Accueil Séances plénières
Tables
des matières Biographies Livres numérisés
Bibliographie et liens Note
d’intention
Séance précédente Séance suivante
Chambre des représentants de Belgique
Séance du lundi 18 janvier 1836
Sommaire
1) Pièces
adressées à la chambre, notamment pétition demandant la réunion douanière au
Zollverein (Fallon), relative aux droits sur les bois (de Renesse), à la construction d’une caserne à Arlon (Nothomb). Périodicité des rapports de pétitions (Dubus)
2) Projet
de loi portant le budget du département de la guerre pour l’exercice 1836.
a)
Discussion générale. Marché militaire (lits en fer) ((+question politique) Evain, Lardinois, A. Rodenbach, Dubus, Evain, Gendebien, F. de Mérode, Verdussen, Dumortier, Evain, Dumortier, de Puydt, Gendebien, (+critique des abus relatifs au budget
militaire) de Puydt, Gendebien,
Evain), ophtalmie militaire (A.
Rodenbach, Evain)
b)
Discussion des articles. Dépenses de loyer (de Jaegher),
état-major général, position et avancement des officiers (Evain,
Desmaisières, Evain, de Jaegher, Gendebien, Brabant), médecins militaires (Stas de
Volder)
(Présidence de M. Raikem.)
(Moniteur
belge n°19, du 19 janvier 1836)
M.
Dechamps procède à l’appel nominal à midi et demi.
M. Schaetzen
donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est
adoptée.
M. Dechamps présente
l’analyse des pièces adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A
« Plusieurs propriétaires de bois de sapin de
l’arrondissement de Louvain et environs, demandent que les sapins du Nord
soient frappés à l’entrée d’une augmentation de droits. »
« Les tanneurs de Namur, appuyés par la
chambre de commerce de cette ville, demandent un traité de commerce avec
________________
« Des
habitants des communes de Stalhille, Vlesseghem, etc., demandent une allocation au budget pour
le prolongement de la chaussée depuis le pont de Stalhille
jusqu’à la chaussée de Bruges à Ostende. »
________________
« L’administration communale de
Rhodes-Ste-Genèse se plaint de la délimitation cadastrale de la forêt de
Soignes, et demande que les triages de Ste-Gertrude,
- Renvoyé à la commission des pétitions.
M. Fallon. - On
vient de faire connaître à la chambre l’analyse d’une pétition des tanneurs de
Namur et de la chambre de commerce de
cette ville, demandant la réunion de
Je demande en outre que cette pétition soit insérée
au Moniteur.
- La proposition de M. Fallon est adoptée.
________________
M. de Renesse.
- Messieurs, plusieurs propriétaires de bois de sapin, de l’arrondissement de Louvain
et environs, demandent que les sapins du Nord soient frappés, à l’entrée, d’une
augmentation de droits.
Précédemment, des pétitions semblables ont été
adressées à la chambre par des propriétaires de Liége, de Namur et du Limbourg.
Je demanderai que la commission soit invitée à faire un prompt rapport sur
toutes ces pétitions en même temps.
- La proposition de M. de Renesse est adoptée.
M. le président. -
Parmi les pétitions qui viennent d’être analysées, il en est une qui est
relative à la chaussée depuis le pont de Stahille
jusqu’à la chaussée de Bruges à Ostende. Conformément à la précédente décision
de la chambre, cette pétition sera renvoyée à la commission des travaux
publics, routes et canaux.
________________
M.
Nothomb. - Dans le dernier feuilleton des pétitions qui a été distribué
à la chambre au mois d’août, on annonce le rapport sur une pétition de la
régence et des habitants d’Arlon qui demandent la construction d’une caserne
d’infanterie. La commission conclut au renvoi au ministre de la guerre.
Comme l’objet de cette pétition se rapporte au
budget du département de la guerre qui est à du jour, je demande que la chambre
veuille bien permettre, par exception, que le rapport de cette pétition soit
fait à l’ouverture de la séance de demain ou après-demain. J’ai consulté M.
Lejeune, rapporteur de la commission. Il m’a dit que le rapport était prêt et
qu’il ne trouvait aucun inconvénient à le présenter à une prochaine séance.
Je pense qu’il conviendrait que ce rapport fût fait
de manière que nous pussions prendre l’objet de la pétition en considération,
quand nous arriverons à l’article du budget auquel il se rapporte.
M. Lejeune. - La
pétition dont vient de parler l’honorable préopinant se rapporte effectivement
au budget de la guerre. Si la chambre le trouve convenable, je pourrai en
présenter le rapport demain.
- La chambre décide que le rapport de la pétition
des habitants et de la régence d’Arlon sera fait à l’ouverture de la séance de
demain.
________________
M. Dubus. - La
motion qui vient d’être faite et adoptée par la chambre me fournit l’occasion
de faire remarquer qu’il ne se fait plus de rapport de pétitions. Je ne sais si
la chambre a pris la résolution de ne plus entendre de rapport de pétitions. Si
cette résolution a été prise, elle n’est pas à ma connaissance. On devrait, ce
me semble, indiquer un jour pour le rapport des pétitions. Je crois qu’il n’en a
pas été fait un seul depuis l’ouverture de la session.
M. le président. -
M. Dubus fait-il une proposition ?
M. Dubus. - Je demande
que la chambre soit consultée sur la fixation d’un jour, du vendredi, comme
autrefois, pour le rapport des pétitions.
- La chambre, consultée, décide que la séance de
vendredi prochain sera consacrée au rapport des pétitions.
PROJET DE LOI PORTANT LE
BUDGET DU DEPARTEMENT DE
Discussion générale
M. le président. -
A la précédente séance la clôture de la discussion générale a été demandée, et même
il a été procédé par appel nominal sur cette demande de clôture ; mais la
chambre ne s’est pas trouvée en nombre. S’il n’y a pas d’opposition, je vais
mettre aux voix par assis et levé la clôture de la discussion générale.
M. le ministre de la guerre
(M. Evain). - Comme plusieurs orateurs ont demandé que je répondisse
d’une manière catégorique sur la question relative aux lits en fer, et pour
terminer cette discussion, j’ai cru devoir préparer une réponse qui, je pense,
satisfera ceux qui ont attaqué l’opération.
M.
le président. - Un ministre doit avoir la parole quand il la demande,
mais comme la clôture avait été réclamée avant que M. le ministre ne demande la
parole, je crois devoir consulter la chambre.
M. le ministre de la guerre
(M. Evain). - Je tiens à donner mes explications avant que la clôture
ne soit prononcée, car ces explications importent à mon honneur.
M. Lardinois. -
Je demande que la parole soit donnée au ministre de la guerre.
Plusieurs
membres. - Oui ! oui !
M. le président. -
L’intention de la chambre paraissant être que la parole soit donnée à M. le
ministre de la guerre, il a la parole.
M. le ministre de la guerre
(M. Evain). - Messieurs, la réponse catégorique que l’un des honorables
orateurs m’a demandée à la question relative aux motifs qui m’avaient fait
préférer la première base de l’adjudication du service des lits militaires a
déjà été faite par moi, dans l’expose sincère et vrai des motifs qui m’avaient
décidé à lui donner la préférence sur l’autre : et puisque l’on réduit
aujourd’hui la question à celle de prouver que j’ai agi avec conscience et
discernement, en préférant payer 57,000 fr. par an au soumissionnaire qui a
obtenu l’entreprise, mais en lui imposant l’obligation de fournir à son compte
les couchettes en fer, au lieu de demander 600,000 fr. pour acheter ces
couchettes, et par là réduire les dépenses de 27,000 fr., défalcation faite de
l’intérêt légal du montant de l’acquisition, je me renfermerai dans la
discussion de cette unique question, qui résume effectivement toute la
discussion, après avoir toutefois répondu à un argument du même orateur, qui a
dû vous paraître très plausible, en attaquant la véracité de la principale base
sur laquelle j’appuyais mes calculs relatifs aux dépenses à faire par
l’entreprise qui a obtenu ce service.
L’honorable M. Gendebien m’a dit : « Comment
se fait-il que vous nous assuriez que les effets de literie coûtent à cette
entreprise une somme de 135 francs y compris la couchette, ou 103 fr. sans
cette couchette, tandis que votre tarif, votre propre tarif, fait par vous et
annexé à votre propre cahier des charges, n’élève le prix total de ces effets
qu’à 77 fr. 30 c. (c’est, en effet, le taux auquel il s’élève) ? Comment
venez-vous maintenant nous annoncer que ces effets reviennent à 103 fr. à
l’entreprise ? C’était donc un piège tendu aux soumissionnaires qui ont dû
croire ces prix exacts, ou bien c’est un leurre de nous dire aujourd’hui qu’ils
valent réellement et qu’ils ont coûté un tiers en sus, c’est-à-dire 103
? »
Il n’y a eu, messieurs, ni piège envers les
soumissionnaires, et surtout il n’y a pas de leurre envers vous.
Un mot suffira pour expliquer cette prétendue
contradiction.
Le tarif dont il est question, n’a pour objet que
d’indiquer le prix moyen des effets, pour servir au paiement des pertes ; tel
est le titre même sous lequel il a été inséré au cahier des charges, et j’ai
établi ce tarif le plus bas possible : 1° dans l’intérêt du soldat ; 2° eu
égard à la durée moyenne des effets en service.
Il eût été injuste de faire payer au soldat la
perte d’un drap, qui aurait déjà servi trois ans, comme s’il eût été neuf, et
c’eût été avantager l’entreprise, ce que je ne voulais certainement pas.
Ainsi, prenant pour exemple ce drap de lit, dont la
durée peut être de 6 ans au plus, en résistant à 84 blanchissages, je savais
très bien, par l’achat que j’ai fait de plus de 50,000 paires de draps depuis 4
ans, que ces effets, neufs et de la qualité prescrite par le cahier des
charges, ne pouvaient coûter moins de 10 fr. la paire, et ils ont coûté cela à
l’entreprise, j’en ai la preuve.
Mais, calculant d’après 3 ans de service, ces
effets ne pouvaient valoir au plus que 4 fr. ; j’ai pris le terme moyen de 10
fr. à 4 fr., et j’ai donc fixé le prix moyen à 7 fr. à rembourser par la troupe
eu cas de perte.
Il en est de même pour les autres toiles et les
couvertures.
Quant à la laine qui ne perd pas autant de sa
valeur, à cause de ses rebattages fréquemment
ordonnés, je n’ai déduit que le septième de sa valeur primitive. C’est ainsi,
messieurs, que j’ai calculé ces prix moyens que je me serais bien gardé,
d’après les raisons que je viens de déduire, d’élever au prix coûtants d’achat
; vous sentez que si j’eusse agi ainsi, il y aurait eu lésion manifeste pour le
soldat, et trop d’avantage pour l’entreprise, ce que, je le répète, je ne
voulais pas.
Vous voyez donc bien que l’argument présenté n’est
pas fondé ; et que mon assertion sur les prix coûtants subsiste en entier, et
serait prouver, au besoin, par les comptes de l’entreprise, mais j’avoue aussi
qu’il était impossible à l’honorable M Gendebien de deviner les motifs qui
m’avaient guidé dans la fixation de ces prix moyens ; c’est, à coup sûr, alors
que j’eusse été blâmable, d’après les explications que je viens de vous donner,
d’égaler ces prix moyens à ceux d’achat, que je connaissais d’ailleurs tout
aussi bien que ceux qui se proposaient pour entreprendre ce service ; j’ai donc
calculé ces prix moyens aux trois quarts environ des prix d’achat, et en ayant
soin de les combiner chacun d’après leur durée présumée, et leur degré de
détérioration successive.
On croirait à voir de quelle manière je suis
attaqué que mon administration n’a ni esprit de calcul, ni esprit de
combinaison, d’examen et de conduite, et dans les opérations préliminaires et
dans les décisions à prendre.
Souvent une affaire, qui paraîtrait futile, et de
peu de conséquence, à une personne étrangère à la science de l’administration
(car c’est une véritable science qui ne s’acquiert pas aussi vite qu’on le
pense) ; cette affaire, dis-je, m’occupe sérieusement, et j’y consacre tout le
temps nécessaire.
J’arrive maintenant à la réponse catégorique que
l’on me demande.
Puisqu’il est généralement reconnu que toute la
question est là, il me tarde, je vous l’avoue, de vous en donner la solution.
D’abord, il est aussi généralement reconnu qu’il
fallait un nouveau mode de coucher pour nos troupes ;
Puis, que j’ai fait tout ce qu’il était en moi pour
décider les régences des villes de garnison à se charger de ce service ;
Puis encore, que, par leurs refus réitérés, j’ai
été obligé de recourir à une entreprise ;
Puis enfin, que l’art. 4 du cahier des charges me
laissait l’option à faire entre les deux bases qui y étaient positivement
exprimées.
Ces quatre points ne sont plus contestés
aujourd’hui.
J’ai choisi la première base, et j’ai donné
l’entreprise à celle des quatre sociétés qui d’après cette base demandait les
prix les moins élevés.
J’étais certes dans mon droit, d’en agir ainsi, et
mon devoir était d’adjuger à celui qui me demandait le moindre prix : mais
c’est ce que l’on critique, comme faisant dépenser 27,000 fr. de plus, par an,
pour le service dont il est question, que si j’avais adopté la seconde base.
Ce résultat ne m’a pas plus échappé qu’à vous, et a
été pendant huit heures le sujet de mes plus sérieuses méditations. J’ai
calculé toutes les chances pour et contre, et c’est avec l’intime conviction
que j’agissais dans le véritable intérêt de l’Etat, et prenant le parti auquel
je me décidai après mûres réflexions, que je m’y arrêtai définitivement.
