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Chambre des représentants de Belgique
Séance
du vendredi 28 août 1835
Sommaire
1) Pièce
adressée à la chambre
2)
Rapport de la commission chargée de l’examen de la question cotonnière (Manilius, Pirmez, de Jaegher, Gendebien, de Muelenaere, Lebeau, Desmet, Manilius, Legrelle, Lejeune, Dubus, Gendebien, de Muelenaere, Lardinois,
(+société cotonnière) (Rogier, de
Theux, Gendebien, Rogier, Smits, Lardinois, Desmet, Dumortier, de Theux))
3) Projet
de loi relatif au droit d’expulsion des étrangers. Caractère temporaire de la
loi (Pollénus, Demonceau, de Theux, Pollénus, Gendebien, de Theux) Débat
incident relatif au droit pour les ministres d’Etat d’être entendus quand ils
le demandent (F. de Mérode, Gendebien,
d’Huart, Liedts, de Theux, Gendebien, Lebeau, Gendebien, d’Huart), caractère temporaire de la loi (F. de Mérode, Dubus, Trentesaux, A. Rodenbach), (Ernst, Dumortier, Pirson, Dumortier, de Theux, Jullien, Dubus, (+décorés de la croix de fer) Milcamps,
(+décorés de la croix de fer) Liedts, Pirson,
(+prérogatives parlementaires) (d’Hoffschmidt, Fallon), de Brouckere, de Theux, (+décorés de la croix de fer) (Gendebien, de Jaegher, A. Rodenbach, Dumortier))
(Moniteur belge n°242, du 29 août 1835)
(Présidence de M. Raikem.)
M.
de Renesse procède à l’appel nominal à midi et demi.
M.
Schaetzen lit le procès-verbal ; la rédaction
en est adoptée.
M.
de Renesse lit l’analyse suivante des pièces suivantes envoyées à la
chambre.
PIECE ADRESSEE A
« Le sieur Lulgen (J.-M.), ci devant curé de Ching
(district d’Arlon), se plaint d’avoir été interdit par le capitulaire du
diocèse de Namur. »
- Renvoyé à la commission
des pétitions.
RAPPORT DE
M.
Zoude, organe d’une commission spéciale, chargée de l’examen de la
question relative à la fabrication des tissus de coton, demande la parole. Il
vient présenter le rapport et les conclusions de cette commission.
De toutes parts. - Déposez votre
rapport sur le bureau ! L’impression ! l’impression !
M. Manilius. - Je
demande à la chambre de vouloir bien mettre la discussion du rapport à l’ordre
du jour de mercredi. (Oui ! oui ! - Non !
non !)
M.
Pirmez. - Je ferai remarquer à la chambre qu’elle est
composée en grande partie de membres nouveaux qui n’ont pas encore pris
connaissance de la question. J’avais entendu parler de cette question, je me
suis procuré quelques documents ; on m’a remis des pièces fort volumineuses :
je n’ai pas eu le temps de les lire. Je voudrais qu’on me communiquât et que
l’on communiquât à mes collègues nouveaux comme moi, toutes les pièces, et
qu’on nous accordât le temps nécessaire pour les parcourir. Jusqu’ici nous
avons eu tant de choses à faire, qui m’a été impossible de m’occuper de cette
affaire. Il serait absurde d’exiger des membres nouveaux qu’ils se
prononçassent sur cette question dans quelques jours seulement ; ils ont besoin
d’un certain laps de temps.
M. de Jaegher. - M. Pirmez qui a
la bonté de prendre la défense des intérêts des nouveaux membres, demande un
délai assez long ; mais moi, qui suis au nombre de ces membres nouveaux, je
dirai que j’ai eu la précaution de me munir des pièces et de les examiner ;
presque tous nos collègues ont fait de même. La question est trop importante
pour qu’elle n’ait pas attiré l’attention de tous ceux qui composent cette
assemblée. J’appuie la proposition du renvoi de la discussion à mercredi.
M. Gendebien. -
Je crois que nous allons employer beaucoup de temps sans avancer l’époque de la
discussion de cette grave question ; pour empêcher toute perte de temps, je
demanderai que l’on suspende la motion qui a été faite jusqu’à ce que le
rapport soit imprimé et distribué. Le lendemain du jour où ce rapport aura été
distribué, nous examinerons s’il y a lieu à délibérer et quel jour. Quelles que
soient les exigences de l’industrie cotonnière, on ne peut nous forcer à
délibérer sur la fixation du jour d’une discussion, quand les éléments pour
ouvrir cette discussion nous manquent.
M.
le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Je crois que l’honorable
rapporteur de la section centrale pourrait nous dire combien il faudra de temps
pour imprimer la pièce qu’il nous présente, et la chambre, d’après cette
information, serait à même de fixer le jour de la discussion. Il est évident
que la question est de la plus haute importance, et la chambre en a reconnu
l’urgence dans une de ses sessions précédentes. Sur une proposition d’un député
de la Flandre orientale, la chambre a invité la commission de hâter son
travail. Le refus de s’occuper du rapport serait en quelque sorte un déni de
justice. En fixant le jour de la discussion à mercredi ou jeudi, tout le monde
aura le temps de se préparer.
M. Gendebien. - J’ai fait une motion
d’ordre, je demande qu’on la mette aux voix. Il faut éviter une discussion
inutile ; plusieurs membres se disposent à partir. Si la chambre décide que le
lendemain du jour de la discussion du rapport on déterminera l’époque où ce
rapport sera mis en discussion, nous aurons par ce moyen les éléments nécessaires
pour nous guider dans notre détermination. Je ne veux pas empêcher la
discussion de la question cotonnière mais je veux gagner du temps aujourd’hui.
M.
Zoude, rapporteur. - Je pourrai satisfaire aux demandes de MM. de Muelenaere
et Gendebien, en les assurant que dimanche le rapport sera imprimé et
distribué.
M.
Lebeau. - Eh bien, on discutera lundi.
M. Desmet. - Je
demande la parole pour appuyer la motion de l’honorable ministre des affaires
étrangères, qui tend à donner suite à la proposition faite par le député de
Gand pour fixer dès à présent le jour que le projet de loi sur la question
cotonnière sera mis en discussion, car je ne puis voir aucune utilité d’adopter
la motion faite par l’honorable M. Gendebien d’attendre jusqu’à la distribution
du rapport de la section centrale pour fixer ce jour, parce que je pense que ce
rapport ne vous apprendra rien de nouveau sur une question qui déjà à diverses
reprises a été traitée dans les rapports auxquels elle a donné lieu et que
celui qu’on vient de déposer ne vous donne pas plus de renseignements.
Mais, j’ose vous prier,
messieurs, d’aller une fois au fait et d’entamer la discussion d’un objet de si
haute importance pour le pays et de ne pas toujours l’ajourner, car vous ne
pouvez douter combien de mille ouvriers sont dépendants de l’industrie
cotonnière, et vous ne pouvez non plus douter jusqu’à quel point elle est en
souffrance, et que si vous ne venez point à son secours, elle devra succomber.
Je vous invite donc, messieurs, à fixer le jour dès à présent, et faisons
sortir de cette cruelle incertitude où nous les avons laissés depuis trois ans
et plus, et les ouvriers et les fabricants de coton.
M. Manilius. - M. Gendebien invoque la perte du
temps ; nous, nous invoquerons une perte bien plus considérable, c’est celle de
notre industrie, de notre avenir ; et tout le monde a intérêt à obtenir et à
connaître la décision que la chambre doit prendre.
M. Legrelle. - Messieurs, à moins que
d’intervertir l’ordre que vous avez établi pour vos travaux, vous ne pouvez
faire autrement que d’adopter la motion faite par M. Gendebien. Vous avez mis à l’ordre du jour les lois sur la
naturalisation et d’antres lois, vous ne pouvez revenir sur votre décision.
M. Lejeune. - Je demanderai
qu’on fixe la discussion du rapport déposé par M. Zoude, après la délibération
sur la loi relative à la naturalisation ; rien n’empêche qu’on n’adopte cet
ordre.
M.
Dubus. - J’appuie la motion d’ordre faite par M. Gendebien. La chambre, avant de se fixer sur cette question
importante, celle de savoir quand on ouvrira la discussion sur les exigences de
l’industrie cotonnière, doit avoir le temps d’examiner tous les documents.
D’ailleurs, aux termes du
règlement, il faut trois jours entre la distribution d’un rapport et sa
discussion : ira-t-on s’écarter du règlement dans une circonstance où l’on
assure que tout l’avenir d’une industrie est renfermé ? S’il en est ainsi,
c’est une raison de plus pour que la loi soit méditée. Il faut donc donner le
temps de lire et d’étudier les nombreux documents qui sont relatifs à
l’industrie cotonnière, afin que les députés puissent se prononcer en
connaissance de cause.
M. Gendebien. -
Je dois répondre à M. Manilius.
Il semblerait d’après ce qu’a dit cet honorable membre que je fermerais
l’oreille aux réclamations de l’industrie cotonnière ; point du tout. Je suis
disposé à appuyer toute industrie, quelle qu’elle soit. Mais dans le cas dont
il s’agit, relativement à la question cotonnière je n’ai pas lu toutes les
pièces, et je ne puis rien préjuger.
M.
le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Je suis
d’accord avec M. Dubus. Si j’ai
demandé que la discussion s’ouvrît mercredi ou jeudi, c’est parce que je savais
que l’impression et la distribution du rapport serait faite dimanche prochain.
Je consentirai volontiers à ce que la discussion ne s’ouvre que trois jours
après la distribution du rapport.
M.
Lardinois. - Je viens également appuyer la motion d’ordre faite par M. Gendebien. Avant de fixer le jour
de l’ouverture de la discussion sur la question cotonnière, il faut connaître
le système adopté par la section centrale. Si je suis bien informé, ce système
ne tend à rien moins qu’au monopole…
M.
le président. - Il ne s’agit pas du fond !
M.
Lardinois. - La question est très grave ; avant d’en ouvrir la
discussion, je demande que tous les membres de la chambre soient convoqués par
lettres. Il ne faut pas qu’on enlève par surprise une résolution sur un objet
aussi important ; je veux que toute la chambre soit présente.
- La proposition de
M. Gendebien mise aux voix est adoptée
M. Rogier (pour une
motion d’ordre). - Je demanderai si le ministre de l’intérieur se propose de
publier de nouveaux documents relatifs à la question cotonnière. Il nous a fait
distribuer quelques pages ; mais il est en mesure de fournir d’autres pièces.
Il faudrait que nous ayons le complément des documents. Par exemple, j’ai déjà
demandé si l’on donnerait des renseignements sur les opérations de la société
cotonnière qui s’est faite à Gand dans le but de soulager l’industrie de cette
ville.
Cette société doit rendre
des comptes au gouvernement, puisqu’elle en a reçu une avance de 350,000 fr. Il
faut savoir si elle a été réellement utile à l’industrie cotonnière.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux).
- On s’est empressé dans mon département de recueillir et de communiquer à la
chambre tous les documents relatifs à l’industrie dont il s’agit. Quant aux
opérations de la société de commerce, je ferai observer qu’elles ne pourraient
avoir d’effet sur la discussion à laquelle nous allons nous livrer ; elles ne
sont pas assez importantes pour cela.
M.
Gendebien. - La réponse du ministre me parait
insignifiante, et plus qu’insignifiante. A deux reprises différentes, j’ai
demandé que le gouvernement nous donnât tous les renseignements relatifs à
cette grave question ; le ministre a pris l’engagement formel de les faire
publier. A quoi sert le bureau de statistique, si ce n’est pour nous procurer
des renseignements sur tous les objets d’intérêt matériel dont nous devons nous
occuper ? Je suis étonné que le gouvernement n’ait tenu aucun compte de mes
demandes et de ses promesses. Il n’est pas trop tard pour qu’il remplisse ses
promesses, et j’appuie la proposition de M. Rogier.
M.
Rogier. - Il est possible que dans l’opinion du ministre de
l’intérieur, les opérations de la société cotonnière soient peu importantes ;
mais il faudrait que la chambre pût être persuadée de ce peu d’importance.
L’industrie cotonnière se
plaint de ce que la révolution lui a enlevé le débouché de Batavia ; une
société a été établie afin de faire des tentatives pour procurer d’autres
débouchés à cette industrie, elle existe depuis deux ans. Il s’agit de savoir
si elle a réussi dans ses entreprises ; quels sont les résultats de ses
opérations. Nous pourrons tirer d’utiles renseignements dans les documents que
l’on nous transmettra à cet égard. Je demande donc que l’on nous fasse
connaître les résultats des opérations de la société de commerce de Gand.
M.
Smits. - Dans une des précédentes séances, quand il s’est agi de l’industrie
cotonnière, M. Rogier a posé plusieurs questions, et le gouvernement s’est
empressé d’y répondre. Maintenant un rapport vous est présenté ; lorsqu’on le
discutera, on verra si de nouveaux documents sont nécessaires, et le ministre
de l’intérieur s’empressera encore de les communiquer à la chambre.
Quant à la société cotonnière de Gand, le
gouvernement ne connaît pas positivement le résultat de ses tentatives. La
raison en est simple, c’est que les expéditions qu’elle a faites ont été
dirigées sur les Indes orientales, Valparaiso et le Chili.
M.
Rogier. - Messieurs, si la discussion sur la question cotonnière est
retardée faute de documents, je ferai remarquer que le retard ne peut nous être
imputé. Je demande communication de tous les renseignements possibles. Il
serait utile de savoir, par exemple, combien de tissus la société a expédiés.
Depuis deux ans il y a nécessairement des opérations consommées. Si je suis
bien informé, on prétend que les tentatives ont bien marché. Plusieurs
fabricants ont pris une part dans l’association cotonnière ; ils ont bien voulu
profiter d’un avantage de 15 p. c. que leur offrait le gouvernement ; d’autres
n’y ont pas pris part. Il faut avoir des détails sur tous ces points et sur
beaucoup d’autres.
M.
Lardinois. - Les réponses de M. le ministre de l’intérieur et de M.
Smits n’ont pour but que d’éluder les questions posées par M. Rogier. Je voudrais que le
gouvernement déposât sur le bureau le contrat de la société de Gand, pour
savoir quelle part il y a prise. On pourra voir si la somme de 350,000 fr.
fournie par le gouvernement, en garantie, est déjà absorbée. Les documents que
nous demandons nous éclaireront et montreront que les privilèges accordés à
l’industrie, loin de lui être favorables, lui sont mortels.
M. Desmet. - Je
dois cependant faire quelques observations sur ce que vient d’avancer
l’honorable député de Verviers, que l’industrie cotonnière a reçu du
gouvernement un secours pécuniaire pour que la fabrication du coton puisse
continuer ; c’est inexact de dire que l’industrie cotonnière du pays ait reçu
un secours pécuniaire ; ce ne sont seulement que quelques fabricants de Gand et
en très petit nombre qui ont touché ce secours, et la grande majorité des
fabricants l’ont repoussé de toute leur force et dans l’instant même que le
ministère d’alors leur avait offert, en répondant qu’une seule protection était
possible pour venir au secours de leur industrie, c’était celle par laquelle on
arrêterait l’introduction dans le pays des fabricats étrangers. Je crois
d’ailleurs que M. le ministre de l’intérieur pourra facilement, et dès le jour
que la chambre le désirera, nous faire un rapport sur le résultat qu’a obtenu
l’industrie cotonnière des 350,000 francs que le gouvernement a prêtés à
quelques fabricants de coton, et je crois même pouvoir prédire que ce rapport
ne sera pas très brillant, et que le résultat qu’il nous apprendra de ce petit
essai du million Merlin sera tel que le grand nombre des fabricants et beaucoup
avec eux l’ont toujours prévu.
M.
Dumortier. - Le gouvernement communiquera-t-il, oui ou non, ces
documents ? M. Roger a fait observer, avec raison, que la réponse du ministre
de l’intérieur pouvait exprimer ses convictions personnelles, mais que les
membres de cette assemblée auraient probablement convictions, si les pièces leur étaient soumises. Ces
pièces sont donc importantes.
