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d’intention
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Chambre des représentants de Belgique
Séance
du lundi 15 février 1836
Sommaire
1) Pièces
adressées à la chambre, notamment pétition relative à la répression de la
fraude des céréales dans le Limbourg (de Renesse, Pollénus)
2) Projet
de loi relatif aux indemnités à accorder aux victimes de la révolution et de
l’invasion hollandaise
3)
Vérification des pouvoirs d’un membre de la chambre nouvellement élu (Dumortier)
4) Projet
de loi portant organisation des communes. Discussion des articles. Capacité
électorale : cens électoral (Dumortier),
condition de nationalité (naturalisation ordinaire) (Jullien,
Dumortier), cens électoral (Gendebien,
de Theux), condition de nationalité (Jullien,
de Muelenaere), cens électoral (Legrelle, Dubus,
de Theux, Dumortier, de Theux, Dumortier, Gendebien, Gendebien, Pirmez, d’Huart, Pirmez,
Legrelle, Smits),
conditions d’éligibilité (notamment de cens) (de Theux,
Dubus, d’Hoffschmidt, de Theux, de Jaegher, Legrelle, d’Hoffschmidt, Legrelle, Gendebien, Jadot, Dubus, d’Hoffschmidt,
de Theux, Gendebien)
(Moniteur
belge n°48, du 17 février 1836)
(Présidence de M. Raikem.)
M. Verdussen
fait l’appel nominal à une heure.
M. de Renesse
lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. Verdussen fait
connaître l’analyse des pétitions suivantes.
PIECES ADRESSEES A
« Le sieur Jean-Baptiste Quesnay, né français,
demeurant depuis 12 ans à Bacleer (district de
Turnhout), demande la naturalisation. »
_______________
« Un grand nombre d’habitants de Bruxelles,
habitant la partie de la ville contiguë à la porte de Hal, demandent la
démolition de cette porte. »
_______________
« Des
habitants des villes de Stavelot et Verviers et les notaires, avocats et avoués
de l’arrondissement de Verviers, demandent une disposition de loi qui autorise
le transfert au bureau des hypothèques de Verviers de toutes les inscriptions
non encore périmées ni radiées existant au bureau de Liége sur des immeubles
situés dans les cantons d’Aubel, Herve, Limbourg, Spa, Stavelot et
Verviers. »
_______________
« Le sieur Philippe Cuisinier, ancien
militaire, demande une pension. »
« Les
curés et desservants du district de Luxembourg, sollicitent l’exemption de la
contribution personnelle. »
_______________
- La pétition qui a pour objet la demande en
naturalisation est renvoyée à M. le ministre de la justice et les autres à la
commission des pétitions.
_______________
« Un
grand nombre des propriétaires et cultivateurs du district de Maestricht
demandent qu’il soit avisé immédiatement à la répression de la fraude des
céréales dans le rayon de Maestricht. »
M.
de Renesse. - Un grand nombre de propriétaires et cultivateurs du
district de Maestricht, se plaignent de la grande fraude des céréales venant de
Les pétitionnaires affirment, et ceci est notoire,
que des masses de grains viennent de
Il résulte de renseignements positifs que j’ai pris
moi-même, il a peu de jours, aux environs de Tongres, que les marchands de
grains actuellement leurs provisions des céréales dans le rayon stratégique, au
grand détriment des propriétaires et cultivateurs des provinces de Liége et de
Limbourg, qui ne peuvent plus vendre les produits de leurs terres qu’à vil
prix.
En appuyant de tous mes moyens les deux pétitions
des habitants du district de Maestricht, j’ai l’honneur de proposer à la
chambre, comme elles contiennent des vues utiles pour la répression de la
fraude, de vouloir ordonner leur renvoi à M. le ministre des finances et le
dépôt sur le bureau de la chambre pendant la discussion du projet de loi
présenté pour la répression de la fraude des céréales.
Je demanderai en outre que ce projet de loi soit
déclaré urgent, qu’il soit mis à l’ordre du jour entre le premier et le second
vote de la loi communale. Il me semble qu’il ne pourra guère donner lieu à de
longues discussions ; la chambre et le gouvernement étant convaincus de la
nécessité de mettre un terme à cette fraude scandaleuse dont plusieurs
honorables membres de cette assemblée n’ont cesse de demander avec instance la
répression.
M. Pollénus. -
J’appuie de tous mes moyens la proposition de l’honorable M. de Renesse. J’ajouterai à cette
demande celle que la chambre veuille ordonner l’impression de la pétition au Moniteur. En général les pétitions se bornent
à des demandes et signalent le mal sans en indiquer le remède. Le projet de loi
dont il s’agit et dont M. de Renesse demande la mise à l’ordre du jour, ainsi
que le rapport de la section centrale contiennent très peu d’indications, et il
ne pouvait pas en être autrement, c’est un motif de plus pour l’insertion au Moniteur de la pétition qui, comme je
l’ai dit, indique le remède à apporter au mal. Il est bien entendu que la
pétition sera insérée sans les noms des pétitionnaires.
- Les propositions de MM. de Renesse et Pollénus
relatives à la pétition de plusieurs propriétaires et cultivateurs du district
de Maestricht sont adoptées.
_______________
M. Verdussen.
Donne lecture de deux messages du sénat, annonçant l’adoption des budgets des
dotations et de la dette publique, et du projet de loi qui accorde des crédits
provisoires au département de l’intérieur.
- Pris pour notification.
PROJET DE LOI RELATIF AUX INDEMNITES A ACCORDER AUX VICTIMES DE
M. Quirini, au nom de la
commission chargée de l’examen du projet de loi relatif aux indemnités, dépose
le rapport sur ce projet de loi.
- La chambre
en ordonne l’impression et se réserve d’en fixer ultérieurement la discussion.
VERIFICATION DES POUVOIRS D’UN MEMBRE DE
M. Dumortier
(pour une motion d’ordre). - Je demanderai si les pièces relatives à l’élection
du district de Saint-Nicolas sont parvenues à la chambre.
M. le président. -
Si le bureau avait reçu ces pièces, j’en aurais informé la chambre et j’aurais
procédé au tirage au sort d’une commission de vérification de pouvoirs.
M. Dumortier. -
Je prierai alors M. le ministre de l’intérieur d’adresser ces pièces à la
chambre. Le district de Saint-Nicolas doit avoir un représentant dans une
discussion aussi importante que celle de la loi communale.
PROJET DE LOI PORTANT
ORGANISATION DES COMMUNES
Discussion des articles
Titre Ier. - Du corps
communal
Chapitre II. - Des
électeurs communaux et des listes électorales
Article
7
M. le président. - La
chambre a ajourné à cette séance l’article 7, ainsi conçu dans le projet du
gouvernement et dans celui de la section centrale :
« Art. 7. Pour être électeur, il faut :
« 1° Etre Belge par la naissance ou la
naturalisation, et être majeur aux termes du code civil ;
« 2° Avoir son domicile réel dans la commune,
au moins depuis le 1er janvier de l’année dans laquelle se fait l’élection ;
« 3° Verser au trésor de l’Etat en
contributions directes, patentes comprises, le cens électoral fixé d’après les
bases suivantes :
« Dans les communes au-dessous de :
« 2,000 habitants, 20 fr.
« 2,000 à 5,000, 30 fr.
« 5,000 à 10,000, 40 fr.
« 10,000 à 15,000, 50 fr.
« 15,000 à 20,000, 60 fr.
« 20,000 à 25,000, 70 fr.
« 25,000 à 30,000, 80 fr.
« 30,000 à 35,000, 90 fr.
« 35,000 à 40,000, 100 fr.
« 40,000 à 60,000, 110 fr.
« 60,000 et au-delà, 120 fr. »
Les amendements suivants sont proposés à cet
article :
Amendement de M.
Legrelle.
« J’ai l’honneur de proposer l’échelle de
proportion suivante pour le cens électoral :
« Au-dessous de 2,000 habitants, 20 fr.
« De 2,000 à 5,000, 30 fr.
« De 5,000 à 10,000, 40 fr.
« De 10,000 à 20,000, 50 fr.
« De 20,000 à 30,000, 60 fr.
« De 30,000 à 40,000, 70 fr.
« De 40,000 à 50,000, 80 fr.
« De 50,000 à 60,000, 90 fr.
« De 60,000 et au-delà,
100 fr. »
Amendement de M. Dumortier.
« Je propose le cens électoral suivant :
« Au-dessous de 2,000 habitants, 15 fr.
« De 2,000 à 5,000, 20 fr.
« De 5,000 à 10,000, 30 fr.
« De 10,000 à 15,000, 40 fr.
« De 15,000 à 20,000, 50 fr.
« De 20,000 à 30,000, 60 fr.
« De 30,000 à 40,000, 70 fr.
« De 40,000 à 50,000, 80 fr.
« De 50,000 à 60,000, 90 fr.
« De 60,000 et au-delà, 100 fr. »
Amendement de M. Jullien.
« J’ai l’honneur de proposer de rédiger ainsi
le paragraphe premier de l’article 7 :
« Art. 7. Pour être électeur, il faut :
« 1° Etre Belge par la naissance, par la
grande naturalisation ou par la naturalisation ordinaire, et être majeur aux
termes du code civil. »
La parole est à M. Dumortier pour développer son
amendement.
M. Dumortier. -
L’amendement que j’ai l’honneur de déposer à beaucoup d’analogue avec
l’amendement de M. Legrelle ; car les chiffres sont absolument les mêmes dans
toutes les communes de deux mille habitants et d’une population plus
considérable. Mais j’ai cru devoir modifier le chiffre en ce qui concerne les
communes d’une population inférieure. En effet, je propose de réduire à 15 fr.
le cens électoral pour ces communes.
Je dois d’abord déclarer que je donne mon
approbation à la proposition de M. Legrelle. Cette proposition était dans
l’origine celle du gouvernement et formait l’art. 25 du projet de loi primitif.
Remarquez que si vous n’adoptez pas cette proposition vous refusez le droit
électoral à la majorité des petits boutiquiers des villes, et en définitive
vous diminuerez le nombre des électeurs au lieu de l’augmenter. Ainsi je suis
convaincu que dans la ville que j’habite la proposition de la section centrale
diminuerait le nombre des électeurs existant aujourd’hui.
Vous avez supprimé le cens électoral aux
professions libérales ; il vous faut donc diminuer le cens électoral, afin
d’avoir une somme au moins égale d’électeur. Sans cela, je le répète, tous les
boutiquiers des villes sont écartés. En effet, vous savez que l’impôt foncier
ne compte au locataire que pour une faible partie ; elle compte pour la majeure
partie au propriétaire.
Il faudra donc que tous les
boutiquiers défalquent de l’impôt qu’ils paient l’impôt foncier qui compte au
propriétaire ; il ne reste donc pour former leur cens électoral que leur impôt
personnel et l’impôt des patentes ; or, vous savez que l’impôt des patentes est
très peu considérable ; il varie de 6 à 16 fr. ; de sorte que si vous n’élevez
pas le cens électoral, les industriels qui sont la partie la plus saine, et la
plus patriote de la population, seront privés du droit électoral.
