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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 2 juillet 1834

(Moniteur belge n°184, du 3 juillet 1834)

(Présidence de M. Raikem.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse fait l’appel nominal à midi et demi.

M. Dellafaille donne lecture du procès-verbal ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse fait connaître l’objet des pièces adressées à la chambre.

« La régence de Calken (Termonde), demande que le canton de Wetteren continue à faire partie de l’arrondissement de Termonde. »

- Renvoi à la commission chargée de l’examen du projet de loi sur la circonscription des justices de paix.


« La dame veuve Tixhon, de Liège, dont le fils, sous-lieutenant d’artillerie, est mort au service, demande une pension. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« La régence et plusieurs habitants notables d’Attembourg réclament contre le projet de réunir cette commune à l’arrondissement de Nivelles. »

« Les habitants notables de la commune de Vezon (Hainaut) réclament contre le projet de réunir cette commune au canton d’Antoing. »

- Ces deux mémoires sont renvoyés à la commission chargée de l’examen du projet de loi concernant la circonscription des justices de paix.


Il est fait hommage à la chambre, par M. Vandermaelen, de tableaux statistiques des patentables de la Belgique.

Proposition de loi relative aux droits sur les toiles de lin

Discussion générale

M. Bekaert. - Je désirerais que MM. les ministres des finances et de l’intérieur fussent présents à la discussion. Je demande donc que la séance soit suspendue jusqu’à leur arrivée.

- La séance est suspendue pendant un quart d’heure. M. le ministre des finances entre dans la salle. La séance est reprise.

M. Bekaert. - Messieurs, dans la séance du 20 juin, les observations de quelques honorables collègues ayant fait naître des doutes sur la rectitude de notre travail, vous avez renvoyé à la section centrale le tarif que nous avions eu l’honneur de vous présenter, afin de le soumettre à l’épreuve d’une expérience matérielle qui donnât à la chambre des gages que la combinaison que nous avions établie n’offrait effectivement à l’industrie linière que la protection de 7 p. c. que la législature voulait lui accorder.

Vous vous rappellerez, messieurs, que je fus un des premiers pour appuyer ce renvoi. En effet, l’opération avait été trop consciencieusement faite ; nous y avions mis trop de zèle et de soins, nous avions puisé nos données à des sources trop désintéressées, trop pures, pour ne point désirer nous-mêmes cette nouvelle expérience. D’ailleurs les membres de la section centrale avaient à cœur de fixer invariablement l’opinion de la chambre dont la confiance avait paru un instant ébranlée.

Eh bien, messieurs, cette vérification a eu lieu. M. le ministre des finances a fait acheter toutes espèces de toiles étrangères. C’est en sa présence, c’est dans ses bureaux, c’est par les chefs mêmes de son ministère que l’épreuve a été rigoureusement répétée. Le résultat en a justifié nos prévisions.

Il a été conforme à celui que la section centrale avait obtenu. Si donc, d’un côté, nous avons la satisfaction de voir que l’exactitude de notre calcul a été trouvée incontestable, de l’autre, ce résultat identique, obtenu par d’autres personnes, et sur des toiles différentes, est d’une importance qui doit frapper tous les yeux. Il est palpablement démontré combien, dans l’espèce, l’impôt à la loupe et au poids est juste, combien il est préférable au système opposé qui certes, ne saurait offrir au contrôle un semblable apaisement.

Je vous dois, messieurs, à la vérité de dire que la conviction de M. le ministre des finances a été telle qu’il n’a pas hésité un instant de déclarer qu’il se ralliait en tout point au projet de la section centrale. Je me félicite, messieurs, de ce que la protection qui est due à l’industrie linière, aura ainsi tout à la fois la sanction de la chambre et celle du gouvernement.

Je vous dois, messieurs, une dernière explication. Les droits pour les toiles écrues avaient été calculés sur les différents genres d’un usage général et suivi ; mais il est notoire que la toile à voiles, dont la valeur n’est point en relation avec l’extrême épaisseur et le poids, forme une espèce toute exceptionnelle. Or, nous avions basé la loi sur la règle et non sur l’exception. Mais nous nous sommes fait un devoir d’y remédier en ajoutant au projet primitif une classe inférieure, c’est-à-dire de 5 fils et au-dessous, qui ne paierait que 10 fr. les 100 kilog. ; et cette modification, en satisfaisant à ce qu’exigent les toiles à voiles, conciliera tous les intérêts.

M. de Roo. - Je n’ai que des éloges à donner au zèle de MM. les membres de la commission chargée de l’examen du projet de loi soumis à nos discussions. Mais, je crains que le but qu’ils se sont proposé ne soit pas atteint.

Le tarif nouveau qu’ils nous présentent est celui qui est en vigueur en France. Ils nous ont avoué que les bases du tarif français avaient été calculées d’après nos toiles et non d’après les toiles allemandes. Or, il y a entre la qualité de ces deux espèces de toiles un rapport de 7 à 4. Ce ne sera donc en réalité qu’un droit de 4 p. c. que nous imposerons à l’entrée des toiles allemandes au lieu d’un droit de 7 p. c. Je propose pour ma part d’en revenir aux premiers calculs tels que la commission nous les avait présentés dans son travail primitif. Ces calculs étaient justes et bien fondés, ainsi qu’il résulte du rapport de la commission de Courtray. C’est là la seule manière de parvenir aux fins que l’on se propose. Je demande donc que l’on revienne au premier tarif.

M. A. Rodenbach. - Je demanderai à M. le ministre des finances qu’il veuille, avant que la discussion continue, nous donner quelques explications. Je désirerais savoir s’il se rallie au nouveau tarif proposé par la section centrale. On a dit que M. le ministre des finances s’est rallie au travail de la section centrale ; je voudrais savoir si c’est au premier ou au second : la déclaration de M. le ministre des finances simplifierait la discussion.

M. le ministre des finances (M. Duvivier) - Messieurs, je crois devoir donner à la chambre quelques explications sur les considérations qui ont motivé mon opinion lors de la discussion précédente des projets de loi relatifs aux toiles.

Si je me suis prononcé alors en faveur du mode de perception le plus simple, celui à la valeur actuellement en usage dans le pays, et contre le mode que la section centrale proposait d’y substituer, celui au compte-fils, ce n’est point parce que je regardais ce dernier en lui-même comme mauvais ou comme moins bon que l’autre : ce n’est point non plus, comme un honorable membre a cru pouvoir le supposer, par sympathie pour des idées stationnaires ou en faveur de la commodité et de la paresse des employés. J’aime à cet égard autant que lui-même la voie du progrès et celle de l’activité, et les fonctionnaires et employés de la douane n’ont point encore, à ma connaissance, mérité le reproche de ne point apporter à l’exécution des lois tout le zèle et toute l’intelligence qu’elles réclament de leur part.

Ce n’est point enfin par répugnance pour des innovations opportunes ou utiles, puisque je me suis empressé de concourir à toutes celles qui m’ont paru offrir un avantage réel pour la prospérité du pays. Mais dès le principe de la discussion j’ai prévu, messieurs, les difficultés, et la diffusion dans lesquelles le projet de la section centrale devait conduire cette discussion, et j’ai le regret de ne pas m’être trompé à cet égard.

Quoi qu’il en soit, la chambre ayant établi préalablement deux principes dans lesquels la loi devait être conçue, l’augmentation au taux d’environ 7 p. c. en principal du droit à l’importation, l’autre le mode de perception au poids combiné avec le degré de finesse des toiles, je me suis empressé de me réunir avec les membres de votre section centrale pour nous concerter sur l’échelle d’un tarif rapprochée de ces bases préliminaires ; et si, maintenant, je ne m’oppose plus au projet ainsi rectifié, c’est parce que, en prenant part à sa révision dans le sein de la section centrale, j’ai cru me conformer au vœu de la chambre auquel il m’est toujours agréable de déférer, et parce que ce nouveau travail me paraît présenter un calcul plus progressif que le premier.

Mais je persiste à penser que si l’introduction de ce mode de perception doit, comme on l’a prétendu, contrarier la soi-disant paresse des employés, il n’épargnera pas beaucoup plus le temps et les soins du commerce, qui au nombre des avantages du système nouveau ne trouvera certainement pas la simplification et la célérité des opérations.

Quant à l’évaluation du prix des toiles, des essais comparatifs effectués sous mes yeux, en présence d’honorables membres de votre section centrale, sur divers coupons ou échantillons de toiles écrues et blanches de différents degrés de finesse, ont eu pour résultat de démontrer que le taux du droit d’entrée au tarif de France pour les toiles écrues, et à l’exception de la série de moins de huit fils, revient en terme moyen, pour chaque qualité, à 7 p. c. de la valeur.

Ces essais opérés sur une assez grande variété de cette espèce de tissus, et l’analogie de classification et de proportion, qui existe entre les autres espèces, notamment les toiles cirées, dont des échantillons n’ont pu en ce moment se recueillir, m’ont paru suffisants pour établir que le droit, tel qu’il est proposé en concordance avec celui du tarif de France, atteint convenablement le but de fixer en général le taux moyen de ce droit à environ 7 p. c. de la valeur, au moins à l’égard des toiles de 8 fils et au-dessus.

Quant à celles d’une qualité plus commune, une série de plus, admise par la section centrale, les range sous ce rapport dans une proportion égale à celle des classes supérieures, autant que le permet la nécessité de ne pas trop multiplier les spécialités du tarif. Cette classe, en comprenant explicitement les toiles à voiles, fait cesser pour cet article les inconvénients que paraissait présenter le premier projet. Celui modifié d’un commun accord, et qui vous est soumit par le nouveau rapport de la section centrale, rentre, quant aux toiles écrues, parfaitement dans votre vœu de ne les voir frappées que d’un droit de 7 p. c. ; et quant aux toiles blanches ou teintes, en ne les assujettissant qu’a un droit et demi des toiles écrues, vous ne les frapperez de même que d’environ 7 p. c. de la valeur, tandis que si le tarif de France était adopté à leur égard, elles le seraient de 11 à 12 p. c.

Le linge de table et croisé n’est assujetti dans le projet, qu’a un droit unique, quel que soit le degré de finesse du tissu. L’extrême difficulté d’établir une classification régulière a engagé les auteurs du tarif français à prendre un terme moyen, et dans le système du droit au poids, ce parti paraissant le plus sage, nous avons cru devoir également nous y arrêter.

Je déclare donc me rallier en tout point au nouveau travail de la section centrale. Les expériences qui ont été faites en ma présence dans mes bureaux sur les toiles étrangères, et notamment sur les toiles d’Allemagne l’ont été avec tant de soin, qu’il m’est impossible de me refuser à l’évidence ; et j’ai acquis, ainsi que je viens de le dire, la conviction qu’an moyen des modifications apportées au premier projet, la protection accordée à l’industrie indigène n’excédera pas 7 p. c. Tout a été bien et dûment vérifié.

Du reste, je ferai remarquer que je n’ai jamais été dans le cas de me rallier à l’autre projet. La chambre se rappellera qu’il n’a été question que du premier article du tarif primitif de la section centrale, dans lequel la protection accordée à nos toiles était beaucoup trop forte. Aussi lui a-t-on renvoyé tout le travail, afin que le ministre des finances pût être entendu. Et c’est après avoir reconnu par la vérification de ce premier article que le droit proposé était trop considérable, que la section centrale, partageant mon avis, l’a modifié ainsi que les autres articles, et les a fixés tels qu’ils vous sont actuellement présentés.

M. Desmaisières, rapporteur. - Je ferai observer à l’honorable M. de Roo qu’il n’a pas fait attention que le premier tarif présenté par la section centrale se rapprochait infiniment du tarif français. Ce n’est qu’après les vérifications faites au ministère des finances que nous avons cru remplir les intentions de la chambre en adoptant complètement le tarif français.

M. de Nef. - Les fabriques de coutils languissent depuis que la Belgique a cessé d’être réunie à la France, qui était leur principal débouché ; fidèle à son système prohibitif, la France a établi sur l’introduction des coutils belges des droits tellement élevés, qu’il est réellement devenu impossible de soutenir la concurrence des fabriques de cette nature établies en France ; d’autre part la Belgique en consomme fort peu, de sorte que les débouchés de cet article se trouvent aujourd’hui réduits à quelques exportations pour l’Espagne et la Hollande, outre que dans ce dernier pays les fabricants belges ont encore à lutter contre les fabriques d’Allemagne, dont les produits, par suite de l’état actuel des choses, sont accueilli beaucoup plus favorablement à Amsterdam et en Frise.

Cet état de gêne est notoire, et il est donc inutile de m’étendre ultérieurement à ce sujet ; je vois d’ailleurs par la proposition qui nous est faite d’établir des droits à l’introduction des coutils étrangers que l’on comprend la nécessité de venir au secours de ce genre de fabrication ; mais je dois faire remarquer que le remède proposé me paraît complètement illusoire, puisque ce n’est nullement l’introduction des coutils étrangers qui tue les fabriques des coutils en Belgique, mais seulement le défaut de débouchés à l’extérieur.

Les coutils belges sont arrivés à un tel degré de perfection qu’ils n’ont rien à redouter en Belgique de la concurrence des coutils étrangers qui n’y trouvent d’ailleurs aucun écoulement.