Si on ne nous met pas à même
de juger d’après des documents, le jour de la discussion venu, nous demanderons
l’ajournement du débat. Je crois que les questions de cette importance ne
doivent pas se juger du jour au lendemain, il s’agit d’une question qui met en
présence les fabricants et les boutiquiers. Il ne faut pas se presser dans un
pareil état de choses.
Si je suis bien informé,
les conclusions de la commission seraient la prohibition, le droit
d’estampille... (Bruit.) Ne
m’interrompez pas, messieurs !
M.
le président. - Vous ne pouvez parler que sur la fixation du jour de la
discussion.
M.
Dumortier. - C’est justement sur la fixation du jour de la discussion
que je parle : il faut savoir quelles pièces nous seront fournies, afin de
connaître si nous serons en état de discuter. Si les amateurs de prohibitions
ne m’avaient pas interrompu, j’aurais fini depuis longtemps. Je dis qu’il
s’agit des intérêts d’une centaine de fabricants, en opposition avec les
intérêts de plusieurs milliers de détaillants....
M. Gendebien. - Dites : mis en opposition avec
les intérêts de quatre millions de consommateurs.
M.
Dumortier. - Je demande que la section centrale soit invitée à déposer
sur le bureau tous les documents qui lui ont été soumis. A la commission
d’industrie, on nous avait présenté beaucoup d’échantillons de tissus, beaucoup
de pièces à conviction ; il faut que ces échantillons soient déposés dans une
de nos salles...
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux).
- J’ai déjà eu l’honneur de dire à la chambre que les communications que je
pourrais faire relativement aux opérations de la société cotonnière de Gand ne
jetteraient aucun jour sur la discussion qui doit s’ouvrir prochainement.
Si veut avoir le contrat
qui a été passé par mon prédécesseur avec la société cotonnière, je n’y vois
pas d’inconvénient. Des expéditions ont été tentées par elle sur Java ; mais
tout le monde connaît les mesures désastreuses prises par les Hollandais contre
ces essais, en sorte que nous n’avons guère que des désastres à vous apprendre
en vous présentant le tableau des opérations de la société.
M. A. Rodenbach se lève pour
parler. Le bruit empêche cet honorable membre de se faire entendre.
PROJET DE LOI RELATIF AUX
DROIT D’EXPULSION DES ETRANGERS
Discussion générale
Proposition visant à rendre la loi temporaire
M.
le président. - M. Pollénus vient de déposer la proposition suivante :
« Je demande qu’avant de passer à la discussion des articles, la chambre
décide si la loi sera temporaire. »
M. Pollénus a la parole
pour développer sa proposition.
M.
Pollénus. - Je n’ai que peu de mots à dire pour motiver la proposition
que j’ai l’honneur de soumettre à la chambre.
Le vote d’un grand nombre
d’entre nous dépendra du caractère que la chambre donnera à la loi qui est en
discussion. Pour moi, je déclare que je repousserai la loi et chacun des
articles qui la composent, s’il n’est décidé avant tout que la loi sera
temporaire, parce que je ne puis consacrer dans une loi durable le vague et qui
règnent dans celle qu’on vous propose, ce qui, à mon avis, ne peut être
justifié que par des besoins dont le caractère est essentiellement temporaire.
Enfin c’est une loi
d’exception nécessitée par des circonstances extraordinaires qui, suivant moi,
ne doit jamais survivre aux causes qui la font naître.
On nous a exposé dans la
séance d’hier comme quoi les intérêts matériels sont intimement lies aux
mesures d’ordre. Je n’en ai jamais douté ; mais ici il s’agit de tout autre
chose que des intérêts matériels. Pour moi, je considère la loi comme une
mesure de salut public, dont on peut puiser les motifs dans la tourmente
républicaine qui agite un pays voisin. Je ne vois pas d’autre motif au projet
de loi qui vous est soumis. C’est le complément de mesures d’ordre pour
C’est une loi de confiance
que nous vous demandons, disent les ministres. Soit, je suis prêt à voter cette
loi de confiance, mais ma confiance sera limitée au temps pendant lequel je
puis raisonnablement croire nécessaire de l’accorder. Cette tourmente
républicaine dont je viens de parler, on peut avec raison penser qu’elle est
arrivée à la période de crise, et je crois que l’époque à laquelle un honorable
membre, dans la séance d’hier, a proposé de fixer le terme de la loi, est suffisant pour satisfaire aux besoins dont le gouvernement
nous a entretenus, ou plutôt aux besoins dans lesquels on puise les véritables
motifs de la loi.
C’est donc comme loi
d’exception et même comme loi de confiance que je l’adopterai. Mais cette loi
de confiance, comme la confiance elle-même, doit avoir de justes bornes. On
peut accorder sa confiance à un ministère, mais, comme vous l’a rappelé hier un
honorable membre, les ministres ne sont pas inamovibles, et de leur amovibilité
je tirerai une autre conclusion que cet honorable membre ; je dirai que puisque
le cabinet est amovible, il faut que la confiance qu’on lui accorde soit
limitée.
J’ai à répondre à une
observation qu’a fait valoir l’honorable M. Fallon contre le caractère
temporaire que la section centrale proposait de donner à la loi.
L’honorable membre a posé
ce dilemme : on la loi est bonne ou elle est mauvaise. SI elle est bonne, il
faut l’adopter. Si elle est mauvaise, il faut la rejeter.
Messieurs, il est souvent très
difficile de discerner si une loi sera bonne ou si elle sera mauvaise. Je crois
même qu’ici il y a impossibilité de prévoir si la loi produira ou non les
résultats qu’on en attend ; cela dépend de l’application de la loi, qui est
entièrement abandonnée à l’arbitrage du gouvernement.
Il y a donc doute. Or, lorsque plusieurs systèmes
sont en présence et que l’expérience d’aucun n’est démontrée, que doit faire la
chambre ? Ce qu’elle a fait pour la formation du jury d’examen. On aurait pu
dire alors aussi : Ou le système qu’on nous présente est bon ou il est mauvais.
S’il est bon, adoptez-le définitivement ; s’il est mauvais, rejetez-le. Mais la
chambre, en présence des systèmes qui lui étaient proposés, a fait un appel à
l’expérience. Je propose à la chambre de suivre ici ce précédent, de faire
aussi un appel à l’expérience ; il y a ici un motif de plus, c’est qu’en
accordant au gouvernement un droit aussi exorbitant que celui qu’il demande, il
est nécessaire de le limiter.
Je crois, messieurs, en
avoir dit assez pour justifier une proposition qui me paraît rentrer dans
l’opinion de plusieurs des membres qui ont pris part à la discussion générale ;
il suffit que ces membres aient exprimé que leur vote sur le fond dépendrait de
la disposition qui décidera si la loi sera temporaire ou non, pour qu’on décide
d’abord cette question.
Je l’ai déjà déclaré, quant
à moi, mon vote sur la loi et ses divers articles dépendra de la solution que
la chambre donnera à cette question.
M. Demonceau. - Je viens
appuyer la proposition de M. Pollénus.
Messieurs, j’ai fait partie
de la section qui, comme vous le savez, a repoussé la loi telle qu’elle est
proposée par le gouvernement. Cependant je dirai que si la loi est temporaire,
je crois que je l’admettrai, me réservant de choisir, entre tous les systèmes
proposés, celui qui donnerait au gouvernement l’appui dont il a besoin, sans
que les étrangers puissent à bon droit s’en plaindre.
J’ai réfléchi beaucoup sur
toutes les propositions qui ont été faites, et je suis reste convaincu qu’il
n’y a pas possibilité de faire une loi sur les étrangers, sans consacrer
l’arbitraire. J’ai d’abord porté mon attention sur le système proposé par
l’honorable M. Fallon, et j’ai trouvé que ce système était le même que celui
proposé par la section centrale, avec cette différence qu’il présente moins de
garanties aux étrangers, car il met la responsabilité dans la chambre, au lieu
de la placer dans le ministère. Voilà quelle est mon opinion sur ce système.
Quant à celui de M. Liedts,
ii place le pouvoir judiciaire dans une position où je ne voudrais jamais le
voir. Le pouvoir judiciaire doit conserver toute son indépendance. Il faut
surtout qu’aucun prétexte ne puisse porter atteinte à cette indépendance. Et
lorsqu’on verra une chambre du conseil décider que tel ou tel sera expulsé, ne
pouvez-vous pas craindre que l’on soupçonne les juges d’avoir cédé à l’espoir
d’obtenir de l’avancement ? Pour moi je le crains.
Ensuite que fera-t-on de
l’étranger pendant qu’on instruira la demande d’expulsion adressée à la chambre
du conseil ? Le gouvernement pourra-t-il le faire arrêter provisoirement ? Mais
alors les étrangers ne seront pas à l’abri de ce premier moyen qu’aura le
gouvernement de se débarrasser d’eux.
Une chose qui n’est pas
prévue par le système de M. Liedts, c’est si les décisions de la chambre du
conseil seront sujettes à appel. Selon moi, ce serait de toute justice.
Je vois ici le pouvoir
judiciaire mêlé à des poursuites qui ne doivent pas lui être attribuées, et
encore une fois le pouvoir à l’abri de toute responsabilité.
Maintenant, si je considère
de combien de manières on peut troubler l’ordre et la tranquillité publique, je
ne vois pas la possibilité de spécifier les faits pour lesquels un étranger
pourra être expulsé, car on peut troubler la tranquillité publique par tant de
moyens, de tant de manières, que précisément le cas que vous n’aurez pas prévu
sera celui qui compromettra le plus gravement la tranquillité publique.
Je ne conçois pas pourquoi
le gouvernement ne consent pas à ce que la loi soit temporaire.
M. le ministre des
affaires étrangères vous a dit hier qu’une loi de cette espèce était une loi de
circonstance, une loi de confiance. Je veux bien accorder ma confiance au
gouvernement, mais à la condition que l’on puisse voir s’il n’en abuse pas.
C’est pourquoi j’appuie la proposition faite par M. Pollénus de décider d’abord
la question de savoir si la loi sera temporaire. Si elle est temporaire, je
voterai pour les dispositions qui donneront lieu au moins d’arbitraire possible
; mais si elle est définitive, je persisterai à la repousser, car tout ce qu’on
a dit hier n’a pas changé ma conviction.
- La chambre, consultée,
décide qu’elle s’occupera d’abord de la question de savoir si la loi sera
temporaire ou perpétuelle.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux).
- Les honorables préopinants ont demande si la loi serait temporaire ou
perpétuelle. Il me semble que pour résoudre cette question, il faut se demander
si cette loi sera toujours nécessaire ou si elle n’est nécessaire qu’à cause
des circonstances présentes. Pour moi, je pense qu’une loi sur les étrangers
sera toujours nécessaire en Belgique, et pour avoir cette opinion, il suffit de
considérer que la Belgique est placée au milieu de plusieurs Etats
continentaux, que c’est un pays d’une étroite circonscription et qui peut être
facilement entraîné dans des mouvements préjudiciables à la sûreté de l’Etat.
Dès lors, je n’hésite pas à penser qu’il est de l’intérêt de l’Etat que la loi
soit perpétuelle.
C’est une loi de sûreté de
l’Etat. La sûreté de l’Etat doit-elle être toujours maintenue ? Evidemment oui.
La sûreté de l’Etat pourra-t-elle toujours être compromise par l’admission
indéfinie des étrangers et par le défaut de moyen de se débarrasser de ceux qui
cherchent à compromettre sa sûreté ? Je n’hésite pas à dire encore que oui.
Mais, dit-on, c’est une loi
de confiance. Je dirai, messieurs, qu’une infinité de lois perpétuelles,
supposent la confiance dans le ministère chargé de les exécuter. Je dirai
d’ailleurs que si un ministère vient à perdre la confiance des chambres, il y a
des remèdes extrêmement faciles établis largement dans la constitution.
Du moment qu’un ministère
abuserait d’une loi quelconque de manière à perdre la confiance des chambres et
du pays, dès ce moment, ce ministère ne peut plus subsister ; dès lors, il est
inutile de stipuler un terme à la durée de la loi, sous prétexte qu’il pourrait
arriver une époque où un ministère quelconque en abuserait. Il y a une foule de
cas où le ministère peut abuser de dispositions perpétuelles. Ces cas se
présentent assez facilement à l’esprit pour qu’il ne soit pas nécessaire de les
énumérer. Mais je dirai que tous les ans les chambres sont appelées à émettre des
votes desquels dépend l’existence d’un ministère ; vous avez le budget et
d’autres dispositions dont le rejet entraîne la chute d’un ministère quel qu’il
soit. N’avez-vous pas là un moyen annuel de réprimer les abus qui pourraient
être commis ? Sous ce rapport donc, messieurs, je ne conçois réellement pas de
motifs solides pour que l’on rende la loi temporaire.
Dira-t-on que la loi sera
constitutionnelle par cela seul qu’elle est temporaire ? Je répondrai non, cela
ne change rien à la constitutionnalité de la loi. Les deux honorables
préopinants eux-mêmes sont convenus que la loi renfermait la seule garantie que
comporte la matière ; dès lors la loi est évidemment constitutionnelle, parce
que jamais la constitution n’a voulu obliger les chambres à voter des lois
inexécutables, inefficaces.
Quand la constitution a déterminé qu’une loi
établirait des exceptions à l’égard des étrangers en ce qui concerne
l’expulsion, elle n’a pas supposé que cette loi sera
temporaire, elle ne le dit pas, elle ne s’en exprime pas. Or, il est de la
nature d’une loi d’être perpétuelle ; dès que la constitution a renvoyé à une
loi sans dire que cette loi sera temporaire, elle est censée avoir renvoyé à
une loi perpétuelle, car en général une loi est perpétuelle de sa nature.
Je crois pouvoir m’arrêter
à ces courtes réflexions, qui me paraissent suffisantes pour démontrer qu’on ne
doit pas donner un caractère temporaire à la loi que nous discutons.
M.
Pollénus. - M. le ministre de l’intérieur vient de vous dire qu’une loi
sur les étrangers sera toujours nécessaire parce qu’il faudra toujours que la
tranquillité publique soit assurée.
Je ne me trouve pas à même
d’entrer dans une discussion approfondie sur cette question ; je me bornerai à
quelques observations.
Sans doute la tranquillité
publique doit toujours être assurée ; mais doit-elle l’être toujours par des
lois d’exception ? C’est, selon moi, une grave question. M. le ministre, est-il
prouvé que les mesures d’ordre intérieur qui existent sont insuffisantes ? est-il prouvé que ces moyens d’ordre ne peuvent pas recevoir
de développements utiles ? A cette occasion, je voudrais attirer l’attention de
la chambre sur un objet sur lequel vous entretint déjà à la dernière session
l’honorable M. Dellafaille. Je veux parler du droit
de grâce et de l’abus qu’on en peut faire, car l’exercice fréquent du droit de
grâce paralyse l’action des tribunaux.
Je déclare que j’appelle de
tous mes vœux une loi qui régulariserait ce droit, qui n’a d’autre limite, que
la volonté du gouvernement.
Plusieurs membres. - C’est une
prérogative royale, c’est un droit que le Roi tient de la constitution.
M.
Pollénus. - Le meilleur moyen de conserver une prérogative comme le
droit de grâce, c’est de la régulariser.
Plusieurs voix. - On ne peut pas
toucher à une prérogative.
M.
Pollénus. - Répondez-moi quand j’aurai fini, mais ne m’interrompez pas.
Il est de la nature des lois,
vous a dit M. le ministre, qu’elles soient durables. Je ne suis pas entièrement
d’accord sur ce point avec M. le ministre de l’intérieur. Pour les lois
ordinaires, oui, il est de leur nature d’être durables, perpétuelles. Mais
l’idée que je me forme des lois d’exception est tout autre. Je pense qu’elles
sont essentiellement temporaires, parce qu’elles sont fondées sur des besoins
spéciaux du moment. J’en ai toujours conclu qu’il fallait faire une grande
distinction entre les lois ordinaires et les lois exceptionnelles. Les
premières doivent être durables et les autres sont essentiellement temporaires.
On dit : Mais si le
gouvernement abuse du droit illimité qu’il vient vous demander, il n’est pas
nécessaire de stipuler dans la loi qu’elle n’aura qu’un effet temporaire, parce
que tous les ans, lors de la discussion du budget, la chambre règle son compte
avec le ministère et peut lui retirer sa confiance par un refus de subsides.
