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Note d’intention
Chambre des représentants
de Belgique
Séance
du mardi 17 janvier 1837
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre, notamment pétitions relatives à
l’impôt des distilleries (de Renesse, Beerenbroeck), à l’indemnisation des victimes des
événements de la révolution (de Brouckere), l’impôt
sur le sel (de Man d’Attenrode), à la police de roulage (de Brouckere)
2) Motion d’ordre relative à l’indemnisation des victimes des événements
de la révolution (A. Rodenbach, de
Theux)
3) Propositions de loi relatives à l’affectation du produit des péages
des fleuves et rivières. Développements (de Puydt)
4) Communication du gouvernement : modification de la composition
du gouvernement
5) Projet de loi relatif à l’introduction de machines étrangères en
Belgique
6) Motion d’ordre relative à l’ordre des travaux de la chambre (loi sur
les concessions de mines et industrie houillère) (Eloy de
Burdinne, Dechamps, A.
Rodenbach, de Meeus, A.
Rodenbach, Dubus, de
Brouckere, Eloy de Burdinne, Rogier,
Ernst, Pirmez)
7) Projet de loi relatif à la contribution personnelle. Discussion générale
(Taxe sur les chevaux, essentiellement ceux des médecins et des agriculteurs
((+garde civique) d’Huart, Eloy de
Burdinne), nécessité de réformer le mode de répartition de la contribution
personnelle (Seron, Dechamps, d’Huart, Seron)
(Moniteur
belge n°18, du 18 janvier 1837)
(Présidence de M. Raikem.)
M. Verdussen
procède à l’appel nominal à 1 heure.
M. le président
procède, par la voie du sort, au renouvellement mensuel des sections, dans
lesquelles se partage la chambre pour l’examen préparatoire des lois.
M. Lejeune lit le
procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. Verdussen
présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
« Les raffineurs de sucre de Gand demandent le
maintien de la législation actuelle sur les sucres. »
________________
« Un grand nombre de négociants et armateurs
de la ville d’Anvers adressent des observations sur les modifications proposées
à la loi sur les sucres. »
________________
« Des
fabricants de toile de Gand adressent des observations sur les modifications
projetées à la législation sur les sucres. »
________________
« Les
armateurs du port d’Anvers adressent des réclamations contre le projet de
modifications à la législation sur les sucres. »
________________
« Les
raffineurs de sucre exotique d’Anvers adressent à la chambre un mémoire en
faveur du maintien de la législation actuelle sur les sucres. »
________________
« Des
fabricants de sucre indigène adressent des observations en faveur du projet de
modifications à la législation sur les sucres. »
________________
« Plusieurs
voituriers de Gosselies et environs adressent des
observations contre l’arrêté royal du 28 décembre 1836, qui réduit à 11,700
kilog. la charge de leurs chariots, au lieu de 13,600
que leur permettait l’arrêté du 9 mars de la même année. »
________________
« Le sieur
Jean-Nicolas Guillette, à Contheim,
fils unique et milicien de 1833, se plaint d’avoir été désigné pour le service,
contrairement à l’art. 15 de la loi du 27 avril 1820, et demande que la chambre
intervienne pour faire prononcer son licenciement »
________________
« Le conseil
communal de Boom demande la construction d’un pont sur le Ruppel. »
________________
« Le conseil
communal de Venloo demande la construction du canal du Nord projeté et en
partie exécuté par le gouvernement français. »
________________
« Le
sieur Bernard Lagors, batelier à Anvers, réclame
l’intervention de la chambre pour obtenir le paiement de la somme qui lui
revient du chef du renflouement de deux canonnières hollandaises, et qui avait
été convenu entre lui et M. le commandant de la flottille. »
________________
« Le
sieur J.-J. Juprelle, propriétaire à Loncin (Liége),
demande une mesure législative qui autorise les communes et les établissements
de bienfaisance à rendre les baux de leurs propriétés aux enchères par
adjudication publique. »
________________
« La chambre
de commerce et des fabriques de Louvain adresse des observations concernant le
projet de loi sur les sels. Le conseil communal de Louvain adresse une
semblable pétition. »
________________
« Le sieur
Ch. Wauters, batelier à Lierre, adresse des observations contre le projet de
loi sur les sels. »
________________
« Des
propriétaires du canton d’Oirsbeek (Limbourg) se
plaignent d’une surtaxe en fait d’impositions foncières comparativement aux
autres cantons de la province. »
________________
« Des
meuniers de diverses communes de
________________
« Les
bourgmestre et échevins de la ville de Bruxelles demandent que la chambre
s’occupe de la pétition qu’ils lui ont adressée en juin dernier, relative aux
indemnités dues aux personnes dont les propriétés ont été pillées. »
________________
« Les
sieurs Van Gameren et Deneef
de Burcht renouvellent leur demande en indemnité pour
les dégâts et emprises de terrains faits dans la commune de Burcht
pour la construction d’une digue intérieure. »
________________
« Le
sieur Pierre Robert, domestique à Bruxelles, demande une indemnité du chef des
pertes qu’il a essuyées par l’invasion hollandaise en 1830, au faubourg de Schaerbeck, par le vol de ses effets. »
________________
« Le
sieur Edouard Deyrolle, né Français et habitant
________________
« Le
sieur J.-B. Rogissard, né en France, receveur
communal et capitaine de la garde civique à Sugny
(Luxembourg), demande la naturalisation. »
________________
« Le
sieur Sixtus, fourrier au 2ème escadron du 2ème régiment de chasseurs à cheval,
né en Bavière, demande la naturalisation. »
________________
« Les
distillateurs de Hasselt adressent des observations sur le projet portant des
modifications à la loi sur les distilleries. »
________________
« Des
distillateurs de Venloo adressent des observations contre le projet de loi
portant des modifications à la loi sur les distilleries. »
________________
« Même
pétition des distillateurs des environs de Ruremonde. »
________________
« Le sieur J.-A. Bamps, conseiller communal de la commune de Beeringen (Limbourg), réclame le paiement de l’indemnité
qui lui revient du chef des pertes qu’il a essuyées par l’invasion hollandaise
en 1831. »
« Le
sieur Ch. Bovyn, brasseur à Assenede, demande le
paiement de l’indemnité qui lui revient des pertes qu’il a essuyées par
l’invasion hollandaise en 1831. »
________________
M. de Renesse
demande que les pétitions sur les distilleries soient renvoyées à la commission
chargée de l’examen du projet de loi concernant cette matière.
M. Beerenbroeck
demande l’impression de ces mêmes pétitions.
M. le président. -
En les renvoyant à la commission, elle verra celles qui méritent d’être
imprimées.
M. Beerenbroeck
n’insiste pas.
- La proposition de M. de
Renesse est adoptée.
M. le président. -
Les- pétitions relatives aux naturalisations sont renvoyées à M. le ministre de
la justice, conformément aux précédents de la chambre.
M. de Brouckere.
- Messieurs, je demande la permission de dire quelques mots sur une pétition
qui vient d’être annoncée par M. le secrétaire.
Au mois de juin dernier, la chambre a été saisie
par la régence de la ville de Bruxelles, d’une pétition tentante à obtenir des
indemnités pour les victimes des pillages en septembre 1830, mars 1831 et avril
1834 ; la clôture de la session dernière n’a pas permis de s’occuper de cette
pétition ; et depuis que la chambre s’est réunie, ses travaux ne lui ont pas
permis de mettre cet objet à l’ordre du jour ; mais la ville de Bruxelles
vient, par une nouvelle requête, inviter la chambre à statuer sur celle qu’elle
a présentée en juin dernier.
A l’époque où celle-ci nous est parvenue, la cour
de cassation venait de décider que les valeurs dont parle l’article premier du
titre 5 de la loi de vendémiaire an IV, ne sont pas applicables à tous les
objets mobiliers, mais seulement aux choses qui sont susceptibles de
restitution en nature, et qui ont une valeur au cours du jour.
La cour de Liége, à laquelle la même question a été
soumise, l’a décidée de la même manière ; la cour de Gand a prononcé comme les
autres cours ; depuis lors un grand nombre de réclamants, frappés de la
similitude de ces décisions, et désespérant de faire changer cette
jurisprudence, ont manifesté l’intention de se contenter de la simple valeur
des choses qu’ils ont perdues ; ils demandent en conséquence le règlement de ce
qui leur est dû, et par suite le paiement. Ainsi il n’existe plus de raison
pour nous de déférer à cette demande ; il y a au contraire des motifs d’urgence
pour procéder promptement au règlement des comptes et au paiement, parce qu’il
est éminemment juste de venir au secours des victimes des pillages, et de faire
cesser les intérêts dus. D’autre part, des sommes considérables sont allouées à
titre de provision, par suite d’arrêts qui ont force de chose jugée ; il faut
donc régler maintenant afin que la chose jugée ait son effet.
L’état dans lequel se trouvent les finances de la
ville de Bruxelles n’est pas brillant ; c’est de notoriété publique ; cependant
je crois pouvoir assurer que la ville de Bruxelles satisfera ses créanciers ;
elle paiera la part qui lui incombera dans l’indemnité due, mais elle ne paiera
rien avant de savoir quelle part elle devra payer, ou avant de savoir si la
totalité de cette indemnité restera à sa charge.
D’après ces considérations,
vous concevez qu’il est urgent, dans l’intérêt des victimes des pillages et
dans celui de la ville de Bruxelles, que votre décision intervienne sur la
matière. Je demande donc qu’il plaise à la chambre ordonner qu’un prompt
rapport lui sera fait par la commission spéciale sur la pétition que la régence
de Bruxelles a adressée ici jeudi dernier ; je demande que ce rapport soit fait
à la prochaine séance qui sera fixée pour s’occuper des pétitions. (Adhésion.)
M.
le président. - S’il n’y a pas d’opposition, les pétitions relatives
aux pillages sont renvoyées à la commission des pétitions avec invitation de
s’en occuper promptement.
M. de Man d’Attenrode. - Je demande que
la pétition relative au sel soit renvoyée à la section centrale chargée de
s’occuper de la loi sur cette matière.
M. le président. -
Il a été décidé par la chambre que les pétitions sur le sel seraient déposées
sur le bureau de la chambre pendant la discussion de la loi sur cet objet.
M. de Brouckere.
- J’ai entendu annoncer une pétition dans laquelle on se plaint des
modifications apportées par le gouvernement, relativement à la charge des
voitures ; je voudrais que le rapport sur cette pétition soit fait avant la
discussion de la loi concernant les barrières : il faut que la chambre soit
éclairée sur le contenu de cette requête afin de pouvoir apprécier les mesures
prises par le gouvernement. Je demande donc un rapport dans un bref délai.
- La proposition est adoptée.
