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d’intention
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Chambre des représentants de Belgique
Séance du vendredi 16 janvier 1835
Sommaire
1)
Pièces adressées à la chambre
2)
Projet de loi portant les budgets des département des affaires étrangères et de
la marine pour l’exercice 1835
3) Projet
de loi portant le budget du département de la justice pour l’exercice 1835.
a)
Discussion générale. (A : lutte contre la pratique des duels ;
B : expulsion d’étrangers ; C : question politique générale)
(Droit de grâce et peine de mort (de Brouckere,
Ernst, Quirini, Gendebien), A, mise à charge du budget communal des
réparations dues lors d’émeutes, B (loi de vendémiaire an IV) (F. de Mérode), A (de Robaulx, F. de Mérode, Gendebien), A, C,
B (de Robaulx), C (F. de Mérode),
A, B (Ernst), A (Lebeau, Desmet, de Robaulx, Gendebien, Ernst, de Robaulx, Gendebien, Desmet, de Brouckere)
b)
Discussion des articles. Administration centrale (Ernst, Gendebien, Lebeau, Gendebien, de Brouckere, Ernst, de Theux, Liedts,
Gendebien, Ernst), personnel du
tribunal de première instance de Charleroy (Gendebien,
Frison, Ernst, Dumont,
Ernst), haute cour militaire (Gendebien,
Ernst, de Brouckere, de Robaulx, Ernst), Bulletin
officiel (Ernst), pensions du personnel de l’Etat (Ernst, de Robaulx, Ernst, H. Dellafaille, Ernst, de Robaulx, de Theux, de Robaulx, Jadot, Ernst, Verdussen,
Lebeau, de Robaulx, Ernst, Verdussen, Lebeau, Ernst), régime des prisons (A. Rodenbach, Ernst, de Brouckere, de Muelenaere,
Desmet, de Brouckere, de Muelenaere, Desmanet de
Biesme, de Brouckere, A.
Rodenbach, de Brouckere, Donny,
Gendebien, Ernst, Desmanet de Biesme), constructions pénitentiaires (Ernst, Liedts, Gendebien),
établissements pour les sourds-muets et les aveugles (A.
Rodenbach, Ernst)
4)
Fixation de l’ordre des travaux de la chambre (budget du département de
l’intérieur pour 1835)
(Moniteur belge n°17, du 17 janvier 1835)
(Présidence de M. Raikem)
M.
de Renesse fait l’appel nominal à midi et demi.
M.
Brixhe lit le procès-verbal ; la rédaction en est adoptée.
- Un congé de deux jours
est accordé à M. Vanderbelen.
COMPOSITION DES BUREAUX DE SECTION
Première section
Président : M. Verdussen
Vice-président : M.
Milcamps
Secrétaire : M. d’Hane
Deuxième section
Président : M. Liedts
Vice-président : M.
Fallon
Secrétaire : M. Berger
Troisième section
Président : M. Donny
Vice-président : M.
Watlet
Secrétaire : M. Dubois
Quatrième section
Président : M. W. de
Mérode
Vice-président : M. Eloy
de Burdinne
Secrétaire : M. Dechamps
Cinquième section
Président : M. Desmanet
de Biesme
Vice-président : M.
Schaetzen
Secrétaire : M. H.
Dellafaille
Sixième section
Président : M. de Behr
Vice-président : M.
Thienpont
Secrétaire : M. Verrue
COMPOSITION DE
MM. Hye-Hoys, Doignon, de
Meer de Moorsel, Zoude, Devaux, de Roo.
Discussion générale
M.
le président. - La chambre ayant demandé la clôture de la discussion
générale du budget du département de la justice, je vais consulter l’assemblée
sur cette question.
M. de Brouckere. - Je désireras
faire connaître un fait à la chambre. Je la prie de m’entendre. Je ne rentrerai
pas dans la discussion.
M.
F. de Mérode. - Je désirerais également parler, et malgré le désir que
j’ai d’abréger autant que possible les discussions, les considérations que j’ai
à présenter me semblent assez importantes pour que je m’élève contre la
clôture.
- La clôture de la
discussion générale est mise aux voix et rejetée.
M. de Brouckere. - Dans la séance d’hier,
j’ai félicité le gouvernement de ce qu’il n’avait jusqu’ici laissé exécuter
aucune condamnation à mort. J’ai annoncé que s’il renonçait à ce système, je
renouvellerais ma proposition sur l’abolition de la peine de mort. Depuis hier,
j’ai appris que l’on avait exécuté un militaire à Louvain. J’ignore quel était
son crime. J’ignore jusqu’à quel point il était nécessaire de faire exécuter la
sentence. Mais, je ne parle de ce fait que pour que l’on ne me regarde pas
comme inconséquent avec moi-même, si maintenant qu’une exécution à mort a eu
lieu, je ne renouvelle pas ma proposition. Ceux qui se rappellent les détails
dans lesquels je suis entré à l’époque où je l’ai faite n’auront pas oublié que
j’avais excepté de cette abolition certains crimes militaires commis dans
certains cas, parce que je jugeais qu’il pouvait se présenter des cas où
réellement la mort devait être la punition des crimes commis par des
militaires.
Du reste, messieurs, ne
connaissant pas les faits qui ont amené la dernière exécution que je signale,
je n’exercerai aucune critique sur la mesure prise par le gouvernement de
rejeter le pourvoi du militaire dont il s’agit. Je révèlerai seulement les
circonstances de ce supplice qui doivent affliger les amis de l’humanité si
elles sont exactes.
L’exécution
de ce militaire avait été renvoyée au 6 de ce mois. Le 5 il en fut prévenu. Ce
fut donc une agonie de 24 heures pour ce malheureux. Le 6 on vint lui annoncer
que l’ordre avait été donné de surseoir à son exécution sans lui dire s’il
avait l’espoir d’obtenir sa grâce. Enfin, le 9 on lui annonça que son exécution
était fixée définitivement au jour suivant, Ce malheureux a donc eu deux
agonies, et il a passé 3 jours dans la plus cruelle des incertitudes. Ce sont
des circonstances sur lesquelles on ne peut assez gémir. Je ne puis m’empêcher
de déplorer la manière dont le gouvernement a agi à l’égard de ce condamné.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je suis
resté complètement étranger au fait que vient de faire connaître l’honorable M. de Brouckere. Je prendrai des
informations à cet égard, et dès qu’elles me seront connues, j’en ferai part à
la chambre et à l’honorable membre.
M. Quirini. - Je me trouvais à Louvain le jour
de l’exécution militaire dont a parlé M. de Brouckere. Je suis à même de donner
quelques renseignements à ce sujet. Cette exécution avait été arrêtée pour le 7
de ce mois. Le 6 le condamné en avait été prévenu. Cependant à la sollicitation
de l’aumônier qui lui avait donné les derniers secours de la religion, une
nouvelle demande en grâce fut adressée au Roi. Cette nouvelle demande ayant été
rejetée, le militaire en fut informé la veille au soir et eut à se préparer à
la mort pour le lendemain matin. Je crois que jusqu’au dernier moment ce
militaire a eu l’espoir d’obtenir sa grâce. De là est venue sans doute la
fermeté qu’il a déployée au moment de l’exécution. Comme je me trouvais à
Louvain à cette époque, j’ai cru de mon devoir de rectifier les circonstances
qui avaient été présentées à l’honorable M. de Brouckere sous un faux jour.
M.
Gendebien. - Quiconque a lu les détails de l’exécution à mort qui a eu
lieu à Louvain, pour peu qu’il ait ce qui constitue l’homme, a dû gémir qu’au
19ème siècle on ait recours à une peine aussi barbare.
L’honorable M. de
Brouckere a dit qu’il renouvellerait sa proposition d’abolition de la peine de
mort la première fois qu’une exécution à mort serait faite. Mais il a fait une
exception à l’égard des militaires. Pour ma part, je conjure M. de Brouckere de
présenter sa proposition, je l’appuierai de toutes mes forces. Mais je ne pense
pas qu’il faille établir la distinction qu’il met entre les exécutions civiles
et les exécutions militaires. Quel est le but de la peine de mort ? C’est la
terreur que l’on veut inspirer au criminel par la sévérité du châtiment. Eh bien,
c’est à l’égard des militaires surtout que l’on devrait de prononcer la peine de mort. La mort est la chose que les militaires craignent le
moins, ou qu’ils doivent le moins craindre. Ils portent l’uniforme et des armes
pour donner la mort et pour la recevoir. C’est l’idée à laquelle ils se sont le
plus familiarisés. Comment voulez-vous que la peine de mort soit pour eux un
châtiment efficace, un supplice qu’ils redoutent. Si la peine de mort doit être
abolie, c’est surtout pour tous les crimes commis par des militaires. Il y a
pour eux des peines plus pénibles que la mort, comme la dégradation en présence
du régiment, la condamnation aux travaux forcés. Aux yeux de l’humanité, les
peines sont moins sévères que celle de la mort ; mais pour le cœur d’un soldat,
traîner le boulet et être dégradé, sont des châtiments plus humiliants que la
mort même.
M.
F. de Mérode. - J’ai dit, messieurs, que j’avais à présenter à la
chambre des observations qui ne lui ont pas encore été soumises. Elles tendront
aussi peut-être à terminer des discussions ultérieures, relatives à des
attaques personnelles. J’aborderai d’abord très brièvement l’objet sur lequel
M. de Robaulx a cru devoir attirer l’attention spéciale de M. le ministre de la
justice.
Je ne suis pas
accoutumé, messieurs, à ménager les mauvaises passions ; ainsi la passion de
vengeance déguisée en point d’honneur ne me paraîtra jamais digne de
condescendance, et j’appellerai sans façon meurtre tout homicide qui n’a pas lieu
pour cause de légitime défense. Or, celui qui provoque un duel parce qu’il a
subi une atteinte dont il lui plaît souvent d’exagérer la gravite, celui-là
n’agit point pour défendre sa vie, il obéit à un faux orgueil ; il doit dire
puni. Son adversaire, plus excusable, en beaucoup de circonstances du moins, ne
doit pas non plus échapper à la vindicte des lois existantes, qui ne permettent
à personne de se faire justice ou de concourir à des actes de violence qui
s’étendent jusqu’à disposer de la vie humaine.
Si la cour du’ cassation adopte cette opinion tout à fait rationnelle à
mon avis, il en résultera qu’en plus d’une occasion le jury et les juges
condamneront les meurtres commis sous la forme de combats singuliers, de peines
plus ou moins sévères, selon les cas ; et sans les assimiler au guet-apens de
l’assassin, ils pourront les frapper de réclusions assez longues et assez
pénibles pour que le duel coûte cher à celui qui aura recours à ce moyen féodal
de barbare satisfaction.
Ici, messieurs, je crois
bon de faire remarquer la sagesse de la discipline ecclésiastique qui, ne
reconnaissant jamais le droit de laver une injure individuelle dans le sang,
refuse tout honneur funèbre, toute prière publique à ceux qui meurent sur le
coup et sans avoir eu le temps du repentir, après un coupable combat. Cette
rigueur pleine d’humanité a été plusieurs fois qualifiée d’intolérance par une
certaine opinion que caractérise trop souvent l’odieux défaut dont elle accuse
les convictions religieuses ; et, chose singulière, tandis qu’elle taxe
d’intolérance des précautions prises pour empêcher les hommes de s’égorger
entre eux ou de se tuer eux-mêmes, elle montre une sollicitude
extraordinairement sentimentale pour l’existence des criminels les plus atroces
dans leurs attentats contre la fortune et la vie des êtres qu’ils sacrifient à
leur violence ou à leur cupidité. Ici, messieurs, je déclare ne faire allusion
à la pensée d’aucun membre de la chambre ; je m’exprime d’une manière générale
; je signale ce qui se dit et s’écrit au-dehors de cette enceinte par des
philanthropes dont l’inconséquence donne lieu aux plus incompréhensibles
anomalies.
Je pense que si l’on
veut réellement poursuivre le progrès social dont on parle beaucoup à notre
époque, je pense que si l’on veut fermement réaliser les théories d’humanité
qui sont à l’ordre du jour, il faut attaquer sans faiblesse les préjugés
inhumains. Continuer à leur accorder le privilège de l’impunité comme on l’a
fait trop longtemps à l’égard des duellistes, serait une honteuse
pusillanimité. Tant pis pour les jurés, tant pis pour les juges qui manqueront
à leur devoir : le législateur et le magistrat chargés de fixer la
jurisprudence répressive n’en doivent pas moins remplir leur tâche. Ensuite,
messieurs, si la société empêche de braves militaires, d’estimables citoyens,
pères de famille, d’être victimes de l’habitude meurtrière qu’on acquiert dans
ces tirs multipliés où l’on s’exerce à la sublime science qui consiste à placer
une balle sur un fil ou un clou, nous n’aurons pas à regretter les coups dont
le glaive de la justice frappera les incendiaires et les assassins. Ceux-là
méritent la mort, qui tuent sans pitié leur semblable. Aussi le christianisme,
doctrine de charité et de sagesse, qui défend le duel expressément, n’a-t-il
jamais ni interdit ni blâmé la peine de mort appliquée aux grands criminels.
Il me reste à signaler
encore, messieurs, une contradiction qui ne me paraît pas moins opposée à la
prétention qu’on manifeste aujourd’hui de surpasser en équité les temps qui
nous ont précédés. Je veux parler des lois de vendémiaire an IV et de
vendémiaire an VI. La seconde, qui autorise le gouvernement à expulser les
étrangers turbulents ou dangereux pour la tranquillité publique, a été l’objet
des plus vives attaques, bien qu’en fait son exécution ait été juste, modérée
et très utile, tandis que celle de vendémiaire an IV, qui n’a servi qu’à obérer
uniquement les villes déjà surchargées d’impôts et d’octrois, n’est l’objet
d’aucune censure, du moins de la part de ceux qui flétrissent l’autre.
