Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 25 février 1835

(Moniteur belge n°57, du 65 février 1835)

(Présidence de M. Raikem.)

La séance est ouverte à une heure un quart.

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse fait l’appel nominal.

M. Brixhe donne lecture du procès-verbal de la séance précédente. Il est adopté.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse fait connaître l’analyse de la pétition suivante.

« Les administrations des communes du Haecht réclament contre le projet de partager ce canton entre ceux d’Aerschot et de Louvain. »

- Cette pétition est renvoyée la commission des pétitions.

Ordre des travaux de la chambre

M. de Roo. - Dans la séance précédente deux projets ont été déposées par M. le ministre des finances. L’impression a bien été ordonnée, mais l’assemblée n’a pas statué sur le mode d’examen de ces projets. Je ne parlerai pas du premier, mais il est urgent que le second relatif à la conversion de la caserne actuelle de la gendarmerie de Thielt en hôpital soit soumis aux discussions de la chambre. Je demande le renvoi du projet à une commission ou aux sections.

M. Verdussen. - Les sections sont si désertes que l’on ne peut pas considérer leur examen comme l’expression de l’opinion de l’assemblée. Je demande donc le renvoi des deux projets à des commissions.

- Les deux projets dé loi présentés par M. le ministre des finances dans la séance précédente sont renvoyé à l’examen de commissions spéciales, nommées par le bureau.

Projet de loin portant le budget du ministère des finances de l'exercice 1835

Discussion générale

M. de Foere. - M. le ministre des finances, par arrêté du 12 de ce mois, a approuvé les statuts d’une nouvelle banque sous la dénomination de Banque de Belgique. Avant l’autorisation de cette banque, il en existait une autre sous la dénomination de Société générale pour faciliter l’industrie nationale.

Cette dernière banque couvrait tout le pays ; elle étendait son action financière partout, et dans un seul et même intérêt central. Elle était autorisée à jouir du monopole de l’argent, et de tous les monopoles. Il n’en est pas de plus nuisible au pays que celui qui domine l’intérêt de l’argent, celui de l’escompte, du prêt, des avances sur dépôts d’autres valeurs celui encore qui domine le taux des emprunts de l’Etat, des provinces, des communes et des sociétés commerciales.

Cette banque, par l’accumulation progressive de ses capitaux, devenait une puissance dans l’Etat, et bientôt elle en serait devenue la seule puissance ; car, de toutes les puissances, il n’en est pas de plus formidable et de plus irrésistible que celle qui domine l’argent. L’histoire est là qui vous le prouve.

L’homme qui avait fondé cette banque tendait à réunir sur sa tête seule tout le pouvoir de l’Etat. Il l’exerçait en réalité dans toute sa plénitude. Et connaissait fort bien la puissance de l’argent ; et afin d’assurer aussi à lui seul cette domination, il s’était réservé les 26/30 des actions de cette société.

A côté de cette banque, il érigeait son syndicat d’amortissement ; le triomphe de son pouvoir sur les finances et sur les capitaux du pays fut monstrueusement complet.

Il avait autorisé cette banque à émettre du papier-monnaie. Comme il avait vécu pendant quelque temps en Angleterre, il savait que la banque de ce pays avait été obligée de donner à l’Etat, en garantie de son papier-monnaie, 14 1/2 millions de livres sterling (363 millions de notre monnaie), afin de garantir les détenteurs de billets de banque contre les crises politiques, commerciales et financières et contre toutes les opérations éventuellement ruineuses de cette banque même. Soit par pudeur, soit par spéculation pour faire entrer en circulation les billets de la banque de Bruxelles, dont il était le seul actionnaire et par conséquent le seul intéressé (je dis le seul, car le reste ne vaut pas la peine d’être nommé), il exige de cette banque une garantie de 10 millions. Mais bientôt cette pudeur est secouée ; les billets de la banque de Bruxelles ont trouvé du crédit ; il affranchit la banque de toute garantie par des arrêtés secrets, et les détenteurs confiants des billets de la banque de Bruxelles se trouvent sans garantie à la merci de toutes les crises politiques, commerciales et financières et à la merci des spéculations éventuellement ruineuses de la banque même.

Afin d’implanter plus radicalement encore dans le pays ce monstrueux monopole d’argent, cette banque devient caissier de l’Etat. L’argent des contribuables est transformé en partie en instrument de spéculation du plus fort intéressé de la banque, et en instrument de ses volontés illégales et arbitraires.

Ce qui prouve la première de mes assertions, c’est qu’au moment de la révolution, la banque de Bruxelles se déclare insolvable des 13 millions environ qu’en sa qualité de caissier de l’Etat elle doit au pays. Ce qui prouve la deuxième assertion, c’est que, par ses influences toutes puissantes sur la banque de Bruxelles, le roi de Hollande avait exigé d’elle les millions que les états généraux lui avaient refusés pour exécuter des travaux du waterstaat, millions que depuis la banque n’a pas craint de porter en décompte de son solde envers l’Etat.

Vous connaissez, messieurs, les iniquités par lesquelles l’aliénation des domaines du pays été consommée. Je ne m’y arrêterai pas. Je ne dirai pas non plus qu’il s’est trouvé en Belgique des hommes qui ont voulu s’associer à tant de spoliations ; je ne le dirai pas, parce que le pays ayant été successivement dominé et écorché par les étrangers, la science de la haute finance était peu connue en Belgique, et on a pu se laisser entraîner par une confiance aveugle et d’autant plus séduisante que toutes ces difficultés se consommaient sous le spécieux prétexte de favoriser l’industrie nationale.

Lorsque la banque se déclarait insolvable envers l’Etat, elle l’était aussi envers les détenteurs de ses billets. Elle violait à la fois ouvertement deux obligations publiques : l’une contractée par la convention qui l’installait caissier de l’Etat, l’autre contractée par l’article 5 de ses statuts qui l’obligeait à échanger en argent comptant et sur présentation ses billets.

Que les avocats officieux de la banque ne viennent pas nous objecter que cette violation de la foi publique est justifiée par la crise politique, commerciale et financière qui s’opérait en septembre 1830. Messieurs, c’est précisément contre ces crises que les intérêts du public doivent être garantis. C’est pour ces crises éventuelles que les garanties sont exigées pour sauver les intérêts du pays. Loin donc que l’objection pût être recevable, elle retomberait de tout son poids sur les violateurs mêmes de la foi publique.

En raison de ces transgressions ouvertes de ses devoirs les plus sacrés, le pays pouvait être fondé à espérer que bientôt il serait délivré de cet odieux établissement de monopole financier. La banque fut au contraire plus protégée et plus raffermie que jamais. Une commission de 1/8 p. c. lui fut allouée, sous le gouvernement précédent pour le service de la caisse de l’Etat. Un arrêté radicalement inconstitutionnel, parti du ministère des finances le 6 septembre 1832, alloue à la banque 1/4 p. c. pour le service, à partir du 1er avril 1831.

La banque trouve en 1832 et 1833 le moyen de cumuler, sur les différentes espèces de monopole dont elle jouissait déjà celui de lever les emprunts de l’Etat et d’émettre les bons du trésor, tant à l’égard du taux, qui fut monstrueux, qu’à celui du mode de leur émission, le tout dans ses propres intérêts et contre ceux de l’Etat.

Comme co-traitant de l’emprunt de 48 millions, il lui était accordé la faculté de verser par anticipation ; les bons du trésor, étant devenus des valeurs réelles, elle fait à l’Etat des versements anticipés, au moyen de ces mêmes bons, qu’elle s’était réservé de prendre au moyen de son mode ténébreux d’émission, et sur lesquels elle avait l’intérêt exorbitant de 8 p. c. Elle opérait ainsi ses versements à l’Etat avec l’argent de l’Etat. Le mouvement de la caisse de l’Etat lui permettait en outre, et en d’autres cas, de prendre des bons du trésor avec l’argent même de l’Etat. Le trésor public payait ainsi les intérêts de son propre argent. On n’a pas compris, ou on n’a pas voulu comprendre, j’ignore si on le comprend encore, qu’il est inconciliable et absurde que le caissier de l’Etat soit en même temps, le traitant et le prêteur de l’Etat.

Ce n’est pas tout. La banque trouve, en 1833, un ministère plus docile encore à ses intérêts. Une convention du 8 novembre accorde à la banque la faculté de payer sa dette envers l’Etat, montant à environ 13 millions, avec des garanties pour la banque, et que d’autre part elle refuse à l’Etat, et qu’elle ne doit pas aux détenteurs de ses billets, et remarquez-le bien, la convention est conclue en décharge des intérêts que la banque doit incontestablement à l’Etat pour les 13 millions que jusqu’alors elle avait refusé de lui payer, intérêts qui à raison de 5 p. c. et pour deux ans montent à environ deux millions de francs.

Il résulte de la correspondance même qui amena cette convention que le ministre s’était réservé l’assentiment de la chambre. Eh bien, malgré le refus formel de la chambre et de sa commission de décider cette question avant d’avoir examiné toutes les pièces du procès, le ministre conclut la convention en dépit de la chambre et en dépit de ses propres réserves.

En détenant par devers elle pendant deux ans les 13 millions dus à l’Etat, elle cause au pays des dommages considérables. Entre-temps, l’Etat est forcé de lever des emprunts onéreux, de lever des bons du trésor à 8 p. c. ; les détenteurs forcés des 10 et 12 millions perdent énormément sur le capital de leurs obligations ; c’est encore la banque qui en profite en grande partie ; et, malgré toutes ces opérations scandaleuses, elle trouve le moyen, sous le même ministère, de faire insérer dans le discours du trône cette phrase, qui jure contre les faits les plus évidents : « que la banque est disposée à être utile à l’Etat. »

Le ministre actuel des finances a-t-il voulu, par son arrêté, mettre un terme à tant d’iniquités ? A- t-il eu l’intention d’arrêter cette redoutable puissance financière qui s’installait au milieu de celle de l’Etat, et qui bientôt serait devenue la seule puissance de l’Etat ? A-t-il voulu réduire la banque de Bruxelles à la dimension qui lui convient dans les intérêts de l’Etat ? Si c’est là son intention, le pays lui doit des remerciements. Il a jugé, comme il le devait, les antécédents de la banque de Bruxelles, et il a compris l’avenir de cette banque dans ses rapports avec l’Etat.

Instruit par les abus de puissance de la banque des Etats-Unis, instruit par les influences puissantes et malveillantes de cet établissement sur l’escompte, sur les élections, sur la presse, sur les chambres, en un mot sur les destinées politiques, commerciales et financières du pays tout entier, le ministre aura compris la nécessité de comprimer la puissance future de la banque de Bruxelles, de la mettre à sa véritable place et dans l’impuissance de nuire au pays.

Voilà, messieurs, pour la question des intentions du ministère ; mais c’est une tout autre que celle de savoir si, par son arrêté du 12 de ce mois, le gouvernement aura atteint son but ; si tout monopole aura disparu ; si les intérêts de l’Etat et celui de particuliers seront suffisamment garantis par les statuts de la nouvelle banque de Belgique, et si enfin, depuis notre nouveau droit constitutionnel, le gouvernement a le droit exclusif, sans l’intervention des chambres, d’autoriser une société d’émettre des billets de banque. Sur toutes ces questions, mon opinion est négative. En les examinant une à une, je vais tâcher, messieurs, de faire passer ma propre conviction dans votre esprit.

L’article 2 des statuts de la banque de Belgique porte : « La société a son siége principal à Bruxelles ; elle peut établir des succursales dans d’autres villes de la Belgique. »

Cette banque couvrira donc tout le pays. Son action s’étendra partout et dans un seul et même intérêt. Or, c’est là autoriser formellement le monopole et écarter la concurrence. Je vous l’ai déjà dit, messieurs, de tous les monopoles, le plus funeste aux nations est, sans contredit, celui des transactions financières.

Il est reconnu par tous les économistes, et pour peu que l’on observe les faits de la société, on s’en convaincra aisément, que l’argent est à la fois la mesure de toute espèce d’autre valeur, l’équivalent universel, la marchandise commune consommée par le pays tout entier.

Le corps social est composé en grande partie de membres qui n’entendent rien ou peu de chose à la valeur de l’argent considéré sous ses rapports les plus importants, ceux de l’emploi de l’argent et de la production de ses intérêts. Les gouvernements sont les tuteurs naturels des gouvernés, et surtout des femmes et des mineurs. Or, par l’article 2 des statuts de la nouvelle banque, ils seront tous soumis à l’intérêt exclusif d’une seule société qui va étendre son action monopole sur le pays tout entier.

Sous plusieurs rapports importants, déterminés par l’article 5 de ses statuts, elle dictera ses conditions à tous, attendu que, sous les mêmes rapports, elle n’aura pas de société compétitrice. Il est vrai qu’on sera libre de ne pas accepter ses conditions, et de ne pas passer par son monopole ; mais, attendu que cette banque aura déjà absorbé 20 millions du capital du pays applicables en partie aux mêmes besoins du pays, il sera vrai aussi de dire que les placements d’argent, tels qu’ils sont offerts au public par l’article des statuts de la nouvelle banque, deviendront d’autant plus difficiles en dehors de cette nouvelle société.

