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Note d’intention
Chambre des représentants de Belgique
Séance
du lundi 27 février 1837
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre
2) Projet de loi portant le budget du département de la guerre pour
l’exercice 1837. Discussion générale. (A : Marché des lits
militaires ; B : Chiffre global du budget de la guerre, nécessité
d’une forte organisation militaire au vu de la situation diplomatique de
(Moniteur
belge n°59, du 28 février 1837)
(Présidence de M. Fallon,
vice-président.)
M. Verdussen fait l’appel nominal à midi et
quart.
M. de Renesse donne lecture du procès-verbal
de la dernière séance ; la rédaction en est adoptée.
M. Verdussen présente l’analyse des pièces
adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A
« Le sieur
J.-B. Lombaert, tambour-maître, huissier près le
conseil de discipline de la garde civique de Gand, demande une allocation au
budget de l’intérieur pour le paiement des créances arriérées de 1831. »
- Renvoi à la
commission permanente des finances.
________________
« Les membres
de l’administration communale de Beerendrecht
adressent des observations sur le projet relatif à l’endiguement du polder de
Lillo. »
- Renvoi à la
commission spéciale nommée pour examiner le projet d’endiguement du polder de
Lillo.
________________
M.
David demande un congé.
- Adopté.
________________
M. le ministre de la guerre (M. Willmar). Adresse
à la chambre des explications sur la pétition du sieur De Gueldre.
- Dépôt au bureau
des renseignements.
________________
Il est donné
lecture de l’arrêté suivant :
« Léopold,
etc.
« Sur la
proposition du ministre de la guerre,
« Nous avons
arrêté et arrêtons :
« Art. 1er.
L’intendant en chef de Bassompierre, directeur de l’administration du
département de la guerre, est nommé commissaire pour soutenir la discussion du
budget de la guerre à la chambre des représentants et au sénat.
« Art. 2. Le
présent arrêté sera notifié à MM. les présidents de l’une et l’autre chambre.
« Art. 3.
Notre ministre de la guerre est chargé de l’exécution du présent arrêté.
« Léopold.
« Par le Roi :
Le ministre de la guerre, Willmar. ».
Pris pour
notification.
PROJET DE LOI PORTANT LE BUDGET
DU DÉPARTEMENT DE
M.
le président. - L’ordre du jour est la discussion du budget de la
guerre.
M. Desmaisières (pour une motion d’ordre.) -
Je demande la parole. Messieurs, j’ai eu l’honneur de déposer le rapport de la
section centrale sur le budget de la guerre. La section centrale a reçu depuis,
le lendemain 21, une lettre de M. le ministre de la guerre, accompagnant de
nouvelles propositions faites par la compagnie des lits militaires. La section
centrale, ayant cru que par le dépôt de son rapport elle avait termine son
mandat, n’a pas pu délibérer sur les communications qui lui étaient faites.
Elle a décidé qu’à l’ouverture de la discussion, j’en donnerais lecture à
l’assemblée. C’est ce que je vais avoir l’honneur de faire.
M.
Lebeau. - Si M. le rapporteur le permet, je demanderai à faire une
observation.
M. Desmaisières. - J’y consens.
M. Lebeau. - Il m’est impossible de
préjuger la teneur des pièces que M. le rapporteur a à nous communiquer ; mais
je dois supposer qu’elles renferment des chiffres et des calculs. S’il en était
autrement, mon observation tomberait ; mais si ma supposition était juste, je
demanderais qu’on prorogeât le mandat de la section centrale et qu’on la
chargeât d’examiner comme commission les pièces dont il s’agit. Il est
impossible à la chambre de discuter des questions de chiffre et des calculs
avant qu’un rapport lui ait été fait par une commission qui, dans cette
circonstance, serait remplacée par la section centrale du budget de la guerre.
Il n’y a pas péril
en la demeure ; nous pouvons, en attendant ce rapport, aborder la discussion générale,
et même la discussion spéciale, en réservant la question des lits militaires.
Je demande donc si
je me suis fait une juste idée de la communication que M. le rapporteur a à
nous faire, que la section centrale soit chargée de les examiner comme commission,
et invitée de nous faire un rapport le plus promptement possible.
M. Desmaisières. - Les pièces que j’ai à
communiquer à la chambre ne sont pas longues ; et elles ne sont pas non plus
hérissées de chiffres. Je pense que la chambre sera mieux à même de prendre une
résolution sur ces document après qu’elle en aura pris connaissance. Je demande
donc en donner lecture à l’assemblée. (Lisez
! lisez !)
M. Lebeau. - Je ne persiste pas dans mon
observation.
M. Desmaisières. - Voici ces pièces. (L’orateur donne lecture de ces pièces.)
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - M le
ministre de la guerre demande le renvoi à la section centrale.
M. Lebeau. - Je demande l’impression.
M. le ministre de la guerre (M. Willmar). -
Messieurs, j’ai adressé à la section centrale les pièces dont il vient de vous
être donné lecture afin qu’elle les examinât. Ces pièces lui avaient été
envoyées avant sa deuxième réunion ; je pensais qu’elle les aurait comprises
dans son examen. Elles me semblaient de nature à modifier l’opinion émise dans
son rapport ; ce sont de nouvelles propositions sortant des termes antérieurs.
Je demande que la section centrale soit chargée de les examiner.
M. Jullien. - Je conçois qu’il y ait opportunité
d’envoyer à la section centrale les communications de M. le ministre de la
guerre ; mais il faudrait, comme l’a demandé M. Lebeau, qu’on prorogeât les
pouvoirs de la section centrale. Si on adopte la proposition du ministre, il
faut également adopter celle de M. Lebeau.
C’est la seule
observation que je voulais faire.
M.
le président. - Les pièces dont M. le rapporteur vient de donner
lecture à la chambre sont renvoyées à la section centrale du budget de la
guerre, qui les examinera comme commission.
- L’impression des
pièces est également ordonnée.
Discussion générale
M. Goblet. - Messieurs, il est très fréquent de voir les
hommes que les circonstances placent momentanément à la tête des affaires de
leur pays, exposés au reproche de versatilité dans leurs opinions ; et ce
serait le plus juste des reproches, si, en effet, les circonstances restant les
mêmes, on voyait ceux qui sont chargés d’y présider, changer de conduite au gré
d’influences tout à fait étrangères à ces mêmes circonstances ; ce serait
avouer ses erreurs, et par suite fortement ébranler la confiance que l’on doit
ambitionner d’inspirer à son pays.
En réclamant
aujourd’hui la parole pour exprimer ma pensée sur notre situation militaire, je
dois tenir à ce qu’on ne puisse m’accuser de n’avoir pas eu, relativement à
l’armée, des principes auxquels je sois resté fidèle, non seulement pendant que
j’étais au ministère, mais encore aujourd’hui même, qu’il s’est écoulé plus de
trois années depuis que j’ai renoncé au portefeuille des affaires étrangères.
Je suis d’autant plus porté à invoquer, à cet effet, quelques souvenir, qu’en
mettant en doute, dans la séance du 23 décembre dernier, l’efficacité de nos
moyens de défense et en paraissant convaincu de la nécessité de les améliorer,
j’ai pu provoquer de l’étonnement : il est possible que l’on conçût
difficilement mes appréhensions personnelles, tandis qu’en tout temps, j’ai
paru avoir foi dans la diplomatie, et ai déclaré, comme je le déclare encore,
que dans ma pensée ce n’est point par la guerre que
Il n’y a cependant
pas, messieurs, de contradiction entre cette opinion et mon vif désir de voir
nos moyens militaires tenus dans un état aussi parfait que le permettent les
ressources du pays.
Tout en ayant foi
pleine et entière dans les ressources que la diplomatie peut offrir à
Nos succès
incontestables en diplomatie datent du mois d’octobre 1832, époque où l’état de
nos armements nous donnait le droit d’exiger l’emploi de moyens dont nous ne
consentions à nous exclure que dans l’intérêt de la paix générale, qu’il nous
eût été possible de troubler si l’on eût refusé de consolider notre
indépendance.
Je faisais
remarquer le 23 mars 1833 que, si l’on suivait attentivement le cours des
événements qui avaient signalé les dix mois précédents, l’on se convaincrait
facilement que les incertitudes sur notre existence nationale s’étaient
dissipées à mesure que notre état militaire était devenu plus fort, et qu’enfin
nos succès n’avaient été décisifs que quand il fut permis au gouvernement de
donner à sa politique un caractère de fermeté, qu’elle n’eût pas revêtu si nous
eussions été impuissants contre
Alors, messieurs,
nous venions de compléter nos armements, et l’Europe savait que, loin de
craindre une lutte contre
Plus tard, lors
même que l’on eût obtenu la convention du 21 mai, je n’ai point encore changé
de manière de voir, relativement à l’utilité de nos armements, ou plutôt à la
nécessité où nous étions de pouvoir en disposer, dans toute leur étendue, à
l’instant même où nous serions menacés. Le 14 juin je déclarai que nous ne
devions pas, avant la conclusion de la paix, nous dessaisir de l’influence de
notre armée, influence qui avait si puissamment contribué à l’avancement de nos
affaires, et j’ajoutai que, par les dispositions qui allaient être prises, nous
serions en mesure de remettre sur le champ l’armée sur le pied de guerre le
plus complet.
Huit jours après,
le 21 juin, au sujet de la discussion de l’adresse en réponse au discours du
trône, M. le ministre de la guerre s’exprimait dans le même sens : « C’est
à tort, disait-il, que quelques orateurs ont supposé qu’il s’agissait de
licencier ou du moins de désorganiser l’armée ; les divisions doivent rester
organisées comme elles l’étaient, les troupes demeureront campées jusqu’à
nouvel ordre ; si des congés ont été distribués, ils ne l’ont été que dans les
corps qui ne faisaient point partie de l’armée active.
« Tous les
hommes ont reçu l’ordre de se tenir prêts à la première réquisition, et les
mesures sont prises pour qu’ils aient rejoint leurs corps huit jours après
l’ordre qu’ils en auraient reçu. Quant aux troupes actives, des congés
temporaires leur seront accordés si la suite des négociations permet cette
mesure. »
Ce n’était,
messieurs, que de cette manière que le ministère de l’époque croyait pouvoir
concilier les intérêts du trésor avec les précautions que réclamait notre
situation politique envers
Ce fut dans cette
double pensée qu’on donna bientôt des congés aux hommes composant les légions
des gardes civiques mobilises et les cinquièmes bataillons des 12 régiments
d’infanterie de ligne, mais toutefois en en conservant les cadres, qu’on mit
sur le pied de pied.
L’on était alors
convaincu que, plus les intérêts du trésor exigeaient la réduction du nombre
d’hommes à maintenir sous les armes, plus on devait s’efforcer et de compléter
les cadres, plus les services généraux devaient rester organisés de manière à
compenser l’inexpérience de nos soldats, s’ils étaient subitement rappelés sous
les drapeaux.
En diverses
circonstances, les paroles du ministre de la guerre ne durent point laisser de
doutes à cet égard : il disait ici, le 27 juin 1833, que le gouvernement, en
allégeant les charges de l’Etat, ne pouvait perdre de vue que les économies étaient
subordonnées à la nécessité de maintenir notre armée sur le pied de guerre
jusqu’à la conclusion du traité définitif entre
Au sénat, M. le
ministre déclarait, le 20 décembre de la même année, que les dépenses avaient
été calculées dans l’hypothèse de la durée de l’armistice du mois de mai, mais
à la condition qu’en conservant l’organisation actuelle et tous les cadres, en
officiers et sous-officiers, l’armée pourrait, en huit jours, être reportée à
l’effectif qu’elle avait au 1er juin. C’était sur cette assurance bien
formelle, disait-il que le gouvernement s’était décidé à n’entretenir que le
nombre d’hommes dont la solde était portée au budget que l’on discutait.
Il est évident
d’après tout ce qui précède, que, si le ministère dont je faisais partie avait
confiance dans la diplomatie, il avait en même temps la conviction que, si,
dans le cours ordinaire des choses, nous pouvions compter sur elle, il pouvait
surgir des événements où elle deviendrait momentanément impuissante. Les
transactions politiques n’obvient pas plus aux entreprises désordonnées de
certains gouvernements, que les lois civiles n’anéantissent la possibilité du
crime.
Malgré notre
confiance dans les traités, il nous paraissait qu’ils ne pouvaient pas aller
jusqu’à nous garantir que notre adversaire ne profiterait pas d’une
circonstance favorable pour tenter de pénétrer en Belgique ; et combien plus
encore, messieurs, depuis lors, la conduite du gouvernement hollandais et la
position offensive que son armée n’a cessé d’occuper, ne durent-elles pas nous
porter à croire que la moindre désunion entre les grandes puissances, que le
premier événement qui jetterait la perturbation, en France, pourrait être le
signal d’une tentative nouvelle contre notre indépendance !
Je demande pardon à
l’assemblée d’avoir insisté aussi longtemps sur la manière dont le ministère
auquel j’appartenais envisageait la situation de
Les déclarations
successives du gouvernement ne doivent point laisser de doute que nous sommes
encore, dans le moment où je vous parle, absolument dans la même situation, par
rapport à
Peut-on croire,
messieurs, que ce soient là des circonstances qui doivent porter nos ennemis à
renoncer à toute tentative contre notre indépendance ? Bien au contraire, ce
doit être pour eux un motif déterminant de profiter, sans hésitation, de la
première circonstance favorable, pour jeter la perturbation au sein d’un pays
dont la prospérité ne leur inspire que de vifs regrets.
D’ailleurs,
messieurs, nos adversaires ne prennent point la peine de déguiser leurs
intentions : si, de leurs discours et de l’attitude de leur armée, vous ne
pouvez pas conclure que le peuple hollandais porte ses idées jusqu’au
rétablissement du royaume des Pays-Bas, vous ne pouvez nier que ce peuple est
soumis à un gouvernement et confiant dans une dynastie qui n’ont, jusqu’à ce
jour, renoncé à aucune de leurs prétentions sur
Incontestablement,
en présence d’un tel état de choses, il est d’une extrême importance d’examiner
si nos moyens défensifs sont en rapport avec l’étendue des intérêts qu’ils ont
à protéger.
Riche et prospère,
« Son
organisation doit être telle, qu’en cas de commencement d’hostilités elle
puisse à l’instant même, et comme par enchantement en quelque sorte, prendre le
développement nécessaire, pour que non seulement elle soit en état de résister
avec succès au premier choc de l’ennemi, mais pour qu’elle puisse aussi
poursuivre ensuite celui-ci victorieusement jusque dans son propre pays. »
Je ne me permets
pas, messieurs, de porter mes vues aussi loin que la section centrale. Quand je
verrai mon pays à l’abri de toute invasion, quand on aura donné à l’armée la
force et l’attitude qu’elle a le droit de réclamer pour vous promettre le
succès dans notre système défensif, mes vœux seront exaucés. Tel est le
résultat vers lequel doivent tendre tous nos efforts. Nous allons voir si, pour
y parvenir, l’on a continué à suivre les principes adoptés immédiatement après
la conclusion de la convention du mois de mai 1833.
Il est des
contrées, messieurs, où une discussion comme celle à laquelle cette chambre se
livre en ce moment, serait considérée comme entachée d’indiscrétion. Pendant
longtemps toutes les nations restèrent convaincues que les règles de la plus
simple prudence devaient s’opposer à la publication, aux communications,
propres à donner à son ennemi une connaissance complète de tout ce qui
constituait la force aussi bien que la faiblesse de leurs propres moyens de
résistance.
Chez nous, il en
est autrement : tout est publié, tout est communiqué. C’est, dit-on, le
résultat d’un perfectionnement dans les institutions. Il est possible ; mais au
moins on ne niera pas que, s’il y a peut-être une espèce de franchise à en agir
de la sorte, a introduire l’ennemi jusque dans les dernières ramifications de
nos moyens de défense et d’attaque, il est incontestable qu’une telle franchise
entraîne avec elle l’impérieuse nécessité d’avoir des forces et de prendre des
dispositions telles que la connaissance qu’il en aura ne soit point pour lui un
motif d’encouragement. On ne peut alors se borner à faire retentir au loin des
exagérations sur ses propres ressources, il les faut effectives et bien
réelles.
Les moyens de
défense d’un pays reposent sur diverses bases :
1° L’effectif de
l’armée ;
2° La bonne
organisation intérieure des corps et celle des divisions et brigades que doit
former la réunion de ces corps ;
3° L’emplacement
des troupes, tant par rapport à la position de l’ennemi qu’à celle des dépôts
et des magasins qui doivent pourvoir à leurs besoins de toutes natures ;
4° Enfin
l’organisation matérielle de la frontière que l’on doit défendre.
C’est d’une bonne
combinaison de ces divers objets que dépend le succès des opérations militaires
: tous ne s’accordent pas, il est vrai, avec un grand désir de réduction de
dépenses ; il en est même qui froissent vivement des intérêts locaux et privés,
mais je n’en suis pas moins convaincu que, quand vous connaîtrez leur état actuel,
vous ne soyez, autant que moi, portés à seconder le gouvernement dans ses
intentions de les améliorer.