_______________
Le sénat, par divers messages, fait connaître les
lois qu’il a adoptées dans sa dernière réunion.
_______________
M. Gendebien écrit à la chambre que, faisant partie
du conseil communal de Bruxelles qui se réunit aujourd’hui, il ne pourra
assister à la séance de la chambre.
MM. Andries, Donny, Duvivier, Kervyn, écrivent pour
faire connaître les motifs qui les empêchent de venir partager aujourd’hui les
travaux de leurs collègues.
_______________
Une commission est nommée pour procéder à l’examen
des pouvoirs des députés récemment élus.
MOTION D’ORDRE RELATIVE A L’INDEMNISATION DES
VICTIMES DES EVENEMENTS DE LA RÉVOLUTION
M. A. Rodenbach.
- La proposition de l’honorable M. de Brouckere relativement aux pillages m’a
rappelé que dans le budget de l’année dernière nous avons voté 300 mille francs
pour secours aux victimes de l’agression hollandaise ; si je suis bien informé,
ces malheureux n’ont pas reçu la part qui leur revient dans ces secours.
Cependant la saison est très rigoureuse, et l’on
devrait mettre un grand empressement à leur distribuer des secours.
M. le ministre
de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - L’arrêté
royal, d’après lequel la distribution aura lieu, n’a été porté que depuis
quelques jours ; je regrette beaucoup qu’il n’ait pas pu être porté plus tôt ;
mais, malgré mes instances, je n’ai pu obtenir que tardivement les
renseignements nécessaires pour régler cette distribution.
PROPOSITION DE LOI RELATIVE A
L’AFFECTATION DU PRODUIT DES PEAGES DES FLEUVES ET RIVIERES
Développements
M. de Puydt. - La
proposition que j’ai eu l’honneur de vous soumettre dans la séance du 17
décembre dernier, semble, au premier aspect, imposer au pays une charge nouvelle
ou, ce qui revient au même, aggraver une charge déjà existante. Cependant, si
on la considère dans ses résultats généraux, on doit reconnaître que cette
première opinion n’a pas de fondement et que la proposition tend vers un but de
grande utilité publique, et peut devenir une source de produits. C est ce que
je vais essayer de démontrer en peu de mots.
Dans l’ordre normal des progrès en matière de
communications, on a commencé par les routes ordinaires ; de ces routes on a
passé aux canaux, et des canaux aux chemins de fer.
Les routes ordinaires, avaient procuré les premiers
moyens d’amélioration à l’agriculture et donné naissance aux industries les
plus indispensables aux besoins des habitants.
Les canaux ont contribué ensuite à étendre les
relations, à développer d’une manière plus générale, en favorisant
l’exportation des produits de chaque localité, en agrandissant le cercle des
échanges.
Les chemins de fer, venus en dernier lieu, sont
destinés à mettre le sceau à ces perfectionnements. Ils se distinguent en deux
catégories :
1° Chemins de fer de vitesse, pour le transport des
voyageurs. Ils établissent, en rapprochant les distances les plus éloignées,
des relations nouvelles entre les grandes agglomérations de population et les
centres de travail les plus actifs ; ils sont la conséquence d’une prospérité
matérielle déjà acquise ;
2° Chemins de fer pour le transport des
marchandises. Ils servent à réduire au minimum les frais de transport des
matières premières et des matières fabriquées, au milieu de nos exploitations
de houille, de nos mines et de nos usines de tous genres.
Dans un pays bien constitué, aucun de ces modes de
communication ne peut suppléer entièrement les autres ; leur emploi varie selon
la nature du terrain et de ses productions : mais de leur combinaison dépend
essentiellement le bien-être de chaque canton en particulier et la prospérité
du royaume en général.
Quelque parfaites que nous paraissent les
communications dans quelques-unes de nos provinces les plus riches, on doit
reconnaître cependant qu’il y manque toujours un complément rendu nécessaire
pour les progrès qu’elles activent.
Ainsi, par exemple, les navigations plus ou moins
perfectionnées des bassins de
Plusieurs projets importants tendent à remplir
cette lacune.
Les uns ont pour objet de lier
D’autres, réclamés vivement par les chambres de
commerce de plusieurs villes des Flandres, sont destinés à joindre l’Escaut
pris au-dessous de Tournay, à
Ces canaux supplémentaires établiront une
navigation intérieure continue depuis le Luxembourg et Liége, par Namur
Les voies navigables créées dans le Hainaut et dans
les Flandres ne font nullement double emploi avec les chemins de fer proposés
par l’industrie particulière, pas plus que les chemins de fer du gouvernement
ne nuisent aux canaux déjà existants.
Elles ne nuisent en rien à l’Escaut lui-même ; bien
au contraire ; car un tronc navigable ne peut que gagner en activité
commerciale par le développement de ses branches affluentes.
Quelques provinces, plus retardées et hors de
l’influence des communications dont on vient de parler, ont, d’une part, plus
de besoins pressants ; d’autre part, moins de moyens pour arriver d’elles-mêmes
aux perfectionnements : non que leur sol ne renferme pas d’éléments de travail
et de richesses, mais parce que des circonstances politiques ou autres ont
contribué à y ralentir la marche des progrès.
Le Luxembourg en est encore à désirer les premières
améliorations agricoles pour plus de moitié de son territoire.
Il lui faut des routes ordinaires et des canaux,
parce que le pays s’y prête.
Pour les routes ordinaires, des projets sont faits,
d’autres à l’étude : des concessions sont demandées ; l’année 1837 ne se
passera pas sans voir commencer les travaux. La législature a mis le
gouvernement à même de satisfaire à cet égard aux propositions qui lui sont
adressées.
Pour ce qui concerne les canaux, la position est
différente. Le Luxembourg jouirait aujourd’hui d’une vaste communication
navigable, si le canal de Meuse et Moselle avait pu être achevé.
Ce canal, projeté pour réunir l’Ourthe affluent de
Les travaux de cette ligne, qui n’a pas moins de
trois cents kilomètres de développement, devaient être terminés en 1835 ; mais
la révolution en est venue interrompre le cours.
Je ne m’étendrai pas ici sur l’importance du canal
de Meuse et Moselle, je réserve les détails à ce sujet pour la discussion du
fond de ma proposition si elle est prise en considération ; je me borne à le
mentionner comme un ouvrage de première nécessité pour la province de
Luxembourg, qui a toujours envisagé jusqu’à présent la suspension des travaux
comme le plus grand tort que la révolution lui avait fait, tort pour lequel il
ne lui a été donné aucune compensation.
On y projette et on y exécutera sans aucun doute
des routes ordinaires ; mais si l’on se bornait à cela, nous ne remplirions
qu’à demi le devoir que nous impose l’état arriéré de cette contrée. Nous
blesserions même les intérêts généraux de
Pour atteindre ce résultat, le moyen est tout
trouvé ; c’est l’exécution du système de canalisation et d’irrigation présenté
au gouvernement par M. l’inspecteur-général des ponts et chaussées. Outre que
ce système crée une communication commerciale dans le pays par divers rameaux
navigables, il donne le moyen de fertiliser les bruyères les plus arides, par
des distributions d’eau sur les points les plus élevés de ces bruyères.
Messieurs, ce coup d’œil rapide nous fait entrevoir
à combien d’utiles entreprises il nous est réservé d’imprimer une impulsion
salutaire ; car il faut bien le dire, ces canaux à faire ne peuvent être
entièrement abandonnés à l’industrie particulière, les réductions opérées
depuis quelques années sur la moyenne des péages, adoptée par l’ancien
gouvernement, rendent indispensable le concours des subsides du gouvernement.
Et concéder des canaux nouveaux avec des péages plus élevés, ce serait vouloir
en neutraliser l’effet dès leur début. Or, pour accorder des subsides ou pour
aider à remettre en activité des travaux suspendus par des causes de force
majeure, il faut des fonds, que le gouvernement n’a pas à sa disposition.
Dans cet état de choses, et convaincu qu’il importe
à l’avenir du pays de ne pas laisser tomber en ruine les grands ouvrages commencés,
de ne pas laisser incomplet le réseau de navigation intérieure, auquel se
rattachent les projets désignés précédemment, j’ai considéré commue un devoir
de rechercher les moyens de mettre le gouvernement en mesure de donner une
activité nouvelle à cette branche des travaux publics.
A l’imitation de ce qui a été consacré en principe
par la loi des barrières, ma proposition a pour objet de faire affecter le
produit des canaux de l’Etat à l’entretien d’abord, et ensuite à l’amélioration
du système des voies navigables.
L’excédant disponible après l’entretien constituera
un fonds destiné à l’exécution de canaux nouveaux ; mais comme ce fonds ne
permettrait pas d’entreprendre de bien grands ouvrages si on se bornait à le
dépenser annuellement, il doit paraître plus rationnel de le considérer comme
un revenu dont le capital réalisé serait appliqué immédiatement à sa
destination, avec plus de fruit : de manière à créer en peu d’années, par le
développement des voies navigables, une source de revenus supplémentaires.
Le produit brut des canaux actuellement exploités
par l’Etat, d’après le budget des voies et moyens pour 1837, est de fr.
820,000.
L’entretien et l’administration de ces causes
d’après les budgets de l’intérieur et des finances, exigent une dépense de fr.
272,060
Reste net disponible, fr. 547,940.
C’est par conséquent une somme de fr. 550,000
environ qui devrait être pendant quelque temps affectée spécialement à une
dépense de première utilité.
Avec cette somme de 550,000 fr. le gouvernement
peut obtenir immédiatement de 8 à 10 millions au moyen d’un emprunt, et
l’application de ces 8 à 10 millions permettra l’exécution de 30 à 40 millions
de travaux, si les subsides sont distribués avec discernement.
Il n’y a pas de dépenses mieux entendues que celles
qui dérivent inévitablement des sources de productions. Or, il est évident que
les travaux dont il s’agit accéléreront le mouvement commercial là où il est
déjà très actif, comme dans le Hainaut et les Flandres.
Il est plus évident encore que ces mêmes travaux
dans le Luxembourg, le Limbourg et la province d’Anvers équivaudront à une
véritable conquête de territoire.
Liége et Namur y sont également intéressés comme
nœud des principales lignes et par le besoin que ces villes peuvent avoir d’une
trans-navigation toujours favorable à des contrées industrielles.
L’Etat y trouvera de son côté des avantages plus
grands encore.
Le territoire de plusieurs parties de province
acquérant une valeur nouvelle, la contribution directe augmentera.
Les progrès de la population amenant une
consommation plus considérable des denrées imposées, le produit des
contributions indirectes suivra la même proportion.