Si l’on veut venir avec efficacité au secours des fabriques dont dépend l’existence d’une quantité considérable d’ouvriers, on doit s’attacher à favoriser d’abord l’introduction des matières premières et en second lieu les débouchés à l’étranger ; quant à ce dernier moyen il doit consister dans une diminution sur les droits d’entrée en France ou dans des primes d’exportation, et quant au premier, je me réserve de vous démontrer, lors de la discussion sur les droits proposés à l’entrée des fils étrangers que si l’on ne veut pas soi-même contribuer à l’anéantissement de la fabrication des coutils en Belgique, il faudrait faire au moins une exception pour l’introduction des fils de Westphalie dits fils de Mold et de Brunswick dont l’emploi est absolument indispensable dans le confectionnement des coutils.

Je ne demande donc aucune augmentation, mais seulement le maintien du droit actuellement existant.

M. Dubus. - Vous vous rappellerez, messieurs, comment vous avez été entraînés à vous occuper sans examen préalable du projet de loi relatif à un droit à porter sur les toiles étrangères. Vous avez mis ce projet de loi à l’ordre du jour du lendemain, sans laisser le temps d’étudier ce projet.

Les honorables membres de cette chambre, qui en appuyaient l’urgence, nous disaient d’une part que ce n’était qu’une loi provisoire, une loi qui aurait cessé tout son effet après une année de mise à exécution ; d’une autre part, que la question était extrêmement simple, qu’il s’agissait d’établir à l’entrée des toiles étrangères un droit modéré sur lequel la chambre ne pouvait manquer de se trouver d’accord.

Aujourd’hui je remarque que la loi a été transformée en loi définitive. On demande la suppression de l’article 10. C’était précisément cet article qui portait que la loi cesserait d’être obligatoire au bout d’une année d’application. Maintenant, la question est changée. Il s’agit d’un principe. C’est une loi définitive que l’on vous propose.

D’un autre côté, il m’a semblé que ceux qui connaissent le mieux la matière sont précisément ceux entre lesquels il se présente le plus de divergence d’opinions, non seulement sur le système de tarif, mais aussi sur les faits, et c’est à la suite de toutes ces variations d’avis qu’il semble que tous soient arrivés à se mettre d’accord pour enchérir sur la proposition primitive de la section centrale et pour adopter des dispositions plus restrictives que celles que portait le premier tarif.

L’un des auteurs des propositions sur l’entrée des toiles étrangères demandait un droit de 10 p. c. sur la valeur, droit, qui, selon lui, se réduisait en réalité à 7 p. c. La chambre paraissait d’accord sur ce point, qu’il fallait imposer les toiles étrangères d’un droit de 7 p. c. Il semblait d’après la section centrale que le nouveau système qu’elle voulait introduire ne dépasserait pas ce taux en définitive.

Un honorable membre, auteur de la proposition qui a pour objet de remplacer le système actuel par le système à la loupe et aux poids, nous disait qu’il avait suivi dans ses calculs la base d’un droit réel de dix pour cent, afin d’obtenir un droit de 20 pour cent inférieur à celui qui est imposé par nos voisins sur les toiles étrangères.

Maintenant, on vous propose absolument le même tarif que celui de nos voisins, ce qui reviendrait à établir un droit d’au moins 12 à 13 p. c., et cependant l’on nous assure que le chiffre réel de 7 p. c. a été conservé dans le nouveau travail de la section centrale.

L’honorable M. Bekaert nous disait également qu’il voulait obtenir un droit réel de 10 p. c., droit qui, selon lui, serait de 25 p. c. inférieur à celui qu’ont établi nos voisins. Et cependant le même honorable membre vient de vous dire qu’en élevant le tarif primitivement proposé par la section centrale, ce n’est adopter en réalité qu’un droit de 7 p. c.

Ainsi, selon l’opinion nouvelle de l’honorable orateur, le tarif français que l’on suit textuellement ne frappe les toiles à l’entrée que d’un droit de 7 p. c. Il se trouve, en affirmant ce fait, en opposition formelle avec ce qui a été dit sur le tarif français par les personnes qui connaissent le mieux les toiles et les lois sur cette branche d’industrie belge. L’honorable M. Rodenbach calculait, dans une séance précédente, que le tarif français frappait les toiles étrangères à l’entrée d’un droit de 25 à 30 p. c. ; il a dit ensuite que ce droit s’élevait de 20 à 30 p. c. selon les qualités. Les calculs de l’honorable membre dépassent donc de beaucoup le droit de 7 p. c. que l’on veut établir.

J’ai recouru au mémoire assez récent de la commission d’industrie, puisqu’il a été publié au mois de novembre dernier.

La commission d’industrie avance dans ce mémoire que le droit français est de 15 à 20 pour cent selon la qualité. Le rapporteur de la section centrale nous a fait connaître, lors de la discussion du premier projet, l’opinion d’un négociant des environs de Gand, qui importe beaucoup de toiles en France.

Ce négociant a déclaré que le droit français revenait de 15 à 16 pour cent. Que résulte-t-il de toutes ces différentes évaluations du droit français sur la valeur des toiles ? C’est que celui de tous les hommes spéciaux qui l’estime au taux le moins élevé, adopte cependant un chiffre plus que double de celui que l’on vous propose comme l’application du tarif français.

Dans cet état de choses, messieurs, il me paraît impossible que l’application du tarif français n’emporte qu’un droit de 7 p. c. J’ajouterai aux autorités que j’ai déjà citées, celle de la commission permanente d’industrie choisie dans le sein de cette chambre qui, dans un rapport daté du 27 mars 1832, déclare que les droits français sont exorbitants. Et cependant on nous dit que les établir, c’est établir un droit modéré. De toutes ces opinions il résulte qu’il y a doute sur le résultat de l’application du tarif français relativement au droit de 7 p. c. que la chambre a l’intention d’établir sur les toiles étrangères.

Je crois, messieurs, qu’il serait beaucoup plus sage d’en revenir au système de la proposition de l’honorable M. A. Rodenbach ; là au moins, en accordant un droit de 10 p. c. à l’entrée et à la valeur, nous savons que cela ne fait que 7 p. c., tandis que le système dans lequel nous sommes entrés ne produira probablement pas le même résultat ; et cette erreur peut tirer à conséquence.

On dit : Il faut protéger l’industrie linière, la fabrication des toiles. C’est aussi mon opinion ; mais on est d’accord que si l’on établit des droits trop élevés, on manquera le but, parce que les droits élevés sont un appât à la fraude. Nous n’avons pas un système de douane aussi fortement organisé que le système de nos voisins ; nos frontières sont trop étendues relativement au pays et si nous organisions comme en France une triple ligne de douane, tout le pays serait compris dans les lignes, et la dépense absorberait le revenu.

Nous ne pouvons pas établir les mêmes droits qu’en France, sûrs que nous sommes que si les droits sont exagérés, il y aura fraude, et importation des toiles étrangères.

Cependant il faut examiner quelle est la protection que réclame cette fabrication : pour cela voyons quelles sont nos exportations et quelles sont les importations que nous avons à redouter.

Il a été dit dans une séance précédente que la production des toiles s’élevait, avant 1814, au-delà de 60 millions ; que maintenant elle est restreinte à 40 millions : quelle est la cause de cette réduction de fabrication ?

Elle provient en partie de ce que depuis 1814 la consommation des toiles de coton s’est de beaucoup étendue au préjudice de la consommation des tissus de lin ; et je ne vois pas que nous puissions apporter de remède à cette première cause.

En second lieu, la diminution de fabrication provient de ce que nous n’avons plus les mêmes débouchés qu’autrefois. Mais ici il faut distinguer les débouches à l’intérieur et à l’extérieur. La proposition faite par la section centrale a pour but de nous assurer de tout le marché à l’intérieur, mais elle ne nous procurera aucun avantage sur les marchés extérieurs ; peut-être même nous portera-t-elle préjudice.

Selon des renseignements que j’ai puisés dans un journal, le montant total des importations de toiles et tissus de lin de toute espèce ne se serait élevé en 1833 qu’à 800,925 fr. Toute cette importation n’est pas composée des toiles d’Allemagne dont on nous fait si grand-peur, car il y a d’autres toiles importées en Belgique. Et quoiqu’on dise que la France ne nous fournit pas de toiles, je trouve qu’en 1832 il nous en est arrivé pour 217,344 fr. En 1832, la totalité des toiles importées a surpassé de 32,000 fr. l’importation pendant l’année 1833.

Il n’est donc pas exact de dire qu’en 1833 il a été introduit chez nous pour 100 mille francs de toiles d’Allemagne par mois, ou pour 1,200 mille francs par an, puisque la totalité de l’importation ne monte qu’à 800 mille francs ; en en déduisant 200 mille francs pour les toiles de France, il reste 600 mille francs pour les toiles d’Allemagne. Ainsi c’est pour ces 600 mille francs qu’on propose un tarif français. Quand on vous aura accordé ce que vous demandez, qu’aurez-vous fait pour ranimer, pour secourir l’industrie linière, ainsi que vous la nommez ? Vous n’aurez fait que lui procurer une consommation à l’intérieur de 600 mille francs de plus ; vous n’aurez donc rien fait ou très peu de chose.

Comparez ce chiffre de 600 mille francs avec le chiffre des exportations, et vous verrez combien peu il est important.

D’après des tableaux officiels il a été, en 1832, exporté de Belgique en France des toiles unies, écrues ou sans apprêt, pour 10 millions 295 mille 907 francs ;

Des toiles blanches ou demi-blanches, pour 3 millions 165 mille 867 francs ;

Des toiles teintes ou cirées, pour 499 mille 457 francs ;

Des toiles croisées et linge de table, pour 363 mille 546 francs.

Total, 14 millions 324 mille 78 francs.

Je demande, messieurs, ce qu’une industrie qui produit pour 40 millions, qui exporte dans un seul pays pour 15 millions, a à craindre d’une importation de 600 mille francs ? Je demande où est l’importance du projet que l’on vous présente ?

A moins que l’on ne veuille, en fermant la porte aux toiles d’Allemagne, et en évitant toute concurrence, amener le renchérissement des toiles à l’intérieur, je ne comprends pas le but de la loi. Je conviens que le renchérissement des toiles produirait un bénéfice plus grand que 600 mille francs ; mais alors la loi établit un impôt sur le consommateur. Ce ne sont plus les toiles d’Allemagne que l’on a pour but d’exclure, c’est une taxe que l’on veut imposer aux consommateurs au profit des fabricants de toile, taxe qui monterait bien au-delà de 600 mille francs. Toutefois quel serait le résultat de ce renchérissement ? C’est principalement que les toiles belges s’exporteraient moins ; l’augmentation du prix à l’intérieur amènerait une diminution proportionnelle sur l’exportation, de sorte que la mesure que l’on propose est essentiellement fausse.

Ce n’est point en augmentant le prix sur la consommation intérieure que l’on portera remède au mal ; c’est en augmentant les débouchés à l’extérieur.

Pourquoi avons-nous perdu une partie de nos débouchés à l’extérieur ? L’examen de cette question est important.

Messieurs, si je disais de moi-même quelle en est la raison, on m’objecterait sans doute que je ne connais pas cette matière ; que des hommes de loi ne doivent pas se mêler des questions de douanes : mais je me borne à tirer les conséquences de faits puisés dans de bonnes sources.

Nous avons, entre les mains, deux rapports l’un de la commission nommée pendant la session de 1832 ; ce rapport est du 27 mars 1832 et a été présenté par M. Serruys qui, à coup sûr, connaissait l’industrie relative à la fabrication des toiles.

L’autre rapport est celui de la commission supérieure de l’industrie et du commerce, et est daté du 30 novembre 1833. Eh bien ! ces deux rapports sont parfaitement en harmonie pour signaler une des causes principales de la diminution de nos exportations : c’est que notre industrie demeure stationnaire ; c’est qu’elle ne veut pas se plier aux circonstances ; c’est qu’elle ne veut pas sortir de sa routine ; c’est qu’elle ne veut pas fabriquer des toiles légères ; et qu’il en résulte que ce sont les Français, ou les habitants de la Bretagne, les Allemands, les Irlandais qui envoient à l’étranger des toiles à notre préjudice. Voilà ce que je lis dans ces deux rapports émanés d’hommes spéciaux.

Autrefois nous ne fournissions pas seulement des toiles à la France ; nous en fournissions encore à l’Italie, à l’Espagne, aux colonies espagnoles.

Nous devrions conserver nos débouchés en Espagne, en Italie et dans l’Amérique du Sud ; nous avons perdu ces débouchés ; ce sont des toiles légères que l’on demande dans ces états, et c’est la Bretagne et l’Allemagne qui les fournissent ; nous n’en fournissons plus, ou du moins presque plus.

La commission permanente d’industrie et la commission d’agriculture recommandent aux fabricants belges de se plier aux circonstances et de fabriquer des toiles légères. J’appellerai votre attention à cet égard, parce que l’on a dit que c’était perdre l’industrie linière, comme si c’était perdre cette industrie que de s’assurer un débouché pour plusieurs millions ; cette assertion est aussi vraie que celle par laquelle on veut prouver que l’on sauvera cette industrie en lui assurant une consommation intérieure pour 600,000 fr. de plus.

Voici ce que je lis dans le rapport de M. Serruys :

« Messieurs, j’ai encore une observation à vous soumettre : nous exportions autrefois une très grande quantité de toiles en Espagne, tant pour la consommation des habitants de ce royaume, que pour les besoins de ses nombreuses colonies de l’Amérique du Sud ; mais la mère-patrie s’était réservé alors le droit exclusif d’approvisionner ses colonies, de sorte que les toiles ayant la destination de l’Amérique devaient être expédiées sur Cadix, d’où on les transportait par navire espagnol aux colonies.

