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Note
d’intention
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Chambre des représentants de Belgique
Séance
du mercredi 26 août 1835
Sommaire
1) Pièce
adressée à la chambre. Demande en grande naturalisation du général Niellon (Gendebien, A. Rodenbach, de Nef)
2) Projet
de loi sur les naturalisations (Dumortier, Ernst, Gendebien, A. Rodenbach, (+officiers étrangers) F.
de Mérode, de Brouckere, Ernst)
3)
Proposition de loi relative au personnel du tribunal de première instance de
Bruxelles (de Brouckere)
4) Projet
de loi relatif au droit d’expulsion des étrangers ((+prérogatives de la
chambre) Fallon, Dubois, Liedts, Frison, Milcamps,
Seron, Jadot, Vandenbossche, Gendebien, Nothomb)
5)
Proposition de loi relative à la reconnaissance de la nationalité belge de
certains officiers nés belges et ayant servi à l’étranger
6) Projet
de loi relatif au droit d’expulsion des étrangers (Pirson,
Nothomb, Dumortier, de Muelenaere, Gendebien, Pirson)
(Moniteur belge n°240, du 27 août 1835)
(Présidence de M. Raikem.)
M.
de Renesse procède à l’appel nominal à midi et demi.
M.
Schaetzen lit le procès-verbal ; la rédaction
en est adoptée.
M.
de Renesse annonce que le général Niellon
demande la grande naturalisation.
_ Sur la demande de M.
Gendebien., il est donné lecture de la pétition du général Niellon
et de la note dont elle est accompagnée.
M.
Gendebien. - Je prie le bureau d’inviter la commission des pétitions à
présenter un rapport dans le plus bref délai. Il est de toute convenance qu’il
soit statué sur cette pétition avant que la chambre ne se sépare.
M.
A. Rodenbach. - Je me joins à l’honorable préopinant pour demander que
la commission des pétitions présente un rapport dans le plus bref délai. Le
général Mélinet a présenté également une pétition.
Elle pourrait être examinée comme celle du général Niellon
car il a rendu comme celui-ci d’éminents services.
M.
de Nef. - Les services que M. le général Niellon
a rendus à ma connaissance sont tels, que je viens appuyer avec le plus vif
plaisir la proposition de l’honorable M.
Gendebien.
M. Dumortier. -
Je n’ajouterai rien à ce qu’ont dit les honorables préopinants sur la pétition
du général Niellon. Il me semble qu’il conviendrait
que la chambre examinât bientôt la loi sur les naturalisations. Cette loi avait
été votée par une précédente législature. Elle fut renvoyée au sénat qui y
apporta quelques modifications. Elle fut renvoyée aux sections. La section
centrale l’examina de son côté. La loi est donc prête à être soumise à votre
examen. Si la chambre juge à propos de la discuter dans la présente session,
rien ne peut s’y opposer. La chose est d’autant plus urgente, que si la loi sur
les étrangers vient à être votée, il sera nécessaire de statuer sur le sort des
étrangers qui ont rendu des services au pays. Je demande donc que la chambre
s’occupe immédiatement de la loi sur la naturalisation.
Il me paraît qu’au lieu de
renvoyer la pétition du général Niellon à la
commission des pétitions, il conviendrait de la renvoyer à une commission de
naturalisation. Vous savez qu’il y avait dans la session précédente une
commission ainsi nommée. La chambre pourrait en former une nouvelle pour
examiner les pétitions de la nature de celle de M. le général Niellon.
M.
le ministre de la justice (M. Ernst). - Je ne m’oppose pas à ce que la
chambre s’occupe immédiatement de la loi sur la naturalisation. Je ferai
seulement une observation à l’honorable préopinant, c’est que la chambre a
renvoyé au ministre de la justice toutes les demandes en naturalisation pour
être instruites. Cette mesure a été prise en faveur des pétitionnaires, parce
que le jour où la chambre s’occupera de la loi sur la naturalisation, je
déposerai sur le bureau toutes les demandes instruites.
M. Gendebien. -
J’ignorais que l’honorable général Mélinet eût
adressé une pétition de la même nature à la chambre. J’appuie de toutes mes
forces tout ce qu’a dit l’honorable M. Rodenbach. Je désire que les deux
demandes marchent de pair, comme les deux honorables généraux ont marché de
pair contre l’ennemi, et qu’ils ont délivré
Je partage l’opinion de l’honorable M. Dumortier en
ce qui concerne la nomination d’une commission à l’effet de s’occuper des
demandes en naturalisation. Je désire que cette commission soit invitée à
présenter un projet de loi pour donner la grande naturalisation à ces deux
citoyens qui sont hors ligne. Nous avons voté un projet de loi spécial pour
accorder la grande naturalisation au général Evain. Nous devons à plus forte
raison en agir de même à l’égard de deux honorables généraux qui ont rendu des
services tellement signalés que leurs noms sont devenus populaires en Belgique.
Je demande donc que l’on nomme une commission de naturalisation avec invitation
de présenter un prompt rapport sur les pétitions des généraux Mélinet et Niellon.
M. A. Rodenbach.
- On m’annonce que la pétition du général Mélinet
n’est pas encore parvenue à la chambre. Je sais de bonne part qu’elle vous sera
adressée sous peu. On pourra donc l’instruire en même temps que celle du
général Niellon.
M. F. de Mérode. - Il y a dans l’armée
beaucoup d’officiers qui peuvent se trouver aussi intéressants pour notre pays
que le général Mélinet et le général Niellon. Je ne sais pas pourquoi l’on mettrait ces deux
officiers généraux dans une catégorie spéciale. Il faut que l’on agisse de même
pour tous ceux qui y ont les mêmes droits.
M.
de Brouckere. - Ce que dit l’honorable M. de Mérode ne s’oppose
nullement à la nomination d’une commission. C est au contraire un argument de
plus à l’appui de la nécessité de cette commission. S’il y a, comme le prétend
l’honorable M. de Mérode, plusieurs personnes qui ont les mêmes droits que MM. Niellon et Mélinet à la
naturalisation (ce dont je doute), c’est une raison de plus pour nommer une
commission chargée de l’examen de leurs demandes. J’appuie donc la formation
d’une commission de naturalisation.
M.
le ministre de la justice (M. Ernst). - Un des honorables préopinants a
demandé que la chambre s’occupe au plus tôt de la loi sur la naturalisation.
J’appuie cette proposition. Je demande que l’on mette cette loi à l’ordre du
jour après le vote de la loi sur les étrangers. La chambre pourra ainsi statuer
sur toutes les demandes dans le plus bref délai.
- La discussion de la loi
sur les naturalisations est fixée après celle de la loi sur les étrangers.
La nomination d’une
commission de naturalisation par le bureau, au nombre de sept membres, est mise
aux voix et adoptée.
PROPOSITION DE LOI RELATIVE
AU PERSONNEL DU TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DE BRUXELLES
M. de Behr, rapporteur de la section
centrale chargée de l’examen de la proposition de M. Bosquet, monte à la
tribune pour présenter son rapport ; la chambre en ordonne l’impression.
M.
de Behr, rapporteur. - Comme le vote de cette loi ne durera que
quelques minutes, je demande qu’il soit fixé avant la loi sur la
naturalisation.
M.
de Brouckere. - J’appuie la proposition de M. de Behr. Il est indispensable qu’un vice-président puisse être
nommé avant le commencement de l’année judiciaire 1835-1836.
- La chambre décide que le
rapport sur la proposition de M. Bosquet sera examiné avant la discussion de la
loi de naturalisation.
PROJET DE LOI RELATIF AUX
DROIT D’EXPULSION DES ETRANGERS
Discussion générale
M.
le président. - M. le ministre de la justice se rallie-t-il au projet
de la section centrale ?
M.
le ministre de la justice (M. Ernst). - Nous attendrons la discussion.
M.
Fallon. - La principale difficulté que le projet de loi livre à la
discussion n’est pas de savoir si, sur le sol de la Belgique, le droit
d’expulser l’étranger est constitutionnel, mais si ce droit peut être
constitutionnellement livré à l’arbitraire du pouvoir exécutif sans aucun
contrôle, sans aucune garantie contre les abus du pouvoir.
L’art. 128 de la
constitution veut que l’étranger qui se trouve sur le territoire de
Ainsi, dans le régime
hospitalier de
Déjà de nombreuses
exceptions existent et attestent que, tant en droit politique qu’en droit civil
et en droit criminel, la règle constitutionnelle est susceptible de toutes les
modifications que la tranquillité, l’ordre et la sûreté du pays peuvent rendre
nécessaires.
Sans la naturalisation,
l’étranger n’est pas admis à participer au droit politique.
En droit civil, dans le
régime des droits et des obligations, des actions et des garanties des
particuliers entre eux, l’étranger est placé dans plusieurs cas exceptionnels.
En toutes matières autres
que celles de commerce, l’action en justice lui est refusée s’il ne fournit la
caution judicatum solvi, à
moins qu’il ne possède en Belgique des immeubles suffisants.
En vertu de la loi du 10
septembre 1807, il peut être arrêté provisoirement dans sa personne.
Tout jugement est
exécutoire contre lui par la contrainte par corps.
Si l’on considère comme
peine la disposition de l’article 172 du code pénal, il y a également exception
en ce qui regarde l’étranger.
Si on considère cette
disposition comme mesure d’ordre administratif, c’est encore une exception au
droit public.
Enfin, une exception plus
remarquable et qui va même plus loin que le principe de la loi qui nous est
proposée, c’est l’extradition.
On conçoit, en effet, que
l’extradition est peu conciliable avec le droit d’asile. Il y a quelque chose
de répugnant que de dire à l’étranger, dans notre programme constitutionnel :
« Venez en Belgique, vous serez protégé dans votre personne et dans vos
biens ; mais, quel que soit votre respect pour nos lois et nos institutions, si
vous avez commis quelque délit ou crime ailleurs que chez nous, nous vous
livrerons à vos bourreaux ; » tandis qu’il n’y a rien de contradictoire
que de lui dire. : « vous recevrez
l’hospitalité chez nous, vous y partagerez la protection due aux régnicoles ;
mais si vous y troublez l’ordre et la tranquillité publique, vous serez expulsé
: libre à vous de sortir par où vous voudrez. »
La règle de l’art. 128 n’a
pas empêché l’exception résultante du droit d’extradition.
A plus forte raison elle ne
doit pas empêcher l’exception résultante du droit d’expulsion, et il y a
d’ailleurs chose jugée qu’elle ne l’empêche pas.
Quant à son principe, je
n’hésiterais donc pas à admettre la loi proposée, et sur ce point aucun
scrupule constitutionnel ne m’arrêterait.
Mais il ne suffit pas que
le principe de la loi soit constitutionnel, il faut qu’elle soit opportune, et
il faut surtout qu’elle reste constitutionnelle dans son action.
Son opportunité ne me
paraît pas pouvoir être contestée.
Depuis quelques années nous
avons vu des doctrines, s’entourant du prestige de la liberté et de l’égalité,
enseigner les principes les plus subversifs de l’ordre social, remuer et
exciter les passions, fomenter les émeutes et dans l’excès et le délire de son
fanatisme, se faire aider dans ses projets liberticides par la dévastation et
l’assassinat.
Il ne faut pas que de
semblables théories, débordant du dehors, prennent le temps de germer en
Belgique et viennent corrompre la sage confiance, la juste vénération des
Belges pour des institutions garanties par la constitution la plus libérale de
l’Europe.
Il ne faut pas que celui
qui veut favoriser les ennemis de son pays ou qui veut favoriser les nôtres,
vienne ici exciter des défiances et prêcher le mépris ou la haine d’une royauté
constitutionnelle librement acceptée, et que les Belges considèrent avec raison
comme étant la garantie la plus efficace de la stabilité de ses institutions,
de l’ordre, de la tranquillité et de la prospérité du pays.
Dans la position que la
Belgique occupe sur la carte de l’Europe, elle est exposée à voir refluer chez
elle ces fauteurs de désordre et d’anarchie au moindre événement qui les chasse
du voisinage.
Une loi d’expulsion est
donc une loi opportune, et pour ma part, je l’appelais depuis longtemps de mes
vœux.
Mais il ne suffit pas
qu’elle soit opportune et constitutionnelle dans son principe, il faut encore,
et c’est là ce qui manque à la loi proposée, il faut encore qu’elle soit
constitutionnelle dans son exécution.
Lorsqu’en octobre 1831, le
gouvernement proposa un projet de loi sur la sûreté de l’Etat, cette loi
renfermait contre l’étranger des dispositions qui diffèrent peu de celles qui
nous sont actuellement proposées.
Je fus du nombre de ceux
qui s’élevèrent avec force contre cette proposition, parce que j’y apercevais
le renversement complet de l’art. 128 de la constitution.
Je disais alors, et c’est
ce que dit avec moi le ministre de la justice, dans l’exposé des motifs du
projet de loi actuellement en discussion, je disais que l’assimilation de
l’étranger au régnicole, quant à la protection due à sa personne et à ses
biens, est la règle constitutionnelle.
Je disais que si des
exceptions sont abandonnées aux prévisions de la loi, une loi semblable ne peut
avoir pour objet qu’une exception à la règle.
D’accord sur ce principe
avec M. le ministre de la justice, j’en tirais les conséquences suivantes :
Je disais que là où la
règle est constitutionnelle, il n’est pas permis à la loi de l’étouffer par
l’exception ; que là où il n’est permis à la loi que d’établir des exceptions à
la règle, il n’est pas permis de formuler l’exception de manière à corrompre le
principe de la règle, en la livrant tout entier à l’arbitraire du pouvoir
exécutif.
Je reconnaissais alors,
comme je reconnais encore aujourd’hui, qu’il ne fallait pas ouvrir en Belgique
un asile au crime ni permettre qu’on vienne y abuser de l’hospitalité au point
de troubler l’ordre intérieur et de compromettre la sûreté de l’Etat, et je
reconnaissais en même temps que l’on pouvait, par une loi exceptionnelle,
restreindre la protection que la constitution garantit à l’étranger.
Mais je déniais aux
chambres le pouvoir d’aller jusqu’au point de remplacer la règle par
l’exception.
De ces vérités élémentaires
pour moi, j’en concluais que la loi exceptionnelle devait être spéciale,
qu’elle devait définir les cas, et les seuls cas, où il serait permis de
refuser à l’étranger la protection que lui garantit la constitution ;
qu’autrement ce ne serait plus une loi exceptionnelle que nous formerions, mais
que ce serait le principe constituant que nous remplacerions par une loi ;
qu’enfin si le gouvernement pouvait arbitrairement, et sans même devoir en
faire connaître les motifs, repousser l’étranger du sol de la Belgique ou le
parquer où il lui plairait, l’art. 128 sortait tout entier de la constitution
pour entrer dans les attributions du pouvoir exécutif, et que ce serait là
donner l’exemple d’une violation contagieuse de la constitution.
Comme vous voyez,
messieurs, alors comme aujourd’hui, j’étais bien moins préoccupé de l’étranger
que du régnicole. Enlever à l’étranger directement ou indirectement toute
garantie constitutionnelle, c’était pour moi poser un antécédent dangereux ;
c’était mettre en péril les libertés mêmes du peuple belge pour les livrer au
sort des majorités.
Vous connaissez, messieurs,
quel était le projet de loi que je repoussais de la sorte et qui fut retiré par
le gouvernement.
Il s’agissait alors de
placer sons la surveillance du gouvernement tout étranger non autorisé à
établir son domicile en Belgique, et d’autoriser en même temps le gouvernement
à lui enjoindre de sortir du territoire ou de résider dans le lieu qu’il lui
désignerait.
Je conviens que l’idée que
je me fis alors d’une disposition aussi vague ne s’applique pas, en tous
points, au projet de loi actuellement en discussion.
Je reconnais qu’ici la loi
prend plus aisément la couleur exceptionnelle ; qu’il ne s’agit plus
d’autoriser une expulsion en masse, sans limites et sans distinction ; qu’il ne
s’agit plus, enfin que des étrangers qui compromettraient l’ordre et la
tranquillité publique.
Je reconnais encore qu’il
serait fort difficile, pour ne pas dire impossible, de faire une loi
d’expulsion où tous les cas d’application se trouveraient précisés ; de
spécifier toutes les circonstances où l’ordre et la tranquillité publique
peuvent se trouver compromis, d’autant surtout que ces cas peuvent varier
suivant les circonstances et les incidents politiques qui pourraient agiter ou
menacer soit la Belgique, soit les Etats voisins, et que tel fait qui pourrait
être inoffensif dans un temps donné, pourrait être fort hostile et dangereux
dans tel autre.
Aussi, pour mon compte,
dans l’impossibilité de faire mieux et en présence de la nécessite de faire une
loi sur la matière, mes scrupules constitutionnels disparaîtraient si en
laissant au gouvernement le pouvoir d’appliquer une exception aussi susceptible
d’être débordée, j’obtenais quelques garanties contre toute exécution abusive.
Ce ne serait qu’à cette
condition que je pourrais lui donner mon assentiment, parce que, sans cela, je
me trouverais replacé dans la position où j’étais en face du projet de loi de
sûreté de 1831 : la différence ne consisterait que dans des mots ; la chose, au
fond, serait la même.