Cet exposé suffit, je pense, pour faire comprendre
mon but, et surtout pour écarter l’idée d’une aggravation de charge car, si
d’une part nous voyons un revenu de 550,000 francs appliqué jusqu’ici aux
dépenses générales, recevoir une destination spéciale et faire pour ainsi dire
déficit au trésor, il faut néanmoins admettre, d’autre part, que cette
destination est immédiatement productive an plus haut degré ; car, si les
projets dont j’ai parlé s’exécutent, si le canal de Meuse et Moselle est remis
en activité, les seules provinces de Luxembourg, de Limbourg et partie de celle
d’Anvers, présenteront bientôt à la base de l’impôt une addition de terrain
cultivable de plus de deux cents lieues carrées ou de 500,000 bonniers, qui ne
rapportent rien aujourd’hui et qui dédommageront amplement l’Etat d’un
sacrifice momentané.
La proposition consiste en deux projets de loi : l’un
établit le principe de l’affectation spéciale du produit des canaux à une
destination fixée ; l’autre, partant de ce principe, autorise un emprunt afin
de rendre plus immédiatement efficace l’application de ce principe.
Premier projet de loi.
« Léopold, etc.
« Art. 1er Les fonds provenant de péages
établis sur les canaux et sur les rivières canalisés de l’Etat sont
spécialement affectés à l’entretien et à l’amélioration de ces canaux et
rivières. »
« Art. 2. L’excédant du produit de ces péages,
après déduction des frais d’entretien et d’amélioration ci-dessus désignés,
sera consacré à l’exécution de voies navigables nouvelles, soit que le
gouvernement les exécute, soit en accordant des subsides à des sociétés
concessionnaires. »
« Art 3. Il pourra être également accordé sur
les mêmes fonds des subsides aux sociétés concessionnaires des voies navigables
commencées antérieurement à la date de la présente loi.
« Proposé à Bruxelles, le 12 décembre 1836.
« R.
de Puydt, Beerenbroeck, d’Hoffschmidt, Berger, Troye, B. Dubus, Zoude. »
Deuxième projet de loi
« Léopold, etc.
« Art. 1er. Il est ouvert au gouvernement un
crédit de huit millions de francs, à l’effet de pourvoir à la construction de
voies navigables nouvelles. »
« Art. 2. La dépense sera couverte au moyen
d’un emprunt qui sera ultérieurement réglé par une loi, et dont les intérêts et
l’amortissement seront prélevés sur l’excédant du produit des canaux et
rivières canalisées.
« Proposé à Bruxelles, le 12 décembre 1836.
« R.
de Puydt, Beerenbroeck, d’Hoffschmidt, Berger, Troye, B. Dubus, Zoude. »
- La chambre prend successivement en considération
les deux propositions développées par M. de Puydt et en ordonne le renvoi à
l’examen des sections.
MODIFICATION DE LA COMPOSITION DU GOUVERNEMENT
M. le ministre
de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) adresse à M. le
président la dépêche suivante :
« J’ai l’honneur de vous adresser, avec prière
d’en donner communication à la chambre, deux arrêtés royaux en date du 13 de ce
mois, l’un apportant des modifications à plusieurs départements ministériels,
l’autre par lequel M. Nothomb, membre de la chambre des représentants, est
nommé ministre des travaux publics.
« Le ministre de l’intérieur et des affaires
étrangères, de Theux. »
- Pris pour notification.
PROJET DE LOI RELATIF A L’INTRODUCTION DE MACHINES
ETRANGERES EN BELGIQUE
(Addendum au Moniteur du 19 janvier 1837
:) Dans la séance d’hier M. le ministre des finances
(M. d'Huart) a déposé sur le bureau un projet de loi relatif à
l’introduction de machines étrangères en Belgique, dont l’examen a été renvoyé
à une commission à nommer par le bureau.
M. le président. -
L’ordre du jour est la discussion du projet de loi relatif à la contribution
personnelle.
M. Eloy de
Burdinne. - Je demande la parole pour une motion d’ordre.
Messieurs, parmi les nombreux projets de loi soumis
à la chambre, il en est un qui réclame l’urgence, c’est le projet de loi sur
les mines. Un grand nombre de concessions sont demandées et ne peuvent être accordées
si le conseil des mines n’a été consulté. Il est donc urgent de voter la loi
qui doit constituer ce conseil. Notre industrie y est très intéressée, car elle
prend une telle extension que bientôt les produits de nos houillères actuelles
ne suffiront plus pour l’alimenter.
La classe pauvre n’est pas moins intéressée à ce
que l’exploitation de la houille dont elle se sert pour se chauffer augmente le
plus tôt possible pour que le prix diminue, résultat que j’attends des
nouvelles concessions qui seront accordées.
Je demande en conséquence que la loi sur les mines
soit mise à l’ordre du jour après la discussion du budget de la justice.
Plusieurs voix. - Après tous les budgets.
M. Eloy de
Burdinne. - Je ferai remarquer que la chose extrêmement importante, car
dans le moment actuel les produits des houillères ne suffisent pas ; j’en
trouve la preuve dans l’augmentation de la houille, et si vous retardez le vote
de la loi dont il s’agit, il en résultera que beaucoup de concessions ne
pouvant être accordées que dans un délai assez long, vous prolongerez d’autant
l’augmentation d’une produit nécessaire à la prospérité de notre industrie.
M. Dechamps. -
J’appuie la proposition de M. Eloy de Burdinne de discuter la loi sur les mines
après le budget de la justice. Je ferai observer que la loi des mines a déjà
été votée une fois par la chambre, que les questions les plus importantes ont
été vidées, et que la discussion ne portera plus que sur les modifications
introduites par le sénat. On peut donc penser qui la discussion ne sera pas
longue et que la chambre pourra s’en occuper après le budget de la justice.
Je vous prie de remarquer
que l’urgence de la loi dont il s’agit a été reconnue depuis cinq ans, qu’il y
a des richesses immenses dont les propriétaires ne peuvent pas jouir faute de
concessions, et que la hausse du prix de la houille prouve la nécessité de
s’occuper de cet objet ; je rappellerai aussi que le discours du trône et la
réponse de la chambre ont formellement exprimé le vœu que cette loi fût
promptement votée.
Je me joins donc à M. Eloy de Burdinne pour
demander que la loi sur les mines soit mise à l’ordre du jour après le budget
de la justice.
M.
A. Rodenbach. - Je me joins à MM. Eloy de Burdinne et Dechamps pour
demander que la loi sur les mines soit mise à l’ordre du jour après le vote du
budget de la justice. Mais je ferai observer que cette loi seule ne suffira pas
pour faire baisser le prix du combustible. Si je suis bien instruit (c’est
d’un honorable représentant que je tiens
ce que j’avance), les monopoleurs n’extraient pas des mines tout ce qu’ils
pourraient en tirer, afin de faire hausser le prix du charbon.
Vous savez tous que depuis quelque temps la houille
a éprouvé une hausse de 25 à 30 p. c.
Je pense que le moment est venu, après le vote de
la loi sur les mines, de s’occuper d’un projet de loi sur les houilles, qui
permette l’entrée des houilles étrangères moyennant certaines conditions, comme
on l’a fait pour les grains. La loi qu’on a faite sur les céréales a produit
les meilleurs effets. Il n’est pas moins important d’assurer aux pauvres
malheureux le chauffage que la nourriture. Il ne suffit pas de s’occuper des
sociétés qui gagnent des millions au préjudice du peuple, il faut aussi songer
à ce peuple qui souffre.
Je demande donc qu’on s’occupe de la loi sur les
mines aptes le budget de la justice, et qu’on présente ensuite un projet de loi
pour faire baisser le prix du combustible.
M. de Meeus. -
J’appuie aussi la motion de M. Eloy de Burdinne ; je pense qu’on ne peut assez
tôt mettre à exécution une loi qui a pour but de permettre d’exploiter une plus
grande quantité de concessions ; mais j’ai cru devoir prendre la parole pour
répondre à quelques allégations que vient d’émettre M. A. Rodenbach.
D’après ce qu’il vient de dire, il semblerait que
les sociétés veulent monopoliser l’extraction du charbon afin de le faire payer
plus cher aux consommateurs. Si M. A. Rodenbach voulait se donner la peine de
prendre des informations dans les localités où des sociétés se sont établies,
il apprendrait que les extractions y ont augmenté dans une proportion
extraordinaire, et telle qu’un charbonnage qui ne rapportait que 200,000 muids
par an, en rapporte de 350 à 380 depuis que l’exploitation est passé entre les
mains d’une société.
Ce n’est qu’au couchant de Mons que des sociétés
ont repris des exploitations de houillères ; eh bien, cette année, la production
de ces exploitations a été de 1,100 bateaux de plus que dans les années les
plus productives. Or, s’il est vrai que des charbonnages ont pris un pareil
développement en passant entre les mains des sociétés, ces sociétés ont
précisément fait le contraire de ce qu’on leur reproche.
Il est un fait incontestable, c’est que la
consommation a augmenté prodigieusement ; cette augmentation est une preuve de
la prospérité de
Qu’ont fait les sociétés ? Elles ont réuni des
capitaux pour augmenter la production des établissements dont elles ont repris
l’exploitation.
Il est impossible que, dans
un an ou deux, elles aient donné à ces établissements tout le développement que
nous voudrions leur faire atteindre ; mais déjà on peut juger que telle doit
être l’influence des sociétés, puisque déjà là où elles se sont établies,
depuis un an ou 15 mois la production a doublé. Pour s’assurer de ce fait, on n’a
qu’à demander des renseignements sur les lieux.
Le gouvernement ferait très bien d’éclairer à cet
égard, non seulement la chambre, mais la nation tout entière.
Il ne faut pas venir déplacer les questions pour
faire croire le contraire de ce qui est, dans un but et par des motifs que
chacun de nous ne peut pas apprécier.
S’il est vrai que la consommation a augmenté, il
est vrai aussi que la où les capitaux des sociétés se sont portés, la
production a doublé, et même, dans quelques localités, elle a plus que doublé.
M.
A. Rodenbach. - Messieurs, un fait avéré, c’est que le combustible est
beaucoup trop cher ; il a augmenté de 20 p. c. depuis peu de temps ; dès lors
l’honorable préopinant qui s’est toujours montré partisan de la liberté de
commerce devrait, dans la question du combustible, émettre la même opinion. Je
suis étonné qu’il ne le fasse pas.
Je veux que les extracteurs puissent gagner un
bénéfice honorable ; mais je veux aussi que les intérêts du commerce et du
consommateur soient conciliés. Tous les membres de cette chambre ne peuvent
ignorer qu’il y a dans le pays une plainte générale contre le prix des
combustibles ; c’est un fait certain. L’on m’a assuré que des sociétés ont
acheté les charbonnages appartenant à de petites compagnies, dans le but sans
doute de s’assurer le monopole. Je ne nomme pas ces sociétés ; mais je désire
que le gouvernement ait les yeux fixés sur elles, pour qu’elles n’obtiennent
pas ce monopole. Je veux que le peuple ait le combustible et le pain à bon
marché ; or, tout le monde doit convenir que le charbon est aujourd’hui
extrêmement cher.
