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Note
d’intention
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Chambre des représentants de Belgique
Séance
du mardi 1er septembre 1835
Sommaire
1) Pièces
adressées à la chambre
2)
Proposition de loi relative à la reconnaissance de la nationalité belge de
certains officiers nés Belges et ayant servi à l’étranger (+annulation de
l’élection du général Nypels et portée d’une loi
interprétative) (Jullien, F. de
Mérode, Fallon, Milcamps, de Behr, Dubus, Jullien,
Dubus, F. de Mérode, Gendebien, Nothomb, F. de Mérode, Gendebien, Jullien, (+décorés de la croix de fer et combattants de
septembre) Gendebien, Verdussen,
F. de Mérode, (+décorés de la croix de fer et
combattants de septembre) Dubus, Fallon,
Demonceau, Gendebien, Ernst, Jullien, Bosquet,
Nothomb, Dumortier, Gendebien, F. de Mérode, Gendebien, Ernst, Fallon, Ernst, Fallon,
Dumortier, de Behr)
(Moniteur belge n°246, du 2 septembre 1835)
(Présidence de M. Raikem.)
M.
de Renesse procède à l’appel nominal à une heure.
M.
Schaetzen lit le procès-verbal ; la rédaction
en est adoptée.
M.
de Renesse lit l’analyse suivante des pièces suivantes envoyées à la
chambre.
PIECES ADRESSEES A LA
CHAMBRE
« L’administration
communale de Theux demande l’élection directe des bourgmestres et
assesseurs. »
________________
« Le sieur Debeds, marchand à Belleghem,
chevalier de la légion d’honneur, demande le paiement de l’arriéré de sa
pension. »
________________
« Les habitants de la commune de Hoschelle (Luxembourg) demandent un route de Stavelot à
Trêves. »
________________
- Ces pièces sont renvoyées
à la commission des pétitions.
PROPOSITION DE LOI RELATIVE A
Discussion générale sur le rapport de la commission
M.
Jullien. - La difficulté que présente la discussion générale vient de
ce qu’elle doit nécessairement porter sur deux projets de loi tout à fait
distincts et sur deux systèmes essentiellement différents : d’abord le système
qui vous est présenté par l’honorable M. de Mérode, et ensuite celui présenté
par la commission qui a fourni son projet de loi comme M. de Mérode avait
fourni le sien. Il s’agit donc de voir, à l’aide de la comparaison des deux
projets, auquel on doit accorder la préférence.
En abordant cette
discussion, je commence par déclarer qu’après avoir mûrement examiné les deux
projets, je me suis décidé, sauf les amendements à y apporter, pour le projet
de M. de Mérode, parce que je pense que ce système est le plus juste et qu’il
répond de la manière la plus satisfaisante aux intentions de la chambre.
En effet, et en définitive
de quoi s’agit-il ? Il s’agit de décider si les Belges de naissance qui étaient
au service d’une puissance étrangère à l’époque de la révolution, et qui sont
venus se ranger sous les drapeaux, sont restés étrangers à
Messieurs, si on n’adoptait
pas cette opinion, je pense qu’il en résulterait les inconvénients les plus
graves parce que, si ceux qui sont dans la catégorie du projet de M. de Mérode,
ne sont pas considérés comme ayant été Belges, tout au moins on les a appelés
depuis 1830, époque à laquelle on va jeter une sorte de perturbation, non
seulement dans leur état à eux, mais dans une infinité de familles.
Je vous demande si des
individus qui se trouvent dans cette catégorie, ont été appelés à des fonctions
publiques, aux fonctions de juge, quel sera le sort des jugements auxquels ils
ont participé ; s’ils ont été arbitres, quel sera le sort des jugements qu’ils
auront rendus ? S’ils ont été témoins dans des actes publics, dans un
testament, par exemple, les testaments seront ou pourront être annulés, parce
que la première qualité qu’on exige d’un témoin pour figurer dans un acte
public, c’est qu’il jouisse des droits civils.
D’autres ont été
administrateurs, officiers de l’état-civil, et ont passé des actes en cette
qualité. Je vous demande si en déclarant aujourd’hui, par votre loi, que ces
individus n’avaient pas la qualité de Belge, et que votre loi seule la leur a
rendue, je vous demande, dis-je, si par cette déclaration, non seulement leur
état-civil n’est pas attaqué, mais encore les intérêts d’une multitude de
familles qui ont été parties dans les actes auxquels ces individus ont coopéré
comme fonctionnaires publics, si tous ces actes et ces intérêts ne sont pas
menacés.
M.
F. de Mérode. - Ce n’est pas depuis cinq ans, c’est depuis vingt ans.
M.
Jullien. - Mais on a dit : C’est d’après les principes du droit
civil que ces sortes de questions doivent se décider, et par conséquent, c’est
dans l’art. 21 du code civil qu’il faut chercher les règles d’après lesquelles
ou doit fixer la condition de ces individus.
Je pense que, généralement
parlant, il en doit être ainsi. Mais vous savez sans doute que le droit civil
est fait pour les cas ordinaires, qu’il n’a pas dans ses prévisions embrassé
les révolutions, les bouleversements des Etats ; et bien certainement, dans ces
circonstances-là, ce n’est pas d’après les règles fixes du droit civil qu’il
faut se décider, c’est d’après les règles du droit public, du droit politique
que nous devons prononcer. Et comme rien n’est plus mobile que le droit
politique, vous concevez que l’application des règles du droit civil pourrait
induire en erreur ceux qui voudraient s’en tenir à ces règles pour juger de
semblables difficultés.
Je crois au reste que s’il
fallait s’attacher à la rigueur aux principes consacrés par l’art. 21 du code
civil, il serait possible de montrer que ses dispositions ne sont pas
applicables à l’espèce ; car d’après l’art. 21 du code civil, c’est celui qui
abandonne son pays sans la permission du souverain, pour aller prendre du
service à l’étranger, qui perd dans son pays sa qualité de citoyen.
Il est impossible,
messieurs, quand on considère la condition de ceux qui sont restés au service
de
Comment pouvez-vous maintenant forcer le sens de
cet article 21, au point de lui faire dire que ceux qui se trouvent dans le cas
prévu par le projet de M. de Mérode sont assimilés à ceux qui volontairement
ont déserté leur pays pour prendre du service dans un autre ? Il est impossible
d’assimiler ces deux cas, parce qu’ils ne se ressemblent en rien.
D’ailleurs, ce qui dans mon
opinion doit porter à croire que cet article 21 ne peut, dans aucun cas, leur
être appliqué, c’est que le gouvernement qui les a appelés à des fonctions
civiles et militaires a par là reconnu qu’il était impossible de ne pas les
considérer comme Belges, puisqu’on les avait appelés comme tels et que comme
tels ils avaient répondu. C’est dans cette pensée qu’il leur a donné des
fonctions civiles et militaires, que l’un a été nommé juge et l’autre général.
Je vous demande si le gouvernement, en les considérant ainsi, n’a pas fait
naître l’erreur commune, et si ces hommes n’ont pas pu se croire avoir repris la
qualité de Belge de naissance que dans leur esprit comme dans l’esprit du
gouvernement ils ne pouvaient pas avoir perdue.
M.
F. de Mérode. - Mais ce n’est pas là mon système.
M.
Jullien. - Si ce n’est pas votre système, vous me répondrez.
M.
F. de Mérode. - Je voudrais faire une simple observation.
M.
Dumortier. - N’interrompez pas l’orateur.
M.
F. de Mérode. - C’est avec la permission de M. Jullien que je voudrais
faire une observation.
M.
Jullien. - Je n’ai pas jusqu’à présent consenti à céder la parole à M.
de Mérode, mais s’il tient tant à faire une observation sur ce qu’il appelle
son système, qu’il la fasse.
M.
F. de Mérode. - M. Jullien, en commençant, a annoncé l’intention de
défendre mon système ; je veux lui faire observer que dans mon système il ne
s’agit pas seulement de supprimer l’article 21 pour les Belges qui ont servi en
France et sont rentrés dans notre armée à la révolution, mais pour tous ceux
qui ont servi dans les armées étrangères, soit en France, soit en Autriche,
soit dans tout autre pays. J’ai voulu que l’article 21 du code civil ne fût
applicable à aucun d’eux.
M. Jullien soutient le
système de la commission qui ne propose l’exception qu’en faveur de ceux qui
ont repris du service dans notre armée.
Voila ce que je voulais
faire observer.
M.
Jullien. - J’ai dit que je préférais le système de M. de Mérode, mais
je n’ai pas prétendu asservir mon opinion à ce système.
Toujours est-il que c’est
le même système que je soutiens, et je vais le prouver. Tout ce qu’il prétend,
c’est que je ne l’étends pas d’une manière aussi large que dans son projet. Je
lui réponds que j’embrasse dans mon système la généralité des individus qu’il a
voulu désigner dans son article premier, aussi bien ceux qui avaient pris du
service en France qu’en Autriche, en un mot tous ceux qui étaient au service
d’une puissance étrangère.
Je ne sais si je suis bien
compris par M. de Mérode.
M.
F. de Mérode. - Ce n’est pas là mon système
M.
Dumortier. - Mais vous parlerez après ; laissez continuer l’orateur.
M.
F. de Mérode. - Je ne demande qu’à donner deux mots d’explication,
parce que je vois que M. Jullien ne m’a pas compris.
M.
Jullien. - Pour couper court à ce débat, je crois que M. de Mérode
prétend que l’article 21 ne doit plus être appliqué à ceux qui sont dans la
catégorie qu’il a désignée.
Il n’est pas possible de
faire des avances plus belles.
Je crois maintenant que
nous sommes d’accord.
M.
F. de Mérode. - Oui.
M.
Jullien. - Je sais bien qu’à l’opinion que j’émets il y a une
difficulté, qui a déjà été relevée et qui ne manquera pas de l’être encore. La
voici : Mais vous voulez donc, me dira-t-on, que la chambre se déjuge ; la
chambre a déjà jugé cette question à l’occasion de l’élection du général Nypels, et alors la chambre a décidé que l’art. 21 du code
civil était applicable à ce général et à tous ceux qui se trouvaient dans le
même cas que lui.
Je ne demande pas,
messieurs, à la chambre de changer de principes, et je crois au contraire qu’en
adoptant le système que je défends, elle décide une tout autre question que
celle sur laquelle elle a prononcé.
Faites attention que quand
vous avez décidé la question relative au général Nypels,
c’est sur une élection que vous avez eu à prononcer, sur une question
individuelle. Vous avez exercé alors cette omnipotence qu’a la chambre dans les
questions de cette nature. Mais ici, c’est une question de droit public, une
question d’intérêt général qui affecte une multitude d’intérêts. Sous ce
rapport, on ne peut pas dire que la même question que vous avez à juger, et
quand même il y aurait une grande analogie entre ces deux questions, malgré les
distinctions que je viens d’indiquer, je demanderais quel est donc le corps qui
se prétende infaillible ; si une autorité quelconque pouvait prétendre à
l’infaillibilité, ce ne serait jamais un corps politique, parce que rien
n’étant plus mobile que la politique, rien n’est plus commun que la divergence
des opinions dans les assemblées. Les exemples en sont assez fréquents :
n’avons-nous pas vu la chambre revenir l’après-midi d’une décision prise le
matin, défaire le lendemain ce qu’elle avait adopté la veille ?
