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Chambre des représentants de Belgique
Séance
du mercredi 12 mars 1834
Sommaire
1) Pièces
adressées à la chambre
2) Projet de loi relatif au chemin de fer. (A : utilité du chemin de fer ; B : tracé du chemin de fer ; B+ (idem (au détriment de la province du Hainaut et/ou de ses mines de charbon) ; C : mode d’exécution du projet (initiative privée ou publique) ; D : coût et rentabilité ; E : liaison avec le chemin de fer prussien) (A (commerce de transit et politique commerciale du gouvernement) (de Foere), A, B, C, D (Bekaert), enquête préalable, A, D, C, F, A (Desmet), A, C, D (Simons, commissaire du Roi), A, D, concurrence des voitures à vapeur sur les routes ordinaires, C (Helias_d’Huddeghem
) A, D, B, C, A (Davignon), E (Dumortier), D, A, C et B+, D et B+ (Rogier), E (de Puydt), E, B+ (Dumortier, Rogier) (Moniteur belge n°72, du 13 mars
1834 et Moniteur belge n°73, du 14 mars 1834)
(Présidence de M. Raikem)
(Moniteur belge n°72, du 13 mars 1834) M.
de Renesse fait l’appel nominal à midi et demi.
M. Dellafaille lit le procès-verbal de la dernière séance ; la
rédaction en est adoptée.
M.
de Renesse donne
communication des pièces adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A
« Six légionnaires de
Bruxelles réclament le paiement de leur pension. »
- Ces réclamations sont
renvoyées à la commission des pétitions pour en faire le rapport.
____________________
« Trois notaires du
canton de Furnes appuient la disposition du nouveau projet de loi de circonscription
cantonale, qui a pour but d’abolir la distinction entre les notaires de seconde
et de troisième classe. »
- Cette pièce est renvoyée à
la commission chargée de l’examen du projet de loi sur la circonscription des
justices de paix.
____________________
« M. Lemaire, procureur
de Roi à Namur, fait hommage à la chambre un ouvrage sur quelques points de
l’organisation judiciaire. »
____________________
Un message du sénat est
adressé à la chambre des représentants pour l’informer de l’adoption du projet
de loi relatif à la taxe des barrières.
____________________
M. le ministre des finances (M. Duvivier), satisfaisant à la décision de la chambre
des représentants du 8 de ce mois, qui lui a renvoyé la pétition du sieur
Pierre Dewindt, datée de Bouchaute
(Flandre orientale) avec demande d’explications, retourne cette pièce à la
chambre en l’accompagnant des renseignements recueillis près de messieurs les
directeur, inspecteur et contrôleur local de cette province.
Discussion générale
M.
le président. - La parole est à M. de Foere contre le projet de
loi.
M.
de Foere. - Messieurs, quand un pays fait des dépenses, surtout des
dépenses énormes, en travaux publics, la première question qu’il se pose est
celle de savoir quels seront les revenus et les avantages qui compenseront ces
dépenses.
Je comprends dans les termes
de revenus et d’avantages non seulement le produit net des péages que nous
obtiendrons sur la route en fer, mais même par l’emploi de nos capitaux, de nos
matières premières, par l’emploi d’une foule de bras ; et c’est dans ce sens le
plus favorable aux partisans des chemins en fer que je considère ses revenus. La
question ainsi posée, je me suis demandé à qui ce chemin de fer profitera,
alors que le pays en ferait toutes les dépenses ? Je suis arrivé à cette
inévitable solution que le commerce étranger seul en recueillera les principaux
avantages ; à moins qu’Anvers, et pour parler plus exactement, à moins que
quelques maisons de commission d’Anvers ne doivent être considérées comme
De l’aveu des partisans du
chemin de fer, il a particulièrement pour but le transit des marchandises étrangères
; ce serait donc des dépenses que vous feriez pour ouvrir une communication,
non pour l’écoulement de vos propres produits agricoles et manufacturés, mais,
en grande partie, pour faciliter le transit des produits étrangers. Il nous
manque deux éléments indispensables pour que le chemin de fer profite à nous
dans la proportion des dépenses que sa construction, son entretien, ses
machines et son administration entraîneront : ce sont des colonies et une
marine marchande ; des colonies qui produisent les objets de consommation
demandés par l’Allemagne, et une marine marchande qui transporterait ces
produits de nos colonies à Anvers et à Ostende, pour les faire transiter de là
en Allemagne.
Vous ne pouvez donc faire
transiter vos propres produits coloniaux ; vous n’en avez pas : mais quand vous
en auriez, vous n’avez pas de marine marchande pour les transporter dans vos
ports ; et cette marine demanderait un quart de siècle pour être établie.
Ce simple exposé révèle les
motifs sur lesquels repose mon opinion, que la dépense de la route en fer ne
profitera en grande partie qu’à l’industrie et au commerce étrangers. Les
nations étrangères, à la fois maritimes et coloniales, ont un intérêt direct à
la construction de notre chemin de fer ; elles apporteront dans nos ports, par
leurs propres navires les produits de leur industrie coloniale, agricole ou
manufacturière, pour les faire passer par notre sol dans les pays voisins du
nôtre, et sans entrer dans d’autres frais que ceux de transit ; frais qui,
d’ailleurs, leur seront remboursés par les consommateurs allemands. Si
l’Allemagne trouve que les prix des marchandises transitées par notre route
sont trop élevés, et qu’elle puisse les acheter à un prix inférieur, quand elle
sont transitées par
Remarquez en outre que la
masse de marchandises transitées des ports d’Anvers, d’Ostende et de Bruges,
sera nécessairement limitée à la consommation de l’Allemagne occidentale ; que
la vente sera, comme elle est toujours, mesurée sur la demande, et la demande
toujours mesurée elle-même sur les besoins des consommateurs. L’Allemagne
orientale continuera indubitablement à être fournie par la voie des villes
anséatiques qui établiront aussi des communications par des chemins en fer avec
l’Allemagne, si leur transit était compromis par notre chemin en fer.
Il est donc clair que votre
produit de transit serait limité à la quantité de marchandises demandées par
l’Allemagne occidentale, avec laquelle
Remarquez au surplus que,
comme
En considérant la manière dont
les grandes affaires commerciales ont été conduites depuis nombre d’années, on
peut prévoir sans encourir le reproche de témérité, qu’au moins durant les
premières années pendant lesquelles les mouvements commerciaux s’établiront sur
les routes en fer,
Il vous reste maintenant à
comparer les revenus de la route en fer avec ses dépenses.
Il m’est prouvé, et c’est ma
conviction intime, que les dépenses excéderont de beaucoup les revenus, sans
faire entrer en ligne de compte une grande perturbation que vous jetterez dans
une foule d’industries et d’existence, et sans compter encore un terrain
immense que vous enlèverez à l’agriculture, et par conséquent à vos propres
produits ; et pourquoi ? pour faciliter l’écoulement
des produits étrangers.
Dans la supposition que notre
chemin de fer puisse lutter avec les concurrents redoutables que nous avons à
craindre, il ne serait, dans cette hypothèse même, qu’un bienfait offert à nos
dépens, aux nations coloniales et maritimes, sans qu’elles eussent à supporter
des charges équivalentes à leurs avantages et à nos dépenses.
L’Angleterre, malgré toute la
puissance de sa diplomatie, a lutté pendant quinze ans contre le droit énorme
que
Les colonies que l’Angleterre
exploite dans les Indes occidentales, avaient souffert considérablement par la
baisse des denrées, tandis que les frais de production étaient restés les
mêmes. Cet état de détresse s’augmentait par l’impossibilité de transporter ces
denrées en Allemagne par la voie de
Les autres nations ont un
intérêt semblable à l’exécution de notre chemin de fer, et par les mêmes
motifs.
Pensez-vous, messieurs, que
l’Angleterre ait soutenu notre révolution pour d’autres motifs que pour ses
propres intérêts ? ce serait nourrir une étrange
déception.
L’indépendance, la liberté des
autres peuples ne lui valent pas une obole quand elle n’espère pas en profiter.
Quand les révolutions lui présentent un côté favorable à ses intérêts
matériels, alors elle fait étalage de principes de liberté et d’indépendance
nationale.
Vous connaissez les faits qui
se sont passés sous vos yeux depuis quarante ans. Interrogez ses dernières
guerres sur le continent, les révolutions des colonies de l’Amérique
méridionale, de
C’est pour profiter de la
libre navigation de l’Escaut que l’Angleterre a soutenu notre révolution ; et
pour que ce débouché lui soit ouvert encore plus avantageusement, elle pousse
notre gouvernement à lui ouvrir, à nos dépens, une communication avec
l’Allemagne. Elle savait bien que nous-mêmes, dépourvus de colonies et de
marine, nous ne pouvions en recevoir d’avantages directs. La détresse de son
industrie coloniale retentissait tous les ans dans le sein de son parlement, et
le gouvernement a répondu par les espérances, que présentait la révolution
belge.
Remarquez en outre qu’afin que
l’ouverture de l’Escaut ne pût devenir, dans aucun cas, nuisible à
l’Angleterre, c’est encore elle qui a fait stipuler dans le traité du 15
novembre la neutralité du port d’Anvers ; quant à moi, je ne me plains pas de
cette stipulation, je crois que cette neutralité est favorable à nos intérêts
aussi bien qu’à ceux de l’Angleterre. J’en fais la remarque uniquement afin que
vous puissiez pénétrer les desseins et les combinaisons de l’Angleterre
relativement au grand débat qui nous occupe.
C’est aussi pour des avantages
matériels qui devaient résulter de notre révolution que
Il est évident que l’ouverture
de l’Escaut et la concurrence que
Je présenterai maintenant la
question sous un autre point de vue, non moins digne de toute votre attention.
Le chemin de fer ne sera pas
seulement le véhicule des denrées coloniales des nations étrangères ; mais il
sera encore le moyen de transport de leurs produits agricoles et manufacturés,
parmi ces derniers objets de commerce, il en est beaucoup que nous produisons
nous-mêmes.
Plus vous offrez à l’étranger
de facilités pour écouler ses produits, plus vous lui offrez en outre de moyens
de transit et de transport économiques, et plus vous entravez le placement de
nos propres produits chez les nations voisines, les seules qui nous offrent
l’espoir de débouchés, attendu que nous n’avons ni colonies, ni marine
marchande pour les placer en pays lointain. Au surplus, la conséquence
nécessaire de la construction de la route en fer est l’établissement, chez
nous, de la liberté commerciale.
Je suis persuadé que c’est là
l’intention et le but du ministère actuel, trompé à cet égard, et sans doute de
bonne foi, par les instigations de l’Angleterre ; un semblable état de choses
ferait sans doute prospérer la ville d’Anvers ; mais aussi il porterait un coup
mortel au commerce du pays, et je laisse aux députés de cette ville le soin de
considérer si, en conscience, ils pourront donner eux-mêmes un vote favorable à
la construction de la route. Aussi, il est difficile de comprendre que des
députés d’autres provinces, consciencieusement opposés à la liberté du
commerce, puissent voter pour le chemin de fer, je leur laisse également le
soin de s’expliquer à eux-mêmes cette contradiction flagrante.
Je vais essayer de répondre à l’avance
à quelques objections que, sans doute, l’on élèvera.
On objectera que nos propres
navires pourront aller chercher des denrées coloniales, et qu’ainsi nous
pourrons fournir, par notre propre commerce, les marchés de l’Allemagne. Ceux
qui élèveraient cette objection prouveraient qu’ils n’ont pas consulté la
législation coloniale et navale de la plupart des nations étrangères.
Les nations coloniales et
navales protègent, par leurs lois, leur navigation, au point que la nôtre ne
pourrait soutenir la concurrence ni sous le rapport des prix des marchandises,
ni sous celui des frais de transport.
Il est vrai qu’il existe un
petit nombre de colonies, telles que
Celles-ci seront toujours en
état de les apporter dans nos ports à des prix inférieurs à ceux auxquels nous pourrions
les livrer. Ajoutez à cette observation que, pour faire le commerce maritime
avec économie, avec avantage et avec succès, il faut qu’il consiste en envois
et en retours. Toute autre opération commerciale maritime est ruineuse. Or,
quels seront les envois de vos propres produits que vous ferez à
J’attendrai une réponse à
cette question, afin que je sache à quoi répondre.
On objectera en second lieu
que les navires étrangers, après s’être déchargés de leurs marchandises
destinés au transit, prendre chargement dans notre pays, et que nos produits se
trouveront ainsi exportés.
C’est encore là entretenir une
autre illusion. Déjà vous avez pu vous en convaincre, en jetant les yeux sur le
mouvement mensuel dans les ports d’Anvers et d’Ostende. Les navires étrangers
n’exporteront ni plus ni moins de produits nationaux qu’il n’en exportent
maintenant. La plupart des navires partent sur lest ou vont prendre charge
ailleurs que chez nous, et les autres navires n’exportent que les produits
indispensables à la consommation de leurs propres pays, soit parce qu’ils ne
cultivent pas ces produits, soit qu’ils ne les cultivent pas dans la proportion
de leur consommation. Vous verrez par le mouvement de nos ports que les navires
étrangers n’exportent que nos écorces, nos lins, et quelques autres produits
agricoles et manufacturés en petit nombre ; or, avec ou sans le chemin de fer vous
exporterez toujours ces produits dans la même proportion dans laquelle le
besoin s’en fera sentir en pays étranger, ou dans la proportion dans laquelle
vous pourrez les faire exporter eu égard aux prix et aux qualités des
marchandises étrangères.
Ce n’est donc pas au chemin de
fer que vous devrez l’exportation de ces produits.
Vous n’appréciez donc pas, me
dira-t-on, le commerce de transit que nous attirerons par notre voie de
communication avec l’Allemagne.
Le commerce de transit est
considéré par toutes les nations commerciales comme un commerce accessoire à
leur commerce actif et direct. Je ne pense pas qu’il puisse entrer dans le
calcul d’aucune nation qui s’entend aux affaires commerciales, de faire des
dépenses énormes pour fournir aux nations étrangères le moyen de faire écouler
leurs produits. C’est ici seulement qu’une conception aussi extravagante a
trouvé des partisans. Remarquez, messieurs, que le commerce de transit, chez
les autres nations, se rattache à leur commerce maritime et au commerce des
produits de leurs colonies.
Ces nations font transiter leurs produits
coloniaux, importés d’abord en partie dans la mère-patrie, et destinés
ultérieurement à la consommation étrangère. Il est vrai qu’elles s’emparent,
tant qu’elles peuvent, du transit étranger ; mais c’est toujours par les mêmes
voies de communication déjà établies, et sans entrer dans des dépenses énormes
pour en construire de nouvelles.
Ces simples réflexions
effacent, en grande partie, le superbe tableau du commerce de transit,
considéré en général, que vous a tracé hier l’honorable député d’Ostende.
Comparez, en effet, les avantages que, par leurs voies de communication
usuelles, les autres nations recueillent de leur commerce de transit avec les
nôtres, et vous serez frappés de l’énorme différence que présente cette
comparaison. Attendu que nous n’avons ni colonies, ni marine marchande, il est
évident que le commerce de transit serait pour nous, non un commerce accessoire
additionnel à un commerce actif et direct, mais un commerce principal, établi
aux dépens mêmes de notre propre commerce actif et direct, c’est-à-dire aux
dépens de l’exportation de nos propres produits.
C’est à vous, messieurs, à
voir si les dépenses que vous ferez seront compensées par le produit de ce
commerce, et si ce produit vous indemnisera des entraves que le travail
apportera à l’écoulement de vos propres produits. Quant à moi, j’ai la
conviction que ces dépenses excéderont de beaucoup les avantages que nous en
recueillerons, et c’est pour l’étranger seul que nous ferions des sacrifices.
Je ne pense pas avoir à
répondre à l’objection tirée des avantages qui résulteraient de la rapidité et
de l’économie de la communication entre nos ports et les frontières de Prusse.
Puisque nous ne ferons que
transiter, en grande partie, les produits étrangers, cette rapidité et cette
économie ne pourront être avantageuses qu’au commerce et à l’industrie
étrangers. L’honorable député de Verviers a donc raisonné en pure perte,
lorsqu’il nous a vanté cette rapidité et cette économie, attendu que ces
avantages doivent rester en grande partie pour l’étranger et non pour notre
propre commerce.
Il est des membres qui pensent
que le chemin de fer construit de Liverpool à Manchester a été établi pour
rendre les communications plus rapides entre ces deux villes ; ce n’est pas là,
messieurs, la raison principale.
L’immense mouvement commercial
qui existait entre Liverpool et Manchester, c’est-à-dire de Liverpool pour
transporter à Manchester les matières premières nécessaires à la consommation
de ses manufactures, et de Manchester à Liverpool pour réexporter les objets
manufacturés ; cet immense mouvement commercial exigeait, dis-je, des moyens de
transport économiques. Le canal qui liait ces deux villes, appartenait à une
compagnie. Les propriétaires n’ont pas voulu réduire le droit de péage, et
c’est dans l’intérêt des manufactures de Manchester qu’on a établi la route en
fer, pour faire passer de l’une à l’autre ville et les matières premières et
les produits manufacturés. Remarquez de plus que cette route n’a point été
faite pour faire transiter les produits d’une industrie étrangère, ni pour
ouvrir des communications à un commerce étranger ; mais pour créer des
avantages à une industrie et à un commerce propres.
II n’y a donc nulle
assimilation possible entre la route en fer de Manchester à Liverpool et celle
qu’on veut construire chez nous en faveur du commerce et de l’industrie
étrangers, alors surtout que nous devrions leur faire des sacrifices de tout
genre.