Je vous demande si en présence des besoins des
différentes administrations, lorsqu’on vous présente le budget au dernier
moment, vous irez recourir à ce moyen extrême pour un fait isolé ? Non
certainement, car plusieurs fois la chambre a signalé des abus et jamais elle
n’a employé ce moyen pour les faire cesser. L’expérience de tous les précédents
budgets est là.
Je crois donc que quand il
s’agit d’accorder au gouvernement un droit exorbitant, de voter une loi de
confiance, la confiance doit être limitée.
M. le ministre de
l’intérieur n’a donc répondu directement à aucun des moyens que j’avais fait
valoir, non plus qu’à ceux présentes par l’honorable M. Demonceau.
Les motifs dont j’ai appuyé
ma proposition, restent donc entièrement debout.
M.
Gendebien. - Je suis de l’avis de M. le ministre de l’intérieur. Je
regrette qu’il ne soit pas présent, car c’est une bonne fortune qui arrive si
rarement que je crois qu’il en serait satisfait. Il vous a dit que donner à la
loi un caractère temporaire ne changeait rien à la constitutionnalité ou à
l’inconstitutionnalité de la loi. Il vous a dit que si la loi proposée
indéfiniment et devant avoir une durée perpétuelle était inconstitutionnelle,
elle le serait également si elle n’avait qu’une durée de trois ans. Je suis
parfaitement de l’avis du ministre, et le ministre pour cette fois, je vous
prie de le remarquer, car le fait est très rare, le ministre, dis-je, est
d’accord avec la constitution. Car l’art. 130 de la constitution porte :
« La constitution ne peut être suspendue en tout ni en partie. »
Si dans aucun cas vous ne
pouvez suspendre la constitution en tout ou en partie, vous ne pouvez pas plus
la suspendre pour trois ans que pour toujours.
Maintenant, je ne suis plus
d’accord avec lui et je n’en suis pas fâché. Il vous a dit que les lois sont
perpétuelles de leur nature. Oui, messieurs, les lois doivent avoir le
caractère de perpétuité ; c’est la règle générale. Mais ici vous n’êtes pas
dans la règle générale, car il s’agit d’une loi d’exception. Dès lors, vous
voyez que le principe que vous invoquez n’est pas applicable. En effet, tous
les ministres successivement sont venus vous dire que c’était une loi de
confiance qu’on vous demandait. M. le ministre d’état de Mérode lui-même est
venu vous le dire.
M.
F. de Mérode. - Je n’ai pas dit cela !
M.
Gendebien. - Soit pour cette fois, M. de Mérode n’est pas d’accord avec
ses collègues. Mais trois ministres ont dit que c’était une marque de haute
confiance qu’ils réclamaient. Je vous demandé si la confiance est perpétuelle
de sa nature. Je ne dis pas que j’ai confiance dans le ministère ; mais je
suppose que j’aie confiance dans ce ministère, est-ce que je puis avoir
confiance dans le ministère qui peut arriver demain ? est-ce
que je puis avoir confiance dans des hommes que je ne connais pas et quel est
le député consciencieux qui pourrait prendre l’engagement d’avoir à perpétuité
confiance dans le ministère ? Ce serait inféoder sa conscience au banc
ministériel, sans savoir qui pourrait y arriver. C’est précisément pour cela
que le seul caractère à donner à la loi est un caractère temporaire.
Maintenant puis-je avoir
confiance, et quelle confiance voulez-vous que j’aie dans le ministère actuel,
quand je le vois invoquer des lois tombées dans l’oubli depuis longtemps et qui
n’ont nullement été faites pour le cas auquel il les applique ? Par exemple,
hier le ministre est venu d’une manière triomphante vous dire que la
justification de l’expulsion de l’honorable M. Guinard
était facile...
M. le ministre de l’intérieur
fait un signe affirmatif. Si telle est sa conviction, je désire qu’il puisse me
la faire partager, mais je doute qu’il y parvienne.
Le ministre vous a dit : Ce
n’est pas en vertu de la loi de l’an VI que M. Guinard
a été expulsé, c’est en vertu du droit public, de la loi du 25 messidor an III,
articles 5 et 9.
Eh bien, lisez cette loi,
vous verrez qu’elle a été faite uniquement contre les étrangers appartenant à
une nation en guerre avec
Mais cette loi était une
loi d’exception contre les étrangers appartenant à une nation en guerre avec
Voici comment est conçue la
loi invoquée par M. le ministre de l’intérieur :
« La convention nationale,
etc.
« Art. 1er. Tous les
étrangers nés dans les pays avec lesquels la république française est en
guerre, venus en France depuis le 1e janvier 1792, sont tenus d’en
sortir. »
Vous voyez, messieurs,
qu’il ne s’agit que des étrangers en guerre avec
Voici l’article 5.
« Les dispositions des articles précédents seront appliquées aux étrangers
qui se prétendant nés dans les pays alliés et neutres, ne seront pas reconnus
et avoués par leurs ambassadeurs et agents respectifs. »
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux).
- Lisez l’art. 9.
M.
Gendebien. - J’arriverai à cet art. 9, ne soyez pas aussi pressé. Les
dispositions des articles précédents sont relatives aux étrangers appartenant à
des pays en guerre avec
Sommes-nous en guerre avec
Voilà tout ce que veut dire
cet article. L’on ne veut pas que des étrangers appartenant à un pays en guerre
avec
Interprétez l’article
autrement, vous n’aurez plus besoin de loi d’expulsion. Il ne manque dans le
corps diplomatique qu’un représentant de
Avant d’arriver à l’art. 9,
que M. le ministre attend avec tant d’impatience, il me permettra de citer
l’art. 6 :
« Pourront rester en
France,
1° Les étrangers nés dans
les pays avec lesquels la république est en guerre, venus en France avant le
1er janvier 1792, pourvu qu’ils aient un domicile connu, ou qu’ils soient
garantis par quatre citoyens français, domiciliés et connus par leur
patriotisme et leur probité. »
En supposant que nous
eussions été en guerre avec
J’arrive enfin à l’art. 9 :
« Tout étranger à son
arrivée dans un port de mer, ou dans une commune-frontière de la république, se
présentera à la municipalité. Il déposera son passeport, qui sera envoyé de
suite au comité de sûreté générale pour être visé. Il demeurera en attendant
sous la surveillance de la municipalité, qui lui donnera une carte de sûreté
provisoire, énonciative de la surveillance. »
Quelle conséquence
voulez-vous tirer de cet article 9 ? Est-ce qu’il donne la faculté d’expulser
l’étranger ? Non ; ce n’est pas là qu’elle se trouve. Elle existe dans les
articles précédents. L’article 9 est un simple article indicatif de la marche à
suivre par l’étranger pour obtenir un passeport,
Maintenant, je répondrai à
une accusation fort grave que M. le ministre s’est
permise à l’égard de l’administration municipale de Charleroy.
M.
le président. - Je prie M. Gendebien de se renfermer dans la question.
M.
Gendebien. - Je suis dans la question. J’ai examiné la loi comme loi de
confiance. J’ai commencé par établir que l’on ne pouvait avoir confiance dans
un ministère indéfiniment. J’ai dit que quant à moi, je ne pourrais accorder ma
confiance aux ministres actuels. J’en donne la raison, et je ne puis mieux
faire qu’en démontrant l’erreur grave dans laquelle M, le ministre de
l’intérieur est tombé au sujet de l’application d’une loi analogue à celle que
nous discutons. J’aurai déjà fini sans l’interruption de M. le président.
On a lancé une accusation fort grave contre la municipalité de Charleroy vers la fin
de la séance précédente. Si la séance n’avait pas été levée brusquement, les
députés de l’arrondissement de Charleroy se seraient empressés, je n’en doute
pas, de prendre la parole pour la défendre ; je le fais pour eux, et je soutiens
que le bourgmestre de la ville de Charleroy avait le droit de délivrer un
passeport. La seule loi à suivre en matière de passeport, la loi de 1792,
contient à cet égard des dispositions dont je vous citerai quelques-unes ;
« Art. 2. Les
passeports seront donnés exclusivement par les officiers municipaux, et
contiendront les noms des personnes auxquelles ils seront délivrés, leur âge,
leur profession, leur signalement, le lieu de leur domicile et leur qualité de
Français ou d’étranger. »
« Art. 9. Le voyageur
qui n’en présentera pas, sera conduit devant les officiers municipaux, pour y
être interrogé et être mis en état d’arrêt, à moins qu’il n’ait pour répondant
un citoyen domicilié. »
M. le ministre a cité la
loi du 14 nivôse an V. Vous allez être frappé de l’erreur grave dans laquelle
il est tombé ; cette loi est relative
aux émigrés. Or, ici s’agit-il d’émigrés ? Est-ce que toutes les lois sur les
émigrés n’ont pas disparu avec l’émigration ? est-ce
qu’une loi spéciale peut être appliquée en dehors de la spécialité pour
laquelle elle a été faite ?
« Le directoire exécutif,
après avoir entendu le ministre de la justice ; considérant qu’on ne saurait
trop multiplier les précautions pour empêcher que des émigrés à l’aide de
passeports obtenus dans les pays alliés ou neutres, sous des noms empruntés, ne
pénètrent dans l’intérieur de la république,
« Arrête ce qui suit
« Art. 1er.
etc. »
Voilà la loi que l’on
invoque et lorsqu’un ministre va puiser dans un arsenal que l’on qualifie si
souvent d’une manière injurieuse et même souvent calomnieuse, vous voulez que
l’on ait confiance en celui qui fouille dans un arsenal qu’il stigmatise à tous
propos, en celui qui applique à des questions de généralité, des lois spéciales
et purement d’exception, l’une relative aux étrangers appartenant à des pays en
guerre avec
La loi de l’an VI qui a
servi de type à la loi que l’on propose et qui n’en est que la copie, la loi de
l’an VI n’était que temporaire bien qu’elle ait été portée à une époque bien
autrement difficile que celle où nous vivons. Voilà ce que disait le rapporteur
de cette loi au conseil des anciens.
« La résolution au surplus
n’est qu’une loi du moment ; ses dispositions ne seront point placées dans le
code de la république. Ainsi, en les appliquant, le gouvernement peut en
tempérer la rigueur. Le corps législatif n’a voulu qu’armer le directoire de
moyens suffisants pour assurer la tranquillité publique, et plus il donne de
force au gouvernement, plus il a droit de compter sur la modération.»
Ainsi l’on ne donnait à la
loi qu’une durée très courte, c’était une loi qui ne devait pas survivre aux
circonstances qui l’avaient fait naître.
« Ces dispositions ne
devront pas être placées dans le code de la république, » disait-on au
conseil des anciens. Aujourd’hui l’on veut faire de la loi qu’on vous propose
le code perpétuel, le code normal de
Eh bien, cette loi
toute temporaire qu’elle était, et que ses auteurs eux-mêmes le déclaraient,
a-t-elle empêché le directoire de tomber ? S’il est tombé aux huées de toute
De tout temps les lois
d’exception ont tué leurs auteurs, de tout temps elles ont été des lames à deux
tranchants qui blessent plus souvent celui qui s’en sert que celui qu’elles
frappent. Pourquoi voulez-vous donc aujourd’hui une loi d’exception ? Pour moi
je ne puis vous l’accorder même avec le tempérament insignifiant à mon avis
d’une courte durée. Ne lui donnassiez-vous qu’une courte durée de 6 mois, je ne
pourrais encore l’adopter telle qu’elle est rédigée, parce qu’elle viole l’art.
128 de la constitution. Je pense néanmoins qu’il y a lieu d’admettre
l’amendement de M. Pollénus, non pas qu’il change quelque chose à
l’inconstitutionnalité de la loi, mais parce que n’étant plus que temporaire,
elle forcera les ministres à quelque peu de modération, et elle laisse aux
étrangers quelque espoir ; ils pourront au moins entrevoir la fin des tourments
qu’on veut leur faire endurer.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux).
- Je me bornerai à parler sur ce qui concerne la loi du 25 messidor an III.
J’ai dit que cette loi était en vigueur. Il sera facile de démontrer qu’elle
était applicable aux cas auxquels nous l’avons appliquée.
Cette loi avait deux
objets. Les articles 1, 2, 3 et 4 s’appliquaient aux étrangers appartenant aux
pays avec lesquels
Quant aux étrangers qui ne
sont ni dans l’une ni dans l’autre de ces catégories, le gouvernement a à
délibérer s’il peut accorder un passeport de son propre mouvement. Il l’accorde
ou le refuse suivant les circonstances.
L’art. 9 de la loi prouve à
l’évidence ce que j’ai dit hier à la chambre, puisqu’il exige que tout étranger
à son arrivée dans un port de mer ou dans une commune frontière de la
république présente son passeport à la municipalité, afin qu’il soit envoyé au
visa de son gouvernement.
Veut-on une nouvelle preuve
que cet article n’était pas applicable seulement, comme l’a dit l’honorable préopinant,
à des étrangers dont le pays ne serait pas connu, qui par conséquent que ne
serait pas reconnu par son ambassadeur ; lisez l’arrêté du directoire du 4
nivôse an V. Cet arrêté établit plusieurs catégories d’étrangers.
Il est vrai que dans le préambule
il est parlé d’émigrés qui rentrent sur le territoire sous le titre
d’étrangers. Mais ce n’est là qu’une occasion de rappeler les dispositions de
la loi du 23 messidor an III.
Les dispositions de la loi
de l’an V sont générales, sans exception, sans limites. Tous les auteurs qui se
sont occupés de cette matière n’ont jamais mis en doute l’existence de la loi
de l’an III et notamment de l’article que j’ai cité.
FI… énumère cette loi comme en pleine vigueur. L’auteur du Recueil des lois
de police la cite également. L’auteur d’un recueil publié en Belgique en 1819,
rappelle cette loi comme la règle à suivre ; C’est la seule règle que l’on
suive à l’égard des étrangers ; c’est donc cette loi que le gouvernement doit
suivre à l’égard des étrangers en matière ordinaire.
L’on a dit que, j’avais
lancé une accusation contre la municipalité de Charleroy. Je n’ai lancé aucune
espèce d’accusation. J’ai dit que le gouvernement avait usé de son droit en
enjoignant à M. Guinard de quitter
Débat incident
- Plusieurs orateurs
demandent la parole en même temps.
M.
F. de Mérode réclame la parole en qualité de ministre d’Etat.
M.
Gendebien. - L’honorable M. de Mérode ne peut obtenir la parole comme
ministre d’Etat, si quelqu’un veut lui céder la parole, ou s’il veut parler à
son tour, je l’écouterai avec d’autant plus de plaisir qu’il est en possession
d’égayer la chambre très souvent. Si l’on accordait la parole aux ministres
d’Etat, comme aux ministres à portefeuille, au moyen de simples arrêtés du
gouvernement, il pourrait y avoir 30, 40, 50 ministres d’Etat dans la chambre,
qui demanderaient à tout instant la parole et entraveraient nos discussions. 51
ministres d’Etat dans cette chambre suffiraient pour assurer au gouvernement la
majorité des voix et le monopole de la parole. Tous les députés que l’on a
qualifiés à tort ou à raison de ministériels, pourraient en obtenant le titre
de ministre d’Etat, dominer les discussions et occuper les séances à eux seuls.
Je veux bien que M. de Mérode parle, mais je ne pense pas qu’on puisse lui
accorder la priorité comme ministre d’Etat.
M. F. de Mérode. - Le gouvernement ferait une
chose parfaitement ridicule s’il nommait 50 ministres d’Etat dans la chambre.
C’est une supposition que l’on ne peut faire sans encourir le même reproche.
Quant à mon talent de faire
rire, je ne sais pas jusqu’où il va. Peut-être est-ce parce que M. Gendebien
rit presque toujours du bout des lèvres, qu’il voudrait m’interdire la parole.
Si la chambre juge que je ne puis prendre la parole comme ministre d’Etat, je
me soumettrai.
A sa décision, cependant,
je ferai observer que ce serait la première fois qu’on me l’aurait refusée,
comme ministre d’Etat.