Le présent,
messieurs, ne peut être bien apprécié qu’en remontant à une époque déjà assez
éloignée de nous, qu’en reportant nos regards jusque vers les premiers mois de
1833 ; c’est l’époque où nous avons eu les forces les plus nombreuses. L’armée
comptait alors 95,097 hommes sous les armes. Il existait 77,996 hommes
d’infanterie, y compris la garde civique mobilisée ; 7,452 cavaliers, sans
compter la gendarmerie, qui s’élevait à 1,133 hommes ; 7,327 canonniers et
1,189 soldats du génie.
Je ne dis pas,
messieurs, que cette armée fût parfaite certes, elle était trop jeune pour cela
; il y avait des défectuosités dans l’administration et des économies à introduire
; le défaut d’instruction dans les masses et dans les chefs n’était pas sans se
faire sentir ; les armes spéciales manquaient d’un grand nombre d’officiers ;
et les cadres de toutes armes, qui n’étaient pas trop étendus, offraient
beaucoup de vides. Cependant j’ose dire que cette armée eût satisfait, autant
que les circonstances l’avaient permis, aux trois premières des quatre bases
que nous avons établies, si les cadres eussent été plus complets ; c’était donc
principalement à les compléter que l’on devait apporter tous les soins
imaginables.
L’effectif que nous
avons cité était réparti en :
97 bataillons
d’infanterie,
6 régiments de
cavalerie,
13 batteries
d’artillerie de campagne,
1 bataillon du
train,
3 bataillons
d’artillerie de siège, et
1 bataillon de
sapeurs-mineurs.
Ces troupes, en
exceptant les corps stationnés dans les Flandres autour et dans la place
d’Anvers formaient cinq divisions dont une de cavalerie qui ne fut, il est
vrai, jamais réunie. Les quatre autres étaient très fortes et occupaient des
camps, qui présentaient un assez bon système de défense de nos frontières : la lère était au camp de Diest, la 2ème tenait le centre au
camp de Bauwel, et la 3ème occupait le camp de Schilde, gardait les rives de
l’Escaut, et faisant face à la flottille hollandaise, tenait en respect les
forts de Lillo et de Liefkenshoeck. Enfin la 4ème
division formait la réserve et se trouvait, peut-être assez mal placée, au camp
de Casteau, d’où elle pouvait cependant, au besoin,
se porter dans les Flandres ou dans
Dans cette
situation, l’Etat était assez bien garanti, mais il supportait une énorme
dépense : le département de la guerre avait coûté en 1831 73,681,337 fr. 78 c.,
et en 1832 75,056,712 fr. 65 c. Le budget de 1833, tel qu’il avait été présenté
aux chambres, montait à 73 millions, et après discussion il fut réduit à
66,500,000 fr.
Il était urgent de
sortir d’un état aussi onéreux, et la convention du 21 mai vint heureusement en
donner la possibilité. Dès lors, le mot économie fut dans toutes les bouches ;
il travailla toutes les têtes ; mais la grande question était de donner aux
reformes une bonne direction.
Le gouvernement fit
aussitôt ce qu’il devait faire ; il maintint intacts et les états-majors et les
cadres, tandis qu’il donna sur-le- champ de nombreux congés aux miliciens. Les
dépenses de 1832 s’étaient élevées, comme je l’ai déjà dit, à plus de 75
millions, et l’on parvint déjà en 1833 à ne dépenser que 51,296,550 fr. 49 c.
Cependant,
messieurs, l’on n’était pas encore arrivé à la fin de cette dernière année,
qu’aux inquiétudes les plus vives avait succédé une confiance illimitée :
l’armée ne paraissait plus, aux yeux de bien des gens, qu’un ver rongeur ; la
vue des états-majors offusquait ; on les trouvait trop brillants et trop
nombreux ; on voulait diminuer la cavalerie ; on demandait la suppression du
service des ambulances ; enfin la clameur publique imposait aussi des économies
: toute promotion, toute augmentation dans le nombre des officiers, exposait le
gouvernement à de violents reproches ; et pourtant l’on était parvenu à ne
proposer aux chambres pour l’année 1834 qu’un budget de 40 millions.
La convention du 21
mai avait permis une diminution de plus de 35,000,000 de francs sur le budget
annuel, mais ce n’était pas encore assez : ce beau résultat ne paraissait pas
suffire à la justification de ceux qui avaient préconisé cette convention sous
le rapport des économies qu’elle donnerait la possibilité de faire, immédiatement,
dans le département de la guerre ; aussi les 40,000,000 demandés furent-ils,
après discussion, réduits à 38,281,000 fr., en exigeant quelques diminutions
dans l’effectif qui avait été proposé par le gouvernement.
Dans cette
situation, l’armée devait être, en 1834 de 42,000 hommes ; mais on sait que sur
un nombre d’hommes soldés il y a toujours environ un sixième, c’est-à-dire,
dans le cas présent, 7,000 hommes qui n’entrent pas en ligne.
Ce n’était donc que
35,000 combattants dont le pays pouvait disposer, lorsque, au mois de mars, des
alarmes plus ou moins fondées se répandirent dans le pays ; et alors,
messieurs, il fut constaté qu’ayant d’une part envoyé 6,000 hommes vers le
Luxembourg, et de l’autre les Flandres, Anvers et les rives de l’Escaut
exigeant 11,000 hommes pour leur défense, il n’en restait que 17 à 18,000 à
opposer à une invasion de l’ennemi.
On fut grandement
étonné quand on sut que telle avait été la faiblesse de notre armée
d’observation. Heureusement nous ne fûmes pas attaqués, et l’on eut le temps,
en rappelant 26,000 hommes sous les armes, de porter l’armée à 65,000 hommes
soldés.
En juillet, le
gouvernement s’adressa aux chambres pour obtenir les crédits supplémentaires,
qui étaient la conséquence naturelle, de l’augmentation de la force publique :
Ce fut alors que s’établit, entre le ministre de la guerre et la représentation
nationale une discussion dont on eût dû ne pas perdre le souvenir aussi
complètement que depuis on l’a fait.
On peut donner une
juste idée des motifs de cette discussion, en citant quelques paragraphes du
rapport fait au nom de la commission chargée d’examiner la demande de crédits
supplémentaires, et la réponse que le ministre fit au contenu de ces mêmes
paragraphes. L’honorable rapporteur, après avoir exposé les circonstances qui
avaient exigé une augmentation de dépenses et justifié les crédits demandés,
ajoutait que l’on ne pouvait cependant point s’empêcher de faire une pénible
remarque sur la position où nous nous étions trouvés :
« Au moment,
disait-il, où les justes alarmes de la chambre ont pour ainsi dire donné
l’éveil au gouvernement, lors des événements du Luxembourg, l’armée ne
présentait qu’un effectif de 42.400 hommes, et sur ce total il n’y avait tout
au plus que 35,000 combattants, dont 11,000 employés sur et au-delà de l’Escaut
et 6,000 marchant sur Luxembourg : nous n’avions donc alors qu’environ 17,000
hommes à opposer à l’invasion d’un ennemi, dont les forces restent constamment
concentrées de manière à pouvoir en 36 ou 48 heures porter 30 à 40,000 hommes
sur tel point de notre territoire qu’il croira propre à ses opérations ; et ces
17,000 hommes, ne pouvant être réunis immédiatement dans une direction donnée,
se seraient trouvés infailliblement exposés à être battus en détail, et dispersés
sans point de ralliement possible.
« De l’aveu du
gouvernement même, telle a été un instant notre position ; tel a été pendant
plus de 15 jours le danger auquel notre existence politique, notre indépendance
ont été exposées.
« Les craintes
qu’avait conçues la chambre ne sont que trop justifiées par cette impardonnable
négligence du gouvernement ; elle acquiert aujourd’hui la conviction qu’en
provoquant alors un renforcement de l’armée, elle a peut-être contribué au
salut de l’Etat. »
Ces paroles,
messieurs, étaient sincères ; voici comment y répondit le ministre de la guerre
: « J’aborde,
dit-il, le reproche qui est fait au gouvernement de n’avoir eu, dans la
première quinzaine du mois de mars, que 17,000 hommes disponibles à opposer à
une attaque éventuelle qui serait venue du Brabant septentrional.
« L’exposé des faits justifiera, je
l’espère, la conduite du gouvernement.
« Lorsqu’il s’est agi, au mois d’octobre
1833, de dresser le budget de 1834, l’opinion du pays et des chambres mêmes
était qu’avec la convention du 21 mai, il suffisait d’entretenir 25,000 hommes
sous les armes, et qu’il fallait réduire le budget de la guerre à 30,000,000 au
plus.
« C’est d’après les motifs que je fis
valoir au conseil des ministres, qui les adopta, qu’il fut décidé que le budget
de la guerre serait fixé à 40,000,000 fr., et qu’avec cette somme on
entretiendrait 45,000 hommes sous les armes.
« C’est d’après ces données que j’établis
les détails du budget pour 45,000 hommes, y compris les officiers, que j’eus
l’honneur de soumettre à la chambre.
« La commission proposa diverses
réductions, et la chambre, en les ordonnant, fixa le montant du budget à
37,459,000 fr., en ordonnant quelques diminutions dans l’effectif présent sous
les armes que j’avais demandé.
« C’est donc d’après la somme accordée par
les chambres que le gouvernement a dû régler l’effectif présent à conserver
sous les armes, et vous avez vu, par le rapport de votre commission, qu’il
était, à peu de différence près, égal en réalité à celui fixé par le budget. «
Le ministre
inférait de ce qui précède que le gouvernement ne pouvait être, dans cette
circonstance, accusé de négligence.
A cette époque,
messieurs, je n’avais pas l’honneur de faire partie de cette chambre, mais j’ai
relu avec soin la discussion, et, de toutes les convictions qu’elle a laissées
dans mon esprit, la plus profonde est celle qu’un budget, montant à environ 38
millions de francs, ne suffit pas pour mettre l’armée à mène de s’opposer avec
succès à l’invasion que l’ennemi pourrait tenter.
Il y eut une telle
unanimité d’opinion à ce sujet, que l’on vota, sans hésitation, les fonds
indispensables à l’entretien, sous les armes, jusqu’au mois de novembre, de
61,000 hommes au lieu de 42.000, et que le budget fut élevé jusqu’au montant de
44,618,000 francs.
Cette décision ne
fut pas la conséquence de circonstances accidentelles, mais on la prit après
qu’il eut été démontré, dans la séance du 2 août, qu’un effectif moins
considérable exposait le pays à des chances malheureuses, aussi longtemps que
Après tout ce qui
s’était passé dans cette discussion, comment se fit-il que, cinq mois plus
tard, on vota, pour l’année 1835, un budget qui ne s’élevait qu’à 39,879,000
fr. ? C’est ce dont il m’a toujours été impossible de me rendre compte,
d’autant plus qu’à cette époque l’avènement d’un ministère tory en Angleterre
avait, comme le disait un honorable député, fait jeter un cri de prévoyance par
les amis eux-mêmes les plus déclarés de la diplomatie.
Il fallait que déjà
l’on eût tout à fait oublié ce qui avait été dit, ce qui avait parut si bien
senti par tous les amis du pays, dans le cours de la discussion relative aux
crédits supplémentaires pour l’année qui n’était même point encore écoulée.
Si, lors de la
discussion du budget de 1835, on avait pu ne pas rappeler ce qui s’était passé
depuis si peu de temps, il n’était point étonnant qu’en s’occupant de celui de
1836 on se contentât de s’appesantir presque exclusivement sur un objet qui
n’avait aucun rapport avec l’ennemi ; aussi le budget de cette année fut-il
encore inférieur au précédent et adopté au montant de 36,341,000 fr.
Il fallait, messieurs,
pour arriver à de tels résultats, qu’une très grande sécurité se fût
irrévocablement emparée de tous les esprits, et cependant rien, ni dans la
politique générale, ni dans l’altitude de
« Il doit,
disait-il, suffire à la représentation nationale et au pays de recevoir ici
l’assurance la plus positive que, depuis le rapport fait en septembre 1835 sur
les négociations, il n’est intervenu aucun acte quelconque qui ait changé en
rien notre situation politique. »
Tous les
raisonnements qu’on avait fait valoir en 1833 et 1834 pour démontrer la
nécessité de maintenir nos armements ne devaient donc pas avoir perdu de leur
force : on avait été effrayé en 1834 de n’avoir eu que 17,000 hommes à opposer
à une invasion hollandaise ; et cependant on se plaçait dans la nécessité de
n’en avoir pas même autant en 1836.
En effet,
messieurs, on comptait, au moyen d’un budget de 36,341,000 fr., pouvoir, comme
précédemment, entretenir 42,000 hommes. Mais je vous ferai observer que parmi
ce nombre il se trouvait environ 10,000 recrues qui, loin de pouvoir rendre le
moindre service en avril, mai et juin, enlevaient encore à l’armée bon nombre
d’officiers et de sous-officiers exclusivement occupés à les exercer. Il y
avait donc seulement 32,000 hommes disponibles, dont un sixième devait être
retranché comme n’entrant pas en ligne, ainsi que 11,000 hommes, qui étaient
indispensables à la défense des Flandres, d’Anvers et des rives de l’Escaut.
On peut donc, sans
exagération, avancer que, durant les trois mois précités, très propres à une
reprise d’hostilités, nous n’avions véritablement que 15 à 16,000 hommes à
opposer à l’ennemi sur sa principale ligne d’opération, et, encore, en
abandonnant complètement le Luxembourg à lui-même.
Voilà la situation,
messieurs, où nous nous sommes trouvés il y a bientôt un an. Il suffira qu’elle
vous soit connue pour ne plus en exiger le retour. Nous devons tous désirer que
le budget que nous allons discuter ne perpétue pas un pareil état de faiblesse
; d’autant plus que l’infériorité du nombre, dans notre armée d’opération, est
loin d’être compensée par une bonne position militaire. Depuis plus de deux
années, cette arme est soumise à une dislocation, dont, administrativement
parlant, on a peut-être à se louer, mais qui ne lui donne pas la possibilité de
s’ébranler subitement aux premiers mouvements de l’ennemi.
En Belgique,
l’armée n’est pas, comme chez nos adversaires, groupée dans une attitude
convenable : on en trouve partout des éléments, et nulle part vous ne pouvez en
saisir l’ensemble.
Cette position
vicieuse de nos troupes prouve, messieurs, que l’amour des économies, que
l’empressement à délivrer les campagnes des cantonnements qui les gênaient, et
à accorder aux villes des garnisons qu’elles réclamaient ; enfin que certaines
mesures, prises dans les meilleures intentions, peuvent quelquefois avoir les
conséquences les plus contraires à l’intérêt public.
Dés que l’armée
n’eut plus de position militaire, le quartier-général put aussi n’en pas avoir.
Il en fut de même
de l’emplacement des généraux commandant les divisions et les brigades : dès
que les troupes furent irrégulièrement disposées, on ne tint plus à fixer bien
sévèrement le séjour des généraux.
Enfin, messieurs,
tandis que des considérations administratives absorbaient seules toute
l’attention du ministère de la guerre, par la nécessité où il était de se
renfermer dans un budget trop peu élevé, on perdit de vue les dispositions
militaires les plus essentielles ; on adopta un système fort pacifique : les
généraux furent, pour ainsi dire, privés de leurs soldats, et les soldats ne
connurent plus leurs généraux ; les états-majors furent inoccupés et mis hors
d’acquérir les qualités indispensables aux importantes fonctions qu’ils sont
destinés à remplir.
Telles sont,
messieurs, les réflexions douloureuses que fait naître la situation de notre
armée dans son état ordinaire. Mais cet état est-il le seul qui doive faire
l’objet d’une sérieuse attention ? Non, messieurs, nous avons aussi à
considérer notre armée dans l’état d’extension, que, d’un commun accord avec le
pouvoir exécutif, nous avons résolu de lui donner dans le cas d’une reprise
d’hostilités.
Ce point de vue est
même, me paraît-il, plus important que le précédent, et je doute fort que nous
obtenions une conviction bien satisfaisante de l’étude des documents imprimés
dont nous sommes en possession ; je doute fort qu’il puisse nous être démontré
qu’il soit possible d’utiliser, en cas de nécessité, le contingent de 110,000
hommes que vous avez voté il y a peu de temps encore.
Veuillez-vous
rappeler, messieurs, que le plus grand effectif que nous ayons eu, et cela en
1833, était de 95,000 hommes. Je vous ai précédemment énuméré les cadres qui
les renfermaient, en faisant remarquer qu’ils n’étaient pas trop étendus.
Ceux de
l’artillerie et de la cavalerie qui n’ont pas, jusqu’à ce jour, reçu
d’extension bien sensible, étaient tellement au-dessous de ce qu’ils devaient
être, que maintenant encore ces armes sont à peine suffisantes pour une armée
de 50,000 hommes d’après les proportions généralement admises,
Quant à
l’infanterie, sans y comprendre la garde civique mobilisée, elle comprenait 71
bataillons qui recevaient 64,000 hommes, c’est-à-dire plus de 900 par
bataillon.
Pour ce qui
concernait le garde civique mobilisée, les 26 bataillons qui la composaient, ne
renfermaient que 14,000 hommes, ce qui ne faisait qu’environ 540 hommes par
bataillon, Mais les cadres en étaient incomplets et composés d’hommes peu
habitués au service. Pour les 26 bataillons il eût fallu 745 officiers et il
n’en existait que 499.