Sous ce rapport, il ne faut
donc pas faire de cette question une question mesquine d’amour-propre. Car un
corps politique ne doit pas se laisser aller à de pareilles considérations.
Il y a un vieil adage latin
que je vous citerai en français qui dit qu’il appartient à l’humanité d’errer,
mais qu’il y a quelque chose de diabolique à vouloir persévérer dans une
erreur.
Je ne dis pas que vous avez
commis une erreur. Je n’ai pas eu l’honneur de prendre part à la discussion qui
a eu lieu à propos de l’élection du général Nypels ;
mais, tout bien réfléchi, il est probable que j’aurais émis alors l’opinion que
j’émets aujourd’hui.
Je ne dis pas, je le
répète, que la chambre s’est trompée, car l’opinion qui a prévalu pouvait être
émise avec fondement sur une question d’élection. Mais maintenant il s’agit de
toute une catégorie d’individus, il s’agit d’empêcher de jeter la perturbation
dans l’état d’un multitude de personnes, non seulement des personnes de la
catégorie qui fait spécialement l’objet de la loi, mais de tous ceux qui ont
été intéressés ou parties dans les actes passés avec l’intervention de ces
individus.
C’est surtout cette
considération qui me détermine.
Déjà sous l’influence de
votre décision un juge a été obligé de descendre de son siège. Si on peut déjà
le récuser, que deviendront tes jugements auxquels il a participé pendant le
cours de sa vie judiciaire ? Là où il y a des droits acquis par la
prescription, par la force de chose jugée ou autrement, il n’est pas possible
d’y toucher. Je conçois tout cela ; mais aussi longtemps que cela n’existe pas,
il est du domaine de la loi d’empêcher cette perturbation.
C’est dans ce sens que
j’adopterai, sauf modifications, le projet de M. de Mérode. Quand on viendra à
la discussion des articles, je verrai quels sont les amendements qu’on peut
introduire.
Je ferai encore
observer qu’en agissant de cette manière, vous rendez à la spécialité et à
l’urgence tout ce qui lui appartient. Et le projet de M. de Mérode réclame véritablement
l’urgence. D’un autre côté, vous restituez à la loi sur les naturalisations
tout ce qui lui revient de droit, comme l’a fait observer l’honorable M.
Gendebien, car vous avez là une loi complète, et l’article 14 contient une
disposition transitoire relative à tels ou tels individus appartenant aux
provinces septentrionales qu’il s’agit de naturaliser. Il ne faut donc pas
introduire ces naturalisations dans un projet tout spécial, quand vous aurez à
discuter demain sur une loi générale ; ce serait tout au moins une
inconséquence.
J’attendrai les lumières de
la discussion pour voir les amendements que je croirai devoir proposer au
projet de M. de Mérode.
M.
Fallon. - La chambre a décidé que l’art. 21 du code civil était applicable
aux Belges qui, après les événements de 1814, avaient pris du service en France
et rentrés en Belgique que postérieurement à la révolution de 1830. Cette
décision a été motivée sur la disposition claire et précise de l’article 21 et
d’après les principes qui règlent la matière.
L’honorable M. Jullien
vient d’entreprendre la censure de la décision de la chambre. L’art. 21,
dit-il, n’était pas applicable. Et pourquoi n’était-il pas applicable ?
D’abord, parce qu’il pourrait en résulter de nombreux inconvénients.
Des testaments ont été
faits et des Belges qui sont restés au service de
Le code civil a dit ensuite
l’honorable membre, n’a pas prévu les révolutions. Je crois, moi, que le code
civil a tout prévu, parce qu’en matière de droit positif, il a dû tout prévoir.
Lisez l’art. 21 et vous verrez qu’il ne s’y agit pas de principes de droit
civil, mais d’un principe de droit public, de droit politique, qu’il a pour but
de régler une matière de droit politique
Cet article, du reste, dit
l’honorable M. Jullien, ne peut être applicable qu’aux Belges qui ont
volontairement abandonné leur pays pour aller prendre du service à l’étranger
sans l’autorisation de leur souverain. C’est bien là le sens de l’art. 21 mais
on n’a pas démontré que les Belges qui sont restés au service de
Ainsi donc, ils étaient
suffisamment avertis qu’en rentrant dans leur pays, ils pouvaient le servir
avec autant d’avantage qu’en France.
L’honorable M. Jullien a
ensuite invoqué le traité de Paris, mais il en a mal compris l’esprit. Ce
traité ne donnait pas aux individus six ans pour disposer de leur personne et
de leurs biens. On leur a accordé six ans pour disposer de leurs biens et aller
habiter tel pays qui leur conviendrait, mais ce qui prouve que cet article du
traité n’avait aucun rapport avec la condition de la personne, c’est qu’il
existe une loi du mois d’octobre 1814, qui exigeait des habitants des pays
séparés de
Le gouvernement provisoire,
dit-on encore, a rappelé les Belges qui se trouvaient au service de
Eh bien, s’il y a erreur
commune, nous avons des principes qui règlent les cas d’erreur commune, il y a
dans le code civil une disposition qui maintient les actes passés dans l’erreur
commune. Les principes du droit sont formels. S’il y a eu erreur commune, on
appliquera la disposition du code aux actes qui ont été passés sous
l’impression de cette erreur commune.
La chambre a jugé. Mais dit l’honorable M. Jullien,
il ne s’agit pas ici de la question qui a été décidée par la chambre dans une
circonstance analogue il s’agissait alors d’élection. Aujourd’hui, il est
question de droit public, je ne conçois pas, messieurs, cette distinction. Il
s’agissait effectivement d’élection. Mais pour annuler l’élection du général Nypels, quel motif a déterminé la chambre ? C’est que
l’art. 21 du code civil était applicable au général Nypels.
C’était là une discussion de droit public. La question soulevée aujourd’hui a
été résolue sans appel, par la chambre, qui a décidé que les principes de droit
public et de droit politique consacrés à l’article 21 étaient applicables au
général Nypels.
Il s’agissait, dit
l’honorable M. Jullien, dans le cas où la chambre s’est prononcée, d’un
individu et non pas comme aujourd’hui d’une collection d’individus. Je ne vois
pas pourquoi cette distinction ferait varier le principe. La circonstance qu’il
s’agissait alors d’un seul individu et qu’aujourd’hui il s’agit de plusieurs,
ne fait rien à la chose.
Je n’en dirai pas davantage
en réponse aux arguments de l’honorable M.
Jullien.
M.
Milcamps. - Lorsque avec mes collègues, membres de la section centrale,
nous avons examiné le projet de loi de M. le comte de Mérode, nous nous sommes
demandé si la législature, en déclarant que l’article 21 du code ne serait pas
appliqué aux Belges mentionnés dans ce projet, nous ne préjugions pas des
questions d’intérêt privé. Nous nous sommes demandé si en adoptant la
proposition de M. le comte de Mérode, la législature n’était pas censée
enfreindre aux tribunaux de déclarer valables, par exemple, des testaments dans
lesquels les Belges qui sous l’objet de la proposition auraient été témoins.
Je suppose, messieurs, que
le général Nypels ait été, depuis son retour en
Belgique, témoin d’un testament, que le testateur soit décédé, qu’une action en
nullité de testament soit ouvert, pensez-vous qu’en adoptant la proposition de
M. le comte, vous ne préjugez pas la validité du testament eu question ?
C’est précisément
pour ne pas préjuger des questions d’intérêt privé, que la section centrale a
cru devoir adopter pour la loi une autre formule, celle de considérer comme
Belges les individus de la catégorie de
M. le général Nypels.
De cette manière nous
laissons intacte la question d’intérêt privé.
Si les tribunaux venaient à
déclarer que les personnes de la catégorie du général Nypels,
en rentrant en Belgique, ont par le fait de leur rentrée recouvré leur qualité,
le projet de la section centrale n’aura fait que confirmer leur qualité de
Belge ; que si au contraire ils décident que ces personnes ont perdu leur
qualité de Belge, le projet de la section centrale n’aura fait que leur
restituer pour l’avenir une qualité qu’ils avaient perdue.
M. de Behr. - L’opinion qu’a fait valoir
l’honorable M. Jullien est la mienne ; mais la chambre en a décidé autrement.
Je ne crois pas que l’on puisse remettre en question ce qu’elle a décidé, à
moins que l’on n’ait une jurisprudence différente pour les personnes et pour
les principes.
Si vous adoptez l’opinion
de l’honorable M. Jullien, je ne
comprends plus la nécessité de la loi.
C’est précisément la
question à résoudre que celle de savoir si les Belges qui étaient au service de
l’étranger avaient perdu leur qualité de Belge. Selon M. Jullien, quand
l’honorable M. de Mérode a présenté sa proposition, les Belges placés dans
cette position avaient conservé leur qualité de Belge. A quoi bon alors
présenter un projet de loi pour la leur donner ? L’honorable M. Jullien, pour
être conséquent avec lui-même, n’irait dû dire par forme de conclusion que la
loi présentée par M. de Mérode était complètement inutile.
M.
Dubus, rapporteur. - J’appuie les observations de l’honorable
préopinant. Il est manifeste que si, comme l’a soutenu un honorable orateur, la
chambre n’a pas déjà décidé la question qui s’agite en ce moment, si elle ne
l’a pas décidée à propos des élections de Ruremonde, le projet présenté par
l’honorable M. de Mérode est sans objet. C’est parce que la chambre a cru que
l’art. 21 était applicable aux individus nés en Belgique qui se trouvaient,
dans la même position que M. Nypels, et pour leur
assurer à l’avenir la qualité de Belge qu’ils avaient par la naissance, que le
projet de loi a été présenté. C’est sur cette décision de la chambre que M. de
Mérode a motivé cette présentation. D’ailleurs, j’ai peine à comprendre comment
l’on pourrait persuader à la chambre qu’elle n’a pas décidé la question.
Quels sont les motifs qu’a
fait valoir l’honorable M. Jullien, ce n’est autre chose qu’une partie de ceux
qui ont été développés dans la séance où l’on a mis en question la validité de
l’élection de M. Nypels. Comment a-t-on répondu ? en se fondant sur le texte de l’art. 21, en s’attachant à
prouver que l’art. 21 ne comportait aucune distinction et s’appliquait à tous
ceux qui avaient eu du service militaire à l’étranger depuis la séparation de
notre pays d’avec
Je crois qu’il s’agit de
faire sur ce point un appel aux consciences de chacun des membres et chacun
répondra qu’en votant il a eu la pensée que la chambre déciderait la question
dans un sens ou dans l’autre. La majorité a voté contre l’élection. Elle a donc pensé que l’art. 21 était applicable.
