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d’intention
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Chambre des représentants de
Belgique
Séance
du lundi 23 novembre 1835
Sommaire
1) Pièces
adressées à la chambre, notamment pétition relative à un subside pour une école
moyenne de Dinant (Pirson)
2) Projet
de loi relatif aux los-renten
3) Projet
de loi portant un crédit supplémentaire au budget du département de l’intérieur
pour l’imputation de créances arriérées. Construction de bâtiments pour
l’organisation de manifestations publiques à Bruxelles, notamment pour la
célébration des fêtes nationales, des expositions, le conservatoire, etc.
(construction nouvelle au Sablon) (Jullien, (+cour des
comptes) (Devaux, Dubus), Devaux, de Theux, Dumortier, d’Hoffschmidt,
(+cour des comptes) Rogier, Gendebien,
Jullien, Dumortier), dépenses
inconnues (de Theux, Dubus, de Theux, Gendebien)
4) Projet
de loi relatif aux droits d’entrée et de transit du bétail hollandais
(notamment extension des mesures à la Prusse, mesures de contrôle par la
douane, politique commerciale du gouvernement,…) (d’Huart,
(+organisation de la douane) (A. Rodenbach, d’Huart), Rogier, d’Huart)
(Moniteur
belge n°328, du 24 novembre 1835)
(Présidence de M. Raikem.)
M. Dechamps fait
l’appel nominal à une heure.
M. Schaetzen donne lecture du procès-verbal de la
séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. Dechamps fait
connaître les pièces adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
« Le sieur Augustin Baertsoen,
soldat au 9ème régiment d’infanterie, engagé en 1828, sans prime, pour 6 ans, demande
son congé définitif. »
_______________
« Le sieur Jean-Louis Casier, raffineur de
sucre à Gand, renouvelle sa demande que la chambre adopte une loi qui autorise
M. le ministre des finances à lui accorder restitution en décharge des droits
d’accises sur deux quantités de sucre incendiées dans son entrepôt
fictif. »
_______________
« La
dame veuve Engler et son fils Gustave Engler, né à Clèves, habitant la Belgique depuis 1805,
demandent la naturalisation. »
« La
régence de la ville de Dinant demande qu’un subside
de deux à trois mille francs soit porté au budget de l’intérieur en faveur de
son collège. »
_______________
M. le président. - Conformément
à une précédente décision de la chambre, les demandes de naturalisation seront
renvoyées à M. le ministre de la justice.
Les autres pièces seront renvoyées à la commission
des pétitions.
M. Pirson. - Parmi
les pétitions dont on vient de faire l’analyse, il en est une de la régence de
la ville de Dinant qui demande un subside de deux ou
trois mille francs pour son collège. En 1833, le ministre de l’intérieur
l’avait compris dans sou budget pour une somme de 2,117 fr. Depuis, on a
toujours renvoyé à la loi sur l’instruction publique. Mais cette loi, en ce qui
concerne l’instruction moyenne, n’arrivant pas, il en résulte que beaucoup de
collèges sont en souffrance.
Les raisons sur lesquelles la régence de Dinant s’appuie pour demander un subside sont fondées. Si
vous renvoyez la pétition qui vous est adressée à la commission des pétitions,
vous n’aurez de rapport qu’après l’examen du budget ; il serait plus simple de
la renvoyer à la section centrale chargée de faire le rapport sur le budget de
l’intérieur.
J’espère que le ministre, bien instruit des motifs
de la demande de la régence de Dinant, viendra
l’appuyer. Je ne demande pas que la pétition lui soit renvoyée, parce que je
sais qu’une copie lui a été adressée.
- Le renvoi à la section centrale du budget de
l’intérieur est mis aux voix et adopté.
M. Pirson. - Je
demanderai en outre l’impression au Moniteur
de la pétition dont il s’agit, afin que chacun puisse apprécier les motifs sur
lesquels la demande est fondée.
- L’impression au Moniteur est également ordonnée.
M.
le président. - Nous passons à l’objet de l’ordre du jour.
PROJET DE LOI RELATIF AUX LOS-RENTEN
Second vote des articles et vote sur l’ensemble du projet
- Les amendements apportés au projet de loi
concernant les los-renten sont successivement mis aux
voix et confirmés.
On procède ensuite à l’appel nominal sur l’ensemble
de la loi.
En voici le résultat :
62 membres ont répondu à l’appel.
42 ont répondu oui.
13 ont répondu non.
En conséquence le projet de loi est adopté. Il sera
transmis au sénat.
Ont répondu oui : MM. Beerenbroeck, Bekaert,
Coppieters, Cornet de Grez, de Behr, Dechamps, de
Jaegher, de Longrée, Demonceau, de Nef, de Renesse, de Roo, de Terbecq,
d’Hoffschmidt, d’Huart, Dubois, Dubus aîné, Dubus Bernard, Eloy de Burdinne,
Fallon, Frison, Gendebien, Heptia, Hye-Hoys, Kervyn, Mast de Vries, Milcamps,
Morel-Danheel, Pirson, Polfvliet, Raymaeckers, Rogier, Schaetzen,
Scheyven, Simons, Troye, Vandenbossche, Vanden Wiele,
Vanderbelen, C. Vuylsteke, L. Vuylsteke.
Ont répondu Non : MM. Berger, de Foere,
Desmaisières, Desmet, Devaux, Jadot, Lebeau, Manilius, A. Rodenbach, C.
Rodenbach, Verdussen, H. Vilain XIIII et Raikem.
Se sont abstenus : MM. Duvivier, Jullien, Legrelle, Quirini, Seron, Smits
et Zoude.
M. le président. -
MM. les membres qui se sont abstenus sont invités à énoncer les motifs de leur
abstention.
M. Duvivier. - Un
accident grave dont j’ai eu l’honneur de faire part à la chambre m’ayant
empêché d’assister à la discussion, j’ai cru devoir m’abstenir.
M. Jullien. - Je
me suis abstenu parce que je n’ai assisté qu’à la dernière partie de la
discussion, et que de tout ce que j’ai entendu, rien ne m’a démontré que la loi
du contrat entre le vendeur et l’acquéreur n’ait pas été violée
dans les dispositions que vous avez adoptées. Je ne partage pas non plus la
grande confiance du ministre des finances dans les décisions judiciaires
intervenir sur les protestations qui lui ont été signifiées à l’occasion de son
refus de recevoir actuellement, et avant l’exécution de la loi, les los-renten non dénoncés à Bruxelles.
Tels sont les motifs pour lesquels j’ai cru devoir
m’abstenir, ne pouvant pas rentrer dans la discussion.
M. Legrelle.
- Messieurs, autant j’ai appuyé les deux premiers articles de la loi qui
assimilaient les porteurs de los-renten dénoncés à
Bruxelles à ceux des deux autres catégories, autant je me suis élevé contre une
autre disposition. Mais ne voulant pas préjudicier aux porteurs de los-renten dénoncés à Bruxelles, et d’un autre côté, ne voulant
pas d’une justice partielle, ne voulant pas consacrer par mon vote une mesure
qui ne fait pas entière justice à d’autres porteurs de los-renten,
je ne puis que m’abstenir.
M. Quirini.
- Je me suis abstenu parce que je n’ai pas assisté à la discussion.
M. Smits. - Je me
suis abstenu par le même motif que M. Quirini.
M. Smits. - Je me
suis abstenu par les motifs développés par M Legrelle.
M. Zoude. - Voulant que
le pays jouisse de la loi que la chambre vient de voter, mais trouvant qu’un
article violait la loi du contrat, j’ai cru devoir m’abstenir de lui donner mon
vote.
PROJET DE LOI PORTANT UN CREDIT SUPPLEMENTAIRE AU BUDGET DU DEPARTEMENT
DE L’INTERIEUR POUR L’IMPUTATION DE CREANCES ARRIEREES
Discussion des articles
Chapitre XIX. - Dépenses de
1835 et années antérieures, restant à liquider.
Article
3
Littera
C
M. le président. -
La chambre était restée à la discussion du crédit de 13,011-16 demandé pour solde des constructions faites en 1834 sur
l’emplacement de l’ancien hôtel du ministère de la justice.
M. Jullien. - Je
crois que la discussion sur l’article a été épuisée par tout ce que vous avez
entendu à la dernière séance.
En effet, je ne crois pas qu’il y ait quelqu’un qui
doute un instant que l’ancien ministre ait excédé ses pouvoirs en ce sens qu’il
a fait plus qu’il ne pouvait faire. Mais si on est persuadé de cette vérité,
d’un autre côté, je pense que tous les membres de cette chambre sont également
convaincus qu’il a agi de bonne foi et que dans ce qu’il a fait, il n’a apporté
aucune espèce de lésion au trésor public.
On pourrait même dire qu’il a agi sainement, en ce
sens que cette dépense il aurait pu la faire en l’appliquant à d’autres
constructions qui n’auraient laissé aucune espèce de trace, qui auraient été
sans aucun profit. Sous ce rapport, la défense de l’ancien ministre doit être
favorablement accueillie par la chambre.
Il reste une question. Doit-on admettre les
amendements proposés ? L’un a été présenté par l’honorable M. Dumortier et
l’autre par l’honorable M. Gendebien.
M. Dumortier a proposé d’accorder un bill d’indemnité à l’ancien ministre, et
moyennant cela il consent à allouer la somme demandée.
Je ne pense pas que ce soit
le cas d’accorder un bill d’indemnité. Si pour des dépenses aussi minimes, pour
un sujet aussi peu important, vous accordiez des bills d’indemnité, je demande
ce que vous feriez dans les cas graves. Le bill d’indemnité ne doit être
accordé que dans les cas qui méritent une grande attention, et qui ont par
eux-mêmes une grande importance. Quant à moi, je voterai contre l’amendement de
M. Dumortier, parce que je ne vois ici aucune raison pour accorder un bill
d’indemnité, parce que, selon moi, l’ancien ministre n’a fait qu’un léger excès
de pouvoir.
Quant à l’amendement de M. Gendebien, j’en adopte
le principe, car il ne faut pas laisser passer de mauvais exemples, des
exemples qui pourraient autoriser des ministres à excéder les pouvoirs qui leur
sont donnés par les chambres. Or, si on ne trouve pas que cet amendement soit
inutile, il y a lieu de l’admettre.
Je dis : « si on ne trouve pas qu’il soit
inutile, » parce que le ministre a manifesté l’intention de ne pas
continuer la construction commencée sans une autorisation de la chambre. Je ne
crois pas, du reste, qu’après la discussion qui vient d’avoir lieu sur ce
sujet, aucun ministre oserait continuer les travaux commencés sans être
autorisé par la chambre. Dans mon opinion, soit qu’on insère au procès-verbal
la déclaration du ministre, ou qu’on adopte l’amendement de M. Gendebien, je
crois que cela suffira pour empêcher qu’un pareil abus se renouvelle ; car je
déclare, quant à moi, que j’y vois un abus.
M. Devaux. - Tout
le monde paraît d’accord sur l’utilité, l’esprit d’économie qui a présidé à la
dépense dont il s’agit ; tout le monde a senti la différence qu’il y avait
entre une construction permanente et ces constructions provisoires qui, au bout
de quelques années, coûtent plus qu’une construction définitive, et dont il ne
reste rien. C’est donc une dépense utile à plusieurs égards que cette
construction, utile aussi en ce qu’elle devait servir à relever les fêtes nationales,
les fêtes de septembre, qui sont très nationales en Belgique.
C’est à M. Rogier qu’appartient l’idée d’avoir
relevé ces fêtes, et si on ne les laisse pas tomber dans des plaisirs
vulgaires, la Belgique deviendra à cette époque un rendez-vous des voyageurs de
toutes les parties de l’Europe. Et c’est une chose très importante pour nous
que de nous faire connaître de ces étrangers, à qui on débite tant de sottises
sur notre compte. Tout le monde est donc d’accord sur l’utilité de la dépense.
Si on la regarde de près, je pense qu’on sera bientôt d’accord aussi sur sa
stricte régularité, sur sa légalité.
Que dit l’arrêté ? Il stipule une dépense et porte
que cette dépense sera imputée, pour l’exercice courant et les exercices
subséquents, sur les crédits des différentes branches d’administration
auxquelles elle peut se rapporter.
On a cru que les fonds de la construction avaient
été imputés sur des crédits alloués pour les employés de l’administration ;
mais pas du tout, on les imputait sur des crédits alloués par la chambre qui a
pensé que, sans dérogation à l’esprit dans lequel ils ont été alloués, ils
pouvaient être employés à cette construction.
