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Note d’intention
Chambre des représentants
de Belgique
Séance
du lundi 12 décembre 1836
1) Pièces
adressées à la chambre
2) Projet
de loi relatif à la taxe sur les chevaux (contribution personnelle)
3)
Rapport sur une pétition relative à l’affermage de la pêche dans l’Escaut (Zoude, Verdussen, d’Huart, Desmet, Gendebien)
4) Projet
de loi portant le budget des voies et moyens pour l’exercice 1837. Discussion
générale. Situation de la société générale vis-à-vis du trésor public,
démission proposée par certains ministres par suite de la décision de nommer
ministre d’Etat deux agents de la banque (Meeus, Coghen) et volonté
d’accaparement de la banque (Doignon), évolution générale des dépenses de l’Etat
(Kervyn), système des poids et mesures, restitutions
volontaires (Andries), équilibre général entre recettes
et dépenses (Eloy de Burdinne), comptabilité publique (Verdussen), réplique générale (notamment situation de la
société générale, cour des comptes, sociétés anonymes) (d’Huart), situation
de la société générale (Pirson), hypothèques (Pirmez, Ernst)
(Moniteur belge n°349, du 13
décembre 1836)
(Présidence de M. Raikem.)
M. de Renesse procède à l’appel
nominal à midi trois quarts.
M. le président procède au renouvellement
des sections par la voie du tirage au sort.
M. Kervyn lit le procès-verbal de la
séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. de Renesse présente l’analyse des
pièces adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A
« Des faïenciers de Bruges adressent des observations sur la loi
relative au sel. »
________________
« Des faïenciers et bateliers de St-Nicolas, Lokeren, Hamme, Tamise,
etc., adressent des observations sur la loi relative au sel. »
________________
« La dame Catherine Preugné, épouse de Pierre-François Buschots,
demande que son mari qui a contracté des infirmités en montant la garde
bourgeoise, jouisse de la pension accordée aux blessés de la révolution. »
________________
- Les pétitions relatives au sel sont renvoyées à la section
centrale qui est chargée d’examiner le projet de loi sur le sel ; l’autre est
renvoyée à la commission des pétitions.
________________
M. le ministre de l'intérieur (M.
de Theux). transmet par lettre les explications que la chambre lui a
demandées, par sa décision du 29 novembre dernier, sur la pétition du sieur Ch.
Bogaert (de Bruges).
- Pris pour notification.
PROJET
DE LOI RELATIF A
M. Dechamps dépose sur le bureau de la
chambre le rapport sur le projet de loi concernant l’impôt qui frappe les
chevaux à double usage.
- La chambre ordonne l’impression de ce rapport.
RAPPORT
SUR UNE PETITION
M. Zoude, organe de la commission des pétitions,
entretient la chambre de pétitions relatives à la pêche dans l’Escaut. Il
s’exprime en ces termes. - Messieurs, votre commission des pétitions n’a pu
s’occuper que ce matin de la pétition des pêcheurs de l’Escaut ; c’est vous
dire que son rapport laissera beaucoup à désirer.
D’abord nous eussions voulu prendre connaissance de l’arrêté du 26 août
1835, dont les articles 1 et 2 sont invoqués : mais le temps nous ayant manqué
pour en faire la recherche, nous admettons comme vrai, jusqu’à preuve
contraire, ce que disent les pétitionnaires : savoir que cet arrêté leur
accordait la faculté de pêcher librement dans les eaux de
Mais cette pêche ayant été, disent-ils, réduite
jusqu’à néant depuis les événements de 1830, ne pouvant plus l’exercer que sous
le bon plaisir des Hollandais, ils s’adressèrent au roi pour être autorisés à
pêcher librement depuis Tamise jusqu’à Doel,
demandant à cet effet que ce cantonnement ne fût plus mis en adjudication après
l’expiration du bail ; mais il fut répondu par le ministre des finances que la
pêche de l’Escaut étant un revenu domanial, la demande des pétitionnaires ne
pouvait être accueillie. Incontestablement, le ministre était ici dans son
droit. Cette décision est du 11 mai 1835.
Mais trois jours après, et lorsqu’une nouvelle pétition venait d’être
adressée au Roi, le ministre, au dire des pétitionnaires, fit ce qui n’avait
jamais eu lieu jusqu’alors ; il créa un nouveau cantonnement depuis Doel jusqu’à Saflingen, dans les
eaux de
Cependant, la deuxième pétition dont il vient d’être parlé avait été,
suivant une lettre du cabinet, renvoyée à M. le ministre de la marine, qui n’y
a fait aucune réponse jusqu’à ce jour. Cette réponse serait cependant
nécessaire pour confirmer ou repousser les allégations des pétitionnaires, qui
prétendent que cette pêche n’a jamais été affermée comme appartenant aux eaux
de
Ces renseignements mettront la chambre en position d’apprécier en
connaissance de cause le mérite de cette pétition ; c’est pourquoi nous avons
l’honneur de vous proposer de renvoyer celle qui vous est maintenant soumise à
M. le ministre de la marine avec demande d’un prompt rapport.
M. Verdussen. - Je commencerai,
messieurs, par remercier la commission des pétitions du zèle qu’elle a montré dans
cette circonstance et de l’activité qu’elle a mise dans le prompt examen d’un
objet important.
Il y a dans l’Escaut deux espèces de pêches qui ont été données en
ferme. La première comprend la pêche dans les eaux de l’Escaut depuis
C’est au premier janvier 1837 que ces deux fermes vont expirer ; mais si
je suis bien informé, le ministre des finances doit avoir l’intention
d’affermer de nouveau, pour neuf années, ces pêches ; et je prends la parole
pour l’engager à suspendre cette adjudication jusqu’à ce que les questions
qu’elle soulève soient examinées.
En effet, il y a à se demander si l’on peut enlever le droit de pêcher
aux malheureux, et si la pêche aussi bien que la navigation des rivières ne
doit pas être libre. Et s’il y a des inconvénients dans l’affermage d’une pêche
qui anéantit l’industrie d’une classe pauvre de notre population, comment
redresser ces torts en passant un bail de neuf années ? Si M. le ministre des
finances croit pouvoir procéder à cette adjudication, qu’au moins le bail ne
soit que d’une année, parce qu’alors le remède pourrait être promptement
apporté au mal.
Je n’entrerai pas en ce moment dans le détail de toutes les particularités
qui militent en faveur de la pétition des pêcheurs de l’Escaut, et je me
propose d’en dire davantage dans la discussion du budget des voles et moyens.
Toujours est-il que cette pêche qui rapporte 750 fr. au gouvernement, en
rapporte 3,000 à l’adjudicataire, du moins si les renseignements que j’ai
obtenus sont exacts ; ce que je sais positivement, c’est que plusieurs pêcheurs
qui sont obligés de payer à cet adjudicataire, versent annuellement dans ses
mains une somme de soixante francs, afin de pouvoir exercer leur pénible
industrie. L’adjudication est donc la création d’un bénéfice au profit d’un
seul individu, et au détriment d’une multitude de malheureux : c’est là un très
grand mal.
N’est-il pas étonnant que, dans un pays comme la nôtre, où l’on cherche
à agrandir le cercle des libertés conquises par une révolution, on mette dans
la dépendance d’un fermier l’exploitation d’une industrie utile au public ?
Parmi les pétitionnaires, je sais pertinemment
qu’il en est cinq, qui habitent Anvers ; les autres, pour la plupart, habitent
les Flandres. Ce n’est donc pas en faveur d’une seule localité que je parle ;
et les intérêts que je défends sont communs à tous les habitants des rives de
l’Escaut.
Je vous ferai, en outre, remarquer que la partie de la pêche depuis Doel jusqu’à Saftingen deviendra
probablement un monopole, parce que le fermier paraît avoir l’intention
d’exploiter par lui-même. Il me semble qu’il vaudrait infiniment mieux faire en
sorte que tout le monde pût acquérir le droit de pêcher. Maintenant celui qui
veut pêcher est obligé d’acheter ce droit à un fermier qui le lui accorde selon
son bon plaisir : ainsi des malheureux sont privés de leur industrie quand il
plaît au fermier.
Il est donc important que le ministre suspende l’adjudication jusqu’à ce
que nous en soyons arrivés, dans la discussion du budget des voies et moyens
qui va commencer aujourd’hui, à l’article qui traite des revenus du domaine.
J’ajoute que sans m’opposer aux conclusions de la commission des pétitions, je
crois qu’il serait très utile de renvoyer également la pétition au ministre des
finances avec demande de promptes explications.
M. le ministre des
finances (M. d'Huart). - Je ferai observer à la chambre que les
rivières et les fleuves sont du domaine public, et que l’administration du
domaine peut mettre la pêche en ferme sans qu’on puisse se plaindre qu’un seul
ait le privilège de pêcher ? Les chasses sont également affermées, et par cette
ferme on ne peut pas dire non plus qu’il y ait privilège : dans l’un et l’autre
cas il y a adjudication publique d’un droit de propriété, à laquelle chacun
peut concourir.
Au reste, si la chambre me renvoie la pétition, je l’examinerai de
manière à pouvoir entrer dans quelques explications détaillées quand on
arrivera à la discussion de l’article du budget des voies et moyens qui
comprend cet objet.
M. Verdussen. - Je demanderai à M. le
ministre des finances qu’il n’afferme pas pour 9 années ; qu’il suspende
l’adjudication de cette mise en ferme : cette suspension nous donnerait le
temps de développer ce que nous avons à dire en faveur des pétitionnaires lois
de la discussion de l’article du budget des voies et moyens concernant le
domaine public.
M. Desmet. - Je
demanderai, moi, que la pêche soit libre depuis Termonde jusqu’à la frontière
de Zélande : actuellement la pêche est un monopole ; aussi le poisson est-il
rare, et son prix très élevé. Que la pêche soit libre, et nous ne manquerons
plus de poisson.
M. le ministre des finances (M. d'Huart).
- J’ai déclaré que j’examinerais la pétition d’ici au moment où nous en serons
à l’article de l’administration du domaine indiqué dans le tableau des voies et
moyens, c’est-à-dire d’ici à trois ou quatre jours. Lorsque la discussion de
cet article sera ouverte, vous examinerez si vous voulez supprimer du budget la
ressource que produit le fermage de la pêche ; car, en bonne justice, il ne
s’agira pas seulement, veuillez bien le remarquer, de la pêche dans tel canal,
dans tel fleuve, mais d’un principe. Quoi qu’il en soit, je dirai que le droit
de pêche est une propriété de l’Etat ; il loue ce droit comme pourrait faire un
simple particulier à l’égard de la pêche d’un ruisseau traversant ses
propriétés.
M. Gendebien. - Y a-t-il une
proposition de faite ?
M. le président. - Non !
M. Gendebien. - Alors il est inutile de
poursuivre la discussion. Toutefois j’inviterai le ministre des finances à
réfléchir que s’il n’y a pas monopole proprement dit, puisque tout le monde
peut concourir à adjudication, il n’y a pas moins en faveur du fermier
adjudicataire, vis-à-vis des pêcheurs, un monopole contraire à l’intérêt des
pêcheurs et des consommateurs. La pêche appartient à tous ; elle est un domaine
public, pas de doute ; mais reste à savoir si l’exploitation de cette partie du
domaine est plus utile à tous en l’affermant ou en la laissant libre ; or, il
est clair que cette exploitation serait plus profitable à tous en laissant la
pêche libre ; elle serait plus profitable aux malheureux qui vivent de cette
profession. Ils ne seraient pas exploites par des fermiers égoïstes, ils ne
seraient pas privés de l’exercice de leur industrie, et les consommateurs y
gagneraient ; la concurrence ferait nécessairement baisser le prix du poisson.
La manière la plus profitable à la généralité est donc de laisser pêcher
sans rétribution aucune, ou si l’on veut, de permettre à tout le monde de
pêcher moyennant une petite rétribution individuelle.
M. le ministre des finances (M. d'Huart).
- Je ne veux pas entrer dans le fond de la discussion. Cependant je dois vous
faire observer que vous aurez à examiner, lors de la discussion de l’article du
budget qui concerne la pêche, si vous voulez purement et simplement abandonner
un produit de 28,000 à 30 mille francs par année, et si, en abandonnant la
pêche à tout le monde, ce ne serait pas le moyen de la ruiner complètement au
bout de quelque temps ; vous aurez encore à examiner si l’Etat, qui doit
entretenir le cours des fleuves et des rivières, peut supporter des frais sans
compensation, c’est-à-dire si vous voulez supprimer une recette et laisser la
charge correspondante peser sur le trésor. En dire davantage serait anticiper
sur la discussion qui s’établira ultérieurement sur ce point selon l’ordre du
jour.
M. Gendebien. - Je demande au
ministre des finances de fournir les éléments nécessaires à cette discussion.
Il s’agit, dit-il, de priver le trésor d’un revenu de 28,000 à 30,000 fr. par
année. Mon intention n’est pas de rayer, d’un trait de plume, cette ressource
du budget. Toutes les pêches ne peuvent pas être livrées à la discrétion du
public ; il y a sans doute des distinctions à faire. Mais, pour le savoir, il
faudrait que nous eussions un tableau comprenant les recettes de toutes les
pêches ; car nous ne pouvons pas mettre toutes les pêches sur la même ligne.