M. Dubus. -
Messieurs, on dit qu’il est nécessaire de voter la loi sur les mines, parce
qu’il faut donner au gouvernement le moyen d’accorder de nouvelles concessions,
afin que les possesseurs des concessions antérieures ne puissent pas organiser
un monopole. Quant à moi, je sois convaincu, messieurs, que si l’on discute la
loi sur les mines quatre semaines plus tôt ou plus tard, cela n’exercera aucune
influence sur le prix du charbon.
Maintenant je demande s’il faut, parce qu’il serait
à désirer qu’on accordât de nouvelles concessions, intervertir l’ordre de nos
délibérations ? La chambre doit-elle rapporter une décision qu’elle a prise
dans le mois dernier ?
Lorsqu’on a demandé que la chambre s’occupât des
lois urgentes, elle en a toujours ajourné la discussion après celle des
budgets, parce que nous n’avions rien de plus important à terminer que les
budgets. Il se passe quelque chose d’inconvenant et même de scandaleux par
rapport à la discussion de nos budgets ; c’est une faute que d’interrompre une
semblable discussion.
Eh bien, cette faute a déjà été commise ; déjà l’an
dernier nous avons suspendu la discussion des budgets pour nous occuper de la
loi communale. Qu’en est-il résulté ? Qu’il a fallu voter des crédits
provisoires. Dans le courant du mois dernier, nous avons voté de semblables
crédits pour presque tous les ministères ; or, ces crédits n’ont été alloués
que pour deux mois ; si vous aller interrompre la discussion, ces crédits ne
suffiront pas, et nous devrons en accorder de nouveaux.
Je demande donc qu’on n’interrompe pas la
discussion des budgets ; et c’est une raison très frivole mise en avant par
ceux qui désirent la discussion immédiate de la loi des mines, en ce sens que
cette loi n’améliorerait en aucune manière la position du consommateur.
Mais, dit-on, c’est
l’affaire d’un moment ; il ne s’agit que de discuter un amendement introduit
par le sénat dans la loi. Je réponds que lorsque le sénat nous renvoie une loi,
parce qu’il ne l’a pas admise telle que nous l’avons votée, la loi est tout
entière remise en question, et les diverses dispositions antérieurement
adoptées peuvent devenir l’objet d’une nouvelle délibération.
Il n’est donc pas exact de dire que la discussion
dont il s’agit ne sera que l’affaire d’un moment. Je regretterais beaucoup
qu’on mît aussi peu de temps au vote d’une loi qui peut-être sacrifie les
droits sacrés de la propriété aux droits prétendus ou plutôt éventuels des
propriétaires des concessions.
D’après ces motifs, je m’oppose de toutes mes
forces à la motion.
M.
de Brouckere. - Messieurs, je partage l’opinion de ceux qui désirent que
la chambre s’occupe dans un bref délai de la loi sur les mines.
Je dois déclarer que si j’émets cette opinion, ce
n’est pas par cette seule considération que le prix de la houille a renchéri
dans ces derniers temps. Si je demande que la loi sur les mines soit mise à
l’ordre du jour, c’est principalement que depuis 6 mois cette loi est réclamée
de toutes parts, que depuis six ans on la promet au pays, et que cependant le
pays en est encore privé.
M. Dubus a fait sentir,
avec quelque raison, je l’avoue, la nécessité plus grande de s’occuper des
budgets. Eh bien, il me semble qu’il y a moyen de concilier, et l’opinion de M.
Eloy, et celle de M. Dubus. Je ne demande pas que intervertisse l’ordre du
jour, qu’on retarde la discussion des budgets ; mais il me parat
qu’on pourrait s’occuper de la loi sur les mines à la première séance où la
chambre ne pourra pas s’occuper des budgets. (Adhésion.)
M. Eloy de
Burdinne. - Comme ma motion n’avait pas pour but d’interrompre l’ordre
du jour, je me rallie à la proposition de M. de Brouckere, qui demande que la
chambre s’occupe de la loi sur les mines dès qu’il n’y aura pas de budgets à
discuter.
M.
Rogier. - Je ne comprends pas la portée de la proposition de M. de Brouckere. Pense-t-on qu’un jour
suffise pour adopter une loi dont l’importance est devenue plus grande, et
tient aux circonstances où nous nous trouvons ? N’est-il pas certain dès lors
que des objections qui, à l’époque de la première discussion, n’ont pas été
faites, pourront se présenter aujourd’hui ? Quant à moi, par exemple, il est
possible qu’il y a 2 ans je n’eusse pas pris la parole dans la discussion de la
loi des mines, telle qu’elle a été adoptée. Mais il très probable, aujourd’hui
que des circonstances nouvelles ont pris naissance, que je prenne part à la
discussion, et que je propose peut-être des amendements qui donneront lieu à un
examen assez long.
Je demande donc qu’on fixe d’une manière plus
certaine l’époque de la discussion de la loi sur les mines.
M.
le ministre de la justice (M. Ernst). - Nous sommes d’accord que la
discussion de la loi sur les mines est urgente ; mais nous sommes d’accord aussi
qu’il est urgent de voter les budgets. Si donc, après l’adoption du budget de
mon département, les rapports sur les budgets d’autres ministères étaient
prêts, la chambre entend s’en occuper, sans doute, préalablement à la loi sur
les mines. Ce serait seulement pour le cas où, après le vote du budget de la
justice, la chambre ne pourrait entamer la discussion d’autres budgets que la
loi sur les mines serait mise à l’ordre du jour.
C’est dans ce sens que j’appuie la proposition qui
vient de vous être faite.
M. Pirmez. - Il me
semble que M. le ministre de la justice n’a pas répondu aux considérations
qu’on vient de présenter...
M. le ministre de la justice
(M. Ernst). - Je n’avais pas besoin de répondre à des observations
prématurées.
M. Pirmez. - Soit !
Mais j’appuie ce qu’a dit l’honorable M. Rogier, qui a fait observer que très
probablement la loi sur les mines provoquerait une nouvelle et importante
discussion, et qu’on ne pouvait pas, pour y procéder, prendre le premier jour
nouveau.
Les mines aujourd’hui ne se trouvent plus dans les
conditions d’existence où elles étaient lorsque nous nous sommes occupés
antérieurement de cet objet ; ce sont des valeurs qui depuis lors ont acquis
une importance immense.
Il faut certes autant que possible rapprocher le
moment où nous discuterons la loi sur les mines ; mais on se ferait illusion si
l’on croyait que l’on pût terminer dans un jour, une discussion aussi
importante. Il est possible que de nouvelles idées, de nouvelles propositions
surgissent ; il faudra bien que la chambre s’en occupe.
M. le ministre de la justice
(M. Ernst). - Messieurs, je n’ai pas cru devoir porter la question sur
le terrain sur lequel se sont placés plusieurs honorables préopinants. Il me
paraît, en effet, prématuré d’examiner s’il y aura lieu à amender la loi sur
les mines ; la question maintenant n’est pas de savoir s’il y aura une
discussion plus ou moins longue, plus ou moins solennelle ; l’important est
d’entamer cette discussion ; or, nous paraisons être tous d’accord sur
l’urgence de nous en occuper, toutefois sans que l’adoption des budgets en
éprouve de retard.
M. le président. -
Je vais mettre aux voix la proposition de M. de Brouckere.
- La proposition de MM. Eloy de Burdinne et de
Brouckere est mise aux voix et adoptée.
En conséquence le projet de loi sur les mines est
mis à l’ordre du jour pour être discuté aussitôt qu’il pourra l’être, sans que
la discussion des budgets et des projets de loi qui s’y rapportent en soit
interrompue.
Discussion générale
M.
le ministre des finances (M. d'Huart). - Messieurs, le rapport de la
commission conclut à ce que les chevaux employés pour la garde civique ne
jouissent pas de l’exemption proposée par le gouvernement : sous ce rapport, je
ne me rallie pas au projet de la commission ; je ne m’y rallie pas non plus en
ce qu’il n’accorde aux fabricants et cultivateurs que la faculté d’avoir un
seul cheval mixte, tandis que le projet du gouvernement leur permettrait d’en
avoir plusieurs. En ce qui concerne l’art. 2 nouveau que la commission a
introduit dans le projet, je m’y rallie entièrement ; de sorte que je ne suis
en différend avec la commission que sur les deux points que je viens de
signaler et qui sont d’une faible importance.
M. le président. -
M. le ministre ne s’étant pas rallié au projet de la commission, la discussion
est ouverte sur le projet du gouvernement, et celui qui a été présenté par la
commission sera considère comme amendement.
M. Eloy de
Burdinne. - Messieurs, le rapport de la commission spéciale chargée
d’examiner la proposition de M. le ministre des finances, tendante à apporter
quelques modifications au droit qui frappe les chevaux d’un usage mixte, étant
à l’ordre du jour, je vais vous soumettre mes réflexions sur cette proposition.
Le but bien louable sans doute de M. le ministre
ainsi que de la commission étant de faire disparaître les conflits toujours
renaissants entre les contribuables et l’administration des contributions,
ainsi que de frapper l’impôt d’une manière plus équitable ; ce but, dis-je,
sera-t-il rempli ? Dans mon opinion, je crois le contraire, particulièrement
sur le motif de faire disparaître les conflits entre les contribuables et
l’administration.
Sur le point de frapper l’impôt plus justement, je
n’y crois pas davantage. Je me suis demandé : Si les modifications proposées
étaient admises, le trésor y trouverait-il un accroissement de revenus ? Et
d’après mes prévisions, je crois le contraire. Je vais chercher à vous
expliquer mes doutes sur ces divers points.
Avant d’entrer en explication, je crois nécessaire
de donner lecture d’un article de la loi du 28 juin 1822 et particulièrement de
deux paragraphes de l’art. 42 de la loi sur la contribution personnelle ainsi
que de l’art. 1er de la loi qui vous est soumise. En comparant l’une et l’autre
disposition, vous jugerez, messieurs, s’il est bon d’accueillir favorablement
le projet qui vous est soumis.
Art. 42 de la loi sur la contribution personnelle :
« 1° Pour chaque cheval de luxe, tenu par des
personnes ou familles, 20 fl. »
« (…) 2° Pour chaque cheval exclusivement
destiné à l’usage de l’agriculture, des fabriques, usines, manufactures,
professions et métiers qui servirait en même temps aux attelages de voitures
suspendues sur ressorts ou soupentes, 7 fl. »
Voici en outre ce que porte, relativement à la
matière qui nous occupe, le message royal et mémoire explicatif accompagnant le
projet de loi dont je viens de vous lire deux paragraphes :
« De même que les domestiques, les chevaux,
considérés comme objet de commodité et d’agrément, peuvent très convenablement
être pris pour base de la taxe personnelle payable par celui qui les emploie.