Tout le monde est convaincu que s’il se fût agi
d’une salle en bois, le ministre aurait eu le pouvoir d’imputer la somme qui
était de 20,000 francs sur le crédit alloué pour les fêtes nationales. Que la
salle ait été faite en bois ou en briques, peu importe : il est certain
qu’ayant 50,000 fr. pour les fêtes nationales, on pouvait sur ce crédit imputer
20,000 fr. pour une construction destinée à ces fêtes ; cela ne peut pas
souffrir le moindre doute. Ainsi en a jugé la cour des comptes ; car, de cette
somme de 20 mille francs, elle a imputé 7,000 francs sur les fonds des fêtes
nationales, et si les 13 mille francs qui restent n’ont pas été également
imputés sur ce fonds, c’est qu’il avait été épuisé par d’autres dépenses.
Ainsi, je suppose que soit M. Rogier, soit son
successeur eussent imputé ces dépenses de construction
sur le fonds des fêtes nationales, en diminuant les autres dépenses pour cet
objet, de manière que la dépense générale n’eût pas dépassé 50,000 fr.,
celle-là n’eût pas été plus irrégulière que les autres.
Mais, dit-on, l’arrêté disait aussi que ces
dépenses devaient être imputées sur les autres branches de l’administration
auxquelles la construction serait utile. Oui, mais c’était avec le consentement
de la chambre qu’on aurait fait cela, quand la chambre aurait alloué des fonds
pour cet objet.
On lui aurait démontré
qu’en ajoutant une pièce de plus on pourrait y établir l’exposition des
produits d’industrie qui aurait empêché la chambre d’imputer six mille francs
du crédit alloué pour l’industrie à une construction qui serait utile à cette
exposition. Il a commencé par s’occuper de la salle pour les fêtes nationales
en imputant la dépense sur la somme allouée pour ces fêtes, et il s’est dit :
Quand je ferai d’autres salles, comme il n’y a pas d’allocation, j’en
demanderai. Sous ce rapport, la dépense était parfaitement régulière.
C’est ainsi que la cour des comptes a compris la
chose, et je le répète, si toute la dépense n’a pas été liquidée, c’est que le
fonds des fêtes nationales avait été épuisé en d’autres dépenses. Il n’y a pas
plus lieu de dire que cette dépense est plus irrégulière que les autres
dépenses faites pour la célébration des fêtes nationales. Le crédit a été
dépassé, parce que l’architecte devait finir en deux mois et qu’il n’a pas pu
terminer dans ce délai. Le ministre aurait pu y suppléer par les dépenses
imprévues. Il arrive souvent quand on construit, que les dépenses dépassent les
prévisions ; alors on a recours aux fonds imprévus. Dans tous les cas, je
maintiens que la dépense est régulièrement faite, que le ministre pouvait
dépenser une partie de la somme allouée pour les fêtes nationales à construire
une salle pour la célébration de ces fêtes, et ensuite venir demander à la
chambre en crédits spéciaux ou en imputation sur d’autres crédits la somme
nécessaire pour continuer les constructions.
M. Dubus. - Je
ne puis pas laisser passer sans réponse certaine assertion de l’honorable
préopinant, ni me dispenser de protester contre la théorie qu’il a mise en
avant, théorie dont il résulterait que c’est inutilement que vous entrez dans
les détails du budget de l’intérieur. D’après l’honorable membre, ce qu’il y a
de mieux à faire, c’est de voter 10 ou 12 millions in globo,
laissant au ministre à appliquer la somme comme il le jugera convenable. Cette
théorie viendrait à dire que les explications dont le ministre accompagne ses
demandes de crédit ne le lient pas ; que les renseignements qu’il vous donne à
l’appui de telle on telle demande d’allocation pour vous en faire apprécier le
mérite, sont sans valeur, et qu’une fois le crédit voté, le ministre, se souciant
fort peu des motifs qui vous ont guidés, en dispose comme il veut.
En définitive, relativement aux finances, on
pourrait supprimer la chambre des représentants comme un rouage inutile : voilà
à quoi revient la théorie du préopinant.
J’entends dire que la cour des comptes a alloué le
crédit : examinons les faits ; j’en vois l’analyse dans le rapport présenté au
nom de la commission.
« L’Etat ne possédant dans la capitale aucun
local propre à la célébration des fêtes et des solennités nationales, le ministre
de l’intérieur prit, le 15 juillet 1834, un arrêté portant qu’il serait
construit, aux frais de l’Etat, sur le terrain de l’ancien hôtel du ministère
de la justice, place du Petit-Sablon, un local pour la célébration des fêtes et
solennités nationales, pour les expositions que le gouvernement jugerait utile
d’instituer, et pour le dépôt des collections appartenant à l’Etat ; que ce
local devrait contenir, en outre, une salle d’exercice pour le conservatoire
royal de musique ;
« Que les frais d’acquisition de terrains qui
pourraient être nécessaires, et ceux de la construction, seraient imputés, pour
l’exercice 1834 et pour les exercices subséquents, sur les fonds alloués au
département de l’intérieur, pour les diverses branches de service, auxquelles le
local à construire serait utile.
« Les travaux furent commencés de suite, dans
l’espoir d’avoir une salle achevée pour l’époque de la célébration des fêtes de
septembre 1834.
« Une première demande de paiement d’une somme
de fr. 7,398-63, pour frais de construction, fut soumise à la cour des comptes.
Cette cour refusa son visa en faisant observer qu’elle ne croyait pas pouvoir
liquider ces dépenses de la manière indiquée dans l’arrêté ministériel, que
j’ai cité plus haut, parce que ce mode de paiement lui paraît entraîner des
transferts pour lesquels il faudrait une autorisation spéciale de la
législature.
« La cour des comptes émet néanmoins l’avis
que, laissant de côté l’arrêté ministériel, la demande de paiement de 7,398 f.
63 c. pouvait être imputée sur l’allocation des fêtes nationales, en
considérant les constructions comme ayant été faites pour cet objet. Cet
à-compte fut payé sur ce fonds.
« Par suite de l’avis de la cour des comptes, le
département de l’intérieur fit immédiatement cesser les travaux, jusqu’à
disposition ultérieure de la législature.
« La somme de 13,011 fr. 16 c. est demandée
pour solde des constructions faites jusqu’alors. »
Ainsi, la demande faite à la cour des comptes étant
probablement conçue dans ce sens, l’arrêté a voulu imputer la dépense sur les
diverses branches de service, non seulement sur le crédit pour les fêtes, mais
encore sur le crédit pour l’exposition et pour les collections, et sur le
crédit pour le conservatoire de musique : voilà ce que je dois comprendre d’après
l’analyse insérée dans le rapport, La cour a refusé le paiement ; cette cour
pensait donc que les fonds alloués pour le conservatoire de musique, pour le
musée, ne pouvaient être appliqués à des constructions qui n’étaient pas
spécialement destinés à ces objets ; elle comprenait donc que les fonds pour la
musique, pour le musée, ne pouvaient servir à construire une salle pour les
fêtes ; et c’est ainsi que vous devez l’entendre.
Quand on vous demande des
fonds pour un établissement spécial, on ne peut pas les employer à des
constructions qui ne sont pas particulières à cet établissement. S’il en était
autrement, la division des chapitres des budgets et leurs subdivisions seraient
un non-sens. Vous avez au budget un chapitre spécial pour les bâtiments civils
; c’est dans ce chapitre que le ministre avait demandé une allocation, pour
construire un bâtiment sur l’emplacement de l’ancien hôtel du ministère de la
justice ; et vous n’avez pas accordé la demande. Si l’on avait voulu obtenir
des fonds pour la construction d’un bâtiment qui servît, soit aux collections
du musée, soit au conservatoire de musique, soit aux expositions de
l’industrie, ce n’est pas à l’article conservatoire, ni à l’article musée que
l’allocation aurait été insérée, mais à l’article bâtiments civils ; telle est
la marche régulière. Cependant on ne s’est pas contenté de dépenser les crédits
alloués pour des fêtes ; mais on a appliqué d’autres fonds aux constructions
que vous n’avez pas autorisées. Si vous déclarez que cela est légal, vous abdiquez
votre pouvoir ; vous déclarez, je le répète, que relativement aux finances,
vous êtes un rouage inutile ; que c’est fort mal à propos que l’on vous donnait
des détails sur les demandes de crédit, puisque, directement ou indirectement,
les fonds votés peuvent être appliqués à toutes sortes d’objets.
Vous allouez des millions au ministère de
l’intérieur ; il pourra en dépenser deux ou trois fois en bâtiments civils,
quoique vous ne lui ayez accordé que 2 ou 300,000 francs pour cet article ;
puis il viendra vous dire que les bâtiments étaient utiles. Prenez garde
d’ouvrir une porte par laquelle on fera passer bien des abus, et de tracer des
voies par lesquelles on pourra s’échapper après avoir fait des choses que nous
ne voulions pas qui fussent faites. Je suis persuadé que vous abdiqueriez une
partie de vos attributions, si vous approuviez la théorie qui a été exposée.
M. Devaux. - Je
suis tout à fait d’accord avec M. Dubus, qu’un ministre ne peut pas changer la
destination légale des allocations faites par la chambre ; mais j’ai montré que
dans le cas dont il s’agit, la dépense avait été votée par la chambre.
Or, toutes les allocations votées par la chambre n’ont
pas une destination tellement spéciale que le ministre n’ait pas le pouvoir de
décider qu’une construction sera faite en pierre ou sera faite en bois. Vous
allouez 50 mille francs pour les fêtes nationales ; mais vous ne dites pas que
dans ce chiffre il y aura tant pour le feu d’artifice, tant pour le concours
d’harmonie. Vous laissez au ministre à décider sur ces détails ; ainsi un
ministre peut très bien imputer sur les fonds concernant les fêtes nationales,
sans violer la loi, sans aller coutre vos intentions, des dépenses pour des
constructions qui serviront aux fêles nationales. Il est clair aussi que le
ministre peut construire une salle pour le conservatoire de musique avec les
fonds alloués pour le conservatoire de musique ; qu’il peut construire une
salle pour l’exposition de l’industrie avec les fonds consacrés à cette
exposition. Eh bien, qu’a fait l’ancien ministre de l’intérieur ? Il a cru
utile de réunir toutes ces constructions en une seule, ou de ne faire qu’une
salle pour les fêtes, les expositions des produits de l’industrie, et pour le
conservatoire de musique.
Le ministre a fait ce
raisonnement : Si je construis une salle pour les produits de l’industrie avec
les fonds alloués pour cette exposition, l’imputation me sera permise ; si je
construis une salle pour le conservatoire de musique en imputant aussi la
dépense sur les fonds alloués pour cet objet au conservatoire de musique, la
dépense me sera permise ; si je construis une salle pour les fêtes nationales,
en imputant la dépense sur les fonds attribués aux fêtes nationales, la dépense
me se sera encore permise. Je crois plus utile de construire une salle unique
pour tous ces établissements et d’imputer la dépense sur les fonds qui y sont
appliqués. En raisonnant et en agissant ainsi, la chambre ne devient pas pour
cela un rouage inutile. Si la chambre voyait que par là les désignations des
dépenses ne sont pas encore assez spéciales, eh bien, elle ferait des
désignations encore plus précises, plus restreintes. Mais je suis loin de penser
qu’il en soit ainsi : je pense plutôt que l’administration n’a pas assez de
liberté dans son action.
Il est très possible que l’honorable successeur de
M. Rogier n’ait pas su sur quel fonds imputer la dépense ; la cour des comptes
elle-même a fait l’imputation sur les fonds des fêtes nationales, de sorte que
si on économisait pendant quelques années vingt mille francs sur ces fêtes,
tout serait soldé et nous aurions une salle permanente et convenable.
Pour suppléer à la salle qui manque, le ministre de
l’intérieur actuel a fait les dépenses de construction en bois ; mais s’il
n’avait pas fait cette dépense et qu’il eût économisé vingt mille francs, tout
était soldé et il n’y aurait pas eu de contestation.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux).
- C’est assez inutilement que le débat se prolonge sur cette question, puisque
l’assemblée est disposée à accorder le crédit ; je ne présenterai donc que de
courtes observations.
