d’innocence ; quant à moi, si d’autres
griefs ne sont pas articulés, d’autres preuves administrées, je rejetterai non
seulement la proposition de nommer une commission d’enquête, mais toutes les
propositions tendant à nommer une commission quelconque, et je voterai le
chiffre ministériel.
M. Desmaisières, rapporteur. - Messieurs, je
vais répondre en ma qualité de rapporteur à l’interpellation de l’honorable
préopinant : non, nous n’avons point entendu regarder comme avérés les faits
auxquels nous faisions allusion ; pour le prouver, il suffit de relire le
passage de notre rapport où il s’agit de ces faits :
« Toutefois,
la section centrale a remarqué, entre autres faits, qu’il avait été articulé
que des fournitures de mauvaise qualité avaient eu lieu et qu’elles avaient été
acceptées ; qu’on pouvait s’en convaincre par les procès-verbaux de réception.
Les recherches faites dans les pièces communiquées ont été sans résultat quant
à ces procès-verbaux.
« S’il y avait
eu fraude dans la livraison ou dans l’acceptation, il a paru à la section
centrale que ce serait un délit prévu par l’art. 433 du code pénal, et, de ce
chef, elle aurait proposé de provoquer l’action de la justice répressive.
« Mais, autant qu’elle a pu en juger par un court examen, les
principaux faits articulés dans les pièces lui remises, remontent à plus de
trois années, sans qu’on lui ai fait constater qu’il y aurait eu des actes
d’instruction ou de poursuite. A défaut de ces actes il y aurait prescription
aux termes de l’art. 638 du code d’instruction criminelle.
« S’il y a des
faits susceptibles de poursuites devant la justice répressive, et à l’égard
desquels il n’y aurait pas prescription, rien ne fait obstacle à ce que de
telles poursuites soient exercées. »
Je crois,
messieurs, que ces explications doivent satisfaire l’honorable préopinant.
M.
Lebeau fait un signe affirmatif.
M. Jullien (pour un fait personnel). -
L’honorable M. Lebeau a dit tout à l’heure à la chambre qu’il n’était pas médecin,
je commence par déclarer que je ne suis pas médecin non plus. Aussi, je n’ai
pas traité la question d’une manière scientifique, je n’ai fait que citer des
faits : j’ai dit à la chambre qu’en 1831 et 1832, il est mort dans les hôpitaux
plus de 3,000 soldats, et que la plupart des hommes de l’art attribuent cette
effrayante mortalité à la falsification, à la mauvaise qualité des médicaments.
On dit que j’ai
parlé de fièvres intermittentes ; je crois me rappeler en effet avoir dit que
la plupart de ces soldats étaient morts de fièvres intermittentes ; eh bien,
messieurs, que M. le ministre de la guerre ait la complaisance de prendre la
feuille des hôpitaux, il y verra combien de soldats ont succombé parce que les
médicaments n’avaient pas assez d’énergie. Ce fait a été publié et jusqu’à
présent je n’ai pas entendu que M. le ministre de la guerre l’ait démenti.
Quant aux personnes qui figurent dans cette espèce de procès, je prie la
chambre de se rappeler que je n’ai accusé personne : comme la section centrale,
je cherche seulement à m’éclairer. Voilà quelle a été ma conduite dans toute la
discussion et ce qu’elle sera jusqu’à la fin ; je ne connais pas de noms
propres ; je n’ai jamais vu peut-être l’inspecteur général, je ne connais
personne ; j’ai bien reçu par-ci par-là quelques renseignements ; j’ai bien
entendu quelques officiers de santé dire qu’ils sont honteux d’appartenir à ce
corps jusqu’à ce qu’il soit lavé des inculpations qui pèsent sur lui, mais je
n’ai accusé personne.
M. A. Rodenbach (pour un fait
personnel). - Je n’ai pas dit, comme le prétend l’honorable M. Lebeau, que la
salicine tue les soldats ; j’ai seulement dit que la salicine est un fébrifuge
trop faible et qu’il en avait été mêlé avec le sulfate de quinine. J’ai dit
aussi qu’il y avait eu vol manifeste et M. le ministre de la guerre l’a reconnu
lui-même.