Ensuite, indépendamment du taux éventuel de l’intérêt de l’argent et indépendamment des frais d’administration de la société et des pertes que subira comme toute autre association, il est dit à l’article 18 de ses statuts que « chaque action jouit d’un intérêt de 5 pour cent par an sur les versements effectués et d’un dividende. » Or, il est bien constaté aujourd’hui, que déjà l’intérêt commun de l’argent est au-dessous de 5 p. c., et qu’à la paix il baissera encore de beaucoup, par la simple raison que tout dans ce monde est soumis à la loi générale et impérieuse qui fait chercher à toutes choses son niveau. Or, dans quelles sources la société pourra-t-elle puiser ses 5 p. c. d’intérêt, plus un dividende que ses statuts promettent à ses actionnaires, si ce n’est dans son monopole !

Le ministère objectera peut-être que la nouvelle banque trouvera sa concurrence dans l’ancienne banque de Bruxelles.

Remarquez en premier lieu, messieurs, que les opérations de la banque de Bruxelles sont déterminées dans le chapitre V de ses statuts. Elle ne peut en dépasser les limites. Mais celles de la banque de Belgique énumérées dans l’article 5 de ses statuts, sont beaucoup plus étendues. Il est donc évident que cette dernière banque jouira d’un monopole dans la même proportion dans laquelle ses opérations se porteront sur des objets qui ne sont pas déterminés dans le chapitre V des statuts de l’ancienne banque. Je n’ai donc pas exagéré les termes lorsque j’ai dit que, sous plusieurs rapports importants, la nouvelle banque jouirait d’un monopole contraire aux intérêts du pays, et que, sous les mêmes rapports, elle lui dicterait ses lois.

Sa concurrence donc ne pourra s’établir que sur les opérations communes avec la banque de Bruxelles.

De deux choses l’une : ou les deux banques générales s’entendent dans leur intérêt commun, pour régler le taux de l’escompte, des prêts, des avances sur dépôts, des emprunts, etc., et alors il y a continuation de monopole exercée sur le pays tout entier ; ou les deux banques ne s’entendent pas à ces fins, alors il y a lutte entre l’une et l’autre. L’une baissera l’intérêt de ses escomptes et de ses prêts pour supplanter l’autre. Le public y gagnera pour quelque temps. Mais cette lutte ne peut durer. L’une banque renversera l’autre. Les vices et les abus de celle qui survivra seront enracinés plus profondément que jamais dans le pays. Pendant la lutte, des crises financières se présenteront au détriment du pays. Quand l’une banque saura que l’autre est engagée dans des embarras, elle rétrécira, pour quelque temps, le cercle de ses escomptes et de ses autres opérations financières, et les crises seront inévitables.

A l’article 6 des statuts de la banque de Belgique, il est dit : « La banque de Belgique peut émettre des billets de banque de 40, 100 et 1,000 fr., pour une somme qui ne dépassera pas le capital social, et sera toujours représentée dans ses caisses par des valeurs réelles. »

Il est un principe qui n’est contesté par personne, à l’égard des sociétés qui émettent un papier-monnaie, c’est celui que toute banque d’émission doit être obligée d’échanger ses billets en argent comptant et sur présentation. Ce sont aussi les termes formels de l’article des statuts de la banque de Bruxelles. Jamais aucun économiste, aucun financier, n’a contesté ce principe. Il garantit en partie les intérêts du pays et particulièrement des détenteurs des billets des banques d’émission, autorisées par le gouvernement. Il les garantit en partie par cette obligation, contre toutes crises politiques, commerciales et financières, et contre les spéculations éventuellement ruineuses de ces sociétés.

Cette garantie, est-elle donnée aux détenteurs des billets de la nouvelle banque ? Il n’est pas stipulé à l’article 6 que la banque de Belgique sera obligée d’échanger son papier en argent comptant et sur présentation. Il y est dit seulement que son papier-monnaie sera représenté dans ses caisses par des valeurs réelles.

Si, dans des moments de crise ou de discrédit de la nouvelle banque, les détenteurs de ses billets accourent à ses bureaux pour en obtenir l’échange contre de l’argent et sur présentation, la nouvelle banque pourra leur dire : Je n’ai pas contracté l’obligation de convertir mes billets en argent comptant et sur présentation. Voyez mes statuts. Seulement je me suis imposé le devoir de représenter la quotité de mes émissions par des valeurs réelles encaissées. Or, ces valeurs existent dans mes caisses. Le gouvernement peut et il a droit de les vérifier. Mais ces valeurs ne sont pas de l’argent comptant ; ce sont d’autres titres que je ne puis aliéner.

Il n’est donc stipulé dans l’article 6 aucune garantie suffisante pour les détenteurs du papier-monnaie de la nouvelle banque.

Cependant les gouvernements sont les protecteurs et tuteurs naturels de tous les habitants du pays, de tous les Belges, surtout de ceux qui ne connaissent rien à la haute finance et aux opérations financières, des femmes surtout et des mineurs en faveur desquels le gouvernement aurait dû ne pas négliger de stipuler des garanties suffisantes, dès qu’il croyait devoir intervenir dans cette nouvelle société, et d’exiger d’elle des garanties pour le public.

Je conçois que la nouvelle banque agira au commencement dans ses intérêts. Elle tâchera d’être assez pourvue de capitaux dans ses caisses pour échanger en argent comptant et sur présentation son papier monnaie. Mais dès que la circulation de ce papier sera établie, dès qu’elle aura conquis la faveur du pays, alors il est à craindre que les détenteurs de son papier ne soient entraînés dans une confiance aveugle ; et lorsque leurs intérêts seront compromis, ils pourront à bon droit reprocher au gouvernement de ne les avoir pas suffisamment protégés et même de les avoir entraînés dans leur confiance aveugle. A la première crise politique ou commerciale, ou si la banque nouvelle outrepasse ses émissions, ou si elle s’engage dans des spéculations ruineuses et que son crédit s’en ressente, il y aura affluence devant ses bureaux et les réclamations contre le gouvernement surgiront en masse.

Je vous ai dit, en parlant de la position de la société générale vis-à-vis du pays, que le roi Guillaume avait senti lui-même la nécessité de garantir le pays et de faire en sorte que les détenteurs de son papier-monnaie pussent toujours trouver une ressource dans les 10 millions de florins que la banque de Bruxelles avait été obligée de donner en garantie.

La banque d’Angleterre même, malgré sa puissance financière, malgré la solidité de son crédit, malgré l’immense confiance dont elle jouit dans le pays tout entier, est obligée jusqu’au moment actuel de donner à l’Etat, pour l’émission de ses billets, une garantie de 14 millions et demi de livre sterling, c’est-à-dire 363 millions de francs. S’il survenait une crise financière, si la banque d’Angleterre se livrait à des spéculations ruineuses, les détenteurs de ses billets trouveraient la garantie de leurs créances dans le dépôt de 14 millions et demi de livre sterling que le trésor public possède comme gage des émissions de cette banque.

Le gouvernement autorise la banque de Belgique à émettre des billets de 40 fr. Les billets de banque d’une livre sterling étaient devenus tellement fatals pour l’Angleterre que le parlement crut de son devoir d’en ordonner la suppression. Il a été défendu à toutes les banques d’émission de n’en pas lancer dans la circulation qui fussent inférieurs à la valeur de cinq livres sterling, disposition qui, en évaluant la valeur de chaque livre à 25 francs, défend l’émission des billets, au-dessous de la valeur de 125 francs.

Si le parlement anglais n’avait pris à temps cette mesure, il en serait résulté une crise redoutable pour le pays. Le gouvernement belge n’a pas voulu profiter de cette expérience. Il a permis à la banque de Belgique d’émettre des billets de 40 francs seulement.

Je ne dirai pas positivement que cette autorisation entraînera tôt ou tard le pays dans une crise certaine ; je me bornerai à dire que cette faculté accordée à la fois à deux banques générales, d’émettre du papier-monnaie de 40 et de 50 francs fera sortir l’or et l’argent du pays, et qu’en raison de cette sortie il est plus que probable que les embarras financiers du pays surgiront et l’affecteront péniblement.

Ces sortes de sociétés sont toujours intéressées à faire circuler leur papier-monnaie et partant disposées à excéder les justes limites de leurs émissions. Alors, comme il a été démontré en Angleterre que, quand il y a excès de circulation, l’or et l’argent passent à l’étranger, il en résulte encore que contre les intérêts du pays le cours du change s’établit constamment contre ses intérêts commerciaux. Alors, plus l’or et l’agent deviennent rares dans le pays, plus aussi les détenteurs de billets de banque cherchent à convertir leurs titres contre de l’argent comptant, et moins les banques d’émission sont capables de satisfaire à leurs justes prétentions, dans les cas, celui d’excès d’émission et celui de rareté d’argent.

Le véritable principe qui doit régler toute émission de billets de banque dans les intérêts du pays a encore été ici négligé. Les vrais intérêts du pays et ceux des banques même exigent que la circulation du papier-monnaie soit inférieure à la somme d’or et d’argent, appartenant à ces banques, qui circulerait, si elles n’émettaient pas des billets. Si l’on ne fait pas respecter ce principe, les crises financières sont inévitables pour le pays, et les bénéfices qu’il pourrait retirer d’une circulation de papier monnaie sagement rétrécie, seront largement absorbés par des embarras fréquents et désastreux.

J’arrive à la dernière question, celle de savoir si le gouvernement a le pouvoir exclusif, sans l’intervention de la législature, d’autoriser une société quelconque à émettre un papier-monnaie.

Je conçois que, d’après la législation actuellement en vigueur, le gouvernement a le droit d’autoriser l’établissement de sociétés commerciales et d’approuver leurs statuts lorsqu’elles ne prétendent pas à la faculté d’émettre du papier-monnaie.

Mais quand une société s’arroge cette facilité, je conteste au gouvernement le droit d’autoriser de semblables statuts en dehors de l’intervention de la chambre, ou sans l’intervention de la législature. Si le gouvernement anglais devait songer à autoriser une société semblable sans l’approbation du parlement, surtout quand il s’agit d’accorder à une société une action financière sur le pays tout entier, chaque membre du parlement protesterait contre un semblable excès de pouvoir.

D’après notre nouveau droit constitutionnel, quand bien même il ne serait pas formellement ou textuellement écrit, il n’y a pas de principe plus constitutionnel dans le système représentatif que celui qui défère à la législature le droit de faire intervenir son action en tout ce qui est relatif aux finances du pays, aux questions de monnaie, à la substitution de papier-monnaie à l’or et à l’argent, aux garanties que réclame l’intérêt général, alors que les gouvernements constitutionnels prétendent intervenir eux-mêmes dans l’établissement des sociétés et dans l’approbation de leur statuts.

Je livre, messieurs, cette opinion à votre examen ; j’appelle sur cette grave question toute votre attention afin que vous avisiez aux moyens de modifier ce pouvoir exorbitant que le gouvernement s’arroge et qui est évidemment contraire aux intérêts du pays.

Depuis le congrès j’ai proposé plusieurs fois d’établir auprès du ministère des finances un conseil de haute finance ; ma voix n’a pas été écoutée. J’ose assurer que si les ministères qui se sont succédé avaient établi ce conseil pour gérer la haute finance du pays, des millions eussent été sauvés pour l’Etat.

J’ai dit.

M. Desmanet de Biesme. - A la fin de l’année dernière, lorsqu’on a discuté le budget des voies et moyens, on a répandu beaucoup d’alarmes dans le pays relativement à une agression qui devait avoir lieu contre la Belgique. A cette occasion, le ministère est venu demander 10 centimes additionnels sur toutes les contributions, pour le cas éventuel de guerre.

Dans le pays et dans la chambre, beaucoup de personnes n’ont pas cru à cette éventualité. Mais la chambre, mue par les sentiments les plus patriotiques et ne voulant assumer sur elle aucune espèce de responsabilité à cet égard, a accordé les 10 centimes additionnels demandés par le ministère.

Le ministère prit alors l’engagement, s’il jugeait que ce fût possible, de faire cesser la perception de ces 10 centimes additionnels, de la faire cesser si les craintes qu’il avait conçues à cette époque venaient à se dissiper. Je viens adresser à ce sujet au ministère les deux interpellations suivantes ;

1° La situation actuelle de la Belgique exige-t-elle que l’on continue de percevoir les 10 centimes additionnels votés pour le cas éventuel de guerre ?

2° Si en ce moment, ou dans le courant de l’année, la situation est telle que les craintes que l’on concevait à l’époque où on les a demandés, soient dissipées, le ministère s’engage t-il à cesser de les percevoir ?

Mon but n’est nullement, en faisant cette interpellation, d’entraver la marche du gouvernement ; mais l’on peut peut-être prévoir dès à présent que les craintes qu’on a eues ne se réaliseront pas, et je voudrais savoir si, dans ce cas, nous pouvons compter que l’on fera cesser la perception des dix centimes additionnels.

Si M. le ministre des finances ne croit pas devoir répondre aujourd’hui à ces interpellations, me conformant aux usages parlementaires, je les déposerai aujourd’hui sur le bureau.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Je vais d’abord répondre aux deux interpellations qui m’ont été adressées par l’honorable M. Desmanet de Biesme.