Voici, messieurs, le texte des motifs de la
décision que je pris le 15 juin au soir et que j’ai, en original, écrite de ma
main :
1°Que je serais dans l’obligation de demander un
crédit extraordinaire de 5 à 600,000 fr. à la prochaine session des chambres,
dont la réunion pouvait être retardée jusqu’au mois de novembre ;
2° Que, pouvant avoir la fourniture des lits en fer
par le soumissionnaire, j’évite l’obligation de demander ces fonds, qui
pourraient m’être refusés par les chambres, instruites que le service pouvait
être assuré sans nouveau crédit ;
3° Que l’adjudicataire, faisant fabriquer lui-même
les lits en fer, je suis plus assuré de leur bonne confection, attendu qu’il
est intéressé à ce qu’ils soient bien confectionnés et solides, pour éviter les
réparations à sa charge ;
4° Que je suis également plus assuré de leur bon
entretien pendant la durée du marché, parce que son intérêt le portera à en
soigner le bon état et la conservation ;
5° Qu’il pourrait survenir des difficultés
nombreuses dans le service, pour la réception des couchettes en fer par
l’entrepreneur des lits militaires, si la fourniture de ces couchettes était
faite au compte du gouvernement ;
6° Que j’épargne d’ailleurs les frais
d’enregistrement et de transport qui retomberaient à la charge du budget du
département de la guerre.
Tels ont été les motifs de la décision d’après
laquelle je déclarai le lendemain mon option pour la première base.
Je conviens que le dernier motif peut paraître de
mince importance à vos yeux ; mais je tenais à pouvoir, dès le mois de juin,
remettre au moins un million sur les crédits qui m’avaient été accordés pour
l’exercice 1835, et je voulais éviter toute dépense dont je pouvais me
dispenser.
Il s’agissait d’ailleurs de monter une partie du
nouveau service pour le 1er novembre, et je ne savais pas le 15 juin si les
chambres se rassembleraient plus tôt qu’à l’époque ordinaire ; je ne pouvais
non plus savoir si elles m’accorderaient les fonds que je demanderais, ni à
quelle époque je pourrais les obtenir.
Lors même que je l’eusse su, il aurait fallu, après
avoir obtenu les fonds, faire une adjudication pour ces lits en fer et dans
tout état de choses, je ne pouvais avoir à temps les 7,000 couchettes que
l’entrepreneur de literies aurait exigées pour monter son service au 1er
novembre.
Enfin, messieurs, je dois vous avouer, car la
franchise avec vous est le plus sûr moyen d’obtenir et de conserver votre
confiance, je ne pus me résoudre, en sortant d’une adjudication qui me faisait
présager des embarras et des difficultés, à endosser encore ceux qui surgiraient
d’une nouvelle adjudication.
Je prévoyais de nouveaux embarras pour la mise en
fabrication de ces couchettes qui sont, je dois le dire, le point difficile de
l’entreprise, pour le mode de surveillance à exercer sur le choix des fers,
pour le mode de réception des fers et des pièces confectionnées. Je mettais
aussi en ligne de compte les risques du transport et de la rupture des pièces ;
les retards dans l’arrivée pendant la mauvaise saison ; les soins à prendre
pour le moulage et le peinturage de ces effets sur place ; la réception à en
faire par les officiers de la garnison, et surtout par l’entrepreneur des
literies ; les rebuts qui pourraient en résulter, et qui seraient restés en
pure charge au gouvernement, ou lui auraient occasionné de nouveaux frais ; les
discussions qui se seraient élevées entre l’entrepreneur et les agents du
gouvernement ; les procès qui en seraient survenus sous mille prétextes plus ou
moins fondés ; les indemnités qui auraient été réclamées, en cas de retard dans
les arrivées et de rebus d’une partie des objets ; enfin le mode d’entretien à
imposer à l’entrepreneur.
Toutes ces causes réunies ; et l’expérience n’a que trop confirmé la réalité de mes
prévisions (voici une note que M. le commandant de la place de Bruxelles me
fait remettre, sans que je la lui aie demandée), me décidèrent à faire fournir
les couchettes par l’entrepreneur, et conséquemment à adopter la première base
d’adjudication.
L’honorable M. de Mérode vous a fait connaître un
autre motif auquel je vous l’avoue je n’avais pas d’abord songé, mais qui me
paraît avoir une importance réelle, surtout pour les villes ouvertes. Il est de
fait que, dans les deux invasions qu’a subies
Voila donc 27,000 fr. que j’ai consenti à payer de
plus par an, et qui établissent un grief énorme, exorbitant aux yeux de mes
adversaires qui, j’aime à le croire, ne pouvaient apprécier les motifs qui
m’avaient guidé.
Mais mettez en comparaison ce qui pouvait résulter,
ce qui devait nécessairement résulter de l’adjudication sur la deuxième base,
avec ce qui résultera du mode adopté, et jugez, maintenant que vous êtes
informés des faits dans tous leurs détails.
Et c’est à moi, messieurs, qu’on fait un reproche
d’avoir disposé de ces 27,000 fr., lorsque j’avais des motifs si concluants
pour ne pas m’arrêter à cette différence de prix, quand il s’agissait surtout
de monter promptement et convenablement le service que j’avais tant à cœur
d’établir dans l’intérêt de la santé et du bien-être de nos braves soldats !
Est-ce cette modique somme
de 27,000 fr, quand, sur d’autres parties du service, je fais des économies
décuplées par les soins que je donne à toutes les branches de l’administration
; quand j’ai remis 24,500,000 fr. sur les crédits qui m’avaient été accordés ;
quand j ai su, par les mesures que j’ai prises, diminuer de 6 p. c. le prix des
draps, et de 25 à 30 p. c. les prix des autres fournitures (le rapporteur de M.
le ministre de la justice en fait foi) ; quand je suis parvenu, en réduisant
les prix de confection et la quantité des étoffes employées, à ne pas accéder
aux demandes assez fondées des corps pour une augmentation de la masse
d’habillement, augmentation que
Quand enfin j’ai donné assez de preuves de ma
capacité en affaires d’administration et des principes de probité qui me
dirigent, devais-je m’attendre que, sans égard pour les services que j’ai
rendus à ma nouvelle patrie, sans égard pour l’estime que mes 44 années
d’expérience en administration et en organisation d’armée m’ont justement
méritée en Europe, je le dis, hautement et sans crainte d’être démenti,
devais-je m’attendre, messieurs, à être traité comme je l’ai été par mes
adversaires ?
Il n’y a qu’une conscience pure et sans reproche,
que l’estime de ceux qui savent apprécier mes services, qui aient pu me
soutenir dans le rôle où j’ai été contraint de descendre.
Mais, je vous le déclare, messieurs, je ne peux y
résister plus longtemps. J’en appelle ici à votre propre conscience, et dites
maintenant si c’est le traitement que je devais éprouver, la récompense que je
devais attendre de mes services.
M. A. Rodenbach.
- Le discours de M le ministre de la guerre renferme quelques phrases
d’indignation. Cependant je ne pense pas qu’il soit sorti de la bouche des
membres de cette chambre des paroles virulentes ou âcres.
Tout ce qu’on a dit était très parlementaire. On ne
doit pas perdre de vue que nous avons des devoirs à remplir. Je sais que la
position d’un ministre est quelquefois pénible. Mais nous qui sommes
mandataires du peuple, nous devons remplir la mission qui nous est confiée, et
ce ne sera pas plus le ministre de la guerre qu’un autre ministre qui nous
empêchera de nous acquitter de notre devoir, quand il s’agira de surveiller
l’emploi des deniers de l’Etat.
M. le ministre vient de vous dire qu’il avait
économise vingt-six millions sur les crédits qui lui ont été alloues. Mais en
cela il n’a fait que son devoir.
D’ailleurs, s’il a pu
économiser 26 millions sur les crédits qui lui ont été alloués, c’est une
preuve qu’on a eu assez de confiance en lui pour lui accorder 26 millions de
plus que ce qui était nécessaire ; je ne nie pas que son talent
d’administrateur ne soit pour beaucoup dans cette économie. Mais parce qu’on a
le talent en administration, parce qu’on possède cet art si difficile de conduire
un département de la guerre, ce n’est pas une raison pour refuser d’entendre la
vérité lorsqu’on a été induit en erreur. Quand on accepte un portefeuille de
ministre, il faut savoir entendre la vérité. Pour mon compte, je la dirai
toujours.
M. le ministre vient de vous lire un certificat ;
eh bien, qu’est-ce que prouve ce certificat ? que les
entrepreneurs auraient tâché de gagner plus de 25 mille fr. par an,
indépendamment de la possession des lits qu’ils conservent au bout des 20 ans.
Si l’on avait accepté les six cents mauvais lits qui ont été refusés, ils
auraient augmenté leur bénéfice.
Dans ce nouveau discours, M. le ministre ne combat
plus nos chiffres, il ne combat pas plus les miens que ceux de l’honorable M.
Gendebien.
Tout en rendant justice au talent de M. le
ministre, et en lui témoignant ma reconnaissance pour ce qu’il a fait de bien,
je soutiens toujours et je suis convaincu qu’il a commis une erreur. Cette
erreur est involontaire, mais elle existe et elle coûtera plus d’un million à l’Etat.
M. Dubus. - Les
explications que M. le ministre de la guerre vient de donner me déterminent à
prendre la parole pour lui en demander de nouvelles ; car celles qu’il a
données me semblent avoir besoin d’être complétées. Le ministre, dans les
calculs qu’il a présentés à la chambre, dans la séance de samedi, portait à 133
fr., je crois, le prix de la fourniture du lit, tandis que, d’après le tarif
inséré dans le cahier des charges, le prix de cette fourniture est beaucoup moindre.
M. le ministre a répondu,
et la chose est vraie, que ce tarif présentait le prix moyen à payer par les
soldats pour les objets qu’ils perdraient ou dégraderaient ; qu’on y avait tenu
compte du taux moyen de la diminution de valeur des objets résultant de l’usage
que le solde en avait déjà fait. Mais je ne sais comment l’appliquer à tous les
articles de ce tarif. Par exemple, le ministre vous a dit que la couchette en
fer à une place coûterait 30 fr. On lui a fait observer que des offres lui
avaient été faites de les fournir à 24 fr. 75, et que vraisemblablement on les
aurait obtenues à 24 fr. Je trouve, dans le tarif moyen des prix à payer par
les soldats, en additionnant les diverses pièces du lit, la somme de 33 fr. 50
c. pour une couchette que, selon toute apparence, les entrepreneurs obtiendront
à 24 fr. Il me paraît qu’on a fait la condition de l’entrepreneur très bonne et
celle du soldat très mauvaise, et que l’entrepreneur va s’enrichir aux dépens
du soldat.
Je crois que M. le ministre doit donner des
explications sur ce point, pour compléter celles qu’il a déjà présentées.
Je ferai une autre observation sur les explications
du ministre. Il nous a détaillé les motifs pour lesquels, selon lui, il y avait
nécessité, coûte que coûte, de se déterminer pour la base qu’il a choisie, afin
d’éviter à l’Etat l’inconvénient de fournir lui-même les couchettes en fer.
Mais, de tous les motifs qu’il a exposés, il me semble qu’il n’y a pas un seul
qui n’existât avant l’adjudication. Je demande alors pourquoi il a ouvert
l’adjudication sur deux bases ; si l’une de ces deux bases était préférable, il
fallait n’ouvrir l’adjudication que sur celles-ci ; tandis qu’en ouvrant
l’adjudication sur l’une ou l’autre base on indiquait par là qu’on se
déterminerait pour la base sur laquelle seraient faites les offres les plus
avantageuses. Lors de l’ouverture de l’adjudication, le ministre ne voyait donc
entre les deux bases qu’une question d’argent. Les chiffres qui ont été posés
nous montrent comment cette question devait être résolue.
M.
le ministre de la guerre (M. Evain). - L’observation très juste que
vient de faire de faire l’honorable préopinant ne m’avait pas échappé. En
estimant tous les effets à 37 fr., j’ai dit que c’était le prix moyen des
objets, en tenant compte de leur détérioration, par suite de l’usage qu’on en
avait fait. Pour ce qui concerne les couchettes en fer, on trouve une anomalie,
on prend pour base le prix de confection, car les prix des diverses pièces qui
composent cette couchette font, comme l’a dit l’honorable préopinant, un total
de 33 fr 50 c. Ainsi, d’après le tarif, le prix à payer par les soldats pour
rupture on détérioration de la couchette serait de 3 fr. 50 c. plus élevé que
le prix de confection. On demandera peut-être pourquoi le tarif pour la
couchette est plus élevé que le prix de revient, tandis que pour les objets il
est moindre.
D’abord, c’est que les autres objets s’usent,
tandis que le lit conserve sa valeur, et ensuite que, si une pièce de la couchette
vient à s’égarer, l’entrepreneur, pour la remplacer, ne peut pas obtenir de
pièces détachées au même prix que quand il les a prises en masse sur le lieu de
confection. Nous avons calculé le prix de ces pièces à raison de 75 c. par kil
de fer confectionnée et mis en place.
Quant à la seconde observation de l’honorable
membre, j’ai dit que mon intention était de tâcher de décider les régences à se
charger du couchage de leur garnison ; et je m’étais réservé la faculté d’opter
entre les deux bases, parce que j’espérais que les régences se chargeraient du
couchage, si le gouvernement fournissait les couchettes. Je me proposais aussi
de faire doubler les lits, afin d’arriver à un mode uniforme.