Si le ministère actuel avait
adopté un système commercial tout autre que celui qu’il suit actuellement,
j’aurais peut-être pu hésiter dans mon opinion contre l’établissement d’une
route en fer ; mais quel peut-être notre avenir avec une législation
commerciale telle que la nôtre et telle que le gouvernement a l’intention de
maintenir ?
Dans une autre séance, le
ministre de l’intérieur a exprimé son étonnement de ce que j’avais traité son
système commercial de romantique. Il a dit que le ministère ne s’était jamais
expliqué à cet égard ; que jamais aucune déclaration n’avait été faite dans le
sein de cette chambre relativement à un système commercial quelconque.
J’ai été obligé de m’absenter,
et je n’ai pu lui répondre. Afin de dissiper son étonnement, je lui dirai que,
pour former mon opinion sur son système, je n’ai pas besoin d’une déclaration
du ministère ; j’interroge seulement les faits. Quels sont ces faits ? Comment
le ministère a-t-il répondu à toutes les réclamations adressées tant à la
chambre qu’au gouvernement, contre le système actuel de commerce que nous
suivons, contre notre tarif de douanes ? Qu’a fait le ministère ? Quelles sont
les modifications que de sa propre impulsion il a apportées à notre législation
commerciale ? S’il a été apporté quelque changement aux tarifs, c’est par
l’intervention de quelques membres de la chambre qui, par une espèce de
violence parlementaire, en usant de leur droit d’initiative, ont présenté à la
chambre, par pièces et par lambeaux, quelques propositions pour modifier les
parties les plus urgentes de notre système douanier.
Je le demande, que peut-on
attendre du gouvernement aussi longtemps qu’il suivra le système commercial
adopté jusqu’à présent. Vous avez jeté dernièrement aux constructeurs de
navires, aux armateurs, quelques milliers de francs dans votre budget de
l’intérieur, afin de les encourager à en construire ; mais lorsque ces navires
seraient construits, trouveraient-ils de l’emploi ? ces
armateurs se détermineront-ils d’ailleurs à en construire lorsqu’ils savent
d’avance qu’ils ne trouveront pas d’emploi pour leurs bâtiments ?
Qu’a fait le ministre pour
arrêter l’émigration de nos armateurs en Hollande, où ils ont transporté leurs
capitaux et leurs bâtiments marchands, où des faveurs leur sont offertes, où
des bénéfices certains leur sont assurés ? il n’a fait
absolument rien. Ils sont abandonnés à leur propre sort, et on ne leur donne
pas même le moyen de fournir nos marchés de denrées coloniales nécessaires à
notre propre consommation. Le commerce maritime étranger approvisionne presque
exclusivement
Le commerce étranger paie seulement 10 p. c. de plus sur les importations par
navires nationaux. La législation commerciale des autres nations maritimes
protège plus efficacement leurs intérêts de leur navigation.
S’il n’est porté remède à cet
état de choses, il occasionnera la ruine des faibles débris de marine marchande
qui nous restent encore ; cette ruine entraînera dans sa chute une grande
partie de notre industrie.
Les étrangers qui placent, à
notre détriment, sur nos marchés les produits de leur industrie sont loin
d’entrer dans une juste réciprocité. Tous leurs efforts tendent à nous exclure
chez eux, à protéger leur navigation nationale et à lui donner la préférence
pour l’importation de marchandises brutes et fabriquées nécessaires à leur
consommation intérieure.
Cette nation repousse, en
outre, quantité d’articles, tels qu’armes, coutellerie, fer forgé et ouvré,
genièvres, fils de coton et de laine, verreries, tulles, voitures, cartes à
jouer, chicorée moulue, etc. Quand elle admet d’autres marchandises, elle leur
impose des droits beaucoup plus élevés lorsqu’elles sont importées par navires
étrangers. Les importations par navires français se consomment presque
exclusivement en France. Le café de l’Inde importé par navires français ne paie
que fr. 60-00 pour cent kilogrammes, tandis que, par navires étrangers ou par
terre, il est soumis à un droit de fr. 107-0.
En Angleterre, on peut porter
la différence de protection navale, comparée à la nôtre, à 20 p. c.
Des pêcheurs factices d’Anvers
s’entendent avec des pêcheurs hollandais, et ils sont assez éhontés pour
déclarer le poisson qu’ils leur achètent comme le produit de leur propre pèche.
La masse des importations
hollandaises est tellement importante, qu’elle excite l’étonnement même des
étrangers. Ils ne conçoivent pas que la négligence du gouvernement soit portée
à ce point de laisser ainsi dépérir notre marine marchande et notre commerce.
Un tableau statistique publié récemment à Anvers prouve l’exactitude de ces
assertions. Les importations hollandaises en café, sucre, coton, grains, etc.,
en 1833, sans compter celles qui ont eu lieu à Ostende et à Bruges, se sont
élevées à
Est-ce du ministère qu’il
faudra attendre ces mesures ? je ne le pense pas.
L’arrière-pensée du ministère est le système de liberté commerciale, et si des
modifications doivent être apportées à un état de choses qui ruine notre
commerce et notre industrie, il faudra que des membres de cette chambre, usant
de leur droit d’initiative, proposent encore eux-mêmes des mesures propres à
arrêter cette ruine.
Il est urgent, messieurs, que
nous nous mettions dans une position plus conforme aux systèmes commerciaux des
nations qui nous environnent. Quand elles modifieront leur système, nous
modifierons le nôtre. Nous n’avons à craindre ni entraves, ni représailles. Il
serait difficile d’augmenter celles que notre commerce et notre industrie
éprouvent à l’étranger. Hâtons-nous donc de nous mettre sur la ligne
commerciale des autres nations. C’est le seul moyen de provoquer de leur part
des concessions, si elles sont disposées à nous en accorder. La réciprocité a
toujours été et sera toujours le commencement, le moyen et la fin de toute
transaction commerciale, comme elle est le seul fondement de toutes les
transactions sociales les plus minimes. Le pays qui sait maintenir le principe de la réciprocité finira par triompher, ou par faire
reconnaître ses droits de réciprocité par l’étranger, tandis que celui qui ne
veut ou ne sait pas faire reconnaître ce droit sacré, se laissera dépouiller de
tous ses avantages, et amènera le dépérissement de son commerce et de son
industrie.
J’ai dit ; et j’en ai dit
assez pour faire connaître les motifs sur lesquels repose mon opposition contre
la construction du chemin en fer. Si les arguments que j’ai produits contre
cette construction ne sont pas détruits par des arguments plus puissants, je
voterai contre le projet de loi.
M.
Bekaert. - Messieurs, je n’entrerai point dans de longs
développements pour prouver combien serait précieuse à
En effet, ce nouveau mode de
voyage et de transport, en donnant aux exigences commerciales toutes les
garanties qu’elles réclament, réunit d’inappréciables avantages sur le mode
établi. En présence de nos voies de communication existantes, le commerce se
trouve entravé ou forcément suspendu, pendant une grande partie de l’année. Les
expéditions ne sauraient se faire en hiver qu’avec incertitude et danger. Par
eau, elles sont sujettes à être surprises par la gelée. Celles par terre sont
souvent arrêtées par la fermeture des barrières ; et ces arrêts imprévus,
détériorant presque toujours la marchandise, et retardant l’arrivage de celles
dont la livraison doit se faire à une époque limitée, sont très nuisibles au
commerce. De semblables contrariétés ne sont point à craindre avec le chemin en
fer. La circulation sera toujours libre et sûre. Les expéditions pouvant se
faire, sans inquiétude, en toute saison, il sera permis au spéculateur de
profiter de toutes les occasions, qui lui paraîtront favorables, pour se livrer
à d’industrieuses opérations. Si, à ces incontestables avantages, nous ajoutons
ceux, plus précieux encore, d’expédier avec une étonnante économie de temps et
de frais, il est évident que cette vaste communication sera, à la fois, un
puissant élément de richesse nationale et de prospérité industrielle.
Ainsi, notre commerce
d’exportation disposera de tous les moyens qui, en dehors de l’intelligence et
de l’industrie, puissent contribuer au succès de la concurrence, qu’il aura à
soutenir en Allemagne, avec celui des nations rivales.
A l’intérieur, cette grande
voie vivifiera, en les transversant, certaines
contrées, qui maintenant soit à défaut de routes, soit que celles qui existent
soient impraticables en hiver, demeurent pendant toute une saison, pour ainsi
dire, isolées entre elles. Une communication facile y fera naître des relations
plus intimes et plus suivies. Il en résultera dans l’intérêt respectif des
consommateurs et des propriétaires que les marchés y seront, en tout temps,
abondamment approvisionnées, et que la valeur des terres y augmentera en raison
des nouveaux moyens acquis à l’agriculture pour la vente de ses produits.
Au moyen du chemin de fer, les
produits territoriaux ou industries de différentes provinces se trouveront en
présence sur plusieurs marchés du royaume, où les voies actuelles de transport
ne leur ont point permis d’arriver simultanément. Et ce conflit d’intérêt, en
stimulant à la fois l’industrie productive et l’intelligence commerciale, aura
des résultats au profit de la généralité. Cette vaste entreprise si
efficacement favorable au commerce d’exportation, si précieuse dans l’intérêt
des communications à l’intérieur, ne bornera pas là ses bienfaits. En offrant une
voie constamment sûre, prompte et à bas prix, aboutissant à nos deux ports de
mer, elle acquerra à
Leur liaison qui établirait
ainsi une communication non-interrompue de notre frontière occidentale jusqu’au
cœur de l’Allemagne, serait aussi favorable au commerce d’échanges qu’à celui
du transit, et certes ce n’est point pousser trop loin les prévisions ; chacun
sait que c’est vers la confédération germanique que nous devrons tourner nos
regards, si les négociations que nous allons entamer avec
Je pense donc, messieurs,
qu’il ne saurait exister aucun doute sur l’utilité du chemin en fer ; que notre
conviction est unanime à cet égard, et s’il était vrai que des intérêts de
localité dussent en éprouver quelque légère atteinte, rappelons-nous que,
représentants de la nation, il nous incombe de ne voir que le bien-être général
et la prospérité du pays.
J’applaudis au projet de la
section centrale, de donner à la route deux embranchements à partir de Malines,
qui en serait le point principal : l’un se dirigeant au nord sur Anvers,
l’autre à l’ouest sur Ostende, par Gand et Bruges. En effet qui ne sent l’opportunité,
je dirai même la nécessité d’étendre à la fois la communication à nos deux
villes maritimes, qui ayant chacune ses arrivages et par suite ses
réexpéditions à faire, offriront en marchandises et en voyageurs des sources
puissamment contributives au succès de l’entreprise ? D’ailleurs nous ne
devons point perdre de vue que si, comme il en est question,
Cependant si, contre toute
attente, on inclinait à ne commencer que, par un seul embranchement, il en
surgirait une importante question préalable, celle de savoir laquelle des deux
villes, d’Anvers ou d’Ostende, on sacrifierait en faveur de l’autre ; car il ne
faut point se le dissimuler, l’embranchement est pour chacune d’elles une
question d’existence commerciale. Anvers, dira-t-on, a pour elle sa nombreuse
population, ses comptoirs d’assurance, et des relations sont établies dans
plusieurs villes de l’Allemagne ; mais Ostende aussi possède de précieux
éléments de prospérité locale, et, voisine des plus riches villes des Flandres,
elle y trouverait des associés et des capitaux ; mais ce n’est point la
question de localité, c’est celle d’intérêt général qui serait à résoudre et,
sous ce rapport, Ostende a d’incontestables avantages sur son opulente rivale.
Le port d’Anvers est
inaccessible pendant les fortes gelées, et la libre navigation de l’Escaut est
sous la tutelle de notre ancien maître. Ostende au contraire, ayant un accès
direct à la mer, hors de contact avec le domaine hollandais, conservera à toute
époque de l’année, comme à tout événement politique, la libre communication
au-dehors, que la jalousie de nos anciens frères enviera sans doute, mais à
laquelle leur malveillance ne saurait apporter aucune entrave. Ainsi la route
par Ostende serait préférable, parce qu’elle serait à la fois politique et
commerciale.
Je passe au mode d’exécution,
et c’est, me semble-t-il, le point le plus susceptible de rencontrer une
divergence d’opinion dans cette enceinte.
Pour établir ma conviction, je
me fais cette question bien naturelle et bien simple : Quel est le mode qui
offre à la fois le plus d’avantages et le plus de garanties aux exigences
commerciales ? Et je n’hésite point à me prononcer en faveur de l’exécution par
économie. Cette grande entreprise étant conçue dans le bien-être public,
l’avenir de nos industries lui étant en partie subordonné, il serait par trop
imprudent de l’abandonner à la merci de l’intérêt privé. Destinée à compter
parmi les principaux éléments de la prospérité nationale, cette route ne
saurait être soumise, sans danger, à d’autre influence qu’à celle du gouvernement.
Elle doit demeurer
l’inaliénable propriété de l’Etat, non seulement afin de la faire fructifier au
profit de la généralité, mais encore parce que les bienfaits que la nation a
droit d’en attendre ne saurait se réaliser qu’au moyen de tarifs sagement
combinés, et qui puissent, à toute époque, être modifiés suivant les
circonstances et les besoins du commerce.
La concession, soit à
perpétuité, soit même temporaire, par cela seul qu’elle lierait l’avenir,
entraînerait, quant aux questions vitales les plus graves inconvénients. Elle
porterait obstacle au développement du commerce. Elle froisserait à la fois
tous nos intérêts matériels. Ainsi, le but ne serait pas atteint. Le chemin en
fer ne remplirait pas ses destinées. Il importe donc impérieusement de rejeter
le principe, afin de n’en point subir les funestes conséquences. Ne nous
laissons point séduire par des propositions qui, favorables en apparence, ne
seraient en effet que nuisibles au bien public.
Songeons bien que lorsque le
mal se ferait sentir, il ne serait plus temps d’y remédier, qu’une fois engagés
dans la voie de la concession, il nous serait impossible de revenir sur nos pas
; car ne nous y trompons point, quelles que fussent les réserves ou conditions
que la prudence nous porterait à stipuler en faveur de la modification que
devrait subir le péage dans tel ou tel cas donné, j’ose le dire, toutes nos
prévisions seront mises en défaut, d’interminables contestations s’élèveront
sans cesse et la réduction ne s’obtiendra pas. Cependant, je vous le demande,
messieurs, tandis que l’action du gouvernement serait ainsi paralysée, le
commerce, ayant à se plaindre, vers qui élèvera-t-il la voix, lorsque par le
fait de la concession, la représentation nationale aura abdiqué le pouvoir de
le protéger ? Il est donc évident que le tarif par concession aurait le défaut
d’être permanent, invariable, et l’on conçoit qu’il aurait aussi celui d’être
plus élevé que le tarif du gouvernement qui, n’en faisant point un objet de
spéculation, n’aurait en vue que le bien-être général. L’expérience n’a que
trop démontré que les spéculateurs ne convoitent la concession que lorsqu’elle
présente l’appât du bénéfice. Le bénéfice est la seule amorce qui les attire ;
c’est l’unique but qu’ils se proposent. Or, leurs intérêts étant ici en
opposition avec celui du commerce, il s’ensuit, que leur cupidité ne saurait
être satisfaite qu’aux dépens du bien public.
Mass dira-t-on, les travaux
par entreprise s’exécutent toujours avec plus d’ordre et surtout avec plus
d’économie que ceux pour compte du gouvernement. Je ne partage point cette
opinion que les spéculateurs ont intérêt à répandre et à soutenir. Eh ! messieurs j’en appelle à votre bonne foi, l’intelligence et
la probité sont-elles exclusivement un service de l’entreprise ? Nous avons des
ingénieurs qui nous inspirent une entière confiance, chacun se plaît à rendre
hommage à leur dévouement, à leur zèle, à leurs connaissances que l’on peut
envisager comme spéciales dans l’espèce ; ces hommes soigneront-ils les
intérêts du pays moins bien qu’ils ne soigneraient ceux d’un spéculateur ? Leur
talent s’éclipsera-t-il comme par enchantement lorsqu’il s’agira de l’utiliser
au profit de l’Etat ?
Non, messieurs, un semblable
phénomène ne saurait avoir lieu. La construction du chemin en fer, sera pour
eux une affaire d’honneur, ils y consacreront tout leur temps, toute leur
sollicitude, et, j’ose le dire, avec de pareils éléments le succès ne saurait
être douteux ; mais j’admets un instant, contre ma conviction, que
l’entrepreneur puisse en effet exécuter à moins de frais ; eh bien ! cela
prouverait seulement qu’il dispose du moyen de faire un bénéfice plus grand que
celui qu’on croit lui accorder ; mais pourquoi vanter cette science de
l’entrepreneur, si elle ne profite qu’à lui-même ? n’est-il
pas avéré que jamais le commerce n’a eu de part à cet excédant de bénéfice,
puisque jamais le concessionnaire n’a baissé le taux de son tarif.
J’aurai l’honneur de vous
citer quelques exemples pris dans le mémoire de MM. Simons et de Ridder, qui ne laisseront aucun doute à cet égard.
Je lis page 97, qu’en France,
près de notre frontière, des travaux dont la dépense totale ne devait point
s’élever à 300,000 fr. ne furent pris en concession, malgré la valeur bien
connue des péages, que sur une base qui, en moins de six années, produisit au
concessionnaire un bénéfice d’environ 1,500,000 fr. J’y vois encore que dans le
même pays, l’entreprise d’un chemin en fer, obtenue en adjudication publique,
et après enquête préalable pour un péage basé sur une dépense de 10 millions,
fut immédiatement après l’obtention de la concession, déclarée aux actionnaires
par l’entrepreneur auteur du projet, n’exiger réellement que 4,160,000 fr., et
en conséquence leur devoir rapporter un intérêt de 20 p. c. Certes, je dois
l’avouer, il y a là de la part des spéculateurs un remarquable succès,
cependant les péages consentis par le contrat ont été partout maintenus.