Cependant, messieurs, la loi de vendémiaire an IV frappe en aveugle, ne
distingue ni circonstances ni événements ; elle a été appliquée jusqu’ici par
les tribunaux en Belgique, sans ménagement, sans interprétation quelconque tant
soit peu favorable aux communes qu’elle rend responsables à tort et à travers,
c’est le mot, de tous les méfaits, fussent-ils évidemment le résultat de force
majeure et impossibles à prévenir
Ainsi, tandis qu’à Liége
et à Verviers il est de notoriété publique que certains individus ont provoqué
et désiré eux-mêmes les dévastations dont ils ont paru victimes, les
contribuables de ces deux villes n’en ont pas moins été frappés : les premiers,
du paiement de la somme de 300 mille francs ; les seconds, d’une somme dont
j’ignore le montant. Peut-être bientôt Bruxelles, dont les finances sont déjà
fort embarrassées, subira dans une proportion bien plus effrayante encore
l’application absolue et judaïque de l’absurde loi de vendémiaire an IV, qui
force les vingt plus forts contribuables à fournir l’avance des dédommagements
que peuvent réclamer ceux dont les propriétés ont été compromises dans une
émeute populaire. Or, je le demande, les instigateurs de désordres
viennent-ils, avant de se mettre à l’œuvre, consulter les vingt plus forts
contribuables de la ville qu’ils se préparent à exploiter ? Ces vingt
contribuables sont-ils de droit bourgmestre, échevins, commandants de la force
publique ? La totalité des habitants paisibles d’une grande cité et d’une
commune rurale ont-ils même toujours des armes, une organisation suffisamment
forte pour s’opposer à des pillages ? Ces pillages ont-ils une cause
parfaitement connue et dépendante de la volonté bien formelle de ceux qui en
ont subi les effets ? N’importe, la loi frappe au hasard les uns au bénéfice
des autres, les innocents au profit des coupables.
Tant pis pour les
innocents ! C’est, dit-on, une injustice : il est vrai, chacun en convient ;
mais n’importe, elle tend à empêcher le renouvellement des scènes qu’il faut
éviter à tout prix. Messieurs, je vous le demande, la loi de vendémiaire an VI,
qu’aucun article précis de loi postérieure n’a abrogée, offre-t-elle des
dispositions plus arbitraires que celles dont je viens de vous démontrer
l’inconséquence et l’iniquité ? Assurément non ; elle permet au gouvernement de
faire sortir du pays, en respectant et leurs propriétés et leur liberté
individuelle, les étrangers qu’il croit dangereux pour la tranquillité
publique. Or, fût-il jamais d’occasion plus opportune d’appliquer la loi que
celle qui se présenta au mois d’avril dernier, lorsque les désordres dont
Bruxelles fut le théâtre coïncidaient avec les événements bien plus déplorables
de Lyon ? Sans l’application de cette loi, je le déclare avec une profonde
conviction, rien ne pouvait garantir
« Bruxelles, le 12
avril 1834.
« Monsieur le
ministre,
« Convaincu plus
que jamais, après la douloureuse expérience des dévastations exercées à
Bruxelles, de ne point désarmer le pays des lois qu’il possède encore, contre
les partisans de troubles et de désordres ; certain qu’il n’a jamais été
question, dans l’intention du congrès national constituant, de livrer
« Comte Félix de
Mérode. »
Maintenant, messieurs,
on me dira peut-être : Vous qui étiez au banc des ministres avec M. Lebeau,
lequel adoptait votre avis sur la loi d’expulsion, comment êtes-vous assis près
de M. Ernst qui la combattait à outrance, et comment M. Ernst peut-il être
votre collègue ? A cela je répondrai qu’il est impossible que le Roi forme un
ministère, s’il faut que tous les hommes appelés à le composer aient été
d’accord sur toutes les questions quelconques qui ont été débattues dans les
chambres ou au-dehors. Cette homogénéité complète dans les précédents
politiques, entre quatre ou cinq personnes, est trop rare pour qu’on puisse
l’exiger absolument, et l’intérêt du pays réclame, de la part des citoyens
capables de supporter le fardeau d’un ministère, qu’ils se fassent mutuellement
quelques concessions, qu’ils transigent à l’égard d’opinions dont l’expression
a été peut-être trop vive, trop absolue. Or, voici ce qui a été convenu entre
les nouveaux ministres, à l’égard de la loi de vendémiaire an VI et de son
exécution, que les chambres n’ont point voulu blâmer, malgré tous les efforts
des opposants. Il a été convenu que M. Ernst, ministre de la justice, ne serait
point chargé de la police ; qu’elle serait jointe provisoirement aux
attributions de M. de Theux, ministre de l’intérieur, lequel n’avait point été
contraire à la mesure de sûreté prise par le précédent cabinet.
Quant à moi, messieurs,
j’ai concédé à M. Ernst la présentation d’une loi nouvelle sur les étrangers ;
car mon opinion personnelle est contraire à la discussion actuelle de cette loi
; je la regarde comme prématurée ; je pense que la loi de vendémiaire an VI est
bonne jusqu’à la paix. Je suis persuadé que la surveillance des chambres suffit
pour empêcher tout abus grave, et qu’un changement à la loi de vendémiaire an
IV serait beaucoup mieux placé. D’ailleurs, nous avons à voter tant de lois
d’une extrême urgence, que celles qui sont supportables doivent être maintenues
provisoirement sans modification. Telle est ma manière de voir individuelle,
mais j’ai dû m’accorder avec M. Ernst, qui est à même de bien servir le pays
comme ministre de la justice ; et, je le dis encore une fois, si les hommes que
le Roi appelle au timon des affaires ne cèdent rien les uns aux autres sur
certains points secondaires, le gouvernement constitutionnel deviendra
impraticable à force de perfection. En outre, je pense qu’on ne prononce point
d’oracles dans cette enceinte, pas plus lorsqu’on est opposant que partisan du
ministère ; et si l’on voulait analyser les discours, les prédictions de tous
ceux qui ont beaucoup parlé sans préparation et en improvisant, il est évident
qu’on y trouverait des contradictions flagrantes.
Ce
travail est assurément trop fastidieux pour que je veuille y prendre la moindre
part. La répétition du verbe tu as dit,
il a dit, nous avons dit, ils ont dit
(on rit) ne fatiguera que bien
rarement les oreilles de mes auditeurs, car il n’en résulte qu’un conflit de
mots et pas une idée utile et pratique. En résumé, messieurs, comme c’est à la
discussion du budget de la justice qu’il est à propos de s’occuper des mesures
destinées à garantir la sécurité publique et privée, j’insiste pour que l’on
soit plus attentif aux intérêts des volés qu’à ceux des voleurs, plus soucieux
de protéger la vie des honnêtes gens que de l’existence des assassins, plus
disposé à réprimer les perturbateurs étrangers ou indigènes qu’à charger des
frais réparateurs de leurs violences ou de leurs provocations impopulaires les
citoyens industrieux et inoffensifs. Ainsi est faite ma philanthropie, ainsi
est conçu mon libéralisme, et je crois qu’il en vaut bien un autre.
M. de Robaulx. - Le manifeste de la
philanthropie de M. de Mérode me permettra d’avoir aussi la mienne. L’honorable
orateur qui a eu le temps de travailler son discours, en répondant à celui que
j’ai prononcé dans une séance précédente, vient de vanter ses principes aux
dépens d’autrui. Cela n’est pas aussi généreux qu’il paraît vouloir l’être.
Chaque fois que cet orateur veut faire prévaloir ses idées, il prétend que les
siennes seules sont bonnes ; nous, au contraire, nous avons l’habitude de
supporter avec patience les idées que nous ne partageons pas. Nous désirerions
que l’honorable M. de Mérode conservât la même mesure à notre égard ; c’est
cependant ce qu’il n’a pas fait dans le discours qu’il vient de prononcer.
Je
n’ai pas l’habitude de dogmatiser, ni de vouloir inventer des systèmes auxquels
personne ne peut avoir à répondre. Je ne prétends pas émettre des maximes que
tout le monde doive partager. Lorsque j’appelais l’attention de M. le ministre
de la justice sur un abus aussi révoltant que celui du duel, je ne pensais pas
que la susceptibilité de M. de Mérode aurait été éveillée au point de faire une
aussi sanglante critique que celle qu’il a faite de mes paroles. M. de Mérode
n’est pas avec moi sur un point ; il prétend que chaque fois que l’on tue son
adversaire, l’on est un meurtrier, et que comme meurtrier l’on peut être soumis
à toute la vengeance barbare du code pénal.
M.
F. de Mérode. - Je n’ai pas dit cela.
M. de Robaulx. - Si je me trompe, que M. de
Mérode veuille bien rectifier les faits.
M.
F. de Mérode. - J’ai déclaré que l’on ne peut assimiler les combattants
en duel aux assassins qui commettent des guet-apens.
M. de Robaulx prétend que j’ai qualifié trop sévèrement le duel. Je l’appelle
un abus révoltant. Je ne me suis cependant pas servi d’un terme plus fort que
celui-là.
M. Gendebien. - Ces deux honorables membres
sont donc en contradiction avec le ministre de la justice qui a qualifié le
duel d’assassinat.
M.
le ministre de la justice (M. Ernst). - M. Gendebien est dans l’erreur…
M. de Robaulx. - MM. le ministre de la
justice et Gendebien me permettront de parler. Je dirai que M. de Mérode est en
contradiction avec lui-même. Il considère comme moi le duel comme un abus
révoltant, comme l’effet d’une passion que nous devons chercher à détruire. Il
ne doit donc pas comparer le duelliste au criminel. S’il est d’accord avec moi
que le meurtre et les suites d’un duel ne sont pas la même chose, comment peut-il
admettre que le même article du code pénal convienne également pour juger dans
l’un et l’autre cas ?
Remarquez qu’il est dit
dans le code pénal : « Seront punis de la peine de mort tous ceux qui,
avec préméditation et volonté, auront commis l’homicide. » Voilà la peine
réservée aux assassins.
« Seront punis de
la peine des travaux forcés à perpétuité et de la marque tous ceux qui auront
commis l’homicide volontaire. » Telles sont les dispositions du code
pénal. Eh bien, chaque fois donc qu’il n’y a pas eu homicide prémédité, mais
que volontairement on a tué un individu dans une rixe, mais que l’intention du
meurtre n’avait pas été conçue d’avance, que le crime a été le résultat
instantané du moment, le juge applique la peine des travaux forces à perpétuité.
L’on attache le coupable à l’infamant poteau et l’on lui marque sur l’épaule
les lettres T. P. (Travaux perpétuels.) Maintenant, que M. de Mérode veuille
bien me répondre. Est-ce que, dans sa pensée, le duel, cet abus révoltant, tout
révoltant, tout déplorable qu’il soit, le duel dont je suis le premier à
déplorer le préjugé, puisque le premier j’ai appelé l’attention de la chambre
sur sa trop funeste fréquence, doit-il être mis sur la même ligne que le
meurtre volontaire ? Est-ce que celui qui, obéissant à un préjugé déplorable, a
cédé à la malheureuse impulsion du duel, celui-là, dis-je, doit-il être regardé
comme un vil criminel, passible des travaux forcés à perpétuité, de la marque
et de l’exposition publique ?
Je le demande, quoique
je n’aie pas l’intention d’atténuer les torts de ceux qui se livrent au duel,
je le demande, est-il raisonnable, est-il humain que ceux qui ont obéi à un
préjugé, qui ne sont pas considérés comme criminels, soient repoussés du sein
de la société, et confondus avec les scélérats qui en sont la terreur ? Sont-ce
des peines infamantes qu’il faut pour punir l’homme qui s’est battu en duel ?
Tout philanthrope se hâtera de répondre : Non. Non, vous ne pouvez pas
appliquer la peine des travaux forcés à perpétuité, qui est la seule peine
comminée par le code pénal. Je sais bien que les juges ne seraient pas toujours
dans la triste nécessité d’appliquer cette peine, qu’ils pourraient se
présenter des circonstances atténuantes qui permettent de ne pas appliquer
rigoureusement la loi. Mais là n’est pas la question. Il n’en existe pas moins
dans notre code pénal une disposition atroce qui menace l’homme qui a tué son
adversaire en duel, des travaux forcés à perpétuité, et par suite, de la mort
civile.
Je le demande à
l’orateur qui a parlé avant moi ; ne croit-il pas avec moi que cette
disposition est tellement féroce, cette loi tellement sanguinaire, qu’il n’est
pas un juge, ayant un peu étudié les replis du cœur, connaissant un peu les
ressorts qui le font agir, qui pense que les peines infamantes n’ont pas été
comminées contre les duellistes ? Ces peines sont faites pour les criminels
incorrigibles, pour ceux que la société ne peut pas tolérer sans danger dans
son sein et qu’elle en doit bannir à perpétuité. Que M. de Mérode se représente
un jure appelé à prononcer la culpabilité d’un jeune homme qui, égaré par la
passion, aura tué son antagoniste en duel. Ce juré ne dira-t-il pas : Devant
moi est un citoyen dont la vie est un tissu d’actions honnêtes, qui, loin de
menacer la société, en est un des membres les plus utiles ; si je le déclare
coupable, je le raie à jamais de la société et je lui imprime sur l’épaule le
sceau infamant de la marque. Qui sait si demain mon fils ne comparaîtra pas sur
les mêmes bancs ? Qui sait si moi-même, victime du même préjugé, l’on ne fera
pas la même application erronée de la législation pénale ? Le juré, lorsqu’il
porte un verdict de culpabilité, n’a pas pu se dissimuler l’étendue de la peine
que ce verdict entraînerait. Il a dû examiner si la condamnation résultant de
son verdict ne sera pas injuste. Il hésitera donc à déclarer l’accusé coupable.