Celle de l’Escaut, dont il s’agit dans ce moment, est hors de toute comparaison
avec les autres ; c’est par des détails que nous apprécierons les mesures à
prendre pour ce qui concerne la pêche.
M. le ministre des finances (M. d'Huart).
- A la page 53 du budget on trouve les renseignements que demande M. Gendebien
; il y a là non seulement ce qui concerne la pêche, mais tout ce qui concerne
les produits du domaine.
- La chambre ordonne le renvoi de la pétition à M. le ministre de la
marine et à M. le ministre des finances, avec demande d’un prompt rapport.
PROJET
DE LOI PORTANT LE BUDGET DES VOIES ET MOYENS POUR L’EXERCICE 1837
Discussion
générale
M. Doignon. - Je ne puis consentir à
laisser plus longtemps la société générale, ou plutôt la banque de Guillaume,
en possession de la caisse de l’Etat. L’opinion générale, les réclamations de
la presse et même la clameur publique, nous font un devoir d’opposer de suite
une barrière aux progrès toujours croissants de cette nouvelle puissance.
La caisse de l’Etat, entre les mains de la société générale, met à sa
disposition, dans le cours de l’année, un capital énorme qui est versé par les
contribuables, et dont elle retire tout le parti possible pour alimenter ses
spéculations et étendre chaque jour de plus en plus ses opérations dans toutes
nos provinces, aux dépens du pays. C’est donc avec notre propre argent que
cette société fait ses affaires, et au total le bénéfice qui en résulte est
principalement pour le roi Guillaume, qui possède presque toutes les actions,
et en même temps pour MM. les financiers attachés à la banque, qui tous
ensemble spéculent au mieux avec les deniers du contribuable.
A ce prix, il n’est pas une société qui ne se chargeât volontiers de
faire gratuitement les fonctions de caissier de l’Etat ; et quant à la dépense
que doit supporter la banque pour l’établissement de ses agents receveurs dans
chaque province, elle serait tenue, dans tous les cas, de la faire, puisque de
pareils agents lui sont indispensables pour ses propres opérations dans chaque
chef-lieu d’arrondissement.
Mais le système financier qui avait décidé le roi Guillaume à donner à
cette banque la caisse de l’Etat n’est plus compatible avec le nouvel ordre de
choses. D’après la loi du budget, les deniers du contribuable sont
exclusivement affectés au paiement des dépenses de l’Etat, et il ne peut être
permis au gouvernement d’en faire ou laisser faire aucun autre usage.
On conçoit que le roi Guillaume, lui-même spéculateur et commerçant, ait
pu penser qu’il pouvait sans scrupule les employer presqu’à l’insu du peuple en
faveur de certaines industries et opérations dont il avait sa part avec
plusieurs autres. La rentrée des contributions et la balance des recettes et
dépenses de l’Etat étaient donc combinées et calculées par lui de manière à
avoir presque toujours un encaisse à concurrence de dix millions de florins au
moins. Sans compter le million Merlin formellement consenti par les chambres,
le roi Guillaume, en instituant sa banque caissier de l’Etat, se créait ainsi
le moyen de puiser chaque année une somme considérable dans le trésor public
pour favoriser ses propres entreprises particulières, en même temps que celles
d’autres industriels privilégiés, et tout cela sous le beau prétexte qu’il ne
convenait point de laisser improductifs, pour l’agriculture, l’industrie et le
commerce, des sommes prélevées sur les contribuables.
Jusque-là, le gouvernement n’avait point encore imaginé la création des
bons du trésor pour les besoins du service courant ; et il est probable que ce
nouveau moyen était tenu en réserve, car leur émission eût été, dans les mains
de Guillaume un autre expédient pour augmenter à volonté l’encaisse en numéraire
dont il disposait pour ainsi dire clandestinement à l’aide de la banque devenue
caissier de l’Etat.
Notre position financière en 1830 et depuis lors ayant dû nécessairement
faire subir une forte réduction sur l’encaisse ordinaire du nouvel Etat,
l’émission des bons du trésor, créée, je crois, sous le ministère Coghen, a dû,
selon toute apparence, être favorable aux intérêts particuliers de la banque,
et je doute si les chambres ont bien senti toute la portée de cette institution
nouvelle combinée avec l’existence de la banque de Guillaume, toujours caissier
de l’Etat.
On voit donc, d’après ce qui précède, que le système d’un caissier de
l’Etat, tel que Guillaume l’avait établi, n’est plus tolérable sous le régime
actuel.
Ou les contributions payées par le peuple laissent encore des capitaux
improductifs dans la caisse de l’Etat ; dans ce cas, c’est abusivement qu’on
émet des bons du trésor, puisque des fonds reposent au trésor pour les besoins
du service ; et la loi du budget qui les destine à payer nos dépenses, défend
qu’on y touche pour les employer à un autre usage, et par conséquent pour
servir d’aliment à des opérations qui n’ont d’autre but que l’avantage de
certains particuliers aux dépens du pays tout entier. Plutôt que d’administrer
la caisse de telle sorte qu’elle laisse ainsi des capitaux improductifs dont
une certaine classe de citoyens profite au préjudice des autres, mieux vaudrait
ne pas les exiger aussi promptement et les laisser dans les mains des
contribuables qui les ont versés au trésor, et qui, étant aussi eux-mêmes
industriels ou commerçants, les emploieraient volontiers entre-temps, pour leur
propre compte, aux besoins de leurs affaires tout aussi bien que la banque et
ses spéculateurs et les fabricants qui se trouvent sous sa dépendance.
Ou les besoins du service sont tels qu’ils ne laissent point de capitaux
improductifs dans le trésor ; il semble que dans ce cas le but principal de
l’institution du caissier de l’Etat, qu’avait en vue le roi Guillaume, ne
pourrait plus guère être atteint ; et dès lors encore nous devrions la faire
disparaître. En effet, aussi longtemps qu’on émet des bons du trésor, on doit
penser que c’est parce que des fonds manquent constamment pour satisfaire aux
exigences du service courant.
Mais sans doute le mouvement de la caisse de l’Etat ne cesse d’être tel
que, malgré l’émission des bons du trésor, il reste toujours un encaisse assez
fort dont peut jouir la société générale : et en tout cas, elle tirerait encore
un profit incalculable du maniement des deniers publics ; car, tandis que les
contribuables ne peuvent payer l’impôt autrement qu’en numéraire, la banque de
Guillaume retient vers elle nos écus pour faire jouer ses opérations
particulières ; et l’on permet qu’elle s’acquitte souvent envers l’Etat, comme
il lui plaît, en papier ou billet au porteur émis par elle ou par des sociétés
établies sous son patronage, billets qu’elle jette aussi dans la circulation en
aussi grande quantité qu’il lui convient. Encore une fois, pour favoriser cette
banque et ses adhérents, on détourne donc les deniers du peuple de leur
destination en violation de la loi du budget et de la constitution.
En résumé, l’institution du caissier de l’Etat était plutôt et est
toujours, sous le nom d’intérêt public, une institution de favoritisme qui
n’est plus conciliable avec le régime nouveau.
Le roi Guillaume y attachait tant d’importance que, pour l’obtenir, il
sacrifia même les garanties ordinaires de toute bonne comptabilité pour le
trésor public.
C’est, en effet, la première condition d’une bonne organisation pour la
recette des deniers publics, que ceux qui en sont chargés soient tenus de
répondre envers l’Etat, non seulement de ce qui est versé dans leur caisse,
mais encore de ce qu’ils n’ont point reçu, c’est-à-dire de tout ce qu’ils auraient
dû faire rentrer d’après la loi : c’est qu’en un mot il faut que les agents du
trésor soient en même temps responsable des négligences, des omissions, des
irrégularités ou illégalités commises dans les recettes, surtout à l’égard des
contributions directes s’élevant annuellement de 20 à 25 millions. Or, le
trésor public ne jouit aucunement de cette garantie contre la banque de
Guillaume devenue caissier de l’Etat ; elle répond bien de ce qui vient tomber
dans sa caisse, mais en aucune manière de ce qu’elle ne reçoit point. C’est là
le vice essentiel de l’organisation actuelle, que la cour des comptes devrait
être invitée à réformer sans autre retard.
Nos inspecteurs, nos contrôleurs sont bien appelés à vérifier des
chiffres aux registres de comptabilité des receveurs particuliers ; mais ces
employés, n’ayant aucun maniement des deniers publics, n’ont eux-mêmes aucune
responsabilité matérielle et ne sont, au vrai, que des comptables fictifs. Au
contraire, d’après le système précédent qui est encore suivi en France
aujourd’hui, le trésor public trouvait dans ses receveurs d’arrondissement et
de province autant d’agents qui, non seulement surveillaient les percepteurs
particuliers, mais répondaient en leur nom personnel des suites des négligences
ou omissions commises par ceux-ci, tellement qu’eux-mêmes pouvaient être
directement forcés en recette par le trésor public pour des termes échus.
Aujourd’hui, quand la caisse du trésor tenue par la banque de Guillaume
est vide, elle et ses agents se bornent à vous dire : « Faites venir des
écus dans ma caisse, et vous en aurez, ce soin vous regarde et m’est tout à
fait étranger. »
Soit qu’on veuille revenir au système des receveurs d’arrondissement et
de province, ou en adopter un autre, toujours est-il qu’il faut changer celui
qui est maintenant en vigueur puisqu’il laisse une lacune essentielle dans
l’organisation de la comptabilité des recettes de l’Etat.
Une disposition qui rendrait les percepteurs passibles en privé nom des
cotes non recouvrées après un délai fixé, ne remplirait pas cette lacune, car
il y aurait souvent beaucoup trop de sévérité à en faire l’application, tandis
qu’une pareille mesure doit dépendre des circonstances comme dans le système
des receveurs départementaux.
Le système d’un seul caissier, a-t-on dit, est préférable parce que
moins il y a d’agents, moins on est exposé à des soustractions, à des
infidélités. Cette observation serait juste si, avec le système d’un seul, vous
aviez la responsabilité pleine et entière dont j’ai parlé ; mais je le repousse
dès qu’il ne vous donne pas cette garantie, et je préférerais dans ce cas le
système de plusieurs avec des sûretés suffisantes, dût-il même en coûter
quelque chose de plus au trésor public.
Ainsi, en envisageant la question du caissier actuel de l’Etat sous
toutes ses faces, il est de l’intérêt bien entendu du pays de se défaire d’une
institution d’origine hollandaise, institution que tous les ministres depuis
1831 auraient dû faire tomber et remplacer par une autre en harmonie avec le
régime de 1830.
Personne, je l’espère, ne sera assez simple pour croire que la banque de
Guillaume aurait rendu au pays des services désintéressés. Depuis 1830, elle
n’a fait que suivre à cet égard la ligne de conduite que sa politique lui
traçait. Placée entre le roi Guillaume d’une part, et de l’autre, le
gouvernement belge qui, aux termes des statuts, aurait pu, en usant de son
droit, menacer même son existence ou celles des gouverneur, secrétaire,
directeurs et commissaires, la société générale comprenait trop bien ses
intérêts et ce que sa position lui commandait pour ne point ménager le payer et
lui faire même de temps à autre quelques concessions généreuses, au moins en
apparence. En cela, elle n’a fait qu’agir dans l’intérêt de sa propre
conservation et dans l’ordre d’une prévoyance ordinaire, afin de se consolider
peu à peu dans le nouvel Etat et d’agrandir à petit bruit son crédit et sa
puissance pour devenir un jour d’autant plus redoutable. Je ne doute même pas
que le roi Guillaume lui aura su gré de cette prudence, comme il a certainement
approuvé ceux qui dans le temps sont venus nous servir sous son agréation, pour
lui être ensuite d’autant plus utiles à l’occasion. Le roi Guillaume, pour
maintenir à sa banque sa belle position dans
Les mêmes vues et le même désir se conçoivent facilement de la part du
personnel de l’administration, dont chaque membre trouvait au surplus dans cette
institution la perspective de quelques brillantes affaires pour leur propre
compte. Ces prétendus avantages que la banque aurait faits à
Mais il y a plus, sans parler ici du produit des domaines dont Guillaume
a dépouillé
Il faudrait en outre calculer les énormes bénéfices obtenus par la
banque en retour des services par elle vantés, bénéfices qui en définitive
reviendront toujours à Guillaume, soit que la société générale soit dissoute à
présent, ce que le séquestre ne saurait empêcher, soit que cette dissolution
n’ait lieu qu’en 1849.
J’ajouterai enfin qu’il est sans
exemple dans l’histoire de voir un gouvernement confier indirectement son
trésor aux mains de son plus cruel ennemi, et lui procurer lui-même les moyens,
à l’aide de ses agents, de détourner à volonté la caisse de l’Etat ou
d’entraver le paiement des dépenses les plus urgentes dans des moments
critiques et d’attirer ainsi sur le pays de grandes calamités : car vous pouvez
y compter, la position des administrateurs de la banque vis-à-vis du roi
Guillaume est telle qu’ils ne peuvent lui désobéir impunément. Dans tous les
cas, ce serait une faute et une témérité inouïes que de faire dépendre notre
sûreté et notre tranquillité de la fidélité ou du patriotisme de quelques
hommes ; que dis-je ! de quelques hommes dont plusieurs d’entre eux étaient notoirement
connus comme ennemis jurés de notre révolution. Rester de gaîté de cœur et sans
nécessité dans une pareille voie, c’est exposer gratuitement le salut de l’Etat
aux périls les plus sérieux ; c’est, en un mot, se faire illusion et jouer avec
l’indépendance nationale.