En effet, si le ministre
est juge souverain de l’application de la loi, avec dispense d’énoncer les
motifs de son jugement et sans que le contrôle des chambres puisse s’exercer
sur les actes d’expulsion, vous pouvez effacer de la loi la seule condition qui
la rend plus spéciale que celle de 1831. Car il ne sera pas de fait le plus
innocent, le plus inoffensif à l’ordre et à la tranquillité publique, qui ne
pourra donner lieu à l’expulsion, et je plains celui qui aura déplu, non pas à
un ministre, je ne le crois pas capable d’aussi vil sentiment, mais à l’un ou
l’autre agent en sous-ordre, mais à quelque rivalité, à quelque basse jalousie,
si l’étranger l’offusque, par ses talents, par son industrie ou tout autrement,
mais encore à quelque fanatique intolérant qui trouvera que c’est un scandale
que de laisser dans le pays un étranger qui ne partage pas ses opinions ou sa
croyance.
C’est un véritable leurre
en législation que de dire que l’on ne pourra s’armer de la loi que contre
celui qui compromettra l’ordre et la tranquillité publique, alors que celui à
qui vous confiez cette arme est dispensé de rendre compte de l’usage qu’il en
aura fait.
Une loi semblable consacre
un arbitraire plus dangereux encore que la loi de sûreté de 1831.
Là du moins, il y avait de
la franchise. On disait clairement que le gouvernement pouvait placer
l’étranger hors du droit constitutionnel lorsqu’il le jugerait convenir, sans
restriction ni condition, sans spécialité aucune.
S’il y avait là de
l’arbitraire, l’arbitraire n’était que dans le fait du ministre qui exécutait
la mesure, et la responsabilité restait au moins entière.
Ici c’est dans la loi même
que nous plaçons l’arbitraire, et un arbitraire beaucoup plus complet, puisque
le ministre qui aura exécuté pourra toujours échapper à toute responsabilité,
en se bornant à vous dire : Vous m’avez constitué arbitre souverain des cas
d’application ; et, bien ou mal jugé, la loi ne m’oblige pas à vous rendre
compte de mes motifs.
Nous voulons une loi contre
le désordre, et c’est une loi de désordre que nous faisons ; car l’arbitraire
n’est pas autre chose que le désordre.
Au moyen de la loi qu’on
nous présente, le pouvoir exécutif pourra renverser la règle constitutionnelle
sans qu’il en reste la moindre parcelle ; et, dans ma conviction, si le serment
que j’ai prêté en entrant dans cette enceinte ne me faisait pas un devoir de la
repousser, je la repousserais encore par la raison qu’alors qu’on s’occupe de
l’ordre et de la tranquillité du pays, je verrais dans l’avenir de ma patrie un
débordement de désordre, de défiances et de dissensions du jour où l’on se
permettra de frauder la moindre disposition du pacte constitutionnel qui, pour
moi, est le gage de la tranquillité du pays tant qu’on saura l’entourer d’un
respect religieux.
Mais il n’y a pas
d’inconstitutionnalité, dit le rapport de la section centrale… Si vous
soustrayez de la règle la protection due aux personnes, la règle continue à
subsister pour les biens ; ainsi, ce n’est là que soustraire une portion de la
règle ; et du reste, en ce qui regarde les personnes, ce n’est que pour une classe
d’étrangers que vous restreignez la règle, puisque vous la réservez à ceux qui
sont autorisés à établir leur domicile en Belgique et puisque la loi ne
s’appliquera, d’ailleurs, qu’à la catégorie de ceux qui compromettront l’ordre
et la tranquillité publique.
Il y a messieurs, beaucoup
de subtilité, mais il y a bien peu de jugement dans pareils arguments.
La protection qu’en règle
générale la constitution garantit à l’étranger est la même pour la personne et
pour les biens, il n’y a pas d’alternative. Vous ne pouvez donc pas la diviser
; vous ne pouvez pas plus faire disparaître de l’article constitutionnel les
biens, au moyen de la confiscation ou du séquestre des biens, par exemple, (ce
qui, comme vous le dites, laisserait la personne intacte), que vous ne pouvez
confisquer ou séquestrer la personne en lui laissant les biens.
Je vous le demande,
messieurs, peut-on venir sérieusement nous dire qu’une loi par laquelle vous
déclareriez qu’aucun étranger, sur le sol de
Ce n’est que pour une
classe d’étrangers, dites-vous, que vous restreignez la règle ; ce n’est que
pour ceux qui compromettent l’ordre et la tranquillité publique : la règle
subsistera pour tous les autres.
A la bonne heure ; ici je
vais être d’accord avec le rapport, mais toutefois à une condition sans
laquelle l’argument ne signifie rien.
Indiquez-moi quelque chose
dans la loi qui me donne la garantie qu’en réalité la loi ne pourra être
impunément appliquée qu’à cette catégorie d’étrangers, et je serai entièrement
de votre avis.
Mais cette garantie, vous
ne la donnez pas ; vous excluez même tout moyen de contrôle, et vous voulez que
je ne voie pas dans une pareille disposition la ruine de la règle
constitutionnelle, que je ne voie pas tous les étrangers quelconques livrés,
sans moyen de redressement, à l’arbitraire du pouvoir !
Sans doute, je suis encore
de votre avis, lorsque vous me dites qu’il ne faut pas désarmer le pouvoir
devant le danger de l’Etat. Mais, est-ce donc le désarmer que de lui demander à
faire connaître les motifs de son action à ceux qui représentent la nation, à
ceux qui sont constitués les gardiens de la constitution ? Est-ce le désarmer
que de se réserver les moyens de lui retirer cette arme, si l’on venait à
s’apercevoir qu’il en abuse ?
Je demande donc, et ce
n’est qu’à cette condition que je pourrai donner mon assentiment à la loi, je
demande que la règle constitutionnelle ne soit point livrée à l’arbitraire du
pouvoir, sans responsabilité et sans aucun contrôle.
Je ne demande pas que
l’action du pouvoir exécutif, dans l’application de la loi, soit entravée le
moins du monde. Les garanties que je réclame n’ont pas pour effet de le gêner
d’une manière quelconque dans son exécution.
Je demande seulement que
les arrêtés d’expulsion soient adressés aux chambres dans un bref délai.
Si l’on pense qu’un arrêté
motivé, pouvant être livré à la publicité, pourrait dans certains cas être plus
nuisible qu’avantageux à l’étranger, je pourrai céder à cette considération ;
mais j’insisterai pour que l’envoi de l’arrêté aux chambres soit accompagné des
motifs qui ont provoqué l’expulsion. J’insisterai encore pour qu’avant d’être
communiqués aux chambres, ces arrêtés soient renvoyés à une commission
permanente de sept membres au moins, nommée au scrutin secret pour tout le
cours de la session et à l’ouverture de chaque session, commission qui sera
chargée d’examiner ces arrêtés et de faire rapport aux chambres dans les cas où
elle croira qu’il y a eu abus ; que la règle constitutionnelle a été violée ;
qu’enfin l’expulsion a été ordonnée en dehors des limites de la loi exceptionnelle.
Cette mesure qui ne gênera
en rien la liberté d’action du pouvoir exécutif, ne laissera pas au moins la
règle constitutionnelle sans défense et la responsabilité ministérielle hors de
toute atteinte. Elle facilitera et assurera le contrôle des chambres sur ces
actes importants et exceptionnels de l’administration générale, et l’on pourra
du moins faire rentrer le gouvernement dans les limites de l’exception s’il
venait à les dépasser.
Si l’on veut franchement
n’appliquer la mesure qu’aux cas où l’étranger compromet l’ordre et la
tranquillité, si ce n’est réellement pas plus loin que l’on veut aller, je ne
comprends pas comment ou pourrait se refuser à donner ces garanties à la règle
constitutionnelle.
Dans un gouvernement
représentatif, le ministère marche et ne peut marcher qu’avec la majorité des
chambres, et, par conséquent, il ne peut avoir rien à redouter du contrôle
d’une commission qui ne sera elle-même que l’expression de la majorité de la
chambre. Le gouvernement n’a donc rien à redouter d’une semblable commission.
Dira-t-on que le contrôle
de cette commission est une intervention directe de la chambre dans un acte du
pouvoir exécutif ?
Ce n’est pas à coup sûr du
banc des ministres que cette objection partira, car ils n’ont trouvé aucun
inconvénient à faire intervenir la chambre dans l’exécution de la loi sur
l’enseignement aux frais de l’Etat, et cela par égard pour la liberté
constitutionnelle de l’enseignement, et c’est aussi d’une liberté
constitutionnelle qu’il s’agit ici.
L’objection, du reste, ne
serait pas fondée. Là, l’intervention est directe, et ici, je ne demande aucune
intervention ni directe ni indirecte dans l’action du gouvernement ; je la
laisse entièrement libre. Ce n’est qu’un moyen de faciliter le contrôle de la
chambre que je demande, et comme le contrôle appartient constitutionnellement à
la chambre je ne demande rien d’inconstitutionnel, en demandant le moyen de
rendre ce contrôle efficace.
Dira-t-on que mes défiances
sont exagérées ; qu’il existe d’autres moyens de contrôle sans qu’il soit
besoin d’entourer encore la loi de la garantie que je réclame ?
Voyons et examinons quels
sont ces moyens.
Je lis, dans l’exposé des
motifs du projet de loi, que l’on ne peut pas croire que le gouvernement
abuserait du pouvoir que la loi lui donne, par la raison qu’il n’a aucun
intérêt à opprimer l’étranger qui respecte l’ordre.
A cela je pourrais me
borner à répondre que l’on ne peut pas croire davantage que la commission
abuserait de son mandat, puisqu’elle ne peut aussi avoir aucun intérêt à
entraver le pouvoir alors qu’il marche dans la voie légale.
Mais je réponds plus
directement à cette considération en faisant observer que le gouvernement doit
avoir bien moins intérêt à opprimer les régnicoles, ce qui ne serait sans doute
pas une raison pour mettre leurs libertés à sa discrétion.
Je continue à lire l’exposé
des motifs du projet de loi.
La presse, y est-il dit, la
tribune, l’opinion publique, et la responsabilité ministérielle, sont des
sauvegardes suffisantes.
La presse : mais elle est bâillonnée.
Elle vous dira bien qu’un tel a été expulsé, mais voilà tout ce qu’elle pourra
vous dire puisqu’elle ne peut connaître les motifs secrets de l’expulsion et
que la loi l’empêche d’en savoir davantage.
La tribune : mais vous la
rendez muette, puisque si elle vient vous demander pourquoi un tel a été
expulsé, vous pourrez lui répondre que c’est parce que vous avez jugé que la
loi lui était applicable et que c’est à votre discrétion que la loi a abandonné
le jugement souverain, sans qu’il soit besoin de justifier les motifs.
L’opinion publique : mais
vous l’égarez et vous la rendez impuissante. Comment voulez-vous qu’elle
apprécie un acte dont la cause lui reste inconnue ?
La responsabilité
ministérielle enfin : mais vous la couvrez de l’égide même de la loi. Cette
loi, telle que vous nous la proposez, est précisément la sauvegarde de votre
responsabilité. Elle vous laisse souverain arbitre de son application ; elle
n’exige pas cette garantie (précieuse acquisition des temps modernes) ; elle
n’exige pas que votre jugement soit motivé ; elle n’exige pas même qu’en dehors
du jugement et de son exécution, vous rendiez compte de ses motifs ; elle ne
réserve aucun moyen de contrôle, elle ne veut pas même que la prévention soit
possible.
Je passe maintenant au
rapport de la section centrale, et j’y lis que si cette section n’a pas cru
devoir admettre les garanties que je réclamais au nom de la section que j’avais
l’honneur de présider, c’est à raison que celles écrites dans la constitution
sont tout aussi efficaces.
Je prends d’abord acte de
ce raisonnement, parce qu’il me permet d’en conclure que la section centrale
elle-même reconnaît qu’il faut des garanties, et qu’en conséquence, si elle
n’avait pas pensé que l’on trouvait dans la constitution des garanties
efficaces, elle eût fait droit à ma réclamation.
Or, si je prouve que ces
garanties qu’elle a cru exister dans la constitution ne sont qu’illusoires, et
je pense que cela me sera facile, je dois conserver l’espoir fondé que la
section centrale se ralliera à la proposition que je lui ai faite.
Le rapport de la section
centrale indique ces garanties dans les articles 21, 43 et 40 de la
constitution.
En vertu de l’art. 21,
l’étranger jouit du droit de pétition.
Ce droit, pour lui, sera
parfaitement illusoire ; il ne pourra vous apprendre autre chose par sa
pétition que ce que vous saurez déjà, c’est-à-dire qu’il est expulsé. L’ordre
d’expulsion n’étant pas motivé, il ne pourra pas vous dire quelle est la cause
de cette mesure.
D’un autre côté, est-ce là
agir en gardiens scrupuleux de nos institutions de ne nous occuper de
l’étranger alors qu’il trouverait le moyen de nous faire parvenir sa plainte ?
Je le répète encore, ce
n’est pas ici la cause de l’étranger que je plaide, elle n’est que secondaire
dans ma pensée, c’est celle d’une liberté constitutionnelle que je défends
; et que l’on se plaigne ou que l’on ne se plaigne pas, je crois qu’il est de
notre devoir de veiller à ce qu’il n’y soit porté aucune atteinte dans le
silence même de la partie lésée.
En vertu de l’art. 43, la
chambre pourra renvoyer la pétition au ministre, et exiger des explications sur
son contenu.
Je prends encore acte de
cette concession de la section centrale, et j’en conclus qu’elle reconnaît que
tout au moins le ministère pourra être tenu d’expliquer à la chambre les motifs
de l’expulsion, lorsque l’étranger lui aura faire savoir officiellement qu’il
est expulsé.
Or, s’il est vrai que la
loi, telle qu’elle est conçue, n’empêchera pas que la chambre ne puisse user de
ce droit lorsque l’exercice en sera provoqué par l’expulsé, il faut s’attendre
qu’il n’est pas un expulsé qui, ignorant la cause de son expulsion, ne
s’adresse à la chambre, et ainsi nos travaux se trouveront interrompus pour
discuter des matières toujours fort irritables, et c’est là précisément ce que
je désire d’éviter, en demandant que semblables requêtes soient renvoyées, sans
discussion préalable, à la commission spéciale dépositaire des motifs de
l’expulsion, et qui ne viendra en occuper la chambre que pour autant qu’elle
croira qu’il y a eu abus.
Or, encore, si la chambre
conserve le droit de demander les motifs de l’expulsion sur la pétition de
l’expulsé, il faut bien reconnaître que je ne propose pas d’attribuer à la
chambre un droit qu’elle n’a pas ; que la ma proposition est toute légale et
qu’elle a, sur l’exécution de l’article 43 de la constitution, cet avantage
incontestable que la chambre ne sera saisie d’une discussion sur l’application
de la loi proposée que dans les cas rares, car j’aime à croire qu’ils seront
peu fréquents, où la commission croirait avoir quelque abus à signaler.
Au surplus il ne faut pas
se faire illusion. La section centrale se trompe lorsqu’elle pense qu’après
l’adoption de la loi, telle qu’elle est formulée, l’art. 43 de la constitution
pourrait produire le résultat qu’elle nous promet.
Lorsque vous renverriez une
semblable pétition avec demande d’explications, le ministre vous répondra, et
il sera dans son droit, qu’étant l’arbitre de l’application de la loi, il a
jugé d’après les renseignements qui lui sont parvenus, que l’ordre et la
tranquillité du pays pouvait être compromis par le séjour prolonge du
pétitionnaire. Voilà tout ce que vous en aurez, plus les discussions qui s’en
suivront sans aucun résultat, pour tâcher d’en savoir davantage, plus la perte
de temps ; et ce n’est sans doute pas là un remède efficace.
On ne me demandera pas sans
doute si la chambre en aura davantage avec ma commission permanente, car la
chose est évidente.
Cette commission pourra
prendre et recueillir des informations ; elle pourra plus aisément et plus
utilement se mettre en relation avec le ministre ; elle pourra obtenir de lui
des communications qui seraient souvent de nature à ne pouvoir être livrées à
la publicité et par conséquent à la chambre, et la chambre s’épargnera ainsi le
soin de s’occuper des pétitions qui ne mériteraient réellement pas son
attention.
Enfin la section centrale
nous rappelle que l’art. 40 de la constitution nous donne le droit d’enquête.
Je m’étonne que l’on vienne
nous parler du droit d’enquête à l’occasion d’une pétition sur le sujet que
nous discutons.
Aurait-on oublié ce qui est
advenu chaque fois que nous avons fait l’essai de ce moyen ? Ne sait-on pas que
ce moyen n’est pas même encore organisé ? N’est-ce pas d’ailleurs un moyen dont
il ne faut faire usage qu’avec la plus grande réserve et dans les cas seulement
où il s’agit d’un objet important d’intérêt général, d’un péril grave ? Enfin,
n’est-ce pas là un moyen extraordinaire auquel il ne faut recourir qu’à défaut
de tout moyen ordinaire ?
En nous citant ces trois
articles de la constitution comme renfermant des garanties propres à remplacer
efficacement celles que je propose, la section centrale n’a pas dit un mot de
la responsabilité ministérielle ; et, en effet, elle ne pouvait en rien dire,
parce qu’il est par trop évident que la loi, telle qu’elle est conçue., sans
les garanties que je réclame, place la responsabilité ministérielle à l’abri de
toute atteinte, ainsi que je pense l’avoir suffisamment démontré.
D’après ces diverses considérations, je ne
pourrai donner mon assentiment à la loi, si je n’obtiens pas, en faveur du
respect dont nous ne devons cesser d’entourer la constitution, les articles
additionnels que je me réserve de livrer aux débats, si la discussion
ultérieure ne me donne pas la conviction que mes scrupules ne sont pas fondés.