C’est ce que M. de Mérode n’a pas senti, c’est ce que j’ai compris, lorsque
j’ai dit qu’il y avait nécessite de réformer la loi. Je n’ai pas entendu que le
duel dût rester impuni. J’ai demandé si les peines comminées par le code pénal
étaient applicables aux funestes résultats de ce préjugé. J’ai dit que si le
code pénal était applicable, il fallait à cet égard en réformer les
dispositions, parce que, depuis 20 ans que ce code existe, il n’est pas parvenu
à déraciner le duel. Qui vous empêche de présenter un projet de loi ?
Voulez-vous porter des peines plus sévères que celles que j’ai proposées ?
Faites-le. J’ai demandé que l’on mît le duelliste en curatelle pendant l’espace
d’un an à 10 ans, en proportion de la provocation.
Une pareille pénalité
n’affecte en rien l’honneur. Elle n’affectera que l’amour-propre. C’est
ordinairement par l’amour-propre que les duels arrivent. En employant le même
mobile pour en réprimer les abus, vous parviendrez à combattre efficacement le
préjugé. Menacez le survivant dans un duel de la mort, vous n’arrêterez pas les
combattants par cette crainte. C’est un malheur, je le sais. Mais je vous le
dis, par ce moyen-la vous ne ferez jamais de punitions exemplaires qui
parviennent à détruire ce préjugé.
L’honorable M. de Mérode
a dit qu’il y avait un autre moyen de répression beaucoup plus sage. C’est
celui qu’on trouvait dans la discipline catholique ecclésiastique. Je conçois
parfaitement jusqu’à quel point la discipline catholique, qui consiste à
refuser les prières de l’église à ceux qui ont succombé en duel, peut avoir
pour ceux qui s’y livrent .Mais il faut remarquer que cette discipline ne peut
frapper que les sectateurs de la même opinion. Jamais elle ne peut figurer
comme loi de l’Etat. Sans doute la grande majorité des Belges est catholique.
Mais il en est qui ne sont pas catholiques. Je m’étonne que l’on vienne ici se
prévaloir d’une disposition particulière à une religion pour frapper
indistinctement les membres de religions différentes. Que l’église condamne les
duellistes, sa loi est respectable. Mais si d’autres religions n’ont pas la
même sévérité, ne sont-elles pas également respectables ?
Mais admettons un moment
que la crainte du refus des prières de l’église puisse avoir quelque influence.
Celui qui a succombé au duel est-il toujours le coupable ? Si cela était vrai
nous en reviendrions à l’ancien jugement de Dieu. Il n’est pas vrai que celui
qui a tort succombe toujours. Il arrive très souvent que celui qui par sa plus
grande habileté à manier les armes, par sa présence d’esprit et son habitude
des duels, cherche noise à un autre en raison même de la supériorité qu’il se
reconnaît, vient lâchement (car je qualifie cet acte de lâcheté), vient
attaquer celui qu’il croit plus faible que lui. Cela s’est vu bien souvent. Le
spadassin étend à ses pieds son adversaire. A qui l’église refuse-t-elle ses
prières ? à la victime. Et le spadassin est-il puni ?
Est-ce que le refus des prières de l’église a de l’influence sur lui ?
Peut-être le remords peut exister dans son for intérieur. Mais nous
législateurs, nous ne pouvons pas reconnaître cet effet. Nous devons poser des
règles qui atteignent tous les citoyens, à quelque secte qu’ils appartiennent.
J’avoue, messieurs, que
je suis étonné que ceux qui se déclarent les apologistes de la morale n’aient
pas appuyé une demande que j’avais faite dans l’intérêt de l’ordre public. Je
voulais détruire le duel ou du moins tâcher de le rendre plus rare. Cette
proposition aurait-elle déplu à quelques personnes ? Aurait-on supposé que
c’était par coquetterie de philanthropie que je la faisais ?
Je ne cherche jamais à
me faire de la popularité par ce moyen. J’ai énoncé mon opinion avec confiance
et indépendance. Toutes mes pensées partent toujours de ma conscience, de ma
conviction. S’il est parmi vous des membres qui ne partagent pas ma manière de
voir, s’ils ne veulent pas reconnaître mes intentions, la majorité de la
chambre a été souvent à même d’en apprécier les véritables mobiles.
Enfin est-il constant,
oui ou non, que les journaux aient annoncé de nouvelles victimes ? Des citoyens
respectables, de braves militaires ont-ils succombe oui ou non ? Les duels
ont-ils été réprimés ? Les lois sont-elles suffisantes ? Il n’y a pas de loi.
Présentez-en donc qui apporte un remède au mal, voilà ce que je demande. Si
vous ne le faites pas, je le ferai. J’avais cru devoir m’adresser d’abord à M.
le ministre de la justice parce qu’il me semblait qu’il était plus à même par
sa position, par les relations qu’il a avec les procureurs du Roi, d’apprécier
le meilleur remède à apporter au mal.
Chaque fois que je dis
qu’il est temps que l’on réprime le duel, j’entends des personnes, dont je
respecte l’opinion afin qu’ils respectent la mienne, me dire : Il y a des lois
existantes, des lois qui punissent le meurtre. J’ai déjà répondu à cet égard.
Mais je demande à ceux qui ont été au pouvoir, aux ministres d’Etat comme aux
autres, pourquoi n’ont-ils pas appliqué ces lois qu’ils regardent comme étant
en vigueur à une époque où des provocations publiques au duel ont été faites ?
Pourquoi ne les a-t-on pas appliquées contre les fonctionnaires publics, contre
les militaires qui ont envoyé des cartels publics dans les journaux. Ces
provocations au duel étaient, dans l’opinion de M. de Mérode, des provocations
au meurtre ; les individus qui s’en étaient rendus coupables auraient dû, selon
lui, être flétris par le code pénal, code adouci par les arrêtés du roi
Guillaume, je dois le dire à sa louange. Pourquoi la loi n’a-t-elle pas vengé
les victimes de ces provocations ? Pourquoi les provocateurs n’ont-ils pas été
poursuivis ?
J’aime à croire que ce
n’était pas parce qu’ils attaquaient la presse ; j’aime à croire qu’on ne
pactisait pas avec les provocateurs qui voulaient bâillonner la presse et la
tribune. J’aime à croire que les ministres ont pensé que la peine portée par le
code pénal était par trop sévère. S’il y avait eu une loi plus douce, plus en
harmonie avec notre civilisation, et par cela même plus efficace, assurément on
en aurait provoqué l’application. Mais quand il s’agit d’envoyer à l’échafaud
ou de marquer de lettres infamantes un homme dont toute la vie a été honorable,
on recule, parce qu’on fait un retour sur soi-même, qu’on a le sentiment de sa
propre faiblesse, et qu’on devient plus indulgent pour la faiblesse d’autrui.
Jai entendu un honorable
ministre d’Etat nous expliquer une espèce de secret du cabinet ; nous révéler
la pensée qui avait présidé à la formation du nouveau cabinet. Il nous a dit
que s’il fallait trouver cinq têtes parfaitement organisées de la même manière,
ayant des opinions identiques sur tous les points, il serait impossible
d’établir un cabinet. Je suis à cet égard d’accord avec M. de Mérode, que si,
pour former un cabinet, il fallait des hommes ayant des facultés parfaitement
identiques, aucune formation de cabinet ne serait possible, car il n’y a rien
du parfaitement identique dans ce monde.
Mais,
vous dit-il, si ceux qui ont combattu les mesures prises à l’égard des
étrangers, se sont réunis à d’autres qui les ont soutenues, ils n’ont fait
qu’une chose très naturelle. Je vais rappeler les propres expressions de
l’honorable membre de crainte d’être accusé de malveillance. « Ils ont transigé
sur leurs opinions trop absolues ou trop vives. » Transigé ! Je suis persuadé que M. Ernst n’acceptera pas cette
expression.
M.
le ministre de la justice (M. Ernst). - Je demande la parole.
M.
F. de Mérode. - Je n’ai pas dit cela.
M. de Robaulx. - Si vous ne l’avez pas dit,
hâtez-vous de rectifier mon erreur, car je trouve l’expression bien forte.
Cependant, je ne crois pas m’être trompé, car j’ai écrit sous votre dictée.
M.
F. de Mérode. - J’ai parlé d’opinion dont l’expression a été trop vive
et trop absolue.
M. de Robaulx. - Mais le mot transigé doit s’y trouver. Si vous
voulez lire une ligne ou deux plus haut, vous le verrez.
M.
F. de Mérode. - J’ai dit : « qu’ils transigent à l’égard
d’opinions dont l’expression a été trop vive et trop absolue. »
M. de Robaulx. - Vous êtes votre propre juge
; vous ne vous plaindrez pas du jugement.
Je conçois qu’on ne
puisse pas exiger que cinq ministres pensent d’une manière identique sur toutes
les questions ; mais je ne conçois pas qu’un ministre qui en public, alors
qu’il était député, stigmatise une disposition du ministère précédent tendant à
rétablir la loi de vendémiaire, puisse venir se charger de l’exécuter lui-même.
Ah ! me dit-on, il ne l’applique pas lui-même ; c’est M. de Theux dans les
attributions duquel on a fait passer cette charge-là.
J’admets pour un instant
ce petit tour que je ne sais comment qualifier, que j’appellerai avec M. de
Mérode une transaction et qui paraît avoir eu pour but de mettre le ministre de
la justice à l’abri du reproche d’inconséquence. Si sa conscience ne lui fait
pas de reproches, quant à nous, nous ne sommes pas aussi tolérants ; nous
n’avons pas cru que cette conduite fût franchement libérale et nous n’aurions
pas agi de cette manière.
M. le ministre ne peut
pas opposer la même excuse à un fait dont j’ai déjà parlé, celui qui concerne Crammer.
Lorsque Crammer apprit le changement de ministère, il crut que
l’apparition au pouvoir d’hommes qui, par leurs principes philanthropiques,
s’étaient fait remarquer sur les bancs de l’opposition (je ne dis pas de la montagne),
pourrait changer le système du gouvernement et le rendre plus libéral. Crammer, qui était à l’étranger, ignorait la transaction
qui avait en lieu dans le but de faire passer sur un autre titulaire la
responsabilité des mesures d’expulsion. Il revient sur le territoire belge
croyant trouver dans le ministre de la justice, gardien des lois, le protecteur
qu’il avait trouvé dans le député de l’opposition.
Ce sont des faits dont
je n’ai eu connaissance que par les journaux et les discussions qui ont eu lieu
dans cette enceinte ; s’ils ne sont pas exacts, je prie M. le ministre de les
rectifier.
Crammer, dans cette confiance, arrive à
Anvers. Le procureur du Roi d’Anvers veut exécuter l’arrêté Lebeau. Crammer s’adresse à la justice et obtient une ordonnance
favorable. M. Lebeau (j’honore M. Lebeau quand je trouve M. Lebeau honorable,
et je voudrais le trouver souvent), M. Lebeau avait reconnu que, lorsqu’un juge
avait prononcé, si sa décision était sujette à appel, elle devait être
respectée jusqu’à ce que l’appel fut vidé. La première fois Crammer
n’avait pas été expulsé tant et si longtemps que le jugement de première
instance n’avait pas été infirmé. Bravo M. Lebeau, je vous approuve. Mais
ensuite vous avez fait condamner et exclure Crammer,
et ici je ne vous approuve plus.
M. Ernst a fait plus.
Gardien de la loi en sa qualité de ministre de la justice, il n’a pas pu
transiger sur ce point. Eh bien, il a laissé expulser Crammer
malgré l’ordonnance qui lui était favorable. On dira : C’est M. de Theux qui
l’a fait expulser. Oui, mais il a laissé violer une ordonnance de président de
tribunal ; au mépris de cette ordonnance, sans se donner la peine de la faire
réformer en appel, on l’a expulsé en vertu du bon plaisir. Voilà ce que j’ai
reproché avant-hier au ministre de la justice, et j’espère obtenir des
explications satisfaisantes. Ce sera toujours avec plaisir que je verrai M.
Ernst qui, constamment, tint une conduite honorable sur les bancs de
l’opposition, continuer cette belle conduite, ne fût-ce que par exception, sur
le banc des ministres.
Quand MM. les ministres
voudront se montrer les fidèles gardiens des lois et les faire respecter, ils
me trouveront toujours prêts à les soutenir. Qu’ils présentent une bonne loi
sur le duel, je ne regarderai pas si c’est un ministre qui l’a proposée, je
voterai pour son adoption, preuve que je ne veux pas faire d’opposition
systématique.
Jusqu’à présent on n’a
pas répondu à ce que j’ai dit sur la nécessité de faire une loi sur le duel.
On
n’a pas répondu non plus à ce que j’ai dit de la loi de vendémiaire.
J’attendrai qu’on le fasse, car si on ne le fait pas, je voterai contre le
budget.
M.
F. de Mérode. - M. de Robaulx ne me forcera pas sans doute à
recommencer mon discours. S’il veut se donner la peine de le lire dans le Moniteur, il verra que je n’avais rien
dit de ce qu’il m’a attribué.
M.
le ministre de la justice (M. Ernst). - Messieurs, je ne rentrerai pas
non plus dans la discussion relative au duel. Je dois cependant un mot
d’explication à l’honorable M. de
Robaulx. Comme lui, je crois qu’il ne faut pas avoir deux poids et deux
mesures, qu’il faut appliquer la loi à tous, aux fonctionnaires élevés comme
aux autres citoyens. Quant aux provocations auxquelles il a fait allusion, je
déclare que si j’avais cru que ces provocations fussent punissables, j’aurais
fait poursuivre le fonctionnaire qui s’en était rendu coupable, quelque haut
placé qu’il fût. Mais une provocation n’est pas punissable, on ne pourrait la
regarder comme criminelle que quand elle aurait le caractère de complicité : à
cet égard, ou pourrait ajouter une disposition du code pénal.