« Cet élément de l’impôt personnel est fixé à
un taux modéré ; il n’est pas à craindre que pour s’y soustraire, personne retranche
ses chevaux ou s’abstienne d’en prendre.
« Il était juste que les chevaux qui servent
uniquement au luxe et à la commodité fussent les plus imposés.
« On ne saurait certainement regarder comme
exorbitant une taxe de vingt florins par cheval. Pour l’avantage que procure
l’emploi journalier d’un cheval, le contribuable paie à peu près 5 1/2
centièmes par jour ; c’est sans doute un sacrifice très modique pour quiconque
est en état de tenir des chevaux par luxe, ou pour son agrément. »
Voici maintenant l’art. 1er de la loi en discussion
:
« Il ne sera payé en principal que 15 fr. par
cheval servant à la selle ou à l’attelage de voitures suspendues sur ressorts
ou soupente, mais employé principalement et dans l’exercice de leur profession
par les médecins, chirurgiens, artistes vétérinaires, fabricants,
commis-voyageurs et cultivateurs, dont la culture forme le principal moyen
d’existence. »
Vous voyez donc, messieurs, que la loi de
Je commencerai par examiner la modification
proposée sur le rapport des chevaux employés par les médecins, chirurgiens,
artistes vétérinaires, fabricants, commis-voyageurs et cultivateurs.
Par l’article premier de la loi qui vous est
proposée, le cheval d’un médecin, qu’il soit attelé à une voiture ou bien
employé à la selle, paiera 15 fr. ; de manière que le médecin de campagne
paiera pour un cheval, quel qu’il soit, dès qu’il le monte pour exercer sa
profession, tout autant que le médecin de ville qui attelle un cheval élégant
et qui peut être considéré comme cheval de luxe, lorsqu’il l’attelle à un
tilbury on cabriolet pour faire ses visiter, ou qu’il s’en sert pour se promener
avec sa famille.
Je vous laisse à juger si la position d’un médecin
de campagne peut être comparée à la position d’un médecin de ville. Le médecin
de campagne doit parcourir 6 ou 7 villages pour visiter les malades qui, plus
ou moins éloignés, la forcent à faire dix et quinze lieues par jour, dans le
moment où il y a des maladies régnantes. C’est une apoplexie ou autre accident
qui réclame la présence immédiate d’un homme de l’art qui, éloigné d’une lieue,
arrive souvent trop tard. C’est donc par le moyen d’un cheval qu’on arrive
quelquefois à temps pour donner le secours nécessaire au malade ; et quel est
le plus souvent ce malade ? c’est un malheureux qui,
loin d’être à même de payer la visite du médecin, est dans la position de
réclamer des secours, et le médecin pour la plupart traite le malade de cette
classe par charité.
Il est donc incontestable que le médecin à la
campagne ne peut exercer sa profession sans un cheval de selle, et même deux
chevaux pour le peu qu’il ait de la réputation ; un seul cheval ne peut
supporter la fatigue, en faire tous les jours de 10 à 15 lieues. On objectera
peut-être que le médecin fait payer ses visites en proportion des impôts dont
il est frappé, par rapport à son état ; je répondrai que pour les villes cela
pourrait être admissible, là où il existe des hommes fortunés, à même de bien
payer les soins que les gens de l’art leur administrent, lorsqu’ils sont
malades.
Il n’en est pas ainsi dans les communes rurales. Les
deux tiers des malades sont des malheureux qui sont traités par les médecins
pour la plupart pro deo. J’ai remarqué qu’aux termes de l’art. 46, la loi
exempte de l’impôt les chevaux des ecclésiastiques dans les communes rurales
pour le motif qu’il est indispensable que les ecclésiastiques tiennent un ou
plusieurs chevaux, afin de vaquer aux fonctions de leur ministère : ne
pourrait-on pas conclure de l’exemption précitée que les auteurs de la loi sur
l’impôt personnel ont eu l’intention d’exempter les chevaux servant à la
profession des médecins des campagnes, comme étant indispensables à l’exercice
de cette profession, et cela par le même motif qu’ils ont exempté les chevaux
des ecclésiastiques dans les communes rurales ?
Je sais que les tribunaux n’ont pas interprété la
loi comme je le fais, mais je ne puis croire que le législateur ait astreint
les chevaux des médecins dans les campagnes à payer un impôt, chevaux
indispensables à leur profession, lorsqu’ils ne s’en servent pas à l’attelage
de voiture suspendue. L’esprit de la loi doit être interprété comme je le fais
; et sur ce rapport, la lettre même n’est pas bien clairement contraire à mon
opinion. D’ailleurs, messieurs, ne serait-il pas injuste de faire payer à un
médecin de campagne le même impôt qu’a un médecin de ville pour l’usage de son
cheval ? Le premier se sert d’un cheval pour exercer son état ; il lui est
indispensable ; il n’est ni cheval de luxe, non plus que de commodité ; il est
indispensable. En est-il ainsi du cheval du médecin de ville, qui, attelé à un
tilbury, le conduit commodément chez ses malades ?
Ce cheval peut être considéré comme de commodité,
et pour ce motif, appelé à payer 15 francs d’impôt ; car, dans mon opinion, il
ne doit pas payer l’impôt à raison de 20 florins comme il est taxé par la loi
qui nous régit actuellement, et j’applaudis à la réduction proposée. Je
considère le cheval d’un médecin de ville, lorsqu’il l’attelle à une voiture
suspendue, comme employé principalement à l’exercice d’une profession, et en
même temps comme étant une commodité, pour celui qui s’en sert, et pour ce
motif considéré commue mixte aux termes de l’art. 42, n°3 de la loi de 1822.
Je désire donc voir disparaître l’impôt personnel
sur les chevaux du médecin, lorsqu’ils servent exclusivement à la selle pour
exercer sa profession. S’ils sont attelés à des voitures suspendues, alors je
les considère comme mixtes et appelés à payer l’impôt à raison de 15 francs par
tête.
La même disposition est applicable à l’égard des
chevaux employés par les chirurgiens, artistes vétérinaires, fabricants, commis
voyageurs et cultivateurs qui montent des chevaux d’agriculture et employés à
la culture.
On m’observera peut-être que par suite de
l’adoption des propositions que je viens de soumettre ; on va réduire les
ressources de l’Etat. Si l’Etat ne peut éprouver cette réduction, alors faites
payer pour chaque cheval employé à la selle par les médecins, chirurgiens,
artistes vétérinaires, etc., etc., 5 fr. ; vous verrez tripler le nombre de
déclarations, et vous éviterez une réduction dans les recettes.
Je crois devoir faire remarquer que les chevaux de
selle des cultivateurs sont pour la plupart des juments tarées et de réforme,
tenues par des cultivateurs en vue d’en tirer des poulains. Ils montent les
juments pour vaquer à leurs occupations agricoles en même temps que cet
exercice est nécessaire a la santé de ces juments.
Les cultivateurs achètent parfois des jeunes
chevaux de deux à trois ans dans l’espoir de tirer un meilleur parti des
produits en fourrages provenant de leurs exploitations. Ils conservent ces
chevaux deux ou trois ans, et les vendent lorsqu’ils trouvent un bénéfice. Pour
vendre ces chevaux à bon prix, ils doivent recevoir le maniement de la bride,
et on doit les exercer jusqu’à certain point : pour cela faire, le cultivateur
doit les monter ainsi que les jeunes chevaux provenant des juments tenues pour
obtenir de la race.
Pour ces motifs, je crois que ces chevaux devraient
être exempts de l’impôt, ou au moins passibles d’un droit léger, s’ils ne sont
pas attelés à des voitures, à moins que ce ne fût pour les exercer ; en
imposant ces chevaux, ainsi que ceux de la catégorie préalable, à un taux
modéré, il en résultera une masse de déclarations volontaires qui donnera lieu
à augmenter les ressources du trésor, et sans avoir besoin de faire des procès
aux tenants chevaux de l’espèce.
Evitons autant que possible les discussions en
matière d’impôt ; l’intérêt de l’ordre et de la tranquillité nous en impose le
devoir.
Aux termes de l’art. 42, n°3, les chevaux employés
exclusivement à l’agriculture et qui servent en même temps aux attelages des
voitures suspendues paient par tête 7 florins, quelle que soit la position du
cultivateur. Par la loi qui vous est soumise on propose une restriction en ce
sens que les chevaux employés à l’agriculture et servant en même temps aux
attelages des voitures suspendues, paieront 29 florins s’il est reconnu par la
commission instituée par l’art. 58 de la loi sur la contribution personnelle,
et d’après la décision de la députation permanente du conseil provincial, que
ce cultivateur ne tire pas son principal moyen d’existence de sa culture :
c’est une mesure nouvelle au détriment du cultivateur.
Nous savons par expérience comment se compose la
commission voulue par l’art. 58 de la loi. Elle est presque toujours dans les
communes rurales formée au gré et bon plaisir de MM. les contrôleurs, qui pour
la plupart ne négligent rien pour faire rentrer le plus d’argent possible dans
les caisses de l’Etat, en vue de se rendre recommandables aux yeux de leurs
chefs. En résultat, ce sera M. le contrôleur qui jugera si le cultivateur
paiera 7 ou 20 florins par cheval de labour qu’il attelle quelquefois à une
voiture suspendue ; en un mot, le cultivateur paiera pour la plupart du temps autant
pour deux chevaux qu’il tient pour sa culture et attelle 6 ou 7 fois par an à
une voiture de réforme, que l’homme opulent qui tient deux chevaux de la plus
grande beauté qu’il attelle à la voiture la plus élégante et dont il se sert à
peu près tous les jours de l’année par luxe et comme agrément.
L’homme opulent, dont je fais allusion, habite
presque toute en ville où il peut se procurer un fiacre pour se transporter où
il trouve bon, dans les moments où le temps ne lui permet pas d’aller à pied,
tandis que le cultivateur à la campagne ne peut se procurer les mêmes moyens de
transport et est par conséquent obligé de faire atteler à une vieille voiture
deux chevaux bien lourds pour être transporté au pas de boeuf où il doit aller,
et lorsque sa santé ne lui permet pas de faire roule à pied : qu’on veuille
bien me dire si c’est là du luxe.
L’impôt sur les chevaux a été frappé sur le luxe et
en proportion de son degré, de plus ou de moins, de luxe ou de commodité :
c’est ainsi que les chevaux exclusivement employés au luxe ont été frappés de
20 fl. par tête, tandis que les chevaux même élégants, servant à une profession
et employés en même temps au luxe, ne paient que 7 fl. Et, messieurs,
l’avez-vous bien remarquée, la disposition qui veut que les chevaux employés à
l’agriculture paient 20 fl. s’ils sont quelquefois attelés à des voitures
suspendues, pour le cas où le cultivateur soit jugé ne pas tirer de sa culture
son principal moyen d’existence ?
