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Chambre des représentants de
Belgique
Séance
du mardi 11 mars 1834
Sommaire
1) Pièces
adressées à la chambre,
2)
Vérification des pouvoirs d’un membre de la chambre (Basse)
3)
Proposition de loi relative à la restitution aux fabriques d’église et aux
établissements de bienfaisance des biens celés du domaine. Mise à l’ordre du
jour (Brabant, de Robaulx, Brabant, de Brouckere, de Theux, d’Huart)
4) Projet de
loi relatif au chemin de fer. (A : utilité du chemin de fer ;
B : tracé du chemin de fer ; C : mode d’exécution du projet
(initiative privée ou publique) ; D : coût de
l’établissement ; E : tarifs et péages ; F : liaison avec
le chemin de fer prussien) (F (de Puydt, Rogier, de Puydt, de Brouckere, Rogier), F et
soupçon d’intrigues diplomatiques (Dumortier, Lebeau, Dumortier), ((enfants
trouvés) Gendebien), A, B, canal de
(Moniteur belge n°71, du 12 mars 1834)
(Présidence de M. Raikem)
A une heure moins un quart on
procède à l’appel nominal.
A une heure la séance est
ouverte.
M.
de Renesse donne
lecture du procès-verbal de la dernière séance. La rédaction en est adoptée.
Le même donne communication
des diverses pièces adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A
« Par pétition en date du 9 mars 1834, plusieurs tisserands des
communes de Moorsel, Gulleghem et Dadezeele,
district de Courtray, réitèrent leur demande d’obtenir un droit de plombage
plus modéré, tel qu’il existe actuellement en France. »
____________________
« Par pétition en date du
5 décembre 1833, le sieur H.-J. Verheyden, négociant en vins, renouvelle ses
plaintes sur les abus qui se commettent dans les accises. »
____________________
« Par pétition en date du
25 janvier 1834, la chambre de commerce d’Ostende adresse le troisième cahier
d’observations sur le projet de route en fer. »
____________________
- Cette dernière pétition est
renvoyée à la commission chargée la loi relative au chemin de fer.
Les deux autres sont renvoyées
à la commission des pétitions.
M.
de Renesse. - M. le ministre de l'intérieur a adressé à la chambre
les pièces relatives à l’élection de M. Basse, nommé par la ville de Bruxelles
en remplacement de M. Goblet.
M.
le président. - La vérification des pouvoirs de M. Basse, aux
termes du règlement, doit être faite par une commission de sept membres
désignés par le sort.
- M. le président procède, au
tirage des noms des membres de cette commission.
Les membres désignés sont :
MM. Devaux, Watlet, F. de Mérode, de Puydt, Morel-Danheel, Lebeau, Vanderheyden.
PROPOSITION
DE LOI RELATIVE A
M.
le président. - M. de Theux a la parole pour présenter le
rapport de la commission chargée d’examiner la proposition de MM. Brabant et de
Theux.
M. de Theux monte à la
tribune.
Un grand nombre de voix. - L’impression ! l’impression !
M.
le président. - Le rapport sera imprimé et distribué.
A quel jour la chambre
entend-elle en fixer la discussion ?
M. Brabant. - Je
demanderai que cette discussion soit fixée après le vote sur le chemin de fer ;
quand la discussion sur le chemin de fer sera terminée, il ne nous restera plus
assez de temps pour nous occuper avant les vacances de Pâques d’une loi qui
donne lieu à de longs débats ; le rapport qui vient de vous être fait ne
donnera pas lieu à une longue discussion, il nous sera facile de l’examiner
avant les vacances.
M. de Robaulx. - Je
m’oppose à ce que la discussion du rapport qui vient d’être fait soit fixée
comme le propose le préopinant. Nous ne connaissons pas même les conclusions du
rapporteur. Je conçois que ceux qui connaissent la matière puissent, dès à
présent, se prononcer sur l’époque à laquelle ils pensent qu’on doive fixer la
discussion, quoique ce rapport n’ait pas été lu ; mais nous qui ne sommes pas
dans la même position nous voulons, avant de mettre la discussion à l’ordre du
jour, savoir s’il ne sera pas besoin de demander des pièces au gouvernement. Il
faut que nous ayons pu prendre connaissance du rapport. Je m’oppose donc à ce
qu’on improvise une discussion dont on ne connaît pas la portée, et je demande
que cette discussion soit renvoyée après le vote des lois provinciales,
communales et autres.
