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Chambre des représentants de
Belgique
Séance
du lundi 7 septembre 1835
Sommaire
1)
Fixation de l’ordre du jour. Question de priorité (canalisation de
2) Pièces
adressées à la chambre, notamment pétition accordant aux membres du Congrès ayant voté l’exclusion des
Nassau l’ordre de Léopold
3)
Proposition de loi relative à l’industrie cotonnière. Communication de pièces
diplomatiques, négociations commerciales avec
4) Projet
de loi octroyant un crédit supplémentaire en faveur de l’industrie cotonnière (d’Huart)
5) Projet
de loi relatif à la garde civique (de Theux)
6)
Fixation de l’ordre du jour. Question de priorité (canalisation de
7) Proposition
de loi relative à l’industrie cotonnière. Pétition des libraires de Bruxelles (Lebeau)
8)
Vérification des pouvoirs des membres nouvellement élus (Legrelle,
Lebeau)
9)
Proposition de loi relative à l’industrie cotonnière. Politique commerciale du
gouvernement (Desmaisières, A.
Rodenbach, de Brouckere, Zoude,
Pirmez, Ch. Vilain XIIII,
(historique des mesures de soutien en faveur de l’industrie cotonnière) Smits, Zoude, Smits,
Manilius)
(Moniteur belge n°252, du 8 septembre 1835)
(Présidence de M. Raikem.)
M.
de Renesse fait l’appel nominal à une heure.
M.
Schaetzen donne lecture du procès-verbal.
FIXATION DE L’ORDRE DU JOUR
M. A. Rodenbach. - Si j’ai bien entendu, on a
dit dans le procès-verbal que dans notre dernière séance on a mis à l’ordre du
jour la discussion du projet de loi relatif a la canalisation de
M. Schaetzen,
secrétaire. - La canalisation de
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux).
- Lorsque dans la dernière séance j’ai demandé que l’on portât à l’ordre du
jour de lundi le projet concernant la canalisation de
M. A. Rodenbach. - J’ai le rapport sur le
projet de loi concernant la canalisation de
M.
de Roo. - Une décision a été régulièrement prise pour déterminer le
jour où l’on discuterait l’industrie cotonnière ; il faut s’y conformer. Il n’y
a pas eu de décision prise régulièrement relativement à la canalisation de
M.
le président. - Y a-t-il encore opposition à la rédaction du
procès-verbal ?
M.
A. Rodenbach. - Non ; depuis l’explication donnée par M. le secrétaire
Schaetzen
M.
le président. - Puisqu’il n’y a plus de réclamation, je déclare la
rédaction du procès-verbal adoptée.
PIECES ADRESSEES A
M.
de Renesse donne communication des pièces suivantes adressées à la
chambre.
« Le sieur J.-M. de Roum demande que la chambre intervienne auprès du Roi pour
que tous les membres du congrès qui ont voté l’exclusion des Nassau soient
décorés de l’ordre de Léopold. »
_______________
« Le sieur P.-J. Laude, né à Lagnicourt (France),
habitant
_______________
« Le sieur Marginen
Vassen, né à Paris, résidant en Belgique depuis 1815,
demande la naturalisation. »
_______________
« Le sieur C.-A. Blondel, né à Arras
(France), habitant
_______________
« Le sieur C-E Dewit,
inventeur d’un spécifique pour guérir les maux d’yeux, demande l’abrogation de
l’art. 10 de la loi du 12 mars 1818. »
_______________
« Le sieur C. Maxhan
propose des modifications au droit de port d’armes. »
_______________
- Ces pétitions sont
renvoyées à la commission spéciale qui en fera un rapport.
_______________
- Un congé est accordé à M.
H. Vilain XIIII qui pendant 2 jours se trouvera dans l’impossibilité d’assister
aux séances de la chambre.
PROPOSITION DE LOI RELATIVE A L’INDUSTRIE COTONNIERE
Communication de pièces diplomatiques
M.
le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere) dépose sur le bureau
quelques pièces diplomatiques.
- Sur la demande de M. de Brouckere, ces pièces seront imprimées
au Moniteur.
« Bruxelles, le 5
septembre 1835.
« M. le président,
« En exécution de
l’engagement que j’ai pris envers la chambre, j’ai l’honneur de vous remettre
ci-jointe en copie :
« 1° Une dépêche de M.
le comte de Latour-Maubourg,
envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire de France, en date du 23
décembre 1834 ;
« 2° Une note de M. Tschann, chargé d’affaires de la confédération helvétique,
en date du 22 août 1835.
« Veuillez, M. le
président, faire déposer ces deux pièges sur le bureau de la chambre et agréer
les assurances de ma haute considération.
« Le ministre des
affaires étrangères, de Muelenaere,
« M. le président de
la chambre des représentants. »
_______________
« Bruxelles, le 23
décembre 1834
« M. le ministre,
« Le gouvernement
français n’a pu apprendre sans regret que les conclusions du rapport fait à la
chambre des représentants, au nom de la commission d’industrie, sur la pétition
de quelques-uns des fabricants de la ville de Gand tendaient à introduire dans
le tarif actuellement existant en Belgique des modifications par suite
desquelles les tissus de coton fabriqués à l’étranger seraient frappés soit
d’une prohibition absolue, soit d’une élévation de droits. Une telle
proposition intéresse à trop de titres une branche importante de l’industrie
française pour n’avoir pas éveillé la sollicitude de mon gouvernement.
Il lui a paru qu’au moment
où des négociations entreprises dans un but d’intérêt mutuel se poursuivent de
part et d’autre avec un désir sincère de s’entendre et d’assurer aux deux pays
des rapports commerciaux réciproquement avantageux, il pouvait sembler étrange
qu’une des deux parties songeât à élever une barrière de plus, lorsque les
efforts tentés en commun n’avaient eu jusqu’à présent pour objet que d’abaisser
celles qui existent encore, et il m’a chargé de ne rien négliger pour prévenir
les graves inconvénients que pourrait entraîner l’adoption des mesures
indiquées dans le rapport de la commission d’industrie.
Je ne dois donc pas vous
dissimuler, M. le ministre, que l’adoption de ces mesures aurait pour première
conséquence de compromettre le succès des négociations générales aujourd’hui
pendantes entre
« Agréez, etc.
« Le ministre
plénipotentiaire de France, Comte de Latour-Maubourg.
« Pour copie conforme
: Le secrétaire général du département des affaires étrangères, Nothomb. »
_______________
« M. le ministre des
affaires étrangères, à Bruxelles.
« Monsieur,
« J’ai déjà eu
l’honneur, il y a quelques mois, de réclamer les bons offices de V. E., en la
priant de faire parvenir au gouvernement de S. M. le roi des Belges quelques
observations de la part du mien, et qui avaient rapport à des craintes qu’on avait
conçues en Suisse au sujet de mesures de douanes, qui, si elles étaient
admises, altéreraient nécessairement et d’une manière très fâcheuse les
relations commerciales actuellement existantes entre
« En même temps que V.
E. eut la bonté de m’informer qu’elle avait recommandé l’objet de ma note à
l’attention de son gouvernement, elle voulut bien me rassurer à l’égard des
conséquences qu’on appréhendait en Suisse, par suite des démarches faites par
certaines villes manufacturières et leur influence sur les résolutions des
chambres.
« Cependant, d’après
des rapports très récents parvenus au vorort, il
paraîtrait que ces questions doivent s’agiter de nouveau, et que les chambres
du royaume auront à s’occuper, dès le commencement de la présente session,
d’une modification de la loi des douanes, et que l’augmentation des droits
d’entrée sur plusieurs articles et tout particulièrement sur les tissus de
coton est vivement sollicitée par les villes manufacturières susmentionnées.
Cette augmentation, si elle était admise, équivaudrait à une prohibition des
produits de
« Il est bien connu
que
« Les principes d’une
sage liberté du commerce qui ont jusqu’à présent toujours été soutenus par le
gouvernement de S. M. belge, ne laissent pas de doute à celui dont j’ai l’honneur
d’être l’organe auprès de V. E. qu’il ne soit encore guidé par les mêmes
sentiments, et le vorort a la confiance qu’il voudra
bien user de sa puissante influence pour prévenir des circonstances aussi
pénibles, et qui doivent le paraître, d’autant plus en raison des rapports de
bienveillance et d’amitié d’ailleurs si heureusement établis entre les deux
Etats.
« C’est dans le désir
sincère de cultiver en tout ce qui dépend de lui et de cimenter de plus en plus
des relations aussi agréables, que le directoire m’a chargé, Monsieur, d’avoir
l’honneur de vous soumettre ces observations, qui ne manqueront sûrement pas
d’être appréciées par vos lumières comme par vos sentiments d’équité, et de
prier V. E. de les porter le plus tôt possible à la connaissance du Roi, en
voulant bien rappeler l’attention de celui-ci sur l’urgence de la position où
se trouverait le gouvernement fédéral dans le cas où les craintes dont il
s’agit viendraient à se réaliser.
« En offrant d’avance
à V. E. tous mes remerciements pour l’appui efficace qu’elle voudra bien prêter
à l’objet de la présente, je saisis avec empressement l’occasion, Monsieur,
pour vous faire agréer, etc.
« Tschann.
« Pour copie conforme
: Le premier secrétaire de légation, Firmin Rogier
« Pour copie conforme :
Le secrétaire-général du département des affaires étrangères, Nothomb.
« A. S. E. M. Lehon,
envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire de S. M. le Roi des Beiges,
etc., etc., etc. »
PROJET DE LOI OCTROYANT UN CREDIT SUPPLEMENTAIRE EN FAVEUR DE L’INDUSTRIE
COTONNIÈRE
M.
le ministre des finances (M. d'Huart) présente un projet de loi portant
demande d’un crédit pour remplir les engagements que le gouvernement a pris pour
sa participation dans une filature de coton établie à Liège.
Plusieurs membres demandent le
renvoi de ce projet à une commission.
D’autres demandent le renvoi aux
sections.
M.
le ministre des finances (M. d'Huart). - Il me semble qu’il y a lieu de
renvoyer ce projet à une commission. Il s’agit d’examiner si le gouvernement
est engagé, par un contrat, à fournir le complément de la somme qu’il devait
verser. On pourrait le soumettre à la commission d’industrie ; elle verrait s’il
est utile pour l’Etat de compléter cette somme.
- La chambre décide que le
projet sera renvoyé à la commission d’industrie.
PROJET DE LOI RELATIF A
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux)
présente un autre projet de loi relatif aux frais d’équipement de la garde
civique. Après l’avoir déposé sur le bureau de la chambre, ce ministre dit. -
Je désirerais que le projet concernant l’équipement de la garde civique pût
être discuté avant le prochain ajournement de la chambre, parce que les
ateliers des prisons ont besoin de ce crédit pour continuer leurs travaux. Il
s’agit encore d’un crédit pour l’acquittement d’une créance arriérée depuis
longtemps ; ces deux crédits sont évidemment urgents. Je demanderai qu’on les
renvoie à une commission. On pourrait les mettre en délibération entre
l’intervalle du premier au second vote qui aura lieu pour le projet sur
l’industrie cotonnière.
- La chambre renvoie le
projet à une commission. Le bureau en nommera les membres.
FIXATION DE L’ORDRE DU
JOUR. QUESTION DE PRIORITE
M.
le président. - Nous avons à l’ordre du jour le projet de loi sur la
canalisation de
M. David. - Je demanderai à
M. le ministre de l'intérieur si les procès-verbaux des élections de Mons et de
Soignies lui sont parvenus : dans l’intérêt de la discussion qui va s’ouvrir
sur l’industrie cotonnière, je voudrais que tous ceux qui ont droit d’y prendre
part fussent présents.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux).
- Non ! Je n’ai pas reçu de procès verbaux.
M. Lardinois. - L’honorable
député de Roulers a fait la proposition de donner la priorité au projet de loi
sur l’industrie cotonnière ; mais il me semble que cette proposition est
inadmissible, parce qu’on a mis en tête des billets de convocation le projet
concernant la canalisation de
M. de Roo. - Je
répéterai qu’une décision régulière a été prise pour fixer la discussion de la
loi sur l’industrie cotonnière, et qu’il n’y a pas eu décision relativement à
la loi sur la canalisation de
M. Desmaisières. - Je veux faire remarquer à
la chambre que l’honorable rapporteur de la commission qui a examiné le projet
sur
M. A. Rodenbach.
- Je suis forcé de répéter ici ce que j’ai dit tout à l’heure : quand un
rapporteur est absent, il est impossible de discuter les conclusions qu’il a
prises ; il n’y a pas d’exemple qu’on ait délibéré en l’absence d’un
rapporteur. Dans la dernière séance, quand on a demandé que l’on mît à l’ordre
du jour le projet sur la canalisation de
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux).
- Il est inutile de prolonger cette discussion sur la question de priorité. Je
croyais que le projet relatif à la canalisation de
M. Rogier. - Je
crois qu’il faut aborder la question relative à l’industrie cotonnière ; c’est
une chose convenue. Je comprends le but de ceux qui demandent que l’on commence
par
- La chambre ferme la discussion sur la question de
priorité, et elle décide qu’elle va s’occuper immédiatement de l’industrie
cotonnière
PROPOSITION DE LOI RELATIVE
A L’INDUSTRIE COTONNIÈRE
Motion d’ordre
M. Lebeau. - J’ai
été chargé de remettre sur le bureau de la chambre une pétition des libraires
de Bruxelles. Elle se rattache directement au projet de loi qui va nous
occuper, et elle peut jeter quelque lumière sur la discussion que nous allons
ouvrir ; je demanderai qu’il eu soit donné lecture à la chambre.