Pour être conséquent, on aurait dû appliquer la
même disposition aux fabricants qui parfois attellent leurs chevaux de fabrique
à des voitures suspendues, parmi payant 15 francs par tête, sans qu’il soit
décidé qu’ils tirent leur principal subsistance de leur fabrique, tandis que le
cultivateur, pour 8 à dix fois qu’il emploiera au même usage ses chevaux de
labour, paiera environ trois fois autant que le fabricant. Ces dispositions
sont justes envers le fabricant, il ne doit pas payer pour ses chevaux de
fabrique, lorsqu’il les attelle à une voiture, comme l’homme opulent qui tient
des chevaux de luxe et par pur agrément.
Eh bien, messieurs, il est injuste d’exiger du
cultivateur un impôt sur ses chevaux de labour, attelés à des voitures,
quelquefois à l’égal de celui frappé sur l’homme riche qui tient des chevaux de
luxe.
Dans le mémoire explicatif accompagnant le projet
de loi, je vois le passage suivant : il était juste que les chevaux qui servent
uniquement au luxe et à la commodité fussent les plus imposés. Cette charge est
légère, dit-on, elle ne revient qu’à cinq cents par jour. C’est un sacrifice
modique pour quiconque est en état de tenir des chevaux par luxe ou pour son
agrément.
Voilà, je crois, une définition assez claire sur ce
qu’on a entendu par chevaux appelés à payer l’impôt le plus élevé.
Eh bien, je le demande, en proposant de fixer
l’impôt au taux le plus élevé sur les chevaux d’agriculture qui sont
quelquefois attelés à des voitures suspendues, n’est-ce pas sortir des
dispositions de la loi existante, n’est-ce pas la rendre plus injuste, plus
arbitraire ? Ah ! croyez-moi, cette loi a donné
matière à assez de récriminations. En la modulant, cherchons à la rendre
meilleure et évitons de nouvelles récriminations, d’autant plus fondées que les
changements proposés doivent vexer une classe très intéressante de la société,
la classe des agriculteurs.
Je crois devoir faire remarquer que l’homme opulent
qui tient des chevaux de luxe et pour son agrément paie 5 1/2 cents par jour,
tandis que le cultivateur qui attelle son cheval de labeur 10 fois par an, et
dans la supposition où le jour qu’il attelle vous considériez ce cheval de
labour comme cheval de luxe, il en résultera qu’il paiera un impôt de près de 5
francs ou 2 florins par jour qu’il se sert de son cheval à l’usage de sa
voiture, tandis que l’homme opulent ne paie que 5 1/2 cents.
La modification proposée a pour but de faire
disparaître les conflits et les discussions entre les contribuables et
l’administration des contributions.
Je crois que le résultat ne répondra pas à
l’intention des auteurs de la loi nouvelle. Loin de là, je crains fort que la
disposition qui veut que le cultivateur tire son principal moyen d’existence de
sa culture pour ne payer que 15 francs par cheval qu’il attelle, soit de nature
à augmenter le nombre des discussions. Voici sur quoi je fonde mes craintes :
Tel cultivateur prétendra qu’il tire son principal
moyen d’existence de sa culture. M. le contrôleur soutiendra le contraire : de
là procès devant la députation du conseil provincial, qui jugera sur l’avis de
la commission instituée par l’art. 58 de la loi personnelle. Comme je l’ai déjà
dit, ces commissions sont formées pour la plupart par les contrôleurs et
presque toujours de l’avis de l’administration. Autant vaudrait-il dire que les
contrôleurs jugeront définitivement de la position de l’agriculteur, sur le
point de décider s’il vit de sa culture ou non, ou bien si l’impôt sera de 7 ou
de 20 florins par cheval qu’il attelle accidentellement et dans des moments
indispensables son cheval de labour à une voiture suspendue : en un mot,
messieurs les cultivateurs, vous serez jugés et condamnés sans être entendus,
sur l’avis de la commission et le bon plaisir de M. le contrôleur.
Croyez-vous, messieurs, que les cultivateurs
verront ces dispositions à introduire dans la loi sur l’impôt personnel d’un
œil de satisfaction, et qu’ils ne trouveront pas dans cette modification des
nouveaux moyens de vexation ? Pour mon compte, je crois qu’il va en résulter
perturbations nouvelles, et que nos campagnards ne manqueront pas de dire que
le gouvernement belge a revu, corrigé et augmenté la loi de l’impôt personnel ;
sur le rapport d’augmenter les moyens de vexations à exercer envers le
contribuable campagnard, ils ne manqueront pas de se demander si c’est de cette
manière qu’on reconnaît les services rendus et les sacrifices supportés par eux
dans l’intérêt de la révolution.
Ah ! messieurs, n’abusons
pas de la patience des campagnards, évitons de la pousser à bout : vous le
savez, la patience a des bornes.
Traitez le campagnard agriculteur sur le rapport
des chevaux de labour dont il se sert pour se transporter dans une voiture non
pas de luxe, mais parce qu’il ne peut être transporté autrement, comme vous
traitez le fabricant qui emploie les chevaux de sa fabrique au même usage, et
ne traitez pas le cultivateur sur le rapport de l’impôt, pour dix ou douze fois
qu’il se sert de ses chevaux de labour à l’attelage d’une voiture suspendue,
comme vous traitez le riche financier ou l’homme opulent qui tient des chevaux
par luxe et ostentation.
Je sais, messieurs, que sous le prétexte que ses
chevaux sont employés à l’agriculture, ils sont déclarés mixtes par quelques
familles habitant les campagnes rurales, tandis qu’ils devraient être
considérés comme chevaux de luxe. C’est un abus, c’est éluder la loi, j’en
conviens. Pour éviter semblable fraude, n’existe-t-il pas d’autre moyen que
celui qui vous est proposé ? Devons-nous être injustes envers les masses pour
atteindre la fraude de quelques particuliers ? Si on n’avait pas d’autre moyen
de réprimer cette fraude, pourriez-vous encore adopter celui qui vous est
proposé ? Pour mon compte, je ne le crois pas. D’ailleurs il y a d’autres
moyens à employer : par exemple, ne pourrait-on pas exiger que pour considérer
un cheval mixte, lorsqu’il est employé à l’agriculture et en même temps à
l’usage des voitures suspendues, il soit employé au moins à la culture de
S’il est constant que deux chevaux cultivent dix
hectares de terre, ils peuvent être considérés comme mixtes. Si vous
établissiez cette condition, alors vous éviteriez que tel propriétaire tenant
des chevaux de luxe les déclare mixtes ; il préférera payer l’impôt de 20 fl.
par cheval, plutôt que de gâter ses chevaux élégants, et qui souvent sont d’une
valeur supérieure à 10 chevaux de labour.
Le moyen que je suggère peut être médité : s’il
n’est pas trouvé suffisant, il y en a d’autres, tels, par exemple, que les
chevaux déclarés mixtes ne pourront, sans être appelés à payer l’impôt comme
chevaux de luxe, servir en ville lorsque le propriétaire habite la ville partie
de l’année. Au surplus les hommes spéciaux en fabrication de lois fiscales,
s’ils le veulent, trouveront facilement le moyen d’atteindre le contribuable de
l’espèce et d’éviter la fraude signalée ci-dessus.
J’ai dit précédemment que je ne croyais pas que la
modification proposée serait avantageuse au trésor : et, en effet, combien de
cultivateurs qui déclarent deux chevaux mixtes attelés dix à douze fois à une
voiture, et pour lesquels ils paient 14 fl. en principal, ne voudront pas payer
40 fl. dans la crainte qu’il soit jugé ne pas tirer ses moyens principaux
d’existence de sa culture ; ils n’en déclareront plus, et le trésor sera privé
de cette contribution.
Lorsqu’ils devront absolument sortir, ils loueront
deux chevaux au premier cultivateur de la classe basse qui aura sûrement à se
quereller avec l’administration ; mais on aura soin de ne pas employer les
mêmes chevaux plus d’une fois par an, et je doute que pour une fois qu’on aura
attelé deux chevaux de labour à une voiture, surtout quand ces deux chevaux
appartiendront à un malheureux cultivateur, ils puissent jamais être considérés
comme chevaux sujets à la taxe.
Voici un autre moyen d’éluder votre disposition :
le propriétaire cultivateur qui est appelé à payer l’impôt au maximum, vu qu’il
ne tire pas son principal moyen d’existence de sa culture, fera faire sa
déclaration par un de ses fermiers qui tire son existence de sa culture ; et
ses chevaux de labour seront à la disposition du propriétaire tant et quante fois il en aura besoin : il est vrai qu’il en
résultera un nouveau conflit entre le contribuable et l’administration.
Si ces deux moyens ne sont pas suffisants, il en
est un troisième à ma connaissance. Ce moyen est employé dans le Hainaut. On se
sert d’un char-à-bancs non suspendu, et on attelle ses chevaux même très
élégants sans payer d’impôt.
Croyez-moi, messieurs, repoussez la modification
proposée relative aux chevaux d’agriculture attelés quelquefois à l’usage des
voitures suspendues, si vous voulez éviter de nouvelles discussions entre les
contribuables et l’administration des contributions, en même temps que de
prévenir une diminution dans le produit de l’impôt qui, selon moi, est
certaine. En outre, évitons de mécontenter les propriétaires cultivateurs en
sanctionnant un acte vexatoire à leur égard et tout à fait exceptionnel.
Je déclare reconnaître dans l’auteur du projet de
loi qui vous est soumis, les intentions les plus pures ainsi que la volonté
d’apporter une amélioration dans la loi sur la contribution personnelle ; il a
voulu aussi éviter les contestations entre les contribuables et
l’administration, en même temps faire disparaître un moyen de fraude. Mais,
selon moi, son but bien louable ne sera pas atteint par le projet qui vous est
soumis, et j’en attribue la cause à ce qu’on a voulu améliorer une mauvaise loi
qui n’en est pas susceptible. Si vous voulez avoir une bonne loi sur l’impôt
personnel, il est indispensable d’en rédiger une nouvelle, ayant soin d’éviter
de se laisser influencer par les dispositions vicieuses que renferme la loi
actuelle.
En résumé je ne puis donner mon vote approbatif à
la loi qui nous est soumise :
1° Parce que je la considère comme injuste.
2° Par le motif qu’elle donnera matière à plus de
conflits entre les contribuables et l’administration que la loi actuelle.
3° Je la repousse encore pour le motif qu’elle
mécontentera une classe de contribuable dont on n’a pas sujet de mécontenter et
qui est déjà trop chargée d’impôts.