« Maintenant que toutes les colonies espagnoles de l’Amérique du Sud ont secoué le joug de l’Espagne, la navigation et le commerce direct avec ces populeuses possessions est ouvert à toutes les nations ; la réputation de supériorité des toiles de Flandre y était toute faite comme en Espagne même, et je regrette bien sincèrement de devoir vous faire remarquer que nos tisserands et fabricants ne se sont pas mis en mesure pour jouir de tous les avantages de cette supériorité.

« Vous savez, messieurs, que les modes et les goûts sont variables.

« Il se fait en Bretagne différentes espèces de toiles légères connues sous des dénominations différentes. Telles que Bretagnes créas à la Morlaix, estopilles, platilles, etc. Elles sont très recherchées dans l’Amérique du Sud à cause de leur qualité légère et de leur apprêt, et il s’en fait conséquemment une grande consommation dans ledit pays.

« Les fabricants allemands et ceux de l’Irlande sont parvenus à les imiter parfaitement, et ils les expédient maintenant au Pérou, au Chili, etc., concurremment avec les Français, et nos industriels en sont restés spectateurs.

« Toutefois, les belles et fines toiles des Flandres pour chemises, supérieures à celles de tout autre pays, continuent à jouir dans ces pays lointains de la préférence qu’elles méritent, et nous aimons à croire que nos ingénieux tisserands ne négligeront plus la confection des toiles légères dont je viens de parler, et pour lesquelles l’Amérique du Sud paraît offrir un débouché très avantageux. »

Vous voyez, messieurs, que l’opinion que je viens de rapporter est bien loin de celle qui a été émise dans la section centrale et de celle qui a été émise ici dans une de vos dernières discussions sur le projet de loi dont il s’agit.

On vous présentait la fabrication de toiles légères comme une sorte de corruption de l’industrie ; il semblait que si on fabriquait des toiles légères, on ne ferait plus de bonnes toiles. Messieurs, il faut faire des étoffes selon le goût des consommateurs. Si en Belgique on préfère les toiles solides, vous en fabriquerez pour les Belges ; si en Espagne, en Italie et dans l’Amérique du Sud, on préfère les toiles légères, fabriquez des toiles légères pour ces contrées.

Si vous vous obstinez à ne faire que des tissus serrés et des toiles pesantes, vous n’obligerez pas les habitants de l’Amérique du Sud à s’en vêtir ; s’ils préfèrent les toiles légères, ils les feront venir de l’Allemagne et de la Bretagne. Le résultat de cet état de choses est clair, c’est que vous perdrez définitivement un débouché considérable.

J’ai dit que la commission permanente d’industrie partageait mon opinion dans le rapport du 31 novembre 1833 ; voici en effet, ce que portent quelques passages de ce rapport :

« L’Espagne et l’Italie étaient, après la France, nos principaux débouchés pour les toiles ; mais depuis longtemps elles y ont rencontré la concurrence des toiles de la Grande-Bretagne, de la Suisse et d’Allemagne qui étaient moins solides, sans contredit, mais apparentes et à meilleur marché. Il a fallu que la différence de prix fût grande pour compenser la supériorité réelle de nos tissus et pour vaincre l’antique prédilection dont ils jouissent dans ces contrées.

« Une grande partie des expéditions que nous faisions anciennement en Espagne étaient adressées à Cadix, d’où elles passaient dans les possessions espagnoles en Amérique.

« Cadix n’offre plus les mêmes ressources, puisque le commerce du Nouveau-Monde a pris d’autres directions en Europe et qu’il se fait directement avec les pays producteurs des marchandises qui s’importent au Mexique, en Colombie, au Pérou, au Paraguay, etc., etc.

« Mais, si nos tisserands avaient approprié la façon de leurs toiles aux nouveaux goûts de ces peuples, et aux convenances des négociants intermédiaires entre le vendeur et le consommateur, ces débouchés nous seraient restés, au moins en partie. Au lieu de les approvisionner par Cadix, nous l’aurions fait directement ou par du commerce étranger. La ténacité de nos habitudes et l’esprit de routine s’y sont opposés.

« Les fabricants de la Silésie, du Hanovre, de l’Angleterre, d’Irlande et de la Bretagne française ont senti que le premier intérêt du producteur était de confectionner la marchandise telle que les acheteurs la demandent, dût-elle même être moins bonne ; c’est à elle qu’ils se sont attachés. Ils ont donné à leurs toiles la forme, la dimension et la préparation qu’on leur prescrivait : la façon varié suivant la destination des produits. La qualité était inférieure à celle des Flandres, mais les fabricants pouvaient établir des prix plus bas et ils ont obtenu la préférence.

« Dernièrement on a effectué pour compte américain des achats considérables en Allemagne qui ont fait hausser les prix des toiles de 40 p. c. ; il est probable que les acheteurs auraient trouvé en Flandre de meilleurs tissus pour les mêmes prix ou des prix plus bas ; mais telle est la force de l’habitude dans les consommations qui ne sont pas soumises à la versatilité de la mode, que le commerce ne se détourne pas facilement d’une voie dans laquelle il s’est engagé. Et puis, il fallait des toiles avec tel apprêt, tel chef, pliées de certaine manière : car ainsi le veulent ceux pour qui elles sont destinées.

« Nous sentons que, sur le pied que la fabrication est établie en Flandre, il est plus difficile de modifier les qualités suivant les besoins variables du commerce, que si elle se faisait dans des grands ateliers. Mais elle est organisée de la même manière en Silésie et en Hanovre, et il semblerait que l’on devrait pouvoir atteindre le même résultat en donnant des commissions sur des modèles distribués aux tisserands. »

Ainsi, messieurs, vous voyez que pour faire quelque chose d’utile en faveur de l’industrie de la fabrication des toiles, ce sont les débouchés extérieurs qu’il faut lui procurer, ou plutôt lui restituer. Pour arriver à ce but il faut fabriquer cette espèce de toile tant méprisée, il faut que nos fabricants fassent les toiles que fabriquent la Bretagne et l’Allemagne, à l’effet de les fournir aux pays que j’ai cités. Nous ne devons pas oublier que ce sont les consommateurs qui doivent faire la loi aux fabricants.

Je pense, messieurs, avoir établi que le système dont on vous propose l’adoption est faux sous un double rapport, et que loin de favoriser l’industrie linière, il tend au contraire à lui porter dommage.

Il me semble que c’est au système proposé par M. Rodenbach qu’il faut en revenir, quant au droit protecteur de notre industrie linière. Ce droit protecteur c’est un droit à la valeur qui, porté à 10 p. c., reviendrait dans la perception à 7 p.c. Sous ce rapport le droit ne serait pas trop élevé, il permettrait de fabriquer également toute espèce de toiles, tandis que le droit à la loupe tant vanté est injuste dans son application.

En effet, si j’en crois ce qui a été dit, le droit à la loupe s’élèverait sur certaines toiles au double du taux auquel il s’élèverait sur d’autres toiles ; il serait de 100 francs sur les toiles d’Allemagne, et il reviendrait à une valeur de 200 francs sur nos toiles. Ainsi, d’après le droit à la loupe et au poids, vous frapperez les toiles d’une manière inégale, et, vous frapperez précisément davantage les tissus dont vous avez le moins à craindre, ce qui est une inconséquence.

D’autre part, il faudrait par des renseignements, par des instructions, déterminer nos fabricants à confectionner cette espèce de toile qui se place avec tant d’avantage à l’extérieur, et que nos provinces peuvent fabriquer à meilleur marché que la Bretagne et l’Allemagne ; de cette manière, nous ferions pour l’industrie linière tout ce que nous devons faire.

Il y a d’autres perfectionnements que l’on pourrait apporter à la fabrication de nos toiles ; je ne parlerai pas de la fabrication au moyen d’un moteur employé pour confectionner le tissu de coton de la fabrication par la vapeur ; je parlerai d’un perfectionnement qui me semble devoir être introduit dans la confection des toiles par métier à bras, et qui, si mes renseignements sont exacts, n’est pas encore adopté par nos fabricants. Ce procédé est celui de la navette volante, au moyen de laquelle on fabrique plus vite et par conséquent à meilleur marché.

Il faudrait prendre des mesures pour introduire ce procédé, et d’autres perfectionnements, afin que nos fabricants arrivent à ce but de fabriquer plus vite et à meilleur marché. Nous arriverions ainsi à lutter avec avantage avec nos rivaux, quant aux marchés extérieurs. Pour nos marchés intérieurs, il me paraît que nous possédons cet avantage, et que nous ne le perdrons point de si tôt.

M. le président. - La parole est à M. le ministre des finances.

M. de Robaulx. - Je demanderai quelques explications à M. le ministre des finances, qui pourrait me les donner en répondant au préopinant. (Parlez ! parlez !)

Je n’ai pas l’intention, messieurs, de revenir sur les calculs présentés par l’honorable M. Dubus ; les honorables députés des Flandres doivent être plus à même que moi de lui répondre.

Quoique auteur de la proposition, je n’ai cessé de vous déclarer, lorsque je vous ai demandé l’application du tarif français, que c’était la conséquence du vote même de la chambre, vote d’après lequel on a décidé qu’on augmenterait les droits sur l’importation des toiles. Cette décision prise, j’ai demandé quel mode on suivrait relativement à l’augmentation dont le principe était admis.

Vous avez entendu faire l’apologie des deux systèmes de perception, de la perception à la loupe ou compte-fils et de la perception à la valeur avec la préemption. Plusieurs orateurs ont longuement exposé les avantages et les désavantages de ces deux systèmes, et la chambre, par une résolution formelle, s’est prononcée pour le système à la loupe ou compte-fils.

Je rappelle cette décision, parce que je vois toujours remettre en question ce qui a été décidé. On ne peut pas contester, je pense, que la chambre a décidé que le droit sur les toiles serait augmenté et que l’augmentation serait perçue à la loupe ou compte-fils et au poids. Si nous voulons sortir des difficultés que ce projet présente, il ne faut pas constamment revenir sur des résolutions prises.

Messieurs, ainsi que je l’ai assez longtemps expliqué dans de précédentes séances, lorsque j’ai demandé l’application du tarif français, j’ai été dirige par un motif politique. A mes yeux la Belgique est à la France, comme la lune est à la terre, un simple satellite. J’ai toujours pensé qu’il était d’un bon système de politique financière que les petits Etats se réunissent aux grandes puissances dont elles se rapprochent le plus par les mœurs, les intérêts, le langage. Sous tous ces rapports nous nous rapprochons de la France.

Ce n’est donc pas par des motifs tirés de la loupe ou compte-fils, que M. Rodenbach combat fortement, je ne sais trop pourquoi, que j’ai fait ma proposition. Je ne me suis occupé que de la question politique. J’ai propose d’adopter le tarif français, dans le but de nous rapprocher du système de douane de ce pays, afin que de son côte, après que nous lui aurons fait cette concession qui tend à établir une unité de douane semblable à celle formée par l’adhésion des petits Etats de l’Allemagne au système de la Prusse, la France nous fît de meilleures conditions. J’ai voulu enfin autant que possible répondre à la coalition allemande, par une coalition franco-belge à laquelle nous inviterions d’autres puissances à adhérer.

Je n’ai pas vu jusqu’ici qu’on ait combattu ces considérations.

A la lecture rapide du rapport de la section centrale, j’ai été étonné de voir qu’elle avait adressé au ministre de l’intérieur une question à laquelle il n’a répondu que d’une manière évasive.

Voici ce que dit le rapport de la section centrale :

« Nous avons remis à M. le ministre de l’intérieur, dès le samedi 21 de ce mois, la question suivante :

« Quelle est votre opinion sur la proposition de M. de Robaulx qui tend à adopter, par mesure politique, le tarif français à l’égard de l’entrée des toiles étrangères »

« Voici la réponse qu’au bout de plusieurs jours d’attente nous avons reçue de la part du ministre :

« Le gouvernement a reconnu que la fabrication des tulles indigènes méritait une protection plus grande que celle que leur donne le tarif actuel. Tout le monde est d’accord que cette protection doit aller à 7 p. c. par forme de droit d’entrée sur les toiles étrangères. Or, comme il paraît que le tarif français frappe les tissus étrangers de cette espèce d’un droit beaucoup plus élevé que celui de 7 p. c., il y a lieu de penser que son adoption irait au-delà du but qu’on s’est proposé. »

Il est évident que le ministre n’a pas répondu à la question. La question était de savoir s’il croyait devoir adopter le système français comme mesure politique, dans le but de nous rapprocher de la France, afin d’en obtenir les concessions que nous réclamons vainement et que nous réclamerons encore longtemps, si nous voulons faire les indépendants, si nous avons la prétention de donner l’impulsion à une nation de qui nous devons la recevoir.

J’espère que M. le ministre sera plus explicite. (M. le ministre de l’intérieur fait un signe négatif.)

Je vois que M. le ministre n’a pas l’intention de s’expliquer davantage, et je suis étonné qu’il traite avec si peu d’égards les intentions de la chambre.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - Vous n’êtes pas la chambre.