- La chambre ordonne la lecture de cette pétition,
ainsi que la lecture d’une autre pétition, adressée par les marchands en détail
de tissus établis à Bruxelles.
M. de Renesse
procède à la lecture de ces pétitions, dans lesquelles on réclame contre le
projet de loi relatif à la fabrication des tissus de coton à Gand.
M. Lebeau. - Je
demande l’impression au Moniteur de
ces deux pétitions.
Plusieurs
membres. - C’est de droit.
M. le président. -
L’impression au Moniteur est
ordonnée.
(Remarque du
webmaster : suivent ces deux pétitions, lesquelles mettent en évidence les
inconvénients des mesures protectionnistes envisagées dans le projet. Le texte
de ces pétitions n’est pas repris dans la présente version numérisée.)
VERIFICATION DES POUVOIRS
DES MEMBRES NOUVELLEMENT ELUS
M. Legrelle. -
Messieurs, vous connaissez les résultats des élections de Mons et de Soignies ;
vous savez que dans cette circonstance vous avez à nommer une commission pour
en examiner la validité ; je demanderai que l’on procède à la nomination de
cette commission...
Des membres. - Mais les pièces ne sont pas arrivées !
M. Legrelle. -
Mais cela n’empêche pas de nommer la commission. Les membres de cette assemblée
désirent sans doute que, conformément à la circulaire qui leur a été adressée,
tous ceux qui ont droit de voter viennent prendre part à la délibération à
laquelle nous devons nous livrer. Je voudrais que les élus de Mons et de
Soignies pussent déposer leur vote. Une commission nommée d’avance examinera
les pièces relatives aux élections aussitôt qu’elles arriveront ; il n’y aura
pas de temps perdu.
M. le président. -
La chambre s’occupera de la nomination de la commission quand les pièces seront
arrivées.
M. Lebeau. -
Pourquoi pas actuellement ?
M. de Behr. - Il
faut deux minutes pour nommer une commission.
M. Lebeau. - Si
vous ne nommez pas la commission aujourd’hui, vous ne pourrez la nommer dans la
prochaine séance ; mais d’ici là les pièces peuvent arriver. Si la commission
était formée, le ministre de l’intérieur s’empresserait de les lui transmettre
aussitôt qu’il les aurait reçues ; il y a donc possibilité de gagner un jour.
J’appuie la proposition de M. Legrelle.
- La chambre adopte la proposition de M. Legrelle,
et M. le président procède par la voie du sort à la formation de la commission
de vérification des pouvoirs des députés nouvellement élus
M. le président. -
La commission sera composée de MM. Vanderbelen, Manilius, Seron, d’Huart, Liedts,
Lebeau, Hye-Hoys.
PROPOSITION DE LOI RELATIVE
A L’INDUSTRIE COTONNIÈRE
Discussion générale
M.
le président. - MM. les signataires de la proposition se rallient-ils
au projet de la commission ?
M. Desmaisières.
- J’ai consulté mes cosignataires ; j’ai demandé la parole pour déclarer que la
plupart nous nous rallions aux propositions de la commission.
M. A. Rodenbach.
- Je déclare que je ne me rallie pas au projet de la commission. Quand j’ai
signé, j’ai fait des réserves et je crois que d’autres membres sont dans le
même cas.
M. le président. -
Une partie des signataires se rallie : une autre ne se rallie pas. Il s’agit de
décider sur quel projet on établira la discussion comme proposition principale.
Les autres projets seraient considérés comme amendement.
M.
de Brouckere. - L’honorable M. Rodenbach déclare qu’il ne se rallie pas
au projet de la section centrale, mais il ne dit pas qu’il s’oppose à ce que la
discussion s’établisse sur le projet de la section centrale, sauf à présenter
comme amendements les dispositions du projet primitif.
Si aucun des signataires ne s’y opposait, le bureau
pourrait mettre en délibération, comme proposition principale, le projet de la
commission.
- La chambre, consultée, adopte le mode de
délibération proposé par M. de
Brouckere.
M. le président. -
La parole est à M. le rapporteur.
M. Zoude, rapporteur.
- Messieurs, la question importante que nous allons discuter a déjà soulevé des
orages dans cette enceinte.
Des accusations de partialité et d’inexactitude ont
été dirigées contre le rapporteur ; elles se seront évanouies, sans doute, par
un examen plus attentif des pièces et à la suite de quelques explications qui
ont été données.
On a insisté cependant hors de cette enceinte, et
j’ai dédaigné de répondre au reproche de l’omission d’un argument qui aurait pu
être défavorable â la cause que je défends ; mais cet argument a été extrait
d’un mémoire que la chambre de commerce dont il s’agit a adressé au ministère
de l’intérieur en 1833, alors qu’elle présentait des vues bien judicieuses, à
coup sûr, sur le commerce en général et particulièrement sur sa position
maritime. Mais c’est en février 1835 que, consultée sur la question cotonnière,
elle reproduisit son mémoire ou, tout en déclarant que cette question est
étrangère a ses affaires habituelles, elle émit l’opinion que j’ai transcrite littéralement.
Chacun de mes honorables collègues peut s’en convaincre en jetant les yeux sur
le recueil des avis de chambres de commerce, et je n’hésite pas à croire que la
plupart m’auront rendu justice à cet égard.
Ces explications données, je ne puis me défendre de
vous dire ce qui m’est revenu de plusieurs côtés, c’est que parmi ceux qui se
sont proposé de venir nous écouter il en est qui croient qu’à l’occasion de la
question cotonnière la chambre va présenter une arène où les personnalités vont
donner lieu aux attaques les plus violentes, et à des récriminations acerbes,
et qu’il ne manquerait qu’une chose à nos débats, celle de la discussion du
projet grave et solennel qui en est l’objet.
Quant à nous, persuadés que nous sommes que les
personnalités ne répandront aucune lumière sur la question, nous nous en
abstiendrons soigneusement.
Pour mon compte, je déclare que s’il m’était
démontré que je suis en erreur, j’en ferais avec la même franchise que
j’apporte à la défense d’un système qui jusqu’ici m’a paru devoir être le plus
utile, non seulement à l’industrie cotonnière, mais encore au bien-être de tout
le pays.
Entrant en matière, je commence par produire à la
chambre des pièces que l’honorable M. Rogier a exigées de moi dans la séance du
1er septembre, et je dépose sur le bureau l’état nominal des établissements que
Gand possédait avant la révolution ; ils étaient au nombre de 65.
De ce nombre il reste : en activité complète 22 ;
en activité irrégulière, c’est-à-dire travaillant et chômant alternativement,
tantôt plus, tantôt moins, 24 ; en inactivité complète, 10 ; en établissements
supprimés et passés à l’étranger, 9. Total 65.
Je dépose également sur le bureau un semblable état
pour Bruxelles et ses environs.
Vous verrez qu’en 1830 on comptait 10 établissements
de filature avec mull-jennys et que tous ont entièrement cessé ;
Qu’à la même époque il y avait 34 filatures à
On y comptait 5 imprimeries dont 3 ont cessé.
Un établissement très important existait à Lierre,
il entretenait 1,500 ouvriers ; son propriétaire, fatigué d’attendre des lois
protectrices sollicitées depuis quatre ans, vient récemment de passer en
Hollande avec toutes ses mécaniques. J’appelle en témoignage notre honorable
collègue, M. le bourgmestre de Lierre.
Namur avait aussi une fabrique montée sur une très
grande échelle, mais subissant la loi commune, ses ateliers sont descendus au
niveau de la plupart des établissements du même genre.
Commines, divise en deux par
A Tournay une pétition du 10 avril dernier, revêtue
de 52 signatures, réclame le marché intérieur comme le seul moyen efficace de
résister à la concurrence étrangère dont elle est écrasée, et termine en priant
la chambre de prononcer le plus tôt possible la prohibition de tous les tissus
du coton étrangers.
Depuis je reçois un état qui est envoyé de Tournay,
il présente les noms de quatre fabricants qui sont en faillite et de deux principales
fabriques qui ont cessé leurs travaux.
Je pourrais poursuivre le détail des localités où
cette industrie est en souffrance, mais le gouvernement a abrégé ma tâche ; en
effet, vous voyez, messieurs, dans les documents déposés sur le bureau il y a
peu de jours que, dans un rapport au Roi, M. le ministre de l’intérieur dit :
« Que la nécessité d’accorder momentanément une protection spéciale à
l’industrie cotonnière est reconnue, que sa position toute spéciale réclame
d’une manière impérieuse l’aide du gouvernement. de S. M. »
C’était, sans doute, pour prémunir le gouvernement
contre ses vues bienveillantes, qu’on avait reproché aux cotonniers d’avoir
provoqué leur malaise, en montant des établissements sur une trop grande
échelle ; mais ce reproche est loin d’être fondé, il ne l’était certainement
pas sous le roi Guillaume qui avait assuré à cette industrie l’exploitation des
colonies hollandaises, Or, ce marché prenant à mesure que nos tissus y étaient
plus connus, il était indispensable de multiplier les ateliers en proportion
des besoins de cette nombreuse population.
Maintenant que tous ces établissements ont été
créés sous la garantie du souverain, que des capitaux considérables y sont
engagés, on demande si les industriels n’auraient pas un droit acquis envers le
gouvernement, et s’ils ne seraient peut-être pas fondés à réclamer des
indemnités comme les autres victimes de septembre ?
Cette indemnité, messieurs, ils la recevront si
vous leur accordez le marché intérieur en remplacement de celui que la
séparation de
Le marché intérieur est reconnu par Say lui-même,
comme étant le plus sûr, le plus considérable, comparé au commerce extérieur.
Le plus grand commerce d’une nation, a dit aussi un
homme d’Etat, est celui qui se fait avec elle-même ; la source la plus large de
prospérité est dans son sein, elle coule par elle de l’intérieur à l’intérieur.
Le marche national sera donc le premier débouché de son industrie.
(Erratum
inséré au Moniteur belge n°253, du 9 septembre 1835 :) Que le marché
soit le plus sûr, c’est une vérité démontrée par l’expérience ; en effet, si la
Roi Guillaume l’eût donné à nos fabricants, ils se seraient attachés au
perfectionnement des tissus fins et mis en position de rivaliser avec
l’étranger, la séparation de la Hollande n’eût rien eu de déchirant pour eux,
ils ne seraient pas réduits à invoquer la prohibition comme le seul moyen de
salut.
Ce que le roi Guillaume n’a pas fait, c’est à nous
à le faire. L’exemple des peuples auxquels ce système a ouvert une large voie
de prospérité nous y convie.
C’est après avoir vécu de prohibition pendant plus
d’un siècle que l’Angleterre a perfectionné ses moyens de production, réduit
ses prix de manière à ne plus craindre la concurrence étrangère, et si elle
semble revenir à un système plus libéral, c’est, comme on l’a dit, après avoir
sucé toutes les douceurs de la prohibition jusqu’à la dernière goutte.
C’est encore à l’ombre de ce même système que
Pour apprécier l’importance de notre marché, j’invoquerai
l’opinion générale sur la consommation que fait chaque individu en objets de
coton ; on l’évalue en France à 17 fr., on prétend qu’en Belgique elle s’élève
à 20 fr. ; nous adopterons le chiffre français qui présente encore pour notre
population une consommation de 76 millions de francs.
Et d’après le tableau déposé par M. le ministre de
l’intérieur, le 31 août dernier, la moyenne des importations pour les trois
dernières années ne serait guères que de 5 millions, représentant un capital
soit de 11 millions de. francs : cette valeur étant quadruplée par la
main-d’œuvre et l’emploi des produits tant indigènes qu’exotiques, il
s’ensuivrait que nos fabrications ne s’élèveraient qu’à une somme de 44
millions, ce qui laisse à ses placements pour 32 millions.
S’il est encore vrai que la main-d’œuvre entre pour
2/3 dans la valeur de l’objet fabriqué il est évident qu’avec le système
invoqué pour les Flandres la classe ouvrière gagnerait 60 millions de francs,
tandis qu’elle n’obtient que 28 millions dans l’état actuel de nos
fabrications.
L’effet de la mesure que nous réclamons a été en
Angleterre d’élever le nombre d’ouvriers dans une proportion des plus
étonnantes, et chose remarquable, c’est que malgré le renchérissement de la
matière première, le prix du fabricat a constamment baissé.
La même protection a obtenu en France le même
résultat, et l’enquête y a prouvé que depuis la prohibition les prix avaient
baissé de 25 à 50 p. c.
En Belgique, où les seules étoffes communes ont été
protégées, le prix des calicots 2400 est successivement de 2-50 à 0-36 c.
l’aune, prix auquel on le livre maintenant au commerce ; et cependant nous
possédons réellement le monopole de ce genre de fabrication, puisqu’il y est de
meilleure qualité et à plus bas prix que nulle part en Europe ; il n’est donc
pas vrai de dire que le monopole fasse hausser les prix des fabricats protégés,
parce que la concurrence tend toujours à les avilir, et c’est tellement vrai
que nos adversaires reprochent eux-mêmes à nos fabricants d’avoir abaissé leurs
prix de 25 à 30 p. c. lorsqu’ils n’avaient aucune rivalité à craindre. (Voir
page 28 du mémoire des négociants de Bruxelles.)