Cet abaissement du cens électoral aura également
l’avantage de faire participer au droit électoral les fermiers, les
cultivateurs. Or, il est incontestable qu’il est de notre devoir d’appeler à
jouir de ce droit les populations les plus morales.
Je pense que dans certaines communes des Ardennes
et d’outre Meuse, il serait même nécessaire d’abaisser le cens électoral à 10
francs. J’appuierai volontiers un amendement dans ce sens ; mais je laisserai aux représentants de cette
partie du royaume le soin de le proposer.
La deuxième section à laquelle j’avais l’honneur
d’appartenir avait proposé de faire jouir du droit électoral tous ceux qui
paient l’impôt personnel. J’avoue que cette disposition est celle que
j’aimerais le mieux voir adopter. Si elle était reproduite, je déclare que j’y
donnerais mon assentiment.
M.
Jullien. - Le premier paragraphe de l’article 7 est conçu de manière à
faire naître des difficultés, s’il n’est pas expliqué dans le sens de
l’amendement que j’ai eu l’honneur de présenter. Il porte que, pour être
électeur, il faut être Belge par la naissance ou par la naturalisation, et être
électeur aux termes du code civil.
Je crois bien que l’intention du rédacteur de
l’article est que la naturalisation ordinaire confère le droit d’être électeur
pour les élections municipales. Si cependant il restait rédigé comme il l’est,
il pourrait y avoir du doute à cet égard.
Quand au recourt à l’article de la constitution, on
y trouve :
« La grande naturalisation assimile l’étranger
au Belge pour l’exercice des droits politiques. »
Or, voter dans les assemblées communales pour la
nomination des magistrats municipaux, c’est assurément exercer un droit
politique. Il s’en suivrait que celui qui n’aurait que la naturalisation
ordinaire ne pourrait exercer de droits politiques, ne pourrait concourir aux
élections communales. J’ai cru que la loi des naturalisations se serait
expliquée à cet égard. Mais j’y lis à l’article premier :
« La naturalisation ordinaire confère à
l’étranger tous les droits civils et politiques attachés à la qualité de Belge,
à l’exception des droits pour lesquels la constitution et les lois exigent la
grande naturalisation. »
L’intention des rédacteurs de la loi communale a
été que la naturalisation ordinaire conférât le droit de nommer au conseil
communal. Sans cela, la naturalisation ordinaire ne conférerait pas d’autres
droits que ceux que le Roi peut conférer par les dispositions de l’article 13
du code civil, en vertu desquelles il accorde à l’étranger la permission de
résider dans le royaume.
Cette permission, accordée à l’étranger, lui
confère la jouissance de tous les droits civils pendant qu’il réside dans le
pays. Si la naturalisation ordinaire se bornait à la jouissance des droits
civils, il suffirait à l’étranger de demander la permission de résider dans le
pays. Car cette permission lui accorderait les mêmes droits.
Comme je ne pense pas que l’intention de la chambre
soit de restreindre ainsi les droits de la naturalisation ordinaire, j’ai
présenté mon amendement afin qu’il n’y eût pas de doute sur les élections
auxquelles les individus ainsi naturalisés auraient concouru.
M. Dumortier, rapporteur.
- Je crois qu’il est inutile d’adopter l’amendement de l’honorable M. Jullien. Dans mon opinion il ne
peut y avoir aucun doute sur la nature de la naturalisation exigée par
l’article. Nous avons toujours pensé qu’il suffisait d’avoir la naturalisation
ordinaire pour être apte à concourir aux élections communales. Le premier
rapport de la section centrale en fait foi.
Remarquez que ces mots qui se trouvent dans les
premiers paragraphes : « Etre Belge de naissance ou avoir obtenu la
naturalisation, » ne signifient rien autre chose que la naturalisation pure et
simple. Toutes les fois que la loi exige la grande naturalisation, elle en fait
mention en termes exprès.
C’est dans ce sens que vous
avez fait la loi sur les naturalisations ; vous avez déclaré que la
naturalisation ordinaire assimilait l’étranger au Belge pour l’exercice des
droits civils et politiques autres que ceux qui exigent la grande
naturalisation.
Dans quels cas la grande naturalisation est-elle
exigée ? Presque tous ces cas sont prévus par la constitution. L’article 50 dit
que pour être éligible à la chambre des représentants, il faut être né Belge ou
avoir reçu la grande naturalisation. L’article 56 exige les mêmes conditions
dans les mêmes termes pour être sénateur. L’article 86 dit encore que nul ne
peut être ministre s’il n’est Belge ou s’il n’a reçu la grande naturalisation.
Dans la loi électorale, il est stipulé que la qualité de Belge, ou la grande
naturalisation, est nécessaire pour être électeur pour les chambres. Voilà
quatre cas où la grande naturalisation est de toute nécessité et où elle est
citée en toutes lettres.
Mais dans la loi actuelle je ne pense pas qu’il
faille désigner quelle naturalisation on entend, attendu que dans la loi
provinciale vous vous êtes bornés à dire que pour faire partie du conseil
provincial, il fallait être né Belge ou avoir reçu la naturalisation. Il serait
dangereux de spécifier le genre de naturalisation dans la loi communale,
attendu que l’absence de la même désignation dans la loi provinciale pourrait
faire naître des doutes. Comme ce sont les conseils provinciaux qui jugent de
la validité des élections, les uns exigeront la grande naturalisation, les
autres seulement la naturalisation ordinaire,
Je crois donc l’amendement de l’honorable M.
Jullien inutile, et je pense que l’explication que j’ai donnée suffira pour
ôter tout doute dans l’interprétation de la loi s’il pouvait y en avoir,
M.
le président. - M. Gendebien, dans un amendement qu’il a déposé sur le
bureau, déclare reprendre la proposition de la seconde section.
M. Gendebien. -
Messieurs, il me semble que dans le régime représentatif il faut appeler aux
fonctions politiques le plus grand nombre de citoyens. C’est le moyen de
l’attacher aux institutions. Il y a des citoyens qui attachent beaucoup plus
d’importance à participer à une élection qu’à faire partie d’un corps plus
élevé. Jusqu’à présent, ce que l’on a donné d’une main au peuple, on le lui a
retiré de l’autre ; c’est ce que nous faisons en élevant outre mesure le cens
électoral dans les communes.
Dans la section dont je faisais partie, l’on avait
proposé un tarif plus libéral pour donner le droit d’élire. On portait à 15 fr.
le cens électoral dans les communes de moins de 1,000 habitants, à 20 fr, dans
celles de moins de 2,000, et ainsi de suite. Le maximum était de 70 fr. pour
les communes de 100,000 habitants et au-delà.
Messieurs, s’il est vrai que la fortune puisse être
regardée comme une présomption légale de capacité politique (c’est le système
que l’on a adopté en matière d’élections), je ne comprends pas comment un cens
de 20 fr., réputé suffisant pour représenter la capacité politique dans une
commune de 1,000 habitants, deviendrait insuffisant dans une grande ville. Je
ne comprends pas que la présomption de capacité ne soit plus la même.
Cependant, il y a plus de chances d’instruction dans les communes agglomérées
que dans celles qui ne le sont pas. Il y a telle commune de 7 à 8,000 habitants
dans les Flandres où il y a plus de moyens d’instruction que dans telle commune
de 1,000 à 1,200 habitants.
Si la fortune est une présomption de capacité pour
les individus, pourquoi ne serait-elle pas une présomption de capacité pour les
communes composées de ces individus ? Si un cens de 20 francs est suffisant
dans une petite commune, pourquoi ne suffirait-il pas dans une commune de 25 ou
de 100,000 habitants ? Dès que vous admettez pour base la fortune comme
présomption légale de la capacité, il me semble que vous devez admettre les
conséquences de ce principe. Il est possible que je me trompe. Mais je prie que
l’on veuille me le démontrer.
C’est parce que je professe ce principe que j’avais
présenté à la deuxième section une proposition tendante à établir un cens uniforme
pour tout le monde. Mais l’on a jugé que le moment n’était pas venu d’adopter
une pareille proposition. Je l’ai donc modifiée, et j’ai tâché d’en conserver
autant que possible le principe.
C’est le système présenté à la section centrale que
je viens proposer ici sous forme d’amendement. Je crois qu’il faut l’adopter,
si l’on ne veut pas reprendre au peuple d’une main ce qu’on lui donne de
l’autre.
M. le ministre
de l'intérieur (M. de Theux). - Je crois que l’on a suffisamment prouvé
que l’amendement de l’honorable M. Jullien est tout à fait inutile. L’article
premier de la loi sur les naturalisations ne peut laisser aucune doute à cet
égard. Comme il n’est pas question dans l’article 7 de la grande
naturalisation, il est clair que c’est la naturalisation ordinaire que l’on
entend.
Maintenant, passant à la partie de l’article
relative au cens électoral, je ferai remarquer qu’il faut bien distinguer ce
qui concerne les campagnes et ce qui concerne les villes : jusqu’à présent tout
le monde a pensé que le cens de 20 francs n’était pas trop élevé dans les
campagnes. Il ne faut pas perdre de vue que par un article que vous avez voté
dans une séance précédente, vous avez admis que la contribution foncière
comptera pour un tiers au locataire. De cette manière vous avez agrandi
considérablement le cercle des électeurs.
Une autre considération à examiner, c’est que, dans
les communes de moins de 2,000 habitants, il n’y a que 7 à 9 conseillers. Si le
cens était trop faible, il pourrait arriver que les électeurs les moins aisés
de la commune fissent une coalition pour exclure les fortunes. Le conseil
serait privé ainsi des lumières nécessaires pour la bonne administration de la
commune. Comment trouverait-on alors dans le conseil le bourgmestre et les
échevins que le Roi doit y choisir ? Vous mettriez ainsi la commune dans
l’impossibilité d’être bien administrée.
L’on sait que les conseils sont appelés à voter les
taxe municipales. Il faut qu’elles soient bien adoptées de manière à ménager
les différents intérêts dans la commune. Vous n’obtiendrez pas cette garantie
d’électeurs qui ne paieront que 15 fr. d’imposition.
Adopter l’amendement de l’honorable M. Gendebien,
ce serait faire crouler par sa base la loi communale.
En ce qui concerne les villes, je ferai remarquer
que la proposition de l’honorable M. Legrelle est la même que celle du
gouvernement en 1834. C’est celle que la commission nommée par le Roi avait
également adoptée.
C’est la section centrale qui
en
Le motif qu’elle donnait c’est que dans les villes
de plus de 10 mille habitants le cens électoral se trouvait encore abaissé de
moitié. L’on a trouvé que cette diminution était déjà assez considérable. Du
reste, il me serait difficile de dire si le système de l’article 7 est
préférable à celui de l’amendement de M. Legrelle. Il y a des deux côtés des
motifs qui semblent présenter des avantages. Ainsi je ne m’opposerai pas à l’adoption
de l’amendement de l’honorable M. Legrelle. Mais je ne pense pas qu’il y aurait
grand mal à adopter le chiffre de 120 fr. pour les grandes villes. Mais sous
aucun rapport je ne pourrai adopter l’amendement de l’honorable M. Gendebien.