D’après ces considérations, je voterais contre le budget des voies et
moyens si M. le ministre n’annonce pas l’intention d’apporter un changement à
l’état actuel des choses.
D’ailleurs, la société générale a étendu depuis quelques années le
cercle de ses opérations d’une manière si extraordinaire, et d’un autre côté
elle a aliéné, sans même aucune opposition de la part du ministère, une partie
si considérable de domaines, qu’on ne saurait plus juger maintenant si le
gouvernement peut prudemment lui continuer sa confiance, et s’il a ou non une
sûreté suffisante pour la gestion du caissier de l’Etat.
Les mesures que la banque a prises en dernier lieu dans la vue
évidemment d’affaiblir les défiances qu’on doit avoir contre elle, ne sont pas
de nature à apporter le moindre changement à notre opinion. Elle a assigné le
roi Guillaume devant un tribunal belge au paiement de ses redevances
particulières. Mais Guillaume étant lui-même propriétaire de presque toute la
banque, n’est-ce pas à peu près comme s’il avait exercé la poursuite contre
lui-même ? Les sommes auxquelles il a été condamné, ne se les devait-il pas à
lui-même ? Je crois au reste que le roi Guillaume fait fort peu de cas d’un
jugement par défaut rendu à son égard par un tribunal étranger, et qu’il a bien
peu à redouter les effets d’un tel jugement.
Récemment, la société générale a
fait annoncer qu’elle allait émettre le nombre restant des actions pour
compléter celui de 60 mille francs fixé par l’article 7 des statuts, et avec
cette nouvelle émission, elle pense probablement nous faire accroître que le
pouvoir de Guillaume sur la banque se trouvera tellement partagé qu’il n’aura
plus la majorité dans les délibérations. Mais l’article 14 des statuts dit
formellement que toute personne étrangère doit être admise à acquérir des
actions : rien n’interdit donc au roi Guillaume lui-même de prendre encore un
grand nombre de ces nouvelles actions ; mais il se montrera sans doute plus
adroit : au lieu de les demander en nom personnel, il les fera inscrire sous le
nom de ces personnes sûres qui ne lui manquent pas en Belgique, et avec ces
prête-noms, il maintiendra facilement son autorité actuelle sur la banque.
L’avis au public porte que les demandes d’action doivent être adressées par
lettre au gouverneur, et qu’il est statué sur icelles que la direction dont
Guillaume lui-même a nommé dans le temps les principaux membres. Personne n’est
plus intéressé que lui à obtenir de ces nouvelles actions ; il ne manquera
certainement point de répondre à l’appel sous le nom au moins de ses hommes
affidés en Belgique.
Au total, cette nouvelle émission
n’aura servi qu’à multiplier encore dans le pays les ramifications de cette
institution déjà devenue plus que dangereuse, en lui créant de nouveaux
partisans, qui pourront au besoin lui rendre des services. C’est encore là, je
le crois, une de ces ruses, sous le voile du bien public ou du patriotisme, que
le gouvernement pourrait et doit interdire, au moins dans le moment actuel, en
vertu de l’article 61 des statuts.
Du reste, dans cette circonstance, la société générale se montre fidèle
à la tactique ordinaire des sociétés, qui ne tiennent en réserve un bon nombre
d’actions que pour les émettre plus tard avec la certitude de grands bénéfices.
D’après le taux de l’émission nouvelle, la société générale compte obtenir un
gain de deux cinquièmes en sus sur la valeur primitive. Or, la grosse part de
ce bénéfice retourne encore au roi Guillaume, qui, ayant déjà les 5/6 des
actions actuelles, conservera même malgré tout la majorité.
Au surplus, en admettant même bien gratuitement que la banque soit
exploitée par une majorité belge, les reproches de domination et d’agiotage et
de monopole, élevés contre elle, n’en subsisteraient pas moins.
Le gouvernement ne doit pas tolérer plus longtemps un autre abus bien
grave de la part de la société générale ; il lui permet de se créer en quelque
sorte une monnaie, comme le ferait un souverain, en lui laissant la faculté
d’émettre et de jeter dans le commerce autant de billets de banque pour telle
somme qu’il lui plaît, sans qu’on sache, si une limite convenable lui a été
fixée. Ce n’est point parce qu’une société aurait assez de crédit pour faire
accepter tous ses billets, qu’elle doit avoir le droit illimité d’émettre une
semblable monnaie. Ce crédit peut n’être que fictif, il a nécessairement des
bornes. Dans l’intérêt public, l’Etat doit donc intervenir en pareil cas pour
imposer des limites qui ne doivent pas être dépassées.
Suivant l’article 5 des statuts, le montant des billets au porteur émis
par la banque doit être « successivement » approuvé par le roi. Le
gouvernement voudra-t-il bien nous dire si cette approbation a eu lieu, et quel
est le montant des billets approuvés par lui ? Il doit être calculé, dit cet
article 5, « d’après le capital entier et réel de la société. » Mais
aujourd’hui il serait prudent de ne l’autoriser au plus que pour une valeur
égale à celle des immeubles réellement appartenant à la banque, car les valeurs
mobilières qu’on présenterait comme sûreté peuvent disparaître d’un moment à
l’autre, et le principal actionnaire, le roi Guillaume, étant domicilié hors du
royaume, rien ne serait plus facile, en cas de dissolution, d’emporter toutes
ces valeurs et de laisser ainsi le public belge sans aucune sûreté pour
l’énorme quantité de billets au porteur qu’il aurait précédemment fait émettre.
Le gouvernement est en droit d’en agir ainsi en vertu du pouvoir expressément
réservé par l’article 61 d’empêcher ou de suspendre les opérations de la
société qu’il croirait contraires à la sûreté et aux intérêts du royaume.
En vertu de ce dernier article et du paragraphe de l’article 21 qui
interdit tout commerce à la société générale, une haute surveillance appartient
au gouvernement sur toutes ses opérations. Fondée elle-même en exécution d’un
arrêté royal « pour la prospérité générale et l’avantage du trésor, »
elle tombe du droit sous la main du pouvoir exécutif. Le gouvernement est donc
en droit d’exiger de son administration un état de situation de toutes ses
affaires, afin qu’il puisse voir comment et jusqu’à quel point la société
remplit le but de son institution. Si le gouvernement avait fait son devoir, il
se serait fait remettre depuis longtemps cet état de situation, qui nous aurait
servi en même temps à juger, dès le principe, si ce n’est point l’esprit de
monopole et d’agiotage qui dirige principalement cette association.
Le gouvernement est encore en droit de se faire remettre la liste de
tous les actionnaires, afin de connaître le caractère politique de la majorité
dans les délibérations, et surtout du personnel de l’administration.
Aux termes d’une disposition
transitoire, le roi Guillaume s’était réservé la première nomination de tous
les directeurs sans présentation. D’après l’esprit de cette disposition, et vu
la déchéance de Guillaume et la création du nouveau royaume de Belgique, n’y
avait-il pas lieu depuis 1830 de renouveler tout ce personnel lors de notre
révolution, et d’en donner au Roi seul la nomination, pour la première fois,
conformément à cette disposition transitoire ? Ne résulte-t-il pas de la nature
des choses que le personnel qui pouvait convenir au roi Guillaume ne pouvait
plus convenir au nouvel ordre de choses, puisque l’intérêt général, qui est le
but de la société, est essentiellement modifié par l’établissement du nouveau
royaume et l’adoption des principes nouveaux qui doivent en être la suite ? La
révolution étant un événement tout à fait extraordinaire qui, certes, n’est
point entrée dans la prévoyance de Guillaume, on ne pourrait nous opposer ici
l’approbation donnée par lui le 13 décembre 1822 à l’article des statuts qui
exige la présentation de l’assemblée, car cet article ne peut évidemment avoir
eu en vue que le cours ordinaire des choses.
Dans tous les cas, le gouvernement serait en droit d’exiger pour
condition de leur nomination que les gouverneurs et directeurs auxquels un
traitement est alloué ne pussent faire des opérations pour leur propre compte,
condition imposée par la loi aux agents de change.
Le ministère doit aussi requérir communication de tous les règlements et
arrêtés de la société générale qui ont dû être soumis à l’approbation du roi
Guillaume.
Dans le cas où la banque se refuserait à satisfaire à toutes nos
demandes, le gouvernement peur et doit alors faire usage de son droit de
révoquer MM. les gouverneur, secrétaire et trésorier. Ce droit de révocation
qu’on ne peut lui contester suffirait peut-être seul, si on en usait sagement,
pour arrêter la banque dans ses envahissements qui effraient le pays.
Nous conjurons de nouveau le gouvernement de refuser son approbation à
la nouvelle association dite « de Mutualité. » Si, par des moyens
détournés, on cherchait à éluder l’autorisation indispensable, son devoir est
alors de nous proposer de suite un projet de loi pour empêcher cette fraude.
Selon certains bruits qui circulent, c’est à Paris que le projet de
cette nouvelle société aurait été conçu et arrêté, et de grands personnages se
seraient d’avance intéressés dans cette entreprise qui promet des bénéfices
considérables. La chambre se souviendra que c’est du moment où il fut connu que
Guillaume se faisait commerçant et spéculateur, qu’il devint de plus en plus
impopulaire. « Les rois commerçants et spéculateurs, dit Montesquieu, ne
peuvent être que de mauvais rois. Le trafic auquel ils se livrent ne se
fait jamais qu’au détriment du peuple dont ils sacrifient les intérêts. »
Je veux bien croire qu’il n’a été
question dernièrement que de donner un titre honorifique à deux personnages de
la société générale ; mais je n’en regarde pas moins ce projet de nomination de
deux ministres d’Etat comme une tentative d’introduire tôt ou tard ces
financiers dans notre ministère ; je suis persuadé que nos ministres lui auront
donné cette interprétation. Nous avons bien vu donner ce titre comme
honorifique à des ministres au moment de leur retraite ; mais, hors ce cas, il
ne se donne naturellement qu’à ceux qu’on destine à le devenir. Leur nomination
ne pouvait donc être qu’un titre pour entrer au cabinet, et j’ajoute, pour y
entrer bientôt.
Cette tentative qui, en
définitive, n’avait d’autre but que d’établir irrévocablement la domination ou
plutôt la souveraineté de la banque dans le pays, doit avoir dessillé les yeux
aux plus incrédules. Mais ce coup hardi n’a point d’autre cause que la faiblesse
même du ministère à l’égard de cette société envahissante. La crainte peut-être
de se voir supplanter a donné enfin l’éveil à nos ministres ; et par leur
attitude, ils ont cette fois sauvé leur portefeuille. Mais cette crise
ministérielle n’a fait que prouver combien est grave le mal auquel il s’agit de
remédier, et par suite combien est grande la responsabilité du ministère qui,
par ses négligences ou ses égards inexplicables pour la banque, nous a conduits
à l’état où nous nous trouvons en ce moment.
Mais c’est peu pour le pays que
l’existence de nos ministres cesse d’être menacée par la banque, s’ils
persistent dans leur malheureux système à l’égard de cette institution.
Qu’importe au pays s’ils conservent leur portefeuille et si d’une autre part la
banque de Guillaume, jalouse de tout accaparer, étend de plus en plus son
empire et triomphe de tous les côtés sans rencontrer aucun obstacle ; si,
toujours tremblants, devant cette puissance, ils n’osent l’affronter et rompre
en visière avec elle, alors même qu’ils ont en mains les moyens de la faire
trembler elle-même !
Le projet de la nouvelle convention à laquelle a souscrit si facilement
le conseil des ministres est un fait qui en dit plus que tout le reste, pour
nous prouver que le ministère continue malgré tout à se laisser dominer et
faire la loi. La présentation de cette convention à l’approbation des chambres
s’est faite de la manière la plus étrange. Le cabinet qui, pour le moindre
projet, nous donne toujours un exposé des motifs, n’a pas même daigné joindre à
cette fameuse convention la plus petite note explicative ; cependant, peut-on
rencontrer une transaction qui réclame plus d’explications et
d’éclaircissements, ne fût-ce que pour saisir toute la portée et les
conséquences de son article 5 ? Le cabinet n’a pas daigné nous dire un seul mot
sur les graves questions préalables à toutes les autres ; et, par son
dédaigneux silence, il les tranche toutes, de sa seule autorité, en faveur de
la banque.
