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Chambre des représentants de
Belgique
Séance
du mardi 20 janvier 1835
Sommaire
1)
Pièces adressées à la chambre
2)
Lecture du procès-verbal (Gendebien)
3)
Projet de loi portant le budget du département de l’intérieur pour l’exercice
1835. Discussion générale. (A : nomination de nouveaux gouverneurs ;
B : statut juridique des sociétés anonymes non autorisées par le Roi (code
de commerce)) (A, expulsions d’étrangers, sûreté de l’Etat, droit de grâce et
peine de mort, indemnités pour dégâts causés par la révolution (de Brouckere), A, subsides pour l’enseignement moyen,
dépenses pour le culte, construction de routes (Pirson),
examen par la section centrale, A (H. Dellafaille),
subsides pour l’enseignement moyen (Desmanet de Biesme,
Pirson), B (Fallon), B, bâtiments
de l’Etat, cour des comptes, comptabilité de l’Etat, chemin de fer, garde
civique, canal d’écoulement dans les Flandres, A, expulsions d’étrangers,
A (Gendebien),
garde civique, comptabilité de l’Etat, chemin de fer, expulsions d’étrangers,
sûreté de l’Etat, indemnités pour dégâts causés par la révolution, subsides pour l’enseignement moyen, canal
d’écoulement dans les Flandres,
bâtiments de l’État (fêtes nationales), B (de Theux),
B (Lebeau, Gendebien, Fallon, Lebeau), indemnités pour
dégâts causés par la révolution (Dechamps, de Theux), question politique générale (confiance à
accorder au gouvernement) (de Robaulx), B, banque de
Belgique (Coghen), B (de
Brouckere, Fallon, de
Brouckere, d’Huart, Ernst, Gendebien, (+fait personnel relatif aux attaques
personnelles de Gendebien) (Ernst, Gendebien,
d’Huart))
(Moniteur belge n°21, du 21 janvier 1835)
(Présidence de M. Raikem.)
M.
de Renesse procède à l’appel nominal à midi trois quarts.
M.
Brixhe donne lecture des pétitions suivantes.
PIECES ADRESSEES A
«« La régence et les
habitants notables de la ville de Houffalize demandent la mise en discussion et
l’adoption de la proposition de M. de Puydt, relative à un emprunt de 16
millions pour être spécialement affectés à la construction des routes. »
________________
« Le sieur J.-B.
Costinal, né Français, demeurant à Bruxelles, demande la naturalisation. »
________________
« Le sieur X. Van
Goethan, ouvrier peintre, dont le fils a été tué dans les journées de
septembre, se plaint de ce qu’on lui a retiré la pension dont il jouissait à ce
titre. »
M.
Gendebien. - Il a été arrêté dans le comité secret que le procès-verbal
de ce comité serait lu en séance publique ; je demande pourquoi cela n’a pas
lieu ?
M. H. Dellafaille donne lecture du
procès-verbal du comité secret, qui est approuvé.
M. d'Hoffschmidt. - Il vient d’être donné
lecture à la chambre d’une pétition de la régence de Houffalize, qui concerne
le ministère de l’intérieur puisqu’elle est relative aux routes. Je demande son
renvoi à la section centrale.
M. Eloy de Burdinne. - La section
centrale ayant terminé ses travaux et M. le ministre de l’intérieur nous ayant
entretenus de certaine disposition à laquelle il veut donner suite relativement
aux routes, je demande que la pétition dont il s’agit soit renvoyée à M. le
ministre de l’intérieur.
M. d'Hoffschmidt. - Je me rallie à la
demande de l’honorable M. Eloy de
Burdinne.
Discussion générale
M. de Brouckere. - Messieurs, dans les
séances précédentes, on a articulé à charge du ministre de l’intérieur
différents griefs, et, selon moi, il n’a pas répondu d’une manière
satisfaisante aux reproches qui lui ont été faits. Afin de ne pas tomber dans
des redites, je ne répéterai point ce qui a été avancé par mes honorables
collègues. Je dois pourtant déclarer que je partage l’opinion qu’ils ont émise
relativement à la destitution brutale des gouverneurs du Limbourg et du Hainaut
et au manque de procédés dont on a fait usage à l’égard du gouverneur du
Brabant. J’ai été quelque peu surpris de cette manière d’agir, mais je dois
l’avouer, mon étonnement s’est promptement dissipé quand je me suis rappelé que
le ministre de l’intérieur actuel était le même que celui qui avait destitué
l’honorable M. Tielemans.
On a beaucoup parlé,
messieurs, de la loi de vendémiaire an VI, et jusqu’ici je n’en ai rien dit,
parce que, pour m’expliquer, j’attendais la discussion du budget du ministère
de l’intérieur, l’administration de la police étant aujourd’hui du ressort de
ce département. Je serai, du reste, très court, car il me semble que tout a été
dit à cet égard.
Vous avez entendu,
messieurs, l’explication donnée par deux ministres sur ce qui s’est passé
concernant cette loi, lors du changement de cabinet. Il résulte de ces
explications que si l’honorable M. de Mérode trouve la loi de vendémiaire an VI
excellente, MM. Ernst et d’Huart la trouvent détestable ; que MM. de Muelenaere
et de Theux, sans l’approuver beaucoup, pensent que l’on a bien fait de
l’appliquer ; que M. le ministre de la guerre n’en dit rien. Il en résulte que
si MM. de Theux et de Muelenaere estiment qu’elle est encore en vigueur, MM.
Ernst et d’Huart sont d’avis qu’elle est abrogée : par suite de cette
divergence d’opinions sur un point que l’on regarde comme peu important et que
je considère, moi, comme étant fort grave ; par suite de cette divergence, il
s’est opéré une petite transaction entre ces messieurs, et il a été convenu que
les étrangers expulsés resteraient expulsés ; que s’ils se représentaient, on
les ferait transporter de force à la frontière ; mais que, quant aux étrangers
qui ont continué à résider en Belgique, quelle que soit leur conduite, quels
que soient leurs méfaits, ils pourraient y rester. D’où il résulte qu’un
étranger expulsé sous l’autre cabinet, quoique pouvant prouver qu’il vit
honorablement, et a des moyens, ne peut plus rentrer en Belgique, et que tel
autre qui ne se sera pas attiré la haine du gouvernement, mais qui se conduira
d’une manière coupable, qui vivra en Belgique de la manière la plus
déshonorante, n’en sera pas expulsé. C’est-à-dire que le plus grand malheur
pour un étranger qui désire s’établir en Belgique, c’est d’avoir déplu à l’ancien
cabinet. C’est un grief pire que tous ceux qu’on pourrait alléguer contre lui.
Si la chambre est satisfaite de semblables doctrines, si elle est aussi
disposée à approuver des ministres qui expulsent que des ministres qui
n’expulsent pas, je déclare n’être pas si indulgent ; je pense aujourd’hui
comme je pensais en mai 1834, que la loi de vendémiaire an VI est abrogée, et
je dis qu’il y a autant à maintenir les expulsions qu’à en faire de nouvelles.
J’étais convaincu en mai 1834 comme je le suis aujourd’hui, et si alors j’avais
eu quelques doutes, j’aurais été converti par le discours fort de choses du
ministre de la justice, à cette époque membre de la chambre et figurant
honorablement sur nos bancs.
Au dire du ministre de
la justice, il n’y a plus de loi qui frappe les étrangers qui résident en
Belgique. Mais on s’est bien gardé de vous dire qu’on s’est servi d’une loi,
qui ne devrait plus avoir d’effet, pour empêcher les étrangers d’entrer en
Belgique. Cette loi, messieurs, est aussi abrogée, selon moi. Je veux parler de
la loi du gouvernement provisoire, en date du 6 octobre 1830. Avant de
m’expliquer à cet égard, il est indispensable de vous donner lecture des trois
premiers articles de cette loi.
« Mesures relatives
aux étrangers qui arrivent à Bruxelles.
« Le gouvernement
provisoire,
« Considérant que
beaucoup d’étrangers passent en Belgique, les uns avec l’intention honorable
d’y porter des secours contre les entreprises du despotisme hollandais, mais
d’autres en grand nombre pour y chercher des moyens d’existence équivoque au
milieu des embarras inséparables d’un état transitoire (remarquez ces mots : les embarras inséparables d’un état
transitoire).
« Arrête :
« Art. 1er. Les
commandants de place et ceux de la garde bourgeoise établis dans les communes
frontières, ainsi que les chefs de douanes, se concerteront avec les autorités
civiles pour surveiller l’introduction d’étrangers qui viendraient en Belgique
dans un autre but que celui d’y traiter leurs affaires particulières.
« Art. 2.
Provisoirement (provisoirement !) et vu l’urgence, les autorités ci-dessus
mentionnées ne permettront l’entrée du pays qu’à ceux qui justifieront des
motifs qui les y amènent.
« Art. 3. Tous
autres étrangers non munis d’autorisation du gouvernement sont tenus de justifier
de leurs ressources ; dans le cas contraire ils seront renvoyés chez eux.
« Art. 4. Il est
expressément défendu, etc. »
Il est évident, et la
lecture que je viens de donner peut vous en convaincre, il est évident que cet
arrêté n’a été porté que eu égard aux circonstances qui existaient le 6 octobre
1830. Vous voyez aussi que le gouvernement provisoire a eu soin de dire que
cette loi était motivée sur la position embarrassante où l’on se trouvait, et
qu’elle n’était que provisoire. Vous voyez dans l’art. 2 :
« provisoirement et vu l’urgence. » Croiriez-vous que, malgré ces
termes si clairs, on appliquait encore il y a peu de mois l’arrêté du 6 octobre
1830. Au mois de mai 1834, et postérieurement encore, il y a eu de la part des
ministres des circulaires envoyées aux autorités, qui leur enjoignaient de
tenir sévèrement la main à ce que cette loi du 6 octobre fût appliquée,
c’est-à-dire que l’ancien cabinet a donné l’ordre en 1834 à toute autorité, et
j’en ai la preuve en main, de ne laisser pénétrer en Belgique que des individus
qui pussent justifier leurs moyens d’existence et fournir des preuves d’avoir
par devers eux des ressources suffisantes ? Croiriez-vous qu’en 1834, dans
certaine localité, et ceci est exact à la lettre, on disait à un étranger qui
se présentait en Belgique : Prouvez-moi vos moyens d’existence, et que, faute
de ne pouvoir administrer des preuves suffisantes, l’étranger était renvoyé
sans pitié et qu’il lui était interdit d’entrer en Belgique ?
Messieurs, il est
évident que l’ancien cabinet, en agissant ainsi, a agi contre l’esprit de la
loi, contre ses termes mêmes. Je demande donc au gouvernement s’il compte faire
appliquer encore la loi du 6 octobre 1830, loi abrogée à mon avis, puisqu’elle
doit avoir cessé d’être en vigueur quand a cessé l’état transitoire pour lequel
elle a été faite.
Vous devez avoir
remarqué comme moi, messieurs, que le ministre de l’intérieur demande pour
l’administration de la sûreté publique une augmentation de crédit de 8,350 fr.
Cette augmentation est destinée, d’après des renseignements qui m’ont été
fournis, en partie à créer de nouveaux emplois dans l’administration centrale,
en partie à augmenter les appointements des anciens employés de cette
administration, et on n’a pas oublié l’administrateur lui-même qui, bien qu’il
ait déjà 8,000 fr. de traitement, est encore porté pour une augmentation de 400
fr. Lorsqu’on veut ainsi augmenter les appointements des fonctionnaires, c’est
que l’on suppose qu’ils se sont bien acquittés des fonctions qui leur sont
confiées. Je ne désigne ici aucun individu, mais je me permettrai d’examiner
jusqu’à quel point l’administrateur de la sûreté politique a, cette année,
mérité l’approbation de la chambre et celle du pays.
Vous vous rappelez tous,
messieurs, ce qui s’est passe en avril 1834, vous avez tous présents à la
mémoire les malheureux événements dont il m’est pénible de devoir parler encore
en cette occasion. L’administration de la sûreté publique n’a rien fait pour
empêcher que les pillages n’eussent lieu, et rien fait pour parvenir à la
constatation du crime, à la découverte des coupables. J’ai dit « rien
fait, » et si on doute de la véracité de ce que j’ai avancé, ou si l’on
m’accuse d’exagération, j’engage les membres de cette chambre à jeter les yeux
sur le dossier de l’instruction judiciaire, et j’invite MM. les ministres de le
faire présenter. Je n’ai pas attendu jusqu’ici pour m’exprimer comme je le
fais. J’ai déjà dit à M. Lebeau lui-même que j’avais acquis la certitude et la
preuve que l’administration de la sûreté publique était restée oisive, et
qu’elle n’avait fourni aucun renseignement.
Je me trompe, elle a
fourni des renseignements, mais lesquels ? Vous allez le savoir. Il fut nommé,
comme personne ne l’ignore, deux magistrats peur faire une enquête sur ces
événements. J’avais l’honneur d’être l’un d’eux. A peine entrés en fonctions,
on vint nous dire qu’il y avait à faire une opération très importante, il
s’agissait d’une visite domiciliaire à faire chez le comte de Berthola. Cette
visite devait nous faire découvrir les renseignements les plus précieux sur les
pillages. Nous soutînmes que ce serait imprudent. sans avoir des indices d’où
nous pussions tirer la conséquence que cette opération était nécessaire. Nous
hésitâmes ; mais on insista tellement que nous eûmes la faiblesse, j’en fais
ici l’aveu, de l’ordonner. Pour nous disculper, il est bon de dire que nous
eûmes soin de recommander qu’elle se fît avec tous les ménagements possibles.
Nous enjoignîmes de ne pas employer un commissaire de police, mais le juge de
paix avec un procureur du Roi, que nous fîmes venir et à qui nous renouvelâmes
nos recommandations. Ils se rendirent tous deux chez M. Berthola qui, je crois,
était un réfugié chez lequel on devait découvrir d’importants documents.
Qu’arriva-t-il ? On acquit la preuve qu’il avait quitté
Quels services rendit
encore l’administration de la sûreté publique ? Elle nous informait avec un air
de mystère et de grande importance que tel jour il y avait eu une réunion de
républicains : on y avait parlé de
Je ne terminerai pas
sans avouer une seconde faiblesse, dont nous ne nous sommes pas mieux trouvés
que de la première. On vint le lendemain nous demander une seconde visite
domiciliaire avec des renseignements aussi positifs que lorsqu’il s’était agi
du comte de Berthola. Cette fois néanmoins il s’agissait d’une personne qui
pouvait donner, par sa position avec les ministres, quelque vraisemblance à ce
qu’on avançait. La visite eut lieu et il n’en résulta rien.
Maintenant cette même
administration de la police, qui ne fait littéralement rien quand on ravage la
capitale, voyez quel zèle elle a déployé, quand on a représenté Tartufe. Une
représentation de cette pièce suffit pour mettre tous les policiers, grands et
petits, en émoi. Au sortir du spectacle la place de
Ce que j’avance, je l’ai
vu, je l’ai déclaré à M. le ministre ; j’ai vu à son hôtel au moins une
demi-compagnie de fantassins. Si on doute de ce que je dis, j’en appelle à mon
honorable collègue M. Desmanet de Biesme qui était avec moi. Nous avons
continué notre promenade et nous avons rencontré entre les hôtels des ministres
des finances et des affaires étrangères et celui de la justice, à peu près un
demi-bataillon, qui se promenait là, sans doute, pour dissiper les inquiétudes
de ces messieurs. Vous voyez donc comment se conduit l’administration de la
sûreté publique. S’agit-il de simples particuliers ?, on les laisse piller,
ruiner. Pense-t-on qu’à l’occasion de Tartufe, quelqu’un jettera un cri, toute
la garnison est sur pied, dans la crainte que ce cri n’aille troubler le
sommeil d’un ministre. Je déclare que quand nous en serons au vote, je
n’accorderai pas un centime de plus à l’administration de la sûreté publique,
avant qu’on ne m’ait convaincu qu’elle est mieux organisée et rendra à l’avenir
d’autres services qu’elle n’a fait jusqu’ici.
Messieurs, l’on est
encore revenu dans la dernière séance sur l’augmentation des crimes ; on a
encore affirmé que les crimes allaient tous les jours en augmentant ; on a
ajouté que la ville de Bruxelles fourmillait de malfaiteurs et de forçats
libérés. J’ai déjà dit que je ne croyais pas que les crimes augmentassent d’une
manière aussi sensible. Ensuite je trouve que cette assertion n’est pas politique,
parce que, à l’étranger, on ne manque pas d’en tirer cette conséquence que
cette augmentation du nombre des crimes est une suite de la révolution ; on ne
manque pas de dire que, depuis la révolution, il n’y a plus de sécurité dans le
pays, et que
Pour moi, je le répète,
je ne crois pas à cette augmentation effrayante dans le nombre des crimes ;
mais je réitère instamment au ministre la demande d’une statistique à cet
égard, afin que nous sachions à quoi nous en tenir. Si l’on constate que le
nombre des crimes a réellement augmenté, peut-être trouvera-t-on la cause de
cette augmentation. Mais jusqu’à ce que nous ayons cette statistique, je ne
saurai pas si je dois reconnaître comme vraie, ou bien nier cette assertion, que
le nombre des crimes a augmenté depuis la révolution.
Est-il vrai que l’on ne
peut plus circuler en sûreté le soir dans les rues de Bruxelles ? Messieurs, il
ne se commet pas dans les rues de Bruxelles plus de crimes maintenant qu’à
aucune autre époque. J’ai pris à cet égard des renseignements dont je puis
attester la vérité, et que je vais avoir l’honneur de donner à la chambre.
On a dit dans certains
journaux que l’on avait arraché une faille à une fille qui se promenait
tranquillement par la ville ; la vérité est que cette fille avait emprunté une
faille, et que la personne qui la lui avait prêtée la lui a reprise.