Mais, messieurs, savez-vous à quoi se réduit cette
prohibition dont on veut vous faire peur ?
D’abord elle n’est pas applicable aux tissus
blancs, quelle que soit leur finesse.
Elle n’est pas applicable à une partie des tissus
imprimés, tels que jaconats, percales fines,
mousselines, gazes, organdis et tous autres tissus légers.
Ce que veut la prohibition pour le seul article où
elle est invoquée, c’est de nous réserver le pinceau de nos dessinateurs, c’est
de laisser à nos ouvriers le soin d’appliquer eux-mêmes les couleurs.
On ne conteste pas le talent de nos dessinateurs.
Dans un pays qui possède un si grand nombre de peintres distingués, nous aurons
toujours des dessinateurs du premier mérite.
Sous le rapport de la teinture, la solidité, la
beauté et la vivacité des couleurs l’emportent sur les impressions anglaises et
ne le cèdent en rien à celles de
Nous prions donc les dames belges de vouloir se
rassurer et elles pourront continuer à briller par la beauté des étoffes que
produisent nos fabriques, autant que par leurs grâces et les qualités dont
elles sont ornées.
Dans le cours de la
discussion, j’aurai occasion de parler de nos négociations avec
Dans cet état de choses, je donnerai du
développement à l’opinion que j’ai déjà émise sur les avantages que procurerait
à
M.
Pirmez. - Messieurs, depuis notre séparation d’avec
Chose étrange ! la forme démocratique de notre gouvernement
contribue pour beaucoup au triomphe des idées prohibitives. En effet,
messieurs, sous un gouvernement constitutionnel, je dirai presque républicain,
comme le nôtre, auquel tous les citoyens sont appelés à concourir, la plus
grande part appartient à ceux qui déploient le plus de zèle, d’activité et
d’énergie.
Or, ceux qui profitent des prohibitions,
quoiqu’infiniment moins nombreux que ceux qui en souffrent, montrent cette
énergie dont ceux-ci sont dépourvus. Pour les premiers, la prohibition est un
bien immense et qu’ils savent apprécier. Aussi voyez comme ils mettent en œuvre
tout ce que nos institutions leur offrent de moyens, comme la presse s’occupe
de leurs plaintes, les élections de leurs candidats. Leur reconnaissance et
leurs éloges sont acquis à toujours à ceux qui ont protégé leurs intérêts.
Au contraire, comme le mal qui résulte des
prohibitions ne se fait pas sentir tout d’un coup à chaque citoyen en
particulier, comme il en est frappé d’une manière détournée et successive il
arrive qu’il n’en aperçoit pas les pernicieuses conséquences. De là cette sorte
d’indifférence avec laquelle la masse de la nation regarde la question qui vous
est soumise ; on dirait d’une question étrangère à ses plus précieux intérêts.
C’est cette position plus favorable du système
prohibitif qui le fait aujourd’hui tenter encore une immense invasion dans nos
lois.
L’isolement où se trouvent les défenseurs de la
liberté commerciale, la froideur et le dédain qui accueillent leurs efforts,
contribuent certainement à en diminuer le nombre et à rendre plus pénible
l’ingrate tâche qu’ils ont entreprise. Et si vous joignez à cela l’odieux qu’on
prête à leurs intentions, il ne faut pas s’étonner si la crainte et le
décourageaient s’en emparent.
On est parvenu à les représenter comme des
novateurs dangereux qui aspirent à tout renverser, comme des insensés qui ne
tiennent compte ni des droits acquis par le temps, ni de ceux que la loi a
fondés, prêts à tout sacrifier au triomphe de leurs inflexibles principes ;
comme des rêveurs qui, dans le délire de leurs opinions, voudraient tout
renverser, tout ruiner, et anéantir d’un seul coup toutes les existences qui
ont les prohibitions pour base.
Et malgré leur absurdité ces imputations obtiennent
quelque crédit. Dans cette chambre même, il est nécessaire de déclarer que
jamais les défenseurs de la liberté commerciale n’ont conçu ces folles pensées.
Ils en sont aussi éloignés que qui que ce soit au monde ; ils déploreraient,
ils regarderaient comme un grand mal l’application immédiate des vrais
principes de l’économie sociale. Si cette application devait porter une
atteinte subite aux existences particulières, quelle qu’en soit l’origine, ils
les regardent pour ainsi dire comme inviolables. Ils ne demandent aux
privilégiés des lois actuelles aucun sacrifice. D’ailleurs, messieurs, la
liberté commerciale pressée aujourd’hui par des circonstances contraires, se
défendant à peine pour l’avenir, est incapable d’agression sur le passé.
C’est précisément ce respect, que tous professent
pour les droits acquis qui nous fait tant craindre des privilèges C’est
l’extrême difficulté, je dirai l’impossibilité de reprendre les conquêtes du
monopole, qui prouve la nécessité de s’opposer à ses nouveaux envahissements.
Oui, messieurs, un monopole, appuyé sur des intérêts obstinés et vivaces, est
d’une force extrême. Un monopole triomphe même de toutes les tempêtes
politiques, Après les révolutions, les gouvernements, les lois, les
constitutions font naufrage, le monopole reste seul debout. Il faut que le pays
meure, que la nationalité belge disparaisse pour qu’un monopole périsse.
Un autre reproche adressé sérieusement aux
partisans du régime libéral est celui de s’appuyer sur des théories. En effet,
messieurs, pour ceux qui n’ont ni règle, ni principes, ni doctrine, ni théorie,
rien n’est plus ridicule. Les théories sont bonnes tout au plus à servir de
pâture à des pédants dans les écoles. Les théories les gênent peut-être ; Eh
bien ! ils prennent le parti de s’en moquer. Tout ce qui en a l’apparence excite
leur risée et leur mépris.
Mais n’ouvrez pas la bouche, je ne dis pas pour
attaquer leurs principes, ils n’en ont pas et s’en font gloire, mais pour
discuter leurs allégations et leurs preuves, car vous tombez dans la théorie.
Pour les ennemis des théories tout est théorie, c’est-à-dire tout ce qui répand
quelque clarté sur la matière. Le principe le plus clair, le mieux établi, le
plus généralement admis : théorie. La conséquence la plus juste, celle qui
découle le plus naturellement des faits : théorie. L’examen impartial des faits
qu’ils citent, des contradictions qui les accablent : théorie. Vous ne pouvez
lier deux idées sans être accusé de théorie ou d’absurdité.
Que veulent-ils donc substituer aux théories ? Ils veulent
substituer aux théories ce qu’ils nomment « la connaissance et
l’appréciation des faits.
Messieurs, les théories ne sont autre chose que la
connaissance et l’appréciation des faits, mais la connaissance et
l’appréciation des faits généraux ou de l’ensemble des faits et de leur action
sur les sociétés, des faits comparés avec d’autres faits, non seulement
aujourd’hui et dans un certain lieu, mais dans tous les temps et dans tous les
pays ; des faits présentés, examinés, discutés non par des hommes intéressés à
les montrer ou à les voir sous tel ou tel aspect, mais par des hommes
désintéressés et impartiaux.
Ce que les soutiens du projet opposent aux théories
et qu’ils nomment la connaissance et l’appréciation des faits n’a au contraire
pour objet qu’un fait ou que quelques faits isoles qu’il importe à certains
intérêts de présenter sous un jour qui leur soit favorable.
La connaissance ou l’appréciation des faits isolés,
préférée à la théorie, ne conduit qu’à la contradiction, c’est-à-dire à
l’erreur ; des faits considérés isolément, il résulte, par exemple, que le blé
doit être cher, et le pain bon marché ; le blé cher si l’on considère seulement
les faits relatifs à l’agriculture, et le pain ou le blé bon marché si l’on ne
considère que la consommation. C’est, appuyé sur des faits isolés, que tantôt
on demandera la prohibition de la sortie du blé pour faire baisser le prix du
pain, et que tantôt on favorisera par des mesures législatives la fabrication
et l’exportation du genièvre qui a cependant pour conséquence inévitable le
renchérissement du pain. On pourrait donner mille exemples de contradictions
aussi manifestes, et je défie qu’on me cite un seul cas où ces contradictions
n’aient pas lieu.
De là l’inanité des enquêtes, elles roulent toutes
sur des faits particuliers. Ah ! certainement le monopole avait tort de
craindre l’enquête où il a fallu le traîner. La discussion publique qui lui
faisait tant de peur ne pouvait rien contre lui, car cette discussion touchant
à la question par un point seulement manquait entièrement de base ; il n’en
pouvait sortir qu’une confusion incroyable d’idées et de mots.
Et de grands mots ont retenti dans l’enquête.
L’intérêt général, avec lequel l’intérêt particulier aime toujours à
s’identifier, y a surtout joué un grand rôle. De dire ce qui est l’intérêt
général, nul ne s’est mis en peine ; c’est un mot magique apparemment dont
toute la puissance est dans la combinaison des sons qui frappent l’oreille.
Pour nous, le mot intérêt général n’est pas vide de
sens. En matière de douane, l’intérêt général est l’adoption des mesures qui
augmentent la somme des richesses de la nation considérée en masse, ou, ce qui
revient au même, qui augmente pour la nation la facilité de se procurer les
choses désirables. Si une mesure est présentée qui augmente cette facilité,
nous l’adoptons ; si elle la diminue, nous la rejetons. Quant à l’intérêt
général que vous invoquez, nous ne savons ce que c’est.
Dans l’enquête et ailleurs, la question s’entoure
non seulement de mots, elle marche encore environnée de chiffres derrière
lesquels elle se dérobe et se cache comme derrière un nuage. Eh bien, nous
tâcherons de saisir la question à travers les chiffres et telle que les
chiffres nous la présentent. Nous n’examinerons pas si la base des calculs est
réelle ou chimérique, d’autres se sont chargés de ce soin ; nous ne les
suivrons pas non plus dans leurs longues el obscures combinaisons. Pour
épargner vos moments, messieurs, nous nous hâtons d’en accepter le résultat.
Ce résultat, dont les fabricants étaient leurs
prétentions, le voici : La fabrication belge ou gantoise des tissus de coton
est infiniment inférieure à la fabrication étrangère sous le rapport de la
qualité et du prix. La nation y trouvant son avantage se procure de préférence
les tissus étrangers. Elle consomme les produits des manufactures anglaises,
allemandes et suisses au détriment des manufactures gantoises, dont l’activité
se ralentit. Il en résulte diminution de profit, ou, si l’on veut, perte pour
les fabricants gantois et pour leurs ouvriers. Voilà bien les assertions que
tous les calculs des demandeurs de prohibitions tendent à établir.
Vous devez faire cesser, dit-on, cet état de choses
funeste aux fabricants, ou, si l’on veut absolument, à l’industrie gantoise ou
nationale. Pour cela on vous demande la prohibition des tissus de coton
étrangers dont l’usage est le plus général. De cette manière la nation sera
forcée d’en revenir aux produits nationaux, quels qu’en soient la qualité et le
prix. De cette manière l’industrie sera activée, protégée. Je disais tout à
l’heure que les partisans des prohibitions, ennemis déclarés des principes des
autres, n’avaient point de principes ; je me trompais, messieurs, ils en ont
un, le voici : Il faut protéger l’industrie nationale.
Si le projet de loi se bornait à proposer un droit
d’entrée sur les tissus étrangers, on pourrait à peu près établir par des
calculs la somme dont les vêtements de femme renchériraient par suite de son
adoption, et ainsi la hauteur de l’impôt dont chaque famille serait frappée en
faveur de l’industrie protégée. Mais le projet, pour mieux protéger encore,
prohibant les tissus de coton peints, teints ou imprimés dont les
Cet impôt sera très considérable, messieurs, et il
frappera toutes les classes de citoyens. L’impôt sera proportionné à toute la
distance qui sépare la fabrication étrangère de la fabrication gantoise, si
inférieure à la première, au dire même des partisans du monopole. Et quelle
famille en sera exempte ? les vêtements ne sont-ils pas nécessaires, aussi
nécessaires que le pain même ?
L’impôt mouture sous les Hollandais a excité là
réprobation universelle ; l’impôt que vous nous proposez n’est-il pas du même
genre ? n’est-il pas même d’une espèce pire que
l’impôt mouture ? L’impôt mouture n’était pas sans base, sans fixité ; le taux
en était réglé par les lois. Celui-ci est livré à la volonté arbitraire, aux
besoins variables, aux caprices inconstants de quelques hommes. L’impôt mouture
rentrait dans la caisse nationale, propriété de tous, était appliqué aux
besoins de la société. Celui-ci où va-t-il ? dans la caisse des particuliers.
Qu’y devient-il ? je n’en sais rien.
Les partisans du système restrictif le savent eux,
messieurs, et ils se hâtent de répondre que c’est l’industrie nationale qui
profite de cet impôt. Ils se rendront garants qu’il parvient entièrement à
cette destination, qu’aucune partie n’en est détournée en acquisition de
maisons et de terres, ou dépensée dans le luxe d’une vie plus somptueuse.