Si donc, messieurs,
en 1833 on eût voulu porter l’armée à 110,000 hommes, il eût été très difficile
de le faire, à cause de la faiblesse des cadres ; mais, au moins, si toutes les
convenances n’étaient point remplies, il n’y avait cependant pas une
impossibilité absolue à mettre le contingent sous les armes. En est-il de même
aujourd’hui ? C’est ce qu’il s’agit d’examiner.
Messieurs, ce ne
sont pas les hommes qui manquent en Belgique : la milice telle qu’elle est
organisée, et la faculté que l’on a de ne pas la congédier en temps de guerre,
même après cinq années de service révolues, permettent au gouvernement
d’accumuler successivement plus de soldats qu’il n’est nécessaire à la défense
du pays.
En 1835, nos
régiments d’infanterie avaient 4,200 à 4,500 hommes effectifs, et dix classes
de miliciens, immatriculées dans leurs cadres, portaient chacun d’eux à 7 ou
8,000 hommes.
C’est alors, que,
pour ne pas avoir des régiments trop considérables et les réduire au complet de
leur organisation, l’on forma, sur de nouvelles bases, l’armée de réserve que
la loi du 4 juillet 1832 avait mise à la disposition du gouvernement.
Dans cette nouvelle
organisation les cinquièmes bataillons des 12 régiments d’infanterie de ligne,
ainsi que les 26 bataillons de gardes civiques mobilisés, furent supprimés, et
l’ensemble de ces bataillons fut remplacé par 26 autres, formant 9 régiments.
La conception
n’était pas sans mérite, mais il fallait l’avoir préparée de longue main et la
conduire ensuite jusqu’à complète réalisation. Malheureusement l’on avait rendu
cette tâche on ne peut plus difficile : depuis la fin de 1833, on avait sans
cesse reculé devant des promotions aussi considérables qu’elles devaient l’être
; on avait négligé tous moyens bien efficaces de former de nombreux
sous-officiers, parmi lesquels une émulation bien excitée eût promptement fait
de bons officiers d’infanterie et de cavalerie. Il s’ensuivit que les cadres
existants s’éclaircirent plutôt qu’ils ne se complétèrent, et, quand on
supprima les cinquièmes bataillons des régiments de ligne, leurs cadres furent
loin de suffire pour remplir les vides laissés dans ceux des 4 autres
bataillons de chaque régiment. En outre, au licenciement des civiques
mobilisés, 57 officiers seulement, sur les 499 existants, furent conservés au
service, et les 442 autres rentrèrent définitivement dans leurs foyers.
De ce peu d’empressement
à conserver, à former et à nommer des officiers, il résulte que l’armée qui, en
décembre 1834, comptait 3,265 officiers, y compris les 499 appartenant à la garde mobilisée, n’en avait plus, en mai
1836, que 2,698 : la diminution, en 18 mois, avait donc été de 567.
Or, messieurs, en
1833, 3,265 officiers suffisaient à peine à une armée de 95,000 hommes ;
comment maintenant mettrait-on en campagne un contingent de 110,000 hommes,
quand il n’en reste plus que 2,698 ?
Dans une telle
situation, continuer à venir demander un contingent de 110,000 hommes, et ne
point se hâter de créer le nombre d’officiers indispensables à la mise en
mouvement d’une force aussi considérable, est une véritable inconséquence, qui,
sans en imposer à nos ennemis, peut jeter le pays dans une très fausse
sécurité.
On ne doit jamais
perdre de vue que, pour constituer une armée, il ne suffit pas d’avoir des
hommes nombreux et dévoués ; il faut encore que leur courage soit bien dirigé ;
que les cadres destinés à les recevoir soient en tout conformes à
l’organisation qu’on a jugé convenable d’adopter.
Ce n’est en effet,
messieurs, que la perfection des cadres qui peut rendre supportable le système
de milice que nous a légué le royaume des Pays-Bas. Moins longtemps vous assujettissez
les hommes à rester sous les armes et en moins grand nombre vous les y
conserver, plus vous devez avoir des cadres fortement organises et qui ne
laissent rien à désirer, tant sous le rapport du nombre que sous celui de
l’expérience.
Or, messieurs, dans
leur état actuel, ceux de l’armée active elle-même ne sont pas tels qu’ils
devraient être : d’après les renseignements recueillis par la section centrale,
il manque dans l’infanterie 305 officiers, 36 dans la cavalerie et 42 dans les
troupes d’artillerie. Ce qui forme un total de 383 officiers de troupes, dont
l’absence prive chacune de ces armes d’une partie de leurs qualités
essentielles ; et cette absence se ferait certes vivement sentir le jour où les
corps seraient complétés par le retour de tous les hommes en congé.
Il n’est déjà pas
possible de laisser exister un tel état de choses par les seuls motifs qui
viennent d’être exposés ; mais quel ne doit pas être votre empressement,
messieurs, à contribuer à le changer en pensant que ce sont ces mêmes cadres
d’officiers, où il existe tant de vides, qui doivent pourvoir à ceux des
régiments de réserve qui, jusqu’à ce jour, n’en ont pour ainsi dire aucun ?
Car, vraiment, c’est une dérision que de donner ce nom au petit nombre
d’officiers inscrits sur les contrôles de ces régiments, et qui, pour la
plupart, sont déjà détachés de l’armée active. Ils sont au nombre de 119,
tandis, que les 26 bataillons de l’armée de réserve en exigent 745.
Quant aux 9
escadrons de cavalerie et aux 9 compagnies d’artillerie, que l’on a déclarés
faire partie de cette réserve, il n’existe aucun officier pour les commander,
et la cavalerie et l’artillerie de l’armée active, loin d’être à même de leur
en fournir, n’ont pas même ceux qui sont indispensables à leur propre organisation.
L’attention de
l’honorable général qui depuis quelque temps préside au département de la
guerre, est sans doute fixée sur une situation aussi peu satisfaisante ; il
doit lui paraître urgent de remplir aussitôt que possible les vacatures, et ce
ne serait pas encore assez, si, au préalable, on ne s’empressait de placer dans
la réserve les officiers que l’âge ou une faible santé rendent peu propres au
service actif.
Alors seulement il
y aurait possibilité, en certaines circonstances, de mettre cette réserve en
mouvement ; mais, dans son état actuel, il faudrait incontestablement y
renoncer.
Quand je parle de
compléter les cadres de l’armée active, je n’entends pas qu’il suffise
d’inscrire dans chaque régiment des titulaires pour tous les grades ; il faut
encore que ces titulaires soient présents et non pas, comme aujourd’hui,
détachés en assez grand nombre pour remplir diverses fonctions, qui, même en
temps de guerre, les retiendraient éloignés de leurs corps. Les officiers
compris dans cette catégorie devraient seulement être inscrits à la suite de
leurs régiments, aussi longtemps qu’ils en resteraient éloignés.
Mais, dira-t-on, ce
sont donc des promotions, des avancements, des créations d’officiers que vous
voulez ? Oui, messieurs, ce sont des promotions, des avancements, des créations
d’officiers que je veux, quand l’exige impérieusement le bien du service ;
quand, en s’en abstenant, on détruit une organisation sans laquelle le budget
de la guerre, loin d’offrir au pays les garanties qu’il doit en attendre, ne
servirait qu’à entretenir inutilement des soldats, dont toute la bonne volonté
serait paralysée par l’insuffisance du nombre et du grade des chefs qui sont
destinés à les diriger.
Pourquoi donner le
commandement d’une brigade, d’un bataillon, d’une compagnie, à un officier
qu’on laisse dans un grade inférieur aux fonctions dont il est chargé ?
Dira-t-on que cet officier n’est pas assez recommandable pour être promu à un
grade plus élevé ? Mais, messieurs, ce motif serait-il fondé, ce que je ne puis
généralement admettre, ne voyez-vous pas que l’on met cet officier dans la
position la plus difficile ? À l’infériorité de capacité qu’on lui suppose, on
ajoute encore l’infériorité du grade dans la position qui lui est imposée.
Alors, il est évidemment impossible qu’il rende d’aussi bons services que si on
l’aidait, par le grade de cette position, à faire respecter l’autorité dont il
est revêtu.
D’ailleurs, une
supposition gratuite que celle d’admettre qu’il n’y a point d’hommes capables
parmi nos officiers. Il faut les mettre sérieusement à l’épreuve dans tout ce
qui concerne leur arme, exciter leur amour-propre et leur ambition ; et l’on ne
tardera pas à éveiller en eux des talents, dont il ne serait pas juste de
supposer
Il n’y a, en tous
cas, d’autres ressources pour compléter les cadres, que celles qu’offre l’armée
elle-même ; c’est en elle que l’on doit, en comblant les vides, entretenir
cette émulation qui ne peut être, dans les temps où nous vivons, que la
conséquence de l’avancement accordé aux sujets méritants, en opposition à la
sévérité que l’on doit exercer, sans pitié, envers ceux qui se rendent indignes
de leur position.
On objectera
peut-être que la plupart des officiers ont déjà reçu par le fait de la
révolution beaucoup d’avancement ; mais, messieurs, cet avancement ne fut pas
le résultat d’une faveur personnelle : il fut, à peu d’exceptions près, celui
d’une nécessité absolue, et c’est encore à ce titre que j’en réclame de
nouveaux. De toute nécessité il faut des chefs pour nos nombreux soldats, et
dans son état actuel, comme je l’ai déjà dit, l’armée active n’aurait pas même
le nécessaire, tandis que la réserve serait incapable de se mettre en
mouvement. Ce sont là des plaies qu’il est permis de découvrir, parce qu’il est
possible de les guérir et qu’il est urgent de le faire.
Si maintenant,
messieurs, on porte son attention sur la classe des sous-officiers, on trouve,
il est vrai, leurs cadres complets dans l’armée active ; mais, dans la réserve,
il n’en existe que 1,204 où il en faudrait 2,147.
Cependant l’on ne
doit point perdre de vue que les cadres des sous-officiers ont une importance
qui ne le cède en rien à ceux des officiers ; ils sont, les uns et les autres,
d’une indispensable nécessité, et c’est un motif puissant d’encourager les
jeunes gens à se rendre aptes à occuper dignement les premiers degrés de la
hiérarchie militaire. Cet encouragement est, dans le moment actuel, d’autant
plus nécessaire, que la prospérité industrielle de
Il ne faut pas que
l’armée soit abandonnée par ceux qui doivent contribuer à la rendre digne du
pays ; il faut beaucoup faire pour retenir sous les armes les jeunes gens qui
ont reçu une première éducation ; la plupart d’entre eux ne s’y sont rangés que
dans l’espoir de porter plus ou moins promptement l’épaulette ; et maintenant,
au contraire, ils attendent presque tous avec impatience, la fin de leur
engagement pour rentrer dans leur famille.
Pendant plusieurs
années encore, l’école militaire ne suffira pas même à donner des officiers aux
corps spéciaux, et, dès lors, elle ne peut avoir aucune influence immédiate sur
la composition des cadres de l’infanterie et de la cavalerie. C’est donc, je le
répète, sur la classe intéressante des sous-officiers, que l’on doit porter
toute son attention, pour en obtenir de bons officiers ; c’est le moyen
d’exercer une heureuse influence sur l’état moral et matériel de l’armée.
Chez nos ennemis on
n’a cessé de faire les avancements qu’on jugeait propres à exciter l’émulation
parmi tous les degrés de la hiérarchie militaire : pas un poste n’est laissé
vacant, et, en cela, l’on est fidèle au principe d’une bonne organisation.
Nous sommes dans
une position où, loin de faire moins qu’eux, nous devons chercher à les
surpasser, quand il s’agit d’entretenir le bon esprit et l’énergie de la force
publique : la nécessité nous en est imposée par la faiblesse que donne à notre
défense la malheureuse disposition de nos frontières.
Messieurs, si cette
disposition, et la faiblesse qui en résulte, n’étaient pas aussi bien connues
de nos ennemis que de nous-mêmes, il y aurait peut-être de l’indiscrétion à en
parler ; mais c’est chose évidente de sa nature : il suffit, pour s’en
convaincre, de jeter les yeux sur la carte de l’ancien royaume des Pays-Bas, et
de lire, dans les papiers publics, les détails de la dislocation de notre
armée.
Chez nos
adversaires, la plus grande économie et des convenances politiques s’accordent
parfaitement, dans le placement des troupes, avec les dispositions militaires
les mieux combinées. D’une part, le Brabant septentrional contient de vastes
établissements militaires ; il y fait moins cher vivre qu’au-delà des eaux, et
les fourrages y sont abondants ; d’autre part, le cabinet de La Haye a peu
d’égards pour cette province : aux yeux des Hollandais, c’est encore le pays de
la « généralité ; » on peut, sans inconvénients, l’accabler de
cantonnements et le soumettre à un régime que l’on supporterait moins
patiemment dans d’autres parties du pays ; aussi, dans ce moment même, l’armée
active hollandaise, comme vous l’a dit M. le ministre de la guerre, s’y
trouve-t-elle en grande partie rassemblée.
Si maintenant nous
reportons notre attention vers notre propre pays, qu’y voyons-nous en regard
d’une telle position ? D’abord des établissements militaires qui donnent, il
est vrai, à
Ce n’est,
messieurs, que par une augmentation de dépenses que l’on peut contrebalancer de
tels désavantages ; heureusement, le pays ne manque pas de ressources ; il est
content de sa situation ; et, par conséquent, il doit vouloir la mettre à
l’abri d’événements désastreux.
A ce sujet, j’ai vu
avec satisfaction que M. le ministre de la guerre, en présentant des
amendements à plusieurs articles du budget de son département, n’avait point
négligé d’y comprendre une somme pour commencer à ériger vers le nord un
système de défense permanent, qui doit nous garantir les meilleurs résultats de
nos armements si coûteux et si prolongés.
Entretenir une
armée, et s’abstenir de lui créer des points d’appui dans les contrées où elle
doit manœuvrer et combattre, n’est point digne d’une nation, qui se distingue
par tant de qualités solides ; c’est vraiment exposer la fortune publique aux
chances les plus incertaines.
Si depuis deux
années les dépenses du budget de la guerre eussent été augmentées d’un
vingtième seulement, certes l’on eût entrepris, je ne dirai pas l’exécution
d’un système de défense dans son ensemble, mais déjà en ce moment l’on
posséderait un bon établissement militaire sur le Demer. Bien loin de là,
messieurs, au lieu d’améliorer notre frontière déjà si faible par sa nature,
l’on y adjuge des routes qui la rendront plus faible encore ; tandis qu’en
faisant marcher de front et les travaux militaires et les travaux civils, les
uns et les autres se porteraient de mutuels secours dans l’intérêt de la
défense.
Il faut
nécessairement renoncer à procéder comme on l’a fait jusqu’à ce jour ; il est
plus que temps, en érigeant des moyens de défense permanents, de justifier la
réputation de sagesse et de prudence que nous méritons sous tant d’autres
rapports ; mais, quel que soit l’empressement que l’on apporte à l’exécution de
travaux que réclame avec tant d’urgence l’intérêt du pays, leur influence ne
pourra pas encore se faire sentir cette année : c’est un motif puissant de
suppléer, dès à présent, à leur absence par la force et la bonne disposition de
l’armée, et cependant il ne m’est pas clairement démontré que le budget
supplémentaire qu’a présenté M. le ministre de la guerre, lui permettra de
combler toutes les lacunes qui existent dans diverses branches du service :
j’attendrai, pour fixer mon opinion à cet égard, les explications qui seront
ultérieurement données dans le cours de la discussion.
Messieurs, les
réflexions que je viens de communiquer à cette assemblée me sont dictées d’une
manière fort impérieuse, et comme député et comme membre de l’armée. Comme
député je dois veiller à ce que des dépenses aussi considérables que celles
qu’exige le département de la guerre, ne deviennent inutiles, je dirai même
fatales ; comme membre de l’armée, je suis trop intéressé à ses moyens de
succès, pour ne pas m’exprimer avec franchise sur les améliorations que réclame
son organisation.
Je serai trop
heureux si je puis contribuer à ce que nous nous réunissions tous dans une
pensée commune, celle d’assurer convenablement l’intégrité du territoire
national. Si dans ce moment nous avons quelque chose à désirer à cet égard, il ne
faut pas être sans reconnaître qu’en toutes circonstances le chef du
département de la guerre a eu à lutter contre de bien grandes difficultés : je
ne puis même pas dire de quelle nature il n’en a pas rencontré.
J’aime à croire que l’honorable général qui maintenant occupe ce poste
puisera, dans l’étendue de la responsabilité qui pèse sur lui, la force
nécessaire pour ne point manquer à sa destination. D’ailleurs, on finira par
cesser de croire que les dépenses de ce département sont tellement élastiques,
que le ministre puisse toujours couvrir sa responsabilité au moyen d’une somme
déterminée par des considérations étrangères au service dont il est chargé.
Les besoins du
département de la guerre doivent être placés en première ligne dans notre
situation, ce département est le protecteur de tous les autres, et, si on ne le
met pas à même de répondre dignement au but de son existence, on pourrait bien
reconnaître trop tard qu’il est des économies qui conduisent à la ruine des
Etats.