En Angleterre comme en France,
les entrepreneurs ont eu le merveilleux talent de savoir calculer, et celui
plus merveilleux encore de savoir réussir. Il y a des canaux dont les actions
primitives de 100 liv. sterl. se
vendent publiquement jusqu’à 2,300 liv. sterl. Voilà
des faits : ils sont plus forts, plus concluants que tous les arguments que
l’on pourrait faire valoir contre la concession. Eh qu’on ne vienne donc point
s’étayer de l’exemple de
Mais par exception à la règle
générale, les entrepreneurs en Belgique seraient-ils plus modérés, et partant
se contenteraient-ils d’un bénéfice moins élevé ? Je laisse aux faits le soin
de répondre. J’ai sous les yeux une soumission en concession perpétuité, pour
l’établissement d’une route en fer, d’Anvers à Bruxelles. MM. les
concessionnaires auront le monopole du transport dans toute l’étendue de la
concession, et prélèveront par tonneau un péage de 8 fr. 50 c.,
que pour certaines marchandises, ils seraient autorisés à étendre
progressivement jusqu’à 16 fr. Et veuillez le remarquer, messieurs, d’après le
projet des ingénieurs du gouvernement, on ne payerait pour toute espèce de
marchandise que 2 fr. 75 c.
Chacun de nous se rappelle
aussi à quelles conditions l’ancien gouvernement parvint à obtenir le rachat de
la concession du canal de Pommerœul à Antoing. Il dut
payer au concessionnaire l’énorme bénéfice d’un million de florins et
rembourser les avances, qui furent évaluées à 2,300,000
florins, et il eut encore à s’applaudir du sacrifice, le marché était
favorable. Le taux du péage fut réduit de moitié en faveur du commerce, et le
produit suffit encore au service des intérêts. Voilà des faits que je livre sans
commentaire à votre méditation ; je dirai seulement qu’il importe, dans
l’intérêt public, de mettre à profit les leçons d’une expérience qui a coûté si
cher au pays.
Mais disent les défenseurs de
l’entreprise, si vous ne voulez point d’une concession à perpétuité vous pouvez
accorder une concession temporaire ; elle sera sous tous les rapports
avantageuse au pays. Vous établirez vos conditions de manière à garantir les
intérêts communaux. L’Etat n’aura point de levée de fonds à faire et à
l’expiration du contrat, il entrera en possession d’une propriété productive
qui ne lui aura rien coûtée ; mais messieurs, cet argument spécieux ne saurait
éblouir qu’un instant ; il tombe à la première réflexion. Je le demande à tout
homme sensé et de bonne foi, le spéculateur n’aura-t-il pas aussi une mise de
fonds à faire, et des intérêts à payer ? Incontestablement oui ; n’étant mu que
par l’intérêt, fera-t-il l’entreprise pour ne rien gagner ? Evidemment non.
Eh bien, dépenses, intérêts,
bénéfice, tout sera donc soigneusement calculé, et certes sur une échelle de
large proportion, et toute cette somme devant nécessairement être couverte
avant la fin de la concession, il est évident que le taux du tarif sera calculé
sur la durée du contrat. Si le terme en est rapproché, le péage sera tel que le
chemin en fer ne sera plus un bienfait. Un terme éloigné fera naître les plus
vives inquiétudes, par la raison, que pendant ce long avenir, le commerce sera
sans garantie contre les éventualités, puisqu’il n’aura point le gouvernement
pour appui. La concession temporaire, nous devons la rejeter, parce qu’ainsi
que la concession à perpétuité, devant comprimer l’élan de l’industrie, elle
serait loin de répondre à l’idée si généreuse, si libérale qui a présidé à la
conception de la route en fer. L’exécution par économie, au contraire,
inspirera une entière confiance. Les exigences commerciales seront complètement
satisfaites, et sous le rapport de la protection qui leur est acquise et sous
celui du péage qui sera mobile et modéré.
Or, tandis que le spéculateur
serait tenu à des dépenses extraordinaires, de visite, de surveillance ou
autres, tandis qu’il voudrait encore en recueillir un bénéfice en raison de
l’importance de son entreprise, le gouvernement emploiera les ingénieurs qui sont
à son service ; il ne lui faudra donc, à la rigueur, qu’un revenu pour servir
annuellement les intérêts et former un minime fonds de réserve destiné à
amortir insensiblement le capital. Tout est donc en faveur de l’exécution par
l’Etat. Je conçois que si le pays était réduit et sans ressource, il faudrait
se résigner à subir le joug de la concession ; mais lorsque notre crédit public
est immuablement consolidé, lorsque notre situation financière est peut-être la
plus prospère de l’Europe, je le dis, avec le sentiment de l’orgueil national,
nous trouverons des fonds à des conditions moins onéreuses que celles qui nous
seraient imposées par les entrepreneurs. Cependant, il est un terme moyen qui
probablement ralliera les deux opinions, puisque d’un côté il offre une part
assez large à la spéculation, et que de l’autre il ne préjudicierait en rien
les intérêts du commerce : ce serait de mettre en adjudication publique la
construction de la route par sections. En réduisant ainsi, par la division des
lots, l’entreprise à la portée d’une active concurrence, on obtiendrait des
conditions plus favorables, et les travaux s’exécuteront avec plus de
promptitude ; mais je le répète, point de concession : il importe que le
gouvernement conserve sur cette vaste voie de communication une entière liberté
d’influence et d’action, afin de la rendre plus productive dans l’intérêt
général ; il doit être en son pouvoir d’opérer, en temps opportun, de sages
modifications au tarif, soit pour le tenir constamment en relation avec celui
de nos rivaux, soit pour le baisser d’après les besoins industriels. Je vais
plus loin, je dis que le cas peut échoir où il serait utile d’accorder, à titre
de prime d’encouragement, l’exemption momentanée de péage à quelques-uns de nos
produits, pour en favoriser l’écoulement à l’étranger. Il y a donc évidemment
ici deux questions distinctes, quoique intimement connexes entre elles ; deux
intérêts qui réclament impérieusement que la construction se fasse pour compte
de l’Etat : l’un, qui se rattache à la mobilité du péage ; l’autre qui se lie à
la prospérité industrielle. Eh bien ! messieurs, il en
est un troisième celui de faire fructifier, au profit du pays, le bénéfice qui
eût été dévolu au concessionnaire,
En effet, malgré
l’établissement d’un péage qui par sa modération satisfasse à tous les vœux
(condition première et indispensable, il est permis de croire que le produit
sera immense, mais en supposant très modestement qu’il ne doive s’élever qu’à
10 p. c., il s’ensuit qu’après avoir servi les intérêts, fussent-ils même à 5
p. c., et fait un fonds d’amortissement de 2 p. c., il resterait 3 p. c. sur
lesquels on prélèverait les frais d’entretien. L’excédant, qui monterait encore
à une somme considérable, serait appliqué soit à la construction de nouveaux
embranchements à l’extérieur, soit à d’autres travaux d’utilité publique. Ce
serait donc, à mon avis, commettre une faute grave, une faute irréparable, ce
serait méconnaître les intérêts du pays, en abandonnant à la cupidité de
quelques spéculateurs, étrangers peut-être, cette grande entreprise à laquelle
se rattache un souvenir si précieux et qui par son importance fera époque dans
les annales de notre nationalité et de notre indépendance.
Maintenant, convaincu, comme je
le suis, de l’utilité de la route en fer et de l’indispensable nécessité de la
construire aux frais de l’Etat, il me resterait deux importantes questions à
examiner. L’une concernant la levée des fonds, l’autre relative au péage ; mais
ces question ne sauraient être résolues pour le moment avec
une entière connaissance de cause. Le chiffre réel de la dépense ne sera connu
qu’après l’exécution des travaux, et il faut au moins l’expérience d’une année
pour avoir des notions certaines sur le produit des péages. Dans l’absence de
ces données positives, n’ayant pour guides que des évaluations qui sont
toujours plus ou moins inexactes et contestées, puisqu’elles ne sauraient être
basées que sur des probabilités, je crois que ce que nous avons de mieux à
faire pour ne rien donner au hasard, c’est de léguer au gouvernement le pouvoir
de procéder immédiatement à l’exécution, en prenant toutes les dispositions que
la prudence et la circonspection pourront lui suggérer dans l’intérêt du pays,
sauf à provoquer ensuite de la législature une loi pour régulariser les
opérations et établir définitivement les dispositions que comporte la nature de
l’entreprise.
Je voterai pour la route en
fer sans concession.
M.
Desmet. - Messieurs, je ne traiterai point la question des
concessions, je ne risquerai donc pas d’encourir le reproche de parler d’une
matière que je ne connais pas ; je vais, messieurs, vous entretenir, sinon de
ce que je crois bien comprendre, du moins de ce dont j’ai une intime conviction.
Et quoique je parlerai et
voterai contre un projet qu’on a appelé hier patriotique, je ne crains point de
perdre mon patriotisme ni de renier mes principes révolutionnaires. D’ailleurs,
je ne vois pas grand patriotisme de faire contribuer tout le pays pour
l’exécution d’un ouvrage qui ne se fait qu’au profit de quelques localités, et
j’en vois encore moins de faire payer des provinces pour l’ouverture d’une
nouvelle voie commerciale qui ne peut porter que de grands dommages à leur
commerce et à leur industrie et qui ne sera réellement qu’au profit de nos
généreux amis les Anglais, et de nos bons voisins les Hollandais.
Mais si je ne parle point des
concessions, l’honorable député de Verviers ne pourra pas trouver mauvais que
je lui copie un passage d’un livre qu’il a cité, « Considérations sur les
chemins de fer, » par M. Cordier, et il ne pourra pas récuser une page de
ce livre qui se trouve à côté d’une autre dont il a fait usage dans son
discours.
C’est à la page LXXII que l’ingénieur français s’exprime ainsi sur la
matière des concessions :
« Si on eût confié à des
associations le perfectionnement des ports et de la navigation des fleuves et
des grandes rivières,
Je dois encore le dire, ce
passage se trouve sur la même page ou l’honorable membre a puisé hier des
arguments.
A la page 2 du rapport de la
section centrale, on trouve ce passage-ci :
« Malgré l’opinion
généralement favorable sortie de l’enquête publique a laquelle ce projet avait
été soumis par les soins du gouvernement. »
Je demanderai à M. le
rapporteur de quelle enquête il veut parler, car je nie que le gouvernement ait
jamais fait une enquête publique, qu’il l’ait faite en règle et de la manière
qu’exigeait une si importante affaire. Si par-ci par-là on a demandé un avis à
quelque régence de ville, on a tellement posé les questions qu’on ne pouvait
traiter la matière au fond, et que très souvent elles ne concernaient que le
tracé du chemin ; vous sentez ce que pouvaient répondre les administrations
auxquelles on faisait voir que le chemin aurait traverse leur localité, et
aurait été fait aux frais de l’Etat ; pouvaient-elles contrarier de tels
projets ?
Mais, je le dis, cette enquête
n’a pas été général, elle s’est borné à quelques localités d’où on était assuré
d’avoir une réponse dans le sens qu’on le désirait.
Et encore de l’enquête
partielle qui a été faite, le rapport de la section centrale ne nous communique
pas une ligne de ce qu’elle a produit, et cependant les chambres de commerce de
Louvain et de Charleroy ont fait des observations très fondées et auxquelles je
défie les ingénieurs de répliquer.
Mais si l’on avait fait une
enquête générale et régulière comme tout gouvernement sage et prévoyant aurait
fait en telles circonstances, alors la chambre aurait pu suffisamment
s’instruire et ouvrir en connaissance de cause ses délibérations sur cet
important objet.
Mais le gouvernement avait
peur d’une telle enquête, et voulant faire passer son fameux et gigantesque
projet sans que la chambre puisse avoir les renseignements nécessaires ; il
craignait qu’on nous aurait fait entendre que la question des chemins de fer
est encore loin d’être résolue, et qu’à part quelques enthousiastes et des intéressés
à l’exécution, les chemins en fer, comme grande voie commerciale, sont jugés
sévèrement, et leur utilité nullement reconnue ; qu’il serait donc par trop
absurde de jeter tant de millions pour un objet incertain ;
Qu’on aurait démontré que dans
un pays comme
Qu’on aurait demandé au
gouvernement, si, dans un moment où déjà il a dû faire quantité d’emprunts pour
subvenir aux besoins des frais de la guerre, il serait prudent d’augmenter si
considérablement la dette publique, et surtout dans un moment que vous devez
douter si la guerre n’est pas prochaine ;
Qu’on aurait objecté que le
gouvernement qui sait mettre à la charge des contribuables, des entreprises de
localités, se montre injuste et imprévoyant ; qu’il agit avec iniquité à
l’égard des localités qu’il veut faire contribuer dans les dépenses d’un
travail qui doit déplacer son commerce et faire préjudice à ses populations ;
Qu’on aurait objecté que si le
nouveau chemin doit enrichir quelques villes, s’il doit rendre des intérêts
élevés des fonds dépensés, il faut laisser à ces villes riches, qui le
réclament avec tant d’instances, et aux capitalistes confiants la liberté
entière de l’exécuter à leurs frais et périls ;
Qu’on aurait objecté, qui a
assuré le gouvernement que
Mais que les contribuables
belges n’avaient certainement pas envie de verser tant de millions pour servir
les Anglais et surtout les Hollandais, et leur ouvrir une voie de commerce vers
l’Allemagne.
Et les Flamands diront surtout
qu’ils ne veulent payer des contributions pour une route qui donnerait seule à
l’idée exprimée par le ministre de la justice, d’adhérer au système des douanes
prussiennes et de séparer entièrement nos intérêts de ceux de
Voila, entre beaucoup d’autres
les objections que l’enquête aurait produites, mais le gouvernement était
certain qu’on les lui aurait faites, et c’est le motif pourquoi il a eu soin de
faire une enquête a sa façon.
Si la chambre donc veut agir
comme la prudence et la prévoyance l’engagent à le faire, elle doit ordonner
cette enquête ; et si elle ne le fait pas, elle assume sur elle toute la
responsabilité de la masse de millions qui vont être jetés.
Si jamais une occasion s’est
présentée pour provoquer une enquête parlementaire, c’est bien certainement
dans un moment qu’on doit voter les dépenses d’un ouvrage si monstrueux pour le
pays, et qui vont enlever les voies et moyens de tout un budget, et quand on
doit douter sur les conséquences fâcheuses que l’exécution du projet pourra
produire…
En effet, je ne puis
m’expliquer la légèreté avec laquelle nous allons procéder ; on crie partout au
chemin de fer, et on ne veut avoir de renseignements pour connaître son
résultat ; on ne s’informe point combien il coûtera pour son exécution, ni
combien sera son produit ; deux ingénieurs jeunes au métier sont crus,
quoiqu’ils soient souvent contredits et qu’ils ne répliquent jamais avec
succès.
Cependant, celui qui a lu et
médité les mémoires de ces ingénieurs en faveur de la route en fer aura
probablement remarqué que ces messieurs pouvaient s’épargner une très grande
partie de leur volumineux travail.
Il était en effet inutile de
s’occuper des tracés et des plans, du mode d’exécution et de concession, des
dépense et de l’emprunt, avant d’avoir établi par des documents recueillis de bonne
foi les moyens de comparaison des chemins de fer aux canaux de grande
navigation, dans une contrée où ces derniers peuvent s’exécuter sans exiger des
ouvrages extraordinaires. Là était toute la question ! à
côté de laquelle MM. Simons et Deridder ont
adroitement glissé, c’est-à-dire dans leur premier mémoire, parce qu’ils
savaient bien que des faits nombreux existent, qui sont peu favorables à la
construction de leur chemin en fer ; mais que dans leur second mémoire, ils ont
abordé tant soit peu, et n’ont pu le faire sans contredire ce qu’ils avaient
écrit dans leur premier, et où ils ont été forcés de le reconnaître qu’en
Belgique la voie par eau était préférable à celle en fer.
Contradiction remarquable ! qui fait voir quelle confiance nous pouvons mettre dans les
écrits des ingénieurs-auteurs du chemin de fer.
Il est donc clair, il me
semble, que la principale et première question qu’il faut traiter, est celle de
savoir si en Belgique, où on peut facilement creuser des canaux, on ne doit pas
les préférer pour voie de grande communication commerciale aux chemins en fer.
Et pour asseoir une opinion à
cet égard, nous devons nécessairement consulter la vaste expérience de
l’Angleterre, et on ne peut suivre d’autorité plus certaine que celle des
ingénieurs de ce pays.
Tous ces ingénieurs
soutiennent que, pour les grandes lignes de communication, dans les contrées où
la construction des canaux est possible, on doit donner la préférence aux
canaux, et que jamais les chemins à ornières ne peuvent soutenir la concurrence.
Quantité d’écrits sont sortis,
en peu de temps, sur cette importante matière ; mais ils ont presque tous
prouvé qu’il faut donner la préférence aux canaux ; pour le démontrer, ils ont
pris pour exemple le fameux chemin de Liverpool à Manchester, qui est
certainement le chemin de fer par excellence, mais qui porte avec lui la
condamnation la moins douteuse des chemins en fer ; je vais avoir l’honneur de
vous communiquer ce qu’ils ont écrit à cet égard.
La contrée qui s’étend de
Manchester à Liverpool est unique dans le monde entier, par l’étendue de son
commerce et l’activité de son industrie.