M.
le ministre des finances (M. d'Huart). - Je pense, messieurs, qu’aux
termes de la constitution, l’on ne peut refuser la parole à M. le comte de
Mérode comme ministre d’Etat. La constitution ne fait aucune différence entre
les ministres d’Etat et les ministres à portefeuille. Relisez l’article de la
loi fondamentale, et voyez si raisonnablement vous pouvez admettre les
observations de l’honorable préopinant.
Il ne s’agit pas
ici de ministres à portefeuille. Il n’est question nulle part de cette
distinction. Vous ne pouvez refuser la parole à M. de Mérode qui siège dans le
conseil, chaque fois qu’il la réclamera comme ministre d’Etat.
M.
Gendebien. - Est-il ministre responsable ?
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Il est
responsable comme faisant partie du conseil.
M. Liedts. - Je
demanderai si M. de Mérode, comme ministre d’Etat, a le contreseing, et si,
comme tel, il est responsable envers la chambre. Alors, il aurait le droit de
demander la parole comme ministre. Nous n’avons jamais contesté au pouvoir
royal le droit de nommer autant de ministres qu’il lui plaira, sous telle
dénomination que ce soit. Ce que nous avons à examiner, c’est de savoir s’ils
ont le contreseing, s’ils sont responsables vis-à-vis de la représentation
nationale, et si leur nomination a été annoncée comme telle à la chambre.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux).
- Si M. le comte de Mérode n’a jamais figuré au budget, certes ou ne peut lui
en faire un reproche. Tout ce qu’il importe de certifier, c’est que M. de
Mérode est membre effectif du conseil ; dès lors, il assume avec ses collègues
la responsabilité des actes émanés du conseil. Il est appelé à les défendre
devant nous. Il ne peut donc se présenter de difficulté dans la solution de la
question que l’on soulève.
M. Gendebien. - Si M. de Mérode fait partie du
conseil, qu’il prenne part à toutes ses délibérations, s’il prend sa part de
responsabilité dans la marche du gouvernement, je conçois que dès lors il ait
droit de parler comme ministre. Mais jusqu’ici on ne nous a pas notifié
officiellement cette qualité de M. de Mérode. Voyez combien l’opinion de M. le
ministre des finances s’est modifiée à mesure qu’on l’a interpellé. D’abord il
voulait que tous les ministres eussent entrée à la chambre et pussent parler
quand bon leur semblerait. Il pourrait, je le répète, convenir au gouvernement
de nommer ses ministres sans portefeuille, pour leur donner à la chambre la
priorité sur les députes ? Cela est ridicule, dit M. de Mérode. Oui, si le
gouvernement faisait autant de nominations en 15 jours. Le ridicule dans ce cas
serait pour le gouvernement et non pour celui qui en a fait l’observation. Mais
il n’y a que 4 ans que nous vivons sons un régime monarchique représentatif.
D’ici à 14 ans, par exemple, pourquoi n’aurions-nous pas 50 ministres d’Etat.
S’ils ont le droit, d’après l’article de la constitution, de venir comme
ministres d’Etat dans cette chambre, il s’en suivrait d’après le même article
que nous aurions le droit de les faire venir. De sorte que sur la demande de la
chambre, l’on pourrait introduire 50 personnes étrangères à l’assemblée, qui
auraient en outre le droit de parler toujours. Elles pourraient ainsi empêcher
nos discussions. Je répète ce que j’ai dit. Si M. de Mérode fait partie du
conseil, s’il est responsable de tous les actes du conseil, s’il parte au nom
du Roi, il a le droit de parler comme ministre. Mais pourquoi ne nous notifie-t-on
pas sa nomination ?
On nous dit que M. de
Mérode fait partie du conseil : comme homme privé, je vous crois, mais comme,
député, je ne suis pas forcé de vous croire.
M.
Lebeau. - C’est la première fois qu’on soulève la question dont la
chambre est en ce moment accessoirement saisie.
Ce n’est pas l’honorable
comte F. de Mérode seul qui a siégé dans le conseil du chef du gouvernement
comme ministre sans portefeuille. Sous le congrès, l’honorable M. de Gerlache a
été nommé président du Conseil des ministres sans aucune attribution spéciale,
sans aucune espèce de portefeuille. Il a été le collègue de l’honorable
préopinant, et, je le répète, M.de Gerlache n’avait pas d’administration
spéciale dans ses attributions ; cependant, jamais on ne lui a contesté et on
n’eût pensé à lui contester les prérogatives qu’attribue aux ministres présents
à nos délibérations la disposition constitutionnelle sur l’ordre de parole.
L’honorable M. Devaux a
également été nommé ministre d’Etat sans portefeuille. Je ne sais pas même si
M. Devaux a jamais apposé sa signature à un acte
ministériel ; et jamais dans le sein du congrès on ne lui a refusé la parole
quand il la réclama comme ministre.
L’honorable M. de Theux a été
ministre sans portefeuille, comme l’est M. de Mérode, et jamais on ne s’est
avisé de lui faire l’objection que l’on fait maintenant à M. de. Mérode.
Mais, dit-on,, la chambre n’a pas eu connaissance officielle de la
qualité dont M. de Mérode est revêtu. Messieurs, il y a deux manières
d’informer les chambres de la nomination d’un membre du conseil du Roi. Il y en
a une à laquelle le gouvernement peut strictement se borner pour faire
connaître un tel acte, soit aux chambres, soit au public. C’est l’insertion au Bulletin officiel. Eh bien, on n’a qu’à
lui lire le Bulletin officiel, et on
y verra, je crois en être sûr, la nomination de MM. de Mérode et de Theux comme
ministres d’Etat, membres du conseil du Roi. M. de Mérode n’a jamais perdu
cette qualité ; M, de Theux l’a perdue momentanément, mais comme membre du
conseil seulement. Il y a des ministres d’Etat (c’est une différence que l’on
n’a pas saisie) à titre purement honorifique, qui ne font point partie des
conseils du chef de l’Etat.
C’est ainsi que l’honorable
M. Duvivier a conservé la qualité de ministre d’Etat, à titre honorifique, sans
pouvoir réclamer aucune des prérogatives qui ne sont inscrites dans la
constitution que pour les membres du conseil. M. de Mérode est membre effectif
du conseil du Roi ; sa nomination (je crois que mes souvenirs sont fidèles),
non seulement a été publiée dans le Bulletin
officiel, mais je crois être sûr que par suite des égards qu’ont jusqu’ici
observés entre eux les divers pouvoirs, le ministère a fait connaître aux
chambres par une notification spéciale la nomination de M. F. de Mérode comme
membre du conseil.
Maintenant, que M. de
Mérode soit solidaire des actes du cabinet, chaque fois qu’un arrêté est pris
sur l’avis du conseil des ministres, à cet égard il n’y a pas l’ombre d’un
doute. Mais non seulement M. de Mérode délibère comme membre du conseil, et se
trouve ainsi solidaire des actes du ministère, mais très souvent il a attaché
sa signature à des actes ministériels. Je pourrais citer une foule d’actes du
gouvernement qui ont été contresignés par M.de Mérode. Ainsi il a contresigné,
me dit-on, la présentation du projet de loi sur l’ordre Léopold. Il a
contresigné l’arrêté qui acceptait la démission de mon honorable ami M. Rogier
et la mienne. Il a contresigné la nomination de M. de Theux comme ministre de
l’intérieur. Il a donc fait des actes de gouvernement, en qualité de membre du
conseil du Roi, dans plusieurs circonstances. Aujourd’hui, chaque fois qu’une
loi est présentée, qu’un arrêté est rendu sur l’avis du conseil du Roi,
évidemment M.de Mérode y a sa part de responsabilité. Si, par exemple, des
arrêtés d’expulsion étaient présentés à la signature du Roi de l’avis du
conseil des ministres, M.de Mérode en subirait encore la responsabilité comme
les autres ministres.
Quant à la distribution des
attributions entre les ministres, cela ne regarde pas la chambre. La question
qui intéresse la chambre, c’est celle du traitement des ministres. Il dépend,
par exemple, du gouvernement, au lieu de 4 ministres, d’en nommer 8, et de
diviser les attributions et les traitements. Il resterait à la chambre à
apprécier si cette division est utile, si elle est justifiée de telle sorte
qu’elle pût allouer les traitements.
La division des attributions ministérielles en
France et en Angleterre fut toujours un acte incontesté de prérogative royale,
sauf aux chambres à intervenir indirectement (seule manière dont la législature
puisse intervenir dans l’organisation ministérielle), en accordant ou en
refusant les subsides pour le traitement des ministres.
Je rais remarquer que le
système que l’on établirait en refusant la parole à M. de Mérode comme
ministre, ne va à rien moins qu’à détruire tous les précédents établis et dans
le congrès national et dans les législatures qui l’ont suivi. Je ne crois pas
devoir entrer dans des développements plus étendus pour établir qu’il est
impossible de refuser la parole à un ministre d’Etat membre du conseil.
J’engage donc M. de Mérode, dans l’intérêt de la prérogative dont il est
revêtu, à maintenir son droit et à réclamer la parole comme ministre.
M.
Gendebien. - M. Lebeau aurait bien fait de faire en commençant la
réflexion qu’il a faite en finissant. Après un discours d’un quart d’heure, il
a remarqué qu’il n’y avait pas lieu d’entrer dans des développements qui
prolongeraient inutilement la discussion.
Ce qu’a dit M. Lebeau,
personne ne l’a contesté. M. Lebeau n’a pas dit un mot sur la question qui a
été soulevée. La question est de savoir s’il suffit d’être ministre d’Etat pour
avoir l’entrée dans cette chambre, pour avoir le droit d’y parler à toute
occasion, à tout propos, et selon son bon plaisir. Voilà la question.
Du moment qu’on a dit que
M. F. de Mérode fait partie du conseil, j’ai reconnu de suite que c’était tout
différent. Il est responsable comme ministre, il parle au nom du chef de
l’Etat.
On a cité l’exemple de M.
de Gerlache qui a siégé avec moi dans le conseil. Jamais, dit-on, on n’a
contesté à M. de Gerlache ses prérogatives. La raison en est simple ; c’est que
M. de Gerlache n’a été ministre que pendant 24 heures et qu’il n’est jamais
venu au congrès en cette qualité !
Jamais, dit-on, on n’a
contesté à MM. Devaux et de Theux le droit de prendre la parole comme ministres
d’Etat. Mais ont-ils jamais prétendu à avoir à ce
titre la priorité sur d’autres orateurs ? Je n’en ai aucun souvenir.
Vous voyez donc que M.
Lebeau a été constamment à côté de la question.
Maintenant que j’ai appris
que M. F. de Mérode a parlé en qualité de membre du conseil, et responsable,
comme représentant le Roi, j’en tirerai parti pendant le cours de la
discussion.
M.
F. de Mérode. - Faut-il mettre aux voix la question de savoir si
j’aurai la parole ?
M.
Gendebien. et d’autres membres. - Non ! non !
M.
le président. - M. Gendebien retire-t-il sa proposition ?
M. Gendebien. - Je ne sais pas pourquoi on me
demande si je retire ma proposition.
M. le président doit avoir
compris la question que j’ai faite. J’ai demandé s’il suffisait de se dire
ministre d’Etat pour prendre la parole à toute occasion.
M. le ministre des finances
a soutenu que ce droit résultait de la seule qualité de ministre d’Etat. Mais
sur l’observation que j’ai faite, on a dit que M. de Mérode faisait partie du
conseil, qu’il était ministre responsable. Dès lors, je n’ai plus d’observation
à faire. Il n’y a plus à aller aux voix. Que le ministre responsable use de la
prérogative que lui donne la constitution. Mais si un ministre d’Etat, qui ne
fait pas partie du conseil, si M. Duvivier, par exemple (qu’on a dit tout à
l’heure être ministre d’Etat à titre honorifique) réclamait la priorité de la
parole, je m’y opposerais et alors je demanderais qu’on allât aux voix.
M.
Lebeau. - Nous sommes d’accord.
M.
le ministre des finances (M. d'Huart). - Evidemment, messieurs, je n’ai
soutenu que M. le comte F. de Mérode devait avoir la parole, que parce qu’il fait
partie du conseil. Je trouvais singulier qu’on lui contestât le droit de parler
comme ministre sur une loi à la rédaction de laquelle il a concouru en conseil,
et alors que dans d’autres circonstances et notamment dans la discussion de la
loi communale les paroles qu’il a déjà prononcées ont été critiquées avec
beaucoup d’amertume, précisément parce qu’elles partaient, disait-on, du banc
des ministres.
Proposition visant à rendre la loi temporaire
M.
F. de Mérode. - (Nous publierons son discours). (Note du webmaster : ce discours n’a pas été retrouvé dans le Moniteur
des jours suivants.)
M.
Dubus. - Je viens appuyer la proposition de l’honorable M. Pollénus, et
je voterai pour que la loi soit temporaire. Il
y a plus, je dois déclarer que je ne donnerai pas mon assentiment à la
loi si elle n’est temporaire, ou il faudrait qu’elle fût modifiée dans un sens
dans lequel on a dit qu’il était impossible de la modifier, parce que l’on
soutient qu’il est impossible de préciser les cas d’expulsion.
J’arrive à ce que l’on a
dit sur la constitutionnalité. La question, en premier lieu, est pour moi dans
l’article 128 de la constitution, qui pose un principe et admet des exceptions,
mais non pas une exception perpétuelle qui absorbe le principe. Car alors ce
serait mal à propos que l’on aurait écrit l’art. 128 de la constitution.
L’exception doit laisser
subsister la règle générale, soit comme règle générale pour les cas non compris
dans la loi, soit comme disposition perpétuelle, à côté d’une exception
temporaire. Car il y a des exceptions de deux natures. Lorsque la constitution
a posé un principe et y a admis des exceptions, l’exception se réfère soit à
certains cas particuliers, soit à des circonstances particulières pour
lesquelles le législateur est autorisé par la constitution à établir une règle
différente de la règle générale.
D’un autre côté, en
spécifiant dans la loi soit les temps, soit les cas auxquels elle s’applique,
la règle subsiste pour les autres cas ou pour les autres temps.
On vous a dit avec beaucoup
de raison qu’une loi perpétuelle, à prétexte que la constitution autorise des
exceptions à un principe qu’elle a établi, est inconstitutionnelle. On vous a
demandé ce que signifierait l’art. 128, ainsi rédigé : « Tout étranger qui
se trouve sur le territoire de
On m’objecte qu’il est
écrit dans la constitution qu’elle ne peut être suspendue ni en tout ni en
partie. Ce principe s’applique à tous les cas, sauf certains cas où la
constitution a autorisé des exceptions. Mais lorsque l’exception est autorisée,
d’après la valeur même des termes, cette exception ne peut être appliquée qu’à
des cas particuliers ou à des circonstances particulières. Mais si vous ne
limitez pas la durée de la loi, si vous ne déterminez pas les cas particuliers
auxquels elle s’applique, vous n’établissez pas une exception, mais une règle
générale, mais une règle perpétuelle. Or, c’est la constitution qui est la loi
perpétuelle.
Mais on dit que l’exception
doit être établie par la loi, et que la nature des lois est d’être permanente.
C’est là une assertion qu’on n’a pas pris la peine de démontrer, et que
cependant il fallait démontrer. Car on pourrait citer beaucoup de lois qui ne
sont que temporaires. Il y a plus : c’est qu’il y a des lois que nous ne
pouvons faire que temporaires. La constitution nous prescrit de ne faire
certaines lois que pour un terme qu’elle détermine. Ce ne serait donc pas des
lois ! Les lois d’impôt, de dépenses, du contingent de l’armée, ne peuvent être
votées que pour une année. Ce ne sont pas des lois que les lois d’impôt !
Mais, dit encore M. le
ministre, on aura toujours besoin d’une loi sur les étrangers, donc il faut une
loi permanente. On aura toujours besoin d’une loi sur les étrangers, c’est un
fait que personne ne pourra contester. Mais si on envisage cette assertion
comme elle doit l’être, quand elle est placée dans la bouche du ministre, on
trouvera que cela veut dire qu’on aura toujours besoin d’abandonner les
étrangers à l’arbitraire du gouvernement.