On a soulevé une question de légalité relativement
à la construction des bâtiments ; pour la résoudre, il faut, je crois, faire
une distinction entre les constructions qui peuvent servir immédiatement et les
constructions qui ne peuvent pas servir immédiatement. Le constructeur avait
donne l’espérance que la salle, objet du débat, serait promptement achevée et
qu’on pourrait s’en servir immédiatement ; malgré cette promesse je n’ai pas
hésité à faire cesser les constructions commencées parce que j’ai acquis la
conviction qu’elle ne pourrait pas se réaliser et que la salle ne pourrait pas
servir aussitôt qu’on le disait. J’ai considéré en outre que la dépense
s’élèverait à des sommes considérables, en sorte que si l’on voulait continuer
cette construction, il faudrait demander un crédit spécial ; et c’est parce que
j’ai compris la nécessité de demander un tel crédit que j’ai combattu
l’amendement présenté par M. Gendebien comme étant inutile.
Dans cette discussion une assertion erronée est
échappée à l’un des orateurs, et je dois relever l’erreur : il a dit que ce
n’était qu’en 1834 qu’on avait donné quelque éclat aux fêtes de septembre. Que
l’on se rappelle le passé : si en 1831 il n’y a pas eu de fêtes, on sait qu’en
1832 elles ont été ce qu’elles devaient être, et que dans les années suivantes elles
ont eu la même solennité et le même éclat.
A l’occasion de ces fêtes un concert a été donné ;
mais les frais en ont été en partie couverts par une souscription : quoiqu’on
puisse avoir des opinions diverses sur l’utilité d’admettre un public distingué
dans une salle à l’occasion des solennités de septembre, on conviendra qu’un
lieu couvert n’ôte pas d’éclat à ces fêtes et qu’il peut être utile que tout le
monde y prenne part.
M. Dumortier. -
La question est de savoir...
Plusieurs
membres. - Aux voix ! aux voix !
M. Dumortier. -
Je sais bien que vous n’aimez pas que je parle.
Messieurs, la question est de savoir si vous tenez à
votre prérogative, à la prérogative du peuple ; si le gouvernement a droit de
déclarer par un simple arrêté ministériel qu’il construira aux frais de l’Etat
un édifice coûtant deux à trois cent mille fr.
En d’autres termes, il s’agit de savoir si la chambre
n’est plus qu’une simple machine à dire oui et non avec un signe de tête. S’il
en était ainsi, vous ne seriez plus une chambre représentative, mais une
chambre consultative.
On prétend que l’arrêté est parfaitement régulier ;
que le ministre a pu appliquer aux dépenses pour la construction d’un édifice
les sommes prises sur les excédants des crédits alloués dans d’autres articles
de son budget : si vous pouviez laisser passer sous silence un pareil système,
vous arriveriez à ce résultat que le ministre de la guerre, par exemple, avec
les fonds alloués pour un régiment, pourrait faire construire des casernes, ou
qu’avec les fonds alloués pour une citadelle, il pourrait lever un régiment.
On dit que tout le monde est d’accord sur la
question d’utilité ; je n’en sais rien ; mais ce que je sais, c’est que la
chambre n’a pas été persuadée de cette utilité, puisqu’elle a refusé le crédit
qu’on lui demandait dans le chapitre des bâtiments civils. Dans le débat
actuel, j’ai bien voulu admettre hypothétiquement la question d’utilité ; mais
ma supposition ne fait rien à la réalité, car c’est à la chambre à prononcer
sur cette utilité.
Les faits sont simples. Le ministre est venu
demander une allocation pour construire un édifice nécessaire aux archives ; on
a évalué la dépense à 300,000 francs, et la chambre n’a pas accordé
l’allocation. Cependant si, malgré le vote formel de la chambre, le ministre
fait ériger l’édifice, n’y a-t-il pas violation flagrante de la constitution,
puisque la chambre a l’initiative pour tout ce qui concerne les dépenses
publiques ? Mais, dit-on, ce n’était pas pour des archives que la construction
était entreprise c’était pour le conservatoire de musique ; pour l’industrie
nationale ; c’était pour les fêtes nationales ! Soit ; cependant si vous
changez d’avis, et si vous dites ensuite : la salle n’était pas pour le
conservatoire de musique, n’était pas pour le musée, n’était pas pour les
fêtes, mais pour les archives, vous aurez fait un édifice contrairement à la
volonté de la chambre. La chambre n’a pas voulu que les archives allassent dans
le local dont il s’agit. Plusieurs personnes croyaient qu’il valait mieux
vendre l’emplacement et acheter un autre hôtel pour le ministère de
l’intérieur. Toutefois, malgré la décision de la chambre, on a fait des
constructions là où l’on n’en voulait pas. On n’a donc pas agi dans le cercle
de la légalité.
II ne faut pas que les ministres aient trop de
confiance dans la longanimité de la chambre ; il ne faut pas qu’ils fassent des
dépenses, sauf à demander ensuite des crédits pour les couvrir. Si vous gardiez
le silence sur la dépense, objet du débat, les ministres se croiraient
autorisés à dépenser malgré vous. Je sais bien que la salle que l’on voulait
construire conviendrait à plusieurs personnes ; mais nous avons autre chose à
envisager, c’est notre mandat et l’obligation de le remplir.
Je fais abstraction de la personne de M. Rogier ;
je fais abstraction de la somme : elle est peu importante ; mais ne fût-il
question que de dix sous, il y a ici un point touchant à nos prérogatives,
touchant à la constitution. Il s’agit de savoir si le ministère est autorisé à
changer la destination des fonds que vous votez ; s’il peut, par des excédants
de crédits affectés à certains articles, couvrir des dépenses spéciales à
d’autres articles ?
On nous a dit : Mais, au lieu de faire une
construction en planches, on pourrait faire une construction en pierre. La
chambre ne s’occupe pas de savoir si l’on applique les fonds à un feu
d’artifice, à des estrades pour des concerts d’harmonie : non ; mais elle tient
aux spécialités du budget, et elle ne veut pas qu’on aille prendre dans un
article des fonds pour en solder un autre.
On a fait aussi une distinction entre les
constructions ayant une application immédiate et les constructions n’ayant pas
une application immédiate ; ainsi, on pourrait entreprendre une construction
qui ne s’achèverait pas dans l’année, et, pendant tout le temps que durerait la
construction, on ferait asseoir le public sur les fondations !
Il faudrait dix années pour achever la salle ; la
dépense monterait à 500,000 francs ; en faisant une économie de 50,000 fr. par
an sur les fonds alloués pour les fêtes, on parviendrait à en solder la
dépense. ; ainsi, pendant dix années, il n’y aurait
pas de fêtes. Tout ce qu’on a allégué conduit à l’absurde
Les ministres ne peuvent pas sortir de la marche
tracée par la chambre, Il y a dans les budgets un article spécial pour les
bâtiments civils ; et c’est dans cet article que doivent être consignées les
sommes nécessaires aux constructions civiles.
On avait demandé, en effet, dans cet article une
somme de 160,000 francs pour faire la première partie des constructions dont il
s’agit, et dont la totalité devait s’élever à 500,000 francs ; vous ne l’avez
pas accordée : pouvez-vous maintenant autoriser qu’on applique à cette dépense
des sommes tirées d’autres articles ?
Par exemple, vous avez
admis une somme assez forte pour les traitements de l’ordre judiciaire ; est-ce
que vous pensez qu’avec tous ces traitements on pourrait faire un bâtiment pour
la cour de cassation ? ce serait toujours le même
système.
Mais la question n’est pas de dire : « Qui
veut la fin veut les moyens, et puisqu’on veut une cour de cassation, il faut
bien un bâtiment pour cette cour. » Encore une fois, ces raisons peuvent
être très bonnes, quand il s’agit de présenter un crédit, mais non quand le
ministre, se mettant au-dessus de la chambre, décide, par un simple arrêté,
qu’il sera fait, aux frais de l’Etat, une dépense de 500,000 fr.
Remarquez que si le système de l’honorable M.
Rogier prévalait, on viendrait vous dire : « L’an dernier nous vous avons
demandé un crédit de 150 mille fr. Vous l’avez refusé ; mais la dépense que ce
crédit avait pour objet ayant été commencée sur l’excédant d’un article du
budget, vous êtes obligés de la continuer. » La chambre serait ainsi dans
l’obligation de sanctionner une dépense qu’elle avait refusé d’allouer.
Ces considérations, messieurs, sont d’une haute
importance.
Je pense que la chambre ne peut pas s’empêcher de
déclarer qu’elle n’adhère pas au système des honorables MM. Rogier et Devaux.
Si vous vous taisiez, ce serait dire à l’honorable M. Rogier que, quand il
reviendra au ministère, il aura le droit de se passer de votre assentiment pour
faire des dépenses aux frais de l’Etat.
M.
d'Hoffschmidt. - J’ai lieu de croire que l’espèce d’admonition donnée à
un honorable ex-ministre, à propos de l’illégalité de la dépense dont nous nous
occupons, produira l’effet que nous avons le droit d’en attendre. Il est bon
que les ministres présents, passés et futurs, sachent qu’en pareille
circonstance la chambre ne sanctionnerait pas leur conduite.
Nous devons rester dans la légalité, quant aux allocations.
Comme l’a dit l’honorable préopinant, nous devons, sur ce point surtout, tenir
à notre prérogative. A cet égard je crois que nous devons nous en tenir à qui
résulte de cette discussion. Si à l’avenir pareille chose se présentait, nous
agirions différemment. Mais je crois que pour le moment nous ferons bien de
nous borner à cela ; d’autant plus que l’honorable M. Rogier, s’il a commis une
illégalité, ne l’a faite qu’après en avoir fait part à la chambre. Je me
rappelle que, quand on a discuté l’allocation pour la célébration des fêtes de
septembre, il a dit qu’elle n’était pas trop élevée, attendu que son intention
était de faire construire sur l’emplacement de l’hôtel du ministre Van Maanen une salle pour les concerts. Je me rappelle fort
bien cela ; car je pris part à la discussion.
Je ne veux pas prolonger davantage cette discussion
déjà longue. Je demande qu’elle soit close et que l’on passe à l’article
suivant.
Plusieurs
membres. - La clôture !
M. Rogier. - Ce
n’est pas moi qui ai relevé la discussion ; je n’aurais pas mieux demandé que
de la voir close à la dernière séance ; mais il s’agit d’une question de
personne, et qui plus est, d’une question de prérogative que nous nous croyons
dans l’obligation de défendre. Je tâcherai d’être le plus court possible. (Parlez ! parlez !)
Voici quelle est la position du gouvernement, quand
il s’agit de faire une dépense : après avoir, souvent avec beaucoup d’efforts, obtenu de la chambre les allocations qu’il croit
nécessaires au service public, il doit, ainsi que vous le savez, demander à la
cour des comptes l’autorisation de dépenser. Sil plaît à la cour des comptes de
ne pas trouver la demande régulière, elle peut paralyser l’action du
gouvernement par son inertie ; elle peut refuser de liquider la dépense, et
placer ainsi le gouvernement dons l’impossibilité de rien faire.
C’est là une prérogative immense donnée à la cour
des comptes. Je sais fort bien que le visa préalable est une grande garantie ;
je suis le premier à en reconnaître l’utilité. Mais si les chambres doivent se
montrer rigides, lorsqu’il s’agit de l’allocation des dépenses, elles doivent
prendre garde aussi d’encourager la cour des comptes à se montrer trop sévère,
alors qu’elle peut paralyser toute l’action du gouvernement et défaire tout ce
que la chambre aurait autorisé à faire.
Dans la question qui nous occupe, je dis que la
cour des comptes, en refusant de liquider la dépense, aurait paralysé l’action
du gouvernement, et aurait jusqu’à un certain point méconnu les intentions de
la chambre.
En effet, la chambre avait voté une allocation de
50,000 francs afin de mettre le gouvernement à même de célébrer les fêtes
nationales ; elle avait voté 300,000 fr. afin qu’il prît des mesures pour
encourager l’industrie nationale. Déjà il avait été question d’une exposition
des produits de l’industrie. Il était aussi à la connaissance de la chambre que
te gouvernement avait l’intention de faire une exposition d’arts qui devait
revenir à certaines époques, et la chambre a accordé la somme nécessaire pour
l’encouragement des beaux-arts.
La chambre n’a jamais eu l’intention d’empêcher
qu’il fût fait des dépenses de construction sur les fonds destinés à la
célébration des fêtes nationales, aux expositions de l’industrie et à l’encouragement
des beaux-arts. Au contraire, elle a manifesté plusieurs fois le vœu que les
travaux exécutés pour la célébration des fêtes nationales, de provisoires et
d’éphémères qu’ils étaient, devinssent permanents et définitifs.
C’est une recommandation qui a été faite au
gouvernement. A cet égard je ne puis comprendre la distinction d’un honorable
préopinant entre les travaux d’application médiate et ceux d’application
immédiate. Il me semble que la question est la même, qu’il s’agisse de travaux
provisoires ou de travaux définitifs. La dépense est aussi régulière dans un
cas que dans l’autre. Je trouve même qu’elle est plus régulière dans le cas de
travaux définitifs.