Vous remarquerez, messieurs, que d’après cet
amendement le cens électoral le plus élevé serait de 70 francs. Or, je demande
si dans une grande ville comme Bruxelles, les habitants trouveraient une
garantie suffisante pour la gestion de leurs intérêts communaux dans un conseil
formé par les électeurs payant un cens aussi faible.
L’honorable orateur a dit qu’il ne comprenait pas
que le cens représentant la capacité électorale dans les campagnes ne la
représentât pas également dans les villes ; c’est qu’il y a dans les conseils
communaux des villes des affaires bien plus importantes à régler que dans les
conseils communaux des campagnes. Ces affaires augmentent en nombre et en
importance à raison de la population des villes. Il est donc nécessaire que le
cens électoral, pour les élections communales, soit au moins de 100 francs.
Si vous adoptiez l’amendement de l’honorable M.
Gendebien, vous mettriez parfois le gouvernement dans l’impossibilité de
trouver des hommes capables d’administrer la commune avec un cens aussi peu élevé
que celui de 15 francs. Il pourrait arriver que les conseils de certaines
communes rurales ne fussent composés que d’hommes exerçant des professions
manuelles et incapables de se livrer aux travaux de l’administration. Je crois
donc que l’amendement de M. Gendebien, ainsi que celui de M. Dumortier, doivent
être rejetés, et que tout au plus on peut adopter l’amendement de M. Legrelle.
(Erratum inséré au Moniteur belge n°49, du 18 février 1836 :) M. Jullien. - Ce n’est pas sans avoir combiné les
divers articles des lois que l’on a citées, que j’ai rédigé mon amendement. Je
me suis aperçu des difficultés auxquelles l’interprétation de l’article 7
pourrait donner lieu. En effet, supposez qu’une élection communale soit
attaquée parce qu’un individu n’ayant que la naturalisation ordinaire y aura
pris part. Mettez le juge en présence de l’article 7 du projet en discussion et
de l’article 50 de la constitution. Il dira d’un côté que, pour être électeur,
il faut être Belge par la naissance ou par la naturalisation, et d’un autre que
la grande naturalisation seule confère à l’étranger les droits politiques dont
jouit le Belge. Le juge devra nécessairement regarder la part prise par
l’individu naturalisé comme l’exercice d’un droit politique, et il cassera
l’élection. Telle est la conséquence rigoureuse qui résulte de la combinaison
des deux articles que je viens de citer. L’on oppose l’article premier de la
loi sur la naturalisation, Mais cet article ne détruit pas le doute, car il
s’en réfère à l’article 50 de la constitution.
Du reste, ce n’est qu’à cause de la gravité de la
question que j’ai voulu la soumettre à la chambre. Puisque M. le ministre de
l’intérieur déclare que la chambre entend bien qu’il s’agit de la
naturalisation ordinaire, je retire mon amendement en demandant qu’il soit fait
mention au procès-verbal de la déclaration de M. le ministre de l’intérieur non
contredite par la chambre.
M. le ministre des
affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Puisque M. Jullien déclare
retirer son amendement, il me reste peu d’observations à présenter. Je lui
ferai seulement remarquer que s’il est dit dans l’article 5 de la constitution
que la grande naturalisation assimile l’étranger au Belge par l’exercice des
droits politiques, cela signifie que par la grande naturalisation seule,
l’étranger est assimilé au Belge pour l’exercice de tous les droits politiques.
C’est en combinant l’article 50 avec les autres articles de la constitution que
l’on demeure convaincu que telle a été l’intention du législateur. En effet,
par l’article 50 il est stipulé que l’on n’est éligible à la chambre des
représentants, et par l’article 56 au sénat, si l’on n’est Belge de naissance
ou si l’on n’a reçu la grande naturalisation.
Il serait d’autant plus inutile d’adopter
l’amendement de l’honorable M. Jullien que cette adoption pourrait jeter du
doute sur l’interprétation de l’article semblable qui se trouve dans la loi
provinciale. Il pourrait résulter des inconvénients de la différence de
rédaction des deux lois.
Je ne crois pas que personne s’oppose à la mention
au procès-verbal qu’a demandée l’honorable M. Jullien.
M.
le président. - Il sera dit au procès-verbal que la chambre entend bien
qu’il n’est question que de la naturalisation ordinaire dans l’article 7.
M. Legrelle. - Puisque M. le ministre
de l’intérieur ne s’oppose pas à l’adoption de ma proposition, je la
développerai en peu de mots.
Nous devons, messieurs, étendre d’autant plus le
cercle des électeurs dans les grandes villes par l’abaissement du cens que par
la loi actuelle les professions libérales ne donneront plus la capacité
électorale, et que dans les campagnes le nombre des électeurs se trouvera
augmenté par la disposition qui compte en faveur du locataire un tiers de la
contribution foncière. Il y a un équilibre à rétablir entre les communes
rurales et les villes. Tel est l’objet de mon amendement.
L’expérience que j’ai à même d’acquérir m’a
convaincu que si vous adoptez pour les grandes villes le cens électoral proposé
par la section centrale, vous écarterez des opérations électorales un grand
nombre d’habitants. Comme le cens d’éligibilité est le même que le cens
électoral, il s’en suivrait que celui qui ne paierait que 100 francs de
contribution ne pourrait devenir conseiller de régence.
Je sais bien que l’honorable M d’Hoffschmidt a
présenté un amendement par lequel il supprime tout cens d’éligibilité. Mais cet
amendement a, selon moi, peu de chances de succès dans cette chambre.
L’assemblée pensera, comme lors du premier vote, que l’homme élu doit être
attaché au sol, et qu’il ne suffit pas que l’on ait de la capacité et du talent
pour être appelé à faire partie d’un conseil de régence.
Rien n’est plus agréable aux magistrats d’une ville
que de voir un grand nombre de citoyens concourir à leur nomination. C’est une
ambition bien honorable qui ne sera désapprouvée par personne.
M.
Dubus. - L’amendement proposé par l’honorable M. Legrelle change la
proportion établie dans le projet. Il réduit le cens électoral pour les grandes
villes et ne diminue pas dans la même proportion le cens électoral pour les
communes rurales. M. le ministre de l’intérieur croit que le chiffre de 20 fr.
est le minimum de ce que l’on peut admettre pour le cens électoral. Cependant
je remarque qu’ailleurs, notamment en France, l’on a établi le droit électoral
sur des bases beaucoup plus larges et plus libérales. L’on admet d’abord comme
électeurs ceux qui paient le cens le plus élevé jusqu’à concurrence du dixième
de la population, ce qui fait 100 électeurs pour une commune de 1,000
habitants.
Il a peu de communes de cette population en
Belgique qui puissent présenter 100 électeurs payant, je ne dis pas 20 fr.,
mais 15 fr. de contributions. Comme en France les professions libérales donnent
droit à être électeurs, il se trouve que ce nombre de 100 électeurs par 1,000
habitants est réellement le minimum. Je ne demande pas que l’on abaisse le cens
de manière à arriver à ce résultat. Mais puisque l’on reconnaît la nécessite
d’abaisser le cens pour les grandes villes, je crois qu’il faut l’abaisser dans
la même proportion pour les campagnes.
Car on ne peut supposer que l’électeur payant
Tout ce que nous devons considérer, c’est de savoir
si au moyen du cens que nous fixerons, l’électeur sera intéressé à avoir une
bonne administration dans la commune.
Or, il me semble que dans notre pays, où les
contributions sont peu élevées, un cens de 15 francs pour les petites communes
n’est pas trop bas.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux).
- L’honorable préopinant dit qu’en France l’on admet un nombre de 100 électeurs
par 1,000 habitants. Je crois qu’au moyen de l’amendement proposé par la
section centrale et adopté par le gouvernement, qui compte en faveur du
locataire le tiers de la contribution foncière, le nombre des électeurs sera
beaucoup plus grand chez nous qu’en France.
L’exempte cité de
En France aussi l’on admet la dissolution des
conseils municipaux. Si le gouvernement ne trouve pas dans un conseil municipal
des hommes capables d’administrer la commune, il peut en prononcer la
dissolution et en faire former un autre. Chez nous, le système est différent,
le principe de la dissolution n’est pas admis et nous exigeons un cens
électoral pour être électeur. Si vous abaissez trop le cens électoral, vous
courez grand risque d’avoir des conseils municipaux composés de manière à ce
qu’il soit impossible d’y choisir l’administration de la commune, et le
gouvernement serait obligé de faire administrer la commune par des hommes qui
auraient le moins d’intérêt à en bien gérer les affaires.
Je dois donc m’opposer à la proposition de
l’honorable M. Dubus.
M. Dumortier, rapporteur.
- On ne peut appeler trop de personnes à prendre part aux élections. Plus les
électeurs sont nombreux, mieux le vœu de la majorité sera représenté. Je
voudrais qu’on fît ici ce qui en Angleterre a été adopté par le parlement sur
la proposition de lord John Russel. Je voudrais qu’on admît comme électeur
quiconque paie un impôt quelconque et n’est pas aidé par un bureau de
bienfaisance. Alors nous aurions de bonnes élections, des élections qui
représenteraient le vœu du pays. Qui a intérêt à être bien administré ? Ce sont
sans contredit les habitants de la localité. Ce ne sont pas toujours les
riches, les puissants de la commune, les tenant-châteaux qui ont le plus
d’intérêt à ce que la commune soit bien administrée ; ils tâcheront de la faire
administrer dans l’intérêt de leurs fermiers. On sait que dans les communes les
intérêts des petits particuliers sont souvent opposés à ceux des
tenant-châteaux.
Je demanderai si c’est bien sérieusement que le
ministre de l’intérieur dit qu’avec la proposition que je fais on s’exposerait
à voir régler les intérêts de la commune par ceux qui n’ont aucun intérêt à
cette gestion. Mais, messieurs, personne n’a plus d’intérêt à la gestion des
affaires de la commune que les habitants de cette commune.
M. le ministre de l’intérieur croit trouver dans la
disposition de la loi française qui accorde aux capacités le droit électoral un
motif pour élever le cens en Belgique. Mais M. le ministre a commis une erreur
; il pense que dans le nombre des électeurs fixé au dixième de la population
pour les villes de mille habitants et au-dessous, on comprend les électeurs de
capacité. Il n’en est pas ainsi. En France, les électeurs de capacité sont
appelés à l’exercice du droit électoral, indépendamment du dixième des
habitants. Voici cette disposition de la loi française :
« Pour les commuées de mille âmes et
au-dessous un nombre égal au dixième de la population de la commune.
« Ce nombre s’accroîtra de cinq par cent
habitants en sus de mille jusqu’à cinq mille.
« De quatre par cent habitants en sus de cinq
mille jusqu’à quinze mille. »
« De trois par cent habitants au-dessus de
quinze mille.