M. de Robaulx. - Je ne suis pas la chambre, mais comme membre, j’ai le droit d’interpeller le ministre. Si ce n’est pas la chambre, c’est la section centrale qui lui a posé les questions auxquelles je lui demande de répondre. Le ministère entier avait pris devant la chambre l’engagement de donner des explications sur tous les points sur lesquels la section centrale lui en demanderait. Ainsi, c’est au nom de la chambre que la section centrale a adressé des interpellations au ministre. J’ai donc eu raison de dire que vous n’aviez pas eu égards aux interpellations de la chambre.

Je répéterai ma question Je demanderai si le gouvernement est disposé à se rapprocher du système français ou s’il veut adopter un autre système ; car, après tout, il en faut un.

Il est vraiment étonnant que sur des matières aussi délicates, aussi difficiles à traiter que celle qui nous occupe, les documents ne viennent pas du ministère, mais de quelques honorables membres qui les ont fournis à la chambre.

Il est une autre question que j’ai adressée au ministère, lorsque j’ai demandé l’application du tarif français et à laquelle il n’a pas répondu, quoiqu’elle soit de nature à l’intéresser. J’ai dit : Si vous voulez adopter le tarif français qui élève le droit sur les toiles, il faut que vous ayez des moyens de réprimer la fraude. S’il est vrai que la garantie qu’on paie aux fraudeurs soit de 5 à 6 p. c., c’est-à-dire que moyennant cette prime les fraudeurs se chargent d’introduire les toiles étrangères, c’est en vain que vous mettez sur ces toiles un droit de 7 ou 15 p. c. ; on ne vous le paiera pas, puisque les fraudeurs se chargeront de l’introduction pour cinq. J’ai demandé si le gouvernement avait les moyens de réprimer cette fraude à la frontière, ou s’il se proposait de nous en demander. Je crois qu’en restreignant les deux rayons de douane à un seul, on a désarmé la frontière. Je prie M. le ministre de nous donner des explications sur point. Il serait ridicule de voter une loi qui resterait sans sanction.

J’adresserai une dernière question. Je demanderai si le tarif français frappe de 12 à 15 p. c. les toiles allemandes. Je m’inquiète peu si c’est à ce taux que s’élève le droit sur les toiles belges. Ce ne sont pas les toiles belges que nous voulons imposer, puisque nous les fabriquons. Vous voulez protéger vos toiles indigènes, en frappant d’un droit à l’entrée les toiles étrangères qui peuvent soutenir avec avantage la concurrence avec les vôtres. Personne n’a contesté que les toiles d’Allemagne et de Silésie sont plus légères que les nôtres, qu’elles contiennent peu de fils à la chaîne, et qu’elles ont par ce moyen un avantage que les uns ont évalué à 50 p.c. et les autres à 33 p. c.

Mais qu’avons-nous en vue en augmentant le droit sur les toiles ? Evidemment ce n’est pas de frapper les toiles de la France qui ne peuvent pas soutenir la concurrence avec les nôtres, puisque nous en introduisons chez elle ; c’est l’importation des toiles allemandes que nous voulons empêcher. Dès lors, si nous voulons adopter le tarif français, nous ne devons pas considérer si ce tarif frappe les toiles belges de 15 p. c., mais de quel taux il impose les toiles allemandes.

Eh bien, d’après la vérifications faites au ministère, il a été reconnu que les calculs de la section centrale étaient justes, et d’après ces calculs, le tarif français appliqué aux toiles allemandes, porte le droit sur ces toiles à 7 p. c. de la valeur.

Si ce n’est pas contre les toiles allemandes que votre loi est dirigée, il est inutile de la voter, car ce sont les seules toiles qu’on importe chez nous. Si au contraire, comme je le pense, ce sont ces toiles que vous avez voulu atteindre, en admettant le tarif français, la seule question à examiner est celle de savoir si ce tarif frappe les toiles d’Allemagne de plus ou de moins de 7 p. c. ; nous n’avons nullement à nous occuper de l’application du tarif à nos toiles.

Je crois que le ministre des finances viendra appuyer ces observations.

Je ne répondrai pas aux observations faites par le préopinant, tendantes à faire revenir la chambre sur des résolutions prises. Vous avez admis un système, il faut vous y conformer. D’ailleurs les vérifications faites ont été trouvées exactes, et si la section centrale s’est trompée, elle s’est trompée avec le ministère. Je prierai les honorables membres qui le prétendent de nous dire comment la section centrale s’est trompée.

M. le ministre des finances (M. Duvivier) - Messieurs, je partage entièrement l’opinion de l’honorable préopinant en ce qui regarde la réfutation des observations présentées par l’honorable député de Tournay. Ces observations tendraient à replacer la discussion sur un terrain qui a été abandonné et à revenir sur une décision prise en quelque sorte unanimement par la chambre, décision opposée à l’opinion que je soutenais alors qu’il fallait imposer à l’entrée des toiles un droit sur la valeur et se borner simplement à modifier le tarif.

Cette proposition que je défendais était celle de l’honorable M. Rodenbach, et je ne l’ai abandonnée que lorsqu’elle eut échoué devant la chambre. Vous avez décidé, messieurs, qu’il y avait lieu d’adopter ce qui se pratique en France, c’est-à-dire l’application d’un nouvel instrument appelé compte-fils ou loupe, destiné à mesurer le nombre de fils renfermé dans un carré donné du tissu présenté à l’importation,

Cette résolution a été prise par la chambre à une très grande majorité. Reste à savoir si l’assemblée a l’intention de revenir de son premier vote. Cela me serait indifférent, puisqu’elle ne pourrait que consacrer un système que j’ai déjà défendu comme étant le plus simple et celui actuellement en vigueur.

L’honorable M. Dubus a dit que les expériences faites sur le taux établi par le tarif français laissent des doutes et des inquiétudes au sujet de l’élévation sur la valeur. Il est à regretter qu’un esprit aussi sain et aussi éclairé que le sien, qu’un député aussi disposé qu’il l’est toujours à adopter une opinion lorsque la justice lui en est démontrée, ne se soit pas livré lui-même à une opération aussi simple, aussi matérielle, que celle qui a été faite au département des finances. Il serait demeuré convaincu comme je le suis que ces expériences faites sur les toiles d’Allemagne ont eu réellement pour résultat un simple droit de 7 p. c.

Des coupons de toiles de ce pays de diverses qualités ont été achetés, et j’ai pu m’assurer par moi-même que les opérations faites d’après les bases de la section centrale ont amené ce résultat. Les factures des négociants qui ont fourni les toiles existent. Il y a au ministère des finances les balances et les poids les plus exacts qui soient en Belgique, puisque ce sont les étalons de la vérification des poids et mesures. Nous avons donc pu combiner rigoureusement les droits frappés au moyen du système français avec celui qui est actuellement suivi d’après la valeur connue de la marchandise dont nous avions les factures.

Comme l’opération a été faite sous mes yeux, j’ai acquis la conviction matérielle de son exactitude : et pour faire partager aux membres de cette chambre ma persuasion, je les invite individuellement à se rendre à mon département, où au moyen des mêmes instruments on pourra réitérer l’expérience en leur présence. Les factures des objets achetés leur seront soumises et la vérification des calculs donnera, pour les toiles d’Allemagne, un droit de 7 p. c. sur la valeur.

Ainsi j’abandonne à l’appréciation de la chambre l’idée que l’on vient d’émettre et qui tendrait à la faire revenir de sa première décision et je persiste à maintenir que les opérations faites sur les toiles d’Allemagne au moyen du compte-fils sont de la dernière exactitude.

Pour répondre à l’interpellation de l’honorable M. de Robaulx, je lui dirai que l’opération qui a donné naissance au tarif nouveau présenté par la section centrale sur les toiles écrues d’Allemagne, se trouve être l’application littérale du tarif français.

L’honorable préopinant a parlé de la faiblesse de l’assurance de la fraude comparativement à l’élévation du droit d’importation, et a demandé quel serait le moyen de réprimer cette fraude et d’anéantir totalement ces assurances. Je lui répondrai que les mêmes moyens de douane existent pour toutes les marchandises sur lesquelles est impose un droit supérieur ou inférieur à 7 p. c de la valeur et que cependant il est impossible d’empêcher la fraude d’importer les marchandises dans les pays en prélevant un droit d’assurance. Je suis d’autant moins éloigné de partager cette idée que j’ai la conviction qu’une ligne triple de douane n’est pas même une barrière suffisante pour empêcher la fraude.

Si nous étions en petit comité, je pourrais vous faire des révélations curieuses et vous prouver que ce même pays, auquel on fait si souvent allusion, malgré la forte organisation de ses douanes, est loin de pouvoir l’anéantir complètement. Je pourrais appeler à l’appui de mon assertion le témoignage des membres de cette chambre et des sénateurs auxquels j’ai communiqué un état statistique qui constate l’immense importation frauduleuse qui se fait dans un pays voisin.

M. Lardinois. - Il est impolitique de faire ces révélations.

M. le ministre des finances (M. Duvivier) - Sans doute ; mais comment voulez-vous que se défende un ministre ? Vous le poussez dans ses derniers retranchements, vous le blâmez s’il ne répond pas, et cependant toute vérité n’est pas bonne à dire. C’est une situation très pénible et pour user d’une entière franchise, il vaudrait autant placarder à la frontière : Ici l’on fraude ; Français, prenez garde à vous ! (Hilarité.)

Nos moyens de répression sont pour le moins aussi efficaces que ceux d’un pays voisin. La douane belge fait son devoir. Je n’ai pas à l’accuser de paressé, ou d’être trop portée à chercher la commodité. Le taux toujours s’élevant des assurances m’en donne la certitude. L’extension du rayon actuel présente une grave question. S’il était possible de croire que le moins de profondeur du rayon actuel a une influence fatale sur la fraude, l’ancien rayon existe toujours.

Il reste tel qu’il a été tracé sous le gouvernement précédent. Rien ne serait plus facile que de rétablir les précédentes démarcations. Un simple article dans le budget des voies et moyens rétablirait les douanes sur l’ancien pied. Il suffirait de dire que tel arrêté qui a été révoqué sera de nouveau mis en vigueur. Je puis faire de cette question l’objet d’un examen dans le conseil et donner ensuite à la chambre tous les renseignements que j’aurai recueillis à cet égard.

Je dirai également comme l’honorable M. de Robaulx, qu’il appartient beaucoup plus au rapporteur de la section centrale, aux hommes spéciaux qui ont approfondi l’objet en discussion, de répondre aux lumineuses observations de M. Dubus. Je crois qu’elles ont été suivies avec soin. Les honorables membres auxquels je fais allusion seront en mesure d’y répondre victorieusement.

Pour ma part, je le répète, le tarif français, adopté par la section centrale à l’exception d’un échelon de plus pour les qualités inférieures, donnera sur les toiles d’Allemagne un droit de 7 p. c. sur leur valeur.

M. Desmaisières, rapporteur. - Je me propose de répondre aux objections de l’honorable M. Dubus. Cet honorable membre a dit qu’il était surpris de voir que nous avions fait un changement à l’article 10. Je lui répondrai que cet article était nécessaire alors qu’il s’agissait de ne faire qu’une loi temporaire, de décider par l’expérience d’une année sur une question extrêmement controversée, je veux dire la question des lins. Mais aujourd’hui que le projet de loi ne porte plus que sur les toiles, qu’ainsi les deux intérêts de l’exportation de la matière première et de la fabrication des tissus ne sont plus en présence, la loi actuelle n’a plus besoin d’être temporaire.

Je ne répondrai pas à tous les calculs relatifs aux droits de 7, 10 et 15 p. c. Il me paraît que la déclaration franche et loyale de M. le ministre des finances a réfuté victorieusement ces calculs. M. Dubus a présenté à la chambre un état des importations de la fraude dans notre pays. Il a dit que l’on conteste l’assertion émise par d’honorables orateurs, que la France n’importe pas de toiles en Belgique. Je vois par cet état que la France entre pour le quart dans la quantité de toiles étrangères qui sont versées dans le commerce belge.

Mais qui pourrait dire que ces toiles sont réellement fabriquées en France ? Ne pourrait-il pas se faire que les toiles fussent des toiles allemandes, qui répudiées par le goût plus éclairé des consommateurs français, auraient cherché en Belgique une circulation que nos toiles les empêchent d’avoir en France.

L’honorable M. Dubus a dit que notre industrie n’était pas en progrès ; je ne sais pas si c’est un progrès que de faire de mauvaise toile. Je reconnais que nos fabricants doivent faire des toiles légères ; mais il ne faut pas pour cela abandonner la fabrication de bonne toile ; quand les consommateurs seront détrompés, nos toiles auront la préférence sur toutes les autres.

Est-ce en laissant entrer les toiles d’Allemagne que nous pouvons fabriquer des toiles légères ? Non, pour changer un mode de fabrication il faut faire des essais, les expériences sont coûteuses, il faut donc protéger ceux qui tentent de nouvelles entreprises.

L’honorable M. A. Rodenbach a paru étonné de l’espèce de persistance que notre honorable contradicteur mettait à nous combattre, persistance qui est allée jusqu’à proposer de revenir sur des points déjà décidés par la chambre ; eh bien, voulez-vous connaître le motif de cette persistance ! Pour vous le faire connaître, je n’ai qu’à lire un alinéa du numéro du Moniteur du 27 mars de cette année.

