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Chambre des représentants de
Belgique
Séance
du mardi 29 juillet 1834
Sommaire
1) Pièces adressées à la
chambre, notamment pétition relative au projet de loi communale (de Muelenaere)
2) Projets de loi portant des crédits
supplémentaires au budget du département de la guerre (Dubus,
Pollénus, d’Huart, de Puydt, Dubus)
3) Proposition de loi visant à modifier le
début de l’année budgétaire (comptabilité de l’Etat) (Dubus,
Verdussen, Jullien, Dubus, d’Huart, Dubus,
A. Rodenbach, Jullien)
4) Projet de loi portant organisation des
communes. Discussion des articles. Droit de suspension et de révocation, du
bourgmestre et des échevins, par la députation provinciale, le gouverneur et/ou
le Roi (Desmet, Dumortier, A. Rodenbach, Pollénus, Lebeau, Dumortier, (+orangisme et affaire Dejaer) Rogier, Dubus,
(+orangisme) Rogier, Duvivier, A. Rodenbach, Coghen, (+affaire Dejaer) Dumortier, Jullien, Doignon, Dubus,
Dumortier, de Theux, Devaux, Dumortier, Jullien)
5) Motion d’ordre relative à l’impression
des budgets de l’exercice 1835 (Duvivier, Dumortier)
6) Projet de loi portant organisation des
communes. Discussion des articles. Principe de l’élection directe des
conseillers
(Moniteur
belge n°211, du 30 juillet 1834)
(Présidence de M.
Raikem)
M. de Renesse
fait l’appel nominal à midi et demi.
M. H.
Dellafaille donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier ; la rédaction
en est adoptée.
M.
de Renesse fait connaître l’objet des pétitions suivantes.
PIECES ADRESSEES A
« Le chevalier de Bruyn, colonel de cavalerie
en retraite, adresse des observations sur le projet de loi relatif aux
indemnités. »
- Renvoi à la section centrale chargée de
l’examen du projet de loi sur les indemnités.
________________
« Le conseil de fabrique de l’église d’Ohain demande que la chambre détermine dans la loi
communale si c’est au gouvernement ou aux communes à venir au secours des
fabriques d’église dont les revenus sont insuffisants. »
- Dépôt au bureau des renseignements.
________________
« Plusieurs négociants et fabricants de
Bruxelles joignent leurs réclamations à celles des fabricants de Gand pour
supplier la chambre de venir au secours de l’industrie cotonnière. »
- Renvoyée à la commission d’industrie.
________________
« Plusieurs habitants de Jumet demandent
que la chambre déclare incompatibles les fonctions de bourgmestre et échevins
avec la profession de brasseur. »
« Le sieur Opsomnen
adresse des observations sur le projet de loi communale. »
M. de Muelenaere.
- La chambre a ordonné dans la séance d’hier le dépôt au bureau des
renseignements d’une pétition analogue, afin que les membres de la chambre
puissent en prendre connaissance, je crois qu’elle doit prendre la même
décision pour celle-ci.
- Le dépôt au bureau des renseignements est
ordonné.
M. de Puydt
dépose le rapport de la commission chargée de l’examen des projets de loi portant
demande de crédits supplémentaires présentés par M. le ministre de la guerre.
- La chambre ordonne l’impression et la
distribution.
M. Dubus. -
Je demande que la discussion de ce rapport soit fixée à jeudi.
M.
Pollénus. - Il me semble que le rapport est assez volumineux. C’est à
peine s’il pourra être imprimé et distribué après-demain. Il est donc
impossible d’en fixer la discussion à ce jour-là, d’autant plus que
d’honorables membres de cette chambre ont appelé sur les demandes de crédit qui
en font l’objet les investigations de l’assemblée.
M. d’Huart. - J’appuie la proposition de l’honorable M. Pollénus.
On lit aujourd’hui dans un journal de
Bruxelles, aux nouvelles de La Haye, que le roi Guillaume aurait licencié la schuttery qui forme à peu près les 2/3 de l’armée
hollandaise. Si cette nouvelle se confirme nous pourrions réduire
considérablement notre armée et par suite il y aurait lieu a modifier les
projets de loi présentés par M. le ministre de la guerre. Dans quelques jours
peut-être, aurons-nous des renseignements plus officiels sur la nouvelle dont
j’ai parlé ; et alors peut-être devrons-nous réduire de beaucoup la demande de
M. le ministre, laquelle est de 7 millions. Je demande que la discussion soit
différée jusqu’à vendredi ou samedi.
M. de
Puydt, rapporteur. - D’après les renseignements que j’ai pris,
l’impression et la distribution seront terminées demain soir. Quant au licenciement
de la schuttery, c’est précisément parce qu’elle
forme les deux tiers de l’armée hollandaise, que je crois que nous devons nous
défier de cette nouvelle, et ne l’accueillir qu’avec la plus grande réserve. (Adhésion.)
M. Dubus. -
Je me rallie à la proposition faite par M. d’Huart, de fixer la discussion à
vendredi. La distribution du rapport aura lieu demain soir ; on aura donc tout
le temps de l’examiner.
- La chambre consultée fixe à vendredi la
discussion des projets de loi présentés par M. le ministre de la guerre.
M. Dubus. -
Dans la séance du 19 juillet, j’ai demandé la discussion du rapport de la
section centrale sur la proposition de M. Verdussen, relative au changement de
l’époque du commencement de l’année financière. On m’a fait observer que
l’honorable M. Verdussen était absent, et la chambre a décidé que cette
discussion n’aurait lieu que lorsqu’il serait de retour. Comme il est présent à
la séance, je demande que la discussion du rapport ait lieu jeudi, ou au
commencement de la séance de vendredi.
M. Verdussen. - J’adhère pour ce que me concerne
à la proposition de M. Dubus.
Quant au rapport, j’aurai peu de chose à dire. Dans la position où se trouve la
chambre, je me rallierai volontiers à la proposition d’ajournement faite par la
section centrale.
M. Jullien.
- Vous venez de fixer à vendredi la discussion des crédits supplémentaires ; je
ne vois pas pourquoi vous accorderiez maintenant la priorité à la proposition
de M. Verdussen. Il est possible
qu’elle entraîne une discussion plus longue qu’on ne pense. Je n’ai pas examiné
cette proposition ; j’ignore si elle est de nature à faire naître une longue ou
une courte discussion.
Toujours est-il que la demande de crédits est
urgente, puisque vous en avez fixé la discussion à vendredi. Je demande que la
proposition de M. Verdussen soit mise à l’ordre du jour après les crédits
supplémentaires.
M. Dubus.
- La proposition dé M. Verdussen a pour objet de fixer le commencement de
l’année financière au 1er juillet 1835. Sans doute reconnaîtrez-vous l’urgence
de s’occuper du rapport que la section centrale a fait sur cette proposition,
lorsque vous saurez qu’il conclut à son ajournement. En effet, ajourner
réellement la proposition, autant ne pas discuter la question d’ajournement. Il
n’est pas probable que cette discussion soit longue ; c’est sous ce rapport que
j’ai proposé de la fixer au commencement de la séance de vendredi ou à la
séance de jeudi. Il est évident que cette discussion n’occupera pas la chambre
pendant plus d’une séance. J’insiste donc pour qu’elle soit fixée à jeudi.
M. d’Huart. - Je ne vois pas pourquoi on viendrait encore
interrompre et arrêter par cette discussion le vote de la loi communale.
L’honorable M. Verdussen vient d’annoncer qu’il se rallierait à la proposition
d’ajournement faite par la section centrale. Si en un instant l’ajournement
doit être voté, il faut bien reconnaître qu’il n’y a pas d’urgence à s’en
occuper. Dès lors il me paraît bien plus rationnel que l’on continue la
discussion de la loi communale.
M. Dubus. - Je ne comprends pas cette
opposition qui tend à l’ajournement de toute discussion. Veuillez considérer
que si les conclusions de la section centrale tendant à l’ajournement ne sont
pas adoptées par la chambre, il faudra que la section centrale vous présente un
rapport sur le fond de la proposition. Si vous considérez en outre que c’est au
1er juillet 1835 que d’après la proposition il s’agit de fixer le commencement
de l’année financière, vous ne pouvez contester l’urgence de se prononcer au
moins sur la question d’ajournement.
M. d’Huart. - Eh bien, qu’on vote de suite sur
l’ajournement.
M. A. Rodenbach.
- Il n’y a aucun inconvénient à le voter de suite ; c’est une affaire de 5
minutes.
M. Jullien. -
Ce ne serait pas régulier ; la proposition n’est pas à l’ordre du jour. Si on
est d’accord sur l’ajournement, la chambre le votera aussi bien après-demain qu’aujourd’hui.
Je crois que d’après les considérations qu’a fait valoir M. Dubus, sa
proposition doit être adoptée.
- La chambre, consultée, fixe à jeudi la
discussion du rapport de la section centrale sur la proposition de M. Verdussen
relative au changement de l’époque du commencement de l’année financière.
PROJET DE LOI PORTANT ORGANISATION DES COMMUNES
Discussion des articles
Titre I. - Du corps
communal
Chapitre 1er. - De la
composition du corps communal et de la durée des fonctions de ses membres
Section 1ère. De la
composition du corps communal
Article 10
M. le président.
- La chambre est arrivée à l’art. 10. Le projet de la section centrale auquel
le gouvernement s’est rallié, est ainsi conçu :
« Les bourgmestre et échevins sont
révoqués par le Roi.
« Ils peuvent être suspendu de leurs
fonctions par la députation provinciale, à charge d’en donner avis dans les 24
heures au gouvernement.
« La durée de la suspension ne peut
excéder 3 mois. »
Voici les amendements et sous-amendements
présentés sur cet article :
Amendement de M. H. Dellafaille remplaçant l’art. 10.
« Les bourgmestres et les échevins peuvent être
suspendus de leurs fonctions par la députation permanente du conseil provincial
pour cause d’inconduite ou de négligence grave.
« Il sera donné connaissance des motifs de
la suspension au fonctionnaire inculpé, qui devra être entendu dans ses moyens
justificatifs.
« La durée de la suspension ne pourra
excéder trois mois, à moins que le fonctionnaire, atteint par cette mesure,
n’ait été mis en jugement.
« Dans le même délai de trois mois, le
bourgmestre ou l’échevin suspendu de ses fonctions pourra être révoqué s’il y a
lieu. La révocation du bourgmestre est prononcée par le Roi ; celle des
échevins, par la députation permanente du conseil provincial.
« Le fonctionnaire révoqué ne pourra être
présenté comme candidat pour la place d’échevin pendant les trois années qui
suivront l’arrêté de révocation. »
Amendement de M. de Theux.
« Les bourgmestres et échevins peuvent
être suspendus de leurs fonctions par le gouverneur ou par la députation
provinciale, pour le terme de trois mois au plus, pour cause d’inconduite ou de
négligence grave.
« Les échevins peuvent dans les mêmes cas être
démis par la députation provinciale.
« Les bourgmestres peuvent être révoqués
de leurs fonctions par le Roi. »
Sous-amendement de M. Dumortier.
« L’arrêté de suspension sers
motivé sur les faits qui se rapportent aux cas prévus par le présent
article. »
La discussion est ouverte sur l’article 10 et
les amendements.
M. Desmet. -
Messieurs, M le ministre de l’intérieur vous disait hier qu’il lui paraissait
que toute la chambre était d’accord de laisser au gouvernement le pouvoir de
révoquer ad libitum les bourgmestres
et les échevins ; il avait même l’air d’être un peu étonné de ne point
rencontrer de l’opposition dans l’assemblée sur cet immense pouvoir qu’on
accorderait si facilement au gouvernement.
En effet, cela m’étonnerait aussi qu’on
méconnaîtrait ainsi des principes si fondamentaux, et qu’on laisserait saper
avec tant d’indifférence le pouvoir municipal dans ses principales bases.
Si on n’envisageait les bourgmestres et le
échevins que comme de simples agents, de simples commissaires du gouvernement,
alors aucune difficulté ; ils ne feraient que remplir une commission ; ce
seraient seulement des délégués, dont l’autorité supérieure pourrait retirer le
mandat qu’il leur a confié, quand il le trouverait bon.
Mais de la manière que nos institutions
municipales seront organisées, et doivent l’être en vertu de la constitution,
le bourgmestre ne sera pas l’agent unique du gouvernement ; il sera aussi le
chef de la cité ou de la commune, et remplira une double fonction, celle du
commissaire du commissaire du pouvoir central, celle d’officier municipal ; les
échevins en outre ne seront jamais les agents du gouvernement, ils ne seront
que les magistrats administrateurs de la commune.
Pour ce qui regarde la nomination des
bourgmestres, quoique nous ayons fait un très grand sacrifice sur nos
franchises communales, que nous avions droit de conserver, telles que la
révolution de septembre nous les avait léguées, cependant nous ne sommes pas
sortis des principes, nous avons laissé à la commune sa part dans cette
nomination.
Or, comme disait hier l’honorable M. Doignon,
lorsque deux parties ont droit de concourir à un acte, il faut au moins qu’il y
ait quelque réciprocité, il n’est pas juste que l’un ait sur cet acte toute
l’autorité à l’exclusion de l’autre. La commune, ayant le droit d’avoir sa part
dans la nomination, doit avoir nécessairement la sienne dans la révocation ;
autrement elle se trouverait lésée et tout serait en faveur du pouvoir central
; et ce sera cependant ainsi si nous laissons au gouvernement le droit de
destituer les bourgmestres et les échevins quand il le trouvera bon.