Il est toutefois un point
sur lequel je ne crois pas pouvoir transiger ; c’est sur la durée temporaire de
la loi.
Elle est bonne ou elle est
mauvaise.
Si elle est bonne, pourquoi
se placer en dehors des principes du droit commun en matière de législation ;
pourquoi lui refuser le caractère de perpétuité ?
Si elle ne vaut rien ou si
elle est inconstitutionnelle, ce serait un contresens que de la voter même pour
vingt-quatre heures.
Une loi exceptionnelle est
plus fâcheuse, dit-on, par sa durée que par sa rigueur.
Mais, quel que soit son
objet, il ne faut pas sans doute qu’elle soit fâcheuse ni dans sa durée, ni
dans sa rigueur.
Quant à moi, je ne vois
rien de fâcheux pour le pays et non pas pour l’étranger, car ce n’est pas pour
l’étranger, mais pour le pays que nous faisons la loi ; je ne vois rien de
fâcheux d’en expulser celui qui vient troubler l’ordre et la tranquillité
publique, et je désire bien sincèrement qu’il en soit ainsi à perpétuité et non
pas seulement pour trois ans.
On n’abuse pas de la loi,
dit-on, lorsque le terme est court et qu’on est soumis à l’obligation d’en
demander le renouvellement.
Mais ce n’est pas non plus
pour le ministère, mais pour le pays que nous faisons la loi.
Si elle est bonne pour le
pays, que le ministre en abuse ou qu’il n’en abuse pas, cela ne fait rien à la
chose ; car s’il en abuse, ce sera bien une raison pour expulser le ministre,
et ce n’en sera pas une pour priver le pays d’une bonne loi.
L’extradition qui
livre l’étranger à ses bourreaux est un droit bien plus rigoureux que
l’expulsion qui lui laisse la liberté de se retirer où il veut, et toute
rigoureuse que soit l’extradition, nous n’en avons pas fait l’objet d’une loi
provisoire.
Quant à moi, je désire que
le pays sache que ce n’est pas une loi fâcheuse, mais une bonne loi et une loi
de durée que nous avons voulu faire, et je désire d’ailleurs d’éviter le
renouvellement périodique de toute discussion ultérieure sur semblable matière.
M.
le président. - M. Liedts a la parole.
M.
Liedts. - Comme je parlerai contre le projet, je désirerai, savoir si
parmi les orateurs inscrits, il n’y a pas un seul orateur qui se propose de
parler en faveur du projet.
M.
Dubois. - Messieurs, on ne s’attend guère à être écouté avec beaucoup
de faveur, ni à inspirer de bien vives sympathies, quand on se lève parmi vous
pour détendre une loi d’exceptions où domine essentiellement le vague et
l’arbitraire. Jaloux de conserver dans leur acception la plus large les grands
principes de liberté consacrés par notre constitution, fiers de notre antique
renom d’hospitalité, la chambre et le pays ne céderont qu’avec peine et après
beaucoup d’hésitation, à la triste nécessité de livrer aux mains du pouvoir le
sort des étrangers qui viennent parmi nous pour s’établir ou pour implorer un
refuge. Et cependant, messieurs, cette nécessité existe ; elle s’offre à nous
fatale et impérieuse.
Tandis que la Belgique
s’efforce à se constituer libre et indépendante parmi les nations, pendant
qu’elle fait les efforts les plus généreux pour se donner de bonnes lois, et
pour ramener parmi ses citoyens l’ordre, la confiance et la sécurité, seuls
gages d’une liberté durable, il s’élève à côté de nous une génération d’hommes
inquiets et dangereux, de prétendus réformateurs du monde, qui ne tiennent leur
mission que d’eux-mêmes, et qui, aussi audacieux qu’ignorants, ont rêvé, avec
le renversement des trônes, l’anéantissement de tout pouvoir, de toute
croyance, de toute morale en Europe. J’ose le dire, messieurs, malgré leurs protestations
hypocrites, ces hommes ne sont d’aucun pays ; ils ont mis leurs haines
personnelles, leurs passions, leur égoïsme, à la place de leur patrie. On les
retrouve partout ; au fond de leurs clubs, conspirant la ruine de tout ordre
social ; dans nos cités, prêchant au peuple le scepticisme et le découragement,
catéchisant la classe ouvrière, la démoralisant, l’excitant au désordre et à la
révolte. Secte infatigable et mystérieuse qu’on voit reparaître toutes les fois
qu’on la croit anéantie ou comprimée, plus audacieuse, plus active, plus
implacable qu’auparavant.
Ah ! messieurs,
si la loi qui nous est présentée était dirigée contre ces étrangers qui parmi
nous viennent exercer un commerce quelconque, viennent établir une industrie
nouvelle, élever des manufactures, verser leurs capitaux dans le pays, porter
en dot leur science ou leurs biens, je n’élèverais la voix que pour protester
contre tant de folie et d’indignité. S’il s’agissait de troubler dans leur
sécurité certains réfugiés politiques que le malheur a conduits parmi nous, qui
sont venus nous demander asile et protection contre leurs oppresseurs, qui
pleurent la ruine et la perte de leur patrie et qui vivent résignés et
inoffensifs à l’ombre de nos lois et de nos institutions protectrices, je protesterais
encore, et nous protesterions tous. Nous nous sentirons tous offensés dans ce
que nos cœurs renfermeraient de plus noble et de plus généreux. Ces étrangers,
nous les avons accueillis, nous leur avons promis protection, nous les avons
aidés de nos souscriptions, nous leur avons donné même des places honorables
dans notre armée : qu’ils gardent leur foi donnée et nous ne leur retirerons
pas la nôtre ; qu’ils restent parmi nous gens d’honneur et paisibles citoyens
de leur nouvelle patrie, et ils n’auront jamais rien à craindre. Le mal n’est
pas là.
Mais, ce serait de la folie
aussi, ce serait une duperie qui n’est réservée qu’à un peuple stupide et
ignorant que de transiger avec les amis du désordre, que de composer avec
l’iniquité. Ce n’est pas un frère celui qui vient troubler le repos de sa
famille, qui prêche la perversité, qui conspire sa ruine. Il n’a pas mérité
l’hospitalité celui qui, délirant de haine et de vengeance contre son hôte,
vient pour semer le trouble et l’anarchie parmi les siens.
Messieurs, le mal est grand
; il est imminent pour la Belgique. Sans limites naturelles, placés pour ainsi
dire au centre du mouvement qui entraîne la société à sa ruine, nous avons tout
à craindre des nouvelles doctrines qu’on répand parmi les hommes ; si elles
triomphent, nous en serons les premières victimes ; si on les comprime
ailleurs, elles déborderont chez nous ; notre patrie deviendra le centre commun
de funestes opérations ; on s’en servira comme d’un point d’appui pour diriger
le levier qui doit soulever les peuples et bouleverser l’Europe. Ce que je vous
dis, messieurs, vous le savez ; vous les connaissez ces hommes de destruction,
car vous les avez déjà vus préluder à leur œuvre.
Et qu’on ne dise
pas,
Unissons donc tous nos
efforts pour nous opposer à l’ennemi commun, pour sauver notre pays du
naufrage, pour lui préparer un avenir tranquille et prospère, pour le placer en
dehors des influences dissolvantes qui ont mené un royaume voisin aux bords des
précipice et dont on a vu les effets se résumer dans une épouvantable péripétie.
Messieurs, je voterai pour
la loi, mais j’attendrai la discussion des articles pour m’expliquer, si je le
crois utile, sur certaines objections qu’on fait à l’article premier, et sur
quelques dispositions nouvelles que la section centrale a trouvé convenable d’y
introduire.
M.
Liedts. - « Il faut donner au gouvernement des secours pour la
sûreté publique ; il faut donner au gouvernement les secours nécessaires pour
la sécurité de tous, mais il ne faut pas lui donner l’arbitraire. »
Ces paroles, messieurs
prononcées dans la séance du 4 avril 1834, par l’honorable ministre de la
justice, alors député, en parlant du droit d’asile que les étrangers avaient à
réclamer en Belgique, ces paroles qui furent applaudies de tous les amis
sincères du pays et de la constitution, sont aussi l’expression fidèle de ma
pensée.
Oui, messieurs, on me
trouvera toujours disposé à donner au gouvernement les moyens nécessaires pour
la conservation de nos institutions acquises au prix du sang des martyrs de
notre révolution ; mais ce ne sera aussi qu’à la dernière extrémité que je
m’associerai par mon vote à des lois consacrant un arbitraire sans limites, ce
ne sera qu’à la dernière extrémité que je confierai au gouvernement des armes
aussi dangereuses pour celui qui les manie que pour les citoyens contre
lesquels on les emploie.
Tout-puissant pour faire le
bien, impuissant pour opprimer, voilà le gouvernement comme je le voudrais voir
établi.
Lorsqu’au mois d’août
Une année entière s’est
écoulée depuis que nous avons recueilli cette promesse solennelle de la bouche
du ministre, et quel est le fruit de ses longues méditations ? Un projet dont
rien n’égale l’arbitraire, si ce n’est peut-être le défaut de franchise qui
règne dans la rédaction. Lorsqu’immédiatement après la malheureuse campagne du
mois d’août 1831, le ministère présenta à la chambre son projet de loi sur la
sûreté publique, il avait au moins la franchise de dire que ce projet de loi
était arbitraire ; il trouvait sa justification dans la position critique où
était placée
« Les étrangers,
portait ce projet de loi, non autorisés par le gouvernement à établir leur
domicile en Belgique et qui se trouveront sur le territoire du royaume sans y
avoir une mission des puissances neutres ou amies reconnues par le gouvernement
du roi, sont placés sous la surveillance spéciale du gouvernement, qui pourra
leur enjoindre de sortir du territoire belge ou de résider dans la commune, le
canton, l’arrondissement ou la province qu’il leur désignera. »
Ce projet au moiras avait
le mérite d’être franc et loyal et ne laissait pas deviner le dessein de ses
auteurs ; le projet qu’on vous présente au contraire sous une apparence
trompeuse consacre identiquement la même chose.
Et, en effet, le ministère
prétendrait-il que le projet actuel exige pour condition de l’expulsion que
l’étranger trouble l’ordre et la tranquillité publique ? Mais pense-t-il que le
ministère de 1831 tînt un autre langage ? Pense-t-il qu’en 1831 le ministre de
la justice, dont le caractère personnel inspirait du reste tant de confiance,
fût assez insensé pour solliciter la faculté d’expulser les étrangers sans
motifs ? Et n’est-il pas au contraire présent à votre mémoire qu’alors comme
aujourd’hui le ministère protestait de son respect pour le droit d’asile, et
donnait l’assurance la plus positive de n’user de la loi qu’envers ceux qui
troubleraient l’ordre et la tranquillité publique ?
« Le ministère, disait
M. de Muelenaere, alors ministre des affaires étrangères, ne pourra se servir
de cette loi que pour réprimer à l’intérieur les complots qui tendraient à
compromettre la sûreté de l’Etat.»
Les autres ministres
s’exprimaient de la même manière.
Qu’on ne s’y trompe donc
pas, les deux projets de loi avaient le même but, la même portée, consacraient
le même arbitraire.
Or, comparez les deux
époques ! lorsque le premier projet fut présenté, la
Belgique venait d’être surprise par un ennemi déloyal, dont les armées
secondées par des intelligences à l’intérieur avaient pénétré jusqu’aux portes
de la capitale ; l’or corrupteur de l’étranger, à en croire les ministres,
soudoyait en Belgique des étrangers travaillant sans relâche au retour d’une
dynastie proscrite â jamais ! Tous ces motifs ont disparu aujourd’hui, et personne,
je pense, ne croira que s’il existe encore des songes creux qui rêvent le
retour de leur ancien maître, leur présence soit dangereuse au repos du pays.
Cependant, messieurs, le ministère de 1831 recula devant le vote de la chambre
et retira le projet de loi pour le léguer à ses successeurs qui, quatre ans
plus tard, sans pouvoir invoquer la gravité des circonstances de 1831, ne
craignent pas de le reproduire sous une autre forme.
Que dis-je, le ministre
actuel renchérit encore sur la rigueur de la loi d’amour de 1831.
« Le premier ministre
du Roi ne présentant le projet actuel que comme une loi essentiellement
passagère, bornez-en la durée, disait M. de Muelenaere, à la durée de la
session, si vous le voulez, afin que le pouvoir soit chargé de son exécution
sous la surveillance des chambres même ! »
La loi nous était donc
présentée comme un mal dont le court passage ne devait laisser que peu ou point
de traces.
Le ministère actuel au
contraire veut qu’elle prenne place dans nos lois permanentes, qu’elle
s’incorpore à nos institutions, et qu’elle serve à jamais d’écriteau aux
frontières du pays reconnu de tout temps comme la terre hospitalière par
excellence.
Ne faut-il donc aucune loi
sur l’expulsion des étrangers ? Faut- il permettre que des personnes qu’aucun
intérêt n’attache à la stabilité de nos institutions viennent impunément
exposer la tranquillité publique ?
Je l’ai déjà dit en
commençant, telle n’est pas mon opinion, et il m’est facile de faire voir que
je suis plus sévère envers les étrangers que les ministres eux-mêmes, non pas
d’après le langage qu’ils tiennent aujourd’hui, mais d’après celui qu’ils
tenaient autrefois.
M. de Muelenaere disait, à
l’appui de la loi de 1831, que dans des temps ordinaires, il repousserait la
loi avec une profonde indignation.
Messieurs, je ne puis
m’associer à cette opinion absolue, et je crois que même pour les temps
ordinaires où nous sommes, il convient de régler le droit d’expulsion. Dans
tous les temps on peut rencontrer des fauteurs de troubles, des hommes qui
paient l’hospitalité de la plus noire ingratitude.
Je ne rejetterai donc pas
la loi avec indignation, comme M. de Muelenaere devrait le faire, mais je
tâcherai de l’améliorer.
« En temps ordinaire,
disait le ministre d’Etat M. de Mérode à la séance du 14 octobre 1831, les
étrangers, même les Hollandais, doivent trouver chez nous la plus large
hospitalité. »
Et cependant, M. le
ministre actuel demande à régler le droit d’asile, même pour les temps
ordinaires, par de simples ordonnances, et à soumettre tous les étrangers sans
distinction au bon plaisir de la police.
M. d’Huart, à la séance du
12 octobre 1831, prononça un discours pour prouver tout l’odieux de la loi
arbitraire qu’on vous présente de nouveau aujourd’hui, et qu’on voulait alors
arracher à la législature, en lui communiquant des terreurs paniques : il
rejetait le projet avec effroi : « la police, disait-il, peut trouver
assez d’aliments pour son inquiète et farouche activité en usant du pouvoir que
leur confère le code pénal et au moyen de la stricte exécution des lois sur les
passeports »
Messieurs, je suis moins
rigoureux que M. d’Huart et je pense que la police, sans être farouche, peut
réclamer d’autres mesures que l’exécution des passeports !
Je suis même moins
rigoureux que M. Ernst, que M. Ernst attaquant son prédécesseur, que M. Ernst
député. Ne s’écriait-il pas à la séance du 24 avril 1834 : « Comment ! ce sera un agent de police qui fera un rapport, et sur ce
rapport un honnête homme sera expulsé ! Comment ! ce
ne sera pas seulement pour avoir écrit qu’on chassera les étrangers, ce sera
pour avoir parlé ! Ainsi un odieux espionnage servira de base aux expulsions
des étrangers, et vous croyez, M. le ministre, que la chambre et
Vous pouvez le poursuivre
en justice ! Non, messieurs, il ne faut pas, à mon sens, poursuivre tous les
étrangers sans distinction, qui enfreignent nos lois de police, mais il ne faut
pas non plus les abandonner à l’aveugle caprice, au pouvoir discrétionnaire
d’un chef de police !
Je suis donc moins
rigoureux, je le répète, sur les formes judiciaires que M. Ernst lui-même. Il
semblerait, d’après tout cela, messieurs, que rien ne doive être plus facile
que de nous entendre.
Je ne demande pas à nos
ministres qu’ils soient tels aujourd’hui qu’ils étaient autrefois, ce serait
exiger un sacrifice trop grand peut-être ; mais qu’ils fassent au moins
quelques pas vers la route qu’ils ont parcourue, et ils sont certains de nous
rencontrer.
Mais que craignez-vous ?
nous diront les ministres ; le gouvernement n’a aucun intérêt à opprimer
l’étranger ! Messieurs, c’est aussi ce que disent tons les despotes présents et
passés qui, voulant régir toutes choses d’après leur bon plaisir, invoquent
sans cesse leur intérêt à bien gouverner. Demandez aux despotes du nord
pourquoi ils ne veulent pas que leur volonté soit bridée par des lois. A quoi
bon, diront-ils, que craignez-vous, avons-nous intérêt à opprimer qui que ce
soit ? Et l’intérêt de tous n’exige-t-il pas que, libres dans nos actions, nous
puissions opérer le bien sans contrainte et sans formes ? Vous le voyez,
messieurs, lorsque, pour vous arracher des lois arbitraires on n’a qu’à
alléguer le défaut d’intérêt d’en abuser, on fait, sans le vouloir, l’apologie
du despotisme.
La loi, ajoute-t-on, ne
peut alarmer que les malveillants, car les lois pénales ont-elles
jamais troublé le sommeil de l’honnête homme ?