C’est pour
contribuer autant qu’il est en moi à ce que
M. Doignon. - Le discours que vient de prononcer
l’honorable préopinant me paraît être un plaidoyer et contre le ministère Evain
et contre la chambre elle-même, qui aurait compromis très gravement sa
responsabilité vis-à-vis du pays. D’autres orateurs, possédant plus de
connaissances que moi sur cette matière, lui répondront, je l’espère.
Dans la dernière
session, le gouvernement, voulant donner à son autorité beaucoup plus de force
sur l’armée, a demandé et obtenu des chambres législatives des lois militaires
qui ont mis à sa disposition tous les moyens dont il croyait avoir besoin. Je
désirerais connaître si le ministère de la guerre en a recueilli tout le fruit
qu’on en attendait, si la discipline et la moralité de l’armée ont fait depuis
lors quelques progrès. Pour ma part, je pense jusqu’ici que la nouvelle
législation ne peut avoir produit qu’un bien faible changement. Nous avons vu
malheureusement encore, dans le courant de 1836, certains excès comme en 1835.
La moralité d’une
armée et sa discipline constituent, selon moi, sa véritable force. C’est au
gouvernement à veiller au maintien de ce principe ; car la corruption des mœurs
militaires entraîne à sa suite tous les vices et les désordres, et avec elle on
attendrait en vain d’une armée le courage et la valeur au jour du combat.
Sans moralité point
de fidélité certaine, point de véritable amour de la patrie, Lorsque le
désordre est dans le cœur, du cœur il passe bientôt dans l’esprit, ensuite dans
les doctrines et peu après dans les actions de l’homme. Inutilement vous les
comblerez de vos faveurs : la soif des honneurs et de l’or étant devenue
insatiable, les mauvaises passions l’emportent et l’homme s’aveuglera jusque
sur son véritable intérêt. La violation du serment, la trahison, sont
ordinairement les effets de la démoralisation. Toutes les lois sont
impuissantes contre elle, et jamais vous n’appliquerez avec plus de justesse
l’axiome : Quid sunt leges
sine moribus ? vanae proficiunt.
Je dirai donc que
personne n’est plus noble à mes yeux qu’un officier vertueux, et que plus vous
en compterez de cette espèce dans l’armée, plus vous serez sûrs de son
attachement, de son esprit d’ordre et de sa bravoure. Je me plais à penser que
nous possédons un grand nombre de ces âmes nobles et généreuses. Or, avec de
tels éléments notre armée est invincible, et jamais avec elle notre Belgique ne
verra de ces fatales défections dont d’autres royaumes ont donné de si tristes
exemples.
Toutefois,
messieurs nous ne pouvons nous le dissimuler, la situation morale de notre
armée laisse quelque chose à désirer, et c’est ce que nous apprend la section
centrale elle-même dans son rapport sur le département de la guerre. S’il est
permis d’ajouter foi au contenu de ce rapport, publié dans les journaux, nous
aurions à nous affliger d’un abus grave qui existe dans l’armée. Je vais citer
textuellement ce qu’on y lit, page 66
« La deuxième
section se plaint du peu de liberté ou de tolérance dont jouissent les soldats
pour remplir leurs devoirs religieux les jours fériés. Cet abus, dit-elle,
paraît continuer malgré les ordres donnés l’an dernier par le ministre.
« Cinquième
section. - Mêmes plaintes.
« Sixième
section. - Mêmes plaintes.
« Section centrale.
- Chaque année le rapport de la section centrale a énoncé les mêmes plaintes de
la part des sections de la chambre.
« Nous ne pouvons
donc que renouveler plus fortement nos instances pour qu’enfin des mesures
efficaces soient prises contre les abus signalés.
« La liberté
des cultes n’existe plus pour le soldat dès que, par des sarcasmes ou par des
ordres mal combinés, on arrive à le détourner de l’accomplissement des devoirs
que lui impose sa religion. »
Vous venez donc de
l’entendre, messieurs, l’abus signalé ne date point de quelque temps, mais même
de plusieurs années, et à chaque session il est vainement le sujet de
pressantes réclamations à la chambre, aux sections et à la section centrale. A
cet égard mon opinion est que si, dans les différents corps de l’armée on avait
la certitude que le gouvernement voit réellement avec peine et avec un vif
déplaisir de pareils actes d’intolérance, on se garderait bien de les commettre
encore, dans la crainte au moins d’encourir le blâme et les disgrâces du ministère
dont, je dois le dire ici, tous les membres sont solidaires. Jusque-là, de
simples circulaires et tous les règlements resteront sans effet. Il me semble
qu’une administration vraiment libérale aurait depuis longtemps essayé d’autres
moyens, afin de faire respecter un peu plus la liberté du culte et de
conscience de nos soldats.
« Ce n’est pas
seulement, dit le rapport ; par des entraves de service qu’ils sont détournés
de l’accomplissement de leurs devoir, mais on attaquerait même la religion du
soldat avec l’arme du ridicule ; arme la plus dangereuse en même temps qu’elle
est la plus déloyale. »
Depuis mon entrée
dans cette chambre l’on a vu constamment, en moi, j’ose le dire, un fidèle
défenseur de nos libertés publiques. Mais les libertés des cultes et des
opinions religieuses, également proclamées par notre charte, sont à mes yeux
aussi sacrées qu’aucune autre, et je les défendrai avec le même zèle.
Tous les ans,
messieurs, une foule de griefs sont signalés à cette tribune et au-dehors
contre l’administration de la guerre, et le gouvernement persiste, malgré tout,
dans sa marche accoutumée, comme s’il était sourd à toutes nos représentations.
Le service de santé et son inspecteur-général sont spécialement l’objet des
accusations les plus graves, et le rapport nous informe qu’on se refuse même à
nous donner des explications convenables et les documents nécessaires. On se
refuse notamment à mettre sous les yeux de notre section centrale, une
instruction ou enquête tenue sur ce service par plusieurs généraux, et l’on
semble ainsi défier la chambre de pouvoir jamais atteindre les abus.
Mais le ministère,
en nous opposant ce silence plus qu’étrange, ne voit-il pas qu’il se place
lui-même dans une position tout à fait suspecte vis-à-vis du pays, et qu’une semblable
conduite doit provoquer de plus en plus les investigations et un examen sévère
de la part de la représentation nationale ? Comment n’a-t-il donc pas compris
que le seul arrêt de la cour d’assises de Namur est de nature faire planer les
soupçons les plus légitimes, et à mettre nommément l’inspecteur-général dans un
état de suspicion qui doit autoriser à son égard des mesures extraordinaires ?
Qu’on veuille bien nous répondre à cette question : S’il est innocent, pourquoi
craignez-vous de le mettre en jugement ?
Le ministère
méconnaît les droits de la chambre lorsqu’il pense qu’à l’occasion du budget
des dépenses elle ne peut s’enquérir de tous les actes de son administration
pour les contrôler et les censurer, s’il y a lieu. C’est spécialement dans cette
matière que les chambres législatives exercent, elles seules, une sorte de
souveraineté.
Puisque le
gouvernement ne craint point de manifester de la défiance envers la chambre, il
est de la dignité de celle-ci de s’en défier à son tour en refusant, ou au
moins en ajournant le crédit jusqu’à ce qu’on l’ait satisfaite. Si le service
pouvait souffrir d’une pareille mesure, la responsabilité en retomberait sur le
ministère lui-même. Mais, avec des crédits provisoires, cet inconvénient ne
peut même exister.
La chambre a encore
à sa disposition un autre moyen de vaincre l’obstination du ministère : elle
pourrait au cas actuel faire usage de sa prérogative constitutionnelle établie
par l’article 40 de la constitution, qui lui donne, de la manière la plus générale,
le droit d’enquête. Elle serait en droit par conséquent de nommer, dans son
sein, une commission chargée de nous fournir tous les renseignements
indispensables pour que la législature fût en état d’apprécier chacun des chefs
d’accusation et généralement tous les griefs imputés depuis trop longtemps aux
diverses branches de l’administration de l’armée, et notamment au service de
santé. Toute hésitation, toute demi-mesure de la part de la chambre devrait
désormais la faire considérer elle-même comme responsable en grande partie de
tout le mal dont on accuse le département de la guerre. Si les réclamations
dont cette enceinte retentit chaque année se réduisaient encore à de vaines
paroles, le ministère, une fois muni de son budget de 40 millions, n’en laissera
pas moins continuer tous les abus, et, comme les années précédentes, de toute
cette discussion, il ne restera après tout que de belles protestations de la
part de M. le ministre, sans aucun effet.
Chacun de nous, je
crois, aura vu avec surprise la demande d’une augmentation de trois millions
environ sur les dépenses de ce département. Je ne suis point encore convaincu
de la nécessité de cette augmentation, et je suis d’autant plus éloigné de
l’être que déjà le gouvernement doit trouver pour cet exercice une somme
disponible de quelques millions sur la diminution des prix d’adjudication de
certaines fournitures, telles que le fourrage, le pain, etc.
L’attitude de
Je suis obligé de
croire jusqu’ici que ce n’est qu’aux prodigalités de ce département qu’il faut
attribuer la demande de ce crédit tout à fait imprévu, et qu’au moyen
d’économies raisonnables, le gouvernement serait parvenu à trouver la nouvelle
somme qu’il pétitionne en ce moment.
Si l’on me demande,
séance tenante, quelles sont ces économies qu’il serait possible d’effectuer an
budget de la guerre, je répondrai qu’elles sont signalées dans les discussions
des budgets et les rapports des sections centrales depuis quatre ans, et si
l’on croit me fermer la bouche, comme les ministres prétendent le faire chaque
fois en pareil cas, en observant que toutes ces économies ont été précédemment
rejetées par les chambres, je répondrai avec l’honorable député de Waremme,
dans la discussion des voies et moyens, que jusqu’à présent les chambres, à mon
avis, ont été trop faciles à consentir les augmentations de dépenses, toujours
trop vivement sollicitées par le gouvernement lui-même, et que par conséquent
le vote de la chambre, à cet égard, est pour moi un mauvais argument.
Les chambres, dit
le ministère, veulent-elles donc se charger de répondre des événements. L’on a
chaque fois cherché à effrayer par ce moyen la représentation nationale.
Mais je répondrai
au gouvernement qu’il lui incombe d’abord d’entrer lui-même dans la voie des
économies, et que si, en persistant dans son système de dépenses excessives,
l’argent lui manque pour tenir sur pied une armée suffisamment nombreuse, c’est
premièrement sur lui et non sur la chambre que la responsabilité pèse tout
entière. Or, je reste persuadé, jusqu’à ce moment, que si, aujourd’hui encore,
le gouvernement voulait y apporter une bonne et ferme volonté, il trouverait,
dans les 40,000,000 environ qu’on lui alloue déjà, une somme suffisante pour
former et remplir les cadres de l’armée comme il le désire, et sa
responsabilité comme la nôtre se trouveraient ainsi complètement à couvert.
La démarche
actuelle du gouvernement pour obtenir ce nouveau crédit vous démontre, au
surplus, qu’il n’y a pas lieu, comme nous l’entendons dire chaque jour,
d’attacher une aussi haute importance à la convention du statu quo souscrite
par le roi Guillaume, puisque effectivement le pays se voit constamment obligé
de se tenir en mesure à peu près comme si cette convention n’existait pas. Quel
cas pouvez-vous faire d’un traité lorsqu’à l’instant même de sa signature vous
avez la certitude morale que la partie principale le violera à la première
occasion qu’elle jugera favorable ? Guillaume ne nous a-t-il pas assez prouvé,
en 1831, qu’à notre égard il est absolument sans respect pour la foi due aux
traités et le droit des gens ? L’intervention de deux grandes puissances à
cette convention n’arrêterait même pas, je pense, un seul instant le
gouvernement hollandais dans ses projets d’invasion, s’il trouvait moyen de les
réaliser. Il faut donc bien le reconnaître : dans la vérité, le statu quo tel
que nous l’avons, n’existe pour le roi Guillaume que par la seule force des
choses indépendamment de toutes conventions, et il est dû bien moins à la
diplomatie qu’à la nécessité et à la position que les circonstances elles-mêmes
ont faites aux deux pays.
Dans tous les cas,
il est impossible de concilier la demande du nouveau crédit de M. le ministre,
avec la promesse d’un désarmement partiel qui nous a été faite en 1833 par le
discours du trône.
Il me reste à vous
présenter quelques observations générales sur le budget du département de la
guerre. Ce budget s’élève à peu préès à 40 millions,
comme les années précédentes. Qui croirait qu’une somme aussi énorme se dépense
tous les ans, en très grande partie, sans le contrôle voulu par la
constitution, c’est-à-dire le visa préalable de la cour des comptes ? C’est
cependant ce qui existe : tandis que, pour toutes les administrations, les
ordonnances de paiement sont soumises à la cour, pour le département de la
guerre ce sont le ministre ou les intendants qui ordonnancent comme il leur
plaît, et sans aucune surveillance.
Il est temps de
faire cesser enfin un pareil état de choses. Depuis cinq ans, près de 200
millions ont été dépensés de cette manière. La cour des comptes désire sans
doute elle-même qu’on règle un mode de comptabilité pour la guerre plus
conforme à ce que prescrit la constitution ; et le ministère depuis longtemps
aurait dû, à cet effet, se concerter avec elle. Ne pourrait-on pas établir une
distinction entre les dépenses de différente nature ?
On conçoit qu’il en
est qui ne peuvent être soumises aux règles ordinaires. Par exemple, pour la
solde du soldat qui se paie pour ainsi dire jour par jour, il ne paraît pas
possible de recourir chaque instant au visa préalable. Mais la solde des
officiers supérieurs peut fort bien être acquittée tous les mois comme les
traitements de beaucoup de fonctionnaires. Pourquoi cette dépense ne
serait-elle pas assujettie au visa préalable ? Il en est de même des
fournitures, des approvisionnements et de bien d’autres dépenses qui ne se
paient qu’après un certain délai. On établirait des exceptions pour les cas de
guerre ou d’entrée en campagne. Il est certain qu’il y a possibilité de créer
un autre mode de comptabilité qui assure une surveillance réelle. Lorsque
depuis si longtemps des plaintes graves s’élèvent de toutes parts contre
l’administration de la guerre, le gouvernement doit vivement désirer lui-même
une autre organisation, et de plus longs retards seraient maintenant
inexcusables.
Jusqu’à présent les sections de la chambre n’ayant aucune donnée
certaine pour l’examen des dépenses, se voient obligées d’en adopter les
chiffres de confiance et en aveugles.
J’aurais désiré
voir proposer une légère réduction sur la solde du soldat, qui me paraît
évidemment trop élevée en comparaison de ce qui se paie au soldat français. Je
suis persuadé que cette mesure n’affaiblirait aucunement l’attachement et la
fidélité de nos braves miliciens.
J’appellerai enfin
l’attention du gouvernement sur un point important : il est généralement
reconnu que la loi actuelle appelle nos miliciens à un âge trop jeune. A l’âge
de 18 ans, l’homme, en Belgique, n’a point encore une constitution assez robuste
pour supporter les fatigues des exercices militaires. Il résulte de là que
beaucoup trop de miliciens doivent être réformés ou ajournés, et que nos
hôpitaux sont remplis de malades. Qu’on interroge les médecins qui assistent
aux conseils de milice, tous sont à cet égard d’un avis unanime. L’Etat, le
trésor et l’humanité y gagneraient à la fois si nos jeunes gens étaient appelés
un peu plus tard au service de la milice.
M. de Puydt. - J’ai fait partie de la section
centrale de la guerre, et dans cette commission j’ai été opposé aux réductions
qui avaient été proposées. Je ferai connaître les motifs particuliers de cette
opinion à mesure que nous entrerons dans la discussion des articles séparés du
budget. Maintenant j’ai à présenter à la chambre les considérations tout à fait
générales qui me portent à considérer comme indispensable la nécessité de
maintenir un armement formidable en Belgique.
Un premier rapport
de la section centrale chargée de l’examen du budget de la guerre se termine
par ces mots :
« Nous avons
accordé au ministre un budget suffisant pour un nombre de 46,000 hommes à tenir
sous les armes pendant l’année entière. »
Ce nombre se
composerait de 43,450 sous-officiers et soldats et de 2,866 officiers.
Il n’y a personne
parmi vous, messieurs, ou au moins parmi ceux qui n’ont pas fréquemment
occasion de s’occuper des détails de l’organisation militaire, qui ne se soit
persuadé, d’après cela, que
Il importe de ne
pas commettre à cet égard de méprise ; car, faute de se rendre exactement
compte de l’état des choses, on pourrait se tromper étrangement sur
l’importance du vote.
Le budget de la
guerre tel qu’il est établi comprend les allocations nécessaires pour tout ce
qui constitue l’état militaire de
L’armée active ;
Les garnisons
indispensables, en cas de mobilisation de cette armée ;
Les dépôts des
régiments, les compagnies sédentaires et de discipline, la gendarmerie et la
réserve ;
Les administrations
et les non-combattants :
Le tout sur pied de
paix et non sur pied de guerre.