Lors de la première adjudication, il ne se trouva
pas de soumissions faites par les différentes places ; nous modifiâmes le
cahier des charges, mais en laissant subsister les deux alternatives. Je ne vis
pas d’inconvénient à laisser les deux modes, c’était un moyen de me fixer sur
l’augmentation de prix demanderaient les entrepreneurs pour fournir la
couchette. C’est là l’unique motif qui a fait laisser subsister la clause qui
avait été insérée dans la prévision que les villes pourraient prendre ce
service.
M. Gendebien. -
On avait demandé la clôture quoique beaucoup d’orateurs eussent réclamé la
parole pour répondre aux ministres, et cependant on a permis à un ministre
aujourd’hui de rouvrir la discussion générale. Retenu chez nous et ensuite dans
les bureaux de la chambre, je regrette de n’avoir pas pu me trouver au
commencement de la séance. Je n’ai entendu que la fin du discours de M. le
ministre de la guerre, et au ton d’aigreur avec lequel il l’a terminé, j’ai
lieu de penser qu’il renferma beaucoup d’animosité et des choses désobligeantes
contre les orateurs qui l’ont combattu. Quoi qu’il en soit, et quelles que
soient les propositions avancées, je suis convaincu que le ministre aussi bien
que le rapporteur de la section centrale n’a pas répondu, et je leur porte de
nouveau le défi de répondre à ce que j’ai dit hier.
Je vais répondre ma proposition pour la quatrième
fois, et je demande pour la dernière fois qu’on me réponde, si on le peut. Je
dis que le gouvernement paie 57,000 fr. annuellement et qu’il paiera cette
somme pendant 20 ans. Personne ne contestera ce premier point. Voici le second
: J’ai dit et d’autres avaient prouvé avant moi que si le gouvernement avait
acheté les couchettes, l’intérêt qu’il eût dû payer pour le capital employé à
cette acquisition, n’eût été que de 22,000 fr. par an. Je pense que je pourrais
prouver qu’il n’eût été que de 20 mille francs par an.
Le rapporteur a reconnu que toute la question était
dans la différence entre ces deux chiffres. J’ai dit que par le marché passé,
l’Etat payait 35,400 fr. plus que s’il avait fait l’acquisition des couchettes.
J’ai défié et je persiste à défier qu’on m’indique une cause quelconque du
paiement de cette différence de 35 mille 400 francs par an. Ce n’est pas par de
longs calculs préparés à l’avance et jetés au milieu d’une assemblée, qu’on
doit répondre à une question aussi simple. Je demande, qu’on y répondre d’une
manière catégorique.
Nous allons payer pendant 20 ans 35,400 fr. de plus
que si nous avions acheté les lits, et au bout de 20 ans nous n’aurons rien ;
les lits appartiendront aux entrepreneurs, tandis que si l’Etat en avait fait
l’acquisition, nous n’aurions payé que mille fr. pour l’intérêt du capital
engagé, et au bout de 20 ans l’Etat serait propriétaire des 20,700 lits. C’est
à cela qu’il faut répondre.
M. le ministre de la guerre
(M. Evain). - J’ai répondu !
M. Gendebien. -
Je soutiens que le trésor a été lésé. Le ministre redit et le rapporteur répète
que si le gouvernement n’avait eu que l’intérêt du capital à payer, il eût été
plus avantageux de faire l’acquisition des lits, mais qu’il y avait des frais
d’administration, des frais d’entretien, de réparation et une foule de faux
frais.
M. le ministre de la guerre
(M. Evain). - Je ne l’ai pas dit.
M.
Gendebien. - Mais vous l’avez répété dix fois dans des discours, et qui
sont imprimés ; or, d’après l’article 4 du cahier des charges, tout cela est à la
charge de l’entrepreneur, et de plus, à la fin de l’entreprise, l’entrepreneur
devait rendre des couchettes en bon état.
Il est évident que ces couchettes, qui se composent
de barres de fer réunies par des écrous, dans 20 ans, seront encore des barres
de fer réunies par des écrous. Dans un siècle le fer sera toujours de la même
qualité. Il pourrait y manquer tout au plus quelques écrous ; mais
l’entrepreneur doit les remplacer, puisque le cahier des charges lui impose de
le rendre en bon état. Vous auriez donc, au bout de 20 ans, des lits en aussi
bon état qu’au commencement du service. D’après le système qu’on a adopté, vous
n’aurez rien et cependant vous paierez en plus 35,400 fr. par an.
Qu’a répondu le ministre ? Il a dit que l’intérêt
du capital engagé n’était pas 20,000, mais 30,000 fr. J’ai accepté son chiffre.
J’ai dit, et j’adopte pour un moment votre chiffre,
eh bien, il y a encore une différence de 27,400 francs que vous allez payer en
plus pendant 20 ans, aux entrepreneurs pour n’avoir rien au bout des 20 ans,
tandis que vous seriez propriétaires de 20,700 lits en bon état, si vous ne
payiez pas ces 27,400 fr. en pure perte pendant 20 ans.
On peut m’attribuer telle intention qu’on voudra.
Je remplis ici mon devoir de représentant en conscience et gratuitement ; j’ai
bien le droit de demander aux employés salariés de l’Etat compte de leur
gestion. Et puisqu’on fait un appel à nos sentiments, je dirai qu’on devrait se
montrer plus ménagé envers des députés qui représentent la nation et qui font pour
elle la guerre à leurs dépens.
M. F. de Mérode.
- On dirait que nous jouons au propos interrompu. On répond à des discours
qu’on n’a pas entendus. On ne peut pas marcher comme cela. Il me semble que le
ministre de la guerre a présenté une somme de considérations qu’on ne peut pas
résumer comme un calcul qu’on fait avec des 1, des 2 et des 3, ce sont des
considérations d’administration.
M. Gendebien n’était pas présent quand M. le
ministre de la guerre les présentées, nous ne pouvons pas pour cela recommencer
toute la discussion.
J’ai encore une observation
à faire à M. A. Rodenbach. Il examine la question d’une manière mathématique ;
il trouve qu’on paie par an 27 mille fr. de plus, il calcule ensuite ce que
cela fait au bout de 20 ans. Il pourrait également calculer ce que cela ferait
au bout de 100 ans et s’il fait le calcul des intérêts composés, il trouvera
des milliards. C’est une singulière manière de raisonner quand il s’agit d’une
administration comme l’administration de la guerre. Il faudrait encore prouver
que le milliard auquel se montent tous les calculs sera perdu par l’Etat. Cette
manière de raisonner me paraît inadmissible.
Toutes les fois qu’on fait des marchés, c’est
toujours la même chose, on les trouve toujours très onéreux pour l’Etat et trop
avantageux pour les entrepreneurs.
Lors du marché Hambrouck,
que n’a-t-on pas dit ? Ce marché n’était pas plus désavantageux que tous les
autres.
Il faut que les entrepreneurs qui se chargent d’une
fourniture y trouvent un bénéfice, sans cela, ils ne la feraient pas, car ils
courent des dangers de perte. Si le marché Hambrouck
a été avantageux à l’entrepreneur, c’est que les chances lui ont été
favorables.
Mais moi je me réjouis de ce marché parce que les
soldats seront mieux couchés. Un marché défavorable aux entrepreneurs serait
défavorable aux soldats ; car l’entrepreneur tâcherait de se rattraper aux
dépens du militaire. Si le marché des lits en fer est si avantageux, il y a un
moyen de le rendre moins profitable, c’est d’être rigoureux dans son exécution
: que M. le ministre de la guerre tienne donc la main à l’exécution de clauses
du marché, le soldat en sera mieux couché, et les entrepreneurs n’auront pas un
million de bénéfice.
M.
Verdussen. - Je regrette beaucoup que M. Gendebien n’ait pas été
présent au moment où M. le ministre de la guerre a donné ses explications.
Quant à moi je n’ai trouvé dans ce qu’il a dit aucune
considération nouvelle. Il a commencé par nous assurer que s’il a fait acheter
les lits par le gouvernement, c’est qu’il doutait s’il obtiendrait l’allocation
de 600,000 fr. pour leur acquisition. Cependant il a dit d’un autre côté qu’il
avait un million en réserve… Voilà une considération qui annule la première.
Toutes les autres considérations qu’il a fait
valoir consistent dans divers embarras : embarras dans la surveillance,
embarras pour l’entretien… et de là il en a conclu qu’il valait mieux se
débarrasser de la fourniture en donnant 27,000 fr. par année à des entrepreneurs.
Je crois que M. le ministre de la guerre devrait
relire la partie de son discours où il développe les six considérations en
réponse à M. Gendebien, cet honorable membre étant présent maintenant.
Quant à moi, je ne rentrerai pas dans la discussion
; je laisse à la chambre et au public à prononcer entre les calculs que je vous
ai soumis et les explications données par M. le ministre.
M. Dumortier. -
Malgré tout ce qu’a dit M. le ministre de la guerre, il n’est pas douteux que
le marché qu’il a passé soit très désavantageux pour l’Etat. J’ai remarqué que,
depuis deux séances, il n’a pas pris la peine d’aborder aucun des arguments que
j’ai fait valoir. Je conçois qu’il est difficile de les réfuter ; mais puisque
le ministre paraît les avoir oubliés, je vous demanderai la permission de les
répéter brièvement.
On a voulu que le soldat fût bien couché, a dit M.
de Mérode ; et le ministre nous a invités à aller dans une des salles adjacentes
pour y voir un lit français et un lit belge : nous avons vu qu’en effet on a
mis dans la salle qui suit celle de nos conférences, un lit belge absolument
neuf et un lit français usé, tombant en pièces, et dont les couvertures sont
des objets de rebut, ainsi que d’autres parties ; on a fait de grosses reprises
à la conversion pour l’empêcher de tomber en lambeaux. Mais pour établir une
comparaison exacte, il fallait mettre sous les yeux de la chambre un lit
français neuf près d’un lit belge neuf. C’est par de tels moyens que dans toute
cette discussion on a cherché à détourner l’attention de l’assemblée du
véritable point en litige.
Un fait qu’il ne faut pas perdre de vue, c’est que
l’adjudication de la fourniture du couchage a été faite en France par le
ministre actuel ; or, le lit français est beaucoup plus solide que le lit
belge, et il n’a coûté que 19 fr. et quelques centimes. Et d’après l’assurance
qui m’a été donnée par plusieurs maîtres de forge, un lit tout à fait semblable
aurait pu être fourni en Belgique à moins de 15 fr.
Ainsi, en supposant qu’on eût adopté le modèle du
lit français, au moyen d’une mise de 300,000 fr. une fois faite on aurait évité
de passer un marché aussi onéreux que celui qui est l’objet de nos débats, et
nous aurions eu le couchage au même prix que
Pourquoi, en effet, n’aurait-on pas en Belgique pu
obtenir une adjudication aussi avantageuse que celle qui a été faite en France
? Il est incontestable que toutes les matières premières sont moins élevées en
Belgique que dans ce pays voisin : le fer, la toile, la laine, sont bien à
meilleur marché chez nous ; et malgré des droits de 20 à 30 p. c., nous
exportons encore ces matières en France. Comment se fait-il donc que nous
payions, au contraire, le lit entier environ un tiers plus cher qu’en France ?
Mais, nous fera observer M. le ministre comte de
Mérode, le couchage de nos soldats est plus beau que celui des soldats de
France. J’en conviens, ce couchage est meilleur et plus beau ; mais qu’est-ce
que cela prouve ? Une seule chose, savoir que les entrepreneurs belges ont très
bien compris leurs intérêts.
On sait en effet qu’en France les objets de
couchage sont calculés devoir durer 7 ans. L’entreprise en Belgique s’est dit :
Si nous fournissons de bons objets, au lieu de les renouveler tous les 7 ans,
c’est-à-dire, la septième et la quatorzième année, nous n’aurons à les
renouveler que tous les dix ans, ou la dixième année de la durée de
l’adjudication ; c’est-à-dire qu’au lieu de renouveler deux fois les objets qui
composent un lit, nous ne les renouvellerons qu’une fois pendant la durée de
l’entreprise. Ainsi, en fournissant de bons objets, la société française qui
exploite
Ceci posé, je comparerai successivement le marché
passé dernièrement en Belgique avec la fourniture sous le roi Guillaume, celle
de France et celle passée l’an dernier avec les villes de Flandre. Le marché
passé par le roi Guillaume en vertu du décret du 26 juin 1814 allouait par lit
16 fr. 80 c. On donne aujourd’hui 20 fr. 50 ; ainsi nous payons par soldat 3
fr. 61 c. de plus que du temps du royaume des Pays-Bas. Et remarquez que dans
le marché que nous attaquons on paie l’occupation et la non-occupation des
lits, tandis que le roi Guillaume ne payait pas la non-occupation ; et de là
résultant une diminution d’un tiers dans la dépense. En faisant le calcul de la
différence que je viens de citer, par le nombre de 20,000 lits formant
l’entreprise, on trouvera que nous aurions pu avoir une économie de 72,200 fr.
par an, et de 1,400,000 fr. pour 20 ans.
Voyons maintenant le marché passé avec les villes
de Flandre. Par sa circulaire du 2 juin
De fr. 18 25 à fr. 20 50, la différence est 2 fr.
25 cent, pour chaque lit ; par année l’économie serait de 45,000 fr., et pour
20 ans, elle serait de 900,000 francs.