Lorsque chacun de nous a si grand besoin d’être éclairé sur la matière
et sur toutes les questions soulevées, le cabinet ne daigne pas nous faire la
moindre communication ; il ne daigne pas communiquer, notamment aux nouveaux
membres, les différentes conventions déjà faites avec la banque et spécialement
comme caissier, les avis des jurisconsultes par le gouvernement, les
correspondances avec la banque, les actes de procédure entre elle et l’Etat, le
contrat notarié de la cession lui faite par Guillaume, acte dont je ne connais
moi-même l’existence que depuis peu de jours ; les statuts, les divers lois et
arrêtés, et nombre d’autres pièces indispensables pour juger en connaissance de
cause. Le gouvernement craint-il donc que nous soyons entourés de trop de
lumières ? Croit-il que, dans des affaires d’un si haut intérêt, la plupart
d’entre nous connaîtront assez peu leur devoir pour voter de confiance ou en
aveugles ? En tout cas, devait-on attendre jusqu’ici, et n’était-ce pas avant
tout examen en sections que semblable communication aurait dû être faite ?
Le ministre ne daigne pas davantage faire à la chambre aucun rapport sur
ce qui s’est passé entre lui et la banque depuis deux ans, relativement aux
points litigieux et aux actions intentées de part et d’autres en justice à
l’insu des chambres. Il ne daigne pas nous communiquer les mémoires et
conclusions qui ont dû être servies par l’une et l’autre partie : peut-être
encore aura-t-il même par sa faute fait connaître des conflits entre le pouvoir
judiciaire et la cour des comptes ou les autres pouvoirs.
Dans un moment où tout le pays est justement alarmé sur les
envahissements de la banque, où on l’accuse de tous côtés de monopole et
d’agiotage, où des troubles sérieux éclatent parmi la classe ouvrière, de deux
de nos provinces, le cabinet ne daigne pas nous présenter le moindre rapport,
afin de faire connaître le véritable état des choses. Il ne fait aucune
enquête, ou s’il en fait, il ne daigne pas nous en communiquer le résultat. Le
système d’accaparement de la banque, dont on se plaint généralement, il pouvait
l’empêcher par la haute surveillance qui lui est acquise sur cette institution,
en vertu de l’article 61 des statuts. Eh bien, il n’en a rien fait.
Au lieu de nous faire un rapport détaillé sur les opérations de la
banque, le ministère semble fermer les yeux sur ce qui se passe. Il sait
cependant que les statuts lui donnent un droit d’investigation sur toute la
gestion de la société générale, à la différence des autres associations
auxquelles le gouvernement n’aurait pas le droit de demander de pareils
renseignements. Il n’ignore pas qu’aux termes du paragraphe de l’article 21, il
a le droit de défendre à la banque tout commerce, soit qu’elle le fasse
directement ou indirectement, et de l’obliger à restreindre ses opérations dans
le cercle tracé par l’article 22 ; il sait enfin qu’il a le droit d’empêcher ou
de suspendre les opérations qu’il croirait contraires à l’intérêt général et à
la sûreté du royaume. Eh bien ! au lieu de faire usage de ses droits, le
ministère reste dans une complète inaction et spectateur immobile des
envahissements de la société générale.
Au lieu de chercher à mettre des bornes à l’esprit d’accaparement de
cette société, il a lui-même donné la main à ses projets d’agrandissement en
autorisant d’autres sociétés, dont il savait que l’administration était
composée en grande partie des mêmes personnes qui dirigent la banque de
Guillaume. De son consentement formel, et sans égard aux dangers évidents qui
devaient en être la suite pour la masse de nos industriels et de nos commerçants,
il a ainsi concentré la plus grande puissance commerciale que nous ayons vue
jusqu’ici en Belgique, dans les mains de cette banque hollandaise, qui n’a
point manqué de profiter de la position que le gouvernement lui-même lui a
donnée pour s’immiscer dans les opérations de ces autres associations créées
pour ainsi dire sous son patronage, et faire, sous leur nom, de vastes
entreprises qui tendent manifestement à monopoliser nos produits au préjudice
de toutes les autres classes.
La banque hollandaise a empoisonné dans le pays l’esprit d’association,
en l’entraînant et en l’excitant, par l’appât de bénéfices faciles, à
l’agiotage, et au monopole ; et le ministère lui-même a donné l’élan à cette
impulsion aussi immorale que dangereuse par sa facilité à autoriser nombre
d’autres associations, sans même songer à aucune clause, à aucune mesure pour
arrêter ou atténuer un si grand mal. S’il a cru se populariser par ce moyen, il
s’est étrangement trompé.
Lorsque cette banque doit toute son existence au pouvoir exécutif, qui
l’a créée, et que ce pouvoir, représenté alors par le roi Guillaume, s’est
formellement réservé sur elle des droits tels qu’au vrai elle ne peut être que
ce qu’il veut bien qu’elle soit réellement, le ministère souffre qu’elle
acquière en peu d’année une puissance colossale, qui fait même ombrage aux
autres pouvoirs de l’Etat, et qui les menace même par son crédit et son
influence sans bornes. Je ne crois pas exagérer en disant qu’elle est
maintenant assez formidable pour devenir bientôt un Etat dans l’Etat, et
préparer de loi, si elle le veut, des contre-révolutions dans le pays.
Des cris d’alarme partent de toutes les classes de la société. La grande
masse de nos commerçants et de nos industriels voient la ruine de leur
industrie et de leur commerce dans les accaparements de la banque et des autres
associations dont elle a dans le fait la direction suprême ; et, malgré tout
cela, le ministère reste dans une apathie et une insouciance inconcevable.
Des moyens de corruption sont même employés, dit-on, par la société
générale, afin d’enchaîner ou de faire taire la presse dans certaines
circonstances : des écrivains, des avocats sont à sa solde pour publier des
brochures qui égarent le public sur le véritable état des choses.
Oui, je n’hésite pas à le dire, et en cela je ne fais qu’obéir à la voix
de ma conscience, car je suis absolument sans intérêt dans la question :
d’après l’ensemble de sa conduite, il y a lieu d’accuser ici le ministère d’une
imprévoyance, d’une indulgence coupable envers la banque de Guillaume. Ce
grief, que nous reprochions à l’ancien ministère, est arrivé au dernier degré
de gravité par les fautes de celui-ci : jamais il ne saura réparer tout le mal
que son inertie a déjà causé au pays. S’il ne se sent pas la force d’attaquer ce
colosse, qu’il se retire et qu’il abandonne au pouvoir royal toute la
responsabilité d’un état de choses qui n’est plus tolérable.
On dit même que la banque compte tellement sur les dispositions toutes
favorables du ministère pour faire décider à son avantage les grandes questions
et faire accepter par la chambre la dernière convention à laquelle a déjà
souscrit le cabinet, que des mesures auraient déjà été prises entre elle et le
ministre des finances pour l’évaluation de la forêt de Soignes ; que déjà il
aurait été question de nommer des experts, etc. M. le ministre est prié de
s’expliquer à cet égard.
Dans la fâcheuse position où nous a placés le gouvernement, que reste-il
à faire, messieurs ?
D’abord, messieurs, ainsi que je l’ai démontré, il y a lieu de retirer
la caisse de l’Etat des mains de la banque. La commission du sénat a même,
depuis plus d’un an, notifié au ministère qu’elle refuserait le budget, s’il
persistait à lui continuer la recette de nos impôts, et son avis a été partagé
par les orateurs qui ont parlé dans la discussion à ce sujet. Toutefois, il
convient d’examiner les mesures que la prudence exigerait pour éviter les
inconvénients de la précipitation.
En deuxième lieu, je pense qu’une expérience suffisante nous est acquise
aujourd’hui pour s’occuper de mesures législatives qui empêcheraient autant que
possible la banque et les autres sociétés de monopoliser spécialement les
objets de première nécessité. A l’égard des grains, la législation y a même
déjà pourvu en partie. Il existe une loi qui défend expressément d’acheter les
récoltes sur pied. Pourquoi, par exemple, ne pourrait-on pas interdire aussi
d’acheter, un an ou deux à l’avance, tout le produit d’une mine de charbon ?
Le gouvernement devrait aussi méditer les mesures convenables pour
atteindre l’agiotage, et il pourrait à cet effet défendre à la société générale
de faire des avances sur les actions au porteur des nouvelles sociétés, et
l’article 61 des statuts lui en donne le droit. Il faudrait aussi que dans ces
sociétés les actions fussent inscrites au nom des propriétaires, qu’on fût
obligé d’en payer de suite 50 p. c. Ces conditions rendraient au moins
difficiles les opérations des agioteurs.
Nos intentions seraient mal comprises si l’on pensait qu’on nous avons
en vue d’attaquer le principe de l’association en lui-même. Ce n’est qu’aux
abus et spécialement au monopole et à l’agiotage que nous voudrions voir
déclarer une guerre à outrance. Sans ces deux derniers vices qui infectent trop
souvent nos sociétés, elles ne sauraient certainement produire des bénéfices
aussi faciles et aussi considérables à leurs actionnaires.
L’intérêt général doit être le but des autorisations accordées aux
associations commerciales et industrielles. Mais si votre système tend à réunir
dans les mêmes mains, et dan celles seulement d’une centaine de capitalistes,
la majeure partie de l’industrie et du commerce du pays, il est clair que vous
sacrifiez l’intérêt général à l’intérêt particulier, que vous sacrifiez toutes
les classes de la société à ce petit nombre d’individus ; vous manquez le but
de l’association qui doit être, en définitive, le bien-être du plus grand
nombre. Au lieu même d’en obtenir toujours une plus grande quantité de produits
et des prix plus modérés, vous pourrez, au contraire, vous exposer au danger de
rendre l’association maîtresse de restreindre à volonté la production et de la
faire payer comme il lui convient. Dans un gouvernement tout populaire et
représentatif, c’est l’intérêt des masses qu’il faut envisager avant tout et qu’il
faut protéger au risque même de léser quelquefois d’autres intérêts, tels que,
par exemple, celui du riche consommateur.
En matière de société, réfléchissez que vous vous trouvez entre deux
écueils. Si d’une part l’association est utile pour créer des entreprises dont
l’exécution exige une réunion de grands capitaux, de l’autre il faut éviter que
l’esprit d’égoïsme qui s’empare souvent de ces sociétés ne rende ces grandes
entreprises bien plus nuisibles qu’avantageuses au bien-être de la généralité,
bien-être qui, en principe, doit premièrement être réparti entre le plus grand
nombre possible. Si ces grands établissements introduisent aujourd’hui des
améliorations que ceux d’un ordre inférieur ne procurent pas actuellement, d’un
autre côté, en détruisant par ces entreprises colossales toute l’industrie et
le commerce qui n’en font point partie, en le désespérant, vous détruisez en
même temps l’émulation et la rivalité qui existaient parmi eux pour d’autres
perfectionnements. En somme le génie industriel et commercial de toutes les
classes réunies produira généralement plus de bien-être et d’aisance pour la
société entière que celui de quelques hommes qui se trouvent à la tête de ses
associations.
En troisième lieu, voulez-vous employer un moyen bien simple de réduire
la puissance de la banque à ce qu’elle doit être uniquement pour le bien-être
général, et diminuer ainsi l’influence redoutable qu’on lui a imprudemment
laissé acquérir dans le pays ?
Après que le gouvernement se sera fait remettre un tableau des
opérations de la société générale, et nommément en ce qui concerne ses rapports
avec d’autres associations, tableau qu’elle ne peut nous refuser aux termes des
articles 21, 22 et 61 pré-rappelés ; après, dis-je, avoir eu sous les yeux la
situation détaillé des affaires de la banque, le ministère, s’il a assez de
fermeté pour faire son devoir, retranchera, parmi ces opérations, celles qui,
dans l’état actuel des choses, seraient jugées par lui contraires à l’intérêt
général et aux dispositions desdits articles 21, 22 et 61, avec ordre de les
suspendre dès à présent et défense d’y donner suite, et sauf, bien entendu, les
dispositions convenables pour ménager les intérêts des tiers. Comme les
conditions voulues par ces articles sont d’ordre public, et que c’est
évidemment à leur observation qu’a été subordonnée la concession des statuts,
l’injonction et la défense dont je viens de parler, pourrait être signifiées à
la banque à péril que tout ce qui concernerait ces mêmes opérations serait, au
moins pour l’avenir, regardé comme nul et de nul effet ; à péril même de voir
considérer les statuts approuvés comme révoqués et non avenus, ou l’existence
légale de cette institution, annulée pour infraction flagrante envers l’Etat
des dispositions susmentionnées. L’article 61 parle formellement de
« suspension ; » il suppose donc que la mesure du gouvernement peut
frapper des opérations déjà depuis longtemps commencées. Au surplus, les
chambres législatives pourront, au besoin, intervenir au cas dont s’agit.
La banque prétexterait vraiment, pour se soustraire aux investigations
de l’Etat, que chacun de ses membres prête le serment de garder le secret sur
les affaires. Le droit d’empêcher ou de suspendre les opérations, assuré au
gouvernement, par l’article 61, emporte nécessairement celui de les surveiller
et de les connaître. Mais c’est même entre les mains du Roi que le gouverneur
prête son serment et les autres administrateurs entre les mains de celui-ci
comme délégué. Le serment du secret ne peut donc concerner le Roi, qui le
reçoit et qui a lui-même une haute autorité sur le personnel et la société en
vertu des statuts.