Si l’on isole de
cet ensemble l’armée proprement dite, celle qui doit combattre l’ennemi en
campagne, on reconnaîtra que nous avons sous les armes dans le sens qu’il
importe d’attacher à ces mots, moins de la moitié de ce que le rapport
semblerait promettre.
Cette armée serait
d’ailleurs loin d’être mobile, puisque le budget ne pourvoit pas aux dépenses
que nécessiterait dès le premier jour le moindre mouvement de concentration des
corps qui la composent ; puisqu’enfin nous n’aurions aucune allocation pour
vivres de campagne, transports de munitions et d’approvisionnements, et pour le
complet des ambulances.
Un budget
supplémentaire vous a été soumis dans le but d’augmenter l’effectif en solde de
l’infanterie, l’effectif réel des troupes du génie ; de pourvoir à des moyens
matériels de défense, qui, combinés avec les mouvements des troupes de toutes
armes, contribuent à accroître la force d’action de celles-ci ; de reconstituer
les ambulances et moyens de transport.
Le rapport de la
commission à laquelle ce budget supplémentaire a été envoyé vous dit : (Voir
les paragraphes 10 et 11 de la page 3 de ce rapport.)
Appliquons encore
ici l’observation que j’ai faite plus haut : faisons la distinction entre les
éléments qui composent la force militaire du pays, et nous devrons reconnaître encore
une fois que si le budget de la guerre solde 46,000 hommes, nous sommes fort
loin d’avoir 146,000 hommes sous les drapeaux, et quoique le budget
supplémentaire augmente les crédits de trois millions, il est, à mes yeux, loin
d’être suffisant.
Si je n’avais la
conviction que le gouvernement hollandais connaît notre situation intérieure
peut-être mieux que nous-mêmes, j’aurais pu hésiter à en parler avec autant
d’abandon et de liberté ; mais outre que l’état des forces militaires d’un pays
ne peut plus être aujourd’hui un secret pour un pays voisin intéressé, du
reste, à le connaître, je suis mu ici par une autre considération c’est qu’en
détruisant, pendant qu’il en est temps encore une sécurité à laquelle je crois
dangereux de se livrer davantage, nous trompons bien plus l’espoir de nos
ennemis que nous ne pourrions les servir par des révélations inutiles pour eux.
Cette sécurité de notre part augmente leur force ; en la faisant cesser, nous
prouvons par là qu’il nous reste et le pouvoir et la volonté de nous garantir
contre une surprise.
Pour rendre la
question de notre état militaire bien sensible, il faut l’envisager dans le
sens le plus étendu.
Elle se présente
sous deux points de vue :
Attitude militaire
de
Attitude militaire
de
De ces deux
positions résultent des conditions diverses.
Faire la
révolution, repousser les Hollandais sur leur territoire, les empêcher de
rentrer dans des provinces qu’ils n’abandonnent qu’à regret ; amener enfin par
des efforts constants et des sacrifices continus, la consolidation de notre
indépendance, c’est la une situation extraordinaire qui exige une attitude
formidable et des dépenses excessives, sans doute, mais nécessaires.
Dans la situation
ordinaire vers laquelle nous tendons ; quand
Voilà, messieurs,
sous son double point de vue, la question tout entière. Il s’agit, pour ce qui
nous concerne en ce moment d’examiner dans laquelle des deux positions nous
nous trouvons.
Incontestablement
nous sommes dans la première, et sous l’empire de circonstances qui nécessitent
l’armement le plus considérable et les plus grands sacrifices de tous genres.
Je vais essayer de
démontrer que nous n’avons pas agi conséquemment à ces nécessités, que nous
avons devancé le temps, confondu deux époques distinctes, et que nous nous
trouvons dans cette périlleuse alternative de n’avoir pas les forces militaires
convenables pour l’état de guerre, et d’avoir une armée trop nombreuse pour
l’état de paix.
En d’autres termes,
le vote du contingent de 110,000 hommes est conforme à l’état de guerre. Les
allocations du budget sont avec ce vote en contradiction évidente.
Cette anomalie vous
a été signalée dernièrement par un honorable général, elle est sentie par un
grand nombre d’entre vous : mais il m’a semblé qu’on n’en saisissait pas bien
les conséquences possibles, faute peut-être d’en apprécier convenablement les
causes.
Je dirai à cet
égard mon opinion avec toute la franchise que l’importance de la question
réclame, et je la motiverai par un petit nombre de considérations très
générales. Lorsqu’en 1830 nous avons conduit les Hollandais au-delà de leur
frontière, nous ne les avons pas vaincus complètement, puisque nous ne les
avons pas obligés à reconnaître notre indépendance. La tentative du mois d’août
1831 l’a prouvé une première fois. Leur conduite depuis lors le prouve chaque
jour davantage.
Pour
Six ans se sont
passés sans apporter la plus légère modification à son organisation et à son
altitude militaire, si ce n’est toutefois pour les consolider ; et, fidèle à
son invariable politique, elle a investi son gouvernement d’un pouvoir fort et
de moyens indispensables pour agir promptement, sans égard à la grandeur des
sacrifices.
Vainement
Le fait, au
contraire, démontre que l’armée ennemie est une armée d’invasion.
Mais il n’en est
point ainsi ; une armée mobile, en avant d’une pareille ligne de défense, est,
militairement parlant, une armée offensive. Elle n’a pas besoin de manifeste
écrit, son attitude seule est une proclamation permanente de ses desseins :
elle ne peut vouloir qu’une chose, c’est d’être en mesure de saisir sans retard
la première occasion favorable de fondre sur nous.
Pour
En agissant comme
elle le fait,
La révolution nous
a faits ce que nous sommes. Une attitude militaire formidable doit être
longtemps encore la seule garantie du droit que nous nous sommes faits, en
opposition à la force que l’ennemi conserve pour le détruire. Les moyens
diplomatiques ne sont qu’une ressource secondaire. Nous devons avant tout
maintenir notre révolution par les armes nationales, car si l’ennemi venait à
renverser l’édifice que nous avons élevé, à quoi serviraient les négociations ?
Voyons cependant où
nous en sommes sous ce rapport.
Pendant l’année
1832, l’armée belge était portée à son maximum. L’organisation des corps et
celle des différents services pouvaient laisser à désirer, mais au moins
l’armée était sur pied de guerre, elle était animée d’un bon esprit ; elle
était mobile, elle offrait en présence de l’ennemi une force numérique
suffisante.
En 1833, l’effectif
s’est trouvé sensiblement réduit ; les vivres de campagne ont été en partie
supprimés ; plus de moitié des troupes a été envoyée en congé, ou répartie dans
des garnisons éloignées du point de concentration, pour soulager le pays
accablé par les cantonnements.
En 1834,
progression toujours décroissante pendant quelques mois par l’influence de la
convention du 24 mai 1833, jusqu’à ce que les événements du Luxembourg vinssent
signaler le danger de notre position et nous forcer à rappeler un plus grand
nombre d’hommes sous les armes. Néanmoins l’effet de ce retour à des mesures de
prévoyance fut de courte durée.
L’année 1835,
ramenant bientôt la sécurité dans les esprits, fut le signal d’une nouvelle
dispersion de nos forces.
Aujourd’hui,
l’armée est à son minimum ; elle est en partie disloquée et immobilisée, non
dans des positions choisies stratégiquement, mais réglées par des motifs
d’économie seuls ; c’est-à-dire en plaçant le plus souvent les troupes dans des
lieux où il existe des moyens de logement et des facilites de vivre à bon
marché. Toute louable que soit l’économie en principe général, elle devient
dangereuse quand elle contribue à diminuer aussi évidemment nos moyens
défensifs.
Ce n’est pas la
première fois que j’appelle l’attention de la chambre sur cette position. J’ai
déjà démontré, il y a trois ans, que dans une circonstance où tout nous faisait
une loi d’être sérieusement sur nos gardes, la partie mobile de l’armée ne
présentait momentanément qu’un effectif de 17,000 combattants pour résister à
la presque totalité des forces hollandaises. L’événement qu’on pouvait craindre
alors n’a pas eu lieu, c’est vrai ; mais le danger n’en était pas moins réel ;
il n’a pas cessé depuis.
Oui, messieurs, si
en 1832, nous étions en mesure de repousser avec succès une attaque aussi
soudaine que possible de la part des Hollandais, nous en sommes venus, par des
réductions successives en 4 années, au point que le plus hardi de nos généraux
n’oserait certainement plus répondre de tenir la campagne en présence des
Hollandais, restés intacts dans leur force primitive.
Notre attitude
militaire n’est donc plus ce qu’elle était ; elle n’est plus en rapport avec
l’éventualité des besoins, avec la force que l’ennemi continue à nous opposer,
et si l’on fait attention à la série d’événements passés depuis 4 années, on
doit convenir que c’est à notre confiance dans les secours étrangers que ce
résultat est dû. Cet état d’extraordinaire quiétude où nous sommes tombés,
est-il cependant bien justifié ? L’intervention de la diplomatie a-t-elle
apporté à notre position politique un changement qui nous permette de négliger
nos moyens matériels de défense ? a-t-elle détruit la possibilité d’une seconde
irruption des Hollandais ?
Voilà ce qu’il
importe d’examiner pour juger l’utilité ou le danger du désarmement auquel nous
sommes arrivés peu à peu.
L’intervention nous
a offert des traités, et nous a prêté le secours d’armées amies. Mais ces
projets de traités nous ont, par un cercle vicieux, ramenés au point de départ
en nous replaçant, le 21 mai 1833, dans la position acquise en 1830. Les
secours qui nous ont été prêtés sont accidentels, non seulement ils peuvent
nous manquer à l’occasion, il est même raisonnable de croire qu’il deviendra
impossible plus tard qu’on nous les donne toujours.
Aussi, est-ce
volontairement que nous nous sommes faits petits, à une époque où les craintes
inspirées par notre propagande pouvaient nous faire grands. Aussi, avons-nous
accueilli avec empressement, avec exagération même, les témoignages d’amitié
politique dont on a bien voulu nous honorer alors. Nous avons eu foi dans les
puissances, nous avons cru à l’infaillibilité des traités promis, des alliances
offertes ; et c’est j’ose le dire, de cette confiance trop entière que provient
une propension à l’imprévoyance, dont le danger nous apparaît aujourd’hui.
Cependant les
traités, qui en général sont vrais le jour où on les conclut, peuvent ne l’être
plus le lendemain. Ils ne sont qu’un lien bien fragile, quand la nécessité,
l’intérêt, l’occasion, et surtout quand la prédominance des faits accomplis,
viennent les contrarier. Un traité n’a pas de valeur par lui-même, ni par sa forme.
Qu’il soit provisoire, qu’il soit définitif ; qu’on l’appelle convention, qu’on
l’appelle traité, il n’aura d’autre durée que celle résultant du maintien d’un
équilibre d’avantages réciproques sur lequel on l’aura fondé. Si la balance
penche un moment d’un côté plus que de l’autre, si cet équilibre vient à se
rompre, le contrat est violé par le premier qui voit un avantage à le faire. Ce
n’est pas là une théorie hasardée, c’est le résultat de l’expérience de tous
les siècles passés.
Y a-t-il un seul
traité, même définitif, qui n’ait été violé de la sorte ? Y a-t-il une seule de
ces violations qu’on n’ait justifiée par de spécieuses raisons, par
l’invocation même des pactes antérieurs, ou, par le succès des armes ? Je ne le
crois pas. Un traite définitif est donc à mes yeux une chose aussi difficile a
maintenir qu’une paix perpétuelle.
L’état normal de la
société humaine, il faut malheureusement le reconnaître, c’est la guerre. La
paix n’est jamais qu’une trêve ; cherchons donc à rendre cette trêve aussi longue
que possible, par des moyens matériels indépendants des conventions, tant pour
rendre les conventions plus fortes que pour les suppléer au besoin.
D’après cette
manière de voir, je ne puis admettre qu’un traité nous offre une garantie
absolue qui nous dispense de l’obligation de chercher à nous rendre forts. Je
ne puis enfin apprécier sa garantie relative que sous certaines conditions dont
je viens d’exposer le principe.
Le projet de traité
du 15 novembre ne les contenait pas ces garanties.
Fait pour nous, en
notre nom et sans nous, il avait cependant été accepté par
Néanmoins, ce
traité, tout illusoire qu’il ait été, ne laisse pas que d’avoir exercé une
influence sur les esprits par une de ses conditions, sur le sens de laquelle on
n’a jamais été d’accord et qui, à mon avis, n’a pas de sens : c’est la
neutralité.
Voilà, messieurs,
encore une de ces choses que personne ne comprend ; que personne ne peut
raisonnablement définir, dont on a été dupe dans tous les temps, et dont on
sera dupe jusqu’à la fin des siècles.
Parmi les
différentes interprétations données à cette condition de neutralité, il en est
deux qui peuvent signifier quelque chose en elles-mêmes :
1° Comme condition
imposée à un pays, de ne s’armer ni pour la défense, ni pour l’attaque ;
2° Comme convention
entre les puissances, de respecter un territoire étranger, même dans leurs
propres querelles.
Evidemment, la
première condition serait absurde pour
Quant à la seconde
manière de l’interpréter, la condition dont il s’agit se détruit d’elle-même.
Ecrire dans un
traité de paix une condition qui n’a d’application qu’en cas de guerre est
évidemment une absurdité, puisque la guerre annule les traités en faisant
prévaloir des intérêts nouveaux. Ce n’est là qu’une combinaison morale sans
effet possible, si l’on n’y joint pas des garanties naturelles ; car il ne
suffit pas de vouloir, il faut encore pouvoir être neutre.
La neutralité ne
défend pas un pays, si ce pays n’est pas en mesure de défendre sa neutralité.
Parce que des
puissances seront convenues entre elles de se rendre solidairement responsables
de l’intégrité du territoire d’un Etat, faut-il que l’Etat ainsi protégé en
apparence reste désarmé ? qu’on n’y prenne aucune disposition défensive ? Non
certes ; la prétendue neutralité serait un piège ; elle compromettrait le pays
qui en serait l’objet. Car pendant la paix cette espèce de protection est
indifférente, et s’il y a guerre au contraire, un intérêt plus immédiat et plus
puissant que celui d’où dérive la neutralité pousse alors le plus habile à
occuper ou traverser le territoire soi-disant neutre pour assurer les manœuvres
de ses armées, sans s’arrêter à une convention qui par son essence même ne peut
durer plus longtemps que la paix. L’histoire ne nous présente pas une seule
neutralité qui n’ait été violée. Et sans remonter bien haut, voulez-vous savoir
comment la sainte-alliance entend la neutralité de l’espèce dont il s’agit,
lisez la déclaration officielle qui a précédé la violation du territoire suisse
en 1814 ; il y est dit textuellement :
« Qu’une vraie
neutralité ne peut exister sans la possession d’une véritable indépendance.
Qu’elle est sans cela, pour l’Etat neutre, un mot vide de sens, et pour le
voisin qui s’en prévaut, un glaive à deux tranchants. »
On doit se
rappeler, messieurs, que pour joindre sans doute l’exemple au précepte, la
sainte-alliance s’est emparée de ce glaive à deux tranchants, afin de se donner
un avantage sur son adversaire.
Fiez-vous après
cela sur des neutralités de conventions.
Je dis, messieurs,
que si quelques-uns d’entre vous ont pu croire aux avantages de cette position
factice, il faut qu’ils reviennent de leur erreur. Jamais ces vaines stipulations
ne doivent nous dispenser d’une obligation sacrée, celle de compter sur
nous-mêmes, avant tout, pour la défense de notre territoire et de notre
indépendance.
L’espèce de
désarmement auquel nous sommes arrivés est une anomalie que j’ai expliquée par
l’influence des traités et de la politique extérieure ; je rappellerai à
l’appui de cette allégation ce qui s’est passé dans cette chambre en 1835, à
l’occasion de la convention du 21 mai et des résultats qu’elle devait amener.
Un honorable
membre, partisan des réductions de notre état militaire, disait alors :
« Le
désarmement pour
« La
convention du 21 mai a laissé le roi de Hollande seul en face de son peuple et
de l’Europe : que
C’était là une
opinion personnelle, mais exprimée par un homme influent dans ces sortes de
questions. Elle promettait des résultats propres à séduire. Il n’est donc pas
étonnant que d’autres l’aient partagée ; il n’est pas étonnant qu’on s’y soit
plus ou moins abandonné, sans trop le savoir peut-être et sans en prévoir les
conséquences ni le danger.
Cependant, un
pareil système pouvait facilement être renversé par le plus inattendu des
événements.
Qui nous garantit,
en effet, que la veille d’une crise du genre de celle annoncée, le chef du
gouvernement hollandais, soit par désespoir, soit par une inspiration du génie,
n’aura pas recours à un de ces moyens extrêmes qui terminent quelquefois, comme
un coup de tonnerre, les plus inextricables embarras ?
L’homme qui a rompu
la trêve en 1831, peut la rompre encore ; et si, après une marche de 4 jours,
l’armée hollandaise, profitant de notre imprévoyance, vient planter son drapeau
sur les tours de Bruxelles, attendrons-nous que
Et l’Angleterre,
calculant les chances probables d’une autre série de faits accomplis, ne se
trouvera-t-elle pas obligée de sacrifier notre indépendance d’un jour à une
autre combinaison d’équilibre européen produite par ces faits ?