Mais dans une garnison on ordonne toujours de tenir
un nombre de lit supérieur d’un tiers à celui des hommes qui la formeront, afin
de faire face aux éventualités du service. Cette non-occupation n’étant pas
payée, produirait encore une très grande économie.
Déjà je l’ai dit dans une précédente séance, quand
on paie aux villes 18 fr. par lit, c’est réellement comme si on ne leur payait
que 12 fr., toutes choses égales avec la société française, puisqu’elles ne
reçoivent rien pour ceux qui ne sont pas occupés. Les villes reçoivent par
conséquent 8 fr. de moins par lit que ne reçoit l’entreprise française.
Ainsi la différence en faveur de celle-ci est de
170,000 francs par an, et si tous les lits étaient payés comme aux villes, en
20 ans il y aurait une économie de près de trois millions et demi sur le marché
onéreux objet des débats.
Répondez donc à ce dilemme ? ou
bien vous avez été juste envers les villes avec lesquelles vous avez traité, et
alors il est incontestable que vous avez spolié le trésor par le marché passé
avec la société française, ou bien le marche passé avec la société française
est juste et vous avez spolié les villes : il est impossible que vous sortiez
de ce dilemme.
Maintenant, je comparerai le marché passé pour
Je pense que tous les arguments possibles ne
peuvent pas répondre à ces calculs.
Mais pour comprendre les véritables résultats du
marché passé pour
Je prends le cahier d’adjudication du marché
français, d’une part, et le cahier du marché belge, de l’autre, et je les
compare. Le pris de remboursement exigé du soldat pour chaque pièce détruite
dans le lit n’a pas été pris en considération puisqu’on lui fait payer plus que
chaque pièce n’a coûté.
(Note du
webmaster : suit un tableau comparatif du prix français et du prix belge des
différentes pièces de literie.)
Ces chiffres sont extraits de deux cahiers
d’adjudication.
Combien donne-t-on en France pour cette fourniture
? On donne 15 fr. 24.
Combien donne-t-on en Belgique pour cette
fourniture dans laquelle la couchette n’est pas comprise ? On donne 18 fr. 50
c.
Ainsi en France on a accordé quatorze pour cent de
la valeur moyenne ; tandis qu’en Belgique le ministre a accordé 24 pour cent de
cette même valeur moyenne.
Je voudrais qu’on répondît à des calculs
semblables.
M. le ministre de la guerre
(M. Evain). - J’y répondrai.
M. Dumortier. -
Je ne comprends pas comment on peut donner 24 pour cent quand il est possible
de ne donner que 14 pour cent.
Mais ce n’est pas là le seul bénéfice que l’on ait
donné à faire à la société française qui a eu le marché belge. Je suis parvenu
à me procurer le contrat constitutif de cette société ; approuvé par arrêté
royal du 30 juillet 1835, je le tiens en main et je vais vous donner lecture de
diverses parties de cette pièce.
Le préambule est ainsi conçu :
Par devant, etc., ont comparu M. Félix Legrand,
négociant à Bruxelles, M. Charles de Brouckere directeur de la monnaie à
Bruxelles, M. A-J. Beaunier, directeur de la monnaie
à Lille, y demeurant, chevalier de la légion d’honneur étant présentement audit
Bruxelles, M. Louis Josephe Desfontaines ancien
notaire, maintenant propriétaire membre du conseil général du département du
Nord, chevalier de la légion d’honneur demeurant à Lille étant aussi présent à
Bruxelles ;
Les deux derniers agissant tant en leurs noms
personnels qu’en celui et comme se portant fort de M. Ernest Lemesre, propriétaire, ancien député du département du Nord
demeurant à Lille ;
Suit l’énumération des autres comparants. L’article
6 de cette pièce nous apprend la répartition de mille actions de 3,000 francs,
formant le fonds social entre les intéressés savoir :
MM. Félix Legrand, actions, 120
Ch. de Brouckere, 80
Beaunier, à Lille, 200
Desfontaines, à Lille, 200
Lemesre, à Lille, 200
Verrue-Lafrancq, 40
Begasse, ensemble, 40
Dehasse-Combrain, 40
Van Dooren, 40
Van Hoorebeke, 40
Total, 1000 actions.
On ne dira pas, j’espère, que ce n’est pas une
société française, puisque les gros actionnaires sont des français influents
qui viennent ainsi exploiter notre pays. Or, voulez-vous savoir comment on
exploite un pays ? L’article 4 s’est chargé de vous l’apprendre.
« Le fonds de la société, dit cet article,
sera représenté par trois millions de francs, pour lesquels les comparants
comme fondateurs de ladite société s’engagent à fournir à celle-ci, qui
s’oblige de son côté à prendre lesdits 20,600 lits avec couchettes en fer,
etc. »
Ainsi, vous voyez qu’en vertu de cette société, ce
sont les sociétaires eux-mêmes qui se livrent les objets à fournir, parce
qu’ils veulent se réserver le premier bénéfice entier de l’opération. Si vous
calculez, en effet, les 20 mille lits au taux de 103 fr., prix évalué par le
ministre dans la séance de vendredi dernier, vous arrivez au chiffre de 2
millions six cent mille fr. ; et comme elle est autorisée à émettre pour trois
millions d’actions, elle commence par faire un bénéfice net de quatre cent
mille fr, si l’on suppose qu’elle ne rende ces actions qu’au pair.
Et si j’admets que la fourniture ne coûte que le
prix moyen de 77 fr. 50 c. et le lit 25 fr., d’après les chiffres ci-dessus,
elle gagnera 900,000 fr. pour s’être donné la peine de diriger l’opération.
C’est ainsi que l’on procède dans notre
gouvernement. Je veux bien croire que les calculs erronés du ministère ont été
établis d’une manière innocente, bien innocente ; toujours est-il que cette
société n’est qu’une affaire d’agiotage. Il est malheureux que nos ministres ne
savent pas mieux calculés quand ils autorisent des sociétés anonymes, car
toutes les opérations de ce genre que nous avons vues s’accomplir dans le
courant de l’année 1835, ne sont que des agiotages dont le pays ressentira un
jour les funestes effets, et je les flétris de toutes mes forces.
Ainsi on a consenti bénévolement et sciemment à
laisser à une société qui se compose en grande partie d’étrangers, d’énormes
bénéfices aux dépens de notre trésor. Je ne pense pas que vous consentiez, par
un vote approbatif, à vous rendre les agents du gouvernement ; car ce serait
vous rendre ses agents que de garantir les opérations du ministre.
Si nous avions fait comme en France, nous aurions
100,000 fr. d’économies par an, ou deux millions d’économie pour vingt ans.
Cependant nous recherchons les économies avec
ardeur : nous sommes quelquefois injustes envers des employés, quand nous
demandons des économies ; moi-même, j’ai commis cette injustice, en réclamant
des réductions sur leurs traitements : irons-nous donc accorder de gros
bénéfices à des étrangers quand nous agissons avec parcimonie envers ceux qui
nous rendent des services ?
Je n’attaque personne, pas plus le ministre de la
guerre que tout autre ; je rends témoignage de ses bonnes intentions ; mais
nous devons nous opposer à ses marchés ruineux pour le trésor.
Le ministre à prétendu que nous ne pourrions pas
avoir séparément les objets qui entre dans l’entreprise, au même prix où elles
sont portées, étant réunies ; c’est là une erreur ; car il est évident que les
diverses pièces d’un lit ne coûtent pas plus que le lit lui-même et que les
entrepreneurs auront en magasin ces diverses pièces.
Dans une note lue tout à l’heure par M. le ministre
de la guerre, on vous a dit qu’à Bruxelles il a été admis 600 lits, qu’il en a
été rejeté 600, et que, pour 800, il fallait de nouvelles pièces. Remarquez, je
vous prie, cette déclaration ; car elle est vraiment curieuse ; elle prouve
comme les entrepreneurs sont disposés à fournir de bonne marchandise à l’Etat
et à
Au reste l’intérêt des entrepreneurs est évidemment
de fournir les lits les plus mauvais possible, puisque toutes les réparations
se font au compte du soldat. A la fin de l’entreprise, ils auront ainsi
d’excellents lits, qu’ils n’auront pas payés, mais que le soldat aura payés,
Voilà le résultat d’une pareille entreprise !
Mais quelles mesures avez-vous prises pour vous
assurer que les 600 lits, rejetés à Bruxelles, ne seront pas reçus à Tournay, à
Anvers ou dans ou dans toute autre localité ; car j’ai de fortes raisons de
croire que les entrepreneurs ne se considèrent pas comme battus, parce que
leurs lits ont été rejetés à Bruxelles, qu’ils comptent les représenter dans
d’autres villes, où ils espèrent bien que, moins sévère qu’on n’a été à
Bruxelles, on les admettra.
Il est donc bien clair que, sur 2,000 lits, on n’a
pu recevoir que 600.
M. le ministre de la guerre
(M. Evain). - On en a reçu 4,000.
M. Dumortier. -
Je n’ai fait que citer vos chiffres :
Lits reçus, 6000
Lits rejetés, 600
Lits auxquels il y a des pièces à remettre, 800
Total, 2,000
M. le ministre de la guerre
(M. Evain). - On n’a pas parlé de 2,000 lits qui étaient bons.
M. Dumortier. -
Qu’étaient-ce donc que ces 600 lits que vous avez reçus ? Ils n’étaient donc
pas bons ceux-là ! ils étaient donc mauvais.
Au reste, qu’il s’agisse de 4,000 ou de 2,000 lits,
c’est toujours la même chose. Il est toujours vrai que vous avez 800 lits
auxquels il y a des pièces à remettre, et que vous avez été obligé de rejeter
600 lits. Et quelles mesures avez-vous prises pour que ces 600 lits ne soient
pas représentés dans d’autres villes ? Il est certain, comme je l’ai dit, que
les entrepreneurs ont intérêt à fournir les lits les plus mauvais possible,
puisque les réparations étant à la charge du soldat, ils se trouveront avoir, à
la fin de leur entreprise, d’excellents lits payés par le soldat, et ils feront
alors payer à
Mais, dit l’honorable M. F. de Mérode, le pays
profitera des millions payés par l’Etat. Je crois qu’il est très facile de
prouver qu’il y a préjudice non seulement pour l’Etat, mais encore pour
Messieurs, le gouvernement devrait-il donc jamais
tolérer un pareil scandale, lequel est sans exemple en France, en Angleterre et
dans tout pays qui se respecte ! Ce n’est qu’en Belgique qu’on voit ce scandale
: les étrangers chargés de faire les fournitures de l’armée nationale ! Oui,
mes sentiments patriotiques sont profondément blessés d’un pareil oubli des
lois, des convenances et de l’honneur. Honte à un gouvernement qui abandonne
ainsi son armée à l’exploitation de l’étranger ! Un pareil gouvernement a beau
s’intituler de national, il n’a de national que le nom.
Le gouvernement n’aurait-il pas dû plutôt traiter
avec les régences des villes ! Un grand nombre de régences le désiraient. Pour
mon compte, je sais que le conseil de régence de Tournay aurait désiré
entreprendre au taux de 18 fr., si on lui avait assuré la moitié du prix de
l’occupation. Si ce conseil de régence a refusé l’entreprise au taux auquel
elle lui était offerte c’est qu’elle n’avait rien en cas de non-occupation. Les
villes de Gand, Bruges et Malines ont été moins difficiles, et ont consenti à
ne rien recevoir en cas de non-occupation. Soyez donc sûrs que toute la
fourniture eût été faite par toutes les régences des villes si vous leur aviez
fait des conditions aussi avantageuses qu’à la compagnie française.
Ainsi, il est incontestable que de quelque côté
qu’on envisage le marché, il est ruineux pour le trésor public. Nous ne pouvons
juger que par comparaison. Mais que nous comparions ce marché à ce qui passé
sous le roi Guillaume ou à ce qui s’est passé en France, ou ce qui s’est passé
avec les villes, il faut avouer que nulle part et jamais on n’a rien vu de
pareil. Le marché grève le trésor public de cent mille francs par an ; ce qui
fait deux millions pour les 20 ans que doit durer le marché. Pour mon compte je
ne saurais y donner mon assentiment, quelles que soient les paroles de M. le
ministre de la guerre, parce que pour moi le trésor passe avant tout, parce que
je ne veux pas que le trésor public soit grevé par suite d’un marché aussi
onéreux.
Mais le gouvernement avait-il le droit de passer un
marché pour 20 années ? Avait-il le droit de stipuler le cas de non-occupation
? Incontestablement non. Comment ! le gouvernement,
qui ne peut dépenser un franc sans l’autorisation des chambres, pourrait
stipuler en faveur d’une compagnie que les lits occupés ou non lui seront payés
pendant 20 années ! Car si on réduit l’armée, évidemment tous les lits ne
seront pas occupés ; et néanmoins il faudra payer comme s’ils l’étaient. Indépendamment
des lits de la compagnie, il y a ceux des villes. Il y a ainsi en tout 40 mille
lits. Eh bien, si, dans le cours de vingt ans la paix avait lieu, et que si
l’on juge à propos de réduire l’armée à 20 ou 25 mille hommes, il y aura donc
15 ou 20 mille lits inoccupés et néanmoins il faudra payer pour ces 15 ou 20
mille lits. Voilà cependant le marché que l’on préconise et que l’on prétend
être avantageux à l’Etat.
Quant à moi, je ne reconnais pas au gouvernement le
pouvoir de faire ce contrat. La chambre n’avait pas ce pouvoir le gouvernement
ne l’a pas. La constitution est formelle et positive ; le contingent de l’armée
doit être voté chaque année ; d’autre part, le budget doit être voté chaque
année ; le gouvernement ne peut donc effectuer pour 20 ans une dépense qui se
rapporte au contingent de l’armée.