Elle possédait déjà plusieurs
canaux, qui satisfaisaient à peine au transport des 500,000 tonnes de
marchandises diverses qui se chargent annuellement entre ces deux villes et
d’un million de tonnes de houille qui s’y consomme chaque année.
(Ces indications sont tirées
du premier rapport fait au parlement anglais sur l’entreprise du chemin de
Liverpool.)
Cette insuffisance des canaux
et l’augmentation progressive des relations commerciales, donneront naissance à
l’établissement d’un chemin de fer..
On ne craignait pas
d’attribuer d’avance à ce nouveau chemin la totalité des transports du pays, ce
qui aurait entraîné la ruiné des deux canaux en concurrence. Mais l’événement
fut loin de répondre à cette prédiction, car les marchandises continueront à
suivre la direction des canaux.
Il est notoire en effet, que
le chemin de fer ne reçoit pas aujourd’hui plus de 200,000 tonnes de
marchandises, dont 50,000 tonnes de houille provenant de Huyton
et autres qui n’ont de débouché que par le chemin de fer ; et 150,000 tonnes
formées de bestiaux et autres marchandises qui ne suivaient pas précédemment
les voies navigables.
D’un autre côté toutes les
entreprises de roulage et toutes les voitures publiques ont été renversées par
la concurrence de ce nouveau chemin, et son influence a même élevé à 1070 par
jour le nombre des voyageurs qui n’était que de 4 à 500 avant sa construction.
Il était donc fort heureux que
ce prodigieux accroissement des voyageurs sur lequel on n’avait nullement
compté d’abord, soit venu compenser le déficit des marchandises que l’on
espérait enlever aux canaux.
De là vient que l’exploitation
du chemin de fer présente un dividende annuel de 7 à 8 p. c. en laissant aux
canaux en concurrence de celui-ci environ 20 et 24 p. c., qu’ils offraient
précédemment.
Et ici je dois rectifier ce
qu’a dit hier l’honorable député de Verviers sur le produit du chemin de fer de
Liverpool à Manchester. Les données que je vais avoir l’honneur de vous
fournir, je les ai prises dans les comptes rendus authentiques du chemin de
Liverpool et des autres chemins de fer d’Angleterre. Voici ce qu’on y trouve ;
En première ligne se présente
celui de Manchester à Liverpool, dont les revenus s’élèvent de 7 à 8 p. c. par
an, et qui doit sa prospérité non pas au transport des marchandises, lesquelles
ont continué de suivre la voie des anciens canaux ; mais bien celui d’une
immense quantité de voyageurs que l’on n’avait pas soupçonné dans l’origine.
Vient ensuite le chemin de fer
de Stocton à Darlington, qui produit 6 à 7 p. c. par
an ; mais il est favorisé par une circonstance toute locale ; c’est que la
majeure partie de ses transports s’opérant sur une direction descendante, les
frais de tractions y sont presque nuls.
Cinq autres chemins, deux de
Waring and Newton, de Leycester ans Swanington, de Clarence, de Kenion
and Leig et de Bulton and Leig, produisent un intérêt annuel de 5 p. c. ; et encore ne doivent-ils ce succès modéré qu’à leur
situation particulière, comme de former la jonction de deux voies navigables,
etc. Quant aux autres chemins de fer d’Angleterre, ils sont presque tous en
pente : tels sont ceux de Chettedam, Severn and Wye,
de Forest of Dean, de Peaw Forest, dont les actions
sont tombées respectivement de
Tels sont les résultats
fournis jusqu’à ce jour par les chemins de fer d’Angleterre, dans un pays si
éminemment favorable à ce genre d’entreprise, par le bas prix, auquel y
reviennent le fer et la houille.
Il semblerait donc que l’on
dût renoncer à établir de nouveaux chemins en fer, du moins quand on les
destine à ouvrir de grandes communications commerciales.
C’est ce que les Anglais
reconnaissent eux-mêmes aujourd’hui. Ainsi quand ils se livrent à de nouvelles
constructions de chemins de fer, ils ont soin de les établir dans des
directions telles que « le transport des voyageurs y soit l’objet
principal, et celui des marchandises l’objet accessoire. »
Cette expérience, j’espère, ne
sera pas perdue pour nos délibérations présentes, et avant de jeter tant de
millions dans une entreprise de chemin de fer, qui est vraiment plus que
ridicule par sa grandeur, nous examinerons quel profit tout le pays peut en
tirer et si les localités que les divers chemins vont parcourir se distinguent
moins par l’abondance des produits du sol que par la multiplicité de leurs
relations individuelles.
La rapidité de la circulation
est dont la qualité particulière qu’ont les chemins à ornières. Mais cette
grande vitesse, on ne l’obtient qu’avec d’énormes frais en combustibles et en
matériel ; aussi ne l’applique-t-on ordinairement qu’au transport des
voyageurs, car le faible tarif dont les marchandises sont susceptibles ne
permettrait pas de tels sacrifices.
Je dois faire remarquer ici en
passant, comme on l’a déjà fait, que des expériences authentiques ont constaté
la possibilité de la navigation accélérée sur les canaux.
Une découverte non moins
importante vient d’améliorer le service des routes de terre, en y appliquant
les voitures à vapeur.
On voit par là que les
anciennes voies de transport ne resteront pas en arrière des besoins de
l’époque, et qu’elles peuvent atteindre à cette grande rapidité qui paraissait
devoir être le partage exclusif des chemins en fer.
Mais l’économie dans le prix des
transports est l’avantage inhérent aux canaux ; celui que ne peut balancer
aucune autre voie de communication, et cela se conçoit sans peine, car d’un
côté les dépenses de premier établissement d’un canal sont moindres que celles
d’un chemin en fer, et de l’autre les frais d’entretien et de traction sont de
même beaucoup moins élevés pour les canaux, où les transports se font sans
frottement et sur lesquels un cheval peut traîner jusqu’à 150 tonnes, tandis
qu’il n’en transporte que 7 à 8 sur un chemin de fer horizontal et beaucoup
moins encore dans les parties en rampe.
Au reste, l’économie n’est pas
le seul avantage qui puisse attirer les transports sur les canaux. Citons
d’abord la faculté qu’ils ont d’être également accessibles par leurs deux rives
et sur tous les points de leur parcours ; faculté précieuse pour les
expéditeurs, qui peuvent ainsi charger ou décharger leurs produits le plus près
possible du lieu de l’exploitation ou de la consommation, et qui procure à
l’agriculture l’avantage d’en profiter pour le transport des récoltes et des
engrais.
Il n’en est pas de même sur un
chemin de fer, dont l’approche doit être sévèrement défendue par des clôtures,
où tout stationnement est impraticable, et qui, composé de deux voies,
spécialement affectées aux deux sens inverses de la route, ne peut être abordé
indifféremment des deux côtés. « ces chemins, dit
un savant ingénieur de France, ressemblent à un tuyau fermé, qui communique
seulement par les deux extrémités. »
Ensuite un grand nombre de
marchandises sont frappées d’exclusion sur les chemins de fer, qui ne pourront
jamais se prêter comme les canaux au transport de toute espèce de matière.
En effet quant à la nature des
transports, la forme et les grandes dimensions des bateaux mettent les canaux
en état de recevoir toutes espèces d’objets.
Pour les chemins de fer au
contraire les dimensions étroites et uniformes des chariots ou wagons exigent
de la part des marchandises des dimensions et une uniformité analogues, en
sorte que telles ou telles denrées sont exclues d’un chemin de fer, selon le
système adopté pour ces mêmes wagons.
C’est pour ce motif que nos
cultivateurs, qui contribueront pour la plus grande part dans les dépenses, ne
pourront jamais profiter du chemin de fer, pour le transport de leurs récoltes
où de tout objet, leurs charrettes n’ayant point les dimensions du wagon qu’on
voudra y appliquer, tandis que sur un canal chaque riverain a un canot plus ou
moins grand selon ses besoins par lequel il rentre toutes ses récoltes, et
transporte tout ce qu’il désire sans devoir chercher un aide ou faire de
grandes dépenses, car un homme seul peut facilement faire marcher ces petits
canots.
Mais outre ces exclusions
particulières, qui varient selon le mode de construction de chaque chemin de
fer, il en est qui s’appliquent à tous en général et qui sont même reconnus
dans les actes de concessions de ces entreprises, comme on peut s’en assurer en
consultant le cahier des charges du chemin de fer d’Andrizieux
à Roanne ; ici, on trouvera à l’article 8 : « Toutefois, le transport
des masses indivisibles pendant plus de
Ce qui exclurait le transport
dont on a le plus besoin en Belgique, tels que des blocs de marbre et de
granit, des arbres et des masses de moulin, etc., et une quantité innombrable
d’objets encombrants, qui proviennent de l’agriculture ou qui lui sont
nécessaires, comme les pailles, les foins, les fumiers et tout ce qui entre
dans les récoltes d’une exploitation agricole… Il résulte de cette nomenclature
que les objets dont le transport est désavantageux ou même impossible aux
chemins de fer, sont très nombreux et forment la majeure partie des expéditions
du commerce agricole.
Une dernière observation en
faveur des canaux, considérés non plus uniquement comme voies de transport,
mais dans leur influence sur les localités qu’ils desservent, c’est que les
canaux donnent naissance à des desséchements, à des irrigations et à des
établissements d’usines par l’emploi de leurs chutes d’eau. Ils ne se bornent
donc pas, comme les chemins de fer, à la stérilité d’une nouvelle voie de
communication, ils assainissent encore le pays, ils font entrer de vastes
terrains dans le domaine de l’agriculture et développement une foule
d’exploitations agricoles et industrielles. Nous en aurions un exemple
frappant, si au lieu de faire la communication de l’Escaut à
Quoiqu’il y ait encore
quantité de remarques à faire en faveur des canaux, pour rendre la question
plus évidente, je comptais terminer ici. Cependant je ne peux me retenir à
faire connaître à la chambre l’opinion d’un des plus savants ingénieurs de
Voici ce qu’il dit dans un
écrit publié au mois de juillet dernier :
« Lorsqu’on résume les
écrits publiés par des ingénieurs du premier mérite, en Angleterre, en
Allemagne, en Amérique, en France, sur la comparaison des chemins de fer et des
canaux à grande canalisation dans une contrée favorable, on a peine à concevoir
qu’il soit possible d’appeler la représentation belge à délibérer sur une
question résolue en faveur des canaux à grande navigation, par les premiers
ingénieurs des nations les plus avancées en ce genre de travaux.
« Voilà donc
« L’isolement reconnu
nécessaire exigera de tenir constamment le chemin sur de très hautes digues ou
dans de profondes tranchées en construisant des ponts afin de passer au-dessus
ou au-dessous des chemins, des canaux et des cours d’eau existants ; encore ces
nombreux travaux, dont ne font pas mention MM. Simons et Deridder
dans leur mémoire, ne préviendront-ils qu’en partie les malheurs et les
interruptions inhérentes à des communications qui se croisent avec des moyens
de transports si opposés.
« Pour empêcher la nation
de jeter tant de millions, ajoute ce savant ingénieur, je me trouve réduit à
rappeler des faits que l’homme le moins instruit peut vérifier chaque jour par
lui-même.
« Au canal de Bruxelles,
la force d’un cheval traîne 150 tonneaux avec la vitesse d’une lieue à l’heure,
le bateau fait sept lieues du matin au soir en se rendant de Bruxelles à Boom.
« Au canal de Condé, le
halage par chevaux est défendu ; deux hommes traînent 12 tonneaux avec la
vitesse d’une demi-lieue à l’heure, ce qui fait, pour la force d un cheval 636
tonneaux.
«
« On voit donc,
ajoute cet ingénieur, que le chemin de fer est une absurdité sous le rapport de
l’art, et une sottise sous le rapport commercial et diplomatique… »
Nous voyons aussi que M.
l’inspecteur général Vifquain, qui certainement a un peu plus d’expérience que
ses deux beaux-fils, dans son travail critique sur le projet MM. Simons et Deridder fait observer que la voie d’eau jusqu’à Bruxelles
et Louvain est bien plus économique ; que d’Anvers à Bruxelles, à Malines, à
Louvain, les transports sont bien moins frayeux que sur le chemin de fer ;
qu’entre Bruxelles, Anvers et Louvain, le prix de transport sur le chemin de
fer serait plus élevé de beaucoup qu’il ne l’est aujourd’hui sur les canaux.
Loin de contester la
justesse des observations faites à cet égard par M. Vifquain, les auteurs du
projet disent à cet égard, pages 10 et 48 de leur réplique, « que sans
doute les canaux de Louvain, et de Bruxelles à Anvers, seront toujours préférés
pour la masse des transports, parce qu’ils offrent une voie moins coûteuse,
qu’ils n’ont compté que sur les transports de marchandises qu’on expédie
journellement entre ces villes par essieu, et sur celles que l’on peut espérer
pendant l’interruption annuelle des canaux, et qu’ils n’ont point compté
transporter de concurrence avec les canaux. »
Cette réplique n’a pas
besoin de commentaire, elle vous prouve à l’évidence combien on peut compter
sur tout ce que les ingénieurs, auteurs du chemin de fer, ont avancé dans leurs
mémoires. Ils ont commencé par établir que l’avenir commercial et industriel de
Il est difficile de se
rendre compte d’une contradiction aussi palpable.
Mais il sera encore plus
difficile de supposer que la législature belge serait assez légère et assez
imprévoyante de charger le pays de 80 à 100 millions pour l’exécution des
travaux d’une nouvelle espèce de routes sur le simple dire de deux jeunes
ingénieurs qui paraissent être aussi peu certains de ce qu’ils publient qu’au
premier choc, ils doivent faire amende honorable et reconnaître qu’ils n’ont
pas su ce qu’ils ont avancé.
Mais les adversaires des
canaux prétendent qu’on ne peut pas se servir de cette voie pendant deux mois
de l’hiver, et c’est là leur grand cheval de bataille. Ceux qui font cette
objection n’ont donc jamais vu
L’honorable député de
Verviers s’est prévalu hier de l’autorité de l’ingénieur français Cordier, pour
appuyer ses arguments en faveur du chemin en fer proposé.
Je demanderai à la
chambre la permission de tirer quelque passages d’une lettre, que ce savant
ingénieur écrivit à un de ses amis en Belgique en octobre dernier, en réponse d’une
demande qu’on lui avait faite de vouloir émettre son opinion sur le projet du
chemin de fer de l’Escaut à
« Paris, ce 2
octobre 1831.
« Monsieur,
« Vous m’avez fait
l’honneur de me demander mon opinion sur le projet de chemin de fer d’Anvers à
Liége. J’ai souhaité, avant de vous répondre, de recevoir des renseignements
certains d’Anglais fort éclairés en qui j’ai toute confiance.
« A part quelques
enthousiastes, les chemins de fer, comme grande voie commerciale, sont jugés
sévèrement et par les résultats de l’expérience.
« On a reconnu que
les dégradations sont rapides ; que les bandes de fer s’usent et se déplacent ;
que les machines locomotives ou à vapeur sont sans cesse à réparer et à
renouveler en entier dans l’année ; que les accidents y sont fréquents, et
enfin qu’on ne peut espérer un intérêt du capital que dans quelques localités
privilégiées. Un seul chemin de fer en Angleterre donne des bénéfices, si on
peut appeler bénéfice un intérêt de 7 1/4 p. c. par an. Celui de Liverpool.
« Mais il n’existe
pas dans le monde deux grandes villes aussi commerçantes, aussi peuplées, aussi
rapprochées ; ainsi le succès dans cette localité n’autorise pas à espérer
partout ailleurs les mêmes revenus.
« Il est constaté
que le transport seul du charbon et des marchandises ne paierait pas les frais
d’exploitation et d’entretien de ce chemin. Il faut en même temps plusieurs
centaines de mille voyageurs payant 6 schellings pour faire 12 lieues.
« Il est à
remarquer que l’un des deux canaux ouverts, entre Manchester et Liverpool,
quoiqu’empruntant la rivière exposée à la marée et aux chances de mer, quoique
plus long d’un tiers que le chemin de fer rend, etc. »
« Les frais
d’exploitation s’élèvent chaque année à plus de la moitié de la recette, en
sorte qu’il n’y aurait que peu ou point de revenus, si le chemin était encore
fréquenté, ce qui aurait nécessairement lieu dans toute autre localité
d’Angleterre, et, à plus forte raison, sur le continent, où les populations
sont moins riches et moins voyageuses.
« Mais avant de
discuter les dépenses certaines et les produits douteux d’un semblable projet,
il faut examiner une question dominante : par qui le chemin de fer d’Anvers à
Liége doit-il être payé ?
« Le gouvernement,
qui veut mettre à la charge des contribuables des entreprises de localités, se
montre injuste et imprévoyant ; peut-il, dans le cas présent, demander sa
quote-part de la dépense à la province du Hainaut et à
« Si le nouveau chemin
doit enrichir quelques villes, s’il doit rendre des intérêts élevés des fonds
dépensés, il faut laisser aux populations qui le réclament, aux capitalistes
confiants, la liberté entière d’exécuter à leurs frais et périls cette nouvelle
voie. Ils ont droit d’obtenir l’autorisation du gouvernement, sa protection
même, contre les oppositions puissantes et toujours actives. C’est aux autres
localités à faire en concurrence des améliorations analogues. Le public
profitera toujours de ces rivalités et choisira les voies les plus commodes et
les moins chères.