Je comprends bien, au
contraire, que dans quelques circonstances on donne au gouvernement un pouvoir
plus grand et dans les circonstances ordinaires un pouvoir moindre. Qu’on prenne
exemple des autres pays ; que l’on voie quelles sont dans les autres pays les
dispositions permanentes à l’égard des étrangers. On exige que l’étranger
prouve qui il est par la production d’un passeport ou d’autres pièces, qu’il
fournisse une caution, qu’un certain
nombre de citoyens répondent de lui. Je concevrais que l’on dît : Voilà des
dispositions dont on a toujours besoin. Je concevrais qu’on vous demandât des
dispositions de cette nature dans une loi permanente. Mais il y a loin de la à
donner à perpétuité le droit d’expulser les étrangers, et même les étrangers
qui résident depuis longues années dans le pays.
En Angleterre (dont
l’exemple a été cité par M. le ministre des affaires étrangères), l’alien bill n’est mis à exécution que dans des
circonstances particulières ; ce n’est pas la loi permanente des étrangers.
Mais il y a une autre loi, l’alien act, qui est la loi permanente et qui prescrit des
mesures telles que celles que j’indiquais tout à l’heure. C’est précisément là
la nature d’une loi permanente. Celle-là ne confisque pas la liberté
individuelle de l’étranger ; elle n’établit que des exceptions, et ne détruit
pas le principe.
Ainsi, je ne voterai la loi
que comme temporaire, parce que je pense que nous ne pouvons, sans violer la
constitution, voter une loi permanente. Le premier motif c’est que c’est une
loi de confiance et de circonstance à la fois, une loi de circonstance parce
que la situation dans laquelle se trouvent les pays et les Etats qui
l’environnent, peut déterminer à accorder ou à refuser au gouvernement un
pouvoir arbitraire, illimité en pareille matière. Il faut donc fixer un terme,
afin que, ce terme expiré, la législature apprécie si la loi n’est plus utile
ou si les circonstances exigent qu’on la renouvelle.
C’est aussi une loi de
confiance. Sous ce rapport, il y a un double avantage à fixer un terme. Il y a
avantage en ce que nous trouvons dans un terme une sorte de garantie qu’on
n’abusera pas de la loi. On n’en abusera pas parce que si les circonstances
sont les mêmes et que l’on vienne demander le renouvellement de la loi, on sera
obligé de rendre compte de l’usage qu’on en a fait. En outre, les lois de
confiance s’accordent à un cabinet, tandis qu’on pourrait les refuser à un
autre. C’est encore un motif pour rendre la loi temporaire. Et si vous
recherchez pourquoi la constitution a fixé un terme à certaines lois vous
trouvez que c’est parce que ce sont des lois de confiance, c’est ainsi que les
lois d’impôt, de dépense, de contingent de l’armée ne peuvent être votées que
pour une année, parce que ce sont des lois de confiance, parce que l’on accorde
à un ministre ce que l’on pourrait refuser à un autre. Il est donc tout à fait
dans l’esprit de notre constitution que les lois de confiance soient des lois
temporaires.
Je crois qu’il est inutile
de répondre à l’objection que les lois relatives à la sûreté de l’Etat ne
peuvent pas être temporaires.
Certainement, si des lois
doivent êtres mobiles, ce sont les lois de sûreté. La question de sûreté de
l’Etat est une question qui ne peut s’apprécier que d’après les circonstances.
N’a-t-on pas proposé en septembre 183l, une loi relative à la sûreté de l’Etat
? Cette loi, entre autres dispositions, n’en contient-elle pas plusieurs qui
concernaient les étrangers. Toutes ces dispositions n’étaient-elles pas de
circonstance ? Le cabinet d’alors ne proposait cette loi que pour un terme. M.
le ministre des affaires étrangères qui faisait partie du cabinet d’alors
disait que plus tard la législature apprécierait s’il convenait de continuer la
loi ou de la renouveler pour un terme quelconque.
Je n’ai pas à m’occuper de
la comparaison faite par un ministre entra la question qui nous occupe et la
disposition constitutionnelle qui donne au Roi la nomination de tous les
emplois civils et militaires ; car il n’y a aucun rapport entre ce droit et le
droit que réclame le gouvernement d’expulser à son gré l’étranger, d’être armé
envers l’étranger d’un arbitraire indéfini.
J’engage la chambre à ne
voter la loi que comme temporaire ; car cette condition est la seule à laquelle
plusieurs membres de la chambre, ainsi que moi, donneront à la loi leur
assentiment.
Plusieurs
membres. - Aux voix ! aux voix !
- La proposition de M.
Pollénus, tendant à ce que la loi ne soit que temporaire, est mise aux voix et
adoptée.
En conséquence, la chambre décide que la loi sera
temporaire.
M.
Trentesaux. - On vient de décider que la loi serait temporaire. Je
crois qu’il faudrait décider maintenant pour combien de temps elle sera faite. Je
propose que sa durée soit fixée à deux ans.
M.
A. Rodenbach. - Trois propositions sont faites relativement à la durée
de la loi. Ou propose : 18 mois, 2 ans ou 3 ans.
Je crois que ce qui nous
déterminera dans la durée à donner à la loi, ce sera la nature de ses
dispositions, leur douceur ou leur sévérité. Je pense donc qu’il faut discuter
et voter les diverses dispositions de la loi avant d’en fixer la durée.
M.
Trentesaux. - Je crois que je pourrais prendre le contre-pied de ce
qu’a dit l’honorable préopinant, et dire que c’est d’après la durée de la loi
qu’on se déterminera sur la nature de ses dispositions.
- La proposition de M.
Trentesaux, tendant à ce que la chambre fixe d’abord la durée de la loi est
mise aux voix et n’est pas adoptée.
M.
le président. - Les amendements proposés sont ceux de MM. Fallon,
Liedts, Pirson, Vandenbossche.
M.
Fallon. - Mes amendements sont des additions à la loi.
M. le président. -
Les amendements de MM. Liedts, Pirson et Vandenbossche sont des systèmes
nouveaux.
M.
Fallon. - Dans la discussion des articles, je développerai de nouveau mes
amendements, parce qu’ils pourraient avoir de l’influence sur les résolutions
de la chambre.
M.
le ministre de la justice (M. Ernst). - La décision que la chambre
vient de prendre me détermine à me rallier au projet de la section centrale.
M.
Dumortier. - Je ne sais si un ministre peut, quand la discussion sur
les articles est commencée, se réunir à la proposition de la section centrale. Quant
à moi, je préfère la rédaction présentée par le gouvernement.
Plusieurs membres. - Eh bien, vous
en ferez un amendement.
M. Dumortier. - Mais les rôles sont
intervertis, et le ministre ne peut être admis maintenant à adopter le projet
de la section centrale, je demande qu’on mette aux voix, comme projet
principal, le projet ministériel.
M.
le ministre de la justice (M. Ernst). - M. le président, suivant
l’usage, m’a demandé, au début de cette discussion, si je me ralliais au projet
de la section centrale ; j’ai répondu que j’attendrais la discussion pour me
déterminer, que je voulais m’éclairer des lumières qui en jailliraient. Je ne
voulais déclarer la part que je prendrais qu’au moment de la délibération sur
les articles. Maintenant que la chambre a adopté le principe de la loi
temporaire, je me réunis au projet de la section centrale.
M. Pirson. - Quel
est le résultat de l’adhésion du ministre au projet de la section centrale ?
C’est de le conserver comme proposition principale. Le projet primitif n’existe
plus ; mais ce projet primitif peut être présenté comme amendement ; eh bien,
je déclare que je fais mien le projet du ministre. On ne peut pas me refuser
cela. (Non ! non !) M. Dumortier est
dans le même cas.
M.
Dumortier. - Ce n’est pas la même chose !
M.
Pirson. - Je ferai des amendements avec l’article premier.
M.
Dumortier. - Je demande que le projet du gouvernement soit le point de
départ de la discussion, ce qui est bien différent de ce que propose
l’honorable M. Pirson. Quand un
projet est mis en discussion, les amendements qu’on y fait sont soumis au
second vote ; si l’article premier du gouvernement était adopté purement et
simplement au premier vote, il n’y aurait pas lieu à le voter une seconde fois.
Ainsi il est incontestable
qu’il faut commencer par les articles du gouvernement et considérer comme
amendements les articles de la section centrale et ceux qu’ont présentés nos
honorables collègues. Si on fait autrement, on changé la position.
Il est dans les
usages de la chambre, et cela s’est toujours fait depuis le régime de la
première législature, que M. le président demande, avant l’ouverture de la
discussion générale, si le ministre se rallie à la proposition de la section
centrale. Une seule exception peut être citée ; c’est quand il s’est agi de la
loi communale, et la raison en était bien simple, c’est qu’il était question
d’une loi de 150 articles et d’une foule d’amendements. MM. Rogier et Lebeau,
alors ministres, ont déclaré qu’ils indiqueraient article par article ceux
auxquels ils se rallieraient. Dans le cas actuel le ministre n’a fait aucune
déclaration après la clôture de la discussion générale ; il ne s’est décidé
qu’après le vote de la chambre sur le principe de la loi temporaire. Dès lors
il ne lui était plus loisible d’admettre la proposition de la section centrale
et d’appeler le second vote sur les propositions du gouvernement si elles
étaient adoptées.
Je demande que le point de
départ soit le projet du gouvernement.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux).
- Je m’étonne que le préopinant veuille obliger le gouvernement à ne pas
adopter tel article, et à adopter tel autre ; ceci est contraire à toute
raison, et ne mérite aucune réfutation. Il est incontestable pour moi que le
gouvernement a le droit de se rallier au projet entier de la section centrale,
comme à chacun des articles séparément.
- La chambre consultée
décide que le projet de la section centrale sera discuté comme proposition
principale.
Discussion des articles
Article
premier
M.
le président. - L’art. 1er est ainsi conçu :
« Art. 1er. L’étranger
non autorisé à établir son domicile en Belgique, qui compromet l’ordre et la
tranquillité publique, pourra être contraint, par le gouvernement, à sortir du
territoire belge ou à résider dans la commune, le cantor, l’arrondissement ou
la province qu’il lui désignera. »
Les articles premiers du
projet de M. Liedts sont ainsi conçus :
« Art. 1er (nouveau).
Les étrangers qui seront condamnés du chef de banqueroute frauduleuse, d’escroquerie
ou d’abus de confiance, pourront par le même jugement ou arrêt être condamnés à
sortir du territoire de
« Art. 2 (en remplacement de l’article
premier du projet du ministre et de la section centrale). L’étranger résidant
en Belgique qui par sa conduite compromet l’ordre et la tranquillité publique,
peut, sur l’avis de la chambre du conseil du tribunal de sa résidence, être
contraint par le gouvernement à sortir du territoire belge, ou résider dans la
commune, le canton, l’arrondissement ou la province qu’il lui désignera.
« Le tribunal, d’après la
notoriété publique et après avoir entendu le ministère public transmettra un
avis motivé au ministre dans les huit jours de la demande qui lui en sera
faite. »
« Art. 3 (nouveau). Si cependant
l’étranger, après avoir atteint l’âge de 21 ans accomplis, a résidé en Belgique
pendant 5 années consécutives, pourvu qu’il y paie une contribution directe, et
qu’il y possède en outre un établissement d’agriculture ou de commerce, le
gouvernement ne pourra lui appliquer la disposition précédente que sur l’avis
conforme de la chambre des mises en accusation de la cour d’appel dans le
ressort de laquelle l’étrange a établi sa résidence ; dans ce cas le ministère
public et l’étranger seront entendus en chambre du conseil, dans la quinzaine à
dater de la réception des pièces ; elles seront renvoyées avec l’avis motivé au
ministre de la justice. »
Voici l’article premier de
l’amendement de M. Pirson :
« Art. 1er. L’étranger
résidant en Belgique, qui par sa conduite en Belgique compromet la tranquillité
publique, peut être contraint, par le gouvernement, de s’éloigner d’un certain
lieu, d’habiter dans un lieu déterminé, ou même de sortir du royaume.
« L’autorité
municipale du lieu ou se trouve l’étranger sera toujours consultée avant
l’exécution de l’arrêté. »
Voici un autre amendement
présenté par M. Jullien :
« L’étranger résidant
en Belgique, qui, par sa conduite, compromet l’ordre et la tranquillité
publique, peut, sur l’avis du conseil de la régence et de la chambre du conseil
du tribunal de la résidence, etc., etc. »
M.
Jullien. - Je crois que tout a été dit dans la discussion générale sur
l’article premier du projet. C’est le vague de l’arbitraire ; c’est comme
disait M. Dumortier, un arbitraire effrayant, et c’est pour ce motif qu’on n’a
voulu lui donner qu’une existence temporaire. Dans cette position on doit
chercher à offrir aux étrangers quelques garanties. Tel est l’objet des
amendements de M. Liedts. Il
propose comme garantie que l’étranger ne soit expulsé qu’après avoir pris
l’avis de la chambre du conseil du tribunal du lieu de sa résidence. Le
sous-amendement que j’ai l’honneur de vous proposer consiste à ajouter à
l’amendement de M. Liedts la condition de prendre l’avis du conseil de régence
en même temps que l’avis de la chambre du conseil du tribunal de la résidence.
Cette condition me paraît incontestable. Le gouvernement auquel vous conférez
le droit d’expulser en vertu de l’article premier, parce qu’il jugera que
l’étranger n’a pas une bonne conduite, ou qu’il trouble la tranquillité
publique, ne pourra connaître cet étranger que par sa police, et peut-être même, ce que je crains
beaucoup plus que par une police étrangère ; mais vous voulez autre chose.
Vous voulez qu’il ne soit
expulsé qu’à cause du trouble fait sur notre territoire, et non à cause du
trouble fait sur un autre territoire ; il faut donc savoir si le conseil de
régence peut déposer contre lui.
Et, en effet,
messieurs, qui connaît mieux les habitants d’une ville
que l’autorité municipale ? S’il s’y trouve un étranger, elle connaît sa
conduite, elle le surveille et elle est à même de donner au gouvernement des
renseignements précis sur ses mœurs, ses habitudes, sa conduite publique et
même sur sa conduite privée, et vous ne voulez pas qu’une autorité qui peut
vous donner des renseignements aussi précis sur celui qu’il s’agit d’expulser,
intervienne ; vous ne voulez pas des interventions de l’autorité municipale,
qui est essentiellement protectrice de ses habitants, dont la mission est de
les protéger contre les vexations du pouvoir ; c’est ajouter à l’arbitraire
effrayant, qui vous a été signalé par d’autres orateurs avant moi.
Voilà le motif que je crois
devoir présenter pour justifier l’amendement que j’ai proposé ; il me semble
qu’ils sont suffisants pour vous le faire adopter.
M.
le président. - Plusieurs amendements sont proposés, il me semble que
la première question à résoudre est celle de savoir si on admettra
l’intervention des tribunaux dans les mesures proposées à l’article premier.
M.
Dubus. - Je demande la parole sur la position de la question. Je
voudrais faire remarquer à l’assemblée qu’il n’y a pas seulement les
amendements présentés par les divers membres, mais encore le projet du
gouvernement qui doit maintenant être discuté comme amendement du projet de la
section centrale auquel le gouvernement s’est rallié.
M.
le président. - M. Pirson a repris le projet du gouvernement.
M.
Dubus. - Oui, mais en l’amendant et on pourrait admettre le projet du
gouvernement sans adopter l’amendement de M. Pirson. Je pense que la conséquence de ce que le gouvernement
s’est rallié à la section centrale ne doit pas empêcher qu’on mette aux voix la
proposition même du gouvernement comme amendement.
M. le président. -
Un membre peut prendre une proposition abandonnée, soit par le gouvernement,
soit par un député.
M.
Dubus. - Mon ami M. Dumortier reprend la proposition du gouvernement.
Comme le vote de plusieurs membres sur l’article premier dépend de l’adoption
de l’art. 2 du gouvernement dont la section centrale a proposé la suppression,
je pense qu’il faudra d’abord mettre aux voix cet article 2.
M.
le président. - La parole est à M. le rapporteur.
M.