Sans prévoir qu’un jour la royauté belge lui échapperait pour passer à
un autre, le roi Guillaume, voulant s’assurer la plus grande part dans la
société, n’a point manquer de se faire conférer comme roi, dans les statuts, le
plus grand pouvoir possible sur ses opérations, et il lui a tellement lié les
mains par les articles 21, 22 et 61 que, rigoureusement elle ne pourrait rien
faire sans l’agréation ou plutôt sans la volonté royale. Mais ce pouvoir
extraordinaire qu’il s’était attribué comme roi, pour favoriser d’autant mieux
ses intérêts personnels, appartient aujourd’hui au gouvernement belge, qui peut
en user comme l’aurait fait le roi Guillaume lui-même.
Or, je le demande, si Guillaume était encore sur le trône, la banque
aurait-elle osé se livrer à tant d’entreprises sans l’assentiment du roi son
maître ? Mais que fait au contraire notre gouvernement ? Il lui a laissé et lui
laisse faire au pays tout le mal qu’il lui plaît, comme s’il ne se doutait
seulement pas du droit qu’il a de l’en empêcher.
A l’égard des nouvelles opérations que la banque voudra encore
entreprendre, le ministère peut donc et doit aussi lui notifier qu’il entend
arrêter cet esprit d’accaparement qui dirige sa gestion depuis plusieurs
années, et lui déclarer d’avance qu’il empêchera ou suspendra comme contraires
au bien public les opérations dont on n’aurait point demandé l’approbation au
gouvernement.
4° On ne peut nier au roi le droit de nommer et révoquer à volonté les
gouverneur et secrétaire. D’après les statuts le gouverneur a la haute
surveillance, et ses attributions sont assez étendues pour dire qu’il est l’âme
de la société générale. On dit même que c’est dans ce personnage que ce résumé
et se personnifie tout le système que nous avons à déplorer.
L’arrêté du 28 août 1822 le proclame en termes clairs : c’est pour
« la prospérité générale et l’avantage du trésor » que la société est
instituée. S’il est vrai que le gouverneur perd de vue ce but pour le sacrifier
à l’intérêt privé de la société et des actionnaires, s’il est vrai qu’il a
beaucoup trop de talents pour faire les affaires de ceux-ci et point assez pour
faire premièrement celles du pays, il faut, dans ce cas, couper le mal dans sa
racine ; il faut le révoquer sans qu’aucune considération puisse arrêter.
On sentira facilement que je n’émets ici cette idée que parce que, dans
mon opinion, le ministère ne sera jamais assez courageux pour oser se permettre
de recourir à un parti semblable.
5° On ne peut se dispenser de demander au gouvernement les divers
rapports et les communications dont j’ai parlé plus haut et spécialement un
tableau des opérations de la banque, et si le ministère persiste à vouloir
demeurer sourd à toutes les réclamations contre les abus graves qu’on reproche
à la société générale, notamment les opérations de monopole et d’agiotage dont
on se plaint hautement : s’il refuse ces rapports et ces communications, les
chambres peuvent exercer leur droit d’enquête en conformité de l’art. 40 de la
constitution, et créer dans leur sein des commissions chargées de s’enquérir et
de faire rapport.
6° Pour l’avenir, il est urgent d’arrêter en ce moment l’esprit
d’association qui est devenu une sorte de vertige. En attendant l’examen des
mesures que l’état de choses réclame, le gouvernement ne doit plus accorder
aucune autorisation. Si, à cet égard, il ne donnait pas aux chambres des
assurances qui puissent les satisfaire, elles devraient dans ce cas exprimer
leur intention par un vote formel. Le gouvernement doit avoir reçu dès
maintenant plusieurs avis motivés des chambres de commerce relatifs au projet
de la « Mutualité. » La communication de ces avis nous serait fort
utile et devrait être faite dès à présent.
Je n’ai rien dit jusqu’ici des grandes questions de propriété relatives
à la banque, dont on aborde l’examen en ce moment et dont j’ai parlé à la
chambre il y a plus d’un an sans obtenir un seul mot de réponse du
gouvernement. J’ai lieu de craindre que l’instruction de ces questions ne soit
point faite d’une manière convenable. Ce sont des questions de droit civil et
de droit public ; et, il faut le dire, combien peu de membres de cette chambre
sont jurisconsultes ! Elles ont été renvoyées aux sections sans que la plupart
des membres soient munis des nombreuses pièces indispensables ; et l’on a, à
mon avis, marché tellement avec précipitation, qu’il est telle section
particulière qui n’en a même encore rien examiné, se réservant sans doute ce
soin lorsqu’elle aura les documents et renseignements nécessaires et en même
temps les rapports de la commission et section centrale. Pour ma part, je le
déclare d’avance, quel que soit mon respect pour quelques jurisconsultes qui en
font partie, dans une affaire qui intéresse le pays pour plus de 50 millions
peut-être, leurs opinions, quelle qu’elles soient, ne seront pas pour moi une
autorité suffisante. J’aurai voulu que, dans un cas aussi extraordinaire, on
fît un appel aux jurisconsultes du pays. La chambre est bien dans l’usage de
renvoyer à l’avis des cours et tribunaux des questions extraordinaires qui
intéressent le droit civil. Si au cas actuel on ne peut employer la même voie,
au moins devrait-on en adopter une semblable. La banque ne ménage rien pour
obtenir des consultations favorables à ses prétentions ; pourquoi les chambres
n’auraient-elles pas aussi leur allocation spéciale au budget pour
l’instruction de cette fameuse affaire ? Entre-temps, il sera encore du devoir
du gouvernement de former opposition aux ventes de domaines que la société
continuer à annoncer comme pour braver d’avance les décisions du pouvoir
législatif. Cette défense peut lui être signifiée en vertu encore de l’article
61.
Vous voyez, messieurs, qu’après avoir dit beaucoup de choses sur la
banque, je n’en ai point encore assez dit. J’ai indiqué plusieurs moyens et
plusieurs mesures. Mais je vois dans cette assemblée si peu de dispositions à
montrer quelque énergie contre le ministère, que je ne hasarderai aucune
proposition.
Je ne puis cependant terminer sans répondre quelques mots au discours de
M. le ministre des finances, qui voit notre situation financière tellement
prospère qu’elle est à envier, dit-il, pour la plupart des Etats de l’Europe.
Si M. le ministre a voulu dire que nos charges publiques ne sont point encore
arrivées au taux auquel elles sont élevées dans ces vieux Etats de l’Europe,
qui depuis des siècles ont eu à traverser des révolutions et des vicissitudes
de toute espèce, je dirai qu’effectivement
Ce qui détruit en un mot cet éloge exagéré de notre situation financière
par M. le ministre, c’est le déficit qui existe dans nos finances et qu’il
reconnaît lui-même. Or, ce déficit est une preuve certaine de mauvaise
administration. Les bons du trésor ne sont au vrai qu’un emprunt levé chaque
année pour faire face aux besoins du service. Mais tout emprunt semblable
suppose nécessairement encore un déficit dans les ressources ordinaires.
M. le ministre des finances a aussi vanté bien haut l’abolition de
plusieurs impôts, qui s’élevaient avant la révolution à plusieurs millions.
Mais, encore une fois, M. le ministre oublie de nous dire que c’est précisément
parce que la masse de tous ces impôts était devenue un fardeau insupportable
pour le peuple que la révolution a éclaté. Il ne peut donc sans absurdité emprunter
ses comparaisons à cette époque.
Mais, en nous rappelant ces impôts supprimés, il passe sous silence les
nouvelles charges que le pays a dû s’imposer depuis la révolution par suite de
sa mauvaise administration. Le gouvernement et les chambres avaient solennellement
promis d’abolir bientôt les nouveaux centimes additionnels accordés
temporairement. Eh bien ! quelques millions de cet impôt tout nouveau pèsent
encore chaque année sur
D’un autre côté, par suite de son incurie et des mauvais renseignements
dont il s’entoure, le ministre a fait perdre au pays deux impôts dont on ne se
plaignait point, et qui rapportaient une dizaine de millions. Je veux parler du
droit sur les eaux-de-vie indigènes et sur les sucres. La continuation de ces
deux impôts aurait au moins permis d’en diminuer d’autres évidemment trop
onéreux.
A l’avènement de M. le ministre des finances, nous nous attendions à
voir entrer le gouvernement dans la voie des économies ; mais au contraire, il
demande et obtient chaque année des majorations de dépense.
Ce n’est point aux circonstances extraordinaires de notre révolution,
comme l’a dit M. le ministre, qu’il faut attribuer notre déficit, mais bien à
l’empressement de tous nos ministères à augmenter les dépenses et à l’extrême
facilité des chambres précédentes à voter toutes les augmentations sollicitées
par eux. En se donnant la peine de parcourir les discussions des budgets de
1832, 1833 et 1834, l’on verra combien d’économies très majeures étaient alors
chaque fois réclamées par l’opposition et souvent même consenties par les
sections et la section centrale, économies alors très praticables, et qui
deviennent ensuite d’autant plus difficiles qu’on s’est habitué chaque année à
de grandes dépenses. Je ne doute pas que si le gouvernement voulait aujourd’hui
y revenir peu à peu, la chambre, entièrement confiante, rentrerait avec lui
dans cette voie d’économie.
C’est donc au ministère actuel, comme à ceux
qui l’ont précédé, qu’il faut imputer l’élévation excessive de nos dépenses et
de nos impôts.
Le gouvernement et les chambres ne doivent pas se faire illusion. Le
peuple est singulièrement déçu dans ses espérances en se voyant autant et même
plus imposé qu’avant la révolution pour les contributions foncières,
personnelles et patentes.
M. le ministre nous dit que les rentrées se font régulièrement mais il
devrait ajouter que, dans les campagnes surtout, on est généralement mécontent
de devoir supporter des impôts aussi élevés. Guillaume aussi se félicitait, à
l’ouverture de chaque session, de la facilité avec laquelle s’opérait la
recette des contributions. Mais, je le répète, dans ce langage il méconnaissait
comme notre ministre le caractère du Belge, dont la soumission aux lois est
telle que pendant de longues années il préfère obéir et souffrir plutôt que
d’opposer la violence. Le gouvernement attendra-t-il donc que les contribuables
se laissent exécuter comme à Amsterdam dans leurs meubles et effets, pour
reconnaître enfin que des économies sont indispensables ? Il doit songer qu’au
total il y a bien plus de danger à mécontenter la masse des contribuables que
certains employés de l’Etat à qui ces économies pourraient faire quelque
préjudice. Je dirai d’ailleurs avec un publiciste que l’impôt doit toujours
être proportionné, non à ce que le peuple peut donner, mais à ce qu’il doit
payer suivant les besoins réels de l’Etat.
M. Kervyn. - Messieurs, si, il y a un
demi-siècle, on avait dit que
Cependant, grâce à la réorganisation de la société sur de nouvelles
bases, et grâce surtout au développement de l’industrie qui en a été la
conséquence, cette prédiction est accomplie.
Si un tel état de choses est satisfaisant, en ce qu’il démontre et la
richesse publique, et l’abondance de nos ressources, la prudence néanmoins nous
fait une loi, d’un côté, de n’en disposer qu’avec parcimonie, et d’un autre
côté, de les augmenter.
D’abord, messieurs, vous savez que depuis 1830 les recettes ordinaires
sont restées constamment au-dessous des dépenses ; on a dû recourir sans cesse
à des moyens extraordinaires afin de combler ces déficits ; et quoique les
recettes aient surpassé d’année en année les prévisions,
Certainement, les événements politiques que nous avons traversés y ont
eu la plus large part ; en outre, des travaux d’utilité publique assez
considérables y ont eu une autre part ; mais ce qui n’a pas peu contribué à un
pareil résultat, c’est la marche que nous avons suivie jusqu’à ce jour ; c’est
que, si nos recettes ont été en augmentant d’année en année, nous avons
augmenté nos dépenses dans une proportion encore plus grande.
Pour vous en convaincre, messieurs, veuillez-vous rappeler les crédits
que vous avez votés à chaque ministère depuis 1831 (je ne parlerai pas du ministère
de la guerre, dont le budget subit toutes les fluctuations des événements
politiques.). Ainsi, messieurs, vous avez voté :
- pour le ministère de l’intérieur,
En 1831, 17,984,142 fr.
En 1832, 9,424,992 fr.
En 1833, 10,127,992 fr.
En 1834, 21,665,268 fr. (dont 10,000,000 pour le chemin de fer)
En 1835, 11,088,114 fr.
- pour le ministère de la justice,
En 1831, 2,116,467 fr.
En 1832, 4,547,284 fr.
En 1833, 5,220,330 fr.
En 1834, 5,381,272 fr.
En 1835, 5,273,727 fr.
- pour le département des affaires étrangères et de la marine,
En 1831, 920,171 fr.
En 1832, 1,076,952 fr.
En 1833, 1,176,375 fr.
En 1834, 1,325,164 fr.
En 1835, 1,334,878 fr.
- pour le département des finances,
En 1831, 18,227,355 fr.
En 1832, 12,450,211 fr.
En 1833, 11,068,955 fr.
En 1834, 11,962,013 fr.
En 1835, 12,599,803 fr.