Dans la séance du 26 mars l’honorable ami de M. Dubus a dit : « N’avez-vous pas, députés des Flandres, déposé une proposition sur les toiles ? Eh bien, si vous persistiez à vous entendre avec les députés d’Anvers, de notre côté nous voterions contre vous ; nous dirions que, dans l’intérêt des consommateurs, nous voulons la libre entrée des toiles. Voilà comme nous nous conduirions. »

M. A. Rodenbach. - Je recueille l’aveu que vient de faire M. le ministre des finances, il croit, ainsi que je l’avais dit il y a deux ans, que la seconde ligne de douane que l’on a inconsidérément supprimée, devra être rétablie. (Bruit.) Je suis le premier à convenir que les employés de la douane remplissent maintenant assez bien leur devoir mais si leur service est mieux fait, c’est parce que dans cette enceinte nous avons crié contre la fraude. Il s’en fait encore sur certains points, et nous pourrions signaler tel endroit où il s’en exécute peut-être pour un demi-million par mois : nous pourrions en fournir les preuves.

Il y a deux ou trois ans la douane n’opérait aucune arrestation, les douaniers préféraient saisir simplement les marchandises ; nous avons réclamé l’exécution des lois ; on a fait quelques arrestations de fraudeurs, et la fraude a diminué.

Le tarif pour l’introduction en fraude de marchandises étrangères est augmenté, preuve de la difficulté de frauder sur certains points.

Quand on se borne à saisir la marchandise, le fraudeur revient le lendemain ; c’est, il est vrai, dans l’intérêt du douanier qui, en faisant une nouvelle saisie, augmente son profit ; mais ce n’est pas dans l’intérêt du pays.

Je ne parlerai plus de ma proposition ou du droit de 7 p. c. à établir sur la valeur ; je ne parlerai pas non plus de la loupe, car on disait que ce n’est pas de ma compétence quoique dans ce cas je ferai comme bien d’autres qui ne voient que par les yeux d’autrui : je veux ne faire de la question qu’une question commerciale, qu’une question purement d’utilité pour mon pays, et j’écarterai aussi toutes les considérations politiques.

L’honorable M. Dubus a présenté de mauvais calculs ; je tâcherai de le suivre autant que ma mémoire me le permettra.

Il a d’abord soutenu qu’un pays, avant tout, devait protéger son commerce extérieur : cependant nous voyons les Anglais ne pas négliger le commerce intérieur. L’Angleterre impose les toiles étrangères de 30 p. c. à l’entrée, quoiqu’elle en fabrique pour 100 millions par année, et qu’elle en exporte pour 55 millions. Elle n’en laisse entrer que pour un million et demi environ.

C’est moi qui ai dit qu’en 1814 la fabrication des toiles s’élevait en Belgique 60 ou 70 millions et qu’elle ne s’élève qu’à 40 millions environ actuellement ; c’est encore moi qui ai dit que les exportations s’élevaient à 15 millions.

L’honorable adversaire auquel je réponds ne parle que de 800 mille francs pour l’entrée des toiles d’Allemagne ; je crois qu’il est dans l’erreur ; si j’ai bien lu, il est entré pour un million et demi de toiles étrangères en Belgique ; le ministre des finances est là pour vous donner des détails sur cet objet.

Il y a plus : on a remarqué que, dans le premier semestre de 1833, il est entré autant de toiles d’Allemagne que dans tout le courant de l’année 1832 ; ainsi, l’introduction des toiles étrangères augmente d’année en année, et il est important de remédier à ce mal. Il entre environ un dixième de toiles étrangères en Belgique et surtout de toiles d’Allemagne, à cause du bon marché auquel on les livre.

En Allemagne l’impôt foncier est moins considérable qu’en Belgique, et surtout qu’en Flandre où il est exagéré ; ainsi, ce n’est pas trop favoriser cette contrée que de demander pour son industrie une protection de 7 p. c.

On a cité le rapport de M. Serruys. Cet honorable rapporteur a bien recommandé la fabrication des toiles légères ; toutefois il a demandé une protection de 6 p. c. Sous le gouvernement hollandais on demandait une protection de 10 p. c. Nous ne demandons rien d’exorbitant en réclamant 7 p. c. ; nous avons l’impôt foncier à payer ; nous devons de plus considérer que notre matière première sort sans presque payer de droit, et qu’elle est employée dans des pays où l’on fabrique des marchandises à bas prix.

On me dira : Mais l’Angleterre, qui autrefois ne permettait pas l’exportation de ses laines, permet bien actuellement la sortie de cette matière première ; pourquoi ne ferions-nous pas comme elle ?

Notre situation est bien différente : l’Angleterre ne possède pas les plus belles qualités de laine, comme nous possédons les plus belles qualités de lin ; elle ne peut fabriquer que des draps médiocres ; elle a besoin des laines espagnoles pour faire de beaux draps ; elle peut donc sans inconvénients pour ses fabriques de laine permettre l’exportation de cette matière première ; nous ne pouvons pas en faire autant relativement aux lins sans porter préjudice à nos fabriques de toiles.

L’honorable M. Dubus a parlé du tarif français. Il a rappelé ce que le ministre avait dit sur l’application de ce tarif dont l’uniformité produisait une véritable inégalité ; car, quand il frappe nos toiles belges de 15 p. c. il ne frappe réellement les toiles allemandes que de 7 p. c., parce que les toiles allemandes sont moins serrées et contiennent moins de fils que les toiles belges.

On doit savoir que lorsque j’ai parlé d’un droit de 20 à 25 p. c., j’ai parlé des toiles en général. Les toiles blanches paient le droit de 25 p. c., tandis que d’autres toiles ne paient que 20. Ainsi tous les chiffres que j’ai cités sont de la plus grande exactitude.

Puisque nous exportons pour 15 millions de toiles, et que nous en fabriquons pour 40 millions, il faut surtout assurer la consommation intérieure. Il faut agir comme en Angleterre, où il n’est entré qu’un million de toiles étrangères, tandis que cette puissance a cent millions de production de toile.

M. Bekaert. - Messieurs, vous avez entendu de la bouche de M. le ministre des finances que la vérification a été faite sous ses yeux sur les toiles d’Allemagne, et que le calcul de la section centrale, pour donner une protection de 7 p. c. que l’on veut accorder à l’industrie linière a été trouve exact. Regardant donc cette question comme suffisamment éclairée je ne répéterai point ce que j’ai déjà eu l’honneur de vous dire à cet égard.

Je me bornerai à rencontrer quelques arguments de M. Dubus sur lesquels MM. Desmaisières et Rodenbach ne se sont point arrêtés.

M. Dubus dans son discours a constamment confondu deux objets distincts : j’entends la qualité de nos toiles et celle des toiles étrangères. Ces toiles étant beaucoup plus légères que les nôtres, il s’ensuit évidemment qu’un tarif de la même hauteur ne nous donne point le même degré de protection. De là vient que pour établir la protection consentie, la section centrale a été obligée de se rapprocher du tarif français.

L’honorable membre croit qu’une introduction de 1,200,000 fr. de toiles étrangères par an n’est point considérable pour l’industrie linière ; mais j’observerai que des statistiques auxquelles on peut ajouter foi, portent (erratum au Moniteur belge n°185, du 4 juillet 1834) cette introduction à une somme beaucoup plus élevée ; mais ne fût-elle que 1,200,000 cette augmentation dans la consommation des produits étrangers est très notable pour une souffrante industrie ; c’est ainsi que l’honorable membre en a jugé lui-même dans d’autres circonstances.

Il a même été plus loin que nous lorsqu’il a été question du chemin de fer, il a cru le Hainaut ruiné par cela seul qu’il craignait que les houilles de Liége eussent pu venir en concurrence avec les houilles de sa province sur quelques marchés à l’intérieur. En effet, on doit s’étonner d’entendre l’honorable député de Tournay combattre la protection présentée par la section centrale en faveur de la fabrication des toiles tandis que les fers, les charbons, les porcelaines, les tapis, les produits du Hainaut, sont en possession d’une protection qui exclut la concurrence étrangère. Cependant, messieurs, il me semble que les industries de toutes les provinces devraient être également chères au pays, et par conséquent jouir de la même faveur.

Je dirai encore à l’honorable M. Dubus que sous le rapport de la perfection, la qualité de nos produits liniers ne laisse rien à désirer, et que jusqu’ici aucune toile étrangère n’est parvenue à en égaler la beauté ; les soins que mettent nos rivaux à en écarter la concurrence prouvent qu’ils savent mieux apprécier l’importance et la valeur de notre fabrication linière que beaucoup de Belges eux-mêmes.

M. de Foere. - Je répondrai, messieurs, aux objections de l’honorable député de Tournay, dans le même ordre dans lequel il les a présentées.

L’honorable membre a trouvé des différences essentielles entre le projet de loi qui a été d’abord proposé et celui qui est aujourd’hui l’objet de vos délibérations. Le premier projet, a-t-il dit, était temporaire ; celui-ci est définitif.

Messieurs, le premier projet impliquait aussi la question des lins ; or la chambre a ajourné cette question pour ne s’occuper que des droits à imposer sur les toiles étrangères. La chambre a été unanime sur la nécessité de majorer les droits sur les toiles étrangères. Cette partie de l’ancien projet n’était donc pas une loi d’essai comme l’était le projet sur les lins. Ce dernier projet n’était qu’une loi d’essai dans l’intention même des auteurs de la proposition. Maintenant que l’ancien projet est scindé, il a fallu modifier aussi le projet.

La suppression de l’article 10 de l’ancien projet ne trouverait pas là son seul motif ; il n’en résulterait encore rien de l’objection de M. Dubus.

Une loi n’est pas une constitution ; toute loi, alors qu’elle est définitive, peut toujours être révoquée. Vous voyez, messieurs, que la différence dont on a parlé, loin d’être essentielle, tombe devant ces simples observations.

L’honorable député de Tournay a cru voir des contradictions dans la différence des droits à imposer sur les toiles. Les auteurs des propositions, dit-il, ainsi que la section centrale ne sont pas d’accord sur la majoration des droits. M. Dubus confond constamment les toiles allemandes avec les toiles belges. Les qualités, et par conséquent les valeurs de ces toiles, diffèrent de beaucoup.

Il n’a pas compris non plus que le tarif de la section centrale, quoiqu’il propose pour mode de perception le poids et le compte-fils, n’en est pas moins basé sur la valeur. Si on se sert du poids et du compte-fils, c’est afin que les employés des douanes puissent constater plus exactement la valeur.

Le tarif primitif a été rédigé sur les qualités et sur la valeur des toiles belges ; le dernier tarif qui vous est soumis est rédigé sur les qualités et la valeur des toiles allemandes. La cause de cette différence est le résultat de votre propre décision. On a voulu que le droit réel fût de 7 p. c. sur les toiles étrangères. La section centrale a reconnu que le droit primitif ne représentait pas un droit réel de 7 p. c, attendu que la valeur des toiles allemandes est de beaucoup inférieure à celle des toiles belges.

C’est donc sur la proposition de la chambre, et particulièrement sur celle de M. Dubus, que le tarif a été changé. C’était M. Dubus surtout qui, dans la dernière discussion, élevait des craintes sur les droits primitivement proposés, comme s’ils excédaient de beaucoup la proportion de 7 p. c. sur la valeur. Après vérification faite sur différentes espèces de toiles allemandes, et en présence du ministre des finances, la section centrale a trouvé que les droits primitifs n’étaient pas assez élevés, pour atteindre la proportion de 7 p. c. sur les toiles allemandes contre lesquelles le projet de loi est particulièrement dirigé. La conséquence est que les contradictions que l’honorable député de Tournay a cru trouver dans les différents projets, retombent sur lui-même.

L’honorable député s’oppose à un droit élevé sur les toiles étrangères, parce que, dit-il, nos frontières ne sont pas assez bien gardées, et que plus le droit est élevé, plus la fraude aura lieu.

Messieurs, si ce raisonnement est valable, si le gouvernement est incapable de garder nos frontières, il est inutile que la chambre favorise d’un droit de protection une industrie quelconque. Mais ce qui prouve que nos frontières peuvent être respectées, c’est que celles de la Prusse sont très bien et très strictement gardées contre l’importation des toiles et autres produits de la Belgique. Ce fait m’a été attesté par les honorables députés de Verviers.

Si la Prusse parvient à faire bien surveiller ses frontières de ce côté de la Belgique, pourquoi le gouvernement ne pourrait-il pas également faire respecter les nôtres du côté de la Prusse ?

Dans les cas où les mesures actuelles autorisées par la loi ne suffiraient pas pour arriver à ce résultat, le gouvernement peut en proposer de plus rigoureuses à la chambre.

M. Dubus, d’après un journal, a évalué l’importation officielle des toiles allemandes à 600,000 fr. Raisonnant d’après cette évaluation, il a dit que ce chiffre n’avait pas une assez grande importance pour que la chambre portât une loi contre l’importation de ces toiles. Messieurs, dans tous les pays l’on établit une statistique sur l’importation des produis étrangers ; cette statistique est double : l’une est officielle, elle résulte des déclarations faites à la douane ; l’autre est réelle, elle est fondée sur les importations raisonnablement présumées. C’est sur la première que l’honorable membre fonde son raisonnement. Or elle doit être très incomplète.

Vous le savez, messieurs, au milieu d’une révolution, les lois se relâchent, ainsi que tous les ressorts de l’administration. Dans un semblable état de choses, il est beaucoup plus facile d’introduire par fraude des produits étrangers. Il s’ensuit que le chiffre de 600,000 francs, dont a argumenté l’honorable membre, est fondé sur une base trop inexacte pour qu’on puisse s’y rapporter. Mais j’accorde à notre adversaire le chiffre de 600,000 fr. ; la conséquence qu’il en tire n’en résulte pas encore. Car il est prouvé par le fait qu’autrefois les toiles allemandes n’étaient pas consommées dans ce pays, et que tous les ans ce chiffre augmente. C’est donc une raison pour que la chambre mette un terme à cette augmentation et protège la consommation des produits du pays.