Je dirai que dans la situation politique actuelle de l’Europe le gouvernement croit qu’il serait imprudent de proposer dès à présent la suppression des 10 centimes additionnels aux contributions. Si plus tard, dans le courant de l’année, le gouvernement trouve que cette suppression peut être demandée à la législature, il en fera la proposition : mais je le déclare de nouveau, dans la situation actuelle des choses, le gouvernement considérerait cette suppression comme une imprudence. C’est là, je crois, ce que demande l’honorable préopinant. (Signes de dénégation de la part de M. Desmanet.)

Je répéterai que si dans quelque temps le gouvernement pense qu’il ne peut pas arriver de complications politiques, que la paix est certaine, il demandera la suppression des 10 centimes additionnels, en acquit de la promesse qu’il a faite. La chambre jugera alors si elle doit admettre cette suppression, eu égard à la situation du trésor ; elle verra aussi s’il ne serait pas utile, alors même que la paix serait certaine, de maintenir la perception des 10 centimes additionnels.

M. Jullien. - Alors vous ne risquez rien de les garder.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Je pense aussi que ce serait utile.

M. de Robaulx. - C’était donc un leurre.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Il n’y a pas de leurre ; les choses sont telles que j’ai eu l’honneur de les exposer à la chambre.

J’aurais désiré pouvoir examiner à loisir les observations de M. de Foere, parce que tous les raisonnements qu’il a présentés à la chambre sont d’une très grande portée, et peuvent nuire considérablement au crédit d’un établissement naissant et d’un autre établissement qui existe depuis longtemps.

Je regrette que cet honorable orateur ait cru devoir présenter ces observations qui peuvent, je le répète, avoir une grande portée sur l’avenir de ces établissements. Je vais toutefois essayer de lui répondre.

Le gouvernement, en accordant l’autorisation de créer la banque de Belgique, a cru faire chose utile au pays ; il espère que l’avenir justifiera ses prévisions.

L’honorable M. de Foere a dit qu’en autorisant la création d’une nouvelle banque, et l’établissement de succursales de cette banque, le gouvernement constituait un monopole. J’avoue que je ne comprends pas cet argument. Quoi ! multiplier les banques, ce serait établir le monopole ! Je ne conçois pas le monopole ainsi défini.

L’honorable orateur a parlé d’un article des statuts de la banque de Belgique qui porte qu’il sera attribué aux actionnaires un intérêt de 5 p. c., et qu’il y aura en outre de cet intérêt un dividende disponible. Il a conclu de là que les opérations de la société rapporteront plus de 5 p. c., et qu’ainsi ce sera au moyen d’agiotage et d’intérêts usuraires que la société prospèrera. D’abord il est à remarquer que dans les opérations de l’industrie et du commerce, l’intérêt est de plus de 5 p. c. ; ainsi le nouvel établissement peut très bien retenir 5 p. c. pour l’intérêt ordinaire, et en outre 1 ou 2 p. c. d’intérêt disponible à partager entre les actionnaires.

M. de Foere a dit que si les deux banques s’entendaient, il y aurait monopole ; que si elles ne s’entendaient pas, il y aurait lutte entre elles et qu’en définitive ce serait le pays qui en souffrirait. Ainsi que je l’ai dit, je ne comprends pas comment le monopole résulterait de la création ; il me semble évident au contraire qu’en établissant des concurrences, on diminue le monopole. D’un autre côté, s’il y a lutte comme le craint l’honorable préopinant, ne sera-t-elle pas dans l’intérêt du pays ? n’en résultera-t-il pas une diminution dans le taux de l’intérêt de l’argent, but vers lequel tout gouvernement doit viser, et auquel il a cru pouvoir atteindre en accordant l’autorisation d’établir la banque de Belgique ?

L’honorable député a dit encore qu’aucune stipulation dans les statuts n’obligeait la nouvelle société à payer les billets qu’elle mettrait en circulation.

Je répondrai qu’il était inutile d’établir une stipulation à cet égard. Les billets seront nécessairement à vue, ou à terme : s’ils sont à vue, ils devront être acquittés à présentation ; s’ils sont à terme, ils devront être acquittés à l’époque de l’échéance. L'on reconnaît d’ailleurs combien sont exagérées les craintes qu’a manifestées l’honorable préopinant sur la difficulté de faire rembourser à la société les billets qu’elle aura émis, lorsqu’on considère que la banque de Belgique sera régie par des administrateurs intéressés dans cet établissement et par conséquent intéressés à ce qu’il n’y ait pas une sorte de faillite par le refus de paiement des billets, lorsqu’on considère eu outre que le gouvernement est chargé de veiller à ce que la caisse soit pourvue de manière à satisfaire à tous les besoins.

On a contesté au gouvernement le droit d’autoriser la création des banques ; on a critiqué ce qu’il a fait à cet égard ; mais on n’a cité aucun texte de loi qui refusât au gouvernement le pouvoir de consentir à la création de tels établissements. Au contraire, s’il l’on recourt aux lois sur la matière, on trouve que le gouvernement, et le gouvernement seul, a le droit d’accorder de semblables autorisations.

Ce que je viens d’avoir l’honneur de répondre à l’honorable orateur, ne satisfait pas, comme je l’aurais voulu moi-même, à tous les points de la question qu’il a soulevée. J’aurais désiré avoir le temps de méditer ses observations afin d’y répondre avec plus d’ordre et de développements.

M. Desmanet de Biesme. - J’avoue franchement que la réponse de M. le ministre aux interpellations que je lui avais adressées ne me satisfont pas entièrement.

M. le ministre dit qu’en ce moment il y aurait imprudence à faire cesser la perception de l’impôt ; on ne peut avoir en effet ce qui arrivera dans l’année ; à cet égard, je suis d’accord avec lui. Je conçois que dans la situation actuelle de l’Europe, à l’approche du printemps, époque où commencent les armements en cas de guerre, on ne puisse renoncer à la perception de centimes additionnels. Mais, dans ma deuxième interpellation, j’ai demandé si, dans le cas où toutes les alarmes se dissiperaient, on cesserait, ainsi qu’on l’a promis, de percevoir l’impôt. La réponse que l’on m’a faire à cet égard ne m’a pas satisfait.

M. le ministre a dit que l’on proposerait de cesser cette perception si la paix était certaine ; mais je pense que personne ne s’attend à voir de sitôt la paix assurée. Nous sommes, comme on l’a dit dans la discussion relative aux centimes additionnels, dans un état qui n’est ni la paix ni la guerre, et dont on ne sait pas trouver le nom ; et cette situation peut se prolonger longtemps encore.

On vous dit que, dans tous les cas, les fonds ayant été votés pour le cas éventuel de guerre, s’il n’y a pas de guerre, on ne pourra toucher aux centimes additionnels sans l’autorisation de la législature ; mais on vous dit aussi que, s’il n’y a pas de guerre, on vous demandera l’autorisation de faire usage de ces centimes additionnels : il est certain que, comme ils ont été votés pour le cas éventuel de guerre, s’il n’y a pas de guerre, il faut, pour en faire usage, une autre autorisation. Mais la question est de savoir si, du moment que l’on n’appréhendera plus la guerre, l’on devra néanmoins continuer la perception de l’impôt.

Cette intention donnerait à penser que, comme l’ont dit dans la discussion d’honorables orateurs, il y a quelque trou à boucher. S’il en est ainsi, qu’on le dise franchement. Il est essentiel que les recettes soient toujours au niveau des dépenses. Pour atteindre ce but, je ne reculerai jamais devant la nécessité d’imposer de nouvelles charges au pays.

J’avoue que je ne suis pas satisfait des explications que l’on a données sous ce rapport. Je voudrais que le ministère, dans le cas où il n’y aurait pas de guerre, s’engageât à faire cesser, ainsi qu’il l’a promis, la perception de l’impôt.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Il n’appartient pas au pouvoir exécutif de faire cesser la perception des centimes additionnels ; elle a été ordonnée par une loi, il faut une loi pour la révoquer. Le gouvernement serait donc dans la nécessité de présenter un projet de loi à la législature pour faire cesser cette perception, et c’est aussi ce qu’il fera s’il trouve plus tard que le moment soit venu de vous le soumettre.

Je crois avoir répondu d’une manière positive à l’honorable préopinant, en disant que si la situation politique de l’Europe faisait croire que la paix ne serait pas troublée, le gouvernement, en acquit de la promesse qu’il a faite à la chambre viendrait demander le retrait de la perception des 10 centimes. J’ai ajouté qu’au cas où le gouvernement présenterait cette proposition, la chambre aurait à examiner si dans l’intérêt du trésor il ne conviendrait pas, malgré l’état satisfaisant de la politique, de maintenir la perception des 10 centimes.

Quant à ce qu’on a dit en plaisantant, dans une précédente séance, qu’il y avait probablement un trou à boucher, je dirai qu’il n’y a pas d’autre trou à boucher que celui que vous connaissez.

La situation du trésor vous a été remise dans toute son exactitude ; vous avez pu juger quels étaient les besoins du trésor, vous avez vu qu’il existait un déficit couvert par des titres de la dette flottante. Pour diminuer cette dette flottante, il faudra nécessairement que la législature donne au gouvernement de nouvelles ressources. Les sept millions présumés que doit produire la perception des 10 centimes additionnels, seraient peut-être appliqués très à propos à cette réduction. Au surplus, la chambre verra si elle trouve plus avantageux pour le pays d’en agir ainsi, que de supprimer la perception des 10 centimes additionnels.

M. de Foere. - M. le ministre des finances a commencé par dire qu’il regrettait que j’eusse soulevé des questions sur les deux banques existantes en Belgique, pas la raison que ces questions avaient une grande portée et pourraient nuire au crédit de l’une et de l’autre banque.

Messieurs je parle ici en ma qualité de député de la nation, et non en qualité de défenseur des intérêts de l’une ou de l’autre banque. Il est du devoir de tout député du pays de rechercher non pas ce qui pourrait être utile à des établissements privés, mais ce qui pourrait être utile ou ce qui pourrait nuire à l’intérêt général du pays. C’est dans ce but que j’ai soulevé et examiné ces questions.

Le ministre ne comprend pas le monopole qui serait exercé en moyen des succursales de la nouvelle banque, qu’il s’établira, au contraire, une lutte, une concurrence.

Puisque ces succursales sont établies dans l’intérêt central de la nouvelle société de la banque de Belgique, je vous demande quelle concurrence il peut y avoir entre des établissements qui reçoivent leurs ordres et leur direction d’un seul et même point central, et qui concourront toujours dans le même intérêt.

M. le ministre des finances a ensuite prétendu que j’avais dit que la nouvelle banque trouverait les 5 p. c. d’intérêt et le dividende promis à ses actionnaires par l’article 18 de ses statuts, dans des intérêts usuraires. Je n’ai touché aucune question d’intérêt usuraire. J’ai dit qu’il me paraissait impossible, dans l’état actuel de l’intérêt de l’argent, de trouver cet intérêt de 5 p. c., plus un dividende, nulle part ailleurs que dans le monopole de la nouvelle banque qui étendra son action sur tout le pays.

Je n’ai pas dit non plus que le pays souffrirait de la lutte qui s’établirait entre les deux banques ; j’ai même soutenu à peu près le contraire. J’ai dit que, pour quelque temps, le pays en profitera. J’ai ensuite ajouté que l’une et l’autre banque souffriront de cette lutte, si lutte il y a ; que cette lutte pourrait avoir pour résultat le renversement de l’une ou de l’autre banque, et que celle qui survivrait à la lutte enracinerait ses abus résultant de son monopole plus profondément dans le pays. La lutte entre les deux banques, a dit le ministre, sera utile au pays. C’est ce que j’ai établi moi-même, si toutefois lutte il y aura. J’ai dit que dans les premières années l’une cherchera à escompter à un intérêt moindre que l’autre, à prêter à un taux moins élevé, afin de placer plus de capitaux que l’autre banque et d’augmenter sa clientèle. Mais si l’une ou l’autre a été culbutée par suite de leur rivalité, l’intérêt de l’argent, celui de l’escompte, le taux des emprunts se trouveront entre les mains d’une seule banque, entre les mains de celle qui survivra à la lutte.

J’ai demandé au ministre quelles étaient les garanties qui assuraient au public le remboursement de papier-monnaie que la nouvelle banque émettra. Le ministre répond : Les billets de la banque sont à vue ou à terme. Pour ceux qui sont à terme, il faudra bien les payer à leur échéance. Mais les billets à terme sont des effets de commerce, des lettres de change, des mandats, des promesses ou d’autre valeurs commerciales. Il sont ici en dehors de la discussion.

Mais à la question de savoir quelles sont les garanties qu’offre la nouvelle à l’échange de ses billets de banque contre argent et sur présentation, le ministre répond que nécessairement il faudrait bien les échanger sur présentation contre des écus. Ces paroles, ces assertions ne contiennent aucune garantie. Il s’est enfin retranché derrière la confiance qu’inspirait la probité des directeurs.

Messieurs, les temps de confiance, en matière de finances surtout, sont passés. Le public demande des garanties positives et réelles. M. le ministre des finances n’en a indiqué aucune.