« 2° Les membres des cours et tribunaux, les
juges de paix et leur suppléants ;
« Les membres des chambres de commerce, des
conseils de manufactures, des conseils de prud’hommes ;
« Les membres des commissions administratives,
des collèges, des hospices et des bureaux de bienfaisance ;
« Les officiers de la garde nationale ;
« Les membres et correspondant de l’Institut,
les membres des sociétés savantes instituées ou autorisées par une loi ;
« Les docteurs de l’une ou de plusieurs
facultés de droit, de médecine, des sciences, des lettres, après trois ans de
domicile réel dans la commune ;
« Les avocats inscrits au tableau, les avoués
près les cours et tribunaux, les notaires, les licencies de l’une des facultés
de droit, des sciences, des lettres, chargés de l’enseignement de quelqu’une
des matières appartenant à la faculté où ils auront pris leur licence, les uns
et les autres après cinq ans d’exercice et de domicile réel dans la commune ;
« Les anciens fonctionnaires de l’ordre
administratif et judiciaire jouissant d’une pension de retraite ;
« Les employés des administrations civiles et
militaires jouissant d’une pension de retraite de 600 fr. et au-dessus ;
« Des élèves de l’école polytechnique qui ont
été, à leur sortie, déclarés admis ou admissibles dans les services publics,
après deux ans de domicile réel dans la commune ;
« Toutefois, les
officiers appelés à jouir du droit électoral en qualité d’anciens élèves de
l’école polytechnique ne pourront l’exercer dans les communes où ils se
trouveront en garnison qu’autant qu’ils y auraient acquis leur domicile civil
ou politique avant de faire partie de la garnison ;
« Les officiers de terre et de mer jouissant
d’une pension de retraite ;
« Les citoyens appelés à voter aux élections
des membres de la chambre des députés ou des conseils généraux des
départements, quel que soit le taux de leurs contributions dans la
commune. »
Ainsi, les professions libérales, en France,
n’arrivent pas en déduction aux censitaires, mais en augmentation, de manière
que dans une commune de mille habitants, quand ce sont des chefs-lieux de
canton, il faut ajouter les membres des bureaux de bienfaisance, le juge de
paix et ses suppléants.
Il y a une autre
disposition qui a une corrélation avec l’article 10 de la section centrale.
Elle porte que le nombre des électeurs domiciliés dans la commune ne pourra pas
être moindre de 30, sauf le cas où il ne se trouverait pas un nombre suffisant
de citoyens payant une contribution personnelle. Nous avons réduit ce chiffre à
25. Notre loi est donc moins libérale que la loi française. Je l’ai déjà dit,
c’est parmi les petits boutiquiers, parmi les petits cultivateurs qu’on trouve
les patriotes les plus dévoués, les appuis les plus sûrs de la révolution. Nous
ne pouvons donc trop abaisser le cens électoral.
J’insiste sur la proposition que j’ai l’honneur de
faire à la chambre, et j’espère qu’elle voudra bien y donner son assentiment.
(Moniteur belge
n°49, du 18 février 1836) M. le
ministre de l'intérieur (M. de Theux). - L’honorable préopinant m’a mal
compris s’il pense que j’ai avancé que les électeurs de capacité étaient
compris dans le nombre fixé en raison de la population. Je n’ai pas dit cela,
mais j’ai dit que l’admission des électeurs de capacité tendait à corriger les
inconvénients que je signalais. J’ai dit que du moment qu’on excluait les
capacités, il fallait chercher plus de garanties dans le cens. Je dirai encore
que si vous abaissez le cens à 15 fr., vous ouvrez la porte aux intrigues. Un
propriétaire qui aura des propriétés considérables, les répartira de manière à
donner un bonnier à l’un, un demi-bonnier à l’autre,
afin de compléter le cens. Avec la faculté de compter au cultivateur la
contribution du bien exploité, vous donnez à chaque grand propriétaire le moyen
de créer autant d’électeurs qu’il juge à propos.
(Moniteur belge n°48, du 17 février 1836) M.
Dumortier, rapporteur. - M. le ministre de l'intérieur n’a pas saisi la
loi. Ignore-t-il que l’impôt foncier ne compte que pour un tiers au cultivateur
qui l’exploite ? Or, combien faut-il exploiter de terre dans les Ardennes, pour
être électeur en admettant mon amendement ?
M. Legrelle. -
M. Dumortier, rapporteur.
- Non, mais les Ardennes sont dans
Cependant, quand un cultivateur ne sera pas
propriétaire, il faudra qu’il paye 45 fr. d’impôt foncier pour avoir le cens de
15 fr., puisqu’on ne lui compte que le tiers de la contribution des propriétés
qu’il exploite. Je pose en fait que si vous n’adoptez pas mon amendement,
beaucoup de fermiers ne seront pas électeurs, car en fixant le minimum du cens
à 20 fr., un fermier devra payer 60 fr., et pour payer 60 fr ; dans les pays de
montagnes, il faut de vastes propriétés.
Je ne puis trop le répéter, plus nous abaisserons
le cens, plus nous appellerons de cultivateurs, de petits propriétaires et par
conséquent de patriotes à participer aux élections.
M. Gendebien. -
J’ai reproduit ma proposition, parce qu’elle avait été admise à l’unanimité
dans la deuxième section qui se trouvait très nombreuse, car elle comptait dix
ou douze membres. Mais puisque plusieurs personnes paraissent préférer
l’amendement de M. Dumortier, je n’insisterai pas afin d’économiser le temps.
On a tort de dire qu’en abaissant le cens à 70 fr. dans des villes comme Gand
et Bruxelles, où les affaires que les conseils ont à traiter sont plus
importantes, on ne trouverait pas de garanties suffisantes. Cet argument
détruit la présomption légale d’aptitude qu’on tire de la fortune, car si dans
les conseils de ces villes on traite des objets d’une plus grande importance,
dans ces villes aussi vous trouvez plus de capacités. Veuillez remarquer que,
dans la ville de Bruxelles, il y a des moyens d’instruction pour tout le monde.
Il est tels de nos ouvriers à Bruxelles qui ont plus d’instruction que les 99
centièmes de nos bourgmestres de communes ; ils savent lire, écrire, dessiner,
calculer, connaissent la géométrie, et pénètrent fort avant dans les
mathématiques. Cependant, ces ouvriers, parmi lesquels il en est qui seraient
très dignes et très capables de siéger au conseil et même parmi nous, vous les
excluez tous.
Je n’insisterai pas sur ma proposition, mais quand
nous en serons à l’article 8, je demanderai qu’on compte aux locataires des
villes le tiers de la contribution foncière de la propriété qu’ils occupent,
comme on l’a fait pour les campagnes. En comptant au cultivateur le tiers de la
propriété qu’il exploite, vous avez établi un privilège en faveur des
propriétés rurales. Alors qu’on abaisse le cens des communes rurales à 15 ou 20
francs, vous comptez aux locataires le tiers de leur contribution, et dans les
villes où vous portez le cens à 100 francs, vous n’accordez rien aux localités.
Cela est injuste et contraire à l’esprit de la constitution.
Je n’insiste pas sur l’amendement que j’avais
proposé, mais je me crois autorisé à revenir sur l’article suivant ; et quand
nous aurons voté sur l’amendement de M. Dumortier ou celui de M. Legrelle, je
proposera à cet article un changement dans le sens que je viens d’indiquer.
M. le président. -
M. Gendebien ayant retiré son amendement, je vais mettre aux voix celui de M.
Dumortier qui s’éloigne le plus du projet du gouvernement.
- L’amendement de M.
Dumortier est adopté ainsi que l’ensemble de l’article 7.
Article
8
M. Gendebien. -
Il me semble juste et conforme à l’esprit de notre constitution que les habitants
des villes aient la même faveur que les habitants des campagnes. Je proposera
en conséquence de modifier de la manière suivante le dernier paragraphe de
l’article 8 :
« Le tiers de la contribution foncière compte
au fermier et au locataire, sans diminution des droits du propriétaire. »
M. Verdussen. -
L’article
M. Gendebien. -
j’avais fait mes réserves en retirant ma proposition, pour le cas où l’article
eût été adopté sans amendement ; celui de M. Dumortier ayant été admis, je puis
amender l’art. 8 et je consens à ne présenter mon amendement sur l’article 8
qu’au second vote.
M. Pirmez. - Je
pense qu’il y a une lacune dans le chapitre que nous venons de voter. Il
faudrait savoir s’il s’agit bien pour le cens de la contribution qu’on veut
payer et qu’on paie, ou s’il faut posséder la base de la contribution. Ainsi la
contribution personnelle, on la porte sur une déclaration. Eh bien, je fais
cette déclaration, plus élevée que je ne devrais la faire, afin de figurer au
rôle pour une somme suffisante pour être électeur. Il s’agit de savoir si le
conseil communal, le conseil provincial et la cour de cassation pourront faire
rayer l’électeur qui aura enflé sa déclaration pour payer une contribution
assez forte pour être électeur.
Je soumets cette question à la chambre parce
qu’elle a donné lieu à des contestations. Et il m’est parvenu des observations
sur ce point. Si on veut éviter de nouvelles contestations, il faut trancher la
question dans la loi. Car il y a beaucoup de citoyens qui, en enflant leur
déclaration, se sont fait porter au rôle des contributions pour une somme
suffisante pour être électeur. Il va en résulter des conflits entre les
conseils communaux, les conseils provinciaux et la cour de cassation. Il serait
plus court de décider dans la loi s’il suffit de payer réellement le cens, ou
s’il faut posséder les bases de la contribution.
M.
le ministre des finances (M. d'Huart). - L’article 7 de la loi a résolu
la question en disant qu’il faut verser au trésor de l’Etat, en contributions
directes, patentes comprises, le cens électoral fixé d’après les bases
suivantes, etc.
L’article 10 dit ensuite
que les contributions ne sont comptées à l’électeur qu’autant qu’il ait payé le
cens électoral pour l’année antérieure à celle où l’élection a lieu.
De telle sorte qu’il faut avoir payé réellement le
cens pendant un an au moins, pour être électeur et éligible. Mais là n’est pas
toute la question soulevée par l’honorable préopinant. Il dit que quelqu’un,
pour payer un cens suffisant afin d’être électeur déclarera, par exemple, qu’il
a deux chevaux de luxe, alors qu’il n’en possède réellement aucun, et au moyen
de l’augmentation de contribution qui résultera de cette déclaration, fausse
quant à la base existant en réalité, il sera porté sur la liste des éligibles.
Quant à moi, je ne vois pas à cela de grands
inconvénients. Je ne crains pas d’ailleurs que beaucoup de personnes fassent
augmenter cette contribution pour être portées sur la liste des électeurs et
des éligibles.
Quoi qu’il en soit, je crois que si quelqu’un
voulait se faire imposer plus qu’il ne doit l’être, aucune juridiction ne
pourrait lui imputer à crime une volonté si favorable au trésor et n’aurait le
droit de repousser sa déclaration comme étant trop élevée ; les lois d’impôt
n’ont pas prévu de semblables éventualités, et il suffira, d’après le texte
même de la loi communale, de constater que l’on a versé au trésor, pendant
l’année antérieure à celle où l’élection a lieu, la somme nécessaire pour être
inscrit sur la liste des électeurs.
M. Pirmez. - Sans
doute, jamais un receveur ne trouvera une déclaration trop forte ; mais il
s’agit de savoir si le conseil communal, le conseil provincial ou la cour de
cassation, pourrait rayer un électeur pour avoir enflé sa déclaration.