Que le ministère soit d’opinion que le droit du
gouvernement ne s’étendra pas seulement à la destitution du bourgmestre en sa
qualité d’agent du gouvernement, mais aussi à celle d’officier municipal ;
c’est-à-dire que quand le gouvernement frappera de destitution un bourgmestre,
il le destituera de même de sa fonction de membre du corps municipal, il le
fera sortir du conseil municipal et même lui défendra d’y rentrer avant un
certain temps, c’est ce que vous a dit hier M. le ministre de l'intérieur dans
la réponse qu’il a faite à l’honorable M. Jullien, qui l’avait interpellé sur
ce point.
Avec un tel pouvoir où sera l’indépendance de
notre pouvoir municipal ? Nous ne devons plus parler des franchises communales
en Belgique, elle n’est plus ; et si ce sont là les fruits de notre révolution
de septembre, il valait bien la peine de la faire.
Et qu’on ne vienne pas dire que nos ministres
actuels seront avares des destitutions, qu’ils n’en feront que très rarement,
et quand il y aura de grands motifs, car nous savons qu’ils ont fait leurs
preuves à l’égard de l’exercice de ces actes arbitraires, qu’ils les emploient
sans le moindre sujet, que seulement vous ne devez pas leur déplaire ou ne pas
penser comme eux, pour qu’ils vous privent de vos fonctions, et qu’ils vous
frappent d’une destitution, et que la constitution et le serment même ne sont
point des freins pour eux.
Si vous laissez donc cet immense pouvoir de la
révocation des officiers municipaux au bon plaisir des ministres, vous
n’enlevez pas seulement à votre pays une partie des libertés qu’il a droit de
conserver, mais vous agirez même contre tous les principes qui, hors des temps
de l’arbitraire et du despotisme, n’ont jamais été méconnus ; et ici, je ne
ferai que répéter l’opinion d’un célèbre jurisconsulte, qu’on a déjà souvent de
fois cité dans cette discussion, et qui fait une première autorité dans cette
matière.
Quand Henrion de Pansey se demande quelles sont les places dans les
municipalités, il répond : ce ne sont point des commissions, ce sont des
charges.
Et quoique ces charges ne soient que
temporaires, que la loi fixe le terme de leur durée, qu’elles n’ont point
absolument le caractère des offices à vie, elles ne peuvent nonobstant être
révocables à volonté, comme le sont les commissaires ; les titulaires des
charges ne peuvent être privés de leurs fonctions que par l’échéance de leur
durée déterminée par la loi, par la résignation volontaire ou pour forfaiture
bien et dûment jugée.
Il y a cette différence entre les charges
temporaires et les offices à vie, que la durée des charges est irrévocablement
déterminée par la loi et que la mort seule peut enlever les titulaires des
offices à l’exercice de leurs fonctions. Ils ont ceci de commun que ceux qui
possèdent des charges et les titulaires des offices, sauf les cas de
forfaiture, la loi s’engage également à les maintenir dans leurs fonctions, les
uns pendant le cours de leur vie, les autres pendant la durée d’un temps
déterminé.
Il doit en être des officiers municipaux comme
de tous les juges. La loi doit également leur garantir la durée de leurs
fonctions, et nous devons nécessairement tenir en principe que, semblables aux
juges, ces officiers municipaux ne peuvent être destitués que pour forfaiture,
concession et malversation judiciairement constatées.
S’il en était autrement, je le dis encore, si
vous laissez dépendre la destitution des officiers municipaux des caprices des
ministres, de la colère ou de la jalousie d’un gouverneur, de la fausse
dénonciation d’un commissaire de district, vous n’auriez plus du tout de
l’indépendance dans le pouvoir municipal vous n’auriez plus de liberté, vous
mettriez entièrement sous le joug d’un pouvoir inique, sous l’absolutisme du
gouvernement, vos communes ; car cette arme coupera court à vos franchises
municipales, elle seule suffira pour les anéantir et mettre les fonctionnaires
municipaux à la merci du pouvoir central.
Vous aurez des municipalités de l’espèce des napoléoniennes,
vous n’y trouverez que de vils valets des ministres, qui agiront toujours
plutôt pour plaire au pouvoir et satisfaire le caprice des gouvernants que pour
agir dans l’intérêt de leurs communautés ; ce sont de telles municipalités qui
sous les deux gouvernements précédents ont laissé vider par l’administration
supérieure le trésor des communes.
Cependant il faut reconnaître, comme le
remarque aussi Henrion de Pansey,
que la règle ainsi appliquée dans toute son étendue pourrait avoir de fâcheuses
conséquences. L’administration a une marche si rapide et qui porte tellement à
l’arbitraire, que les chefs des administrations communales pourraient
multiplier les vexations de la manière la plus scandaleuse, si, pour en arrêter
le cours, le gouvernement en était réduit à recourir aux formes lentes et
solennelles des tribunaux. Il faut un remède plus prompt. Mais ce remède n’est
pas nécessairement dans une destitution. La suspension doit suffire et même des
formalités sévères doivent en attester la nécessité. Autrement, on ne ferait
que substituer l’arbitraire, et ce serait guérir un mal par un autre.
La suspension obvierait donc à l’inconvénient
que pourrait présenter la lenteur des tribunaux pour obtenir un jugement contre
les administrateurs coupables et les démettre de leurs fonctions ; mais, comme
nous venons de le dire, nous devons aussi chercher un moyen pour garantir les
officiers municipaux contre l’arbitraire même des suspensions, et Henrion de Pansey croit le
trouver dans une disposition de la loi qui autoriserait ceux que le
gouvernement aurait suspendus de leurs fonctions, à les reprendre si, dans un
temps déterminé, ils n’étaient pas mis en jugement.
De la
sorte la marche d’une bonne administration sera assurée et une barrière sera
placée contre les vexations des administrateurs communaux et d’un autre côté
sera aussi assurée l’indépendance de la commune, et les corps municipaux ne
risqueront pas d’être envahis par le pouvoir.
Je repousserai donc les dispositions de
l’article en discussion aussi bien celles de la section centrale que du projet
du gouvernement, et je ne pourrai jamais reconnaître au gouvernement le pouvoir
de révoquer d’après le bon plaisir des ministres les magistrats municipaux, et
laisser enlever ainsi à mon pays la plus belle de ses libertés.
M. Dumortier, rapporteur. - Je demanderais que
le ministère s’expliquât sur les amendements qui sont présentés. Il s’agit
d’une question qui résume quelle sera l’intervention du Roi dans l’organisation
de la commune.
M. le président.
- M. A. Rodenbach propose le sous-amendement suivant, au premier paragraphe de
l’amendement de M. Dellafaille : « Pour cause d’inconduite ou de
négligence, ou de non-exécution des lois. »
M. A. Rodenbach. - Tout en appuyant
l’amendement de l’honorable M. Dellafaille, j’ai cru y remarquer une lacune. Il
est dit dans cet amendement que l’on pourra suspendre le bourgmestre et les
échevins, ou bien les révoquer pour inconduite ou pour négligence grave.
Rappelez-vous, messieurs, ce qu’on a dit dans
cette enceinte, à l’égard de la régence de Liège, et je crois que vous
trouverez que mon sous-amendement remédiera à l’inconvénient de voir la marche
du gouvernement entravée par les conseils de régence. Le gouvernement aura
beaucoup plus de force, et il pourra marcher constitutionnellement.
M. Pollénus.
- Messieurs, je pense que la proposition de M. Rodenbach est tout à fait
inutile. De deux choses l’une : ou bien le magistrat dont on parle s’opposera à
des lois, dans ce cas il commettra un délit véritable qui sera un fait
d’inconduite ; ou bien la non-exécution de.la loi résultera de la négligence du
magistrat municipal, et ici encore l’amendement de M. Dellafaille sera
applicable.
Maintenant je soumettrai à la chambre quelques
réflexions sur l’amendement de M. Dellafaille.
Je lis au premier alinéa de cet amendement : «
Il sera donné connaissance des motifs de la suspension au fonctionnaire
inculpé, qui devra être entendu dans ses moyens justificatifs. »
Je pensais, messieurs, que les motifs de cette
disposition étaient puisés dans ce principe qu’il fallait entendre la personne
inculpée avant de la condamner. Cependant, d’après l’amendement, la suspension
doit être prononcée avant que la personne inculpée ait été entendue. Je pense,
messieurs, que dans certains cas il peut y avoir lieu à prononcer une
suspension instantanée, mais ces cas sont très rares, et il me semble que le
principe de condamner une personne sans l’entendre ne doit pas être posé dans
l’amendement.
Un autre inconvénient qui résulte de la
proposition de M. Dellafaille, c’est que la suspension devra être prononcée
avant de procéder à la révocation ; ainsi on fait dépendre la révocation de la
suspension, ainsi l’exercice du pouvoir royal sera subordonné à l’intervention
du pouvoir provincial. Il y a dans cette disposition quelque chose qui heurte
le principe admis à l’égard de la nomination du bourgmestre et de celle des
échevins eux-mêmes.
L’amendement de M. de Theux donne le droit de
suspendre au gouverneur ou à la députation provinciale ; je crois qu’il y
aurait un inconvénient à ce que la suspension soit prononcée alternativement
par l’une ou l’autre autorité de la province ; il me semble qu’il pourrait
résulter de là des conflits entre les deux autorités. Si le gouverneur prononce
une suspension, que diront les administrations municipales, et les personnes
qui se trouveront frappées par ce fonctionnaire ? Elles diront qu’il est fort
singulier que le gouverneur prenne une pareille mesure sans le concours de la
députation permanente du conseil, ou bien que la députation ne partage pas
l’avis du gouverneur.
Il me semble que M. de Theux devrait définir
l’autorité qui aura le droit de suspension, et donner ce droit à une seule
autorité.
Je n’adopte pas la disposition
commune aux deux amendements par laquelle le droit de suspension est donné à
une autre autorité que celle à qui vous avez attribué le droit de nomination.
Il me semble que la même autorité qui est investie du droit de révoquer doit
avoir également le droit de suspendre. Les suspensions comme les révocations
seront des faits très rares ; ils seront beaucoup plus rares sous le régime de
la loi communale que sous la législation actuelle, puisque le gouvernement
pourra prendre des précautions, qu’il ne peut prendre sous le régime actuel.
Je crois que la responsabilité sera beaucoup
plus réelle lorsque ce sera le gouvernement qui prononcera la suspension que
lorsque la suspension sera prononcée par des autorités intermédiaires. Si la
suspension devait se reproduire souvent elle pourrait être prononcée par ces
autorités ; mais dans l’état de nos mœurs, ainsi que je l’ai dit, ce cas sera
très rare, et le droit de suspendre doit être attribué au gouvernement.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Messieurs, les différents
reproches que l’on adresse sans cesse au gouvernement à l’occasion de la loi en
discussion, me sembleraient, s’ils étaient fondés, devoir être adressés avec
autant de justice à la section centrale qu’au gouvernement. Il faut remarquer
notamment dans l’article qui nous occupe actuellement, que, sauf quelques
dispositions secondaires, le gouvernement est d’accord avec la section centrale.
Je sais très bien que par un phénomène assez
bizarre, il se trouve que la section centrale n’a pas ici de plus grand
adversaire que son honorable rapporteur lui-même ; mais ce n’est pas une raison
pour séparer complètement du ministère la section centrale qui est l’émanation
présumée de la chambre, pour ne pas la comprendre dans les accusations qui
retentissent dans cette occasion contre le gouvernement.
L’article 10 de la section centrale porte en
termes exprès que les bourgmestres et échevins sont révoqués par le Roi ; je
crois que la section centrale est ici restée dans les vrais principes et
qu’elle est demeurée conséquente avec elle-même.
Je ne puis que difficilement me rendre raison
de l’opinion manifestée hier dans cette discussion par un honorable membre de
la minorité de la section centrale, opinion résumée dans un amendement que vous
avez sous les yeux.
L’honorable M. Dellafaille, dans plusieurs
phases de la discussion actuelle, n’a pas méconnu que le bourgmestre est agent
du pouvoir exécutif ; c’est parce qu’il en avait cette opinion que l’honorable
membre à consenti à la nomination du bourgmestre par le Roi. Mais, messieurs,
si le bourgmestre est agent du pouvoir exécutif, il une semble, avec la section
centrale, que le pouvoir exécutif doit avoir la faculté de démettre cet agent
si ses actes sont de nature à l’entraîner dans une voie où le gouvernement ne
saurait le suivre.
Je ne conçois donc pas, à moins que je ne
comprenne pas bien l’amendement de M. Dellafaille, que l’on veuille subordonner
la révocation du bourgmestre à la suspension préalable par des autorités qui
ressortissent au pouvoir provincial. Ainsi un bourgmestre aura perdu la
confiance du gouvernement, ainsi les administrés eux-mêmes, comme cela est
arrivé plusieurs fois, viendront demander sa révocation, le gouvernement sera
forcé de rester les bras croisés, s’il ne plaît pas à la députation permanente
du conseil provincial de suspendre ce bourgmestre !
Je demande à M. Dellafaille, après les
prémisses qu’il a posées, si la conséquence qu’il en a voulu tirer est bien
logique.
On a posé des principes trop absolus sur le
caractère des bourgmestres, on a également été trop loin sur le caractère des
échevins. Il n’est pas vrai, et le gouvernement a été le premier à le
reconnaître, que le bourgmestre soit un simple agent du pouvoir exécutif. S’il
en était ainsi, je ne comprendrais plus comment on pourrait, même sans
exception, limiter le choix du bourgmestre dans le conseil communal ; si les
bourgmestres sont des agents purs et simples du pouvoir exécutif à l’exemple
des commissaires de district et des officiers du parquet, il faudrait les
soumettre au même mode de nomination et de révocation que ceux-ci dont l’action
engage toujours plus ou moins la responsabilité ministérielle.
Je ne reconnais pas, moi, que les bourgmestres
soient des agents purs et simples du pouvoir exécutif ; c’est pour cela que
j’admets qu’en règle générale ils doivent être nommés dans le conseil communal.