Ce que le gouvernement aurait dû faire dans l’intérêt du pays, c’était de chercher à multiplier les banques indépendantes les unes des autres. C’était là le véritable intérêt du pays, et non pas de favoriser deux banques générales qui étendent leur action sur tout le pays ; il fallait multiplier les banques indépendantes, et non pas ériger des succursales qui agissent dans le même intérêt de l’établissement central. Des banques particulières, indépendantes l’une de l’autre, auraient établi entre elles une rivalité utile à l’Etat tout entier. On ne trouvera jamais cette concurrence dans des établissements qui agissent sous la direction d’un pouvoir central. Il est impossible qu’une concurrence s’établisse par ce moyen.

M. A. Rodenbach. - Un arrêté du gouvernement provisoire a ordonné explicitement de mettre le séquestre sur les biens des Nassau, pour garantir le paiement des créances que la famille d’Orange-Nassau avait en Belgique. C’est au ministre$ que le gouvernement provisoire a ordonné de mettre le séquestre. Je pense que le ministre l’aura fait, mais jusqu’à présent les créanciers de la famille d’Orange-Nassau n’ont pas été payés. Je sais du moins que beaucoup ne l’ont pas été. On en a bien payé quelques-uns, mais il en est qui ont été repoussés. Je désirerais savoir pourquoi on ne les paie pas tous. Je ne crois pas que ce soit par manque d’argent. Si l’intérêt du séquestre ne suffit pas pour payer toutes les créances, qu’on mette aussi le séquestre sur les millions que Guillaume a à la banque. Il a les 26/30 des actions, ce qui fait de 80 à 90 millions.

Ainsi, ce n’est pas faute d’argent si on ne paie pas toutes les créances que les Belges ont sur la famille des Nassau. Je conçois qu’on ne paie pas intégralement les dettes qui sont contestées mais pour celles qui ne le sont pas, je ne vois pas pourquoi on ne les paierait pas, alors qu’il y a en Belgique plus de cent millions dont le revenu peut être affecté à cet objet.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Le séquestre sur les biens de la famille de Nassau a été notifié à la banque en 1831, à la requête du ministre des finances d’alors M. Ch. de Brouckere. Ainsi les garanties demandées par le préopinant sont prises depuis longtemps. Quant aux diverses dettes que cette famille avait en Belgique, il reste très peu de chose à payer. Dernièrement, le gouvernement a autorisé le paiement de créances assez fortes. Et je pense qu’au moyen du revenu et s’il est nécessaire d’une vente de biens séquestrés, dans le courant de 1835, on aura satisfait à toutes les dettes.

Je répondrai encore deux mots à l’honorable abbé de Foere qui prétend qu’on n’a pris aucune garantie contre l’émission des billets de la banque de Belgique.

Je lui dirai que la première garantie est la limite de l’émission de ces billets et la seconde qui est la plus grande, c’est le contrôle qu’exerce le gouvernement sur toutes les opérations de cet établissement. Il et à remarquer que les billets de banque ne sont reçus qu’à la volonté des personnes qui veulent bien les accepter, nul n’est tenu de les prendre et ne les reçoit qu’autant qu’il a confiance dans l’établissement. Ces sortes d’institutions ne subsistent et ne prospèrent que par la confiance qu’elles inspirent. Et cette confiance repose sur la probité des administrateurs et le contrôle exercé par un pouvoir supérieur et indépendant.

L’honorable abbé de Foere est encore revenu sur la question du monopole. Eh bien, je suppose qu’on n’ait pas autorisé l’érection d’une nouvelle banque, le monopole eût continué d’exister dans toute l’extension du mot, puisqu’il n’y avait qu’un seul établissement de la même espèce. Vous craignez, dites-vous, que cette nouvelle banque ne s’entende avec l’autre. Mais pour un mal qu’il est permis de supposer imaginaire, vous voulez donc en perpétuer un dont vous reconnaissez la réalité ?

Le même orateur est revenu aussi sur l’approbation accordée par le gouvernement à l’assurance donnée dans les statuts que les opérations de la société produirait 5 p.c. aux actionnaires. Le gouvernement ne pouvait pas s’opposer à ce que ces conditions toutes légales fussent stipulées dans les statuts.

Le taux légal de l’intérêt dans les transactions ordinaires est de 5 p. c., et il est de 5 p. c. pour les opérations commerciales. Le gouvernement ne pouvait donc pas se refuser à ce qu’ont insérât une condition déjà admise par la loi elle-même.

L’honorable membre a dit, en me répliquant qu’il n'était pas tenu à des ménagements envers des intérêts d’établissements particuliers, qu’il était uniquement le défenseur des intérêts de l’Etat. Soit. Mais il est cependant évident que si on parvenait à ébranler le crédit d’établissements de la nature de ceux dont il s’agit, le crédit de l’Etat pourrait s en ressentir. Cela serait certes à craindre, et je renouvelle mes regrets de ce que l’honorable membre a jugé à propos de dire sur la nouvelle et l’ancienne banque.

Messieurs, l’esprit d’association se répand en Belgique, et je crois qu’il sera un grand bienfait pour le pays. Si de nouvelles banques provinciales voulaient s’établir, le gouvernement s’empresserait de les autoriser. Il en est une qui se forme à Liége ; si ses statuts offrent les garanties nécessaires, le gouvernement ne manquera pas de lui accorder l’autorisation de se constituer. Plus il y en aura, plus l’industrie et le commerce trouveront de facilité pour développer leurs opérations, leurs transactions.

M. de Foere. - La garantie, dit le ministre des finances, est dans la limite de l’émission du papier-monnaie. Cette limite est probablement représentée par les valeurs réelles, les valeurs métalliques qui se trouveront en caisse. Mais presque toutes les banques qui ont été autorisées à émettre du papier-monnaie, ont toujours dépassé cette limite naturelle ; il pourrait en être de même de la banque nouvelle qui, dans ses intérêts, cherchera aussi à étendre l’émission de son papier. Vous en avez la preuve dans la banque existante, dite banque de Bruxelles ; malgré l’article 5 de ses statuts, malgré le contrôle du gouvernement, il a été prouvé en 1830 qu’elle ne pouvait pas payer à présentation les billets qu’elle avait émis. Cependant, comme je viens de le dire, le gouvernement avait un contrôle sur cette banque.

Le gouvernement nomme un gouverneur pour ces établissements afin d’en arrêter les écarts ; ce gouverneur n’est pas créé dans l’intérêt exclusif de la banque, mais aussi dans l’intérêt du pays, puisqu’il doit prévenir les abus de la banque. Dans l’espace de 20 ans environ, 100 banques provinciales se sont écroulées en Angleterre. Toutes ces banques émettaient du papier-monnaie. Les détenteurs des billets de ces établissements ont été dupes de leur confiance. Il est donc important de demander des garanties réelles, des garanties positives en faveur de ceux qui prendront le papier de la nouvelle banque.

Mais, dit-on, nul n’est obligé à accepter les billets qu’elle émettra. Cela est très vrai ; mais une fois qu’en payant exactement son papier elle aura obtenu du crédit dans le pays, on se livrera à elle avec une confiance aveugle ; et, à la première crise commerciale ou politique qui arrivera, les détenteurs du papier sans garanties seront les victime de cette confiance aveugle.

Je n’ai pas dit que je craignais que les deux banques s’entendissent entre elles ; j’ai posé deux alternatives ; j’ai dit : ou elles s’entendront ou elles seront en lutte ; j’ai raisonné dans cette alternative, et sur ce qui arriverait si l’une d’elles écrasait l’autre.

Le ministre craint que mes observations ne nuisent au crédit de l’Etat. Messieurs, le crédit de l’Etat est parfaitement indépendant, et de la banque de Bruxelles, et de la banque nouvelle, et de toutes les banques qui s’établiront.

Le seul moyen d’ébranler le crédit de l’Etat est d’approuver des statuts semblables à ceux que le ministre a approuvés, c’est-à-dire d’autoriser la création de banques n’offrant aucune garantie pour l’émission de leur papier. Le crédit de l’Etat est basé sur les ressources du pays et sur sa bonne foi ; il n’en a pas d’autres.

M. de Roo. - Dans la première section un nouveau projet de douane avait été joint au rapport de cette section ; cependant dans le rapport de la section centrale, je n’en vois aucune mention de faite ; néanmoins il méritait bien d’après moi l’attention de la section centrale, puisqu’il avait fixé l’attention d’une de vos sections.

Ce projet, je l’envisage moi, comme très utile et en même temps très économique, puisqu’il présente un personnel effectif de 6,000 hommes, qui ne coûterait, y compris son administration centrale, que 4,426,580.fr., somme égale à celle portée au budget pour 4,212 hommes seulement ; qu’il établit en outre une administration spéciale de douanes vivement désirée, un personnel de plus de 2,000 hommes. qu’actuellement, tous les grades à un traitement supérieur à celui actuel, et un service qui, se contrôlant de lui-même et immédiatement, rendrait toutes les fraudes impraticables.

C’est donc là un but éminemment utile, un but auquel on a constamment visé et demandé et qu’on n’a jamais obtenu.

Je n’irai certes pas aussi loin que l’auteur du projet, je ne taxerai pas d’incapacité nos spécialités en cette matière ; mais il est certain que l’on doit marcher promptement vers un nouveau système, que le système actuel est vicieux, dispendieux et produit les plus mauvais résultats, puisqu’on ne peut empêcher la fraude qui se fait ouvertement sur tous les points.

Ce n’est point ici le moment de discuter ce projet ; mais puisqu’il avait été proposé par la première section et attaché à son rapport, je crois que la section centrale était obligée de s’en occuper, et je désirerai fortement qu’elle fasse un rapport sur cet objet dont elle a été saisie, avant la discussion du chapitre III de ce budget qui traite le plus particulièrement de douanes.

M. Donny, rapporteur. -L’honorable membre vient de parler d’un projet de douanes dont la section centrale aurait dû s’occuper, attendu que la première section, dont l’orateur était membre, avait annexé ce projet à son procès-verbal, avec invitation de l’examiner.

La section centrale ne s’est pas occupée de ce projet ; la raison en est simple, c’est qu’il ne lui a pas été produit !

Si le projet lui avait été produit, il y aurait encore eu lieu à examiner si la section centrale avait bien mission d’examiner un système de douanes tout à fait nouveau : examen qui devait exiger beaucoup de temps, et qui, en définitive, ne pouvait conduire à aucun résultat certain. Car, quand bien même la section centrale aurait trouvé le projet d’organisation nouvelle des douanes aussi bon qu’il a paru à l’honorable membre, elle ne pouvait encore l’imposer au gouvernement ; c’est au gouvernement à organiser, comme il l’entend, les diverses branches de l’administration. La section centrale n’a pas mandat pour lui prescrire la marche qu’il doit suivre.

Si le projet de l’honorable membre réunit tant d’avantages il peut devenir le sujet d’une proposition formelle à la législature ; cette proposition sera renvoyée devant les sections, et pourra être convertie en une loi. De cette manière, mais de cette manière seulement, on peut imposer au gouvernement une organisation nouvelle de la douane.

M. de Roo. - Je suis étonné que le projet n’ait pas été aperçu par la section centrale : dans la première section ou l’a attaché au procès-verbal, et l’on a chargé le rapporteur d’en soutenir la discussion dans le sein de la section centrale. Je ne veux pas que ce projet soit imposé au gouvernement ; ce n’était pas là le but qu’on se proposait : on désirait seulement que la section centrale en fît mention dans son rapport et jugeât de son utilité ou de son inutilité.

Je sais bien que chaque membre a le droit de faire une proposition formelle : mais je croyais que lorsqu’une section émettait une opinion, elle devait être examinée. Je ne crois pas que la section centrale ait rempli toute sa mission.

M. Dumortier. - Messieurs, à propos du budget des finances, on a soulevé une question bien grave, c’est celle relative à la création des banques. Nous savons tous ce que sont de semblables établissements : ce sont des associations dans lesquelles on cherche à faire des bénéfices au profit des actionnaires. Que par les capitaux qu’elles multiplient elles soient utiles au pays, cela peut être ; mais toujours faut-il reconnaître qu’elles sont formées pour le plus grand profit des souscripteurs. Quelles sont les opérations que font les banques ? Ce sont des opérations dans les fonds publics, afin de faire produire le plus possible leurs capitaux ; mais il ne faut pas croire que le public en retire de si grands avantages. En effet, nous sommes encore à nous demander quels avantages la banque pour l’industrie a produits. Les banques n’ont qu’un but, c’est d’enrichir ceux qui font partie de l’association et ceux qui la dirigent. Si elles se multipliaient dans le pays, elles pourraient peut-être lui offrir quelques avantages ; mais il ne s’agit pas d’examiner cette question particulière en ce moment.

La question soulevée par l’honorable député de Bruges se rapporte à un établissement que l’on ne doit pas confondre avec ceux que forment des particuliers.