Voilà, me
semble-t-il, une solution aussi près de nous que celle résultant d’une crise
financière en Hollande, et cette solution doit être dans les prévisions du roi
Guillaume puisqu’il maintient son armée à 4 jours de notre capitale.
Loin de moi la
pensée de suspecter les intentions des puissances médiatrices. Je suis
convaincu, au contraire, qu’elles agissent toujours de bonne foi, dans le
moment où elles agissent. Mais je suis convaincu aussi que quand les événements
viennent les dominer, elles sont entraînées, souvent malgré elles, dans une
marche opposée à ces intentions premières. C’est donc contre les nécessités
subites auxquelles on sacrifie parfois le faible pour le salut général qu’il
faut se prémunir. Evitons d’être le faible dans une lutte possible.
Je respecte autant
que je le dois les transactions de peuple à peuple, sans croire qu’il faille se
mettre à la merci de personne. Je considère les traités et les alliances comme
des engagements sacrés aussi longtemps qu’ils sont observés par nos protecteurs
ou nos adversaires ; mais rien au-delà.
La politique des
cabinets est chose incertaine de sa nature, parce qu’elle est plus ou moins
subordonnée aux événements. Elle est surtout incertaine sous les gouvernements
de majorités.
Voyez ce qui s’est
passé récemment en France, voyez comme on s’y est débattu pour échapper à
l’exécution des conventions les plus formelles. Que cette circonstance ne soit
pas perdus pour nous.
En conseillant à
Je me résume en peu
de mots :
La révolution belge
n’est pas terminée, du moment qu’il suffit d’un fait matériel pour la détruire
et que ce fait matériel reste à la disposition de l’ennemi.
Il n’y a pas de
nation en Europe qui ait aussi essentiellement besoin d’une armée puissante que
la nation belge, parce qu’aucune n’a les mêmes périls à courir.
Dans l’armée belge
est le salut du pays : dans l’armée est son avenir tout entier.
Il importe donc de
rendre à cette armée sa force numérique. Il importe de rétablir les parties de
son organisation qui ont été affaiblies par des économies trop répétées.
Il importe
principalement de créer une barrière permanente contre
Avec une armée bien
constituée nous pouvons attendre les événements, nous pourrons même au besoin
les subir sans reproche.
Nous combattrons si
Nous négocierons si
l’on veut, mais les armes à la main, afin de ne les déposer qu’après en avoir
reçu l’exemple de ceux qui nous disputent encore notre nationalité.
Deux fois un allié
nous a prêté son secours. Je ne chercherai pas à démêler les causes politiques
vraies ou supposées qui nous ont valu ce secours, mais je dirai qu’il n’y faut
plus compter. Outre que ces causes peuvent être neutralisées par le temps comme
cela est dans la nature des choses, outre que des circonstances peuvent
momentanément paralyser les forces de cet allié, n’est-il pas convenable,
n’est-il pas juste, qu’après six ans d’organisation, nous soyons en mesure de
nous passer d’une intervention qui pourrait nous faire faute au moment le plus
périlleux ! Enfin, puisque nous sommes censés avoir une armée égale à celle de
l’ennemi, faisons que ce soit une vérité et non une fiction.
L’honneur national d’ailleurs est-il désintéressé dans une pareille
question ? N’y a-t-il pas de la honte pour un peuplé de 4 millions d’habitants
de ne pouvoir se défendre seul contre un voisin qui n’a qu’une population de
moitié moindre ?
Et l’armée belge !
Pense-t-on qu’elle doive être insensible à de tels affronts ?
Sera-t-elle
toujours exposée à souffrir la dédaigneuse protection du soldat étranger ?
Pour savoir ce
qu’il en coûte à l’amour-propre militaire, il faut avoir fait partie de cette
armée en 1832 pendant le siège d’Anvers : il faut avoir eu, comme nous, à
dévorer en silence l’humiliation que ne nous épargnaient ni les soldats ni les
officiers, par des allusions plus ou moins directes à une inaction que nous
n’avions pas demandée.
J’en ai supporté ma
part à cette époque, par respect pour la loi ; je déclare ici que je n’en veux
plus pour l’avenir.
M. F. de Mérode. - Messieurs, depuis plusieurs
années nous dépensons des sommes considérables pour l’entretien de nos forces
militaires. C’est une chose fâcheuse, sans doute, pour
Que des innocents
comme ceux de Strasbourg parviennent à exciter en France la guerre civile, et à
doter inopinément leur patrie du bonheur que les factions procurent à l’Espagne
; que d’autres chances malheureuses atteignent l’Etat puissant qui a été le
plus ferme appui de notre nationalité naissante ; certes, messieurs, il
faudrait aussitôt pouvoir exclusivement compter sur nous-mêmes et résister
seuls aux tentatives hostiles dont nous serions menacés. Il convient donc de
tenir nos forces militaires en position de garder sûrement le pays et ne point
l’exposer aux vicissitudes que d’étroites économies laisseraient toujours
planer sur notre avenir.
Nulle part une concentration
permanente et bien entendue d’un corps d’armée suffisant pour tenir tête à une
attaque soudaine, n’est plus facile qu’au centre de
Mais il ne suffit
point, messieurs, de réaliser des combinaisons purement matérielles ; il faut
qu’une nation s’attache aussi particulièrement à relever le moral de son armée
; car l’armée, comme le disait un ministre à la tribune de France, l’armée
c’est le patriotisme organisé ; la bonne tenue du soldat, la certitude des
soins qui lui sont assurés dans les ambulances et les hôpitaux ; les places à
la nomination du gouvernement réservées autant que possible aux hommes de bonne
conduite, qui ont servi comme sous-officiers pendant plusieurs années
conformément à l’usage admis par le gouvernement prussien ; l’avenir embelli
par une certaine aisance offerte en perspective aux militaires qui, après un
grand nombre d’années passées sous les drapeaux, parviennent aux grades
supérieurs : tels sont, messieurs, les encouragements que je voudrais voir
constamment présentés aux citoyens qui se dévouent à la profession des armes.
Chez nous, au contraire, rien de plus médiocre, par exemple, que la position
d’un général dont la fortune personnelle ne supplée pas à la modicité de ses
appointements. Le chef dont l’intelligence et le courage doivent utiliser la
valeur de plusieurs milliers d’hommes qui coûtent à l’Etat deux millions par
année, le commandant d’une brigade belge ne reçoit que 11,600 francs, sur
lesquels il est obligé de prélever le loyer d’une habitation pour lui et ses
aides-de-camp, conforme à son grade, avec écurie pour cinq ou six chevaux, les
frais de son équipement et de ses uniformes que l’intempérie du ciel souille
quelquefois dans une revue, l’acquisition de chevaux de selle du prix de 1,500,
1,800, 2,000 fr. qu’il doit renouveler s’ils éprouvent des accidents (je
connais un officier supérieur qui en a perdu en peu de temps pour une somme de
13,000 fr.) ; puis l’espèce de décorum toujours si cher entourant l’homme qui
porte le titre de général et qu’on lui fait payer partout, quand il voyage et
qu’il réunit quelques officiers à sa table.
J’entends dire
quelquefois que la plupart de nos généraux ont obtenu un avancement rapide, et
qu’ils doivent heureux ; mais aussi que d’années écoulées sous le régime
précédent, lorsqu’ils étaient toujours brimés par les Hollandais ! est-ce parce
qu’un général belge a obtenu justice ou même faveur par suite de notre
affranchissement, qu’il doit être indéfiniment dans la gêne et plus maltraité
qu’un général français ou prussien ? Le maréchal-de-camp français, commandant un
département, et affranchi de bien des charges qui pèsent sur nos généraux de
brigade, dans notre état mixte entre la paix et la guerre, reçoit par an près
de 3,000 francs de plus que ceux-ci, et cependant la vie coûte ordinairement
moins cher, le luxe est moins grand dans les chefs-lieux des départements
français que dans nos riches capitales de provinces, telles qu’Anvers, Liége,
Gand, et je dirai même qu’à Mons, Bruges et Namur. On me dira peut-être que le
traitement de nos ministres est aussi bien faible, comparé au traitement des
ministres français, que tout est à l’avenant en Belgique, qu’on y veut le
gouvernement à bon marché. Je ne suis pas chargé de faire l’apologie du
traitement des ministres belges, mais après tout, les uns dirigent les affaires
de 32 millions d’hommes, les autres de 4 millions seulement, et je demande
quelle différence il y a entre une brigade belge et une brigade française, si
ce n’est que les soldats reçoivent un franc de poche tous les cinq jours
en-deçà et cinq sols au-delà de Quiévrain.
Je n’ai point parlé
de la nourriture des chevaux compensés tant bien que mal par le fourrage. Mais
en résumé, lorsqu’un général a payé un loyer de 3 à 4 mille francs pour lui,
ses aides-de-camp et son écurie, quand il a fait les avances d’acquisition et
d’entretien de chevaux, de leur ferrage et équipement, de ses uniformes, de ses
tournées obligatoires, car un général ne peut demeurer dans son fauteuil, que
lui reste-t-il à l’âge où père de famille, il a presque toujours plusieurs
enfants à élever ? Le plus strict nécessaire dans le rang social qu’il occupe ;
non, je dis moins que le nécessaire, et nos généraux de brigade en activité,
belges ou français de naissance, sauf rare exception peut-être pour les
célibataires, ne suffisent point avec leur traitement aux exigences de la
position qu’ils occupent, position qui n’a rien de commun avec celle des
employés de l’ordre civil, parce que les dépenses y sont facultatives, et que
dans l’état militaire, surtout dans la hiérarchie supérieure, elles sont
forcées, très considérables et souvent imprévues.
Messieurs,
n’oublions jamais que la sûreté, l’honneur, et les plus chers intérêts d’un
pays dépendent des chefs de l’armée. En vain serait-elle bien organisée si la
tête est faible. Et pourquoi les hommes capables poursuivraient-ils jusqu’au
bout la carrière des armes, si le nec plus ultra de la fortune y mène à une
sorte d’indigence relative ? Si j’ai particulièrement insisté sur la modicité
du traitement des généraux de brigade, ce n’est pas que j’approuve la
différence qui existe entre les appointements des généraux de division belge et
des lieutenants-généraux français on prussiens. Je désire, et je crois
indispensable qu’il y ait assimilation à cet égard entre
Maintenant,
messieurs, puisque je vous entretiens du moral de l’armée belge et de la
nécessité d’y maintenir l’émulation, par la perspective d’une fortune, qui ne
sera pas excessive quand elle atteindra, au maximum, le bien-être du
maréchal-de-camp ou d’un lieutenant-général des armées françaises, je vous
parlerai du moral pris dans son acception rigoureuse. Assurément, messieurs, je
ne veux point me livrer à des investigations inquisitoriales semblables à
celles qui furent récemment dirigées, dans cette chambre, contre les ministres
d’Etat. Je ne veux point attribuer à des personnes, ou à des catégories de
personnes, telles ou telles idées ou absences d’idées religieuses ; mais
puisque l’on nous a signalé, non sans apparence de fondement, les mauvais
effets de certaines intolérances, sans doute exceptionnelles, j’ai le droit de
dire dans cette enceinte, où nous votons chaque année le contingent de la
milice, qu’il est contraire au devoir et à l’honneur d’un officier d’éloigner
le soldat des sentiments qu’il a puisés dans sa famille et qu’il apporte au
régiment. C’est bien assez que la patrie demande au père de famille les plus belles
années du fils qu’il a élevé et qui passe sous les drapeaux, sans que le
sacrifice coûte à l’un et à l’autre les fruits de l’éducation morale et
religieuse que le premier a donnée, que le second a reçue. Libre à chacun de
régler sa conduite individuelle comme il l’entend, de croire pour lui-même
qu’un uniforme et des épaulettes changent entièrement les rapports extérieurs
de l’homme avec la divinité, que l’église appartient exclusivement à la blouse
et au frac bourgeois ; mais de semblables pensées n’autorisent point celui qui
les a conçues à les inculquer aux jeunes gens dont l’Etat lui confie le
commandement militaire. Qu’il les forme aux manœuvres et à la discipline, qu’il
s’occupe de leur tenue et de leur santé, qu’il évite de leur donner l’exemple d’habitudes
peu d’accord avec la civilisation progressive dans laquelle nous croyons
marcher, il accomplira sa mission loyalement, et personne ne s’enquerra de ses
opinions intimes, ni de l’application privée qu’il jugera convenable d’en
faire.
Je m’explique,
messieurs, d’autant plus franchement sur des abus, que je ne considérerai
jamais avec l’indifférence qu’éprouveraient à leur égard ceux qui ne songent
qu’aux besoins matériels, je m’explique d’autant plus franchement, dis-je, que
personne plus que moi ne prend à cœur les intérêts des bons et braves officiers
de notre armée. Jamais on ne m’entendra demander le retard de leur promotion
aux emplois vacants. Jamais je ne chercherai à les priver de subventions ou
indemnités que le ministre de la guerre accorde sur des motifs équitables.
Oui, messieurs, le
service militaire chez nous doit être soigné, encouragé, plus particulièrement
que dans tout autre pays. Sans lui, en effet, pas de Belgique. Une restauration
de dynastie n’est ailleurs qu’une mutation plus ou moins fâcheuse de
gouvernement. Ici elle nous remettrait
sous le joug d’une autre nation, dont les organes officiels ne cessent
de nous traiter avec des formes pleines de mépris et de haine.
Le 20 octobre
dernier, un ministre parlant à la tribune de La Haye (le ministre des
finances), ne qualifiait-il pas encore notre affranchissement de révolution
« aussi perfide dans son origine, aussi honteuse dans son dénouement, que
pernicieuse dans ses conséquences ? »
Un membre des
états-généraux, M. Belaerts, vers la même époque,
s’exprimait en ces termes :
« Tout
récemment encore, il n’aura échappé à personne que le discours par lequel le
prince qui, à sa honte, a ramassé dans la boue de Bruxelles la couronne de
Belgique, a ouvert les soi-disant chambres belges, a parlé du maintien de
droits et d’institutions. Cependant personne n’a appris, que nous sachions, que
cette couronne, à ce qu’il paraît déjà vermoulue, ait été attaquée. Quels sont
donc les droits et les institutions qu’il s’agit de conserver ? Est-ce pour
cela peut-être qu’on s’oppose encore à la reprise des négociations ? Quoi qu’il
en soit, on doit toujours s’attendre à une reprise d’hostilités ; c’est pour
cette raison que le soin de déterminer la force de l’armée doit rester au
gouvernement.
Le ministre de
l’intérieur ayant pris la parole après M. Beelaerts,
insiste aussi sur le maintien d’une armée considérable. « La loi
fondamentale, dit-il, ne prescrit le renvoi de la milice dans ses foyers qu’en
temps de paix. Nous ne sommes pas en état de guerre, mais nous sommes beaucoup
moins encore en état de paix. Lorsqu’il s’agit de rebelles, qui eussent été
réduits de nouveau à l’obéissance si des événements du dehors n’étaient venus
mettre fin à cette glorieuse campagne de l’auguste commandant en chef de notre
armée, de rebelles qui persistent dans leur défection et veulent rester séparés
de nous, le mot de paix ne peut recevoir aucune application. La convention de
1815 défend, il est vrai, la reprise des hostilités et je ne crois point que le
gouvernement actuel de
Ce sont les dévoués
sujets de la maison d’Orange qui tiennent un tel langage, et cette maison qui,
selon les idées de M. Beelaerts, aurait ramassé le stadhoudéat dans les bourbiers néerlandais en excluant son
souverain, le roi d’Espagne, de tout pouvoir en Hollande, exclue aujourd’hui du
pouvoir en Belgique, pour des prétentions et des actes qu’elle condamnait
hautement en révolutionnant les provinces bataves, n’est pas comme la plupart
des familles princières déchues errante en pays lointains, sans puissance, sans
armée à ses ordres. Elle est à nos portes, maîtresse de forces militaires
toujours prêtes à marcher au premier signal. En outre elle compte des partisans
à l’intérieur de notre pays, peu nombreux à la vérité, mais que nous laissons,
au préjudice du gouvernement qui doit protéger notre indépendance, envahir le
pouvoir dans certaines villes populeuses, où un serment dérisoire prêté a la
constitution, établit des autorités hollandaises.
Un pareil ensemble de libertés combinées contre nous-mêmes par je ne
sais quelle malencontreuse confiance dans le hasard, avec le voisinage qui
menace nos frontières que ni l’art, ni la nature ne protègent, exige
certainement la tutelle d’une armée compacte, bien commandée, toujours en
mesure de parer aux événements imprévus. Soyons assez mal avisés pour maintenir
d’imprudentes réductions sur son effectif, pour perpétuer de mesquines retenues
sur les traitements accessoires des chefs actuellement placés dans une position
inférieure à la dignité du commandement, qui exige dès frais notables
nécessaires au bien du service, et le peuple belge soldera durement tôt ou tard
ces ruineuses économies.
Que
C’est ainsi,
messieurs, que nous conserverons autant que possible le gouvernement à bon
marché, et que nous assurerons les droits et les intérêts de nos commettants.