Mais il n’est pas vrai non plus que les
échevins soient toujours purement et simplement agents de la commune. A cet
égard je trouve que l’on va aussi trop loin.
D’abord, les échevins suppléent toujours le
bourgmestre ; toutes les fois que le bourgmestre est empêché, un échevin le supplée
à tous les titres comme agent communal, comme agent du gouvernement ; il le
supplée de droit.
Par un effet tout naturel du gouvernement
représentatif, nous avons vu l’administration des grandes villes confiée à des
échevins : vous avez vu au milieu de vous le bourgmestre d’Anvers, le
bourgmestre de Liège, celui de Bruxelles, celui de Namur ; si jamais des motifs
d’absence peuvent être accueillis par tout le monde, ce sont ceux qui résultent
de la présence dans la représentation nationale. Ces cas peuvent se reproduire.
Dans les campagnes il arrive souvent que les bourgmestres n’y résident pas
tonte l’année ; eh bien, en cas d’absence les droits du bourgmestre sont
dévolus à l’un des échevins. Ainsi voilà par la force des choses, l’échevin
investi de tous les caractères d’agent du gouvernement en même temps qu’il
conserve les caractères d’agent de la commune.
Mais les échevins sont encore les agents du
gouvernement dans d’autres cas qui dérivent de leur qualité même d’échevin. Les
échevins sont, par la seule force de la loi, officiers de police judiciaire :
Lisez l’article 9 du code d’instruction criminelle et il ne vous laissera aucun
doute à cet égard. Lisez l’article 11, combinez-le avec l’article 9 et vous
verrez que l’échevin agit non seulement en l’absence du bourgmestre, mais qu’il
agit encore en concours avec le bourgmestre, selon qu’il est plus diligent, ou
selon que des plaintes lui ont été adressées de préférence au bourgmestre. Les
articles 14. 15, 21 et 50 reproduisent des dispositions analogues, je ne cite
que les principaux articles du code d’instruction criminelle, tous ces articles
corroborent le sens que j’ai donné tout à l’heure à l’assimilation des
fonctions d’échevin à celles de bourgmestre.
Ce n’est pas seulement comme agent de l’administration
générale, ce n’est pas encore comme officier de police judiciaire, c’est encore
dans un autre caractère que les échevins ont véritablement des attributions
gouvernementales. L’honorable M. Milcamps vous l’a dit : ils sont par cette loi
appelés à remplir les fonctions du ministère public ; l’art. 144 du code
d’instruction criminelle le porte en termes exprès. Ainsi, au défaut du
bourgmestre, l’échevin est l’agent du gouvernement, l’officier du ministère
publie près le tribunal de police.
Mais il est un cas, et c’est le plus général,
où l’échevin agit toujours de son propre chef et à l’exclusion même du
bourgmestre, comme officier du ministère public. Ce cas est celui de l’article
167.
Si on voulait tirer des conséquences
rigoureuses de ces faits, nous dirions que l’échevin comme officier du
ministère public, devrait, aux termes de l’article 101 de la constitution, être
nommé et révoqué directement par le Roi ; car cet article dit que le Roi nomme
et révoque les officiers du ministère public ; mais il ne faut pas tirer des
conséquences rigoureuses de ce caractère d’officier du ministère public qui
s’ajoute dans l’échevin à la qualité d’agent de la commune. S’il fallait
raisonner rigoureusement il faudrait créer deux bourgmestres, deux sortes
d’échevins, ce qui serait une source de conflits continuels et un moyen
d’épuiser le trésor public.
Toutefois, en présence de ces dispositions
législatives je suis autorisé à dire que s’il n’est pas vrai que le bourgmestre
ne soit qu’un agent du pouvoir central, il n’est pas vrai non plus que
l’échevin ne soit qu’un agent de la commune.
L’échevin est d’ordinaire officier de
l’état-civil ; ce ne sont pas là des fonctions purement communales, bien
qu’elles n’intéressent en général que les habitants de la commune. Tout ce qui
concerne l’état-civil est réglé par la loi et est plus ou moins du ressort du
pouvoir central quant à la surveillance. Comme chargé de l’état-civil,
l’échevin est sous la surveillance du ministère public et des commissaires de
district. La loi provinciale le reconnaît expressément.
Il nous est donc impossible de nous rallier à
l’amendement de M. Dellafaille pour autant qu’il n’accorderait pas au Roi la
révocation pure et simple du bourgmestre. Je crois en outre qu’il y a de fortes
raisons pour admettre avec la section centrale la révocation pure et simple des
échevins.
En règle générale, celui qui nomme doit pouvoir
révoquer, sans cela le droit de nommer est une prérogative pour ainsi dire
illusoire, et qui peut tourner contre la dignité de celui qui l’exerce.
Messieurs, le gouvernement quand il nomme un échevin fait un acte d’autorité
que la loi lui attribue ; il nomme d’après les renseignements qui lui sont
parvenus ; mais si des événements postérieurs viennent établir que la religion
du conseil qui a présenté l’échevin a été surprise, que la religion du
gouvernement a été également surprise, voulez-vous que le gouvernement
maintienne en place un échevin qu’il aurait nommé quand la commune elle-même
réclame ? Voulez-vous faire dépendre sa révocation d’une autorité qui est sous
bien des rapports désintéressée dans le débat ? Vous ne pouvez contester que
dans certains cas le gouvernement peut utilement révoquer un échevin même pour
des motifs politiques.
Que penseriez-vous du gouvernement qui aurait
droit de révoquer et qui conserverait dans ses fonctions un échevin qui aurait,
dans les journaux, avoué sa qualité d’orangiste ? Ceci n’est pas une pure
hypothèse.
Je crois qu’il serait dangereux d’accorder aux
autorités provinciales le droit de renvoyer pour motifs politiques. Si vous
accordez aux autorités provinciales une intervention, elle doit être motivée
sur des considérations administratives, sur des faits de négligence ou
d’inconduite ; mais il ne faut pas légèrement appeler l’intervention des états
députés dans des questions politiques. Il faut, autant que possible, dans
l’intérêt de l’harmonie des pouvoirs et de la marche des affaires, conserver à
l’administration provinciale son caractère purement administratif.
Pourriez-vous dire qu’on ne peut révoquer un
échevin que pour des motifs administratifs ? Pourriez-vous aller jusqu’à dire
qu’un échevin qui aurait trompé la confiance du gouvernement et celle de ses
collègues, qui, de patriote simulé, se serait plus tard transformé en fauteur
de la dynastie déchue, ne pourrait être atteint par le gouvernement ?
Pourriez-vous aller jusqu’à dire qu’un échevin
ennemi du gouvernement, je ne parle pas du gouvernement personnifié dans le
ministère, mais de l’ordre de choses établi dans le pays, pourrait continuer à
scandaliser par sa présence dans le collège une administration qui le
repousserait elle-même de son sein ? Je ne le crois pas. S’il en est ainsi,
abstraction faite des principes qui attribuent en règle générale le droit de
révocation à quiconque est investi du droit de nomination, vous devez accorder
au gouvernement le droit de révoquer les bourgmestres et les échevins. Quant à
la suspension, qu’on investisse la députation du droit de la prononcer, pour
motifs purement administratifs, je ne m’y opposerai pas, ce sera la
continuation de l’état de choses qui existe en vertu des anciens règlements.
J’oubliais
une objection : On a dit, sentant toute la force de l’argument de M. Milcamps,
qui présentait les échevins comme des officiers du ministère public, on a dit
que de ce qu’ils étaient membres de l’ordre judiciaire, ils ne devaient pas
nécessairement tenir leur nomination du pouvoir royal, et on citait les juges
de paix. Mais l’argument manquait de justesse, car les juges de paix sont des
officiers de police judiciaire, et il s’agissait d’officiers du ministère
public. Qu’on veuille me citer des exemples d’officiers du ministère public
élus par le peuple, imposés au pouvoir exécutif. Voilà l’exemple qu’il aurait
fallu produire pour détruire l’argument de M. Milcamps.
J’attendrai que M. le rapporteur ait attaqué la
proposition de la section centrale, qui n’est que légèrement modifiée par le
gouvernement, pour savoir si je prendrai encore la parole.
M. Dumortier,
rapporteur. - J’ai beaucoup étudié la loi d’organisation communale. Mes
fonctions de rapporteur m’en faisaient un devoir. J’ai trouvé que c’était une
loi, je ne dirai pas seulement impolitique, mais une loi liberticide telle
qu’elle nous avait été présentée. J’ai trouvé qu’il existait dans cette loi
divers points que nous devions tous réprouver, et de ces points il n’en est
aucun qui m’ait paru aussi attentatoire à la liberté que celui que nous
discutons en ce moment.
Le ministre de la justice vient de trouver
étrange qu’on adresse au gouvernement des reproches relatifs aux sacrifices
qu’on fait des libertés publiques ; il s’étonne qu’on n’en adresse pas à la
section centrale. Je lui demanderai s’il pense que si le gouvernement ne fût
pas venu demander le sacrifice des libertés communales, un seul membre de cette
chambre se fût levé pour le lui offrir. C’est le gouvernement seul qui a fait
entrer la chambre dans la voie où elle est engagée, mais dont j’espère qu’elle
saura sortir au second vote. Quant aux motifs pour lesquels le rapporteur ne
défendrait pas les propositions de la section centrale, il est facile de les
expliquer. Dans la section centrale, les décisions sur la nomination des
bourgmestres et échevins et sur la question qui nous occupe en ce moment ont
été prises à la majorité d’une seule voix. Encore y a-t il eu bien des
changements dans les opinions et les discours et il a tenu à très peu de chose
que la révocation et la suspension ne fussent tout à fait renvoyées de la loi.
Je n’en dirai pas davantage, car il ne m’appartient pas de dire ce qui s’est
passé dans le sein de la section centrale.
Maintenant, puisque le ministre a témoigné son
étonnement de ce qu’on adressait des reproches au gouvernement de la
présentation d’une loi bonne tout au plus pour gouverner une colonie comme
celle d’Alger, je dirai que je suis navré de voir le sacrifice des libertés
dont nous jouissons, proposé par d’anciens membres du gouvernement provisoire,
par ceux-là même qui avaient concouru à les établir et cela sans exposé des
motifs qui nécessitent un pareil sacrifice, sans énonciation de griefs qui
justifient une telle proposition. Voilà, messieurs, le sujet des reproches
qu’on adresse au ministère, voilà pourquoi le rapporteur de la section centrale
ne vient pas défendre des propositions liberticides.
Messieurs, il est une erreur qui plane sur
toute cette discussion ; constamment on s’est trompé sur la nature des
fonctions des bourgmestres en Belgique sous notre régime constitutionnel
actuel. Le ministre a commencé par présenter le bourgmestre comme agent absolu
du pouvoir exécutif. C’est en le présentant sous ce point de vue qu’il
prétendait en avoir la nomination non seulement dans le sein du conseil mais où
il voudrait.
Maintenant, un peu tard il est vrai, on
reconnaît que le bourgmestre n’est pas l’agent exclusif du gouvernement, on
sanctionne la résolution prise par la chambre, que le gouvernement doit choisir
le bourgmestre dans le sein du conseil. C’est un aveu dans la bouche de M. le
ministre de la justice. Je prie la chambre de ne pas le perdre de vue. Si celte
déclaration avait été faite plus tôt, elle aurait singulièrement simplifié la
discussion.
Pour moi, je demanderai si, par la nature de
ses fonctions, le bourgmestre est constitué l’agent du pouvoir exécutif. Si
cela était vrai, vous verriez partout les chefs d’administration communale
nommés par le gouvernement, suspendus et révoqués par loi, et si ce n’est pas
une chose inhérente à leurs fonctions, vous verrez le peuple avoir plus ou
moins de part à leur nomination suivant que le gouvernement sera libéral ou
despotique.
Eh bien, le roi de Prusse vient d’accorder à
ses peuples le droit de nommer les bourgmestres et échevins. En Angleterre, le
pouvoir exécutif n’intervient en aucune manière dans la nomination des aldermen
ni du lord maire. Aux Etats-Unis le gouvernement n’intervient en rien dans ces
nominations. Dans ces pays, on considère les autorités communales comme de
simples agents locaux.
Si donc il était exact de dire que le
bourgmestre fût essentiellement l’agent du gouvernement, vous ne verriez aucun
pays où ces magistrats ne fussent nommés par le gouvernement. Or, cela n’existe
pas, donc les bourgmestres ne sont pas les agents exclusifs du pouvoir
exécutif.
En France, le gouvernement nomme et révoque les
maires et adjoints. Je sais qu’ici le gouvernement désire avoir autant de ce
qu’il appelle de la force, qu’en obtient le gouvernement français. Et de son
côté, le gouvernement français verrait avec peine établir à ses portes un
système d’organisation communale plus libéral que le sien ; aussi, rien que
pour lui complaire, on nous dépouillera des libertés communales qui n’existent
pas en France.
Quant à
M. le ministre de la justice prétend que comme
officiers de l’état-civil les bourgmestres et échevins ne sont pas de simples
agents municipaux, mais même des agents du pouvoir, il est conclut que l’on
doit accorder au gouvernement le droit de les révoquer ou de les suspendre.
Je m’étonne que lui qui doit connaître la
constitution mieux que nous, la connaisse aussi peu. Que dit l’article 109 de
la constitution ?
Que la rédaction des actes de l’état-civil et
la tenue des registres sont exclusivement dans les attributions des autorités communales.
Si donc le bourgmestre ou un des échevins est chargé de la rédaction de ces
actes, ce n’est pas comme délégué du gouvernement, mais comme agent communal.
Ainsi il est inexact de prétendre que les fonctions d’officiers de l’état-civil
dépendent du gouvernement, et qu’elles engendrent le droit monstrueux de
révocation ou de suspension.