Remarquez que, si vous
admettez que le gouvernement a le droit de passer un marché de 20 années pour
la construction des lits militaires, on adjugera pour 20 années le pain, les
fourrages, en un mot, toutes les fournitures de l’armée.
Il est incontestable que, sous quelque rapport que
vous envisagiez le marché, il lèse le trésor public.
Quant à moi, je ne puis, sous aucun prétexte, y
donner mon assentiment.
Remarquez que, si vous admettez que le gouvernement
a le droit de passer un marche de 20 années pour la construction des lits
militaires, on adjugera pour 20 années le pain, les fourrages, et, un mot,
toutes les fournitures de l’armée.
Il est incontestable que, sous quelque rapport que
vous envisagiez le marché, il lèse le trésor public.
Quant à moi, je ne puis, sous aucun prétexte, y
donner mon assentiment.
(Moniteur
belge n°20, du 20 janvier 1836) M. le ministre de la
guerre (M. Evain). - L’honorable préopinant traite beaucoup de points
lesquels je n’ai pas pu le suivre. Mais il en est quelques-uns, et notamment
les principaux, sur lesquels je puis donner des explications.
Il a d’abord dit que je n’ai accordé aux villes que
18 fr. 25 c. par lit ; Il a commis en cela une grave erreur. Je l’ai déjà dit,
les 5 centimes sont accordés par homme et par jour, et comme les villes mettent
2 hommes dans un lit, il en résulte que l’on paie aux villes 36 fr. 50 c. par
lit. D’après le marché avec la compagnie Félix Legrand, qui doit aussi fournir
1,000 lits à deux places, l’on ne paie pour le lit à deux places que 29 fr. 50 c., c’est-à-dire 7 fr. de moins qu’aux villes, au lieu de le
payer davantage.
Maintenant je suppose les lits occupés pendant les trois
quarts seulement de l’année, il en résulte que les 9 mois d’occupation
donnaient aux villes fr. 27 40
Les 3 mois de non-occupation à 2 centimes
produisaient fr. 2 27
Total. fr. 29 67
Il est accordé à la compagnie Félix Legrand fr. 29
50
C’est-à-dire de moins qu’aux villes, en supposant 3
mois de non-occupation, 17 c.
J’ai déjà eu l’honneur de dire à la chambre que
l’indemnité payée aux villes l’était non par lit, mais par tête d’homme ; que
la somme à laquelle elles avaient droit était de 4 centimes 63 centièmes, et
que, pour les engager à bien coucher les hommes, je portai cette indemnité à 5
centimes en l’augmentant de 37 centièmes de centimes, ce qui fait 1 franc et 35
centimes au bout de l’année. Mais il est constant que l’indemnité était de 18
francs 25 centimes par tête d’homme, et que, comme l’on mettait 2 hommes dans
un lit, cela faisait 36 francs 50 centimes par lit. Je pourrais à ce sujet
invoquer le témoignage d’honorables bourgmestres qui sont membres de cette
chambre.
Maintenant je passe aux lits en fer fournis à
Bruxelles. Le nombre des lits en fer fournis à Bruxelles, et à Vilvorde et
Laeken, qui dépendent de cette garnison, est de 4,000. L’entrepreneur a eu
beaucoup de peine à fournir ce nombre ; il en avait présenté 3,000. Sur les
1,000 qui ont été adjugé, il y en a 600 qui l’ont été provisoirement, et qui
devront être repris pour être réparés par l’entreprise. Comme la compagnie ne
pouvait pas fournir le tout, la commission a autorisé l’admission provisoire de
ces 600 lits pour compléter le nombre de 4,000. Il y a en outre 7 ou 8 cents
lits auxquels il faudra faire de nouvelles réparations et substituer des pièces
qui se sont trouvées brisées dans le transport ; mais l’entreprise, qui s’est
aperçu de leur défectuosité, ne les a pas même présentés à la commission
d’expertise.
Maintenant on dit : « Les fournitures sont
donc bien mauvaises que l’on en rejette un si grand nombre ; » non pas.
Mais c’est que la commission agit avec toute la sévérité convenable ; elle a
passé 2 mois entiers à procéder à la réception des lits, qui avaient été
provisoirement reçus par un officier d’artillerie et le contrôleur d’armes à
Liège. Il y a ensuite une nouvelle commission composée de l’intendant
militaire, du commandant de la place ou d’un officier d’état-major, d’un chef
de corps et de deux capitaines, qui procède à la réception de chaque lit de fer
: non seulement elle examine les lits montés, mais elle les fait démonter, elle
visite les écrous, et dresse procès-verbal de la réception ; 6 semaines ont été
consacrées à cette réception. Vous pensez bien qu’avec ces précautions on ne
peut recevoir que des lits bien confectionnés.
Quant aux marchés que j’ai faits, je dois dire
qu’il m’est prouvé mathématiquement que le marché belge est beaucoup plus
avantageux à l’Etat que le marché français. Je préférerais avoir à fournir en
France à 15 francs 24 centimes le lit sans couchette en fer que, fournir ici à
20 fr. 50 centimes le lit exigé avec couchette en ter.
En effet le prix de location est de 20 fr. 50
D’où à déduire pour l’intérêt à 6 p. c. de la
valeur de la couchette et de la moins-value à l’expiration du traité, 2 fr. 50
c.
Reste, 18 fr.
Qu’il faut alors comparer au prix du marché
français qui est de 15 fr. 24 c.
Différence, 2 fr. 76 c.
Mais dans les calculs que je vous ai présentés, les
deux cahiers des charges à la main, j’ai fait remarquer qu’en Belgique on
fournissait deux couvertures, tandis qu’en France on n’en fournit qu’une ; et
c’est la moitié d’une couverture hors de service qui sert de couvre-pied. En
France les draps sont en toile écrue, ici en toile blanche.
Il en résulte que la différence des prix est de 5
fr. 48 c., ainsi que je l’ai établi dans le rapport
très détaillé que je vous ai présenté. Il y a donc un immense avantage dans le
marché belge.
Une autre chose très importante, a laquelle sans
doute vous n’avez pas fait attention, parce que l’attention se fatigue quand on
entend la lecture d’une note écrite, c’est que j’avais dit que l’ancienne
compagnie qui faisait le service des lits militaires avait évalué son matériel
à 13 millions ; elle voulait nous faire la loi, et conserver son service.
Je lui fis espérer l’entreprise, si ses prix
étaient convenables, et je la fis consentir à concourir à l’adjudication. Mais
j’insérai dans les clauses du cahier des charges que la compagnie qui
obtiendrait la fourniture, fût-ce l’ancienne compagnie ou une nouvelle, devrait
employer tout le matériel de l’ancien mobilier susceptible de servir. Une
nouvelle compagnie fut adjudicataire. Et ce matériel que l’on faisait si haut,
que l’on évaluait à 13 millions, elle l’eut pour 5,800,000
fr. Elle fut autorisée à employer les 2/5 de ce vieux matériel. Mais l’ayant eu
à si bas prix, elle a pu établir son service à un prix très modéré.
Mais je suis assuré que les 15 fr. 14 c. sont
au-dessus de ce qu’ils devraient être ; j’aimerais mieux faire pour 12 fr. les
fournitures telles qu’elles furent exigées en France en 1821, que pour 20 fr.
50 c. les fournitures que j’ai exigées en Belgique.
On fait observer que dans
le marché français, en additionnant tous les prix du tarif, on obtient la somme
de 109 fr., tandis que, dans le marché belge, on n’obtient par la même
opération que 77 fr. Mais j’ai adopté ces prix moins élevés, mieux éclairé sur
l’intérêt du soldat ; car je pose en fait que le lit français, avec les débris
de l’ancien matériel, n’a réellement coûté que 60 fr., et le nôtre a coûté bien
exactement 103 fr. ; or voyez quel immense avantage trouve l’entrepreneur dans
une évaluation au-dessus du prix réel, puisque quand un soldat détériore un
objet, il est obligé de le payer d’après le tarif. En Belgique, quoique le lit
vaille 103 fr., et je puis en donner l’assurance, les éléments qui le
composent, et qui sont donnés comme prix moyen au tarif, ne forment réunis que
la somme de 77 fr., et c’est sur ce pied que seront payées les pertes faites
par le soldat. C’est donc là un immense avantage qu’à la compagnie française
sur la compagnie belge.
Quant aux villes, je ne puis que confirmer ce que
je viens de dire : que l’indemnité leur est payée non par lit, mais par tête
d’homme, et comme il y a deux hommes par lit, chaque lit coûté 36 fr. 50 c., tandis qu’avec la compagnie Félix Legrand chaque lit à
deux places, avec couchette en fer et toutes fournitures de première qualité,
ne se paie que 29 francs.
(Moniteur
belge n°19, du 19 janvier 1836) M. Dumortier.
- Il m’est bien facile de répondre ; il me suffira pour cela de lire la lettre
de M. le ministre de la guerre ; la voici :
(L’orateur
donne lecture de la lettre.)
Il est certain que si les régences des villes ne
mettent qu’un homme dans chaque lit, elles reçoivent 18 francs par lit, tandis
que les entrepreneurs reçoivent 18 francs par lit.
M. le ministre de la guerre
(M. Evain). - Tous les lits sont à deux places ; et chaque lit est payé
à raison de 36 fr. 50 c.
M.
Dumortier. - Il y a toujours de la différence entre les conditions des
régences des villes et celles de la compagnie française ; celle-ci reçoit 20
fr. 50 pour le couchage d’un soldat, tandis que les régences des villes ne
reçoivent que 18 fr. 25 c. Ensuite la compagnie française reçoit la même somme,
que les lits soient occupés ou non, tandis que les régences ne reçoivent rien,
quand les lits sont inoccupés.
On n’a pas répondu et l’on ne pouvait pas répondre
à cela.
On m’a fait observer que les lits auront ici deux
couvertures, tandis qu’en France ils n’en ont qu’une. Mais que fait le nombre
des couvertures, si le poids est moindre ? Vos deux couvertures pèsent 6 kilog.
; la seule couverture que l’on ait en France en pèse
10. Evidemment ce n’est pas le nombre des couvertures mais leur poids qui
signifie quelque chose.
Vous voyez donc que tous ces calculs sont
absolument erronés.
D’après ce que dit M. le ministre, en Belgique, le
lit a coûté 103 fr. tandis qu’en France il en a coûté 60 ; mais c’est le
contraire de ce qu’a signé M. le ministre tant en France qu’en Belgique.
D’après les cahiers des charges, les lits ont coûté en France 109 fr. ; en Belgique 77 fr. Je ne pense pas que M. le ministre
puisse être maintenant admis à dire qu’il y a erreur grave dans cette
évaluation du cahier des charges. Si l’on admet cela, sur quoi pourra-t-on se
baser ?
En définitive on n’a pas répondu à mes arguments.
La chambre fera ce qu’elle voudra. Quant à moi je ne donnerai pas mon
assentiment au marché, parce qu’il lèse le trésor public, et qu’on n’avait pas
le pouvoir de le faire pour 20 années.
M.
de Puydt, rapporteur. - On m’a interpellé plusieurs fois dans cette
séance et dans les précédentes séances sur les calculs relatifs aux lits
militaires. On m’a interpellé en ma qualité de rapporteur de la section
centrale. Je crois qu’en cela l’on s’est trompé sur ma position. Je n’ai aucune
explication à donner, comme rapporteur, sur les calculs du marché des lits
militaires, par la raison que la section centrale ne s’en est pas occupée. Je
n’ai donc, à cet égard, aucune opinion à émettre en son nom.
Dans la section centrale on a fait une observation
relativement à la conversion pour le casernement des 4 centimes en 5 centimes.
On a demandé, à cet égard, des explications au ministre, qui a fait connaître
le motif de cette augmentation.
Quant au marché qui est tout à fait indépendant, la
section centrale ne s’en est pas occupée. Il a été dit que quant au mode adopté
à cet égard, M. le ministre de la guerre pouvait donner les explications à la
chambre. Si j’ai émis une opinion sur ce marché, elle n’est pas personnelle.
J’ai dit que j’approuvais le mode du marché mais je ne me suis pas prononcé
pour ou contre les calculs posés par M. le ministre. Je ne pense donc pas avoir
d’autres explications à donner de ce chef ; et je déclare que je ne répondrai à
aucune interpellation qui me serait faite, sur cet objet, comme rapporteur de
la section centrale, attendu que je n’y suis pas tenu.
M. Gendebien. -
Je ne traiterai plus la question des lits militaires. Quand nous arriverons à
l’article casernement, je me propose de déposer un amendement qui diminuera de
beaucoup la somme demandée.
Mais je répondrai à M, le ministre de la guerre
qu’il ne m’a pas répondu. Je dirai la même chose à M. le rapporteur de la
section centrale, non comme rapporteur, mais comme ayant émis les mêmes idées
que M. le ministre.
L’on a dit que la section centrale ne s’est pas
occupée du marché des lits militaires. Je dirai ce qui s’y est passé. Lorsque
l’on a parlé de la fourniture des lits militaires, M. le ministre de la guerre
s’est empressé de nous donner lecture d’une note qu’il a lue également en
séance publique et de laquelle il résultait que si le gouvernement avait fourni
lui-même les lits militaires, il eût été chargé de l’entretien et des réparations.