On a été étonné de ce
qu’en discutant la question du duel, je n’avais jamais parlé que de meurtre et de
blessures ; mais la raison en est simple. Ce n’est que sous ce rapport que le
duel est punissable ; le meurtre et les blessures sont punis par le code pénal
dans tous les cas, et le duel n’est pas compris parmi les motifs d’excuse.
A propos du secret de
cabinet, dont a parlé l’honorable M. de Robaulx, j’avais dans une autre
enceinte, au moment de mon entrée au ministère, donné les explications les plus
précises. Quelle opinion avais-je manifestée au mois d’avril ? J’avais déclaré
que je regardais la loi de vendémiaire comme abolie. Eh bien, j’ai dit que ce
que je croyais alors, je le croyais encore. Je n’ai pas changé de sentiment.
L’honorable M. d’Huart, qui avait exprimé la même opinion que moi, n’en a pas
changé non plus.
Mais, messieurs, les
arrêtés portés sous l’ancien ministère avaient reçu une ratification positive
de la part de la législature. Vous vous rappelez le
proposition que je soumis à la chambre avec mon honorable collègue M Dubus. Elle portait que si le Roi croyait nécessaire
de proposer une loi sur l’expulsion des étrangers, nous nous associerions
volontiers à ses intentions. Les arrêtes existant, nous n’y touchions pas,
parce que nous prévoyions que la chambre ne voudrait pas revenir sur ces
arrêtés. Parmi mes amis de l’opposition, on était étonné que cette proposition
fût si faible ; mais elle avait été conçue ainsi, dans l’espoir de la faire
adopter. On aurait de cette manière établi une ligne de démarcation entre le
passé et l’avenir. Cependant cette propositions même
ne fut pas adoptée.
Ces arrêtés étaient un fait consommé ; je
ne pouvais pas me mettre en opposition avec la chambre qui les avait approuvés.
J’aurais pu même, en suivant l’exemple des hommes politiques dans d’autres
pays, me charger de leur exécution. Mais j’étais retenu par d’invincibles
répugnances. Un de mes collègues qui n’avait pas à cet égard partagé mes
opinions, qui ne devait pas avoir les mêmes répugnances, a bien voulu se
charger de tout ce qui regardait la police.
Voilà les explications
que j’ai été forcé de donner. Pour MM. de Béthune et Crammer,
on n’a fait qu’exécuter à leur égard les arrêtés existants ; mais je déclare
que tant et si longtemps que je serai au ministère, il ne sera pas porté un
seul arrête en vertu de la loi de vendémiaire, que je considère comme abrogée.
J’ai reconnu que la législation était incomplète ; j’ai annoncé qu’une
proposition de loi serait faite, ma promesse sera exécutée. Si l’honorable M.
de Mérode n’a pas exposé les choses de la même manière, la raison en est qu’il
n’a pas assisté aux conférences qui out eu lieu lors de la formation du nouveau
ministère.
M. Lebeau.
- Messieurs, quoique je partage en grande partie l’opinion, que vient d’exposer
M. de Robaulx, en matière de duel, je n’ai pas demandé la parole, pour rentrer
dans tous les détails d’une discussion qui me paraît inopportune ou au moins
prématurée. Cependant, je crois devoir dire que je ne partage pas l’opinion du
ministre de la justice sur cette question. Je ne crois pas que, dans l’esprit
des rédacteurs du code pénal, il ait jamais été question d’atteindre le duel.
Si on examine la question en légiste, on peut sans doute, jusqu’à certain
point, et le texte à la main, soutenir que la peine du meurtre est applicable
au duel quand il a ce résultat. Mais on ne peut pas nier que, sous le point de
vue philosophique, il y a une différence assez grave entre le duel et le fait
que le législateur a voulu atteindre quand il a établi la peine du meurtre.
Je ne pense pas, messieurs, que ce soit la
législation seule qui puisse faire cesser ce triste préjugé ; c’est de l’action
des mœurs et du progrès de la civilisation qu’il faut surtout attendre ce
bienfait ; et déjà nous pouvons constater avec satisfaction un progrès
remarquable à cet égard. Déjà il est presque généralement admis aujourd’hui
que, pour dissentiment politique, le duel peut être honorablement refusé. Nous
avons vu en France des duels politiques refusés par des hommes qui, dans plusieurs
circonstances, avaient donné des preuves de courage, et l’opinion publique leur
en a su gré. C’est un progrès à constater.
Messieurs, si la cour de cassation partage
l’opinion de M. le ministre de la justice, la répression du duel ne serait pas
encore pour cela inscrite efficacement dans nos lois, car il y aurait toujours
des jurés qui montreraient une insurmontable répugnance à assimiler le
duelliste à l’assassin. Vous le savez, l’empire de ce préjuge est tellement
vivace dans certaines classes de la société et particulièrement parmi les
militaires, que si un officier appartenant à l’autorité militaire était insulté
dans son honneur, et n’en demandait pas raison, il serait parfois, et on en a
vu des exemples, exposé à être bafoué journellement par ses camarades. C’est là
une de ces circonstances qui pourraient influer singulièrement sur
l’appréciation de la moralité du fait, et qu’un défenseur habile ne manquerait
pas faire ressortir et souvent avec succès devant les jurés.
Je pense qu’il faut une loi spéciale sur
la matière ; mais je pense aussi qu’il ne faut pas la précipiter, parce qu’elle
est hérissée de difficultés, bien que M. de Robaulx en ait, à mon avis, indiqué
les bases et le caractère.
Je regrette de m’être laissé entraîner
dans cette digression. Mon intention, en prenant la parole, n’était que de
faire une motion d’ordre.
Je pense que la question du duel comme la
question de la peine de mort sont assez graves, assez solennelles, pour mériter
les honneurs d’une discussion spéciale, que, quant à moi, j’appelle de tous mes
vœux. Si, pour s’en occuper, on ne veut pas attendre la discussion du projet de
réforme du code pénal que j’ai soumis au pouvoir législatif, et si M. le
ministre de la justice persiste à vouloir faire appliquer le code pénal au duel,
que tels membres de cette chambre se réunissent pour présenter un projet de
loi, en vertu de leur droit d’initiative. Mais quant à présent, je demande, vu
l’impossibilité d’arriver à un résultat utile et pratique, qu’on ferme la
discussion sur la question du duel et l’abolition de la peine de mort, pour ne
pas abuser des moments de la chambre.
Si on remarque quelque relâchement de la
part de certains membres qui n’assistent pas aux séances avec exactitude, la
principale cause doit en être attribuée à ce qu’on perd
beaucoup de temps en discussions incidentelles. Si
nous ne cherchons pas à nous prémunir contre notre facilité à nous laisser
entraîner dans des discussions incidentes, nos sessions seront toujours longues
et stériles, et nous pourrons à peine voter la loi financière et donner au pays
les lois provinciale et communale.
Je demande donc que la
chambre ferme la discussion sur la question du duel et la question de la peine
de mort, parce que je ne vois pas la possibilité d’arriver à une solution en ce
moment.
M. le président. - Il y a une
proposition de M. Desmet qui est ainsi conçue :
« J’ai l’honneur de proposer à la
chambre de choisir dans son sein une commission pour élaborer de concert avec
le ministre de la justice un projet de loi répressif sur le duel. »
M. de
Robaulx. - Je partage l’opinion émise par M. Lebeau, qu’il est
impossible d’arriver à un résultat sur les questions qui ont été soulevées ;
comme lui, je pense qu’elles méritent un sérieux examen. C’est parce que j’en
ai senti l’importance que j’ai appelé sur elles l’attention de la chambre.
Il me semble cependant que la chambre peut
se prononcer sur la proposition de M. Desmet, sans résoudre la question de
savoir si le ministre a tort ou droit de penser que le code pénal est
applicable au duel. La commission examinera s’il y a une législation sur le
duel, et si cette législation est suffisante. Il me semble que tout le monde
doit être d’accord pour adopter cette proposition. La question est assez
importante pour qu’on se donne la peine de l’examiner sous toutes ses faces.
Si une commission était nommée, pendant
qu’elle ferait son travail, la chambre continuerait l’examen des lois
financières et la commission vous ferait son rapport quand elle aurait eu le
temps d’examiner la matière.
Vous donnerez au moins
cette satisfaction à l’opinion publique que cet abus, qui a déjà coûté tant de
sang et de larmes, qui a causé la désolation de tant de familles, a fixé
l’attention des législateurs.
Qu’on nomme une commission de cinq ou sept
membres. Si le ministre ne croit pas devoir s’opposer à la nomination de cette
commission, on gagnera beaucoup de temps et on aura manifesté l’intention
d’examiner la question.
M. Gendebien.
- Je demande qu’on en finisse sur toutes ces discussions incidentes.
M. de Mérode qui fait si souvent des
sorties contre les membres qui, en prenant la parole dans les discussions, font
selon lui perdre un temps précieux à la chambre, est venu aujourd’hui vous lire
un long factum dans lequel il résume à sa manière la longue discussion d’hier,
où il aborde toutes les questions, les effleurant sans présenter de résultat
sur aucune. Pour lui répondre il faudrait renouveler dans leur entier les discussions
d’hier et d’avant-hier. Je crois inutile de le faire. Je n’ai demandé la parole
que pour qu’on n’interprète pas mon silence contre moi.
Je craindrais, d’ailleurs, en rentrant
dans la discussion, de n’arriver à d’autre résultat que d’augmenter, comme a
dit M. de Mérode, les grosses queues du Moniteur,
serpents mâchurés d’encre et de caractères de toute espèce.
Mais je ne veux imiter ni le langage de M.
de Mérode ni sa manière de faire. Je ne pousserai pas plus loin la discussion,
Le ministre a bien essayé de se justifier des reproches qu’on lui a adressés,
mais il ne s’est justifié en rien. Quand il y aura une proposition de faite sur
les objets dont la chambre s’est occupée hier et avant-hier, j’examinerai les
questions au fond ; mais quant à présent, je me bornerai à me référer à ce que
j’ai dit dans la discussion, pour ne pas abuser des moments de la chambre.
Quant à la proposition de
M. Desmet, que son auteur la soumette aux sections, qui décideront s’il doit y
être donné suite. Cette proposition me paraît insolite. Nous avons, ainsi que
le gouvernement, l’initiative des lois. Que le gouvernement, que chacun de nous
use de son droit d’initiative comme il l’entend. Si un membre veut user de son
droit d’initiative et s’entendre avec le ministre, qu’il le fasse si le
ministère veut des lumières des membres qu’il croit capables de lui en apporter
sur la matière, qu’il les appelle près de lui, qu’ensemble ils fassent un
projet : nous ferons alors en sorte d’arriver à un résultat. Mais nous ne
pouvons en espérer aucun de la discussion actuelle. Elle ne peut que nous faire
perdre du temps.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - J’approuve ce que vient de dire l’honorable
préopinant relativement à la proposition de M. Desmet. Pour
ma part, jamais je n’aurais pu consentir à ce qu’une commission fût nommée par
la chambre pour examiner s’il y a une loi qui punit le duel.
M. Desmet.
- Ma proposition ne dit pas cela.
M.
le ministre de la justice (M. Ernst). - Non, mais M. de Robaulx a dit que la commission examinerait s’il y a
une législation sur le duel.
M. de Robaulx. - Je ne sais si M. le ministre de la justice veut judaïser sur les expressions,
mais toujours est-il que la commission ne pourrait pas procéder autrement que
je l’ai indiqué. Car si la commission voulait rejeter la proposition de
préparer un projet de loi, elle dirait : Considérant qu’il y a des lois
suffisantes pour prévenir et réprimer le duel, la commission rejette. Mais pour
dire cela il faut qu’elle l’examine.
Quant à la proposition,
elle ne dit nullement que la commission sera nommée pour rechercher si une loi
existe sur tel objet ; cette proposition est toute simple. Elle dit qu’une
commission sera nommée pour s’occuper de la matière. Si vous n’en voulez pas,
cela n’est égal.
M. Gendebien.
- Que M. Desmet retire sa proposition.
M.
Desmet. - Je ne crois pas devoir retirer ma proposition. Je ferai
observer qu’elle n’a pas pour objet de nommer une commission chargée de
rechercher s’il existe une loi sur la matière, mais d’examiner si on ne
pourrait pas faire une loi plus certaine, plus efficace pour prévenir le duel. Je
sais que ma proposition est contraire au règlement, mais je pense que, pour un
objet aussi grave, la chambre voudra bien s’en écarter un peu pour donner le
plus tôt possible au pays une loi qu’il attend avec impatience.
M. de Brouckere. - On vient de dire que la proposition qui. vous
est faite était insolite. Son auteur lui-même est convenu qu’elle était
contraire au règlement. C’est lui faire son procès en deux mots.
Nous sommes tous d’accord sur la nécessité
d’aviser au moyen de rendre les duels plus rares. Quant à moi, je le désire
aussi vivement que qui que ce soit. Mais j’ai voulu faire voir combien il était
difficile de faire une bonne loi sur le duel.
Mais le ministre annonce qu’il va
s’occuper de cette matière immédiatement après que la cour de cassation aura
porté son arrêt. Est-ce le moment, je le demande, de nommer une commission qui
travaillera de son côté, quand le ministre travaillera du sien. Si d’ici a
quelque temps le ministre ne répond pas à ce que la chambre attend de ses
promesses, on pourra formuler une proposition ; mais, je le répète, il serait
très insolite, très peu convenable, d’en agir différemment, alors que M. le
ministre présentera une proposition sur cette matière.