Mais, prétend-on, celui qui nomme doit pouvoir
révoquer, le gouvernement nommant les bourgmestres et les échevins, il devait
avoir le droit de les révoquer et de les suspendre.
Messieurs, voila êtes nommés par le peuple et
je prie M. le ministre de me dire si le peuple a le droit de vous révoquer ? les membres des conseils provinciaux et communaux sont
nommés par les électeurs, admettrez-vous que quand un conseiller aura déplu aux
électeurs qui l’auront nommé il pourra être révoqué par eux ? Voilà pourtant où
vous conduirait le système de M. le ministre de la justice. C’est un système
fallacieux et rien de plus. Les juges encore sont nommés par le Roi et le Roi
a-t-il le droit de les révoquer ? Ces prétendus principes qu’on avance
sont des paroles sonores, mais elles n’ont que du son.
Il est de l’essence du mandat à terme de n’être
pas révocable. Les bourgmestres et les échevins ne sont pas des employés du
gouvernement, mais des magistrats. Il y a entre les fonctions de magistrat et
celles d’employé une différence immense.
Le magistrat peut et doit raisonner les ordres
qu’on lui donne, tandis qu’un employé est soumis à une obéissance aveugle. Il
doit exécuter les ordres qu’il reçoit. Si les magistrats cessaient de pouvoir
raisonner sur les ordres qu’ils reçoivent, s’ils devenaient de simples machines
à impulsion, si leurs devoirs n’étaient pas fixes et déterminés, vous en feriez
de simples agents du pouvoir ; dés lors ils cesseraient d’avoir sur le peuple
cette influence si nécessaire pour opérer le bien public. Stipulez donc les cas
de distinction si vous ne voulez mettre les magistrats communaux au-dessous des
derniers employés.
Vous ne pouvez donc admettre que le gouvernement
ait le droit de destituer et de suspendre les magistrats qui n’exécuteraient
pas ses ordres, sans poser les cas de destitution, sans leur laisser la faculté
d’examiner si ces ordres sont conformes aux lois et à la constitution. Si vous
admettiez un semblable système, vous renverseriez l’édifice social il faut que
tout magistrat puisse apprécier la nature de l’ordre dont l’exécution lui est
confiée. Il ne peut violer la constitution, les lois, pour faire plaisir à un
ministère, qui de sa nature est transitoire, qui demain peut-être aura disparu
de la scène du monde.
D’ailleurs, qu’est-ce que la révocation ? La
révocation est une peine ; personne ne peut le méconnaître. On a voulu établir
une différence entre la révocation et la destitution. C’est ici, messieurs, une
question purement grammaticale. Aux yeux de tous les citoyens, la destitution
et la révocation sont une seule et même chose. Ils n’établissent aucune
différence entre les deux noms que l’on donne à l’élimination d’un
fonctionnaire public et d’un magistrat communal.
La révocation est donc une peine, c’est une
peine administrative. La destitution est une peine d’un ordre différent. Mais,
en définitive, elles aboutissent au même résultat. Pourquoi donc
refuseriez-vous que la loi stipulât les cas dans lesquels il y aura lieu à
révoquer un bourgmestre ou un échevin ? On l’a déjà dit, messieurs, le droit de
suspension et de révocation n’existait pas dans les anciens règlements. Le roi
Guillaume, le tyran, ne demandait pas ce droit que demandent aujourd’hui les
ministres. Il ne l’avait pas ; il n’eût pu sans violer ouvertement la loi
fondamentale, révoquer les agents municipaux. Eh bien, c’est après que la
révolution a délivré
D’ailleurs, messieurs, quand le ministère aura
fait prévaloir un pareil système, en supposant que vous soyez disposés à le sanctionner
de votre vote, trouverait-il en Belgique un seul homme d’honneur qui consentit
à accepter des fonctions où l’épée de Damoclès sera incessamment suspendue sur
sa tête, des fonctions qui lui seront retirées brutalement du jour où il aura
enfreint les ordres du ministère, où il aura refusé de se soumettre à ses
caprices ? Tout ce qu’il y a d’hommes d’honneur dans notre pays, qui se
respectent, se refusera à plier à de pareilles conditions ; dès lors les
fonctions de bourgmestre et d’échevin seront le partage des intrigants et des
gens sans aveu.
On a très souvent cité dans cette discussion
les actes de Liége. Les pages de l’histoire nous apprennent que toutes les fois
qu’un gouvernement a voulu établir l’absolutisme et le despotisme, il a fait
tourner à son profit les abus survenus dans l’exercice de droits qu’il voulait
anéantir. C’est en suivant ce système que le gouvernement a toujours envahi les
libertés du pays, et, qu’il augmente la part d’autorité que le peuple lui avait
donnée.
Mais puisque le ministre a porté la discussion
sur ce terrain, je n’hésiterai pas à l’y suivre. Vous savez comment je me suis
expliqué à l’occasion du conflit qui s’est élevé entre la régence de Liége et
l’autorité supérieure. Vous savez que le premier je me levai dans cette
enceinte pour blâmer les actes de la municipalité de cette ville. Vous ne
pouvez suspecter mes intentions, puisque le premier j’invoquai le
rétablissement de l’ordre et la nécessité de l’appui dont le gouvernement avait
besoin dans cette circonstance. Mais voyons ce qui s’est passe en cette
circonstance.
Lorsque le ministère actuel est venu devant la
chambre exposer les faits et demander la faculté d’employer des mesures qui
fissent triompher l’intérêt général, que vous a-t-il demandé ? La nomination du
bourgmestre ? Non. La nomination des échevins ? En aucune manière. Le droit de
révocation et de suspension ? Pas davantage. Le droit de dissoudre le conseil
communal ? Pas le moins du monde. Ce qu’il nous a demandé, messieurs, c’est une
simple intervention dans les actes de la commune. Voilà ce qui lui suffisait,
lorsqu’il s’agissait de faire rentrer dans l’ordre une régence que l’on ne
qualifiait de rien moins que rebelle. N’est-ce pas une chose monstrueuse,
qu’aujourd’hui qu’il s’agit de constituer la commune, de fonder un état normal,
le gouvernement, je le dirai, le même ministère, vienne vous proposer de lui
accorder non plus sur les actes, mais sur les personnes, un contrôle tellement
absolu qu’il fera des bourgmestres, des échevins, de simples serviteurs de
l’autorité centrale. Je vous prie, messieurs, de réfléchir à cet argument.
Nous avons donné au gouvernement dans le
système de la section centrale, si les dispositions du projet qu’elle a
présenté sont adoptées, une intervention immense dans les actes de
l’administration communale, une intervention telle, qu’aucun pays ne peut nous
offrir rien de semblable ; j’entends autour de moi réclamer contre mon
assertion. J’en excepte toutefois les pays gouvernés par le despotisme le plus
absolu. J’en excepte
Comment les communes peuvent-elles devenir
dangereuses dans un Etat ? De deux manières : activement ou passivement.
Si une administration communale se livre à des
actes qui compromettent l’Etat, qui violent les lois existantes, elle est
hostile d’une manière active. Dans ce cas, nous avons donné au gouvernement un
moyen de la faire rentrer dans le devoir, en lui reconnaissant le droit
d’annuler tous les actes quelconques des régences par le fait seul de sa
volonté, sans qu’il soit seulement tenu de donner les motifs de son annulation.
Vous voyez donc que sous ce rapport les intérêts du gouvernement ont obtenu une
part assez large.
Une régence peut devenir hostile à l’autorité
supérieure en se refusant à exécuter les lois ou les ordres qui leur sont
transmis.
Eh bien, nous avons donné également dans ce cas
un pouvoir exorbitant à l’administration centrale. Nous l’autorisons toutes les
fois qu’une administration aura refusé d’exécuter un ordre qui lui aura été
communiqué par l’intermédiaire du gouverneur, à envoyer dans la commune un
agent spécial qui fasse exécuter la loi au lieu et place de l’administration
communale. C’est là une faculté qui n’existe dans la loi d’organisation
communale d’aucun pays ; qui n’existait pas sous le gouvernement précédent, qui
est tout à fait inconnue en France.
Mais une régence peut devenir hostile d’une
autre manière en refusant de porter à son budget des dépenses que la loi a
déclarées dépenses communales. Dans ce cas nous autorisons la députation
provinciale à introduire au budget communal les sommes que l’administration
locale aurait refusé d’y porter. Mais dira-t-on, ce droit ne suffit pas. Il
peut arriver que la régence refuse de mandater les sommes à payer d’office à
son receveur. Nous avons établi que dans ce cas la députation provinciale
pourrait mandater elle-même sur le receveur communal. Mais comme il pourrait se
présenter le cas où l’administration locale persistant dans son obstination
ferait la défense à son receveur de délivrer les fonds, nous avons rendu les
personnes mêmes qui la composent responsables du refus de paiement.
Vous voyez donc que nous avons mis à la
disposition de l’autorité supérieure les moyens les plus rigoureux, je dirai
même, les plus vigoureux pour assurer l’exécution des lois et le maintien de
l’ordre. Nous avons été plus loin que le ministère lui-même. Pourquoi ? parce que nous entendions bien que l’on aurait donné une
certaine liberté aux personnes puisque nous accordions une surveillance aussi
grande sur les choses, parce que
Un honorable membre qui m’a précédé dans la
discussion en parlant du droit de suspension préalable par la députation
provinciale pour combattre l’amendement de l’honorable M. Dellafaille, a
prétendu que c’était faire dépendre l’action du pouvoir royal de celle de la
députation. Messieurs ce système est une pure doctrine ; parce qu’il ferait
regarder les bourgmestres et les échevins comme des fonctionnaires publics sous
la dépendance immédiate du gouvernement, tandis que la constitution les a
établis chefs de l’administration communale et non pas commissaires du
gouvernement près des administrations communales. Ils sont comme en Angleterre,
ce sont les maires et les aldermen, à la tête du pouvoir communal
On a prétendu dans la séance précédente que
l’article 66 de la constitution donnait au gouvernement le droit de nommer les
bourgmestres et les échevins, mais c’est encore là une de ces subversions de
toute espèce d’idées que l’on s’est permises dans cette discussion.
Vous n’avez pas prétendu que les maires et les
échevins fussent de simples employés. Tous les auteurs sont d’accord sur ce
point, quand la raison ne nous indiquerait pas qu’il est impossible de soutenir
une semblable thèse.
Les suspensions sont rares, nous dit-on. Et
d’ailleurs n’avez-vous pas la responsabilité ministérielle ? Il est possible
que le pouvoir soit sobre de suspension ; mais je dis qu’une seule suspension,
une seule révocation, suffira pour terroriser tous les fonctionnaires municipaux
du pays et les contenir dans les bornes d’où le gouvernement exigera qu’il ne
s’écarte pas. Mais il a déjà été répondu à cet argument. La responsabilité
ministérielle ne s applique pas à des cas semblables.
Elle ne s’applique qu’aux crimes de haute trahison
et quelques grands crimes ; pour tout autre cas, ce n’est qu’un vain mot,
qu’une pure chimère ; la responsabilité ministérielle ne peut servir au
ministère que d’un plastron derrière lequel il pare les coups de l’indignation
de la chambre. Alors il ne s’en fait pas faute. Ce n’est pas du reste,
messieurs, que je ne fasse le plus grand cas de cette garantie en théorie. (Hilarité.) Comment voulez-vous que j’en
fasse cas en pratique lorsque j’ai vu jusqu’à quel point il était possible de
l’éluder. Il ne faut pas, messieurs, que la responsabilité ministérielle soit
un moyen d’anéantissement de nos libertés publiques. Il ne faut pas qu’elle
serve de prétexte pour que l’on nous refuse toute autre garantie chaque fois
que nous sommes en droit de l’exiger et cela sous le beau prétexte d’une
responsabilité plus chimérique que réelle.
Et comment pourrions-nous avoir foi entière
dans la responsabilité, comment pourrions-nous croire qu’elle s’opposerait aux
abus du droit de révocation, lorsqu’un ministère a osé violer l’article 36 de
la constitution, qui défend de poursuivre un député, pour un vote émis dans
cette enceinte, en destituant l’honorable M. Desmet, sans qu’il se soit trouvé
une majorité qui ait fait rentrer le ministère dans le devoir. N’est-ce donc pas
une chimère de prétendre que la responsabilité ministérielle donnera la
garantie qu’aucune révocation de fonctionnaires municipaux ne sera faite sans
motifs légitimes ? N’est-ce pas une dérision amère que de réduire tous nos
magistrats en servitude, à cause de la responsabilité ministérielle ? Si tel
était son effet mieux vaudrait qu’elle n’eût jamais existé.
D’ailleurs ce que demande le gouvernement dans
cette circonstance est tout à fait neuf et ignoré en Belgique. Il est vrai que
sous l’empire nous avions des maires et des adjoints soumis à la nomination et
à la révocation du souverain ; mais c’était là un système passager, éphémère,
ce n’est pas une règle invariable pour
Sous le roi Guillaume, le droit de destitution
et de révocation des bourgmestres et échevins ne se trouvait pas dans les
règlements. Est-ce à nous à nous montrer plus hostiles aux libertés communales
que Guillaume lui-même. Si le roi Guillaume avait le droit de révocation dans
les communes rurales il ne l’avait pas dans les villes ; et encore ne
l’avait-il pour les communes rurales que dans deux cas déterminés, celui
d’inconduite et celui de négligence grave. Hors ces cas, il n’avait aucun
pouvoir.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - C’est inexact.
M. Dumortier,
rapporteur. - Vous dites que c’est inexact, c’est-à-dire que vous
prétendez que ce droit de suspendre ainsi limité ne préjugeait rien à la faculté
de révoquer accordée aux gouverneurs par les instructions. C’est-à-dire que
vous mettez de côté l’article 18 du règlement du plat-pays.