« Qui vous assure
d’ailleurs que
« Il me semble que
des affections et des intérêts réciproques et communs doivent déterminer
« Si vous consacrez
à perfectionner la navigation de
« Guillaume
mettrait moins d’obstination à fermer ou dominer l’Escaut, si le commerce par
Ostende remplaçait celui d’Anvers, et si la nouvelle ligne commerciale par la
navigation française de
« Je crois au
succès d’un chemin de fer entre Bruxelles et Anvers, entre Bruxelles et
Ostende, parce que Bruxelles est le grand centre du commerce de
« Mais je ne crois
au succès de ces chemins que dans le cas où ils seraient confiés aux soins plus
vigilants et très nécessaires des associations. Il est bien plus difficile
d’exploiter un chemin de fer qu’une filature, qu’un fabrique, qu’une ferme ; un
gouvernement est donc incapable de se charger de soins minutieux qui demandent
l’œil vigilant du maître, et ce concours des hommes les plus capables
travaillant pour eux-mêmes.
« Smith (Richesses
des nations) fait remarquer que les fonctions des personnes qui veulent servir
l’Etat gratis, tout diriger pour le compte du public, sont les plus chèrement payées,
par les fautes sans nombre, par les prodigalités.
« Exécuter un grand
chemin de fer aux frais des contribuables serait une entreprise aussi inutile
et ruineuse que la construction d’une pyramide.
« Pour
l’établissement des chemins de fer et toutes les améliorations, il faut s’en
rapporter et se confier aux associations, les encourager, les aider même, les
protéger surtout par de bonnes lois ; une prospérité générale et croissante
sera le résultat de la prévoyance des législateurs !
« Agréez, etc.
« J.
Cordier. »
Il est
cependant vrai que le même ingénieur a publié en 1829 un petit ouvrage en
faveur du nouveau système de routes, mais c’est parce qu’il s’est convaincu
depuis des grands inconvénients que présentaient les chemins de fer qu’à
présent il s’exprime si fortement contre, il fait comme font tous les
ingénieurs anglais depuis que la fièvre de fer commence à se passer.
Il
me semble donc qu’en Belgique, à quelques petites exceptions près on ne pourrait
utilement faire usage des chemins à ornières, qu’il y faut donner la préférence
aux canaux pour voies de grande communication commerciale. Qu’il serait
extrêmement léger de notre part de charger le pays de tant de millions pour des
travaux dont nous devons douter de l’utilité générale et surtout exécutée,
comme on le propose, aux frais de l’Etat.
Je voterai donc contre
le projet ; mais si on m’accorde de laisser exécuter le chemin par voie de
concession, alors je n’ai plus un mot à dire et je consens à tout.
M. Simons, commissaire du Roi. - Messieurs, si nous n’avons pas
encore demandé la parole pour combattre les objections soulevées dans cette
enceinte, contre le projet dont la défense nous est confiée, c’est parce qu’en
général la discussion s’est portée sur un terrain où notre tâche devient
extrêmement difficile.
En effet, tandis que
nous ne nous attendions à devoir soutenir ici que les détails de l’entreprise
qu’on nous propose, la possibilité de son exécution, le choix des moyens,
l’exactitude de nos calculs, l’évidence de nos prévisions, nous voyons avec
étonnement remettre en question des principes que depuis longtemps nous avions
lieu de croire adoptés.
Ce n’est point seulement
l’opportunité du projet spécial soumis à vos délibérations que quelques
orateurs croient devoir suspecter ; ils révoquent maintenant en doute la
nécessité de perfectionner de plus en plus les moyens de communications et
jusqu’au droit du gouvernement de provoquer les améliorations qu’il a reconnues
utiles. On va jusqu’à nier les avantages dont le commerce et l’industrie
indigènes jouiront par suite des facultés accordées au transit sur notre
territoire.
Ces hautes questions
d’économie politique nous semblent sortir du cercle de nos attributions ;
d’ailleurs, du sein de la représentation national des voix nombreuses
s’élèveront sans doute, pour démontrer s’il est nécessaire, la vérité des
principes sur lesquels est fondé le gouvernement.
Nous bornerons nos
premières observations relatives à la discussion générale, à la réfutation des
objections qui nous sont faites dans le rapport de l’art. Et à cet égard, nous
voyons avec regret que les diverses explications que déjà nous vous données
dans les mémoires successivement publiés, n’ont pas été pesées avec toute
l’attention que leur méritait l’importance qu’on avait attachée à ces
objections.
Mais d’abord, qu’il nous
soit permis de faire remarquer les contradictions manifestes dans lesquelles
sont tombés les orateurs qui viennent de renouveler les objections dont il
s’agit.
Le même qui, au
commencement de son discours, a nié la préférence due aux chemins de fer sur
tout autre moyen de communication, a déclaré refuser son vote à l’établissement
de la route projetée, en déclarant que l’ouverture de cette voie ruinerait les
provinces qui n’en possédaient pas encore de semblables.
En critiquant le tracé,
dirigé à travers les localités industrieuses et populeuses, qui réclament, avec
le plus d’instance, la nouvelle communication, un orateur demande, au nom de
l’industrie, qu’on établisse la route sur des bruyères incultes et désertes.
Tantôt on craint des
revenus (c’est-à-dire qu’on n’ose espérer qu’un tonnage minime), et en même
temps, on exige que le chemin de fer soit construit avec une double voie ; et
cependant, nous avons prouvé, à différentes reprises, qu’une simple voie à
ornières suffirait pour un mouvement commercial double de celui sur lequel nous
avons basé le calcul des revenus qui couvriront tous les frais d’établissement
et d’entretien de la nouvelle communication.
L’honorable M. de Puydt
a maintes fois proclamé l’urgence d’améliorer les communications existantes de
Mais lorsque nous fûmes
chargés de l’exécution des deux principaux canaux dont le Hainaut jouit
aujourd’hui, n’était-ce point pour détruire un équilibre existant alors ?
N’est-ce point toujours dans le but de diminuer les frais de transports, que
tous les perfectionnements de voies publiques se projettent et s’exécutent ?
En s’opposant à ce que
l’Etat se charge directement de la construction de la route projetée, le même
orateur a déclaré que son principal motif était d’empêcher une perturbation
désastreuse dans les conditions d’arrivage que possèdent aujourd’hui ces
différents centres de production ; mais, messieurs, quelle perturbation est-il
permis de craindre par suite d’un projet qui laisse à la législature le droit
de modifier les péages comme elle l’entendra pour l’équité, l’intérêt général
et la conservation de la bonne harmonie entre les diverses provinces ?
Nous espérons, lorsque
nous répondrons aux interpellations positives sur le projet en question ; nous
espérons, dis-je, lever tous les doutes qui existeraient encore sur l’économie
de la communication projetée, comparée aux voies existantes, ou aux autres
moyens que l’industrie essaie encore en ce moment.
Notre guide dans les
détails d’exécution, dans les dimensions des ouvrages, n’est pas une vaine
théorie ; c’est l’expérience, l’idée des conseils du plus célèbre ingénieur de
l’Angleterre, de celui qui a exécuté les chemins de Darlington, de Liverpool,
et qui construit en ce moment la grande route en fer de Londres vers l’Irlande
par Birmingham.
En ce qui concerne les
calculs des revenus, nous devons rappeler qu’ils n’ont été combattus, jusqu’à
présent, par les différentes chambres de commerce, juges naturels dans cette
question, qu’en ce sens qu’ils sont de beaucoup en dessous du mouvement réel,
et que, par conséquent, les recettes qui doivent couvrir tous les dépenses de
l’entreprise sont pleinement assurées.
Quant à nos devis, tant
pour l’établissement et l’entretien de la route que relativement aux frais
proprement dits du transport, nous espérons que dans le cours de la discussion
on nous fournira l’occasion de démontrer clairement pour chaque article de
dépense l’entière suffisance de nos prévisions.
Comparez
d’ailleurs avec nos projets, celui qu’une compagnie particulière avait rédigé
pour l’entreprise, à ses risques et périls, d’une partie de cette nouvelle
route ; comparez les travaux dont cette compagnie a reconnu la nécessité (et
dont elle avait tant intérêt à n’omettre aucun article), et les travaux que le
gouvernement propose de son côté, comparez également les ressources annoncées
et par nous et par la compagnie ; les éléments des deux projets sont
identiquement les mêmes.
Mais les résultats pour
l’économie du commerce et de l’industrie, et pour la prospérité du pays
diffèrent essentiellement… Nous sommes persuadés, messieurs, qu’entre les deux
modes d’entreprises, votre choix ne peut rester longtemps douteux.
M. Helias d’Huddeghem. - Tout ce qui intéresse la
prospérité du pays et le bonheur de ses habitants a toujours reçu un accueil
favorable dans cette assemblée ; j’espère que vous voudrez bien, messieurs,
m’accorder un moment d’attention en égard à l’influence majeure que l’objet en
discussion doit exercer sur l’avenir du pays. Le seul but que je me propose en
demandant la parole est d’appeler une discussion franche sur les difficultés et
les objections qui se présentent contre le projet dans cet examen, les
questions suivantes paraissent surtout devoir être prises en considération.
Convient-il de changer tout à coup le système actuel des routes ordinaires et
de la navigation pour former un vaste réseau d’ornières en fer qui
envelopperait
Je veut
bien admettre l’utilité des chemins de fer, je veux bien supposer que cette
utilité sera durable pour le commerce, et même pour l’impatience des voyageurs
qui parcourent le monde. Mais a-t-on bien considéré les conséquences de cette
innovation par rapport à l’agriculture, à la population, à la tranquillité
publique ?
Si l’on substitue pour
les transports, les agents mécaniques à l’emploi des hommes et des animaux,
qu’en résultera-t-il ? que beaucoup d’hommes resteront
inoccupés, et qu’on élèvera beaucoup moins de chevaux, de là moins de
ressources pour le laboureur, qui en hiver n’utilisera plus, par des charrois,
ses chevaux dont l’oisiveté dans ses écuries ne le dispensera pas de les
nourrir. De là beaucoup de contrées qui ne produisent que pour la nourriture
des animaux, et d’autres contrées n’admettant après le blé que l’avoine pour
alternat, subiront nécessairement une dépréciation telle qu’il faudra ou
changer l’assiette de la contribution foncière, ou être injuste, alternative
qui n’est pas sans de grands embarras.
On dira peut-être :
Changez votre système de culture ; cela est aisé à dire, mais à faire c’est
tout autre chose. Dans l’état de morcellement où est aujourd’hui le sol de
Les négociants,
commissionnaires expéditeurs, et les propriétaires de toutes ces belles maisons
et magasins qui avoisinent les canaux, ne pourront les laisser tomber en ruine.
Avant d’entreprendre un
si vaste projet, le gouvernement a-t-il bien examiné qu’il s’agit de contracter
un emprunt, d’abord pour l’exécution des travaux et qu’il faudra de plus des sommes
considérables pour l’entretien du chemin, pendant que les revenus de l’Etat,
des provinces et des villes seront diminués par la perte des produits des
ponts, des écluses, et des routes dont l’entretien ne restera pas moins à la
charge de l’Etat. A Louvain, par exemple, on reçoit chaque année pour droit de
canal environ 35,000 fr. Dans
Ces deux provinces ainsi
que les villes que les différents canaux traversent, sont tenus d’entretenir
les digues, les ponts et les écluses, de réparer les talus, les quais et le
pilotage pour l’entretien des canaux, de subvenir aux gages des éclusiers
privés de leurs revenu ; qui subviendra à cette dépense, laquelle maintenant se
compense avec le produit des ponts et des écluses ?
Il en sera de même des
routes ordinaires qui ne rapporteront pas assez pour leur entretien.
Le système qu’on veut
introduire, doit encore être préjudiciable à un grand nombre d’industries et de
métiers. En supposant que d’Anvers à Cologne, il y ait cinq à six cents
voitures, voilà donc l’existence compromise de cinq à six cents voituriers et
celle de leur famille ; ajoutez-y les aubergistes, maréchaux, charrons,
selliers, etc.
On ne peut donc nier de
bonne foi que les chemins de fer, excluant l’emploi de beaucoup d’hommes, en
laisseront un grand nombre inoccupés et livrés par là même à la corruptrice
influence de l’oisiveté et de la misère réunies : combinaison effrayante pour
qui connaît les hommes.
Aurons-nous comme les
Anglais une taxe de pauvres ? Elle serait insupportable au taux où se sont
élevées les contributions ; en Angleterre les fonds de terre paient moins qu’en
Belgique, et le commerce bien établi dans toutes les parties habitées du globe,
offre des ressources qui nous manquent ; cependant les économistes anglais
s’inquiètent de voir la partie secourue s’accroître d’une manière effrayante
tous les ans, les progrès du paupérisme sous le règne d’Elisabeth ont d’abord
été fort lents, mal le mal s’est développé avec l’abus des dépenses publiques,
et la taxe des pauvres qui, au milieu du siècle dernier, ne se montait qu’à
environ seize millions de notre monnaie, s’élève maintenant à plus de cent
cinquante millions !
Il est un autre point de
vue qui sans doute a échappé jusqu’à ce jour aux économistes ; c’est le rapport
de la consommation du fer avec les moyens de l’obtenir. Ceci est grave et
mérite les plus sérieuses réflexions.
Voici l’opinion de M.
Rochet, maître de forges, dans un mémoire sur les routes en fer communiqué à
l’académie d’industrie agricole et manufacturière de Paris :
« C’est une vérité
devenue triviale, que le fer est le premier instrument de la civilisation ;
qu’en multipliant les moyens de pourvoir facilement à tous les besoins, il a
donné des loisirs qui ont développé l’intelligence humaine. Il n’est pas moins
évident que c’est à cet état que les peuples doivent les armes qui protègent
leur indépendance politique. D’où il suit qu’en épuisant sans nécessité ses
mines de fer, un peuple compromet sa nationalité.
« Or, nos mines de
fer sont, pour les neuf dixièmes, des mines d’alluvion qui ne se régénèrent
pas. Depuis plus de soixante ans j’entends dire que les minerais s’épuisent,
qu’il faut recourir aux anciens travaux, pour y prendre ce que nos pères ont
dédaigné.
« Si donc nous
abusons de nos ressources, si notre prodigalité réduit nos enfants à demander à
« Ce qu’on donne
aux trop nombreuses superfluités du présent, on le dérobe à la nécessité de
l’avenir.
« Il ne faut pas
s’abuser sur l’exemple des Anglais, dans l’emploi étendu qu’il font du fer.
Leur position diffère essentiellement de la nôtre. Par un traité, ils ont
exclusivement les excellents fers de Roslagie. »
Examinons maintenant si
l’Etat doit faire la dépense ou contracter des emprunts de plusieurs millions
pour une entreprise qui peut être bientôt sera dépassée par des inventions plus
récentes.
Une commission choisie
dans le sein de la chambre des communes a été chargée non seulement de proposer
les bases d’un nouveau tarif pour le péage des voitures à vapeur sur les
routes, mais encore de faire une enquête générale sur l’état actuel des
communications par terre, au moyen des voitures de toute espèce, afin
d’éclairer la chambre sur les avantages positifs que le nouveau mode de
transport à la vapeur, sur les routes ordinaires, offrirait au pays. Dans le
rapport de la commission d’enquête de la chambre des communes, fait en octobre
1831, on trouve énoncée l’opinion formelle que déjà l’art de construire des
voitures mues par la vapeur, ou par d’autres moyens mécaniques, sur les routes
ordinaires, avait fait assez de progrès, et avait été mis en pratique avec assez
de succès pour justifier l’approbation que le gouvernement accordait à ce
nouveau mode de transport. Suivant la commission, la substitution des moteurs
inanimés aux moteurs vivants, sur toutes les routes, devait être considérée
comme une amélioration immense dans les moyens de communication intérieure,
amélioration qui doit finir par être générale, malgré la lenteur que les
préjugés et les intérêts contraires pourront lui opposer. Je crois que ce
rapport répond amplement à la note qui vous a été remise hier sur les voitures
à vapeur destinées aux transports sur les routes ordinaires par MM. Simons et Deridder.
En conséquence, les
mécaniciens les plus habiles de l’Angleterre se sont occupés de construire des
voitures de ce genre.
On peut considérer, dès
à présent, le système des voitures à vapeur sur les routes ordinaires comme
étant en usage en Angleterre. M. Gordon a publié un traité sur cet objet
important, où il prouve qu’on doit préférer les routes ordinaires aux chemins
en fer ; il conclut par démontrer la supériorité des voitures à vapeur,
appropriées aux routes existantes, à tout autre mode de transport ou de
communication. On a senti, en Angleterre, toute l’importance d’une pareille
invention : en conséquence, plusieurs habiles mécaniciens ont rivalisé de zèle
et de talent pour la construction des voitures à vapeur qui eussent toutes les
qualités requises pour rouler sur les chemins ordinaires.
Un premier essai, fait
sur une grande échelle, a été celui de MM. Ogle et Summers, lequel a été rapporté dans le Courrier anglais du 7
septembre 1832, qui s’exprime ainsi : « Enfin, le désir du public de voir
la vapeur appliquée aux voitures roulantes sur nos grands chemins vient d’être
accompli. Lundi matin, la nouvelle voiture à vapeur de MM. Ogle
et Summers est partie d’Oxford avec vingt-deux
passagers et une grande quantité de bagage, conduite par M. Ogle,
assisté de son associé. »
Cette voiture est enfin
arrivée de Southampton à Oxfortd, en traversant un
pays où il y avait de grandes difficultés à surmonter, à cause des mauvais
chemins, et malgré les sinuosités de Sheptone. Elle a
toujours roulé sans la moindre apparence de danger.
« Lettre adressée à
l’éditeur du Morning Post. »
« Stratfort, 3 mai 1833.