Maintenant on voudrait
revenir sur cette décision, obtenir une décision dans un sens contraire,
obtenir une loi qui rétroagit au commencement de la révolution. Pour obtenir
cela, l’on demande ce que deviendront les jugements rendus auxquels ont pris
part des individus réputés Belges jusqu’à ce jour, quel sera le sort des
testaments dans lesquels serait intervenue comme témoin une personne placée
dans cette catégorie.
Pour répondre à cette
objection, l’on a déjà invoqué le principe des erreurs communes. Dans le cas où
il y a erreur commune, la loi a des dispositions dont les juges savent faire
l’application.
Mai la meilleure réponse
que l’on puisse faire, c’est que vous n’avez pas le droit de faire rétroagir
une loi. S’il existe un testament dans lequel un individu réputé Belge sera
intervenu, vous ne pouvez l’invalider. Le droit d’en faire déclarer la validité
ou la nullité est acquis aux parties intéressées, encore que le juge n’ait pas
prononcé.
Le juge prononcera
d’après la loi en vigueur au moment où le testament a été fait. Ce serait une
sorte de monstruosité de vouloir invalider, par une disposition postérieure, de
actes consommés dont la nullité est acquise aux parties. Non seulement vous ne
devez pas, mais vous ne pouvez pas le faire. Je crois donc que l’on ne peut
même songer à faire de la disposition en discussion une loi rétroactive. Je
vous prie de remarquer que l’honorable M. de Mérode, dans les motifs qu’il a
présentés à l’appui de sa proposition, ne voulait pas qu’elle eût un effet
rétroactif. Nous n’avons qu’à mettre la proposition en harmonie avec les motifs
qu’il a développés. Nous avons voulu tirer une conséquence des principes que
l’honorable M. de Mérode a posés. M. de Mérode a dit : « Cette dernière
considération m’a décidé, messieurs, a présenter la loi dans les termes les
plus simples, dans les termes qui statuent impérativement pour l’avenir sans
infirmer ni directement ni indirectement la validité d’aucun acte antérieur. Il
est essentiel qu’une loi de cette nature ne porte préjudice à personne et n’ait
d’effet rétroactif ni direct ni indirect sur des intérêts privés. »
Ce que M. de Mérode a
voulu, la commission l’a voulu ; et c’est comme conséquence de ses principes
qu’elle vous a présenté une rédaction définitive de la loi.
M.
Jullien. - Pour répondre aux honorables préopinants qui ont combattu
l’opinion que j’ai émise, je commence par déclarer que mon intention n’a pas
été de faire la censure de la décision de la chambre.
En effet, l’on aura beau
dire de la question de principe qui a été agitée à l’occasion de l’examen de
l’élection de Ruremonde, il sera toujours vrai de dire que vous n’avez prononcé
que sur une élection.
Dans ces sortes de
questions, il y a au fond plus ou moins une question de personnes ; c’est parce
qu’il y a un individu écarté et que l’on a accordé la préférence à un autre. La
sympathie d’opinion influe, quoi qu’on en dise, sur la résolution de ces sortes
de questions.
Il ne s’agit pas ici
d’élections. Ce fait est consommé. Vous avez décidé comme vous avez cru devoir
le faire. Il s’agit en ce moment d’une question qui embrasse un principe d’un
intérêt général, c’est sur ce terrain que la discussion actuelle doit être portée.
L’honorable M. Fallon a dit
que, lorsque je prétendais que l’art. 21 du code civil n’était pas applicable à
ceux qui étaient restés au service de France après le traité de 1814, j’avais
mal compris l’art. 17 de ce traité.
Je viens de le relire. J’y trouve
que l’on accorde 6 ans à tous ceux qui appartiennent à des provinces détachées
de l’empire français pour réaliser leurs biens et se retirer où bon leur
semblera. Eh bien, en accordant aux Belges qui n’avaient jamais cessé de
résider en France, la faculté de se retirer ou de rester comme bon leur
semblerait, n’était-ce pas là leur accorder la permission de rester en France
pendant les 6 ans d’intervalle accordée pour prendre une décision ? S’ils
avaient reçu cette permission des hautes puissances alliées qui alors étaient
les dominateurs du monde entier, peut-on dire que les Belges qui étaient restés
en France étaient assimilés à ceux qui, en se mettant au service d’un prince
étranger, désertent leur patrie, et acceptent la chance de porter les armes contre
elle ?
Mais quoique cette
assimilation ne soit pas admissible, il suffit que l’on mette en avant la
décision de la chambre pour qu’elle puisse influer sur celle des tribunaux.
Sans doute la décision de la chambre ne dominera pas complètement celle des
tribunaux. Mais c’est parce qu’elle peut influer sur une multitude de questions
qui vont devant les tribunaux à l’occasion de la décision prise à propos de
l’élection de Ruremonde que nous vous demandons une loi interprétative.
L’honorable M. de Mérode peut ne pas l’avoir voulu. Mais je considère la loi
qu’il a présentée comme applicable à des individus et à des cas déterminés.
C’est une loi qui ne
dérangera pas, comme on l’a dit, les droits acquis, parce que les droits acquis
ne peuvent être dérangés par rien.
Je ne sais pas si l’on
s’entend bien sur le sens des droits acquis. Ce sont ceux qui sont devenus
incontestables. Les lois d’interprétation laissent donc dans leur intégrité les
droits acquis, qui sont incontestables, qui sont chose sacrée, qui doivent
rester intacts. Ils ne peuvent être ébranlés par aucune décision. Faites-y
attention messieurs, la décision que vous avez prise ne liera pas les
tribunaux, parce qu’ils ne peuvent être liés par la décision des corps
politiques ; mais les tribunaux n’échapperont point à son influence.
Il arrivera qu’un tribunal
influencé par votre décision rendra un jugement qu’une
cour d’appel réformera. Cette loi d’interprétation devant laquelle vous reculez
aujourd’hui, vous serez obliges de vous en occuper lorsque vous verrez que
votre première décision a jeté la perturbation dans les intérêts des familles.
Par suite de la prétendue
décision de principe que vous avez prise à l’occasion de l’élection de
Ruremonde, vous avez mis tous les intérêts en mouvement.
L’on vient de dire que la
loi proposée ne peut pas toucher aux intérêts des particuliers, ne peut pas
leur ôter le droit de demander l’annulation de jugements auxquels aurait pris
part un juge réputé Belge, ni d’invalider un testament dans lequel serait
intervenu comme témoin un Belge placé dans cette catégorie, ni de faire casser
un jugement arbitral ou un acte de l’état-civil rendu ou passé par un individu
réputé Belge.
Dès l’instant que l’on
saura que l’on peut attaquer ces actes, l’intérêt privé qui ne consulte que ce
qui lui est avantageux, ne manquera pas de jeter dans la société, dans les
tribunaux, toutes ces questions. Elles seront jugées de diverses manières.
C’est à quoi vous devez vous attendre. Lorsque l’on vous a dit que l’erreur
commune protégerait ceux qui se trouveraient dans les cas que j’ai prévus, on
n’a pas songé que les tribunaux jugeraient d’après leur manière de voir si
l’erreur commune a existé suivant les circonstances qui constituent selon les
jurisconsultes, ce que l’on appelle erreur commune. La diversité de
jurisprudence à cet égard forcera en définitive de recourir à la législature
pour la question d’interprétation ; ne vaut-il donc pas mieux faire une loi
d’interprétation dès aujourd’hui ?
Si vous dites que l’art. 21
du code civil n’est pas applicable aux individus placés dans la catégorie
indiquée par l’honorable M. de Mérode, vous ferez suivant moi une
interprétation très juste, très raisonnable en faveur d’une foule d’individus
placés dans la même position que le général Nypels.
Vous revenez à des
principes d’équité non seulement à leur égard, mais vis-à-vis de toutes les
parties intéressées dans les actes auxquels ils ont concouru. Je demande s’il y
a rien de plus simple, de plus juste ; c’est à présent qu’il faut prendre une
décision interprétative de l’art. 21 du code civil.
C’est un hors-d’œuvre de
proposer des naturalisations par centaines devant s’appliquer à telle ou telle
catégorie, tandis que la seule question que l’on a présentée ne devrait toucher
particulièrement que les personnes qui se trouvent dans les cas prévus par
l’article 21 et auxquelles il n’est pas applicable. J’aimerais mieux que l’on
en décidât ainsi dès à présent. Vous rendriez justice à une classe intéressante
de citoyens, et vous éviteriez les perturbations que j’ai signalées. Je
persiste dans mes premières observations.
- La discussion générale
est close.
Discussion des articles
Article premier
M.
Dubus. - Si j’ai bien compris l’honorable M. de Mérode, il a dit qu’il ne
se rallierait pas au numéro 1er. Dans ce cas, l’on pourrait prendre le projet
de la commission comme projet primitif et celui de M. de Mérode comme
amendement.
M.
F. de Mérode. - J’ai dit que je ne pouvais me rallier aux exceptions
que la commission avait cru devoir faire. Je ne m’oppose pas du reste aux
catégories qu’elle a introduites dans le projet de loi.
M. Gendebien. - Je ne comprends plus rien au
système de l’honorable M. de Mérode. Il s’est montré si susceptible à l’égard
de ce que disait l’honorable M. Jullien, que je croyais qu’il tenait fermement
à sa proposition, à son système. Maintenant il vient de l’abandonner tout
entier ; car il adopte la première partie de l’article premier de la commission
; le paragraphe premier de son projet est incompatible avec le premier du
projet de la section centrale. Il abandonne donc son système.
M.
F. de Mérode. - La différence n’existe que dans la rédaction. Quant au
fond le résultat est le même. Les individus auxquels je désire que l’art. 21 du
code civil ne soit pas appliqué recueilleront les bienfaits du projet de la
commission. Si cette forme convient mieux à la chambre, je n’insisterai pas sur
celle que j’ai donnée à ma proposition.
M.
Nothomb. - J’appuie les explications que vient de donner l’honorable M.
de Mérode ; je crois que s’il y a une différence entre son projet et celui de
la commission, c’est celle-ci. Dans l’un et l’autre on suppose la rentrée en
Belgique des individus dont il s’agit. Mais dans le projet de la commission on
exige que ces individus, postérieurement à leur rentrée, aient posé un fait qui
les recommande au pays. Le projet de M. de Mérode n’exigeait pas cette condition
postérieure à la rentrée.
Selon lui, le fait matériel
de la rentrée suffit. Je crois même que là est la seule différence, si j’ai
bien saisi la dernière expression que vient de donner l’auteur du projet.