Il y a eu une enquête administrative sur la
conduite d’un receveur qu’il avait admis de pareilles déclarations.
M. Legrelle. - Je crois qu’il ne se
trouvera pas beaucoup de personnes qui, pour être électeurs, voudront payer des
contributions plus fortes qu’elles ne doivent. Mais la question soulevée par M.
Pirmez ne peut donner lieu à aucune difficulté en présence du texte de l’art.
5, qui dit qu’il faut verser au trésor de l’Etat, en contributions directes,
patentes comprises, la somme de… Ainsi, dès qu’on verse cette somme, qu’on y
soit tenu ou non, cela suffit.
D’ailleurs l’art. 10 doit donner cet apaisement à
l’honorable membre ; car d’après cet article, pour être électeur, il faut avoir
payé le cens pendant l’année antérieure à celle où l’élection a lieu.
M.
Smits. - Il est impossible à une autorité quelconque de
décider si la maison que j’habite est d’un loyer de 1,000 fr., quand j’ai
déclaré deux mille. Il en est de même pour les patentes. Je veux porter dans ma
déclaration l’importance de mes affaires à 50,000 fr. au lieu de 25,000.
Personne ne pourra infirmer ma déclaration.
M. Pirmez. - Il
suffit donc de payer le cens. Il n’est pas nécessaire de justifier de la base.
M. le président. -
La chambre, dans sa dernière séance, a adopté les autres articles des chapitres
1, 2 et 3. Nous passons au chapitre suivant.
Chapitre IV. - Des
éligibles
Article
47
« Art. 47. Nul n’est éligible s’il n’est âgé de 25 ans accomplis, et s’il ne
réunit, en outre, les qualités requises pour être électeur dans la commune.
« Les fils et gendres
d’électeurs ou de veuves sont éligibles, en justifiant que leur père, mère,
leur beau-père ou belle-mère, paie le cens électoral exigé pour la commune où
se fait l’élection, pourvu qu’ils remplissent les autres conditions
d’éligibilité.
« Dans les communes ayant
moins de 3,000 habitants, un tiers au plus des membres du conseil peut être
pris parmi les citoyens domiciliés dans une autre commune, pourvu qu’ils paient
le cens électoral dans celle où ils sont élus et qu’ils satisfassent aux autres
conditions d’éligibilité.
« Nul ne peut être membre
de plus de deux conseils communaux.
« Nul ne peut être nommé
bourgmestre de plus d’une commune, si ce n’est sur avis conforme de la
députation provinciale. »
La section centrale propose l’amendement suivant :
« Art. 47. Nul n’est éligible s’il n’est âgé de 25 ans accomplis, et s’il ne
réunit en outre les qualités requises pour être électeur dans la commune.
« Les fils et gendres
d’électeurs ou de veuves sont éligibles, en justifiant que leur père, mère,
leur beau-père ou belle-mère, paie le cens électoral exigé pour la commune où
se fait l’élection, pourvu qu’ils remplissent les autres conditions
d’éligibilité.
« Dans les communes ayant
moins de mille habitants, un tiers au plus des membres du conseil peut être
pris parmi les citoyens domiciliés dans une autre commune, pourvu qu’ils
paient, dans celle où ils sont élus, le cens électoral qui y est exigé, et
qu’ils satisfassent aux autres conditions d’éligibilité.
« Nul ne peut être membre
de plus de deux conseils communaux.
« Nul ne peut être nommé
bourgmestre de plus d’une commune, si ce n’est sur avis conforme de la
députation provinciale. »
M. le président.
- M. le ministre se rallie-t-il à l’amendement de la section centrale ?
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux).
- Je me rallie aux changements de rédaction, mais non à la substitution du
chiffre 1,000 à celui de 3,000.
M. le
président. - Dans l’un des paragraphes de l’article, la section
centrale pose le chiffre : « mille habitants ; » le gouvernement
propose le chiffre de trois mille habitants.
M. Dubus. - Je ferai remarquer qu’il n’y a pas
harmonie entre les deux derniers paragraphes de l’article :
« Nul ne peut être membre
de deux conseils communaux.
« Nul ne peut être nommé
bourgmestre de plus d’une commune. »
La dernière disposition vient
à tomber puisque le bourgmestre doit être pris dans la commune.
M. le
président. - M. d’Hoffschmidt propose l’amendement suivant à l’article
47 :
« Pour être éligible, il
faut :
« 1° Etre Belge par la
naissance ou par la naturalisation ;
« 2° Jouir des droits
civils et politiques ;
« 3° Etre âgé de 25 ans
accomplis. »
La parole est à M.
d’Hoffschmidt pour développer son amendement.
M.
d'Hoffschmidt. - Comme l’honorable M. Legrelle l’a fait remarquer,
c’est la troisième fois que je présente cet amendement à la chambre ; mais
l’honorable membre aurait dû ajouter qu’en mai dernier il n’a été rejeté qu’à
une majorité de deux voix.
L’honorable M. Legrelle espère
que la chambre, conséquents avec ses antécédents, rejettera encore ma
proposition. Ici je ferai observer que mon amendement est modifié et que la
chambre ne serait pas en opposition avec ses antécédents en adoptant la
proposition que je lui soumets.
Plusieurs de nos honorables
collègues n’étant pas encore membres de cette chambre lorsque l’on a discuté
précédemment la loi communale, je ne craindrai pas de reproduire des arguments
déjà énoncés.
Messieurs, je ne me suis
jamais bien rendu compte des motifs d’après lesquels on voudrait priver des
Belges d’un de leurs plus beaux droits politiques, de celui de pouvoir
administrer les intérêts de leurs communes par suite de la confiance de leurs
concitoyens et je viens combattre de nouveau les dispositions du projet qui
tendent à ne rendre éligibles que les électeurs.
Ces dispositions détruisent
évidemment l’harmonie qui doit exister dans toutes les parties de notre système
électoral, et les anomalies qui en résulteraient seraient d’autant plus
choquantes que vous avez décidé que, pour faire partie des conseils
provinciaux, on pouvait y appeler tout Belge méritant les suffrages et la
confiance de ses concitoyens, qu’il payent ou non un cens quelconque. Il y a
plus, c’est que, pour être élu représentant, on n’exige aucun cens, et qu’il
suffit d’être Belge par la naissance ou par la grande naturalisation.
Vous vous rappelez que notre
honorable collègue M. Dubois avait fait une proposition tendant à établir que
l’on ne serait pas apte à faire partie des conseils provinciaux si on ne payait
un certain cens dont il avait fixé la quotité ; et vous savez que cette
proposition n’a eu d’autre suffrage que celui de son auteur.
Pourquoi, lorsqu’il s’agit
d’intérêts communaux, n’admettrions-nous pas des principes que nous avons
consacrés lorsqu’il s’agissait d’intérêts d’un ordre plus élevé, d’intérêts
provinciaux, et que le pacte social avait consacrés auparavant pour la
représentation nationale ?
Veut-on circonscrire
l’éligibilité dans un petit nombre de familles ; car tel serait l’effet du cens
d’éligibilité ? Il y aura un grand nombre de communes où l’on ne pourra compter
que 25 électeurs ; trois ou quatre familles les fourniront ; et alors ce sera
dans ces familles que les administrateurs municipaux seront choisis
exclusivement. C’est le contraire que nous devons établir dans l’intérêt des
communes comme dans celui du gouvernement. Car s’il doit choisir le bourgmestre
et les échevins dans le conseil, il faut élargir le cercle des éligibles autant
que possible.
Depuis quand la fortune
est-elle dotée de l’apanage exclusif de l’intelligence, de l’instruction, de la
moralité ? Depuis quand est-il impossible de faire de bons choix autre part que
parmi les gens fortunés ? Ce n’est sans doute pas dans cette enceinte que l’on
voudrait préconiser de semblables doctrines !
Cependant, si vous adoptiez
l’art. 47, ce serait déclarer que la capacité, le savoir, la probité, l’honneur
ne peuvent équivaloir à la richesse.
Combien de personnes
honorables seraient exclues des conseils communaux d’après cet article ?
Je connais des hommes qui
préférant le mérite réel, le mérite personnel aux richesses, ont mieux aimé
sacrifier le peu de bien qu’ils avaient afin d’acquérir de solides
connaissances, et passer leurs plus belles années dans l’étude, que de les
employer à augmenter leur petit avoir ; et voilà cependant des hommes que vous
déclareriez incapables de faire partie du conseil de la commune et d’en bien
administrer les intérêts. Quoique réfugiés sous le chaume, ils n’en méritent
pas moins la confiance de leurs concitoyens ; pourquoi donc ne seraient-ils pas
éligibles ?
Des militaires ont combattu
honorablement pour la patrie ; ils reviennent dans leurs modestes foyers ; les
priverez-vous de la faculté de faire partie des conseils communaux ?
Un homme d’un mérite
incontestable ou d’une probité et d’une prudence reconnues est envoyé à
l’administration provinciale quoiqu’il ne paie pas le cens électoral ;
irez-vous dire que cet homme, en rentrant chez lui, ne peut faire partie de
l’administration communale ?
Payer des contributions n’est
pas une condition nécessaire pour être élu membre de cette chambre ; eh bien,
écrirez-vous dans votre loi que celui que la confiance de ses concitoyens a
appelé à discuter les plus hauts intérêts de la société ne sera pas capable de
discuter les intérêts d’une petite commune ?
Il est un de nos honorables
collègues qui ne paie pas le cens électoral ni par lui-même ni par ses parents,
et qui a siégé dans cette chambre depuis le congrès jusqu’aujourd’hui parce
qu’il a toujours obtenu les suffrages de ses concitoyens. Pouvez-vous décréter
que ce député est inhabile à gérer les intérêts d’une commune ?
Si, dans une pétition qui vous
serait adressée, on se plaignait que les ministres ne nomment aux emplois
d’administration publique que des hommes qui paient certain cens, et qu’ils
refusent de donner la moindre place à celui dont les contributions ne s’élèvent
pas à telle hauteur, que diriez-vous ?
Cette assemblée se récrierait
sans doute contre une telle manière d’agir, et tout le monde y dirait que les
emplois doivent être donnés aux plus capables, aux plus expérimentes, sans
s’occuper de savoir s’ils sont riches ou non.
Dira-t-on que de puissants motifs
exigent que l’administrateur communal ne soit pas totalement privé de fortune ?
Mass ces motifs qu’on nous a déjà allégués sont bien faibles en comparaison de
ceux sur lesquels s’appuie mon amendement.
Qu’il me soit permis d’aborder
quelques-unes des raisons de mes adversaires, et de faire voir qu’elles n’ont
aucune solidité.
Si vous admettez des personnes
qui ne paient pas le cens, dit-on d’abord, il en résultera que des familles
influentes feront nommer qui elles voudront : leur fermier, leur jardinier,
leur garde-chasse deviendront les administrateurs de la commune et on comprend
alors comment seraient gouvernés les intérêts des localités. Cette objection ne
me paraît pas même spécieuse ; car dès que des familles auront assez
d’influence pour nommer qui elles voudront, c’est que leur ascendant s’étendra
sur tous les électeurs, et alors pourquoi ne choisiraient-elles pas parmi ces
électeurs bénévoles quelques hommes plus recommandables qu’un ouvrier, dans le
cas où elles ne voudraient pas se faire donner la gestion des intérêts
communaux ?