J’ai déjà déclaré dans cette enceinte, et à plusieurs reprises, que, comme représentant du peuple, j’étais l’ennemi des banques dites nationales ; et cette opinion, beaucoup de personnes l’ont professée comme moi. Vous savez qu’en Amérique le président des Etats-Unis cherche à renverser la banque de ce pays. Pour mon compte j’aurais préféré que le gouvernement ne donnât pas à la banque nouvelle tous les pouvoirs qu’il paraît vouloir lui accorder par la suite. Je crains très fort que dans quelque temps le pays ne tombe de Carybde en Scylla, ou que, d’une banque qui a fait ses affaires aux dépens de la Belgique, le gouvernement ne tombe entre les mains d’une banque qui fera aussi ses affaires aux dépens du trésor : car je crois qu’il n’a pas pris dans cette occasion toutes les garanties nécessaires. Mais, laissant ces considérations de côté, j’arriverai à une question spéciale, à la question relative à l’émission du papier-monnaie.

Je demanderai si le gouvernement, en tant que gouvernement, peut autoriser l’émission du papier-monnaie ? C’est ce que je ne puis admettre. En effet, ouvrons la constitution qui règle les pouvoirs : or que voyons-nous à l’article 78 : « Le Roi n’a d’autres pouvoirs que ceux que lui attribuent la constitution et les lois particulières portées en vertu de la constitution même. »

Je lis ensuite dans l’article 29 : « Au Roi appartient le pouvoir exécutif tel qu’il est réglé par la constitution. » Je ne pense pas qu’il y ait dans ceci le pouvoir d’autoriser une association à émettre du papier-monnaie, ou qu’il y ait dans cette autorisation l’exécution d’une loi quelconque. Ainsi, une pareille faculté que le gouvernement s’attribue ne peut résulter des articles 29 et 78 du pacte social, et de plus, je ne connais pas de loi qui concède au gouvernement le droit d’autoriser l’émission du papier-monnaie.

M. le ministre des finances dit qu’il faudrait citer les lois qui défendent de donner de pareilles autorisations : ce n’est pas là répondre. Je lui dirai, moi : C’est vous qui devriez citer la loi qui vous autorise à donner le droit de fabriquer et d’émettre du papier-monnaie. Vous pouvez citer le code de commerce qui statue que les sociétés anonymes ne peuvent exister qu’avec l’autorisation du Roi (article 37) ; mais il ne s’agit là que de la formation de la société anonyme et non de l’émission d’un papier pouvant circuler et étant la représentation formelle de la monnaie. Le Roi n’a pas le droit d’après l’article 37 du code de commerce, d’autoriser une société anonyme à battre un papier-monnaie qui va de poche en poche, et dont l’effet est de tendre à a diminuer le numéraire dans un pays.

Mais examinons ce qui est relatif a la fabrication de la monnaie.

La constitution porte, article 74 : « Le Roi a le droit de battre monnaie en exécution de la loi. » Pourquoi le congrès a-t-il voulu qu’une loi stipulât ce qui concerne la fabrication de la monnaie. C’est afin que chaque citoyen fût assuré que la pièce qu’il a dans sa poche a une valeur réelle et ne doit pas subir d’altération. Le pays n’a pas cru trouver cette garantie dans un simple acte du pouvoir exécutif : il a voulu un acte même du pouvais législatif, c’est-à-dire du pays lui-même. Une pièce de monnaie est donc une valeur réelle.

Peut-on donner ce caractère à un chiffon de papier ? Certainement non : ainsi le gouvernement ne peut sous aucun point de vue autoriser l’émission du papier-monnaie.

La question considérée en ce sens ne peut toucher que les individus, mais elle peut devenir grave pour le trésor public lui-même, et sous ce nouveau rapport elle mérite votre attention.

Dans l’un des articles des statuts de la nouvelle banque, nous avons lu qu’elle prend l’engagement de donner un p. c. des fonds de l’Etat si elle en a la recette ; on peut voir implicitement dans cet article une éventualité importante ; c’est le transfert de la recette des deniers de l’Etat de l’ancienne association à la nouvelle : mais puisqu’on lui accorde le droit d’émettre du papier-monnaie, qu’en résultera-t-il ?

Messieurs, si je fais ces observations, c’est à cause de la manière tout à fait secrète, tout à fait mystérieuse, dont on a procédé en cette circonstance ; car le secret avec lequel on a agi ne me donne pas de sécurité pour l’avenir.

Si donc le gouvernement donnait à la nouvelle association la recette des deniers de l’Etat, qu’en arriverait-il ? Celle-ci ferait ses versements dans les caisses publiques avec le papier qu’elle émettra, et sans que la législature soit intervenue pour en autoriser l’émission ; eh bien, je déclare que le gouvernement n’a pas le droit d’autoriser les caisses publiques à recevoir un semblable papier.

L’association ne peut-elle pas subir le sort de beaucoup d’autres ? ne peut-elle pas être renversée ? Je ne pense pas que cela ait lieu, mais si cela n’est pas probable, cela est possible et la législature doit à la fois voir les possibilités et les probabilités. Peut-être existe-t-il des combinaisons qui amèneront ce résultat fâcheux dans la nouvelle société, combinaisons que l’on n’aperçoit pas maintenant. Dans ce cas, que deviendront les caisses publiques, si le gouvernement les autorise à recevoir du papier-monnaie provenant de l’association ? Je ne regarde pas l’événement comme probable, je crois d’avance que l’association fera de bonnes affaires, mais on ne peut prendre trop de précautions quand il s’agit de la fortune publique.

Quoi qu’il en soit, ceci pas tout. Le contribuable doit payer en numéraire, les caisses publiques doivent recevoir le numéraire des contribuables, et le gouvernement ne peut trouver dans aucune loi l’autorisation de prendre du papier en place de numéraire.

En ma qualité de mandataire du peuple, j’ai cru devoir signaler ce fait au ministre, et le lui signaler afin qu’il ne prenne pas des mesures par delà ses attributions, et qui, de plus, seraient funestes au crédit public.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Tous les arguments de l’honorable membre reposent sur un seul point ; c’est qu’en accordant à la nouvelle association le droit d’émettre du papier, le gouvernement l’aurait autorisé a créer du papier-monnaie ; eh bien, il n’en est rien ; c’est là une erreur. L’association n’émettra et ne peut émettre que des obligations au porteur, que des effets de commerce, dont la totalité sera égale à la masse sociale et que chacun pourra refuser.

Le papier-monnaie est autre chose ; il a un cours forcé, il remplace le numéraire qui manque, les capitaux que l’on n’a pas. Aussi tombent toutes les objections du préopinant.

Il semblerait d’après cet honorable membre que c’est le gouvernement qui a pris l’initiative dans la création de la nouvelle banque ; c’est encore là une erreur : une société est venue demander l’autorisation de se constituer en société anonyme sous un titre qu’elle a désigné ; nous avons examiné les conditions de sa formation et nous avons cru qu’elle serait utile au pays : voilà pourquoi le gouvernement en a autorisé l’érection et il était dans son droit en agissant ainsi.

L’honorable préopinant a parlé de caisse de l’Etat. Il n’est pas question de remettre la caisse de l’Etat à cet établissement, et dès lors les objections qu’il a faites tombent donc d’elles-mêmes.

Il se plaint du secret qui a présidé à l’institution de la nouvelle banque ; mais où est le secret ? N’a-t-il pas été annoncé par le Moniteur qu’elle s’établissait ? N’était-ce pas là le mode de publication convenable ? Devions-nous venir demander une autorisation préalable à la chambre ? Non, messieurs. Si le pouvoir exécutif devait, pour de semblables affaires, consulter la chambre, on n’en finirait pas. C’était un acte du pouvoir exécutif, et ce qui a été fait, on avait le droit de le faire. Je bornerai là ma réponse aux observations de l’honorable préopinant.

M. Verdussen. - Messieurs, quoique, d’après ce qui vient d’être dit, il me serait permis de renoncer à la parole, je la prendrai pourtant pour relever l’erreur grave que fait l’honorable M. Dumortier en confondant le papier-monnaie avec des billets de banque.

Qu’est-ce qu’une monnaie, métallique ou autre ? C’est un objet matériel portant une certaine empreinte qui, en vertu d’une loi, a par là un cours obligé dans le pays où il est en circulation. Voilà une monnaie ou en papier ou en métal. Mais lorsqu’on a accordé à la nouvelle banque la faculté d’émettre des billets de banque, a-t-on dit que les personnes à qui on présenterait ces billets seraient forcées de les recevoir ? Si cette obligation existait, les inconvénients signalés seraient réels, mais il n’en est rien. Et si des particuliers ne peuvent être contraints à accepter ces billets, l’Etat ne peut y être forcé davantage ; il peut les refuser comme il appartient à chacun de refuser un billet de banque que l’honorable député de Tournay s’est plu à nommer papier monnaie, et d’exiger un paiement métallique.

M. Jullien. - C’est la cinquième fois que j’ai l’honneur d’assister à la discussion générale du budget des finances, et je vous avouerai que je me suis convaincu que c’était une véritable duperie. En effet, nous n’avons pas cessé de demander des améliorations dans les douanes et dans les accises ; nous avons constamment signalé les inconvénients de cette détestable législation de 1822, source de vexations et principe de ruine pour les contribuables, chaque année, les ministres des finances qui se sont succédé, depuis l’honorable M. Coghen jusqu’à M. d’Huart, nous ont promis, mais vainement, une législation nouvelle. Nous sommes aujourd’hui dans la même position.

Je demanderai à M. le ministre des finances si définitivement on s’occupe d’améliorer cette partie de son administration, et j’espère que s’il nous réitère la promesse de ses prédécesseurs, il tiendra enfin parole.

J’ai à signaler à la chambre l’état véritablement malheureux d’une grande partie des receveurs des contributions du royaume. Il en est à qui l’on peut appliquer cet axiome populaire : Ils en ont trop pour mourir et pas assez pour vivre.

Il est résulté de la pénible position où ces fonctionnaires se trouvent placés, des abus de confiance qui ont été signalés au public ; il en est résulté des actes de désespoir de la part de ces malheureux, qui, se trouvant au milieu de l’argent, n’avaient pas ce qu’il fallait pour exister. De là, des actes d’indélicatesse, des fuites en pays étrangers.

Je prie M. le ministre des finances de porter son attention sur ce point et de vouloir bien faire en sorte d’assurer à ces fonctionnaires des moyens d’existence.

Il y a un autre abus qu’il est également important de signaler à l’attention de M. le ministre : celui-ci est relatif à notre commerce maritime. A Anvers, par exemple, les capitaines de navires se sont plaints que les employés des douanes les faisaient attendre plusieurs jours pour vérifier leurs déchargements.

Il résulte de là des frais considérables pour ces capitaines de navires qui, au lieu de venir en Belgique, se trouvent par là disposés à se rendre en Hollande. On a dit que des abus pareils arrivaient à Ostende, parce qu’on n’y plaçait pas assez de visiteurs. J’appelle toute l’attention de M. le ministre sur cet objet dans un moment où on doit faire tous ses efforts pour ramener le commerce maritime à un état de prospérité.

Je n’ai qu’un mot à dire sur la question de banque qui est discutée autour de moi. Je n’ai pas la prétention d’être un grand financier, mais il est des choses qui sont à la portée de l’intelligence de tout le monde.

Je comprends fort bien qu’on ne puisse pas dire que les billets émis par les banques ancienne et nouvelle soient du papier-monnaie. On ne peut appeler papier-monnaie celui qu’il n’est pas d’obligation de recevoir. Ce n’est point un papier-monnaie comme l’étaient les assignats dont on connaît la triste fin. Mais il n’en est pas moins vrai que le gouvernement doit prendre tous les moyens de garantie dans l’intérêt des citoyens.

Quand vous autorisez un papier, si vous ne le rendez pas obligatoire, du moins vous l’entourez de confiance ; ce qui d’abord n’était que faculté devient nécessité. La confiance que vous avez donnée à ce papier finit par forcer tout le monde à le prendre, et on a fort mauvaise grâce à le refuser. Vous placez dans la position la plus défavorable un débiteur qui a reçu ce papier, et qui ne peut en faire usage pour payer. Lorsque le gouvernement prend un établissement sous son patronage, qu’il nomme ses directeurs, il l’investit de considération et de confiance par la confiance qu’il lui accorde lui-même.

Rappelez-vous la banque de Law, tout le monde en fut la dupe. Ce fut la perte du système financier français et celle des fortunes particulières. Plus il y aura de banques, dit-on, plus cela sera favorable au commerce. Plus il y a de banques, plus il y a de calamité pour le commerce. Quand les écus ne font pas travailler les ouvriers, ils seront obligés de travailler eux-mêmes ; de là l’usure. Si les travaux allaient bien, si l’industrie florissait, on ne verrait pas cette fureur de banque surgir tout à coup. Surveillez-les ces banques, si vous ne voulez pas compromettre votre crédit et les intérêts de tous les citoyens.

M. de Meeus. - J’hésitais de prendre la parole ; mais, venant de lire une partie du discours de l’honorable abbé de Foere, et après avoir entendu les assertions de l’honorable M. Dumortier, je crois de mon devoir d’entrer dans quelques explications.

Décidément les banques ne sont pas en faveur à la chambre. Autrefois, on attaquait l’ancienne ; l’autre est encore au berceau, et déjà les attaques les plus cruelles sont dirigées contre elle. Il y aura cela de bon que, deux banques existant, les attaques seront partagées si les bénéfices le sont aussi.