Quant à la question de
savoir si la loi sera interprétative ou non, je ne pense pas qu’elle doive
avoir ce caractère ; selon moi, c’est une espèce de loi de dispense,
c’est-à-dire qu’elle exemptera certains individus de l’obligation de satisfaire
à des formalités exigées par le code civil. Voilà le véritable caractère de la
loi dans la pensée de la commission. Quoi qu’il en soit, ce que demande
l’honorable M. de Mérode revient à ceci : il voudrait que de l’art 1er du
projet de la commission : « 1° Les individus nés Belges qui, ayant été au
service militaire de puissances étrangères, sont rentrés en Belgique avant le
1er janvier 1833, ont combattu pour la cause de la révolution, ou bien ont pris
du service dans l’armée nationale, et qui ont depuis lors continué de résider
en Belgique. »
M. de Mérode voudrait le
retranchement des mots « ont combattu pour la cause de la révolution et ont
pris du service dans l’armée nationale, » tandis que la commission veut que,
postérieurement à leur rentrée en Belgique, les individus placés dans la
catégorie qui fait l’objet de la loi, aient bien mérité du pays.
Mais si vous admettez ce
second système, il faut qu’il y ait impartialité. Or, la commission n’a pas été
impartiale, en ce qu’elle n’a tenu compte que des services militaires et non
pas des services civils.
C’est pour réparer cet
oubli que j’ai présenté mon amendement. Je soutiens que les individus rentrés
en Belgique, qui ont pris du service civil ou qui ont rempli des fonctions
électives, ont également bien mérité du pays.
Le but de mon amendement
est donc de compléter la pensée de la section centrale.
Si j’ai bien compris
l’honorable rapporteur, quand il a expliqué la différence qu’il y a entre le
projet de la commission et celui de M le comte de Mérode, il a dit qu’il
fallait que ces individus eussent bien mérité du pays. Or, je soutiens qu’il y
a deux manières de bien mériter du pays : dans les fonctions militaires ou dans
les fonctions civiles. Je ne verrais pas pourquoi il y aurait une différence ;
d’autant plus que ces individus, par cela qu’ils ont été appelés à des
fonctions publiques, ont été considérés comme Belges. Si on ne les avait pas
considérés comme Belges, ils étaient inadmissibles aux fonctions publiques dont
ils étaient revêtus. Il y a une exception à cette règle pour toutes les
fonctions militaires. Car on peut servir dans l’armée, sans que le fait du
service militaire suppose la qualité de Belge. Au contraire, chaque fois qu’un
de ces individus est appelé à des fonctions publiques, par le gouvernement ou
par les élections, on lui a nécessairement supposé la qualité de Belge.
Il y a donc en faveur des services civils une
présomption, dont il faut tenir compte. Ainsi j’entends par fonctions publiques
toutes les fonctions qui supposent la qualité de Belge, et je crois que c’est
dans ce sens qu’il faut entendre les mots « fonctions publiques. » Je dis
cela pour répondre à l’objection que l’on pourrait me faire sur le sens de ces
mots.
J’ignore quel est le
système auquel la chambre donnera la préférence. Si elle adopte le système de
la commission, je demande qu’elle le complète, en tenant compte des services
civils aussi bien que des services militaires.
M. F. de Mérode.
- On m’a fait observer que la proposition de la commission n’aurait pas les
mêmes effets que la mienne, et qu’avec ma rédaction il y aura plus d’avantages
pour les individus dont il s’agit. Puisqu’il y a une différence, comme je veux
établir les choses le plus possible à l’avantage des personnes dont je soutiens
les intérêts, non pour leur individualité, mais pour empêcher les difficultés
qui pourraient surgir et auxquelles je veux couper court, autant que possible,
je déclare que je ne me rallie pas à la proposition de la commission.
M.
le président. - Alors la proposition de M. F. de Mérode serait
considérée comme proposition principale et la proposition de la commission
comme amendement.
M.
Gendebien. - Il faut bien remarquer qu’il y a une différence notable
entre la proposition de M. F. de Mérode et celle de la commission. Cette
différence ne consiste pas seulement dans la suppression que M. de Mérode
demande au projet de la commission, des mots : « ont combattu pour la
cause de la révolution, ou bien ont pris du service dans l’armée
nationale, » ni dans l’amendement de l’honorable M. Nothomb. La différente consiste en ce que d’un côté on vous
propose une loi interprétative et de l’autre une loi de naturalisation en masse.
Eh bien en donnant la naturalité vous donnez pour l’avenir les droits civils et
politiques à ceux qui sont compris dans les diverses catégories de l’article de
la commission. Mais pour tout ce qui s’est passé auparavant, tout ce qu’ils ont
fait comme citoyens belges est nul.
S’il a assisté comme témoin
dans un testament, ce testament, dans le cas où vous adopteriez la proposition
de la commission, s’il n’est pas refait, sera nul, parce que ce n’est que pour
l’avenir que vous avez rendu à cet individu la qualité de Belge, parce que vous
ne pouvez lui rendre cette qualité pour le passé que par une loi
interprétative.
Maintenant, si vous faites
une loi interprétative, cette loi comme je l’ai dit plusieurs fois, opère
rétroactivement à la date de la loi interprétée, sauf tous les droits acquis à
des tiers. Ainsi un citoyen belge dans une des catégories que vous avez
indiquées a-t-il été témoin dans un testament ? Si le testament n’a pas été
ouvert par la mort du testateur avant la promulgation de la loi interprétative
le testament est valable d’après la proposition de M. de Mérode. Le testament
serait-il ouvert après la publication de la loi ? Ce serait une question de
savoir si vous avez pu lui donner force et vigueur. Quant à moi, je crois que
le testament serait valable, parce que la chose jugée est seule à l’abri de
l’effet d’une loi interprétative. C’est, au reste, une question que les
tribunaux décideraient, mais vous devez avoir remarqué que la proposition de M.
de Mérode écarte toutes les difficultés ou tout au moins en diminue
singulièrement le nombre.
J’ai parlé d’un testament.
Je pourrais dire la même chose de tous les actes auxquels on ne peut concourir
sans avoir la qualité de citoyen belge. Voulez-vous par votre loi frapper de nullité tous les actes auxquels ont pris part ces
individus né Belges et qui ont perdu cette qualité aux termes de l’art. 21 du
code civil ? voulez-vous donner occasion à des procès
sur chacun de ces actes, ou éviter des procès ? Il me semble qu’il n’y a pas à
hésiter. Je ne sais si je me trompe. Je désire qu’on me le prouve. Si on me le
prouve, je serai le premier à le reconnaître.
Mais je dis, quant à moi, que n’y eût-il qu’un
doute, il faudrait adopter l’article de M. F. de Mérode, parce qu’il tend à
lever ce doute, tandis que la proposition de la commission ne fait que le
fortifier.
Maintenant je dirai un mot
sur l’amendement de l’honorable M. Nothomb ; et je crois qu’il ne répare pas
toute l’injustice dont il a accusé la commission. La commission exige la
condition de services militaires ; M. Nothomb admet les services civils. Mais
pourquoi exclure ceux qui n’ont pas rempli de fonctions ? Sans doute souvent un
fonctionnaire rend des services pour le traitement qu’il reçoit mais plus
souvent les fonctions ne sont qu’une faveur pour celui qui les obtient.
Vous allez mettre le
fonctionnaire qui a reçu un traitement mensuel ou semestriel dans une condition
plus favorable qu’un autre citoyen qui n’a pas obtenu de fonctions, soit qu’il
se soit rendu plus de justice, soit qu’il n’ait pas voulu recourir aux
obsessions ou aux sollicitations, par lesquelles seules souvent on obtient les
emplois. Ainsi le citoyen né Belge, qui sera rentré en Belgique, y aura fondé
un établissement considérable, et qui ainsi, loin d’être à charge au pays, se
sera constitué le bienfaiteur de la classe ouvrière et de la société en
général, ce citoyen ne jouira pas des avantages de la loi, tandis qu’un autre
citoyen, qui aura été à la charge de l’Etat et qui souvent n’aura pas d’autre
mérite que ses services antérieurs à l’étranger, sera gratifié de la grande
naturalisation. Ce serait consacrer législativement une grande injustice.
Vous voyez que toutes les
fois que vous établissez des catégories, vous arrivez toujours à faire des
injustices.
Encore une raison qui doit
vous décider à donner la préférence à l’article de M. F. de Mérode, c’est qu’il
comprend tout le monde et la généralité de l’article est justifiée par les
vicissitudes auxquelles
Ce n’est qu’après tous ces
événements que
Je crois qu’il faut ici
faire acte d’indulgence plénière, la loi doit être profitable pour tout le
monde ; si vous faites des catégories, vous serez injustes pour l’un ou pour
l’autre et sans vous en douter vous serez injustes précisément envers ceux qui
méritent le plus votre protection et la bienveillance ou la reconnaissance du
pays.
M.
le président. - M. Nothomb a déposé un amendement qui consiste à
ajouter dans le n°10 de l’art. 1er de la commission, après les mots « ont pris
du service dans l’armée nationale, » ceux « ou ont occupé des
fonctions publiques. » Cet amendement a été développé.
M. Jullien a déposé un
amendement ainsi conçu :
« L’art. 21 du code
civil n’est pas applicable aux Belges de naissance, qui, ayant été au service
militaire de puissances étrangères, sont rentrés en Belgique avant la
publication de la présente loi. »
La parole est à M. Jullien
pour développer son amendement.
M.
Jullien. - Mon amendement consiste à substituer le présent au futur. M.
de Mérode a dit : « L’art. 21 ne sera pas appliqué, etc. » Moi je dis :
« L’article n’est pas applicable ; » les raisons de cette
modification, je crois les avoir déjà données. C’est que j’entends demander une
loi d’interprétation. Or une loi d’interprétation ne s’énonce pas au futur,
mais au présent. Ce changement a pour objet d’éviter les inconvénients signalés
par l’honorable M. Gendebien. Je me borne quant à moi à modifier ainsi
l’article de la proposition de M. F. de
Mérode.
Quant aux catégories autres
que celles d’individus qui ont pris du service militaire à l’étranger, je crois
qu’il faut les renvoyer à la loi de naturalisation.
Vous allez faire une loi spéciale
et d’urgence, nécessaire pour un cas spécial. Au lieu de cela on vous propose
de faire une première loi de naturalisation, quant vous êtes au moment de faire
une loi générale de naturalisation.
Je pense qu’il faut se
borner à adopter l’article proposé par M. F. de Mérode, sauf le changement que
j’y ai fait pour rendre la loi d’interprétation, et qui consiste à substituer le présent au futur.
M. le président. -
M. Gendebien a déposé un amendement qui consiste dans l’addition suivante à
l’art. 1er de la commission :
« 3° Tout étranger
décoré de la croix de fer. »
« 4° Tout étranger qui
a été blessé en combattant sous les drapeaux belges depuis le 25 août 1830, ou
qui justifiera avoir droit à la croix de fer. »
La parole est à M.
Gendebien pour développer son amendement.
M.