On a publié dans les
journaux qu’un homme avait été attaqué dans la rue et qu’on lui avait pris son
argent et ses bijoux ; le fait est faux ; cet homme avait de son propre gré
remis à un autre son argent et ses bijoux en faisant avec lui certain marché
que je ne puis expliquer ; il avait voulu ensuite ravoir son argent et ses
bijoux ; l’autre avait refusé, de là une plainte.
Dernièrement vous avez
pu voir également dans les journaux qu’un tableau du Christ avait été enlevé du
coin de la rue Haute. Or, ce tableau n’a pas été volé, les voisins l’avaient
ôté pour le faire réparer.
C’est ainsi que presque
tous les crimes et attentats contre la sûreté publique sont des mensonges dont
les journaux remplissent leurs colonnes, sauf à les rétracter, ou à ne les pas
rétracter s’ils n’y pensent pas. Les bruits de crimes commis dans les rues de
Bruxelles sont donc sans fondement ; cette ville est aussi tranquille qu’à
aucune autre époque. Il en est de même dans toutes les parties de
Je crois avoir bien
fait, dans l’intérêt public, en répondant à l’assertion avancée dans cette
chambre relativement au grand nombre de crimes ; c’est pour moi un devoir plus
particulier puisque, vous le savez, je me suis toujours opposé au
rétablissement de la haute police et de la peine de mort,
Il résulte de
différentes observations que l’on m’a faites à moi-même ces jours derniers, que
je voudrais rendre les crimes encore plus fréquents. « Vous voulez donc,
me disait-on dernièrement, nous faire tous assassiner ? » Je ne crois pas
avoir besoin de déclarer que je ne veux faire assassiner personne. (On rit.)
D’abord je soutiens que
les crimes ne sont pas plus nombreux que par le passé ; en deuxième lieu, je
dis que la surveillance de la haute police n’empêcherait pas les crimes ; en
troisième lieu, enfin, j’affirme que le nombre des exécutions à mort, dans un
pays, n’a jamais diminué le nombre des crimes, et je me fais fort de le prouver
quand la discussion viendra sur ce point.
Du reste, je dois
ajouter que j’aime mieux l’état de choses actuel que de voir la peine de mort
supprimée dans nos lois. Depuis quatre ans, il n’a pas été exécuté d’arrêt de
mort dans le pays, sauf l’exécution qui a eu lieu dernièrement à Louvain ;
celle d’un militaire, dont j’ai déjà parlé à la chambre.
Que le gouvernement
prolonge encore un peu cette épreuve ; qu’il empêche encore pendant quelque
temps toute exécution capitale, qu’après il vienne avec le travail statistique
que j’ai demandé, et je crois qu’il sera facile de prouver alors qu’en Belgique
la peine de mort n’est pas nécessaire pour assures la tranquillité publique, et
que les autres peines suffisent. S’il n’est pas nécessaire d’abandonner
formellement la peine capitale, il est bien au moins que le souverain gracie
les condamnés à mort, et commue leur peine en celle d’une détention
perpétuelle.
Qu’après cela le
gouvernement se réserve de n’accorder jamais grâce entière au condamné à mort,
et qu’il ne veuille pas commuer sa peine en une autre que celle des travaux
forces à perpétuité, je le veux bien ; mais, je dis que cette dernière peine
suffit pour garantir la sûreté publique.
Mais, dit-on, les
détenus s’évadent. Je n’ose pas dire qu’ils ne s’évadent jamais, mais je puis
affirmer que cela est très rare. La meilleure preuve que j’en puisse donner,
c’est que dans la prison de Vilvorde, où il y a 900 détenus condamnés tant à la
réclusion qu’aux travaux forcés, il n’y a pas eu, depuis quatre ans, une seule
évasion.
J’ai entendu un
honorable orateur manifester le désir que le droit de grâce soit organisé par
une loi, comme cela, a-t-il ajouté, se pratique en France. Je crois que
l’honorable membre qui a manifesté ce désir est dans l’erreur,et qu’en France
le chef de l’Etat a le droit de grâce dans toute sa plénitude et l’exerce comme
bon lui semble. Le droit de grâce n’est organisé en France par aucune loi ; on
entérine les lettres de grâce ; mais quand le chef de l’Etat a accordé la grâce
à un condamné, il ne dépend pas de la cour ou du tribunal d’annuler les lettres
de grâce accordées par le chef de l’Etat.
Je croyais, messieurs,
borner là mes observations sur le budget de l’intérieur, sauf à prendre la
parole dans la discussion des différents chapitres, lorsque ce matin il m’a été
remis une pétition sur laquelle je crois devoir appeler l’attention de la
chambre, au moins pendant quelques moments. Cette pétition est signée par des
personnes habitant le boulevard du Jardin Botanique et dont les maisons ont été
ravagées dans les journées de septembre. Les signataires demandent que l’on
porte au budget du ministère de l’intérieur actuel une somme suffisante pour
les indemniser des pertes qu’ils ont faites.
Voici un passage de
cette pétition :
« Si
cependant les droits des soussignés leur sont acquis par le fait même dont ils
dérivent, ces droits n’avaient pas besoin de la sanction nouvelle pour être
admis ; et il est de la justice du pays de les reconnaître, sans essayer de s’y
soustraire par des contestations judiciaires qui répugnent à la droiture de son
caractère. Après une longue attente, les soussignés s’adressent donc avec
confiance à vous, messieurs, et ils croient d’autant plus devoir renouveler la
demande d’une allocation spéciale au budget des dépenses que les dispositions
mêmes du projet de loi relatif aux indemnités, quelle qu’ait pu être
l’intention de leur rédacteur ne sont pas de nature à être appliquées
rigoureusement aux suites des désastres dont ils sont les victimes. »
J’ai cru devoir,
messieurs, appeler maintenant votre attention sur cette pétition, parce qu’en
effet l’on pourrait y faire droit en insérant un article spécial dans le budget
de l’intérieur. Je me borne à prier M. le ministre de l’intérieur de vouloir bien
s’expliquer à cet égard, de nous dire ce qu’il compte faire. Je verrai ensuite
si je dois prendre la parole.
M.
Pirson. - Messieurs, je ne serai point le dernier à censurer certains
actes de nos ministres actuels. Je peux au contraire me flatter d’avoir pris
l’initiative, lorsque vous m’avez permis de vous adresser quelques paroles en
quittant le fauteuil comme doyen d’âge. Après toutes les explications et jetant
les yeux en arrière, je ne sais si l’on pouvait faire pis ou mieux que n’ont
fait nos ministres.
Ce qu’il y a de certain,
c’est qu’il est des circonstances où, de quelque côté que l’on se tourne, on
est exposé au blâme dans un sens ou dans un autre. Des ministres nouveaux
seraient accusés, par les uns de réaction, s’ils renversent brusquement tout ce
qui a été fait par leurs prédécesseurs. Et puis, à l’occasion des expulsions,
par exemple, la chambre elle-même avait-elle pris une attitude exempte de blâme
? Si, pour éviter les reproches de réaction, ces mêmes ministres maintiennent
des faits accomplis, même contre leur propre opinion, d’autres censeurs
s’élèvent avec d’autant plus de force qu’ils sont plus inflexibles en fait de
principes, auxquels j’adhère. Je n’insisterai point davantage sur les suites
d’un acte qui n’est point le fait de nos ministres.
Je ne ferai qu’une
dernière observation, c’est qu’il est bien difficile de balayer un amas
d’immondices infectes sans recevoir quelques éclaboussures.
Quant au bouleversement
des gouverneurs, la mesure a été si brusque, que d’abord on lui a donne
l’épithète de brutale ; cependant on reconnaît que certaines mutations étaient
devenues nécessaires. Quant à la place que l’on voulait faire à un ex-ministre,
c’était générosité de la part de ses antagonistes. Quelques-uns y applaudiront
; le plus grand nombre regrettera qu’elle ait eu lieu aux dépens de
fonctionnaires estimables, qui n’avaient point démérité. Mais on leur a offert
des indemnités, dit-on ! Alors on grevait le trésor public. Ainsi la prétendue
générosité est blâmable sous tous les rapports. Toutefois, il n’y a plus de
remède.
Je révélerai à la
chambre une circonstance atténuante pour le ministre, c’est que, prenant
intérêt à la position d’un ex-gouverneur qui, étourdi par l’explosion, a refuse
sa translation de prime abord, j’ai demande à trois ministres qu’il fût
autorisé à retirer sa lettre de non-acceptation : tous trois y ont accédé sans
hésitation. Je n’avais pas eu occasion de voir les deux autres ministres. Mais
le démissionnaire a pensé qu’il ne pouvait honorablement revenir sur sa
démarche. Je ne me permettrai aucune réflexion relativement à cette
détermination.
En abordant la question
â l’ordre du jour, les dépenses du ministère de l’intérieur, c’est avec le plus
grand chagrin que je me vois forcé d’abandonner tout espoir d’un gouvernement à
bon marché. La centralisation de l’administration est le plus grand obstacle à
l’économie, et l’on sait comme nous travaillons à décentraliser.
Bientôt le grand oeuvre
sera achevé, on lira sur le fronton de l’édifice : Rien n’est changé, honni soit qui me touche. Quoi ! nous ne
secouerons point les lisières que nous ont attachées quelques charlatans
politiques, et nous oserons dire que la civilisation est en progrès ! Messieurs
les gouvernants, ne vous donnez plus tant de peine : de l’abandon, du laisser
aller,voilà ce que nous vous demandons. Reposez-vous, laissez agir l’industrie,
la concurrence et le sentiment des intérêts réciproques.
Je ferai maintenant
quelques observations sur des objets qui sont du ressort du ministère de
l’intérieur.
Chap. I, II et III. La
décentralisation seule peut nous procurer les moyens de faire de grandes
économies sur les dépenses de ces trois chapitres.
Chap. IV. Instruction
publique. Nous ne pouvons maintenant accuser le ministère de laisser cet objet
en souffrance. La chambre a trois projets sous les yeux. Mais, au train que
nous allons dans nos délibérations, je crains bien un ajournement pendant
lequel la jeunesse croîtra dans l’ignorance que l’on reproche aux temps
anciens.
Je voterai les sommes
demandées pour l’instruction publique ; mais, attendu que l’année scolastique
commence au premier octobre, je demanderai que le subside annuel destiné aux
établissements dénommés à l’article 5 ne soit payé que jusqu’à concurrence des
trois quarts ; le quart restant ferait l’objet d’une répartition plus équitable
entre les collèges des provinces qui auraient besoin d’un subside.
La province de
Luxembourg, la plus pauvre et cependant la plus étendue de
A Namur, l’Etat paie
pour un athénée, qui n’est qu’un collège peu fréquenté, 22,000 fr., tandis qu’à
Dinant un collège qui ne se soutient que par le zèle, le patriotisme et
l’attachement de quatre professeurs vraiment amis, ne peut obtenir aucun
subside.
Un athénée est mal placé
aujourd’hui â Namur, à côté d’un établissement gigantesque de jésuites, d’un
grand et d’un petit séminaire dont l’attraction enlève tous les sujets et n’en
laissera bientôt plus aucun à l’athénée. Il y avait en Angleterre des bourgs pourris,
nous avons maintenant en Belgique des collèges pourris. (Hilarité générale.)
Chap. V. Cultes. Il en
est des ministres des cultes comme des fonctionnaires civils ou milliaires. Les
plus élevés en grade sont trop richement rétribués, tandis que, dans les grades
inférieurs, les traitements suffisent à peine aux besoins de la vie. Je
voudrais que les vicaires et les desservants fussent rétribués de manière à ce
qu’ils ne pussent exiger ce qu’on appelle le casuel et des suppléments de
traitement fournis par les communes : les ministres de la religion seraient
alors plus respectés ; mais il faudrait poursuivre comme concussionnaires tous
ceux qui exigeraient le paiement d’un service religieux considéré comme
obligatoire par la religion qu’ils professent.
La constitution ne
s’explique que sur les traitements et les pensions des ministres des cultes. Il
n’est point question de leur logement ni des temples, ni de l’administration
des biens du culte. il faut que la loi s’explique sur tout cela ; la législation
antérieure a besoin d’être mise en rapport avec les principes de la liberté des
cultes, consacrée par la constitution. En effet, on force les communes à bâtir
ou à louer des maisons pour les ministres du culte, on les force également à
suppléer aux besoins des fabriques, et cependant l’administration civile
n’exerce qu’un visa sur les opérations de l’administration religieuse.
Je connais telle
fabrique d’église qui, naguère, avait 5 à 6,000 fr. de revenu annuel, et qui,
aujourd’hui, a moins de trois mille francs ; et cependant ceux qui l’ont
dirigée ont vendu plusieurs églises supprimées, des cloches, des saints ou
saintes d’argent, des ostensoirs, des chandeliers qui ont été trouvés dignes de
faire l’ornement de la chapelle des rois de la restauration française.
Il faut arrêter ces
dilapidations, ou du moins mettre les communes à l’abri des charges qui peuvent
leur incomber à leur suite.
Chap. IX. Travaux
publics. Notre collègue de Puydt nous a donné un projet qui doit être
favorablement accueilli par la chambre ; d’après ce que nous a dit hier M. le
ministre de l’intérieur, il ne paraît pas éloigné de l’adopter en partie : ce
projet, sans grever le trésor public, nous procurerait bientôt la jouissance de
routes et canaux que nous ne verrons se réaliser que dans un temps éloigné en
suivant la marche adoptée ; d’un autre côté, et ce serait peut-être encore le
plus grand avantage du projet, nous procurerions de l’ouvrage à la classe
ouvrière sur tous les points du royaume.
Je remercie mon
honorable ami M. de Robaulx d’avoir fait remarquer l’oubli dans lequel sont
restées la province de Luxembourg et partie des provinces de Liège et de Namur.
Je dirai en ce qui concerne la province de Namur, que M. le ministre de
l’intérieur a compris dans les travaux de cette année le tiers d’une recette
nouvelle de Bauraing à Bouillon, à travers le canton de Gedinne, province de
Namur. Cette route, que j’ai sollicitée en vain aux ci-devant états-généraux,
sollicitations que j’ai renouvelées sous le gouvernement actuel, ouvrira une
communication tout à fait directe d’Anvers vers Sedan, Carignan, par Dinant et
Bouillon ; elle est d’une grande importance. La canalisation de
En
terminant, je remarque que la dépense du corps des ingénieurs est beaucoup trop
élevée.
Chap. X. Service des
mines. Ce que le ministre a dit après les observations de plusieurs orateurs
qui l’ont précédé me dispense de nouvelles observations ; on est d’accord sur
l’urgence d’une loi.
Chap. XI. Industrie,
commerce, agriculture, encouragements. Ce qui est encouragement pour les uns
est découragement pour les autres, sauf quelques exceptions. Rapportons-nous-en
aux efforts de l’industrie et n’entravons point la concurrence.
Chap. XII. Lettres,
sciences, arts, etc. C’est ici qu’il faut des encouragements ; les vrais
savants, tous ceux qui sont à la recherche de nouvelles découvertes ne sont
point ordinairement assez riches pour suivre leur carrière avec fruit pour la
société. Je ne refuserai point mon vote à ce qui me paraîtra utile dans ce
chapitre et les suivants.
M. H. Dellafaille, rapporteur. - Messieurs,
dans la discussion générale d’un budget, le rôle du rapporteur de la section
centrale se réduit à bien peu de chose. Si l’on traite une question politique,
le rapporteur est chargé uniquement des questions des chiffres ; il n’a pas
reçu la mission d’examiner la conduite du ministère. Si l’on s’occupe des
chiffres, les observations que le rapporteur doit présenter trouveront mieux
leur place dam la discussion des articles. C’est aussi dans la discussion des
articles que je me réserve de soutenir les propositions de la section centrale.
Je crois cependant
devoir répondre maintenant à un honorable préopinant, qui a blâmé le parti pris
par la section centrale de considérer comme définitivement fixées les dépenses
que déjà deux ou trois fois la chambre a sanctionnées par son vote.
Il y a, messieurs, dans
le budget deux espèces de dépenses : les dépenses ordinaires, votées chaque
année, presque sans variation dans leur chiffre ; et les dépenses
extraordinaires qui sont portées au budget pour la première fois. Ces dernières
ont été de la part de la section centrale l’objet d’un examen sérieux ; elle en
a admis quelques-unes, elle en a rejeté ou ajourné quelques autres qui lui ont
paru inutiles ou peu urgentes. Vous connaissez par le rapport le la section
centrale les motifs qui l’ont déterminée. Je me réserve de les faire valoir en
temps et lieu.
Quant à la première
espèce de dépenses, je répondrai que celles dont on a parlé ont été votées dans
cette assemblée, la plupart après de longs débats et en pleine connaissance de
cause. Vous vous rappellerez, messieurs, que l’année dernière plusieurs
réductions proposées ont été rejetées par la chambre. Que devait faire cette
année votre nouvelle section centrale ? Devait-elle venir vous représenter de
nouveau des conclusions que vous avez deux et trois fois été abjugées. Je ne le
pense pas, je crois qu’elle a dû regarder vos décisions antérieures comme un
jugement définitif et qu’elle a bien fait de s’y soumettre lors même que les
opinions individuelles de ses membres étaient opposées à vos votes précédents.
Plus d’une fois nous nous sommes abstenus de toute réflexion sur des crédits en
faveur desquels nous étions peu disposés, parce qu’il eût été superflu de vous
proposer des conclusions que vous avez constamment repoussées.
Comme rapporteur de la
section centrale, je bornerai ici mes observations ; mais comme député, et en
mon nom particulier, j’aurai quelques mots à dire sur les espèces dont a été
l’objet un de nos honorables collègues, gouverneur de la province que j’habite.