4° Et finalement pour le motif que la loi ne
produira pas de ressources nouvelles au trésor, et que le seul fruit qu’elle
produira sera une nouvelle perturbation et une injustice envers une classe de
la société.
Je me borne aux motifs que
je viens de vous déduire, en vue d’éviter de fatiguer la chambre. Je suis
cependant loin d’avoir donné tous les motifs qui me portent à repousser la loi
ainsi que toutes les conséquences qu’elle doit entraîner : si la discussion se
prolonge, et que l’on combatte mes observations, je me réserve de répondre le
plus laconiquement possible aux partisans du projet de loi qui vous est soumis.
Avant de terminer, je demanderai la permission de vous faire part de mes idées
sur une amélioration à apporter à la loi actuelle. Sans avoir la prétention de
vouloir faire des lois fiscales, je me permettrai de vous soumettre mes idées
sur la modification à apporter à la loi sur le rapport des chevaux servant à la
selle pour les médecins, chirurgiens, artisans vétérinaires, etc., et cela sans
prétention aucune. La commission, si vous le trouvez convenable, pourra
l’examiner et en tirer tel parti qu’elle en jugera convenable.
Voici, messieurs, ma proposition en forme
d’amendement au projet de loi en discussion. (Nous donnerons cette proposition.)
M. Seron. - Lors de
la discussion générale du budget des voies et moyens, on a prétendu que dans la
révision de notre système actuel d’impôts nous devions, afin d’arriver à de
bons résultats, procéder « partiellement et successivement. » Cette
manière de voir peut flatter la paresse d’esprit dont tout homme a son coin ;
et nous lui devons peut-être la conservation de la plupart des institutions hollandaises,
malgré la révolution entreprise il y a plus de six ans pour les détruire ; elle
peut expliquer la lenteur de notre marche, et notre persévérance à nous traîner
dans l’ornière que nous avons trouvée ouverte ; mais assurément elle ne
s’accorde guère avec l’art 139 de votre constitution, où le congrès a mis le
code financier au nombre des travaux dont la législature doit s’occuper le plus
tôt possible. D’un autre côté, des
hommes instruits ont pensé que les meilleures lois ou les moins
défectueuses, si l’on veut, sont celles d’un seul jet dont les différentes
parties ont pu être envisagées dans leur ensemble, et ensuite comparées et
mises en harmonie entre elles ; et que le moyen d’en avoir toujours
d’insuffisantes, de mauvaises, fourmillant d’inconséquences, de disparates et
de contradictions, c’est de les composer à diverses reprises et de pièces de
rapport, comme nous faisons quelquefois. D’ailleurs, en opérant partiellement,
on perd nécessairement de vue les principes de la justice distributive ; on
abat un abus dans l’intérêt de quelques membres de la société, mais on en
laisse debout une foule d’autres au préjudice de la masse des citoyens.
Ces dernières réflexions, messieurs, me sont venues
à la lecture du projet maintenant soumis à vos délibérations. En l’adoptant,
vous modifierez l’une des bases de l’impôt, la moins importante peut-être, et
vous oublierez qu’il en a six. Vous ferez droit à quelques réclamations, vous
diminuerez certaines taxes, mais la position du très grand nombre des contribuables
n’aura éprouvé aucun changement.
Cependant, s’il est en matière de fiscalité une loi
bonne à supprimer ou à refondre entièrement, c’est bien celle du 28 juin 1822,
non moins reprouvée dès sa naissance par l’opinion générale que l’abattage et
la mouture dont elle fut accompagnée. On en prévoyait alors les conséquences
bizarres et injustes. Une brochure imprimée a Bruxelles chez Hayez frères et soeurs, destinée à guider les contribuables
dans les déclarations exigées d’eux à peine d’amende, annonça que la nouvelle
contribution, très légère pour les communes rurales, allait écraser les villes.
Ainsi, disait l’auteur, un fermier fort aisé, habitant un village de 69
maisons, exploitant
Ce n’est pas que cette contribution manque de bases
; elle en a même trop. Par exemple, la taxe à raison du mobilier de laquelle on
se libère en acquittant le centième de la valeur locative multipliée par cinq,
est une espèce de répétition de la taxe payée en raison de cette même valeur
locative. En second lieu, si l’on peut juger de l’étendue et de l’importance
d’une maison par le nombre de ses cheminées, on peut en juger de même par le
nombre de ses ouvertures. Dès lors l’impôt des portes et fenêtres forme un
véritable double emploi avec l’impôt des cheminées. Ainsi, des quatre premières
bases, deux au moins paraissent inutiles. Il semble en vérité que M. Appelius et ses faiseurs n’ont établi un si grand nombre de
bases qu’afin de multiplier les taxes et d’augmenter les recettes. Comment ces
financiers minutieux et rapaces n’ont-ils pas imaginé aussi de vous pressurer
en raison de vos cheminées de marbre, de vos lambris dorés, de vos parquets, de
vos salons en stuc ? Mais alors ils eussent peut-être atteint les grandes
fortunes, et il entrait au contraire dans leur plan de les ménager, comme ils
l’ont fait en affranchissant de la taxe les foyers excédant le nombre de douze.
Vous aviez d’abord abolir ce privilège ridicule ;
mais un ministre vous a dit que nul, même parmi les très riches, n’entretient
chez soi plus de douze feux ; vous l’avez cru et vous avez rapporté comme
inutile votre décision, Les partisans des us et coutumes du bon vieux temps
n’ont pas manqué d’applaudir. Suivant eux, « le manant ayant trois
cheminées dans son étroite habitation doit, de nécessité, en boucher deux dont
il ne se sert pas, s’il entend ne payer l’impôt que d’une seule. Si cela le
gêne, tant pis pour lui. Mais pourquoi placer M. le gentilhomme dans l’alternative
de contribuer ou de rendre ses beaux appartements insalubres ? » O
révolution de septembre, Voila l’égalité que tu nous promettais !
Je reviens aux quatre premières bases ; elles ne
peuvent donner mesure des facultés du contribuable. Une maison assez spacieuse,
passablement meublée, est souvent occupée par homme de la classe laborieuse,
sans fortune ; elle ne lui appartient pas ; c’est l’instrument dont il se sert
pour gagner sa vie. Au contraire, une maison plus petite, mal garnie, est la
demeure de l’opulence ; on a même vu quelquefois des richards se contenter d’un
galetas. Le mobilier de M. le sénateur vaudra vingt fois plus que le mobilier
du petit industriel largement logé. Mais la faculté de quintupler la valeur
localité mettra le pauvre et le riche sur la même ligne.
Passons aux exceptions établies par la loi. Elles
sont pour la plupart absurdes. Ainsi, la taxe mobilière ne doit pas atteindre
les estampes, les dessins, les tableaux, les antiquités, les médailles et
autres objets de curiosité, bien que ces objets soient ordinairement la
propriété de citoyens très imposables ; elle ne pèse pas sur les bestiaux,
principale richesse des habitants de la campagne. Enfin, les contribuables dont
l’habitation est d’un loyer inférieur à vingt florins, ne payent pas un sou à
raison soit du loyer, soit des portes et fenêtres, soit des foyers, soit des
meubles Cette singulière exception est la principale source des inégalités les
plus choquantes, particulièrement de l’énorme disproportion entre la contribution
des villes et la contribution des communes rurales.
Quant aux cinquième et sixième bases dont l’objet
est de créer une contribution somptuaire, elles ne frappent pas exclusivement
le luxe, elles s’appliquent aussi aux domestiques et aux chevaux de selle indispensablement
nécessaires pour l’exercice d’un grand nombre de professions. Autant vaudrait
soumettre à l’impôt le rabot de menuisier et les ciseaux du tailleur d’habits.
Elles atteignent avec aussi peu de raison des vieillards, des impotents, de infirmes,
des familles chargées d’un grand nombre d’enfants en bas âge, et qui tiennent
par nécessité un domestique sottement assimilé par la loi au laquais en livrée.
Si maintenant nous examinons le mode d’application
de cette loi, nous le trouverons également partial et peu conforme à la nature
des choses et à la raison. La faculté de s’imposer lui-même est, dira-t-on,
laissée au contribuable ; oui ; mais quelle faveur ! S’il en use, il court le
risque de s’imposer trop ou trop peu, ce qui lui est également nuisible : ses
évaluations sont-elles trop fortes, il est surtaxé ; sont-elles trop faibles,
il est puni d’une amende. Il l’est également pour toute omission. Dans cette
situation difficile, il s’est vu forcé de s’en rapporter aux experts à la
nomination desquels il ne participe pas. Voilà donc la fixation des taxes, des
principales du moins, abandonnée à l’arbitraire de deux hommes dont les
connaissances sont souvent très bornées. Mais ils ont beaucoup de zèle.
Naturellement dévoués à l’administration qui les payait et leur demandait des
produits, ils n’ont pas manqué, pour mériter sa confiance et se perpétuer dans
un emploi lucratif, d’enfler leurs évaluations, quelquefois même démesurément.
On en a vu qui, accompagnés de M. le contrôleur, et aidés de ses conseils,
doublaient le montant réel des loyers. A la vérité, depuis la révolution,
l’administration s’est montrée moins avide, moins amie des mesures
inquisitoriales, en un mot, plus traitable ; mais les estimations, toutes
antérieures à 1830, n’ayant pour ainsi dire éprouvé aucun changement, il n’y en
a pas eu non plus dans les taxes, elles sont demeurées telles qu’elles étaient
originairement, c’est-à-dire excessives ; car la diminution générale, résultant
de la suppression d’une partie des centimes additionnels, a été un faible
soulagement pour les contribuables.
Il est temps, messieurs, de porter remède au mal.
Mais comment y parviendrez-vous ? Si un travail dispendieux et fort long, en
apparence d’une exécution simple et facile, confiée à des hommes déclarés
capables, n’a pas eu le résultat par eux promis de proportionner la
contribution foncière au revenu net de chaque particulier, de chaque commune,
de chaque canton, de chaque province, si, en d’autres termes, le cadastre est
une opération fautive et à peu près manquée, il est difficile, on le conçoit,
d’asseoir bien équitablement un impôt sur les fortunes mobilières. Pour arriver
à ce but, il faudrait avoir une connaissance parfaite de la matière imposable,
c’est-à-dire des facultés de tous les citoyens, déduction faite des charges ;
il faudrait établir leur bilan. Mais c’est là chose impossible ; elle le serait
encore, supposé même que tous les registres publics ou privés fussent ouverts
aux fonctionnaires chargés de la répartition. Disons-le donc franchement, une
contribution de cette nature manque de bases certaines et suffisantes, et ne
doit pas être regardée comme l’une des meilleures qu’on ait imaginées pour
obtenir l’argent du peuple, surtout si elle est immodérée. Ici la personnelle,
outre les vices que j’ai notés, a ce défaut capital, puisqu’elle fait les
quatre neuvièmes de la foncière, c’est-à-dire à peu près le double
proportionnellement de la contribution personnelle et mobilière décrétée par
l’assemblée constituante en 1791. Abolirez-vous la personnelle pour y suppléer
par des impositions indirectes ? Celles-ci ont bien leur beau côté ; elles
prennent l’argent où il est, quand, au lieu d’accabler la misère comme fait
l’odieuse gabelle du sel, elles pèsent sur des objets de consommation à l’usage
de classes aisées ; elles sont morales lorsqu’elles ont pour objet de diminuer
chez le peuple la consommation d’une boisson qui l’abrutit et ruine sa santé.