Je suppose donc qu’un ministre prenne un arrêté
dans les termes suivants :
« Considérant qu’il importe que le
gouvernement ait des locaux convenables pour la célébration des fêtes
nationales, pour les expositions des produits de l’industrie, pour les
expositions d’objets d’arts et pour les collections ;
« Considérant que le gouvernement ne possède aucune
salle à Bruxelles qui remplisse ce but ;
« Arrête :
« Il sera construit 4 salles, destinées, l’une
aux expositions des produits de l’industrie, l’autre aux collections, etc.,
etc. »
Les fonds nécessaires pour la construction de ces
salles seraient pris 1° sur les fonds des fêtes nationales ; 2° sur les fonds
destinés à l’industrie nationale ; 3° sur les fonds destinés aux beaux-arts.
Je dis que la cour des comptes ne pourrait, avec le
moindre fondement, attaquer la régularité de telles dépenses, alors qu’elles
seraient imputées sur les crédits que je viens de mentionner.
La chambre pourrait trouver que le ministre a eu
tort de faire 4 salles ayant une quadruple destination ; mais alors elle
attaquerait la moralité de la dépense ; alors elle pourrait dire : « Vous avez
dépensé imprudemment et maladroitement ; vous avez fait une mauvaise
dépense. » Elle en attaquerait le côté moral ; mais du côté matériel la
dépense ne serait pas attaquable, parce qu’elle serait régulière. Ainsi la cour
des comptes ne pourrait refuser son visa. En effet, relativement à la dépense
dont nous nous occupons, on dit toujours qu’elle a refusé son visa ; mais elle
ne l’a pas refusé ; elle a liquidé la dépense sur les fonds des fêtes
nationales ; elle a liquidé sur 20,000 fr. 7,1000 fr. On a fait la demande de
7,000 fr. parce qu’il ne restait disponible que 7,000 fr. Mais si au lieu de
7,000 fr. on en avait demandé 20,000, la cour des comptes n’aurait pas refusé
de liquider cette somme.
Je me suis fait remettre par mon honorable
successeur la demande de paiement. Voici cette demande :
« Chap. XIII. Article unique. Au profit de
Michel, maçon, frais de construction d’un local destiné a la célébration des
fêtes nationales, fr. 7,398. »
La cour des comptes a liquidé ; si on lui avait
demandé 20,000 fr., elle les aurait également liquidés.
M. Dubus. - Le
rapport dit qu’il y a eu un premier refus.
M. Rogier. - Il y a
eu un premier refus, parce que la cour des comptes a dit qu’il était plus
régulier d’imputer sur un crédit spécial ; mais elle n’a pas contesté, comme on
l’a fait dans la chambre, le droit d’imputer des frais de construction sur un
crédit spécial ; elle a liquidé, et elle n’avait pas le droit de s’y refuser.
J’aurais fait construire un palais en sucre pour les fêtes nationales ; elle
aurait pu trouver la dépense folle, mais elle aurait dû reconnaître qu’elle
était régulière. La chambre, dans la loi des comptes, aurait pu reprocher au
ministère son imbécillité, si vous voulez ; mais la cour des comptes aurait dû
liquider, ou elle aurait manqué à son devoir.
D’après ce que l’on vient de dire, il semblerait
que tout ce qui a rapport à des constructions aux frais de l’Etat, devrait
figurer au chapitre des bâtiments civils. Il est possible que cela doive être
et que ce soit applicable pour l’avenir. Mais je dois faire observer que
jusqu’ici cela n’existe pas et n’a pas eu lieu, notamment pour ce qui concerne
la construction du bâtiment destiné aux archives.
J’ai revu, dans le Moniteur, la discussion qui a eu lieu à cet égard, lorsque l’on est
arrivé au chapitre des bâtiments civils, où figurait cet article :
« Construction d’un bâtiment destine aux archives 150,000 francs, »
la chambre a décidé que ce n’était pas le moment de discuter cet article, parce
qu’il se rapportait au chapitre des archives.
Au même budget de l’intérieur figure au chapitre de
l’agriculture un fonds pour constructions à l’école vétérinaire ; on n’a pas demandé
que ces constructions figurassent au chapitre des bâtiments civils. De même des
constructions pour les haras figurent à ce chapitre de l’agriculture et non à
celui des bâtiments civils.
Toutes les appréhensions que l’on a manifestées se
réduisent à zéro, lorsqu’on considère la prérogative du visa préalable donnée à
la cour des comptes, et lorsqu’on sait avec quelle rigidité, rigidité
honorable, je le reconnais, elle use de sa prérogative.
On dit que la chambre sera
paralysée, qu’elle aura beau spécialiser, le ministre dépassera les crédits et
effectuera des transferts ; non, messieurs, le ministre ne dépassera pas les
crédits et ne fera pas de transferts ; car la cour des comptes ne liquiderait
pas des dépenses irrégulières, et sa sévérité sur ce point doit tenir la
chambre en grande confiance contre les abus que le gouvernement pourrait faire
des allocations du budget.
Il est un dernier point que je dois relever, parce
que je pourrais, sans cela, laisser supposer que j’ai voulu surprendre la
chambre, et que j’ai manqué de bonne foi dans la discussion du chapitre des
bâtiments civils. On a donné à entendre que j’ai voulu bon gré, mal gré, un
local pour les archives.
Mais, messieurs, il est si peu vrai que j’ai voulu
un local pour les archives que mon arrêté parle de tout, excepté d’archives ;
il parle de fêtes nationales, d’expositions de produits de l’industrie, de
collections, et pas un mot d’archives. Et quoi qu’en ait dit l’honorable M.
Dumortier, je n’ai que faiblement soutenu la demande d’un local pour les
archives, j’ai même dit que si l’on pensait que le local de la porte de Hal fût
suffisant je ne voyais pas d’inconvénient à ce qu’on les transportât là. Je
n’ai donc pas voulu bon gré, mal gré, un local pour les archives.
Je crois pouvoir borner là mes observations ; j’ai
dû m’opposer à l’amendement de l’honorable M. Dumortier, surtout accompagné de
ses observations. Quant à l’amendement de M. Gendebien, c’est une mesure de
précaution pour l’avenir, c’est au ministère actuel à savoir s’il lui convient
de l’accepter.
(Moniteur
belge n°329, du 25 novembre 1836) M. Gendebien. - Mon intention, messieurs, n’est
pas de rentrer dans la discussion ; j’espère, comme l’a fort bien dit
l’honorable M. d’Hoffschmidt, qu’elle profitera aux ministres présents et
futurs. Je me bornerai à une seule observation au sujet de ce qui s’est passé à
la cour des comptes. On a d’abord demandé à la cour des comptes d’allouer une
somme, en se fondant sur l’arrêté royal du mois de juillet 1834, qui décrétait
une vaste construction, comme vous avez pu vous en apercevoir par la lecture
qui vous en a été faite. La cour des comptes s’y est refusée parce qu’elle n’a
pas vu d’allocation dans le budget pour les dépenses indiquées dans l’arrêté
royal ; mais elle a dit au ministre, à la suite d’une correspondance assez
longue que j’ai vue lors de la discussion du budget de l’intérieur, qu’il
pouvait imputer, non la somme demandée, mais la somme restant disponible, sur
les fonds alloués pour la célébration des fêtes nationales.
Voilà ce qui s’est passé ; il en résulte que la
cour des comptes a considéré la dépense comme faite en dehors de la légalité ;
en effet il est impossible que l’on puisse construire un bâtiment qui doit
coûter 3 ou 4 cent mille francs, en deux mois et avec un crédit de 7 mille
francs. En supposant que l’on réunît toutes les rognures des différents
articles du budget de l’intérieur, on arriverait difficilement au dixième de la
somme nécessaire. Au reste que résulterait-il d’un tel système ? Que nous
devrions discuter avec le soin le plus minutieux le chiffre de tous les
articles du budget, dans la crainte que l’excédant de ces articles ne fût
consacré à des dépenses qui n’auraient pas été indiquées ; je ne sais si le
ministre se trouverait bien de cette mesure préventive.
Je n’en dirai pas
davantage. J’adhère à ce qu’ont dit les honorables MM. Dubus et Dumortier ; je
ne puis que protester avec eux contre les principes opposés développés par
d’autres orateurs.
Quant à mon amendement, je suis prêt à le retirer,
s’il doit donner lieu la moindre discussion ; mais je le crois utile en ce que,
si le ministre précédent a cru pouvoir faire une dépense qui, si elle eût été
continuée, eût coûté plusieurs cent mille francs, par la raison qu’il a trouvé
un crédit de 7,000 fr, disponible sur un article le ministre actuel, pourra a
fortiori se croire autorisé à continuer la dépense, attendu que les travaux
sont commencés, et qu’il y a déjà 20,000 francs de dépensés.
Maintenant le ministre déclare qu’il ne le fera pas
sans consulter la chambre. J’accepte sa parole. Mais le ministre peut ne plus
être ministre demain ; il peut être remplacé par des hommes partisans des
théories qui ont été développées dans la séance de samedi et dans celle
d’aujourd’hui. Je ne crois donc pas mon amendement inutile. Toutefois je suis
prêt à le retirer si le ministre de l’intérieur veut, pas en son nom personnel
mais au nom du gouvernement, prendre l’engagement de ne pas continuer les
travaux commencés, sans l’assentiment de la chambre.
Après cela, mon amendement n’est pas une règle
générale ; la règle générale, comme dit le ministre, est dans les articles 115
et 116 de la constitution ; c’est une dérogation à la règle générale que nous
voulons établir pour un fait déterminé, et nous voulons en même temps en
prévenir le renouvellement pour l’avenir. C’est une disposition spéciale que je
propose, en raison de ce qu’une partie de la dépense est déjà faite.
(Moniteur
belge n°328, du 24 novembre 1835) M. Jullien.
- J’ai très peu de chose à ajouter aux observations que j’ai déjà soumises à la
chambre, mais il m’a paru que l’on se trompait sur la portée de cette
discussion ; car elle ne met nullement en péril nos institutions
constitutionnelles ; en effet tout le monde est d’accord sur la question de
droit.
Les honorables MM. Devaux et Rogier, tous les
ministres passés, présents et futurs, tout le monde enfin a reconnu qu’un
ministre ne pouvait faire de dépenses sans que la chambre ait alloué des fonds
ayant ces dépenses pour objet. L’honorable M. Devaux l’a soutenu ; l’honorable
M. Rogier n’a pas dit le contraire. La discussion se réduit donc à une question
de fait. MM. Devaux et Rogier ont soutenu que la dépense dont il s’agit avait
été appliquée à la destination déterminée par le budget. En est-il ainsi ?
Voilà le siège de la difficulté. Quant à moi, tout en reconnaissant la bonne
foi du ministre, je déclare que je ne vois pas qu’il ait suivi la destination
du budget. D’abord avait-il le droit de disposer du local sur lequel il a fait
commencer des constructions ?
M. Rogier. - Il
appartient à l’Etat.
M.
Jullien. - C’est précisément parce qu’il appartient à l’État que vous n’avez
pas le droit d’en disposer seul ; il fallait au moins le demander.
D’un autre côté, on a beau dire que l’on pouvait
imputer la dépense sur le fonds des fêtes nationales : on sait qu’en fait de
fêtes nationales, comme de fêtes particulières, quand la dernière bougie est
éteinte, il n’y a plus de fête. Au lieu de cela on commence une construction
qui, si elle est continuée, doit coûter une somme considérable. Et que
résulte-t-il delà ? Que le public vous accuse de prodigalité ou d’insouciance :
de prodigalité, si vous continuez les travaux, d’insouciance si vous les
laissez inachevés.
En résumé à quoi la question se réduit-elle ? Si le
ministre a excédé ses pouvoirs, il l’a fait de bonne foi, il a eu de bonnes
intentions ; je pense donc que nous devons allouer la dépense ; car sans cela
il serait forcé de payer les 13,000 francs, et mon intention n’est pas qu’il
les paie.
Je crois donc que la chambre doit allouer la somme
demandée. Mais que ces débats soient une utile admonition pour les ministres
actuels et futurs.
Quant à l’amendement de mon honorable ami M.
Gendebien, je ne m’y oppose pas. Mais après ce qu’a dit M. le ministre de
l’intérieur, je le crois véritablement inutile.