Non, messieurs, l’homme de
bien ne craint pas les lois pénales ; mais pourquoi ? Parce qu’il sait qu’il
existe un juge impassible comme la loi même pour l’appliquer ; parce qu’il sait
qu’il doit être entendu, confronté avant d’être frappé ; parce qu’il sait que
si une accusation injuste venait à peser sur lui, la loi met à sa disposition
tous les moyens de prouver son innocence ; mais s’il existait au monde un pays
où il suffit d’un faux rapport pour être frappé dans sa fortune et ses
affections ; où, sans vous entendre, sans la moindre instruction préalable, un
chef de police pût vous arracher à jamais à votre famille et à vos affaires,
pensez-vous que beaucoup d’étrangers seraient tentés d’y aller fonder des
établissements de commerce ou d’industrie ? Et ne pensez-vous pas au contraire
que même l’honnête homme craindrait de venir s’asseoir à l’ombre de ces
institutions tyranniques ?
Et qu’on n’invoque pas les
précautions dont les expulsions seront entourées : la police est aujourd’hui ce
qu’elle était hier, ce qu’elle sera demain ; je ne l’appellerai pas farouche
comme M. d’Huart, mais inquiète, ombrageuse ; et comme dans tous les temps son
action s’exerce par les subalternes du plus vil caractère, elle est par cela
même sujette à errer. Qui oserait en douter ? n’a-t-on
pas vu le ministère précédent expulser comme dangereux pour la sûreté publique
un homme mort depuis plusieurs semaines ; d’autres qui, de l’aveu de tous, ne
s’étaient jamais mêlés des affaires politiques. Et c’est après des exemples
semblables, stigmatisés alors par M. Ernst, qu’on nous propose une loi qui
n’offre aucune garantie contre l’erreur ou la passion !
Je n’ignore pas combien il
est difficile de faire une bonne loi sur les étrangers, une loi qui concilie
l’intérêt public avec l’hospitalité que notre constitution assure aux étrangers
; mais entre les lenteurs judiciaires d’une poursuite ordinaire et l’expulsion
brutale sans aucune forme de procès, la marge est énorme. L’humanité ne
s’offense-t-elle pas de voir mettre sur la même ligne l’homme que des intérêts
réels attachent à notre sol, avec l’intrigant sans aveu que rien ne lie à nos
institutions ; de voir confondre celui qui, par une longue résidence et des
établissements souvent très importants parmi nous, a pris racine dans le pays,
avec des goujats débarqués d’hier, avec toute leur fortune de pacotille, et ne
spéculant que sur la crédulité publique ?
Peut-on tolérer que les uns
comme les autres trouvent à leur réveil un gendarme qui leur enjoigne de
quitter
Si vous voulez, messieurs,
faire une chose utile et agréable à tous les bons citoyens, soyez un peu moins
en peine que le ministre des doctrines républicaines, et un peu plus de la
fortune des citoyens. Permettez au juge régulier de condamner à l’expulsion ces
étrangers qui, dénués de tout et arrivant parmi nous, abusant de la confiance
des Belges, vivent d’escroquerie et de vols, et regardent notre pays comme un
mine à exploiter. Après cela, rendez votre projet de loi supportable, et vous
me trouverez prêt à l’appuyer ; entourez l’expulsion de quelques garanties
contre l’erreur ou la passion de vos gens de police, en établissant des
catégories d’après les liens plus ou moins forts qui unissent les étrangers à
notre patrie : que si vous ne consentez pas aux amendements que j’aurais
l’honneur de présenter dans ce but, si vous voulez l’arbitraire, dans toute son
étendue, je voterai contre le projet de loi, en rappelant à M. le ministre de
la justice ces mots, qu’il adressait à son prédécesseur à l’occasion des
expulsions : « Il est difficile de croire à la bonne foi de celui qui
ferait le libéral quand il était député, et qui fait le despote arrive au
pouvoir. »
Voici les amendements que
j’aurai l’honneur de déposer sur le bureau. L’art. 1er serait nouveau.
« Art. 1er. Les
étrangers qui seront condamnés du chef de banqueroute frauduleuse,
d’escroquerie ou d’abus de confiance, pourront par le même jugement ou arrêt
être condamnés à sortir du territoire de
Avant de passer à l’article
2, je dirai, pour le mieux faire comprendre, que je partage les étrangers en
trois catégories, d’après le plus ou moins d’attachement qu’on peut supposer à
chacun d’eux pour nos institutions.
« Art. 2. L’étranger
résidant en Belgique qui par sa conduite compromet l’ordre et la tranquillité
publique, peut, sur l’avis de la chambre du conseil du tribunal de sa
résidence, être contraint par le gouvernement à sortir du territoire belge, ou
résider dans la commune, le canton, l’arrondissement ou la province qu’il lui
désignera.
« Le tribunal, d’après la
notoriété publique et après avoir entendu le ministère public transmettra un
avis motivé au ministre dans les huit jours de la demande qui lui en sera
faite.»
Je demande la notoriété
publique afin que l’étranger qui ne se mêle pas des affaires publiques ne soit
pas expulsé arbitrairement par un agent de police.
« Art. 3. Si cependant
l’étranger, après avoir atteint l’âge de 21 ans accomplis, a résidé en Belgique
pendant 5 années consécutives, pourvu qu’il y paie une contribution directe, et
qu’il y possède en outre un établissement d’agriculture ou de commerce, le
gouvernement ne pourra lui appliquer la disposition précédente que sur l’avis
conforme de la chambre des mises en accusation de la cour d’appel dans le
ressort de laquelle l’étrange a établi sa résidence ; dans ce cas le ministère
public et l’étranger seront entendus en chambre du conseil, dans la quinzaine à
dater de la réception des pièces ; elles seront renvoyées avec l’avis motivé au
ministre de la justice. »
Je crois que cette disposition
n’entoure pas l’étranger de trop de garanties. Vous vous rappellerez que sous
l’empire de la constitution de frimaire an VIII, l’étranger dans la catégorie
qui fait l’objet de mon article 3 obtenait, sur une simple déclaration faite à
la municipalité, la jouissance des droits civils et la qualité de citoyen
français ayant la plénitude des droits politiques, pourvu qu’il eût résidé 10
ou 5 ans et qu’il possède un établissement de commerce et d’agriculture en
France avant d’avoir atteint l’âge de 21 ans.
Ce n’est donc pas trop
exiger qu’une personne qui devenait, sous l’empire de la constitution de l’an
VIII, citoyen de plein droit, ne soit pas expulsée sans aucune espèce de
garantie.
Je consacre un paragraphe
spécial de l’article 4 à l’étranger qui résidait en Belgique avant le 1er
janvier 1814, et qui y possède un établissement de commerce ou d’agriculture.
Si cet étranger n’avait pas négligé de faire la déclaration voulue par la
constitution, il aurait été citoyen belge, jouissant de tous les droits
politiques attaché, à cette qualité, et ayant par conséquent droit d’être
appelé à siéger dans cette enceinte. Il ne peut être mis sur la même ligne que
l’étranger nouvellement débarqué que rien n’attache à nos institutions.
« Art. 4. Les
dispositions qui précèdent ne pourront être appliquées aux étrangers qui se
trouvent dans un des cas suivants :
« 1° A l’étranger
autorisé à établir son domicile dans le royaume ;
« 2° A l’étranger marié
avec une femme belge, dont il a des enfants nés en Belgique pendant sa
résidence dans le pays ;
« 3° A l’étranger
décoré de la croix de fer ;
« 4° A l’étranger
établi en Belgique avant le 1er janvier 1814, et qui a continué d’y résider ;
s’il y possède en outre un établissement d’agriculture ou de commerce. »
« Art. 5. Dans la
huitaine de la date de l’arrêté, si les chambres sont assemblées, et dans la
huitaine du jour de la réunion des chambres, si au moment de l’expulsion les
chambres n’étaient pas assemblées, le ministère rendra compte aux chambres des
arrêtés portés en vertu des articles 2 et 3 de la présente loi. »
« Art. 6. L’arrêté
royal porté en vertu de l’article premier sera signifié par huissier à
l’étranger qu’il concerne.
« Il sera accordé à
l’étranger un délai qui devra être d’un jour franc au moins. »
« Art. 7.
L’étranger qui aura reçu l’injonction de sortir du royaume, sera tenu de
désigner la frontière par laquelle il sortira : il recevra une feuille de route
réglant l’itinéraire de son voyage et la durée de son séjour dans chaque lieu
où il doit passer.
« En cas de
contravention à l’une ou l’autre de ces dispositions, il sera conduit hors du
royaume par la force publique. »
« Art 8. Le
gouvernement pourra enjoindre de sortir du territoire du royaume à l’étranger
qui quittera la résidence qui lui aura été désignée. »
« Art. 9. En cas que
l’étranger auquel il aura été enjoint de sortir du royaume rentre sur le
territoire, il pourra être poursuivi, et il sera condamné pour ce seul fait,
par les tribunaux correctionnels, à un emprisonnement de trois mois à un an, et
à l’expiration de sa peine il sera conduit à la frontière. »
« Art. 10. La présente
loi ne sera obligatoire que pendant trois ans, à moins qu’elle ne soit
renouvelée. »
M.
Frison. - Messieurs, je ne prends point la parole pour vous faire part
de toutes les réflexions que m’a suggérées le projet de loi soumis à vos
délibérations ; assez d’orateurs distingués entreprendront la tâche d’en faire
ressortir tous les vices.
Je vous dirai seulement que
je suis étonné de voir la section centrale écarter quelques faibles garanties
que vous présentait le gouvernement dans son article 2 :
« 1° A l’étranger
autorisé à établir son domicile dans le royaume ;
«2 ° A l’étranger marié
avec une femme belge, dont il a des enfants nés en Belgique pendant sa
résidence dans le pays ;
« 3° A l’étranger
décoré de la croix de fer ;
A mon avis, le ministère
avait raison d’accorder protection aux étrangers qui se trouvaient dans ces
trois cas : le ministère avait pensé qu’un homme qui, aux jours du danger,
était venu nous aider de son bras et de son courage, et auquel ses actions
avaient mérité d’être décoré de la croix de fer, avait
acquis assez de titres pour obtenir une certaine protection.
La section centrale
proscrit ces trois catégories. Eh ! que lui a fait cette croix de fer pour ne
pas lui donner au moins le mérite de protéger celui qui est naturalisé chez
nous par le baptême du sang ?
Messieurs, l’examen même du
rapport m’a convaincu que le projet était inconstitutionnel, et cela ressort,
pour moi, de ce qu’elle propose une loi temporaire ; si la loi est
inconstitutionnelle, qu’est-ce qui s’oppose à la rendre permanente ? Ces
considérations et d’autres dont je m’abstiens pour ne point abuser de votre
temps, me détermineront à refuser mon vote approbatif à la loi, à moins que les
amendements ne la rendent meilleure.
A propos d’une loi
d’expulsion, c’est bien le cas, messieurs, de vous dire quelques mots d’un fait
qui s’est passe chez nous, et que certains journaux ont cherché à dénaturer. Ma
position deviendrait peut-être délicate si j’avais à justifier les opinions et
les actes de la société des amis du peuple et des républicains. Mais je ne suis
point chargé de cette tâche, et je puis déclarer à l’assemblée que dans l’arrondissement
dont j’ai l’honneur d’être l’un des mandataires, tout le monde est fatigué des
commotions politiques et voit avec plaisir notre avenir consolidé par une forme
de gouvernement que nous considérons comme la meilleure des républiques, dès
que l’on observe religieusement notre pacte fondamental.
Nous avons conserve un vif
souvenir du temps pendant lequel nous avons été réunis à la France, parce que
notre bien-être matériel date de cette époque. Mais il ne faudrait qu’un acte
de justice, vivement réclamé, pour nous rallier invariablement à l’ordre de
choses établi. Nous voulons le pouvoir fort, mais de cette force que l’on puise
dans la constitution. Toutes les mesures inconstitutionnelles ne trouveront pas
d’appui chez nous. Qui aurait cru que notre constitution, qui compte à peine
cinq années d’existence, se verrai si promptement violée dans tant de parties ?
Nous avons appris avec
horreur l’attentat qui n’a fait que trop de victimes à Paris et qui a failli
frapper Louis-Philippe et sa famille ; mais pour l’honneur de l’humanité, nous
croyons pouvoir ajouter foi à ces paroles que l’on prête à l’infâme assassin :
il n’y a qu’un Fieschi en France.
Après cette profession de
foi, messieurs, je viens au fait : le 20 juillet, l’un des évadés de Ste-Pélagie
est amené dans les prisons de Charleroy ; nous n’avons vu dans la personne de
M. Guinard ni la société des Droits de l’Homme, ni la
république : nous avons vu un réfugié politique, cherchant une terre
hospitalière, et nous l’avons mis par notre intervention sous la sauvegarde de
nos lois.
Nous croyons fermement que
le gouvernement ne pouvait, dans la position particulière de M. Guinard, prononcer son expulsion. Il n’avait pas troublé ni
cherché à troubler la tranquillité publique, puisque à peine avait-il mis le
pied sur notre sol, il ne trouva pas d’autre asile que la prison ; il offrait
au gouvernement des garanties d’ordre, comme fils d’une mère belge, possédant
des propriétés dans le pays.
Porteur d’un passeport
délivré au nom du Roi, on arrête une seconde fois M. Guinard
et on le force à s’embarquer pour l’Angleterre.
En moins d’un quart
d’heure, messieurs, 17 citoyens honorables de Charleroy se sont empressés de
cautionner pour M. Guinard, et si l’on n’avait pas
craint de le retenir une heure de plus en prison, on aurait réuni plus de 200
signatures tout aussi honorables.
Pour ma part, dans un cas
semblable, pour un réfugié qui offrirait à notre pays les mêmes garanties
d’ordre que M. Guinard, je n’hésiterais pas à cautionner
pour lui, afin de le laisser asseoir au foyer de l’hospitalité ; ou plutôt,
instruit par l’expérience du passé, je lui offrirais l’asile de mon toit
domestique.
Je vous livre ce fait,
messieurs, sans autre commentaire ; vous aurez à apprécier la conduite du
ministre qui a ordonné cette expulsion, et s’il ne s’est pas rendu coupable
d’un acte arbitraire. Je n’ajouterai plus qu’un mot, c’est que M. Guinard n’a eu qu’à se louer des procédés qu’ont eus envers
lui et les officiers du parquet et les agents de la force publique. Si je blâme
la conduite du ministre qui s’est mis au-dessus des lois, il est juste de
rendre hommage à ceux qui ont su adoucir la rigueur des mesures qu’ils avaient
à exécuter.
M.
Milcamps, rapporteur. - J’aurai peu de considérations à présenter. Car
jusqu’à présent le projet de la section centrale ne me paraît pas avoir été
attaqué. (Hilarité.)
Une voix. - Il est pire que l’autre.
M.
Milcamps, rapporteur. - Le reproche le plus grave, celui sur lequel
l’honorable M. Fallon a particulièrement insisté, c’est que le projet ouvre un
vaste champ à l’arbitraire. Mais votre section centrale, dans le rapport
qu’elle vous a fait, a eu la franchise de convenir que par sa généralité le projet
offrait des moyens préventifs, et elle vous en a donné la raison. Elle a
reconnu l’impossibilité de poser les cas dans lesquels l’expulsion aurait lieu.
Elle a pensé que dans aucun cas il ne fallait laisser le pouvoir désarmé. Nous
vivons, messieurs, dans un temps où le gouvernement a besoin de force physique
et d’une grande force morale. Le projet de loi donne au gouvernement le droit
d’expulser l’étranger qui compromet l’ordre. Le gouvernement est juge des cas
d’expulsion.
Mais, dit l’honorable M.
Liedts, sur quels rapports le gouvernement jugera-t-il ? sur
le rapport de ses agents : ils peuvent concevoir de faux soupçons. De fausses
apparences peuvent leur faire croire ce qui n’est pas. Tout cela est exact, et
à cet égard, il faut bien s’en rapporter à la circonspection du pouvoir
exécutif. Je dirai même, messieurs, que le projet de la section centrale, sous
certains rapports, est plus sévère que le projet du gouvernement. Celui-ci
n’admettait l’expulsion que lorsque la conduite de l’étranger compromettait
l’ordre et la tranquillité publique. L’honorable M. Liedts, dans l’amendement
qu’il vient de vous présenter, exige aussi pour justifier l’expulsion que la
conduite de celui qui en est frappé compromette l’ordre public.
Dans ce système il faudrait
de la part de l’étranger une action actuelle quelconque qui compromît l’ordre
et la tranquillité publique. Sa conduite en pays étranger, quelque dangereuse,
quelque criminelle qu’elle soit, ne me paraît pas donner lieu à l’expulsion
puisque les lois constitutionnelles et les lois de police et de sûreté d’un
pays n’étendent pas leur empire dans un autre, qu’elles ne concernent pas les
régnicoles en pays étranger. Ainsi, messieurs, la raison pour laquelle la
section centrale a cru devoir admettre le principe que l’étranger qui compromet
l’ordre et la tranquillité peut être expulsé, c’est qu’elle a voulu donner au
gouvernement un grand pouvoir. J’avais dit, messieurs, pour établir qu’il n’y
avait pas d’inconstitutionnalité dans le projet :
« La règle est que
tout étranger qui se trouve sur le territoire, jouit de la protection accordée
aux personnes et aux biens ; mais si une loi exceptait de cette protection les
personnes, cette exception ne détruirait pas la règle qui subsisterait pour les
biens. La majorité de la section centrale a pensé, en supposant que dans
l’esprit de l’art. 128 de la constitution il y eût quelques limites aux
exceptions, quant aux personnes, qu’il appartient au législateur de fixer ces
limites ; qu’en exceptant de la protection due aux personnes les étrangers non
autorisés à établir leur domicile en Belgique, l’exception ne détruit pas la
règle, qui subsiste à l’égard des étrangers autorisés à établir leur domicile
dans le pays. Mais c’est ici de la théorie. Car la loi proposée ne doit pas et
ne peut pas atteindre tous les étrangers qui se trouvent sur le territoire
belge ; elle ne sera applicable et ne s’appliquera qu’à des étrangers qui
compromettraient l’ordre et la tranquillité publique. Que si le principe de la
loi peut paraître par trop général, cela vient de l’impossibilité de préciser
tous les cas d’expulsion de manière à empêcher qu’on n’élude la loi, et parce
qu’on a cru qu’on ne devait laisser, dans aucun cas, le pouvoir désarmé devant
le danger de l’Etat. »
L’honorable M.