Un orateur a dit lors de cette
discussion qu’il fallait se tenir en garde contre les familles influentes,
parce qu’il suffirait de trois ou quatre de ces familles pour s’emparer de
toute l’administration de la localité : je réponds que c’est précisément parce
qu’il faut éviter cette influence qu’on ne doit pas restreindre le cercle des
éligibles ; et l’on conçoit facilement que cet argument tombe à faux, quoique
ce soit un ministre qui l’ait présenté.
Il faut d’autant moins
restreindre le nombre des éligibles que vous avez déjà trop limité le cercle
électoral : d’après le cens que vous exigez des électeurs, dans beaucoup de
communes il n’y aura que le minimum fixé de vingt-cinq personnes appelées à
élire le conseil municipal ; car dans un grand nombre de localités il n’y a pas
un seul électeur payant le cens pour pouvoir concourir à l’élection de la
représentation nationale.
On a souvent attaqué ici le
système de l’élection directe ; on a cité des exemples où les élections
s’étaient faites au moyen d’influences fâcheuses ; on est allé jusqu’à dire
qu’un tonneau de bière avait déterminé des choix : quoi qu’on en ait dit, je ne
puis admettre que le système d’élection directe soit aussi mauvais qu’on le
présente. Sans doute qu’à la première application de ce système on aura pu
commettre quelques abus ; on en était à l’essai de cette innovation libérale ;
mais l’expérience a depuis éclairé les électeurs ; ils ont appris que c’étaient
eux qui étaient les victimes des mauvais choix ; aussi lorsque maintenant ils
procèdent à des remplacements, ils arrivent en foule aux élections, et ils ne
se laissent plus influencer lorsqu’il s’agit de leurs intérêts de commune.
Savez-vous dans quelle
circonstances ils paraissent indifférents et ne s’empressent pas de se montrer
aux élections ? C’est lorsqu’il n’y a qu’un ou deux candidats, connus par leur
probité ; alors, ne craignant pas de mauvais choix, ils se dispensent d’aller
donner leurs suffrages qu’ils considèrent, dans ce cas, comme inutiles. Mais
quand ils craignent des cabales, et quand les candidats qu’on leur présente ne
leur conviennent pas, ils se rendent en foule aux élections pour prévenir de
mauvais choix. C’est donc à tort que l’on cherche à discréditer le mode de
l’élection directe qui a fait, quoi qu’on en dise, un grand pas vers la
perfection qu’il atteindrait sans doute, si aucune entrave n’y était apportée.
Mais admettons pour un moment
que le système de l’élection directe puisse quelquefois être vicié au moyen
d’un tonneau de bière, puisque c’est là l’expression qu’on a employée qui
pourra faire usage de ce moyen ? Des familles riches ; elles seules peuvent
faire usage de semblables moyens, mais assurément des artisans de petits
cultivateurs ne peuvent se servir de semblables influences ; ils n’ont que leur
seul mérite pour les faire parvenir aux élections.
Un dernier argument a été
oppose à ma proposition, lors des premières discussions : on ne peut, a-t-on
dit, admettre dans l’administration communale des hommes qui ne possèdent rien,
parce que, dit-on, ceux qui ne possèdent rien, n’ont pas d’intérêt à empêcher
que la tranquillité ne soit troublée ; ce sont eux qui sont les fauteurs de
troubles ; enfin celui qui n’a rien ne représente rien,.
Messieurs, à quoi conduirait
une telle doctrine ? A établir une classe d’ilotes parmi nous ! est-ce là
l’intention des membres de cette chambre ?
Ceux qui n’ont rien ne
représentent rien !.. Mais qui donc nous représente sur les frontières quand
l’ennemi s’y montre ? Sont-ce les enfants des familles riches ? non, ce ne sont
pas même les fils des électeurs ; ce sont les fils des familles les plus
pauvres ; et cependant vous savez bien, dans les moments de danger, les
transformer en citoyens, et leur donner à défendre au prix de leur sang le plus
grand intérêt de la patrie, l’indépendance nationale.
Ceux qui n’ont rien sont des
fauteurs de désordre !... Et pourquoi donc les armez-vous en garde civique ? Ne
les organisez-vous pas militairement pour leur confier le maintien de l’ordre
public ? N’est-ce pas dans ce but que vous leur mettez les armes à la main ? Et
puisque vous reconnaissez qu’ils peuvent maintenir efficacement la tranquillité
publique, comment pouvez-vous induire par votre loi qu’il faut les exclure des
conseils communaux, parce qu’ils sont en état de suspicion comme fauteurs de
trouble ?...
Ce n’est pas en formant des
catégories, ce n’est pas par des exclusions que vous parviendrez à attacher la
classe la plus laborieuse de la nation à nos institutions : le peuple
s’instruit, et il s’instruit tous les jours davantage ; s’il s’aperçoit que
l’on veut faire une caste de parias des hommes qui ne possèdent rien, alors il
pourra bien s’agiter, alors il pourra bien devenir fauteur de trouble. Notre
siècle est un siècle de lumière, et les hommes dépourvus des dons de fortune
comprennent parfaitement bien qu’ils ne sont pas nés seulement pour se faire
tuer en défendant uniquement les intérêts des propriétés et les intérêts des
riches.
Faites attention, messieurs,
que c’est pour l’avenir que nous faisons une loi d’organisation communale et
que les classes que nous pensons encore arriérées concevront certainement à la
suite qu’elles ne peuvent être considérées autrement que les autres citoyens ;
et elles ne pourront voir sans regret leurs droits méconnus. Sans doute il se
trouve dans la classe des prolétaires et même en plus grand nombre que dans les
autres, des hommes qu’on ne saurait appeler aux affaires, ou des hommes
disposés à seconder des fauteurs de trouble ; mais les électeurs ne désigneront
pas de tels hommes et ne les chargeront pas de leurs intérêts, de maintenir la
tranquillité et la sécurité dans la commune.
Ce sont les hommes éclairés,
les hommes probes qui doivent être appelés à administrer pour les autres ; il
faut pouvoir les choisir là où ils sont ; et comme un cens d’éligibilité ne
donne pas nécessairement les connaissances indispensables pour faire un bon
administrateur, il ne faut pas l’exiger. Il est impossible de dire que des
hommes qui jouissent de la confiance de leurs concitoyens ne soient pas
capables de gérer les intérêts de la communauté : une telle assertion serait
une absurdité.
L’on dira peut-être que ceux
qui ne possèdent rien ne peuvent jamais avoir un grand intérêt à défendre celui
de la commune. Qu’iraient-ils faire dans les conseils ? Ils y perdraient leur
temps...
Mais il est facile de répondre
à cette objection. Vous savez, messieurs, qu’il y a beaucoup de communes où les
bois et les biens communaux forment la principale ressource de la plus grande
partie des habitants, qui ont tous une part égale dans les revenus de ces
biens. Or, lorsqu’il y a des dépenses à faire dans ces communes, les gros
propriétaires ont toujours plutôt intérêt à les faire retomber sur ces revenus
que sur les autres propriétés, parce que dès qu’il s’agit de faire des
répartitions sur les habitants, elles se font au marc le franc, et par
conséquent ils doivent payer dans la proportion de ce qu’ils possèdent, tandis
que lorsque le conseil communal décide que les dépenses s’effectueront au moyen
de coupes de bois, de ventes de terres ou locations de pâturages, le pauvre y
contribue comme le plus riche.
Vous
voyez donc que ceux qui ne sont pas électeurs peuvent avoir le plus grand
intérêt à être représentes au conseil communal.
Il faut, disait M. le ministre
de l’intérieur, que pour être apte à bien gérer une commune on y possède
quelque chose, car sans cela on n’est attaché à rien : messieurs, celui qui est
né dans une commune, qui y a sa famille, qui y possède une simple chaumière,
qui y exerce un état, est aussi attaché à la commune que tel autre qui y
possède de grands biens. Et, en effet, il est évident que celui qui perdrait
son petit, son seul avoir, serait plus à plaindre que celui qui se verrait
priver de grandes propriétés qu’il peut presque toujours remplacer.
Messieurs, je considère la
disposition que je propose, comme une des plus importantes de la loi ; je ne
voudrais pas que vous établissiez deux classes de citoyens en Belgique et que
vous disiez à ceux qui n’ont pas de fortune : Vous avez de l’intelligence, de
l’instruction, de la probité et de la conduite ; mais ne possédant rien, vous
n’êtes propres à rien dans la commune. Vous pourrez bien être appelés à
représenter la nation dans la chambre des députés, à défendre les intérêts
provinciaux dans les conseils de la province, mais tout cela ne suffit pas pour
débattre et gérer des intérêts communaux.
C’est là, messieurs, que je
trouve l’anomalie, et certes elle est aussi évidente que choquante.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux).
- L’amendement reproduit par l’honorable préopinant a été si souvent rejeté par
la chambre, et à une telle majorité, que je suis surpris qu’il nous le
représente encore.
M.
d'Hoffschmidt. - La dernière fois il n’a été rejeté qu’à une majorité
de deux voix.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux).
- J’en suis d’autant plus surpris que la chambre vient d’abaisser le chiffre
électoral. Après un tel vote, c’est une disposition en sens inverse de celle
que présente l’honorable membre qu’il faudrait adopter. Pour appeler à
l’administration communale ceux qui ne paient pas le cens, il aurait fallu
conserver au moins pour les électeurs le chiffre de 20 francs, comme il était
au projet primitif.
Dans le cas où la proposition
de l’honorable membre aurait du succès, je me réserve au second vote de
demander une augmentation relativement au cens électoral.
Je ne sais ce que représentent
les personnes qui ne possèdent rien. Mais si ces personnes ont de l’instruction
et appartiennent à des familles aisées, elles peuvent être admises dans les
conseils communaux, puisque d’après la loi, pour être éligible, il suffit de
payer le cens par soi-même ou par ses parents. Etendre l’éligibilité au-delà de
ces limites ce serait s’exposer aux inconvénients que j’ai eu l’occasion de
signaler. Je ne crois pas que vous puissiez introduire dans les conseils de la
commune les personnes les moins intéressées à la défense des intérêts matériels
de la localité.
M.
de Jaegher. - Je voulais faire la même observation qu’a présentée M. Dubus. Toutefois je n’admets pas
qu’un bourgmestre ne puisse remplir cette fonction que dans une seule commune ;
et je ne pense pas qu’il y ait lieu à supprimer le dernier paragraphe.
M. Legrelle. - L’honorable auteur de la proposition croit à
tort que nous voulons faire deux classes d’hommes, l’une comprenant ceux qui
possèdent quelque chose, l’autre comprenant ceux qui ne possèdent rien et qu’on
regarderait comme des parias ; tel n’est pas le sens de l’article en discussion
; il ne s’agit pas en effet d’intérêts généraux, il ne s’agit que d’intérêts
communaux.