Pour autant que j’ai pu me rendre compte des attaques des honorables MM. de Foere et Dumortier, je crois devoir rappeler succinctement à la chambre quelle était la véritable position des choses par rapport à l’ancienne banque et au moment de l’abolition et de la transaction passée le 8 novembre 1833 avec le gouvernement.

Lorsque, sous le ministère de l’honorable M. Coghen, il fut sérieusement question de faire payer à l’ancienne banque le solde du caissier de l’Etat, celle-là croyait pouvoir s’en dispenser à raison d’une somme plus forte que l’encaisse qui lui était due du chef de caissier de l’ancien royaume des Pays-Bas.

Quoique toujours convaincue qu’elle aurait pu, lorsqu’elle serait attaquée en justice pour cet encaisse, faire valoir cette somme comme compensation, elle a cru devoir céder en faveur du pays. Aussi, remarquez-le bien, ce n’est point le versement de l’encaisse qui a été fait au gouvernement, mais c’est une somme égale à ce qu’était cet encaisse que l’on a avancée gratuitement pour que l’on ne vînt plus prétendre que la banque voulût user de ces fonds à son profit, persuadée qu’elle était qu’avec une caution telle que celle qu’elle avait elle finirait par être couverte de cette avance.

En effet cette somme énorme était garantie par l’ex-roi. C’est donc dans cet état de choses qu’elle a cru rendre service au pays en avançant cette somme que le gouvernement a cru devoir placer en fonds belges : a-t-il bien ou mal fait, c’est ce qu’il ne m’appartient pas de juger ; ce que je puis dire, c’est qu’il a obtenu les intérêts d’une somme avancée gratuitement.

Si les ministres d’alors n’avaient pas obtenu cette avance vous en seriez pour le solde de l’encaisse, comme vous en êtes pour la liste civile et d’autres questions encore. Il y a trois ans que, quant à moi, j’ai demandé que le gouvernement attaquât en justice la banque pour lui faire payer ce qu’elle devait au pays. On m’a reproché d’être venu affirmer que la banque ne devait rien : quand je l’ai affirmé, cela était exact ; quand j’ai dit en 1831 que la banque ne devait rien, dans ma pensée il n’y avait pas de doutes à cet égard. A cette époque, il n’y avait rien d’échu pour la liste civile, rien pour le syndicat d’amortissement, ou s’il y avait quelque chose d’échu, cela était compensé par d’autres valeurs.

Qu’on reproduise mes paroles à quelque époque que ce soit, jamais je n’ai dissimulé, jamais je ne me suis servi de prétextes, j’ai toujours dit la vérité tout entière.

On a cru que la société générale correspondait avec le gouvernement hollandais et même avec le roi Guillaume : cette accusation s’est rapportée dans plusieurs journaux avec tant de plaisir que force fut au directeur d’en donner un démenti formel ; malgré ce démenti, des journaux, et surtout de la province, repérèrent qu’ils savaient positivement que la banque entretenait des relations avec le gouvernement hollandais et que Guillaume touchait ses intérêts. Sous le gouvernement provisoire, messieurs, on avait un peu plus de confiance dans les hommes qu’on en a aujourd’hui : je me rappelle fort bien que je n’étais pas gouverneur de la banque depuis trois jours lorsque le gouvernement provisoire me fit appeler. Il ne me demanda aucune autre garantie que celle-ci : « Donnez-nous votre parole d’honneur que pas un denier ne sortira des caisses de la banque au profit du gouvernement hollandais. »

Je l’ai donnée cette parole d’honneur, et elle est aussi sacrée que toutes les sommations qu’on pourrait faire à la banque. Pas une obole n’est sortie des caisses de la banque, ni pour le gouvernement hollandais, ni pour le roi Guillaume.

La banque, a dit l’honorable abbé de Foere, n’a jamais rendu de services au pays. Je les ai trop souvent énumérés ces services. Ils sont trop clairs pour les personnes sans passion et sans préjugés, pour que je veuille en parler de nouveau.

Je dirai à l’honorable M. Dumortier, parce qu’il a touché une question qui ne regarde pas la banque seule, mais encore toutes les institutions de cette nature, je lui dirai que les banques ont d’autres résultats que les intérêts de leurs actionnaires. Les banques, comme les manufacturiers, comme toutes les industriels, comme les négociants, en faisant leurs affaires font celles du pays, et c’est partout où le commerce prend des développements qu’on a créé de ces institutions qui, par leurs capitaux, pouvaient être plus utiles que chaque individu privativement.

Vous parlez des bénéfices des banques ; j’en connais effectivement de fort beaux, mais ces bénéfices sont bien loin d’être égaux à ce qu’on retirerait comme particulier de ces capitaux. Savez-vous ce que la société générale a de dividende, cela se borne peut-être à 6, 6 1/2 p. c., si ce n’est que les actionnaires ont eu davantage parce que le roi Guillaume a garanti les intérêts aux actionnaires. En définitive les bénéfices des actionnaires ont été de 6, 6 1/2 p. c.

Ce n’est pas, comme l’a dit l’honorable M. Jullien, là où il n’y a pas de commerce que l’on voit le plus de banques. Je ne sache pas que là où il n’y a ni commerce, ni industrie, il se soit formé des banques, et le contraire m’est démontré. Je m’arrête ici, j’ai promis d’être court et je tiendrai parole. Si je n’entre pas, quant à moi, dans des discussions sur la nouvelle banque, vous en comprendrez le motif. Vous ne me croiriez pas, si je l’attaquais, et si je la défendais, vous ne pourriez me comprendre.

M. Dumortier. - L’honorable membre qui vient de vous parler a fait une histoire des opérations de la société générale, appelée banque de Bruxelles. Qu’en 1831 elle ait dû quelque chose ou rien, que les opérations de la banque soient on non avantageuses, qu’elle corresponde ou non avec Guillaume, ce sont des questions que je n’examinerai pas, et pour cause ; vous savez que la question de la banque est renvoyée à une commission. Attendons.

La banque, dit-on, n’a-t-elle jamais rendu des services au trésor public ? Pour moi, je suis à me demander si la banque a pu rendre des services au trésor public.

Que des opérations de la banque aient produit quelque avantage pour le trésor public, c’est possible ; mais je pense que, quand elle prêtait les fonds du trésor au trésor au taux de 7 p. c., la banque commençait par faire ses affaires ; si elle rendait un service au trésor public, c’est un service que le trésor public paiera plus tard et paiera cher. Si la banque de Bruxelles était si bien disposée pour le trésor public, pourquoi ne payait-elle pas l’encaisse du gouvernement précédent, pourquoi ne faisait-elle pas d’avances dans les moments de gêne, pourquoi refusait-elle les bons émis dans les moments de crise ? Si la banque avait fait les opérations que j’indique, elle aurait droit à notre reconnaissance. Mais je ne pense pas que, lorsqu’avec l’argent du trésor public elle a fait valoir l’argent du trésor public, nous lui devions une grande reconnaissance pour ses opérations.

Maintenant, pour répondre à ce que j’avais dit que les banques ne faisaient que leurs propres affaires, on vient nous dire : Mais combien les actions ont-elles rapporté ? 6 ou 6 1/2 p. c. On oublie de parler des fonds retenus en réserve sur les dividendes. Au reste, le taux élevé des actions de la société générale prouve à l’évidence que l’intérêt obtenu est plus élevé que celui indiqué par le préopinant.

Je répondrai maintenant à ce qu’a dit le ministre des finances. Tout à l’heure, j’avais distingué deux espèces de banques, celle qui sont faites par des particuliers et celles qui ont un caractère public, que j’appellerai banques d’Etat.

Quant aux banques faites par des particuliers, je comprends que le gouvernement peut les autoriser comme sociétés anonymes. Mais le gouvernement peut-il autoriser une banque ayant un caractère public et émettant un papier-monnaie ? Comme vous voyez, la différence entre une banque particulière et une banque d’Etat est frappante. Pour une banque particulière, le gouvernement se borne à donner une autorisation. Ici finit son action. Dans une banque d’Etat au contraire le gouvernement intervient d’une manière active dans les opérations d’administration de l’établissement. Trouvons-nous dans la banque actuelle cette intervention ? Voilà toute la question. Pour l’éclaircir, examinons les statuts de l’association. A l’article 24, je trouve que « l’administration et la direction de la société sont confiées à un directeur et à quatre administrateurs.

« Le premier est nommé et révocable par le Roi ; les autres sont également nommés par le Roi sur une liste triple de candidats formée par l’assemblée générale. »

J’espère que voilà bien l’intervention du gouvernement dans l’administration d’une association. Cette banque perd donc le caractère d’associations particulière puisque le gouvernement intervient comme gouvernement.

Que dit l’article 26 ?

« En cas d’empêchement du directeur de remplir ses fonctions, le Roi désignera un des administrateurs pour le remplacer temporairement. Si l’empêchement devait durer plus de trois mois, ou si, d’une manière imprévue, il durait depuis plus de trois mois, le Roi pourrait déférer la direction à une personne étrangère à l’administration, mais remplissant d’ailleurs les qualités requises. »

L’intervention active du pouvoir exécutif est évidente. On ne viendra pas dire que cette intervention ne détruit pas le caractère de société particulière. Il faudrait pour cela que le Roi ne fût intervenu que dans son intérêt privé. Il n’avait pas besoin pour cela de la signature de son ministre. Ainsi c’est le Roi comme Roi qui intervient dans l’administration.

Voulez-vous quelque chose de plus fort ? Lisez l’article 7 :

« Art. 7. Elle est tenue de recevoir les fonds du trésor public que le ministre des finances voudra lui confier, et d’en bonifier un intérêt à convenir, toujours au-dessus de un pour cent par année. »

Ainsi, ce n’est pas seulement pour le Roi qu’on stipule, c’est pour le trésor public. On a donc grand tort de vouloir confondre une pareille association avec une société anonyme formée en vertu de l’article 37 du code de commerce. Il s’agit pas ici d’une société particulière, mais d’une association dans l’administration de laquelle le Roi intervient et qui peut en certain cas être appelée à gérer une partie du revenu public. Le gouvernement a passé outre les pouvoirs que la constitution lui confère en créant une pareille association. Je crois qu’il serait difficile de répondre à ce que j’avance.

Tout à l’heure, en parlant de l’émission des bons de la banque, j’ai désigné ces bons sous le nom de papier-monnaie, et on a contesté cette dénomination sous le rapport de la forme de l’obligation au porteur. Quant à la forme, on dit que le papier-monnaie porte une certaine empreinte.

Je ne vois pas quelle si grande différence une empreinte peut faire pour le citoyen porteur du billet. Je dis que dans toute émission d’une valeur représentative de la monnaie qui ne porte pas la signature d’un individu privé, il faut que des garanties existent en faveur du citoyen. C’est pour donner cette garantie qu’on a voulu que la monnaie ne fût réglée que par une loi, afin que le citoyen fût certain qu’il possède une valeur représentative. Je persiste à dire que le gouvernement n’est pas autorisé à accorder à une société quelconque la faculté d’émettre du papier-monnaie. Cette faculté ne peut être donnée que par une loi.

Mais, dit-on, le cours de ce papier n’est pas forcé, personne n’est obligé de le recevoir. A cela, un honorable membre, le député de Bruges, a déjà répondu en partie. Il est vrai que les bons remis par les sociétés n’ont pas cours forcé, mais par suite de l’émission continue de ces bons, la nécessite, l’habitude finissent par donner à ces bons un caractère qu’on ne peut pas leur donner dans les premiers temps. L’intérêt du citoyen est donc toujours à peu près le même.

Au reste, il est manifeste que dans l’hypothèse où le gouvernement croirait avoir le droit d’autoriser une association quelconque à verser dans le trésor public du papier-monnaie, en remplacement des écus des contribuables, il se tromperait gravement. C’était là le but de mes observations ; je pense que le gouvernement ne peut autoriser la réception de pareilles valeurs dans les caisses de l’Etat qu’en vertu d’une loi. Si tant est qu’un jour le gouvernement ait l’intention de prendre une pareille mesure sans y être autorisé par une loi, je le préviens qu’elle serait nulle et qu’elle pourrait être d’ailleurs dangereuse pour le trésor public.

M. de Foere. - Messieurs, je n’aurais pas pris une quatrième fois la parole, si l’honorable M. Meeus ne m’avait pas impliqué dans ses reproches. Il a commencé par des quolibets que l’on peut dire dans un café ou après un bon dîner financier, mais qui n’éclaircissent en rien la discussion, et que même les formes parlementaires ne comportent pas. Tout le reste de son discours est en dehors de la discussion actuelle.

En effet, qu’est-ce que la chambre a de commun avec les journaux qui accusent la banque d’entretenir une correspondance avec le roi de Hollande ? Aucun membre de la chambre n’avait dirigé cette accusation contre la banque. Dès lors la défense était inutile. Si M. Meeus a dit en 1831 que la banque ne devait rien à l’Etat, et qu’en d’autres lieux on lui en ait fait le reproche, ce n’est pas encore là un fait dans lequel la chambre ait rien à démêler.