Disposés que nous sommes à ne rien rejeter, nous admettrons que c’est l’industrie
nationale qui profite de l’impôt tout entier.
Mais encore une fois, qu’est-ce donc que
l’industrie nationale ? qu’ils nous apprennent à
connaître cette industrie qui exige d’aussi énormes sacrifices Nous ne
connaissons jusqu’à présent que ses influences malfaisantes, et voue voulez
encore nous dépouiller pour elle ; montrez-nous aussi ses bienfaits. Des droits
considérables existent déjà, ce n’est pas assez ; il lui faut la prohibition.
Si cette industrie dite nationale a des droits â notre intérêt, à notre
bienveillance, à nos dépouilles, au moins faites-nous les voir.
L’intérêt général, dites-vous, exige que
l’industrie nationale soit protégée, qu’elle ne perde pas de son activité ; il
est impossible d’obtenir de vous une autre réponse. L’intérêt général exige que
l’industrie nationale ne perde pas de son activité, signifie à mon sens que
l’intérêt général exige que des bras, des machines soient continuellement en
mouvement. C’est pour que ce mouvement ne soit pas interrompu qu’il faut
frapper la nation. La nation n’en retire cependant aucun avantage, c’est un
mouvement, un travail infructueux, stérile pour elle, c’est le tonneau des
Danaïdes. N’importe, la nation doit le protéger en diminuant la facilité
qu’elle a de se procurer les vêtements, en se soumettant à une contribution
ruineuse. Car le mouvement de ces bras et de ces machines est son bonheur. Il
est triste qu’on ne daigne pas le lui faire comprendre.
« On paierait sans la prohibition un tribut à
l’étranger ; notre numéraire sortirait du royaume pour enrichir les Anglais,
les Allemands. » Si les Anglais, si les Allemands nous donnent en échange
des marchandises équivalentes, où est le mal ? où est la perte, où est le
tribut ? Ne nous enrichissons-nous pas dans ces échanges de la même manière que
les Anglais, que les Allemands ? est-ce à nous à nous plaindre ou à eux ?
Faisons-nous aux Anglais et aux Allemands un don gratuit de notre numéraire, et
ne pourraient-ils pas tout aussi raisonnablement déplorer la perte ou la sortie
de leurs marchandises et provoquer une loi pour les retenir chez eux ? Mais le
bonheur général consiste dans une grande abondance de numéraire ; c’est la
seule chose utile, la seule richesse, le seul bien solide. Je le veux bien
encore, disposé que je suis à tout concéder. Eh bien, ne craignez rien, vous
garderez votre numéraire, et il ne sortir pas du royaume. Les Allemands et les
Anglais n’en ont que faire, il n’a pas cours en Allemagne ou en Angleterre. Ils
sont donc bien obligés de prendre en échange de leurs produits, des produits de
votre pays, des produits par conséquent d’une industrie nationale. Le commerce
n’est pas autre chose. Si l’évidence n’est pas ici, je vous sommes de le dire,
je m’efforcerai d’être plus clair. Maintenant que devient le tribut payé à
l’étranger ? Je ne vois ici d’autre tribut que celui dont la nation est
menacée. Celui-là est un tribut réel, un tribut énorme, un tribut injuste, un
tribut spoliateur. Le tribut payé à l’étranger est un rêve, une chimère, un
fantôme que la moindre lueur fait disparaître.
Mon intention n’est pas de montrer tous les
funestes effets de la loi proposée. Ils se multiplient et se compliquent à un
point qui ne permet pas de les supputer. Je ne parle pas des négociants qui
faisaient le commerce des cotons étrangers, et que la loi ruine ; des
boutiquiers dont le principal débit consistait dans les cotons étrangers, et
que la loi ruine ; des industriels dont les produits s’exportaient en échange
des cotons étrangers, et que la loi ruine. Tous ces intérêts balancent et
au-delà les intérêts des manufactures gantoises. Mais je ne m’occupe pas de ces
malheurs particuliers, il me suffit d’avoir montré que la nation tout entière
est atteinte par la loi qu’ont provoquée vingt-quatre représentants des
Flandres.
A défaut de pouvoir ébranler vos convictions on
cherche à parler à vos sentiments. Par suite de la perte du débouché de Java
les magasins de Gand regorgent de produits, il y a des ouvriers sans pain.
Quoique ces faits aient été cent fois contredits, je les suppose encore exacts.
Eh bien, ce seraient des calamités d’autant plus déplorables que les victimes
ne les auraient pas attirées par leur faute ; mais la législature devrait-elle
réparer ces malheurs par d’autres malheurs ?
Non, messieurs, les malheurs ne se réparent point
par des lois oppressives. Lorsque de grandes calamités viennent fondre
inopinément sur des populations entières, le gouvernement peut sans doute venir
à leurs secours, mais par des mesures temporaires et qui ne soient pas pour
d’autres populations une source d’éternels sacrifices. C’est ainsi que si la
détresse des ouvriers gantois était aussi certaine qu’elle est contestée, rien
n’empêcherait d’ordonner dans les environs de Gand de grands travaux publics,
comme la construction de routes ou de canaux, pour faciliter la transition vers
d’autres travaux qui pourraient se soutenir d’eux-mêmes. Ces moyens que
l’humanité suggère ne seraient pas contraires à l’équité et n’éloigneraient
pas, comme les mesures prohibitives, du but qu’on se propose.
Car pensez-vous que votre loi contienne un remède
durable aux maux des ouvriers ? Ce n’est qu’un palliatif. Dans les premières
années des bénéfices énormes se réaliseront, des fortunes colossales
s’élèveront parmi les chefs des manufactures, une sorte d’aisance régnera même
parmi les ouvriers ; mais la concurrence toujours prompte à paraître où les
privilèges abondent, la concurrence que malheureusement vous ne sauriez
prohiber par vos lois écarter par votre douane, viendra se placer à celle des
fabricants et des ouvriers, les multiplier à l’infini et partagés leurs
bénéfices. Les tissus resteront chers, très chers sans doute à cause de
l’infériorité où, selon vos propres calculs, est placée votre fabrication
vis-à-vis de la fabrication étrangère ; mais le profit, le gain diminuera tous
les jours. Et quand le nombre d’ouvriers se sera doublé, triplé, quadruplé, on
adressera alors à la représentation nationale de nouvelles pétitions
menaçantes, revêtues de milliers de signatures, pour obtenir d’elle, en
l’effrayant, des primes d’exportation, des encouragements et toute cette série
d’absurdités dont le système protecteur est le père.
Et l’exécution de la loi comment l’obtiendrez-vous
? Vous ne l’obtiendrez pas sans appeler d’autres maux à son secours. Un appât
considérable est offert a la fraude, et la fraude comme l’industrie nommée
nationale croît en raison de ses avantages. Pour la combattre, il faut qu’une
nouvelle nuée d’employés vienne fondre sur la nation et dévorer sa subsistance
; il faut que vous ordonniez ce qu’une inquisition odieuse a de plus immoral et
de plus révoltant, la violation du domicile des citoyens. Car, de quelque côté
que l’on porte les regards, on ne voit que vexations de toute espèce sortir de
cet aveugle système.
Parmi les nations de
l’Europe,
Je voterai contre la loi.
M. Ch. Vilain XIIII. - Messieurs, il me semble
que dans la discussion générale qui nous occupe, il n’y a que deux grandes
questions à examiner et à résoudre :
En premier lieu l’industrie cotonnière est-elle
digne par son importance de faire partie de l’industrie belge ?
Deuxièmement, son état présent exige-t-il de
prompts secours et une protection efficace ?
Ecartons de ces débats, pour ne pas les embrouiller,
toutes ces graves questions théoriques sur les sources de la richesse des
nations, et sur la liberté du commerce. Quant à moi, je le déclare, je suis
partisan de la liberté du commerce, et pour résumer en un mot mon opinion que
les circonstances pourraient modifier dans des détails, le jour où l’on viendra
nous demander soit la réunion commerciale de
Mais là n’est point la question. elle se renferme
aujourd’hui dans un cercle bien plus étroit.
Un tarif de douanes règne en Belgique ;
Voilà la question, je le répète, car
En effet, messieurs, les industriels et les
ouvriers cotonniers sont soumis, comme consommateurs, à tous les droits
protecteurs que vous avez établis en faveur de toutes les branches de
l’industrie belge, sans exception aucune. Les industriels et les ouvriers
cotonniers, comme consommateurs, paient une prime à toute ses industries qui se
partagent le pays ; ils paient leur pain plus cher, parce qu’il y a une loi qui
accorde à l’agriculture une protection équivalente aujourd’hui à 38 p. c. ; ils
paient leur chauffage 80 p. c ; plus cher que ne l’exigeraient la nature et la
concurrence illimitée, parce qu’il y a une loi qui protège nos houillères
contre les charbons de l’Angleterre. La toile est plus chère, parce que vous
avez imposé les toiles allemandes ; le fer est plus cher et moins bon, parce
que vous excluez le fer anglais et le fer de Suède : tout enfin est d’un prix
plus élevé, parce que tout est protégé. Soyons donc conséquent, messieurs ; il
faut ou brûler toutes nos lois protectrices, ou bien protéger aussi la
fabrication du coton. C’est ici que vient se placer l’examen de la première
question que j’ai posée.
1° L’industrie cotonnière est-elle digne par son
importance de faire partie de l’industrie belge ?
Voici, messieurs, sa position dans
59 fabriques, mues par 61 machines à vapeur dont la
force représentait celle de 820 chevaux.
15,261 métiers battants.
300,000 broches en activité régulière produisaient
4,500,000 kilos de coton filé.
350,000 pièces étaient livrées annuellement au
commerce et produisaient la somme énorme de 28,420,000 francs. De cette somme
16,132,500 francs étaient payées en journées aux
ouvriers, et le reste était le prix du coton brut, du charbon, des matières
tinctoriales et le gain du fabricant.
16 millions payés annuellement en journées à la
classe ouvrière, voilà, messieurs quelle était la richesse et l’importance de
cette industrie, qu’un honorable député n’a pas craint de qualifier, il y a peu
de jours, d’industrie soi-disant cotonnière. Encore un peu, et si l’opinion de
cet honorable membre prévaut dans cette discussion, il pourra allonger sa
qualification d’une nouvelle épithète, il pourra dire de cette branche
d’industrie ce qu’on disait au siècle dernier d’une société célèbre, la
ci-devant soi-disant cotonnière.
Examinons maintenant la seconde question : L’état
présent de l’industrie cotonnière exige-t-il de prompts secours et une
protection efficace ?
Nous venons de voir sa position en 1830, envisageons
celle qu’elle occupe aujourd’hui.
Des cinquante-neuf fabriques énumérées tout à
l’heure, 3 sont passées à l’étranger et douze sont en non-activité ; restent
quarante-quatre fabriques en activité ; mais quelle activité ? Au lieu de
300,000 broches en activité régulière, il n’y en a plus que 209,175 en activité
irrégulière, et 4,800 métiers battants chôment. 2,216 ouvriers ont émigré en
abandonnant leurs femmes et leurs enfants aux soins des bureaux de
bienfaisance. 1,100 ouvriers sont sans ouvrage sur le pavé de Gand, et 1,650
tisserands travaillant chez eux sont à rien faire. En 1834, la production n’a
été que de 112,500 pièces qui ont été vendues 12,245,000 francs, et au lieu des
16 millions payes aux ouvriers en 1829, ils n’ont reçu que 5,647,500 francs.
Ainsi, non seulement il y a eu une diminution
considérable dans la production, mais la réduction de la journée de l’ouvrier a
dépassé de beaucoup la proportion décroissante de la production. En effet,
messieurs, le tissage d une pièce de calicot de 70 aunes valait, en 1830, 6
francs, et aujourd’hui le tisserand des campagnes ne reçoit plus que 4 fr 50
pour le même aunage. La journée de l’ouvrier des villes qui s’élevait à une
moyenne de 2 francs en 1830, est aujourd’hui réduite à 1 fr. 40 c.
L’origine de cette détresse n’est pas difficile à
trouver. Elle est due a deux causes combinées et réagissant l’une sur l’autre,
d’abord à l’impulsion donnée par l’ancien gouvernement à l’industrie gantoise
de ne fabriquer que des calicots de qualité inférieure, et en second lieu à la
perte du débouché des colonies hollandaises.
Lors du démembrement de l’empire français,
l’industrie cotonnière traversa une époque de souffrances plus pénibles
peut-être que celles qu’elle subit
maintenant, et, de 1815 à 1820, la chute de Napoléon excita de plus amers
regrets à Gand que celle même du roi Guillaume depuis 1830.
Le roi des Pays-Bas sentit la nécessité de protéger
l’industrie cotonnière, et ne pouvant lui donner la consommation intérieure, à
cause des exigences du commerce hollandais, il lui livra le marché des
colonies. La prospérité devint immense, et l’ère française fut oubliée.
Malheureusement Batavia ne demandait que des marchandises de qualité médiocre,
et l’industrie, toujours à l’affût du goût des consommateurs, abandonna la
confection des qualité supérieures, que, pour le dire en passant, elle
fabriquait du temps de l’empire français aussi bien que Rouen et que l’Alsace.