Nous nous sommes dit, dès lors, que c’était une
question à examiner. Nous avons pensé que de pareilles charges devaient coûter
plus au gouvernement qu’à des particuliers. Il était donc possible que M. le
ministre eût adopté le mode le plus avantageux pour le trésor public. Dans la
conviction où nous étions que le gouvernement aurait été obligé d’entretenir et
réparer les lits en fer, s’il en avait fait l’acquisition, nous n’avions pas
examiné le marché en lui-même. Nous avions invité M. le rapporteur de la
section centrale à s’occuper de cet objet. M. le rapporteur pensait aussi que
le gouvernement était chargé de l’entretien des lits en fer. Ce n’est que
lorsque M. le rapporteur prit la parole dans la discussion générale et vint
lire à la chambre un discours écrit, que je reçus des éclaircissements qui
changèrent la face de la question. Je lisais en ce moment le cahier des charges
et j’en étais à l’article 4, relatif aux fournitures des lits de fer.
J’entendais M. le rapporteur dire que si le gouvernement n’avait, en adoptant
la première base du marché, que 22,000 francs à payer par an sans être chargé,
en même temps de la réparation et de l’entretien des lits, le mode adopté par
lui n’aurait pas été avantageux ; mais que la dépense qu’auraient occasionnée
ces charges pour le gouvernement augmentait la somme de telle sorte que l’on ne
pouvait guère calculer le résultat définitif de l’opération.
Je demandai immédiatement la parole pour que M. le
rapporteur prît connaissance de cet art. 4 et que M. le ministre de la guerre
donnât des explications sur ses dispositions ; car il en résultait que
l’entretien et la réparation des lits étaient, dans tous les cas, à la charge
des entrepreneurs, ou plutôt en définitive à la charge du soldat, ce qui n’a
été contesté par personne.
Je ferai une observation. Je ne suis pas entré dans
de longs détails sur l’opération en elle-même. Je me suis attaché à
l’acquisition des couchettes en fer. J’ai dit que pour le reste, il pouvait
subsister des doutes s’il y avait de l’avantage à faire fournir les objets de
literie complète par les entrepreneurs, ou à les faire faire pour le compte du
gouvernement. À cet égard, j’étais même porté à approuver le marché. Mais
seulement, répondant à M. le ministre sur l’évaluation qu’il avait faite pour
prouver que le marché n’était pas aussi avantageux pour les entrepreneurs qu’on
le prétendait, je me suis permis de calculer la somme totale du coût d’un lit
complet, Je lui ai prouvé, par son propre tarif, que ce n’est pas 133 fr. et
tant de centimes que coûtait le lit complet, comme il l’établissait par ses
calculs, mais bien 103 francs seulement.
Qu’a répondu M. le ministre de la guerre ? Il a
répondu que c’était la un taux moyen établi pour faire rembourser par le soldat
les divers objets distraits ou détruits, et non pas le coût réel des objets de
l’entreprise. Eh bien, messieurs, l’honorable M. Dubus vous a fait remarquer
que les objets coûteront en réalité beaucoup moins aux entrepreneurs que le
tarif de M. le ministre ne l’établit pour chaque couchette en fer. En
additionnant le prix de chaque objet que devrait payer le soldat, en cas de
destruction ou de détérioration, il retrouve que la couchette en fer devrait
coûter 35 francs, tandis que M. le ministre avoue qu’on lui avait fait des offres
pour 25-75 et que, par la lettre d’un honorable industriel de Liége, dont j’ai
fait connaître le contenu à la chambre dans les séances précédentes, ces offres
avaient été réduites à 24-25 pour chaque couchette en fer, rendue sur place, si
l’adjudication avait eu lieu ; Vous voyez donc qu’il y a dix francs de
différence entre le coût réel de la couchette et l’estimation du cahier des
charges, même d’après les bases indiquées par M. le ministre, et de douze
francs, si l’on prend en considération la proposition de l’industriel de Liége.
Il doit donc en être de même pour les fournitures des couchages que j’aurais pu
réduire dans la même proportion.
Veuillez remarquer que ce tarif se trouve à la
suite de l’autre, dans le même article, sous la même dénomination : Tarif du
prix moyen des objets pour servir au paiement des pertes. Désignation de ces
objets.
Ainsi, je vois d’un côté une exagération de 40 p. c., quand il s’agit de faire payer aux soldats le bois ou la
soustraction du matériel des couchettes. Il doit donc y avoir dans les autres
parties du tarif une exagération égale, et pas plus forte. Il y a bien plus de
chances de perte dans le second cas que dans le premier ; car les soldats
seront moins tentés de détacher un écrou ou une barre de la couchette en fer
que de vendre une livre de laine, par exemple, dont le débit est facile, et par
conséquent il y avait plus de motifs d’exagérer la valeur des fournitures que
des pièces des couchettes.
Ou votre tarif est stupidement raisonné, ou la
conséquence que j’en tire est juste. Donc j’avais raison de dire à M. le
ministre de la guerre que le prix d’une fourniture complète était tout au plus
de 103 fr., et non de 133 fr. comme il le prétendait. Donc j’avais raison de
dire que j’avais détruit la base de ses calculs, et qu’il était inutile que
j’abordasse les détails des chiffres alors que je prouvais, son propre tarif à
la main, qu’il était considérablement enflé.
Pour justifier le marché l’on a mis en avant
l’intérêt du soldat. Nous l’avons toujours soutenu, cet intérêt. Aussi, je
déclare positivement que si au lieu de dépenser 57,000 francs par an pour le
couchage des soldats, on me démontrait qu’une somme de 100,000 francs est
nécessaire, je l’accorderais sans hésiter. Mais est-ce avoir égard au bien-être
des soldats, qui font partie de la nation, que d’enrichir sans profit quelques
entrepreneurs étrangers ? Remarquez encore que si le gouvernement avait fourni
lui-même les couchettes, il aurait fourni un bien meilleur matériel. Il eût été
intéressé à se procurer de bonnes couchettes, parce que c’eût été sa propriété.
Il serait arrivé par conséquent moins d’accident à ces couchettes. L’on aurait
mis par conséquent moins souvent les soldats à contribution, pour payer les
dégâts. Quel intérêt le gouvernement a-t-il maintenant à ce que les couchettes
fournies par l’entrepreneur soient bonnes, du moment qu’ils sont au compte de
cet entrepreneur ? Qu’en résultera-t-il ? C’est que chaque fois qu’il y
surviendra une détérioration quelconque (et les accidents se renouvelleront plus
souvent par suite de la mauvaise qualité des lits), il sera fait une retenue
sur la paie du malheureux soldat, et comme le remboursement des pertes présente
pour l’entrepreneur un bénéfice de 40 p. c.,
l’entrepreneur puisera souvent dans la bourse du soldat. Et voilà comment on
comprend le bien-être de l’armée.
Je répéterai ce que j’ai déjà dit : Je porte à tout
le monde le défi de répondre à mes observations. J’ai été indigné en apprenant
par la lecture du cahier des charges que l’entretien et la réparation des
couchettes était à la charge des entrepreneurs, car j’avais été dupe de fausses
énonciations. Mais tous les doutes que la section centrale avait exprimés sur
la convenance qu’il y avait à adopter la première ou la deuxième base
d’adjudication doivent disparaître à la simple lecture de l’article 4 du cahier
des charges.
Je ne répondrai pas au
reproche que l’on nous a fait de chagriner l’administration de la guerre. Je
crois avoir ménagé M. le ministre de la guerre et lui avoir rendu justice
autant et plus même que qui que ce soit. J’aurais peut-être mérité un reproche,
si j’avais tenu le langage que lui adressait un de ses collègues aujourd’hui et
alors député, dans la séance du mois d’août 1834. Voici ce que disait M.
d’Huart, aujourd’hui ministre des finances :
« Vous le voyez, messieurs, et je le dis avec
peine, tandis que dans les autres ministères on rogne 100 francs sur le
traitement d’un malheureux employé, au ministère de la guerre on jette les
deniers de l’Etat. »
Vous l’entendez, messieurs, on dilapide les deniers
de l’Etat au ministère de la guerre. C’est M. d’Huart qui s’exprimait ainsi en
août 1834. Ce pourrait être une autorité pour moi, si les paroles d’un homme
haut placé pouvaient exercer une influence sur mon opinion ; je ne sais si
elles pourront exercer quelqu’influence sur la chambre, mais je la prie de
remarquer que c’est dix jours après cette sortie contre l’administration de la
guerre que M. d’Huart a été appelé à être le collègue de M. Evain. Je défie que
l’on trouve dans mes paroles quoi que ce soit, non pas de cette nature, mais
seulement qui en approche. J’ai rendu justice, et j’ai peut être été trop
libéral envers M. le ministre de la guerre. Je l’ai invité à accomplir ses
devoirs avec toute la rigueur qu’ils lui imposent, et je n’ai rien dit de plus.
Mais je le déclare, si le marché conclu avec la
compagnie Legrand devait être maintenu, je dirais, comme M. d’Huart dans la
séance du 2 août 1834, que l’on dilapide les deniers de l’Etat au ministère de
la guerre.
M. de Puydt, rapporteur.
- Puisque l’on persiste à vouloir que, comme rapporteur de la section centrale,
j’aie eu à m’occuper de cette question, je dois déclarer que ces faits sont
pour le moins inexacts.
La section centrale ne s’est pas occupé du marché
des lits militaires, dans ce sens qu’elle n’a eu à discuter ni cette question,
ni à en délibérer. Elle n’a pas chargé son rapporteur d’examiner la question.
Autrement il aurait dû lui présenter à elle ce rapport et il y aurait eu une
décision de la section centrale sur cet objet. Ce n’est donc pas comme
rapporteur de la section centrale que j’ai parlé dans cette enceinte ; j’ai
exprimé mon opinion individuelle, j’ai motivé cette opinion, je ne suis tenu à
rien au-delà.
Puisque l’on a rappelé ce qui a déjà été avancé par
l’honorable M. Dumortier, à savoir que je serais en contradiction avec ce que
j’ai dit à l’occasion des budgets précédents, il est nécessaire que je réponde
à ce reproche. S’il était vrai que je fusse en contradiction avec moi-même en
ne venant plus réclamer les améliorations sur lesquelles j’ai insisté à
diverses époques, on pourrait tout au plus en conclure que j’ai eu tort ; ce
qui ne m’empêcherait pas de pouvoir avoir raison maintenant. Mais je vais
prouver que je n’ai pas eu tort et que je suis conséquent avec mes précédents.
Dans mon rapport de 1834, j’ai signalé plusieurs
abus dans le ministère de la guerre, les uns relatifs à l’administration et à
la comptabilité, les autres au personnel.
Dans les abus relatifs à la comptabilité, j’ai
appelé l’attention de la chambre sur la nécessité d’asseoir le budget de la
guerre d’une manière plus complète, attendu que jamais il ne présentait
toutes les prévisions de l’année et qu’il était suivi de deux ou trois demandes
de crédits supplémentaires ; J’ai parlé aussi des dettes des corps envers
l’Etat, qui alors étaient arrivées à leur maximum ; je me suis plaint de ce que
les remboursements opérés sur les masses ne figuraient pas au budget des
recettes ; enfin, j’ai fait d’autres observations sur la non-publication de
certains marchés, sur la mauvaise qualité du pain, etc.
Que reste-t-il maintenant de ces griefs ? Les
budgets de la guerre ont été successivement examinés avec la plus grande
attention, ils ont été complètement remaniés et ont reçu une forme nouvelle qui
permet d’apprécier avec facilité toutes les dépenses. Il y a eu, il est vrai,
au budget de 1835 une demande de crédit supplémentaire. Mais cette demande
avait été prévue et annoncée par M. le ministre de la guerre, et la chambre a
apprécié à cette époque les raisons qui empêchaient de comprendre les articles
de dépenses supplémentaires dans le budget de l’exercice.
De sorte qu’il est vrai de dire que les budgets ont
contenu réellement toutes les prévisions de l’année, et qu’à cet égard
l’irrégularité dont on se plaint a cessé entièrement.
La masse des corps est descendue à son minimum. Ce
qui reste à recouvrer est représenté par les effets existant en magasin, Enfin,
les recouvrements annuels sur cette masse figurent au budget des voies et
moyens. Quant aux marchés, il ont reçu toute la publicité désirable, puisqu’il
y eu a un sur lequel nous discutons depuis trois jours. Quelque décision que
prenne l’assemblée à cet égard, il n’en restera pas moins constant que ce
marché a été fait dans la forme décidée par la législature.
Le pain des soldats avait donné lieu à des
observations fondées. Depuis lors on a mis la manipulation en régie. On a
établi des boulangeries militaires, sous la surveillance de l’autorité
militaire, et je ne sache pas que les plaintes à ce sujet se soient
renouvelées.
Si donc je n’ai plus une observation à faire sur
l’administration et la comptabilité de la guerre, c’est que les griefs que
j’avais signalés ont été redressés.
Quant au personnel, j’avais attiré l’attention du
gouvernement sur l’état sanitaire des troupes. Le mauvais couchage causait des
maladies parmi les soldats. L’ophtalmie avait aussi été l’objet de mes
observations.
L’état sanitaire de l’armée s’améliore. Le nombre
des ophtalmistes a sensiblement diminué dans les
garnisons. Le gouvernement a pris des mesures pour empêcher la recrudescence de
cette maladie. M. le ministre a fait examiner les causes de ce fléau et les
remèdes à y apporter sous le rapport scientifique. L’hygiène des soldats a donc
été l’objet de toute la sollicitude de l’administration. Quant au couchage,
vous voyez que le ministre s’est occupé de l’améliorer. On peut différer
d’opinion sur les avantages du marché, mais non pas sur le bienfait de ses
résultats sous le rapport de l’utilité de la mesure.