Un honorable député de Tournay
vous l’a dit : la commune est une famille qui doit être représentée par son
chef ou par un de ses membres ; mais d’après l’amendement de l’honorable
membre, on pourrait appeler à gérer les intérêts de la famille une personne qui
lui serait entièrement étrangère. Pour être électeur, il faut avoir payé
pendant les années précédentes un cens déterminé, ce qui suppose au moins deux
ans d’habitation dans la localité. Cette condition ne se trouvant pas dans
l’amendement, il s’ensuit qu’un homme, habitant la commune depuis quelques
jours, pourrait être appelé à régir des intérêts qu’il ignorerait totalement.
Rien ne serait plus facile, au
moyen de la proposition de l’honorable membre, que d’introduire dans le conseil
communal des éléments étrangers, soit par l’intrigue, soit par d’autres moyens
qui répugneraient autant à l’honorable membre qu’à moi, et dont il est inutile
que je vous entretienne.
Lorsqu’on veut se faire élire
dans une commune, il y a bien des moyens pour réussir si vous n’exigez aucune
condition d’éligibilité, si vous n’exigez que l’obtention des suffrages des
électeurs. Souvent alors c’est celui qui parle le mieux qui réussit, et ce
n’est pas celui qui parle le mieux qui agit le mieux. Quand il s’agit de régler
les intérêts communaux, qui sera le plus disposé à épargner les deniers de la
commune, à bien gérer ses finances, à être sobre des dépenses, surtout de
celles inutiles, sinon celui qui représente quelque chose. Celui qui est
attaché au sol par son industrie ou par une propriété !
L’honorable député du
Luxembourg, pour appuyer son opinion, nous a cité un membre de la
représentation nationale, qui n’a jamais payé le cens. Je demanderai si ses
parents ne paient pas ce sens, car aux termes de la loi cela suffit pour être
éligible.
Il a ensuite parlé de petites
communes où l’on paie fort peu de chose. Mais pour ces communes n’avez-vous pas
la disposition que vous avez adoptée sur la proposition de M. Dumortier et qui
fixe le cens à 15 fr. !
Je pense, messieurs, qu’il n’y
a pas lieu de supprimer le cens d’éligibilité et que tout ce qu’on a dit en
faveur de ce système se réduit à des phrases.
M. d'Hoffschmidt.
- Je n’ai pas grand-chose à
dire, d’autant plus que j’ai répondu d’avance aux objections présentées par les
honorables préopinants ; je n’ai demandé la parole que parce que M. le ministre
de l’intérieur a dit en commençant, pour me réfuter, que l’amendement que je
présente ne peut manquer d’être rejeté par la chambre qui l’a déjà rejeté un
grand nombre de fois, et toujours à une forte majorité. Les allégations de M.
le ministre sont ordinairement adoptées de confiance. et sans examen. Mais il
est temps que nous y fassions attention. Il est de fait que c’est aujourd’hui
la troisième fois que je présente cet amendement. La première il a été rejeté
par assis et levé. Toutefois il a fallu renouveler l’épreuve. La seconde fois
il a été rejeté à une majorité de deux voix et peut-être sera-t-il encore
rejeté aujourd’hui, mais j’aurai de nouveau rempli mon devoir.
L’on a pensé me faire une
réponse en disant qu’il y a un article de la loi d’après lequel il suffit pour
être éligible d’être fils ou gendre d’un électeur, et qu’ainsi tout membre de
cette chambre qui ne paierait pas le cens électoral par lui-même pourrait
cependant faire partie d’un conseil communal comme fils d’électeur ; je connais
fort bien cet article, quoi qu’en dise M. Legrelle, et lorsque j’ai parlé d’un
membre de cette chambre qui ne pourrait être élu conseiller communal si l’art.
47 était adopté, je ne l’ai fait qu’après avoir demandé à cet honorable
collègue s’il pourrait être éligible après cette adoption, et il m’a répondu
que non : ainsi l’anomalie que j’ai signalée existe en fait.
M. Legrelle a prétendu que je
m’élevais à tort contre une disposition sage en disant que l’on voudrait
diviser la société en deux classes dont l’une serait le rebut de la société.
Non, messieurs, jamais je ne me suis servi de semblables termes ; c’est M.
Legrelle qui a cherché à flétrir de cette expression insultante la majorité de
la nation, tous les citoyens qui ne paient pas le cens électoral !
Il y a mille moyens de se
faire élire, dit encore M. Legrelle. Mais j’ai dit tout à l’heure que ces mille
moyens existaient pour le riche, et non pour celui qui ne possède rien.
C’est ainsi que tous les
arguments du préopinant frappent à faux. Je crois que s’il eût mieux examiné la
question, il n’eût pas voulu soutenir une aussi mauvaise thèse.
M. Legrelle. - Je demande la parole pour un fait personnel.
L’honorable préopinant m’a
supposé bien gratuitement des intentions que je n’ai jamais eues. J’ai dit
qu’il résultait de ce qu’il disait que, selon lui, la société serait maintenant
divisée en deux classes ; l’une, l’ornement de la société, l’autre qui en
serait le rebut. En effet, s’il n’a pas employé l’expression de « rebus de
la société, » il s’est servi de celle de « parias » qui en est bien
l’équivalent. D’ailleurs tout ce qu’il a dit tend à prouver la légitimité du terme
dont je me suis servi.
Le reproche que le préopinant
m’a adressé de vouloir insulter la majorité du pays, les citoyens qui ne paient
pas le cens, ne peut pas m’atteindre. Mes antécédents suffisent pour le
repousser.
M.
Gendebien. - Je puis me dispenser d’appuyer l’amendement de l’honorable
M. d’Hoffschmidt. Je l’ai toujours appuyé, et les motifs que nous avons
invoqués pour le faire adopter sont vraiment sans réplique et n’ont jamais été
réfutés.
Sans vouloir reproduire ce qui
a été dit précédemment, je vous prie de considérer quelle anomalie il y aurait
à exiger un cens d’éligibilité pour les fonctions de conseiller communal, alors
que la loi n’en exige pas pour le conseil provincial et pour les membres de la
chambre des représentants, qui sont appelés à prononcer sur les plus grands
intérêts du pays. Cette observation seule n’est-elle pas plus logique que
celles qu’on fait valoir pour faire admettre un cens d’éligibilité ?
Que dit-on pour repousser
l’amendement de M. d’Hoffschmidt ? que celui qui ne possède rien n’a aucun
intérêt dans les objets soumis à la délibération du conseil communal. Mais
faut-il posséder beaucoup pour s’intéresser à la commune qui est pour ainsi
dire le foyer domestique ; d’ailleurs sur quoi a-t-il à délibérer dans les
conseils communaux ? sur les voies et moyens, sur les octrois. Or, qui a plus
d’intérêt dans ces discussions que le prolétaire ! car les octrois ne
frappent-ils pas la houille, la bière, le genièvre, en un mot tous les objets
de première nécessité ?
On dit que
si l’on n’admet pas un cens d’éligibilité, on se trouvera dans le conseil
communal avec des personnes avec lesquelles on aura de la répugnance à siéger.
Mais songez que la loi n’exclut pas le bourreau ; que s’il paie le cens il est
éligible. S’il était élu membre du conseil, vous seriez obligés de siéger avec
lui. Après cela j’ai peine à comprendre votre répugnance à siéger dans un
conseil communal avec un citoyen qui ne paie pas le cens électoral ; il est
tels riches avec lesquels j’aurais plutôt de la répugnance à siéger.
Dans tout le cours de la
discussion, on vous a toujours fait une loi d’éviter l’oppression des minorités
; on vous a dit que c’était pour que les minorités ne fussent pas opprimées
qu’il fallait donner au gouvernement la nomination du bourgmestre et des
échevins. Mais dans votre sollicitude pour les minorités, prenez garde que ce
soient les majorités, qui seront opprimées par votre loi si elle exige un cens
d’éligibilité ; or les 9/10 des citoyens, dans la plupart des communes, ne
paient pas ce cens. Je dirai plus : à Bruxelles, il y a 95 citoyens sur 100 qui
ne le paient pas.
Je dirai à
cette occasion ce que j’avais l’honneur de dire tout à l’heure. Prenez garde de
fatiguer, d’irriter par vos dédains, les majorités qui s’éclairent tous les
jours, et qui sont mal à l’aise ; dans le cercle étroit où vous les resserrez
tous les jours d’avantage, ne leur ôtez pas l’ambition bien légitime de
concourir à la composition du conseil communal, si vous voulez éviter qu’elles
ne prétendent à une plus large part dans l’administration du pays. Je crois
cette argumentation plus morale et plus prudente que toute la diplomatie au
moyen de laquelle on veut arracher au peuple les libertés qu’il a conquises en
septembre 1830.
M.
Jadot. - Je me bornerai à soumettre à la chambre, à l’appui de
l’amendement de l’honorable M. d’Hoffschmidt, une considération particulière à
la province du Luxembourg, mais qui n’en mérite pas moins l’attention de
l’assemblée : c’est que dans cette province les communes possèdent généralement
des bois communaux assez considérables, et que si vous n’appelez au conseil
communal que des personnes payant un cens, c’est-à-dire des propriétaires, ils
feront, dans les charges extraordinaires, opérer la vente des coupes de ces
bois, pour éviter que leurs propriété soient grevées, ce qui est préjudiciable
à ceux qui ne possèdent pas, c’est-à-dire à la majorité. Je pense que cette
considération mérite toute votre attention.
M. Dubus. - Il y a deux ans un pareil
amendement a été présenté. Je l’ai combattu alors ; aujourd’hui que vous avez
abaissé le cens électoral, je dois plus qu’alors persister dans l’opinion que
j’ai émise.
On fonde particulièrement
l’amendement sur cette considération qu’il faut avoir une confiance aveugle
dans le choix que feront les électeurs. Je crois que cette assertion pèche par
sa base ; car si elle devait être admise, vous n’exigeriez aucune condition
d’éligibilité. Or, vous admettez une condition d’âge comme garantie d’une
certaine maturité de jugement, par la crainte que les électeurs ne choisissent
un mandataire trop jeune. J’admets ce motif, mais dès lors n’ai-je pas le droit
de demander, comme autre condition d’éligibilité, une garantie d’attachement aux
intérêts communaux, garantie que je trouve dans le cens fixé par la loi ?
Dans les premiers règlements
des villes, aucune condition de cens n’était exigée de l’éligible ; on n’a introduit
cette condition que dans les seconds règlements. Mais on n’a critiqué cette
modification des premiers règlements que sous le rapport qu’elle excluait les
fils d’électeurs ; or ici, la loi, par la manière dont elle est conçue, répond
à cette critique.
Une autre objection a été
tirée de la comparaison entre les conditions d’éligibilité pour la
représentation nationale et provinciale et les conditions d’éligibilité pour
être membre du conseil communal. Cependant, selon moi, il y a une assez grande
raison de différence, c’est que le collège est bien plus étendu dans les deux
autres cas. Ici il est plus circonscrit : tous les électeurs sont habitants de
la commune ; ils sont en petit nombre ; ce nombre peut être borné à 25 ; ce
chiffre ne sera pas excédé dans un assez grand nombre de communes ; or, à coup
sûr, il y a plus de précautions à prendre pour assurer de bons choix dans un
collège peu nombreux que dans un collège nombreux. Je crois que le nombre des
électeurs étant si faible, on doit exiger une garantie de plus de l’éligible.