Gendebien. - Aux termes du deuxième paragraphe de l’art. 1er de la
commission, nous appelons à jouir du bénéfice de la loi « les habitants
des provinces septentrionales de l’ancien royaume des Pays-Bas, qui étaient
domiciliés ou qui sont venus demeurer en Belgique avant le 7 février 1832, et
qui ont depuis lors continué d’y résider. »
On vous a dit qu’ils devaient
être considérés comme Belges parce qu’ils sont venus en Belgique au moment de
la révolution, dans l’intention de rendre service à la Belgique. Si vous devez
reconnaître ces services, même éventuels, vous devez, à plus forte raison,
reconnaître les services rendus par les citoyens qui ont pris part aux combats
de septembre, ou à ceux qui les ont suivis. C’est pour cela que je propose que
tout étranger, décoré de la croix de fer, soit considéré comme Belge. Je crois
que ces étrangers y ont autant de droits que les habitants des provinces
septentrionales qui ont établi leur domicile dans le pays.
Par un quatrième
paragraphe, je demande qu’on considère comme Belge, tout étranger qui a été
blessé en combattant sous les drapeaux belges depuis le 25 août 1830, ou qui
justifiera avoir droit à la croix de fer.
Il y a des militaires qui ont été blessés dans la
campagne du mois d’août et qui n’ont pu obtenir la croix de fer, parce qu’on ne
la donnait qu’aux blessés de la révolution. Je crois que ces militaires ont
donné des gages au pays, et qu’on peut bien leur offrir la grande naturalisation.
Il y a même des blessés de
septembre qui n’ont pas obtenu la croix de fer. Je demande donc que le bienfait
de la loi soit étendu à celui qui justifiera avoir droit à la croix de fer. Car
dans le travail relatif aux croix de fer, on a remarqué beaucoup d’omissions.
Il y a de ce chef un assez grand nombre de réclamations. La commission se
réunira incessamment pour les examiner. La dernière disposition de mon article
a pour objet de ne pas exclure ceux qui obtiendront la croix de fer par ce nouveau
travail.
M.
Verdussen. - Puisque nous sommes sur le point de voter sur l’art. 1er
et sur les amendements qui s’y rapportent, je me permettrai quelques
observations sur le n°1° de l’article de la commission. Je crois que cet
article devrait être plus explicatif, plus clair. Je crois que tel qu’il est
rédige il présente une ambiguïté, et qu’au lieu de deux catégories que votre
commission a voulu proposer, on pourrait supposer qu’il y en a trois. Ce n° l
est ainsi conçu :
« 1°. Les individus nés Belges, qui, ayant été
au service militaire de puissances étrangères, sont rentrés en Belgique avant
le 1er janvier 1833, ont combattu pour la cause de la révolution ou bien ont
pris du service dans l’armée nationale, et qui ont depuis lors continué de
résider en Belgique. »
On pourrait croire que ce
sont trois catégories savoir : ceux qui sont rentrés en Belgique avant le 1er
janvier 1833, ceux qui ont combattu pour la cause de la révolution, et enfin
ceux qui ont pris du service dans l’armée nationale. Je pense que l’on ferait
cesser toute ambiguïté, si au lieu de : « sont rentrés en Belgique, etc.,
» on disait : « et étant rentrés, etc. »
En second lieu, il me paraît
que cet art, puisque évidemment il a pour objet d’expliquer l’art. 21 du code
civil, doit contenir les mêmes expressions. Je pense donc qu’il faudrait
ajouter dans l’article, après les mots « au service de puissances
étrangères, » ceux « sans autorisation. » Le code civil porte :
« sans autorisation du Roi. » Je ne pense pas qu’il faille insérer
dans notre article les mots « du Roi, » mais que nous devons dire :
« sans autorisation du gouvernement, » ou tout simplement sans
autorisation.
M. F. de Mérode. - Tout ce que j’entends me
fait penser que je dois persister dans ma proposition. Elle n’a d’autre but que
de trancher les difficultés que fait naître l’art. 21 du code civil. Ces
difficultés, comme l’a fait voir l’honorable M. Jullien, peuvent être très
nombreuses. Il importe de les faire cesser pour l’avenir, et autant que
possible pour le passé. Mon article n’est pas en contradiction directe avec une
précédente décision de la chambre. M. Jullien propose de dire : « L’art. 21
n’est pas applicable, etc. » En décidant la chose de cette manière, vous
attaquerez positivement la résolution que vous avez prise relativement à
l’élection du général Nypels. Au contraire, la
disposition que je propose n’attaque rien ; elle ne vous donne pas tort dans
l’application que vous avez faite de l’art. 21 du code civil ; elle dit
simplement qu’il ne sera plus appliqué à l’avenir. Je ne vois pas quel
inconvénient il peut y avoir à l’adoption d’une telle disposition.
M.
Dubus, rapporteur. - Deux systèmes sont véritablement en présence
puisqu’on veut donner à la loi le caractère d’une loi interprétative ; ce
caractère résulterait évidemment de l’adoption de l’amendement de M. Jullien. Cet amendement porte :
« L’article 21 du code civil n’est pas applicable, etc. » Ainsi vous avez
décidé, au commencement du mois dernier, que l’article 21 était applicable et
on vous propose de dire maintenant en termes exprès que l’art. 21 n’est pas
applicable : ce serait évidemment décider que vous avez mal jugé, en appliquant
cet article au général Nypels. Déjà sous ce rapport
je m’étonne qu’on vous propose de faire une loi d’interprétation. On semble en
effet n’avoir d’autre but que d’effacer, même quant au général Nypels, la décision antérieurement prise.
On vous propose de résoudre
une question d’interprétation ; mais vous appartient-il de la décider ? Non, il
ne vous appartient pas de la décider. Les tribunaux prononceront sur les
contestations qui pourront s’élever à cet égard. On ne vous dit pas qu’il y
aura divergence de jurisprudence sur ce point, qu’il y aura des jugements, les
uns dans un sens, les autres dans un autre. On veut que vous tranchiez tous ces
procès dans le même sens.
Ainsi un testament a été passé
qui peut-être serait déclaré nul par les tribunaux parce qu’ils penseraient que
l’article 21 est applicable à un individu né Belge, intervenu comme témoin dans
le testament, et que les tribunaux croiraient aussi qu’il n’y pas eu à l’égard
de cet individu erreur commune ; que par conséquent l’acte ne peut être valide.
Aujourd’hui vous déclarez que le testament est valide. C’est un acte consommé,
le testateur est décédé ayant une fortune considérable ; c’est vous qui allez
adjuger cette succession au légataire tandis que d’après la décision des
tribunaux elle appartiendrait peut-être à l’héritier.
Il y a ici une véritable
confusion de pouvoirs. Nous pouvons sans doute porter des lois interprétatives
; mais c’est un pouvoir dont nous devons être avares ; et dans toutes les
questions qui touchent aux intérêts privés nous ne devons pas intervenir et
faire office de tribunaux.
Je ne croyais pas utile de
développer cette thèse ; et je ne m’en serais pas occupé si elle n’avait pas
été attaquée ; et je suis étonné de l’avoir vu combattre.
L’amendement de M. Jullien
est donc inadmissible ainsi que la proposition de M. de Mérode dans le sens
qu’il vient d’exposer. L’honorable M. de Mérode prétend que sa rédaction à un
avantage sur celle de la section centrale, parce qu’elle dispose pour et autant
que possible pour le passé. Que signifie disposer pour le passé ? Il pense donc
que les tribunaux se tromperont sur la portée de l’article en discussion et y
verront une loi interprétative.
M. Jullien dans la même
pensée propose du moins une rédaction plus franche. Ma proposition n’est que
pour l’avenir, dit M. de Mérode. Alors pourquoi ne pas admettre la rédaction de
la commission qui ne dispose que pour l’avenir ?
Des amendements sont
présentés, je vais m’expliquer sur chacun d’eux ; et d’abord je m’occuperai de
celui qui, laissant les dispositions telles qu’elles sont, ne fait qu’en
modifier la rédaction ; de l’amendement de M. Verdussen,
Cet honorable membre craint
qu’on n’entende l’article que distributivement, et que ceux qui seraient
rentrés en Belgique sans avoir combattu n’obtiennent aussi l’indigénat. Je ne
crois pas cependant que notre rédaction puisse donner lieu à aucun doute ;
toutes les parties de notre phrase se lient. J’admettrai cependant la rédaction
présentée par l’honorable membre. Il demande l’insertion des mots : « au
service des puissances étrangères sans autorisation. » Je ne vois pas
d’inconvénient à introduire cette expression : « sans autorisation. »
J’arrive aux amendements
qui étendent la disposition de l’article présenté par la section centrale.
Il y a d’abord l’amendement
de M. Nothomb. Cet honorable membre demande qu’après les mots : « armée
nationale, » on mette : « ou ont rempli des fonctions publiques. »
Selon lui la commission
n’aurait pas été impartiale, puisqu’elle n’aurait tenu compte que des services
militaires : messieurs, la commission n’a été ni partiale ni impartiale, parce
qu’elle ne s’est pas occupée de cette catégorie d’anciens Belges. La commission
ne pouvait s’occuper que de la proposition de M. de Mérode qui lui était
soumise. On voulait une disposition législative promptement, immédiatement,
pour une certaine catégorie de citoyens ; la commission a examiné la question ;
elle a été d’avis d’accorder l’indigénat à ces citoyens, et elle a proposé son
projet. Elle n’a pas recherché si des Belges qui avaient rendu des services
dans l’administration méritaient la même faveur.
Mais la commission s’est
occupée de la question relative aux habitants des provinces septentrionales,
parce qu’elle avait déjà occupé les deux chambres, et nous avons cru qu’une
disposition sur ce point pouvait être admise. Mais pour tout le reste, nous
avons écarté tout examen pour ne pas compliquer la loi et pour faire une loi
d’urgence. Nous avons voulu que certains citoyens connussent promptement leur
position.
Cependant, m’expliquant
comme député sur l’amendement de M. Nothomb, je dirai qu’il y a des raisons
aussi fortes en faveur des Beiges qui ont rempli des fonctions publiques depuis
la révolution, qu’en faveur de ceux qui ont rempli des fonctions militaires.
Pour les militaires, nous
avons établi la limite au 1er janvier 1833. Nous les distinguons en deux
catégories : ceux qui sont venus pour la révolution, et ceux qui sont venus à
l’appel du Roi.
Les fonctionnaires civils
ne sont pas compris dans ces catégories. On a dit que pour eux la collation
d’un emploi a été une faveur ; cela est possible pour quelques-uns ; mais
peut-être que la plupart méritent les mêmes faveurs que les militaires. Quant à
moi, je ne m’opposerai pas à l’amendement de M. Nothomb et j’admettrai les mots
: « ou qui ont rempli des fonctions publiques ; » mais je les
admettrai uniquement comme député.
J’arrive à l’amendement
présenté conditionnellement par l’honorable M. Gendebien, parce qu’il veut
renvoyer à la loi sur les naturalisations la seconde partie du numéro premier
du projet de la commission spéciale.
Dans le système de la
commission, l’une et l’autre catégorie des personnes à qui on restitue
l’indigénat, doit demeurer dans la même disposition, car il y a un rapport
assez intime entre leurs positions. Il s’agit dans l’une et dans l’autre de
rendre la qualité de Belge à ceux qui l’ont conquise par la révolution, les uns
en combattant pour elle, les autres en répondant à l’appel du Roi. Tous se sont
associés à notre mouvement national ; par là ils ont mérité d’être proscrits
dans le pays où ils étaient ; ils ont abdiqué leur ancienne patrie pour adopter
la nouvelle, et vous voyez que la loi s’applique tout naturellement aux uns
comme aux autres.