J’aurais dit, selon le même orateur, que jamais la banque n’a rendu de services au pays. Je n’ai pas touché cette question dans toute cette discussion. Si M. Meeus désire savoir ce que j’ai dit à cet égard dans d’autres circonstances, je lui déclarerai de nouveau que jamais la banque de Bruxelles n’a rendu de services au trésor public, qu’au contraire ses rapports avec l’Etat ont été toujours nuisibles et ruineux pour ses intérêts. Voilà ce que j’ai dit en temps et ce que je soutiens encore. Mais jamais je n’ai avancé que la banque n’eût rendu aucun service à des industries particulières du pays. J’ai gardé à cet égard un silence absolu. Cette question n’entre pas même dans mes vues. Je n’ai examiné la banque de Bruxelles que dans ses relations directes et indirectes avec l’Etat. Je proteste donc contre l’assertion de M. de Meeus. J’ai répondu à ce qui pouvait me concerner dans son discours.

M. Meeus. - Je m’attendais de la part de M. Dumortier à des attaques beaucoup plus fortes. Aussi je ne prendrai la parole que pour un fait personnel. Je n’entends pas plus que M. l’abbé de Foere faire des quolibets, et je pense n’avoir jamais manqué aux formes parlementaires. Si j’ai dit en commençant que les banques étaient mal reçues ici, je crois que j’étais en droit de le faire.

En effet, jusqu’ici tout le monde, excepté moi, avait constamment attaqué la banque de Bruxelles, et je croyais que la nouvelle banque allait trouver dans cette enceinte de grands prôneurs. Au lieu de cela, je la vois attaquer. N’ai-je donc pas pu dire avec vérité que les banques étaient et seraient toujours mal reçues ici ?

Quant à moi, je suis partisan des banques parce que je suis convaincu de leur utilité. J’entends M. Jullien qui me dit : Vous êtes orfèvre ; je ne dis pas non, mais il faut cependant que les banques soient utiles, sans cela on ne les aurait pas répandues sur toute la surface du globe comme elles le sont aujourd’hui. Il y en a partout. Quand une banque vient à cesser, on se hâte d’en établir une autre....

L’honorable M. Dumortier a dit que c’était avec l’argent du trésor que la banque avait payé les bons du trésor.

M. Dumortier. - J’ai dit qu’elle avait acheté une partie de l’emprunt Rothschild avec les fonds du trésor.

M. de Meeus. - Voilà un reproche qui est inconcevable. S’il était fondé, ce ne serait pas à la banque qu’il devrait s’adresser, mais au ministre des finances qui aurait laissé dans les caisses des sommes beaucoup plus fortes que ne l’exigeaient les besoins du service pour les paiements courants. C’est au gouvernement à répondre. Quant à moi, pour ce que j’en sais, j’avoue franchement qu’il eût été fort difficile à la banque de prendre sur les fonds du trésor pour spéculer dans l’emprunt belge. Chacun conviendra que si la banque avait dans ses caisses des fonds appartenant au trésor, elle avait aussi d’autres fonds.

On n’escompte pas pour des trois ou quatre millions, on ne prête pas sur des fonds publics et sur des marchandises jusqu’à 15 millions par semaine sans avoir quelque chose dans ses caisses. Je ne vois pas comment la banque aurait acheté des fonds belges avec l’argent du trésor public. Au reste, cette assertion ne repose sur rien. Je ne crois pas devoir en dire davantage. Comme je l’ai dit en commençant, je croyais que les attaques auxquelles j'aurais à répondre seraient beaucoup plus méchantes. (On rit.)

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Je ne suivrai pas les honorables préopinants dans la discussion soulevée relativement à la société générale. Une commission chargée de constater la situation de cette société, à l’égard du gouvernement, a été nommée par la chambre, cette commission doit présenter incessamment son rapport ; entre-temps il est prudent de ne pas aborder cette question.

Je dois seulement répondre à une objection reproduite deux fois par M. Dumortier. Cet honorable membre paraît préoccupé de l’idée que le trésor serait dans l’obligation de recevoir les billets de la banque comme numéraire. C’est une erreur. Que l’honorable membre lise les statuts, il n’y verra aucun indice de cela. Le gouvernement n’a pas à voir dès aujourd’hui si plus tard il pourra permettre aux receveurs d’admettre ces billets de banque sous leur responsabilité.

C’est une chose que nous n’avons pas à examiner. Les receveurs doivent fournir au trésor des écus pour le montant des contributions dont la recette leur est confiée, qu’ils y versent le numéraire dont ils sont débiteurs, le gouvernement doit être indifférent sur l’admission qu’ils auraient pu consentir, de billets de banque.

Le même orateur reproche au gouvernement de s’être réservé le pouvoir d’intervenir dans l’administration de l’établissement dont il a autorisé la création. Vous voyez la contradiction dans laquelle le préopinant se trouve sur ce point avec un honorable membre qui s’est plaint de ce qu’on n’avait pas pris de garanties suffisantes du remboursement à présentation des billets de banque émis par le nouvel établissement.

Quoiqu’il en soit le gouvernement a agi sagement en se réservant l’intervention dans la surveillance de cette nouvelle banque, par l’exercice d’un contrôle efficace. Il s’est de plus réservé le droit de retirer l’autorisation si cet établissement devenait nuisible aux intérêts du pays et par là il a usé d’une louable prévoyance.

On a déjà répondu à M. Jullien relativement à la multiplicité des banques mises en rapport avec les besoins du commerce et de l’industrie. En Angleterre, il y a 700 banques provinciales, et la prospérité de ce pays est due à l’esprit d’association qui y règne et à l’érection de ces établissements de crédit.

Je répondrai au même orateur sur deux autres interpellations qu’il m’a adressées à l’égard d’un autre objet. Il nous a dit que chaque année, à l’occasion de la discussion des budgets, on promettait de s’occuper de la révision de nos lois financières qu’on reconnaissait vicieuses et que quatre ans s’étaient écoulés sans qu’aucun changement ait été introduit dans cette partie de la législation. Il est évident que, si on eût saisi les chambres des nombreux projets ayant pour but la révision de nos lois financières, les chambres n’auraient pas pu s’en occuper. La preuve c’est que nous n’avons pas encore les lois organisatrices dont le congrès avait déclaré l’urgence.

Nous avons encore à faire la loi provinciale, la loi communale, la loi sur l’instruction publique, et on voudrait que nous eussions pu réviser toute notre législation financière. Des projets sont préparés, une loi sur le sel pourrait être soumise à la chambre, une loi sur la contribution foncière pourrait être déposée sur le bureau, ainsi qu’une loi sur l’enregistrement. Mais le gouvernement ne présente pas ces lois, d’abord parce qu’elles sont soumises à l’examen d’une commission de révision dont les lumières faciliteront la discussion en améliorant les projets ; et en second lieu, parce qu’il serait impossible d’obtenir que ces projets de longue haleine fussent votés dans la session actuelle.

L’honorable M. Jullien a appelé ensuite l’attention du gouvernement sur la position des receveurs. Il est vrai que beaucoup d’entre eux sont mal rétribués, et que véritablement il faut aviser aux moyens de les mettre dans une meilleure position. Le gouvernement fait à cet égard ce qu’il est en son pouvoir. Chaque fois que le titulaire d’une recette de faible importance meurt, la recette est supprimée et réunie à une autre recette. Le Moniteur vous a fait connaître que plusieurs suppressions semblables avaient eu lieu. Cette mesure, en augmentant le revenu des receveurs, est aussi avantageuse au trésor, en ce que les remises des receveurs diminuent en raison de l’augmentation des recettes totales qu’ils opèrent.

On pourrait bien par une mesure générale et d’une efficacité beaucoup plus immédiate, supprimer toutes les petites recettes dont les remises ne dépassent pas mille francs.

Mais on ne pourrait pas prendre une mesure semblable, sans donner à ceux qui seraient dépossédés de leurs recettes un traitement quelconque, et il en résulterait pour le pays une augmentation de dépense dont le chiffre n’est déjà que trop élevé.

L’honorable membre a dit qu’à Anvers, on se plaignait de ce que les employés faisaient attendre fort longtemps les navires qui arrivaient, avant de faire la vérification des marchandises. Je ne crois pas que ces plaintes soient fondées. Quand il arrive une quantité de navires à la fois, il est possible qu’il y ait quelque retard, parce l’on ne peut faire les opérations de douane aussi vite qu’il serait désirable.

Il est des circonstances en effet, où on ne pourrait pas éviter complètement cet inconvénient, même en doublant le personnel de la douane. Du reste, je prendrai des informations sur le fait qu’on m’a signalé, et s’il y a mauvaise volonté de la part de quelques fonctionnaires, j’y mettrai ordre, soit en les déplaçant, soit en leur infligeant les punitions qu’ils auraient méritées.

M. Dumortier. - M. le ministre s’est fortement mépris. Je n’ai pas l’esprit préoccupé de l’idée qu’on aurait stipulé que les caisses de l’Etat devraient recevoir les bons de la banque. Je sais que cela ne se trouve pas dans l’arrêté, mais je dis que je vois dans l’article 7 l’éventualité des versements de fonds appartenant au trésor public dans les caisses de la banque. Je dis que vous n’avez pas le droit d’accepter les bons de la banque en échange des deniers des contribuables. Vous ne pourriez le faire qu’en vertu d’une loi.

Je vous signale ce fait d’avance afin que vous soyez prévenu que, quand vous voudrez le faire, vous devrez proposer une loi. En effet, les contribuables doivent verser des écus pour leurs impôts et non une valeur représentative.

En cas de mauvaises affaires de la société, il serait dangereux pour le trésor que le gouvernement reçût contre de l’argent les billets émis par elle.

M. le président. - Personne ne demandant plus la parole sur la discussion générale, je la déclare close. Nous allons passer à la discussion des articles.

Discussion du tableau des crédits

Chapitre premier. Administration centrale

Article premier

« Art. 1er. Traitement et indemnités du ministre : fr. 25,000. »

- Adopté.

Article 2

« Art. 2. Traitement des employés : fr. 420,000. »

M. le président. - la section centrale propose de réduire ce chiffre à 415,000 francs.

M. Dujardin, commissaire du Roi. - Messieurs, la diminution proposée par la section centrale sur le chiffre global demandé par le gouvernement pour traitement des employés de l’administration centrale du ministère des finances se fonde sur ce que, dans la somme affectée à l’administration centrale des postes, il y aurait une majoration sur celle accordée au budget de 1834.

J’ai déjà donné des explications à cet égard à la section centrale et à l’honorable rapporteur de cette section. Il paraît qu’elles n’ont pas été jugées suffisantes, puisque l’on propose une réduction de 5,000 francs à cet article.

Je crois devoir faire remarquer préalablement à la chambre que, dans la nouvelle organisation de l’administration centrale du ministère des finances, le traitement des employés a été réduit à 420,000 fr. Il s’élevait, en 1833 à 480,000 fr. ; il n’a été porté l’an dernier qu’à 450,000 fr., avec injonction de le réduire encore jusqu’à 420,000 fr. On a satisfait entièrement au vœu de la chambre ; et aujourd’hui l’on demande une nouvelle diminution de 5.000 fr., attendu qu’une majoration apparente, au lieu des numéros de développement, n’est pas suffisamment justifiée.

Je vais essayer, messieurs, de présenter cette justification.

L’augmentation qui figure pour 9,000 francs au service des postes est due, ainsi que cela a été dit à la section centrale, à ce que l’inspecteur des postes, qui était en même temps contrôleur à Anvers, a été attaché à l’administration centrale à Bruxelles, parce qu’il était impossible de faire usage de ses services pour surveiller le travail des provinces, sans nuire au contrôle journalier qu’il devait exercer dans le bureau d’Anvers.

L’inspecteur des postes étant en même temps contrôleur, il en résultait que quand il était en tournée, le bureau d’Anvers n’était pas surveillé.

Lorsqu’il y avait nécessité de l’envoyer instantanément sur un point du royaume pour une affaire urgente, il fallait écrire à Anvers, faire venir l’inspecteur à Bruxelles, et de là l’envoyer dans la localité où le besoin de sa présence se faisait sentir.

L’administration a cru que cette marche ne pouvait convenir ; elle a donc transféré l’inspecteur à Bruxelles, et je crois qu’il est bien de l’y conserver.

Si l’on admet la réduction proposée par la section centrale, force sera au ministre de replacer cet inspecteur au bureau d’Anvers où il était précédemment ; et alors tous les inconvénients que l’on a reconnus à cet état de choses se représenteront. Il faudra, par une conséquence inévitable, supprimer le contrôleur du bureau d’Anvers, et ce dans un moment où ce bureau a acquis une nouvelle importance, par suite du rétablissement des relations avec la Hollande. Je ne crois pas que la chambre puisse vouloir jeter cette perturbation dans un service où le commerce est si fortement intéressé.

Du reste, depuis que la chambre a exprimé formellement le vœu de voir réduire à 420,000 fr. le montant des traitements des employés de l’administration centrale des finances, l’organisation nouvelle a eu lien d’après cette base, et a reçu, je crois, l’assentiment de la chambre en général. Il y a déjà eu une réduction de 60,000 fr. La réduction proposée de 5,000 fr. occasionnerait encore des bouleversements que, dans l’intérêt bien entendu du service, il faut, je crois, éviter.