Jusqu’à présent, un seul
député de cette province a répondu à ces attaques. Député de
Le motif du blâme
encouru par le ministre de l’intérieur au sujet de cette nomination parait être
le discours prononcé par notre collègue dans la discussion relative aux
pillages d’avril. Je ferai remarquer qu’à cet égard il y a chez quelques
membres une espèce de contradiction. En 1833, ils trouvaient mauvais que M.
Rogier recherchât l’opinion émise dans cette chambre par M. Desmet. En 1834, ils se plaignent
de ce que M. de Theux ne recherche pas l’opinion émise dans la chambre par M.
le vicomte Vilain XIIII.
Quant au discours
prononcé par M. Ch. Vilain XIIII, j’avoue qu’après le laps de neuf mois écoulé
depuis lors, je ne me le rappelle plus d’une manière bien distincte. Mais si ma
mémoire est fidèle, je crois que l’orateur n’attachait pas à ses paroles le
sens que quelques membres lui attribuent. Je ne pense pas qu’il ait voulu faire
de l’arbitraire la règle du gouvernement, engager le ministère à violer les
lois. Il me semble que sa pensée était que les lois existant dans l’intérêt de
l’Etat, l’on ne devait pas perdre la chose publique par un respect
superstitieux pour la lettre de la loi, lorsque le salut de l’Etat exigeait
impérieusement une mesure extralégale.
Si en effet telle a été
la pensée de notre collègue, il me semble que les reproches qu’on lui fait
perdent beaucoup de leur gravité. Je ne puis cependant approuver dans son
discours certaines expressions au moins imprudentes, ni le ton léger avec
lequel il a parlé de la légalité. Mon but n’est pas de faire l’apologie de ce
discours. Si j’avais eu un conseil à donner à l’honorable M. Ch. Vilain XIIII,
je lui aurais donné en ami celui de le serrer dans le poêle. Mais je ferai
remarquer que si ce discours a réellement le sens que je lui prête, il n’aurait
plus la même portée que s’il avait en effet la signification que lui donnent
ses adversaires.
Cependant, pour mettre
ceux-ci à leur aise, je suppose que M. Ch. Vilain XIIII ait réellement entendu
son discours dans le sens qu’on lui attribue. Il s’en suivra qu’il aura été une
fois très mal inspiré. Mais faut-il, pour ce motif, en faire un paria dans sa
patrie, le marquer au front du sceau de l’anathème politique, priver le pays
des talents que tout le monde lui reconnaît ? Faut-il imiter l’exemple d’une
ancienne république qui envoyait au gibet ses généraux lorsqu’une fois la
fortune avait cessé de leur sourire ? De telles condamnations rendraient
quelquefois les plus grands talents inutiles à leur pays.
Je rappellerai,
messieurs, que l’honorable M. Ch. Vilain XIIII a reçu un témoignage qui prouve
que les craintes qu’il semble inspirer ici ne sont pas généralement partagées.
Depuis le discours qu’il a prononcé, il a dû, par suite de sa nomination aux
fonctions de gouverneur de
J’ajouterai
que si l’on craint que M. Ch. Vilain XIIII ne mette en pratique comme
gouverneur les théories qu’on lui attribue, M. le ministre de l’intérieur est
là pour le faire rentrer dans les bornes de la légalité. Si le gouverneur en
sortait, si cette conduite était tolérée par le ministre de l’intérieur, ce
serait alors à la chambre à faire justice et du gouverneur et du ministre.
J’ajouterai encore que
dans ma province on est loin de partager les craintes manifestées dans cette
chambre ; car il est juste de dire que si la suite de l’administration de notre
nouveau gouverneur ressemble à ses commencements,
M. Desmanet de Biesme. - Je ne
comptais pas prendre la parole dans cette discussion sur l’ensemble du budget,
mais je crois devoir dire quelques mots relativement à un fait avancé par M.
Pirson, fait qui pourrait exercer de l’influence, quand on viendra au vote des
articles. Que M. Pirson parle en faveur du collège de Dinant, rien de mieux ;
mais lorsqu’il vient déprécier l’athénée de Namur, je crois devoir réclamer.
M. Pirson a dit que,
puisqu’il y avait un établissement de jésuites à Namur, il n’y avait pas autant
besoin d’un athénée ; je crois au contraire que c’est là où il y a de tels
établissements qu’un athénée est nécessaire. Loin que depuis la révolution
l’athénée de Namur ait perdu, il a gagné au contraire. Enfin maintenant, malgré
l’établissement des jésuites, le nombre des élèves de l’athénée de Namur est
plus grand qu’en 1830. Si cela pouvait faire question, quand on s’occupera de
la discussion des articles, il me sera facile de donner des détails
statistiques à cet égard. Voilà simplement ce que je voulais répondre.
M.
Pirson. - Il n’y a que 12 pensionnaires à l’athénée de Namur.
M. Desmanet de Biesme. - Le nombre des
pensionnaires ne signifie rien ; c’est le nombre des externes qu’il faut
envisager : or ce nombre est plus grand, je le répète, qu’en 1830.
L’établissement des jésuites ne reçoit pas d’externes. L’athénée est donc
nécessaire ; car un grand nombre de familles ne veulent envoyer leurs enfants
dans une institution que comme externes.
M.
Fallon. - Dans une discussion récente, à l’occasion du budget de la loi
des voies et moyens, on a soulevé la question de savoir si l’art. 37 était encore
en vigueur.
J’ignore quelle est la
pensée du gouvernement sur cette question ; j’espère que M. le ministre de
l’intérieur, que la chose concerne plus spécialement, voudra bien nous la faire
connaître.
Dans la discussion à
laquelle je fais allusion, deux de nos honorables collègues ont manifesté
l’opinion que l’art. 37 du code de commerce avait été abrogé par l’arrêté du
gouvernement provisoire et par la constitution qui ont proclamé la liberté
illimitée du droit d’association.
Cette opinion exprimée
incidemment, et qui n’a pas été discutée a eu du retentissement hors de cette
enceinte.
J’ai étudié cette
opinion et j’ai demandé la parole pour énoncer les motifs qui me déterminent à
ne pas la partager. En admettant que l’opinion que je vais essayer de combattre
ne soit pas fondée, mon intention n’est pas de provoquer des mesures contre les
associations qui se constituent en sociétés anonymes sans autorisation, parce
que je crois à cet égard toute mesure inutile. Mon but est seulement d’appeler
l’attention de mes concitoyens sur les effets que peuvent produire ces sortes
d’associations, sur les inconvénients qui peuvent en résulter pour ceux qui y
participent, et, dans tous les cas, sur le doute auquel peut donner lieu cette
question.
Suivant l’art. 37 du code
de commerce, la société anonyme ne peut exister qu’avec l’autorisation du
gouvernement. Cette approbation doit être donnée dans la forme prescrite pour
les règlements d’administration publique.
Cette société peut-elle
exister et produire ses effets en Belgique sans cette autorisation ? Ceux qui
le prétendent ainsi se fondent sur l’arrêté du gouvernement provisoire du 16
octobre 1830 et sur l’art. 20 de la constitution.
L’arrêté du gouvernement
provisoire du 16 octobre
1° Qu’il était permis
aux citoyens de s’associer comme ils l’entendent, dans un but politique,
religieux, philosophique littéraire, industriel ou commercial.
2° Qu’aucune mesure
préventive ne peut être prise contre le droit d’association.
3° Que ces associations
ne peuvent prétendre à aucun privilège.
4° Que toutes lois ou
articles des codes civil, pénal et de commerce qui gênent la liberté de
s’associer, sont abrogés.
L’art 20 de la
constitution a résumé ces dispositions en ces termes :
« Les Belges ont le
droit de s’associer ; ce droit ne peut être soumis à aucune mesure
préventive. »
On conclut de ces
dispositions que la formalité de l’autorisation préalable se trouve abrogée
dans l’art. 37 du code de commerce relatif aux sociétés anonymes.
Cette conséquence
est-elle exacte ? Je ne pense pas, dans ce cas particulier, que l’on puisse
admettre ce système d’abrogation partielle. je crois d’autant plus que
l’induction est erronée, que si elle était admise, la conséquence serait qu’il
ne pourrait plus exister en Belgique de société anonyme, c’est-à-dire de
société produisant les effets de la société anonyme.
Examinons d’abord la
question d’abrogation.
Il importe avant tout,
pour bien la comprendre, de se mettre d’accord sur la définition de la société
anonyme, c’est-à-dire sur son but, sur les éléments qui la composent et sur les
effets qu’elle est destinée à produire.
Les sociétés anonymes
ont ordinairement pour but de vastes spéculations, de grandes entreprises qui
exigent une agglomération de capitaux hors de la portée des sociétés
ordinaires, capitaux qu’il ne serait pas possible de se procurer sans un grand
concours d’actionnaires.
Il était de l’intérêt
public de favoriser ces grandes entreprises. Mais, par là même qu’elles sont
exposées à plus de chances de perte, on a cherché le moyen de mettre les
actionnaires à couvert de toute perte qui pourrait excéder les capitaux
exposés.
Le droit commun en
matière de société commerciale ne fournissait pas ce moyen.
Dans la société en nom
collectif, comme dans celle en participation, les associés sont tenus
personnellement et solidairement de tous les actes sociaux.
Dans la société en
commandite, les bailleurs de fonds, les commanditaires ne sont passibles des
pertes que jusqu’à concurrence de leurs mises ; mais les associés sont
responsables et solidaires des dettes de la société, à quelques sommes qu’elles
puissent se monter.
On trouvait dans cette
combinaison, dans la société en commandite, quelque chose qui pouvait convenir
au but que l’on se proposait : c’était de créer un nouveau genre de société qui
ne se composerait que de commanditaires, dont les intérêts seraient régis par
de simples mandataires, qui ne seraient responsables que de l’exécution de leur
mandat et où, par conséquent, la responsabilité personnelle et la contrainte
par corps ne pèseraient sur personne du chef des pertes et des dettes excédant
les capitaux mis en société.
C’est sur ce plan que la
société anonyme fut conçue. Là, l’obligation personnelle n’existe nulle part,
le fonds social seul se trouve obligé. S’il périt, tout a disparu : les
créanciers n’ont d’action à exercer contre personne, les dettes sont éteintes,
personne n’a failli.
Ainsi, comme vous voyez,
messieurs, les éléments de cette société sont puisés en dehors des principes du
droit commun qui ne reconnaît pas d’obligation incapable de produire l’action
personnelle contre quelqu’un d’obligé. Son but est d’utiliser à de grandes
entreprises une masse suffisante de capitaux, et son principal effet est de
soustraire les associes à toute responsabilité personnelle et à la contrainte
par corps.
La société anonyme est
donc une société tout à fait exceptionnelle ; c’est la création d’un être
moral, d’une personne civile. Avant le code de commerce, cette espèce de
société, telle que l’a créée l’art. 37 du code, était inconnue en France.
On y connaissait à la
vérité une société que l’on qualifiait de société anonyme, mais cette société
n’était autre chose qu’un échange de la société en commandite et en
participation qui était régie par les principes applicables à ces sociétés
suivant les circonstances tellement que les faits sociaux produisaient l’action
personnelle à la charge de ceux qui y avaient participé.
On peut, sur ce point,
s’en rapporter à un auteur qui fait autorité en cette matière, au commentaire
de Joupe sur l’ordonnance de 1673.
Lors de la discussion du
code de commerce on réfléchit que cette société bâtarde à laquelle on donnait
le nom de société anonyme, pouvait bien convenir aux opérations ordinaires du
commerce, mais non à de grandes entreprises qui pouvaient exiger des capitaux
considérables.
Pour encourager ce genre
d’industrie, l’article 37 du code de commerce autorisa la création de cet être
moral, de cette personne civile où le fonds social seul répond des engagements
sociaux, où il est administré pour compte commun des actionnaires et des
créanciers, et où il n’y a de responsabilité personnelle pour personne.
Avant d’adopter une
mesure aussi exorbitante du droit commun, il fallait bien en calculer les
conséquences.
En l’absence de toute
responsabilité personnelle, l’abus était facile. Il fallait prévoir la fraude,
il fallait prendre garde que la confiance publique ne fût trop facilement
trompée, il fallait prendre garde enfin d’organiser en grand l’escroquerie. Il
fallait donc bien substituer quelque autre garantie à celle résultante de toute
responsabilité personnelle et de la contrainte par corps. Il fallait d’ailleurs
ne pas oublier que la création d’une association ou être moral, ou personne
civile, n’appartient qu’à la loi ou au pouvoir désigné par elle.
On plaça cette garantie
dans le discernement, la prudence et la discrétion du pouvoir exécutif chargé
de veiller tout à la fois à l’intérêt de chacun comme à l’intérêt de tous, et
c’est à ce pouvoir que la loi du code délégua le soin de permettre ou de
refuser la création de la société anonyme.
Je n’examinerai pas s’il
n’y avait pas d’autre moyen de concilier l’intérêt général avec l’intérêt de
l’industrie et du commerce dans le but que l’on voulait atteindre ; s’il n’y
avait pas surtout d’autre moyen de mettre les tiers plus complètement à l’abri
de l’inexpérience, de chances mal calculées, de la fraude ou des écarts de la
témérité. Cette recherche ne vient pas à propos ; nous ne devons considérer ici
la société anonyme que telle que l’a faite l’art. 37 du code de commerce.
C’est en la considérant
ainsi que j’aborde maintenant la question de savoir s’il est bien vrai que
l’arrêté du gouvernement provisoire du 16 octobre 1830 et l’art. 20 de la
constitution ont abrogé, dans l’art. 37 du code de commerce, la formalité de
l’autorisation préalable, et si, sans cette autorisation, la société anonyme
peut exister en Belgique.
J’ai dit que l’on ne
pouvait admettre l’abrogation que l’on veut faire résulter de la constitution
et de cet arrêté du gouvernement provisoire, et voici les motifs de mon
opinion.
La constitution,
d’accord avec cet arrêté, a proclamé la liberté la plus illimitée du droit
d’association et notamment en matière d’industrie et de commerce, sans que
l’exercice de ce droit puisse être gêné par aucune mesure préventive et en
abrogeant même tout ce qui, dans nos codes, pourrait y être obstatif.
Je conviens de la vérité
de cette assertion dans toute son étendue, mais c’est la conséquence qui me
paraît trop absolue dans son application à la société anonyme.
J’admets que la
constitution, et surtout l’arrêté du gouvernement provisoire qui est plus
explicite, font impression sur toutes associations quelconques, quelle qu’en soit
la matière ou le but ; mais je pense qu’il ne s’agit là que d’associations
proprement dites, c’est-à-dire que d’associations où la responsabilité
personnelle garantit la liberté d’action, où il n’est pas permis aux associés
de s’effacer en présence des engagements de l’association ; qu’il ne s’y agit
pas enfin d’associations constitutives, d’être moral, de personne civile.
Pour justifier cette
distinction que je trouve dans l’esprit, sinon dans le texte, des deux
dispositions, je puis déjà invoquer l’instruction ministérielle du 16 avril
1831 sur l’application de l’article 20 de la constitution et de l’arrêté du
gouvernement provisoire, où l’on fait observer que le droit de s’associer n’est
pas du tout le droit de se constituer en personne civile.
Ce sont en effet, les
associations, et rien que les associations proprement dites, que l’arrêté du
gouvernement provisoire et la constitution ont rendues libres de toute mesure
préventive, c’est-à-dire les associations où des individus réunissent leurs
moyens sur un objet commun, pour en partager entre eux ou en faire partager par
d’autres les avantages et les bénéfices ; où tout ou partie des associés,
suivant les conventions sociales, répondent personnellement des faits de
l’association. Ce sont les associations de personnes et non les associations de
choses. Ce ne sont pas les associations où il n’existe aucune responsabilité
personnelle pour les faits de l’association, où il n’y a que des mandataires
sans qu’il y ait des mandants responsables. Ce ne sont pas, en un mot, les
associations où le fonds de l’association est la seule personne civile
responsable.
La liberté
d’association, telle que proclamée la constitution et l’arrêté du gouvernement
provisoire, n’est pas la liberté de se placer en dehors du droit commun, n’est
pas la liberté de contracter des obligations envers des tiers, sans qu’il y ait
personne d’obligé ; ce n’est pas la liberté enfin de soustraire à toute
responsabilité et à l’exercice de la contrainte par corps et en matière
commerciale, les faits et les obligations de l’association.
Lorsque la constitution
dit que le droit ne peut être soumis à aucune mesure préventive, la conséquence
n’est pas que le droit de s’associer emportera celui de se soustraire à toute
responsabilité personnelle. La seule conséquence admissible, c’est que,
moyennant la responsabilité de ses actes, aucun genre d’association ne peut
être interdit ou entravé dans son action par des mesures préventives.
Ce qui prouverait encore
au besoin que c’est ainsi que l’on doit l’entendre, c’est cette réserve faite
dans l’arrêté du gouvernement provisoire, que les associations dont il parle ne
peuvent prétendre à aucun privilège, et c’est bien sans doute un privilège, et
un privilège exorbitant, que celui de pouvoir constituer une association dans
laquelle il n’y a de responsabilité personnelle pour personne.
En vain on insiste sur
la dernière disposition de l’arrêté du gouvernement provisoire où il est dit
que toutes lois ou articles des codes civil, pénal et de commerce, qui gênent
la liberté de s’associer, sont abrogés. Cette disposition ne peut s’entendre
que dans le sens des dispositions précédentes auxquelles elle se réfère, et,
comme on dit dans le langage du droite pro subjecta materialia. L’abrogation ne
touche donc que sur les dispositions qui gênent l’exercice du droit
d’associations, mais non sur les dispositions qui règlent et déterminent les
effets de l’exercice du droit.