Dans le système des
honorables membres auxquels je réponds, les deux dispositions n’ont plus cette
liaison : ils veulent faire une loi déclarative pour ceux-là qui n’ont pas
cessé d’être Belges : je crois que la chambre n’adoptera pas ce système ; et
dès lors elle doit préférer les deux dispositions que la commission présente.
L’honorable M. Gendebien
demande que l’on mette dans l’article 1er, par un numéro trois, que l’étranger
qui aura la croix de fer ou qui justifiera y avoir droit aura par cela même les
droits politiques : mais devant qui justifiera-t-on avoir droit à la croix de
fer ? Devant la commission instituée pour cette décoration.
D’abord je trouve que cette
commission n’ayant pas été instituée pour accorder la grande naturalisation, et
que nous n’ayant pas le droit de déléguer nos pouvoirs pour donner la grande
naturalisation, cette partie de cet amendement est inadmissible.
Au reste, ce point arrive
inopinément dans l’assemblée. Il n’a pas été examiné par les sections, et il y
aurait imprudence à improviser une disposition qui accorde la grande
naturalisation à toute une nouvelle catégorie d’individus. Quand il s’agit de
la grande naturalisation, vous devez procéder par un examen préalable.
Je ne suis pas assez
éclairé pour adopter l’amendement.
Relativement à ceux
que nous avons compris dans le numéro 2° de l’article en délibération, il y a
eu examen préalable, puisque la question a été soumise à l’une et à l’autre
chambre sur une proposition faite par le gouvernement. Nous avons seulement
changé la date, et nos motifs paraissent évidents.
On me fait observer que non
seulement le gouvernement nous a présenté cet article d’après le vœu manifesté
par les chambres, mais que de plus il a été examiné dans les sections, et
adopté par la section centrale.
Nous croyons qu’il y a
autant de raison pour accorder la grande naturalisation à ceux qui sont exclus
du Brabant septentrional et qui ont pris part à notre révolution, que pour
l’accorder aux autres. Et nous avons fixé une date telle qu’elle comprenne ceux
qui ont été proscrits par notre ennemi. Nous avons tâché qu’elle ne comprenne
pas ceux qui ne sont venus en Belgique que pour y conspirer. C’est pour cela
que nous n’avons pas voulu prendre une date plus rapprochée que celle du 7
février 1831, jour où la constitution a été promulguée.
J’attendrai l’amendement de
M. Nothomb et les changements de rédaction proposés par M. Verdussen.
M. Fallon. - J’ai
vu avec plaisir dans l’intérêt de la dignité de la chambre et de la distinction
des pouvoirs que M. de Mérode, s’apercevant que la discussion prenait un
caractère grave, soit revenu à son premier système. Il est évident que
l’intention de l’honorable M. de Mérode est de ne point présenter de
dispositions interprétatives et qu’il veut se borner à régler l’avenir, Il
ajoute comme nous tous qu’une loi interprétative, bien loin d’aller au-devant
des abus, jetterait la perturbation sur le passé. En effet, si, comme l’a
décidé la chambre, l’article 21 du code civil n’était applicable qu’aux Belges
qui sont rentrés après les événements de 1830, pouvez-vous décider qu’il sera
applicable aux faits qui se sont passés depuis lors ? Il faut être extrêmement
sobre de lois interprétatives, car il en résulte des empiétements sur les
droits privés et sur le pouvoir judiciaire.
Il ne nous appartient pas
de décider si l’article 21 sera applicable aux faits qui ont eu lieu depuis la
révolution, c’est une décision qui doit rester dans le domaine des tribunaux.
C’est lorsque le pouvoir judiciaire nous demandera une interprétation que nous
nous constituerons en juges ; mais jusque-là nous devons nous abstenir.
M.
Demonceau. - J’ai écouté le développement des deux systèmes,
et je suis convaincu que si vous adoptez la rédaction présentée par M. de
Mérode, il y aura interprétation de la loi, ce que nous ne voulons ni ne
pouvons faire en ce moment. Pour concilier les opinions, il faudrait dire :
« Seront considérés
comme Belges de naissance et jouissant de tous les droits civils et politiques
attachés à cette qualité :
« 1° Les individus nés
Belges qui, ayant été sans autorisation au service militaire d’une puissance
étrangère, sont rentrés en Belgique avant le premier janvier 1833, et ont
continué depuis lors d’y résider. »
Ainsi les militaires, les
fonctionnaires, et même ceux qui ont formé des établissements depuis leur
rentrée recouvraient la qualité de Belge. Il me semble qu’il n’y aurait pas par
ce moyen interprétation de l’article 21 du code civil
; ou du moins les tribunaux l’interpréteraient comme ils l’entendraient.
Mon amendement est ainsi la
reproduction de la proposition de M. de Mérode, moins toutefois la rétroactivité
dont celle-ci me paraît entachée.
M.
Gendebien. - On a été si loin dans la discussion qu’on a même contesté
à la chambre le droit d’interpréter les lois. C’est ce que vient de nous dire
le dernier orateur. Je ne répondrai pas à cette hérésie. Vous avez le droit
d’interpréter les lois, cela est incontestable. Voulez-vous actuellement faire
une loi interprétative ou non, vous en êtes les maîtres ; la question à
décider est de savoir s’il vaut mieux faire une loi interprétative ou de n’en
pas faire une ayant ce caractère ; voilà toute la question à résoudre.
S’il s’agissait de nous
immiscer dans des contestations à l’égard de droits en litige entre des Belges
; s’il s’agissait d’avoir la prétention de juger un procès ou plusieurs procès,
vous n’en auriez pas le pouvoir : il ne s’agit réellement ici, ni de juger, ni
de préjuger ; il s’agit de savoir si vous voulez éviter des procès, d’éviter
des contestations, d’éviter qu’on ne déclare nuls des actes faits de bonne foi,
car on est de bonne foi quand on croit que tels et tels qui ont assisté comme
témoins étaient Belges. Et veuillez remarquer que si vous ne faites pas une loi
interprétative, et si au contraire vous adoptez les propositions de la
commission, il arrivera que vous aurez préjugé la question et que vous l’aurez
préjugée dans le sens que tous les actes antérieurs sont nuls ; vous ferez en
un mot précisément ce que vous annoncez ne vouloir pas faire, ce que vous dites
vouloir éviter.
Vous avez décidé ou plutôt
vous avez jugé que l’art. 21 du code civil était applicable au général Nypels, vous avez jugé implicitement que tout Belge qui
aurait servi à l’étranger ne pourrait avoir des droits politiques sans recevoir
la grande naturalisation ; et aujourd’hui que faites-vous ? Vous dites : Seront
considérés comme Belges de naissance ceux, etc. » Et vous leur donnez
seulement pour l’avenir la qualité de Belge : vous décidez donc aujourd’hui qui
ne sont pas Belges et qu’ils ne seront Belges qu’à partir de la promulgation de
la loi ; c’est-à-dire que vous décidez que tous les actes dans lesquels ils
seraient intervenus sont entachés de nullité. Cela me paraît évident.
Vous avez déclaré que M. Nypels n’était pas éligible à Ruremonde ni ailleurs ; vous
avez décidé que l’article 21 du code civil lui était applicable, parce qu’il
avait servi à l’étranger. Faites bien attention que votre première décision n’a
fait que soulever les difficultés, car vous n’avez prononcé que comme juges et
point comme législateurs.
Mais aujourd’hui vous n’avez
pas à vous occuper des principes en vertu desquels vous avez porte votre
jugement, mais des principes qu’il faut suivre pour l’avenir ; 1’application de
l’art. 21 tel qu’il doit être appliqué en raison des circonstances
extraordinaires qui ont fait naître la difficulté. Si vous n’adoptez pas ce
parti, si vous vous bornez à accorder la grande naturalisation pour l’avenir,
vous reconnaissez qu’ils n’étaient pas Belges auparavant, et vous décidez en
même temps que tous les actes dans lesquels ils seront intervenus sont nuls, et
implicitement vous portez un jugement sur tous ces actes et sur toutes les
contestations qui peuvent en surgir. Vous voyez donc, messieurs, que tout en
voulant éluder les difficultés vous ne pouvez les empêcher, vous les multipliez
même. Elles sont nées de la décision que vous avez prise à l’égard du général Nypels, décision juste et fondée en droit, mais qui
entraîne avec elle des difficultés et des procès nombreux.
Et maintenant, en
prétendant réparer ce mal, vous l’aggravez, en ce que vous déclarez nuls tous
les actes qu’ils ont faits et pour lesquels la qualité de Belge était
indispensable. Dans cette position quelle est la décision la plus juste, la
plus équitable la plus propre à éviter les procès ? C’est de faire une loi interprétative.
Ne croyez pas, messieurs,
qu’il faille vous arrêter à ce qu’on vous a dit : Vous voulez donc décider tous
les procès dans le même sens. Non, nous ne voulons pas décider les procès, mais
nous voulons prendre une disposition pour que les tribunaux les décident dans
le même sens, pour éviter que les tribunaux interprètent l’art. 21 diversement
; c’est pour éviter les difficultés qui résulteraient de ces décisions
divergentes que nous voulons tracer une règle, pour qu’il y ait conformité dans
la jurisprudence des tribunaux. Quand vous faites une loi d’interprétation,
n’est-ce pas pour cela ? Quand y a-t-il lieu à interprétation ? C’est lorsqu’un
article de loi peut être appliqué de manières divergentes. Que faites-vous
alors ? Ne le modifiez-vous pas soit en ajoutant, soit en retranchant, afin
qu’il reçoive une application uniforme ? Eh bien, c’est ce qu’on vous demande
de faire aujourd’hui, c’est ce que fait toute législature qui veut éviter des
procès.
Messieurs, je vous prie d’y
réfléchir, la matière est grave, votre décision pourra avoir des conséquences
très fâcheuses. Je répète ce que j’ai dit, parce que je désire vous empêcher de
soulever des difficultés, des perturbations dans le pays. En décidant que
l’art. 21 du code civil était applicable au général Nypels,
vous avez décidé comme juges.
Des tribunaux pourront
adopter votre opinion et d’autres une opinion contraire. Des difficultés sans
nombre vont surgir et des intérêts privés vont se trouver mêlés dans ces
difficultés. En adoptant la proposition de la section centrale, évitez-vous ces
difficultés ? Non., vous renforcez une opinion, vous renforcez l’opinion du
magistrat qui croyait que l’art. 21 était applicable aux Belges qui se
trouvaient dans le cas du général Nypels, puisque
vous dites qu’à partir de la publication de la loi, les individus qui se
trouvent dans cette catégorie seront considérés comme Belges de naissance et
jouiront de tous les droits civils et politiques attachés à cette qualité,
pourvu qu’ils remplissent cette condition.