Fallon a répondu : « Il y a beaucoup de subtilité dans ces paroles, et peu de
jugement. » Il a ajouté : « il ne se présentera pas un cas où la
règle ne soit pas détruite en entier. » Cependant l’honorable M. Fallon
lui-même adopte le principe, puisqu’il ne vient pas vous proposer des moyens
tendant à détruire la règle. Il demande seulement que la chambre s’unisse au
gouvernement pour prononcer les expulsions ; c’est-à-dire qu’il a proposé
seulement la création d’une commission dans le sein de la chambre, chargée d’examiner
les arrêtés royaux. Il espère qu’il ne se fera pas dans ce système autant
d’expulsions que si on les abandonnait entièrement au gouvernement. Mais il
n’en résulte pas moins que l’honorable M. Fallon adopte le principe de la
section centrale, seulement il présente des garanties en faveur des étrangers ;
mais nous aussi, nous avons indiqué des garanties en faveur de l’étranger, en
sorte que j’ai eu raison de dire que l’on n’attaque pas le projet en lui-même
mais seulement que nous sommes en désaccord sur la nature des garantie à offrir
aux étrangers.
M.
Seron. - Messieurs, parmi une foule de raisons qui me déterminent à
rejeter les mesures proposées par le ministère, je me bornerai à en citer
quelques-unes, suffisantes, me paraît-il, pour motiver mon opinion.
Il n’y a jamais
d’ébranlement politique en France que nous n’en ressentions ici le contrecoup.
Ainsi votre révolution de 1830 est venue un mois après les journées de Paris ;
ainsi, quand à la suite de l’attentat du 28 juillet dernier, les ministres de
Louis-Philippe, profitant des passions que cet événement a soulevées dans une
population crédule, font adopter, par une majorité législative dévouée au
pouvoir, des lois perfides d’exception et de réaction, non motivées par les circonstances,
mais élaborées de longue main dans l’antre de la doctrine et de la tyrannie ;
aussitôt, en Belgique, le gouvernement, soit qu’il agisse de lui-même ou par
inspiration, s’empresse de dresser une loi qui semble faite pour repousser de
notre pays les Français persécutés dans le leur, à cause de leur conduite
politique et de leurs opinions.
Quel autre but pourrait
avoir, en effet, le projet soumis à votre examen, dans un moment où tout est
calme autour de nous, et où rien n’annonce que la tranquillité doive être
troublée ?
Cependant s’il était vrai
qu’en France le chef de l’Etat, reniant son origine, voulût tuer le parti qui
l’a porté sur le trône ; qu’il eût conçu le dessein de détruire par une
législation rétrograde et barbare le jury, la presse et la liberté, et de punir
même, à l’imitation de certains empereurs romains, la pitié et la commisération
; s’il était vrai que, comme on le lui a souvent reproché, il eût fait avec la
sainte-alliance un pacte impie pour courber de nouveau les peuples sous le joug
de la monarchie pure, absolue et de droit divin ; je ne vois pas pourquoi nous
favoriserions ses vues, nous, nation neutre et libre, protectrice naturelle de
tous les amis de la liberté, parce qu’ils sont les nôtres.
A la vérité, pour nous
rassurer sur les conséquences de la loi des suspects, on nous dit qu’elle
n’atteindra pas l’étranger paisible que des infortunes politiques auront amené
parmi nous.
Dans ce cas, quel est donc
son objet ? contre qui est-elle faite ? Ce n’est pas contre les étrangers
accusés ou condamnés dans leur pays comme banqueroutiers frauduleux,
faussaires, assassins ou empoisonneurs, que votre loi d’extradition autorise à
livrer à leur gouvernement ; ce n’est pas non plus contre les étrangers
coupables de crimes ou de délits commis sur votre territoire, car ceux-là ne
doivent pas être expulsés, ils doivent être condamnés et punis en vertu de vos
codes noirs, qui ont prévu tous les cas et n’ont pas oublié les peines. Je
l’avoue d’ailleurs, les belles promesses qu’on nous fait me touchent peu dans
la bouche de ceux qui viennent d’expulser Guinard ;
car ce prévenu politique, évadé de sa prison pour se soustraire au jugement de
ses implacables ennemis, à une condamnation certaine et atroce, et réfugié sur la terre classique de la liberté,
n’avait, en aucune manière, compromis votre tranquillité, ni blessé vos lois.
Je me défie de ces douces paroles lorsqu’elles sont la préface de dispositions
en vertu desquelles le gouvernement pourra faire sortir du royaume les
étrangers, dont la conduite compromet l’ordre et la tranquillité publique,
c’est-à-dire tous les étrangers indistinctement qui lui déplairont, ou dont la
présence ici, causerait quelque inquiétude à MM ; les doctrinaires
français ; car ces dispositions sont plus vagues, plus élastiques, elles
favorisent plus l’arbitraire que l’article 1er de l’arrêté-loi du 20 avril
1815, qui, d’ailleurs, devait être appliqué par un tribunal, au lieu que la loi
projetée doit être appliquée par un ministre de la police dispensé de dire et
de prouver en quoi et comment les personnes expulsées par ses ordres ont
compromis l’ordre et la tranquillité.
On nous dit : « La
sécurité publique réclame des garanties plus fortes envers l’étranger considéré
dans ses rapports avec le pays qui lui donne l’hospitalité qu’envers les
indigènes. Il peut avoir pour but de renverser le gouvernement, afin de faire
triompher ses opinions ou d’amener dans sa propre patrie une révolution qu’il
appelle de ses vœux. » Avec de pareilles raisons, si elles étaient admises,
il n’est pas de loi qu’on ne pût faire passer. Mais, je vous le demande, sur
quoi jugerez-vous que l’étranger veut renverser le gouvernement de son pays ou
le vôtre ? sur ses actes, sans doute. Eh bien ! si ses actes sont répréhensibles, vos lois sont là pour le
punir : livrez-le aux tribunaux.
Vous avez peur des
révolutions et, en vérité, on doit les craindre quand on envisage les résultats
de celles de juillet et de septembre 1830. Mais s’il en éclate une nouvelle en
France, l’impulsion, croyez-moi, ne sera pas donnée par
Au reste, je suis peu
touché des motifs allégués par le rapporteur de la section centrale pour
prouver la constitutionnalité de la mesure. La loi fondamentale a dit :
« Tout étranger qui se trouve sur le territoire de
Des exceptions, je
conçois qu’il en faut ; vous n’êtes pas tenus de donner asile aux faussaires,
aux empoisonneurs, aux parricides. Mais jamais on ne me persuadera qu’il soit
entré dans l’esprit du congrès l’expulsion des proscrits politiques d’aucune
nation.
A Athènes, où les droits de
cité avaient quelque importance puisque le peuple y votait la paix, la guerre,
les traités et les lois, Solon admit au rang de citoyen les étrangers bannis de
leur patrie par les ennemis du gouvernement populaire ; et nous chasserions de
malheureux étrangers dont le seul crime est de détester et de fuir la tyrannie.
Quand, à Rome ; l’aîné des
Gracques portait les mains à sa tête pour faire entendre au peuple assemblé que
c’était à elle que ses enfants en voulaient, les aristocrates prétendaient
qu’il avait demandé le diadème, et, sur ce prétexte, le firent assommer par
leurs esclaves. Nous avons entendu à cette tribune accuser les républicains de
complicité dans les pillages d’avril. Tout à l’heure sans doute on signalera
avec autant de raison comme des ennemis de l’ordre, des anarchistes, ceux que l’humanité
et la raison portent à plaider la cause des malheureux réfugiés.
Je n’en rejetterai pas
moins la loi proposée comme inutile, favorable au despotisme et contraire à la
constitution.
M.
Jadot. - Messieurs, je voterai contre la loi, à cause de l’abus qu’on
en peut faire, et parce que je ne veux pas être chargé
de la plus petite part de l’odieux des mesures qui pourraient être prises par
le ministère, si elle était admise.
La presse, la tribune,
l’opinion publique et la responsabilité ministérielle, que l’on nous donne
comme garantie contre ces abus, me touchent peu ; elles n’ont rien empêché
jusqu’à ce jour ; d’ailleurs, la responsabilité ministérielle ne sera qu’un
vain mot, aussi longtemps qu’elle ne sera pas réglée par une loi. Et, vraiment,
je ne conçois pas comment le ministère n’a pas songé à la faire exciter, avant
de la donner en gage.
La meilleure de toutes les
garanties serait la probité reconnue de tous les ministres, mais cinq
consciences individuelles (erratum inséré
au Moniteur belge n°242, du 28 août 1835 :) ne formeront jamais une
conscience, les gouvernements n’en ont pas.
D’un autre côté, je trouve
dans l’exposé des motifs du projet ministériel le paragraphe suivant :
« Quant aux lois sur les
passeports et aux autres dispositions légales concernant les étrangers, elles
ne seront aucunement modifiées par le projet de loi. »
Mais quelles sont donc les
lois dont le ministère se réserve de faire l’application aux étrangers, et
quelle influence peuvent-elles exercer sur eux ?
Ces questions m’ont
déterminé à examiner la législation sur les passeports et les étrangers.
Le décret du 28 mars 1792
de l’assemblée législative, qui a été rendu dans des circonstances où le salut
de l’empire exigeait la surveillance la plus active, ordonne aux Français comme
aux étrangers qui voudront voyager dans l’intérieur du pays, de se munir d’un
passeport.
Il impose la même
obligation aux personnes qui entreront dans le royaume, à peine pour les
voyageurs qui n’en seront pas pourvus d’être conduits devant les officiers
municipaux pour y être interrogés et mis en état d’arrestation, à moins que
chacun d’eux n’ait pour répondant un citoyen domicilié.
L’arrestation ne peut durer
qu’un mois.
L’assemblée nationale
déclare, par le dernier article de ce décret, qu’elle l’abrogera aussitôt que
les circonstances qui l’ont provoqué auront cessé.
On ne voit pas qu’en vertu
de cette loi l’on puisse punir un étranger autrement qu’un régnicole, ni
conséquemment le conduire à la frontière.
L’exclusion des étrangers
n’a été autorisée que par des décrets de la convention nationale, d’horrible
mémoire.
D’abord par le décret du 21
mars 1795 ; encore pouvaient-ils s’y soustraire en remplissant les conditions
qu’il prescrit.
Ensuite par le décret du 6
septembre, même année, qui contient également des exceptions à résulter des
justifications qu’il exige.
Enfin par la loi du 23
messidor an III, qui ne concerne que les étrangers non domiciliés en France
avant le 1er janvier 1792, et qui sont nés dans les pays avec lesquels la
république était en guerre ; encore contient-il des exceptions.
Ainsi, sous la législation
de la convention nationale, sous le régime de la terreur, où il y avait à
l’expulsion des exceptions légales, que les étrangers pouvaient invoquer ; sous
le régime constitutionnel de
La loi du 10 vendémiaire an
IV que l’on doit également à la convention nationale n’a pour objet que la
police intérieure des communes.
Elle prescrit à tout
individu qui veut voyager hors de son canton, de se munir d’un passeport, à
peine d’être mis en état d’arrestation et détenu jusqu’à ce qu’il ait justifié
être inscrit sur le tableau de la commune de son domicile. Elle ne concerne en
aucune manière les étrangers.
La loi du 28 vendémiaire an
VI a pour objet :
1° De renouveler tous les
passeports.
Il est à remarquer que
cette mesure a été prise pour que les citoyens proscrits par la loi du 19
fructidor an V ne pussent se soustraire, à l’aide d’anciens passeports, aux
recherches du gouvernement et au bannissement.
2° De mettre tous les
étrangers, voyageant dans l’intérieur, sous la surveillance du directoire qui
est autorisé à leur enjoindre de sortir du territoire français, s’il juge leur
présence susceptible de troubler l’ordre et la tranquillité publique.
Cette loi est, ainsi que
toutes les autres, une loi de circonstance.
Le décret impérial du 18
septembre 1807 semble n’avoir été rendu que pour déterminer la forme des
passeports, le papier à ce employé et le prix que le
trésor doit en retirer. C’est une véritable mesure fiscale. Son article 7 est
ainsi conçu :
« Les contrevenants à
ces dispositions seront soumis aux peines prononcées contre les individus qui
voyagent sans passeport par les lois des 28 mars 1792 et 20 vendémiaire an IV.
Il est à remarquer que la
loi du 28 mars 1792, mentionnée dans cet article, n’a jamais été publiée en
Belgique, et que si cette mention ne peut pas tenir lieu de cette publication,
elle n’y est pas exécutoire aujourd’hui. D’un autre côté, je viens de démontrer
que la loi du 10 vendémiaire an 1V est étrangère aux étrangers.
Je le répète, quelles sont
donc les lois sur les passeports qui resteront en vigueur après l’adoption du
projet que nous discutons, si, comme je crois l’avoir établi, la loi de 1792
n’est pas exécutoire en Belgique, et celle de l’an IV n’est point applicable
aux étrangers ?
Il n’était pas bien
difficile de spécifier les dispositions maintenues, elles se trouvent
nécessairement dans les lois que je viens de citer, ou, ce qui aurait mieux
valu, il eût fallu en faire l’objet d’un article particulier.
En ne le faisant
pas, on semble avoir voulu se réserver de faire, au moyen de lois que l’on
maintient sans les désigner, ce que l’on n’a pas trouvé convenable d’insérer
dans la loi proposée.
On s’est permis de viser un
passeport pour rentrer ou aller en France, bien que l’intention du porteur fût
de venir en Belgique. On le fera encore ; on n’expulsera pas, mais l’on ne
permettra pas d’entrer.
Telles sont les
considérations qui détermineront mon vote. Il sera négatif ainsi que je l’ai
déjà dit, à moins que les ministres ne consentent à des amendements qui rendent
la loi acceptable, car je suis loin de vouloir soutenir qu’aucune mesure ne
doive être prise contre les étrangers.
M. Vandenbossche. - Qu’un étranger
résidant en Belgique ou se trouvant par une cause quelconque sur son
territoire, et jouissant ainsi de l’hospitalité d’un peuple généreux, n’y
puisse point, par sa conduite, impunément troubler ou compromettre l’ordre et
la tranquillité publique, est un principe que doit partager, je pense, tout ami
de son pays.
Si donc un étranger profite
de sa présence en Belgique pour exciter des dissensions, pour provoquer
l’anarchie, servir les desseins de nos ennemis et troubler ainsi la paix entre
les habitants et la sécurité générale, il se rend indigne du bienfait de
l’hospitalité, et la moindre peine qu’on puisse lui réserver est la révocation
du bienfait dont il abuse, la peine de se voir expulsé du pays.
Mais pour encourir cette
peine, d’après la raison, et aussi d’après le projet de M. le ministre, il faut
que l’étranger ait commis dans le pays un acte quelconque qui puisse avoir pour
but ou constituer un des délits que la loi voudrait prévenir.
Un étranger, qui, soit par
paroles, soit par des écrits, soit par un acte quelconque, a excité ou est
censé exciter des dissensions en Belgique, a provoqué à l’anarchie, a servi ou
tenté de servir les desseins de nos ennemis, a troublé ou tenté de troubler la
paix entre les habitants ou la sécurité générale, qu’il soit expulsé du pays,
je ne balancerai pas à adopter la mesure.
Mais je pense en premier
lieu que ces délits devraient être consignés et spécifiés dans la loi.
Mais qui décidera de
l’existence du délit ? D’après le projet ce serait le gouvernement ; et M. le
ministre en prend sur lui la responsabilité ; j’ai toute confiance en lui, mais
dans son propre intérêt je n’oserais jamais concourir à le charger d’une
pareille responsabilité.
D’après le projet de la
section centrale, l’étranger non autorisé à établir son domicile en Belgique ne
doit pas avoir commis un acte répréhensible pour se voir expulser ; on pourra
décider que sa simple présence compromet l’ordre et la tranquillité publique,
et par un simple arrêté royal, même non motivé, obliger tout étranger, non
autorisé à établir son domicile en Belgique, à sortir du royaume endéans le
délai d’un jour franc. Cet article viole ouvertement, d’après moi, l’article
128 de la constitution.
Par cet article les
étrangers sont mis sous la protection des lois du peuple belge, et notez bien
que l’esprit de cet article ne s’applique pas aux étrangers qui ont obtenu
l’autorisation d’établir leur domicile en Belgique, mais principalement à ces
étrangers qui se trouvent simplement sur le territoire de la Belgique ; or,
quant à ces étrangers qui résident, sans autorisation, en Belgique, la section
centrale ne propose pas une exception à l’article de la constitution, mais par
son article premier elle livre à la discrétion du pouvoir tous les étrangers de
cette catégorie, sans aucune exception. La commission centrale annule l’article
128 de la constitution dans tout son ensemble. Or, voici ce que nous ne pouvons
faire qu’au moyen d’une révision et conformément aux prescriptions de l’art.