Milcamps, rapporteur. - Dans la discussion générale, un honorable
membre a fait la remarque que l’article 1er du projet de la section centrale
était plus sévère que les articles 1er et 2 du projet du gouvernement.
La remarque est juste sous certains
rapports : d’après le projet du gouvernement il faut, pour qu’il y ait lieu à
la résidence dans un lieu déterminé, ou à l’expulsion, que l’étranger par sa
conduite compromette la tranquillité publique, tandis que d’après le projet de
la section centrale, il suffit que l’étranger compromette, n’importe comment,
l’ordre et la tranquillité publique.
Ce qui a amené cette
modification, c’est la proposition de la cinquième section, d’autoriser le
gouvernement à expulser l’étranger dont la présence, en Belgique, compromet la
tranquillité publique.
On a reconnu que non
seulement la conduite, mais la présence de certains étrangers, pouvait
compromettre l’ordre en Belgique.
Ceci a-t-il besoin d’être
démontré ?
M. Dumortier a établi en
citant un alien bill, que le gouvernement anglais était
quelquefois autorisé à expulser en masse les étrangers, N’est-ce pas parce que
la présence des étrangers, dans l’idée de l’alien bill, pouvait compromettre ou compromet l’ordre public ? Ce n’est
pas là, messieurs, le droit commun de l’Angleterre, cet alien bill n’existe plus.
Ce sont ces motifs qui ont
porté la section centrale à ne pas introduire dans son projet l’expression
« qui par sa conduite compromet l’ordre. »
En maintenant cette expression,
pour que l’étranger puisse être contraint à se rendre dans un lieu déterminé,
ou à être expulsé, elle devra s’entendre uniquement de la conduite de
l’étranger en Belgique. Il faudra une action actuelle pour lui appliquer la
mesure, qu’il ait fait le mal, que sa conduite soit dangereuse.
L’on ne pourra avoir égard
à la conduite qu’il a tenue dans son pays, à ses principes de désorganisation
sociale, à ses funestes doctrines. Le gouvernement ne pourra céder à des
considérations qui ont leur principe dans le droit des gens, dans l’intérêt
général des nations. On dira : L’ordre public en Belgique n’a pas été blessé
par la conduite de l’étranger dans son pays ; nos lois ne peuvent atteindre
l’étranger pour des crimes, délits ou contraventions commis dans son pays. M.
Jullien vous le faisait remarquer à l’instant. Il est de principe que le sujet
d’un gouvernement ne peut être jugé que par ses juges naturels.
Telles sont les
considérations qui ont porté la section centrale à poser simplement dans la loi
le principe que l’étranger qui compromet l’ordre public pourra être expulsé.
Nous avons rendu le gouvernement juge des motifs. De cette manière, le
gouvernement aura seulement à examiner une chose : L’étranger compromet-il
l’ordre public ?
Et remarquez que l’action
du gouvernement est subordonnée aux circonstances qu’il lui appartient
d’apprécier ; ce n’est pas un devoir, mais une faculté pour le gouvernement
d’ordonner l’expulsion. La généralité de l’article, son caractère préventif
vous effraie et vous fait crier à l’arbitraire.
Un ministre, sous prétexte
que l’étranger compromet l’ordre public, pourra expulser tous les étrangers.
Mais de ce qu’une chose est possible, conclure qu’elle se fera, c’est blesser
les règles de la logique. Il faut supposer pour cela que vous aurez des
ministres insensés, des ministres qui méconnaissent tous les droits de
l’humanité ; ce sont des suppositions que je ne sais point faire et que je ne
veux point faire.
L’on a désiré que je
justifie plus explicitement les motifs qui ont porté la section centrale à
rejeter les deux exceptions admises par le projet du gouvernement en faveur de
l’étranger marié avec une femme belge et ayant des enfants, et l’étranger
décoré de la croix de fer.
Il me paraissait que le
rapport de la section centrale le justifiait assez. .
Car, y disais-je,
l’exception en faveur de celui qui a été autorisé par le Roi à établir son
domicile en Belgique, est juste :
« Par cette autorisation
l’étranger est assimilé aux Belges, sous le rapport de la jouissance des droits
civils ; l’autorisation n’est accordée qu’après une instruction sur la conduite
civile et politique et les ressources de l’étranger. La disposition qui l’exige
(art 13 du code civil) est une mesure de police et de sûreté autant qu’une
disposition législative. Le gouvernement s’en sert pour accueillir
exclusivement les hommes vertueux et utiles, et ceux qui offrent des garanties
à leur famille adoptive. »
Il est évident, messieurs,
que l’étranger qui demande l’autorisation d’établir son domicile en Belgique,
manifeste par là l’intention de devenir belge, car l’art. 13 du code civil
avait principalement pour but, d’après les auteurs, d’accorder les droits
civils aux étrangers qui voulaient devenir Français. A la vérité cet étranger
reste soumis aux lois de son pays, mais tout au moins il a fourni des gages de
garantie.
Mais relativement à
l’étranger qui a épousé une femme belge et qui a des enfants nés en Belgique et
relativement aux décorés de la croix de er, rien n’annonce de leur part qu’ils
veulent devenir Belges, qu’ils veulent jouir en Belgique des droits civils, et
ainsi d’aucun avantage ; ils veulent donc rester Français, Italiens, Anglais ou
Prussien, selon qu’ils appartiennent à l’un ou à l’autre de ces pays. Tout annonce qu’ils veulent rester sujets de la nation à
laquelle ils appartiennent.
Quant aux décorés de la
croix de fer, il en est de même, eux aussi veulent rester sujets de leur pays.
Hier on vous a parlé
d’étrangers qui ont dans ce pays des établissements de commerce.
Mais d’abord, aucun
établissement de commerce n’est par lui-même considéré comme fait sans esprit
de retour.
Un étranger qui a formé
dans ce pays un établissement de commerce n’a pas pour cela brisé tous les
liens qui l’attachent à sa patrie.
Tout cela dépend des
circonstances, un long laps de temps sans donner de ses nouvelles, un mariage
en pays étranger, la translation de sa fortune, peuvent quelquefois faire
présumer que l’étranger n’a pas l’esprit de retour.
Mais la nature même des
opérations commerciales exige souvent qu’un citoyen s’établisse dans un pays
étranger, mais le but de l’établissement qu’il y forme fait toujours présumer
l’esprit de retour. La loi suppose qu’il va acquérir en pays étranger des
richesses, pour en jouir ensuite dans sa patrie.
Si une fois vous entrez
dans des catégories, vous devrez les étendre au savant qui vient visiter le
pays pour y étudier les lois et les mœurs, à l’étranger qui sert dans nos
armées, à l’étranger décoré de la croix Léopold, aux étrangers qui ont formé
des demandes en naturalisation.
Eh bien ! la section centrale a voulu éviter les catégories ; elle
s’en est reposée sur la circonspection du gouvernement qui n’ira pas inquiéter
les étrangers de ces catégories, s’ils ne troublent point l’ordre et la
tranquillité publique.
Quand en France on parle
des lois exceptionnelles contre les étrangers, on fait exception en faveur des
étrangers autorisés à y établir leur domicile seulement, c’est ainsi que la loi
de 1807 qui permet d’arrêter les étrangers pour dettes, excepte les étrangers
autorisés à établir leur domicile ; eh, messieurs, si des difficultés venaient
à naître entre les pays de ces étrangers et la Belgique, croyez-vous que toutes
les sympathies nationales de ces étrangers n’éclateraient pas dans tous leurs
mouvements ?
C’est une loi de nécessité
donnée au gouvernement, qui lui est donnée sans qu’on craigne qu’il en abuse.
Et à mon avis, l’étranger paisible ne sera nullement inquiété ni troublé par
cette loi.
On a proposé différents
amendements, je ne puis en admettre aucun.
Les auteurs des amendements
reconnaissent l’opportunité d’une loi d’exception à l’égard des étrangers ; ils
reconnaissent l’impossibilité de la faire sans qu’elle soit préventive, et
c’est parce que celle proposée à ce caractère, que les auteurs des amendements
désirent y introduire des garanties pour l’étranger.
La nécessité de ces
garanties a été reconnue par la section centrale, mais elle a pensé que la
constitution y avait pourvu, dans le droit de pétition, dans le droit de
renvoyer les pétitions aux ministres et de leur demander des explications, dans
le droit d’enquête, et surtout dans le droit permanent d’interpellation, dans
la responsabilité des ministres.
L’honorable M. Fallon
trouve ces garanties constitutionnelles illusoires. Je ne suis pas de son avis.
Il en présente une qui, selon lui, paraît plus efficace, celle d’ordonner que
les arrêtés royaux d’expulsion seront adressés aux chambres, avec indication
des motifs ; ces arrêtés seront renvoyés sans discussion préalable à une
commission de sept membres chargées d’examiner les arrêtés d’expulsion et de
faire rapport à la chambre dans les cas ou elle croira qu’il y a eu abus dans
l’exécution de la loi.
Ainsi voilà une commission
temporaire, un rassemblement de membres de cette chambre choisis pour prononcer
sur des personnes déterminées, sur des faits individuels, sur des faits qui
seront de nature à être tenus secrets, chargée de juger souverainement les
actes du ministère. Je dis souverainement, puisqu’elle n’est chargée de faire
rapport à la chambre que lorsqu’elle croira qu’il y a abus dans l’exécution de
la loi. L’établissement de cette commission enlèverait une des plus précieuses
prérogatives de la chambre, celle de veiller à ce qu’il ne se commette d’abus
dans l’exécution de la loi, et nous déléguerions cette prérogative à une
commission. Mais aucune branche du pouvoir législatif ne peut déléguer ses
prérogatives ; cette commission en outre ferait un véritable contrôle des actes
du ministère, et le ministère ne peut l’accepter sans manquer à ses devoirs.
Messieurs, lorsqu’il s’agit
de la sûreté de l’Etat, le gouvernement est chargé d’y pourvoir. Le ministère
tout entier doit répondre, et non pas seulement le ministre de tel ou tel
département. C’est dans ces circonstances qu’ils sont solidaires. .
Ici le projet de loi vous
est proposé dans l’intérêt de la sûreté de l’Etat. Il ne s’agit pas d’expulser
le savant qui vient visiter nos contrées, qui vient y transférer le siège de
ses affaires, sa fortune, les décorés de la croix de fer, etc.
Je repousse l’amendement de
M. Liedts.
Les événements qui
se passent autour de nous et qui peuvent mettre la chose publique en péril, ont
conduit le gouvernement à vous demander une plus grande force, celle de pouvoir
contraindre l’étranger qui compromet l’ordre et la tranquillité publique à être
expulsé. Il peut arriver des cas qui intéressent l’Etat et qui exigent le
secret et une marche rapide ; s’agit-il par exemple de prévenir un complot, de
déjouer les menées des étrangers, admettre les formes lentes proposées par M.
Liedts, c’est véritablement s’exposer le plus souvent à manquer son but.
Comment l’étranger qui, par sa conduite, compromet la tranquillité publique,
pourra, seulement sur l’avis de la chambre du conseil du tribunal de sa
résidence, être contraint par le gouvernement à sortir du territoire du royaume
ou à résider dans un lieu déterminé, et le tribunal, remarquez-le bien, d’après
la notoriété publique et après avoir entendu le ministère public, transmettra
un avis motivé au ministre dans les huit jours de la demande qui lui en sera
faite. Une pareille disposition pourrait être l’objet d’un examen, si les pays
qui nous avoisinent n’était pas dans un état continuel
d’inquiétude et d’agitation qui met la chose publique de ces pays en péril ;
mais quelle homogénéité y a-t-il entre le pouvoir exécutif qui est tout
d’administration et le pouvoir judiciaire ? N’est-ce pas distraire le pouvoir
judiciaire du but de son institution ? je le pense,
messieurs, et ce point a été suffisamment démontré par l’honorable M.
Demonceau.
M.
Liedts. - Comme toute la loi est dans l’art. 1er, je demande à dire
quelques mots (Parlez ! parlez !)
Je serai court ; car tout a
été dit, à peu près, sur la loi.
Messieurs, dans tous les
temps, lorsqu’un ministère se décide à solliciter des lois exceptionnelles, ce
n’est, à l’en croire, qu’en cédant à l’impérieuse nécessité du moment. Dans
tous les temps, la législature qui les accorde, ne le fait qu’en cédant pied à
pied le terrain de la légalité, et par cela même qu’elle se montre difficile à
voter des mesures commandées par les circonstances, elle témoigne de son
respect pour la loi, de son éloignement pour le despotisme.
J’ai donc lieu de m’étonner
qu’il se soit trouvé à la section centrale des membres qui, dépassant
l’exigence des ministres, veuillent étendre encore les mesures extraordinaires
qu’on réclame, et qui prétendent ainsi être mieux instruits que le gouvernement
lui-même des dangers que le ministère se plaît à exagérer.
Si je pouvais croire que
des dispositions aussi étranger sont celles de la majorité, je m’abstiendrais
de faire entendre des paroles désormais inutiles, pour améliorer une loi, dont
j’admets le principe.
Je l’ai déjà dit, et je le
répète afin que M. le ministre de l’intérieur me comprenne bien : tout-puissant
pour faire le bien, impuissant pour faire le mal, voilà le gouvernement que
pour le bonheur de tous je désirerais pouvoir établir ; et s’il n’est donné à
personne d’arriver jamais à atteindre cette perfection infinie, si tout ce qui
sort de la main de l’homme porte le cachet de l’imperfection, si les passions
sont un obstacle à ce qu’on crée une loi dont on ne puisse jamais abuser,
est-ce à dire qu’il faille négliger les précautions que la prudence la plus
commune commande ? Singulier renversement d’idées ! Parce qu’il est possible
qu’un juge-d’ instruction, par exemple, abuse de notre loi d’instruction
criminelle ; parce que, foulant aux pieds toutes les formes, il peut
arbitrairement arrêter un citoyen, est-il jamais entré dans la tête d’un
législateur de ne pas entourer l’arrestation de certaines garanties Ainsi,
parce qu’on peut abuser même de la meilleure loi, il faut permettre qu’on
puisse en abuser toujours ! Tous ceux qui jusqu’ici ont écrit sur la manière de
rédiger les lois dans les monarchies, m’avaient appris que précisément dans la
rédaction de celles dont l’arbitraire est inséparable qu’il faut user de plus
de précaution ! Il était réservé à une législature belge de bouleverser ces
idées !
A entendre certains orateurs,
il semblerait que depuis que le cabinet actuel est aux affaires, les gens de
police soient devenus infaillibles : rappelez-leur l’exemple du ministère
précédent, rappelez les erreurs, involontaires je veux le croire, qui ont été
commises ; ils vous répondront que le ministère a trop d’intérêt à ne pas se
tromper et que partant toute précaution ultérieure est superflue.
Mais le ministère précédent
avait-il moins d’intérêt que celui-ci ? n’en avait-il
pas davantage, lui qui agissait sans loi, et dont la responsabilité par
conséquent était bien plus redoutable que celle que l’on invoque aujourd’hui ?
Si l’exemple pris parmi
nous ne suffit pas pour vous faire ouvrir les yeux, lisez ce qui s’est passé en
France peu de temps après la restauration. En 1815, les ministres français
vinrent demander aux chambres la loi d’exception du 19 octobre 1815, qui
permettait de détenir, sans le traduire en justice, tout individu prévenu de
crimes ou délits contre la personne du Roi ou la sûreté de l’Etat. Ils
invoquaient aussi leur intérêt à ne pas inquiéter les citoyens paisibles ! ce
n’était aussi, disait-on, qu’une loi faite pour prévenir bien plus que pour
être mise à exécution, une arme destinée à menacer plutôt qu’à frapper.
Eh bien, cette loi
produisit les effets les plus déplorables, tout le monde en convient en France
; l’infâme délation fut encouragée, les agents subalternes écoutèrent les
délateurs les plus méprisables, toutes les prisons devinrent des bastilles.
Je ne crains certes pas cet
excès de malheur mais du moins que cet exemple nous instruise ; aujourd’hui
comme alors les ministres ne peuvent pas prendre le rôle de la police, ils sont
forcés d’avoir recours aux rapports des agents, et ceux-ci le plus souvent aux
relations de délateurs, et vous prétendriez que cette méprisable hiérarchie
d’agents subalternes n’induira pas souvent le ministre en erreur, et vous ne
voudriez pas mettre à côté de la police une autorité quelconque qui pût
prévenir les effets de la calomnie ! Messieurs, les abus ne sont pas dans vos
intentions, je me garderais bien de le croire, mais ils sont au fond de vos
opinions.