M. Dubus lui-même a invoqué sous un autre rapport l’autorité du rapport de M. Serruys. Pourquoi rejette-t-il cette même autorité sous le rapport des importations des toiles allemandes ?

M. Serruys, dans son rapport, a déclare que les magasins et les boutiques de Bruxelles et des environs sont encombrés de toiles allemandes. Il en est de même dans les provinces du Limbourg, de Liège, de Namur et du Luxembourg.

Je dirai ensuite que lorsqu’une industrie étrangère commence à pénétrer dans un pays, où elle est en concurrence avec les produits de ce pays, le premier devoir de la législature est d’y mettre obstacle. J’admets gratuitement, comme je l’ai dit, que les calculs de M. Dubus sont justes, et que le chiffre de 600,000 fr. est celui de l’importation réelle des toiles allemandes ; dans ce cas, avant que ce chiffre ne devienne plus important, il faut prendre des mesures contre une introduction qui ne ferait que commencer. Il faut, dans tous les cas, protéger le travail du pays. Je demanderai à l’honorable député de Tournay quelle est la garantie qu’il présenterait pour empêcher que la quotité de l’importation étrangère ne s’augmente tous les ans, et ne vienne pas se mettre en grande partie à la place de notre propre industrie ?

Mais, dit M. Dubus, vous faites peser un impôt sur la consommation en élevant l’importance du droit sur les toiles étrangères ; et, ajoute-t-il, si vous augmentez le prix des toiles à l’intérieur, vous mettez obstacle à leur exportation en pays étrangers. Ces deux propositions sont fondées sur une base fausse.

Cet enchérissement pour le consommateur de l’intérieur est impossible. Du moment qu’une fabrication quelconque n’est pas un monopole, qu’elle n’est pas exclusivement entre les mains d’une société, ou n’appartient pas à quelque grand fabricant, il n’est jamais à craindre que le consommateur souffre de l’élévation des prix. Or, dans notre pays la fabrication de la toile est divisée entre 600,000 fabricants.

Dans les Flandres chaque habitant, chaque famille confectionne de la toile. Leurs produits sont en concurrence sur tous nos marchés. Le monopole est donc impossible, ainsi que l’enchérissement aux dépens du consommateur. S’il y avait un enchérissement sur nos toiles, il ne faudrait pas l’attribuer à l’augmentation des droits sur les toiles étrangères, mais à d’autres causes ; telles que le renchérissement de la matière première ou celui des toiles étrangères, ou enfin toute autre cause connue dans le commerce, qui, ainsi que l’industrie, cherche toujours son niveau.

L’honorable député pense que c’est en multipliant nos débouchés que nous protégerons efficacement notre industrie linière. Messieurs, s’il en est ainsi, il eût été à désirer que M. Dubus nous eût indiqué ces débouchés, ou qu’il nous eût assignés le moyen de les ouvrir. Certes, nous sommes prêts à le déclarer, plus un pays a de débouchés, plus son industrie est protégée ; mais ce n’est rien dire que de proposer de protéger notre industrie linière par des débouchés, lorsqu’on n’assigne pas ces débouchés ou lorsqu’on ne donne pas le moyen de la créer. La législature doit songer aux moyens qui sont en son pouvoir, et rejeter ceux qui ne sont que des illusions. Au surplus, par quelle ombre de bonne raison peut-on nous proposer de nous ouvrir des marchés étrangers, quand on propose en même temps de négliger les siens propres et de les laisser envahir par l’industrie étrangère ?

M. Dubus a parlé de la parfaite harmonie qui existait entre le rapport de M. Serruys et celui de la commission d’industrie. Je vous prie de remarquer, messieurs, que le rapport de M. Serruys demande une majoration de 6 p. c. sur les toiles étrangères, tandis que le rapport de la commission d’industrie n'en demande aucune. Voilà, messieurs, cette harmonie !

Mais M. Dubus trouve cette harmonie dans un fait entièrement secondaire ; il laisse de côté la question essentielle, qui est celle de la majoration des droits sur laquelle les deux rapports diffèrent essentiellement, et il fait ressortir la similitude sur une question qui n’est pas en discussion : c’est celle de l’état stationnaire de notre industrie linière. Encore est-il inexact de dire que M. Serruys a attribué la décadence de notre industrie à cette cause seule ; car, comme je l’ai déjà fait observer, il l’attribue principalement à l’importation et à la consommation des toiles allemandes.

La cause, dit-il, de la diminution de nos exportations est que nous ne voulons pas confectionner des toiles légères. Qui a dit à M. Dubus que l’industrie linière du pays ne veut pas confectionner cette qualité de toiles ?

Bien certainement, si nous avions le malheur de détériorer la bonne qualité de nos toiles qui sont maintenant recherchées par ceux auxquels nous livrons depuis des siècles, et à qui nous les fournissons encore, nos importations diminueraient encore davantage.

Si M. Dubus s’était arrêté à une partie de notre industrie ; s’il avait désiré qu’on fabriquât en partie des toiles légères pour les étrangers qui en demandent, sa proposition aurait pu être acceptable ; mais vouloir que nous nous mettions au niveau de l’industrie allemande, que nous détériorions notre industrie linière au point de ne fabriquer que des toiles légères, ce serait lui porter le coup le plus mortel.

Bien loin de ne pas vouloir confectionner des toiles légères, soyez sûrs, messieurs, que si le commerce demande des toiles légères, alors que les besoins du consommateur en seront formellement exprimés, l’industrie linière de notre pays ne restera pas en défaut d’en produire. La fabrication des toiles marchera dans la même progression que les demandes. Pourquoi nos tisserands continuent-ils, depuis des siècles, de perfectionner la même qualité de toiles solides ? C’est parce que sur nos marchés on continue de les demander dans ces qualités pour la consommation étrangère. Quand les négociants qui exportent demanderont des toiles plus légères, notre industrie en confectionnera. Il est impossible ou tout au moins dangereux de rien forcer à cet égard.

Si le raisonnement de l’honorable membre était fondé, alors encore ce serait une raison de plus pour laquelle il faudrait accorder une protection à notre nouvelle fabrication. Car, s’il était vrai de dire que nous restons stationnaires et que nous devions confectionner des toiles légères, ce serait une raison pour laquelle notre nouvelle industrie devrait être protégée. La fabrication des toiles légères en Belgique ne pourrait facilement s’établir dans le pays à côté de la concurrence étrangère. C’est ainsi que l’on raisonne dans tous les pays industriels.

Vous avez l’exemple de l’Autriche qui, dès 1772, a prohibé l’introduction de tous les produits d’industrie étrangère. Quel a été le résultat de cette prohibition ? l’Autriche s’est créé de nouvelles industries. Le besoin l’y a forcée. Elle est maintenant au niveau des industries de la plupart des autres pays. Elle a créé des industries qu’autrefois elle ne possédait pas. Elle était alors tributaire des autres Etats, et depuis qu’elle a commencé à protéger son propre travail, non seulement elle a protégé les industries qui existaient dans ses Etats, mais elle a créé des industries qui n’y existaient pas ; elle a forcé ses populations à confectionner pour les besoins de sa propre consommation et même pour l’exportation.

M. Dubus s’est aussi appuyé sur le rapport de la commission d’industrie qui a avancé que nous avions perdu nos débouchés de l’Amérique méridionale, parce que nous étions restés stationnaires, parce que nous ne voulions pas confectionner les produits que ces pays demandent. Messieurs, depuis les guerres de l’empire et le système continental établi par Bonaparte, quiconque a suivi la direction du commerce sait que cette déviation du commerce est due au système continental. C’est l’Angleterre qui, maîtresse des mers durant les guerres de l’empire, a envahi les marchés de l’Amérique méridionale. Si donc, nous avons perdu ces débouchés, nous ne devons pas attribuer cette perte à la cause signalée par la commission d’industrie.

Vous savez aussi, messieurs, que dès que le commerce a pris une autre voie, on a dévié de ses voies ordinaires, il est très difficile de le faire revenir. L’Amérique a d’autant plus goûté les toiles de coton anglaises, que ces toiles conviennent mieux aux climats chauds que les toiles de lin.

Il faut, dit M. Dubus, déterminer la fabrication linière à faire des toiles légères. L’honorable membre ne considère pas combien il est difficile de faire dévier une nation tout entière de son ancienne industrie. Il ne suffit pas de dire : telle doit être notre industrie ; il faut encore en assigner les moyens.

La fabrication marche toujours lentement, et s’il fallait arriver là, soyez persuadés que l’industrie linière ne restera pas en arrière. Elle marche et elle continuera à marcher, mais entre-temps, elle demande une loi de protection, afin de pouvoir marcher de progrès en progrès, d’autant plus facilement et d’autant plus efficacement.

Il faut, dit encore l’honorable membre, revenir au système de M. Rodenbach, qui proposait de mettre un droit de 7 p. c. perçu à la valeur. Comme je l’ai déjà fait observer, M. Dubus ne comprend pas que les droits sont perçus sur la valeur des toiles étrangères. C’est sur cette valeur que le tarif en discussion est calculé. Il comprend deux choses : le droit et le mode de le percevoir. Il croit que le poids et le compte-fils sont la base du tarif, tandis que ce ne sont que des moyens de reconnaître la valeur des toiles.

Si vous revenez au système de M. Rodenbach, dit-il, vous aurez en fait le droit que vous demandez. Je lui réponds que si vous l’employez, vous n’obtiendrez pas ce résultat, et si vous employez le compte-fils, vous aurez le droit que vous voulez percevoir.

Ce dernier mode de perception est employé depuis longtemps en France et en Angleterre et il ne donne lieu à aucune réclamation. Du reste le tarif est essentiellement basé sur la valeur, comme le veut M. Dubus.

La section centrale en est venue à adopter le tarif français par la raison que les toiles allemandes sont de beaucoup inférieures en qualités et en prix aux toiles belges. Il est encore une autre raison pour laquelle il convient d’adopter le tarif français contre les toiles allemandes et anglaises.

La France en viendra peut-être avec nous à des arrangements commerciaux beaucoup plus favorables à la Belgique. Le tarif de la France est hostile à l’industrie linière de la Belgique, parce qu’elle craint que par notre frontière, l’industrie allemande et l’industrie anglaise ne viennent envahir ses marchés. C’est au moins ce qu’elle a souvent déclaré. Si, par notre tarif, nous reculons les frontières françaises ; si nous les transportons du côté de la mer et de l’Allemagne, il y aura peut-être moyen de s’entendre, attendu que la cause constamment alléguée par la France pour repousser nos toiles n’existera plus, et pourra les admettre à un droit de beaucoup inférieur à celui qu’elle perçoit actuellement.

Vous aurez donc remarqué, messieurs, que les objections de M. Dubus ne sont pas fondées et qu’elles ne sont pas de nature à ébranler la conviction de la chambre.

M. Dubus. - Quand j’ai présenté mes observations à la chambre, je ne m’attendais pas à ce qu’elles me mettraient dans la nécessité de prendre la parole pour un fait personnel, pour repousser une véritable accusation.

Parce que je ne partage pas les opinions de certains membres, je suis présenté comme un ennemi de l’industrie linière, je dois être traité comme un ennemi public dans les Flandres. Et encore pour me jeter cette étrange accusation, ce ne sont pas mes propres paroles qu’on m’oppose, mais on va chercher si quelqu’un de mes amis n’a pas prononcé des paroles, au moyen desquelles on puisse accuser mes intentions.

Je suis extrêmement étonne de cette manière de procéder à mon égard. L’irritabilité est grande chez certains membres de cette chambre dès que l’on ne partage pas aveuglement leur opinion sur les questions auxquelles ils attachent le plus d’intérêt, et pour les satisfaire, il faudrait alors semble-t-il s’abstenir de toute discussion et voter sans examen.

J’aurais désiré que les honorables membres qui se pressent de porter des accusations, je le dirai, peu parlementaires, se fussent occupés de répondre aux raisons que j’avais présentées, aux chiffres que j’avais soumis sans aucun esprit de parti, sans aucune arrière-pensée. Ils méritaient une réfutation et j’étais loin de m’attendre à ce qu’ils m’attirassent de semblables inculpations.

J’exerce, dit-on, une vengeance contre la principale industrie des deux provinces flamandes, à cause du vote des députés de ces provinces dans la question du chemin de fer. Telle est en résumé l’accusation de M. le rapporteur de la section centrale, et sur quoi est-elle basée ? sur ce que l’un de mes amis a annoncé dans une séance du mois de mars dernier, que si l’on votait contre les intérêts du Hainaut, il voterait contre ceux des deux Flandres : il me semble qu’il eût été plus convenable d’attendre la présence de cet honorable membre, et surtout l’énonciation de son opinion dans la matière qui nous occupe, pour lui opposer ses paroles. Il n’aurait dans tous les cas fallu m’opposer que les miennes.