Au surplus, quand on voudra
réclamer le bénéfice de cette loi, le premier procès sera si réellement on a
rendu des services à l’Etat. Voilà à quoi vous exposez les plaideurs, à vous
dresser un procès sur un procès.
Messieurs, je persiste à
soutenir, c’est mon opinion consciencieuse et réfléchie, que vous allez jeter
le pays dans la perturbation, si vous ne faites pas une loi interprétative.
J’ajouterai deux
mots sur les amendements que j’ai proposés. Il me semble qu’alors qu’on accorde
la grande naturalisation en masse aux habitants des provinces septentrionales,
pour le seul fait de leur résidence en Belgique avant le 24 août 1830, d’après
le projet du gouvernement, et avant le 7 février 1831 d’après le projet de la
commission ; si, dis-je, vous accordez la grande naturalisation à tous les
habitants du Nord parce qu’ils habitaient ou sont venus demeurer en Belgique,
ce que je suis d’ailleurs loin de blâmer, vous devez à plus forte raison
l’accorder à celui qui a obtenu la croix de fer, à celui qui a versé son sang
pour l’indépendance du pays, à moins d’encourir le reproche même d’ingratitude.
Je ne conçois pas comment on pourrait agir autrement. Après tout, combien y
a-t-il d’étrangers décorés de la croix de fer ? 150 ou 200. Combien y a-t-il
d’étrangers qui ont été blessés en combattant sous vos drapeaux et qui sont
encore en Belgique ? 40 ou 50. Vous voyez que le nombre est bien limité, tandis
que nous ne saurions pas apprécier le nombre des habitants des provinces
septentrionales pour lesquels on demande la grande naturalisation. Je croirais
faire injure au patriotisme de la chambre en insistant davantage sur mes
amendements. Cependant je me réserve d’y revenir s’il en est besoin, alors
qu’on les discutera.
M.
le ministre de la justice (M. Ernst). - J’ai cru inutile de prendre
part à cette discussion ; la matière a été traitée d’une manière très
satisfaisante par d’honorables orateurs ; l’honorable rapporteur de la
commission spéciale a exposé les vrais principes à suivre, et j’y adhère en
tout point. Je voterai comme lui sur l’article premier et sur les amendements
qui s’y rapportent.
Mais il n’est pas sans
inutile de déclarer que notre vote n’aura aucunement la portée que lui donne
l’honorable préopinant. En décidant que les personnes comprises dans l’article
premier seront considérées comme Belges, nous ne préjugeons rien sur la qualité
qu’elles avaient antérieurement. Cette question restera entière ; les tribunaux
jugeront d’après l’article 21 du code civil si ces personnes étaient Belges ou
non avant la présente loi de la même manière que si cette loi n’avait pas été
faite.
M.
Jullien. - L’honorable M. Dubus a dit que la décision que vous
prendriez d’après la proposition de M. de Mérode pourrait atteindre la décision
que vous avez prise à l’égard de l’élection du général Nypels
et pourrait même l’annuler. Je suis étonné qu’une pareille proposition ait pu
échapper à son esprit aussi judicieux que cet honorable membre.
La décision que la chambre
a prise à l’égard du général Nypels est consommée, il
y a chose jugée, aucune décision postérieure ne pourra l’atteindre.
J’ai dit que la décision
que vous porteriez aurait un tout autre objet que celle que vous avez prise
précédemment. J’ai pensé qu’un corps politique ne devait pas se laisser aller à
des considérations mesquines d’amour-propre.
On a demandé : Est-ce une
loi d’interprétation que vous voulez faire ? On a répondu oui, c’est une loi
d’interprétation que je demande, et que demande aussi M. de Mérode, quoiqu’il
n’ait pas expliqué sa pensée d’une manière très claire. Pourquoi ai-je demandé
cette loi interprétative ?
Pour réparer une injustice
que l’on fait aux Belges que vous avez appelés et qui ont répondu à l’appel de
la patrie, en déclarant qu’ils ont été privés de leurs droits civils et
politiques depuis qu’ils sont rentrés en Belgique jusqu’aujourd’hui. Voilà quel
sera l’effet de la loi que vous porterez.
D’après l’honorable M.
Fallon, comme d’après l’honorable M. Dumortier et un autre préopinant, vous
allez attaquer par votre loi les faits passés. Mais encore une fois, cette loi
interprétative ne touche pas aux droits acquis, ils subsistent dans leur
entier, quelle que soit votre décision ; elle ne peut pas leur porter
préjudice.
Une dernière observation.
N’en déplaise à M. le ministre de la justice, il ne m’est pas possible
d’entendre comme lui la condition dans laquelle vous allez placer les individus
de la catégorie qui fait l’objet du projet de loi depuis leur rentrée en Belgique
jusqu’à la publication de cette loi.
Je vous prie de faire
attention à une chose. M. Gendebien vous a très bien expliqué ses principes et
sa pensée.
Je prie ceux auxquels cette
opinion ne convient pas, au moins de laisser écouter les autres.
La loi qu’on vous propose
de faire aujourd’hui, à quoi équivaut-elle ? A une grande naturalisation que
vous accordez à une catégorie d’individus que vous déclarez virtuellement par
votre loi n’avoir pas la jouissance des droits civils ni des droits politiques,
puisque c’est seulement à dater de la publication de votre loi que vous allez
leur conférer la jouissance de ces droits. Quand vous déclarez dans une loi que
c’est seulement à dater de cette loi que l’individu jouira des droits civils et
politiques, comment est-il possible que les tribunaux viennent dire qu’il en a
joui auparavant, puisque votre loi ne lui confère cette jouissance qu’à dater
de sa publication ?
S’il était auparavant en
possession de cette jouissance, à quoi bon venir la lui conférer aujourd’hui par
une loi ? La question, dit-on, sera soumise aux tribunaux. Les tribunaux ne
sont pas liés par le vote de la chambre. Mais les tribunaux, s’ils ne sont pas
liés par votre vote, sont liés par les principes et par la raison. Lorsque
devant un tribunal une partie sera intéressée à soutenir que tel individu
n’était pas Belge, elle vous dira : La preuve qu’il n’était pas considéré comme
ayant la jouissance des droits civils et politiques est que c’est en vertu de
la loi rendue le 1er ou 15 septembre 1835 qu’il a acquis pour la première fois
en Belgique les droits civils et politiques. Quel tribunal sera assez absurde
pour répondre : Oui, il avait les droits civils et politiques ? Faudra-il aller
chercher si d’après l’erreur commune on a pu penser qu’il fût en jouissance dé
ses droits civils et politiques ?
On peut donc dire que vous
jetez la perturbation dans l’état des individus qui sont dans ce cas, et dans
la fortune de tous ceux qui ont été parties dans les actes auxquels ces
individus ont participé comme juges, comme arbitres, comme témoins, enfin en la
qualité que le gouvernement leur avait conférée. C’est une véritable injustice
que vous commettez à leur égard, car je regarde comme une injustice résultant
du projet de la section centrale, de regarder seulement maintenant comme Belges
ceux qui sont venus prendre la défense du pays. Ils ne se trouvent pas sous
l’application de l’art. 21, car ce n’est pas en vertu de l’art. 21, mais des
traités de la sainte-alliance qu’ils ont pris du service à l’étranger.
C’est pour réparer
cette injustice que je demande une loi d’interprétation ; et cette loi
d’interprétation n’affecte pas votre décision précédente.
J’ai entendu une autre
argumentation propre à toucher les jurisconsultes, les hommes de ma profession,
de la profession de plusieurs orateurs qui ont parlé dans cette discussion ; on
vous a dit : Une loi d’interprétation ne se demande que quand les tribunaux
font connaître par une divergence d’opinions s’ils ne sont pas d’accord sur une
question d’interprétation de la loi. C’est alors qu’on a recours à la
législature. En thèse générale cela est vrai. Mais ici il s’agit d’une question
politique, d’une question de droit public, soulevée par les débats sur
l’élection du général Nypels. Dans ce cas, je crois
que c’est à vous qu’il appartient de prendre l’initiative pour interpréter
cette loi.
Je ne dissimule pas ma
pensée. Je ne dirai pas que je ne veux pas précisément affecter votre décision
relativement à l’élection du général Nypels. Je
demande franchement une loi d’interprétation, et précisément à cause de la
décision que vous avez prise dans l’affaire de l’élection du général Nypels.
Je crois que les principes
développés par l’honorable M. Gendebien et moi peuvent lutter avec les
principes développés dans l’opinion contraire. Au reste, c’est à la chambre à
en juger.
M. Bosquet. - Tout en venant
appuyer l’amendement de l’honorable M. Nothomb, j’y viens proposer un léger
changement de rédaction, qui me paraît devoir le rendre plus clair.
M. Nothomb propose de dire
: « où qui ont rempli des fonctions publiques. » Il a dit que par ces
termes il entendait les fonctions que les Belges seuls peuvent remplir. Il n’en
est pas moins vrai que ces expressions sont vagues et peuvent donner lieu à des
difficultés ; on les éviterait en employant les termes de la constitution.
Quels sont ces termes ? L’art. 6 de la constitution porte :
« Les Belges sont égaux devant la loi ; seuls
ils sont admissibles aux emplois civils et militaires. » Je pense donc
qu’il faudrait dire « ou qui ont été admis à des emplois civils. » Je
propose cette modification à l’amendement de M. Nothomb.
M.
Nothomb. - Je me rallie à l’amendement de M. Bosquet.
M.
Dumortier. - Il m’importe assez peu quelle disposition on adoptera. Que
ce soit le projet de la commission ou celui de M. F. de Mérode qui prévale,
cela m’est indifférent. Je veux rendre la qualité de Belge aux personnes qui
sont dans le cas de l’art. 21 du code civil. Il m’importe peu par quels moyens,
mais ce qui ne m’est pas indifférent, c’est que la chambre se déjuge. C’est
pour la chambre une question de dignité.
M.
F. de Mérode. - Il ne s’agit pas de dignité, il s’agit d’intérêt
public.
M. Dumortier. -
Vous avez assez interrompu les orateurs dans cette séance. Veuillez ne pas
m’interrompre.
Encore une fois, la dignité
de cette assemblée ne m’est pas indifférente. La chambre a décidé, en
connaissance de cause, après deux jours de débats, que l’art. 21 du code civil
était applicable au général Nypels. Vous ne pouvez
décider le contraire maintenant.
Quant à moi je déclare que si la proposition était
adoptée dans ce sens, je me verrais obligé de votre contre, parce qu’elle
aurait pour conséquence de déclarer que le général Nypels
a été écarté de la chambre comme indigne.
(Réclamations.) Ce serait une nouvelle édition de ce qui
s’est passé à la chambre française, lorsqu’elle n’a pas voulu admettre Grégoire
et lorsqu’elle a expulsé Manuel de son sein. (Dénégations.)