1830 arrivé, le débouché des colonies se ferme et l’industrie gantoise se
trouve vis-à-vis des seuls consommateurs belges, avec dix fois plus de cotons
de qualité inférieure qu’il ne leur en faut. L’industrie souffre, décline, elle
va tomber si nous ne la soutenons ; mais nous la soutiendrons, n’est-ce pas,
messieurs ? Car enfin il y a devoir, devoir rigoureux pour nous de réparer
autant que possible des maux auxquels la conquête de notre indépendance n’est
pas étrangère. La prospérité de l’industrie cotonnière n’était pas un des abus
du gouvernement du roi Guillaume, et cependant sa perturbation est une conséquence
immédiate de notre régénération politique ; nous n’avons pas de colonies à lui
offrir ; donnons-lui ce qui est en notre pouvoir, le marché intérieur ;
replaçons-la dans la position qu’elle occupait en 1814, et dès qu’elle sera
assurée de l’écoulement de ses produits, vous la verrez bientôt reprendre son
ancienne position sur la même ligne que Rouen et Mulhouse.
Messieurs, qu’il me soit permis en finissant de
rappeler ici le souvenir d’une des gloires de
Rien, messieurs, je me
trompe ; quand on cherche bien, on trouve un souvenir de Lievin
Bauwens, on trouve sa famille, sa famille dans la gêne ! Prenons garde que le
sort de Bauwens ne soit une prophétique annonce de la destinée réservée à sa
fille, l’industrie cotonnière ; prenons garde que ce qui faisait notre gloire
ne fasse un jour notre honte, et que toutes ces grandes familles industrielles
que Gand montre avec orgueil à
Je me réserve de parler sur les détails de la loi
lors du vote des articles, dans le cas où mes collègues me laisseraient quelque
chose à dire.
M. Smits. - Je
demande la parole sur.
M. de Brouckere.
- Aux termes du règlement, l’orateur qui parle sur doit déposer un amendement
sur le bureau. M. Smits a-t-il un amendement à déposer ?
M. Smits. - Non. En
ce cas je parlerai contre. (Hilarité.)
Messieurs, il faut bien se prononcer pour ou contre, puisque l’on ne veut pas
que je parle sur.
Messieurs, la question devant laquelle nous sommes
placés est extrêmement grave ; car il ne s’agit pas seulement de savoir s’il
importe de changer notre législation en y introduisant le principe de la
prohibition, de l’estampille et de la recherche à l’intérieur, il s’agit encore
de savoir si nous voulons continuer à vivre sous l’empire du système libéral,
celui de la protection des intérêts généraux, ou si nous voulons vivre sous
l’empire du système prohibitif, celui de la protection des intérêts privés ; il
s’agit de savoir si nous voulons nous lier à l’Europe, ou si nous en voulons
devenir les hôtes, il s’agit de savoir enfin, si nous voulons reculer pour nous
replonger dans la routine, qui se complaît tant, ainsi que l’a dit un
industriel français, à l’ombre de l’arbre prohibitif.
Si, un des premiers, je prends la parole dans cette
grave et importante question, c’est qu’il m’a semblé que, comme membre de votre
commission d’industrie et de commerce, j’avais un double devoir à remplir :
celui de rétablir quelques faits, de combler quelques lacunes ; celui d’émettre
quelques considérations sur un système que j’ai toujours regardé et que je ne
cesserai de regarder comme contraire aux intérêts, au bien-être de mon pays.
En cédant à cette profonde conviction, en
entreprenant cette tâche d’autant plus délicate qu’elle ne peut manquer de contrarier
quelques intérêts, je chercherai aussi, messieurs, à éviter ces récriminations
affligeantes qui viennent quelquefois sillonner nos débats, et qui, loin de les
éclairer, ne font souvent que les aigrir.
J’admets avec beaucoup de nos honorables collègues
que l’industrie cotonnière a dû se ressentir vivement des événements produits
par la révolution. D’autant plus qu’il est de la nature des fortes commotions
politiques d’ébranler le crédit, de détruire la confiance, de suspendre le
travail ; mais je ne saurais convenir que le gouvernement soit resté
indifférent aux souffrances momentanées de cette industrie ; je ne saurais
admettre qu’il ait refusé de lui porter secours ; je ne saurais consentir au
reproche qu’on lui a fait d’avoir négligé ces intérêts.
Lorsqu’un peuple s’émancipe ; alors surtout,
messieurs, on fait une application rigoureuse, immédiate, de cette maxime
éternellement vraie, que l’Etat ne doit d’autre protection aux intérêts privés
que celle qui dérive des intérêts généraux.
Eh bien, messieurs,,
malgré cette maxime, que personne ne contestera dans cette enceinte, malgré les
embarras politiques et financiers du moment, le gouvernement provisoire
n’hésita pas à ouvrir par son décret du 30 décembre 1830, un crédit de 100,000
fl., uniquement destiné à soulager l’industrie souffrante. De cette somme
65,869 florins furent affectés à la province de Gand.
Avec une si faible ressource, il était certainement
impossible d’improviser une nouvelle prospérité industrielle ;
A peine les autorités furent-elles organisées,
qu’elles furent consultées sur les moyens à prendre pour raviver le commerce et
l’industrie. Presque toutes répondirent à l’appel qui leur avait été fait ; et
si je rappelle ici les opinions que quelques-unes d’entre elles émirent, c’est
pour vous mettre à même, messieurs, de mieux juger des propositions qui vous
sont actuellement soumises.
La régence de Gand fut une des premières à réclamer
protection pour une branche qui constitue la principale richesse de sa localité
; et sa délibération du 15 septembre 1831 est d’autant plus remarquable, qu’en
invoquant comme unique moyen de protection l’établissement de primes à la
sortie pour les produits de l’industrie cotonnière, elle déclara formellement
que les droits d’entrée qui frappent les cotons étrangers étaient assez élevés
pour protéger efficacement les fabriques nationales contre la concurrence
étrangère.
Les fabricants eux-mêmes tinrent le même langage,
et la commission supérieure d’industrie et de commerce qui les appuya et qui,
par la délibération du 5 janvier 1832, se prononça également en faveur des
primes d’exportation, qu’elle estima pouvoir s’élever à 400,000 fr. par an,
n’attaqua nullement la tarification existante.
Les chambres de commerce d’Anvers et de Bruxelles
insistèrent également pour l’adoption temporaire des primes ; mais au moment
même où le gouvernement prenait une résolution sur cette proposition, la
commission supérieure d’industrie déclara par sa délibération du 29 juin de la
même année que la faveur réclamée était provisoirement devenue inutile par
suite de la reprise progressive du travail et de la confiance.
Vous voyez pas là, messieurs, que le reproche que
l’honorable M. Manilius a adressé au gouvernement pour n’avoir pas modifié le
tarif, est d’autant moins fondé, que c’est en quelque sorte à la demande de la
régence de Gand, à celle des fabricants eux-mêmes, ainsi qu’à celle des
premiers corps commerciaux du royaume, que la tarification actuelle a été
maintenue.
Cependant, vers la fin de 1833, les plaintes des
fabricants se renouvelèrent avec plus de force que jamais ; la commission
supérieure d’industrie fut de nouveau saisie de la question, et cette fois elle
déclara par son rapport du 25 novembre, qu’en effet la reprise des travaux
qu’elle avait signalée dans son rapport précédent avait été uniquement
occasionné par le défaut de la fabrication pendant la période de 1830 à 1832 ;
que depuis lors la production avait excédé les besoins de la consommation, et
que, conséquemment, il fallait prendre des mesures pour parer aux encombrements
du moment.
La commission reconnut toutefois que le cours
naturel des choses devait en grande partie porter remède au mal existant alors
; mais cette fois, et tout en revenant à la proposition des primes qu’elle
avait faite antérieurement, elle recommanda l’établissement d’une société de
commerce afin de créer de nouveaux débouchés au-dehors, et de ramener en
Belgique le marché des cotons bruts afin de mettre nos fabricants à parité avec
ceux de Manchester.
Cette idée, qui était aussi celle du gouvernement,
fut vivement saisie et la société gantoise fut créée par l’arrêté royale du 9
février 1834, avec une dotation de 350,000 fr., jugée nécessaire pour couvrir
les pertes éventuelles que l’établissement pourrait faire sur les exportations
d’outre-mer, les seules qui lui fût permis d’opérer avec garantie.
On stipula toutefois que les pertes à prélever sur
cette somme ne pourraient jamais excéder pour chaque opération, la proportion
existante entre le capital de la société jusqu’à 3 millions et le montant du
subside de 350,000 fr. ; en outre, tous les industriels furent priés de prendre
part à l’association.
Celles-ci, bientôt après, commença ses opérations,
et déjà elle avait exporté pour une valeur de 1,375,262
fr., dont 1,541,692, dirigés sur Java, lorsque le gouvernement hollandais, dans
les Indes orientales, dont l’attention avait été réveillée par ces révélations
indiscrètes, prit sous la date du 1er juillet 1834, un arrêté en vertu duquel
les provenances de
Cette mesure acerbe devait nécessairement paralyser
les expéditions de la société vers les possessions javanaises. On ne pouvait se
méprendre sur sa nature ; elle était toute politique, dirigée contre le
gouvernement, il était de la dignité de celui-ci d’en supporter les
conséquences.
Aussitôt une autre somme de 150,000 fr. fut mise à
la disposition de la société cotonnière afin uniquement de couvrir les pertes
qui auraient pu résulter de l’application de l’arrêté du 1er juillet, et de
maintenir intact le premier fonds qui avait été accordé comme garantie, comme
base de société.
Pendant que ces sacrifices avaient lieu, sacrifices
qui, avec ceux faits dans les premiers moments de la révolution, s’élèvent à la
somme énorme d’au-delà de 700,000 fr. en faveur d’une seule branche de notre
industrie, le gouvernement attendait avec impatience le résultat des
délibérations de votre commission d’industrie et de commerce sur les
réclamations qui lui avaient été renvoyées.
En mission à cette époque à Paris avec notre ancien
et honorable collègue M. Davignon, il me serait impossible de vous dire comment
ces délibérations furent conduites ; mais je sais qu’à notre retour nous fûmes
vivement affligés d’apprendre qu’une très petite minorité de la commission
avait osé prendre sur elle de vous proposer, par l’organe de M. Zoude, une
prohibition presque exclusive de tous les tissus étrangers.
Je ne critiquerai point le rapport qui vous fut
présente par cet honorable collègue ; je respecte les convictions contraires
aux miennes quand même elles ne sont point expliquées ; mais je ne saurais
m’empêcher de dire que dans une question aussi grave, on aurait dû se livrer au
moins à l’examen des faits et ne pas se renfermer dans un vague désolant.
J’aurais désiré surtout que M. le rapporteur eût discuté les avantages et les
désavantages qui pouvaient résulter de l’alliance commerciale avec l’Allemagne
qu’il conseillait, car vous n’ignorez pas, messieurs, que ce pays aussi produit
des draps, des tissus de lin, de coton et de laine, du charbon, du fer, et que
plusieurs de ses provinces sont aussi riches que les nôtres en richesses
agricoles.
Quoi qu’il en soit, messieurs, le rapport dont je
viens de parler et dont, pour ma part, je repousse formellement la solidarité,
éveilla l’attention du public et notamment de la classe nombreuse et
intéressante des négociants et détaillants en tissus étrangers.
Ceux-ci vous présentèrent un mémoire parfaitement raisonné,
plein de faits et de comparaisons lumineuses, par lesquels ils établirent à
évidence, selon moi, que l’industrie cotonnière jouit pour l’obtention de ses
moyens de travail d’un tarif entièrement conçu dans ses intérêts ; et que,
réunissant le bas prix des matières premières à l’économie des moteurs et de la
main-d’œuvre, elle ne supporte relativement aux industries similaires de
l’étranger, que des charges légères qui lui permettent de lutter
avantageusement contre ses concurrents.
Comme on devait s’y attendre, le mémoire de MM. les
négociants fut vivement combattu par MM. les fabricants qui soutinrent que les
propositions, les calculs et les arguments de leurs adversaires portaient à
faux et qu’on devait d’autant moins y prêter attention que les pétitionnaires,
étant pour la plupart étrangers au pays, n’avaient pas le même intérêt qu’eux à
son bien-être.
Je ne suivrai pas les fabricants sur ce terrain qui
n’est pas le nôtre ; pour le moment je m’abstiendrai également d’exprimer mon
opinion sur le mérite des prétentions opposées, mais je ferai remarquer,
messieurs, que les fabricants étaient, à l’époque dont j’ai parlé, beaucoup
moins exclusifs que les négociants, puisqu’ils ne repoussaient pas des droits
protecteurs raisonnables, tandis que les derniers repoussaient presque sans
distinction tous les produits étrangers.
J’ajouterai cependant que depuis lors les
fabricants paraissent être revenus de ces opinions moins tranchées, et que
c’est à cette modification d’idées qui prenait peut-être sa source dans la
crainte de voir repousser le premier travail proposé par M. Zoude, que nous
devons le troisième incident qui est venu nous surprendre, je veux parler de la
proposition qui vous a été faite par 24 de nos honorables collègues.