Loin d’annoncer qu’il ne fallait accorder aucune protection à l’industrie linière, j’ai débuté par dire qu’elle méritait toute notre sollicitude, et que je désirais que l’on adoptât le système présenté par l’honorable M. Rodenbach qui, lui, certes, n’avait pas dessein de faire la guerre à l’industrie linière des Flandres. Cet honorable membre avait proposé un droit de 10 p. c. sur la valeur, droit qu’il avouait se réduire à 7, et tout le monde reconnaissait que cette protection était suffisante. J’ai dit alors que je voterais pour ce chiffre-là et pour la proposition de M. Rodenbach. A coup sûr, ce n’était pas me montrer l’ennemi de l’industrie linière.

L’honorable M. Bekaert a prétendu que je ne suis venu qu’argumenter contre la protection à accorder à la fabrication des toiles, tandis que j’ai positivement demandé que l’on adoptât l’une des propositions qui ont pour objet d’assurer cette protection. Il a trouvé étrange que je considérasse comme chose de peu d’importance l’augmentation de la consommation intérieure de 800,000 francs, alors que dans une autre circonstance, j’avais cru que le Hainaut allait être ruiné si l’on adoptait une mesure qui allait amener la concurrence entre cette province et celle de Liége.

On a dénaturé mes paroles. Je me suis élevé, à cette époque, contre une mesure injuste, contre une mesure, qui rapprochait les distances aux frais du trésor public et qui tendait à établir un tarif qui, par des moyens factices, aurait permis aux produits de Liége de se présenter à meilleur marché dans les provinces alimentées par le commerce du Hainaut. C’était là une injustice criante, et on l’a reconnue, puisque l’on a écarté le tarif qui était l’objet de nos récriminations.

Il me semble que quand on oppose à un orateur ses paroles il faudrait les citer avec exactitude.

Je crois que les principales raisons que j’ai données tout à l’heure sont demeurées sans réponse. D’une part, tout en reconnaissant que l’industrie des toiles méritait une protection, j’ai dit que nous avions à considérer quels étaient les meilleurs moyens d’assurer cette protection, si c’était en augmentant la consommation intérieure ou en tâchant d’activer l’exportation. Sur ce point un honorable préopinant m’oppose l’exemple de l’Angleterre, qui encourage en même temps et la consommation et l’exportation. Il a dit qu’il n’est entré dans ce pays qu’une valeur d’un million et demi de toiles sur cent millions, chiffre auquel il fait monter la production indigène. Eh bien ! notre pays produit 40 millions de francs de toiles et il n’en est entré que pour 800,000 francs.

La seule différence qu’il y ait entre les deux pays, c’est qu’en Angleterre, c’est en établissant des droits qui équivalent à une prohibition que l’on a obtenu ce résultat, tandis que chez nous le droit, dont sont actuellement frappées les toiles étrangères à l’entrée, est très minime. Car ce droit n’étant que de un pour cent sur la valeur, c’est comme s’il n’existait pas. Ce sont ces chiffres-là même qui prouvent que notre industrie linière n’a pas besoin de la même protection que l’industrie anglaise pour la consommation intérieure. Cela rend plus évidente encore l’opportunité de la proposition de M. Rodenbach qui établissait simplement un droit de 7 p. c. sur la valeur.

On a dit que les chiffres que j’ai rapportés étaient erronés. On a prétendu que l’importation étrangère des toiles ne s’était pas élevée simplement à 800,000 francs, comme je l’avais avancé, mais bien à 1,500,000 francs en 1833. J’ai cherché à vérifier mes chiffres. Effectivement, il y a eu plus de 800,000 francs de toiles étrangères importées en 1833. Mais le chiffre véritable est loin d’atteindre 1,500,000 francs. En voici le montant :

Toiles, tissus et étoffes de chanvre, de lin écrues ou blanchies, fr. 66,057

Id. teintes, fr. 143,446

Total, fr. 809 503

Id. nappes, serviettes écrues, fr. 15,215

Id. nappes, serviettes blanchies ou damassées,, fr. 75,039

Total général, fr. 897,755

Le tableau que je cite vient de m’être remis par l’honorable M. Zoude : il est officiel.

M. A. Rodenbach. - J’en ai d’autres.

M. Dubus. - Les importations ont donc été en 1833 de 897,755 francs. Je demande lequel du chiffre de M. Rodenbach ou du mien, s’approche le plus de la vérité. Le chiffre de 800,925 fr. que j’avais cité, je l’avais puisé dans le journal l’Union, dans un numéro assez récent, puisqu’il est du 28 juin dernier.

Dans les importations de 1833, les toiles d’Allemagne figurent pour les chiffres suivants :

Toiles, tissus, de chanvre, lin et étoupes écrues ou blanchies, fr. 423,072.

Id. teintes, fr. 131,112

Total, fr. 554,184

Id. nappes, serviettes écrues, fr. 12,295

Id. nappes, serviettes blanchies ou damassées, fr. 67,651

Total général, fr. 634,150

Le chiffre de 600,000 francs que j’avais cité n’était donc pas éloigné de la vérité.

Vous le voyez donc, messieurs, l’inexactitude que l’on m’a reprochée n’existe pas. Et que l’on ne dise pas que les importations de 1832 étaient de beaucoup moins élevées que celles de 1833, puisqu’elles ont monté selon le rapport de la commission supérieure d’industrie du 30 novembre dernier, à la somme de 393,040 florins, ce qui équivaut à une somme de 832,000 francs. C’est à peu de chose près le même chiffre qu’en 1833.

J’avais donc raison de dire que l’importation des toiles étrangères en Belgique était minime en comparaison de la production. D’où il suit que le projet de loi que vous discutez est loin d’avoir sous le rapport que l’on a présenté, l’importance qu’on lui a donnée.

On nous disait : c’est une question vitale. Vous allez rendre l’existence au commerce indigène de toiles. Je crois avoir démontré que le projet ne favorisera en aucune manière l’exportation de nos produits. Est-il donc si urgent d’introduire dans de semblables circonstances un changement complet dans le mode de perception actuellement en usage pour les droits sur les toiles ? d’y substituer un tarif nouveau dont on ne connaît pas la portée ?

Et tout cela pour assurer à l’industrie une consommation intérieure de quelques centaines de mille francs de plus ? Assurément non. Cette considération qui n’avait pas encore été présentée à la chambre doit attirer son attention, la déterminer à revenir sur son vote précédent, et à adopter la proposition faite d’abord par M. A. Rodenbach.

Il y a encore une autre considération qui n’avait pas été présentée à la chambre. On nous dit maintenant que la différence du droit entre les toiles belges et les toiles allemandes, résultant de l’application du tarif français, est bien plus grande qu’on ne l’avait indiqué dans le rapport de la section centrale. On nous annonce que ce tarif qui reviendrait à 15 p. c. de la valeur, en frappant nos toiles, ne rapportera pas 7 p. c. sur les toiles d’Allemagne. Si l’on avait débuté par présenter ces chiffres à la chambre, si on lui avait d’abord déclaré qu’en abandonnant le mode actuel de perception des droits de douanes, les toiles d’un pays paieraient 100 francs, tandis que les toiles d’un autre paieraient 200 francs, elle en aurait conclu que le système que l’on proposait était vicieux. Ainsi la différence que l’on a découverte doit décider à revenir sur le vote précédent, et à rentrer dans la voie dont on n’aurait pas dû sortir.

Il est démontré, par des tableaux officiels, que ce ne sont pas les toiles d’Allemagne qui seules entrent en Belgique ; ainsi nous allons dire à la France qui en fournit une partie : nous frappons vos toiles de 15 p. c., tandis que nous ne frapperons les toiles d’Allemagne que de 7 p. c. C’est en quelque sorte faire la guerre à la France que d’établir cette différence.

Un honorable député a prétendu que la perception à la loupe et au poids était aussi une perception à la valeur ; soit : mais c’est une perception à la valeur de laquelle il résultera que la France paiera le double de l’Allemagne : la proposition de M. A. Rodenbach imposait toutes les toiles de la même manière et est bien préférable au mode présenté par la section centrale.

J’ai montré par des chiffres officiels qu’il ne s’introduisait que pour 600 mille francs de toiles d’Allemagne par année ; un honorable député a demandé qui m’avait assuré que ces importations ne s’augmenteraient pas ? Ce qui me l’a assuré, ce sont les faits ; j’ai vu que l’importation était à peu près la même en 1832 et en 1833. Ce qui me l’a assuré, c’est le bon sens : Si l’on adopte la proposition de M. Rodenbach, c’est-à-dire, si l’on frappe d’un droit de 7 p. c. des toiles qui ne payaient que 1 p. c. à l’entrée, il est évident que cette augmentation du droit n’amènera pas une augmentation d’importation.

Il ne me semblait pas convenable que l’on réunît tant d’efforts pour faire admettre un système qui favorisait si peu la consommation intérieure, puisqu’il tendait à protéger la fabrication dans le rapport de 800 mille fr. à 40 millions ; mais je soupçonnais qu’en écartant d’une manière absolue toute concurrence étrangère qui obligerait nos fabricants à vendre à des prix modérés, on voudrait faire élever ces prix aux dépens du consommateur.

A cet égard, un honorable préopinant nous assure que le renchérissement est impossible, vu la grande concurrence qui existe entre les fabricants de l’intérieur. S’il en est ainsi, concluons-en que les fruits que l’on retirera du projet de loi ne valent pas les efforts que l’on se donne pour les obtenir, et ne compenseront pas les inconvénients d’un changement de système dans la perception ; et qu’il serait plus sage de conserver le système actuel en augmentant simplement le droit de 7 p. c. à la valeur.

J’ai soutenu que ce n’était pas la consommation intérieure qui devait arrêter nos regards puisqu’elle nous est presque exclusivement acquise ; et j’ai dit que nous devions porter toute notre attention vers des débouchés à l’extérieur ; un honorable député m’a fait observer ironiquement que je devais indiquer les moyens d’ouvrir ces débouchés à nos fabricants de toile : mais ce n’est pas de mon chef que j’ai signalé les débouchés à l’extérieur comme le remède au mal. Prévoyant que l’on m’objecterait mon incompétence, je n’ai parlé que par la bouche d’autrui ; et ce sont les passages des rapports de deux hommes très capables que j’ai lus à la chambre et qui montrent quels moyens il faut employer pour favoriser notre industrie. Ce qui est consigné dans ces rapports doit attirer l’attention des députés de la Flandre s’ils veulent fournir des toiles à l’Italie, à l’Espagne, à l’Amérique du Sud, comme ils faisaient par le passé.

Selon ces rapports, le mal vient de ce que les fabricants des Flandres, obstinés dans leur routine, ne veulent pas fabriquer des toiles légères.

Et qu’a dit M. Dubus, s’est-on écrié, que nos fabricants ne veulent pas faire des toiles légères ? Encore une fois ce n’est pas moi qui ai fait le reproche à nos fabricants, c’est M. Serruys, député de la Flandre, qui connaît cette contrée et l’industrie à laquelle on s’y livre ; c’est lui qui déclare que les fabricants flamands sont attachés à leur routine, c’est lui qui émet le vœu que nos ingénieux tisserands ne négligent pas la fabrication des toiles légères pour lesquelles l’Amérique du Sud, le Pérou, le Chili offrent des débouchés ; c’est lui qui a fait remarquer que les Français, les Irlandais, les Allemands, expédiaient dans ces contrées au détriment de nos fabricants restés spectateurs.

C’est aussi la commission supérieure d’industrie qui a fait observer que si nous n’avons pas récupéré nos débouchés dans ces parages, c’est la ténacité de nos habitudes et l’esprit de routine qui s’y sont opposés ; ainsi, travaillons à combattre cet esprit de routine. Mais c’est précisément le contraire que l’on veut faire.

Dans le moment même où l’honorable député de Bruges me demandait qui m’avait assuré que l’on ne voulait pas fabriquer des toiles légères, il s’est efforcé à démontrer qu’il ne fallait pas fabriquer de mauvaises toiles ; eh, messieurs, les bonnes toiles sont celles qui se vendent le plus facilement, et rien n’empêche que l’on ne fabrique des toiles de deux sortes, les uns serrées, les autres légères, selon le besoin ou le caprice des consommateurs.

Vous seriez véritablement dupes si vous vous refusiez à confectionner les toiles qui vous sont demandées pour tant de millions en Espagne, en Italie et dans l’Amérique du sud, sous le prétexte que les toiles qu’il faudrait fournir ne sont pas d’une solidité suffisante. Les consommateurs qui achètent ces toiles savent quel est le degré de solidité qui leur contient.

Le même député a fait remarquer qu’il est bien difficile de faire dévier une nation toute entière de son industrie. Je reconnais qu’il n’est pas aisé de combattre la routine, mais enfin on doit y travailler, et surtout il ne faut pas prendre des mesures qui portent obstacle au progrès. C’est précisément ces mesures que l’on veut vous faire adopter.

Pourquoi avons-nous pris pour base de notre tarif le tarif français ? C’est dans le but d’empêcher la concurrence des toiles d’Allemagne. Pourquoi voulez-vous empêcher cette concurrence ? C’est parce que le bas prix auquel se donnent ces toiles légères, pourraient déterminer nos fabricants à en confectionner de semblables, afin de lutter avec elles.

Cet aveu existe dans le rapport de la section centrale et dans tout ce qui a été dit dans cette enceinte ; ainsi, vous le voyez, bien loin que l’on veuille travailler à produire les tissus légers qui sont demandés à l’étranger, on veut au contraire prohiber ces sortes de tissus dans la crainte que s’ils venaient à pénétrer dans le pays, nos fabricants ne fussent déterminés à les imiter. S’ils les imitaient, cependant, ainsi que la Silésie et le Hanovre ont eu le bon esprit de le faire, il en résulterait qu’à l’exemple des fabricants de ces contrées, ils livreraient leurs produits à la consommation des Espagnols, des Italiens et des Américains.