Vous vous appuierez sur l’instruction des
gouverneurs, mais l’autorisation donnée à un fonctionnaire public ne peut
détruire un texte formel du règlement. Les gouverneurs tenaient des
instructions le droit de suspendre et de révoquer, mais ils n’avaient ce droit
que contrairement à l’art. 18. Or, les instructions étaient nulles de plein
droit, si elles violaient les règlements qui étaient censés faire partie de la
loi fondamentale. Voilà quel était l’état de la législation sous le roi
Guillaume.
Si on examine quel était à cet égard le pouvoir
du souverain antérieurement à la révolution française, on voit que jamais dans
nos provinces le pouvoir n’a eu le droit de destitution et de révocation sur
les magistrats de la commune. Je le demande, si le comte de Flandre avait eu le
droit de destitution, n’aurait-il pas destitué Artevelde lorsqu’il s’opposait à
ses envahissements de pouvoir ? Si Antoine duc de Brabant avait pu révoquer les
magistrats de la commune n’aurait-il pas révoqué les échevins qui s’opposaient
à ses violations de la loi, qui proclamaient à l’hôtel-de-ville qu’on ne devait
pas exécuter les ordres du duc parce qu’ils violaient la loi ? Si les
souverains avaient le droit de révocation, aurait-on ordonné le massacre
juridique du généreux Aneessens ? Il faut donc
reconnaître que ce pouvoir n’existant pas chez nous, il a fallu que le peuple
élevât un trône de se propres mains pour se voir ainsi river ses fers.
Maintenant s’il était dans cette enceinte des
hommes qui voulussent de plus en plus détruire les libertés de la commune, qui
consentissent à l’avilissement, à l’asservissement des magistrats populaires,
qui prétendissent les livrer au pouvoir pour faire d’eux un instrument
électoral comme on l’a donné à entendre, je leur dirai : Continuez, messieurs,
continuez le sacrifice, immolez sur l’autel du pouvoir les libertés publiques
conquises par la révolution ; mandataires du peuple qui vous a envoyés pour
défendre ses droits, abandonnez, sacrifiez ses intérêts les plus chers et les
plus sacrés. Pour moi le sang des victimes.de septembre est encore présent à
mes yeux ; il me rappelle les efforts qu’a coûtés la conquête de nos libertés.
Jamais, non jamais, je ne consentirai à les sacrifier, à les anéantir. Jamais
je ne consentirai à immoler tous nos magistrats au bon plaisir du pouvoir.
Eh ! qu’importe
à
Messieurs, dussent mes paroles tomber comme un
plomb sur ce tapis je ne regretterai pas de les avoir fait entendre. Au moins
si ma voix n’a pas d’écho dans cette enceinte, rentré dans ma province, si les
magistrats d’une commune me rencontrent, derrière moi ils ne pourront dire :
« C’est notre représentant, c’est lui qui nous a vendus. » (Mouvement.)
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Jusqu’à présent l’honorable
orateur qui vient de parler ne s’était pas livré contre le gouvernement a cette
fougue d’éloquence dont il gratifie la chambre de temps à autre. Aujourd’hui,
il a voulu, ce semble, récupérer le temps perdu.
Je ne suivrai pas l’orateur dans les diverses
phases de son discours ; je me bornerai seulement à relever quelques passages
qui m’ont paru manquer d’exactitude. D’abord, l’honorable député de Tournay a
reproché au gouvernement ses vues liberticides à l’égard des communes, il les
lui a reprochées parce que le gouvernement demande la faculté de révoquer des
fonctionnaires dont la nomination est dans ses attributions. En ce point mon
collègue de la justice a déjà fait remarquer que les intentions liberticides du
gouvernement n’appartenaient pas à lui seul, qu’elles étaient partagées par la
section centrale ou au moins par la majorité des membres de la section
centrale, parmi lesquels, quant à moi, je ne vois pas d’hommes liberticides.
Il y a plus : le gouvernement par une de ces
tactiques qui, je m’étonne, a échappé à la pénétration ordinaire de l’honorable
préopinant, le gouvernement, par une de ces tactiques infâmes qui lui sont
familières, avait présenté à la chambre le projet de loi communale absolument
dans les mêmes termes dans lesquels il avait été rédigé par la commission
nommée par arrêté royal et dont tout à l’heure je nommerai les membres.
Autre tactique encore familière au gouvernement
: le ministre s’est abstenu d’assister aux discussions de la commission qui
tenait ses séances dans l’une des salles mêmes du ministère de l’intérieur, ce
n’est qu’une ou deux fois seulement que le ministre de l’intérieur a cru devoir
assister aux réunions de la commission. Le projet fut donc l’œuvre de la
commission ; et tel il a été remis au Roi, tel il a été présenté à la chambre.
Cette commission se composait de MM de Stassart, Barthelemy, Devaux, Jullien,
Lebeau, de Theux. Notre honorable collègue M Jullien fut en dernier lieu chargé
de la révision générale de la loi, sous le rapport de la rédaction ; je crois
pouvoir l’affirmer.
Voici dont de nouveaux complices à joindre aux
membres composant le ministère. Mais il en est encore d’autres qui ont des
intentions aussi liberticides, et si je devais aller chercher parmi les amis
les plus intimes de l’honorable préopinant, il ne serait pas, je pense,
médiocrement surpris de trouver chez ces honorables amis les intentions
liberticides qu’il condamne si hautement.
Hier j’ai donné connaissance à la chambre d’une
lettre d’un fonctionnaire public. Comme je ne cache aucune lettre
d’administration, je n’ai pas cru devoir faire un mystère de celle-ci.
M. Doignon. -
Je demande la parole.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Il en résulte que l’honorable
ex-fonctionnaire qui demande la parole, sentait lui-même la nécessité pour le
gouvernement de réprimer les malversations, les prévarications de certains
bourgmestres dans le district qu’il avait alors l’honneur d’administrer. J’ai
donné lecture de cette lettre ; et elle est assez significative. On demandait
qu’il fût possible de révoquer certains fonctionnaires communaux, de prendre à
leur égard des mesures répressives. Messieurs, ce n’était que dans l’intérêt du
peuple que l’on sentait alors la nécessité de ne pas laisser à la tête d’une
commune un homme qui la déshonorait par les condamnations dont il avait été
l’objet, par les dilapidations auxquelles il se livrait, un homme qui répandait
partout le mécontentement. C’est aussi dans l’intérêt du peuple que le
gouvernement insiste pour que vous lui laissiez ce droit. A la vérité, le
gouvernement n’a pas l’habitude de faire résonner si souvent ce mot de peuple ;
il n’imite pas certains orateurs qui voudraient faire croire que seuls ils sont
pénétrés de tout l’amour que peut inspirer le peuple ; et néanmoins il a pour
le peuple une sollicitude aussi vive, un amour aussi sincère que ses défenseurs
auxquels il répond.
J’ai
déjà dit que dans plusieurs communes le droit de révocation était réclamé comme
un bienfait auprès du gouvernement. Dans beaucoup de communes on ne comprend
pas que le gouvernement ne soit pas libre de révoquer des fonctionnaires connus
pour leurs opinions orangistes ou flétris par leurs dilapidations ; on ne
comprend pas que de tels hommes restent en place malgré le gouvernement ; et à
l’heure qu’il est, je pose en fait qu’un grand nombre de communes préféreraient
à la présentation du conseil le libre choix du gouvernement. En effet, pourquoi
le gouvernement placerait-il à la tête de l’administration communale des hommes
désagréables aux communes ?
On a été jusqu’à dire que le gouvernement
mettait à la tête de la commune des gens sans aveu. Ainsi, voilà les
fonctionnaires nommés par le gouvernement accusés par l’honorable préopinant de
ne pas être des hommes d’honneur. Ainsi les bourgmestres et les échevins nommés
par le gouvernement seront des hommes sans honneur !
Je ne comprends pas, lorsque de toutes parts le
pouvoir central se trouve contrôlé, surveillé, critiqué, lorsque de toutes
parts les lumières peuvent lui parvenir sur tous les hommes capables de former
de bons fonctionnaires municipaux, il arrêterait son choix sur ce qu’il y a de
plus mauvais dans la commune pour l’administrer. Dans quel intérêt le
gouvernement ne choisirait-il pas ce qu’il y a de meilleur ? A ne voir même que
les intérêts du gouvernement en avant, en admettant qu’il veuille choisir des
hommes qui peuvent le servir politiquement, l’intérêt du gouvernement ne
serait-il pas de choisir des hommes influents et capables de le servir
utilement auprès des administrés ? N’ira-t-il pas choisir parmi les hommes
estimés, plutôt que de choisir parmi les hommes méprisés ? Evidemment il en sera
ainsi, à moins qu’il ait perdu le bon sens, et je crois qu’on ne lui a pas
encore refusé cette qualité, bien que sans doute cela viendra avec les autres
reproches.
M. A. Rodenbach.
- Et les actes du ministre des finances. (Bruit.)
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Ce que vient de dire M. A.
Rodenbach me fournira un argument en faveur du système que nous défendons ; il
me semble que jusqu’à présent le gouvernement n’a pas été prodigue de
destitutions.
Quelques voix. - Ce n’est pas la question.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Messieurs, dans cette discussion
jusqu’ici nous nous sommes abstenus de faire des excursions, soit dans les temps
passés, soit dans les pays voisins. Nous pensions que nous faisions une loi
pour l’avenir et pour
On a beaucoup parlé de
Le gouvernement prussien a daigné octroyer à
des communes des pouvoirs qu’il est libre de leur retirer demain ; il s’est
réservé le droit de destituer les fonctionnaires municipaux, alors qu’il a bien
voulu consentir à ne pas les nommer tous.
Voici d’abord ce que porte la loi communale en
Prusse à l’égard des élections :
« Le gouvernement confirme les élections
des bourgmestres et des autres membres du magistrat. Il a le droit de s’assurer
de la capacité et de la dignité des candidats au moyen d’examen ou de toute
autre manière, et d’ordonner une nouvelle élection si la précédente était
tombée sur des candidats qui lui semblent indignes. »
Je ne sais, messieurs, si cette disposition
serait de nature à être introduite dans la loi que nous discutons ; je
demanderai à l’honorable M. Dumortier si elle lui conviendrait. (On rit.) Je continue : « Si
l’élection d’un fonctionnaire est retardée par des manœuvres inconvenantes ou par
toute autre cause, le gouvernement aura le droit de faire remplir la place
vacante par un commissaire aux frais de la ville. »
Je ne crois pas non plus, messieurs, que cette
disposition soit très libérale, voici maintenant ce qui est relatif à la suspension
et à la démission :
« La suspension, la destitution et la
démission forcée des fonctionnaires municipaux sont soumises aux principes
établis pour les fonctionnaires de l’Etat. »
Ainsi, messieurs, tous les fonctionnaires municipaux
qui sont nommés par l’élection sont soumis aux mêmes principes que les
fonctionnaires de l’Etat pour la suspension, la destitution ou la démission
forcée ; quant à la dissolution, je ne crois pas encore que ce soit de la
disposition qui y est relative que l’honorable M. Dumortier s’emparera.
Voici cette disposition : « Dans le cas où un
collège de commissaires persisterait à négliger ses devoirs, qu’il agirait
contre l’ordre public, ou qu’il se désunirait, nous en décréterons la
dissolution après mûr examen ; nous ordonnerons la composition d’un nouveau
collège selon les circonstances et déclarerons les coupables inadmissibles pour
toujours ou pour un certain temps à une réélection, sans préjudice des
poursuites judiciaires qui pourront, s’il y a lieu, être dirigées contre
eux. »
Dans ce système, messieurs, qui comme vous le
voyez, est très libéral et très populaire, il y aussi des conditions
d’éligibilité qui ne laissent pas d’être fort sévères ; il faut, pour être
éligible aux fonctions municipales, être propriétaire d’un immeuble dans
l’arrondissement même, dont la valeur pour les petites villes ne peut être
au-dessous de 1,000 thalers, et pour les grandes villes au-dessous de 12,000,
ou bien posséder un revenu annuel fixe, montant au moins à 200 thalers pour les
petites villes, et à 1,200 pour les grandes villes.
En outre, l’éligible doit être chrétien, celui
qui n’appartient pas à la religion chrétienne ne peut remplir les fonctions
municipales.
Voilà donc, messieurs, à quoi doivent se
réduire ces belles paroles d’admiration que l’on a fait entendre en faveur du
système communal de
On a parlé du système des Etats-Unis.
Messieurs, nous avons pu voir récemment encore combien on fait peu de cas aux
Etats-Unis des fonctionnaires, depuis le haut de l’échelle administrative
jusqu’au dernier échelon ; ainsi, les partisans de Jackson, ou ses adversaires,
seront maintenus en place ou destitués, sans que l’opinion s’en irrite ; et
pourtant les Etats-Unis, il faut bien le croire, doivent comprendre, vu leur
longue pratique, ce que c’est que la liberté.
Aux Etats-Unis, par exemple, les municipalités
destituent jusqu’au balayeur, et le gouvernement jusqu’au simple douanier.
Comme le droit électoral descend très bas, en destituant le douanier, on
destitue en même temps en quelque sorte les électeurs, pour les remplacer par
d’autres électeurs plus favorables au gouvernement.
Je suis fâché, messieurs, de m’éloigner ainsi
de l’article en discussion ; cependant la chambre voudra bien remarquer que les
observations que je viens de lui soumettre répondent à ce qu’a avancé M. le
rapporteur de la section centrale, et se rattachent indirectement à l’article
en discussion.
J’ai voulu répondre une fois pour toutes à ces
reproches qui pleuvent du banc où siège de l’honorable préopinant, sur nos
intentions coupables relativement aux libertés du peuple.