Enfin l’arrêt du
gouvernement provisoire et la constitution permettent à chacun d’user librement
du droit d’association sans pouvoir être entravé par aucune mesure préventive
mais aussi sans pouvoir prétendre à aucun privilège, et par conséquent sans
pouvoir se soustraire aux effets que les lois attribuent à chaque association
suivant sa nature et son but, et sans pouvoir par conséquent s’attribuer un
droit que la loi seule ou le pouvoir qu’elle délègue peut conférer, celui de se
soustraire à toute responsabilité personnelle et de constituer, de sa volonté
privée, l’association en être moral, en personne civile.
Je sais que l’on va
m’objecter que si toute responsabilité personnelle est exclue de la société
anonyme, que si, dans le fait, cette société ne constitue réellement qu’un être
moral, où tous les associés s’effacent en présence des actions de créanciers,
ce n’est pas la volonté privée seule qui lui donnera l’existence, mais bien les
dispositions du code de commerce qui déterminent les effets de cette société et
sur lesquelles l’abrogation ne fera pas impression, cette abrogation ne faisant
cesser que la formalité préalable prescrite par l’art. 37.
Admettons pour un moment
ce système d’abrogation partielle et voyons ce qui nous restera.
Nous aurons une
association que l’on qualifiera comme on voudra. Nous aurons une association
qui n’aura d’anonyme que le nom, mais qui n’en aura pas les effets. Nous aurons
une société bâtarde qui, si elle n’a pas de raison sociale (et elle n’en aura
pas si on la qualifie de société anonyme), sera une société en commandite et en
participation, ou qui sera formée d’une combinaison de ces deux éléments ; nous
aurons une société où les associés ou bien les gérants seront tenus
personnellement des engagements de l’association, et ce n’est pas là la société
anonyme.
Mais pourquoi cela ?
dira-t-on ; les dispositions du code de commerce qui déterminent les effets de
la société anonyme restent debout ; c’est la formalité seule de l’autorisation
préalable qui est abrogée.
Pourquoi cela ?...
La raison en est fort
simple. C’est que l’élément qui seul pouvait constituer l’être moral se trouvera
détruit ; et, en effet, en l’absence de l’art. 37 dont vous faites disparaître
la disposition, les autres dispositions du code de commerce, relatives à la
société anonyme, se trouveront paralysées sans que nous puissions rien trouver
dans la législation qui puisse leur rendre le moyen d’action.
Il ne faut pas se faire
illusion. Ce n’est pas une simple formalité que prescrit l’art. 37 du code de
commerce, ou si c’est une formalité, nous avons déjà suffisamment démontré
qu’elle est substantielle et inhérente à l’acte même. A la loi seule ou au
pouvoir qu’elle délègue, appartient exclusivement le pouvoir de constituer un
être moral, une personne civile.
L’art. 37 d’ailleurs ne
se borne pas à dire que la société anonyme sera soumise à l’approbation préalable
du Roi ; il dit que cette espèce de société ne pourra exister qu’avec cette
autorisation donnée dans la forme prescrite par les règlements d’administration
publique.
Or, faites disparaître
du code cet art. 37 et vous ne trouvez plus dans la législation, ni loi, ni
pouvoir délégué par la loi, qui puisse donner à la société anonyme les effets
exorbitants que les autres dispositions du code n’attribuent à la société
anonyme que sous cette garantie légale, et vous n’en trouverez nulle part
aucune disposition qui puisse prendre la place de l’art. 37 pour autoriser
cette combinaison tout exceptionnelle.
Mais, va t-on me
répondre, en faisant disparaître l’art. 37, je ne trouve pas moins dans les
autres dispositions du code tout ce qui nécessaire pour déterminer les effets
de la société anonyme ; je n’ai pas besoin d’invoquer le secours d’aucune autre
disposition de loi.
Raisonner de la sorte,
c’est esquiver la difficulté, ce n’est pas la résoudre.
Il faut démontrer
d’abord que les autres dispositions du code peuvent continuer à produire leurs
effets sans le secours de cet art. 37 ; et voilà ce qui ne me paraît pas
possible, sans méconnaître les principes les plus élémentaires en législation.
L’art. 37 vous dit, en
termes, que la société anonyme ne peut exister sans la sanction du pouvoir
royal. Il vous dit que le code de commerce, dans les dispositions relatives à
la société anonyme, n’a introduit dans la législation cette combinaison
exorbitante du droit commun et tout exceptionnelle, que sous la condition formelle
que ce genre de société ne pourra exister qu’avec l’assentiment du pouvoir
exécutif délégué à cette fin ; et vous voulez qu’alors que le code n’a admis la
société anonyme que sous la garantie de l’intervention du pouvoir exécutif, on
pourra aujourd’hui rejeter la condition et se prévaloir des dispositions que le
code lui-même vous dit qu’il n’eût pas introduites sans cette condition
essentielle.
Il n’est pas permis de
scinder ainsi le système sur lequel le code de commerce a établi un régime tout
exceptionnel. Les dispositions qui organisent ce système sont corrélatives.
Vous ne pouvez toucher à aucune de ces parties sans détruire l’ensemble, et il
faut pour cela faire autre chose qu’une dérogation virtuelle, il faut une
dérogation expresse ; sinon vous détruisez le tout et vous ne mettez rien à la
place.
De deux choses l’une :
Ou bien l’arrêté du
gouvernement provisoire et la constitution ne s’appliquent qu’aux associations
ordinaires dont les effets sont régis par le droit commun en matière
d’association en général, et non à la société anonyme qui est exorbitante et
tout à fait exceptionnelle, et alors l’abrogation n’atteint pas l’art. 37 du
code de commerce.
Ou
bien cet article se trouve abrogé, et alors la société anonyme ne peut plus
exister sans une loi nouvelle qui réorganisera son régime, parce que la
condition de l’art. 37 était substantielle et que ce n’est que sous cette
condition que le régime du code a été érigé en loi.
C’est seulement alors
que nous en viendrons à cette abrogation complète du système du code ; qu’il y
aura lieu d’examiner s’il convient de considérer la société anonyme comme
n’étant que d’intérêt privé, sans rapport aucun avec l’ordre public et
l’intérêt général ; s’il convient de laisser former librement des compagnies
qui pourraient compromettre le crédit du pays et altérer la tranquillité
publique, qui pourraient n’être autre chose que des pièges tendus à la
crédulité des citoyens et où la fraude et l’escroquerie pourraient être
consommées sans qu’il y eût de responsabilité pour personne ; si enfin on peut
admettre dans le commerce et sans aucune précaution légale, une association où
il ne se trouve aucun associé responsable. (Voyez Paillet sur l’article 37.)
M.
Gendebien. - Je m’étonne qu’à l’occasion du budget de l’intérieur qui
est seulement administratif, on élève une aussi grave question qui tient au
droit civil et à la jurisprudence. Je ne sais s’il peut convenir à la chambre
de se transformer en cour de justice ou de continuer son rôle de législateur.
Pour ne pas abuser de sa patience, je répondrai en quelques mots à l’honorable
M. Fallon, puisqu’il a attaqué un des actes que j’ai signés et à la rédaction
duquel j’ai concouru en cherchant surtout à éviter qu’on lui donnât une portée
qui pouvait avoir les plus graves conséquences. Car il ne tendait rien moins
qu’à autoriser le rétablissement des corporations de mainmorte tel qu’il avait
d’abord été conçu. J’ai la minute du projet qui a été fourni à un de mes
collègues au gouvernement provisoire. Cette minute prouve quelle était
l’intention de l’auteur. De dangereux qu’il était pour le pays, il est devenu
favorable an développement de l’industrie et du commerce, au moyen des
modifications et de l’extension que je lui ai données.
L’arrêté du gouvernement
provisoire a été émis en exécution du grand principe de liberté en tout et pour
tous, principe dont on a tant abusé depuis quatre ans et qui a été la source de
bien amères déceptions pour les hommes de probité, parce que l’on n’a pas voulu
en user de bonne foi, parce que quelques-uns en ont fait l’application pour
satisfaire des intérêts personnels, et par esprit de parti auquel je ne me suis
jamais associé et ne m’associerai jamais.
Le gouvernement, par son
arrêté du 16 octobre
On a élevé aujourd’hui
la question de savoir si cette disposition était nécessairement soumise à des
exceptions, et on a cru en avoir rencontre une dans l’art. 37 du code de
commerce ; on a cru trouver dans cette disposition un obstacle insurmontable à
toute espèce de disposition contraire que le législateur pouvait porter
postérieurement.
Cette même loi vous a
dit que la condition exigée par l’article 37 pour la formation d’une société
anonyme est une condition substantielle. Voyons si le fait est vrai ; les
conditions substantielles sont de deux espèces : ou elles résultent
d’injonctions ou de prohibitions du législateur, ou de la nature même de la
chose. Examinons d’après ce principe, comment il faut entendre cet article 37.
Voici comme il est conçu :
« Les sociétés anonymes
ne peuvent exister qu’avec l’autorisation du Roi, avec son approbation pour
l’acte qui les a instituées. Cette approbation doit être donnée dans la forme
prescrite pour les règlements d’administration publiques
La formalité est
substantielle, prétend le préopinant, parce que le législateur a dit : « ne
peut exister sans l’approbation du Roi. » C’est une condition d’existence. Eh
bien, messieurs, si mon honorable collègue M. Fallon voit une condition
substantielle dans cette expression prohibitive de la société anonyme, à moins
qu’elle n’ait reçu l’approbation royale, je dis que si c’est une condition
essentielle résultant du code de commerce, tout législateur postérieur
possédant le même droit, pouvait aussi établir une autre condition
substantielle tout à fait différente, ou effacer la condition substantielle du
législateur précédent.
Ainsi, messieurs,
disparaissent toutes les conséquences que l’on veut tirer, et qui sont graves,
en droit, d’une condition substantielle de l’existence des sociétés anonymes en
tant qu’elles résultent d’un texte de loi.
Veut-on dire que c’est
une condition substantielle ressortant de la nature même de l’association ? Eh
bien, voyons si, en effet, la société anonyme ne peut exister sans cette
condition soi-disant essentielle. Pour démontrer qu’il en est ainsi, M. Fallon
raisonne ainsi : Effacez l’art. 37 et vous n’avez plus de société anonyme, parce
que c’est là qu’elle puise son caractère et ses conditions. Je répondrai à mon
honorable collègue :
Lisez le code depuis
l’article 29 jusqu’à l’art. 37 exclusivement, et vous verrez que la société
anonyme peut exister avec ou sans la condition de l’article 37.
Par l’article 29, la
société anonyme n’existe pas sous un nom social ; elle n’est désignée par aucun
des noms des associés. Par l’art. 30, la société anonyme est qualifiée par la
désignation de son entreprise. D’après l’art. 31, elle est administrée par des
gérants à temps, révocables. Voilà des conditions constitutives indépendantes
de l’art. 37 ; l’approbation royale, ou le défaut de cette approbation,
n’ajoute rien et n’ôte rien à ces caractères constitutifs et caractéristiques
par eux-mêmes. Par l’art 32, les administrateurs ne sont responsables que de
l’exécution du mandat qu’ils ont reçu ; ils ne contractent, à raison de leur
gestion, aucun engagement personnel.
En quel sens l’article
37 peut-il opérer quelque effet sur cette condition ? D’après l’article 33 les
associés ne sont passibles que du montant des sommes mises en société. D’après
l’article 34 le capital de la société se divise en actions ; d’après l’art. 35
l’action peut être établie sous le titre de mandat au porteur. D’après l’art.
36 la propriété des actions peut être établie ou transférée par l’inscription
du transfert sur les registres de la société avec la signature de celui qui
cède les actions. Eh bien, voilà toutes les règles tracées pour la définition
de la société anonyme, pour son existence, pour son exercice ; en un mot pour
sa création et son action activement et passivement. Qu’on veuille bien me dire
laquelle de ces règles répugne à l’existence ou à la non-existence de l’article
37, laquelle de ces règles a nécessairement besoin d’être appuyée de l’art. 37
pour recevoir son exécution.
Des citoyens se
réunissent en société anonyme ; ils connaissent le code de commerce ; ils
savent comment les sociétés anonymes se forment, ils savent comment elles se
gèrent ; le public qui est toujours censé connaître le code, sait aussi quels
en sont les règles, les droits et les devoirs, quelle sécurité elles
présentent, quels dangers elles offrent ; c’est à eux qu’il appartient de
mesurer le degré de confiance qu’elles méritent et à traiter ou à s’abstenir,
comme cela convient. Mais, objecte-t-on, c’est établir l’escroquerie en grand.
Je fais remarquer que jusqu’à ce qu’ils aient trompé, il n’y a pas
d’escroquerie, pas plus que de la part d’un citoyen qui prend une patente et
fait de nombreuses affaires sans l’autorisation royale. Doit-on supposer qu’il
établit l’escroquerie en petit parce qu’il n’a pas cette autorisation ?
Qu’est-ce qui forme le crédit ? Qu’est-ce qui constitue la maison de ce citoyen
? C’est la confiance qu’on lui accorde ; on la lui accorde quelquefois bien
plus à raison de son activité qu’à raison de la quotité de ses capitaux ; elle
dépend de l’intelligence, de la prudence qu’on lui suppose, et du genre de
travaux ou de spéculation qu’il entreprend, et non de la patente ou de
l’autorisation royale qu’il aurait obtenue.
La société anonyme, loin
d’être dans une position plus défavorable, présente au contraire plus de
garanties ; ses capitaux sont plus considérables ; il y a des intéressés qui
surveillent l’administration et les opérations de la société, et, tout en
veillant à leurs intérêts, ils veillent aussi aux intérêts de ceux qui
contractent avec elle... Mais, messieurs, sans entrer dans plus de détails de
faits, je crois avoir pris la question au coeur en établissant quels sont les
caractères de la société anonyme. Il est évident que de quelque manière qu’on
considère, les conditions substantielles de la société anonyme, soit d’après le
texte de l’art. 37, soit d’après la nature même de cette association, il reste vrai
et démontré qu’on pouvait faire disparaître du code l’autorisation royale, sans
rien changer à la nature et aux conséquences de la société anonyme.
Mais voyons en fait
quelles garanties le public trouve dans l’autorisation royale : qu’est-ce que
c’est que cette garantie ? On s’adresse au gouvernement ; le gouvernement
renvoie au chef de bureau, lequel déclare que, dans son opinion, la société
anonyme peut être autorisée sans danger… Sans danger : est-ce pour le commerce
? Quelles garanties la décision du chef de bureau ou de ses supérieurs
peut-elle donner au commerce ? Aucune. Un négociant peut-il, lorsqu’il s’agit
de confiance ou de sécurité, attacher la moindre importance à l’opinion d’un
commis, ou de tout autre ? Savez-vous de quel danger ce commis est préoccupé ?
de quel danger on a voulu se garantir par l’art. 37 ? C’est du danger que les
gouvernements despotiques voient partout ; ils tremblent dès qu’ils voient deux
hommes se réunir ; ils tremblent dès qu’ils voient trois hommes s’entretenir au
coin d’une rue ; ils tremblent quand ils voient deux hommes mettre ensemble des
capitaux : ces hommes peuvent payer des conspirations ! peuvent ourdir les
trames les plus noires ! ils travaillent réunis et en secret, dès lors ils sont
dangereux ! C’est pour donner de la sécurité aux gouvernements que l’art.
Je craindrais d’abuser
des moments de la chambre, si j’insistais davantage sur cette question...
M.
Lebeau. - Je demanderai la parole pour une motion d’ordre.
M.
le ministre des finances (M. d'Huart). - Nous attachons de l’importance
à la question.
M.
Gendebien. - Je n’ajouterai plus qu’un mot : Une société anonyme qui
voulait s’établir à Bruxelles a consulté sept avocats individuellement, et sans
les mettre aucunement en rapport entre eux ; l’on m’a assuré que tous avaient
été unanimes sur la question, et cela sans s’être entendus entre eux. Je suis
au nombre des avocats consultés, et je ne connais pas encore mes confrères. Mon
premier mot relativement à la question de savoir si on pouvait constituer une
société anonyme sans l’autorisation a été celui-ci : quidni, pourquoi pas ? On
m’a demandé quelques explications.
J’ai rappelé la
proposition du gouvernement provisoire ; j’ai rappelé l’esprit dans lequel sa
décision avait été prise, et l’esprit dans lequel l’art. 37 avait été mis dans
le code par les législateurs de l’empire ; j’ai conclu de ce rapprochement que
l’autorisation préalable était l’oeuvre d’un gouvernement ombrageux et qu’elle
était, depuis l’arrêté du gouvernement provisoire et la constitution, inutile ;
qu’une société anonyme qui se sera établie sans le consentement du gouvernement
pourra marcher, et que le gouvernement ne pourra l’empêcher de marcher s’il
veut respecter la constitution.
Je m’arrêterai là sur
cette matière que je regrette d’avoir été obligé de traiter sans préparation.
Puisque j’ai la parole, j’en profiterai pour dire quelque chose sur la
discussion générale du budget de l’intérieur.
Messieurs, je me suis
expliqué sur le ministère lorsqu’il s’est agi du budget de la justice, et ce
que j’ai dit alors s’applique à tous les ministres, en quelques points, et en
d’autres plus particulièrement au ministre de l’intérieur. Je n’y reviendrai
pas. Mais il me semble que quand une administration se renouvelle, on devrait
nous dire les motifs des changements de ministres, et quels seront les
principes que suivront ceux qui arrivent au pouvoir.
Il conviendrait que le
nouveau cabinet nous fît un rapport sur la situation du pays et ici cette
convenance est d’autant plus grande que le ministre qui a précédé M. de Theux
nous avait fait la promesse formelle il y a un an de nous présenter un tel
rapport. Il serait utile aussi que le gouvernement s’expliquât sur les
principes qui l’ont dirigé dans la nomination de certains gouverneurs et dans
la destitution d’autres ; car c’est mal répondre que de se borner à cette
déclaration : Le gouvernement a usé de son droit ; nous devons savoir de quelle
façon il en a usé et nous avons le droit de nous en informer.