- La chambre prononce l’ordre du jour sur
la proposition de M. Desmet.
- La discussion générale est close.
Discussion des articles
Chapitre Ier. - Administration générale
Article
premier
M. le
président. - « Art. 1er. Traitement du
ministre : fr. 21,000. »
- Adopté.
M. le
président. - « Art. 2. Traitement des
employés et gens de service. » Le
chiffre de la section centrale est de 96,522 fr. M. le ministre s’y rallie-t-il
?
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je dois faire à la chambre la demande d’ajouter
1,000 fr. aux sommes accordées par la section centrale. J’espère qu’elle
comprendra facilement la nécessité de la légère majoration que je propose. Des
constructions ont été faites à l’hôtel du ministère de la justice, pour le
logement du ministre, pour de nouveaux bureaux.
Le local préparé pour ces bureaux est très
éloigné du corps de logis principal ; les messagers destinés au service des
autres bureaux ne sont d’aucune utilité pour les employés qui se trouvent dans
le nouveau local, un messager de plus devient nécessaire.
M. Gendebien.
- Vous voyez donc bien que la discussion d’un budget se réduit à peu de chose.
On avait demandé une somme pour constructions de bureau, à faire au ministère
de la justice ; cette somme a été accordée, et aujourd’hui on vous demande une
majoration de 20,000 fr.
M.
le ministre de la justice (M. Ernst). - C’est une erreur.
M.
Gendebien. - Je prie le ministre de ne pas m’interrompre. Qu’on me
laisse dire, et l’on verra bientôt que je ne suis nullement dans l’erreur. Il y
a une majoration de 20,000 fr. puisque vous demandez 1,000 qui représentent bien
un capital de 20,000 mille fr. C’est mille fr. par an qu’il vous faut ; car
vous avez besoin l’an prochain, aussi bien que maintenant, d’un messager que
vous employez et que vous jugez indispensable. On devrait donner à la chambre
tous les détails qui se rattachent aux constructions à faire, cela éviterait
qu’il ne tombât inopinément des demandes nouvelles auxquelles on n’a nul lieu
de s’attendre.
M. Lebeau.
- Messieurs, comme il s’agit de faits dont l’exécution a eu lieu sous mon
administration, je prendrai la parole pour donner quelques explications à ce
sujet. Le nouveau local, ou plutôt le local ajouté au ministère de la justice,
a été fait par les soins et sur les fonds du ministère de l’intérieur, qui même
a pris soin de s’en expliquer dans les développements de son budget. Il a été
reconnu qu’il fallait augmenter le local du ministère pour placer différents
bureaux. Il n’y avait qu’un endroit où cette addition fût possible c’était dans
cette partie de l’hôtel qui a été rehaussée d’un étage et qui est fort éloignée
du local principal.
Le ministre de
l’intérieur a pris soin d’indiquer qu’il se proposait d’ajouter au chiffre
alloué par la chambre pour constructions et réparations des édifices de l’Etat,
si ma mémoire est fidèle, une somme de 5 ou 6,000 fr. pour l’établissement de
ces bureaux. II n’y a pas de ministre plus mal logé que le ministre de la
justice ; il est difficile de trouver rien de plus incommode. Moi, par exemple,
messieurs, dont la famille est bien moindre que celle de mon successeur, je m’y
trouvais tellement restreint que je ne pouvais presque jamais au besoin y loger
un ami. La construction dont la demande d’augmentation, qui est faite
aujourd’hui, est la conséquence, a été votée en pleine connaissance de cause,
par les deux chambres ; voilà exactement comment les faits se sont passés.
M. Gendebien.
- il m’importe peu de savoir que le ministre a fait les constructions dont il
est question. Je n’ai point cherché à diriger d’attaque personnelle contre qui
que ce fût. Je ne conteste pas non plus la nécessité de cette construction,
mais je dis seulement que la chambre s’est engagée sans le savoir à une dépense
de 20,000 fr., et je trouve que l’honorable M. Lebeau répond fort mal quand il
évalue cette dépense à 5 ou 6,000 fr. Ainsi la chambre, en croyant n’accorder
que 5 ou 6 mille francs, se trouve avoir dépensé 25 à 26,000 fr. C’est
précisément ce qui renforce ma critique. Tous les jours vous pensez autoriser
des dépenses en apparence de 5 ou 6 mille francs et en réalité de 25 à 26,000.
S’il est constant que le logement est par trop exigu, pourquoi y faire
de nouvelles dépenses ? Pourquoi ne pas choisir tout d’un coup un local
convenable qui ne nécessitera pas l’an prochain de nouvelles demandes ? De deux
choses l’une, ou le local convient, ou il ne convient pas. Que l’on en
choisisse un convenable à Bruxelles, cela ne sera pas difficile à trouver, et
quand vous en aurez choisi un, vous pourrez disposer de ces terrains, de façon
que le trésor ne soit pas lésé. La chambre saura au moins tout d’un coup ce
qu’il lui en coûtera.
M. de Brouckere. - Je demanderai à M. le ministre de la justice si les bureaux de
l’administration de la police se trouvent toujours dans l’hôtel du ministère de
la justice.
M.
le ministre de la justice (M. Ernst). - Ils y sont encore. A l’époque où les constructions ont été faites,
l’administration de la police n’avait pas été distraite du département de la
justice.
M. de Brouckere. - Il me semble que puisque la police n’est plus du ressort de ce
ministère, on pourrait bien la déplacer.
Plusieurs voix. - Il n’y a pas de place.
M. de Brouckere. - Eh bien, qu’on en fasse. Il me semble que si on déplaçait la police,
le local deviendrait suffisant, tant pour le ministre que pour ses bureaux.
M. le ministre de
l'intérieur (M. de Theux). - Messieurs, il
est de toute impossibilité de placer l’administration de la police au ministère
de l’intérieur. Le local de ce ministère est si occupé, que j’en suis réduit,
pour tout logement, à un cabinet. Cet état de choses ne peut changer, jusqu’à
ce que le ministère de l’intérieur ait été transporté ailleurs.
M. Liedts, rapporteur de la section centrale. - Je serais tout à fait
d’accord avec l’honorable M. de Brouckere, s’il s’agissait d’agrandir le ministère
de la justice ; je demanderais s’il ne serait pas mieux d’agrandir celui de
l’intérieur. Mais la seule demande qui soit faite en ce moment, est celle d’un
messager de plus. Pour ma part j’ai examiné le nombre des huissiers et des
messagers, afin de voir s’il ne serait pas possible que le même nombre
subsistât sans augmentations, et je me suis convaincu de l’impossibilité où
l’on était de se passer de ce messager de plus. Je crois donc indispensable que
la demande de M. le ministre soit accordée par la chambre.
M. Gendebien.
- Mon intention n’est pas de refuser un huissier de plus. J’ai seulement pour
but de prouver que la chambre ne saurait être trop attentive dans les
allocations qu’elle accorde pour les constructions, et même pour toutes
dépenses quelconques. Car vous le voyez, où la chambre croit n’avoir accordé
que 5 à 6,000 fr., elle se trouve engagée pour 25,000. Un messager de plus est
nécessaire, le rapporteur de la section centrale le constate lui-même ; on ne peut
donc se refuser à l’accorder.
M. le
président. - Il y a dans l’article en
discussion un transfert au ministère de l’intérieur pour traitement des
employés de l’administration publique
M.
Gendebien. - Je demande la parole à l’égard de ce transfert.
L’honorable M. de Mérode vous a dit que très provisoirement l’administration de
la sûreté publique serait transportée au ministère de l’intérieur ; je demande
si ce transitoire durera une année tout entière.
M.
le ministre de la justice (M. Ernst). - L’administration appartient au gouvernement ; il règle, suivant
qu’il le juge utile, les attributions des divers départements ; je ne sais si
la police sera réunie au ministère de la justice, et à quelle époque elle le
sera, rien n’a été prévu encore à cet égard.
- L’article 2, dont le chiffre est de
97,522, est adopté.
Articles
3 et 4
« Art. 3. Matériel. »
- Le chiffre de la section centrale auquel
se rallie le ministre, est de 13, 000 fr. Il est adopté.
« Art. 4. - Frais de route et de
séjour : fr. 2,000. »
- Adopté.
Chapitre II. - Ordre judiciaire
Articles
1 à 4
« Art. 1er. Cour de cassation.
Personnel : fr. 233,800. »
« Art. 2. - Matériel et menues
dépenses : fr. 3,000. »
« Art. 3. - Cour d’appel. Personnel :
fr. 507,390. »
« Art. 4. - Matériel des cours
d’appel : fr. 18,000. »
- Ces articles sont successivement mis aux
voix et adoptés.
M. Liedts.
- Je demanderai à M. le ministre de la justice s’il ne serait pas possible de
réaliser le vœu de la deuxième section qu’il soit dressé, par les greffiers des
cours et tribunaux, des inventaires exacts du matériel appartenant à l’Etat, et
que, tous les ans, il soit fait un procès-verbal de récolement.
M.
le ministre de la justice (M. Ernst). - J’ai déjà satisfait à cette juste réclamation, et j’ai donné des
ordres pour que cet inventaire et ce récolement soient faits dans toutes les
cours et tribunaux.
« Art. 5. Tribunaux de première
instance et de commerce : fr. 835,650. »
- Adopté.
M. Gendebien.
- Messieurs, quant à tous ces chiffres relatifs aux cours et tribunaux, il n’y a
pas la moindre observation à faire, puisque des lois les ont réglés. Mais, à
l’occasion du traitement des juges, je dois appeler l’attention de la chambre
sur la composition de certains tribunaux. Il en est d’établis depuis quarante
ans et qui ont toujours le même personnel, quoique ce personnel soit
insuffisant. Je vous citerai à cet égard le tribunal de Charleroy qui ne peut
pas expédier la moitié des cas qui lui arrivent. Et cependant
ce tribunal a un arriéré considérable. Le nombre des juges est trop restreint.
Il faut à Charleroy deux chambres au lieu d’une. Personne n’ignore le nombre
immense d’affaires qui se font aujourd’hui dans cette ville ; l’industrie s’y
est prodigieusement accrue, les propriétés y sont morcelées à l’infini depuis
30 ans. Les exploitations de houillères donnent, par leur nature, matière à
beaucoup de procès. Je demande à M. le ministre de la justice de porter son
attention sur ce point, et je suis convaincu qu’il reconnaîtra que le personnel
de ce tribunal n’est pas suffisant et qu’il y a nécessité de l’augmenter d’une
chambre.
M.
Frison. - Puisque l’honorable M. Gendebien a soulevé la question
relative au tribunal de la ville de Charleroy, je dirai à la chambre que j’ai
reçu une pétition à cet effet, que je vais, si elle le veut, déposer à
l’instant sur le bureau.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - L’insuffisance du personnel du tribunal de
Charleroy m’est démontrée, il sera nécessaire de proposer un projet de loi à cet
égard. Plusieurs députés du Hainaut m’ayant déclaré qu’ils avaient l’intention
de faire une proposition pour l’augmentation de ce personnel, j’ai répondu que
j’appuierais cette proposition.
M. Dumont. - Je n’ai pas
demandé la parole pour vous entretenir de la nécessité de donner une chambre de
plus au tribunal de Charleroy. Cette nécessité personne ne la conteste ; M. le
ministre de la justice vient d’en convenir. Je propose en conséquence d’ajouter
un article du budget portant l’allocation nécessaire pour l’établissement d’une
troisième chambre.
Plusieurs membres. - Il faut une
loi d’institution.
M. Dumont. - Je pense que cette loi ne dispense pas de voter
l’allocation dans le budget ; et je pense qu’il est plus régulier de la voter
dès à présent que d’attendre la loi d’institution, Si la loi est rendue, l’on
trouvera les fonds votés au budget. Si elle ne l’est pas, il n’en résultera
aucun inconvénient puisque la dépense n’aura pas lieu, quoique la somme ait été
votée.
Je crois qu’il serait
irrégulier d’agir autrement. Toutes les dépenses doivent être portées au
budget. Si la chambre ne vote pas l’allocation dès à présent, il faudra donc
après la loi d’institution une loi de crédit supplémentaire. Car il faut que
les allocations figurent dans le budget, pour que les dépenses puissent ensuite
figurer dans les comptes.
M.
le ministre de la justice (M. Ernst). - Je crois que le vote de l’allocation proposée aurait un grand
inconvénient ; nous ne savons pas, en effet, quels sont les fonds nécessaires
pour une augmentation de personnel, ni la manière dont cette augmentation doit
avoir lieu. Je crois donc qu’il faut laisser l’article du budget tel qu’il est.
La loi qui disposera sur l’augmentation du personnel du tribunal de Charleroy,
contiendra en même temps un crédit supplémentaire. Cela ne souffrira aucune
difficulté.
M. le président.
- Aucune proposition n’étant faite pour changer le chiffre de l’art. 5, il est
maintenu et adopté.
Article
6
« Art. 6. Justices de paix et tribunaux de
police : fr. 312,720. »
- Adopté.
Chapitre III. - Justice militaire
Article
premier
« Art. 1er. Haute cour militaire.
Personnel : fr. 62,050. »
M. Gendebien.
- Messieurs, je vois figurer dans le budget du ministère de la justice les
dépenses de la justice militaire. J’ai toujours compris que la justice
militaire fût dans les attributions de ce ministère. Mais si je ne me trompe
pas, je crois avoir lu dernièrement dans le Moniteur
que le ministre de la guerre avait nommé un conseiller de la haute cour
militaire. Or, il me semble que ces nominations doivent rentrer dans les
attributions du ministre de la justice. Je me crois d’autant plus en droit de
me plaindre au sujet de cette nomination, que l’honorable conseiller à la haute
cour militaire qui a été mis à la pension est très valide et capable de rendre
de bons services, encore pendant plusieurs années. A moins que l’on n’ait
déplacé l’un, uniquement pour en placer un autre, je ne comprends en quoi cette
mutation a pu être utile.