M. Brabant. - Quoiqu’on
n’ait pas donné lecture du rapport, cela n’empêchera pas fixer la discussion
après le chemin de fer. Il pourra être imprimé demain ou après-demain, et la
discussion du chemin de fer durera assez longtemps pour permettre aux
honorables membres de l’assemblée de lire le rapport, d’en apprécier les
conclusions et de se mettre à même de se prononcer en connaissance de cause.
Quant au renvoi après la loi
communale, il équivaut à un renvoi à la prochaine session, car la section
centrale chargée d’examiner la loi communale n’a pas encore achevé son travail.
M.
de Brouckere. - Messieurs, il est plus prudent de ne pas fixer
longtemps à l’avance l’ordre du jour. Vous avez vu hier les inconvénients qu’il
y a à le faire. Tout en reconnaissant que la proposition de M. Brabant est déjà
ancienne, je dirai qu’il en est d’autres qui sont plus urgentes et auxquelles
on doit donné la préférence : la loi relative aux enfants trouvés, par exemple,
sur laquelle il faut finir par prendre une décision, et le plus tôt sera le
mieux. Je citerai ensuite le projet présenté hier par le ministre de la justice
ayant pour objet d’augmenter le personnel de quelques corps judiciaires. Ce
projet est d’une urgence incontestable.
Le nombre
des procès augmente tous les jours, les cours doivent chômer, et à Bruxelles,
où deux chambres ne suffisent pas, il n’y en aura plus qu’une dans peu de
jours. Les intérêts des particuliers souffrent de cet état de choses ; il est
nécessaire d’y porter remède. Voilà deux projets qui se présentent à ma mémoire
; peut-être y en a-t-il d’autres dont l’urgence n’est pas moindre.
Je demande en conséquence que
la discussion du rapport qui vient d’être fait, ne soit pas mise à l’ordre du
jour à présent, afin que, quand nous aurons terminé la discussion du chemin de
fer, on puisse s’occuper du projet qui sera reconnu le plus urgent.
M. de Theux. - Je demande
que la discussion du rapport que je viens d’avoir l’honneur de présenter à la
chambre soit fixé après le vote de la loi sur les enfants trouvés, dont la discussion,
je pense, sera reprise après celle sur le chemin de fer. La proposition de M.
Brabant n’est pas de nature à donner lieu à une longue discussion, et ne
portera aucun préjudice à l’examen du projet de loi présenté par le ministre de
la justice, dont le rapport n’est pas fait, et dont on ne s’est pas encore
occupé.
M. d’Huart. - Je m’oppose à ce qu’on fixe en ce moment le
jour de la discussion de la proposition de M. Brabant. Si après le vote de la
loi sur le chemin de fer, et de celle relative aux enfants trouvés, il nous
reste assez de temps pour discuter cette proposition avant les vacances, nous
la discuterons- ; mais si cette discussion doit être renvoyée après les
vacances de Pâques, je demanderai qu’elle soit renvoyée après le vote des lois
constitutives ; je demanderai que toute autre discussion cessant, on s’occupe
de la loi d’organisation provinciale. Il est temps de constituer le pays. Avant
de nous occuper de lois spéciales, de ces petites lois, comme les appelle M.
Dumortier, nous devons voter toutes les lois constitutives. Je m’opposerai à ce
qu’on mette à l’ordre du jour après les vacances des Pâques tout autre projet
que celui relatif à l’organisation provinciale.
M.
le président. - On propose de renvoyer la discussion du rapport
qui vient d’être fait, après le vote de la loi relative aux enfants trouvés.
M.
de Brouckere. - J’ai proposé d’ajourner la fixation de la
discussion de ce rapport.
- L’ajournement est mis aux
voix.
Deux épreuves paraissent
douteuses ; sur la demande de l’assemblée on procède à une troisième épreuve.
L’ajournement est adopté.
M.
le président. - En conséquence la chambre fixera ultérieurement
l’ordre du jour.
Motion d’ordre visant à obtenir
plusieurs documents préalablement à la discussion générale
M.
le président. - La parole est à M. de Puydt pour une motion
d’ordre.