M. Dumortier. - Messieurs, je ne m’attendais pas
à prendre dans cette discussion la parole sur les objets dont vous ont parlé
les honorables préopinants. Mon intention était de vous entretenir des abus qui
existent dans certaines parties de l’administration de la guerre, et
spécialement dans ce service de santé qui a été l’objet de tant de plaintes
dans le pays. Mais quand j’ai vu prendre la parole pour chercher à faire
retomber sur la chambre, et sur ses votes la responsabilité de la
désorganisation dans laquelle se trouve notre armée en ce moment, je me suis
dit qu’il fallait abandonner pour le moment la question du service de santé,
pour vous entretenir de ce que la chambre a fait pour l’armée, de ce que le
gouvernement aurait dû faire et n’a pas fait pour organiser l’armée ; je tiens
à le démontrer : oui, la chambre est pure de tout reproche qui pourrait lui
être adressé ; jamais on ne pourra rien lui imputer de ce qui tient à la
désorganisation de l’armée, à l’état où se trouve notre armée. D’un autre côté,
il n’est que trop vrai l’état de crise et de malaise où on nous dit que l’armée
se trouve. Mais il est uniquement le fait du ministère, le fait du
gouvernement.
Depuis l’époque de
la révolution, il n’y a pas de ministre qui ait fait régner la justice dans
l’armée. Sans justice pas d’armée, sans justice pas de discipline, parce que la
discipline c’est la justice. Depuis l’époque de la révolution, ce qu’on devait
faire pour assurer la défense du pays, on ne l’a pas fait. Au lieu de consacrer
les fonds votés par la législature à fortifier les frontières par lesquelles
nous pouvions être attaqués, on les a employés à fortifier les frontières de
C’est cette
confiance qui a été cause de nos désastres du mois d’août, et qui pourrait
encore aujourd’hui nous plonger dans de nouveaux malheurs.
Et c’est nous qu’on
représente comme un dissolvant de notre armée, nous qui n’avons cessé de nous
plaindre qu’on mît tout sa confiance dans la diplomatie, nous, qui n’avons
cessé de demander qu’on en appelât au courage de nos soldats, qu’on secouât la
poussière dont notre drapeau avait été souillé dans les plaines de Louvain,
nous qui avons déploré au fond du cœur ces jours à jamais honteux où l’on vit
le soldat étranger souiller notre territoire, pour faire nos affaires. Nos
soldats se sont écriés avec douleur : On n’a donc pas confiance en nous pour
défendre la patrie.
Et on a avoué ici
que les corps militaires avaient reçu, en 1831, plus de fonds qu’ils n’en ont
dépensé ; et de plus, il est facile de démontrer qu’il en a été ainsi chaque
année. Vous savez, en effet, que chaque année il y a eu des excédants sur le
budget de la guerre qu’on vous a proposé de porter sur d’autres objets. Qu’on
ne dise donc pas que c’est à la législature qu’on doit imputer le fâcheux état
où se trouve notre armée comparativement à l’armée hollandaise.
J’en appelle à vos
souvenirs ; est-il un seul d’entre vous qui ait jamais voulu qu’on n’accordât
pas de promotions aux officiers ? Est-il un seul d’entre vous qui se soit
opposé aux promotions dans les grades inférieurs ? Il faut que le pays sache
que la chambre a voté toujours les cadres au grand complet ; et si le
gouvernement n’a pas fait de promotions dans ces grades, c’est qu’il ne l’a pas
voulu. C’est donc une grande injustice que de représenter la chambre comme
ayant refusé ce qui était nécessaire pour les avancements.
Quand je dis que la
chambre ne s’est pas opposée aux avancements, je me rappelle fort bien, et je
ne désavoue pas ce j’ai dit, dans une autre occasion, relativement aux grades
supérieures, que les officiers qui ont obtenu quatre ou cinq grades dans les
premiers jours de la révolution, ne devaient plus obtenir de grades que sur les
champs de bataille ; aussi, quand nous demandons des avancements, ce n’est pas
pour les sommités. Messieurs, il n’est que trop vrai que depuis la révolution
tous les cadres de sous-officiers sont dans le découragement, parce que rien
n’a été fait pour eux ; cependant vous avez voté des fonds pour les cadres
complets, et vous avez mis le gouvernement en mesure de s’opposer au
découragement. Qu’est-il arrivé de la conduite du gouvernement ? C’est qu’un
grand nombre de sous-officiers, c’est que des hommes dévoués à la patrie, vont
chercher dans le sein de leurs foyers un avenir qui ne se présente plus à eux
dans la carrière militaire : Est-ce que la chambre a voulu des économies
capables de produire un tel effet ? Non, certes, puisque la chambre a toujours
voté les cadres au grand complet. Il est bon, je le répète, que le pays
connaisse tous ces faits.
L’empereur, qui
savait ce qu’il fallait pour les armées, donnait de l’avancement aux
sous-officiers, et dans les circonstances critiques il disait : « J’ai des
maréchaux sous les épaulettes de laine. » Eh bien, les épaulettes de
laine, chez nous, n’ont pas eu d’avancement depuis la révolution ; la position
des officiers inférieurs et des sous-officiers est déplorable en la comparant à
celle des officiers supérieurs ; la position des officiers d’infanterie est surtout
déplorable comparativement à celle des officiers du même grade dans la
cavalerie. Le sous-lieutenant d’infanterie est dans une position plus précaire
qu’il n’est en France. C’est pour les officiers inférieurs et pour les
sous-officiers qu’il fallait des améliorations, les officiers-généraux ont des
traitements suffisants ; il n’y a d’inconvénients que dans la position des
officiers inférieurs et des sous-officiers, et c’est là qu’il faut porter le
remède.
L’armée est dans un
état de dislocation contre lequel on réclame ; qu’a fait le gouvernement pour
amener l’armée à cet état ? Il a bouleversé de tout en tout le système du roi
Guillaume, système dont les bases existent encore aujourd’hui. Sous le roi
Guillaume chaque dépôt se trouvait dans une des villes principales, de manière
que le soldat pouvait, dans le plus bref délai, et au premier coup de baguette,
se réunir dans le dépôt central.
Mais le
gouvernement actuel qu’a-t-il fait ? Il a envoyé les dépôts à trente ou
quarante lieues des corps, et les militaires sont dans l’impossibilité de
rejoindre leurs régiments en cas d’hostilité : c’est à ces mesures que l’on
doit attribuer l’impossibilité où l’on dit que nous sommes de résister aux
Hollandais en cas d’invasion, Par exemple, on a mis à Liége le dépôt des
miliciens d’Ypres ; nous pourrions citer d’autres exemples d’arrangements aussi
ridicules. Comment voulez-vous que
J’ai fait allusion
à l’état de nos fortifications. Parcourez les budgets que vous avez votés ;
vous verrez que vous avez voté des millions pour les fortifications ; comment
ces millions ont-ils été employés ? Ils ont été employés à fortifier les places
du côté de
M. de Brouckere. - Il n’y arriverait pas si
vite.
M. Dumortier. - Je dis qu’aucun point sur la
frontière hollandaise n’est fortifié, tandis qu’on a employé des fonds considérables
sur divers points de la frontière de France.
Je dis, en outre
que des sommes énormes ont été votées pour la construction des casernes ; que
ces casernes auraient dû être faites vers
Messieurs, sous le
ministère de l’honorable M. de Brouckere qui a, lui, constitué une armée, nous
avions quatre-vingt mille hommes sons les drapeaux ; cependant alors nous
n’avions que quinze régiments d’infanterie. Le corps d’artillerie était très
bien organisé, quoiqu’il n’eût pour chef qu’un simple colonel ; nous avions un
corps de génie commandé par un chef qui avait le titre de général de brigade.
Depuis cette
époque, nous avons voté au budget tout ce qu’on nous a demandé ; de quelle
manière les crédits accordés ont-ils été employés par le gouvernement ? Il a
créé d’inutiles états-majors : nous avions quinze régiments, aujourd’hui nous
en avons 24 ; nous n’avions qu’un colonel à la tête de l’artillerie, elle est
commandée par un général de brigade, en attendant un lieutenant-général ; nous
avions un général de brigade à la tête du génie, aujourd’hui c’est un général
de division qui le commande ; ainsi les fonds que nous avons votés pour
conserver à l’état des forces qui pussent résister à l’ennemi, ces fonds ont
été employés à créer des états-majors.
Et en même temps
qu’on créait des états-majors, on refusait de donner aux officiers inférieurs
et aux sous-officiers ce qui leur était nécessaire ; car chez nous tout est
fait pour les officiers supérieurs, rien n’est fait pour le simple officier.
Vous voyez combien
est vrai cet argument qui sert de base à mon discours : que les chambres ont
toujours voté les crédits que l’on a demandés, et que ces crédits ont toujours
été plus que suffisants.
La somme votée au
budget de 1835 pour la solde des régiments était de 10,400,000 fr.
Il est résulté de
la situation du trésor, prêtée par M. le ministre des finances le 21 novembre
1835, qu’au 1er novembre il restait à dépenser 3,800,000 fr.
De manière que sur
la somme votée il n’a été dépensé, en dix mois, que 6,600,000 fr.
Voilà ce qui
résulte de la comparaison du budget avec le chiffre du tableau présenté par M.
le ministre des finances, et faisant connaître l’état des dépenses au 1er
novembre 1835.
Je ne m’explique
pas comment il se fait que l’on prétende aujourd’hui qu’il ne reste plus que
9,000 fr. sur cet exercice ; car j’ai peine à comprendre comment en deux mois
d’hiver, lorsque l’armée est rentrée dans ses foyers, on emploierait près de 4
millions pour la solde, surtout quand il est constant que la solde se paie
toujours à l’avance. Ainsi l’on ne peut pas prétendre que l’on a payé après le
jour échéant.
Je me borne à
signaler ce fait ; le chiffre porté au budget de 1835 est de 10,400,000 fr. ;
la somme restant en caisse au 1er novembre est de 3,800,000 fr.
Ainsi il est
constant que chaque année la législature a voté des fonds à suffisance pour le
budget, qu’elle n’a jamais refusé un crédit, excepté celui des frais de table
des généraux ; que jamais elle n’a refusé un crédit pour le maintien de notre
armée. Jamais elle ne s’est opposé en aucune manière à ce que les officiers
inférieurs obtiennent le juste avancement auquel ils ont droit. C’est ce que
j’avais à cœur de démontrer au pays, pour que la chambre reste pure de tout
reproche, qu’on pourrait lui adresser, pour qu’on sache qu’en toute
circonstance elle a fait son devoir.
Parlerai-je
maintenant des moyens dissolvants employés par le gouvernement relativement à
la discipline, de cette théorie que l’on a fait valoir que les chefs supérieurs
sont impeccables, sont infaillibles. La discipline c’est la justice. La loi
militaire est assez arbitraire : si l’arbitraire n’est pas réglé par la
justice, il n’y a plus de confiance de la part des subordonnés dans leurs chefs
; et lorsqu’il n’y a plus de confiance, il n’y a plus d’armée.
Parlerai-je des
tracasseries sans nombre que l’on a fait subir aux braves patriotes, des
injustices perpétuelles dont ils ont été l’objet, eux à qui vous devez vos
épaulettes, eux qui nous ont placés dans cette enceinte, eux qui ont été
acteurs dans la révolution, et sur qui nous devons fonder notre espoir au cas
d’un agression de
Parlerai-je des
abus qui se sont passés, au vu et au su du gouvernement, dans diverses branches
du service de l’armée, abus scandaleux et criants, dont
Comment est-il
possible qu’une armée soit forte et marche comme un seul homme lorsque la
justice n’y règne pas, lorsque chacun peut se dire : « Notre chef, notre
commandant commet des actes répréhensibles ; nous le savons tous, et nous ne
devons pas nous attendre à le voir punir, tandis que nous, pour le plus petit
acte qui déplaît à un chef, est immolé sans pitié. »
Si vous voulez une armée pour la défense du pays, arborez franchement
les principes de la révolution gravés dans les cœurs de tous les Belges, dans
les cœurs de tous les soldats. La révolution a été faite pour la justice et la
vérité. Faites régner la justice dans l’armée, et vous aurez des hommes sur
lesquels vous pourrez compter. Mais si vous prétendez faire régner l’injustice,
c’est impossible. Lorsqu’il se présente les abus les plus graves, les plus
scandaleux, les plus criants, si au lieu de les réprimer, vous les approuvez,
l’état de l’armée deviendra de plus en plus déplorable.
Au reste, je suis
heureux que cette discussion ait lieu aujourd’hui. Il était temps de faire
connaître au pays la cause du malaise actuel ; il était temps de mettre le
doigt sur la plaie.
Lorsque nous
viendrons à l’article relatif au service de santé, la chambre fera voir, je
pense, qu’elle n’est pas disposée à passer légèrement l’éponge sur les abus les
plus scandaleux.
M. le ministre de la guerre (M. Willmar). -
L’honorable orateur qui vient de parler a terminé son discours en parlant
d’abus du service de santé ; je le suivrai sur-le-champ sur ce terrain.
Cette question que
j’aborde la première m’est en elle-même complètement étrangère. Lors de mon
arrivée au ministère, il y avait en instruction une dénonciation d’un officier
du service de santé contre son chef ; je reconnais qu’elle portait en général
sur des faits déjà passés. J’ai admis, sans trop approfondir la question, qu’il
était possible que quelques-uns des abus signalés eussent véritablement eu
lieu. Mais j’ai pensé qu’avant tout il convenait de prendre des mesures qui
assurassent la bonne marche du service pour le présent et l’avenir. C’est ce
que j’ai fait. Cependant j’ai continué de chercher à réunir toutes les lumières
possibles sur la question. Mais je puis dire que de l’examen approfondi que
j’ai fait est résultée pour moi la conviction qu’il n’y avait pas à reprocher
au chef du service de santé un acte de malversation, et que les faits d’où il résulterait
que la santé du soldat serait mal soignée et compromise, avaient en général peu
d’importance et étaient loin d’être constatés.
Je suis prêt à
entrer dans l’examen approfondi des faits, lorsqu’on le voudra. Mai je dois
dire que s’il s’est trouvé quelques irrégularités d’administration, aucun fait
contre la probité et l’honneur ne peut être imputé au chef du service de santé.
J’ai pris des
mesures d’après lesquelles il y aura plus de régularité dans la comptabilité,
et d’après lesquelles je serai moi-même plus facilement instruit de l’intérêt
des questions médicales relatives à la santé du soldat. Tout ce que je puis
faire, c’est de tenir la main à ce que les abus ne se représentent pas ou se
représentent le moins possible.
Je suis donc, je le
répète, prêt à examiner la question, à répondre à toutes les interpellations, à
examiner les faits un à un, quoique je ne croie pas que ce soit ici la place de
cette discussion.
Mais j’ai besoin de
donner auparavant une explication sur un reproche adressé au ministre de la
guerre, à propos d’un refus de communications.
Il résulte du
rapport même de la section centrale que le ministre de la guerre a annoncé à la
section centrale que si dans le moment même il n’avait pas besoin des pièces
officielles pour préparer ce qu’il avait à dire à la chambre, il était prêt à
les lui communiquer. Cette offre a été constatée dans le rapport de la section
centrale ; ces pièces qui n’ont pu être remises en temps opportun sont à la
disposition de la chambre.
Je vais maintenant
répondre aux griefs allégués par l’honorable préopinant.
Il a prétendu qu’il
n’était pas donné d’avancement aux sous-officiers et que les traitements des
officiers inférieurs ont été diminués.
Les cadres de notre
armée sont remplis d’officiers qui étaient sous-officiers au moment de la
révolution. On fait tous les ans des promotions parmi les sous-officiers. Si
l’on n’a pas rempli les cadres, c’est parce qu’on a été sous l’influence d’un
esprit d’économie qui l’a emporté sur beaucoup d’autres considérations. On fera
désormais tout ce qui sera jugé nécessaire et possible pour mettre l’armée sur
un pied où elle puisse être vraiment utile, si la chambre veut accorder les
sommes demandées, sans y faire de réductions notables.
On dit que les
traitements des officiers-généraux avaient été augmentés, ou, au moins, qu’il
en avait été donné beaucoup, tandis que les traitements des officiers
inférieurs avaient été diminués. C’est précisément le contraire qui a eu lieu ; à la fin de
1831, il a été apporté des changements notables à la solde des officiers de
l’armée belge ; les traitements des officiers généraux ont été conservés tels
qu’ils étaient, mais à partir du grade de colonel, jusqu’à celui de capitaine,
ils ont été diminués, tandis que les traitements des lieutenants et
sous-lieutenants ont été conservés tels qu’ils étaient sous le gouvernement
hollandais. Or, il est de notoriété publique que sous le gouvernement
hollandais les traitements proprement dits étaient plus considérables dans
l’armée des Pays-Bas que dans l’armée française ; je sais fort bien que comme
sous-lieutenant d’une arme spéciale dans l’armée française, j’ai touché 1,100
fr., tandis que dans l’armée belge les sous-lieutenants d’infanterie touchent
1,480 fr., près de 1,500 fr.