Qu’est-ce que je propose ? mon amendement sur l’article premier a-t-il pour but de
déférer les expulsions d’étrangers à l’autorité judiciaire ? Nullement ; mais,
pour prévenir les abus, je veux qu’on prenne l’avis de la chambre du conseil du
tribunal de la résidence de l’étranger, ensuite au ministre de suivre cet avis
ou non.
Ce sera déjà beaucoup,
messieurs, que d’avoir l’opinion d’un corps respectable assisté d’un homme qui
a aussi sa police.
Mais non, on ne veut aucune
garantie réelle, et par une délicatesse outrée sur la division des pouvoirs, on
craint de mêler les tribunaux à la police.
Messieurs, je n’ai pas fait
des recherches pour trouver des antécédents dans la législature ; mais qu’il me
suffise de citer un seul exemple connu de vous tous. Lorsqu’un condamné pour
crime politique demande la réhabilitation après avoir achevé sa peine,
lorsqu’il demande en d’autres termes à rentrer dans la société dont il était
moralement exclu, il adresse une requête au Roi en y joignant des certificats
de bonne conduite. Eh bien ! dans ce cas le
gouvernement ne peut statuer d’après nos codes sans avoir pris l’avis de la
cour où réside celui qui a subi sa condamnation. Quelle est la mission de la
cour dans ce cas ? Elle consiste à examiner la conduite politique et privée
qu’a tenue le condamné depuis qu’il est sorti de prison, et donne son avis en
conséquence.
Or, a-t-on jamais pensé que
la cour, destinée à juger les coupables, sortait de sa mission en donnant un
simple avis sur la conduite de ce citoyen ?
Pourquoi donc verrait-on
une confusion de pouvoirs là où les ombrageux rédacteurs du code d’instruction
criminelle n’en trouvaient point ?
On va jusqu’à craindre
qu’on n’élève des soupçons sur la partialité de la chambre parce que le
gouvernement est partie en cause du conseil ; mais depuis quand la magistrature
belge inamovible a-t-elle justifié par sa conduite de semblables soupçons ?
N’arrive-t-il pas tous les
jours que les juges ont à statuer dans les affaires les plus délicates où le
gouvernement est en cause ? ne voit-on
pas des chambres du conseil statuer sur la mise en accusation de prévenus de
crimes ou délits politiques tendant à renverser le gouvernement ? Or, s’ils ne
craignent plus de s’expliquer sur le sort de conspirateurs, s’ils ne craignent
pas de prendre une décision, pourquoi craindraient-ils d’émettre un simple avis
?
Ce qui doit surtout
affliger les vrais amis de la révolution, c’est de voir que la section centrale
veut étendre la mise sous la surveillance de la haute police (car la loi n’est
pas autre chose) aux étrangers décorés de la croix de fer. Du moins le
ministre, et je lui en savais gré au ministre avant qu’il ne se fût rallié au
projet de la section centrale, n’avait pas réservé cette humiliation à ces
braves, et il voulait bien que s’il était possible qu’ils se rendissent
coupables de quelques tentatives de crime ou de délit attentatoire au repos ou
à la sûreté de l’Etat, ils fussent poursuivis et punis comme les autres
citoyens.
Ceux d’entre vous,
messieurs, qui ont eu l’honneur de siéger au congrès se rappelleront la vive
reconnaissance que leur témoignait ce corps patriotique, dont les souvenirs,
hélas ! ne se perdent déjà que trop rapidement : si alors ces défenseurs de la
liberté étaient venus réclamer la grande naturalisation, on l’aurait accordée
par acclamation ; et si quelque voix s’était élevée dans cette enceinte, c’eût
été pour protester contre l’inutilité d’une mesure législative, c’eût été pour
proclamer que ceux qui étaient venus verser leur sang pour notre cause, étaient
naturalisés sous le feu de l’ennemi, et qu’ils avaient reçu leur baptême
national au Parc et à Walhem !
A cette époque, messieurs,
la langue ne semblait offrir aucune expression qui pût rendre les sentiments
d’attachement que tant de dévouement pour nos libertés avait inspirés à la
nation belge ! Oh ! qu’ils sont loin de nous ces jours
où la nation réunie en congrès proclamait à la face du monde la reconnaissance
nationale à ceux qui étaient venus exposer leurs jours pour la conquête de
notre indépendance !
Naguère cependant les
ministres moins oublieux, à ce qu’il semble, que certains d’entre nous,
reconnaissaient encore les services éminents que ces étrangers avaient rendus à
la patrie, et les proposaient à la naturalisation. Et aujourd’hui nous, nous
organes de la reconnaissance nationale, non seulement nous pourrions les
répudier, mais nous ne voudrions pas même les mettre sur la même ligne que les
étrangers admis à établir leur domicile parmi nous ! Oh non, messieurs,
j’espère pour l’honneur de mon pays que tant d’ingratitude n’est pas réservée à
ces hommes que, ces jours passés encore, vous décoriez de la croix de
septembre. Si aucun sentiment de reconnaissance ne vous guide, craignez du
moins que l’inflexible histoire n’enregistre cette conduite dans ses annales.
La section centrale, en
faisant disparaître l’exception proposée par le ministre en faveur des décorés
de la croix de fer, avait eu au moins la pudeur de ne pas indiquer le motif de
cette étrange décision ; mais un membre de cette assemblée, non content de
proposer une loi plus arbitraire que le projet des ministres mêmes, non content
d’étendre la loi exorbitante qu’on vous demande, s’est cru obligé de calomnier
encore des combattants de septembre. N’a-t-on pas entendu un orateur soutenir
que « tel décoré de la croix de fer, qui bravait la mort pour notre
affranchissement, la braverait aujourd’hui contre notre indépendance » ?
Vous aurez été aussi péniblement affectés que moi-même de ces
étranges paroles ! Machiavel en personne n’aurait pas tenu un autre langage.
Lui aussi disait que ceux dont un nouveau souverain devait se défier, étaient
ceux-là même qui l’avaient porté sur le trône. Quoi ! ce
seraient les fondateurs de notre indépendance qui en seraient les plus cruels
ennemis ! Quoi ! ils n’auraient combattu dans nos
sangs que pour tourner ensuite leurs armes contre nous-mêmes ! ils ne nous auraient aidés à secouer le joug de l’étranger
que pour nous en imposer un plus pesant encore ! S’il en était ainsi, honte et
infamie au congrès pour avoir voté une récompense nationale à ces perfides.
Mais non messieurs, et je
m’en félicite, ce ne sont pas là les paroles d’un homme de la révolution ! et si les braves qui dorment en paix au champ d’honneur et
sur la place des Martyrs pouvaient, du fond de leur tombe, faire entendre leur
voix, ils protesteraient hautement contre des paroles si amèrement outrageantes
pour leurs frères d’armes qui, plus heureux, mais non moins dévoués à notre
cause, ont été épargnés par le fer de l’ennemi.
Un grand nombre de membres. - Bien, très bien
!
M. Pirson. - Du
moment que la loi devient temporaire elle peut être considérée comme constitutionnelle.
Cependant pour être moins exposé à être trompé j’y proposerai d’autres
modifications.
L’amendement que je propose
est le correctif le plus simple et le plus doux qu’on puisse proposer (on rit.) Je ne le soutiens que parce que
je crains que l’amendement de M. Liedts ne soit pas adopté. Si l’amendement de
M. Liedts est adopté, je retirerai le mien avec plaisir.
Au surplus je crois qu’il y
aurait encore un changement à faire. M. le rapporteur de la section centrale a
dit de si étranges choses sur l’arbitraire ! sans
doute, je ne crois pas tout cela. Mais on ne peut répondre de rien dans ce
monde. Aussi je proposerai à la chambre la division de l’art. 1er ; et je
proposerai à cet article un paragraphe additionnel dont je demanderai également
la division.
M.
d'Hoffschmidt. - C’est pour la première fois que je vois dans une
semblable matière une section centrale renchérir sur les mesures demandées par
le gouvernement. Et ce fait doit, messieurs, vous paraître vraiment étrange.
J’aurai félicité le ministère s’il ne s’était pas rallié au projet de la
section centrale, parce qu’il eût montré par là qu’il savait au moins s’arrêter
dans la voie de l’arbitraire.
Je l’aurais félicite, parce
qu’il y avait dans son projet des garanties, et pour les combattants de
septembre, garanties qui ont été rayées par la section centrale. L’honorable M.
Liedts vient de vous dire à cet égard tout ce que je me proposais de vous
énoncer.
D’après le projet du
gouvernement, il fallait, pour être expulsé, que l’étranger eût, par sa
conduite, compromis l’ordre public ; il fallait donc qu’il y eût des faits,
qu’il eût fait des actes, proféré des paroles de nature à compromettre l’ordre
public, tandis que d’après le projet de la section centrale, et par suite de la
suppression des mots « par sa conduite, » le gouvernement pourra
expulser tout étranger, quand il voudra. En effet, il pourra dire qu’un
étranger compromet l’ordre public par sa présence ou par sa contenance. Un
limier de la police dira : Vous compromettez la tranquillité publique par la
barbe républicaine que vous portez au menton. (Rires d’approbation.)
Voilà des expulsions qui
pourraient résulter du vague et de l’arbitraire du projet de la section
centrale. Pour moi, je voterai contra l’article 1er du projet, et s’il est
adopté tel qu’il est, je voterai contre la loi.
Ne croyez pas cependant,
messieurs, que si le projet du gouvernement prévaut sur celui de la section
centrale, je veuille l’accueillir tel qu’il nous est présenté. Non, messieurs,
je n’y trouve pas assez de garanties. Je voudrais (si l’amendement de M. Liedts
n’est pas adopté ; car c’est celui que je préfère et qui me paraît offrir le
plus de garanties ;) je voudrais, dis-je, que l’on adoptât l’art. 1er proposé
par l’honorable M. Fallon.
D’après les
dispositions de cet article les ministres devraient déposer à la chambre
l’exposé des motifs qui auraient occasionné l’expulsion, et ces dispositions je
ne puis les trouver inutiles comme les trouve le député d’Arlon, qui a dit
qu’il suffisait que les ministres fussent obligés en tout état de choses de
répondre à nos interpellations ; car vous savez, messieurs, comme ce droit
d’interpellation devient illusoire par la facilité qu’ont MM. les ministres
d’éluder les questions qui leur sont faites ; ces messieurs répondent que des
raisons de politique ou d’ordre public les empêchent de s’expliquer, et les
interpellations se trouvent paralysées par cette fin de non-recevoir fort
commune aujourd’hui. L’expérience doit vous en avoir assez appris à cet égard.
Si j’approuve le 1er article de l’amendement
proposé par mon honorable ami M. Fallon, il n’en est pas de même des
dispositions qu’il a proposées, tendant à ce qu’il soit formé une commission
dans la chambre chargée de l’examen des motifs d’expulsion.
M.
Fallon. - Au commencement de la séance j’ai annoncé que je modifiais
mon amendement. Entre autres modifications, je supprime la commission.
M.
d'Hoffschmidt. - Je me proposais de parler sur l’amendement de M.
Fallon, Puisqu’il le retire, je renonce à la parole, sauf à la reprendre plus
tard.
M.
de Brouckere. - Je crois qu’il serait difficile de rendre bonne la loi
que nous discutons, Mais il est de notre devoir de la rendre la meilleure ou
plutôt la moins mauvaise possible. Je propose donc à mon tour un amendement, Je
demande que dans l’article premier on supprime les mots « à sortir du
territoire belge, ou. » De cette manière l’article premier serait ainsi
conçu :
« Art. 1er. L’étranger
non autorisé à établir son domicile en Belgique, qui compromet l’ordre et la
tranquillité publique, pourra être contraint, par le gouvernement, à résider
dans la commune, le canton, l’arrondissement ou la province qu’il lui
désignera. »
Si cet amendement
est adopté, je proposerai de rédiger ainsi l’art. 4 qui deviendrait
l’art. 2 :
« Le gouvernement pourra
enjoindre de sortir du territoire du royaume à l’étranger, qui quittera la
résidence qui lui aura été désignée, ou qui compromettra la tranquillité
publique dans cette résidence. »
En effet, cet étranger
serait alors en état de récidive.
De cette manière la loi
présentera moins d’arbitraire que comme elle est rédigée.
J’avoue franchement que je
m’attends peu à ce que cet amendement soit adopté. Mais j’ai cru devoir, comme
je l’ai dit en commençant, le proposer, pour tâcher que la loi présente le
moins d’arbitraire possible.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux).
- Lorsque vous avez adopté le principe de la section centrale sur la durée de
la loi, il est tout naturel de présumer que vous avez en même temps adopté les
conséquences que la section centrale affectait à la limitation de la durée.
Ainsi tombe tout article
que l’on juge contraire au projet de la section centrale mis en comparaison
avec celui du gouvernement. En effet, si le projet ministériel offrait plus de
restriction au droit d’expulsion, c’est qu’il devait être perpétuel.
Par quelles armes a-t-on
combattu le système de perpétuité ? L’on a dit : que la loi soit courte,
puisqu’elle doit être large. Maintenant que la chambre a voté qu’elle sera
courte, l’on viendrait la rendre étroite, tellement que l’usage en deviendrait
insignifiant. Si c’est une telle loi que l’on veut, mieux vaudrait dire que
l’on ne veut pas de loi. Dire au gouvernement qu’on l’arme d’une loi sans
moyens efficaces pour l’exécuter, c’est se faire illusion à soi-même, c’est
vouloir atteindre un but sans les moyens.
La section centrale a été
conséquente avec son principe. Nous voulons, a-t-elle dit, une loi de peu de
durée, limitée à 3 ans, parce que dans la durée de la loi même nous trouvons la
garantie que le gouvernement restera dans de justes limites, parce qu’à
l’époque où elle cessera d’avoir son effet, si elle est nécessaire encore, il
sera forcé d’en venir demander le renouvellement aux chambres. Une seconde
garantie existe dans le contreseing du ministre exigé pour chaque arrêté
d’expulsion. Par cette garantie, il n’y a aucun abus à craindre de la part du
gouvernement.
Le gouvernement avait proposé quelques exceptions
dans son projet, exceptions fondées, soit sur la reconnaissance, soit sur les
liens qui l’attachent à certains étrangers. Mais, messieurs, il est certain que
plus un étranger sera attaché au pays par les services qu’il aura rendus ou par
d’autres motifs, plus son expulsion, si elle avait lieu, soulèverait des
réclamations ; mais si l’étranger que des services ou d’autres motifs attachent
au pays déviait de ces principes, qu’il voulût entraîner le pays dans sa ruine,
dès lors il est évident que le pays deviendrait aussi libre à son égard que
lui-même l’aurait été envers le pays.
Il n’y a dans cette
doctrine absolument rien d’injuste. Elle est fondée sur le droit naturel, sur
le droit de conservation.
Un honorable membre voulant
encore renchérir sur les amendements déjà présentés propose en définitive de
supprimer le droit d’expulsion et de borner la loi à la désignation d’une
résidence. Je crois qu’il est inutile de réfuter cette proposition. Vous savez
combien de moyens de communications avec le dehors un étranger posséderait dans
un pays d’une étendue aussi resserrée que le nôtre. La désignation d’une
résidence, si c’était le seul moyen offert au maintien de l’ordre et de la sûreté
publique serait une mesure illusoire sans aucune utilité.
M.
Gendebien. - Mon intention n’est pas de prolonger la discussion. Je ne
veux que protester d’avance contre la loi.
Quoi qu’on ait pu dire jusqu’à
présent, il est un fait certain à mes yeux, c’est que la loi que l’on propose
même pour la durée de 3 ans, viole l’art. 128 et l’art. 130 de la constitution.