On est tellement passionné contre nous, que
souvent on en est aveugle, et que l’on signale des tactiques là où précisément
les actes du gouvernement sont le contre-pied des tactiques. On demande
pourquoi le gouvernement n’est pas venu, à l’occasion de ce qu’a fait la
régence de Liège, réclamer la destitution du bourgmestre et des échevins de
cette ville : messieurs, si le gouvernement s’était avisé de faire une pareille
demande aux chambres, que n’eût pas dit l’honorable M. Dumortier ! Il eût dit
que nous profitions de la circonstance pour nous faire attribuer la nomination
des bourgmestres et des échevins.
Il eût même été plus loin, je pense
(car lorsqu’on est aussi passionné, aussi partial, tous les moyens sont bons),
il eût été jusqu’à dire que le fait de la régence de Liége était l’œuvre du
ministère ; je ne sais même si une pareille insinuation n’a pas été produite
dans cette enceinte, c’est-à-dire que le gouvernement aurait excité la régence
de Liége à une rébellion, afin de remplacer à sa guise les fonctionnaires
municipaux. Je suis presque certain que dans l’état passionné où se trouve
l’honorable M. Dumortier, il l’a plus d’une fois pensé, qu’il a été tenté de le
dire ; tout à l’heure il l’a donné à entendre…
M. Dubus.
- Est-il permis de rechercher ainsi quelle est l’intention ? Le règlement porte
qu’il n’est pas permis d’accuser les intentions.
M. le ministre ne se contente pas du sens des
paroles, il recherche quelle a été la pensée d’un membre qui en ce moment n’est
pas présent ; je crois que cela n’est pas conforme au règlement.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Messieurs, je voudrais beaucoup
que la doctrine que l’honorable préopinant tâche d’introduire dans la chambre y
fût admise ;- car nous n’avons pas été les derniers à être attaqués dans nos
intentions. S’il existe ici d’intrépides scrutateurs des intentions, ce n’est
pas sur le banc des ministres qu’ils sont assis, mais bien sur le banc où
siègent les trois députés de Tournay. Au reste je serais satisfait d’être
rappelé au règlement dans ce cas, bien persuadé que l’occasion ne me manquera
pas d’y rappeler à mon tour les honorables membres.
Mais, rentrons dans la discussion de l’article
10. La chambre observera que la section centrale se rapproche beaucoup de la
proposition du gouvernement ; elle est d’accord avec le ministère quant à la
révocation par le Roi des bourgmestres et des échevins ; mais elle ne veut
attribuer la suspension qu’à la députation provinciale : nous croyons qu’une
pareille restriction est sujette à des inconvénients. Pour ce qui concerne les
rapports du bourgmestre et des échevins avec la députation, je trouve très
juste que la députation ait droit de suspendre des fonctionnaires qi ne
rempliraient pas leurs devoirs à cet égard.
C’est ce qui existait sous l’ancien règlement.
Mais le droit de suspension existait aussi pour le gouvernement ; le gouverneur
qui suspendait les fonctionnaires pour tous les actes qui ressortissaient du
gouvernement, et où la députation n’avait rien à voir.
Ce cas s’est présenté dans la province
d’Anvers. Il s’agissait de suspendre un fonctionnaire qui avait gardé par
devers lui les fonds provenant des logements militaires ; la députation des
états considérant ce fait comme un fait de mauvaise conduite, a suspendu le
fonctionnaire.
Dans une
autre commune il existait un secrétaire, dénoncé comme partisan de la famille
déchue et comme négligeant de remplir ses fonctions.
Après
beaucoup de plaintes, le secrétaire fut suspendu ; la députation donna la main
à cette suppression ; mais s’apercevant que cet acte était motivé sur des faits
politiques, elle le modifia et voulut que la suspension fût fondée sur la
conduite administrative, puisque le secrétaire était accusé à la fois
d’orangisme et de mauvaise conduite. La députation comprit parfaitement sa
position ; elle admit uniquement la suspension pour faits d’administration. Le
même cas peut se reproduire dans d’autres localités.
Messieurs, si le bourgmestre et les échevins négligent les intérêts de
la commune, ce sera pour le gouvernement un devoir de les suspendre. Dans cette
circonstance les actes du gouvernement seront réclamés par les communes et
contrôlés par la presse et par les chambres ; ces actes seront rares et en
général frapperont juste. Ils seront dès lors accueillis favorablement par le
peuple. Nous lui portons notre part d’intérêt quoi qu’on en dise ; et il ne
doit pas être exposé à être administré par des prévaricateurs, par des hommes
tels que ceux que signalait M. Doignon en regrettant que le gouvernement n’eût
pas entre les mains les moyens de répression de l’ancien gouvernement pour
délivrer les communes des mauvais administrateurs/
M. le ministre des finances (M. Duvivier) - Je ne m’attendais pas à être cité
personnellement dans la discussion qui nous occupe ; cependant j’ai cru
entendre qu’un honorable membre avait attaqué des actes émanés de mon ministère
; je demande que ces actes soient désignés pour que je puisse répondre.
M. A. Rodenbach.
- Je n’ai pas parlé seulement des actes du ministère actuel, mais des actes du
ministère précédent…
M. Coghen. - Je désire que l’honorable M. A.
Rodenbach s’explique : ces insinuations ne sont pas parlementaires : quand j’ai
fait des nominations, je les ai faites dans l’intérêt de mon pays.
M. A. Rodenbach.
- Il s’agit de nominations faites par M.
de Brouckere... (Bruit.) Je
l’ai dit à M. de Brouckere lui-même... (Bruit,
interruption.)
M. Dumortier,
rapporteur. - Pendant que j’étais absent, il paraît que le ministre de
l’intérieur a fait allusion à ce que j’aurais dit dans des séances précédentes.
Il prétend que j’ai insinué que le gouvernement aurait suscité les événements
relativement à la régence de Liége ; je n’ai rien insinué de semblable ; je ne
l’ai jamais pensé. C’est une inexactitude ; c’est plus que cela.
Maintenant, messieurs, puisqu’on a voulu savoir
ma pensée, je la ferai connaître. Je n’ai jamais pensé et je ne pense pas
encore que le gouvernement ait fait naître les événements de Liége ; mais je
dirai qu’il en a beaucoup profité et qu’il en profite encore beaucoup dans
cette discussion : l’impression de ces événements est capable de faire aliéner
beaucoup de prérogatives du peuple, prérogatives que l’on ne sacrifierait pas
sans cela.
Si c’est là ce qu’on a voulu savoir,
le voilà.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - C’est cela ; si M. Dumortier n’a
pas fait d’insinuations dans les séances précédentes, il en fait maintenant.
M. Jullien. - Messieurs, accorderez-vous au gouvernement
le droit de révoquer à volonté les bourgmestres et les échevins ? Voilà la
question principale qui vous est soumise. Avant d’aborder cette discussion,
permettez-moi de faire remarquer à la chambre où nous a conduits la déviation
outre mesure du principe d’élection directe.
On nous a dit d’abord : D’après l’article 108
de la constitution vous avez le droit de conférer au gouvernement la nomination
des chefs de l’administration municipale, et nous n’avons pas craint d’abuser
de ce droit. La majorité de la chambre a senti que dans l’intérêt de
l’administration il convenait de laisser intervenir le gouvernement dans la
nomination du bourgmestre ; vous avez déclaré que le Roi pouvait choisir le
bourgmestre dans le conseil communal.
On a cherché ensuite à nous prouver que les
échevins étaient des chefs de l’administration municipale pour qu’ils fussent
également laissés à la nomination royale ; à une faible majorité la chambre a
admis l’intervention du pouvoir royal dans cette nomination.
En tirant les conséquences de ce principe, on
vous dit : Puisque vous avez donné au roi la nomination des bourgmestres et des
échevins, il doit avoir le droit de les révoquer.
Quant aux conseils municipaux on nous dit aussi
qu’ils sont chefs de la commune puisqu’ils peuvent remplacer les échevins, et
il faudra donner au Roi le pouvoir de les révoquer. J’ai donné mon vote pour la
nomination par le Roi des bourgmestres ; j’ai refusé pour les échevins ; et au
second vote je tâcherai de faire revenir la chambre à mon opinion.
On dit que celui qui nomme a droit de révoquer.
La nomination par le Roi aux fonctions publiques n’est rien autre chose qu’un
mandat. Or, celui qui donne un mandat a toujours le droit de le révoquer. Voilà
les principes à l’aide desquels le gouvernement voudrait avoir le droit de
révoquer le bourgmestre et les échevins.
Messieurs, ces principes sont faux. Ils sont
vrais dans le droit commun, quand il s’agit d’un mandat ordinaire, parce que
celui qui donne ce mandat est censé le donner pour qu’il en soit fait usage
dans son intérêt particulier. Or, comme nous avons le droit de faire nos
affaires nous-mêmes, si on n’exerce pas comme nous l’entendons le mandat que
nous avons donné, nous avons le droit de le retirer, pour reprendre la
direction de nos affaires. En est-il de même du mandat donné par le chef de
l’Etat qui est lui-même le premier sujet de la loi et chargé d’administrer le
pays ? Non, car dans ce mandat intervient le pays. Ce mandat n’est pas donné
dans l’intérêt de celui qui le confère, mais dans l’intérêt du pays. Il faut
alors que le pays intervienne pour retirer le mandat.
Je dois ici rendre justice à M. Doignon, qui
dans le discours qu’il a prononcé hier, a très bien développé ces principes, et
j’invite la chambre à les méditer. Quand le mandat a été donné dans l’intérêt
du pays, aussi longtemps que le pays n’en demande pas la révocation, il doit
être maintenu. Voilà quel est le principe général même pour les nominations
directes faites par le pouvoir royal. Le pouvoir royal nomme les magistrats, et
cependant il ne peut pas les révoquer.
Pourquoi ? parce que
la justice est rendue dans l’intérêt du pays, quoique ce soit au nom du Roi. Le
Roi nomme les notaires, les avoués, les huissiers, les officiers ministériels,
et cependant il n’a pas le droit de les révoquer. Ils sont révocables de la
manière dont la loi dispose, dans les cas déterminés par la loi, avec
l’intervention de leurs supérieurs. Ainsi, pour les officiers ministériels, les
notaires, les chambres de discipline et les tribunaux, sont appelés à connaître
les faits qui leur sont reprochés avant qu’on puisse leur retirer leur
nomination. Voilà les principes pour les nominations directes.
Ici, la question se présente sous un autre
point de vue. Pour le bourgmestre et les échevins, le Roi n’a pas la nomination
directe. Que fait le Roi ? Il intervient seulement dans la nomination.
Or, n’est-ce pas renverser tous les rôles, tous
les principes, que de faire de la partie intervenante la partie principale ? On
intervient à cause de l’intérêt qu’on a, mais l’intérêt d’intervention ne peut
rien retrancher de l’intérêt principal. Ici, l’intérêt principal, c’est celui
du pays, celui de la commune. Ce n’est pas l’intervention royale qui fait le
bourgmestre. Les éléments sont puisés dans l’élection populaire. S’ils
n’étaient pas nommés par le peuple, il serait impossible au pouvoir d’en faire
des bourgmestres et des échevins.
Cependant, par un renversement d’idées que je
ne puis concevoir, voilà le bourgmestre, qui est une émanation du pouvoir
populaire, modifié par le pouvoir royal ; voilà l’acte du pouvoir populaire
détruit par l’intervention du pouvoir royal. Ces principes ne peuvent
s’accorder avec le principe du mandat conféré dans l’intérêt d’un tiers, et
encore moins, quand la partie intéressée est intervenante, pour la constitution
de l’officier public qu’il s’agit de révoquer de ses fonctions. Je n’admettrai
donc jamais la révocation du bourgmestre, et encore moins celle des échevins
qui sont tout à fait étrangers au pouvoir exécutif et exercent une véritable
magistrature domestique. Je ne crois pas que le pouvoir royal puisse y toucher.
On a argumenté fort longtemps des grands
inconvénients, des malversations dont les bourgmestres et les échevins
pouvaient se rendre coupables. Mais il est impossible que tout ce qu’on a dit à
cet égard ne puisse s’appliquer à tous les fonctionnaires publics en général.
Je défie qu’on en cite un seul dont on ne puisse dire : Il peut commettre des
crimes, il peut se rendre indigne de ses fonctions. Les bourgmestres et les
échevins comme les fonctionnaires de tout rang, sont dans le droit commun.
Tout crime de la part d’un fonctionnaire est
évidemment compris dans l’article 166 du code pénal qui punit la forfaiture. La
moindre peine pour la forfaiture c’est la dégradation civile. Ainsi, toutes les
fois qu’un fonctionnaire aura commis un délit emportant forfaiture,
indépendamment des peines dont le délit est puni, la moindre peine qu’il puisse
encourir, c’est la dégradation civile qui emporte de toute nécessité la
déchéance de ses fonctions. S’il est vrai que ceux qui sont élus par le peuple
et nommés par le Roi puissent être soupçonnés de pouvoir commettre les crimes
et délits qu’on a énumérés, les lois répressives leur sont applicables comme à
tous les autres fonctionnaires qui cependant ne peuvent pas être révoqués par
le Roi.
M. Dellafaille a dit : Mais il faut cependant
éviter d’avoir dans les administrations municipales de ces hommes qu’on a vus
trop souvent être, dans leur commune, des tyrans au petit pied. (Ce sont ses
expressions.) Il faut qu’on puisse les démettre ou les suspendre. Je vous prie
de rappeler vos souvenirs, et si vous vous rappelez que quelques bourgmestres
aient été des tyrans au petit pied, soyez persuadés qu’ils étaient les
Benjamins du pouvoir, qu’ils tiraient toute leur force du gouvernement, qu’ils
étaient tellement liés avec lui qu’ils pouvaient se permettre dans leur commune
des actes vexatoires. Voilà ce que vos souvenirs peuvent vous rappeler. On me
répondra : C’était sous l’ancien gouvernement. Messieurs tous les gouvernements
se ressemblent, ils veulent être obéis ponctuellement, toute désobéissance à
leurs yeux est un crime. Ce ne sont pas vos lois ni discours qui les
changeront.