131 de la constitution ; si donc nous adoptions l’art. 1er proposé par la
section centrale, la disposition que nous eussions adoptée ne pourrait même
jamais avoir une existence légale.
Fidèle à mon serment
d’observer la constitution, je me trouve donc forcé de voter contre le projet.
M.
Gendebien. - Mon intention, messieurs, n’est pas de prolonger la
discussion générale. Je serai aussi bref que possible.
Nous sommes bien loin de
l’époque du congrès, il faut l’avouer ; veuillez-vous rappeler qu’à la fin de
décembre
Nous étions, messieurs,
dans le fort de la révolution ; nous étions environnés d’espions, d’agents de
désordre de toute espèce et de toutes les couleurs ; les agents hollandais, je
dis plus, les agents diplomatiques conspiraient ouvertement, distribuaient de
l’argent pour agir contre nous, et allèrent jusque là, que l’un d’eux eut
l’impudence de dire qu’avec de l’argent il nous ferait tous pendre et ferait
sauter le congrès. Eh bien, l’on présenta au congrès une loi qui rendit
applicable le code napoléonien, en faisant disparaître de ce code la peine de
mort et tout ce que ses autres dispositions avaient de cruel. Qu’ont répondu
MM. Beyts, de Behr, Raikem, Leclercq, Barbanson et Destrivaux ? (Car telle était la composition de la
commission.)
« Que si dans les
circonstances présentes, et dans le mouvement qui accompagne et suit une
révolution, il est impossible de ne point rencontrer des hommes dont les
intentions soient hostiles au bonheur du pays, et qui préfèrent l’agitation au
repos, il est cependant évident que la nation, fidèle à ses devoirs, à son
honneur, à elle-même, offre, par son caractère et sa moralité, la plus forte
garantie contre tout danger de conflagration.»
Messieurs, je vous le
demande, la nation est-elle changée depuis le mois de décembre 1830 ? Est-elle
moins morale, est-elle moins calme qu’elle n’était alors ? Elle doit l’être
davantage. Car voilà plus de 4 ans que le royaume est constitué. Vous le voyez
: vous faites le procès au gouvernement, et en même temps injure à la nation,
quand vous croyez à la nécessité de mesures exceptionnelles, au milieu du calme
et de la paix publique. Vous calomniez la nation, vous faites la critique la
plus amère à votre œuvre monarchique et nationale.
Je continue de lire
quelques lignes :
« Que placés sous la
sauvegarde nationale, le congrès et le gouvernement provisoire sont mieux
protégés et seraient mieux défendus que par les lois répressives. »
Dans quelles circonstances
parlait-on ainsi ? Au milieu de la révolution, au milieu des ambitions que font
toujours naître les révolutions. Comme je le disais tout à l’heure, nous étions
entourés des pièges de la diplomatie de toute l’Europe, des intrigants de toute
l’Europe, quand MM. Beyts, de Behr, Raikem, Leclercq,
Barbanson et Destrivaux tenaient ce langage, Qu’y
a-t-il depuis lors de changé parmi nous ? Sommes-nous dans le même état ? Notre
position, au contraire n’est-elle pas améliorée ? Ces améliorations ne
sont-elles pas évidentes ? Vous calomniez le gouvernement si vous n’admettez
pas cela, MM. les ministres.
Rappelez-vous quelle était
la situation du pays à la fin de 1831. Nous n’avions ni industrie, ni commerce.
L’agitation et l’inquiétude étaient générales. Et cependant, on disait
« que placés sous la sauvegarde nationale, le congrès et le gouvernement
provisoire sont mieux protégés et seraient mieux défendus que par les lois
répressives. » Voilà quel était le langage de la commission.
Elle ajoutait : « Que si,
ce que la commission ne doit pas supposer, un attentat venait à être commis, on
pourrait, dans ce cas même, unissant la nécessité de l’exemple avec les besoins
de l’humanité, adoucir la sévérité d’une condamnation, sans se livrer
prématurément à la réforme du code pénal. »
Ce rapport fait au congrès
d’une manière si franche, si digne, si loyale, dispense
de toute discussion ; et il ne fut plus question du projet de M. van Meenen.
En 1831, on est venu faire
un tableau épouvantable des tentatives des orangistes et de tous les intrigants
envoyés, disait-on, de tous les coins de l’Europe. Il semblait que si on ne
prenait pas des mesures de précaution et d’urgence, l’Etat, la nation étaient
perdus.
On proposa alors ce que
l’on propose aujourd’hui, quant aux étrangers ; et le ministère eut le bon sens
de céder aux représentations et aux argumentations de la chambre ; il retira la
loi. Ce fut, notez-le bien, le 12 octobre 1831 que la discussion commença, et
elle se termina le 14 ou le 15. Ainsi on était à la veille de la reprise des
hostilités ; car l’armistice devait cesser le 25 octobre. Malgré cela, la
chambre résiste à la demande du gouvernement, parce qu’elle était persuadée que
ces mesures de précautions pouvaient devenir dans les mains du gouvernement une
source d’abus, un précédent dangereux, et le ministère retira le projet,
quoique la révolution fût encore très vivace, et la guerre imminente.
Aujourd’hui vous voulez
précisément ce que la chambre n’a pas voulu en octobre 1831. Quelle nécessité,
quel danger allègue-t-on ?
J’ai entendu dire à
quelques orateurs qu’il y avait nécessité absolue, que
c’était un mal nécessaire. Je déplore plus que qui que ce soit, dit un autre,
la nécessité d’admettre une loi, où l’arbitraire le dispute à la folie et à
l’iniquité. Ce sont là de pitoyables lieux communs. Mais où donc sont les
dangers, les circonstances extraordinaires d’où dérive cette nécessité ? Nulle
part. Pourquoi donc ce projet ? Pour remplir la promesse faite par le ministre
de la justice de nous présenter une loi sur les étrangers ? C’est possible ;
mais à coup sûr, elle n’est pas telle qu’il la voulait comme député, en avril
1834 ; telle qu’il l’a promise aux premiers jours de son ministère,
c’est-à-dire comme une garantie de ses bonnes intentions.
C’est cependant sous un tel
prétexte qu’on vous présente un projet que la chambre a repoussé en 1831, et
que le ministère a retiré, convaincu de son inutilité, et partageant sans doute
les scrupules de la chambre.
Le peuple, dit-on, est
calme ; mais dans un pays voisin, ajoute-t-on, des hommes pervers prêchent
l’anarchie et le désordre et poussent à une révolution. Et que nous importe ce que
l’on fait à l’étranger ? Voulez-vous que le peuple fasse ici ce que l’on fait à
l’étranger ? faites ce que font les gouvernements
étrangers.
Si, en 1831, on était venu
à dire au congrès : « Des anarchistes, des républicains, des membres de la
société des Droits de l’Homme, des saint-simoniens prêchent, dans Bruxelles,
des doctrines liberticides, des doctrines infernales, » MM. Lebeau et Ch.
Vilain XIIII se fussent empressés de prendre leur défense, ils eussent réclamé
pour eux liberté entière de discussion. « Toute opinion (auraient-ils dit)
est respectable et a droit à la protection du
gouvernement, parce que toute opinion a droit de se produire librement,
n’importe dans quelle forme. »
Messieurs, j’en parle
pertinemment.
J’avais alors l’honneur
d’être ministre de la justice, et je fus interpellé vivement par les deux
orateurs que je viens de citer ; et si je n’avais pas été averti de ce qui
s’était passé la veille au soir, je crois qu’ils m’auraient mis en accusation.
Et pourquoi ? parce que j’étais suspecté d’avoir
entravé les prédications des saint-simoniens (qui avaient des doctrines
anarchiques, d’après les principes qu’ont aujourd’hui MM. Lebeau et Vilain
XIIII, puisqu’ils prêchaient les partages des biens et la communauté des
femmes.) (Hilarité.) En réclamant
toute liberté pour ces doctrines, ces deux orateurs soutenaient leur opinion,
et toute opinion est respectable pour moi en 1835 comme pour eux en 1830 ;
aussi je ne les critique pas, et la preuve qu’il n’y a pas à les critiquer,
c’est que du jour où les saint-simoniens ont eu la liberté entière d’émettre
leurs doctrines, ils n’ont plus été écoutés que par quelques badauds dont
quelques-uns sont aujourd’hui gratifiés de gros traitements qu’ils sont peu
soucieux de partager.
Quelle était la cause des
désordres dont j’ai parlé ? Les clameurs de quelques matrones du quartier et la
susceptibilité de quelques maris qui trouvaient mauvais le système de la
communauté des femmes. (On rit.)
Voilà quel était le grave sujet des troubles et des vires réclamations de MM.
Lebeau et Vilain XIIII. Aussitôt que je connus les événements de la veille, je
m’empressai de demander un rapport officiel à l’honorable M. Plaisant alors
chargé de la direction de la police générale, et une demi-heure après, il vint
faire au congrès un rapport circonstancié sur les événements. Voilà ce qui se
passait en 1831, à une époque où on était loin d’être calme, où on était, au
contraire, dans la plus grande effervescence. C’était, je crois, dans les 15
premiers jours de décembre. C’était toujours avant le 16 décembre car je suis
parti pour Paris, le 16. Ainsi c’était bien peu après la révolution. C’était
alors qu’on venait demander la liberté en tout et pour tous ; toutes les
théories même les plus subversives pouvaient se faire jour.
Aujourd’hui, après quatre
ans de gouvernement monarchique représentatif, après quatre ans de calme, sans
l’ombre d’une raison, on voudrait mettre en interdit tous les étrangers. Mais,
dit-on, des étrangers pourront prêcher des doctrines républicaines. Ah ! si vous croyez les bases de votre gouvernement si mauvaises,
si faibles qu’il ne puisse pas résister aux discours et aux paroles de quelques
saint-simoniens ou républicains, eh, mon Dieu ! qu’est-ce
donc alors que votre gouvernement !
En général, on juge de la
bonté et de la force d’un gouvernement par l’état de sa législation. Un
gouvernement réellement fort n’a pas besoin de loi d’exception ; il n’a pas
besoin de semer l’inquiétude, d’exciter les défiances ; il n’a pas besoin de la
terreur pour se faire respecter. Le seul respect durable est celui qu’inspire
la bonne foi et qui repose sur la confiance qu’inspire toujours la bonne foi.
N’allez pas imiter les
doctrinaires de France qui, il y a 4 ou 5 jours, ont dit par l’organe de leur
chef, le doctrinaire Guizot, que c’était la terreur qu’ils voulaient ; ainsi
c’est la terreur qu’ils veulent. Voilà ce qu’a dit Guizot ; nous aurons donc la
terreur monarchique !
Vous, vous voulez aussi la
terreur, et vous n’osez pas le dire !
Je ne pense pas que le
gouvernement veuille faire tomber des têtes ; pas encore, bien qu’en Belgique
on ait relevé l’échafaud et qu’on semble avoir du goût décidé pour la
guillotine. Je ne pense pas qu’un ministre se permît de faire exécuter pour
opinion politique, fût-ce même des républicains. Mais c’est un autre genre de
terreur qu’on veut. Il s’agit de mettre tous les étrangers en état d’interdit,
afin de s’en débarrasser et de prévenir en même temps les régnicoles qu’on
pourrait un jour se retourner sur eux quand on aura achevé l’œuvre anti-hospitalière
à l’égard des étrangers.
Cependant on a soin de dire
avec onction que les bons n’auront rien à craindre, que les méchants seuls
auront à redouter le vague et l’arbitraire qu’on veut dans la loi. Messieurs,
ne croyez pas cela ; car il a été émis par certains hommes du gouvernement des
doctrines qui ne doivent pas rassurer les bons. Vous n’avez pas oublié qu’en
avril 1834, le ministre de la justice d’alors disait, pour justifier certaines
expulsions, que certains hommes étaient d’autant plus dangereux qu’ils étaient
irréprochables. Voilà une maxime gouvernementale bien morale à l’ordre du jouir
en Belgique : « Les hommes sont d’autant plus dangereux qu’ils sont
irréprochables. » C’est là ce que disait le ministre Lebeau, en avril 1834. Jugez
la sécurité que de pareilles maximes peuvent laisser aux honnêtes gens, puisque
c’est précisément parce qu’on est irréprochable qu’on est expulsé ! car c’est là ce que l’on proclame à la tribune soi-disant
nationale de
Maintenant un mot sur la
loi ; et vous verrez si les maximes de l’ex-ministre de la justice n’ont pas
guide son successeur ; si l’on ne trouve pas dans la loi en discussion les
mêmes errements
L’art. 1er de la loi porte
:
« L’étranger non autorisé à
établir son domicile en Belgique, qui compromet l’ordre et la tranquillité
publique, pourra être contraint, par le gouvernement, à sortir du territoire
belge, ou à résider dans la commune, le canton, l’arrondissement ou la province
qu’il lui désignera. »
Ainsi, il suffira pour
qu’un étranger soit expulsé qu’il soit jugé dangereux pour la tranquillité
publique, par qui ? par M. le ministre de la justice,
et même seulement par M. François. Ai-je besoin de vous rappeler ce que disait,
de M. François, M. Barthelemy, ex-ministre de la justice ? Vous savez qu’il n’y
a pas d’homme qui s’effraie plus facilement que M. François.
Il suffira pour justifier
l’expulsion d’un étranger que M. François ait peur. Or, vous savez, au dire de l’ex-ministre,
que M. François a toujours peur. (On rit.)
Sera-t-il nécessaire pour être expulsé qu’on ait réellement compromis l’ordre
et la tranquillité publique ? Non, il suffira qu’on ait fait peur à M. François
; dès lors on aura troublé la tranquillité, l’ordre public. Or, comme il est
d’une nature très effrayable, il verra toujours
l’ordre public menacé et fera signer nombre d’actes d’expulsion. Voilà ce qui
arrivera très souvent et le plus souvent.
Mais parlons plus
sérieusement.
Je suppose que le ministre
s’occupe, comme il devrait le faire, des expulsions : qui jugera que l’ordre,
que la tranquillité publique ont été troublés ? D’après quels faits, d’après
quelles règles, d’après quels indices jugera-t-on ? Car l’expulsion est une
peine. Pour un proscrit c’est la mort souvent ! Sur quoi basera-t-on la
condamnation à l’expulsion ? Sur rien. La loi ne dit rien à cet égard. Il
suffira que dans l’opinion du ministre de la justice l’étranger ait compromis
l’ordre public ; il suffira même que dans l’opinion de M. François il en soit
ainsi, et il sera expulsé : mais c’est là de l’arbitraire, mais c’est
substituer, par forme d’exception, l’arbitraire d’un seul à la volonté de tous,
c’est substituer la volonté ministérielle à la souveraineté de la nation. C’est
en un mot abolir la constitution.
Comment ! on admettrait en 1835 de tels principes dans la loi, quand
on les a repoussés dans le projet de loi Raikem en octobre 1831 ! Car,
messieurs, veuillez comparer l’art. 1er du projet actuel avec l’art. 3 du projet
Raikem qu’on appelait la loi des suspects, et vous verrez qu’ils sont
identiquement les mêmes.
L’art 1er du projet de loi
actuel porte : « L’étranger non autorisé à établir son domicile en
Belgique, qui compromet l’ordre et la tranquillité publique, pourra être
contraint, par le gouvernement, à sortir du territoire belge, ou à résider dans
la commune du canton, l’arrondissement ou la province qu’il lui
désignera. »
L’art. 3 de la loi Raikem
est ainsi conçu :
« Art. 3. Les
étrangers non autorisés par le gouvernement à établir leur domicile en Belgique
et qui se trouveront sur le territoire du royaume, sans y avoir une mission des
puissances neutres ou amies reconnues par le gouvernement du Roi, sont placées
sous la surveillance spéciale du gouvernement, qui pourra leur enjoindre de
sortir du territoire belge ou de résider dans la commune, le canton,
l’arrondissement ou la province qu’il leur désignera. »
Ainsi vous voyez que la
seule différence qu’il y ait, c’est que dans votre art. 1er il est dit
« qui compromet l’ordre et la tranquillité publique. » Mais cette
condition ne signifie rien ; car ce n’est pas le juge, c’est le ministre seul
qui apprécie cette condition, sans que la loi lui prescrive aucune règle.
Maintenant rapprochez
l’art. 128 de la constitution de ces deux articles du projet de loi d’octobre
1831, et du projet de loi en discussion, et vous verrez si l’un et l’autre
n’absorbent pas l’art. 128.
Voici cet article : « Tout
étranger qui se trouve sur le territoire de
La loi a admis des
exceptions. Sans doute ; mais seulement dans le sens de ce qui se passe en
Angleterre. Là ce n’est que dans les circonstances jugées menaçantes et
impérieuses par la représentation nationale que l’on peut prendre des mesures
exceptionnelles. Mais, dans ces cas encore, je soutiens que les mesures
actuelles ne peuvent pas être adoptées, même par les chambres. En effet que
porte l’art. 130 de notre pacte social ? que « la
constitution ne peut être suspendue en tout ni en partie. » Or, c’est
évidemment suspendre l’effet de la constitution que de soumettre même législativement
au caprice d’un seul homme les garanties données par l’art. 128.
Je n’en dirai pas
davantage, quant à présent. Je vous prierai de remarquer seulement que votre
art. 1er comme celui de la section centrale (car à peu de chose près, c’est la
même chose) est textuellement copié de l’art. 7 de la loi de l’an VI, loi faite
dans d’autres temps, et 3 semaines après la révolution, ou plutôt la réaction,
de fructidor.