L’institution des cadets avait aussi été l’objet de
mes critiques, elle a disparu ; le petit nombre des jeunes gens attachés aux
régiments de cavalerie comme cadets ont été placés dans les cadres. L’on n’en a
plus créé d’autres.
Quant aux promotions que
l’on disait être due plutôt à de intrigues bureaucratiques que le résultat d’un
véritable mérite, le gouvernement a présenté un projet de loi sur l’avancement
de l’armée, et en attendant que la chambre s’en occupe, il s’est imposé la
règle de se confirmer pour toutes les promotions aux dispositions de ce projet.
Bien que cette mesure ne soit pas précisément
légale, elle est dictée par la prudence ; et s’il y a un reproche à faire,
c’est plus à nous qu’il faut l’adresser pour n’avoir pas examiné la loi qu’au
gouvernement dont la tâche, à cet égard, est provisoirement remplie.
Tous les abus signalés par moi ont donc été
redressés. La position du département de la guerre s’améliore tous les jours.
Pour être conséquent avec moi-même et pour être juste en même temps, il ne
fallait donc pas continuer mes réclamations. Je déclare que je suis content de
cette situation. Il y aurait contradiction de ma part si je persistais dans mon
opinion, alors que les choses sont changées. Je proteste donc contre les
reproches d’inconséquence qui m’ont été adressés dans une séance précédente. Je
prie les honorables membres qui l’ont fait de vouloir bien réfléchir et
comparer l’administration actuelle avec ce qu’elle était lorsque j’exprimais
mes plaintes.
M. Gendebien. -
Il est nécessaire que je rectifie ce qu’à dit le préopinant. En vérité, c’est à
présent que le mot de M. de Mérode est applicable : « Nous jouons aux
propos interrompus. » J’ai commencé par demander que l’on éclairât ma
conscience, puis j’ai établi ma proposition, en portant le défi d’y répondre,
et l’on croit me répondre en disant que l’on n’a pas été chargé par la section
centrale d’un travail relatif à l’examen du marché de lits militaires. Il ne
s’agit pas de savoir si M. le rapporteur a été chargé de ce travail. M. le
rapporteur s’est occupé de cette question puisqu’il est venu à la séance
publique nous lire un long discours.
M. de Puydt, rapporteur.
- Je n’ai dit que deux mots sur le marché.
M.
Gendebien. - Soit ; mais ce sont ces deux mots qui m’ont fait demander
une explication que j’attends encore et qu’on ne me donnera jamais. Quant au
reproche de contradiction que M. le rapporteur a pris à tâche de relever, je ne
sais pas à qui il fait allusion. Je ne pense pas avoir pris la peine de dire
qu’il était en contradiction avec lui-même. Ce ne serait d’ailleurs rien de
nouveau. Nous avons déjà vu plus d’un homme changer d’opinion. Ce n’est pas un
crime dans le siècle de franchise et de désintéressement dans lequel nous
vivons.
Quant au panégyrique qu’il a fait du ministre de la
guerre, je ne dirai rien non plus. Je n’ai pas l’habitude de contester les
panégyriques ministériels. Il y a longtemps qu’ils sont sans valeur.
Je ne demande qu’une chose, c’est que l’on veuille
bien répondre à mon observation, que l’on me dise pourquoi l’on paie 57,400 fr.
par an pour ne rien avoir au bout de 20 années, tandis que l’on aurait pu payer
22,000 fr. seulement et conserver un immense matériel au bout de ce terme. Vous
voyez bien que nous jouons aux propos interrompus.
Je souscris à tous les panégyriques possibles. Cela
s’est fait de tous le temps. C’est une des nécessités du régime constitutionnel
représentatif de l’ancien régime.
Je demande seulement que le préopinant me prouve,
n’importe en quelque qualité que ce soit, comme membre de la chambre et comme
rapporteur de la section centrale, je demande qu’il me prouve que j’ai tort.
Si l’on avait une bonne raison à me donner, on
m’eût répondu depuis longtemps, et on ne tomberait pas dans des divagations
étrangères à mon interpellation.
M.
le ministre de la guerre (M. Evain). - Je regrette que M. Gendebien
n’ait pas été présent au commencement de la séance lorsque j’ai parlé. Il
aurait trouvé dans mon discours la réfutation qu’il demande. Je le prie de
vouloir bien le lire demain dans le Moniteur.
S’il ne croyait pas me explications satisfaisantes, je m’empresserais de lui en
donner d’autres.
M.
Gendebien. - Je suspends le cours de mes observations jusqu’à cette
lecture. Si vous les avez réfutées, je serais le premier à vous rendre justice
; sinon je les renouvellerai.
M. A. Rodenbach.
- J’ai demandé la parole pour m’assurer d’une assertion énoncée plusieurs fois
dans cette enceinte.
Est-il vrai que le nombre des ophtalmistes
soit considérablement diminué ? Il paraît que quand des soldats sont atteints
d’ohptalmie, on les envoie dans les hôpitaux, et de
là dans leurs foyers. S’il en était ainsi, le mal ne serait que masqué. Je
voudrais bien que M. le ministre de la guerre nous donnât la liste des ophtalmistes renvoyés dans leurs foyers.
Il a paru une statistique des aveugles en Belgique.
J’y vois que sur 4,117 individus frappés de cécité, il y en a mille qui doivent
cette infirmité à l’ophtalmie, c’est-à-dire presque le quart du nombre total.
J’espère que M. le ministre s’empressera de
demander sur ces infortunées victimes d’un fléau, les renseignements que je
demande
M. le ministre de la guerre
(M. Evain). - En attendant que je puisse fournir à l’honorable
préopinant la liste qu’il demande, je me hâte de déclarer à la chambre que le
fléau qui désolait notre armée a considérablement diminué d’intensité. Au mois
de mai 1834 à l’époque où une commission fût nommée pour aviser aux moyens de
détruire cette maladie, il y avait 5,400 soldats attaqués par l’épidémie, dont
700 dans les hôpitaux. Il n’y en a plus que 3 ou 400 dans les hôpitaux. Les
5,400 soldats ont été renvoyés dans leurs foyers. Ce nombre s’augmenta de ceux
qui sortis des hôpitaux avec de simples granulations, avaient besoin de
retourner dans leurs foyers pour se guérir complètement. Il ne reste plus que
153 hommes dans leurs foyers. 5,500 sont revenus guéris à leurs régiments.
En 1834, je fus autorisé à donner des pensions de
retraite à ceux qui étaient reconnus avoir perdu la vue.
Je dois déclarer qu’en 1834 et 1835, 617 aveugles
reçurent des pensions définitives et que 389 soldats gravement atteints
d’ophtalmie, mais qui n’avaient pas totalement perdu la vue, ne reçurent que
des pensions provisoires. Ces derniers devaient se présenter à la fin de
l’année devant la commission pour faire constater s’ils avaient totalement
perdu ou recouvré la vue. J’ajouterai que des 1,200 qui passèrent devant cette
commission en 1834 et 1835, une centaine se trouvèrent tout à fait rétablis.
C’est pour cela que, quand un soldat n’a pas tout à
fait perdu la vue, on lui donne une pension provisoire et au bout d’un certain
temps on le fait passer devant la commission pour savoir si on doit ou non lui
accorder la pension définitive.
Ces 617 aveugles qui ont reçu la pension
définitive, et les 319 qui ont reçu la pension provisoire en 1834 et 1835, ont
été atteints lors des ravages faits par la maladie en 1831, 1832, 1833 et 1834.
Mais pendant le cours de 1835, il n’y a eu que 13 aveugles, tandis que les
années précédentes il y en avait terme moyen de 220 à 230.
D’après ces chiffres, on voit que les efforts que
nous avons faits pour arrêter le fléau qui désolait notre armée, s’ils n’ont
pas été couronnés d’un plein succès, ont du moins obtenu un résultat qui permet
d’espérer que bientôt nous serons débarrassés de cette terrible maladie.
- La discussion générale est close.
Discussion des articles
Chapitre premier. -
Administration centrale
Articles
1 à 3
« Art. 1er. - Traitement du ministre,
indemnité de logement : fr. 25,000. »
- Adopté.
« Art. 2. Traitements des employés et gens de
service : fr. 165,000. »
- Adopté.
« Art. 3. Frais de bureau et de séjour : fr.
3,000. »
- Adopté.
Article
4
« Art. 4. Matériel : fr. 60,000. »
M. de Jaegher.
- Messieurs, dans cet article une somme de 14,050 fr. figure pour loyer de
locaux. La section centrale s’est fait reproduire les contrats de location et les
calculs ont été trouvés exacts. Néanmoins, pour ma part, je n’ai pu m’empêcher
de trouver étrange que le ministre ne pût pas prendre son logement personnel
dans l’hôtel affecté au service de son département. Le ministre a donné pour
motif le manque d’espace suffisant.
Je dirai alors que si ce local ne doit servir qu’à
des bureaux, je ne vois pas la nécessité de choisir dans le quartier le plus
recherché de la ville un hôtel d’un loyer de 10 mille francs, si on calcule
qu’indépendamment de ces 14 mille francs, le ministre touche 4 mille francs
d’indemnité de logement, on a une somme de 18 mille fr. de locations. Cette
somme représente l’intérêt d’un capital assez considérable. J’appelle
l’attention du gouvernement sur les inconvénients de l’état de choses actuel ;
si les bureaux du ministre étaient tous concernés dans un local avec
l’habitation du ministre, le service se ferait plus facilement. Cette vérité
est sentie pour les autres départements, elle devrait l’être aussi pour le
département de la guerre.
Comme le bail de l’hôtel du ministère n’est fait
que pour 3, 6 et 9 ans, j’invite le gouvernement à aviser au moyen de faire
cesser le plus tôt possible l’inconvénient que je viens de signaler.
- L’article 4 est mis aux voix et adopté.
Articles
5
« Art. 5. Matériel du dépôt de la guerre : fr.
4,000. »
- Adopté.
Chapitre II. - Soldes et
masses de l’armée, frais divers des corps
Section I. - Solde des
états-majors
Article
premier
« Art. 1er. Etat-major général : fr. 650,464
45 c. »
M. le président. -
La section centrale propose de réduire ce chiffre à 644,464 fr. 45 c. Réduction
: fr. 6000.
M. le ministre se rallie-t-il à cette réduction ?
(Moniteur belge n°20, du 20 janvier 1836) M.
le ministre de la guerre (M. Evain). - Dans le nombre des articles qui
ont subi des diminutions dans le travail de la section centrale, j’ai donné mon
adhésion à 15, et il en est quatre sur lesquels je me suis réservé de faire
connaître les motifs pour lesquels je croyais devoir m’opposer à leur
réduction. Celui dont il s’agit est du nombre de ces derniers. La réduction
proposée porte sur le traitement extraordinaire du général qui requit la double
qualité de gouverneur de la province de Brabant et de gouverneur militaire de
la place de Bruxelles. En réunissant ces deux fonctions sur la tête d’un
général de brigade, nous avons économisé une somme de 10 mille francs que
coûtait le gouverneur avec ses aides-de-camp. Comme le général Buzen devait
faire des dépenses de représentation, la première année qui suivit son
installation, le gouvernement lui alloua le traitement de l’ancien gouverneur
qui était de mille francs par mois. J’avais demandé pour cela 12 mille francs ;
la section centrale a réduis l’allocation de moitié. Pour justifier le chiffre
que j’ai proposé, j’ai réuni quelques considérations que je crois de nature à
fixer notre attention.
(M. le
ministre de la guerre donne lecture d’une note écrite.)
(Moniteur belge n°19, du 19 janvier 1836)
M. Desmaisières. - Mais si je n’ai pas
pris la parole dans la discussion générale, ce n’est pas que je n’aie pas
d’observations à présenter sur le budget de la guerre ; mais pour ne pas
embrouiller la discussion générale, j’ai cru devoir ajourner mes observations à
la discussion des articles.
En ce qui concerne l’état-major général, je crois
devoir appuyer ce que j’ai à dire sur quelques citations, du reste très
courtes, de la discussion qui a eu lieu l’année dernière sur le même objet.
Je trouve dans le compte rendu de la séance du 11
décembre 1834, que l’honorable M. Liedts adressant une interpellation au
ministre de la guerre s’exprimait en ces termes :
« M. Liedts. - Puisque M. le
ministre de la guerre est présent à la séance, je me permettrai de lui adresser
une interpellation. Est-il vrai que le gouvernement se propose de faire
incessamment une nomination de généraux ? Si les bruits qui circulent à cet
égard étaient exacts, si la promotion devait avoir lieu, je crois que le
ministre qui signerait les nominations compromettrait gravement sa
responsabilité. Il doit savoir que les dernières et nombreuses promotions qui
ont eu lieu dans l’armée n’ont pas été accueillies favorablement dans le pays.