Ainsi que vous vous le rappellerez, messieurs,
cette proposition fut renvoyée aux sections, et dès lors la commission
d’industrie fut dessaisie de la proposition de M. Zoude. Elle termina néanmoins l’enquête qu’elle avait ouverte,
et elle décida de faire précéder les interrogatoires qui la constituent, par la
pièce qu’un de nos collègues n’a pas craint d’appeler apocryphe. si notre
caractère à nous tous qui avons signé cette pièce ne vous était pas un garant
contre cette imputation, je saisirais cette circonstance pour protester dans
les termes les plus énergiques contre une attaque que j’aime à n’attribuer qu’à
un moment de préoccupation.
Maintenant que j’ai rétabli les faits et que j’ai
démontré que le gouvernement a toujours entoure de sa sollicitude une industrie
qui la mérite au plus haut degré, je vais examiner si elle est réellement aussi
souffrante qu’on la dépeint et si les moyens qu’on vous propose pour remédier à
ses souffrances sont nécessaires pour elle et aux intérêts généraux du pays.
Pour remplir cette tâche, j’ai besoin de prouver
que les moyens de production en Belgique sont généralement aussi favorables que
dans d’autres pays, et que sous ce rapport, aucune réclamation ne peut être
élevée.
Ainsi le coton brut paie en Belgique pour droit
d’entrée les 50 kilog. fr. 0 96 c, en France fr. 11, en Angleterre fr. 7 73 c.
La potasse, en Belgique fr. 0 96 c., en France, fr.
9 90 c., en Angleterre fr 1 50 c.
La soude, en Belgique fr. 0 46 c., en France fr. 6
32 c., en Angleterre fr. 6 25 c.
L’indigo, en Belgique fr. 4 80 c., en France fr. 41
25 c., en Angleterre, fr. 35.
Le bois de camp., en Belgique fr. 0 24 c, en France
fr. 1 10 c., en Angleterre fr. 0 28 c.
La garance, en Belgique fr. 2 40 c., en France fr.
13 20 c., en Angleterre fr. 7 50 c.
Ces calculs sont les mêmes que ceux qui ont été
présentés par mes négociants à l’appui de leur mémoire, et si je les
reproduits, c’est parce que les tarifs à la main, j’en ai reconnu l’exactitude.
Je sais, messieurs, qu’on peut objecter que
Si en Angleterre la moyenne du prix des
combustibles est un peu moins chère qu’en Belgique, par contre il est plus du
double en France, et certes il n’est pas meilleur compte en Allemagne et en
Suisse que chez nous. Quant au prix du coton brut, il s’achètera dorénavant à
Anvers comme à Liverpool, lorsque le pays aura été doté du transit qui doit
spécialement activer nos marchés. Sous ce rapport, comme sous celui du prix des
machines à vapeur, nous n’avons pas de comparaison à craindre, par même
l’Angleterre, puisque la moyenne du salaire des ouvriers, pris sur la masse, y
est de trois francs environ et que la nôtre n’excède guère le chiffre de 2
francs.
Sous le rapport des moyens de production,
Nous sommes trop impartiaux pour ne pas reconnaître
que les grands établissements de filature, de tissanderie
et d’indiennes ont un avantage sur les petits, puisque les frais généraux des
uns et des autres sont à peu près les mêmes : ainsi une grande comme une petite
fabrique à son directeur ou contremaître ; deux ou trois commis chargés de la
comptabilité, du mouvement, des réparations, de l’ordre du classement des
marchandises ; un conducteur pour la machine à vapeur, etc. ; de sorte que les
frais généraux sont à peu près équivalents pour la fabrication de 600 kilog.
par semaine comme pour la fabrication de 6,000 kilog,,
ce qui peut établir une différence 1 à 4 p. c. de la valeur des produits. Mais
ce n’est pas là la question industrielle, et on peut même soutenir avec
avantage que de ce chef, le gouvernement ne doit point de protection spéciale,
puisqu’il ne dépendait que des petits industriels d’agglomérer leurs capitaux
pour créer des établissements afin d’économiser les frais généraux.
Ce que nous voulons établir c’est que les
tentatives que les fabricants français et anglais ont essayées pour verser sur
nos marchés leurs tissus hors de goût et de mode, n’ont pas été heureuses et ne
se sont pas renouvelées de manière à nuire à nos fabriques.
A cette occasion, nous citerons un fait : c’est
qu’en 1828, 1829 et au commencement de 1830, une grande partie des excédants de
Mulhausen, sortaient de France, transitaient à
travers
Si donc, messieurs, les fabricants français avaient
pu déverser ces excédants sur les marchés des Pays-Bas, il est évident qu’ils
se seraient épargné les frais véritablement exorbitants que nous venons d’énumérer.
D’un autre côté
La preuve matérielle et sans réplique de cette opinion,
c’est que
Que peut-en conclure de ce rapprochement ? Encore
une fois, messieurs, que les trop-pleins se déversent ailleurs que dans notre
pays, et que le système suivi actuellement n’est pas aussi mauvais qu’on le
prétend.
Mais, dit-on, l’industrie cotonnière souffre
cependant ; Java lui a échappé, cette colonie était un monde pour elle ; sa
production s’était établie en raison de la possession de cette colonie, il faut
donc que le marché intérieur remplace la perte de ce débouché oriental.
La perte de Java est grande sans doute ; mais cette
perte n’est point pour l’industrie dont il s’agit aussi effrayante qu’on le
croit communément, et je suis persuadé qu’avec un peu d’activité, de
persévérance et d’économie, on parviendra bientôt à la remplacer.
Les comptes de Java à la main, qu’y voyons-nous,
messieurs ? Une nullité complète, déplorable, de toute importation de tissus de
coton belge jusques et y compris 1825. Ainsi pendant près de 12 ans de réunion,
aucun débouché un peu marquant n’avait été ouvert à l’industrie cotonnière dans
l’archipel indien.
Et cependant les plaintes qui s’élèvent parfois
aujourd’hui, on ne les entendait pas ; les droits actuellement établis
semblaient même avoir satisfait à toutes les exigences ; ils avaient même été
accueillis par quelques-uns même avec gratitude.
En 1826, pour la première fois, on voit apparaître
dans le compte de M. Cruzeman, une importation à Java
en toile de lin et de coton pour un peu plus de deux millions de francs de
sorte qu’en répartissant cette somme par moitié égale pour les deux produits,
on trouve un million pour les toiles de coton.
Depuis cette époque, les exportations, il est vrai,
n’ont cessé d’augmenter, mais je ne pense pas qu’il soit possible de les
évaluer au-delà de 6 millions pour l’année 1829 qu’on répute comme la plus
prospère.
Quoi qu’il en soit, il est impossible au
gouvernement de réparer cette perte d’une manière soudaine ; et s’il était vrai
en effet que l’industrie cotonnière a été fondée sur une échelle qui n’est plus
en proportion avec la population et l’étendue de notre nouvel Etat, je dirais
qu’il n’y a là qu’une condition rigoureuse qu’il faut subir pendant quelques
temps encore, jusqu’à ce que les anciens débouchés ayant été remplacés par des
débouchés nouveaux qui ne peuvent manquer de grandir d’année et année, par
l’institution du chemin de fer, par le nouveau système du transit et par
l’esprit d’association qui se développe heureusement en Belgique avec une
rapidité inconnue aux époques antérieures.
Messieurs, comme le projet de loi soumis dans ce
moment à vos délibérations est le résultat des réclamations qui surgirent tout à
coup à la fin de 1833, quelques mois après que la commission supérieure
d’industrie avait déclaré que le système des primes qu’elle avait précédemment
proposé était devenu inutile, par suite de la reprise du travail et de
l’activité des ateliers, j’ai besoin, messieurs, de reporter un moment vos
souvenirs sur cette époque.
Vous vous le rappellerez, messieurs ; le mal alors,
d’après les pétitionnaires, était à son comble ; le travail avait cessé ; les
secours à domicile se multipliaient ; les ateliers de charité regorgeaient de
malheureux ; le faible patrimoine des ouvriers avait été déposé aux
monts-de-piété ; la consommation décroissait ; les faillites et les procès
allaient en augmentant ;
Eh bien, messieurs, de ce tableau si nébuleux, si
rembruni, si sombre, aucune couleur n’est vraie.
Je me dispenserai de vous entretenir d’une foule de
lettres particulières que je reçus à cette époque, et qui toutes étaient
d’accord sur ce fait, que le travail avait été plus actif que jamais pendant
les mois de juillet, d’août et de septembre, et que le coton blanc manquait
totalement sur la place de Gand au prix de 11 florins ; mais je vous demanderai
la permission de citer quelques chiffres qui prouvent d’une manière
incontestable, selon moi, l’exagération des plaintes qui furent poussées alors.
En effet, je parvins à constater que les
engagements au mont-de-piété en 1833 avaient à peine atteint la moitié de ce
qu’ils avaient été en 1829 ; tandis que les dégagements en 1832 et 1833,
avaient excédé ceux de 1829, de 23,000 francs pour la première de ces années et
de 19,000 francs pour la seconde.
Même diminution pour les secours à domicile et pour
les ateliers de charité, puisque ces derniers ne renfermaient que 493 individus
à la fin de 1833, tandis qu’à la même époque en 1829, il y en avait eu 543.
Pendant cette dernière année, il n’y a eu à Gand
que 11 faillites ; il y en a eu 13 en 1833, mais parmi ce dernier nombre, on ne
compte qu’un seul fabricant, et encore paraît-il certain que le mauvais état de
ses affaires datait de loin.
En 1829, il y a eu dans la même ville 16 saisies
mobilières et seulement 10 en 1833.
En 1829 il y a eu à Gand 9 expropriations pour
87,671 fr.
En 1833 il n’y en a eu que 7 pour 11,414 fr.
Différence en faveur de 1833 2 expropriations et...
76,257 fr.
En 1829 on a pris toujours dans la même ville pour
inscriptions hypothécaires 4,271,343 fr.
En 1833, on n’en a pris que pour 3,514,560 fr.
Différence en faveur de 1833 de 756,783 fr.
Enfin en 1828 et 1829 on a protesté à Gand 1010
traites et promesses pour 320,603 fr.
En 1832 et 1833 on n’en a protesté que 675 pour
251,409 fr.
Différence en faveur de 1832 et 1833, 405 traites
et promesses et 79,194 fr.
Enfin, messieurs, puisque M. Zoude vous a parlé de
la disparition des machines des ateliers, je vous dirai qu’il résulte d’un état
que j’ai sous la main qu’il en existait au 1er août 1830, 67 et au 1er janvier
de cette année 81, exclusivement affectées à l’industrie cotonnière, ce qui établit
encore une différence de 14 en faveur de l’époque actuelle.
Si maintenant nous comparons ces renseignements
avec le tableau de nos importations, nous trouvons encore une fois, messieurs,
qu’on peut légitimement tirer en doute la justesse de toutes les doléances
qu’on a cherché à faire valoir sur la détresse de l’industrie cotonnière.
En effet, si je consulte mes notes particulières,
je trouve que la commune des importations de coton brut a été à Anvers dans une
période de trois années antérieures à la révolution, c’est-à-dire dans celle de
1826 à 2829 de 24,998 balles, tandis que les importations pendant une même
période postérieure à la révolution, celle de
1831 à 1833, se sont élevées à 25,289 balles, donc encore une fois une
différence très sensible en faveur de 1833.
D’un autre côté, si je consulte les documents
officiels, et que je cherche à établir la différence entre trois années
antérieures à la révolution, et trois années postérieures à la révolution, je
vois que la masse des cotons bruts est portée dans tout le royaume des
Pays-Bas, pendant les années 1825, 1826 et 1827 (des renseignements positifs me
manquent sur 1828, 1829 et 1830) à une valeur de 16,675,371 fr., transit et
exportation déduits. Tandis que les mêmes importations pour
Ainsi, une différence en faveur de ces trois
dernières années de 412,000 fr.
Ces faits parlent haut, messieurs ; car là où on
emploie des matières premières, on fabrique ; là où on fabrique, l’on consomme
et là où l’on consomme, on gagne ordinairement.
Si maintenant, pour établir la situation à l’époque
actuelle nous ajoutons aux chiffres que nous venons de poser, et les
importations de 1824 et celles de 1834, nous trouvons que la différence en
faveur de cette dernière époque, sur une période de quatre années, est de
3,351,876 fr.
Vous le voulez donc, messieurs, les souffrances de
l’industrie cotonnière ne sont pas aussi grandes qu’on le dit ; d’autant moins
qu’elle a conservé, en grande partie, le marché de
en
1832 de
en
1833 de
en 1834 seulement de
Ces chiffres ne prouvent-ils pas que la situation
de l’industrie cotonnière n’est pas aussi critique qu’on le prétend, et qu’elle
n’a point besoin pour se relever de la loi prohibitive qu’on vous propose ?