M. Dumortier. -
Comme l’effet que je voulais produire par ma proposition doit résulter de la
discussion qui vient d’avoir lieu, je déclare me rallier à l’amendement de
l’honorable M. Gendebien.
- Le n°3 du tableau est mis aux voix et adopté.
L’amendement de M. Gendebien est mis aux voix et
adopté.
Article
4
M. le président. La
discussion est ouverte sur le n°4 :
« Pour le paiement qui pourrait être réclamé
de créances non connue jusqu’à ce jour, et auxquelles la prescription
mentionnée dans la loi du 8 novembre 1815 ne serait pas applicable : fr.
20,000. »
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux).
- La commission, dans son rapport, a dit que cette dépense de 20,000 francs n’a
pas d’antécédents ; c’est une erreur. Il y a un antécédent dans une dépense
semblable votée au commencement de cette année.
Le libellé même de l’article prouve qu’il ne peut y
avoir une fausse application de la somme demandée. Il faut, pour qu’il en soit
fait usage, deux circonstances : d’abord que la créance existe et soit
légitime, en second lieu qu’elle soit inconnue. Ce n’est qu’une mesure d’ordre
pour le cas où quelques créances, moins connues jusqu’à ce jour, viendraient à
être réclamées. Si l’on veut réduire le crédit à 10,000 fr., je n’y verrai pas
d’opposition. Mais il sera avantageux de le maintenir, afin que le gouvernement
ne soit pas exposé à venir trop souvent occuper les moments de la chambre pour
des objets d’une faible importance.
M.
Dubus. - Messieurs, je crois que le crédit tel qu’on nous demande de le
voter est réellement sans exemple dans les annales de la chambre. Ce n’est pas
une demande de fonds pour des dépenses imprévues que l’on vous fait, comme on a
coutume de le faire pour des dépenses qu’il est impossible d’apprécier
d’avance. Ce n’est pas non plus une allocation affectée à telle dépense
déterminée pour laquelle les fonds manqueraient. C’est une troisième espèce de
crédit que l’on demande. C’est pour couvrir des dépenses que l’on ne connaît
pas actuellement. J’avoue que je ne comprends pas comment l’on peut
sérieusement demander un pareil crédit. Les dépenses pour lesquelles le crédit
est demandé ont-elles eu lieu régulièrement ? Sont-elles justifiées par la
nécessité quoique les fonds manquent ? C’est là une question que vous devez
vous poser pour chaque cas particulier. Je ne comprends pas que l’on vienne
dire : Allouez une somme pour une dépense déjà faite. Ou le crédit a déjà été
voté, ou cette dépense doit faire partie des dépenses imprévues. Et cette
prescription dont il est question dans le libellé, est celle de la loi de 1815
qui fixe à 6 mois le terme des prétentions que l’on peut former contre chaque
département ministériel.
Ces dépenses n’ont pu être
faites qu’en vertu des crédits que vous avez votés. Ou ils étaient suffisants,
et alors il n’y a pas besoin d’en allouer de nouveaux. S’ils n’ont pas été
suffisants, le crédit a été dépassé.
Il faut dès lors que vous prouviez la nécessité où
vous vous êtes trouvé de dépenser au-delà du montant du crédit. Admettre cette
allocation serait créer un précédent très grave. Nous
ne pouvons voter de crédits que pour des dépenses à faire quand ces dépenses
faites exigent la demande d’un crédit ; il faut qu’on nous en démontre la
nécessité.
M. le ministre
de l'intérieur (M. de Theux). - Je puis citer comme antécédent à la
chambre la loi du 25 décembre 1834, par laquelle il a été accordé un crédit de
même nature, montant à 20,000 fr. Je ne puis prévoir en ce moment aucune
réclamation à venir. Mais c’est pour parer aux réclamations éventuelles que cet
article 4 est introduit dans la loi. Du reste, s’il devait donner lieu à la
moindre contestation, je ne ferais aucune difficulté de le retirer.
M. Gendebien. -
Je regarde également comme inutile le crédit demandé par M. le ministre de
l’intérieur, surtout à l’époque avancée de l’année où nous sommes arrivés. Dans
tous les cas, je conseillerai à M le ministre de l’intérieur, s’il croit avoir
besoin de ce crédit, de le reporter à son budget pour l’exercice de 1836. Il
pourra peut-être alors en justifier la nécessité.
M. le ministre
de l'intérieur (M. de Theux) déclare retirer l’art. 4.
M. le président. -
Le vote définitif de la loi, aux termes du règlement, aura lieu mercredi
prochain.
Discussion générale
M. le ministre des
finances (M. d'Huart). - Je déclare ne pas me rallier au projet de la
commission. Je n’adopte que le mot « sans frais » qu’elle a ajouté à
l’article 2, parce qu’en cela elle remplit les intentions du gouvernement et
que ces mots se trouvent omis par oubli dans son projet. Mais je ne puis
consentir à ce que l’on applique aux provinces de Liège et de Luxembourg une
mesure qui n’était proposée que pour les frontières du Nord.
M. A. Rodenbach.
- Messieurs, l’abus révoltant que nous a révélé M. le ministre des finances,
qu’au camp de Beverloo les munitionnaires de l’armée
n’ont fourni que du bétail hollandais, avait déjà été l’objet de plaintes
générales et véhémentes dans le pays. Il est également de notoriété publique
que plusieurs garnisons ne reçoivent que de la viande provenant de bestiaux
hollandais. Nos agriculteurs s’étonnaient de la longue apathie que nos
gouvernants montraient pour leurs intérêts, et demandaient avec raison :
« Pourquoi tant de ménagements en faveur de nos ennemis ? »
Devons-nous tolérer le transit du bétail hollandais et donner bénévolement la
main à nous privés du débouché de la France ?
Le gouvernement vient enfin de nous présenter un
projet de loi pour mettre un terme à ces réclamations unanimes, en nous
proposant de fixer le droit d’entrée sur les taureaux, bœufs et vaches à 50
francs, et sur les génisses à 25 francs, etc., en remplacement du faible droit
de 10 et 5 florins, dont ce bétail est frappé maintenant. Notez bien qu’en 1822
les Hollandais avaient frappé le bétail d’un droit de 120 florins par tête de
bœuf, et que la demande du ministre n’est guère plus considérable.
Les adversaires du projet de loi avanceront, sans
doute, que le consommateur et le commerce y perdront. Momentanément, oui ; mais
aussitôt que l’entrée en Belgique du bétail hollandais ne pourra se faire qu’en
payant de grands droits, nos paysans se remettront à élever et à engraisser
force bestiaux. De cette manière le prix de la viande n’augmentera pas, le
consommateur pourra s’en procurer à un prix raisonnable, et les fournisseurs et
les laboureurs y gagneront.
Ne croyez pas, messieurs, que ceci soit une
hypothèse, car l’antécédent de 1830 à 1833 est là pour le prouver. Vous vous
rappellerez qu’à cette époque les Hollandais avaient prohibé leur bétail à la
sortie.
A cette époque la viande ne valait que 5 centimes
de plus que maintenant, et tous les membres de la chambre savent qu’aujourd’hui
que le bétail est à bon marché, la viande se vend 50 centimes la livre à Gand
et à Anvers et de 50 à 55 centimes à Bruxelles.
Je suis convaincu, messieurs, qu’une forte
protection douanière est nécessaire au bétail belge, à cause de l’immense
avantage qu’a sur nous la Hollande d’avoir une grande quantité de prairies
grasses qui procurent, terrain égal, beaucoup plus de nourriture que les
nôtres. Indépendamment de cette faveur les engraisseurs et les éleveurs
hollandais paient moitié moins pour le loyer que nos fermiers belges ; preuve,
c’est qu’en Hollande un hectare de prairie grasse ne se loue, terme moyen, que
de 30 à 40 florins ; tandis qu’en Belgique, et notamment dans le Furnes-Hambaght, il se loue de 60 à 70 florins.
Dans les environs de Bruxelles, Tirlemont et
Ninove, la location d’un hectare se monte même jusqu’à 100 florins. La loi est
tellement nécessaire que, d’après des documents officiels, il entre au moins
par an est Belgique 7,000 bœufs et taureaux hollandais, 4,000 génisses et 4,000
moutons. Si l’on y ajoutait le bétail qui entre en fraude, ce chiffre pourrait
être triplé. Si l’introduction étrangère était défendue, tout ce que gagnent
les Hollandais serait rendu à notre industrie agricole. Quelle somme cela ne
produirait-il pas, et quel engrais cela ne donnerait-il pas à notre industrie
agricole, qui ne doit sa supériorité qu’à l’engrais qu’elle emploie et qu’à sa
manière de s’en servir ?
D’après de pareils faits qui m’ont été garantis par
des personnes compétentes, je me plais à croire que la chambre adoptera le
projet de loi en discussion, sauf quelques modifications sur les articles 6, 7
et 8, et une réduction de droit à l’entrée sur les chevaux et poulains. La
Hollande ne recevant rien de la Belgique que par le commerce interlope ou par navires
neutres, j’envisage cette loi comme une loi politique, et en considère l’art.
8, relatif à la prohibition des chevaux et des bestiaux, comme une mesure de
représailles dont l’heureux effet se fera promptement sentir dans notre
Belgique agricole.
Ce qui vient de se passer
tout récemment aux états-généraux de Hollande, à l’occasion du paiement des
intérêts de la dette, y compris la part belge, et les plaintes qui se sont
élevées dans les sections relatives à l’agriculture, élève du bétail, pâturages
et propriété foncière qui y sont en souffrance, doivent nous convaincre,
messieurs, que la situation actuelle des affaires d’outre-Moerdyck
devient de plus en plus difficile. Tâchons donc de rendre la position de ce
pays encore plus intolérable par une guerre douanière et financière, et nos
différends avec la Hollande finiront par s’arranger.
La souffrance de l’industrie agricole est telle que
le gouvernement a été obligé de présenter en sa faveur une loi sur les
céréales. Le roi Guillaume a dû se départir des principes de liberté illimitée
qu’il affectionne. A plus forte raison la Belgique doit-elle le faire. Tout en
votant le principe de la loi, j’engage M. le ministre à nous soumettre
promptement son nouveau projet de loi douanier tendant à modifier la loi générale
du 6 août 1822, car jusqu’à présent le fisc n’a pas su percevoir les droits
existants que la fraude élude. Je le répète, si l’on ne change pas le système
actuel, grand nombre de contrebandiers exploiteront de plus en plus nos tarifs
majorés et s’enrichiront aux dépens du trésor public. C’est ce scandaleux
trafic illicite que nous voudrions voir anéantir ; l’appât qu’il offre
démoralise et éloigne d’un travail honnête ceux qui s’y livrent. La matière en
discussion pouvant donner lieu à de longs débats, je bornerai la pour le moment
mes observations, me réservant de prendre la parole dans la discussion des
articles.
M.
le ministre des finances (M. d'Huart). - Mon intention n’est pas
d’entrer actuellement dans le fonds de la discussion ; Je me propose d’entendre
auparavant encore quelques orateurs. Je répondrai seulement à la dernière
partie du discours de l’honorable préopinant. Il est dans l’erreur quand il
pense que le droit proposé sera illusoire si la révision générale de notre
législation douanière n’est pas faite en même temps. Il est proposé dans la loi
même des dispositions qui sanctionneront la perception du droit, et c’est ainsi
que dans les 8 articles qui suivent l’article 1er, j’ai présenté spécialement à
la législature les moyens que je crois nécessaires pour obvier à la fraude en
ce qui concerne l’introduction du bétail. La loi que réclame M. Rodenbach est
donc complètement inutile dans l’espèce.
M. Rogier. - La loi
qui vous est proposée par M. le ministre des finances peut être envisagée sous
deux points de vue différents, d’abord comme renforçant le droit imposé à
l’introduction du bétail, en second lieu comme renforçant les mesures de police
douanière.
Je n’entreprendrai pas l’examen détaillé des deux
questions que soulève le projet de loi. Je me permettrai seulement de me livrer
à quelques considérations générales.
Messieurs, la mesure que l’on vous propose vous a
surtout été présentée connue ayant un caractère politique. C’est surtout par
des considérations politiques que plusieurs orateurs se sont proposé de la
défendre.
M. le ministre des finances lui-même a annoncé
cette loi comme une loi politique où l’économie politique n’entre pour rien.