Probablement la chambre refuserait les sommes nécessaires pour le traitement
des grades qui seraient donnés, si on faisait les promotions que l’on
annonce. »
« M. le ministre de la
guerre. - Messieurs, je dois répondre à l’interpellation que vient de
m’adresser l’honorable préopinant, et je déclare en conséquence que ce n’est
que par le journal que je lis habituellement que j’ai appris la nouvelle qu’il
devait être fait une promotion d’officiers généraux ; je puis donner l’assurance
qu’il n’est point question de faire la promotion qui est annoncée dans les
journaux, et que ce bruit n’a pas plus de fondement que celui que les journaux
avaient dernièrement répandu, que j’avais l’intention de faire donner à nos
troupes le pantalon couleur garance comme aux troupes françaises. »
« Sur l’article
premier chapitre 2. Etat-major général. »
Je trouve ensuite dans le compte-rendu de la séance
du 21 décembre de la même année, que le ministre de la guerre après avoir fait
une comparaison entre l’état-major hollandais et l’état-major belge, nous
disait :
« Soyez persuadés, messieurs que l’on ne fera
de promotions que s’il y en a un besoin réel, et si le gouvernement trouve des
officiers capables de remplir des fonctions plus élevées que celles qu’ils
occupent. Il est indispensable que le gouvernement ait cette faculté pour
entretenir l’émulation, et pour reconnaître les nouveaux services.
« M. Brabant. - L’année dernière M. le
ministre de la guerre avait demandé les fonds nécessaires pour la promotion de
2 officiers généraux ; comme la commission n’avait pas trouvé de motifs
suffisants à ces promotions, elle a refusé les fonds demandés. Cependant ces
nominations ont eu lieu ; et postérieurement, au mois d’août je crois, on vous
a demandé un crédit supplémentaire pour payer ces officiers. Je pense que nous
devons maintenir le cadre de l’état-major général dans des limites très
restreintes. Nous ne devons pas engager indéfiniment le pays.
« Dans tout Etat
bien organisé, le cadre des officiers généraux est fixé par une loi. Je
pourrais citer des lois de la république qui déterminent le nombre des généraux
de division, des généraux de brigade ; en 1833 il a été porté en France une loi
de cette nature. Veuillez remarquer qu’en France les officiers sont livrés à
l’arbitraire du gouvernement. Il n’en est pas de même ici, où un militaire,
aussitôt qu’il a son brevet, est, pour ainsi dire, au-dessus du gouvernement.
« L’art. 124 de la
constitution porte :
« Les militaires ne
peuvent être privés de leurs grades, honneurs et pensions, que de la manière
déterminée par la loi.
« De sorte que,
quand on accorde un brevet quelconque, on vous oblige à faire les fonds du
traitement. Le chef du gouvernement, qui ne peut accorder aucune pension sans
votre concours, vous oblige envers l’officier qu’il nomme, et cela pour toute
sa vie. Je pense donc qu’il y a lieu de restreindre, dans d’étroites limites,
l’allocation de l’état-major général et qu’il suffit d’accorder la même somme
que l’an dernier, en ajoutant toutefois pour faire honneur aux deux brevets
d’officiers généraux accordés cette année, la somme de 23,200 fr. qui
représente le montant des traitements de ces officiers généraux. »
(Addendum au Moniteur belge n°20, du 20 janvier 1836 :) M. le
ministre de la guerre répond : « Je pense comme M. Brabant que la
fixation par la loi d’un cadre
d’état-major général est nécessaire. La proposition que je fais est en quelque
sorte un commencement de cet état de chose.
« Je déclare
positivement que le minimum le plus restreint que l’on puisse adopter pour
l’activité et la disposition, est 8 généraux de division et 20 généraux de
brigade. C’est aussi pour 28 officiers-généraux que je demande des fonds au
budget. »
Notez, messieurs, que quelques instants auparavant,
le ministre de la guerre avait fait connaître qu’il se comptait au nombre des
huit officiers-généraux, pour lesquels il demandait des allocations, parce que
si, dans le cours de l’année, disait-il, je quitte le ministère, il faudra me
replacer dans la position de général de division que j’avais auparavant et me
payer mon traitement. Il fait donc allouer un traitement de général de division
de plus à cet effet.
Avant d’aller plus loin, je vais protester contre toute induction
personnelle, contre toute allusion individuelle que l’on voudrait donner à mes
paroles. Mes observations ne sont relatives qu’aux principes ; si je les
présente avec franchise, avec une certaine sévérité, c’est parce que je vois
que la nature de mon mandat m’en fait un devoir.
Je viens de vous rappeler tout à l’heure que le
ministre de la guerre avait promis solennellement de ne point faire de
nouvelles promotions d’officiers-généraux, sans une absolue nécessité, sans de
nouveaux services rendus réellement à l’Etat.
Je demanderai maintenant si le ministre se compte
au nombre des huit généraux de division, pour lesquels il demande des
traitements. Quoiqu’il en soit de sa réponse, je vois par la note marquée A
jointe au rapport de la section centrale, que l’armée compte huit généraux de
division et 22 généraux de brigade, (addendum
au Moniteur belge n°20, du 20 janvier 1836 :) en activité de service, ce
qui présente 1 général de division et 2 généraux de brigade en plus que l’année
dernière, d’après la déclaration faite alors par le ministre lui-même et que je
viens de rapporter. On a nommé récemment un général de division, c’est ce
général de brigade qui se trouvait à la tête du corps des ingénieurs
militaires. Certes, messieurs, il n’est pas trop d’un général de division pour
un corps comme le génie ; mais la question n’est pas là ; ce n’est pas là non
plus ce que la section centrale a examiné. (addendum
au Moniteur belge n°20, du 20 janvier 1836 :) Elle a demandé si le moment
était venu, s’il y avait nécessité de remplir cette lacune dans l’organisation
du corps du génie militaire, et elle n’a pas hésité à répondre comme moi : non,
cette nécessité n’existait pas.
Dans cette même note marquée de la lettre A, le
ministre de la guerre revenant aux comparaisons qui fait habituellement du
chiffre de notre état-major avec celui de
Qu’on cesse d’argumenter d’un pareil exemple, lorsqu’on sait que
Nous avons dit qu’en temps de paix l’avancement ne
se fait que de trois manières : par ancienneté, par le mérite réel et par la
faveur. Malheureusement c’est trop souvent par la faveur. Si
Le désir d’avancement est probablement dans le cœur
de nos soldats ; ce désir leur fait honneur ; mais un désir qui ne doit pas s’y
trouver c’est celui de l’avancement non mérité.
Cependant, si l’on continue à faire des promotions
comme on les fait actuellement, ce serait le dernier désir que l’on ferait
naître. Aussi, messieurs, c’est avec étonnement que j’ai entendu dire dans
cette dernière séance qu’il existait des lieutenants et des sous-lieutenants,
disposés à quitter le service, parce qu’ils n’obtenaient pas d’avancement ;
mais y a-t-il dans notre armée des lieutenants et des sous-lieutenants qui
aient plus de trois à quatre années de grade ? Je ne le pense pas. Je dirai que
s’il arrivait à de pareils officiers de demander leur démission, en la motivant
ainsi, il serait du devoir du ministre de la guerre de la leur donner ; car ils
ne pourraient être que de mauvais militaires.
Je ferai observer toutefois avec un honorable
membre qu’il est fâcheux que les nombreux travaux de la chambre ne lui aient
pas permis de s’occuper de la loi sur l’avancement, présenté par le ministre de
la guerre dans une des séances de la dernière réunion : si cette loi était
votée, elle serait telle qu’il n’y aurait plus possibilité d’abus, et c’est par
cette loi que nous aurions montré à l’armée la sollicitude que nous portons à
son bien-être.
Je le répète, le brave militaire ne veut pas
d’avancement non mérité, car l’avancement accordé à la faveur ou à l’intrigue
ne fait que porter au découragement.
L’amendement présenté par mon honorable ami, M.
Brabant, que je suis disposé à appuyer de tous mes moyens, suppléera en partie
au défaut d’une loi sur l’avancement ; mais, je crois, qu’il faudrait en outre
libeller l’article en discussion, autrement qu’il ne l’est dans le projet
ministériel, adopté par la section centrale.
(Erratum au
Moniteur belge n°20, du 20 janvier 1836 :) On avait dit qu’il ne serait pas
accordé des frais de table ou de représentation. La chambre a formellement
refusé toute espèce de crédit pour cet objet. Cependant, on a trouvé moyen
d’accorder 1,500 francs aux généraux de brigade, chargé de faire des
inspections.
Eh bien, cependant on a trouvé moyen d’en allouer,
car on a chargé les généraux d’inspections générales, et on leur a donné 1,500
francs de frais de représentation pour inspection générale.
Mais, dit-on, comment la cour des comptes ne
refuse-t-elle pas son visa pour ces allocations ? La cour des comptes ne le
peut pas, en raison de la manière dont l’article est formulé car l’article
porte simplement : « Etat-major général... » L’état indiquant le nombre des
officiers de tout grade composant l’état-major général, et qui est joint aux
développements du projet de budget, ne fait pas partie de la loi du budget.
Voici donc comment il faudrait libeller l’article.
« Chapitre II. Sect. 1ère. Solde de
l’état-major général.
« Art. 1er. Etat-major général (solde de 8
généraux de division, 22 généraux de brigade, 4 lieutenants-colonels, 8 majors,
12 capitaines de première classe, 6 capitaines de deuxième classe, 6
lieutenants, et supplément de solde de 28 capitaines, 9 lieutenants et 4
sous-lieutenants), 638,644 fr 45 c. »
Vous voyez que cela
n’allongerait pas de beaucoup le budget, et vous auriez ainsi l’avantage de ne
pas dépenser plus que vous ne voudrez.
Maintenant, il y a dans cet amendement que je
propose une différence (erratum au
Moniteur belge n°20, du 20 janvier 1836) de chiffre d’allocation entre le
projet de budget du ministère et le projet de budget de la section centrale. La
section n’alloue que la moitié du supplément de solde demandé pour le
gouverneur de Bruxelles, à titre de frais de représentation. Moi, je n’alloue
rien à ce titre. Je crois que la place de gouverneur militaire de Bruxelles est
une véritable superfétation, et que nous ne devons attacher à cette place ni
12,000 fr. ni même 6,000 fr. de frais de représentation.
Qu’on ne vienne pas dire que si la guerre
survenait, on devrait nécessairement augmenter le cadre de l’état-major
général, et que dans le libellé que je propose on ne le pourrait pas ; car si
nous avions la guerre, on aurait à demander bien d’autres crédits ; on pourrait
alors augmenter le chiffre de l’état-major général.
M. le ministre de la guerre
(M. Evain). - Je vais répondre aux observations de l’honorable
préopinant.
En 1832, il
y avait :
- 8 généraux de division.
- 19 généraux de brigade.
Total, 27 officiers généraux.
Depuis 4 ans j’ai proposé la nomination de 3
généraux de brigade et d’un général de division.
Un des officiers-généraux en disponibilité fut mis
à la retraite ; le nombre des généraux de division ayant été fixé à 8, le Roi a
cru devoir user de sa prérogative en le complétant.
Il est très vrai que le nombre des démissions dans
l’armée est considérable. En voici le relevé pour les trois dernières années :
Démissions d’office en 1833, 62 ; en 1834, 54 ; en
1835, 61. Total : 177.
Mais je dois dire que sur ce nombre il y a 150
démissions de lieutenants ou sous-lieutenants. Beaucoup de jeunes gens voyant la
carrière militaire bornée, ayant d’autres ressources, ou trouvant plus
d’avantages dans le commerce, ont quitté militaire pour suivre une autre
carrière.
On a parlé de l’avancement ; il n’y a eu que 244
officiers qui en aient eu en 1835, ce n’est pas tout à fait le dixième de
l’effectif ; certes l’on ne peut pas dire que cet avancement soit considérable
pour une armée de 2,700 officiers.
J’appelle de tous mes vœux
la discussion de la loi sur l’avancement que j’ai eu l’honneur de présenter,
afin que les droits à l’avancement ne soient désormais fondés que sur la
légalité. En attendant que les chambres puissent voter cette loi, je me suis
imposé l’obligation de me conformer strictement aux dispositions du projet qui
vous est soumis.
Quant aux frais de
représentation, il est très vrai que quelques généraux ayant des troupes à
l’inspection ; on me fit observer que dans tous les gouvernements il était
d’usage que les inspecteurs-généraux reçussent à leur table les officiers
supérieurs et successivement les capitaines, les lieutenants et
sous-lieutenants ; les appointements des officiers-généraux étant, par une
anomalie que je ne m’explique pas, moins élevés que dans les autres parties de
l’Europe, alors que le traitement des officiers inférieurs est plus élevé ici
qu’il ne l’est en France et en Prusse, je crus qu’il était juste pour mettre
ces officiers-généraux à même de remplir dignement leur importante mission, de
leur donner le moyen de tenir le rang qu’ils doivent avoir. Mais les 1,500 fr.
qui leur sont accordés pour frais de représentation ne sont pas pris sur l’art.
1er ; ils le sont sur l’article : « Dépenses extraordinaires et
imprévues. »
M.
de Jaegher. - Je demande que l’amendement de M. Desmaisières soit
imprimé et que la discussion en soit renvoyée à demain. Il est à désirer que
l’on n’en commence pas la discussion avant d’avoir pu en combiner les
conséquences.
M. Stas
de Volder. - Je demande que M. le ministre de la guerre dépose un état
indiquant le nombre des militaires entrés dans les hôpitaux en 1835 et le
nombre des militaires décédés. Il est utile que nous connaissions ces détails
statistiques.
M. Gendebien. -
Je prierai notre honorable collègue M. Brabant de déposer l’amendement qu’il a
annoncé dans la discussion générale, afin qu’il soit imprimé aujourd’hui et
distribué ce soir.
M. Brabant. - Je
ne pourrais le déposer maintenant parce que cet amendement est calculé sur une
disposition d’une loi française de 1818, relativement au recrutement, que je
n’ai pas sous les yeux. Mais je le déposerai demain.
- La séance est levée à 4 heures et demie.