Vous dites que la loi
d’interprétation doit avoir un effet rétroactif. Ainsi vous reconnaîtriez que
la chambre a eu tort en interprétant la loi comme elle l’a fait. Le sentiment
de la dignité de la chambre m’empêchera d’adhérer à une telle disposition. Un
corps aussi haut placé ne doit pas se déjuger au bout de quelques jours. Ce
serait se déconsidérer dans l’opinion
Adoptez tel système que
vous voudrez, j’y consens. Mais ne vous déjugez pas, car ce serait vous
déconsidérer.
M.
Gendebien. - Je ne reviendrai pas sur ce que vient de dire l’honorable M. Dumortier. J’ai dit plusieurs fois
et je répète qu’il ne s’agit pas de se mettre en contradiction avec une
décision précédente. J’ai fait remarquer hier comme aujourd’hui que nous avions
prononcé comme juges sur l’élection du général Nypels
; que nous avions décidé que, conformément à l’art. 21 du code civil, il
n’était pas éligible. Aujourd’hui, nous avons à prononcer comme législateurs,
pour faire cesser la loi que nous avons été obligés d’appliquer au général Nypels : c’est précisément parce que nous avons été obligés
de l’appliquer au général Nypels comme juges, que
comme législateurs nous devons la changer, afin de n’avoir plus à l’appliquer,
soit au général Nypels, soit à d’autres.
Voilà ce que l’on devrait
tâcher de réfuter, au lieu de répéter toujours la même chose.
Maintenant, je répondrai un
mot à ce qu’a dit M. le ministre de la justice. J’ai développé une théorie
conforme, selon moi aux vrais principes. J’ai demandé, si j’étais dans
l’erreur, qu’on me le démontrât. J’ai pensé, quand le ministre de la justice
s’était levé, qu’il allait lever mes doutes, et prouver que ma théorie n’était
pas fondée en principe. Mais non, il s’est borné à répondre que toute
difficulté disparaîtrait, attendu que les juges jugeraient d’après l’art. 21 du
code civil. Mais c’est précisément là la question. C’est précisément ce que
nous voulons éviter par une loi d’interprétation. Nous voulons éviter que les
juges soient appelés à juger d’après l’art. 21 ; car il est évident que les
juges jugeront alors, les uns dans un sens, les autres dans l’autre. De manière
que le ministre de la justice a résolu la question par la question.
J’ai dit que le doute sur le sens de l’art. 21, en
tant qu’il serait applicable ou non à des Belges ayant servi à l’étranger,
résultant de notre jugement à nous, chambre. J’ai dit que notre jugement sur
l’élection du général Nypels jetterait du doute sur
le sens dans lequel devra être appliqué l’art. 21. J’ai dit que votre loi
augmenterait encore les difficultés, puisque vous vous allez préjuger les
droits d’une catégorie de personnes, puisque, comme je l’ai dit avec
l’honorable M. Jullien vous reconnaissez la nécessite de donner des droits
politiques à des Belges, et que vous reconnaissez qu’ils n’avaient pas ces
droits auparavant.
Maintenant reste la
question de savoir s’il vaut mieux annuler tous les actes passés depuis 25 ans,
ou les légitimer. Il me semble que dans tout état de cause, que vous agissiez
uniquement comme législateurs, ou sous l’influence de ce que vous avez fait
comme juges, vous devez maintenir fermes et stables les volontés des contractants
et des testateurs, plutôt que d’annuler leurs volontés. C’est là une affaire de
pure forme. Il résultera de votre décision que la volonté d’un testateur au
testament duquel a assisté comme témoin un individu ne Belge sera maintenue on
annulée. Pour moi, je pense qu’annuler ces actes ce serait jeter la
perturbation dans les affaires. Je pense que vous devez maintenir la volonté
des parties contractantes, la volonté des testateurs.
Je n’en dirai pas
davantage. Je suis convaincu. Je regrette de ne pouvoir convaincre la chambre.
M. F. de Mérode.
- M. Gendebien a voté contre l’élection du général Nypels.
Par conséquent, s’il s’agit d’amour-propre, son amour-propre est engagé aussi
bien que celui de la chambre. Nous n’étions que 75. Nous aurions pu nous
trouver au nombre de 85, et par suite la question être résolue dans un autre
sens. Une question de personne n’est pas une loi. On mettra toujours moins
d’importance à une telle question qu’à une loi qui est d’intérêt général.
On a parlé de la dignité de
la chambre. Pour moi, la dignité consiste à bien faire. Toute autre dignité
m’est indifférente. (Aux voix ! aux voix
!)
M.
le président. - Je consulterai la chambre sur la question de savoir à quel
projet ou amendement il convient d’accorder la priorité.
M.
Gendebien. - Je demande la parole sur la position de la question.
D’après toute la
discussion, vous devez voir qu’il y a deux systèmes en présence : le système d’interprétation
et le système de naturalisation. Je crois que l’on simplifierait le vote si
l’on posait la question : « La chambre entend-elle ou non faire une loi
d’interprétation ? » Si la chambre ne veut pas faire une loi
d’interprétation, on votera sur les articles de la commission ; si on veut une
loi d’interprétation, on votera sur le projet de M. F. de Mérode et les
amendements qui s’y rattachent.
M.
le ministre de la justice (M. Ernst). - Il me semble qu’il vaut mieux
mettre aux voix le projet de la commission qui a le plus de chance d’être
adopté puisqu’il provient d’une émanation de la chambre.
M.
Gendebien. - Il faut vous prononcer sur ma proposition. Le projet de la
commission adopté, on élèvera un doute sur la question de savoir si on a voulu
oui ou non faire une loi interprétative. Il vaut donc mieux commencer par
décider cette question.
M.
de Behr. - Le projet de la commission n’est pas interprétatif ; pas un
seul juge ne prendra le change sur ce point.
M.
Fallon. - Il me semble qu’il faut observer le règlement. Le projet de
M. F. de Mérode est le projet principal. Celui de la commission n’est qu’un
amendement. Donc ce dernier projet doit avoir la préférence.
M.
Gendebien. - Il est impossible de considérer la proposition de la
commission comme un amendement. C’est un système tout différent de celui de M. F. de Mérode. L’adoption du premier
implique le rejet du second.
Je demande donc que l’on
mette aux voix la question que j’ai posée.
- La chambre consultée sur
la question de savoir si l’on mettra aux voix la proposition de M. Gendebien,
résout cette question négativement.
M.
le président. - Je vais mettre aux voix le projet de la commission,
ainsi que les amendements qui s’y rattachent : ce sont ceux de MM. Demonceau,
Bosquet et Verdussen.
- L’amendement de M.
Demonceau est mis aux voix et est (Erratum
intégré au même Moniteur :) rejeté.
L’amendement de M. Bosquet
auquel M. Nothomb s’est rallié, et l’amendement de M. Verdussen, sont
successivement mis aux voix et adoptés.
L’article premier du projet
de la commission avec ces amendements est adopté.
La disposition
additionnelle proposée par M. Gendebien à l’art. 1er est mise aux voix et (Erratum intégré au même Moniteur :)
rejetée.
Articles 2 à 5
« Art. 2. Les
personnes auxquelles s’applique l’article qui précède, devront déclarer que
leur intention est de jouir du bénéfice de la présente loi.
« Cette déclaration
devra être faite dans les six mois à compter du jour de la publication de la
présente loi, dans la forme et devant l’autorité déterminées par l’art. 133 de
la constitution. »
- Cet article est mis aux
voix et adopté.
« Art. 3. Sont
dispensés de cette déclaration les individus nés Belges, désignés dans l’art.
1er, qui seraient rentrés en Belgique avec l’autorisation du Roi et auraient
déjà fait la déclaration voulue par l’art. 18 du code civil. »
- Adopté sans discussion.
« Art. 4. Sont
exceptés de la disposition de l’art. 1er les individus nés Belges, restés après
le 1er août 1831 au service d’une puissance en guerre avec
- Adopté sans discussion.
« Art. 5. La présente
loi sera exécutoire le lendemain de sa promulgation. »
- Adopté sans discussion.
Second vote des articles et vote sur l’ensemble du projet
M.
le président. - La loi ayant été amendée, nous ne pouvons passer
immédiatement au second vote.
M.
le ministre de la justice (M. Ernst). - Déclarez l’urgence.
M.
Fallon. - On a présenté cette loi comme une loi d’urgence ; je crois
qu’il y a lieu à la voter définitivement sur-le-champ.
M.
Dumortier. - Si le sénat était assemblé, je partagerais l’avis de
l’honorable préopinant ; je crois qu’il faut respecter la règle dans le cas
actuel.
M.
Fallon. - Quoique le sénat ne soit pas assemblé, je crois qu’il faut
voter définitivement aujourd’hui. Je vois que nos bancs se dégarnissent, et je
crains que jeudi nous ne soyons pas en nombre pour délibérer.
M.
de Behr. - La loi a tellement un caractère d’urgence qu’on a inséré un
dernier article, par lequel elle est obligatoire le lendemain de sa
promulgation.
- La chambre consultée
décide que la loi est urgente.
En conséquence, il est fait
une seconde lecture des articles de la loi. Ils sont tous adoptés de nouveau,
mais cette fois sans discussion.
On procède à l’appel
nominai sur l’ensemble de la loi.
58 membres sont présents.
53 membres votent
l’adoption.
3 membres s’abstiennent de
prendre part à la délibération.
Ont voté l’adoption : MM.
Bekaert, Bosquet, Dequesne, Demonceau, de Behr, Keppenne, Andries, Stas de
Volder, de Muelenaere, de Nef, de Renesse, Dechamps, de Sécus, Desmanet, de
Terbecq, Vandenbossche, Manilius, d’Hoffschmidt, d’Huart, Donny, Dubois, Dubus,
Dumortier, Ernst, Frison, Hye-Hoys, Jadot, Legrelle,
Milcamps, Nothomb, Polfvliet, Quirini, A. Rodenbach, Schaetzen, Seron, Simons, Smits, Thienpont, Trentesaux,
Troye, Ullens, Vandenhove, Vanden Wiele, Venderbelen, Lejeune, Verdussen, Verrue-Lafrancq,
H. Vilain XIIII, C. Vuylsteke, Zoude, Raikem.
Se sont abstenus de voter :
MM. F. de Mérode, Gendebien, Jullien.
M.
F. de Mérode. - Je m’abstiens parce que je ne veux pas nuire à ceux
dont la position sera fixée par la loi, et que d’autre part, si la loi n’était
pas votée actuellement, peut-être en voterait-en une meilleure plus complète et
plus juste envers une foule d’individus qui sont exceptés du bénéfice de
celle-ci. Je suis grand partisan du juste milieu. Mais la justice mitoyenne de
l’amendement de MM. Nothomb et Bosquet ne m’a nullement satisfait.
M.
Gendebien. - Je me suis abstenu de voter à peu près pour les mêmes
motifs.
M.
Jullien. - Pour économiser le temps, je dirai que c’est aussi par les
mêmes raisons que je me suis abstenu de prendre part à la délibération.
- La séance est levée à
quatre heures et demie.