S’il s’agit d’une mesure politique contre la Hollande, à la bonne heure ; s’il
s’agit de représailles, si c’est une guerre industrielle que l’on veut
entreprendre contre le Hollande, soit ; mais déclarons-la franchement, suivons
une politique vengeresse, rompons toute relation avec ce pays. Car, en dépit
des mesures prises par le roi Guillaume, ces relations existent. Malgré tous
les efforts faits par le gouvernement hollandais pour interdire toute
communication entre les deux nations, elles n’ont pas tardé à s’ouvrir, dès que
le besoin s’en est fait sentir. Elles sont telles aujourd’hui que l’on peut
dire qu’elles sont à peu près sur le même pied qu’avant la séparation des deux
pays.
Seulement le roi Guillaume a la satisfaction de
faire payer à ses sujets nos produits un peu plus cher que s’il en permettait
l’importation directe et de se dire qu’il a rompu toute communication avec ses
sujets révoltés. Nous envoyons cependant en Hollande nos draps, nos cotons, nos
fers, nos toiles, nos charbons, nos pierres, nos clous, nos armes, notre zinc,
et une foule d’autres produits de notre industrie et de notre sol. Il est vrai
que la Hollande nous expédie en échange ses fromages, pour la consommation
desquels l’antipathie nationale commence à s’affaiblir (hilarité), son bétail dont nous avons besoin, ses cafés qui nous
coûtent moins que si nous allions les chercher en Allemagne ou en Angleterre.
Mais comme nous avons sur les Hollandais une supériorité industrielle
incontestable, je soutiens que la balance commerciale, pour me servir de
l’ancienne expression, est complètement en notre faveur.
Si c’est un système général que l’on se propose,
qu’on nous le présente complet et nous le discuterons ; mais que l’on ne nous
présente pas des mesures partielles, mais surtout des mesures qui manqueraient
leur but ou qui le dépasseraient. Ainsi considérée, la proposition de la
section centrale, à laquelle je félicite M. le ministre des finances de ne
s’être pas rallié, frappe à droite et à gauche, amis et ennemis. Elle ne veut
pas plus du bétail allemand que du bétail hollandais. Pour arrivera à ce but,
on vous propose des droits que l’on reconnaît être prohibitifs, des droits qui
ont été demandés par M. le ministre des finances, qui, dans une autre
circonstance, disait qu’il ne voulait que des droits modérés.
En second lieu, on vous propose au transit une
prohibition absolue. Voilà par quels moyens l’on veut frapper la Hollande, et
l’on frappe en même temps des pays qui ne nous ont pas déclaré la guerre.
Depuis cinq ans nous sommes en pleine paix industrielle avec l’Allemagne. Nous
ouvrons même des communications nouvelles pour l’engager à multiplier ses
relations avec nous, et c’est dans une pareille position vis à vis de ce pays
que l’on vient nous proposer une loi qui peut avoir pour résultat de
compromettre tontes nos relations avec nos voisins.
Je ne rappellerai pas que nous avons pris plusieurs
mesures contraires aux intérêts de l’Allemagne, sans que la Prusse ait répondu
par des représailles, Mais je ferai observer que le roi Guillaume voulant aussi
porter remède aux souffrances de l’agriculture hollandaise, et se montrant
disposé à rentrer dans un système plus ou moins prohibitif, le gouvernement
prussien lui a, à ce qu’il semble, adressé une note assez énergique pour le
détourner de cette résolution. Je ne sais pas, messieurs, si la Prusse, qui
nous a déjà envoyé un avis à propos de la loi sur les cotons, ne nous en
enverra pas un second à propos de la loi actuelle. Les ministres doivent être
mieux informés que nous à cet égard.
Il est possible après tout que l’Allemagne n’ait
pas encore connaissance de la mesure qui nous occupe. Car c’est tout au plus si
elle est connue dans le pays. Oui, messieurs, il est positif qu’une loi qui a à
peu près la même portée que la loi sur les céréales a été soumise à votre
examen sans information ni enquête préalable. Un moyen très sage avait été
adopté par la chambre à propos des céréales ; elle avait consulté toutes les
commissions d’agriculture et toutes les chambres de commerce du royaume. C’est
la marche que l’on a suivie également à propos de la loi sur les cotons ; on a
même poussé l’enquête plus avant, et la chambre sait le parti que les auteurs
même de cette dernière mesure ont tiré de cette enquête. Mais, pour la loi sur
l’entrée du bétail qui est d’un si haut intérêt, on a dévié de cette prudente
ligne de conduite. L’on n’a consulté ni les commissions d’agriculture ni les
chambres de commerce.
L’on ne connaît donc pas l’opinion du pays : il est
vrai que quelques plaintes ont retenti dans cette enceinte et dans le sénat ;
que quelques orateurs ont manifesté le désir de voir la législature adopter des
moyens de protection plus efficaces pour le bétail indigène. L’on se rappelle
que des demandes semblables nous ont valu la loi sur les distilleries et l’on
sait ce qui est résulté d’une loi adoptée sans information ni enquête
préalables.
Je sais bien aussi qu’un certain nombre
d’agriculteurs réclament une loi contre le bétail hollandais. Je sais même que
son adoption serait agréable à une partie de la province et du district que
j’ai l’honneur de représenter. Ce qui ne m’empêchera pas de faire ressortir les
vices que j’aperçois dans le projet, et de repousser la loi si elle ne subit
pas des modifications fondamentales.
A-t-on consulté le département de l’intérieur, dans
lequel se trouve comprise la division du commerce, de l’agriculture et de
l’industrie ? Je n’en sais rien ; mais j’ai lieu d’en douter. Car je trouve une
contradiction entre deux projets de loi présentés à quelques semaines
d’intervalle : l’un le 4 juin dernier par M. le ministre de l’intérieur sur le
transit…
M. le ministre des
finances (M. d'Huart). - Et par moi !
M. Rogier. - Alors
vous serez en contradiction avec vous-même et par M. le ministre des finances.
Dans cette loi on frappe les chevaux et les poulains d’un droit de 4 francs par
tête au transit. L’autre loi, présentée le 9 août suivant par M, le ministre
des finances frappe les chevaux et les poulains de la prohibition au transit.
Ce n’est pas entre le 4 juin et le 9 août que le besoin de frapper de
prohibition le transit des chevaux et poulains a dû se faire sentir ; il y a
donc manifestement ici une contradiction avec votre premier système, sans que
vous puissiez la justifier par la connaissance de faits et de besoins nouveaux.
Enfin, messieurs, a-t-on consulté les antécédents
de la chambre ? Je crois pouvoir dire que non.
On frappe l’importation du bétail étranger de
droits prohibitifs. Les antécédents de la chambre ne sont-ils pas contraires à
ce système ? De la dernière discussion sur les cotons, n’est-il pas
manifestement résulté que la chambre n’entendait pas s’associer à un système de
droits prohibitifs ? Si on n’a pas mis la question de prohibition aux voix,
c’est que tout le monde était d’accord sur cette question. On m’a même accusé
d’opiniâtreté parce que j’insistais pour que la chambre se prononçât sur cette
question, en objectant que tout le monde était d’accord contre la prohibition.
Cela se passait il y a trois mois, et aujourd’hui on vient proposer
l’introduction du bétail étranger, des droits déclarés prohibitifs par la
commission elle-même.
Pour le transit, je dis également qu’on méconnaît
les intentions de la chambre. Dans la loi des céréales, qui était une loi
restrictive de l’importation des grains étrangers, on s’est montré très libéral
pour le transit. On en a diminué le droit d’autant plus qu’on avait augmenté le
droit d’importation.
N’est-il pas vrai, M. Eloy de Burdinne ?
Si M. Eloy qui était un des auteurs de la
proposition ne s’en souvient pas, la chambre se le rappellera.
Eh bien, aujourd’hui on propose d’augmenter jusqu’à
un taux prohibitif le droit à l’importation et de prohiber le transit du bétail
étranger, Je dis encore qu’on méconnaît les intentions de la chambre.
Je ne sais si on a consulté les employés inférieurs
qui ressortissent à l’administration des finances, sur l’exception de la loi
projetée. Mais je doute qu’ils aient pu conseiller au ministre des mesures de
police telles que celles qui sont présentées dans le projet de loi, mesures
dont plusieurs sont très vexatoires, et dont plusieurs aussi sont vraiment
impraticables.
Je pourrais également dire qu’ici le projet de loi
est en contradiction avec les antécédents de la chambre ; car, dans la
discussion cotonnière, la chambre s’est prononcée contre des mesures qui ont
une grande analogie avec celle-ci, contre les visites domiciliaires. D’après le
projet de loi, les visites pourront avoir lieu en tout temps chez les paysans
du rayon. Il faudra, dit-on, l’autorisation d’un employé supérieur pour faire
ces visites. Mais dans beaucoup de villages l’employé supérieur n’est pas d’un
rang très élevé, c’est souvent un brigadier.
M. le ministre des
finances (M. d'Huart). - Cela existe aujourd’hui.
M. Rogier. - Je
crois que c’est une erreur, et si cela était, ce serait une illégalité, car la
loi n’autorise pas de visites en tout temps chez tout possesseur de bestiaux.
A-t-on consulté tous les intérêts agricoles qu’il s’agit
de protéger ? Je ne dis pas qu’une grande partie ne se trouvera pas satisfaite
à tort ou à raison par le projet qui vous est soumis, mais il en est qui ne le
seront pas, d’après le rapporteur lui- même.
Voici ce qui se passe dans la province d’Anvers.
Des bouchers et des agriculteurs achètent en Hollande du bétail maigre qu’ils
importent, engraissent et vendent dans cet état. Ce sont des industriels dont
l’industrie consiste à engraisser du bétail. Ils vont en Hollande chercher leur
matière première pour l’exploiter.
Plusieurs
membres. - C’est une erreur.
M. Rogier. - Je le
tiens de gens qui font ce commerce. Je suis étonné des dénégations que
j’entends. Je ne les relèverais pas si elles n’étaient pas bruyantes. Au reste,
le rapport de la section centrale le dit lui-même.
« Elle a pensé, dit-elle, page 3, que si
quelques parties du royaume peuvent avoir encore besoin de bétail maigre venant
de l’étranger, etc. »
On reconnaît donc que ce fait existe. Je le tiens,
je le répète, d’industriels de cette espèce. Vous allez paralyser leur
industrie en les obligeant à prendre leur bétail maigre en Belgique, quand ils
avaient plus d’avantage à le prendre en Hollande.
Messieurs, je dis que cette loi ne sera pas en tous
points agréée par ceux qu’elle a en vue de satisfaire, surtout à cause des
moyens de police extraordinaires qu’elle va mettre entre les mains de
l’administration, à l’égard des agriculteurs.
La loi du 26 août 1822 établissait des exemptions
en faveur de l’agriculture, et aujourd’hui on les supprime pour les remplacer
par des mesures qui vont aggraver la situation déjà pénible des habitants du
rayon de douanes.
Vous savez que sons le rapport de ses frontières,
la Belgique est un fort grand pays. Je me suis occupé de mesurer l’étendues de ses frontières, et j’ai trouvé qu’elles
étaient d’environ 260 lieues. Il faut être sobre de mesures de police à
appliquer sur une telle circonférence et sur une largeur de deux lieues. On
doit rendre grâces, toutefois, à la commission de n’avoir pas porté le rayon à
4 lieues comme quelques membres en avaient manifesté l’intention.
Notre pays est ainsi fait, que, sur neuf provinces,
huit sont provinces frontières. Une seule n’a pas cet avantage, c’est la
province du Brabant, et il est à remarquer que c’est de cette province mêm que sont arrivées les pétitions les plus pressantes
contre l’introduction du bétail étranger.
Messieurs, dans un tel état de choses, je crois
pouvoir dire avec raison qu’il serait désirable que la chambre ne hâtât pas la
discussion, qu’elle prît les informations qui n’ont pas été prises ou qu’on ne
lui a pas données. Tout à l’heure, je les spécifierai.
Mon intention ne serait pas de retarder par un tel
moyen et pour cela seul la discussion du projet ; mais, dans mon opinion, nous
ne pouvons discuter en connaissance de cause ; nous ne pouvons être conséquents
avec nous-mêmes qu’en nous entourant des renseignements qu’on a requis dans
d’autres circonstances.
La position des adversaires du projet est assez
singulière. On nous ferait assez volontiers passer pour des têtes chaudes, pour
des réformateurs à tout prix, pour des théoriciens, tandis que, dans cette
question, nous sommes de bons et honnêtes conservateurs, de véritables
stationnaires.
Nous voulons le maintien du statu quo ; nous
bornons l’ambition de nos réformes à demander qu’on touche
pas à ce qui est. Les réformateurs sont ceux qui veulent les changements
radicaux. Ce sont, c’est vrai, des réformateurs d’une espèce singulière, des
réformateurs à reculons. Mais de leur côté n’en est pas moins le mouvement ; du
nôtre, c’est la résistance et le repos. Les réformateurs sont ceux qui veulent
des réformes que nous repoussons. Ce que nous demandons et ce que demandent
aussi les habitants du rayon des douanes, c’est une surveillance sévère,
rigoureuse, honnête, des frontières.