Ainsi, messieurs, depuis 1832, nos dépenses pour ces quatre départements
réunis ont pris un accroissement considérable.
Il est temps que nous nous arrêtions dans cette voie. Car, si nos
ressources ont été en augmentant jusqu’ici, c’est par suite de l’état de
prospérité dans lequel se trouve l’industrie : cette prospérité peut avoir un
terme ; une crise peut survenir et alors nous aurons un déficit de plus à
ajouter à tous ceux que nous avons déjà comblés depuis 1830.
Et que sera-ce lorsqu’un traité définitif aura réglé les destinées de
En outre, messieurs, vous le savez, au milieu de l’aisance générale on
entend encore sur différents points du pays, le cri de détresse des victimes de
la guerre qui font un appel à votre justice et à votre humanité. Il est à
croire que cet appel ne sera pas fait en vain, et que de ce chef nous aurons
une nouvelle rente à ajouter à celles que nous avons déjà créées et à celle
dont nous sommes menacés pour l’avenir.
Ces considérations me paraissent assez graves pour que nous mettions
dans les dépenses publiques toute l’économie possible.
J’ai dit aussi que l’état de nos finances nous faisait un devoir
d’augmenter dès à présent nos recettes.
Dans le discours prononcé par M. le ministre des finances lors de la
présentation des budgets, il nous est dit que nos voies et moyens, excédant de
fr. 332,046 le total des dépenses proposées, pourront amplement pourvoir aux
dépenses extraordinaires qui viendraient à être votées dans la présente
session. De la manière dont les choses se sont passées dans cette chambre les
années précédentes, je ne puis partager l’opinion de M. le ministre ; non,
messieurs, cet excédant ne suffira pas, car l’expérience nous a démontré que
jusqu’aujourd’hui le total de notre budget des dépenses n’était que fictif,
parce que sans cesse et jusqu’à la fin de nos sessions nous étions appelés à
voter des crédits supplémentaires d’un chiffre si élevé, que c’est en partie à
cette cause que l’on peut attribuer nos déficits. Même au moment où nous discutons
les budgets pour 1837, nous sommes appelés à voter des crédits considérables
sur l’exercice 1836.
Cet excédant sera suffisant. Mais alors il faudra renoncer aux grandes
améliorations que réclament plusieurs localités du pays, ou bien il faudra
recourir à notre crédit et se jeter de nouveau dans le système ruineux des
emprunts ou des émissions de bons du trésor. Ainsi, soit que nous voulions
poser des bornes aux inondations qui ruinent encore une partie de notre
territoire, soit que nous décrétions un canal qui rende le bien-être à la
lisière des Flandres, soit que nous adoptions un système d’irrigation pour les
landes de
Ce n’est donc pas sans raison, messieurs, que je regarde notre budget
des voies et moyens comme inférieur à nos besoins.
Maintenant je me demande quels sont les moyens d’y suppléer. Comme je
l’ai déjà dit, je mets en première ligne la réduction des dépenses, surtout de
celles qui ne sont pas reproductives et qu’on peut appeler dépenses de luxe.
Cependant, messieurs, je ne me fais pas illusion sur ce point : cette réduction
est nécessaire ; elle peut s’opérer, mais dans mon opinion elle ne peut être
assez efficace pour qu’elle remédie aux vices du système que j’ai signalé.
Force nous est donc ou de créer de nouveaux impôts, qui nécessairement
porteraient sur la consommation, ou d’introduire dans nos lois fiscales des
améliorations successives qui, sans frapper immédiatement le contribuable,
accroîtraient les recettes du trésor.
Quant au premier point, messieurs, vous savez
que la position géographique du pays, extrêmement favorable à la fraude,
s’oppose à ce que nous élevions outre mesure les droits de consommation :
l’état de l’industrie s’y oppose également, parce que n’ayant pas, comme en
Angleterre, des débouchés immenses à l’étranger, ni comme en France, un vaste
marché intérieur, elle est forcée de suppléer par le bas prix de la
main-d’oeuvre aux bénéfices que procure une fabrication étendue. De là nous
devons nous garder d’élever les droits de consommation qui, portant sur la
classe ouvrière, auraient pour effet de paralyser la production en faisant
renchérir la main-d’œuvre.
C’est donc, messieurs, vers la réforme successive de nos lois fiscales
que doivent tendre nos efforts ; cependant, si cette réforme ne peut être assez
efficace pour nous faire sortir immédiatement du système des emprunts que nous
avons suivi depuis six ans, système que je regarde comme ruineux pour l’avenir
financier du pays, je ne reculerai pas devant les inconvénients qui sont
attachés à l’accroissement des charges publiques.
Je bornerai là ces observations générales.
M. Andries. - Messieurs, on ne peut le
dire assez :
Mais, tout en admirant les bontés de la providence à notre égard, il
faut convenir qu’il reste encore beaucoup d’améliorations à faire ; ce n est
plus tant dans le budget des dépenses, c’est surtout dans le budget des voies
et moyens qu’elles doivent être introduites. En prononçant ce mot
d’améliorations, ne pensez-vous pas, messieurs, que je veuille soutenir que
l’expérience nous a déjà assez éclairés pour substituer tout à coup tout un
autre système d’impôts à celui qui existe, ou qu’il faille de suite se
prononcer pour une association aux douanes allemandes on françaises. Je parle
seulement d’améliorations partielles. Je crois même qu’il n’y en pas d’autres
possibles pour le moment.
C’est la voie dans laquelle vous avez marché jusqu’ici, et c’est celle
que dicte la prudence. L’adoption successive d’améliorations partielles finira
peut-être par nous donner un système sans que nous nous en doutions, et ce sera
le meilleur de tous, parce que ce ne sera pas l’ouvrage des hommes à système.
Pour ma part, je regrette seulement que les améliorations se bornent à si peu
de choses dans le budget des voies et moyens qui nous est présenté.
J’approuve celle qui est proposée relativement à la suppression du droit
de poinçonnage. Elle soulagera les petits détaillants, qui gagnent trop peu
pour que ce droit ne les gêne pas. Il est beau de voir que nos lois
s’imprègnent peu à peu de ce juste intérêt que nous inspirent les classes moins
aisées de la société. A propos de poinçonnage, j’ai deux rectifications à
demander à M. le ministre des finances qui tendent toutes deux à rendre le
système métrique plus populaire.
Eu vertu d’un arrêté du 1er janvier 1820, la vérification et le
poinçonnage des poids et mesures doit avoir lieu chaque année. A cet effet, il
émane chaque année un arrêté d’exécution de la part des gouverneurs qui fixe
les communes et le jour où le poinçonneur s’y rendra. Il y a des provinces les
gouverneurs ordonnent aux poinçonneurs de se rendre dans chaque commune en
particulier. Pourquoi n’en est-il pas ainsi dans toutes les provinces ? Voyez
quels inconvénients il en résulte. On annonce dans un village qu’à tel jour,
depuis 9 heures, par exemple, jusqu’à midi, le poinçonneur se trouvera dans tel
autre gros village à six quarts de lieue de là. Voilà donc que tous les
détaillants, aubergistes et boutiquiers se mettent en devoir de transporter,
souvent par de mauvais chemins, un matériel très considérable. Croyez-vous que
pendant cette courte absence on ne débile rien dans les cabarets dans les
boutiques, quoique dépourvues pour le moment d’ustensiles légaux ? On n’en
débite pas moins, mais c’est avec des mesures et des poids non poinçonnés, et
c’est l’imprévoyance de l’administration qui y force.
Ce n’est pas tout : supposez que le petit commerçant, déjà fatigué
d’avoir porté si loin, sur son dos, sa pacotille de mesures, rencontre un
poinçonneur plein de brusqueries. Supposez qu’il lui arrive des accidents, des
pertes dont le voyage est la cause : croyez-vous qu’il revienne bien disposé à
l’égard du système métrique qu’il est de notre devoir de populariser ? Le
malheur de l’administration précédente était de croire qu’il suffisait d’avoir
des gendarmes, des prisons et des amendes pour faire exécuter les lois : il est
à espérer que l’administration verra de plus en plus que ce moyen
d’administration est le plus détestable de tous les moyens. Je prie donc M. le
ministre des finances de faire en sorte qu’à l’avenir les poinçonneurs se
rendent eux-mêmes auprès des contribuables, ou au moins, dans leur commune ;
car je crois, en définitive, que les poinçonneurs ou vérificateurs sont
institués pour les contribuables et non les contribuables pour les
poinçonneurs.
La seconde rectification que je demande à M. le ministre des finances
est relative au débit du sel. Un arrêté du 25 janvier 1827 (Journal officiel, n°5) défend aux petits
comme aux grands commerçants de vendre le sel autrement qu’au poids ; de sorte
que le poinçonnage est refusé aux mesures métriques en bois propres à débiter
le sel, et le débitant est mis en contravention si on peut constater qu’il s’en
sert. Il est cependant incontestable que depuis des siècles jusqu’à l’an 1827
on n’a débité le sel en détail chez nous que par mesure et jamais au poids. Et,
malgré la défense de l’arrêté de 1827, je puis affirmer que partout à la
campagne on le débite encore de cette manière, et on le débitera toujours. Vous
avez beau dire que la vente au poids est plus juste, nos pauvres campagnards ne
se résoudront jamais à aller prendre leur petite provision de sel dans des sacs
de papier, et vous savez que ce sont eux qui consomment le plus de sel. C’est
pourquoi je crois qu’il faudrait révoquer l’arrêté susdit du 25 janvier 1827,
et laisser au public la faculté d’acheter son sel à la mesure ou au poids. Quel
intérêt l’Etat a-t-il à voir triompher l’une ou l’autre de ces deux pratiques ?
S’il y a quelqu’intérêt engagé dans cette question, c’est l’intérêt de ceux qui
achètent, et l’Etat n’a pas à s’en mêler.
En parcourant le tableau du montant du rôle des patentes pour 1836, j’ai
observé que
Messieurs, dans la longue nomenclature des
revenus de l’Etat, je cherche en vain un article de recette qui, selon moi,
devrait cependant y trouver sa place, je veux parler des restitutions
volontaires. Vous avez si souvent déclaré dans cette enceinte que la fraude est
immorale ; vous reconnaissez que la coalition entre les entrepreneurs de
travaux publics pour rendre une adjudication publique illusoire et imposer
ainsi leurs prix au gouvernement est un acte reprouvé par la morale comme
contraire à la justice ; vous admettez que toute collusion et intelligence
entre le fournisseur et le fonctionnaire chargé de la réception des
fournitures, au moyen de laquelle on ne fournit souvent que la moitié de ce
qu’on devrait fournir ou des objets de mauvaise qualité, est un vol patent ; en
un mot, messieurs, il est un principe reconnu par la nation entière, qu’on ne
peut voler ni tromper l’Etat pas plus qu’un particulier ; ce principe est dans
nos mœurs, et l’opinion publique imprime le sceau de sa réprobation sur ces
fortunes rapides et scandaleuses qui s’élèvent à force de vols et d’injustices
: cependant, messieurs, je cherche ce principe vainement dans nos lois. Nos
lois semblent au contraire s’opposer au repentir ; de moins il n’y a, que je
sache, aucune disposition qui permette de l’accueillir.
Supposez un homme revenu aux principes de l’éternelle justice, décidé à
ne pas transmettre à sa postérité des sommes mal acquises et qui, tôt ou tard,
doivent lui porter malheur : cet homme emploiera un homme de confiance, qui va
frapper de porte en porte et ne trouve aucun fonctionnaire autorisé à recevoir
la restitution qu’il veut faire. Sa demande paraît si insolite, on ne sait pas
même sous quel titre il faudrait l’enregistrer : bref, on ne reçoit pas. Cet
état de choses doit cesser ; ce qui est dans nos mœurs, doit être dans nos
lois. La lacune qui existe peu, me semble-t il, être remplie par une simple
mesure administrative. Si M. le ministre des finances veut prendre en
considération ce que je viens de dire, il trouvera peut-être qu’il suffit
d’autoriser tous les receveurs de l’enregistrement du royaume à recevoir ces
restitutions volontaires, en leur enjoignant de donner quittance en triple.
Celui qui aura fait le versement tiendra la première quittance pour lui,
enverra la seconde au directeur de l’enregistrement de la province, et enverra
la troisième à la cour des comptes. Je désire que, dans l’intérêt de la morale
publique, ces mesures soient prises sans retard. Je me réserve de faire d’autres
remarques lors de la discussion des articles. J’ai dit.
M. Eloy de Burdinne. - Le
budget des recettes de 1837 est fixé à 85,811,700 fr. Si vous y ajoutez les
811,000 fr. qui figurent pour mémoire, votre budget des recettes, pour le
service de 1837, sera de 86,622,700 fr.
Souvent j’ai entendu dire par nos économistes que
Certes, nous n’aurions pas à nous plaindre pour le moment, si toutes les
dépenses étaient mises à la charge de l’Etat ; mais, messieurs, il en est
autrement : par vos lois provinciale et communale, vous avez mis à la charge
des provinces et des communes une partie des dépenses qui, selon moi, devraient
être supportées par l’Etat, et qui
auraient nécessité la majoration du budget des voies et moyens. Si vous
compreniez les budgets des voies et moyens des provinces et des communes
seulement sous le rapport du chapitre des impositions à charge des
contribuables, telles que les centimes additionnels, par exempte, les dépenses
de l’Etat seraient bien plus considérables.