Messieurs, je demanderai
au ministre de l’intérieur comment il se fait que lorsque la section centrale
a, l’année dernière, repoussé (ce n’était pas pour la première fois), et à
l’unanimité, des projets de construction à l’ancien hôtel van Maanen ; lorsque
la chambre les a également repoussés, comment il se fait qu’on dépense beaucoup
d’argent pour des constructions à cet hôtel ; car on y a élevé des murs déjà
assez haut. Le ministre répond qu’il n’a rien été fait clandestinement ; qu’il
a demandé l’allocation de fonds à la cour des comptes : mais l’autorisation de
cette cour ne change pas la position du ministre vis-à-vis des chambres. De ce
fait que faut-il conclure ? C’est qu’il faut recommander à la cour des comptes
d’être circonspecte à accorder des fonds, qu’il faut l’encourager dans les
refus qu’elle fait assez souvent, et qu’il faut vous-mêmes vous mettre en garde
contre la conduite des ministres. On vous a représenté que la dépense ne serait
pas sans utilité qu’elle évitera les constructions éphémères que l’on faisait
tous les ans en septembre : toutes ces choses ont été exposées devant la
section centrale et elle n’en a pas moins rejeté la dépense. Le ministre
veut-il nous engager dans des dépenses qui vont devenir une nécessité
d’allocations nouvelles, afin de tirer profit des dépenses déjà faites ? C’est,
messieurs, ce qu’on ne manquera pas de venir vous dire, lorsqu’on vous
demandera un crédit spécial et c’est ainsi qu’on respecte vos décisions, c’est
ainsi qu’on compte sur votre excessive indulgence, et qu’on en abuse en toutes
occasions.
Au sujet du chemin de
fer le ministre de l’intérieur a fort mal répondu à l’interpellation de M.
Dumortier. Cet honorable membre a faut remarquer qu’on ne voyait rien figurer
au budget pour le chemin de fer. Cependant on ne croit pas que le ministre
veuille abandonner sa construction. Le ministre a répondu que la loi avait
accordé un crédit ; en attendant que se fît l’emprunt nécessaire à l’érection
du chemin de fer, on était autorisé à émettre les bons du trésor. Mais de ce
que la chambre a indiqué et autorisé le mode de se procurer des fonds pour le
chemin de fer, peut-on en tirer les conséquences qu’on peut se passer de
l’ouverture d’un crédit au budget ?
Lisez l’article 115 de
la constitution et vous aurez la solution de cette question : « Chaque année
les chambres arrêtent le loi des comptes et le budget. Toutes les recettes et
dépenses doivent être portées au budget. » Ainsi toutes les dépenses
doivent être portées au budget et aux comptes, Eh bien la dépense du chemin de
fer cesse-t-elle d’être une dépense de l’Etat, parce qu’on vous a autorisé à
faire une émission de bons, jusqu’à concurrence de dix millions ?
On a prescrit, dans la
loi du chemin de fer, un mode pour se procurer de l’argent ; mais on ne vous a
pas dispensé de faire figurer la dépense au budget, et on n’aurait même pas pu
vous en dispenser, aux termes de l’art. 115 de la constitution.
Voici quelle serait la
conséquence du système du ministre. Si cette année on acquérait la conviction
qu’il existe un meilleur moyen de transporter les marchandises et les voyageurs,
il faudrait arrêter la dépense : le ministre pourrait-il la continuer ?
Pourrait-il venir vous dire : on ne peut pas arrêter la construction du chemin
de fer ; je suis autorisé à dépenser dix millions et je les dépenserai. Je
suppose, au contraire, que le ministre ne partageât pas l’avis de ceux qui
croient à l’utilité des chemins de fer, pourrait-il en arrêter les travaux ?
M.
A. Rodenbach. - La loi est là.
M.
Gendebien. - La loi est là ; mais comment la feriez-vous exécuter, si
le ministre veut rester inactif ?
M.
A. Rodenbach. - On le mettrait en accusation !
M.
Gendebien. - Il se défendrait en disant qu’il n’est pas forcé
d’exécuter la loi, mais seulement qu’il est autorisé à faire un chemin, mais
que rien n’a été porté au budget, qui doit contenir nécessairement toutes les
recettes et toutes les dépenses. Vous feriez une adresse au Roi, mais vous en
connaissez la valeur ! Vous savez le cas qu’on en fait.
La disposition de l’art.
115 est très sage comme vous le voyez : « Toutes les dépenses de l’Etat
doivent être portées au budget et dans les comptes » et l’on ne peut pas
alléguer une bonne raison pour se dispenser de mettre la dépense du chemin de
fer au budget ; la constitution veut qu’elle y figure et je doute qu’on puisse
répondre à cette disposition bien claire.
En voilà assez sur cet
objet ; passons à un autre.
Je désirerais aussi que
M. le ministre de l’intérieur voulût bien nous dire quelle exécution a reçue la
loi transitoire sur la garde civique : vous savez, messieurs, qu’on a enlevé
d’urgence et d’assaut cette loi, et avant même que nous eussions le rapport de
la section centrale. L’uniforme paraissait être la pierre angulaire de
l’édifice : sans uniforme, impossibilité d’organiser la garde civique. Je vous
ai déclaré que votre loi était inexécutable et je défie le ministre de
l’intérieur de l’intérieur ; en effet, comment pourrait-il l’exécuter ?
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux).
- Elle s’exécutera très bien !
M.
Gendebien. - Comment le ministre organisera-t-il le premier ban de la
garde civique ? Dans une des dispositions de la loi on a exigé que pour les
villes et communes de 5.000 habitants et au-dessous, les gardes civiques
eussent un uniforme militaire, et par une autre disposition de la même loi la
blouse reste obligatoire pour les communes au-dessous de 5,000 habitants ;
résulte de là que lorsque vous voudrez réunir je ne dis pas une légion, mais
même un bataillon de garde civique, vous aurez des hommes en tenue militaire et
des hommes en blouse, et cela en vertu de deux dispositions également
impératives de la même loi et sans que le ministre y puisse rien changer. Voila
messieurs comment les ministres font les lois.
Cette loi sur la garde
civique est cependant l’œuvre de ce ministre qui se croit infaillible et refuse
de répondre aux interpellations qu’on lui adresse sur toutes choses et qui
relativement aux gouverneurs, dit dédaigneusement : nous avons assez parlé des
gouverneurs ; de ce ministre qui garde le silence quand on le rappelle à la
constitution. Mais que les Hollandais viennent nous attaquer et vous verrez si
l’organisation de la garde civique lui est possible, si elle sera si facile
qu’il le dit.
Messieurs, j’ai vu au
budget une allocation qui m’a surpris ; la demande en est au moins prématurée,
si pas inconvenante, le ministre de l’intérieur demande cette année 550,000 fr.
pour un canal destiné à prévenir les inondations des Flandres. La dépense est
estimée en totalité à 4,600,000 fr. ; et pour peu que l’on procède dans cette
affaire comme on a procédé pour les travaux à Anvers, il n’y a pas d’exagération
à penser que la dépense pourra aller jusqu’à sept ou huit millions. Cependant,
par le traité du 15 novembre 1831 que nos ministres invoquent toujours comme la
base de notre droit politique, comme constitutif de notre indépendance et de la
royauté belge, s’il a réellement quelque valeur, nous devons nous dispenser de
faire cette dépense. L’art. 8 m’en paraît assez clair. De plus une disposition
analogue nous a été proposée dans les 18 articles ; et nos grands hommes d’Etat
avaient la conviction la plus complète, disaient-ils, que ces dispositions
seraient exécutées. Leurs convictions s’évanouissent maintenant. Toutefois
voici comment est conçu l’art. 8 du traité du 15 novembre ;
« L’écoulement des
eaux des Flandres sera réglé entre
Si nous révoquions en
doute la mise à exécution de cette disposition, ce n’est pas que le texte ne
nous paraisse pas clair ; c’est que nous étions en droit de vous demander si
les hommes qui ont accepté le traité à la honte du pays et du gouvernement,
auraient le courage de le faire exécuter.
L’événement prouve que
nous avons eu raison. Mais si nous reprochons la prématurité du projet
d’écoulement proposé par le gouvernement, c’est parce que nous trouvons qu’il
est prématuré de donner gain de cause au roi de Hollande sur un traité qu’il
regarde comme ne le liant en aucune façon.
Revenons au texte du
traité qui se réfère à un article du traité de novembre 1785. Cet article est
ainsi conçu :
« Leurs hautes
puissances (les états-généraux) feront régler de la manière la plus convenable
à la satisfaction de l’Empereur d’Allemagne (que nous représentons quant â ce
traité)... »
En exécution de ce
traité, des travaux ont été commencés, des écluses ont été construites sous la
domination autrichienne et continuées je pense sous les gouvernements qui lui
ont succédé. Eh bien je demande maintenant que le ministère s’explique sur les
motifs qui l’ont déterminé à renoncer au traité et à demander 550,000 francs
pour cette année en annonçant en même temps que la dépense totale s’élèverait à
4,600,000 fr., évaluation considérable qui donne à craindre que la dépense ne
s’élève au-delà de 8 à 9 millions. Je désire beaucoup ne pas me tromper en
déterminant ainsi la véritable dépense. Si je me trompe, ce sera probablement
en moins et non en plus.
Je demande s’il est bien
prudent de renoncer aux droits que nous assure un traité ; de renoncer sans
motifs plausibles à une stipulation qui nous dispense de faire une dépense. Je
le demande afin de savoir si nous ne recueillerons pas même le peu d’avantages
que présente le traité de 1831, après que nous nous sommes soumis à la bonté de
l’accepter, dans les conditions les plus dures et les plus humiliantes.
Il me reste à dire deux
mots sur un reproche que l’on m’a adressé indirectement, reproche qui sorte sur
ce que j’ai dit au sujet de la nomination de M. Ch. Vilain XIIII au
gouvernement de
Je le prie de remarquer
que ce que j’ai dit était textuellement extrait des discours de M. Vilain
XIIII, qu’ainsi il n’était pas besoin que j’en tirasse des conséquences,
puisque la lecture d’une pièce que chacun pouvait avoir sous les yeux ne les
inspirait que de reste. M. Vilain XIIII s’est proclamé le séide du pouvoir
absolu et de l’arbitraire. Cela est écrit en toutes lettres dans deux colonnes
du Moniteur, ce n’est pas moi qui
l’ai accusé, c’est lui-même qui s’est constitué partisan de l’arbitraire et des
coups d’Etat. Quand pour l’excuser, l’orateur cherche à expliquer le discours
de son ami par la situation du pays à l’époque où il fût prononcé, j’applaudis
au sentiment qui l’a inspiré, mais qu’il ne vienne pas dire que M. Vilain XIIII
était indigné d’actes qui avaient déshonoré la révolution. Qu’il ne prenne pas
acte des paroles de M. le vicomte Vilain XIIII pour médire du bon peuple et
encore pour l’accuser ; s’il a pillé, c’est qu’on l’a laissé faire. Si on l’a
laissé faire, un ministre vous l’a dit, c’est parce qu’il pillait aux cris de
vive le Roi, et qu’il était difficile de faire agir la troupe contre de pareils
cris. Le coupable ce n’est pas le peuple ; c’est celui ou ceux qui laissaient
faire. Je dois relever les paroles du même orateur qui a dit que ces événements
entachaient la révolution belge d’une honte ineffaçable. La révolution n’est
nullement coupable de ces actes. Si ces actes ont entaché quelque chose, c’est
la contre-révolution, c’est-à-dire le gouvernement actuel et non pas la
révolution, qui est restée étrangère à cette machiavélique combinaison.
Je m’élèverai également
contre un passage du discours de qui a parlé dans la séance précédente, passage
qui ferait presque croire à une source commune entre ce discours et celui qu’il
entreprend de justifier. Le voici :
« Car tous les
publicistes admettent qu’il est pour les sociétés comme pour les individus des
« devoirs antérieurs » (à la constitution sans doute) qu’ils ne
sauraient méconnaître sous peine d’existence. »
Ainsi, messieurs, dans
toute société, il y a des devoirs antérieurs ; on parle aujourd’hui de devoirs
; demain l’on parlera de droits antérieurs. Le roi Guillaume avait été plus
loin. Il avait parlé, mais après 15 ans de règne, de ses droits antérieurs.
Plusieurs membres de cette assemblée peuvent se rappeler que la vigueur de
logique et de raison, la doctrine du roi Guillaume a été réfutée. Ici les
devoirs antérieurs de M. Vilain XIIII ne sont qu’un avant-goût des prétentions
du roi Guillaume. On parle du devoir d’employer l’arbitraire pour réprimer le
désordre. Ces devoirs ressemblent singulièrement à des droits. Quand l’on parle
de ses devoirs, c’est que l’on croit avoir le droit d’user de ses armes. Si le
gouvernement, si les hommes qui l’appuient persistent dans cette voie de
devoirs ou des droits antérieurs, je leur prédis une révolution nouvelle un peu
plus tard, car les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets. Le peuple
qui prendra patience voudra à son tour reprendre ses droits antérieurs, et il
en datera la pleine jouissance de l’époque nouvelle de son émancipation de 1830
; si je vous le prédis, je ne serai pas coupable de ce fait. Car je vous ai
annoncé que je m’en tiens et m’en tiendrai toujours à ma stricte exécution de
la constitution.
Pour justifier la
doctrine de M. le vicomte Vilain XIIII, on a dit que tous les pouvoirs avaient
successivement usé de l’aristocratie. On a été jusqu’à accuser le congrès
d’avoir fait de l’arbitraire en prononçant l’exclusion à perpétuité de la
famille de Nassau et de sa descendance la plus reculée. Que l’on taxe
d’arbitraire cet acte, qu’importe. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’il était
inutile, attendu que la dynastie des Nassau, avait été, comme je l’ai dit à
cette époque, enterrée au Parc par nos braves volontaires. Je n’ai pas cru moi
que c’était un acte arbitraire. La nation a usé de son droit, elle n’avait pour
règle de conduite que sa volonté pure et simple et son droit imprescriptible de
reprendre la plénitude de sa souveraineté : que les hommes du pouvoir appellent
cela de l’arbitraire, je le conçois.
Le régent, nous dit-on,
a violé aussi la constitution en annulant les élections de Gand, en substituant
à une régence orangiste une administration patriote. Ce n’est pas le régent,
c’est le gouvernement provisoire qui a pris sur lui de dissoudre un corps
municipal hostile à la révolution ; c’est au moment même de l’entreprise de
Grégoire, alors que le sang versé par la trahison était encore fumant sur les
pavés de Gand. Il est possible que le gouverneur de
Je n’ai pas signé cet arrêté.
Si j’avais été à Bruxelles, j’aurais pu le signer sans faire de l’arbitraire.
Mon honorable collègue M. de Brouckere l’a démontré, c’était une disposition
transitoire. C’était huit jours après la défaite de l’armée hollandaise à
Bruxelles, alors que les troupes qui l’a composaient étaient encore à Vilvorde,
à Dieghem, c’est-à-dire à deux lieues de Bruxelles, alors qu’il arrivait de
toutes parts des agents de l’ennemi pour empêcher de rétablir l’ordre et une
armée. Eh bien, en l’absence de toute constitution et de toute loi, le
gouvernement provisoire crut devoir prendre un arrêté qui donnait aux autorités
le pouvoir d’interdire l’entrée du pays aux étrangers qui arrivaient sans que
l’on sût s’ils venaient défendre ou contribuer à renverser la cause très
chanceuse de la révolution.
L’honorable M. de
Brouckere loin de blâmer le gouvernement provisoire a trouvé que sa conduite
était justifiée par le texte même de l’arrêté inculpé et que le ministre au
contraire pouvait lire sa condamnation dans une disposition toute provisoire,
toute de circonstances et qui devait disparaître avec elles. C’est ainsi qu’en
l’an IV on a fait une loi nouvelle sur le même objet parce que le législateur
avait considéré la loi de 93 comme ayant répond aux besoins du moment, mais
comme ne devant plus servir de règle de conduite, les circonstances n’étant
plus les mêmes. C’est ainsi que le législateur de l’an VI en présentant sa loi
a dit qu’elle ne ferait pas partie des codes. Et en effet les codes ne l’ont
pas reproduite, et ce silence implique soit à lui seul son abolition, si cette
abolition ne résultait pas déjà de la loi fondamentale et de la constitution.
Je ne m’étendrai pas sur
ce sujet. J’ai voulu justifier le gouvernement provisoire du prétendu arbitraire
d’un acte dont on s’est appuyé pour défendre la doctrine de M. Vilain XIIII.
Un autre orateur a dit :
On a trouvé mauvais dans cette chambre que l’on eût recherché l’opinion émise
par M. Eugène Desmet. Il s’agissait alors de la destitution d’un député
fonctionnaire, par M. Rogier ; et l’on trouve mauvais aujourd’hui que l’on
n’ait pas recherché la conduite de M. Vilain XIIII pour sa nomination. Voyez
quelle contradiction.
En effet, il y a une
grande contradiction dans la logique de l’orateur. Lorsque M. Desmet fut
destitué, le ministre de l’intérieur fut interpellé sur les motifs de cette
destitution. Il déclara qu’il avait pris cette mesure à cause des opinions
émises par cet honorable membre comme représentant, et parce qu’il votait
toujours contre le gouvernement. Alors nous avons invoqué l’art. 44 de la
constitution : « Aucun membre de l’une ou de l’autre chambre ne peut être
poursuivi ou recherché à l’occasion des opinions et votes émis par lui dans
l’exercice de ses fonctions. » Le reproche était fondé. Il y avait
violation de la constitution par le ministre.