M. Verdussen. - L’observation que vient de faire l’honorable commissaire du Roi ne me satisfait point ; car ce n’est pas en invoquant une diminution précédemment adoptée sur un chiffre global, que l’on justifie un excès de dépense sur un chiffre particulier.

Ceux qui ont lu le rapport de la section centrale (et je crois que tous les membres l’ont lu) doivent s’être convaincus par les explications données à la page 9 que rien ne justifie l’augmentation demandée.

Si d’un côté on dit que les contrôleurs des postes d’Anvers et de Liège ont été transférés à Bruxelles, pour activer le service, nous ne voyons pas qu’il n’y ait pas d’autres contrôleurs placés à Anvers ; s’il en est ainsi, il me paraît qu’un excédant reste toujours. Car nous voyons que les contrôleurs deviennent inspecteurs et reçoivent une augmentation de traitement de 800 fr. ; mais l’on ne tient pas compte des frais de bureau dont l’inspecteur, ex-contrôleur d’Anvers, jouissait en 1834, et dont le contrôleur qui le remplace ne jouit plus, frais qui s’élèvent à 950 fr. : la majoration est donc de 5,950 fr, au lieu de 5,000 fr.

Je voudrais savoir pourquoi la section centrale ne propose pas une réduction de 5,950 fr. montant réel de la majoration.

M. Donny, rapporteur. - Je crois avec l’honorable préopinant que l’on aurait pu, sans inconvénient, proposer une réduction plus forte sur le chiffre demandé par le gouvernement. Si la section centrale ne l’a pas fait, c’est qu’elle n’a voulu proposer la réduction que de ce qui lui paraissait être des majorations évidentes.

D’après les assurances positives du ministre, l’Etat payait en 1834, au contrôleur d’Anvers, aujourd’hui inspecteur à Bruxelles, non seulement un traitement fixe, mais encore des frais du bureau, et ces frais de bureau sont supprimés pour 1835. Cette suppression constitue une véritable économie, qu’il convient de déduire de la majoration de 5,950 fr. lorsqu’on veut trouver la majoration réelle. Comme la section centrale ignorait le montant des frais de bureau dont il s’agit, elle les a calculés approximativement à 950 fr., tout en demeurant persuadée que ce calcul dépassait la réalité : Il est donc bien possible qu’on aurait pu réduire quelque chose de plus qu’on ne l’a fait, ainsi que le propose l’honorable M. Verdussen.

Je viens maintenant aux observations de M. le commissaire du Roi.

La section centrale n’a pas eu lieu d’être très satisfaite de la franchise que l’administration des postes a mise à son égard dans toute cette affaire. Car les explications qui ont été données à la section centrale ne sont pas plus satisfaisantes que celles que M. le commissaire du Roi vient de donner à la chambre. Vous allez en juger.

La majoration de 9,000 fr., proposée pour l’administration centrale des postes, est composée de trois éléments différents, savoir :

4,000 fr. provenant d’une espèce de revirement entre les fonctionnaires supérieurs de l’administration, opération qui a placé à l’administration centrale les contrôleurs d’Anvers et de Bruxelles, en donnant au premier le grade d’inspecteur.

1,650 fr. provenant d’une augmentation de traitement accordée aux chefs de bureau de l’administration centrale qui en 1835 recevront cette somme en sus de leurs traitements de 1834. (Je vois que M. le commissaire du Roi, fait un signe négatif ; j’administrerai tout à l’heure la preuve de ce que j’avance).

3,350 fr. montant des traitements qu’on donne en 1835 à des surnuméraires qui n’en avaient aucun en 1834.

9,000 fr., total de la majoration.

Sur ces 9,000 fr. la section centrale impute une économie de 3,050 fr., provenant de ce que le nombre des contrôleurs en province se trouve diminué par suite de la création des inspecteurs de Bruxelles et de Liége et de l’adjonction du contrôleur de Bruxelles à l’administration centrale. Après déduction de cette économie, il reste une majoration de 5,950 fr., de laquelle la section centrale déduit encore 950 fr. pour économie de frais de bureau ; de sorte qu’elle n’admet comme majoration définitive que 5,000 fr., et ces 5,000 fr. sont composés de 1,650 fr. d’augmentation du traitement des chefs de bureau et des 3,550 fr. qu’on veut donner aux surnuméraires.

Voici maintenant comment le gouvernement s’est expliqué sur cette opération devant la section centrale :

Il a soutenu qu’il n’y avait réellement aucune majoration sur le chiffre de l’année dernière, et il a donné de longues explications sur le revirement opéré entre les contrôleurs et inspecteurs ; mais il n’a pas dit un mot sur l’augmentation du traitement des chefs de bureau et sur la rétribution des surnuméraires, et ce sont cependant là les véritables éléments de la majoration repoussée parla section centrale.

Le signe négatif qu’a fait M. le commissaire du Roi, lorsque j’ai parlé de ces deux derniers articles de dépense m’impose l’obligation de prouver que mon assertion est exacte ; et pour le prouver j’aurai recours aux pièces que le gouvernement lui-même a fait remettre à la section centrale.

Voici un tableau qui m’a été remis et qui indique le personnel de l’administration centrale des postes pour 1833, 1834 et 1835.

D’après ce tableau, il y a eu, en 1834, trois chefs de bureau et il y en a encore le même nombre en 1835. D’après le même tableau, ils recevaient ensemble 7,000 de traitement en 1834, et ils en recevront 9,150 en 1835. Voilà bien une majoration de 1,650, ainsi que je l’ai dit dans mon rapport et que je viens de le répéter tout à l’heure.

D’après le même tableau, on salarie en 1835 huit surnuméraires qui ne recevaient aucun salaire en 1834, et cela est d’autant plus incontestable, qu’il en est fait mention expresse dans une note qui se trouve en marge du tableau. En 1834, les commis coûtaient 9,100 fr., et en 1835 ils en coûteront 12,450 ; différence en plus pour 1835, 3,350 fr.

Voilà bien la majoration dont j’ai parlé dans mon rapport, dont je vous entretenais lorsque M. le commissaire du Roi a fait son signe négatif. Et veuillez remarquer, messieurs, que tout cela est établi par la pièce que je tiens en mains et qui émane du gouvernement.

Il est vrai qu’il peut s’élever des doutes sur l’exactitude des renseignements contenus au tableau dont je viens de vous parler, attendu que les sommes totales qui y sont portées ne s’accordent en aucune manière avec les données d’un autre tableau fourni également par le gouvernement. Mais ces discordances n’ont pas dû arrêter la section centrale ; elles ont seulement contribué à lui inspirer des doutes sur la sincérité des explications données par l’administration des postes.

On nous dit que l’année dernière, vous avez considérablement réduit les allocations pour l’administration centrale et que c’est là un motif pour ne plus voter d’autres réductions aujourd’hui ; ce raisonnement n’est pas concluant. Lorsque l’administration trouve moyen de nous proposer des réductions sur quelques parties d’un crédit, cela ne l’autorise pas à exiger sans nécessité des majorations sur les autres parties du même crédit, et les réductions faites au budget d’une année précédente, ne doivent pas empêcher de faire de nouvelles économies au budget des années suivantes, lorsque ces économies sont possibles.

Dans le partage du crédit global alloué pour l’administration centrale, l’administration des postes s’est montrée plus adroite que les autres. Quand tous les services ont dû s’imposer des économies, elle seule s’en est affranchie, et aujourd’hui, elle veut encore obtenir une majoration de crédit. La section centrale pas voulu sanctionner cette manière d’agir.

(Moniteur belge n°58, du 27 février 1835) M. Dujardin, commissaire du Roi. - L’administration des postes n’a pas été plus adroite que les autres administrations ; mais elle avait des besoins réels auxquels il a fallu pourvoir. Ces besoins consistaient dans le placement, au bureau central, d’un inspecteur qui y manquait. Celui qui figurait au budget précédent, avec le grade d’inspecteur, ne remplissait que les fonctions de chef de comptabilité. Cet employé a été renvoyé dans une autre localité, et celui qui l’a remplacé ne reçoit que 3,500 fr. au lieu de 4,200.

Il y a actuellement pour quelques emplois une dépense trop forte provenant de ce que des fonctions sont remplies par des employés d’un rang supérieur ; mais cet état de choses cessera par la suite ou au fur et à mesure des extinctions.

C’est par des réductions successives sur les traitements que l’on a pu payer les surnuméraires ; et ce qu’on leur donne n’augmente en rien les dépenses de l’Etat.

Le transfert de l’inspecteur d’Anvers à Bruxelles et celui du contrôleur du service de Bruxelles à la tête de la division dans laquelle se trouve actuellement rangé ce service, ont occasionné la différence de 9,000 fr. dans les chiffres. Il est loisible au ministre de distribuer comme il l’entend, comme il le juge nécessaire, les sommes qu’on lui alloue pour un service, et de régler une administration comme il le croit utile pour la garantie de sa responsabilité et pour les besoins du service dont elle est chargée.

(Moniteur belge n°57, du 26 février 1835) M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Les observations présentées par M. Donny tendraient à rendre immuable la répartition du chiffre global accordé au ministère des finances pour l’administration centrale, car tout au plus on laisserait au ministre la faculté de réduire une spécialité, mais on lui interdirait celle d’en augmenter une autre dans la même proportion.

Veuillez considérer, messieurs, que le chiffre qui est en discussion est le même que celui qui a été déterminé l’année dernière (pour l’avenir) après de très longues délibérations. M. Dumortier, qui certes n’est pas prodigue des deniers du peuple, a fait passer ce chiffe avec une sorte de vigueur à la suite d’une lutte très vigoureuse.

La somme totale que nous demandons ne dépasse pas le vœu de la chambre, la distribution en est-elle bien faite, là est toute la question.

A-t-on bien agi en plaçant à Bruxelles, à la disposition du ministre, l’inspecteur qui remplissait à Anvers les fonctions de contrôleur, lorsqu’il ne se trouvait pas en tournée ? A-t-on bien agi en remplaçant cet inspecteur à Anvers par un contrôleur uniquement chargé de la surveillance de ce bureau ?

Je résoudrai affirmativement à ces questions, parce que précédemment lorsque l’inspecteur était absent de cette ville pour les tournées, le bureau, un des plus importants de la Belgique, se trouvait sans vérification, et il était indispensable, pour que les opérations du directeur et des employés pussent être constamment surveillées, qu’un contrôleur spécialement et uniquement chargé de ce soin, fût attaché à ce bureau. Voilà pour ce qui concerne la somme de 5,000 fr. résultant du transfert de l’inspecteur à l’administration centrale.

A-t-on-bien fait aussi de transférer du bureau de Bruxelles, qui fait partie du service en province, un des deux contrôleurs qui fût chargé à l’administration centrale de participer au service de la comptabilité.

Je répondrai encore affirmativement parce qu’il a été reconnu que l’administration centrale avait besoin d’un employé qui surveillât sans interruption la comptabilité journalière, qui est comme on peut le voir fort importante. Ceci justifie le transfert de la somme de 4,000 fr. du service des provinces à celui de l’administration centrale.

Je dirai, messieurs, qu’il faut laisser au gouvernement quelque latitude dans la répartition des crédits globaux qu’on lui alloue, car lui seul est à même de juger les besoins réels ou de l’autre des branches d’administration. Si, par exemple, je croyais nécessaire par la suite de créer une place spéciale pour la conservation et l’ordre des archives du ministère des finances, archives qui s’accroissent prodigieusement, et si pour subvenir à cette dépense je voulais opérer une réduction dans une branche quelconque de l’administration, ne pourrait-il pas être nuisible que je n’en eusse point la faculté ? Vous le voyez, messieurs, il ne faut pas toujours lier le gouvernement dans l’usage des crédits qui sont mis à sa disposition.

M. Donny. - M. le commissaire du Roi se trompe en fait.

Il vous dit : Si nous augmentons le traitement de quelques chefs de bureau ; si nous accordons des traitements à quelques surnuméraires, nous ne majorons en rien le crédit pour l’administration des postes.

Or, le tableau fourni par le gouvernement prouve que cette dernière assertion est une erreur, puisque d’après ce tableau il y a majoration réelle de 1,650 pour les chefs de bureau et de 3,350 pour les surnuméraires, indépendamment de la majoration résultant du revirement des fonctionnaires supérieurs.

Si, en effet, il n’y avait pas de majoration sur le crédit pour l’administration des postes, nous serions d’accord. Nous ne voulons repousser que la majoration demandée pour ce service. Renoncez à cette majoration, et puis employez le crédit comme vous voulez ; majorez le traitement des uns, diminuez celui des autres ; salariez ou ne salariez pas vos surnuméraires ; tout cela ne nous regarde pas pourvu que l’administration des postes ne coûte pas plus à l’Etat en 1835 qu’en 1834. (La clôture ! la clôture !)

(Moniteur belge n°58, du 27 février 1835) M. Jullien. - Je demande la parole.

M. le président. - On a demandé la clôture.

M. Gendebien. - On ne peut pas fermer une discussion immédiatement après qu’un ministre a parlé.

- Plusieurs membres. - A demain ! à demain !

- La discussion est renvoyée à demain.

La séance est levée à 5 heures.