Il y a peu de temps j’ai lu dans le Moniteur
le montant des impositions en faveur des provinces et des communes, et si
j’ai bien calculé, ces impositions vont à 30 et des millions qui joints aux 86
millions montant du budget des voies et moyens, formeront un total au 116
millions ; ajoutez à cette somme les centimes additionnels pour construction de
routes, de canaux de chemins vicinaux qui dans certaines localités vont à 35 p.
c. du principal de l’impôt foncier et personnel ; en outre, dans un grand
nombre de communes et particulièrement dans la province de Liége où les
ressources sont insuffisantes, il est fait une répartition au marc le franc sur
les contributions ou autrement de sommes assez fortes pour combler des
déficits. Dans ce cas sont les communes qui doivent des rentes et Bruxelles,
entre autres, vous prouve ce que je viens d’avancer, cette ville a aussi besoin
de recourir à une imposition toute spéciale. Ainsi, ces impositions
extraordinaires, qu’il est difficile de préciser quant au montant, mais que je
crois pouvoir fixer à 14 ou 15 millions, ajoutées au chiffre de 116 millions
préétabli, j’aurai un budget de voies et moyens en Belgique de 130 millions
environ.
Si je vous soumets ces observations, ce n’est pas en vue de contester
pour le moment le chiffre global du budget des voies et moyens, mon intention
est de vous faire apercevoir que les contribuables sont assez chargés, et que
s’il était possible de réduire les impôts, vous ne devriez pas vous y opposer.
Un autre motif me guide en outre en vous faisant part de mes calculs, c’est
d’être économe dans les dépenses.
Depuis plusieurs années nous avons marche à pas
de géant dans le progrès, ou si vous voulez, dans le mouvement, et à tel point
qu’un jour nous pourrions bien compromettre notre crédit ainsi que notre
existence financière. Cette fièvre du mouvement doit avoir son cours, je le sais,
elle ressemble à toutes les autres fièvres qui ne peuvent être guéries qu’après
quelques accès, et j’espère que la fièvre dont nous sommes accablés viendra à
cesser avant qu’elle ne nous tue, et que, parvenus à un état de santé nous
saurons agir en bons économes des deniers de la nation, de telle manière que si
nous avions une guerre à soutenir, nous trouverions dans nos économies le moyen
de la soutenir sans trop imposer les contribuables.
Vous le savez, le nerf de la guerre est l’argent : tenons-nous prêts à
nous défendre, et pour ce motif avisons par nos économies aux moyens d’avoir
une réserve si nous venions à avoir une guerre à soutenir. J’aurais désiré voir
notre système de contributions amélioré ; je m’abstiendrai pour le moment
d’émettre mes réflexions avant d’économiser le temps, je me propose d’y revenir
lors de la discussion des articles.
Avant de terminer, messieurs, je dois répondre au reproche qui a été
adressé au ministère d’augmenter les dépenses et d’occasionner ainsi des
déficits. Remarquez, messieurs, que nous avons bien souvent voté des ajoutes
aux budgets des dépenses contrairement à l’opinion du ministère : chacun de
nous ayant l’initiative de proposer des dépenses nous en usons bien aussi
souvent que le ministère ; ainsi, messieurs, si l’on croit que le ministère a
mal administré et a ainsi occasionné un déficit, je répondrai que la chambre en
a fait autant.
M. Verdussen. - Vous aurez remarqué,
messieurs, dans le rapport de la section centrale, qu’elle s’est occupée de
trois points de discussion générale : le premier concerne l’époque de la
présentation des budgets ; le deuxième est relatif à la cour des comptes, et le
troisième au poinçonnage des poids et mesures. Ce n’est que relativement au
premier point, c’est-à-dire à l’époque de la présentation des budgets que je me
permettrai de soumettre à la chambre quelques considérations, et je le ferai
par forme de motion d ordre, afin d’en venir à un prompte résultat.
Cette sollicitude de ma part pour l’objet dont j’ai l’honneur de vous
entretenir ne vous étonnera pas si vous voulez bien vous rappeler que déjà au
mois de décembre 1833, j’ai présenté à la législature un projet de loi pour
changer l’époque du commencement de l’année financière, afin d’obvier aux nombreux
inconvénients résultant du système malheureusement établi de commencer la
discussion à une époque où il est impossible de les discuter utilement pour la
chose publique et de laisser au sénat le temps convenable pour les examiner à
son tour.
On vous a dit, messieurs, lorsque nous nous somme encore occupés de
cette question qu’il y a moyen de terminer la discussion du budget en temps
utile, en réunissant les chambres à l’époque fixée par la constitution,
c’est-à-dire le second mardi de novembre ; qu’il suffit pour cela de se mettre
de suite à l’ouvrage. Ce qui se passe aujourd’hui, messieurs, vous prouve le
contraire : le deuxième mardi de novembre est arrive cette année à la date la
plus éloignée possible de la fin de l’année, le 8 novembre ; au moment même de
l’ouverture de la session elle a été saisie de tous les budgets qui, par les
soins du ministre se trouvaient déjà imprimés, et cependant nous voilà arrivés
au 12 décembre, et c’est seulement aujourd’hui que commence la discussion des
budgets. On ne taxera pas les sections d’avoir manqué de zèle ; non, messieurs,
jamais l’examen des budgets dans les sections n’a été plus rapide ; tout le
monde s’est fait un devoir de travailler autant qu’il le pouvait afin
d’accélérer la discussion.
Et par quel budget commençons-nous aujourd’hui
? C’est précisément celui par lequel nous devrions terminer ; car, comme on l’a
déjà souvent fait remarquer, l’assiette des dépenses doit nécessairement
précéder celle des moyens d’y faire face, puisque les dépenses étant une fois
fixées à une certaine somme, il faut nécessairement établir les recettes à un
même chiffre.
Il y a deux moyens, messieurs, d’obvier à ces inconvénients : le premier
serait de voter au commencement de l’année le budget de l’année suivante, et
c’est ce moyen qui a particulièrement fixé l’attention de la section centrale
et auquel on pourra peut-être donner la préférence lorsqu’on aura examiné la
question. Le second moyen est celui que j’ai proposé avec les honorables MM.
Rodenbach et Dellafaille, qui ne fait plus partie de la chambre ; il consiste à
changer l’époque du commencement de l’année financière en la fixant au 1er
juillet. Je n’examinerai pas aujourd’hui lequel de ces deux moyens est
préférable ; mais je proposerai à la chambre, par motion d’ordre, de fixer
immédiatement après la discussion des budgets celle du projet de loi que j’ai
eu l’honneur de présenter au mois de décembre 1833, et dont le rapport a été
présenté par l’honorable M. Milcamps dans la séance du 19 juillet 1834, rapport
qui proposait à la chambre l’ajournement de ma proposition, ce qui a été
adopté.
Il est urgent, messieurs, de porter remède au mal que j’ai signalé, il
est de plus urgent que la question soit décidée avant le commencement de
l’exercice futur, afin que le ministère ait le loisir de nous présenter un
budget transitoire de six mois que nous pourrions alors discuter, soit vers le
milieu de la session actuelle, soit au commencement de la session prochaine.
M. le ministre des finances (M. d'Huart).
- Il me semble, messieurs, que nous devons attendre pour fixer la discussion de
la proposition de l’honorable préopinant, qui n’est pas aussi urgente que
d’autres qui pourront se présenter d’ici à la fin du vote des budgets. Il en
est même déjà une qui est mise à l’ordre du jour immédiatement après les
budgets, et qui est des plus importantes, c’est la loi relative aux indemnités.
Attendons, messieurs, que nous ayons abordé la discussion de cette loi, pour
nous occuper de la proposition de M. Verdussen, nous pourrons alors examiner
les objections qu’elle a soulevées ; mais je crois que maintenant il serait
inutile d’entrer dans cet examen. Je prie donc l’honorable membre de retirer sa
motion d’ordre, pour la reproduire lorsque nos aurons épuisé les objets qui
sont maintenant à l’ordre du jour.
M. Verdussen. - J’y consens.
M. le ministre des finances (M. d'Huart).
- Messieurs, le premier des
orateurs que vous venez d’entendre vous a entretenus à peu près exclusivement
de la situation de la société générale envers le gouvernement et envers le pays
; à entendre cet honorable membre, il y aurait un danger imminent à laisser
plus longtemps les deniers du trésor entre les mains de cet établissement qui
serait l’agent du roi Guillaume, de notre ennemi, et qui, avec les ressources
dont il dispose, pourrait favoriser une contre-révolution, amener la
destruction de
Nous ne partageons aucunement les
craintes de l’honorable préopinant ; nous pensons, messieurs, que la société
générale telle qu’elle est organisée comme caissier de l’Etat, présente, à
raison des intérêts majeurs qu’elle possède dans le pays, des garanties
suffisantes. Les administrateurs de la société générale sont des citoyens
belges comme nous, ils ont en Belgique des capitaux et des propriétés
immobilières considérables ; leurs antécédents offrent d’ailleurs toutes les
qualités que l’on peut désirer chez des administrateurs
Remarquez, messieurs, que le roi
Guillaume qui a été sans cesse indiqué par M. Doignon comme venant prendre part
ou plutôt se faisant représenter dans les délibérations de la société générale,
n’a accès à aucun acte administratif de cette société, il est considéré comme
étranger, et comme tel exclu de toutes les délibérations de la société, de tout
accès officiel auprès de l’établissement.
Nous disons donc, messieurs, que
d’une part la société présente comme caissier de l’Etat tontes les garanties
matérielles désirables, et que, d’un autre côté nous n’avons pas à craindre que
les administrateurs qui sont à la tête de l’établissement puissent protéger
aucune manœuvre contraire à l’existence du pays
On a demande messieurs, que le gouvernement apportât un changement
fondamental à l’institution actuelle du caissier de l’Etat. Je m’étais proposé
de faire connaître à la chambre, lors de la discussion du budget des dépenses,
une convention récemment conclue entre le gouvernement et la société générale
relativement aux fonctions de caissier de l’Etat ; mais puisqu’on m’a
interpellé, je vous en ferai connaître l’existence maintenant, et je pourrai
même dans la séance de demain la déposer sur le bureau.
Vous verrez, messieurs, que cette convention a introduit trois modifications
importantes dans le système qui a réglé jusqu’ici la recette des fonds de
l’Etat : d’abord une réduction dans la remise du caissier, ensuite un
cautionnement, ce qui n’existait plus actuellement, et enfin la transmission
directe à la cour des comptes des pièces et documents relatifs à la recette de
l’Etat.
Nous pensons, messieurs, que par cette convention, mise à côté d’un
règlement général de comptabilité qui est actuellement soumis à l’approbation
du chef de l’Etat, tout se trouvera réglé d’une manière satisfaisante, telle
est du moins l’opinion de la cour des comptes elle-même, que j’ai eu soin de
consulter avant de procéder à la rédaction du règlement général dont je viens
de parler.
Ainsi, attendons, avant de nous livrer à des récriminations, avant
d’émettre dans cette enceinte des craintes qui peuvent aussi être dangereuses,
attendons, dis-je, que nous ayons sous les yeux toutes les pièces du procès.
Et ici je dois repousser un reproche qui nous a été adressé, et que nous
ne méritons en aucune manière : on a prétendu que nous ne voulions pas
communiquer à la chambre tous les renseignements dont elle peut avoir besoin
pour prendre une décision en parfaite connaissance de cause. En aucune
circonstance, messieurs, nous ne nous sommes refusés à produire tous les
documents qui nous ont été demandés, nous nous empressons toujours, au
contraire, de fournir tous les renseignements que nous possédons.
Je dirai à cette occasion que la commission chargée d’examiner la
convention conclue le 7 novembre dernier relativement aux redevances de la
société générale, m’a fait l’honneur de lui demander des renseignements
nombreux et très importants ; je suis occupé à les réunir, et j’espère avant
peu pouvoir les parvenir à la commission. Si elle ne les obtient pas tous,
selon son désir et le mien, c’est qu’il y aura réellement impossibilité de les
fournir.
On a dit que dans la convention conclue avec la société générale que je
viens de mentionner, le gouvernement a fait preuve d’une facilité, d’une
condescendance extraordinaires, ce qui prouverait que le gouvernement se trouve
sous l’influence de cette société, et qu’il n’est, en quelque sorte, qu’en
seconde ligne vis-à-vis d’elle. Messieurs, quand vous examinerez attentivement
la question, vous reconnaîtrez que ce que nous avons fait se borne en réalité
aux conclusions mêmes de la commission que vous avez nommée il y a trois ans ;
nous démontrerons que ce que nous obtenons par la convention est précisément
tout ce qu’on nous invitait à réclamer par la voie des tribunaux.
Je le répète donc, avant de se livrer à la critique de cet acte, il faut
attendre que le gouvernement ait présenté les développements qu’il ne manquera
pas de donner.