On s’est plaint, lors de la discussion du
budget de la guerre, de la superfétation des emplois de commandant de la place
de Bruxelles, de commandant de la province du Brabant et de gouverneur de la
résidence royale. M. le ministre de la guerre a assuré que cet état de choses
allait cesser. Singulière manière de faire cesser un abus, que de le faite
cesser par un abus plus grand encore ! Car remarquez que, pour réparer un abus,
on nous fait donner une pension à un homme valide et très valide ; or c’est un
grand abus.
D’un autre côté, nous ne sommes point
débarrassés de l’inutile emploi de commandant de la province du Brabant ; car
ce n’est que provisoirement qu’il est réuni à celle de gouverneur de la
résidence royale. Pour peu que dans 3 ou 4 mois il y ait des objections sur
telle ou telle position militaire, ou que le gouvernement trouve utile de
reconnaître les services de tel ou tel officier, il nommera un nouveau commandant,
à moins que l’on ne reconnaisse les services de cet officier en le nommant
conseiller à la haute cour militaire et en mettant à la retraite quelqu’un de
ses membres aussi valide que celui qui vient d’y être mis. C’est ainsi que
d’abus en abus on obère le trésor.
Je demanderai à M. le
ministre de la justice s’il n’entend pas avoir dans ses attributions la
nomination des membres de la haute cour militaire. Le comité de la justice, que
j’avais l’honneur de présenter, a nommé tous les conseillers de la haute cour
militaire. Tout ce qui est relatif à la justice doit dépendre du ministère de
la justice.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Comme la haute cour militaire compte des membres
de l’ordre militaire et des membres de l’ordre civil, ceux qui appartiennent à
l’ordre militaire sont nommés sur la proposition de M. le ministre de la guerre
; les autres sont proposés à Sa Majesté par le ministre de la justice.
M. de Brouckere. - Je demanderai en vertu de quelle loi sont réglés les appointements
de la haute cour militaire.
M.
le ministre de la justice (M. Ernst). - Le gouvernement provisoire a institué la haute cour militaire, et
fixé les appointements de ses membres. Ils ont été ensuite réglés par les
allocations de la législature.
M. de Brouckere. - Si ma mémoire est bonne, il n’y a aucune loi en vigueur qui règle
les appointements de la haute cour militaire. Je pense que la loi qui réglait
cet objet n’était que temporaire, que sa durée est expirée, et que cette loi
pas été remplacée. D’où il suit que les appointements de la haute cour
militaire ne sont réglés par aucune loi. J’appelle l’attention de M. le
ministre de la justice sur cet objet.
M.
le ministre de la justice (M. Ernst). - Cette question a déjà été agitée dans la discussion des précédents
budgets. Il a été répondu que comme il ne s’agissait ici que d’une institution
provisoire, on n’avait pas cru devoir faire une loi nouvelle. Je crois que
l’allocation du budget suffit jusqu’à ce que la matière ait été définitivement
réglée par la loi.
- Le premier article du chapitre III est
adopté.
Article
2
« Art. 2. Haute cour militaire.
Matériel : fr. 4,200. »
- Adopté.
« Art. 3. Auditeurs militaires et
prévôts : fr. 53,921. »
M. de
Robaulx. - Puisqu’il s’agit encore ici de justice militaire, M. le
ministre de la justice ne trouvera pas déplacé que je demande si nous aurons
enfin une organisation judiciaire militaire, si l’institution de la haute cour
militaire, que je ne regarde pas maintenant comme constitutionnelle, sera
bientôt réglée par la loi ; si M. le ministre de la justice prend, de concert
avec M. le ministre de la guerre, telle disposition qu’il convient au sujet du
code militaire.
M.
le ministre de la justice (M. Ernst). - J’ai déjà eu l’honneur de dire à la chambre que le travail de la commission
chargée de cet objet est fort avancé, et que j’espérais qu’il pourrait être,
dès cette session, soumis à la législature.
M. de
Robaulx. - Ce travail comprend-il aussi la juridiction ?
M.
le ministre de la justice (M. Ernst). - Ainsi que j’ai eu l’honneur de le dire, il y aura trois codes : un
code d’organisation judiciaire, un code d’instruction criminelle et un code
pénal.
- L’article 3 du chapitre III est adopté.
Chapitre IV. - Frais de poursuites et d’exécution
Article
unique
« Article unique. Frais de poursuite et
d’exécution : fr. 575,000 fr. »
- Adopté.
Chapitre V. - Constructions, réparations, loyers des locaux
Article
unique
« Article unique. Constructions,
réparations, loyers des locaux : fr. 35,000. »
- Adopté.
Chapitre VI. - Moniteur et Bulletin officiel
Article
premier
« Art. 1er. Impression du Bulletin
officiel : fr. 21,180. »
M.
le ministre de la justice (M. Ernst). - Le montant de cet article est calculé d’après le nombre des numéros
du Bulletin officiel. Chaque numéro
coûtait 7 francs, il ne coûte maintenant que 6 fr. ; c’est ce qui a permis de
réduire cet article de 25,000 fr. à 21,180. Cependant je proposerai une légère
majoration de 120 fr. pour réparer une erreur de calcul qui a été commise.
3,536 numéros du Bulletin officiel
sont distribués par le ministère de la justice ; chaque numéro coûte 6 fr. ; ce
qui fait au lieu de 21,180 fr., 21,216 fr. Je demanderai au lieu de cette somme
21,500 fr., parce que les besoins du service pourraient réclamer la
distribution de quelques numéros en outre de ceux maintenant distribués.
- L’article premier du chapitre 6 est
adopté avec le chiffre de 21,300 francs.
Articles
2 et 3
« Art. 2. Impression, etc., du
Moniteur, : fr. 58,000 »
- Adopté.
« Art. 3. Abonnement au Bulletin des
arrêts de la cour de cassation : fr. 2,100. »
- Adopté.
Article
unique (devenu article premier)
« Art. unique.
Pensions : fr. 10,000. »
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je ne sais si c’est dans cet instant que je dois
adresser la parole â la chambre pour lui soumettre une proposition.
Il n’y a dans ce chapitre qu’un article ;
j’aurai l’honneur d’en proposer un deuxième ainsi conçu :
« Secours à des magistrats ou à des veuves
de magistrats, qui sans avoir droit à la pension, ont néanmoins des titres à
l’obtention d’un secours à raison d’une position malheureuse. »
M.
de Robaulx. - Je voudrais savoir quand nous aurons une loi qui règle
les diverses pensions. Je ne suis pas en position de juger si la somme de
10,000 fr. demandée pour pensions suffit aux besoins ou si elle les excède ;
mais je voudrais savoir si l’on ne nous présentera pas bientôt une loi sur les
pensions. Dans ce cas, cet article et le nouvel article proposé par M. le
ministre ne seraient que provisoires.
M.
le ministre de la justice (M. Ernst). - Une loi sur les pensions ne comprend pas seulement le ministère de
la justice, elle comprend tous les ministères. C’est un objet très important et
dont l’urgence a été reconnue. Mais l’honorable préopinant reconnaîtra avec moi
qu’alors même que le gouvernement présenterait immédiatement un projet, il n’en
résulterait rien, puisque la chambre occupée comme elle est ne pourrait pas
l’examiner dans le cours de cette session. Du reste, je déclare que je ferai
tout ce qui dépendra de moi pour présenter ce projet.
M.
de Robaulx. - Mais dans cette session ?
M.
le ministre de la justice (M. Ernst). - Oui, si cela est possible.
M. de
Robaulx. - Votre « si cela est possible » nous renvoie aux
calendes grecques.
M. H. Dellafaille. - Le nouvel article proposé par M. le ministre de la
justice ne serait-il pas mieux place dans le budget de la dette publique au
chapitre des rémunérations ? On pourrait le réunir à la somme demandée par M.
le ministre de l’intérieur pour ses employés, d’autant plus que cette somme
s’applique aussi aux employés des autres ministères.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Messieurs, j’ai cru par cette proposition remplir
un devoir pressant. J’ai eu, depuis que je suis au ministère, la douleur de
voir des veuves de magistrats dans la plus triste position ; réduites à ne
pouvoir acquitter les frais funéraires de leur mari. Les femmes de magistrats
sont dans une position à ne pouvoir pas exercer une profession lucrative. C’est
avec les faibles appointements du magistrat que toute sa famille doit se
soutenir. Lorsque le chef de la famille meurt, la veuve se trouve souvent dans
la position la plus affligeante. J’ai été dans la nécessité de répondre à ces
malheureuses que je n’avais aucun fonds dont je pusse disposer en leur faveur ;
j’ai été obligé de les recommander à la munificence royale. Et sans doute il
est très fâcheux d’être obligé de fournir ainsi des traites sur la liste
civile.
M. de
Robaulx. - Dites au moins quand vous croyez pouvoir présenter la loi
sur les pensions. Vous dites que vous la présenterez quand ce sera possible ;
cela ne signifie rien.
M.
le ministre de la justice (M. Ernst). - J’ai les meilleures intentions du monde ; mais je ne puis pas faire
l’impossible.
M. de
Robaulx. - C’est que quand vous dites que vous présenterez bientôt une
loi, cela veut dire dans un mois ou un an. Quand ce sera possible, veut donc
dire plus longtemps encore. Cependant il s’agit d’une loi dont l’urgence a été
reconnue par la constitution.
M.
le ministre de la justice (M. Ernst). - Il y a bien d’autres lois dont l’urgence est déclarée par la
constitution.
M.
de Robaulx. - Je le sais, et c’est pour cela qu’il faut faire plus de
diligence. Qu’on s’occupe donc de cette loi. A chaque instant les membres de la
législature sont assaillis par de militaires, des magistrats, des
fonctionnaires civils qui demandent une loi, pour que les pensions auxquelles
ils ont droit soient réglées. Faites cesser ces réclamations en y faisant
droit. D’ailleurs, la constitution vous en fait un devoir.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - L’honorable préopinant vient de parler de pensions
militaires. Je lui rappellerai que dès 1831, on a présenté un projet de loi sur
cet objet, et il n’a pas encore été discuté ; il est toujours dans les cartons.
Or, si l’on pas eu le temps de s’occuper d’un projet de loi aussi simple, dont
l’urgence n’est contestée par personne, assurément l’on aurait encore moins le
temps de discuter un projet aussi compliqué que celui sur les pensions de
toutes les administrations publiques.
Du reste, nous ne sommes pas privés de
toute législation en matière de pension. L’arrêté-loi de 1814 est toujours en
vigueur ; une seule de ses dispositions a été abrogée, c’est l’art. 14 qui
permettait au gouvernement de faire ce qu’il jugerait à propos. Les autres
dispositions de cet arrêté-loi sont en pleine vigueur, et sont appliquées
journellement sans donner lieu à la moindre contestation.
Maintenant je désire
également que cet arrêté-loi soit soumis à une révision. Si la chambre est trop
surchargée de travaux pour pouvoir s’occuper de cet objet dans cette session,
j’espère que dans le courant de la session prochaine, cette révision pourra
avoir lieu.
Il ne faut pas perdre de vue que ce n’est
pas la loi des pensions, mais la liste des pensions dont la révision a été
déclarée urgente par la constitution. Cet objet a été soumis au congrès et il
n’eut pas le temps de le discuter. Moi-même, à cette époque, je fus membre
d’une commission chargée de ce travail, et je dois déclarer que jamais elle ne
s’est réunie. Je ne prévois pas, je l’avoue, à quelle époque l’on pourra
s’occuper de la révision des pensions.
M. de Robaulx. - Vraiment, messieurs, plus
nous entendons de ministres et moins nous devons espérer notre loi sur les
pensions. C’est justement parce que votre commission ne s’est jamais réunie
qu’il faut s’occuper d’urgence de cet objet, déclaré urgent par la constitution.
Si ce n’est possible que dans la session prochaine, soit. Mais qui vous empêche
de publier bientôt votre projet ? Tous les intéressés en prendront
connaissance. Nous serons éclairés par eux et par la presse, quand viendra le
moment de la discussion. Je demande que le ministre s’engage à présenter la loi
sur les pensions dans un bref délai.
M. Jadot. -
Je ferai observer à M. le ministre de l’intérieur qu’un décret impérial, du 4
juillet 1806, règle les pensions des employés de son ministère.
M.
le ministre de la justice (M. Ernst). - Ce décret ne s’applique qu’aux employés des mines et des ponts et
chaussées, mais nullement aux autres employés.
Je ne peux que répéter la déclaration qui
a été faite : nous espérons que dans la session prochaine la chambre sera
saisie d’un projet de loi sur la révision des pensions. Dans cette session il
est de toute évidence qu’on ne peut s’en occuper.
M.
Jadot. - L’arrêté dont je parle est du 4 juin 1806 ; il est relatif à
tous les employés du ministère de l’intérieur, et il existe un arrêté
postérieur, qui assimile les employés de l’administration centrale aux autres
employés. La législation est complète pour le département de l’intérieur. (Erratum au Moniteur belge n°18, du 18 janvier 1835 : ) Elle n’avait jamais
été exécutée. »)
- L’article premier mis aux voix est
adopté.
L’article 2, nouveau, est mis en
délibération.
M. Verdussen.
- Je crois que sous le rapport de l’humanité, de la justice, il faut accorder
le secours qui nous est demandé ; mais relativement à la hauteur du chiffre il
faudrait renvoyé l’article à la section centrale ou ne peut pas voter d’emblée
4,500 fr.
Je demande un examen préalable.