Et pourquoi en aurait-elle besoin ? L’enquête, et
entre autres les remarquables dépositions de MM. Schumacker
et Van Hoegaerden ne confirment-elles pas que sous le
rapport de l’économie des matières premières, de la main-d’œuvre, des moteurs,
de la facilité des communications et du prix des transports, l’industrie
nationale n’avait aucune concurrence à craindre : M. Schumacker
n’a-t-il pas affirmé que quant à lui il ne redoutait point cette concurrence ;
qu’il ne s’était jamais tenu pour battu ? M. Van Hoegaerden
n’a-t-il pas reconnu l’exactitude des calculs posés dans le premier mémoire de
MM. les négociants et que je dispense par ce motif de reproduire ? M. Soyez,
l’agent du gouvernement près la fabrique d’Andenne, qui s’occupe spécialement
du filage et des impressions, n’a-t-il pas reconnu et attesté que cet
établissement marchait de progrès en progrès, que non seulement il participait
au marché intérieur, mais aussi au marché extérieur, ne nous a-t-il pas dit que
les ateliers de filage de 5,000 broches qu’ils contiennent actuellement
allaient être portés à 25,000 broches ? Ne vous a-t-il pas cité enfin un fait
bien remarquable, celui-ci : Qu’une grande quantité de calicots écrus que
l’établissement retire régulièrement de Gand est revendue à Gand même après
avoir été imprimée à Andenne et avoir subi les frais d’un double transport ?
Si tous ces faits n’avaient pas été cités par des
fabricants distingués, s’ils nous eussent été fournis par des négociants,
j’avoue que je ne les aurais présentés qu’avec quelque défiance ; mais,
messieurs, quand des hommes aussi respectables viennent en quelque sorte
combattre eux-mêmes leur intérêt privé en faveur des intérêts généraux, il ne
nous est plus permis de douter de l’impartialité de leurs opinions.
Depuis quelque temps même, beaucoup de personnes se
sont éprises d’une belle passion pour ce qu’ils appellent le marché intérieur,
le système réciproque ; mais je leur demanderai, moi, ce qu’ils entendent par
marché intérieur, par système réciproque ? Car dans ces questions, messieurs,
il importe de s’entendre sur la signification et la portée des mots, sous
risque de s’égarer et d’apporter dans les esprits une confusion d’idées, qui
nuit à l’entente des principes à suivre.
Eh bien ! Je réponds : que lorsque dans un tarif, on
a égalisé le prix de revient d’un produit national avec le prix de revient d’un
produit étranger, en d’autres termes, lorsque pour établir l’équilibre, on a
frappé ce produit étranger d’un droit égal au désavantage que supporte le
produit indigène dans la fabrication, on a assuré à ce dernier le marché
intérieur, d’autant plus qu’à ce droit, il faut ajouter les frais de transport,
de commission et d’assurance que le produit étranger doit supporter
naturellement. Voilà le principe rigoureux ; et certes ce n’est pas au désavantage de l’industrie
cotonnière qu’il a été appliqué dans ce pays, puisque votre section centrale
reconnaît elle-même qu’il y a des tissus étrangers qui sont imposé de 25 à 33
p. c. de leur valeur ; or, comme nous soutenons que la fabrication nationale a
les matières premières, les moteurs, la main-d’œuvre, et enfin tous les
éléments de travail à aussi bon compte que la fabrication étrangère, il est
évident qu’avec les droits actuels, elle peut soutenir la concurrence sur le
marché intérieur.
Que si on m’objecte qu’en Angleterre le fabricant
obtient ses mécaniques à meilleur compte, je réponds encore que cet avantage
est détruit par la hauteur de la main-d’œuvre et des droits qui grèvent la
matière première ; qu’il en est de même en France et en Allemagne où la broche
pour les filatures par exemple peut être évaluée de 35 à 40 francs tandis
qu’elle n’est que 20 à 25 chez nous.
D’ailleurs, vouloir circonscrire la production
nationale au marché intérieur ou vouloir exclure de ce marché la concurrence
étrangère, c’est, comme je le disais dans une autre circonstance, vouloir périr
de misère au sein même des richesses et de l’abondance.
Non, messieurs, ce n’est point par le marché
intérieur que nos belles fabriques, nos riches exploitations minérales et
agricoles peuvent grandir ; c’est au-dehors et sur des points divers qu’elles
doivent fonder le domaine du leur prospérité ; mais si elles veulent exploiter
ce domaine, si elle veulent pourvoir à la consommation des peuples étrangers,
qu’alors au moins les produits étrangers soient admis chez nous par
réciprocité, toujours sous la réserve d’une protection légitime en faveur de
nos propres produits. C’est ce que
Et voyez à quelles absurdités mènerait le principe
de la réciprocité parfaite, rigoureuse ! A
Franchement, messieurs, ces utopies ne soutiennent
pas l’examen, et il faut absolument les embarquer à bord de la marine militaire
qu’on vous a proposé de créer pour la protection de la marine marchande. Ce
sont là de véritables matières à exportations.
Marché intérieur, réciprocité parfaite, sont donc
des mots vides de sens qui, dans l’acception qu’on leur donne, ne présentent
aucune idée précise, aucune idée réalisable pour le bien-être de
Je comprends néanmoins, messieurs, qu’il est des
circonstances où il est permis de se départir des règles générales, afin
d’activer d’avantage des capitaux considérables créés sous l’empire d’un état
de choses qui n’existe plus, et qui peuvent par cela même mériter une
protection spéciale ; mais, je le demande, faut-il pour cela créer le système
prohibitif avec ses épouvantables corollaires, l’estampille et le droit de
recherche à l’intérieur ? Je ne le pense pas,
Et d’abord, je repousse ce système comme contraire
à nos mœurs, à nos habitudes, à notre caractère, à notre indépendance ; je le
repousse comme opposé aux principes de nos institutions nouvelles. En effet, ne
serait-il pas singulier de voir le peuple belge qui a haï le despotisme
glorieux de l’empire à cause des vexations des droits réunis, venir s’enchaîner
lui-même et se courber sous le joug d’une inquisition industrielle et cela au
sortir d’une révolution qu’il a faite en partie pour se soustraire aux lois de
mouture et d’abattage ? Messieurs, cela ne serait pas seulement singulier,
mais cela serait inconséquent ; car enfin, ne vous semble-t-il pas qu’une
nation qui change son état politique dans le sens d’une plus grande liberté,
doive autant que possible chercher à faire dominer cette liberté dans son
régime économique ? Et veuillez croire, qu’en posant cette question, je ne
prétends pas dire que
Eh quoi ! Je serai libre ; je pourrai disposer de
ma personne et de mes biens ; mais je ne pourrai opérer des échanges avec les
peuples voisins ; les retours qu’ils me feront en produits de leur sol, je ne
pourrai les recevoir, et il faudra, pour y suppléer, faire de grands sacrifices
pour les acheter plus cher et peut-être moins bien !
On dit, je le sais bien, que le droit public se
compose de restrictions posées aux droits particuliers, et que ces restrictions
sont indispensables à la conservation de la société ; mais qu’on me prouve que
le régime prohibitif se résout en bien public, et j’en reconnaîtrai aussi la
nécessité.
Je m’attends, messieurs, à ce qu’on viendra
m’opposer l’exemple de l’Angleterre ; mais encore une fois je repousse cet
exemple parce qu’il n’y a aucune similitude de position entre cet Etat et
Qu’on nous donne, comme en Angleterre, une position
insulaire qui rende sinon la fraude impossible, du moins presque impraticable ;
qu’on pose un de nos pied dans l’Inde et un autre à Nootka Sund
; qu’on fasse ainsi de nous un colosse embrassant les extrémités des deux
hémisphères, et pourvoyant aux besoins de plus de 420 millions d’hommes, alors
seulement j’examinerai si le système prohibitif peut être profitable à mon pays
; mais aussi longtemps que nous serons resserrés entre d’étroites limites, et
au milieu de voisins qui, généralement nous prennent plus qu’ils ne nous
donnent, je m’y refuserai.
Que si on veut nous opposer l’exemple de
l’Angleterre et de
Et
Je conviens néanmoins que cette puissance, dans la
voie du progrès, a marché d’un pas timide ; mais, enfin, la dernière enquête
commerciale démontre à l’évidence pour tous les hommes non prévenus, que le
gouvernement français a senti la nécessité de sortir de l’ornière prohibitive
où le système continental l’a maintenue, et que si ses efforts n’ont pas été
couronnés de succès, c’est parce qu’il est presque impossible de lutter contre
des droits acquis.
Telle, messieurs, n’en doutez point, deviendrait
également notre position, si nous avions l’imprudence de nous lancer dans une
fausse route ; et, en Belgique, le mal serait d’autant plus grand que sa
population sera restreinte.
Etablissez le système prohibitif et vous verrez
qu’une foule de nouveaux capitaux iront se jeter dans la fabrication protégée ;
dans peu d’années la production sera augmentée et aura excédé tous les besoins
; alors, et faute de débouchés à l’extérieur, repoussés de toutes parts par des
mesures de représailles, le gouvernement, comme l’a fait pressentir l’honorable
M. Pirmez, n’aura d’autres ressources que d’accorder des primes d’exportation
en faveur des produits privilégiés, prélevant ainsi un nouvel impôt sur les
contribuables.
Dès que notre beau pays a vu consolider son
indépendance, dès que par les traités, il a acquis ce bel apanage de la
neutralité ; dès que, par cette condition d’existence politique, il a obtenu le
plus grand moyen de prospérité industrielle et commerciale qu’un Etat
éminemment agricole, industriel, commercial et maritime puisse ambitionner ;
dès qu’enfin son territoire a été circonscrit aux limites de ses anciennes
provinces, et qu’il a été resserré entre
Après 18 années d’expérience, le système prohibitif
français (nous ne parlons pas de l’Angleterre, qui est dans une position tout à
fait exceptionnelle), peut être jugé et apprécié par les résultats. Si donc
l’industrie française est au niveau des industries étrangères, si elle a
découvert des procédés nouveaux, perfectionné les anciens ; si elle a agrandi
ses relations au-dehors ; si elle a détruit d’anciennes préventions et lutté
victorieusement contre ses rivaux ; si elle a reçu des quantités considérables
de matière première et fait d’importantes exportations de ses objets
manufacturés ; si les jeunes industries
ont acquis de l’accroissement et de la force ; si les anciennes ont conservé
leur splendeur ; si la navigation marchande s’est accrue à la faveur de droits
différenties exorbitants ; si, enfin les transactions commerciales et
industrielles en général ont acquis plus d’extension et plus d’importance, le
système est jugé, il faut le maintenir. Mais tous ces avantages n’ont pas été
acquis, malgré un marché, une consommation de 32 millions d’hommes ; s’il est
prouvé au contraire que
Eh bien ! cette démonstration se trouve dans le
mémoire ou pour mieux dire, l’interrogatoire de M. Mimmerel,
le plus fougueux des prohibitionnistes français.
Ce n’est pas que nous adoptions tous les calculs,
tous les raisonnements que M. Mimmerel ; nous
pourrions au contraire démontrer la fausseté de plusieurs d’entre eux ; mais
enfin son interrogatoire comparé avec d’autres démontre à l’évidence qu’il y a
dans l’industrie française un malaise, un marasme qui la tue, et que ce
malaise, ce marasme est le résultat du système prohibitif.
Tout en déplorant l’aveuglement de nos voisins,
profitons de leur exemple, suivons, nous ne craignons pas de le dire, les principes
industriels, commerciaux et maritimes de ceux qui nous ont précédé et qui ont
été couronné de succès ; évitons l’abîme où on veut imprudemment nous
entraîner. Repoussons, comme un fléau, les théories improvisées, le régime
prohibitif qui dessèche toutes les branches industrielles, qui étouffe les
idées généreuses et les grandes entreprises ; qui ôte à l’homme le désir du
perfectionnement, de l’économie et qui le plonge dans une léthargie dont il ne
sort souvent que pour maudire le funeste présent qu’on lui a fait.
Car, je le répète encore
une fois ; le système qu’on nous propose amènerait infailliblement, par l’appât
d’un gain précoce, de nouveaux placements de fonds dans une branche
industrielle déjà considérable, et, d’ici à quelques années, l’excès de la
production produirait de nouvelles plaintes, de grands embarras et peut-être,
messieurs, des désastres.
Selon le temps et les pays, élevons ou abaissons
nos barrières ; ne nous lions exclusivement avec personne ; tâchons de retirer de
chaque puissance la plus grande somme d’avantages que possible, et ne perdons
jamais de vue que l’ordre est le plus puissant stimulant industriel, la paix,
la prime la plus favorable pour l’encouragement et le développement du
commerce.
M.
Zoude, rapporteur. - Après la déclaration qu’avait faite le préopinant
que les personnalités seraient écartées de la discussion, je ne sais trop
définir l’impression que j’ai éprouvée lors de l’attaque qu’il a dirigée contre
moi ; je l’attribue à l’absence dont il a parlé et à l’ignorance des faits sur
lesquels il s’est expliqué fort légèrement, pour ne pas dire plus.
Puisqu’il faut encore revenir sur ce rapport,
j’affirme de nouveau que la question cotonnière à été agitée plusieurs fois à
la commission et que l’opinion fixée le jour de la lecture du rapport a été
annoncée par une convocation faite à tous les membres.
Quatre s’y trouvèrent et un cinquième qui est ici à
la séance, m’a dit et à M. Desmaisières, que nous pouvions le compter comme présent.
Le silence de ce membre qui m’entend sera la
confirmation de ce que j’avance. Or, dans une commission de 9 membres, le
nombre 5 fait la majorité. Vous apprécierez d’après cela la légèreté avec
laquelle le préopinant s’est exprimé.
M.