Je vous prie de considérer une chose, c’est que
la durée des fonctions des bourgmestres et des échevins est limitée à six ans.
Vous pouvez en réduire la durée si vous voulez. Mais qu’est-ce que c’est que
cela ? En n’adoptant pas la révocation, c’est comme si vous les déclariez
inamovible pendant six ans. Vous avez bien admis l’inamovibilité pour les juges.
Il faut pour être destitué, dans la magistrature, qu’on ait commis un crime ou
un délit.
Il s’agit de fonctionnaires municipaux dont les
fonctions sont temporaires et dont la durée n’excède pas six ans ; je ne
comprends pas qu’il faille armer le pouvoir d’un droit de révocation.
Qu’arrivera-t-il si vous accordez au
gouvernement un droit de révocation à volonté ? Vous aurez placé tout le
pouvoir municipal sous la dépendance absolue du gouvernement. Je doute fort
qu’il y ait de ces hommes qui savent se respecter avant tout, dis-je, qu’il y
en ait qui soient très enchantés d’accepter des fonctions pour la durée de 6
ans avec la perspective de pouvoir être révoqués à la volonté du gouvernement.
Ce ne seront pas ceux qui auront sacrifié les
intérêts de la commune qui seront repoussés de l’administration, mais bien ceux
qui les auront défendus. Croyez-vous que c’étaient des délits ou des abus qui
les avaient rendus odieux, et indignes aux yeux de leurs concitoyens, qui
étaient révoqués sous le précédent gouvernement ? c’était
précisément le contraire. Ils avaient défendu les droits de la commune contre
le pouvoir exécutif ; ils n’avaient pas voulu céder au pouvoir, aussi longtemps
qu’ils étaient dans leurs droits.
Traduits devant les tribunaux mais aussi escortés
par la voix publique, deux membres de la municipalité de Maestricht sortirent
avec l’approbation de tous les gens de bien. Voilà les hommes qu’il faut avoir
la faculté de révoquer au dire du gouvernement.
Prenez garde de tomber dans les mêmes
inconvénients : les mêmes causes amènent toujours les mêmes effets.
Messieurs, si la chambre adoptait le principe
de la révocation, je crois que c’est l’honorable M. Dellafaille qui en a fait
la proposition, il faudrait toujours la faire procéder de la suspension. C’est
aussi, je crois, le sens de l’amendement de M. de Theux. Quant aux échevins, du moins, je ne vois pas ce que
le gouvernement aurait à opposer à une pareille mesure de précaution. La
suspension donne au gouvernement tous les avantages de la révocation, en ce
qu’elle le débarrasse d’un fonctionnaire qui lui est hostile, et elle a de plus
l’avantage, pendant qu’elle subsiste, de permettre au gouvernement de réfléchir
sur les causes de la suspension, d’examiner s’il y donnera suite en prononçant
la révocation. Quoi qu’on en dise, la suspension humilie toujours le
fonctionnaire qu’elle atteint, et elle lui donne l’occasion de fournir ses
moyens justificatifs et de se défendre devant ses commettants, comme devant le
gouvernement.
Sous ce rapport je pense que la suspension
devrait précéder toujours la révocation.
Dans l’amendement de l’honorable M. Dellafaille
que je combats à cet égard, il est dit que le fonctionnaire révoqué (et ceci
s’applique particulièrement aux échevins) ne pourra être présenté comme candidat
pour la place d’échevin pendant les 3 années qui suivront l’arrêté de
révocation. Je m’opposerai de toutes mes forces à l’adoption d’un pareil
système. Je ne sais pas sur quoi l’on pourrait l’appuyer. Il me paraît
renfermer un excès de peine et une injustice révoltante. Où a-t-on puisé un
droit aussi exorbitant ? On est convenu hier (et c’est une déclaration que j’ai
provoquée moi-même de la part de M. le ministre de l’intérieur) que la
révocation des fonctions de bourgmestre ou d’échevin n’emportait pas révocation
de celles de conseiller communal. Or on ne peut prendre que ce que l’on a
donné. De ce que le Roi a conféré les fonctions de bourgmestre à celui qui
n’était que conseiller communal, il ne peut lui reprendre que le titre de
bourgmestre ou d’échevin. Du moment que le gouvernement aura destitué un
fonctionnaire à sa nomination, irez-vous punir cet homme qui aura été révoqué
souvent sans raison, souvent pour des motifs très honorables ? irez-vous lui imposer la peine de ne pouvoir plus être
présenté par ses collègues comme candidat à la place d’échevin, parce qu’il
aura plu au gouvernement de l’en croire indigne ?
J’admettrai cet amendement sans difficulté s’il
était vrai que la représentation du même candidat pût entraver la marche du
gouvernement, si en un mot la liste ne présentait qu’un nom. Alors si le
gouvernement révoquait un échevin et que le conseil communal persistât à
n’offrir au choix du gouvernement que le fonctionnaire ainsi éliminé, il est
évident qu’il serait impossible de pourvoir à son remplacement ; mais il n’en
est pas ainsi. La présentation de candidats pour la place d’échevin a lieu sur
une liste triple ou quadruple. Si le pouvoir central ne veut pas, comme cela
est probable, du candidat déjà éliminé, il lui sera loisible d’arrêter son
choix parmi les autres noms de la liste. Je trouve que l’amendement a un autre
inconvénient, c’est qu’il ôte au gouvernement le moyen de revenir d’une erreur
ou d’une injustice. Lorsque le gouvernement aura été faussement prévenu contre
un échevin, qu’il verra le conseil communal lui représenter comme candidat le
même individu et témoigner à celui-ci la continuation de sa confiance, le
pouvoir royal devra se dire qu’il a été trompé, parce qu’il sera impossible que
l’homme qui n’aura pas malgré sa révocation perdu la confiance de ses collègue
ne soit pas l’homme du peuple. Ainsi le système de la section centrale, s’il
n’est pas modifié par l’amendement de M. Dellafaille, permet au gouvernement de
s’éclairer ultérieurement, de réparer une injustice, moyen qu’il ne
conserverait plus si l’inaptitude aux fonctions d’échevin après la révocation
était prononcé par vous.
D’un autre côté c’est la seule consolation que
vous puissiez accorder à un homme qui a mieux aimé résigner son emploi que de
forfaire à ses devoirs ; et pour rentrer dans l’exemple que j’ai déjà cité, je
vous prie de remarquer que si une semblable présentation avait été permise lors
du procès fait à la municipalité de Maestricht, il n’y aurait pas eu au monde
de réparation qui eût valu celle-là.
J’ai lu quelque part que Philippe, roi de
Macédoine (et ce n’était certainement pas un roi constitutionnel), (hilarité), accueillit un de ses sujets
qui, ayant à se plaindre d’une décision royale, en appela de Philippe endormi à
Philippe éveillé. Je n’ai pas vu qu’il se soit fâché de cet appel. Loin de là,
la chronique nous apprend qu’il rendit à cette occasion un arrêt tout contraire
à celui contre lequel on s’était élevé. Les rois ne doivent pas se montrer plus
formalistes que ne l’était Philippe. Ne craignons pas de les éclairer. Je
crois, loin de leur faire injure, leur faire honneur en leur offrant l’occasion
de revenir sur une décision précipitée, de réintégrer dans leurs fonctions des
hommes qu’ils auraient destitués pour des motifs qui plus tard aurait perdu
toute leur gravité.
M. le ministre de la justice a dit qu il
fallait que les bourgmestres et les échevins pussent être révoqués, parce
qu’ils remplissent dans certains cas des fonctions judiciaires. Il a cité à cet
égard le code d’instruction criminelle. Comme les bourgmestres et les échevins
qui remplacent peuvent être appelés d’après ce code à faire l’office du
ministère public, il a conclu que puisque le gouvernement avait le droit de
révoquer les officiers du ministère public, ce droit devait s’étendre aux
bourgmestres et aux échevins qui pouvaient dans certains cas être revêtus de ce
caractère. Si le code était interprété d’une manière absolue, le gouvernement
aurait le droit de révoquer les membres de l’ordre judiciaire, qui, sans être
fonctionnaires du parquet, sont appelés à remplacer le procureur du Roi et les
substituts quand ils sont empêchés par une cause quelconque. Il est évident
qu’il faut que chaque pouvoir trouve dans ses éléments le moyen de remplir des
lacunes que l’on ne peut prévoir ni éviter. Ainsi dans les administrations
municipales, si, en l’absence du bourgmestre, la liste des échevins est épuisée
sans qu’on puisse remplacer ce fonctionnaire, c’est aux conseillers par rang
d’âge de se substituer à lui. Si donc vous appliquez ce raisonnement dans toute
son extension rigoureuse, il s’ensuivra que les conseillers communaux seront
eux-mêmes des agents du gouvernement puisqu’ils pourront remplacer, dans des
cas extrêmement rares, le bourgmestre et les échevins. En vérité, ce système ne
mérite pas une réfutation.
Je terminerai par quelques mots de réponse à M.
le ministre de l'intérieur. Il a dit que le projet du gouvernement était
l’œuvre d’une commission qui certainement n’était pas, a-t-il ajouté, composée d’hommes
à projets liberticides. Je crois avec le gouvernement que l’ensemble du projet
n’est pas contraire aux principes de la constitution et qu’il peut être admis.
Quant au reproche que l’on pourrait faire à la commission d’avoir adopté des
principes que je suis venu combattre, je dois dire que le travail de cette
commission n’a jamais été compété, parce que deux des membres qui la
composaient sont venus à décéder. Nous ne nous sommes jamais assemblés pour
convenir de la rédaction définitive. Il est vrai que j’ai été chargé de réviser
la rédaction du projet, mais on ne m’a pas laissé le temps ; car le dossier me
fut retiré au bout de huit jours. Nous ne sommes pas tombés d’accord, je le
répète, d’une manière complète sur le principes de la loi communale ; Je ne
sais à quoi tient l’objection du ministre de l’intérieur. Il y a eu dans la
commission des opinions divergentes. De ce que l’on a été membre d’une
commission, il ne s’en suit pas que l’on doive soutenir un projet dont on n’a
peut-être pas approuvé toutes les parties dans le sein de cette commission.
D’ailleurs, il serait très possible que plus éclairé sur la question l’on eût
cru devoir changer d’opinion depuis cette époque.
En conséquence
des motifs que je viens de développer, je voterai donc contre l’amendement de
l’honorable M. Dellafaille. (La clôture,
la clôture !)
M. Doignon. -
J’ai demandé la parole pour un fait que l’on peut qualifier de personnel. Je
crois que la parole me revient de droit.
M. Dubus. -
La question soumise à vos délibérations est d’une importance telle que je ne
pense pas qu’il soit dans l’intention de la chambre de refuser la parole aux
députés qui veulent motiver leur vote. Je désirerais faire connaître mon
opinion en peu de mots.
- La clôture est mise aux voix et adoptée.
M. le président.
- La parole est un M. Doignon pour un fait personnel.
M. Doignon. -
Dans la séance d’hier, M. le ministre de l'intérieur a fait emploi d’une lettre
qu’il attribue à un fonctionnaire de l’arrondissement de Tournay et d’après les
explications qu’il a ajoutées, c’est moi qu’il désigne comme auteur de cette
lettre. Il y a plus de trois ans qu’elle a été écrite et si vous en avez écouté
la lecture avec quelque attention, vous avez pu voir, messieurs, qu’elle ne
conclut rien pour la discussion actuelle.
Dans l’ordre de mes devoirs j’y consultais M.
le gouverneur sur ce qu’il y avait à faire à l’égard de fonctionnaires qui
prévariqueraient.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Qui prévariquaient.
M. Doignon. -
Je n’ai fait que poser des questions, sans rien décider : J’y faisais allusion
au bourgmestre dont M. le ministre de l’intérieur a parlé. Ce fonctionnaire
était prévenu de concussion, et par la suite il fut poursuivi de ce chef devant
le tribunal. Je disais dans cette lettre qu’il fallait bien avoir des moyens de
répression contre de tels fonctionnaires, mais ces moyens se trouvent dans
notre code pénal ; j’en indiquais aussi un autre tiré de l’article 137 de la
constitution qui conserve aux autorités provinciales toutes leurs attributions.
Or d’après l’article 18 du règlement du plat pays le droit de suspendre les
bourgmestres et assesseurs appartenait aux états députés.
A l’égard du droit de suspendre malgré
l’élection directe, je n’ai partagé les scrupules de l’autorité supérieure.
J’ai déjà professé la même opinion à cette
tribune à l’occasion de la pétition de M. Dejaer de
Liége ; et si M. le ministre de l'intérieur m’avait écouté avec attention, il
saurait que dans le discours que j’ai prononcé à la séance d’hier, j’ai
persisté dans cette doctrine. Voici ce que j’ai dit :
« Si la chambre avait conservé l’élection
populaire et directe du bourgmestre, j’aurais été le premier à proposer pour la
garantie du gouvernement de lui accorder le droit de révocation et de la
suspension de ce fonctionnaire dans des cas déterminés, et déjà dans une autre
circonstance, dans la fameuse affaire de Liége, j’ai eu l’occasion d’émettre
cette opinion. C’est en effet parce que le gouvernement a négligé ce moyen ou
qu’il n’a point demandé depuis longtemps à la législature une disposition
transitoire sur ce point, qu’on peut dire qu’il a lui-même été cause de
quelques écarts dans certaines localités. »
Ainsi, vous le voyez, messieurs, ce que je
pensais, ce que je disais il y a trois ans, je le pense, je le dis encore
aujourd’hui.