M. Lebeau. - Je ne pense pas que le
renvoi à la section centrale ait un but utile. II est impossible que le
ministre puisse donner aucun éclaircissement sur des faits éventuels ; il ne
peut savoir combien de magistrats mourront dans l’année, et si ce seront les
plus riches on les plus pauvres : si le chiffre proposé doit donner lieu à
quelque étonnement, ce doit être par son exiguïté. Dans plusieurs cas, j’ai vu
des magistrats qui après avoir blanchi honorablement dans leurs fonctions, qui
après avoir siégé pendant 30 à 40 ans, se sont trouvés dans une position pénible
à la fin de leur carrière. La liste civile, on vous l’a dit et je puis
l’attester, est heureusement venue à leur secours, car les pensions de retraite
sont trop faibles pour pourvoir aux besoins de la vieillesse d’un grand nombre
de magistrats
M. de
Robaulx. - Pourquoi ne demande-t-on pas plus que 4.500 fr. ?
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Si je n’ai demandé que 4.500 francs, c’est dans la
crainte qu’on ne m’accordât rien si je demandais davantage. Je ferai remarquer
que le ministre ne peut abuser de l’allocation quelle qu’elle soit : la section
centrale a soin, chaque année, de s’enquérir de l’emploi des fonds votés dans
les sessions précédentes et ses investigations rendent tout abus impossible.
M. Verdussen.
- Les réflexions présentées par M. Lebeau me font persister dans ma
proposition. Si le chiffre est trop exigu, il faut qu’il soit augmenté. La section
centrale en jugera. Je ne connais pas les besoins ; je voudrais qu’on prît des
renseignements pour les constater.
- Le renvoi de l’article à la section
centrale, mis aux voix, n’est pas admis.
M. le président. - L’article 2
nouveau est ainsi conçu :
« Secours à des magistrats ou à des
veuves de magistrats qui, sans avoir droit à une pension, ont droit à des
secours comme se trouvant dans une position malheureuse : fr. 4,500. »
M.
Lebeau. - L’article s’applique, il me semble, aux magistrats et aux
veuves des magistrats ? (Oui ! oui !)
Sur cet article peut-on prélever une partie pour donner des secours à des
magistrats dont la pension est trop faible ? (Non ! non !) Je connais d’anciens conseillers qui ne peuvent
satisfaire aux besoins de leur famille avec leur retraite, qui ont sept ou huit
enfants et environ 2,000 francs de pension. La pension, quelque modique qu’elle
soit, prive-t-elle celui qui en est pourvu, du droit d’avoir un secours sur les
4,500 francs ?
M.
le ministre de la justice (M. Ernst). - Si on leur accordait un secours, ce serait un supplément de
traitement.
M. Lebeau.
- L’article nouveau ne remédiera donc qu’imparfaitement à un mal qui est dans
la nature des choses. Cependant, je crois que la rédaction de M. le ministre
est bonne, et que c’est dans la loi à faire sur les pensions qu’il faut
chercher le remède.
M.
le ministre de la justice (M. Ernst). - Les observations de l’honorable préopinant sont très justes ; les
pensions sont insuffisantes dans bien des cas ; mais je ne peux pas changer la
loi et donner des pensions plus fortes. Il s’agit dans l’article 2 nouveau de
secours à donner à des magistrats qui n’ont pas droit à la pension, ou à leurs
veuves.
- L’art. 2 est mis aux voix et adopté.
Article
premier
« Art. 1er. Frais d’entretien et de
nourriture des détenus : fr. 735,000 fr. »
M. A. Rodenbach. - J’ai ici une question à adresser soit au ministre de la justice,
soit aux administrateurs des prisons qui sont dans cette enceinte. On donne aux
prisonniers qui ont terminé le temps de leur détention les économies résultant
de leur travail, quand ils sont mis en liberté ; on leur donne souvent de cette
manière 200 ou 300 fr.
C’est dans un but
philanthropique qu’on fait des retenues sur le travail des prisonniers : en
sortant de la geôle, ils ne sont pas dans le dénuement ; ils peuvent vivre en
attendant du travail ; mais je demanderai si cette théorie répond à
l’expérience, si les précautions que l’on prend remplissent le but que l’on se
propose ? S’il faut en croire ce qui m’a été affirmé, c’est que les
prisonniers, par cela seul qu’ils ont de l’argent en recouvrant leur liberté,
loin de se livrer au travail, dont ils ne sentent pas le besoin immédiat, se
plongent dans les cabarets, se livrent à la débauche, perdent le goût du
travail, épuisent leurs ressources, puis s’abandonnent de nouveau au crime.
Dans ma province on prétend que les vols par récidive sont occasionnés de cette
manière. L’idée est peut-être un peu hardie ; je ne la soutiendrai pas ; mais
je la livre aux méditations du ministre et des administrateurs.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je crois que les craintes de l’honorable
préopinant ne sont pas fondées. Il est présumable que quelques individus
sortant des prisons, abusent des sommes qui leur sont dues et remises ; mais il
est évident que la mesure est profitable au plus grand nombre. Si les
prisonniers étaient sans ressources quand ils sont mis en liberté, ils seraient
dans la position la plus fâcheuse, position qui pourrait leur inspirer de
mauvaises pensées, et c’est afin que le besoin ne les provoque pas, pour ainsi
dire, au crime, qu’on leur remet leurs économies à la fin de leur détention.
M. de Brouckere. - Je ne dirai pas que l’idée émise par l’honorable M. A. Rodenbach est
hardie, je dirai qu’elle est au moins fort extraordinaire.
Toutes les personnes qui se sont occupées
du système pénitentiaire, toutes celles qui ont recherché les moyens d’empêcher
ceux qui ont commis une première faute de tomber dans la récidive, ont été
d’accord sur ce point : c’est que les individus qui avaient subi une détention,
ne devaient pas se trouver dans le dénuement en sortant de prison. On conçoit
qu’un homme qui sort de prison et qui n’a aucun moyen d’existence soit porté au
vol. En sortant de prison on inspire ordinairement peu de confiance et l’on
trouve difficilement du travail. Cela a été si bien senti en Belgique que l’on
a avise aux moyens de pouvoir remettre de l’argent aux condamnés à l’expiration
de leur peine.
Mais on a pris des
précautions avant de le leur donner. Voici jusqu’à quel point elles ont été
poussées. En remettant une somme trop forte à l’individu libéré on a craint
qu’il ne se livrât â la débauche avant de retourner chez lui ; et l’on a décidé
que l’argent qui lui était dû ne lui serait remis que par le bourgmestre de sa
commune ; on ne lui donne d’abord que de quoi payer ses frais de voyage. Il me
semble que l’on ne pouvait faire mieux. Je pense que l’idée que l’on a suggérée
à notre honorable collègue n’est qu’un sophisme et ne mérite pas qu’on s’y
arrête.
M. le ministre des
affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Je crois que quelques personnes n’ont pas compris la pensée de M. A. Rodenbach. Il
n’a pas prétendu que le dénuement du prisonnier
libéré fût un stimulant à la morale ; il a cru trouver des dangers à ce qu’un
tel individu reçût une somme un peu forte en recouvrant sa liberté. M. de
Brouckere vient de vous exposer les précautions que l’on a prises contre ce
danger ; je crois qu’il serait difficile de les pousser plus loin. Toutefois,
je crois avec M. Rodenbach que s’il y avait des moyens légaux qui permissent de
ne remettre aux prisonniers libérés que par parties, les sommes économisées sur
leur travail pendant la détention qu’ils ont subie, les choses n’en seraient
que mieux. Mais, d’après les règlements existants, il ne peut pas en être
ainsi. L’argent est la propriété du prisonnier, et il faut le lui remettre en
totalité.
M.
Desmet. - Ce que l’on doit craindre, ce n’est pas qu’un prisonnier
reçoive beaucoup d’argent en sortant de détention, c’est qu’il n’y ait qu’une
petite partie des prisonniers libérés qui soient dans le cas de recevoir de
l’argent. Ceux qui n’ont point fait d’économies se trouvent portés au mal dès
les premiers pas qu’ils font hors du guichet de leur geôle. Malheureusement cet
inconvénient n’est que trop fréquent par suite des dépenses qu’on leur laisse
faire à la cantine des prisons. Là, on leur offre de mauvaises boissons, de
mauvais aliments qu’on leur vend fort cher, et il ne leur reste rien quand ils
sont mis en liberté.
Je connais une ville, Alost, où les
habitants se cotisent, afin de donner quelque chose au prisonnier qui a subi sa
peine. Ils ont compris les dangers de laisser dans le dénuement des hommes qui
se sont familiarisés avec l’idée de chercher des ressources dans le vol.
M. de Brouckere. - On se trompe si l’on croit qu’un prisonnier reçoive 300 ou 400 fr.
en sortant de détention ; ordinairement il ne reçoit que 60, 80, ou 100 fr., et
il est extraordinaire que la totalité des économies aille au-delà.
Conviendrait-il de ne remettre que par parties un aussi faible pécule ? Je ne
le crois pas. L’individu en sortant de prison doit reprendre son métier ; il
faut donc qu’il puisse se procurer des outils ou des marchandises ; veut-il
entrer dans un atelier, où on lui demande une caution. Je connais un fabricant
qui s’est offert à prendre dans sa manufacture les hommes sortant de prison,
pourvu qu’ils pussent déposer entre ses mains une certaine somme. Vous voyez
donc qu’il faut donner au prisonnier libéré les économies qui lui reviennent ;
et qu’on ne saurait retenir puisqu’elles sont sa propriété.
Est-il vrai qu’on
laisse faire trop de dépenses aux prisonniers dans les cantines des maisons de
détention ? Je ne le crois pas encore. Il me semblerait trop dur de les priver
absolument de toute douceur et de les astreindre invariablement an régime des
prisons. On doit leur permettre d’acheter un peu de tabac, un peu de pain blanc,
un peu de viande, et un verre de bière. Un homme qui travaille toute la
semaine, du matin au soir, doit pouvoir se procurer cet adoucissement à sa
situation.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de
Muelenaere). - J’imagine que les
observations présentées par M. Desmet ne sont pas inconciliables avec ce qu’a
dit l’honorable député de Roulers. M. Rodenbach ne voit pas d’inconvénient dans
la possession par le prisonnier d’une forte somme d’argent ; il ne voit d’inconvénient
qu’à la lui donner immédiatement.
Toutefois, je ne sais
sous quel prétexte on pourrait retenir une partie de la propriété d’un
prisonnier, propriété qu’il a acquise par le travail. Une difficulté plus
grande, peut-être, se présente encore ; comment doit-on diviser la somme due au
prisonnier libéré ? Cette division dépend évidemment de bien des circonstances,
et il serait fort difficile de faire un règlement sur cet objet ; car on
pourrait remettre des sommes plus ou moins fortes, selon le métier et la
moralité de l’individu.
M. Desmanet de Biesme. - Je sais combien l’administration des prisons a
fait de progrès en Belgique ; je sais que nos maisons de détention sont,
relativement à leur organisation intérieure, des établissements dont nous
pouvons nous enorgueillir, en les comparant aux établissements semblables des
autres pays. Toutefois, je demanderai s’il ne faudrait pas déposer dans les
caisses d’épargnes les économies des détenus.
M. de Brouckere. - C’est ainsi que cela se fait !
M. Desmanet de Biesme. - En ce cas je n’ai plus rien à dire.
M. A. Rodenbach. - L’argent qui revient à un prisonnier est sa propriété,
et on ne peut pas disposer de la propriété d’autrui. Toutefois l’idée que j’ai
soumise à l’assemblée m’ayant été communiquée par deux commissaires de police,
hommes actifs et que l’expérience a éclairés sur ce point, j’ai cru devoir la
livrer à vos réflexions. Ces commissaires de police prétendent que ce sont les
individus qui peuvent, en sortant de prison, se livrer à la débauche, qui
recommencent ensuite à voler. Pour prendre des renseignements sur les cas de
récidive, j’ai été à la maison de St-Bernard ; mais les registres n’y sont pas
fort en règle et je n’ai pu rien apprendre.
Tout ce que l’on nous a dit, c’est que les
femmes sont plus sujettes à la récidive que les hommes. Je n’ai pas demandé de
quelle récidive on voulait parler. Mais voilà ce fait. (Hilarité.)
M. de Brouckere. - J’entends parler souvent de nombreux cas de récidive. De tout temps,
messieurs, ils ont été fréquents. Il faudrait que l’on vînt avec des chiffres
statistiques en main, nous prouver que les récidives sont plus nombreuses
qu’auparavant. Je déclare que je ne sais rien de positif à cet égard.
L’honorable M. Rodenbach s’est rendu à la prison de St.-Bernard. Il s’est
convaincu que le plus grand nombre des prisonniers y sont retenus pour cause de
récidive. Cette observation est facile à expliquer. La prison de St.-Bernard
est destinée à recevoir les prisonniers condamnés correctionnellement à un
emprisonnement de plus de 6 mois. Lorsqu’un accusé est dans le cas de récidive,
la peine que l’on porte contre lui est plus sévère, d’où il résulte que ceux
qui se trouvent dans cette catégorie sont ordinairement envoyés à St-Bernard,
tandis que ceux qui n’ont été condamnés qu’une fois, sont répartis dans les
prisons des chefs-lieux de district.
Voilà comment on peut expliquer le grand
nombre d’individus condamnés pour cas de récidive qui sont détenus à
St-Bernard. Je ne prétends pas cependant que le nombre des cas de récidive soit
moins grand qu’auparavant. Je suis, à cet égard, dans l’ignorance la plus
complète. S’il est vrai que le nombre des récidives s’augmente, un pareil fait
mérite l’attention du gouvernement.