Messieurs, si l’industrie linière fabriquait les tissus dont je parle, elle ne ferait qu’imiter toutes les autres industries du royaume. Je pourras citer un exemple frappant à cet égard : les fabricants d’armes, de Liége, qui savent fabriquer toute espèce d’armes, pour lutter avec l’industrie étrangère, se sont mis à fabriquer des armes de pacotille pour les colonies, où les armes se placent avec avantage ; ils ne croient pas par là corrompre l’industrie des armes.

Je terminerai, messieurs, par répondre à cette objection que la chambre avait déjà opté entre les deux systèmes. La chambre est d’autant moins liée que quel que soit le parti qu’elle ait pris, il y avait toujours lieu à un second vote. La chambre avait ici trois projets à la fois, dont chacun était l’amendement de l’autre, de sorte que l’on ne saurait dire quelle est la proposition qui pourrait être regardée comme l’amendement, à moins que l’on n’adopte pour le projet de loi celui auquel le ministre des finances s’est rallié, c’est-à-dire la proposition de M. Rodenbach. S’il en est ainsi, les autres projets ne seraient plus que des amendements. Ces amendements sont soumis par le règlement à un second vote ; et d’ailleurs l’assemblée, même après avoir voté les articles, pourrait encore rejeter l’ensemble du projet ; sous ce double rapport donc, elle n’est pas liée.

Je ferai remarquer en outre que lors de la présentation à la fois des trois projets de loi, à mesure que la chambre avançait dans la discussion, les difficultés se sont multipliées et cela à tel point, qu’on a été obligé d’adopter le renvoi à la section centrale, et que la section centrale s’est vue forcée de modifier son projet primitif, même dans des points consacrés par le vote de la chambre.

Vous aviez voté un droit de 30 fr. par 100 kilog. pour les toiles de moins de 8 fils, et maintenant, revenant sur ce vote on vous propose un droit de 10 fr par 100 kilog. sur les toiles de moins de 5 fils et un droit de 30 fr pour les toiles de 5 à 8 fils.

La section centrale a donc reconnu elle-même, d’après les difficultés qui avaient surgi dans la discussion, qu’il fallait revenir sur le vote de la chambre. Pourquoi ne feriez-vous pas de même, alors surtout que dans ce qu’elle a adopté, la chambre n’a pas voté un article de loi, mais s’est simplement prononcée sur la base d’après laquelle la loi serait faite ; car ces articles étaient encore tous à voter lorsque le renvoi à la section centrale a été ordonné.

Il ne peut y avoir d’inconvénients à remettre en discussion le droit de perception à la valeur, et à l’adopter préférablement au mode de perception au compte-fils et au poids. Il me semble qu’il y a une raison péremptoire pour préférer ce premier système, attendu que par le second, vous imposez certaines toiles, les toiles françaises au double de celles de l’Allemagne. Puisque ce ne sont pas les toiles françaises que vous craignez, mais bien les toiles allemandes, en adaptant le mode du compte-fils et du poids, vous adoptez une base impolitique, inutile et inconséquente.

Je persiste dans la proposition que j’ai faite.

M. Lardinois. - A mesure que nous avançons, nous pouvons juger combien est grande l’importance de la question des toiles.

Maintenant que la question s’éclaircit par les arguments qui vous ont été soumis de part et d’autre je crois qu’il y a erreur dans les calculs de la section centrale, et que le droit qui doit être de 7 p. c. pourra s’élever dans certains cas, jusqu’à 20 p. c. ; dans cet état de choses, je crois qu’il est nécessaire de vérifier les chiffres qui ont été présentés ; ainsi je propose que la séance soit renvoyée à demain, et que ne décidions rien avant d’avoir pris de nouveaux renseignements.

M. le président. - La discussion ne peut être terminée aujourd’hui, il est quatre heures, et il y a encore trois orateurs inscrits.

M. Lardinois. - Je retire ma proposition.

M. le ministre des finances (M. Duvivier) - J’offre à tous les membres qui le désireraient de venir dans les bureaux du ministère examiner tous les éléments d’après lesquels nous avons déterminé la fixation du mode de perception.

M. de Roo. - M. Dubus a cité plusieurs passages du rapport de M. Serruys pour appuyer son opinion, mais d’autres passages de ce rapport sont en opposition avec ce qu’a dit l’honorable membre.

Je citerai la partie suivante du rapport relative à la décadence de notre industrie linière.

« La décadence de notre commerce de toiles et que nous déplorons tous, ne provient pas de l’exportation du lin, mais elle provient, suivant nous, d’une part, de ce que les toiles d’origine étrangère étant admises au droit ridicule d’un pour cent la valeur, des toiles d’Allemagne, surtout celles de qualité légère entrent en masse, et dans la ville de Bruxelles vous les trouverez dans tous les magasins et boutiques de lingerie, et d’autre part de ce qu’en France nos toiles étant frappées de droits excessifs, les exportations pour ce royaume ont par cela même dû éprouver une très grande diminution ; d’autres causes ont produit le même effet quant à l’Espagne. »

Vous voyez, messieurs, que la commission d’industrie n’est pas d’accord avec M. Dubus, qui prétend qu’il ne faut pas faire une loi pour favoriser nos toiles, alors que l’importation des toiles étrangères est minime.

J’ai entendu dire aussi à l’honorable membre, qu’il fallait fabriquer des toiles légères, adopter de nouveaux procédés, faire usage de mécanique. Messieurs nous avons dans notre pays des fabricants qui confectionnent à la mécanique. Eh bien, sur nos marchés, les toiles ainsi fabriquées ne supportent pas la concurrence avec les toiles fabriquées selon la manière ordinaire, elles restent sans être achetées tandis que les dernières se vendent à l’intérieur et s’exportent à l’étranger.

Il faut, a-t-on dit, créer des débouchés, il faut encourager l’exportation ; mais c’est justement parce que nous voulons des débouchés aux produits de notre industrie linière que nous sommes obligés de frapper d’un droit plus élevé les toiles étrangères.

Il faut vous créer des débouchés, mais c’est parce qu’on nous ôte nos débouchés que nous sommes obligés d’augmenter les droits sur les toiles étrangères. Quand les autres pays baisseront leurs tarifs, nous baisserons les nôtres. Quant à moi, je préférerais qu’il n’y en eût pas, mais il faudrait que les autres pays n’en eussent pas non plus. Quant à la perception à la valeur, je ne partage pas l’opinion du préopinant.

On vous a démontré qu’il présentait trop d’inconvénient, c’est ce qui a déterminé la France et l’Angleterre à l’abandonner pour adopter le système du poids et du compte-fils. Pour constater la valeur, il faudrait des spécialités, et on n’a pu les trouver ni en Angleterre ni en France, et je ne pense pas qu’on en rencontre davantage en Belgique.

Je répète que je n’avais pris la parole que pour établir que la commission avait été d’avis d’augmenter le droit sur les toiles.

M. A. Rodenbach. - Il y aurait peut-être de l’amour-propre de ma part, de vouloir revenir sur ma proposition, puisqu’elle a été rejetée par une grande majorité. Mais un honorable député de Tournay nous a dit que le chiffre officiel des importations donné par le ministère était de 800 mille fr. Je ne sais si c’est d’après un tableau qui lui a été remis ou d’après une simple note qu’il a posé ce chiffre.

Plusieurs notes ont été envoyées à des membres de la chambre et celle que j’ai reçue et que je crois avoir encore dans mes papiers, je pourrai peut-être demain la donner à la chambre ; cette note, dis-je, dit formellement qu’en 1832 il est entré en Belgique pour environ 600 mille francs de toiles et qu’il en est entré autant pendant le premier semestre de 1833. Il n’est pas à ma connaissance que nous ayons encore de tableau officiel.

M. Dubus. - C’est M. Zoude qui m’a remis le tableau où j’ai puisé mes chiffres.

M. A. Rodenbach. - Je ne sais pas si le tableau communiqué par M. Zoude à M. Dubus est plus officiel que toutes les notes diverses qui vous venaient aussi du ministère.

Je sais qu’il n’y a que deux employés dans tout le ministère qui s’occupent de statistique. Il y a longtemps que j’ai demandé qu’on établît un bureau spécial de statistique composé d’employés qui s’occupent sérieusement de cette matière. Tant qu’il n’en sera pas ainsi, nous n’aurons que des documents inexacts.

D’après les documents de M. Zoude, l’importation de 1833 aurait été de 800,000 fr., tandis que d’après la note que j’ai reçue, elle se serait élevée à 1,200,000 fr.

Il y a quelques années on a prétendu que pour l’instruction publique les Flandres étaient en arrière ; l’erreur venait de ce qu’on calculait le nombre des enfants qui fréquentaient les écoles d’après la population ; on avait évalué cette population à 760,000, au lieu de 600 ; et par suite de cette erreur, on avait barbouillé les Flandres en noir, on leur a donné un brevet d’ignorance, qui était la faute des statistiques. Je ne croirai aux documents que quand ils auront été fournis officiellement par le ministre.

Il n’est pas probable que le tableau sur lequel s’est appuyé M. Dubus soit exact, car l’importation des serviettes provenant de l’Allemagne n’est portée que pour 80 mille fr. Je suis persuadé qu’on en trouverait pour cette somme dans deux ou trois magasins seulement.

Il est constant que l’Allemagne a détruit notre fabrication de linge de table d’Alost et de Courtray. On a dit qu’en n’augmentant pas les droits ce serait un moyen de forcer les fabricants à perfectionner leur industrie. C’est la une erreur. Voyez la France avec son système prohibitif, cela ne l’empêche pas de faire un commerce immense. Ses tableaux officiels, ceux-là ne peuvent pas être révoqués en doute, constatent qu’elle a exporté pour six à sept millions de cotons. Malgré la prohibition de nos cotons elle trouve moyen d’exporter les siens.

En augmentant les droits à l’entrée des toiles, nous ne nuirons pas à notre industrie. Nous avons l’exemple du contraire dans ce qui se passe en Angleterre et en France.

Quant aux mécaniques, pour que les fabricants puissent les introduire dans leur fabrication, il faut leur donner une certaine protection pour leur laisser le temps de faire les essais nécessaires. Quand ils les emploieront avec autant d’avantage que l’Angleterre, nous pourrons diminuer les droits. Il ne faut pas oublier que les Anglais sont en possession de ces moyens depuis 50 ou 60 ans.

Je ne veux pas cependant que la protection soit trop forte, afin d’empêcher que l’esprit de routine ne s’oppose aux améliorations.

Le principe de la liberté de commerce ne me paraît bon qu’en théorie ; on ruinerait la Belgique si on l’adoptait.

M. Desmaisières, rapporteur. - L’honorable M. Dubus, pour démontrer que la chambre pouvait revenir sur le mode de perception qu’elle avait adopté, a dit qu’on avait voté un véritable amendement en adoptant le système du poids combiné avec le compte des fils, parce que la proposition de M. Rodenbach qui était de percevoir à la valeur était devenue la proposition principale par suite de l’adhésion du ministre. Mais l’honorable membre n’a pas fait attention que le mode de perception au poids et au compte-fils avait été proposé par l’honorable M. de Foere, que la section centrale s’est ralliée à ce système, et que cela constituait aussi une proposition principale. Il n’y a pas ici de proposition du gouvernement, car le projet de la section centrale est le résultat des propositions de MM. de Foere et Rodenbach.

La chambre a adopté le mode de perception au compte-fils, à la majorité de 44 voix contre 13, il n’y a plus à revenir sur cette décision.

M. Zoude. - J’appuie les conclusions de la section centrale. J’ai pris la parole pour répondre aux observations faites par M. Rodenbach sur le tableau dont a parlé M. Dubus.

Je dirai que M. le ministre des finances nous a fait parvenir à la commission d’industrie, le 17 juin dernier, un tableau authentique des importations et exportations faites en 1833. M. le ministre m’a redemandé ce tableau tout à l’heure, et l’a communiqué à M. Dubus.

Il est signé Engels, directeur des douanes et accises.

M. le président. - Deux amendements ont été déposé, l’un par M. Dubus, qui est ainsi conçu :

« J’ai l’honneur de proposer à la chambre de revenir sur le vote qu’elle a émis dans une précédente séance sur le mode de perception du droit sur les toiles, et de donner la préférence au mode de perception à la valeur tel qu’il existe actuellement.

« Je demande en conséquence qu’on donne la priorité à la proposition de M. Rodenbach, et qu’on en fasse la base de la discussion. »

M. de Roo propose de porter à 40 fr. au lieu de 30 le droit sur les toiles de 5 à 8 fils.

Ces amendements seront imprimés ; si quelques membres voulaient en présenter d’autres, je les prierais de les déposer afin qu’ils puissent être imprimés.

M. d’Huart. - Il faudrait avant tout être fixé sur la proposition de M. Dubus, car si elle était admise, il ne serait plus question d’amendements relatifs au poids et au compte-fils. Quant à moi, je partage l’opinion de M. Dubus, et si la chambre veut entendre mes motifs, je les lui exposerai. (A demain ! à demain !)

- La discussion est renvoyée à demain.

La séance est levée à 4 heures et demie.