M. le ministre de l'intérieur a bien voulu
exhumer un de mes actes ; qu’il me permette à mon tour d’en citer un autre :
c’est le rapport que j’ai adressé il y a deux ans à l’autorité supérieure sur
le premier projet d’organisation communale. Dans ce rapport je n’ai pas craint
de déclarer, avec ma franchise ordinaire, que je désapprouvais hautement le
projet d’organisation communale ; j’ai signalé ce projet comme tendant dans son
ensemble à asservir les communes. J’ai éclairé, d’après mon expérience, d’après
la connaissance que j’ai acquise de la bonté du peuple, que le gouvernement
n’avait pas besoin d’un aussi grand pouvoir pour faire marcher les
administrations. Cette conviction, que j’avais il y a deux ans, je l’ai encore
aujourd’hui ; car elle repose sur l’expérience, elle repose sur des faits.
Du reste je suis assez disposé à admettre le
droit de révocation, dès qu’il est entouré de garanties convenables. Je prie la
chambre de faire attention qu’il y a une grande différence entre l’amendement
de M. de Theux et celui de M. Dellafaille ; en effet…
M. le président. - C’est le fond, la discussion
est close. Vous n’avez la parole que pour un fait personnel.
M. Doignon. -
J’ai dit.
M. le président.
- Je vais mettre aux voix l’amendement de M. Dellafaille ou celui de M. de
Theux, selon que la chambre accordera la priorité à l’un ou à l’autre.
M.
Dumortier, rapporteur. - Il me paraît assez difficile de décider lequel
des deux amendements, de M. de Theux ou de M. Dellafaille, doit avoir la
priorité. Pour moi, je l’avoue, je ne comprends pas bien celui de M. de Theux. Je ne sais si c’est une
faute de rédaction ; mais il y a, ce me semble, dans cet amendement une lacune,
une incohérence sur laquelle je désirerais avoir une explication de l’honorable
membre. Il détermine les seuls cas dans lesquels la suspension pourra avoir
lieu, et il ne détermine aucun cas pour la révocation ; est-ce à dire qu’elle
pourra avoir lieu dans tous les cas, ou les cas de la suspension
s’appliquent-ils à la révocation ? S’il en était autrement, je refuserais mon
vote à l’amendement.
M.
de Theux. - Si l’honorable membre avait écouté les développements de mon
amendement, il ne l’aurait pas adressé cette question. Dans l’opinion que j’ai
soutenue dans le sein de la commission, et dans laquelle je persiste, il y a
une distinction essentielle à faire entre la suspension et la révocation. La
suspension ne doit jamais avoir lieu que pour un fait blâmable, tandis que la
démission peut être donnée en l’absence de tout fait blâmable, et seulement
parce qu’il fait que le gouvernement ait une confiance entière dans ses agents.
J’ai cité notamment à cet égard les bourgmestres des grandes villes. Je ne
crois pas devoir entrer dans de plus longues explications.
M. Devaux. - Puisqu’on demande des explications,
j’en demanderai une à l’honorable M. Dumortier sur son sous-amendement. Il veut
que l’arrêté de suspension soit motivé sur les faits qui se rapporteront aux
cas d’inconduite ou de négligence grave prévus par l’article en discussion.
S’il demande que l’on spécifie les cas d’inconduite, il en résultera qu’il y
aura des arrêtés assez singulièrement motivés. Quant au cas de négligence
grave, je ne sais comment il pourrait fournir les motifs à un arrêté. La
négligence est l’absence de faits ; je conçois le fait du mouvement, mais je ne
conçois pas le fait du repos.
M. Dumortier,
rapporteur. - Mon intention, en présentant mon sous-amendement, a été
d’empêcher que le gouvernement puisse user du droit d’épuration, dans
l’impossibilité où il sera d’user du droit de dissolution. Comme la chambre a
refusé l’un de ces droits, je suppose que son intention est de refuser
également l’autre ; c’est pour y pourvoir que j’ai présenté mon amendement.
Maintenant il est incontestable que la
suspension ou la révocation d’un bourgmestre aura lieu, non au moyen de la
correspondance, mais au moyen d’un arrêté non inséré au Bulletin des lois. Si on trouve de la difficulté à ce que les
motifs de la suspension ou de la révocation soient toujours énoncés dans
l’arrêté, je consens volontiers à changer la rédaction de mon amendement et à
dire : « La suspension sera motivée sur, etc. »
Quant au second point sur lequel l’honorable
député de Bruges demande une explication, j’aurai l’honneur de lui faire
remarquer que le cas de négligence découle aussi bien de faits que le cas
d’inconduite. Je suppose un fonctionnaire qui a commis une négligence en ce qui
concerne la tenue des registres de l’état-civil ; cette négligence constitue
évidement un fait, il en est de même en toute autre circonstance.
Les motifs sur lesquels mon amendement est
fondé sont analogues à ceux qui ont déterminé une disposition des lois sur
l’ordre du Lion Belgique et sur l’ordre de Léopold. D’après ces lois, les
arrêtés de nomination doivent être motivés. Mais vous avez vu comment ils le
sont : on met dans l’arrêté : « pour services rendus » ou tout autre
chose aussi vague. Je demande si ce n’est pas éluder les motifs de la loi.
Je veux que les motifs reposent sur des faits
déterminés. C’est afin qu’on ne puisse pas supposer à volonté de l’inconduite
ou de la négligence que je demande qu’on stipule les faits ; cela est
d’ailleurs nécessaire pour que le fonctionnaire accusé puisse se disculper. Je
demande que la décision soit motivée comme le sont les jugements des tribunaux.
Je ferai remarquer en terminant que
mon amendement s’applique également à l’amendement de M. Dellafaille et à celui
de M. de Theux.
- La chambre consultée accorde la priorité à
l’amendement de M. H. Dellafaille
M. Jullien. - Je
demande la division sur l’amendement de M. Dellafaille, c’est-à-dire la mise
aux voix d’abord des quatre premiers paragraphes et ensuite du dernier
séparément.
Le dernier paragraphe est celui qui prononce la
suspension pour trois ans ; cette peine, cette humiliation, cette espèce de
dégradation civique ne me paraît pas devoir être accueillie. Je voterai
volontiers pour les quatre premiers paragraphes ; mais si le dernier paragraphe
était adopté, je voterais contre l’amendement. Je demande la division qui
d’ailleurs et de droit.
M. Dubus. -
Je crois que l’honorable M. Jullien demande la division des quatre premiers
paragraphes et du dernier. (Oui ! oui !)
M. le président.
se dispose à mettre aux voix les quatre premiers
paragraphes de l’amendement de M. H.
Dellafaille.
M. Dubus. -
L’appel nominal ! (Appuyé !)
- Il est procédé à l’appel nominal. En voici le
résultat :
Nombre de votants : 69.
Contre, 42.
Pour, 27.
La chambre n’a pas adopté.
Ont répondu non :
MM. Berger, Boucqueau de Villeraie, Brixhe,
Coghen, Cornet de Grez, de Behr, de Laminne, de Longrée, de Man d’Attenrode, F.
de Mérode, W. de Mérode, Desmanet de Biesme, de Stembier, de Theux, Devaux,
Dewitte, d’Huart, Donny, Dubois, Duvivier, Ernst, Fleussu, Jadot, Lebeau,
Milcamps, Nothomb, Olislagers, Polfvliet, Pollénus, Poschet, Raikem, Rogier,
Simons, Smits, Ullens, Vandenhove, Verdussen, Vergauwen, Vilain XIIII, Watlet,
Zoude.
Ont répondu oui :
MM. Brabant, Cols, Dautrebande, A. Dellafaille,
H. Dellafaille, de Meer de Moorsel, de Muelenaere, Dechamps, Desmet, de
Terbecq, Doignon, Domis, Dubus, Dumortier, Helias d’Huddeghem, Hye-Hoys,
Jullien, Liedts, Pirson, Quirini, A. Rodenbach, Thienpont, Vanderheyden, C.
Vuylsteke.
M. H.
Dellafaille - Comme le dernier paragraphe de mon amendement n’est que
la conséquence des quatre premiers, je déclare retirer ma proposition.
- Le paragraphe de l’amendement de M. de Theux
est mis aux voix et adopté par division.
M. le président.
se dispose à mettre aux voix l’ensemble de
l’amendement de M. de Theux.
M. Dumortier,
rapporteur. - L’appel nominal ! (Appuyé.)
On procède à l’appel nominal. En voici le
résultat.
70 membres sont présents.
52 ont répondu oui.
15 ont répondu non.
3 membres se sont abstenus.
En conséquence, l’amendement de M. de Theux est
adopté dans son ensemble.
Aux termes du règlement MM. Doignon, Dubus et
A. Rodenbach, qui se sont abstenus, sont tenus de s’expliquer.
M. Doignon. -
Je n’ai voulu donner mon vote à l’amendement de M. de Theux parce qu’il
reproduit la proposition de la section centrale, d’un autre je n’ai pas voulu
refuser mon vote à cet amendement parce qu’il améliore un peu la proposition de
la section centrale.
M. Dubus et
M. A. Rodenbach déclarent s’être abstenus
par ce motif.
M. le président.
donne lecture du sous-amendement de M. Dumortier.
Quelques voix. - L’appel nominal !
64 membres étaient présents.
17 ont voté l’adoption.
47 ont voté le rejet.
En
conséquence l’amendement n’est pas adopté.
Ont voté l’adoption :
MM. Berger, Dautrebande, de Meer de Moorsel, de
Renesse, de Roo, Desmet, de Terbecq, Dewitte, Doignon, Domis, Dubus, Dumortier,
Frison, Pirson, A. Rodenbach, Simons.
Ont voté le rejet :
MM. Boucqueau de Villeraie, Brixhe, Coghen,
Cols, Cornet de Grez, de Behr, de Laminne, A. Dellafaille, H. Dellafaille, de
Longrée, de Man d’Attenrode, F. de Mérode, de Muelenaere, de Sécus,
Desmaisières, Desmanet de Biesme, de Stembier, de Theux, Devaux, d’Huart,
Donny, Dubois, Duvivier, Ernst, Fleussu, Helias d’Huddeghem, Hye-Hoys, Jadot,
Jullien, Lebeau, Milcamps, Morel-Danheel, Polfvliet, Pollénus, Poschet,
Quirini, Rogier, Smits, Thienpont, Ullens, Vandenhove, Verdussen, C. Vilain
XIIII, C. Vuylsteke, Zoude, Raikem.
M. le président.
- Nous allons maintenant passer à un autre article.
M. le ministre des finances (M. Duvivier) - Je demande la parole pour
signaler un fait à la chambre… Les budgets pour l’exercice 1835 sont imprimés
depuis quelques jours ; on pouvait les distribuer à MM. les membres de la
chambre ; la distribution n’en est pas faite ; j’ai envoyé demander à
l’imprimeur pourquoi il en était ainsi ; il a répondu que la questure avait
donné l’ordre de n’en distribuer à personne.
M. de Sécus.
- Ce n’est pas moi qui ai donné cet ordre.
M. Dumortier,
rapporteur. - Le fait est inexact.
M. le ministre des finances (M. Duvivier) - Je dis que j’ai envoyé chez
l’imprimeur demander des exemplaires du budget, et qu’il a répondu à la
personne envoyée qu’il avait ordre de n’en point donner.
M. Dumortier,
rapporteur. - Si le ministre déclare que c’est un ordre donné par la
questure, je déclare moi pour ce qui me concerne, que c’est une fausseté. (Bruit, interruption.)
M. le président.
- Il y a des amendements.
M. A. Rodenbach.
- Je retire le mien.
M. le président.
- Le fait allégué par M. le ministre des finances est fort singulier ; il
serait assez important de savoir par qui l’ordre a été donné.
M. le ministre des finances (M. Duvivier) - Je parle d’après la déclaration
faite par l’imprimeur.
M. Jullien. -
Mais peut-on dire qui a donné cet ordre ?
M. le ministre des finances (M. Duvivier) - On m’a rapporté que c’était M.
Dumortier qui l’avait donné.
M. Dumortier,
rapporteur. - C’est une fausseté.
M. le ministre des finances (M. Duvivier) - L’imprimeur est Hayez, imprimeur de l’Académie royale.
M. Dumortier,
rapporteur. Je vais aller trouver l’imprimeur et il m’expliquera ce
fait ; et s’il se trouve qu’un employé de cette chambre se soit permis une
pareille chose, je le destituerai sur-le-champ.
M. le ministre des finances (M. Duvivier) - La chambre a été officiellement
informée par moi que le budget que je déposais sur son bureau était livré à
l’impression depuis plusieurs jours ; l’impression est terminée, car voilà un
exemplaire que j’ai obtenu à grand-peine : quant à la non-distribution du
budget aux membres de la chambre je devais déclarer qu’elle n’était pas de mon
fait et que j’en étais fort surpris.
PROJET DE LOI PORTANT ORGANISATION DES COMMUNES
Discussion des articles
Titre I. - Du corps
communal
Chapitre 1er. - De la
composition du corps communal et de la durée des fonctions de ses membres
Section 1ère. De la
composition du corps communal
Article 2
M. le président.
- On a laissé l’article 2 en arrière. Je proposerai de le rédiger ainsi, en
conséquence du vote que vient d’émettre la chambre :
« Art. 2. Les conseillers communaux seront
élus directement par les électeurs de la commune. »
M. Dumortier,
rapporteur. - L’article dont on a ajourné le vote est celui sur lequel
M. de Robaulx a fait une proposition.
- La rédaction proposée par M. le président est
mise aux voix et adoptée.
M. le président.
- Nous allons passer à l’article 2. (A
demain ! à demain !)
- Plusieurs membres quittent la salle.
M. le président.
- Nous ne sommes plus en nombre pour délibérer.
-La séance est levée à quatre heures et demie.