L’on aura beau dire tout ce que l’on voudra, il en est ainsi. M. le rapporteur
de la section centrale dit : Si l’on insérait dans la loi ces mots : Ceux qui
compromettent la sûreté publique ne jouiront pas de la protection accordée aux
personnes et aux biens par l’art. 128 de la constitution, ce serait là une
exception qui n’anéantirait pas la règle puisqu’elle n’atteindrait que ceux qui
troublent l’ordre et la sûreté publique. L’étranger est maître de ne pas les
troubler. Ce n’est pas en cela que nous faisons constituer
l’inconstitutionnalité. Nous avons dit qu’elle consistait en ceci : c’est que
la constitution garantit des droits à l’étranger. Je conçois qu’un homme qui
abuse de l’hospitalité, s’en rende indigne. Je conçois que vous établissiez une
exception à l’égard de celui-ci. Mais lorsqu’un Belge a fait un acte que
répudie la société, que fait-on pour le séquestrer de la société ? On le juge.
Qui le juge ? Les cours et les tribunaux, c’est-à-dire des jurys et des
corporations indépendantes du pouvoir ; des corporations judiciaires qui sont à
l’abri de l’influence des ministres, qui présentent des garanties contre
l’arbitraire. Par qui voulez-vous faire juger que l’étranger s’est rendu
indigne de l’hospitalité ? qu’il a compromis la sûreté
publique ? Vous laissez cette question à décider à l’arbitraire d’un seul
homme.
D’une part la constitution
consacre des droits ; d’une autre part, vous abandonnez au caprice d’un seul
homme les garanties dominées par la constitution. N’est-ce pas là détruire
l’article 128 ?
Messieurs, on aura beau
calomnier les époques les plus fâcheuses de la révolution de France, vous
resterez toujours beaucoup en dessous des garanties données à cette époque aux
étrangers.
Personne n’a répondu à ce
que j’ai dit au sujet de la loi de 1793. Chez nous, c’est un homme de police
qui décidera que l’étranger doit quitter le pays. Le législateur de 93 voulait
que ce fût un jury qui décidât cette question, parce qu’elle intéressait tout
le pays. Je vous le demande, y a-t-il de meilleur juge qu’un jury en fait
d’intérêt national ? N’est-il pas le plus intéressé à décider si tel individu
peut troubler la société par sa présence dans le pays ?
Vous avez admis le jury
pour les régnicoles. Pourquoi le refuseriez-vous aux étrangers ? Quels sont les
hommes les plus intéresses à maintenir le bon ordre ? ce
sont les citoyens ; ce sont, en même temps, ceux qui sont le moins susceptibles
d’être accusés de partialité, de caprice ou d’arbitraire. Faites donc, ou à peu
près, ce que l’on faisait en 93.
Douze jurés étaient nommés
par la voie de l’élection. A une heure indiquée à l’avance, il fallait que 100
électeurs sur 1,000 habitants fussent rassemblés pour
pouvoir procéder à l’élection. Ces jurés recevaient les déclarations des
étrangers et statuaient sur la question de leur admission ou de leur renvoi
hors du pays.
Si vous ne voulez pas
encourir le reproche que vous adressez sans cesse à cette époque de 93, adoptez
cette disposition, qui présente des garanties ; adoptez l’amendement de M.
Liedts ou plutôt celui de M. Jullien, parce que vous aurez la garantie d’un
corps judiciaire indépendant et celle de la magistrature municipale, qui veille
plus spécialement au maintien du bon ordre.
L’on n’abusera pas de la
loi, vous dit-on ; mais on a toujours tenu ce langage. Ne se rappelle-t-on pas
qu’en Belgique un ministre, sous le roi Guillaume, a expulsé un étranger parce
qu’il le soupçonnait de rechercher sa maîtresse.
M.
Jullien. - Nos ministres n’ont pas de maîtresses. (Hilarité.)
M.
Gendebien. - Je ne sais s’ils en ont. (Nouvelle hilarité.) Il ne m’appartient pas de scruter une vie
privée. Mais ils ont des liens de famille. Des maris peuvent aller aussi loin
que des amants en fait de jalousie. Je ne fais pas une supposition, Le fait est
arrivé sous le roi Guillaume comme je l’ai dit.
Si les ministres ne veulent
sincèrement qu’assurer le bon ordre, qu’ils présentent au moins des garanties à
l’étranger. Savez-vous quel sera le résultat de la loi ? Ce sera d’expulser
tous les hommes qui viendront se refugier chez nous d’un pays voisin. Voilà
toute l’affaire. Ce sont les événements de France, vous dit-on, qui ont
provoque la loi, Mais, messieurs, qu’y a-t-il de commun entre un crime isolé,
dont on a cherché à rendre responsable tous les partis en France, et à l’égard
duquel on n’a pas encore de notion certaine. On ne sait pas si on peut
l’attribuer à un parti, et l’on ne pourra probablement l’attribuer à aucun.
Qu’y a-t-il de commun entre l’attentat d’un homme en délire et la personne d’un
étranger déjà établi ou qui viendrait en Belgique ? On veut à l’occasion de ce
forfait escamoter la faculté de chasser du pays tous les étrangers, même ceux
qui sont domiciliés en Belgique, qui y ont des propriétés, qui ont épousé des
femmes belges, qui ont des enfants belges, qui habitent peut-être le pays
depuis 30 et 40 ans.
J’ai souvent entendu les
ministres ou leurs partisans dire avec dédain, en parlant du républicanisme :
on ne compte pas trois républicains dans cette assemblée. Que l’on consulte les
journaux du gouvernement, ils vous diront que la république n’a aucun avenir en
Belgique, que c’est une minorité si infiniment petite qu’elle est imperceptible
; et cependant, aujourd’hui, vous faites une loi contre les républicains.
Soyez plus conséquents et,
laissez, croyez-moi, les républicanisme en repos et
vous ne compromettrez pas le vôtre.
Ce n’est pas contre les
républicains que vous faites une loi ; c’est pour complaire aux gouvernements
qui nous environnent : avec une pareille loi, il n’y a pas de raison pour que
l’on n’expulse pas les réfugies polonais, italiens, allemands, français, au
moindre signe que fera un ambassadeur.
Rappelez-vous que lorsqu’il
s’est agi de voter une loi d’extradition, je disais : C’est un premier pas que
l’on fait vers les expulsions. Si vous introduisez 1a faculté d’extrader dans
notre législation, l’on viendra vous demander bientôt la faculté d’expulser
pour opinions politiques. Les cours étrangères exigeront du gouvernement des
extraditions pour fait d’opinions politiques.
Que
Il suffira que
l’ambassadeur de
Là-dessus grandes
protestations de la part de MM. Lebeau et de Mérode, qui juraient par tout ce
qu’il y avait de plus sacré qu’ils résisteraient aux exigences de l’autocrate,
que jamais un homme politique ne serait inquiété en Belgique ; aujourd’hui vous
allez avoir une loi d’expulsion, vous expulserez tous ceux dont on vous
demandera, dont on exigera l’expulsion.
Si la loi que je combats ne
devait avoir son effet que contre les banqueroutiers, les escrocs, les filous
qui affluent chez nous de tous les pays, je dirais : un homme immoral qui
serait considéré comme tel dans n’importe quel pays est aussi un homme immoral
en Belgique. Que vous l’expulsiez lorsque sa condamnation sera constatée, j’y
consentirai, j’y applaudirai. Mais, au lieu de cela, nous voyons se montrer
impudemment au grand jour parmi nous des hommes qui ont manqué à leurs
engagements en France et qui viennent manquer à leurs engagements en Belgique.
Il y en a même qui sont accueillis par le gouvernement. Voulez-vous savoir ce
qui offusque les honnêtes gens en Belgique ? Ce sont les hommes dont je viens
de parler. Si vous demandiez une loi d’expulsion, pour purger la Belgique de ce
que l’étranger nous envoie d’impur, personne n’hésiterait à vous l’accorder ;
mais je voudrais encore des garanties, même pour cette catégorie. Si vous
voulez franchement une nationalité belge, commencez par expulser ces hommes.
Demandez-nous une loi pour
expulser de
En un mot comme en cent,
cette loi est un gage que les puissances étrangères demandent à notre
gouvernement. Le gouvernement a voulu entrer dans ce qu’il appelle la grande
famille ; il faut qu’il commence par prendre le costume féodal. Quand un
bourgeois a la sottise de vouloir se faire noble, il prend d’abord le harnais
du noble (et je me sers du mot propre) ; il subit toutes les humiliations du
bourgeois gentilhomme ; eh bien, voilà
Voilà ce qu’il faut
craindre. On vous parle de factions, de terroristes, de septembriseurs : j’ai
vu
Etonnez-vous après cela que
les hommes s’aigrissent, et qu’il surgisse des événements tels que ceux que
l’on a cités dans cette enceinte.
Messieurs, il me reste un
mot à dire. Je remercie l’honorable M. Liedts d’avoir répondu avant moi et pour
moi à l’attaque qui a été dirigée contre les hommes de la révolution ; contre
la révolution toute entière, puisque c’est à l’élite de la révolution qu’on a
adressé le reproche (l’expression est fort douce), le reproche le plus amer.
Messieurs, vous voyez que
quand une fois on se jette dans les lois d’exceptions, dans les systèmes
préventifs, dans les lois de suspects, tout devient suspect, même les hommes
les plus honorables. C’est ainsi qu’on a trouvé le secret en Belgique de
rencontrer des suspects même parmi les décorés de la croix de fer ; et il en
est, messieurs, de plus suspects encore aux yeux de certaines personnes, ce
sont ceux qui ont refusé cette décoration.
« Quelques-uns, vous
a-t-on dit, l’ont acceptée, cette récompense, gage d’un gouvernement
monarchique ; d’autres, plus conséquents avec leurs principes, l’ont refusée,
et je ne blâme pas leur franchise, mais j’en prends acte comme d’un
argument. »
Ainsi, messieurs, les
hommes qui ont fait le sacrifice de tout, qui ont offert leur vie pour la
liberté du pays, ces hommes sont suspects ! On fait des catégories !
Mais qui vous dit que dans
le public on en fera, que ceux de nos honorables collègues qui sont décorés de
la croix de fer, en sortant de cette enceinte, ne seront pas confondus avec ces
hommes que vous signalez comme légalement et de plein droit suspects ? De quel
droit attachez-vous le sceau… j’allais presque dire de l’infamie, sur le front
de ces hommes qui se sont dévoués pour l’indépendance de leur pays ? De
quel droit descendez-vous dans la conscience de ces hommes ? Quelles sont les
preuves de patriotisme et dévouement que vous avez données au pays pour attaquer
des hommes qui ont tout sacrifié pour lui assurer la liberté ?
Messieurs, je dédaigne de
rendre compte des motifs qui m’ont déterminé à ne pas accepter la croix de fer.
Toujours conséquent avec mes principes, je l’ai refusée parce que le congrès l’a
repoussée, parce que la constitution repousse tout ordre civil et que toujours,
quoi qu’on en dise, je respecterai la loi. Je la respecte toujours même à mes
dépens.
Et si, messieurs, j’avais d’autres motifs à donner,
je dirais si je ne porte pas la croix de fer, c’est parce qu’elle est portée
par des hommes qui, comme je l’ai écrit à M. Rogier, étaient qualifiés par
lui-même de traîtres, au mois de mars 1831, c’est parce que j’ai toujours pensé
qu’un homme d’honneur n’avait jamais besoin de signe extérieur, qu’il devait se
reposer sur le jugement des hommes pour l’avenir, et pour le présent s’efforcer
de répondre par ses actes de tous les jours, de toutes les heures, à toutes les
calomnies qu’on peut déverser sur lui.
Maintenant, adoptez la loi
si vous le croyez bon, mais je vous le répète, elle n’aura d’autre effet que de
jeter beaucoup de ridicule sur la nation en faisant croire partout que la
révolution belge en définitive n’a été qu’une émeute de quelques mauvaises
têtes, comme l’a dit le roi Guillaume, et que
M. de Jaegher. - Je viens de
subir deux attaques que les paroles que j’ai prononcées hier, dans l’intention
qui les a dictées, ne provoquaient pas.
Plein de respect pour ceux
qui portent la croix de fer comme gage de leurs efforts pour assurer notre
affranchissement, je repousse toute accusation d’avoir voulu en rien affaiblir
les souvenirs des services signalés qu’ils nous ont rendus ; mais en examinant
un projet de loi qui concerne la sécurité de l’Etat, comme celui qui nous est
soumis, j’ai voulu me rendre compte des motifs qui avaient pu engager la
section centrale à supprimer les trois catégories exceptionnelles du projet du
gouvernement. Je n’en ai trouve aucun pour justifier la suppression des deux
premières, et quant à la troisième, j’ai dit : Il serait possible que les
hommes qui sont venus à cette époque, et j’ai précisé cette époque, avec des
sentiments qui nous étaient favorables, s’ils revenaient aujourd’hui, ne
fussent plus dans les mêmes sentiments à notre égard.
Ai-je proposé à l’égard de
ces hommes des mesures exceptionnelles ? Ai-je attiré sur eux le mépris public
? Pas du tout. J’ai simplement dit qu’il n’y avait pas de motif pour faire à
leur égard une exception.
Messieurs, si on vous
disait : celui qui vous a sauvé la vie pourra impunément attenter à vos jours,
vous vous récrieriez. Eh bien, messieurs, c’est le même principe qu’on vous
proposait d’établir en faveur des étrangers décorés de la croix de fer. (Réclamations, agitation.)
Des étrangers pour un
service qu’ils ont rendu au pays et que je suis le premier à reconnaître, ne
peuvent pas être l’objet de l’exception qu’on avait proposée en leur faveur.
M. de Brouckere.
- Je demande la parole.
M. de Jaegher. - Je vous, prie,
messieurs, de faire attention à un fait. Je n’ai pas parlé de tous les
étrangers décorés de la croix de fer. J’ai dit que parmi ces étrangers il
serait possible qu’il y en eût quelques-uns qui compromissent la tranquillité
du pays. (Murmures).
Un membre. - C’est encore pis.
Plusieurs membres. - A l’ordre !
M.
A. Rodenbach. - Respectez la croix.
M. de Jaegher. - Je n’ai qu’un
mot à ajouter. On a voulu faire retomber sur moi un blâme..
(Murmures ; les cris A l’ordre ! couvrent
la voix de l’orateur.)
M.
Lebeau. - Qu’on laisse parler l’orateur.
M.
le président. - Messieurs, vous répondrez à l’orateur ; mais vous ne
devez pas l’interrompre.
La parole est continuée à
M. de Jaegher.
M.
de Jaegher. - Je reprends ma phrase.
On a voulu rejeter sur moi
un blâme, parce que je n’ai pas pris une part active à la révolution. A
l’époque de la révolution, je rentrais dans mon pays après un voyage de long
cours que j’avais hasardé pour son service. Je croyais avoir le droit de me
reposer.
M.
Dumortier. - Je demande la parole.
M.
le président. - M. le ministre de la justice avait demandé la parole.
La parole est à M. le
ministre de la justice
M.
le ministre de la justice (M. Ernst). - J’avais demandé la parole sur
le fond de la discussion. Je veux rester totalement étranger à l’incident.
Plusieurs membres. - Il n’y a pas
d’incident.
M.
Dumortier. - J’ai demandé la parole.
M.
le président. - M. F. de Mérode l’avait demandée avant vous. La parole
est à M. F. de Mérode.
M.
Dumortier. - Messieurs…
M.
le président. - Aux termes du règlement, nul ne peut avoir la parole
s’il ne l’a obtenue du président. La parole est à M. F. de Mérode qui était
inscrit avant M. Dumortier.
M.
Dumortier. - Qu’on exécute le règlement, mais qu’ont l’exécute aussi
pour moi.
M.
le président. - Vous n’avez pas la parole.
M.
Dumortier. - Je proteste contre l’injure faite aux hommes de la
révolution. (Agitation. La sonnette de M.
le président couvre la voix de l’orateur.)
J’ai la parole. M. de
Mérode ne l’avait pas demandée.
M.
le président. - Je vous dis que vous n’avez pas la parole.
- La séance est levée.
M.
Dumortier prononce encore au milieu du bruit des paroles qui ne
parviennent pas jusqu’à nous.
- Il est 5 heures.
L’assemblée se sépare au milieu d’une vive agitation.