Les motifs qui m’ont déterminé
à repousser l’amendement, il y a deux ans, subsistent. Je persisterai donc à le
repousser.
Je ne vais pas cependant
jusqu’à adopter le système de M. le ministre de l’intérieur, qui voudrait, paraît-il,
exiger de l’éligible un cens plus élevé que de l’électeur. Sous aucun rapport,
je ne puis admettre ce système ; car celui qui paie un cens assez élevé pour
exercer les fonctions d’électeur et qui en a obtenu le suffrage de la majorité
des membres du conseil électoral, ne peut pas être supposé n’être pas
suffisamment intéressé à la bonne administration de la commune.
M. d'Hoffschmidt. - Si je m’attendais à voir mon amendement
combattu, ce n’était pas assurément par l’honorable préopinant. il vous a dit
que l’abaissement du cens électoral le déterminait à repousser cette
disposition. Je vous avoue au contraire que l’adoption de cette disposition
libérale m’avait fait penser que la chambre, continuant ce système, adopterait
la disposition également libérale que j’ai l’honneur de proposer ;
l’abaissement du cens est certainement un acheminement vers un meilleur
système, et je ne conçois pas que M. Dubus veuille s’arrêter en si beau chemin.
Cet honorable membre a fait observer que nous ne devons pas avoir une confiance
absolue dans le choix des électeurs, et que puisque nous admettons une
condition d’âge comme condition d’éligibilité, d’autres conditions, telle que
celle du cens, pouvaient d’après le même principe leur être imposées.
Mais,
messieurs, je dirai que, pour la représentation, cette condition a toujours été
exigée ; toujours on a voulu que les hommes auxquels on confiait un mandat
fussent d’un âge mûr. Quoique je sois persuadé que les électeurs ne nommeraient
pas membre du conseil communal un homme qui ne présenterait pas cette garantie,
j’ai cru devoir la stipuler dans la loi communale, pour la mettre en harmonie
avec la loi électorale et la loi d’organisation provinciale. On a répété encore
qu’il fallait posséder quelque chose dans la commune pour y être attaché. Je
demanderai si celui qui paie 14-95 de contribution dans une commune rurale, et
celui qui paie 99 à Bruxelles, ne porteront pas tout autant d’intérêt à la
commune que celui qui paie un peu plus et qui par conséquent est électeur ;
s’il paie un peu moins de contribution, il a dans la commune sa famille, son
état, sa petite habitation, enfin tout son avoir ; et pourquoi voulez-vous
qu’il ne porte pas intérêt à la bonne administration de la localité à laquelle
il doit être attaché, ne pouvant en changer à volonté comme le riche. Celui qui
a moins, y tient d’autant plus.
Messieurs, il y a un honorable
député qui siège au banc des ministres, qui a été éloquent en défendant le même
amendement, lorsque je l’ai présenté la première fois. S’il m’était permis de
dire ce qu’il a dit, alors je suis sûr que son discours exercerait de
l’influence sur le vote que vous allez émettre ; car ses arguments avaient fait
une vive impression sur l’assemblée. Plusieurs de nos collègues ont déclaré
qu’avant d’avoir entendu cet honorable membre, ils étaient disposés à rejeter
l’amendement, mais qu’après son discours ils étaient revenus de leur opinion.
Aussi personne n’a réfuté depuis cet honorable membre. L’honorable M. Dubus lui-même
n’a pu y répondre.
Plusieurs membres. - Lisez ! lisez !
M. d'Hoffschmidt. donne lecture du discours
prononcé par M. Ernst sur cette question, dans la discussion de 1834.
(Moniteur belge n°49, du 18 février 1836) M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux).
- Messieurs, je ne répéterai pas ce que j’ai dit ; je pense que chacun a retenu
les raisons péremptoires qui doivent faire rejeter le système de l’honorable
préopinant. J’ajouterai seulement une réflexion, en ce qui concerne la
composition du conseil provincial. C’est à tort qu’on a voulu établir de
l’analogie entre le conseil communal et le conseil provincial. Pour le conseil
provincial, on exige le même cens que pour les électeurs des membres des
chambres. Là on n’a cherché de garantie que dans le cens électoral. Si telle
n’avait été la pensée du législateur, il aurait fallu abaisser le cens pour la
composition du conseil provincial, de la même manière qu’on l’a fait pour la composition
du conseil communal.
Dans les communes, au
contraire, on a exigé moins de garanties des électeurs, on a abaissé le cens ;
mais on a demandé plus de garanties de ceux qui devraient être appelés à
composer le conseil.
Les cas que vous a cités
l’honorable préopinant ne sont que de rares exceptions, et ce n’est pas pour de
rares exceptions qu’on fait les lois, mais pour ce qui se pratique le plus
communément. Il est certain qu’il n’arrivera presque jamais que quelqu’un soit
exclu à raison de défaut de cens, s’il réunit les qualités nécessaires pour
remplir les fonctions de conseiller, puisque la loi admet comme éligibles tous
ceux dont les parents paient le cens. Le cercle se trouve ainsi très étendu.
Admettre l’amendement de l’honorable préopinant serait, je le répète, ouvrir la
porte à une foule d’inconvénients pour un avantage très rare.
M.
Gendebien. - Un honorable député a dit que puisqu’on exigeait un cens
pour être électeur, il ne voyait pas de raison pour n’en pas exiger de
l’éligible. Si j’ai bien compris, c’est là ce qu’il a dit. Moi je trouve au
contraire là la raison pour ne pas exiger de cens d’éligibilité. Car vous
trouvez dans la condition du cens électoral une garantie suffisante pour qu’il
n’arrive au conseil que des hommes capables. Si celui qui paie un cens pour
élire n’est pas assez intéressé à la bonne administration de la commune,
n’admettez plus l’élection. Si vous admettiez le vote universel, je conçois que
vous ne reconnaissiez pas aux électeurs le jugement nécessaire pour apprécier
les hommes propres à l’administration. Mais vous exigez un cens de l’électeur ;
dès lors vous ne pouvez pas demander un cens de l’éligible. Il y a là double
emploi et défiance déraisonnable.
Vous admettez bien qu’on exige
une garantie d’âge dit l’honorable membre ; puisque vous reconnaissez qu’on
peut demander cette condition, pourquoi n’admettez-vous pas qu’on demande
l’autre ? Je ferai remarquer que la condition d’âge n’est pas un privilège pour
les uns et une exclusion pour d’autres ; chaque citoyen arrive à son tour à
l’âge requis ; il n’en est pas de même de la fortune ; il n’est pas accordé à
tout le monde de faire fortune. Ce sont les moins fortunés qui sont
ordinairement les plus probes et les plus honnêtes, car le plus souvent la
fortune s’acquiert par le vol, la rapine, l’indélicatesse dans les relations
sociales.
Le riche le plus souvent doit
sa fortune à des actions honteuses, à des crimes contre la propriété, tandis
que l’honnête homme est resté dans une condition modeste. Et cette modeste
condition est un titre pour être écarté de la liste des éligibles. On préfère
le riche, dût-il apporter dans l’exercice de ses fonctions municipales
l’indélicatesse qui l’a fait riche et éligible.
Vous voyez donc qu’on ne peut
pas tirer argument de ce qu’on exige une condition d’âge, pour exiger un cens
d’éligibilité. On exige bien, vous a-t-on dit encore, qu’on soit domicilié dans
la commune. Ma réponse, au premier argument, est encore applicable ici ; chacun
est libre de prendre son domicile où il veut, il n’y a pas là privilège pour
les uns à l’exclusion des autres. Déjà on a présenté cet argument qu’on
n’exigeait pas de cens pour être élu membre du conseil provincial, et que par
conséquent on ne devait pas en exiger davantage du membre du conseil communal.
A cela, qu’a-t-on répondu ?
Que le cens électoral pour la composition du conseil provincial était beaucoup
plus élevé que pour la composition du conseil communal.
Je répondrai à mon tour au
ministre par un argument qu’il présente souvent, et qu’on a répété pour
justifier la disproportion du cens, selon les populations. Je lui dirai que si
le cens électoral pour la composition des conseils communaux est moins élevé
que pour la composition des conseils provinciaux, c’est que les affaires qu’on
traite dans un conseil communal sont d’une bien moindre importance que celles
dont on s’occupe dans un conseil provincial.
Vous avez trouvé votre
garantie dans un cens plus élevé, en raison des fonctions plus importantes des
membres à élire ; pourquoi ne vous contenteriez-vous pas d’un cens moins élevé
du chef de l’électeur pour nommer des citoyens appelés à traiter des objets de
moindre importance ?
En un mot, vous trouvez la
même garantie pour le conseil communal que pour le conseil provincial dans le
cens électoral, et vous n’avez pas d’un côté plus que de l’autre de raison
d’exiger un cens d’éligibilité.
On n’a pas répondu au
principal argument. Pendant toute la discussion sur la question de savoir si le
gouvernement interviendrait dans la nomination des bourgmestre et échevins, le
ministre et ceux qui ont parle dans le même sens ont dit qu’ils voulaient
donner aux minorités la possibilité d’être représentées dans le conseil de
régence ; que si le gouvernement n’intervenait pas, les minorités seraient
toujours opprimées. J’ai fait observer que si on n’admettait pas l’amendement
proposé, ce ne serait plus la minorité qui ne serait pas représentée dans le
conseil, mais la majorité de chaque commune. On n’a pas répondu à cela, je
demande qu’on y réponde. (Aux voix ! aux
voix !)
M. le
président. - Je vais mettre aux voix l’amendement de M. d’Hoffschmidt.
On procède à l’appel nominal.
61 membres sont présents.
27 votent l’adoption.
34 votent le rejet.
En conséquence, l’amendement
de M. d’Hoffschmidt n’est pas adopté.
Ont voté pour : MM. Berger, de
Foere, de Meer de Moorsel, Demonceau, Desmanet de Biesme, d’Hoffschmidt,
Doignon, Duvivier, Ernst, Frison, Gendebien, Jadot, Jullien, Liedts, Manilius,
Nothomb, Raymaeckers, Rouppe, Seron, Thienpont, Trentesaux, Troye,
Vandenbossche, Vanden Wiele, Vergauwen, Watlet et
Zoude.
Ont voté contre : MM.
Beerenbroeck, Bosquet, Cornet de Grez, de Behr, de Longrée, W. de Mérode, de
Muelenaere, de Nef, de Renesse, de Roo, de Sécus, de Terbecq, de Theux, Devaux,
d’Huart, Dubois, Dubus (aîné), B. Dubus, Dumortier, Eloy de Burdinne, Fallon,
Hye-Hoys, Kervyn, Legrelle, Morel-Danheel, Pirmez, Raikem, Scheyven, Ullens,
Vandenhove, Vanderbelen, Verdussen et H. Vilain XIIII.
Les deux premier
paragraphes de l’article sont adoptés.
La séance est levée un
peu avant cinq heures.