Smits. - Je n’ai pas voulu attaquer personnellement M. Zoude dont je
respecte le caractère. J’ai seulement cité un fait connu de tout le monde et
que M. le rapporteur vient d’avouer.
La commission d’industrie se composait à cette
époque de 14 membres et non de 9 membres. Cependant le rapport a été fait par 5
membres tout au plus.
M. Manilius. -
Par ma position toute spéciale, je crois devoir à la chambre quelques
explications sur la question qui s’agite. Je crains bien de ne pouvoir remplir
entièrement cette tâche, mais toute ma volonté, tous mes efforts y tendent.
Je prie donc la chambre de remarquer qu’aucune
industrie de quelque importance n’a eu à essuyer un choc aussi rude que
l’industrie cotonnière, par suite des commotions politiques de 1830 ; toute sa
force comme sa perspective reposait sur ses immenses débouchés aux Indes.
Croyez-vous, messieurs, que l’industrie cotonnière songe encore à ce retour ?
Mais depuis des années, elle ne cesse de réclamer la protection des lois
nationales, des lois belges, en harmonie avec la circonscription territoriale
du nouveau royaume.
Elle repousse des lois antinationales, qui nous
régissent pourtant depuis cinq ans en contradiction manifeste des intérêts
nationaux.
On semble cependant se ruer contre cette
malheureuse branche d’industrie, avec une aigreur tout extraordinaire.
Il est vrai qu’elle pleure son ancienne splendeur,
cela est naturel, et rien n’est plus juste ; mais rien n’est plus injuste que
de lui en faire des incriminations outrageantes. Ce ridicule a trouvé place
cependant dans la bouche de certains hommes.
Ici je dois dire en réponse à l’honorable M. Smits,
que la seule communication que j’ai faite à la commission d’industrie, en 1833,
est une preuve que l’ai toujours opté pour le système de protection légale, et
non pour des primes ni des secours pécuniaires. J’ai toujours combattu les
privilèges et l’emploi des fonds du contribuable aux industries privées.
Je suis aussi un des protestants contre
l’établissement dont nous avons prévu l’insuffisance et méconnu l’emploi des
fonds du trésor qu’on lui destinait. Nous avons, nous protestants, à nous
flatter d’avoir prévu indirectement les sinistres qui en sont devenus les
conséquences.
Ainsi, je dirai à l’honorable M. Smits, que je suis
resté conséquent avec moi-même quand j’ai témoigné ma surprise qu’après cinq
années d’existence, on hésitait de mettre la main à l’œuvre, pour notre doter
d’une loi qui nous revient de droit, et qui est le seul remède ; cela est
constaté par les épreuves essuyées si péniblement.
Et quand depuis cinq ans tant de sommes ont été
accordées à l’industrie, il est absurde de dire, comme le dit l’honorable M.
Smits, que l’industrie n’est pas en détresse ; cela ne se comprend pas, à moins
que le gouvernement n’ait voulu faire que des cadeaux, au lieu d’accorder des
secours.
Que ceux d’entre vous, messieurs, qui ont pu
ajouter un instant foi à ces insinuations malveillantes, veuillent bien, je
vous en prie, ajouter foi à l’assertion contraire ; l’industrie cotonnière ne
veut que le bonheur de la patrie, le bonheur de
Elle applaudit chaque fois que les pouvoirs dotent
l’industrie nationale des bienfaits d’une loi protectrice : c’est ainsi qu’elle
a vu protéger l’industrie agricole par des lois sur des céréales, les
distilleries, les bestiaux. Elle a vu avec le même plaisir favoriser aussi
d’autres branches d’industrie, par des lois sur les fers, les houilles, les
cuirs, les toiles, les soies, etc. Elle seule, cette malheureuse industrie cotonnière,
reste à protéger, mais elle a confiance dans le gouvernement, et justice ne
sera point refusée à des enfants de la patrie ; vous lui voterez aussi une loi
protectrice, elle a des droits imprescriptibles à votre protection.
Il est à remarquer, messieurs, que les verreries et
les fabriques de draps jouissent pleinement de la faveur que vous réclame
partiellement l’industrie cotonnière ; et l’effet de cette protection a été tel
qu’aujourd’hui l’une de ces industries serait disposée à lutter contre toutes
les autres nations continentales.
C’est un argument incontestable contre l’idée d’un
monopole ; c’est sous l’empire de cette protection que les étoffes en laine qui
se payaient 30 il y a 15 ans ne se paient que 15 et moins aujourd’hui, et ce
par l’effet de la concurrence intérieure. A ces faits palpables j’en ajouterai
d’autres : les tissus de coton commun sur lesquels nous avions une protection
marquée et assurée, se payaient en 1815 et 16 de 14 à 15, et ne se payaient de
7 à 8 en 1820. En 1830 comme aujourd’hui ils ne se payaient plus que de 4 à 5.
Ces faits sont sous nos yeux, tout idée de monopole doit disparaître devant
eux, et incontestablement sont-ils en faveur de la protection réclamée ; les
craintes du monopole sont donc détruites à fond et je pense qu’il est inutile
de citer des exemples de
Il n’y a pas à se faire illusion, messieurs, sur
l’opposition qui nous est venu d’un foyer si ardent, si vif, si chaleureux ; on
devait raisonnablement s’y attendre, car nous savons aussi très bien le coup
que doit porter le projet de loi.
Ce coup, messieurs, est si bien senti, très bien
senti, par les étrangers comme par les dépositaires, commissionnaires et
négociants de fabricats étrangers.
Tous ces amis et adorateurs du système de liberté
illimitée du commerce savent très bien que par le système que nous invoquons,
il ne sera plus permis d’enlever aussi aisément les immenses capitaux à
Quant à cette spoliation elle est prouvée,
messieurs : calculons le montant de la production, celui de l’importation à la
douane, déduction soigneusement faite de l’exportation, et nous trouverons que
pour satisfaire à la consommation, il doit se faire une fraude de fabricats de
coton seulement pour l’énorme somme d’environ 32 millions.
Ainsi, messieurs, n’admettant qu’un droit de 20
pour cent, et la somme fraudée ou détournée des caisses de l’Etat serait de
passé six millions ; peut-on souffrir bénévolement un pareil état de choses ?
Nous contribuons ainsi, nous consommateurs belges,
pour main-d’œuvre aux étrangers, pour une somme d’environ 20 millions, et ce au
milieu des plaintes amères et prolongées, non pas de quelques fabricants, mais
de plus de 100,000 Belges, qui demandent du travail et du pain.
Nul doute, messieurs, que ces consommateurs seront
plus satisfaits de payer leur propre main-d’oeuvre dans l’achat d’un tissu, que
de payer la main-d’oeuvre à l’étranger. Quant aux consommateurs aisés, en
payant pour les tissus de fantaisie étrangers, le prix, y compris les droits
dus à l’Etat, ils aideront à fournir des moyens au trésor peu sensible au
contribuable.
Une foule d’idées peuvent se produire encore, mais
tous concourent à assurer l’efficacité du projet de loi, et il n’y a point de doute,
ce me semble, que la chambre ne s’empressera à voter en faveur d’une loi qui,
seule, peut secourir une industrie qui occupe tant de milliers de bras, qui a
des fortunes colossales enfouies en bâtiments et mécaniques : tant de titres ne
sauraient être méconnus.
An surplus, messieurs, l’industrie cotonnière ne
vous demande aucun privilège ; au contraire, elle repousse tout privilège et ne
vous demande qu’une loi en faveur de tout le monde, dont même les étrangers
établis dans le pays peuvent profiter comme les Belges.
Mais, messieurs, la loi que vous demande
l’industrie est une loi dont on veut l’exécution réelle afin de saper dans sa
base cette fraude épouvantable dont je viens de vous faire un tableau du
sinistre résultat pour notre pays, et à cette fin l’on vous propose
l’estampille et le droit de recherche. Ce droit de recherche dont on se sert
comme d’un épouvantail afin de combattre le projet de loi comme devant porter
atteinte à la liberté individuelle, n’est sans doute nullement ainsi dans l’idée
des auteurs du projet de loi. Quant à moi, je ne voterai jamais pour une loi
qui porte atteinte à nos libertés mais je pense, messieurs, que ce droit peut
être réglé d’une manière convenable et tel qu’il est usité dans le pays pour
d’autres industries, comme, par exemple, pour les brasseries, les distilleries,
l’orfèvrerie, ensuite pour les poids et mesures, pour les patentes, etc.,
c’est-à-dire qu’il ne doit point être permis de troubler le domicile du
paisible citoyen que, par recherche, on entend ou comprend les magasins
ouverts, étalés en tous lieux publics, marchés, foires et notamment dans les
magasins des fabricants ; c’est donc sur l’industrie même qu’incombera la plus
forte partie de la gêne ! Au lieu d’un attentat à la liberté et qu’on semble tant
redouter, cette gêne ne sera redoutable que pour le fraudeur seul.
Quant à des recherches à domicile, elles ne doivent
point être abandonnées à aucun administrateur, a aucun préposé quelconque ;
toutes les formes voulues pour ces sortes de visites sont établies par les lois
existantes, et si le magistrat en fait usage pour le recel, ou tout autre cas,
il est rare qu’il n’atteigne son but ; il est donc tout simple que le fraudeur
doive pouvoir être découvert, comme receleur, car enfin la fraude est un vol manifeste
au pays.
Il est une branche importante qui semble aussi
vouloir s’opposer aux réclamations si fondées de l’industrie, c’est, messieurs,
le haut commerce ou commerce maritime : il est vrai qu’il a également à se
plaindre, ses bâtiments pourrissent dans les bassins ou désertent le pays,
c’est désespérant.
Mais les bâtiments des fabricants ne peuvent
malheureusement point déserter le pays. Ils ne pourrissent pas, c’est vrai.
Mais, délaissés et déserts, une partie de ces vastes établissements voit pourrir
et ronger ses riches mobiliers, qui, par le soins, le génie et le travail d’un
quart de siècle, avaient à peine atteint leur perfection, quant tout à coup ils
sont condamnés à l’inactivité.
Je ne conclus point de là que le commerce peut se
plaindre, mais qu’a-t-il à nous opposer ? Son point de mire est absolument le
nôtre, il semble vouloir la liberté illimitée du commerce. Nous aussi nous
aimons cette théorie, mais nous en voudrions la pratique entre tous les
peuples, et si le commerce veut franchement y parvenir, qu’il nous tende la
main, qu’il nous aide et nous l’aiderons à donner au pays cette force morale,
ce nerf indispensable pour pouvoir traiter avec les autres nations. Car,
veuillez bien remarquer, messieurs, que sans la force, l’intérêt ou la peur, il
n’est absolument rien à obtenir d’aucune puissance, et comme je doute que nous
ne puissions avoir une ascendant par la force ou la peur, ménageons-nous des
intérêts : des intérêts, cela fait tout fléchir.
Une main aussi généreusement tendue au commerce
maritime ne laisse point de doute d’une union parfaite, et elle contribuera,
j’en suis certain, à faire naître un premier bien pour l’industrie.
Quant aux négociants étrangers et autres qui
traitent la partie des tissus, il y aura, à la vérité, un changement dans leur
condition commerciale, et il consistera tout simplement à payer 20 ou 30 p. c.
de droit légal à l’Etat ; en remplacement de la prime de fraude de 5 à 10 p. c.
; aucun autre changement n’est à prévoir pour cette belle branche de commerce. Et
pour ce qui concerne les boutiquiers, ceux-là, messieurs, j’en conviens, ne
pourront plus vendre ouvertement des marchandises fraudées scandaleusement.
Ils vendront des marchandises qui auront
équitablement acquitté les droits dus à l’Etat ou qui seront confectionnés par
leurs compatriotes par des Belges.
Voilà, messieurs, toutes les perturbations dont on
se récrie si vivement comme s’il y avait péril en la demeure. Je le demande, y
a-t-il un seul motif plausible pour ne pas voter promptement en faveur du
projet soumis à nos délibérations ?
Je voterai pour la loi avec toute assurance parce
que je suis convaincu qu’elle sera efficace pour le pays entier.
Et qu’on ne s’éblouisse pas du mot de prohibition
qui ne se trouve dans le projet que pour un seul article d’impression, article
commun dont nous avons toujours à pleurer le trop plein. Car, messieurs, notez
bien, aucun tissu de coton n’est prohibé, ni même les impressions de fantaisie
sur tissu fin ; la mode exquise de Paris pourra encore satisfaire au goût
délicat de nos dames belges, avec cette différence seulement qu’elles paieront
comme toutes les classes de la société un même droit de 20 à 30 pour cent au
lieu de 2 à 5 qu’elles paient seulement aujourd’hui.
Elles s’applaudiront, j’en suis sûr de ne plus se
voir aussi injustement favorisées dans les charges publiques ; les classes
élevées ne désirent point cela.
Ainsi, messieurs, en résumé tout concourt à
justifier pleinement les conditions de la loi que le pays attend de vous avec
impatience ; les véritables Belges en verront avec plaisir la promulgation ; un
nœud de plus tiendra le lien de notre beau royaume.
Le bonheur des Belges, le bonheur du pays doit être
seul le guide dans la décision que nous allons prendre.
Toute considération étrangère doit fléchir devant
celle du bien-être de la patrie.
- La séance est levée à 4 heures.