M. le ministre de la guerre (M. Willmar). -
J’avais demandé la parole, messieurs, pour donner des explications sur le fait
que des procès-verbaux ne s’étaient pas trouvés parmi les pièces communiquées à
la section centrale ; ces procès-verbaux se trouvaient en effet dans un dossier
qui est chez moi ; je ne puis à cet égard qu’exprimer de nouveau mon regret de
ce que la section centrale n’ait pas accueilli la proposition de deux de ses
membres, c’est-à-dire de ce qu’elle ne m’ait pas demandé des renseignements et
notamment les procès-verbaux dont il s’agit, que j’aurais pu lui fournir
sur-le-champ.
Je saisis cette
occasion pour répondre à l’honorable M. Jullien ; le fait qu’il a articulé il y
a deux jours avait paru la veille dans un journal, appuyé de l’avis imprimé
d’un officier de santé ; depuis, j’ai consulté plusieurs mémoires également
imprimés et j’ai vu que les auteurs de ces mémoires sont bien loin de partager
l’opinion qui a été énoncée par l’honorable membre. Il y eût à la fin de 1831
une mortalité affligeante dans nos hôpitaux, à l’issue du camp de Diest qui fût
levé dans le commencement du mois d’octobre lorsqu’il était déjà tombé quelques
pluies d’automne. Il y eût alors des dysenteries auxquelles, dans le principe
surtout, un grand nombre d’hommes succombèrent ; nos médecins qui firent de
cette maladie l’objet de leurs soins et de leur attention les plus suivis, l’ont
en général attribué à l’influence du climat, des rassemblements et de
l’encombrement dans les hôpitaux. Quant aux fièvres intermittentes, elles se
virent surtout parmi les hommes qui avaient passé un temps assez long dans les
polders ou sur les rives de l’Escaut ; mais les médecins n’ont point parlé des
causes pour lesquelles ces fièvres ont résisté à un traitement plus ou moins
long, ils n’ont surtout pas parlé du moyen de sophistication, qui, comme M.
Lebeau l’a dit, n’a été découvert que depuis.
Je reviendrai
encore sur l’inquiétude qu’on prétend exister dans l’armée ; je répéterai à cet
égard que le rapport d’aucun chef ne constate cette inquiétude. C’est seulement
sous ce point de vue que j’ai cité le rapport des généraux et je n’ai nullement
parlé de rapport à propos de la qualité des médicaments, ainsi qu’on l’a
insinué, j’ai dit que ni les rapports des chefs de corps ni les rapports des
généraux ne constatent l’existence de l’inquiétude dont il s’agit. Je suis très
convaincu que si elle existait, elle cesserait tout à fait lorsque les chefs de
l’armée sauront que le ministre de la guerre a porté son investigation
consciencieuse et approfondie sur tous les détails du service de santé ; qu’il
n’a pas reconnu que les abus qu’on prétendait exister dans le service de santé
existassent réellement, que cependant il a pris toutes les précautions
nécessaires pour empêcher tout abus de se produire ; je suis persuadé,
messieurs, que l’armée sera convaincue que l’attention la plus scrupuleuse sera
portée par le ministre de la guerre sur cette branche si importante du service
et que le moindre écart sera réprimé avec la plus grande sévérité.
Je suis persuadé,
dis-je, qu’après cela l’armée reprendra confiance, surtout si la chambre
n’attache pas trop d’importance à des bruits de journaux qui ne sont que l’écho
d’un très petit nombre d’hommes appartenant au service de santé. A cet égard
j’ajouterai, messieurs, que quelque soit le résultat de l’enquête, vous ne
verrez pas les passions de ces hommes se calmer si l’enquête ne leur livre pas
leurs victimes. Ce n’est que dans le cas où leurs haines seraient satisfaites
qu’ils se tairont ; jusque-là, ils soutiendront toujours que les inquiétudes
qu’on cherche à faire naître existent réellement.
Je le répète, je
réprimerai avec la plus grande sévérité le moindre abus. Je ne reconnais pas
que ceux qu’on a signalés aient existé, et quand j’ai parlé d’irrégularités,
j’ai évite de me servir du mot abus, j’ai voulu dire que toujours toutes les
formes administratives n’avaient pas été assez exactement observées. Voilà le
seul grief qu’il y ait réellement à reprocher, mais il n’a aucun rapport avec
la santé de l’armée.
J’ai voulu faire
cette déclaration parce que je pense qu’elle exercera une influence salutaire
sur l’armée, que fera cesser ou au moins calmera les
inquiétudes s’il en existe encore.
PROJET DE LOI RELATIF A
M. le rapporteur dépose le rapport de la commission chargée d’examiner
le projet de loi relatif à la nouvelle division des conseillers électoraux de
la province du Limbourg.
- La séance est
levée à 4 heures et demie.