M. A. Rodenbach. - Cela paraît prouvé.
M. de Brouckere. - Cela paraît prouvé, au dire de quelque personnes. Puisque M.
Rodenbach m’interrompt, je lui dirai qu’il ne faut pas s’en tenir au dire de
quelques individus. L’honorable M. Rodenbach a déclaré que ce n’était pas son
opinion qu’il émettait, mais qu’il tenait ces faits de deux commissaires de
police ; cela se conçoit bien. Les commissaires de police ne seraient pas
fâchés d’avoir les prisonniers libérés qui ont été condamnés deux fois sous
leur surveillance immédiate, sous leur dépendance. Ils voudraient bien que l’on
rétablît une espèce de haute police, que chaque condamné libéré vînt chaque
semaine solliciter une part de son argent que l’on aurait mis entre leurs
mains, il faut se mettre en garde contre ces conseils intéressés. Je fais cette
observation à l’honorable M. Rodenbach, parce qu’il a commencé par dire qu’il
ne soutenait pas son opinion personnelle.
M.
Donny. - Je pense avec l’honorable préopinant que rien n’est moins
avéré que l’augmentation du nombre des récidives. Il en est probablement de
cela comme du nombre colossal des crimes dont on a parlé dans une séance
précédente. C’est sur la foi des journaux que l’on s’est fondé pour avancer ce
fait ; mais rien n’est moins certain que des renseignements de cette nature. Je
puis fournir sur cette question des données un peu plus positives. Je ne sais
pas jusqu’à quel point on peut être fondé à prétendre qu’aujourd’hui, il se
commet plus de crimes qu’autrefois dans les provinces autres que dans les
Flandres ; mais je sais que dans ces deux provinces, il n’en est pas du tout
ainsi ; puisque là, le nombre des crimes et des délits n’est pas plus grand
actuellement qu’il ne l’était dans les années précédentes. Je puis certifier ce
fait parce que M. le procureur-général de Gand m’en a donné l’assurance ces
jours derniers, cela de la manière la plus formelle, en ajoutant que si les
journaux continuaient à faire accroire au public que le nombre des crimes
allait en augmentant, il finirait par leur donner un démenti, du moins en ce
qui concerne les provinces de son ressort.
M.
Gendebien. - Le meilleur moyen de faire taire les journaux dont on met
en doute les assertions, sur la situation morale du pays, sur la question de savoir
s’il y a plus de crimes commis actuellement que dans les années précédentes,
c’est de présenter des renseignements statistiques. J’invite M. le ministre à
faire faire ce travail avant trois semaines ou un mois d’ici. Ainsi nous ne
perdrons pas un temps utile à discuter sur des données vagues. Je demande donc
à M. le ministre de nous présenter un tableau du nombre des crimes commis
depuis 20 ans et du nombre des récidives.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - J’ai l’honneur de faire connaître à l’assemblée
que l’on s’occupe dans mon ministère de tableaux statistiques qui pourront être
mis sous les yeux de la chambre dans le courant de l’année.
M. Desmanet de Biesme. - J’approuve le travail qui sera fait à cet égard et
je désire que l’on fasse deux colonnes pour les condamnés nationaux et
étrangers. Il y a beaucoup d’anciens condamnés aux galères en France qui sont
venus en Belgique.
- Le chiffre de 1,755,000
francs est mis aux voix et adopté.
Articles
2 à 4
Les chiffres suivants du chap. VIII sont
successivement mis aux voix et adoptés :
« Frais d’entretien et de nourriture
des détenus : fr. 733,000 »
« Traitements des employés attachés
au service des prisons : fr. 226,000 »
« Récompenses à accorder aux employés
pour conduite exemplaire, etc. : fr. 2,500 »
« Frais d’impression et de bureau :
fr. 8,000 »
La discussion est ouverte sur l’article 5.
« Construction, réparations, entretien du
mobilier : fr. 160,000 »
La section centrale propose 130,000
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - La section centrale a réduit de 30,000 fr. la
somme de 160,000 francs réclamée par le ministère de la justice comme
indispensable pour construction et réparation des prisons. Je crois devoir
insister pour le maintien de l’allocation de 160,000 francs. Pour justifier
l’emploi de cette somme j’ai eu l’honneur de déposer un tableau qui indique les
dépenses nécessaires à faire à diverses prisons de l’Etat. A l’appui de ce
tableau j’ai également déposé les réclamations des commissions, les devis
estimatifs et autres pièces qui déclarent l’urgence de ces constructions
indispensables.
M. Liedts, rapporteur. - Voici comment les faits se sont passés à la section centrale : Le
ministre demandait 160,000 fr. La section centrale lorsqu’elle en vint à
l’examen de cet article, a demandé des éclaircissements. Le ministre remit en
forme de pièces justificatives le détail des dépenses qu’il croyait nécessaires.
La section centrale ne trouvant pas ces renseignements suffisants, a cru devoir
borner le chiffre à 100,000 fr., somme accordée l’année passée. Cependant elle
y a ajouté 30,000 fr. pour réparations à faire à deux
grandes prisons dont l’urgence était certifiée par des membres de la section
centrale. Depuis, le ministre a déposé des pièces justificatives, telles que
devis estimatifs, déclarations des commissions administratives des prisons,
réclamations des régences, renseignements d’où il résulte que la somme de
60,000 fr. est nécessaire. Ces documents sont déposés au greffe où chaque
membre peut en prendre communication. Je crois donc que l’on pourrait adopter
le chiffre du ministre, avec d’autant plus de raison que la moitié de la somme
qu’il représente ne suffira pas pour achever la moitié des constructions et
réparations que les commissions et les régences reconnaissent comme tout à fait
urgentes.
M. Gendebien.
- Je prierai M. le rapporteur de vouloir me dire quand M. le ministre de la
justice a déposé au greffe les documents dont il parle.
M. Liedts, rapporteur. - Ces documents ont été fournis depuis l’impression du rapport. Il y a
3 ou 4 jours que les pièces dont je parle sont arrivées avec la déclaration du
ministre qu’il les soumettait à l’inspection de la chambre.
- L’art. 5 est mis aux voix et adopté.
Article
6
« Art. 6. Achat des matières
premières et salaires : fr. 950,000 fr. »
- Adopté.
Chapitre IX. - Etablissements de bienfaisance
Article
premier
« Art. 1er. Frais d’entretien et de
transport de mendiants dont le domicile de secours est inconnu : fr. 11,500
fr. »
M.
le ministre de la justice (M. Ernst). - Depuis la présentation du budget, il a été reconnu en comparant les
dépenses de 1834 avec celle de 1835, qu’avec 10 mille francs on pouvait faire
face à cette dépense ; en conséquence je demande que l’art 1er du chapitre X
soit réduit à ce chiffre.
- L’art. 1er réduit à 10,000 fr. est mis
aux voix et adopté.
« Art. 2. Subsides à accorder
extraordinairement a des établissements de bienfaisance : fr. 30,000 fr. »
M. A. Rodenbach. - Messieurs, nous voyons dans le rapport qu’une section a demandé à la
section centrale de se faire donner des explications sur l’emploi qu’on fait de
ces 30 mille francs accordés pour des établissements de bienfaisance. Nous
votons cette somme depuis deux ans et jusqu’à présent on n’a encore rien fait
pour les aveugles. Seulement on a accordé un subside pour les sourds et muets
de Liége. Il y a aussi des sourds et muets à Gand, l’honorable abbé Triest a
adressé pour eux une demande de subsides au ministre et il n’a encore rien
obtenu.
Un autre philanthrope a organisé une
institution de sourds et muets, mais il manque de fonds pour son école. M.
Carton se propose aussi de former un établissement. M. le ministre ou
l’administrateur chargé de faire la répartition, ne devrait pas oublier les Flandres.
Si je dois croire la statistique faite par M. Quetelet,
il y a dans les Flandres 600 aveugles et 400 sourds et muets. Je suis étonné,
je le répète, qu’on n’ait encore rien fait pour les aveugles qui sont en si
grand nombre dans notre pays. Il n’y a pas encore un seul aveugle à qui on ait
donné l’instruction, on les laisse croupir dans l’ignorance, Nous votons des
fonds pour les universités, pour les collèges, pour l’instruction primaire, on
nous demande des majorations tous les ans, et on abandonne des malheureux qui
sont privés sens nécessaire pour gagner la vie. On n’a fait jusqu’à présent
pour ce qui les concerne que des promesses.
Je sais que M.
l’administrateur a fait tous ses efforts auprès de la ville de Bruxelles pour
obtenir la création d’une institution pour les aveugles ; mais s’il ne trouve
pas assez d’activité dans les bureaux de bienfaisance, que le gouvernement
prenne l’initiative. Je prie M. l’administrateur de prendre note de mes
observations. Je lui rappelle que trente mille francs ont été alloués à
l’institution des sourds et muets de Liége, que les autres provinces ont été
oubliées et qu’on n’a rien fait pour les aveugles.
M.
le ministre de la justice (M. Ernst). - Le gouvernement a remis à la section centrale un tableau de l’usage
qui a été fait de la somme de 30 mille francs allouée pour secours aux
établissements de bienfaisance. Je ferai observer que le gouvernement n’a été
dans le cas de refuser des secours à aucun établissement de sourds et muets. On
a accordé à Liége la somme que cette ville avait réclamée pour un établissement
de cette nature dont la nécessité était généralement reconnue, mais pour les
autres établissements, aucune demande n’avait été faite. Le gouvernement a
stimulé les administrations locales pour l’érection de semblables
établissements. C’est ainsi qu’on a accordé à la ville de Bruxelles une somme
de cinq mille francs pour favoriser un établissement de sourds et muets qui
doit être dirigé par l’abbé Triest. Ce généreux philanthrope a demandé à la
chambre qu’une somme fût accordée pour pourvoir à l’entretien d’un certain
nombre de pauvres, je l’ai informé que si l’année prochaine avait besoin d’une
allocation pour entretenir des pauvres, je mettrais de nouveaux fonds à sa
disposition.
Quant à des établissements pour des
aveugles, je ferai tous mes efforts pour qu’il en soit créé. Mais malgré ses
bonnes dispositions le gouvernement, d’après la manière dont l’allocation est
accordée, ne peut pas en créer lui-même. Si la chambre croyait que le
gouvernement put prendre à cet égard l’initiative, je proposerais de changer le
libellé de l’article. Tout ce que le gouvernement peut faire quant à présent
c’est d’accorder des secours. Les conditions qu’il exige à cet égard, sont les
suivantes :
1° qu’on en réclame ; 2° que ce soit pour
un établissement utile ; et 3° que la nécessité en soit reconnue.
Quant à la répartition de la somme, elle a
toujours été faite avec impartialité ; et si l’honorable préopinant a fait
remarquer qu’un établissement de Liége avait obtenu quelque chose, je suis
persuadé qu’il ne pense pas que ce soit par préférence.
- L’art. 2 est mis aux voix et adopté.
Articles
3 et4
« Art. 3. Pour avances à faire au nom
des communes, à charge de remboursement de leur part, aux dépôts de mendicité
établis aux colonies agricoles : fr. 71,074. »
- Adopté.
« Art. 4. Subsides pour les enfants
trouvés et abandonnés, sans préjudice du concours des communes et des provinces
: fr. 200,000. »
- Adopté.
Chapitre X. - Frais de police, mesures de sûreté publique
Article
unique
« Art unique. Frais de police,
mesures de sûreté publique : fr. 80,000. »
- Transféré au ministère de l’intérieur.
Chapitre XI. - Dépenses ignorées et imprévues
Article
unique
« Art unique. Dépenses ignorées et
imprévues : fr. 10,000 fr. »
La section centrale propose de fixer ce
chiffre à 8,000 fr.
M.
le ministre de la justice (M. Ernst). - J’adhère à cette réduction. Je l’avais moi-même proposée.
- Cet article ainsi amendé est mis aux
voix et adopté.
Vote définitif sur l’ensemble du projet
M. le
président. - A quel jour la chambre veut-elle
fixer le vote définitif ?
Plusieurs membres. - A lundi.
M.
le ministre de la justice (M. Ernst). - Je ferai observer qu’aucun amendement n’a été proposé par la section
centrale. Tous ceux qui ont été adoptés avaient été proposés par moi, et ils
avaient le plus souvent pour objet de diminuer le chiffre du projet. Il
m’importe peu qu’on vote aujourd’hui ou un autre jour ; cependant je ne verrais
pas d’inconvénient à ce qu’on votât aujourd’hui.
M. Liedts, rapporteur. - Il n’y a pas d’urgence ; ainsi nous n’avons pas de motifs pour nous
écarter du règlement. Ce projet a subi des amendements, peu importe par qui ils
ont été proposés, ce ne sont pas moins des amendements.
M.
le ministre de la justice (M. Ernst). - Je n’ai fait qu’une observation, mais je n’ai pas fait de
proposition.
M. le
président. - Le vote définitif du budget du
ministère de la justice aura lieu lundi.
FIXATION DE L’ORDRE DES TRAVAUX DE
Plusieurs voix. - Qu’est-ce
qu’on fera demain ?
M. le
président. - On m’informe que le rapport sur
le budget de l’intérieur sera distribué ce soir.
M. Gendebien.
- On ne peut pas le discuter demain.
M. H. Dellafaille. - Pour satisfaire au désir de la chambre de s’occuper du budget du
ministère de l’intérieur, j’ai fait remettre le rapport à l’impression en
ordonnant d’en tirer pour ce soir un nombre suffisant d’exemplaires pour être
distribué â tous les membres. Mais les pièces annexées ne pourront être
distribuées que dans deux ou trois jours.
M. le
président. - La chambre veut-elle commencer
demain la discussion du budget de l’intérieur ?
M. de Brouckere. - Il n’y a rien qui presse. Le sénat n’est pas assemblé. Je ne vois
pas de motif pour ne pas observer le règlement.
- La séance est levée à quatre heures et
demie.