On se demande, par exemple, si les douanes
signifient quelque chose alors qu’on peut impunément introduire en fraude des
objets comme des vaches et des bœufs. On se dit : Si les douaniers ne sont pas
en état de s’apercevoir de l’introduction frauduleuse de choses aussi
difficiles à manier que des bœufs et des vaches qu’on ne cache pas comme un
paquet de coton, à quoi sert la douane ? Un service plus rigoureux sur la
frontière, voilà ce qu’on voudrait. Plusieurs ne demandent ni augmentation de
droit, ni moyens de police nouveaux, mais qu’on surveille la frontière de
manière que des marchandises comme des bœufs et des vaches ne puissent pas
entrer sans être vues. Je suis, tout autant qu’un autre, partisan, zélé
défenseur des intérêts agricoles. J’estime beaucoup l’industrie agricole, et
s’il y avait un choix à faire, dans l’état actuel des choses, entre la
suppression d’une industrie manufacturière et la suppression d’une industrie
agricole, je crois que je me prononcerais en faveur de l’industrie agricole ;
mais je n’entends pas tout faire en faveur de l’industrie agricole. Je veux
bien lui faire une part très large dans les bienfaits de nos lois, mais je ne
veux pas qu’elle les absorbe tous, si toutefois il peut y avoir bienfait pour
elle dans une loi prohibitive.
Je rappellerai que, depuis la révolution,
l’industrie agricole a été favorisée par plusieurs mesures notables : la
suppression de l’abattage, la loi sur les céréales, la loi sur les
distilleries. De plus, un droit sur le bétail hollandais, qui n’existait pas
avant notre séparation de la Hollande.
Autrefois le bétail belge devait lutter contre le
bétail hollandais, car il n’y avait pas de douanes ; depuis la révolution on a
établi des droits contre le bétail hollandais ; c’est là un avantage ; comment
se fait-il que vous fassiez moins bien vos affaires actuellement que vous ne
les faisiez alors ?
Quelques
membres. - L’agriculture se plaignait !
M. Rogier. -
L’agriculture se plaignait ! sans doute ; mais c’était
pour d’autres motifs.
Voici encore une considération qui a quelque valeur
: Par l’introduction de la péréquation cadastrale on a réparé une grande
injustice à l’égard des campagnes ; je le reconnais. Cette injustice durait
depuis longtemps, et, selon quelques-uns, devrait durer encore afin d’éviter de
mécontenter les villes.
Quoiqu’il en soit, on a déchargé les campagnes d’un
poids qu’elles supportaient depuis quarante années. Pour moi, je suis d’avis
qu’il faut faire rendre justice à tous ; qu’il faut que les campagnes soient
dégrevées ; mais je crois que le moment n’est pas venu de leur donner un
nouveau dégrèvement et surtout un dégrèvement dont le contrecoup doit tomber
sur les villes.
L’interdiction dont vous allez frapper le bétail
hollandais influera sur le prix du bétail belge ; sans cela je ne comprendrais
pas le but de votre loi. On dit qu’actuellement les bouchers achètent bon
marché la viande et qu’ils la vendent cher ; qu’on pourra augmenter le prix du
bétail sans qu’ils soient obligés d’élever le prix de la viande ; mais je tiens
de quelques bouchers que s’ils achètent plus cher, il faudra bien qu’ils
vendent plus cher ; qu’ils feront dans leur industrie ce que tous les
industriels feraient dans des cas analogues.
Voyez le rapport du ministre des finances,
accompagnant le projet de loi sur la péréquation cadastrale. Suivant ce
rapport, en Hollande, la proportion de l’impôt foncier, relativement au revenu,
est beaucoup plus élevée qu’en Belgique. Par exemple,
lorsque nous payons 10, le propriétaire foncier paie 13 1/2 en Hollande. La
proportion de l’impôt au revenu est ainsi de 13 à 14 en Hollande et de 10 chez
nous. Si le royaume des Pays-Bas existait encore, la péréquation aurait donc
augmenter l’impôt en Belgique de 2 p. c., au moins.
Or, qui est-ce qui gagne ces 2 p. c. ? L’agriculteur.
J’en suis charmé pour la propriété foncière ; et, pour le dire en passant,
c’est encore là un des avantages que les propriétaires ont retirés de la
révolution.
M. le ministre des
finances (M. d'Huart). - Qu’est-ce que cela prouve ?
M. Rogier. - Cela
prouve, M. le ministre des finances, que le paysan hollandais paie en impôt
foncier 4 p. c. de plus que le nôtre, et cette preuve se tire du rapport
remarquable et très bien fait que vous avez joint au projet de loi, concernant
la péréquation cadastrale
Messieurs, j’aurais désiré qu’en présence de
considérations aussi puissantes contre la mesure, on nous eût au moins fourni
des renseignements qui manquent pour démontrer la nécessité de la loi. On
prétend que le prix de notre bétail a toujours été en diminuant ; que nous
sommes inondés de bétail hollandais ; on aurait bien fait de joindre à ces
assertions des états indiquant les prix et quantités de bétail hollandais vendu
sur nos marchés depuis 5 ans ; on aurait dû nous donner des états indiquant les
bestiaux importés ou transités ; nous n’avons rien de semblable ; nous
raisonnons sur de simples hypothèses et d’après deux pétitions imprimées. Ce
n’est pas tout : je voudrais que l’on nous fît connaître l’avis des commissions
d’agriculture, lequel probablement serait favorable ; mais je voudrais qu’on
donnât en même temps l’avis des chambres de commerce et d’industrie.
En fait d’avantages à accorder à l’agriculture, il
en est quelques-uns dont on pourrait la faire jouir sans recourir à des lois
prohibitives, et que je vais indiquer en quelques mots.
L’agriculture réclame des modifications à la loi
sur les distilleries : relativement aux exportations, on dit que les droits
restitués à la sortie ne sont pas en rapport avec ceux qui ont été perçus ; on
pourrait donc accorder quelque chose sur ce point.
Les peaux fraîches sont frappées à la sortie d’un
droit qui en gêne l’exportation : ce droit ne peut-être établi qu’en faveur des
tanneries, et on ne voit pas pourquoi on leur a fait cette faveur ; on le voit
d’autant moins que les cuirs secs ne sont frappés que de droits peu élevés. Je
tiens qu’il serait utile de diminuer les droits à l’exportation des peaux
fraîches. Cet article n’est pas peu de chose ; car, dans le tableau de nos
exportations en France, en 1833, il y figure pour la somme de 860,000 francs.
On pourrait exporter ailleurs qu’en France ; le commerçant qui m’a donné des
renseignements sur cet objet exporté en effet dans d’autres contrées.
Les poils sont encore frappés d’un droit à la
sortie ; ce n’est pas là un article peu important ; car d’après le même tableau
nous en avons exporté en France pour des valeurs assez considérables : 427,000
fr
Voilà des moyens de favoriser l’agriculture sans
prononcer des prohibitions. Je m’opposerai aux mesures de ce genre, soit
qu’elles concernent l’entrée ou la sortie. Ainsi, je combattrai les mesures
réclamées dans cette enceinte ou au-dehors contre la libre sortie du lin, et
celles qu’on demanderait contre la sortie du bois. En attendant, que le
gouvernement continue à favoriser l’agriculture de tous ses moyens, qu’il
courage la création d’écoles vétérinaires, de haras ; qu’il encourage les
diverses cultures appropriées au sol et au climat, l’introduction d’espèces
d’animaux et d’instruments aratoires perfectionnés… Il peut encore favoriser
l’agriculture en surveillant les octrois des villes : par des droits d’octroi
on peut, en effet, paralyser tout ce que renfermerait d’avantageux un bon
système de douanes ; les octrois peuvent détruire les effets des lois les plus
libérales. Vous aurez beau porter de telles lois, si vous ne mettez pas un
frein à cette disposition qu’ont certaines régences d’augmenter outre mesure
les droits d’octroi, vous n’arriverez à aucun résultat.
Vous voulez prendre des mesures qui auront pour
effet probable l’augmentation du prix de la viande, tandis que le plus grand
nombre des habitants des campagnes, au point de civilisation où nous sommes, ne
peut en manger que très rarement.
Un membre. - Les habitants des campagnes mangent du porc !
M. Rogier. - Ils
mangent du porc, dites-vous ; mais je voudrais que leur nourriture fût plus variée
et plus saine, ce qui aurait lieu s’ils pouvaient faire usage de viandes
fraîches.
Je terminerai ici, messieurs, en manifestant de
nouveau le regret de ce qu’on ne nous ait pas présenté des documents qui nous
auraient permis de suivre la discussion dans tous ses détails et de combattre à
armes égales.
M. le ministre des
finances (M. d'Huart). - Il n’est pas surprenant de voir l’honorable
préopinant s’opposer à la mesure proposée. Cet honorable membre s’est déclaré, en
toute occasion, l’ennemi de toute protection accordée à l’industrie et à
l’agriculture. Il est naturel qu’il suive la voie qu’il s’est tracée à cet
égard. Mais j’aurais désiré que, dans les arguments qu’il a présentes, il eût
au moins laissé mes intentions intactes. Il a cherché à me présenter comme en
contradiction avec moi-même, alors qu’il n’y a dans ma conduite aucune
contradiction. Il a rappelé que je m’étais montré l’ami de droits modérés en
matière de douanes et il a conclu contre moi, parce que, dans la circonstance
présente, j’ai demandé des droits protecteurs, des droits prohibitifs si vous
voulez. L’honorable préopinant s’est sans doute tracé une règle invariable, de
laquelle il ne veut dévier en aucune circonstance et pour aucun cas spécial. Pour
moi je ne veux pas une règle aussi inflexible ; je veux dans certains cas
spéciaux faire fléchir la règle générale, si cela est utile à mon pays, et
appliquer des droits prohibitifs, s’il le faut.
L’honorable préopinant m’a reproché, ou plutôt il a
reproché au gouvernement à propos de la loi du transit, car c’est au nom du
gouvernement que cette loi a été présentée à la chambre ; il lui a reproché,
dis-je, qu’après avoir présenté une loi favorable au transit, il était venu peu
de jours après en déposer une, qui est en quelque sorte prohibitive du transit.
Je répondrai sur ce point de la même manière que je viens de le faire sur un
autre : Le transit est libre ou à peu près c’est là, il est vrai, la règle
générale du projet présenté ; mais ici une déviation à cette règle générale
nous a paru nécessaire, et nous demandons, par exception à la règle générale du
premier projet, une restriction du transit sur une partie de nos frontières
seulement, car la loi en discussion est loin de les concerner toutes ainsi
qu’on semble vouloir le supposer erronément.
L’agriculture n’est pas une industrie spéciale,
comme les autres industries ; elle est générale et intéresse tous les citoyens,
car personne ne peut se dispenser de faire usage de ses produits ; ne nous
étonnons donc pas que s’il s’agissait de donner la préférence à une industrie
spéciale ; si la question était ainsi posée qu’il fallût sacrifier une
industrie quelconque à l’agriculture, l’honorable préopinant lui-même
donnerait, comme il l’a dit, la préférence à l’agriculture ; et, en effet, il
faut bien se résigner à reconnaître que si on tuait l’agriculture, on tuerait
en même temps la nation elle-même.
Il est de ces vérités de tous les temps et qui ne
varient jamais. En voici une de cette nature :
Lorsque l’agriculture périclite, les manufactures
et le commerce périclitent ; les villes sont toujours malheureuses lorsque
l’habitant des campagnes n’a pas le moyen d’échanger avantageusement avec le
négociant les produits du sol contre les marchandises de toute espèce. Ceci
prouve assez la nécessité, dans l’intérêt de tous, de protéger l’agriculture.
Il ne s’agit nullement, comme on a voulu le dire,
de faire renchérir le prix de la viande ; tel n’est pas le but et tel ne sera
pas le résultat de la loi ; il s’agit seulement d’empêcher que le bétail
étranger soit livré à la consommation intérieure à notre détriment, il s’agit
d’assurer la vente de nos produits à l’exclusion de ceux des ennemis du pays ;
car il n’est question que de la Hollande, la mesure n’est pas générale, comme
on a cherché à le faire croire pour y jeter de l’odieux sur la loi.
Tout le résultat de la loi sera, je le répète, de
faire consommer les produits du pays qui sont en plus grande abondance que les
besoins ne le réclament.