Vous savez quelle était
alors la situation de
Eh bien, de cette
disposition, on veut faire l’état normal de la législation belge.
Puisqu’on a proposé des
amendements, j’en proposerai à mon tour, et cet amendement, ce sera le décret
de la convention du mois de mars 1793.
Vous vous rappelez ce que
disait en 1834, un orateur, l’honorable M.
Nothomb. Il vous demandait si vous vouliez revenir à la législation de
93, si vous vouliez recourir à des peines telles que la peine de mort, dix ans
de réclusion. Quant à nous, ajoutait-il, nous abhorrons le régime de 93 ; à ses
continuateurs : Nous nous contentons de la loi de VI.
Eh bien, messieurs, voilà
la loi de 93 ! Je vous prie de la méditer, puisque vous n’aurez à vous occuper
que demain de la discussion des articles. Je la ferai insérer au Moniteur. Cette loi n’a jamais été
publiée en Belgique et n’y a jamais été exécutoire. Le gouvernement
révolutionnaire était de meilleure foi que vous, il ne considérait pas les lois
d’exception comme survivant aux circonstances qui les avaient fait naître.
En 94, les Français sont
entrés en Belgique ; et jamais la loi de 93 n’a été publiée en Belgique. Voici
ce qu’a fait ce gouvernement tant calomnié en avril 1834.
La loi est du 21 mars 1793,
époque où la France était envahie par toutes les armées de la coalition, où il
y avait pénurie d’argent, disette de vivres, détresse générale. Voilà ce qu’ont
fait ces hommes tant calomniés. Nous verrons ce que vont faire les Guizot et
les Guizotins du jour. En 93, si la terreur était
dans les faits, au moins elle n’était pas dans les lois.
Voici la loi de 93 :
« La convention
nationale, considérant qu’à l’époque où des despotes coalisés menacent la
république, plus encore par les efforts de leurs intrigues que par le succès de
leurs armes, (l’Europe envahissait la France !
« Considérant qu’ayant
reçu du peuple français la mission de lui présenter une constitution fondée sur
des principes de la liberté et de l’égalité, elle doit en redoublant de
surveillance empêcher que les ennemis de l’intérieur ne parviennent à étouffer
le vœu des patriotes et ne substituent des volontés privées à la volonté
générale ;
« Voulant enfin donner
aux magistrats du peuple tous les moyens d’éclairer le mal et d’en arrêter les
progrès, décrète ce qui suit :
(Je ne fais que lire le
décret ; je m’abstiens de tous commentaires ; ils viendront assez d’eux-mêmes.)
« Art. 1er. Il sera formé
dans chaque commune de la république et dans chaque section des communes
divisées en sections, à l’heure qui sera indiquée à l’avance par le conseil
général, un comité composé de 12 citoyens. »
« Art. 2. Les membres
de ce comité qui ne pourront être choisis, ni parmi les ecclésiastiques, ni
parmi les ci-devant nobles, ni parmi les ci-devant seigneurs de l’endroit et
les agents des ci-devant seigneurs, seront nommés au scrutin et à la pluralité
des suffrages. »
« Art. 3. Il faudra
pour chaque nomination autant de fois cent votants que la commune et section de
commune contiendra de fois mille âmes de population. »
« Art. 4. Le comité de
la commune, ou chacun des comités des sections de commune sera chargé de
recevoir, pour son arrondissement les déclarations de tous les étrangers
actuellement résidants dans la commune, ou qui pourront y arriver. »
« Art. 5. Ces déclarations
contiendront les noms, âge, profession, lieu de naissance et moyens d’exister
du déclarant. »
« Art. 6. Elles seront
faites dans les 8 jours après la publication du
présent décret ; le tableau en sera affiché et imprimé. »
« Art. 7. Tout
étranger qui aura refusé ou négligé de faire sa déclaration devant le comité de
sa commune ou de la section sur laquelle il résidera, dans le délai ci-dessus
prescrit, sera tenu de sortir de la commune sous 24 heures, et sous 8 jours du
territoire de la république. »
« Art. 8. Tout étranger,
né dans les pays avec les gouvernements desquels les Français sont en guerre,
qui, en faisant sa déclaration, ne pourra pas justifier devant le comité, ou
d’un établissement formé en France, ou d’une profession qu’il y exerce, ou
d’une propriété immobilière acquise, ou de ses sentiments civiques, par
l’attestation de six citoyens domiciliés depuis un an dans la commune ou dans
la section, si la commune est divisée en sections, sera également tenu de
sortir de la commune sous 24 heures, et sous huit jours du territoire de la
république.
« Dans le cas contraire, il
lui sera délivré un certificat d’autorisation de résidence. »
« Art. 9. Les étrangers qui
n’auront pas en France de propriété, ou qui n’y exerceront pas une profession
utile, seront tenus, sous les peines ci-dessus portées, outre le certificat de
six citoyens, de donner caution jusqu’à concurrence de la moitié de leur
fortune présumée. »
« Art. 10. Tous ceux
que les dispositions des précédents articles excluront du territoire français,
et qui n’en seraient pas sortis, au délai fixé, seront condamnés à 10 ans de
fers, et poursuivis par l’accusateur public du lieu de leur résidence. »
« Art. 11. Les
déclarations faites devant le comité, seront, en cas de contestations, soit sur
les dites déclarations, soit sur la décision, portées devant le conseil
général, ou devant l’assemblée de la section, qui statueront ; et à cet effet,
lorsque le conseil général ou les sections d’une commune suspendront leur
séance, il sera préalablement indiqué sur le registre, l’heure à laquelle le
retour de la séance sera fixé. »
« Art. 12. Hors les
cas de convocation extraordinaire, desquelles l’objet, la nécessité et la forme
seront constatés sur le registre, toute délibération, arrêtée dans l’intervalle
de la suspension des séances, est annulée par le fait ; le président et le secrétaire qui l’auront
signée seront poursuivis devant le tribunal de police correctionnelle, et
condamnés à 3 mois de détention. »
« Art. 13. Tout
étranger, saisi dans une émeute, ou qui serait convaincu de l’avoir provoquée
ou entretenue par voie d’argent ou de conseil sera puni de mort. »
M.
F. de Mérode. - C’est cela !
M. Gendebien. - Oui, c’est cela ! Ainsi, on appliquait
la peine de mort aux étrangers qui pillaient ou qui excitaient au pillage.
Toutefois je condamne cette peine ; je n’en veux pas et je ne vous présente pas
la loi pour l’admettre telle qu’elle est, quoiqu’on soit peu scrupuleux ici
quand il s’agit de verser le sang : on aime l’échafaud. Moi je vous dirai :
supprimez la peine de mort, mise pour le pillage, l’un des crimes les plus
infâmes que je connaisse ; substituez-y la peine de la réclusion. Quoi qu’il en
soit, vous avez dû voir que la peine de réclusion n’est pas prononcée
arbitrairement par la loi, mais qu’elle est infligée à l’étranger récalcitrant
qui ne veut pas faire de déclaration, et qui refuse de se soumettre au jugement
par jury, car douze citoyens qui sont là pour l’entendre, forment bien un jury.
Je pense qu’un homme qui n’a dans le pays ni établissements ni propriété, et
qui ne peut trouver six citoyens pour répondre de ses sentiments civiques, n’a
pas le droit de se plaindre quand il est condamné par douze citoyens.
Je n’en dirai pas
davantage, méditez la loi que je viens de rappeler, et vous verrez si, dans les
temps les plus malheureux,
M.
Nothomb. - Messieurs, ce n’est pas la première fois que je viens
soutenir le principe de la loi qui nous est soumise : je l’ai défendu dans la
séance du 17 août 1833, en appuyant le projet de loi sur l’extradition ; dans
la séance du 23 du même mois, en repoussant l’acte d’accusation porté contre
mon honorable ami, le ministre de la justice d’alors, M. Lebeau ; dans la
séance du 25 avril 1834, en justifiant les mesures prises à la suite de
déplorables excès. J’éprouve aujourd’hui un embarras dont je dois me féliciter
; je n’ai rien à rétracter et rien de neuf à dire. Si je pouvais supposer que
les discours que j’ai prononcés dans ces trois occasions ne fussent pas depuis
longtemps oubliés, je n’aurais d’autre parti à prendre que celui du silence. La
modestie ne me permet pas de croire que mes paroles aient laissé quelque
souvenir, et je n’hésite pas à m’associer de nouveau à la discussion, sans
craindre le reproche de me répéter.
Je ne m’occuperai pas de la
question de savoir si la loi du 28 vendémiaire an VI est restée en vigueur, et
en cas d’affirmative, s’il faut la remplacer par une nouvelle loi. Deux des
membres du ministère actuel avaient, comme députés, nié l’existence de la loi
de l’an VI : assertion qui met le cabinet entier dans la nécessité de proposer
formellement une loi, et les chambres de la voter. Le maintien du ministère ne
me semble possible qu’à cette condition, et je contribuerai volontiers par mon
vote à la remplir.
Personne ne verra avec plus
de satisfaction que moi le terme d’une situation fausse qui se prolonge depuis
un an. Si je faisais un journal, ou si j’écrivais l’histoire, je pourrais
m’attacher aux antécédents des membres du cabinet, et rechercher si les
discours du député sont ou non conformes aux actes du ministre ; mais ces
recherches biographiques me paraissent déplacées dans une discussion
parlementaire. Ce qui m’importe, c’est l’opinion actuelle des membres du
cabinet ; et si cette opinion est conforme à la mienne, cela me suffit. Je n’ai
pas de pensée récriminatoire, et je prends les choses au point où elles sont
arrivées. Ce n’est pas cependant que je n’eusse préféré reconnaître purement et
simplement la loi du 28 vendémiaire an VI, dont l’existence m’a paru
incontestable. Obligé ou de maintenir une loi d’exception qui date de 38 ans,
ou de porter une loi de ce genre, j’aurais opté pour le premier parti ; ce rôle
passif, je l’avoue, m’eût convenu davantage. J’aurais voulu qu’on eût continué
à dire : La révolution de
Le principe de la loi a été
faiblement contesté, et il n’est guère contestable, Demander pourquoi les
étrangers ne sont pas assimilés aux indigènes, c’est demander pourquoi il a des
nations diverses. La distinction entre les étrangers et les nationaux est
écrite dans toutes les législations et elle n’en disparaîtra qu’avec la
distinction même des peuples.
Nulle part on n’a accordé
aux étrangers les mêmes droits qu’aux nationaux, et la raison en est simple :
c’est qu’ils n’ont pas les mêmes devoirs à remplir ; c’est que ne remplissant
pas les mêmes devoirs, ils n’offrent pas les mêmes garanties.
Cette distinction a été
reconnue par notre constitution, qui a laissé à la législature ordinaire le
soin d’en poser les conséquences suivant les temps et les situations : l’art.
128 n’a pas d’autre sens.
La question de principe est
donc résolue par la constitution même ; elle ne nous a réserve que la question
d’application.
Si la constitution, en
assurant aux étrangers la protection due aux personnes et aux biens, n’eût pas
admis la possibilité d’exceptions, elle eût méconnu les conditions de la
situation géographique de
Les nécessités qui
résultent pour
La crise s’est déplacée. Il
y a deux ans l’Europe était menacée d’une guerre générale ; les craintes de
guerre générale ont disparu pour faire place à d’autres craintes ; c’est de
révolutions nouvelles que l’Europe semble menacée aujourd’hui. Les législatures
qui nous ont précédés ont su par leur conduite diminuer les chances de guerre
générale ; vous saurez également diminuer les chances de révolutions nouvelles
; vous prouverez que vous avez compris cette seconde période de la crise que
subit l’Europe. La situation générale vous est connue, et vous en faites
partie.
Mais, nous a-t-on dit,
Interrogeons les partis qui
ont déclaré une guerre à mort à la monarchie de Louis-Philippe, que l’on
attaque à cette tribune ? Leurs espérances publiquement avouées ne nous
sont-elles point hostiles ? Je ne parle pas d’une hostilité menaçante pour la
cause de l’ordre en général ; je prends la question dans un sens plus restreint
; je parle d’une hostilité dirigée contre la nationalité belge. A
Vaincus à Paris et à Lyon,
échappés à la justice de leur pays, que viennent-ils nous demander ?
Viennent-ils, comme en 1815 les vieillards de la convention, solliciter la
permission d’achever de mourir ? Non, messieurs ; ils ne s’en cachent point ;
et ceci honorerait leur cause, si leur cause pouvait être honorable :
« L’avenir est à eux, nous disent-ils ; ils se sont donné la mission de
refaire l’ordre social, ils ne manqueront point à cette mission, ils
n’attendent que l’occasion de reparaître au combat. » Lorsqu’en 1815, les
hommes de la convention demandèrent l’hospitalité au royaume des Pays-Bas, il y
avait plus de vingt ans que l’acte qu’on les forçait d’expier par l’exil, avait
été accompli ; le parti était mort, ceux qui lui avaient survécu ne rappelaient
que des souvenirs ; il y en avait même qui avaient conservé les magnifiques
déguisements des antichambres de Bonaparte.
Ce ne sont point les
derniers représentants d’un système purement historique qui nous demandent un
asile aujourd’hui ; ce ne sont point des exilés qui, oubliés par le temps,
surpris par les événements politiques, nous demandent un dernier abri : ce sont
des factieux, des conspirateurs, des combattants qui se retirent de la mêlée,
et qui veulent reprendre haleine. Ce sont des hommes qui, en retour de
l’hospitalité que vous leur accorderez, se réservent de nous anéantir comme
nation : accueillis parmi nous, ils espèrent revenir un jour comme proconsuls
pour s’acquitter de la dette de la reconnaissance ; et il en est parmi vous,
messieurs, qui ont conservé le souvenir des proconsuls de la république,
précurseurs des préfets de l’empire.
Telles sont, messieurs les tendances des partis qui divisent la
France, et en faveur desquels on nous demande une retraite au milieu de la
lutte la plus acharnée dont l’histoire offre l’exemple. Accordez-leur cette
retraite, on vous en tiendra compte au jour de la victoire. Aidez au
renversement du gouvernement monarchique et pacifique de Louis-Philippe :
l’édifice en s’écroulant vous couvrira de ses ruines.
Je ne refuse pas un asile à
l’infortune, je n’en refuse qu’à l’esprit de faction. Je comprends, aussi bien
que personne les devoirs de la philanthropie générale ; mais à force d’aimer le
genre humain, on devient indifférent à sa patrie. Je désire que l’on reporte
sur
La loi, messieurs, est une
garantie non seulement pour le repos public, mais aussi pour toutes nos
institutions nationales. Nous nous sommes donné une constitution qui dans tout
autre pays serait une dangereuse utopie ; elle n’est bonne que pour nous.
Livrez-la aux hommes que nous envoient les factions étrangères, et ils en
feront sortir l’anarchie. Vous avez écrit dans votre constitution trois grandes
libertés qui nulle part n’existent ainsi illimitées : la liberté de la presse
sans obligation de cautionnement, le droit d’association sans mesures
préventives, le droit de pétition sans distinction d’objets. Dans chacun de ces
droits les anarchistes étrangers trouveront des ressources que les Belges
craignent d’y chercher : à l’aide de pétitions politiques multipliées l’on
portera atteinte à la liberté de la discussion parlementaire ; au moyen du
droit d’association, l’on constituera les classes inférieures en hostilité avec
les classes supérieures et l’on opérera une scission dans la grande société
nationale ; à l’aide de la presse on contestera, publiquement et chaque jour,
non seulement à la monarchie et à la dynastie le droit d’exister, mais à
Si j’étais ministre, je
regarderais comme un devoir de faire, de la loi dont il s’agit, une condition
d’existence politique ; armé du droit d’expulsion, je me croirais assez fort
pour gouverner le pays dans la plénitude des libertés constitutionnelles ; je
me croirais autorisé à donner un démenti à tous les hommes d’Etat qui, après
avoir lu notre constitution, déclarent
Il faut nous attendre à
être accusés de faire un premier pas dans un système de réaction ; selon moi,
nous fermons pour longtemps, peut-être pour toujours, la voie à toute réaction.
La loi protégera notre constitution en écartant du pays les étrangers qui
auraient intérêt à en faire un instrument d’anarchie. Et en se retranchant dans
nos libertés pour agiter
Les mesures extraordinaires
auxquelles la législature française croit devoir recourir donnent à la loi un
caractère d’urgence que l’on ne peut méconnaître. Lorsqu’à la suite de la
seconde restauration, la presse anti-bourbonnienne et
bonapartiste fut rendue impossible en France, elle transféra son siège à
Bruxelles, et longtemps le Nain jaune
réfugié ne fut point inquiété par un roi dont le fils avait dans un de ses
rêves entrevu la couronne de France Ce ne fut qu’en 1818 qu’une loi vint
protéger les monarques étrangers contre les injures des étrangers dans les
Pays-Bas. Si la presse républicaine se sent mourir en France, peut-être
essaiera-t-elle de vivre en Belgique. Si de fait Louis-Philippe devient enfin
inviolable à Paris, peut-être transféra-t-on à Bruxelles les ateliers
d’injures. Par votre loi vous préviendrez l’émigration de la presse carliste et
républicaine, vous échapperez à l’obligation de renouveler un jour la loi du 16
mai 1818 pour protéger les royautés étrangères.