Aujourd’hui on prétend
que nous reprochons au ministre de n’avoir pas recherché l’opinion de M. Vilain
XIIII pour le nommer gouverneur de
Cette opinion, je
l’appuie sur la destitution même des deux fonctionnaires les plus honorables de
notre pays. Je porte à MM. les ministres le défi le plus formel d’articuler un
seul fait à la charge, soit de M. Hennequin, soit de M. de Puydt. Mais ces hommes étaient trop libéraux. Ils avaient
tous les deux, depuis 40 ans, donné trop de preuves d’attachement à leur pays,
sous tous les gouvernements qui se sont succédé. Notez bien que tous deux ont
été successivement destitués ou disgraciés chaque fois que les gouvernements
qui les avaient nommés ou trouvés en place sont devenus despotiques.
Si
donc vous destituez MM. Hennequin et de Puydt, parce que vous les trouviez trop
libéraux, je suis en droit de dire que vous avez nommé M. Vilain XIIII à cause
de ses doctrines sur l’arbitraire ; parce que vous avez été rechercher ses
opinions, parce que ses opinions cadraient avec les vôtres. Il est inutile que
je démontre toute la contradiction qu’il y avait dans les paroles de l’orateur
qui était si peu fondé à nous renvoyer une pareille accusation. Il y a loin de
la violation de la constitution que commet le ministre en destituant un
fonctionnaire pour opinion émise dans cette chambre, aux reproches que nous
pouvons adresser à un ministre pour avoir choisi une personne dont les discours
ont pu faire prévoir la ligne de conduite illibérale comme fonctionnaire. On
peut dire au gouvernement : Vous l’avez récompensé pour son opinion, pour le
conseil qu’il a osé le premier vous donner d’user de l’arbitraire le plus
large.
Messieurs, je craindrais
d’abuser les moments de la chambre, si j’en disais davantage. Je dirai pour le
ministre de l’intérieur ce que j’ai dit pour le ministre de la justice et des
affaires étrangères. Le ministre de l’intérieur n’a pas ma confiance. Je ne lui
allouerai pas un écu. Je voterai contre son budget.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux).
- L’honorable préopinant a commencé par demander les motifs de la formation du
ministère actuel, je lui répondrai que la formation du ministère est une
prérogative royale et nous n’avons pas à expliquer les motifs de l’usage que le
Roi a cru devoir faire de cette prérogative, En ce qui concerne les principes
de notre conduite, ils se trouvent dans la constitution, dans les lois et dans
l’intérêt du pays. Voilà les principes que nous tâcherons de professer.
Le préopinant a regretté
que je n’aie pas fait précéder la discussion du budget de mon département d’un
rapport sur l’état intérieur du pays. Je ferai d’abord remarquer à la chambre
que de nombreux documents sont en sa possession.
En effet, les rapports
des gouverneurs sur l’administration de leurs provinces qui concernent les
faits principaux relatifs à l’administration intérieure ont été publiés dans le
cours de l’année dernière. Ils ont compris tous les événements qui se sont
passés dans les provinces depuis l’époque de la révolution. Une infinité
d’autres documents de la plus haute importance ont été communiqués à
l’assemblée, à l’appui des budgets et des projets de loi. Il est peu de
matières sur lesquelles il n’en ait pas été communiqué.
Au surplus, lorsque
l’organisation de l’administration intérieure sera plus avancée, lorsque les
travaux qui absorbent tous mes moments me le permettront, je me ferai un
plaisir de livrer à la chambre le rapport qu’elle pourra désirer.
Le même orateur a
demandé à quel point d’exécution se trouvait la loi sur la garde civique que la
chambre a votée avant son dernier ajournement. J’informe le préopinant que différentes
instructions sur cette loi ont été adressées aux autorités chargées de son
exécution. Sous peu de jours, l’uniforme de la garde civique sera arrêté. Ce
n’est que lorsque les conseils cantonaux auront terminé leurs opérations que la
loi pourra recevoir son entière exécution. Je déclare que l’on ne perdra pas de
temps pour arriver à cette organisation tant désirée : le même orateur a pensé
qu’il y avait dans la loi des dispositions relatives à l’uniforme qui devaient
en paralyser l’effet. L’honorable membre est dans l’erreur. S’il s’agit du
service intérieur des communes, on ne verra pas cette diversité d’uniformes que
signale l’orateur, puisque les gardes civiques d’une même commune auront un
même uniforme. S’il s’agit d’un service actif, l’on sait que c’est le
département de la guerre qui pourvoit à l’habillement de tous les gardes
mobilisés, de manière que tous ont un uniforme militaire quand ils sont en
activité.
L’on a parlé de la
nécessité de porter au budget du département de l’intérieur de la présente
année l’allocation votée l’an dernier par la chambre, pour l’exécution du
chemin de fer. Cette prétention n’est pas fondée. Je vais le prouver par un
exemple tiré de la loi même.
L’an dernier, ce crédit
a été voté en dehors du budget, il ne fait pas partie du budget de 1834.
Cependant il entrait bien dans l’intention de la chambre que le gouvernement
usât de ce crédit et qu’aussitôt la loi votée, les travaux fussent commencés.
Il est évident que la loi a tranché cette question. Pour quel motif voudrait-on
remettre en question une décision du pouvoir législatif ? La loi a alloué un
crédit ; à quoi bon remettre ce crédit dans le budget ? Je craindrais que cette
manière de procéder n’amenât quelques inconvénients pour l’exécution même du
chemin de fer.
Je crois donc qu’il est
plus convenable de s’en tenir à la loi qui a décrété cette construction.
Un orateur a encore
parlé des expulsions. Je ne rentrerai plus dans cette discussion, que je
considère, ainsi que je l’ai dit relativement à celle sur les gouverneurs,
comme terminée. Je ferai remarquer cependant, que nous n’avons pas considéré
les expulsions faites comme tellement impératives, que nous ayons cru ne pas
pouvoir y apporter des adoucissements, quels qu’en eussent été les motifs.
C’est cette considération qui nous a guidés dans plus d’une circonstance. On a
parlé de l’arrêté du 6 octobre 1830, relativement à l’entrée des étrangers en
Belgique.
On a demandé si cet
arrêté était encore en vigueur. Messieurs, il est de principe qu’une loi reste
en vigueur aussi longtemps qu’elle n’est pas expressément rapportée, à moins
qu’elle ne porte en elle-même le terme de sa durée. Je sais qu’on peut
considérer l’arrêté-loi du 6 octobre 1830 comme une mesure de circonstance.
Mais il est à remarquer que plusieurs lois portées dans des circonstances
extraordinaires, et qui paraissaient avoir été motivées sur des circonstances,
ont cependant reçu une application ultérieure, attendu qu’elles n’avaient pas
été expressément rapportées. Je pourrais
apporter à l’appui de ce que je viens de dire des décisions de tribunaux.
Au reste, en fait, on
admet les étrangers qui sont munis de passeport, et on les admet sans
difficulté. Quant aux étrangers qui se présentent à la frontière sans
passeport, on les oblige à se pourvoir d’un passeport belge, et avant de le
leur délivrer, on s’enquiert si des motifs d’ordre public ne s’opposent point à
leur entrée dans le pays. Sous ce rapport, on ne peut qu’approuver la conduite
de la police.
En parlant de
l’administration de la sûreté publique, on a dit qu’elle n’avait rien fait lors
des événements du mois d’avril. Je me rappelle cependant que parmi les
documents publiés à l’occasion de ces événements, il en est qui constatent que
l’administration de la sûreté publique avait fait des rapports sur ce qui se
passait, au moins dans la journée du 5 avril.
Mais, dit-on, cette
police n’a ni signalé ni recherché les auteurs des pillages, La recherche des
auteurs des délits entre beaucoup moins dans les attributions de la sûreté
publique, que dans les attributions de la police judiciaire et de la police
municipale. C’est particulièrement cette police-là qui est chargée de
rechercher les auteurs des délits et de les livrer à la justice.
Mais, ajoute-t-on,
l’administrateur de la sûreté publique qui s’effraie facilement, n’était occupé
à cette époque qu’à surveiller des républicains. Je ne rechercherai pas jusqu’à
quel point l’administrateur de la sûreté publique s’est effrayé plus ou moins
facilement, à tort ou à raison. Je rappellerai seulement qu’à cette époque il y
avait en France des mouvements républicains, et que l’administration de la
police a pu porter son attention sur cet objet.
On a encore critiqué
l’administration de la police relativement à des mesures de précaution prises
dernièrement. Mais ces mesures de précaution n’étaient pas seulement le fait de
l’administration du la sûreté publique, mais aussi de la police municipale. Je
crois, au reste, que les lois font un devoir à la police de prendre quelques
mesures de précaution, quand elle pense possible qu’il arrivât quelque
désordre. Les désordres, de quelque nature qu’ils soient, tendent toujours à
troubler la sécurité des habitants.
Je dois cependant dire
que c’est à tort qu’on a cru que le ministre de l’intérieur aurait réclamé
quelque garde de sûreté. Je dois déclarer qu’il n’en est absolument rien.
J’ignorais même que des soldats eussent stationné près du ministère. D’après ce
que j’avais entendu dire, j’ai pris des informations et j’ai appris que
quelques soldats seulement s’étaient arrêtés momentanément dans la rue non loin
du ministère, mais je puis assurer encore qu’ils ne stationnaient pas là par
ordre et que c’était par l’effet d’une circonstance fortuite qu’ils s’étaient
trouvés momentanément arrêtés plutôt dans cette rue que dans telle autre.
M. de Brouckere. - Je n’ai fait que citer le
fait.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux).
- Comme je viens de le dire j’ai pris des informations d’après ce que j’avais entendu
dire et j’ai appris qu’aucun ordre n’avait été donné à cet égard.
L’honorable député de
Bruxelles a parlé des indemnités à accorder aux victimes des dégâts commis par
les Hollandais et il a demandé quelle marche je comptais suivre à cet égard.
Messieurs, la chambre est saisie d un projet de loi, il a déjà été examiné par
les sections et il se trouve en ce moment soumis à l’examen de la section
centrale. Je fournirai à cette section tous les renseignements qu’elle croira
utile de réclamer et j’attendrai le rapport qu’elle fera sur la matière, avant
de me prononcer ultérieurement.
L’honorable député de
Dinant en parlant de l’instruction publique a manifesté le vœu qu’elle fût
réorganisée dans le courant de cette année. Je partage son désir, et je pense qu’il
ne faudrait pas tarder à s’occuper de l’examen de cette loi dans les sections ;
on pourrait de cette manière espérer de la voir voter dans le courant de cette
session.
Le même orateur a parlé de
l’inégalité de la répartition du subside accordé pour l’instruction moyenne, et
il s’est plaint de ce que certaines villes en reçussent une part assez large,
tandis que d’autres n’en avaient aucune. Je pense, messieurs, que ce n’est pas
le moment de toucher à la répartition actuelle et qu’il faut pour cela attendre
le vote de la loi sur l’instruction publique et la mise à exécution de la loi
provinciale. Vous savez que la loi provinciale introduit des changements sur
cette matière, que d’après cette loi, ce serait les provinces qui devraient
principalement fournir des subsides aux villes qui en auront besoin.
Pour ce qui concerne
l’administration du temporel des cultes, le même député de Dinant a cru qu’il
existait quelque lacune. Aucun changement n’y a été apporté depuis la
révolution, les dispositions qui régissaient cette administration sous le
précédent gouvernement continuent à la régir aujourd’hui.
A l’occasion du crédit
demandé pour l’ouverture du canal d’écoulement des eaux des Flandres,
l’honorable députe de Mons s’est demandé si le gouvernement n’avait pas quelque
vue politique en demandant ce crédit. Non, messieurs, cette demande n’a été
faite par aucun motif politique. Elle est uniquement dans l’intérêt des
Flandres. Je dirai que, eût-on obtenu l’écoulement le plus libre par
On a encore parlé
aujourd’hui de la dépense faite à l’emplacement de l’hôtel de l’ancien
ministère de la justice ; on a demandé la dépense que le gouvernement se
proposait d’y faire, et s’il comptait continuer les constructions commencées.
Je répondrai que je ne compte pas continuer avant d’avoir obtenu un crédit
spécial des chambre. Du reste, les constructions étaient commencées et elle
n’ont été continuées qu’autant qu’il était nécessaire pour ne pas compromettre
les travaux déjà faits. Je dois ajouter que la dépense est très minime et qu’il
n’y a rien de perdu.
L’honorable député de
Namur a demandé mon opinion relativement à l’existence de l’art. 37 du code de
commerce qui soumet les sociétés anonymes à l’approbation du gouvernement. Les
questions soulevées à l’occasion de cet art. 37 sont évidemment de la
compétence des tribunaux ; ce sera à eux à prononcer sur les effets d’une
société non approuvée, soit à l’égard des sociétaires, soit à l’égard des
tiers. C’est alors que la question se présentera sur son vrai terrain. Mais
aujourd’hui, je crois pouvoir dire que dans mon opinion les sociétés anonymes
ont intérêt à obtenir l’approbation du gouvernement. Je crois qu’on peut dire
avec raison qu’une telle société formée sans l’autorisation du gouvernement,
n’aura pas tous les effets que le code de commerce assigne à ces sociétés quand
elles ont reçu l’approbation. Toutefois, je ne pense pas qu’aucune mesure
puisse être prise par le gouvernement, pour forcer à lui demander son
autorisation. Ce sera à elles à défendre leurs intérêts devant les tribunaux
quand l’occasion s’en présentera.
Mais, a dit le député de
Mons, l’approbation du gouvernement est inutile, elle se donne sur l’examen
d’un employé de bureau, il n’y a là aucune garantie pour le public. C’est
encore une erreur de fait. Lorsqu’il se présente quelque question délicate
relativement à une société de ce genre, l’administration supérieure a soin de
s’entourer des lumières d’hommes compétents sur la matière. C’est ainsi que
dans une circonstance importante, je me rappelle d’avoir refusé l’approbation
aux statuts d’une société, après les avoir soumises à l’examen des chambres de
commerce, parce que leurs rapports m’ont démontré que l’établissement de cette
société n’était pas dans l’intérêt général.
Il
reste donc vrai de dire que l’approbation du gouvernement offre toujours une
certaine garantie au public ; ce qui le prouve, c’est l’empressement que
mettent les sociétés anonymes à demander cette approbation.
Je crois avoir répondu
sur les principaux points de la discussion. J’attendrai que de nouvelles
observations soient faites pour y répondre. Je m’en tiendrai pour le moment à
ce que je viens de dire.
M.
Lebeau. - J’avais demandé la parole pour une motion d’ordre, mais je
suis embarrassé de qualifier ainsi les observations que je me proposais de
soumettre à la chambre, car il ne s’agissait pour moi que d’exposer des doutes
sur l’utilité de la controverse qu’on élève à l’occasion des sociétés anonymes.
Je pensais que cette discussion était complètement oiseuse. J’ai entendu dire
qu’il fallait éclairer le public. Mais je me demande comment la chambre
pourrait éclairer le public sur cette question ?
Je me demande ce que le
public a appris, par exemple, lorsqu’il a entendu l’honorable M. Fallon
soutenir que l’art. 37 du code de commerce subsiste, et l’honorable M.
Gendebien prétendre que cet article a été virtuellement abrogé par une
disposition du gouvernement provisoire.
Je vous demande, quand
vous aurez entendu dix orateurs qui se rangeront les uns sous la bannière de M.
Fallon, les autres, sons celle de M. Gendebien, ce que le public saura de plus
qu’aujourd’hui. On s’engage dans une voie sans issue, on tourne dans un cercle
dont on ne peut sortir. Il y a au moins doute sur la question ; ce que le
public doit savoir, et il le savait déjà par les actes de l’administration,
c’est que le gouvernement se croit en droit d’accorder des autorisations aux
sociétés anonymes, sans cependant qu’il puisse forcer de recourir à lui celles
qui n’en auraient pas la volonté ; libre à elles de s’exposer aux chances du
défaut.
Je crois que malgré la
conviction avec laquelle M. Gendebien a exprimé son opinion, il ne se croit pas
infaillible, alors surtout qu’il est combattu par un de ses honorables
collègues qui fait autorité dans cette matière.
Je crois que si
l’honorable M. Gendebien était consulté sur ce point, il répondrait à ses
clients que s’il ne croit pas l’autorisation nécessaire, il pense que ce qui
abonde ne nuit pas, et qu’ils se feraient une cuirasse contre toutes les
chicanes éventuelles, en demandant l’autorisation au gouvernement. Voilà ce que
tout jurisconsulte prudent, malgré la conviction de l’inutilité de
l’autorisation, ne manquerait pas de conseiller à ceux qui voudraient former
une société anonyme.
Remarquez qu’on n’oblige
personne. Une société anonyme ne demande l’autorisation du gouvernement
qu’autant qu’elle le veut ; la loi ne peut pas atteindre celles qui ne
voudraient pas la demander. L’art. 37 du code de commerce n’a pas de sanction.
La question ne peut avoir d’autre solution que par la décision du pouvoir
judiciaire. Il n’appartient qu’au pouvoir judiciaire de la traiter, à moins
qu’on ne fasse une proposition législative ; car de la manière que la question
est engagée, il n’y a aucun moyen possible même de faire connaître au pays
l’opinion de la chambre, car sur quoi votera-t-on ? y a-t-il une proposition
sur laquelle la chambre puisse émettre un vote ? Quand nous aurons discuté
pendant trois jours, et la matière est assez fertile en arguments divers pour
occuper pendant trois jours des orateurs pour et contre, nous n’en serons pas
plus avancés.
Voilà
les réflexions que je me proposais de soumettre à la chambre, non pas pour
fermer la bouche à mes collègues, mais pour leur rappeler combien nous sommes
pressés par le temps, pour leur faire observer que les ministres, au moins le
ministre des finances, si nous ne nous hâtons de voter les budgets, se verront
dans la nécessité de nous demander des crédits provisoires. J’ai voulu soumettre
à la chambre mes doutes sur la question de savoir s’il ne serait pas utile
d’abandonner une discussion sur une matière qui paraît être plutôt du ressort
des tribunaux que de la législature.