J’ai dit, messieurs, que la nation entière, ou, si
vous voulez les 19/20, avaient le même intérêt ici : comment dès lors
pourriez-vous refuser l’adoption d’une mesure qui est évidemment avantageuse ?
Ce n’est pas ici le cas de craindre le monopole, ni
la pénurie le monopole, mais il n’y en a point quand
tous sont en cause pour les mêmes objets ; la pénurie, mais la Belgique produit
et peut produire six fois plus de bétail qu’il n’en faut pour sa consommation.
Voyons maintenant (et ici je fournirai quelques-uns
des éléments demandés par le préopinant), voyons si la question est assez
importante pour attirer efficacement votre attention, et pour nécessiter la
mesure que j’ai l’honneur de défendre. Je pense que la preuve n’en sera pas
difficile à administrer ; je la puiserai simplement dans l’importation de 1834,
et s’il le faut, dans l’évaluation du produit de cette importation. J’irai plus
loin ensuite s’il est nécessaire.
En 1834, il a été introduit de l’étranger, et il
est resté pour la consommation intérieure du pays :
Bœufs, taureaux ou vaches, 5,706.
Génisses, 4,231.
Moulons, 7,415.
Agneaux, 3,989.
Total, 21,341 animaux.
Je ne parle pas d’autres animaux de plus petite
stature, également introduits dans le pays ; cependant, si je les ajoutais, on verrait
que le bétail introduit dans le pays a dépassé le chiffre de 22,000.
Ce nombre déjà ne vous paraîtra-t-il pas énorme,
déplorable pour un pays qui produit infiniment plus qu’il ne lui faut pour sa
consommation ?
Maintenant je vais évaluer aussi approximativement
que possible, en valeur, ce que ces introductions ont enlevé à notre
production. Ici veuillez faire attention que je n’attribue rien à la fraude ;
je parle d’après les étais de la douane, d’après des données positives sur
l’introduction de ces animaux.
J’évalue les bœufs, vaches et taureaux à 500 fr.
chacun. (Je demande pardon à la chambre d’entrer dans de tels détails ; mais je
les crois nécessaires pour faire apprécier la véritable position des choses.)
Je ferai remarquer que ce prix de 500 fr. est
certainement bien au-dessous du prix moyen réel de ces animaux ; car on sait
que ceux exportés de la Hollande sont d’une forte stature, presque tous gras et
pesant de 350 à 400, et même 500 kilog. ; mais je prends la moyenne de 800 livres. Le prix que j’ai
indiqué n’est donc pas trop élevé ; car il ne porterait le prix brut de la
viande qu’à 37 centimes 1/2 la livre, alors que nos bouchers la vendent
généralement dans le pays de 50 à 55 c.
J’entends contester derrière moi ce calcul, parce
que je ne parle pas de ce qu’il y a à déduire du poids des animaux dans le
débit de la viande. Cependant, si je faisais ce calcul, cela établirait la
viande à un prix inférieur à celui de 37 c. puisqu’on sait que le cuir et la
graisse se vendent plus cher que la viande même.
5,706 taureaux, bœufs ou vaches à 300 fr., prix
moyen, produisent, 1,711,800 fr.
4,231 génisses à 125 fr., prix moyen (prix
assurément au-dessous du prix réel, parce que l’on introduit souvent des
vaches, de fortes bêtes, sous le nom de génisses), produisent 528,875 fr.
7,415 moutons à 15 fr., prix moyen, produisent
23,934 fr.
Total, 2,375,834 fr.
Somme enlevée à notre agriculture ; exportée de
Belgique puisqu’elle a été payée à des producteurs étrangers.
Ajouter à ces quantités et à ces sommes ce qui
s’est infiltré en fraude et ce qui s’est fait par transit (et remarquez que la
vente par transit pour la France nous la ferions nous-mêmes s’il n’était pas
favorisé), et vous aurez une juste idée des pertes considérables que nous
essuyons bénévolement.
Ici je crois que la chambre ne sera pas fâchée de
savoir que 1,233 bœufs, taureaux ou vaches ont
traversé la Belgique pour être vendus en France. Nous les lui aurions livrés
nous-mêmes si les Hollandais n’avaient pas traversé librement notre pays pour
vendre son bétail à nos voisins.
Ici je dois faire une observation spéciale pour la
France. On nous objectera : Mais la mesure proposée ne mécontentera-t-elle pas
la France ? Vous allez la gêner dans ses facilités de se procurer du bétail. Ah
! messieurs, cette objection serait curieuse à
entendre ! Avons-nous à craindre de gêner la France dans l’acquisition de son
bétail, alors qu’elle frappe nos bœufs d’un droit de 50 fr. à l’entrée. Qu’elle
abaisse ce droit à 20 fr. ; alors elle aura chez nous le bétail avec beaucoup
plus de facilité et à beaucoup meilleur marché qu’en Hollande. (Adhésion.)
Je dois ajouter que 4,057 moutons ont traversé le
pays pour être vendus en France ; et cependant vous savez que dans une étendue
considérable de la Belgique, le sol ne produit que les végétaux propres à la
nourriture des moutons, C’est ainsi que dans une partie des Ardennes, de la
province de Namur et de celle de Liége, on ne tirerait aucun parti du sol, si
on ne pouvait y faire paître les moutons ; conçoit-on dès lors une telle
facilité de transit !
Messieurs, l’honorable M. Rogier a présenté un
argument qui, au premier abord, paraît avoir quelque force, et qu’il convient
de réfuter, Il vous a dit que, lors de notre réunion avec la Hollande, le
bétail hollandais entrait librement en Belgique et réciproquement ; qu’à cette
époque, l’agriculteur belge devait bien tâcher de se tirer d’affaire.
Il est assez facile de répondre à cela. Je dirai
d’abord que si le bétail hollandais entrait en concurrence avec le nôtre, nous
déverserons en revanche sur la Hollande nos céréales et nos autres produits
agricoles. Non seulement nos céréales servaient à sa consommation, mais la
Hollande nous ouvrait les débouches de son commerce maritime pour l’écoulement
de nos produits agricoles.
Alors, au surplus, la Hollande ne songeait pas à
rivaliser avec nous pour la vente du bétail. Elle ne s’attachait pas à ce
commerce qui était en quelque sorte au-dessous d’elle.
Elle en avait d’autres plus avantageux qui
attiraient ses soins. Mais, dans sa position actuelle, elle est obligée de
tirer parti de tous ses moyens d’existence. Le paysan hollandais, pressuré par
le fisc, est obligé de vendre son bétail à tel prix que ce soit, pour payer les
contributions extraordinaires dont il est imposé.
Il ne faut pas toutefois perdre de vue que, pendant
notre réunion à la Hollande, l’agriculture belge a presque toujours souffert. A-t-on oublié les plaintes qui n’ont cessé de
retentir pendant cette période ? A-t-on oublié que quand on néglige les
doléances de l’agriculteur, on arrive où vous savez ? En mécontentant les
agriculteurs, on indispose les l9/20 de la nation ; leur mécontentement est
toujours dangereux.
Messieurs, lorsqu’il y a dix-huit mois nous
appuyions dans cette enceinte la loi sur les céréales, l’on voulait nous
effrayer par le renchérissement du pain. L’on nous montrait nos villes exposées
à la famine. L’on nous représentait les ouvriers des fabriques comme prêts à se
révolter contre leurs chefs. De tout cela rien n’est arrivé. L’expérience a
démontré l’opportunité de la loi.
Le pain n’a pas renchéri et la loi sur les céréales
a produit les effets les plus avantageux. (Approbation.)
A l’occasion de cette loi, nous demandions qu’au lien de consommer les grains
étrangers, nos concitoyens se nourrissent des produits de notre sol. Nous
demandons par la loi actuelle une mesure tout à fait analogue, et par là,
également favorable envers les nationaux.
On a paru croire que nous considérions la mesure
que nous proposons comme absolument politique et essentiellement vengeresse. Il
n’en est pas ainsi. Notre loi n’est pas absolument politique et vengeresse.
Elle n’a pas pour but de faire du mal aux Hollandais ; nous la proposons pour
qu’elle fasse du bien aux Belges. Elle est tout à fait dans l’intérêt des
nationaux, et c’est pour cela que nous la défendons. Nous n’avons pas à
conserver avec le gouvernement hollandais les égards de bon voisinage, que les
autres nations sont en droit d’attendre de nous. Que les Hollandais reviennent
envers nous à des sentiments de conciliation et de modération, ils nous
trouveront prêts à régler avec eux des conventions davantage réciproques.
Nous n’agirons pas avec la Prusse comme nous
agissons avec la Hollande. Nous avons des motifs de prendre en considération
nos relations existantes avec ce pays. Nous sommes d’ailleurs trop désireux de
les étendre encore pour les éloigner par des mesures diamétralement contraires
à ses intérêts.
Messieurs, on pourra me dire que dans ce cas la loi
sera inefficace puisque la Hollande pourra nous envoyer son bétail par la
Prusse. Cela ne sera pas ainsi, la Prusse ne pourra nous envoyer du bétail
hollandais ; les détours à faire, les frais de douanes et autres y mettront
obstacle ; dès lors si l’on ne doit envisager les choses que par rapport à la
Prusse seulement et que l’on considère qu’aujourd’hui les importations de ce
pays comparées à celles de la Hollande sont insignifiantes, cette objection ne
serait pas fondée.
En effet, sur 6,959 bœufs, vaches ou taureaux
introduits en Belgique, la Prusse ne nous en envoie que 1,518 ; la Hollande
5,386.
Il est une autre considération qui ne se présente
pas à l’égard de la Hollande comme elle existe en faveur de la Prusse. Chacun
de vous sait que la Hollande n’introduit que des bêtes engraissées dans ses pâturages,
destinées à la boucherie ; la Prusse au contraire ne nous envoie que du bétail
maigre. Les bœufs qu’on rachète servent aux travaux agricoles. Lorsque ces
travaux sont terminés, les agriculteurs belges engraissent leurs bestiaux, et
les vendent. Le bétail acquiert ainsi dans le pays une valeur supérieure au
prix d’achat, de telle sorte que s’il n’y est pas élevé, il permet au moins de
faire quelques bénéfices par l’engraissement. Vous savez que le Birkenfeld,
contrée de Prusse, produit des bœufs dont la configuration naturelle est
extrêmement propre à supporter les fatigues de la culture des terres ; sous ce
rapport, leur importation chez nous est très utile, et vous le voyez, nous
sommes par conséquent loin d’avoir, pour prohiber le bétail prussien, les mêmes
raisons politiques et les mêmes raisons d’intérêt que vis-à-vis de la Hollande.
On a parlé de la gêne que l’exécution de la loi
devait occasionner aux agriculteurs. L’on a dit qu’elle serait impraticable. Je
vous dirai, messieurs, que la loi existe déjà d’une manière administrative,
qu’elle est mise à exécution dans la province même dont l’honorable préopinant
est le représentant. Elle n’est donc pas inexécutable comme il le prétend. Il y
a trois ans, un chef supérieur de douanes, convaincu qu’il était urgent de
chercher des moyens de réprimer la fraude du bétail dans le royaume, laquelle
n’est pas aussi facile à empêcher que le croit M. Rogier, demanda au ministère
la permission de se procurer le matériel nécessaire pour essayer la possibilité
d’introduire l’espèce de contrôle que nous demandons aujourd’hui. On l’autorisa
à faire un essai, et cet essai a répondu à son attente.
Les particuliers n’ont trouvé aucune gêne à
déclarer leurs animaux. Le contrôle a été tenu ; tout cela s’est passé sans qu’on
s’en soit aperçu. Car les habitants des campagnes, ceux au moins qui ne
voulaient pas se livrer à la fraude, savaient que cette mesure était prise dans
leur intérêt.
L’on a lancé dans la discussion les mots de visite
domiciliaire. J’ai interrompu à ce moment l’orateur, à tort sans doute ; mais
je voulais lui rappeler que le droit de visite domiciliaire existe actuellement
et depuis longtemps dans le rayon des douanes.
L’administration peut demander la visite
domiciliaire non seulement pour le bétail, mais pour toute espèce de
marchandise, en conformité de la loi générale de 1822.
Une voix. - A demain, il
est 5 heures !
M. le ministre des
finances (M. d'Huart). - Je crois que la chambre est fatiguée. Je
continuerai demain les considérations que j’ai encore à présenter à l’appui du
projet.
M. Rogier. - Je
demande à être entendu demain pour répondre à M. le ministre.
- La séance est levée à 4 heures et demie.