Juste dans son principe,
nécessaire dans les circonstances où nous sommes, il ne faut pas que la loi
devienne odieuse dans la pratique ; l’effet de la loi est avant tout préventif,
et c’est sous ce point de vue qu’il faut la juger : considérée comme mesure de
répression quotidienne, elle conduirait à une absurde tyrannie. En promulguant
cette loi,
Si, il y a un an, à son
avènement, le ministère avait publiquement reconnu l’existence de la loi de l’an
VI, la loi ancienne ou nouvelle eût par son effet moral, par son effet
préventif arrêté les étrangers prêts à franchir nos frontières. Pourquoi le
ministère actuel a-t-il été réduit à expulser ? C’est que les antécédents de
deux de ses membres et les hésitations ou le silence du cabinet entier avaient
fait supposer qu’on n’expulserait plus. Pourquoi le ministère précédent a-t-il
été réduit à faire de nombreuses expulsions à la suite des journées d’avril
1834 ? Parce que depuis 1830 l’opinion s’était accréditée qu’en Belgique il y
avait place pour tout le monde ; et peut-être, avant de commettre une mauvaise
action s’est-on dit bien souvent : Je sais où me réfugier. Déplorable effet de
l’absence ou de l’inexécution des lois d’extradition et d’expulsion qui ôtent
aux crimes politiques et privés une chance d’impunité.
Quel sera le terme de la
crise dont je vous ai indiqué les caractères principaux ? Nul ne le sait. Deux
fois déjà on l’a dite terminée ; aux journées de juin 1832 ont succédé les
journées d’avril 1834, et dans l’intervalle tout avait paru calme ; car nous
avons acquis une merveilleuse facilité d’oublier. Le souvenir des journées
d’avril 1834 s’effaçait déjà lorsqu’un attentat d’un autre genre est venu
attester que les factions n’étaient point mortes : dans deux jours il y aura un
mois seulement que cet attentat a été commis, et déjà l’événement nous apparaît
dans le lointain à travers d’autres émotions politiques qui lui ont succédé.
Le ministère avait demandé
une loi permanente, réservant à la législature de la modifier ou de l’abroger,
selon les circonstances ; la section centrale vous demande une loi triennale,
comme si la crise ne devait durer que trois ans. Je craindrais, messieurs, de
réduire la loi à ce terme : lorsque les trois années seront écoulées, pour peu
qu’il y ait du calme, l’on croira la loi inutile ; l’on craindra d’être
impopulaire par un excès de prévoyance, et les événements pourront de nouveau
nous prendre au dépourvu. Je crois qu’il serait plus prudent de prolonger la
loi jusqu’à la paix ; et j’appuierai tout amendement conçu dans ce sens. La
mesure est surtout préventive, et il ne faut point légèrement se priver de
l’effet moral qui en résulte. Si l’Europe d’ailleurs rentrait dans le repos le
plus absolu, les étrangers seraient par cela même hors d’état de compromettre
notre sécurité, et la loi qui suppose ce fait, serait sans application
possible.
Deux honorables préopinants
ont proposé des amendements qui portent sur le mode d’exécution de la loi :
l’un, M. Fallon, exige l’intervention parlementaire ; l’autre, M. Liedts,
l’intervention judiciaire. J’examinerai succinctement ces deux systèmes ;
j’admets l’intervention parlementaire, mais sans aucun des moyens que M. Fallon
croit nécessaires ; je repousse l’intervention judiciaire comme contraire à la
division des pouvoirs.
L’honorable M. Fallon a
regretté de ne pouvoir préciser et énumérer les cas d’expulsion ; je crois avec
lui que cette énumération est impossible, et je n’y verrais pas de garantie. Il
serait toujours facile au ministère de placer l’étranger, contre lequel il
voudrait sévir, dans une des catégories, et dès lors sa responsabilisé serait à
couvert. C’est la question de danger public qui domine tout, et cette question
varie selon les circonstances. Supposons deux cas d’expulsion comme ceux-ci :
le gouvernement pourra expulser 1° l’étranger affilié à une faction étrangère,
hostile à la nationalité belge ; 2° l’étranger, rédacteur d’un journal hostile
à la nationalité belge. Eh bien, je dis qu’il y a des circonstances où
l’expulsion de cet étranger sera nécessaire, d’autres où elle sera inutile :
cela dépend d’un ensemble de faits que l’on ne peut déterminer à l’avance. La
question de nécessité, d’ordre public, est de la compétence parlementaire, et
là est la véritable garantie : il est inutile de l’exprimer dans la loi que
vous faites, elle existe par la force de nos institutions.
L’établissement d’une
commission de sept députés à laquelle on renverrait les arrêtés d’expulsion et
les réclamations, consacrerait d’abord une usurpation de pouvoir ; en second
lieu, ce ne serait point une garantie, car, selon M. Fallon, cette commission
serait juge de la question de savoir s’il sera fait un rapport à la chambre ou
non ; elle pourra étouffer la réclamation. Je crains moins l’action des
ministres qui sont obligés, en tout état de choses, de répondre à vos
interpellations ou de justifier leur silence. C’est dans ce sens que je
maintiens l’intervention parlementaire ; je la maintiens, car elle existe déjà
; nous l’exerçons tous les jours ; nous l’exercerons pour les expulsions comme
pour tout autre acte ministériel. Si cependant vous voulez ajouter à l’art. 2
du projet de loi que la chambre aura le droit d’interpeller les ministres sur
des mesures d’expulsion, je ne m’y oppose pas, mais vous ferez chose inutile.
Ai-je besoin de dire
pourquoi je décline la compétence judiciaire ? Le système de M. Liedts livre la
police du royaume aux tribunaux, les institue juges de questions de sécurité
publique, en dehors de leurs attributions véritables. Ce serait faire descendre
le gouvernement dans les tribunaux.
Je n’en dirai point
davantage sur ces amendements, me réservant d’y revenir dans la discussion des
articles.
Ne craignez pas, messieurs,
d’assumer la responsabilité du vote qu’on vous demande ; la loi sera comprise
par le pays.
Appuyée sur la constitution
qu’elle s’est donnée, sur la dynastie qu’elle s’est choisie,
Cette assemblée ne sera pas
désavouée par les législatures à venir, le ministère actuel par les ministères
futurs ; les mêmes nécessités pèseront sur tous. Déjà les différences qui ont
pu exister entre les hommes successivement appelés à
siéger dans les chambres ou le conseil du Roi, s’effacent, et les opinions
extrêmes s’isolent. Hors de ces opinions extrêmes, tous les partis nationaux en
entrant dans la carrière du gouvernement, perdront ce qu’ils avaient d’exclusif,
renonceront à tout ce qui n’a été qu’un moyen, subiront les nécessités en
dehors desquelles, comme je l’ai dit dans une autre occasion, il n’y a pas de
Belgique possible pour l’Europe, ni de gouvernement possible pour
PROPOSITION DE LOI RELATIVE A
M.
Dubus, rapporteur de la section centrale qui a été chargée de l’examen de
la proposition faite par M. de Mérode, est appelé à la tribune.
De toutes pars. - L’impression ! l’impression
!
M.
F. de Mérode. - Je voudrais que la discussion sur les conclusions du
rapport eût lieu après le vote sur la loi actuelle. Il s’agit de Belges qu’il
faut rétablir dans la position où ils étaient précédemment.
M.
Gendebien. - Ce sera assez tôt après la loi sur la naturalisation.
M.
Dubus, rapporteur. - Le rapport n’est pas long ; probablement il sera
distribué demain matin et la chambre, après en avoir pris connaissance, pourra
fixer le jour de la discussion.
- L’avis de M. Dubus est
adopté.
PROJET DE LOI RELATIF AUX
DROIT D’EXPULSION DES ETRANGERS
Discussion générale
M.
Pirson. - Je ne peux pas laisser la discussion aller plus loin sans
faire une interpellation au ministère. Le discours que vous venez d’entendre me
paraît en quelque sorte annoncer que la loi relative aux étrangers n’est qu’un
avant-coureur d’autres mesures. On veut, dit-on, le maintien de la dynastie ;
et moi aussi je veux le maintien de la dynastie belge ; je veux même le
maintien de la dynastie française ; car l’une s’appuie sur l’autre. Mais il
reste à savoir si les mesures que prend le gouvernement français soutiendront
les deux dynasties ; il reste à savoir si les ministres de France travaillent
dans l’intérêt de
Je m’adresse donc au
ministère, parce que le discours de M. Nothomb, homme qui connaît la pensée
ministérielle, nous a fait sous-entendre que l’on nous proposerait d’autres
lois. Le ministère aurait-il envie de nous présenter un projet liberticide, un
projet contre la presse ?
M.
le ministre de la justice (M. Ernst). - Non ! non
!
M.
Desmet. - On nous l’a fait entendre, cependant !
M.
Pirson. - On sait que les gouvernements procèdent ainsi par des voies
obliques afin de préparer les esprits : que le ministère s’explique à cet
égard.
M.
Gendebien. - Eh mon Dieu ! les ministres
diront que non !
M.
Nothomb. - Je regrette beaucoup que mes paroles aient été mal saisies.
Je crois avoir dit formellement le contraire de ce qu’on m’attribue. Je vous ai
dit que, selon moi, au moyen de la loi présentée, vous serez peut-être
préservés de la nécessité de prendre d’autres mesures dans un avenir que je ne
connais pas.
Je vous ai dit que les
libertés publiques écrites dans votre constitution et livrées sans restriction
aux Belges, ne conduiraient jamais à des excès qui rendissent nécessaires des
lois répressives autres que celle dont il s’agit.
Après cette explication, si
M. Pirson veut insister dans son interpellation, libre à lui.
M.
Pirson. - Si la chambre ne s’oppose pas à mon interpellation, je
persiste à la faire.
M.
le président. - La parole est à M.
Dumortier.
M.
Pirson. - Vous voulez dire à l’un des ministres, car je maintiens l’interpellation.
M.
Dumortier. - Je crois aussi que la proposition de M. Pirson, doit être
maintenue. Je pense comme beaucoup de mes collègues que les paroles de
l’honorable député d’Arlon ont une grande portée, et j’ai cru entendre que
d’autres lois menaçaient la Belgique.
Depuis plusieurs jours il y
a quelque chose de singulier en Belgique. Vous vous êtes sans doute aperçu que
certain journal, organe (erratum inséré
au Moniteur belge n°242, du 28 août 1835 :) officiel du gouvernement, n’entretient ses lecteurs que de ce que l’on
dit et l’on fait en France ; qu’il rapporte dans toute leur étendue les pièces,
les rapports qui appuient les projets les plus liberticides. Ce fait mérite
quelque attention de la part de la chambre. Avant de voter la loi en
discussion, (erratum inséré au Moniteur
belge n°242, du 28 août 1835 :) loi que je voterai peut-être parce que
je n’aime pas que les étrangers viennent dominer en Belgique, il faut cependant
savoir si elle est la seule mesure rigoureuse, la seule mesure exceptionnelle
que l’on nous proposera d’adopter. Il est nécessaire que le ministre s’explique
nettement sur ce point. Le Moniteur
belge a annoncé qu’on élaborait une nouvelle loi sur le jury. En France, on
vient aussi de modifier le jury, et de déclarer que les condamnations auraient
lieu la simple majorité, et cette coïncidence avec l’annonce du Moniteur est fâcheuse.
(Erratum inséré au Moniteur belge n°242, du 28 août 1835 :) Ces
circonstances, ces rapprochements sont graves, et on ne peut croire que les paroles de l’honorable
député d’Arlon aient été prononcées en vain, lorsqu’on sait qu’il est aussi
dépositaire de la pensée du gouvernement.
Il a dit : « Les mesures
extraordinaires que l’on comprend en France exigent aussi chez nous des mesures
promptes et extraordinaires. »
M.
Nothomb. - Je n’ai pas dit cela.
M. Dumortier. - Je présume que la mesure que
l’on vient demander n’est que le premier pas dans la carrière qu’on veut
parcourir : on a une tendance à vous jeter dans une voie de réaction. Cependant
les lois de réaction sont toujours pernicieuses pour les gouvernements. (Erratum inséré au Moniteur belge n°242, du
28 août 1835 :) Elles serviront momentanément à briser toutes les
résistances qu’ils éprouvent dans leurs écarts. Alors ils se trouvent sur la
pente d’un abîme où rien n’empêche plus qu’ils ne soient engloutis. On craint
que les ruines de la France n’écrasent et n’anéantissent la Belgique, moi je
vois le tombeau de la Belgique au milieu des ruines de ses libertés.
On ne peut pas se le
dissimuler : la volonté des gouvernements qui nous entourent aura toujours un
effet considérable sur nos affaires ; nous sommes une puissance faible, (erratum inséré au Moniteur belge n°242, du
28 août 1835 :) et si nous lâchons la bride au ministère, nous serons
toujours exposés à rouler comme font les satellites des planètes, dans la
sphère d’attraction d’une nation plus puissante. L’orateur a vanté tout ce qui
se fait en France ; il l’a fait comme une personne qui aurait reçu des faveurs
de ce pays, qui serait affilié à son gouvernement ; mais moi qui ne suis
attaché qu’à ma patrie, je dirai : laissez faire la France et conservez vos
munitions.
Je demande que le ministre
s’explique catégoriquement et qu’il nous dise si la loi actuelle n’est pas la
première base d’autres lois.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de
Muelenaere). - Je crois que l’interpellation qui vient d’être faite est
peu parlementaire. Et d’abord le député d’Arlon a fait usage d’un droit qui
appartient à tous les membres de l’assemblée ; il a émis son opinion
individuelle.
Par ma position, et je m’en
félicite, j’ai plus de rapports, des réunions plus fréquentes avec cet
honorable député, que les autres ministres mes collègues ; mais je déclare que
je n’avais pas connaissance du discours qu’il vient de prononcer et dans lequel
il n’a exprimé, je le répète, que son opinion personnelle et non celle du
gouvernement.
Pour ma part, j’attache la
plus haute importance à l’adoption du projet de loi ; car en Belgique le danger
ne vient que des étrangers ; et si le gouvernement pouvait réprimer leurs
tentatives, il serait disposé à ne recourir à aucune autre mesure, je l’espère.
M.
Gendebien. - Si dans la chaleur de l’improvisation le député d’Arlon
avait laissé tomber de la tribune quelques paroles hasardées, je ne m’en
étonnerais pas. Je sais par expérience qu’on va souvent beaucoup plus loin
qu’on ne veut ; mais veuillez remarquer qu’il est venu lire un discours écrit,
un discours médité dans le silence du cabinet, élaboré dans le voisinage du
ministre des affaires étrangères ; peut-être même dans le cabinet de ce
ministre.
Veuillez remarquer encore
que ce discours n’a pas trait moins directement à la loi que nous discutons ;
c’est une théorie qu’on a préparée à loisir, je ne sais dans quel dessein, je
ne sais sous quelle influence ; mais cette théorie m’a effrayé. Et ce que vient
de vous dite M. le ministre des affaires étrangères, ou plutôt ce qu’il n’a pas
dit, me force à partager l’opinion de ceux qui pensent que nous sommes menacés
d’autres mesures exceptionnelles.
Qu’a dit le ministre ? Tout
le mal vient des étrangers ; si la loi est adoptée, j’espère qu’il ne sera pas
nécessaire de recourir à d’autres mesures exceptionnelles. Eh bien, ces paroles
m’effraient, et m’effraient à bon droit ; car jusqu’ici nous n’avons jamais vu
les ministres hésiter à prendre d’engagements sans y manquer aussi facilement
qu’ils les ont pris. J’aurais voulu une réponse plus catégorique.
Toutefois, nous avons un
moyen de connaître ce qui nous menace : informons-nous de ce qui se passe en
France. Ce qui se fera en France, se fera chez nous ; nous en avons
l’expérience depuis 1830. Aussi longtemps que les hommes de la révolution de
juillet ont été à la tête des affaires de la France, nous en avons reçu
assistance, secours et sympathie ; nous avons été presque poussés en avant pour
elle ; mais aussitôt que les Lafayette, les Odillon
Barrot, les Laffitte et tous les hommes de juillet ont été éloignés des
affaires, tout a changé en Belgique ainsi qu’en France.
Pendant le règne
des hommes de juillet, nous ne recevions, de la tribune française, que des
encouragements ; il n’est tombé de la même tribune que des calomnies, des
injures, sous le ministère doctrinaire qui leur a succédé. Ce ministère a si
bien marché à reculant qu’il est arrivé au point de faire cent fois pis que
celui de Charles X, que le ministère Polignac. Alors, comment se pourrait-il,
quand le gouvernement de France prend des mesures propres à satisfaire les
puissances étrangères quand il agit dans le sens des despotes du nord, que nous
ne recevions pas quelques éclaboussures de tant de boue que l’on remue
actuellement en France.
Messieurs, nous sommes dans
des circonstances telles que nous avons tout à craindre. Au reste, notre
position n’est que la conséquence d’une première faute que l’on a faite en
tuant notre révolution, au lieu de la continuer franchement et loyalement au
profit de tous.
M.
Pirson. - Je livre aux réflexions de la chambre le silence du ministre.
M.
F. de Mérode. - Mais le ministre a répondu.
M.
Pirson. - Je demande la parole pour présenter quelques amendements. Je
voterai contre la loi, je voterai contre elle lors même que tous mes
amendements seraient adoptés. (On rit.)
Cependant, comme quelques membres pourraient être ébranlés par la peur qu’on
nous inspire de loin, et se laisser entraîner à accorder tout ce que l’on
demanderait, je veux faire quelques efforts pour que la loi soit le moins
mauvaise possible.
Plusieurs membres. - Déposez vos amendements sur le bureau, ils
seront imprimés.
- La séance est levée à
quatre heures et demie.