M.
le président. - La chambre entend-elle continuer la discussion générale
ou s’occuper de la proposition incidente ?
M. de Robaulx. - M. Lebeau n’a pas formulé
de proposition.
M.
Gendebien. - Je demande la parole sur la motion d’ordre.
Je dois repousser
l’accusation qu’on m’a adressée dans les termes les plus bienveillants, il est
vrai, d’avoir voulu occuper la chambre d’un objet qui n’est pas à l’ordre du
jour.
Messieurs,
en me levant je n’ai fait que répondre très sommairement à ce qu’avait dit
l’honorable M. Fallon, tout en déclarant que je ne croyais pas que ce fût le
lieu de traiter la question, à moins que la chambre voulût se constituer en
cour de justice. J’aurais appuyé la réponse que j’ai cru devoir faire de moyens
plus péremptoires, si la chambre avait été appelée à prononcer sur la question.
Mais, je n’ai voulu autre chose qu’empêcher qu’on ne crût dans le public, que
l’opinion généralement admise par la chambre, était que l’art. 37 du code de
commerce subsistait, ce qui serait arrivé si tout le monde avait gardé le
silence ; je n’ai voulu autre chose que faire voir que tout le monde ne
partageait pas l’opinion de M. Fallon.
Si on traite cette question au fond, j’appuierai d’autres arguments l’opinion
que j’ai émise, sans prétendre en aucun cas être infaillible.
Je ne conteste pas au
gouvernement le droit d’accorder des autorisations aux sociétés anonymes, mais
je lui conteste le droit de forcer à les demander.
M.
Fallon. - Je ne pense pas que les observations que j’ai présentées à la
chambre aient été inconvenantes ou faites mal a propos. Les autorisations
accordées aux sociétés anonymes sont dans les attributions du ministre de
l’intérieur, nous nous occupons du budget de ce ministère et il est d’usage que
dans la discussion générale du budget du ministère, on passe en revue tout ce
qui est relatif à ce ministère.
Dans une discussion
précédente, deux orateurs ont exprime l’opinion que l’art. 37 du code de commerce
avait été abrogé par l’arrêté du gouvernement provisoire, je ne partageai pas
cette opinion, mais j’ai cru que pour le moment il était inutile d’engager une
discussion sur ce point, me réservant, quand l’occasion s’en présenterait,
d’appeler l’attention du public sur ces sociétés anonymes qui se formaient sans
l’autorisation du gouvernement et de faire voir les graves inconvénients qui en
résulteraient.
La discussion du budget
de l’intérieur fournit l’occasion d’éveiller l’attention du public sur cette
question importante, j’en ai profité.
Je ne demande pas pour
le moment à répondre à l’honorable M. Gendebien, ce qui me serait facile, car
moi aussi j’ai la conviction de l’opinion que j’ai émise, mais je ne le ferai
pas. J’attendrai que la chambre soit directement saisie de la question.
M. le président. - Je demanderai à la chambre si
elle veut continuer la discussion générale en suivant l’ordre des inscriptions,
ou si elle veut entendre les orateurs qui se proposent de parler sur la
question spéciale soulevée par quelques honorables membres.
Plusieurs membres. - Suivant les inscriptions !
M. Lebeau. - Je demande la parole pour abréger la
discussion.
Je comprends très bien d’après
les observations qui me sont adressées, qu’il n’y a pas à voter sur ce que j’ai
qualifié de motion d’ordre. Je n’ai voulu que communiquer à la chambre des
réflexions qui paraissaient partagées par plusieurs de mes collègues. Mais je
n’avais nullement l’intention de donner une leçon aux honorables membres qui
prennent part à la discussion ; je n’ai pas une telle fatuité ; mon seul but
était d’épargner les moments de la chambre.
M.
Dechamps. - Je n’ai pas pris la parole pour entrer dans le fond de la
discussion déjà si longue du budget de l’intérieur, mais pour présenter
quelques observations sur la réponse que M. le ministre a faite à l’honorable
député de Bruxelles relativement à l’indemnité à accorder à ceux qui ont souffert
dans leurs propriétés lors des journées de septembre.
M. le ministre a répondu
que la section centrale était saisie d’un projet de loi sur cette matière. Je
ferai observer que les auteurs d’une pétition qui vous a été adressée ce matin
soutiennent que les dispositions du projet soumis à la chambre ne peuvent
s’appliquer aux désordres dont ils ont été victimes. Il ne veulent pas
d’indemnité à titre de secours et de largesse, comme cela est établi au projet
de loi dont il s’agit, ils n’en veulent qu’à titre de justice absolue et de
paiement intégral. Cette opinion est appuyée d’une consultation signée de
Merlin, Dupin et Parquin.
S’il
est vrai, comme ces jurisconsultes le prétendent, que cette indemnité constitue
un droit sacré, une dette nationale, n’y aurait-il pas de l’injustice à laisser
cette question plus longtemps dans le doute ? Ne serait-il pas temps de rendre
justice à des hommes qui la réclament depuis cinq ans ? Je sais qu’on a
généralement mauvaise grâce à demander qu’on grossisse le budget, à proposer un
surcroît de dépense ; mais il y a quelque chose, à mon avis, que nous devons
placer avant toute pensée d’économie, c’est l’acquittement d’une dette
nationale, si cette dette existe.
Je demanderai si M. le
ministre ne croit pas possible de porter une certaine somme au budget, pour
ceux dont les propriétés ont été incendiées en septembre, puisque, d’après leur
pétition, ils ne veulent pas être compris dans le projet de la section
centrale.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux).
- Je pense qu’il n’y a pas lieu de statuer immédiatement sur la pétition
adressée à la chambre, mais qu’il y a lieu de la renvoyer à la section centrale
chargée de l’examen du projet loi relatif aux indemnités. La question de principe
soulevée par l’honorable préopinant a déjà été examinée par les sections. On
s’est demandé s’il y avait un droit rigoureux à l’indemnité, ou seulement un
motif d’équité pour indemniser en partie. Maintenant la section centrale est
appelée à présenter son rapport. C’est donc à elle que vous devez renvoyer les
pétitions des propriétaires qui prétendent avoir droit à une indemnité entière.
Nous ne pouvons pas discuter incidemment à l’occasion du budget une question
aussi importante. Elle a une portée extrêmement grave ; elle mérite les
honneurs d’un rapport spécial de la part de la section centrale.
C’est ainsi que la
chambre a toujours agi quand elle a été saisie de projets de loi analogues et
que des pétitions lui sont adressées.
M. de Robaulx. - Mon intention, messieurs,
n’est pas de revenir sur la discussion générale du budget du ministère de
l’intérieur. Je ne veux que protester, dans l’intérêt du gouvernement
représentatif, contre la manière adoptée par le ministre de l’intérieur, qui
vous dit : J’ai déjà répondu à cela, je n’y répondrai plus ; ou : Cela rentre
dans la prérogative royale. J’avais cru que, dans un gouvernement
représentatif, un représentant avait le droit d’adresser des questions à tous
les ministres et que ceux-ci ci étaient tenus d’y répondre. J’ai demandé des
explications sur les destitutions et les nominations des gouverneurs. M. le
ministre de l’intérieur s’est levé et a dit : J’ai déjà répondu à cet égard et
je n’y reviendrai plus.
Aujourd’hui l’honorable
M. Gendebien l’interroge sur le système qui a préside à la formation du
cabinet, le ministre répond qu’il n’a rien à répondre à ce sujet, parce que
cela appartient à la prérogative royale. Cette manière d’éluder les questions
me rappelle certain avocat-général qui introduisait dans tous ses réquisitoires
: Il faut le dire... Nous l’avons dit.. et nous disons, et qui malgré tous ces
mots ne disait rien du tout. Le ministre nous a répondu, et nous sommes aussi
savants qu’auparavant.
Quelle est la cause du
mutisme du ministère ? En peu de mots, je vais vous la faire connaître. Je dois
pourtant faire précéder ceci d’une observation que je vais faire. En
Angleterre, en France, où le doctrinarisme ne le cède pas beaucoup à l’opinion,
les ministres sortants rendent compte du motif de leur retraite, comme ceux qui
arrivent rendent compte du motif de leur entrée aux affaires. Nous avons vu ces
explications données, dans le dernier tripotage du gouvernement de
Louis-Philippe, par M. Thiers et M. Guizot l’apostat. (Hilarité.)
En Angleterre, c’est la
même chose ; les ministres expliquent leur plan de conduite, et ils ne
craignent pas de blesser la prérogative royale. Je crois devoir donner le motif
de la manière d’agir des ministres de notre gouvernement. Quand un ministère
trouve que la majorité est tant soit peu flottante, rien n’est plus aimable que
lui ; il va au-devant de toutes les questions ; il vous donne toutes les
explications désirables ; en un mot, il est bavard. (On rit.)
Quand,
au contraire, la majorité est bien compacte et qu’enfin leur tranquillité est
bien entière, ces messieurs se cramponnent sur leurs grands chevaux et ils
répondent avec hauteur. Comme jusqu’à présent il n’existe pas de machine à
vapeur pour leur ouvrir la bouche malgré eux (rires prolongés), nous nous bornerons à exécuter notre devoir et
nous ne chercherons pas à vouloir l’impossible. Quand ces messieurs du
ministère deviendront un peu plus complaisants, nous aurons alors le
thermomètre du crédit qu’ils croient avoir.
Je conseille donc à mon
honorable collègue et ami M. Gendebien de se consoler avec moi du silence
obstiné et systématique de M. de Theux. Nous sommes justiciables du pays. Il
jugera. Si le pays veut savoir son état véritable, il enverra à la chambre des
hommes qui nous seconderont ; il paraît pourtant qu’il est très satisfait de
ses honorables représentants, puisqu’il les envoie parmi nous : quant à nous,
sans en dire davantage, nous nous asseyons non contents, mais résignés.
M.
Coghen - Je ne comptais pas prendre la parole dans la discussion
générale du budget de l’intérieur, réservant les observations que je voulais
soumettre à la chambre pour la discussion des articles ; mais une question
grave, d’une haute importance, a été soulevée. Bien que je ne sois pas préparé
à la discussion, je crois toutefois de mon devoir d’y prendre part,
quoiqu’après le discours très savant prononcé par l’honorable M. Fallon, il
puisse paraître présomptueux de vouloir fixer un instant votre attention.
L’objet traité par
l’honorable député de Namur concerne les sociétés anonymes, pour lesquelles il
paraît qu’on juge inutile de réclamer l’autorisation du gouvernement. C’est
dans l’intérêt, non seulement de ceux qui s’engagent dans ces sortes
d’associations, mais aussi dans l’intérêt du public et des personnes qui
traitent avec ces sortes d’associations, que j’estime convenable de solliciter
un instant votre attention.
Les art. 29, 30, 31, 32,
33, 34, 35 et 36 du code de commerce, règlent la forme sous laquelle elles
existent, leur dénomination, la manière dont elles sont administrées, les
obligations des administrateurs et des intéressés, fixent aussi les bornes des
engagements que contractent les associés.
Ces mêmes articles
parlent du capital, des actions et du mode de transfert, L’art. 37 dit, d’une
manière formelle, que la société anonyme ne peut exister qu’avec l’autorisation
du gouvernement et avec son approbation pour l’acte qui la constitue. Cet acte
doit être publié, en vertu de l’art. 40. Et l’art. 45 veut que l’autorisation
du gouvernement, conjointement avec l’acte d’association, soient affichés
pendant trois mois au greffe du tribunal de commerce, de l’arrondissement où
est le siège de la société.
Ces dispositions du code
ont formé jusqu’à la révolution et forment encore la législation sur cette
matière. Depuis est survenu un arrêté du gouvernement provisoire, le 16 octobre
1830, qui proclame la liberté d’association politique, religieuse,
philosophique, littéraire, industrielle et commerciale ; il défend aussi toute
mesure préventive contre le droit d’association. L’article final du même arrêté
abroge les articles des codes civil, pénal et de commerce qui gênent la liberté
de s’associer. La constitution belge par son art. 20 établit le droit pour les
Belges de s’associer, et déclare qu’on ne peut le soumettre à aucune mesure
préventive. Il résulte à mes yeux de ces dispositions le droit incontestable
pour les Belges de pouvoir s’associer ; il résulte encore pour moi la
conviction intime qu’aucune mesure préventive ne doit entraver la liberté de
s’associer ; mais prétendre qu’il en doive résulter la liberté de former des
sociétés anonymes, qui sont moins des associations d’individus que de capitaux,
je ne puis le penser, et d’après cela mon avis sur les sociétés anonymes est
qu’elles sont encore soumises aux articles du code de commerce que je considère
non abrogés. Sous ce rapport, je partage tout à fait l’opinion émise par
l’honorable M. Fallon. Je ne
puis mieux, messieurs, vous donner la preuve que ma conviction est intime à cet
égard et que, dans l’intérêt bien entendu du commerce, il convient de suivre
les sages prescriptions du code, qu’en vous citant un fait récent.
La
banque territoriale qui vient de se constituer, malgré le désir contraire que
j’avais vivement exprimé, m’a fait l’honneur de me nommer un des commissaires
qui doivent composer le comité de surveillance de cette nouvelle institution.
Je n’ai consenti à accepter, que pour autant qu’on remplisse toutes les
obligations voulues par la loi ; c’est-à-dire qu’on obtienne l’approbation des
statuts et l’autorisation du gouvernement. J’en ai agi ainsi, d’abord par
respect pour la loi, et pour ne pas me trouver un jour dans la position de me
voir déclaré associé solidaire et passible de toutes les conséquences.
La nouvelle
administration a reconnu comme moi que ces formalités étaient nécessaires, et
elle s’y est soumise en demandant l’autorisation royale.
M. de Brouckere. - J’ai été surpris que M.
Fallon ait soulevé, à propos du budget du ministère de l’intérieur, une
question de législature de la plus haute importance, et qui par sa nature est
plus du ressort de la jurisprudence que de la compétence de la chambre. L’art.
37 est-il abrogé, oui ou non ? Les tribunaux décideront. Mais il paraît qu’en
soulevant cette question, on a eu pour but d’empêcher les sociétés anonymes de
s’établir en Belgique sans l’autorisation du gouvernement. Comme plusieurs
personnes peuvent se trouver influencées par les observations des honorables
MM. Fallon et Coghen, je voudrais par quelques objections contrebalancer cette
influence et me rallier à l’opinion de l’honorable M. Gendebien. Ne croyez pas que je chercherai à réfuter tous les
arguments de l’honorable M. Fallon.
Je serai aussi bref que possible. Je commencerai par rappeler à la chambre
qu’au mois de juin dernier, il fut fait rapport d’une pétition des
administrateurs des compagnies générales sur la vie et contre les risques à
Bruxelles, qui réclamaient contre l’existence illégale des agences établies en
Belgique par des sociétés anonymes étrangères au pays et non autorisées par le
gouvernement belge.
Le premier orateur qui
prit la parole fut M. Ernst qui prononça un très beau discours à ce sujet. En
voici quelques extraits. La pétition, dit M. Ernst, contient deux conclusions,
voici la première :
« Les soussignés
osent espérer, messieurs, que vous prendrez leur réclamation en considération,
et que, grâce à votre intervention, la loi cessera d’être plus longtemps violée
du chef ici signalé par eux.»
« Les compagnies
françaises ont des agents en Belgique. Ces sociétés sont fondées en France
suivant les lois françaises et le code de commerce.
« Les sociétés
anonymes en Belgique avaient besoin d’être autorisées par le gouvernement,
suivant l’art. 37 du code de commerce. Les associations dont il s’agit étant
fondées en France, elles n’ont pas été autorisées. Cependant, comme elles ont
des agents en Belgique, les pétitionnaires qui trouvent leurs intérêts blessés,
prétendent que le ministre de l’intérieur devrait interdire
« Voici leur
seconde conclusion :
« Subsidiairement
et tout spécialement à l’égard de celle des sociétés étrangères qui prend le titre
de Compagnie d’assurances générales sur la vie, contre l’incendie, etc., les
soussignés se croient encore fondés, à part même l’illégalité signalée
ci-dessus, à réclamer son interdiction en Belgique, par le motif qu’ils ont, en
vertu d’actes authentiques et légaux, la possession antérieure de la même
raison sociale, et que les règlements d’ordre public qui garantissent, au
premier occupant, la possession des marques de sa fabrique et des enseignes,
doivent, à bien plus forte raison, garantir celle d’une raison sociale, attendu
qu’elle constitue pour les êtres moraux de l’espèce, un véritable baptême légal
en leur assignant le seul nom qu’ils sont susceptibles de recevoir et par
lequel ils peuvent être distingués de leurs concurrents. »
« Cette conclusion
est d’une nature toute différente. En supposant que la compagnie eût usurpé sur
les droits de la compagnie d’assurance belge, ce serait devant les tribunaux
qu’elle devrait faire valoir ses droits. C’est là une question de propriété ;
la chambre ne peut pas intervenir sur cette conclusion, elle doit passer à
l’ordre du jour.
« L’autre
conclusion est plus grave. On pourrait faire cette question : depuis l’article
20 de la constitution, depuis que les associations sont libres en Belgique,
est-il nécessaire d’obtenir une autorisation du Roi, pour fonder une société
anonyme en Belgique ? Cette question est très grave, la chambre ne la décidera
pas. Je crois inutile de la décider, je ne l’examinerai pas.
« Voici sur quelles
raisons je fonderai ma proposition d’ordre du jour : les principes du droit,
l’intérêt de l’ordre public, des consommateurs belges et du commerce en
général.