Nous sommes, dit-on, sous l’influence de la société générale ; il n’en
est rien. Si nous pensons que le gouvernement ne doit se permettre aucune
mesure hostile envers des sociétés industrielles, utiles au pays, nous sommes
convaincus, d’un autre côté, qu’il doit garder une parfaite indépendance à
l’égard de ces sociétés : indépendance qui doit exister non seulement en
réalité, mais même dans toutes les apparences. Voilà, messieurs, notre
profession de foi sur ce point.
On nous reproche encore de rester dans l’apathie relativement aux
nouvelles associations industrielles et commerciales qui s’organisent dans le
pays et dont le développement pourrait devenir dangereux. Mais, messieurs, si
nous nous étions opposés à la propagation de cet esprit d’association dont le
principe est posé dans la constitution ; si nous y avions mis des entraves irréfléchies,
c’est alors que nous aurons méconnu les véritables intérêts du pays, et que
nous aurions agi contrairement au vœu de nos institutions ; nous ne l’avons pas
fait, et nous ne devions pas le faire. Je reconnais toutefois que pour remplir
les devoirs de la position que nous tenons dans le gouvernement, nous devons
veiller avec soins à ce que les associations ne fassent rien qui soit nuisible
; à cet égard, je puis dire que la vigilance du gouvernement ne fera jamais
défaut. Vous pouvez être convaincus, messieurs, que dans toutes les occasions
nous prendrons les précautions que la prudence nous commandera, Les sociétés
qui s’établissent dans la forme de celles qui ne peuvent exister qu’avec
l’approbation du gouvernement, n’obtiennent cette autorisation qu’après avoir
scrupuleusement examiné leurs statuts.
Comment, au reste, parle-t-on de ces établissements industriels, de ces
créations nouvelles ? On vous les représente exclusivement comme dangereuses,
Qu’on veuille nous dire quels sont ces dangers ? Qu’on nous fasse connaître les
mauvais résultats que ces sociétés ont produits ; qu’on nous indique le mal ;
et, s’il existe réellement, nous tâcherons d’y porter remède. Ce n’est pas par
des accusations vagues, conçues en termes généraux que nous pouvons saisir la
pensée de ceux qui nous les adressent.
En parlant tantôt de la convention concernant les redevances de la
société générale, j’ai oublié de répondre à un autre reproche qui nous a été
fait. On a allégué que dans cette affaire nous avions préjugé l’opinion des
chambres ; que nous aurions déjà procédé aux expertises dont parle la
convention ; que nous aurions en un mot fait évaluer le sol et la superficie de
la forêt de Soignes, dans la persuasion sans doute que l’acte dont il s’agit ne
pourrait manquer d’être admis par les chambres.
Je répondrai, messieurs, que nous n’avons rien fait de semblable
jusqu’ici ; nous attendons, avant tout, la décision de la chambre qui conserve
une entière liberté pour adopter ou pour rejeter la convention ; et nous avons
la confiance que la décision qu’elle prendra sera conforme aux vrais intérêts
du pays
En terminant son discours, l’honorable M. Doignon a critiqué les paroles
que j’ai prononcées à la tribune lors de la présentation du budget des voies et
moyens, sur la prospérité financière du pays ; le peuple, a-t-il ajouté,
attendait autre chose de nous ; le peuple espérait voir apporter dans les
dépenses de notables économies qui ne se réalisent pas. Messieurs, quant à la
prospérité financière du pays, les faits sont là pour la prouver. Qu’on veuille
se livrer à un examen froid et impartial ; qu’on veuille considérer qu’en 1833
nous avions un déficit de quinze millions qui, aujourd’hui, se trouve réduit à
9 millions et demi ; qu’on se rappelle, dis-je, que, malgré les dépenses
extraordinaires que la nation s’est imposée pour des entreprises utiles, notre
dette flottante, qui était de 15 millions en 1833, se trouve réduits à 12
millions dans le budget de 1837 ; et l’on restera convaincu que le tableau que
j’ai tracé de notre situation financière est conforme à la vérité.
Le peuple s’attend à des réductions notables dans les dépenses ; qu’on
nous indique les branches du service sur lesquelles elles soient possibles ;
pour nous, nous ne les connaissons pas.
Nous croyons être les amis du peuple, autant que qui ce soit ; mais nous
ne servirions pas ses véritables intérêts, en opérant des réductions sur des
charges qui, en définitive, doivent tourner à son propre et unique avantage.
D’ailleurs, les dernières allégations auxquelles je réponds, sont-elles
fondées ? y a-t-il misère en Belgique ? la tribune nationale retentit-elle de
plaintes sur la hauteur et les vexations des impôts ? Il n’en est rien,
messieurs, reconnaissons-le avec franchise, les habitants de
Voilà des faits qui montrent à l’évidence le peu de fondement des
allégations qu’on a mises en avant.
Dans le discours qu’il vient de prononcer, l’honorable M. Kervyn a
comparé les dépenses des années 1831 et 1832 avec celles que nous vous
proposons aujourd’hui, et de cette comparaison, il a tiré la conséquence que
nous avons successivement augmenté les charges publiques.
Je suis fondé à croire que des erreurs de chiffre se sont glissées dans
le discours de l’honorable membre. Si, d’après les observations qui ont été
faites à l’instant même à côté de lui, M. Kervyn se livre à cet égard à un
nouvel examen, il tirera sans doute une conséquence toute différente du
parallèle qu’il a établi.
Si je ne me trouve pas d’accord avec deux des honorables préopinants, je
le suis avec l’honorable M. Andries, qui’ a parlé après eux. Cet honorable
membre a exprimé, sur le régime des impôts, des vues très sages, très logiques,
et surtout très praticables.
M Andries désire qu’on procède successivement et partiellement aux
améliorations jugées nécessaires à notre régime financier.
C’est ainsi, messieurs, que le gouvernement a agi depuis 1830 ; chaque
année, nous rectifions partiellement les dispositions plus ou moins
défectueuses qui peuvent se trouver dans les lois fiscales préexistantes. Je
pourrais rappeler à l’instant les nombreuses modifications qui ont déjà été
faites de cette manière, mais je me réserve d’en parler lors de la discussion
des articles du budget.
M. Andries a émis le vœu que le poinçonnage des poids et mesures pût être
opéré dans toutes les communes, pour épargner aux campagnards des démarches
gênantes et souvent coûteuses. C’est une observation qui mérite toute mon
attention. J’aurai soin d’examiner s’il y a possibilité d’étendre encore les
améliorations déjà introduites depuis deux ans dans cette partie du service, et
de faire opérer dans chaque localité le poinçonnage des poids et mesures.
Quant à l’arrêté du 25 janvier 1827, cité par l’honorable membre et qui
empêcherait la vente du sel par le mesurage, j’avoue que je ne comprendrais pas
la légalité d’un semblable arrêté. Un litre, par exemple, est une mesure
légale, ainsi que toutes les mesures qui en dérivent ; on peut donc s’en servir
pour mesurer le sel, comme on en fait usage pour toute autre espèce de marchandises
; dès qu’on emploie une mesure légale, la vente elle-même est légale, et je ne
conçois pas qu’on puisse l’empêcher. J’ai donc lieu de croire qu il y a une
erreur dans l’observation de M. Andries, ou peut-être ne l’ai-je pas bien
compris.
En terminant son discours, cet honorable membre a exprimé avec raison
que la fraude quelconque des impôts ou des droits du trésor était un vol réel ;
qu’on ne pouvait trop la conspuer, afin d’empêcher ce trafic honteux. Oui,
messieurs, on ne saurait s’élever avec assez de force contre la fraude qui a
pour but et résultat d’éluder les impôts. Aussi longtemps qu il ne sera pas
passé dans nos mœurs que le fraudeur est un homme méprisable ; aussi longtemps
que fraudeur ne sera pas, pour ainsi dire, montré au doigt, la fraude existera
largement. Mais du moment où l’opinion publique sera d’accord pour flétrir le
fraudeur, la fraude, si elle n’est pas détruite complètement, recevra du moins
une forte atteinte et ce résultat, nous devrons sortant l’espérer alors pour la
fraude qui travaille sur une grande échelle.
A cette occasion l’honorable membre a exprimé
le regret qu’il ne figurât pas au budget de l’Etat un article éventuel qui
facilitât l’imputation des restitutions volontaires. L’honorable membre
voudrait qu’on pût engager ainsi ces hommes chez lesquels le repentir arrive à
faire les restitutions que leur suggère leur conscience.
Je pense que, d’après le budget tel qu’il est disposé ces restitutions
sont possibles, car il y a un article de recettes diverses porté au chapitre
concernant l’enregistrement, dans lequel on pourrait comprendre les
restitutions de l’espèce.
Ce ne serait pas la première fois au reste que des restitutions de
l’espèce auraient été faites. Depuis que je suis au ministère, deux fois des
sommes très petites, à la vérité, m’ont été envoyées par des anonymes avec
prière de les réintégrer au trésor ; ce qui a été fait religieusement.
Vous voyez donc qu’il y a moyen de recevoir les restitutions
volontaires. Toutefois, pour en faciliter le versement, on pourrait, par une
mesure administrative, prescrire positivement aux agents comptables d’accepter,
pour en rendre compte d’une manière déterminée, les restitutions de cette
nature.
Je crois avoir rencontré sommairement les différentes observations qui
ont été présentées dans cette séance. Je reviendrai de nouveau dans la
discussion quand de nouvelles observations auront été produites, ou bien, si
les honorables membres auxquels j’ai répondu m’indiquent quelques points sur
lesquels je ne les aurais pas satisfaits.
M. Pirson. - Il paraît que peu
d’orateurs se présentent pour parler dans la discussion générale. Pour ma part,
je ne veux dire que quelques mots sur la banque.
Je pense messieurs qu’il faut prendre la vérité de quelque part qu’elle
vienne. Un journal que je n’aime pas a dit que personne n’avait fait son devoir
en présence de la banque. Il a accusé le ministère, quoiqu’il passe pour le
journaliste du ministère, ce que, pour mon compte, je ne crois pas ; et il a
également accusé la chambre.
En effet, chaque année il a été question de faire un compte avec la
banque ; mais quand la banque s’est trouvée un peu pressée, elle a fait acte de
condescendance. Elle a suivi en cela la tactique du roi Guillaume. Quand il
était un peu pressé, au moyen de retards, d’ajournements, il amortissait
l’opposition et arrivait toujours à son but. La banque est aussi arrivée au
sien, celui de ne pas rendre de compte. Elle a provoqué la nomination d’une
commission ; et quand cette commission été nommée, elle lui a fermé la porte.
Je vous le demande, est-ce que les représentants du Roi auraient dû souffrir
que la banque se conduisît ainsi ?
Quand je dis le Roi, j’entends le gouvernement. Il y a dans les statuts
de la banque des articles qui donnent au Roi la surveillance des opérations de
la banque. Si j’avais été ministre, je serais entré, j’aurais trouvé une
garnison qui eût bloqué la banque, et des sapeurs qui en eussent enfoncé les
portes.
Mais on n’a rien fait.
Maintenant elle a l’air de chercher à nous
amadouer. Le ministre des finances en qui j’ai confiance, nous a parlé d’une
convention qui se trouve sur le tapas et qu’il doit vous communiquer. Je pense
qu’il est indispensable que la banque en finisse, et je suis persuadé qu’elle
sentira elle-même la nécessité d’en finir, et qu’elle s’exécutera.
L’opinion publique s’est tellement prononcée,
que si le corps législatif ne prend pas de mesure pour arriver à ce résultat,
elle sera accusée d’avoir reçu des actions dans les 28 mille mises en
circulation.
Je déclare maintenant, pour repousser tontes les accusations qui
pourraient tomber sur moi personnellement, que s’il n’y a pas de compte terminé
avec la banque avant la discussion des budgets des finances, de l’intérieur, de
la justice et des affaires étrangères, je voterai contre ces budgets.
J’excepte le budget des voies et moyens, parce qu’on ne peut pas
retarder la perception des impôts, et le budget de la guerre, parce que nous ne
pouvons pas laisser nos soldats sans pain.
Je demanderai acte de mes motifs et leur insertion au procès-verbal,
pour justifier ma conduite.
M. Pirmez. - Messieurs, l’an passé, j’ai
appelé l’attention du ministre de la justice sur les réformes qu’il importe
d’apporter dans la législation qui régit les hypothèques, dont la levée
rencontre des obstacles sans fin. M. le ministre m’a répondu alors qu’il avait
préparé un projet à cet effet ; mais jusqu’à présent nous n’en avons pas
entendu parler. Il serait urgent cependant qu’il le présentât.
M. le ministre de la justice (M. Ernst).
- Avant de présenter le projet dont vient de parler le préopinant, je devais me
mettre d’accord avec M. le ministre dés finances pour recueillir tous les
renseignements nécessaires sur cette grave matière. Ces renseignements ne sont
pas encore complets, et ce projet si important a besoin d’être mûri avant
d’être présenté aux chambres.
M. le président. - Personne ne demande
plus la parole dans la discussion générale, je vais en mettre la clôture aux
voix.
- La discussion générale est fermée et la discussion des articles est
renvoyée à demain.
La séance est levée à 4 heures.