On a dit que les
sommes accordées pour la solde des troupes avaient été dépensées en nominations
d’officiers généraux : les officiers généraux sont tous portés dans les
développements du budget et jamais on n’est sorti des allocations qui leur
étaient attribuées ; on tient au ministère de la guerre une comptabilité plus
précise encore que celle qui est réglée par le budget, et toujours on se
renferme exactement dans les allocations ; c’est ce dont la section centrale a
pu se convaincre : elle a pu voir qu’on y rend compte mois par mois des
dépenses faites sur chacun des crédits qui figurent au budget.
Un honorable
préopinant a parlé des états-majors qui, d’après lui, auraient également
absorbé une partie des fonds qui auraient dû recevoir une autre destination ;
les officiers, messieurs, dont se composent les états-majors sont en nombre
insuffisant, et c’était là un des objets que j’avais d’abord l’intention de
comprendre dans les amendements que j’ai eu l’honneur de vous présenter ; si je
ne l’ai point fait, c’est que j’ai reconnu qu’il fallait au préalable opérer
une réorganisation des états-majors.
On a dit que les
fonds qui avaient été votés pour construire des casernes avaient été dépensés
sur la frontière de France ; je ne sache pas, messieurs, qu’on ait voté de
fonds pour construire des casernes ; seulement, en 1835, on a accordé à un
certain nombre de régences un subside, on leur a fait une avance pour
construire non pas des casernes, mais des écuries. Les villes les plus
rapprochées de la frontière de France auxquelles ce subside ait été accordé
sont celles de Namur et de Charleroy (En
note de bas de page du Moniteur, on lit : Ainsi que les villes de Tournay et
d’Ypres.) Or, comme il était question de faire des écuries pour
l’artillerie et la cavalerie, ce n’était pas sur la frontière hollandaise qu’il
fallait les construire. Toutes les personnes qui ont quelques notions de
tactique, d’administration militaire savent très bien que la cavalerie et
l’artillerie étant des armes plus précieuses que les autres, elles ne doivent pas
être cantonnées en avant, mais placées de manière à être plus à l’abri d’un
coup de main. On n’a donc, en plaçant de la cavalerie et de l’artillerie à
Namur et à Charleroy (En note de bas de
page du Moniteur, on lit : Ainsi que les villes de Tournay et d’Ypres.),
rien fait qui soit en opposition avec les véritables intérêts de la défense du
pays contre
On a dit encore que
les sommes votées pour la construction de forteresses ont été dépensées à
construire des fortifications sur la frontière de France : aucune somme,
messieurs, n’a été employée à construite sur la frontière de France des
ouvrages de fortifications neufs ; on n’a fait autre chose qu’entretenir les
bâtiments militaires et apporter aux fortifications, proprement dites, les réparations
nécessaires pour les empêcher de tomber. On a fait des constructions neuves
pour lesquelles on a dépensé des sommes considérables, mais c’est à Anvers, à
Termonde, Ostende, toutes places qui peuvent être considérées comme situées en
première ligne. Des places fortes, on n’en a point créé de nouvelles, mais
lorsqu’on regardait la reprise des hostilités comme possible et même comme plus
ou moins probable, on a fait beaucoup de fortifications de campagne sur des
passages de rivières et autres points stratégiques, même autour de quelques
places qui semblaient le plus exposées aux attaques de l’ennemi, mais ces
fortifications ont eu le sort des ouvrages de leur nature ; elles n’ont pas
duré au-delà du temps pour lequel elles étaient destinées. Des ouvrages de
cette nature rendent des services proportionnés à ce qu’ils coûtent.
On a parlé de la
mauvaise disposition des dépôts et des obstacles qu’elle apporterait à la
prompte réunion des différents corps de l’armée. Messieurs, d’après un système
adopté depuis longtemps, on réunit dans les régiments des miliciens de toutes
les provinces, de là il résulte nécessairement que les dépôts sont éloignés du
domicile de quelques-uns des miliciens : si le dépôt qui se trouve à Ypres est
fort loin du domicile des miliciens qui appartiennent à la province de
Luxembourg, il est très près du domicile des miliciens des Flandres, et si on
le rapprochait de la province de Luxembourg pour rendre plus facile la jonction
des miliciens de cette province, on l’éloignerait nécessairement des miliciens
des Flandres. Cet état de choses tient donc à un système qui est depuis
longtemps en vigueur et qui a certainement des avantages, mais nullement à ce
que le gouvernement aurait mal choisi les lieux où se trouvent les dépôts.
On peut encore
ajouter que les garnisons ne restant pas toujours dans les même lieux, tel
dépôt qui, un jour se trouve éloigné de son régiment, s’en trouvera rapproché
un autre moment, car on ne fait pas suivre les dépôts parce que le déplacement
des dépôts entraîne des dépenses assez grandes et d’autres inconvénients qu’il
faut éviter autant que possible.
On a parlé à deux
reprises différentes d’injustices qui seraient commises dans l’armée, et on dit
à ce propos : « La justice est la discipline ! » Moi, je renverserai
le mot et je dirai : « La discipline est la justice ! » Je pense
qu’il faut toujours chercher à faire régner la discipline dans l’armée ; c’est
au moins ce que je me propose de faire ; quand je verrai un chef accusé par ses
subordonnés surtout d’une manière inconvenante, surtout en termes injurieux,
mon premier mouvement sera toujours de prendre la défense du chef parce que la
chose essentielle c’est que les chefs soient obéis. Mais les inférieurs qui se
croient lésés ne manquent pas de moyens réguliers pour faire parvenir leurs
plaintes, sans dénaturer les faits dans les journaux.
Aucun chef
d’ailleurs n’oserait se refuser à transmettre lui-même la plainte qu’aurait à
faire un de ses subordonnés. Car celui-ci trouvera toujours tôt ou tard
l’occasion d’en parler lui-même ; certainement on n’accordera pas légèrement
des audiences à tous les officiers de l’armée, car le ministre de la guerre ne
peut pas mettre tout son temps à la disposition des deux mille officiers
qu’elle renferme ; mais si la plainte est fondée, on parviendra toujours à la
communiquer au ministre dont la responsabilité sera engagée à ce qu’il remonte
à la source pour faire vérifier les faits et les faire cesser s’ils sont
abusifs. D’ailleurs, ce qu’on ne fait pas soi-même, on le fait par ses parents
ou amis et les plaintes tant soi peu fondées parviennent toujours à leur
destination.
On a dit de nouveau
que les officiers de la révolution, comme on vient de les appeler, n’étaient
pas traités d’une manière assez favorable ; l’armée est remplie, messieurs,
d’officiers qui ont fait leurs premières armes pendant la révolution ;
lorsqu’ils se conduisent bien, ils sont toujours traités plutôt avec faveur
qu’avec défaveur ; on comprend qu’étant passés officiers peu après leur entrée
dans l’armée, ils n’ont pas pu acquérir sur-le-champ l’habitude de l’obéissance
; pour ces motifs, on a pour eux certains ménagements. Lorsque dans les
premiers temps du gouvernement provisoire, je fus appelé à concourir à
l’organisation de l’armée, je me suis attaché à faire reconnaître les services
qui venaient d’être rendus à la révolution. Mais il me semble aussi qu’après
avoir reçu une position en acquit de ces services, ce n’est plus par eux seuls
qu’on doit conserver sa position, mais en remplissant les devoirs qu’elle
impose ; que les officiers dont il s’agit se conduisent ainsi, et toute justice
leur sera rendue, mais quand ils ne le feront pas, ils n’auront aucun droit à
un privilège. (Adhésion.)
Voilà, messieurs,
la conduite qui, je pense, a été tenue jusqu’à présent, et que je me propose de
tenir dans la suite : je suis très satisfait d’avoir l’occasion de le déclarer
dès le commencement de l’exercice de mes fonctions de ministre. (Très bien ! très bien !)
On a parlé d’une
somme de 10,000,000 de francs votée en 1835 pour solde de l’infanterie et qui
au 1er novembre 1835 n’était pas dépensé ; les comptes officiels du ministère
des finances ne comprennent que les dépenses vérifiées par la cour des comptes
; or, messieurs, au 1er novembre 1835 la cour des comptes n’avait pas examiné
les dépenses faites jusqu’à cette époque ; il restait plusieurs mois dont les
dépenses n’étaient pas vérifiées.
Par conséquent,
elles n’avaient pas dû être renseignées dans un document officiel ; mais les dépenses
qu’on aurait trouvées faites au ministère de la guerre auraient été beaucoup
plus considérables.
Je pense,
messieurs, avoir rencontré les attaques principales soulevées par les
honorables préopinants. Il me reste à en aborder une qui me paraît d’une assez
grande importance, pour que je ne laisse pas échapper l’occasion d’y répondre.
On a parlé,
messieurs, de l’intolérance qui serait exercée envers les soldats et qui aurait
pour but de les empêcher de remplir leurs devoirs religieux.
Je puis déclarer à
la chambre que jusqu’à ce jour aucun acte de semblable intolérance n’est venu à
ma connaissance ; je puis dès lors regarder cette allégation comme peu prouvée,
au moins pour moi. J’avoue que pour ma part j’y ajoute peu de foi. Qui pourrait
d’ailleurs se rendre coupable de pareils actes ? Sont-ce les officiers ? mais
j’ai beau consulter mes souvenirs, je ne puis comprendre comment, eu égard à la
nature de leurs relations avec les soldats, les officiers pourraient détourner
ceux-ci de l’accomplissement de leurs devoirs religieux, en se permettant de
leur faire de mauvaises plaisanteries, quand ils voudraient aller à l’église.
L’existence de pareils faits me paraît donc très douteuse ; s’il venait à ma
connaissance qu’ils fussent réels, certes j’emploierais toute l’autorité, et
surtout toute l’influence administrative pour les faire cesser.
On a dit encore
qu’en choisissant mal les heures des inspections ordinaires on empêchait encore
le soldat de remplir ses devoirs religieux.
Depuis mon entrée
au ministère, j’ai reçu une seule observation de cette nature, et c’est cette
observation qui m’a fait rappeler la circulaire par laquelle mon prédécesseur
avait défendu dans tous les corps de l’armée d’imposer aux soldats un service
qui peut les occuper la moitié des heures des dimanches et jours de fêtes ;
pour cela, messieurs, l’on a renoncé à faire des inspections, des revues de
dimanche, qui ont cependant une utilité réelle pour le maintien de la propreté,
de la réunion, et des mouvements d’ensemble des troupes.
Aussi longtemps
qu’on ne voudra pas organiser un service religieux officiel, en quelque sorte,
ce qui, je pense, ne serait pas d’accord avec la constitution, la mesure que je
viens de rappeler sera nécessaire, mais je pense en même temps qu’elle est
suffisante. En effet, partout, dans les villes où les soldats sont placés, le
service religieux a lieu régulièrement ; les soldats ont dès lors toutes les
facilités possibles pour y assister.
Il m’est donc
permis de croire que l’administration a fait à cet égard tout ce qu’on pouvait
attendre d’elle.
Un des faits les
plus graves que l’on ait énoncés, est celui qu’en égard à la dislocation de
notre armée, celle de notre ennemi pourrait facilement tenter un coup de main
jusque sur la capitale. Je ne dirai pas que je trouve convenable cette
dislocation de l’armée, puisque je me propose de la changer. Je dirai cependant
que cette dislocation a eu lieu dans des vues d’économie, et pour affranchir
les communes du fardeau des cantonnements. Toutefois la dislocation de l’armée
n’est pas telle qu’on ne pût réunir assez à temps un nombre suffisant de
bataillons, pour repousser une invasion soudaine de l’ennemi.
D’ailleurs,
messieurs, il ne se passera pas quinze jours sans que nos bataillons soient
renforcés dans les limites les plus étendues, au moins, où l’état actuel du
budget de la guerre m’a permis d’agir.
De
toutes parts. - Très bien !
très bien !
M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Si la
chambre me refusait les fonds que j’ai demandés, je serais plus tard obligé de
réduire ces mêmes bataillons dans une proportion non moins forte. ; et c’est
dans ce sens que j’ai engagé ma responsabilité, ainsi que dans une des
dernières séances de la chambre, j’avais annoncé l’intention de le faire.
M. de Bassompierre, commissaire du Roi. - Messieurs, je n’ai demandé la parole que pour
réfuter un argument de M. Dumortier qui prétendait qu’au 1er novembre, il
restait une somme disponible sur la solde de l’infanterie de 3,834,929 96.
Cette supposition provient de ce que sa trésorerie ne porte dans ses situations
que les dépenses déjà admises par la cour des comptes ; or, au 1er juillet,
elle n’avait encore admis que celles des 7 premiers mois de l’année, celles des
mois d’août et septembre étaient soumises à la régularisation et les pièces du
mois d’octobre étaient encore à ladite date dans les mains des administrateurs
du trésor qui les avaient acquittées.
M.
Seron. - Messieurs, j’ai quelques mots à dire qui me semblent devoir
trouver place dans la discussion générale du budget de la guerre où il paraît
qu’on peut parler de tout. Un docteur en médecine très connu à Bruxelles, où il
jouit d’une bonne réputation de probité et de capacité, M. Deneufbourg-Rogy,
avait, sous l’ancien gouvernement, rempli pendant plusieurs années les
fonctions de médecin militaire ; après d’honorables services il avait donné sa
démission. Au commencement de la révolution, le gouvernement provisoire le
remis en activité, l’appelant à faire partie du conseil chargé de diriger le
service sanitaire. Ce conseil fut dissous par un arrêté du 5 janvier 1831, et
ses membres furent mis à la disposition du commissaire général de la guerre.
Mais, dans la nouvelle organisation du service, M. Deneufbourg
n’obtint ni emploi, ni traitement, ni pension, malgré les droits que lui
donnait un arrêté du 10 novembre 1830 qui avait confirmé la validité des
brevets délivrés par le gouvernement provisoire, et réglé le mode d’avancement
et le rang d’ancienneté et de grade des officiers. Cet oubli a été l’objet de
diverses réclamations remises par M. Deneufbourg aux
ministres qui se sont succédé depuis 1831. Mais n’ayant obtenu que des réponses
évasives et des compliments, il s’est adressé à la chambre le 12 mars 1835, et
la chambre a, le 25 août de la même année, renvoyé sa pétition au ministre de
la guerre avec demande d’explications. Les explications ne sont pas encore
arrivées. En attendant, M. Deneufbourg est toujours
en disponibilité, mais sans traitement. Je voudrais savoir pourquoi on a laissé
dans cette singulière position un homme dont les connaissances pouvaient être
utiles au pays, tandis qu’on donnait de l’emploi à tant d’autres assurément
moins capables. Du reste, les reproches, ici, ne peuvent s’adresser à M.
Willmar qui n’est chargé du portefeuille de la guerre que depuis quelques mois.
Ce n’est pas non
plus sous son ministère qu’a été mis à la retraite M. Bodard,
major de gendarmerie, puisque l’arrêté par lequel est fixée la pension de ce
dernier porte la date du 10 avril 1834. Cet officier, dans le rapport fait à la
chambre sur la pétition qu’il lui avait présentée le 4 janvier 1835, est accusé
« de n’être aucunement disposé à se soumettre aux ordres de ses supérieurs
; d’avoir toujours été en mésintelligence complète avec ses chefs et tracassier
envers ses subordonnés. Son différent avec l’intendant militaire avait pour
origine le refus de celui-ci de lui allouer des rations de fourrages pour les
chevaux que M. Bodard n’avait pas. Le maintenir dans
la gendarmerie, ce serait occasionner des désordres sans fin, avec lesquels il
ne serait pas possible d’avoir une armée disciplinée. » Ainsi s’exprimait
M. Verrue-Lafranc, rapporteur de la commission des
pétitions.
Je n’examine pas à
quel point ces griefs peuvent être fondés ; mais plus ils sont graves, plus M. Bodard doit tenir à s’en justifier. Il demande donc d’être
traduit devant la haute cour militaire. Le ministre ne peut, ce me semble, lui
refuser cette satisfaction, vu surtout que M. Bodard
a été mis à la retraite sans jugement, à une époque où les lois sur la perte
des grades n’existait pas et où il pouvait invoquer la disposition de l’art.
124 de l’acte constitutionnel.
Je ne dois pas
oublier les officiers engagés pour la durée de la guerre, qui servent depuis
cinq ans et au nombre desquels j’en connais de très instruits, qui ont
abandonné leurs études pour voler à la défense de la patrie. Il y a près de
deux ans, si je ne me trompe, que le ministère paraissait vouloir s’occuper de
leur sort. Alors il les appela à Louvain, et les fit examiner par une
commission qu’il avait nommée, et qui se composait d’officiers supérieurs. Il
me semble que ceux dont la capacité fut reconnue auraient dû recevoir un brevet
définitif pour prendre leur rang d’ancienneté soit à partir de leur entrée au
service soit du moins à compter de la date de l’examen. Mais on les a laissés
jusqu’ici dans l’incertitude et dans la même position, sans avancement, tandis
que tous les jours ils voient leurs camarades monter en grade. Il y a plus, des
jeunes gens partis comme simples soldats à l’époque où les officiers engages
pour la durée de la guerre étaient déjà lieutenants sont aujourd’hui
sous-lieutenant et porteurs d’un brevet définitif.
- La séance est
levée à 4 heures et un quart.