« Je dis que la
pétition doit être repoussée premièrement d’après les plus simples principes du
droit. Les pétitionnaires eux-mêmes disent que l’association est une espèce
d’être moral. Il faut dès lors voir où elle prend naissance. C’est là qu’elle
doit remplir les conditions de vie. Pour vous citer un exemple, la personne
subit la loi du pays où elle a son domicile. Le Français pour son état
personnel est régi par la loi française. Il en est de même de la société dont
il s’agit : cette société est établie en France ; il faut qu’elle soit
constituée suivant les règles prescrites par la loi française. Si cette société
fait le commerce en Belgique, on peut exiger d’elle des conditions, telles que
la patente par exemple comme on le ferait en France à l’égard des sociétés
belges qui croient y exercer un commerce.
« Je ne conçois pas
la différence qu’on voudrait faire entre les sociétés anonymes et les autres
associations. »
Après M. Ernst, M. A.
Rodenbach a pris la parole ; voici comment il s’exprime :
« M.
A. Rodenbach - L’honorable préopinant paraît avoir approfondi la
question. Je n’ai pas cette prétention. Toutefois je lui demanderai s’il n’a
pas connaissance d’un arrêté du roi Guillaume de l’année 1821, si je ne me
trompe, et que j’ai lu dans le temps dans les papiers publics. Cet arrêté
portait que les sociétés anonymes ne pouvaient s’établir sans l’autorisation du
gouvernement. Je désirerais savoir si cette loi a été abrogée, avant de me
prononcer sur l’ordre du jour. La question est assez sérieuse. N’est-il pas
plus prudent de demander de plus amples renseignements ? Je suis assez ennemi
du monopole, pour ne pas désirer que l’on donne à la concurrence toute
l’extension possible. Mais je voudrais savoir si l’arrêté que je cite a été
rapportée par le gouvernement provisoire.
« Voix nombreuses. - Sans doute. »
C’est la chambre qui parle.
Arrive alors
l’honorable M. Gendebien ; il professe de la manière la plus formelle l’opinion
qu’il a émise à savoir que l’article 37 du code de commerce a été abrogé par
l’arrêté du gouvernement provisoire de 1830, puis il prend des conclusions que
je dois supposer adoptées par la chambre, puisque personne, ni M. Ernst même,
n’y a répondu. Il est impossible que la chambre ne s’explique plus formellement
qu’elle ne l’a fait ; à moins qu’elle n’insère son opinion dans une loi ; je ne
connais pas de manière plus explicite de manifester son opinion.
Du reste, je l’ai dit, je n’ai
pris la parole que pour contrebalancer autant que cela dépend de moi,
l’influence de l’opinion émise par l’honorable M. Fallon.
Je pense que les sociétés
anonymes feront très bien de s’établir en Belgique sans rien demander au
gouvernement ; elles m’ont rien à craindre. Si les sociétés anonymes, en
cessant d’être autorisées, n’ont pas tout l’effet que leur promet le code de
commerce, c’est leur affaire ; mais je déclare que dans mon opinion, l’art. 37
du code de commerce n’existe plus, et que les sociétés anonymes peuvent
s’établir sans autorisation.
M.
Fallon. - Je suis étonné que mon honorable ami M. de Brouckere me
reproche d’occuper la chambre d’une question qui est tout à fait du ressort des
tribunaux. M. de Brouckere doit se rappeler que dans la discussion du budget
des voies et moyens, il a lui-même soulevé la question, qu’il a longuement
développé son opinion et qu’il n’a pas rencontré de contradicteur.
Comme j’attache à l’opinion de
l’honorable M. de Brouckere autant d’influence qu’il peut en attacher à la
mienne j’ai cru devoir lui répondre pour chercher à contrebalancer cette
influence. Ainsi vous le voyez, messieurs, la partie est égale. (On rit.)
Si M.
de Brouckere a traité cette question, sans doute il était dans son droit ; mais
sans doute aussi on pouvait lui répondre. Je la traite à mon tour ; on me
répond ; je ne me plains pas pour cela. Je ne vois pas en quoi mes observations
seraient plus inopportunes que celles présentées sur le même point par M. de
Brouckere dans la discussion des voies et moyens.
M. de Brouckere a fini par
dire que mon but était probablement d’empêcher des sociétés anonymes de se
former sans l’autorisation du gouvernement ; je suis fort étonné que l’on me
suppose un tel but lorsque j’ai déclaré que je n’avais nullement l’intention de
provoquer des mesures relativement aux sociétés anonymes qui s’établiraient
sans autorisation.
M. de Brouckere. - Il faut rendre à chacun
ce qui lui revient. Puisque l’honorable M. Fallon prétend que c’est moi qui ai
soulevé la discussion relative à l’abrogation de l’art. 37 du code de commerce,
je dois déclarer que c’est M. d’Huart ministre des finances qui a soulevé cette
discussion. il a soutenu que l’article 37 était toujours en vigueur.
M. le
ministre des finances (M. d'Huart). - Je l’ai soutenu et je le soutiens
encore.
M.
de Brouckere. - Depuis quelque temps vous soutenez beaucoup de choses
que je ne soutiens pas.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Cela
ne prouve rien.
M.
de Brouckere. - La question a donc été soulevée par le ministre des finances
: et je n’ai pris la parole que pour lui répondre.
M.
de Robaulx. - L’un soulève la question, l’autre répond ; il n’y a pas
de mal à tout cela.
M. le
ministre de la justice (M. Ernst). - Déjà dans une autre séance, M. de
Brouckere a prétendu que j’étais en opposition avec mon honorable ami le
ministre des finances, et que je considérais l’art. 37 du code de commerce
comme abrogé. Eh bien, messieurs, je le déclare, jamais je n’ai eu cette opinion
; jamais dans aucune circonstance je ne l’ai manifestée ; j’en appelle au Moniteur même dont M. de Brouckere vient
de citer les expressions.
Dans la discussion rappelée
par cet orateur j’ai dit au contraire que je n’avais pas examiné cette
question. Mais voici de quelle manière cette discussion s’est présentée :
plusieurs négociants de Bruxelles avaient adressé à M. le ministre de
l’intérieur leurs réclamations pour qu’il fît cesser les associations anonymes
étrangères, qui faisaient des assurances en Belgique.
Une pétition qu’ils avaient
dans le même but adressée à la chambre avait été renvoyée à M. le ministre de
l’intérieur et il n’avait rien fait. Les pétitionnaires revinrent à la charge.
La discussion s’engagea sur cette pétition ; le ministre de l’intérieur déclara
qu’il ne pouvait pas faire cesser ces associations. Quoique je n’eusse pas
l’habitude de défendre le ministère, je soutins que le ministre de l’intérieur
était dans son droit, qu’il ne pouvait pas empêcher ces associations, attendu
que l’art. 37 du code de commerce n’avait aucune sanction. Je dis alors que la
question était toute d’intérêt privé, qu’il s’agissait uniquement de savoir
quelle était la nature de l’obligation des associés à défaut d’autorisation du
Roi, quelle était l’étendue de cette obligation à l’égard des tiers, et qu’il
n’appartenait qu’aux tribunaux de décider cette question.
Je ne me suis pas expliqué sur
ce point à savoir si l’art. 37 du code de commerce est abrogé ; mais je crois
utile de dire maintenant quelle est à cet égard mon opinion. Et qu’on ne dise
pas que je prétends influencer les tribunaux, personne ne peut le supposer ; je
ne suis pas homme à avoir de telles prétentions. Mais puisqu’on prétend que
cette discussion a de l’influence à l’extérieur, puisque l’honorable M.
Gendebien s’est imaginé qu’il avait si facilement détruit le discours de
l’honorable M. Fallon...
M.
Gendebien. - Je ne me suis rien imaginé de cela.
M. le ministre
de la justice (M. Ernst). - J’ai à cœur de prouver, au contraire, que
M. Gendebien n’a pas répondu à cet orateur, que le discours de l’honorable
membre subsiste dans toute sa force, et que toutes les raisons qu’a fait valoir
M. Gendebien ne peuvent pas soutenir le plus léger examen.
M.
de Robaulx. - Vous décidez cela en professeur.
M. le
président. - Je prie les membres de l’assemblée de ne pas interrompre
l’orateur.
M. le
ministre de la justice (M. Ernst). - Ce que je viens d’avancer, je
m’engage à le prouver.
M. Gendebien a dit que
l’autorisation du Roi était requise dans l’intérêt du gouvernement ; que
c’était pour la sûreté du gouvernement que l’on exigeait cette autorisation et
nullement dans l’intérêt du particulier. Vous allez voir, messieurs, jusqu’à
quel point cette observation est fondée. Si cette autorisation avait été
imposée dans l’intérêt du gouvernement, il y aurait donné une sanction, il
aurait établi une peine ; or, il n’y en a aucune. Dès lors l’autorisation est
toute d’intérêt privé.
Cela est vrai qu’avant et
depuis la révolution des sociétés anonymes se sont établies sans l’autorisation
du gouvernement, et notamment plusieurs sociétés charbonnières.
Maintenant examinons la
question à fond. Des sociétés anonymes peuvent-elles exister sans autorisation
? Je dis que c’est impossible. Je dis que cette supposition détruit les
principes les plus élémentaires du droit en ce qui concerne les obligations. En
effet, il est de l’essence de toute convention, de toute société, qu’il y ait
obligation, qu’il y ait une personne obligée. Dans les sociétés en nom
collectif, et dans les sociétés en commandite, vous avez pour garanties la
responsabilité personnelle, la solidarité des associés et la contrainte par
corps.
Dans les sociétés anonymes au
contraire, personne n’est obligé ; il n’y a que des capitaux engagés. Cette
dérogation au droit commun ne s’explique que par les conditions constitutives
de cette société : une garantie spéciale est substituée à celle de l’obligation
à charge des personnes et de leurs biens.
La société anonyme devient un
être moral, une personne civile qui ne peut exister que par l’autorisation
légale. Ce sont là des principes fondamentaux dans toute législation.
L’opinion soutenue par M.
Gendebien détruirait toute l’économie du code de commerce ; je vous prie,
messieurs, de vouloir bien faire attention à cette objection. Toute la
différence qui existe entre les sociétés en nom collectif ou en commandite et
les sociétés anonymes, c’est que dans les deux premières, les associés non
commanditaires sont personnellement responsables, tandis que dans les sociétés
anonymes, personne n’est responsable. Mais, dit M. Gendebien, dans une société
anonyme, il y a des mandataires, oui sans doute ; mais ce sont de singuliers
mandataires qui n’obligent ni leurs biens ni ceux de leurs mandants et qui se
cachent derrière les capitaux de la société. Otez l’autorisation royale et vous
détruisez toute la différence qui existe entre les trois sociétés : pourquoi
contracterait-on des sociétés en nom collectif ou en commandite lorsqu’on
pourrait par la société anonyme obtenir les mêmes avantages sans courir les
mêmes risques ? L’autorisation du Roi est une condition essentielle ; si elle
n’existe pas, il n’y aura plus dans le pays que des sociétés anonymes.
Mais, dit l’honorable M.
Gendebien, ce qu’une législation a établi, une autre peut le détruire.
Non, messieurs, jusque-là ne
va pas le pouvoir d’un législateur, de déclarer que ce qui est n’est pas et que
ce qui n’existe pas existe réellement ; je défie tous les législateurs du monde
de faire qu’un dépôt soit un prêt, ou un prêt un dépôt. De même il est
impossible d’admettre une société anonyme, sans admettre les éléments qui les
instituent et la distinguent des autres sociétés.
Mais, nous dit-on, lisez les
articles 29 et suivant, jusqu’au 36 inclusivement, et vous y verrez les
conditions de l’existence des sociétés anonymes.
Non, sans l’autorisation
royale exigée par l’art. 37, la société est impossible, puisqu’il n’y aurait
point de personne civile, ni d’individus personnellement obligés.
J’ajouterai que c’est dans
l’intérêt même des sociétés anonymes de demander l’autorisation ; aussi la
plupart des associations qui se sont formées ont-elles satisfait à la
disposition de l’art. 37 du code de commerce. En faisant approuver leurs
statuts elles donnent la preuve la plus complète qu’elles ne craignent pas les
investigations de l’autorité, qu’il n’y a rien de fictif dans les promesses
qu’elles font au public, qu’elles ont des capitaux suffisants ; que les hommes
à la tête de l’administration sont des personnes jouissant de la considération
générale, et d’une capacité reconnue. Il n’y aurait rien de plus dangereux que
de voir s’établir des sociétés anonymes sans autorisation, sans garanties par
conséquent. L’arrêté du gouvernement provisoire du 16 octobre 1830, n’abroge
pas l’art. 37 : La liberté individuelle, la liberté de commerce, la liberté de
l’association restera entière ; on restera libre de s’associer ; il n’y aura
aucune mesure préventive.
Mais
nous ne reconnaîtrons pas la société anonyme avec les effets que le code de
commerce lui attribue, si le Roi ne l’a autorisée. Ce sera une société
ordinaire où tous les contractants seront personnellement et solidairement
responsables des engagements pris au nom de la société.
Je crois que M. de Brouckere
donne un mauvais conseil aux citoyens belges, en leur disant qu’ils peuvent
faire des sociétés anonymes sans autorisation ; ils ont tout à craindre en
procédant de la sorte ; ils peuvent compromettre leur fortune et leur liberté.
Je dirai pour finir, que
l’honorable M. Fallon a fait valoir un motif qui selon moi est décisif, et
auquel on n’a pas essayé de répondre. L’existence d’une société anonyme où il
n’y a aucune personne obligée est un privilège ; ce privilège n’existe que sous
des conditions établies par la loi ; or l’arrêté du gouvernement en autorisant
les associations, déclare qu’en cette qualité, elles ne jouiront d’aucun
privilège
M.
Gendebien. - Je prends la parole pour un fait personnel.
M. Ernst croit que j’ai traité
la question en professeur, que je l’ai traitée avec cette présomption qui les
distingue, et que nous nommons pédantisme, et il s’est permis de dire que je me
suis imaginé que j’avais répondu facilement. Pour nous, qui avons l’habitude
d’avoir des contradicteurs, nous ne parlons pas avec cette autorité
présomptueuse des professeurs qui ne discutent que devant des enfants, ou devant
des gens qui ne répondent pas. Il n’a pas mes opinions ; pour moi, je serais
bien fâché d’avoir quelque chose de commun en opinions avec M. Ernst.
M. le
ministre des finances (M. d'Huart). - Et lui aussi serait bien fâché d’avoir
rien de commun en opinions avec vous !
M. Gendebien. - Cependant je le prie de ne pas
me prêter des idées que je n’ai pas.
On a élevé une question, j’ai cru
devoir la discuter ; mais ce n’est pas une raison pour m’attribuer la
présomptueuse facilité du pédagogue. Quoi qu’il en soit, jusqu’ici rien ne m’a
prouvé que mes raisons fussent inférieures à celles de M. Fallon. Je rends pleine justice au savoir de cet honorable
membre ; je n’ai pas la prétention de trancher une question aussi ardue ; mais
si la chambre veut me le permettre, je vais soutenir ma thèse...
De toutes parts. - A demain ! à demain ! Il est cinq heures.
M.
Gendebien. - Si la chambre veut m’entendre, je parlerai ; mais je ne
suis pas disposé à parler devant des banquettes ou au milieu du bruit des
conversations.
M. le ministre de la
justice (M. Ernst). - Je demande à répondre pour un fait personnel.
Combien de fois n’ai-je pas
été accusé de la manière la plus injuste par M. Gendebien ! Combien de fois
s’est-il permis envers moi les personnalités les plus inconvenantes ! Il a été surpris,
dans quelques occasions, que je n’aie pas répondu ; il attribuait mon silence à
l’embarras ; mais s’il n’est pas fatigué de reproduire toujours les mêmes
accusations, j’éprouve du dégoût à reproduire les mêmes réfutations.
Quant aux dernières personnalités
qui viennent de m’être adressées, je dirai que je ne parle pas comme professeur
; qu’ici je m’éclaire des lumières de tout le monde. Est-il dans les
convenances de me faire de semblables reproches ? Pourrai-je me permettre de
dire que M. Gendebien parle ici en avocat ? Dans cette enceinte il n’y a ni
professeur, ni avocat, il n’y a que des députés ; et quand je parle c’est selon
ma conscience et dans l’intérêt de mon pays. (Bien ! bien !)
M.
Gendebien. - Et moi aussi, je parle selon ma conscience ; mais selon
une conscience invariable ; et je ne trouve pas blanc maintenant ce que je
trouvais noir autrefois...
M. le
ministre des finances (M. d'Huart). - L’assemblée le voit ; M.
Gendebien s’attribue le monopole des personnalités les plus outrageantes ; il
traite de renégats ceux qui ne partagent pas ses opinions. Quoiqu’il en dise
nous sommes conséquents avec nos principes et nous défions qu’on nous prouve
que depuis notre courte apparition à l’administration nous ayons violé la
constitution.
M.
Gendebien. - Je rappellerai à M. d’Huart qui se met à parler sans avoir
obtenu la parole que dernièrement il a insurgé la chambre contre moi ; qu’il
m’a empêché d’achever ma phrase, et que sans connaître ma pensée il a voulu la
qualifier… Voilà les susceptibilités de M. d’Huart.
M. le
ministre des finances (M. d'Huart). - Nous sommes très susceptibles !
M.
Gendebien. - N’accusez pas à tort : j’avais demandé un rappel au
règlement parce que par une insinuation perfide, l’on m’a reproché de vouloir
entraver la discussion du budget des voies et moyens....
M. le
ministre de la justice (M. Ernst). - Encore une vieille histoire !
M.
Gendebien. - Je rappellerai toutes vos vieilles histoires, et c’est ce
qui fera toujours votre tourment.
MM. les députés quittent leurs
banquettes et sortent de la salle.
- La séance est levée à 5
heures.