Mais il faut voir le revers de la médaille : ces impositions ont de très graves
inconvénients ; le recouvrement en est généralement coûteux et absorbe une
grande partie des produits ; elles nécessitent une armée de commis ; elles
exposent les citoyens à des exercices, à des vexations sans nombre ; elles sont
peu favorables à la morale publique ; elles multiples les fraudeurs.
Augmenterez-vous le droit de patente ? mais cet impôt
n’est déjà que trop élevé et la loi qui l’a créé en abandonne l’assiette à
l’arbitraire des agents du fisc. Cependant nous avons beaucoup de mangeurs et
besoin de beaucoup d’argent. Dans cet état de choses ayons une contribution
personnelle puisque c’est un mal nécessaire, mais tâchons de la rendre plus
supportable et moins vexatoire.
Nous y parviendrons, ce me semble, messieurs, si
nous avons enfin le courage de remettre en vigueur le système précédent, dont
personne ne se plaignait et qu’on a conservé en France, c’est-à-dire l’impôt de
répartition connu sous le nom de contribution personnelle et mobilière, en y
ajoutant, s’il le faut, une contribution des portes et fenêtres et de
véritables taxes somptuaires. Plusieurs raisons, outre celles que j’ai
exposées, doivent faire préférer cette contribution à l’impôt actuel. 1° Le
fardeau sera moins pesant, parce qu’elle portera sur un beaucoup plus grand
nombre de personnes. 2° L’assiette en sera susceptible de perfectionnement, car
chaque commune ayant son contingent fixé, les contribuables seront tous
intéressés à voir s’établir entre eux l’égalité proportionnelle, au lieu que,
dans l’impôt de quotité, les estimations insuffisantes, les omissions sont vues
avec indifférence par tous ceux qu’elles ne concernent pas. Que gagneraient-ils
à les signaler ? Ils n’amélioreraient pas leur position, ils ne paieraient pas
un centime de moins. 3° Les répartiteurs, placés sous les yeux de leurs concitoyens
et renouvelés chaque année, n’oseront être injustes, et, enfin, s’ils se
trompent, leurs erreurs pourront facilement se réparer. Dans ce système, tous
les chefs de famille seraient imposables, excepté ceux qui n’ont rien au-delà
du strict nécessaire, car le strict nécessaire ne doit jamais être ébréché par
l’impôt. Alors du moins on ne verrait plus comme aujourd’hui une foule
d’individus affranchis de toute contribution directe, qui sont en état de payer
à la nation, sans se gêner, la valeur de trois journées de travail et souvent
beaucoup plus. Ils viendraient en aide à leurs concitoyens, et ce serait
justice.
Je ne sais si, à l’imitation de l’assemblée
constituante, vous devez frapper les célibataires d’un excédant de cotisation,
car les contributions doivent se percevoir en raison des facultés d’un
individu, non en raison de son état. Mais, à fortune égale, le célibataire doit
payer sans doute plus que le père de famille, parce que les enfants sont une
charge à laquelle on ne peut, sans être injuste, se dispenser d’avoir égard. Il
en est de même du spéculateur qui, pour s’enrichir, épouse une femme surannée
dont il est sûr de n’avoir jamais d’enfants. Quand au pauvre diable qui ne se
marie pas faute d’une femme qui veuille de lui, ou de peur de faire des
malheureux, sa position doit être prise en considération. Enfin une loi contre
le célibat serait regardée ici comme une véritable anomalie ; elle ferait crier
les révérends pères jésuites, les révérends pères dominicains, les révérends
pères capucins, les augustins, les carmes chaux et déchaux qui pullulent à
l’ombre de votre constitution, font des processions, prient pour nous et vivent
à nos dépens. Mais comme ils ne sont pas tout à fait réduits au strict
nécessaire, il sera juste de les comprendre dans la nouvelle contribution.
Livrez-vous, messieurs, à ce travail ; il vous
vaudra, j’en suis sûr, la reconnaissance publique ; ne soyez pas arrêtés par la
considération que, maintenant, aucune réclamation ne s’élève plus contre les quatre
premières bases de l’impôt existant ; car si les contribuables ont cessé de
vous adresser leurs plaintes, c’est uniquement parce qu’ils les croient
inutiles : ils n’en sont pas plus satisfaits.
A ces considérations dont
l’objet est de justifier la proposition que je vais avoir l’honneur de vous
soumettre, je pourrais en ajouter beaucoup d’autres en répétant ce que j’ai
déjà dit précédemment sur cette matière. Mais je vous ennuierais peut-être, et
quand on ennuie on ne persuade pas.
Je demande que la chambre veuille bien charger sa
commission des finances de lui présenter le plus tôt possible un projet de loi
pour substituer à la contribution personnelle de quotité établie par la loi du
22 juin 1822 : 1° un impôt de répartition qui se composera d’une cote
personnelle et d’une cote mobilière ; 2° un impôt sur les portes et fenêtres ;
3° un impôt sur les voitures suspendues et sur tout cheval de luxe employé
comme monture ; 4° enfin, un impôt sur les domestiques de luxe.
M.
Dechamps. - L’honorable préopinant qui descend de la tribune a parlé de
beaucoup de choses, excepté de la loi soumise à la discussion. Il a proposé des
modifications à diverses bases de la contribution personnelle, et n’a pas
touché le moins du monde à la sixième base de l’impôt personnel sur laquelle
nous sommes appelés à délibérer actuellement. Je ne suis donc pas appelé comme
rapporteur de la commission à répondre aux observations du préopinant. Mais je
ferai une proposition, c’est que la proposition de M. Seron soit renvoyée à la
commission de révision des impôts, instituée par un arrêté royal et qui est
chargée de réviser toute la contribution personnelle.
Quant aux observations de l’honorable M. Eloy de
Burdinne, je me propose d’y répondre lorsque nous viendrons à la discussion des
articles.
M. le ministre des
finances (M. d'Huart). - Je ne parlerai pour le moment que sur la
proposition de l’honorable M. Seron, qui me paraît devoir être examinée
d’abord.
Il me semble qu’il eût été plus naturel plus
expéditif, pour arriver à une conclusion, que M. Seron, au lieu d’indiquer
simplement les bases du l’impôt qu’il voudrait établir, ce qui n’est pas bien
difficile, indiquât lui-même l’application de ces bases.
Il aurait pu, en un mot, user de l’initiative qu’a
chaque membre de la chambre pour présenter un projet de loi. Renvoyer à une
commission déjà surchargée de travail, la simple indication de bases très
vagues, afin de la charger de les formuler en un projet de loi, je ne comprendrais
pas cette manière de procéder.
L’honorable M. Dechamps a pensé que la proposition
de M. Seron pouvait être envoyée à la commission instituée par le gouvernement
en 1833 pour réviser les impôts ; mais cette commission n’est pas
officiellement connue de la chambre, ou plutôt la chambre ne peut entrer en
rapport avec elle. La proposition pourrait tout au plus être renvoyée au
ministre des finances, qui, de son côté, serait libre d’en faire usage
vis-à-vis de ladite commission qui ressortit à son département.,
Je rappellerai, messieurs,
quant à cette commission en elle-même, que M. Seron, qui en fait partie, a reçu
de ma part, dès 1834, expédition d’un projet de loi tendant à réviser la même
contribution personnelle dont il est question en ce moment ; le délai qui s’est
écoulé depuis lors indique assez combien cette matière est délicate et
difficile, puisque, sur un projet élaboré, une commission bien composée n’a pas
même encore émis un avis.
Ces courtes observations vous feront apprécier tous
les inconvénients qu’offre la proposition de M. Seron. Vous ne renverrez pas ainsi à l’examen de la commission
des finances de simples bases sommaires d’impôt, qu’elle serait probablement
fort embarrassée de formuler en un projet de loi, parce qu’elle ne connaîtrait
pas la portée qu’y attache leur auteur.
M. Seron. - J’ai été
nommé membre de la commission ; mais je n’ai pas accepté, et je ne suis pas
appelé à rendre compte à la chambre des motifs de mon refus.
M. le ministre m’invite à rédiger un projet de loi.
Mais ce n’est pas là-dessus qu’il devait parler. Si j’avais cru devoir
présenter un projet de loi, je l’aurais fait.
M. le ministre a dit que ma proposition présentait
des bases vagues ; il s’est servi de cette expression-là. Toutes les bases de
ma proposition sont les bases de l’ancienne contribution personnelle somptuaire
; on les trouvera dans la loi française. La commission n’aura pas grand-peine à
formuler un projet de loi. Il n’y a rien à inventer, rien à imaginer ; il n’y a
qu’à compiler pour revenir à un système raisonnable, au lieu de croupir
toujours dans l’ornière néerlandaise comme nous l’avons fait jusqu’ici.
- La chambre n’est plus en nombre.
Il est procédé à l’appel nominal qui constate la
présence des 46 membres dont les noms suivent : MM. Beerenbroeck, Brabant, Lehoye, Cornet de Grez, Dechamps, de Meer de Moorsel, F. de
Mérode, W. de Mérode, de Nef, de Renesse, Desmet, de Terbecq, de Theux, Devaux
d’Hoffschmidt, d’Huart, Doignon, Dubus (aîné), B. Dubus, Eloy de Burdinne, Fallon,
Hye-Hoys, Mast de Vries, Morel-Danheel, Pirmez, Polfvliet, de Man d’Attenrode,
Raikem, Rogier, Scheyven, Seron, Simons, Smits, Stas de Volder, Trentesaux,
Ullens, Vandenbossche, Vandenhove, Vanderbelen, Verdussen, Verrue-Lafrancq,
Vilain XIIII, L. Vuylsteke, Zoude, Dequesne.
(Addendum au
Moniteur du 19 janvier 1837 : Aux noms des membres dont l’appel nominal
fait à la fin de la séance d’hier, a constaté la présence, nous devons ajouter
ceux de MM. Lejeune, Milcamps et Pollénus.)
- La séance est levée à 4 heures et quart.