« Il y a plus de
six ans que j’ai commencé mes expériences de voitures locomotives par la
vapeur, et j’ai poursuivi l’objet que j’avais en vue avec autant de zèle que de
persévérance. Depuis quinze ans, j’ai fait rouler un omnibus par la vapeur sur
la route de Paddington à Londres. Afin de constater
le résultat de mes expériences, et d’éclairer la presse et le public, je vous
envoie le rapport des courses de chaque jour faites par cet omnibus, si vous le
croyez d’une assez haute importance pour l’insérer dans vos colonnes. Comme le
public a été témoin des courses de cette voiture, soit dans les rues les plus
peuplées et encombrées de monde, soit sur les routes les plus montueuses, dans
les environs de la capitale, je suis persuadé que j’ai démontré la possibilité
(practicability) d’appliquer la vapeur, d’une manière
économique, aux transports par terre dans l’intérieur du pays. »
(Note du webmaster : le Moniteur publie ensuite la liste des courses
effectuées par ladite machine, du 22 avril 1833 au 3 mai 1834, liste non
reprise dans la présente version numérisée.)
« Le Globe, du 6
mai 1833, qui publie ce tableau, assure que c’est un rapport exact des courses
faites par la voiture locomotrice par la vapeur, et que la quantité moyenne de
coke, qui a été consommée chaque jour, est de trois boisseaux (bushels) anglais.
« Signé, H.
Hancock. »
Ces essais, qui ont
entièrement réussi, ont résolu le problème de l’emploi qu’on peut faire des
voitures à vapeur sur les chemins ordinaires, c’est-à-dire sans la construction
si dispendieuse des chemins de fer ; ce qui est un grand avantage, et donnera
une plus grande facilité à se servir de ce mode de transport, à la fois
économique et accéléré, attendu que l’établissement des routes en fer et leurs
différents embranchements, auraient toujours été un grand obstacle qui n’aurait
pas permis à tout le inonde de faire une pareille entreprise.
Le Courrier anglais et le Globe,
dans leurs derniers numéros, rapportent que sir Charles Dame, savant
mécanicien, a fait construire des diligences à vapeur, destinées à parcourir
les routes ordinaires. Après avoir établi ses voitures entre Londres et Brigton, il en a fait l’expérience sur la
roule très fréquentée de cette capitale à Greenwich. La diligence à vapeur de
Dame part trois fois par jour pour se rendre de Londres à Greenwich, et retient,
après une courte halte dans cette dernière ville. La longueur totale parcourue
dans la journée, s’élève à 250 milles, ce qui fait 10 milles l’heure, en y
comprenant le temps des haltes dans les diverses stations. Ainsi, messieurs,
l’on reconnaît aujourd’hui la supériorité des voitures locomotrices à vapeur
sur les routes ordinaires.
Ce sont les partisans
des routes en fer qui se jettent dans les voies rétrogrades.
Enfin, messieurs, dans la
supposition que le système du projet obtienne votre assentiment, l’exécution
doit en être laissée à la concurrence au moyen des concessions. Si la loi
rencontre de l’opposition, c’est surtout à cause que le projet s’écartant des
vrais intérêts d’économie politique, propose de faire exécuter le chemin en fer
sur les fonds du budget, ou sur un emprunt garanti par la nation. On commence à
comprendre généralement les grands avantages qu’une nation peut retirer pour
des entreprises d’utilité publique, de la réunion des intérêts et des capitaux
d’un grand nombre de citoyens ; avant que l’Angleterre adoptât le système des
concessions, ce système avait été créé en France.
Depuis que le corps des
ponts et chaussées dirige exclusivement tous les travaux publics, le système
large des concessions a été abandonné en France. L’Angleterre en s’emparant
d’une institution dont
Les succès obtenus en
Angleterre par le système des concessions excitent l’admiration de tous ceux
qui visitent les beaux ouvrages construits par des particuliers ou des
associations. En un demi-siècle le public encouragé par ces institutions, a
formé huit cents associations pour canaux, routes, docks, ponts, etc., d’un
capital de plusieurs milliards ; en moins de trente ans, les revenus des
particuliers ont augmente de deux milliards deux cents cinquante millions.
Toutes les améliorations jugées utiles par les particuliers ou les compagnies
sont exécutées rapidement, et toujours bien entretenues.
L’emploi des moyens, la
promptitude dans l’exécution est la vie des entreprises industrielles ; elles
languissent et meurent si aux difficultés naturelles qu’elles ont à surmonter,
il s’en joint d’artificielles ; et si elles ont à vaincre l’incurie, et
quelquefois l’intérêt contraire des agents du pouvoir, les capitalistes
répugnent à engager leurs fonds dans des entreprises où l’autorité peut
intervenir à chaque instant. En Angleterre, ces inconvénients ne sont pas à
craindre.
Pour qu’une société
d’actionnaire puisse construire une route nouvelle ou faire passer un canal
dans la direction et sur les niveaux qui conviennent à l’eau, et pour qu’en
même temps elle puisse vaincre la résistance qu’opposeraient certains
propriétaires, il faut un acte de l’autorité souveraine. C’est le parlement qui
statue par une loi qu’un canal de telle dimension passera dans tels et tels
endroits. La loi rendue, les droits de la compagnie sont
acquis c’est une propriété, et nulle part même l’administration ne peut
l’inquiéter dans la jouissance qui pour l’ordinaire est concédée à perpétuité.
Les estimations des terrains, les indemnités qu’il faudra que la compagnie
débourse, sont réglées par des arbitres à la nomination desquels le
gouvernement n’a aucune part. Tout se passe entre particuliers ; les
contestations sont jugées par des juges de paix et en dernier ressort par les
tribunaux. Jamais rien n’est décidé administrativement, de sorte que nulle des
parties ne redoute les effets d’aucune volonté arbitraire. La loi et les juges,
voilà par qui l’on est gouverné. Toute réclamation, même de la part des gens en
place et des autorités constituées, est jugée de la même manière ; le prétexte
de l’intérêt public ne suffit point pour suspendre ou changer le cours des
travaux entrepris en vertu d’une loi. Voilà, messieurs, des exemptes à suivre.
Propageons aussi l’esprit d’association et, à cet effet, changeons la
législation des travaux publics ; et, pour fondement, établissons une loi de
concession basée sur les principes larges admis en Angleterre. Je terminerai
ici mes observations en me réservant toutefois de rencontrer les objections
nouvelles qui se présenteront contre le système de concessions.
(Moniteur belge n°73, du 14 mars 1834) M.
Davignon. - Messieurs, le congrès national avait pour premier
devoir de satisfaire aux intérêts moraux et politiques ; il a doté
Autour de nous
messieurs, tout est en voie de progrès ; dans le mouvement qui s’annonce de
toutes parts, rester en arrière, c’est se constituer volontairement dans un
état d’infériorité vis-à-vis des autres peuples.
Faisons donc en sorte
que cette prospérité du pays ne soit pas pour nous un songe du passé. Il est
temps de s’occuper à fonder son avenir, et de chercher à effacer la teinte
sombre sous laquelle on a pu croire pendant quelque temps qu’il se présentait.
J’en appelle aux hommes généreux de toutes les opinions de toutes les
localités. Si nous voulons réellement être une nation, et une nation
indépendante, est-il un autre moyen pour un peuple peu nombreux, mais brave,
mais actif, intelligent, laborieux ; est-il un autre moyen, dis-je, d’y
parvenir que par l’union en un seul faisceau, par une volonté ferme et sincère
de concourir tous au même but. L’influence des communications publiques sur la
civilisation, la richesse des Etats, sur le bonheur général et particulier, est
maintenant une vérité incontestable.
Ce ne peut être avec le
sentiment d’une véritable conviction que l’on vient nous dire que tout est
bien, que notre situation est satisfaisante, prospère même, que des changements
sont donc inutiles pour le moment ; que celui qui vous est proposé sera
onéreux, ruineux même.
Messieurs, il ne faut
qu’un peu d’expérience pour reconnaître que la situation commerciale d’un pays
change par l’effet seul de causes extérieures. Ces variations sont souvent
produites par des événements politiques, par des changements dans le système
commercial des autres Etats, et surtout par les nouvelles communications qui
s’établissent chez eux.
C’est donc un impérieux
devoir de se mettre à l’abri de ces secousses, dès que le moyen s’en présente.
Notre position
topographique toute spéciale nous impose l’obligation de nous tenir au niveau
des nations voisines sous le rapport des améliorations et perfectionnements
dans tout ce qui touche au commerce et à l’industrie.
Vous savez ce qui se
passe dans
Aux Etats-Unis
d’Amérique, 28 de ces routes sont existantes ou en construction ; elles
parcourent au-delà de 500 lieues. Ce nombre sera doublé sous peu de temps au
moyen des nouvelles concessions accordées récemment par la législature de ce
pays.
Il est à remarquer que
les divers Etats de l’union et même le pouvoir fédéral interviennent souvent
dans ces travaux par des subventions dans le but de ne pas laisser soustraire à
leur direction ou surveillance ces puissants agents de civilisation.
En Allemagne on va unir
par ce même mode l’Elbe, le Weser et le Rhin.
Il existe plusieurs
chemins de fer en Autriche ; ils seront multipliés sous peu, divers projets
sont présentés.
En France 500 mille
francs ont été votes pour les études préalables ; les journaux des derniers
jours nous annoncent que les ingénieurs chargés des études des chemins de fer
que l’on se propose d’établir sur plusieurs points de
On n’en est donc plus à
faire des essais ; les grands projets de canalisation, dont il est désormais
inutile de faire ressortir les inconvénients, ont fait place à ceux des routes
en fer.
Assuré que ce n’est plus
en novice que l’on s’engagera dans cette carrière, on peut, malgré l’opinion
contraire émise hier par un honorable orateur, laisser de côté l’invention et
l’application des voitures à vapeur sur les routes ordinaires, et se borner à
suivre, en curieux seulement, les essais, qui paraissent devoir rester encore
longtemps incertains, des Gurney, des Hankock, des Mascerone et même du
mécanicien espagnol.
Le gouvernement a donc
agi dans l’intérêt général du pays en vous faisant, d’accord avec la section
centrale, dont j’ai eu l’honneur de faire partie, la proposition maintenant
soumise à votre examen.
Tout nous en fait
espérer les plus heureux résultats ; car s’il est vrai de dire que la
consommation augmente avec le bon marché et la bonne qualité des produits,
jamais ce principe n’a trouvé une plus juste application que dans
l’amélioration des moyens de communications.
Pour ne vous citer que
des faits à ma connaissance, je vous dirai que les bateaux à vapeur établis sur
le Rhin, le railway de Manchester à Liverpool, les diligences établies dans
plusieurs localités, prouvent que lorsqu’on augmente la vitesse et la
régularité des transports sur une ligne qui donne lieu à la fréquentation, la
circulation décuple presque toujours en quelques années. Ce résultat est bien
plus certain encore, lorsqu’à ces avantages on peut ajouter celui d’une
diminution des prix. Mais l’histoire de tous les temps nous démontre que des
changements de cette nature ne peuvent s’opérer sans exciter des plaintes et
des réclamations.
C’est ainsi que
lorsqu’il fut question des bateaux à vapeur, l’alarme se répandit sur toute la
ligne du Rhin. C’était un véritable fléau, c’était la ruine des bateliers, des
voituriers, des maîtres de postes, des loueurs de voitures, des aubergistes
enfin. Tous, comme l’honorable orateur qui m’a précédé paraît croire que cela
aura lieu bientôt chez nous, adressèrent leurs plaintes et leurs protestations
à Berlin.
Vers cette époque, le
roi vint visiter les provinces rhénanes ; quelques hommes clairvoyants et
énergiques, se mettant au-dessus des clameurs, osèrent faire comprendre que les
besoins du temps ne peuvent être satisfaits qu’avec les moyens que le temps
présente ; qu’il faut donc suivre ses progrès.
La navigation à vapeur
s’établir. Chaque année a vu s’accroître les profits de ses actionnaires dans
une progression toujours croissante. Et chose remarquable ! les
bateliers continuent à sillonner le fleuve, les voituriers ne se plaignent pas,
les maîtres de postes ont dû augmenter le nombre de leurs chevaux, les loueurs
de voitures sont devenus plus exigeants, et jamais enfin les aubergistes n’ont
eu autant à faire.
Dans les derniers neuf
mois de 1833, décembre compris, les bateaux à vapeur sur le Rhin, de Cologne à
Mayence, ont transporté 80 mille voyageurs, indépendamment des diligences d’eau
et des voitures publiques qui, entre Cologne et Bonn seulement, ont 10 départs,
aller et revenir par jour.
Lors de l’établissement
des bateaux à vapeur d’Anvers à Rotterdam, on crut le service des diligences
par terre désormais à peu près inutile. C’était encore une industrie ruinée.
Les bateaux prirent beaucoup de marchandises et de voyageurs ; mais leur
accroissement fut tel, qu’indépendamment des bateaux à vapeur, un seul service
de diligence par jour ne suffisant plus, on dût établir un second départ.
Pareille progression se
montre sur la route de Liverpool à Manchester ; elle n’a d’abord rendu à ses
actionnaires qu’environ 4 p. c. pour le premier semestre de 1833, il a été
délivré à chaque action de 2,500 fr. un dividende de fr. 105-25 ; ce qui représente
un intérêt de plus de 8 p. c. Ceci indépendamment d’une progression de dépenses
auxquelles les concessionnaires sont engagés par les limites fixées aux revenus
de la route par l’acte de concession.
Les effets de la
multiplicité, de la concurrence des voitures publiques sont trop connus pour
que je vous en entretienne. Permettez-moi, messieurs, la citation d’un seul
fait ; Il n’y a pas très longtemps que le service de Verviers à Liége se
faisait par une seul diligence, et elle suffisait. Une
nouvelle communication a été ouverte ; depuis, il y a 6 ou 7 départs par jour,
et il n’est pas rare de voir rentrer ces voitures chargées de voyageurs
beaucoup au-delà du complet.
L’utilité de la route
projetée ne peut être contestée que par ceux qui se laisseraient aveugler par
des préoccupations qui ne sont pas toujours justes, ou par des craintes, dont
l’événement prouvera, j’espère, l’exagération, que certaines localités ne
pourraient participer à ses avantages.
Vous allez, nous dit-on,
imposer une charge énorme au pays, qui déjà est prêt de succomber sous le poids
de celles existantes. Mais sont-ils donc perdus ces millions contre lesquels on
se récrie tant, et qui seront employés au paiement des travaux projetés ? outre que les produits de la route doivent couvrir les
intérêts et frais, par un écu ne sortira du pays. Cette somme va se subdiviser
à l’infini, circuler dans toutes les classes, depuis le grand industriel
jusqu’au petit boutiquier ; depuis les sommités financières jusqu’au dernier
des ouvriers.
Si, ce que je suis loin
d’admettre, le trésor public devait intervenir pour quelque chose, cette
dépense, qui ne pourrait être que temporaire, ne serait-elle pas abondamment
compensée par le développement de commerce et de civilisation qu’acquièrent les
parties du pays que ces routes traversent, par la plus-value que gagnent les
propriétés avoisinantes, qui en est toujours la conséquence, du revenu de
l’impôt foncier, et des impôts sur la production et la consommation.
M. Ch. Dupin, parlant du
canal qui avait été projeté du Havre à Hambourg, avant que les avantages des
routes en fer ne fussent bien connus, s’exprime en ces termes :
« 210 millions de
francs est la somme totale évaluée pour l’exécution complète de cette nouvelle
communication, en exceptant la dépense des bassins et des entrepôts. Cette
somme est égale au simple dixième de plus-value pour une lieue à droite et à
gauche du territoire que traverserait la voie projetée.
« Les
propriétaires, les manufacturiers riverains trouveraient plus qu’il ne faut
pour former cette entreprise dans la simple plus-value de leurs maisons, de
leurs ateliers, de leurs biens, et le revenu du canal serait un bénéfice
absolu. L’augmentation de la propriété foncière et les progrès du commerce
résultant de l’économie que produirait ce nouveau moyen de transport, cette
facile communication, accroîtrait nécessairement le revenu du fisc. »
Un honorable membre a
parlé de la route de
Ce ne peut être
sérieusement, je pense, qu’un honorable préopinant a critiqué le tracé actuel :
d’après le premier plan, nous dit-il, la dépense aurait été moindre de près de
moitié ; mais en admettant gratuitement la réalité de cette assertion, il sera
permis de demander quels auraient été les produits. Or, en passant en revue,
sans prévention, la ligne que la route aura traversée, on sera forcé de
convenir qu’ils auraient été bien exigus. La réponse sera plus facile encore,
si on demande quels avantages cette voie aurait procurés au commerce intérieur.
C’est alors qu’on aurait pu dire avec beaucoup de justice que cette création
d’une espèce toute nouvelle était faite en faveur d’une seule ville.
Enfin, messieurs, ce
n’est pas le moindre inconvénient, on se rapprochait de toute la ligne du
territoire hollandais ; à Visé, le passage de
Mais il est d’une saine
politique dans un cas aussi grave, de se mettre à l’abri des éventualité les
plus éloignées.
Le même orateur, tout en
reconnaissance que nous étions ici les représentants du pays et non ceux de
district ou localités particuliers, a fait beaucoup d’effets pour démontrer que
la route proposée causera un notable préjudice au Hainaut. Mais, messieurs, le
projet détermine un embranchement vers la frontière de France par la province
du Hainaut, celui-ci n’est donc, ni lésée, ni mise en oubli.
Que l’honorable membre
se rassure ; on ne veut pas de privilèges pour les houilles et charbons des
exploitations de Liége, mais on demande que ces produits puissent prendre part
à la consommation de l’intérieur du pays, avec les mêmes avantages que ceux de
Mons et Charleroy, qui jusqu’à présent en ont eu la fourniture exclusive.
Tous les faits allégués
se résument par ce peu de mots : Mons et Charleroy, indépendamment de leur
écoulement considérable en France, ont été de tout temps en possession de
fournir à Gand, Bruxelles, Anvers et leurs alentours ; c’est une haute, une
criante injustice d’accorder aux exploitants de Liége, que la révolution a
privés de leur unique débouché, de leur accorder, dis-je, les moyens de venir
prendre part à cette consommation. Cependant mon honorable collègue l’a dit
lui-même dans une récente occasion : c’est l’intérêt des consommateurs qu’il
faut considérer.
L’utilité de la nouvelle
route étant bien démontrée, on arrive naturellement au mode d’exécution ; ceci
sera traité plus particulièrement lors de la discussion des articles, je me
restreindrai dans quelques considérations générales.
Le cas présent (on ne
doit pas le perdre de vue) diffère absolument de tout ce qui existe chez nos
voisins ; on ne peut traiter la chose par analogie de position. Ce n’est pas
ici l’intérêt d’une, ni même de quelques localités, c’est l’intérêt de tout le
pays mis en question ; c’est une ligne de communication générale qu’il s’agit
de créer. Cette ligne doit rester entière, elle est indivisible, une partie se
rattache essentiellement à l’autre.
Un chemin de fer qui, en
unissant la mer au Rhin embrassera toutes les communications du royaume doit
être un monument national. Il ne peut, il ne doit pas être l’œuvre de l’intérêt
privé. Si la centralisation peut avoir des effets utiles, c’est surtout
lorsqu’il s’agit de grands travaux pour l’exécution desquels il faut une
volonté ferme, un plan arrêté d’avance, une imputation unitaire. Dans cette
question, la première chose à considérer est le besoin de nous affranchir de la
dépendance de
Cet événement doit
exercer une grande influence sur la question de la libre navigation de l’Escaut
qui se traite à Londres. Nous associons à notre cause l’Angleterre,
L’arrangement de nos
affaires politiques ne peut enfin qu’en recevoir une salutaire impulsion.
Ce n’est pas non plus
sans motif que l’on considère cet établissement comme un puissant auxiliaire
dans nos négociations commerciales avec
On ne pourrait, sans
inconvénient, donner de plus amples développements à ces arguments, qui
suffiraient presque seuls pour déterminer le mode d’exécution par le
gouvernement ; en usant toutefois des précautions et réserves qui sont l’objet
d’un article spécial dans le projet et qui pourront être fortifiées, si la
nécessité en est reconnue.
Le mode de concession
particulière n’assurerait pas aux intérêts industriels du royaume tous les
avantages qu’ils doivent attendre de communications nouvelles. Si même les
conditions de la concession, sans intervention de l’Etat, étaient assez
modérées pour satisfaire rigoureusement aux besoins actuels, elles ne
présenteraient pas assez de garanties pour les exigences futures de notre
commerce.
Les concessionnaires
établissent leurs conditions sur les probabilités les plus défavorables. Ils
comptent sur la possibilité de découvertes nouvelles ou d’améliorations qui
pourraient survenir dans les voies de communication ; de là une fixation de
péages, qui fait que l’entreprise
n’atteint pas complètement le but proposé, tandis que l’Etat est engagé pour un
temps plus ou moins long, peut-être même à perpétuité ; si donc le gouvernement
ne peut se soustraire aux chances les plus désavantageuses, mieux vaut adopter
le mode qui n’exclut pas celle de la bonne fortune, et qui ne l’expose pas,
comme cela a déjà eu lieu, à la nécessité de faire de grands sacrifices pour
obtenir la résiliation d’un contrat dont les effets sont de porter à l’intérêt
général un préjudice personnel qui se renouvelle et s’augmente tous les jours.
Un honorable orateur,
zélé partisan des concessions, prétend que la jalousie d’entrepreneur, l’esprit
de monopole se sont emparés du gouvernement. Je ne sais trop si ces reproches
ne pourraient pas être renvoyés à une autre adresse. Il exprime du reste des
regrets qui ne seront pas partagés par tout le monde.
« Sans cette
jalouse opposition, dit-il, depuis trois années nous posséderions une partie de
cette route en fer qu’on est encore réduit à discuter maintenant. L’esprit d’association
nous ferait déjà rouler en locomotives d’Anvers à Bruxelles. »
C’est vrai, messieurs,
mais cette jouissance, qui, j’espère, ne sera pas longtemps différée coûterait
un peu cher, et je pense que le public ne se plaindra pas du retard qu’il éprouve,
lorsqu’il saura que d’après le projet actuel les frais de transport entre
Anvers et Bruxelles s’élèveraient, droit de halage compris, à peine à 3 fr. par
tonneau au lieu de 8 fr. 50 c. à 16 fr. 90 c. (4 à 8 florins) que la compagnie
demande.
Il résulte en outre du
texte de l’article 7 du cahier des charges proposé que la compagnie
concessionnaire aurait ensuite le privilège d’effectuer ces transports dans
toute l’étendue de sa concession, soit vers Anvers, soit vers Bruxelles, et en
conséquence les convois expédiés du pays de Liége, pour l’une ou l’autre de ces
villes, auraient été, à partir de Malines, entièrement soumis au monopole des
transports de concessionnaires.
Il n’y avait en outre
impossibilité de forcer ces derniers de réduire leur tarif lorsqu’une fois ils
en auraient obtenu l’octroi ; et ce tarif s’élevait de 20 à 40 c. par tonneau
et par kilomètres, y compris les frais de transport, tandis que 4 à 6 c. sont
reconnus suffisants dans le projet du gouvernement. On voit qu’il y a de la
marge.
On nous préconise sans
cesse le système suivi en Angleterre ; mais là, messieurs, il y a surabondance
de capitaux qui cherchent un placement ; l’esprit d’association s’y est
développé depuis longtemps dans sa véritable acception et il ne serait pas
difficile d’en assigner les causes ; la principale provient de l’impulsion
donnée par une aristocratie prodigieusement riche et toute-puissante. Outre
l’attrait des dividendes, ces grands propriétaires ont eu pour but et aussi
pour résultat d’augmenter considérablement la valeur de leurs biens-fonds ou de
leurs exploitations de mines. Lors même que l’entreprise ne couvre que
l’intérêt des capitaux, elle est d’ordinaire pour eux une source de richesses.
C’est cette considération qui a donné l’existence au premier canal navigable
établi en Angleterre en 1758, par le duc de Bridgewater.
On sait que cette
entreprise a été le prélude d’une quantité d’autres du même genre, qui ont
donné et donnent encore à leurs actionnaires des bénéfices que l’on peut
qualifier d’immodérés, leurs actions ayant acquis un surcroît de valeur
extraordinaire. Pour la plupart de ces entreprises, cette valeur à plus que
décuplé ; du reste l’industrie est régie en Angleterre par une législation fort
libérale. Sous certains rapports le gouvernement a pu laisser faire pour me
servir du mot convenu ; mais on se tromperait si, comme on voudrait vous le
faire croire, on admettait que cette règle est sans exception. Entre autres
ouvrages exécutés entièrement par le gouvernement, on peut citer la route d’Irlande,
le canal calédonien, le canal royal militaire ; et remarquez-le bien,
messieurs, c’étaient des créations d’intérêt général. En France le système des
concessions particulières avait prévalu : actuellement on n’y est plus d’accord
sur le mode d’exécution. Les uns prétendent qu’elle doit appartenir à l’Etat ;
les autres sont d’avis, au contraire, que ce sont les compagnies qui doivent
exécuter ; mais, notez-le bien, avec les subsides du gouvernement.
Il résulte de là que
l’opinion la plus prononcée est que toute grande entreprise de travaux publics
est bien difficile, si pas impossible, si elle est abandonnée aux seules
ressources de l’intérêt privé.
La doctrine du laisser
faire peut être bonne pour l’industrie particulière, encore sous certaine réserve
; dans les travaux publics elle n’est très souvent que d’une application
improductive.
L’esprit d’association,
mot bien sonore, qu’on prône tant, et qui souvent n’est mis en avant que par
l’égoïsme de l’intérêt particulier, couvert du voile de l’intérêt général, ne
s’est montré jusqu’à présent, et ne paraîtra, je le crains de longtemps, que
dans les discours et dans les livres.
Nous pouvons attendre
encore avant d’en voir les effets, et dans le cas présent, messieurs, la
question de temps est l’une des plus importantes, on pourrait même dire, la
plus décisive.
Nous sommes un Etat
naissant qui se constitue ; il sera glorieux pour nous de prouver qu’à son
aurore il a des éléments de durée.
Nos rapports politique
et commerciaux avec nos voisins sont à établir.
Nous avons à assurer la
libre navigation de l’Escaut.
Nous devons prendre des
mesures pour éviter les suites d’une interruption, ne fût-elle-même que
momentanée.
Nous devons chercher à
nous mettre à l’abri des entraves que ne manqueront pas de nous susciter les
Hollandais dans l’usage des canaux intérieurs, bien qu’il nous soit garanti par
le traité.
Nous devons nous mettre
en rapport direct avec l’Allemagne et recourir au seul moyen qui se présente de
lutter avec avantage contre la concurrence hollandaise.
Il faut saisir avec
empressement l’occasion peut-être unique qui s’offre de libérer en tout ou en
partie notre commerce, les produits de notre industrie, même des matières
premières, de l’onéreux fardeau du droit de transit.
Il résulte de documents
semi-officiels que
En
résumé, messieurs, des motifs politiques et commerciaux doivent exercer une
grande influence sur la décision que nous allons prendre. Quant à moi, après
les avoir envisagé sous toutes leurs faces, après les plus scrupuleuses
investigations, je n’ai pu hésiter un instant.
Si, comme il y a lieu de
l’espérer, le projet est adopté, je m’estimerai heureux d’avoir eu l’honneur,
dans une circonstance comme celle-ci, d’être mandataire du pays, pour coopérer
par mon vote à une vaste entreprise qui sera pour l’avenir un immense bienfait.
J’ai dit.
M. Dumortier. - Messieurs
; j’ai eu l’honneur de déposer hier sur les bureau des
questions que j’ai adressées à M. le ministre et qui me paraissent dominer
toute la discussion. Je m’attendais à ce que le ministère commençât par y
répondre. L’honorable M. de Puydt a également remis des questions d’une haute
importance ; le ministère n’y a pas non plus répondu. Je demande que le
ministre veille bien à l’ouverture de la séance de demain ou à cette séance
même, répondre à ces diverses questions ; car sans cela, il est impossible à
plusieurs de mes honorables amis et à moi de prendre par à la discussion.
M.
le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Messieurs, jusqu’à
présent, il n’a pas paru au ministère (et la chambre a semblé partager cette
opinion) qu’il fût nécessaire de répondre aux questions qui lui ont été
adressées par MM. Dumortier et de Puydt à l’ouverture de la dernière séance. La
chambre n’a pas manqué d’orateurs qui aient défendu ou attaqué le projet ; le
ministère n’a donc pas cru, ainsi que le pense l’honorable M. Dumortier, que
les questions qu’il a bien voulu nous adresser dominassent toute la discussion
; aussi n’a-t-il pas cru devoir y répondre jusqu’à présent. Ces questions n’ont
pas dans notre opinion la portée qu’on voudrait leur donner, nous les
considérons comme de simples objections auxquelles nous répondrons en temps et
lieu dans le cours de la discussion ; mais nous ne voyons pas qu’elles dominent
la question à tel point qu’elles doivent amener les orateurs inscrits pour ou contre
le projet.
Dans tous les cas, le
gouvernement aurait une fin de non-recevoir à opposer à ces questions. Il
pourrait dire que la route en fer doit être construite, alors même qu’elle ne
serait pas continuée en un pays voisin. Le gouvernement n’a compté dans son
évaluation que le mouvement actuel du commerce et de l’industrie. C’est à ces
calculs qu’il faudrait se rapporter ; il faudrait établir qu’ils sont exagérés,
qu’ils sont inexacts, alors on ne nous verrait pas garder le silence ; mais
tant qu’on se bornera à des attaques générales ; tant qu’on viendra répéter
sans preuve que le gouvernement veut grever le pays d’une charge de 50, 60, 100
millions, sans établir que les devis sont inexacts, qu’il y a exagération en
plus dans les recettes présumées, exagération en moins dans les dépenses, nous
considérerons ces objections vagues comme à peu près indignes d’une réponse
sérieuse ; mais nous déclarons à l’avance que nous sommes prêts à répondre à
tout ce qui pourrait être dit pour contestez l’inexactitude des calculs des
ingénieurs.
Nous n’avons pas voulu
surprendre la chambre et le pays. Nous n’avons point établi notre projet sur
des bases fictives qui soient en dessous de la réalité. Nous croyons avoir posé
des bases assez larges et nous espérons même que l’adjudication des travaux
nous fournira un excédant sur nos évaluations. Quant aux recettes présumées,
s’il y a exagération, c’est en ce sens qu’elles sont au-dessous des recettes
réalisables. C’est ce qui résulte de l’enquête. Plusieurs corps consultés ont
dit que nos évaluations des recettes étaient en-dessous de la réalité. La
chambre de commerce d’Ostende nous a même adressé de graves reproches à ce
sujet. Voilà comment le gouvernement a procédé et dans quel esprit ont été
faits les calculs des ingénieurs.
Puisque j’ai la parole,
je répondrai, si la chambre veut bien le permettre, à quelques objections qui
nous ont été adressées dans la séance d’hier et d’aujourd’hui.
On a cru voir dans la
présentation d’un projet de loi qui a pour but de lier l’océan an Rhin, de
réunir les quatre principaux centres d’activité intellectuelle et matérielle du
pays, qui distinguera
Si on a voulu dire que
le gouvernement tenait à l’honneur d’attacher son nom à cette entreprise, le
gouvernement est trop franc pour ne pas répondre oui. Oui, le gouvernement
tient à honneur de rattacher à son administration cette entreprise nationale,
c’est un honneur qu’il met au-dessus de bien d’autres, de doter le pays d’un
aussi grand bienfait. Mais, messieurs, le gouvernement est aussi trop vrai pour
ne pas déclarer que la première idée de ce projet ne lui appartient pas.
Le gouvernement
provisoire, à qui on doit un grand nombre de bonnes choses, dès les premiers
temps de son institution, s’est occupé d’un pareil projet ; il est à regretter que
l’état dans lequel était à cette époque le trésor public ne lui ait pas permis
de l’exécuter par lui-même. Les ministères qui ont succédé à celui du
gouvernement provisoire se sont aussi, je le présume, occupés de ce projet. Le
ministère laborieux de l’honorable M. de Theux, avait préparé un projet ; je
renouvelle le regret que j’exprimai alors qu’il n’ait pas été donné suite à ce
projet.
Si le gouvernement avait
été si pressé d’obtenir cet honneur, de se donner cette satisfaction
d’amour-propre, il ne tenait qu’à lui depuis plus d’un an de mettre en
adjudication la concession d’une route en fer : il pouvait, en vertu de la loi
de juillet 1832, tenter l’établissement de la grande communication d’Ostende à
Nous demanderons de quel
côté sont les illusions, ou du côté de ceux qui veulent que les travaux
d’utilité générale soient livrés à l’égoïsme de l’intérêt privé, ou de ceux qui
veulent qu’ils soient confiés au gouvernement, qui a la mission de défendre les
intérêts généraux.
On a senti, messieurs,
que si la révolution belge voulait se recommander aux yeux de l’Europe, elle ne
devait pas se borner à opérer un grand fait politique et moral ; qu’il ne
suffisait pas pour justifier son origine qu’elle eût donné au pays la
constitution la plus libérale, mais que son œuvre devait être complétée par un
fait matériel de la même portée. Ce fait, messieurs, ce sera la construction
d’une route en fer ; cette entreprise sera aux intérêts matériels du pays, ce
qu’est notre constitution à ses intérêts moraux. Nous le demandons : l’intérêt
de tel ou tel arrondissement qui criera bien fort, ôtera-t-il au projet ce
caractère de haute utilité nationale que chacun est obligé en âme et conscience
de lui reconnaître ?
A l’intérieur, la route
en fer est destinée à réunir Liège, Bruxelles, Anvers et Gand, ces grands
foyers d’intelligence et d’industrie qu’il serait dangereux de voir divisés et
constitués en centres indépendants. A l’extérieur elle est destinée à rattacher
à
Messieurs, on ne niera pas les avantages de la
route en fer, mais on dira la route ne serait pas moins utile si elle était
exécutée par voie de concession. On dira : « laissez le champ libre à
l’intérêt privé qui fera mieux et plus vite. » L’intérêt privé, dans mon
opinion, ne fera ni mieux ni plus vite, il ne fera pas ; et j’en aurais pour
garant l’insistance même de ceux qui recommandent les concessions alors qu’ils
ne veulent en aucune façon de la route en fer. Dans leur opinion ils ont raison
; à leur place peut-être je penserais comme eux. En effet on a représenté le projet
comme consacrant une odieuse et scandaleuse injustice, ce sont je crois les
expressions d’un honorable orateur auquel je réponds, on a dit qu’il entraînait
la ruine de la province entière du Hainaut. Mais je dirai aux représentants du
Hainaut : si en effet le projet consacre une telle injustice, s’il ruine toute
votre province, votez contre le projet ; mais ne venez pas nous conseiller la
construction par voie de concessions. Alors il y aura à la fois dans votre
conduite et plus de franchise et plus de patriotisme local !
M.
Dumortier et M. Gendebien demandent la parole.
M.
le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je dis donc, que si la construction
d’une route en fer devait ruiner le Hainaut, les représentants de cette
province devront s’opposer à ce que cette construction eût lieu de quelque
manière que ce fût. Mais les chambres du commerce du Hainaut ne sont pas tout à
fait d’accord avec ses représentants sur les résultats que l’entreprise
projetée doit avoir pour cette province. J’ai sous les yeux l’avis de la
chambre de commerce de Tournay. Si je le lisais vous y trouveriez des arguments
plus forts que ceux que je vous ai donnés. Permettez moi de vous en citer un
passage :
« Nous venons, avec
les autres chambres de commerce du royaume, applaudir au projet de construction
du chemin de fer d’Anvers vers
« Multiplier le
plus possible les voies de communication par terre et par eau, c’est, à notre
avis, contribuer de la manière la plus efficace à la prospérité d’un pays ;
commerce, industrie, agriculture, tout y trouve son avantage ; cette vérité est
devenue presque triviale, aussi voyons-nous de toutes parts s’improviser en quelque
sorte des entreprises qui eussent effrayé, il y a quelques années encore, les
imaginations les plus hardies ; l’Angleterre a donné l’élan,
Dans cet état de choses,
« Ce n’est là qu’un
seul point de vue sous lequel nous envisageons l’avantage du chemin de fer dont
il s’agit : il en est plusieurs autres sous lesquels il pourrait être présenté,
notamment dans ses rapports avec l’industrie et l’agriculture ; nous nous en
référons volontiers à cet égard aux considérations soumises à M. le ministre
par la commission d’industrie et de commerce, dans son exposé du 8 mars
dernier, exposé dont nous partageons presque entièrement les pensées. »
La chambre de commerce
de Tournay donne ensuite d’excellentes raisons contre le mode de concession
pour la construction de la route.
M.
Dumortier. - Elle demande au contraire que les travaux soient
faits par voie de concession.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - Elle ne les demande pas
à votre manière. Je vais lire comment la chambre de Tournay demande les
concessions :
« Il nous reste à parler
du mode d’exécution. Sans vouloir toucher la question de savoir si, jamais le
gouvernement ne doit intervenir directement dans l’exécution de grands travaux
à entreprendre ; en d’autres termes, s’il est toujours bien de recourir au mode
de concessions, nous pouvons argumenter de circonstances toutes particulières
contre l’application de ce dernier système dans l’espèce, d’un côté,
incertitude sur le produit de la route, incertitude sur la liberté de l’Escaut,
incertitude même sur les bonnes dispositions de
« A cela il faut
ajouter une autre considération. que toutes les
parties de la route à construire ne seront pas également lucratives : En faire
un seul lot présenterait de graves inconvénients ; et en faire plusieurs, ce
serait s’exposer à en voir plusieurs non adjugés. »
C’est mot pour mot ce
que le gouvernement pourrait dire contre le système des concessions.
M.
Dumortier. - La chambre de commerce de Tournay conclut contre
les concessions.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - Je serais fâché pour la
chambre de Tournay de cette contradiction ; puisqu’on me force à lire ses
conclusions, on verra qu’elle demande un système mixte, une sorte de juste
milieu. Voici comment elle s’exprime :
« Dans cet état de
choses il serait à désirer que le gouvernement pût traiter avec une société
anonyme, en stipulant tout d’abord les intérêts du commerce, de l’industrie et
de l’agriculture, pour obtenir des péages modérés ; mais il faut que cette
société anonyme soit ouverte à tous ; c’est un grand œuvre national auquel
toutes les existences doivent être appelées, et s’il y a bénéfice, il ne faut
pas le monopoliser.
M.
Dumortier. - C’est cela.
M.
Gendebien. - Nous sommes d’accord.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - Vous êtes d’accord.
Voyez cependant comme la chambre de commerce de Tournay est sur ses gardes
contre les inconvénients des concessions, comme elle engage le gouvernement à
se tenir de même en garde contre des concessions isolées et désastreuses.
Ce qu’a dit à cet égard
la chambre de commerce de Tournay, est parfaitement exact et me met à même de
répondre à ce qui a été dit dans la séance d’hier par l’honorable M. H. Vilain XIIII. Il a fait un reproche au gouvernement de
ne pas vouloir de concessions et d’étouffer des projets de route qui ne
demandent qu’à naître. Nous reconnaissons que si l’adjudication n’avait lieu
que sur certain point du tracé, elle trouverait des amateurs en assez grand
nombre. Ainsi les adjudicataires ne manqueraient pas pour la route de Bruxelles
à Anvers, qui offre de grands avantages surtout pour le transport des
voyageurs. Mais si la route devait être continuée aux mêmes conditions jusqu’à
Liège, Bruges et Ostende, je doute fort, quelque ardente que soit la confiance
dans les concessions, je doute fort qu’on trouvât des adjudicataires.
J’ai oublié de citer
l’avis de la chambre de commerce de Charleroy. Il est très court mais très
significatif.
M.
Gendebien. - Il faudrait lire les protestations qui sont à la
suite.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - Cet avis est ainsi
conçu :
« Nous avons
examiné et lu en son entier le projet de route en fer, d’Anvers à
La chambre de commerce
de Mons exprime aussi un avis favorable au projet ; à la vérité elle a émis le
vœu très naturel, qu’il soit construit un embranchement vers Mons. Le
gouvernement a déjà déclaré qu’il ne s’opposait nullement, du moment que la
législature lui en donnerait les moyens, à ce que
J’ai dit que l’intérêt privé
ne ferait pas la route en fer. J’ai quelques raisons de le penser. Le
gouvernement, depuis qu’une loi l’y a autorisé, a mis en adjudication la
concession des péages sur un assez grand nombre de routes. Elles étaient
vivement réclamées ; il s’agissait de communications d’une de deux ou trois
lieues. Aucun adjudicataire ne s’est présenté. Si alors qu’il s’agissait
d’entreprises peu considérables, exigeant peu de capitaux, l’intérêt privé ne
s’est pas éveillé, s’éveillera-t-il davantage lorsqu’il s’agira d’une vaste
entreprise dans laquelle devront s’engager de grands capitaux.
On revient toujours sur
ce que le gouvernement veut grever le pays d’un impôt énorme ; on ne sait pas,
dit-on, où on veut nous conduire, on va peut-être charger la propriété foncière
d’un emprunt de 40, 50, 100 millions, car on varie de 40 à 100 millions. Nous
avons établi, et j’espère que les documents que nous avons produits auront été
lus par la plupart d’entre vous, nous avons établi que le premier projet du
gouvernement n’exigeait qu’une dépense de 16 millions 500 mille francs. A-t-on
trouvé que les évaluations du gouvernement, soit pour travaux d’art, soit pour
achats de terrains, sont au-dessous de la réalité ? Alors qu’on le prouve.
Admettons que le gouvernement dans ses évaluations se soit trompé d’un quart,
cela porterait la dépense à 20 millions au lieu de 16. Voilà de quelle somme le
gouvernement entendait grever le pays, pour me servir de l’expression mise à la
mode depuis l’ouverture de ces débats. Mais, messieurs, le gouvernement ne
demande pas un sou aux contribuables, l’exécution du chemin de fer n’exige pas
une nouvelle levée d’impôt, le gouvernement est convaincu que la route se
suffira à elle-même et qu’elle présentera même un excédant de produits ; il
pense que la route présentera assez de garanties aux préteurs, pour attirer les
capitaux sans charges nouvelles pour l’Etat.
Qu’on démontre que les
millions que nous voulons employer à la construction du chemin de fer seront
dépensés en pure perte, seront jetés à la rivière, se dissiperont en fumée,
alors ce sera avec raison qu’on pourra parler de charges accablantes pour le
pays. Mais aussi, en fait de dépenses utiles que puisse faire un Etat, je
demande s’il en est une dont l’utilité soit plus frappante, qu’une communication
et une communication de la portée de celle que nous proposons.
On signale le bon marché
auquel cette communication pourra effectuer les transports, et on prétend
qu’elle tuera les routes du Hainaut. Ce n’est donc pas une si mauvaise
spéculation ; on lui donnera donc la préférence, elle produira donc quelque
chose, puisqu’on craint que cette route ne ruine celles des autres localités.
C’est pour le bas prix des transports qu’elle obtiendra cette préférence. Je
vous demande si une route qui transporterait à bas prix une grande quantité de
marchandises peut être considérée comme une mauvaise entreprise pour le pays ;
je vous demande si on peut considérer comme dépense en pure perte, l’argent
employé à la construction d’une route au moyen de laquelle les produits de
notre agriculture et de notre industrie pourraient être transportés plus vite
et à plus bas prix.
Il y aurait préjudice
pour les intérêts du pays, pour le commerce, l’industrie et l’agriculture si la
construction de cette route était livrée à l’intérêt particulier, chacun de
vous peut s’en apercevoir facilement. Le gouvernement pourra transporter à très
bas prix, l’intérêt privé ne le fera pas, il s’inquiètera fort peu des intérêts
de telle ou telle province, il cherchera à exploiter la route de toutes les
manières. Pour ce qui regarde le Hainaut en particulier, je demande ce qu’il
gagnerait à voir faire la route par concession,. Voici
ce qu’il gagnerait : si j’étais concessionnaire je ne serais pas obligé de
considérer l’intérêt général, je chercherais à faire produire le plus d’argent
possible à mon entreprise ; je saurais que le charbon de Liége, et en parlant
les charbons de Liége, je cite un des mille exemples que peut présenter la
question, car ce n’est pas le charbon qui fait la base du projet ; je saurais,
dis-je, que le charbon de Liége à la concurrence des charbon de Mons à
redouter, je commencerais par transporter à très bas prix ou même gratis le
charbon de Liége à Anvers, sauf, quand j’aurais tué sur le marché d’Anvers et
de Bruxelles la concurrence du Hainaut, à rétablir mon droit sur le charbon de
Liége. Le Hainaut aurait beau crier qu’on le ruine, le cessionnaire le
laisserait crier et dirait périsse le Hainaut plutôt que mes écus.
Le gouvernement ne peut
faire un pareil raisonnement. Il a déclaré d’abord que chaque année le tarif
des péages serait soumis à la législature ; C’est alors que les différents
intérêts du pays pourront se faire entendre, c’est alors que la chambre sera
appelée à établir les tarifs, de manière qu’une localité importante ne soit pas
préjudiciée tandis qu’une autre serait favorisée outre mesure, c’est alors que
la législature pourra examiner s’il n’y a pas lieu de faire encore pour la
province du Hainaut ce qu’on a déjà fait dans diverses circonstances, sans que
le commerce de Liége soit venu jeter les hauts cris.
Nous ferons l’histoire
des communications du Hainaut, nous montrerons que le Hainaut a été plus
favorisé que les autres provinces et que la province de Liége en particulier.
Cependant nous n’avons pas vu que la province de Liége vînt jeter des cris
d’alarme ou faire entendre des menaces. Ces faveurs de la province du Hainaut
ne datent pas de l’ancien gouvernement mais du gouvernement actuel, c’est
depuis la révolution que dans le Hainaut on a réduit le droit de péage sur le
canal de Pommeroeil à Antoing. Là on payait un
florin, on ne paie plus que 50 cents, c’est une somme de 150,000 francs dont le
trésor belge s’est grevé annuellement en faveur du Hainaut.
Ce n’est pas tout : les
concessionnaires du canal de Charleroy est aussi un canal du Hainaut, voyant
qu’on avait réduit le taux du péage sur le canal de Pommeroeil,
sont venus demander aussi une réduction ; elle a été accordée. Vous pensiez
bien que ce ne sont pas les concessionnaires qui ont fait de la générosité,
mais, voulant attirer plus de charbons sur leur canal, sans bourse délier, ils
ont dit au gouvernement : nous allons réduire le taux du péage, mais vous nous
en tiendrez compte. Le gouvernement a fait ce que les concessionnaires
demandaient.
Par suite de cette
réduction, une somme de 30,000 fl. a été payée par la généralité du pays, y
compris le charbonnage de Liége, pour que le charbon du Hainaut arrivât plus
facilement à Bruxelles. Eh bien, le Hainaut a joui de cet avantage sans que la
province de Liége à qui pourtant la révolution avait enlevé de ses débouchés,
ait songé à réclamer.
Si les canaux du Hainaut
étaient restés entre les mains des concessionnaires, ou si le gouvernement, une
fois la concession accordée, avait dit au commerce : arrangez-vous avec les
concessionnaires, je ne m’en mêle pas ; le commerce du Hainaut aurait été
condamné à payer sur le canal de Pommeroeul le double
de ce qu’il paie aujourd’hui et sur le canal de Charleroy il paierait un florin
70 cents, tandis qu’il ne paie plus qu’un florin 45 cents. Voilà un des
avantages que présentait le système des concessions.
Je
bornerai là pour aujourd’hui mes observations. Je ne m’attendais pas à prendre
la parole. J’aurais voulu les présenter avec plus d’ordre et d’une manière plus
complète. Je pense néanmoins qu’elles suffiront pour détruire l’effet des
objections présentées jusqu’ici contre le projet.
M.
Dumortier. – Je demande la parole.
M.
de Puydt. - Je la demande également : je me bornerai à parler
sur la motion d’ordre ; je ne suivrai pas le ministre dans les divagations
auxquelles il vient de sa livrer.
Les observations qui
viennent d’être faites sur mes questions soumises hier à la chambre, prouvent
que M. le ministre n’a pas compris la portée de ces questions.
Sans cela il n’y
opposerait pas, quoique ce ne soit que trop sa coutume, ou des paroles
ironiques ou un dédaigneux silence.
Ces questions sont
fondamentales pour la discussion, la chambre ne peut en juger autrement.
En effet, de quoi
s’agit-il ? de transporter des marchandises d’Anvers à
Cologne à un prix qui détruise la concurrence hollandaise.
Or, comment peut-on
apprécier la dépense de ces transports, si on ne connaît pas les charges qui
peuvent peser sur eux. Je défie le ministre de faire des calculs sans résoudre
une semblable difficulté.
C’est
ici une affaire de chiffre ; tous les raisonnements politiques n’y font rien.
Si vous ne pouvez pas produire les chiffres, vous êtes impuissant pour nous
convaincre. Jusqu’à la victoire prussienne rien n’est plus facile que
d’apprécier les dépenses de transports quand une fois la route sera faite et
son matériel établi. Mais au-delà de cette frontière, non. Le ministre qui ne
peut nous donner l’assurance que le gouvernement prussien n’imposera pas une
taxe à charge des transports ; le ministre qui ne connaît pas le maximum du
péage de la société concessionnaire prussienne, n’a donc aucun des éléments les
plus indispensables pour le calcul. Il doit se taire s’il veut éviter de se
tromper, s’il veut échapper à la juste défiance qu’inspireraient des paroles
aussi tranchantes que hasardées.
M.
Dumortier. - Je voudrais dire aussi quelques mots sur la motion d’ordre.
Je ferai d’abord remarquer à l’assemblée que le ministre s’est jeté en-dehors
de la question que j’ai soulevée. J’avais demandé que le ministre voulût bien
donner les réponses aux questions que M, de Puydt et moi avons déposées sur le
bureau : nous venons d’entendre le ministre dire que ces questions sont sans
importance ; nous en jugeons autrement, et il faut qu’il prenne l’engagement
d’y répondre, sans quoi la discussion ne peut continuer.
Puisque j’ai la parole
je ferai une observation sur la discussion : vous venez d’entendre le ministre
dire avec des paroles superbes et dédaigneuses, aux députés des provinces qui
réclament contre l’établissement du chemin en fer parce qu’il serait une ruine
pour elles, eh bien vous voterez contre le projet ; il
s’agit de l’intérêt de l’Etat, et non de celui d’une province. Le ministre, par
ces paroles, manque à ce qu’il doit à la dignité de la chambre. Les députes
d’une province qui réclament en faveur de ses droits, qui réclament en faveur
de l’Etat, ne se borneront pas à un vote négatif silencieux ; on n’a pas le
pouvoir de leur imposer un tel vote ; ils doivent remplir leur mandat et
personne ne peut leur dicter ce qu’ils ont à faire. Le ministre vient déclarer
qu’il fait une question d’honneur du vote du chemin de fer ; Il veut sans doute
qu’on dise la voie Rogerienne, comme on dit la voie Appienne ; et il semble exiger des voix plutôt que vouloir
obtenir par conviction. On reconnaît qu’une province est lésée ; les
mandataires de cette province le prouvent ; ils prouvent de plus que le projet
est dangereux pour le trésor ; le ministre répond : qu’importe qu’une province
soit lésée ; il me faut la loi, il me faut un chemin de fer ; mais il ne répond
pas aux questions qu’on lui adresse sur les garanties qu’offre son projet.
M. le
ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je ne sais pas si la voie d’Ostende au Rhin
est Dumortierienne ou anti-Dumortierienne
; mais je sais qu’elle est nationale. Nous n’avons pas, comme on le fait
entendre, provoqué la division entre les provinces, nous avons fait allusion
aux objections, aux menaces que l’intérêt local a fait entendre ici. Oui, j’ai
dit que celui qui regarderait la route comme contraire aux intérêts de sa
province, pouvait voter contre ; mais je n’ai pas provoqué dédaigneusement à
voter contre le chemin en fer. La preuve que je ne dédaigne aucun vote, c’est
que j’ai démontré que la construction du chemin par concession serait,
particulièrement pour le Hainaut, plus onéreuse que la construction par
l’administration ; et je ne puis ici que retourner à l’honorable préopinant les
imputations qu’il nous adresse. (A demain
! à demain ! à demain !)
- La séance est levée à
cinq heures.