M.
de Puydt. - J’ai pris connaissance des pièces déposées hier par
M. le ministre de l'intérieur. Parmi ces pièces se trouvent deux arrêtés du
gouvernement prussien autorisant des compagnies concessionnaires à établir une
route en fer de Cologne vers Amsterdam, et, de Cologne vers la frontière belge.
Ces
arrêtés portent bien que l’exécution aura lieu par compagnies ; mais il est des
conditions très importantes telles que le taux du péage, qui ne sont pas posées
dans ces arrêtés. J’ai posé à cet égard diverses questions auxquelles je
prierai le ministre de répondre d’une manière précise, afin d’éclairer la
discussion.
Je vais donner lecture de ces
questions.
M.
le président donne une nouvelle lecture des questions posées par
M. de Puydt.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je ne pense pas que l’intention de
l’honorable M. de Puydt soit d’exiger une réponse immédiate car une centaine de
questions plus ou moins importantes que celles qui viennent d’être posées se
présenteront dans le cours de la discussion. Je ne comprends pas cette manière
d’entamer des débats. Je ne pense pas qu’on puisse commencer une discussion
générale par des interpellations. Si M. de Puydt ne croyait pas devoir donner
sa voix pour le projet, parce qu’il ne se trouverait pas suffisamment éclairé
sur les différents points qu’il a indiqués, il votera contre, ou il suspendra
son vote.
Si on ne demande pas de
réponse immédiate, les honorables membres qui peuvent en avoir à adresser au
gouvernement n’ont qu’à les déposer, nous y répondrons dans le cours de la
discussion.
M. de Puydt. - Si je
comprends bien l’objet du chemin de fer, c’est une question de transport. Eh
bien, il sera impossible de fixer le minimum du prix de transport d’Anvers à
Cologne, si on ne connaît pas le taux du péage établi sur le territoire
prussien, depuis la frontière belge jusqu’à Cologne. Il est de la plus grande
importance de connaître le taux de ce péage. Cependant, en adressant des
questions au gouvernement, je n’ai point eu l’intention d’arrêter la
discussion. Il suffira que le ministre réponde aux questions d’ici à demain ou
après-demain.
M. de Brouckere. - J’ai
été étonné d’entendre M. le ministre de l'intérieur critiquer la manière d’agir
de l’honorable M. de Puydt, car je la trouve extrêmement loyale, et je voudrais
que tous les membres voulussent présenter ainsi les interpellations qu’ils ont
à adresser au gouvernement. C’est une facilite qu’on lui donne, facilité
d’autant plus grande qu’on lui laisse un temps moral pour y répondre, sans
demander qu’on ajourne la discussion jusqu’après la réponse. Seulement on
désire que le gouvernement réponde avant que la discussion générale soit
fermée.
Si tous les membres
procédaient comme M. de Puydt, le gouvernement, au lieu de s’en plaindre,
devrait s’en applaudir.
M. le
ministre de l'intérieur (M. Rogier) - J’ai été surpris de l’interpellation de M. de
Puydt, parce que je croyais qu’il demandait une réponse immédiate ; mais mon
étonnement a cessé, quand j’ai entendu l’honorable auteur de ces questions
déclarer qu’il ne demandait pas qu’une réponse fût faite avant l’ouverture de
la discussion. J’espère dès lors que la surprise de l’honorable préopinant
cessera également.
M.
Dumortier. - J’aurais aussi des questions à adresser au cabinet
tout entier avant la discussion ; car dans une question aussi grave qui peut
rendre au pays, d’une part, des services immenses, et d’autre part, grever sans
aucune espèce d’utilité le trésor public d’une charge considérable, il importe
que la représentation nationale puisse peser consciencieusement, l’urgence et
l’importance du projet et l’examiner sous toutes ses faces.
Messieurs je suis industriel.
A ce titre, on ne révoquera pas mon opinion sur la nécessité de donner des
avantages à l’industrie. J’ajouterai que je suis désintéressé dans la question,
car j’ai reçu l’assurance de MM. les commissaires qu’on fera un embranchement
vers Tournay, si on établit une communication par chemin de fer avec
« Qui n’aime pas Colin
n’estime pas son roi,
« Et n’a selon Colin, ni
dieu, ni foi, ni loi. »
Je tiens à m’expliquer
franchement devant la chambre. Je dis donc que comme industriel, je sens autant
que personne les besoins de l’industrie du pays ; j’en ai souvent entretenu la
chambre ; cependant je ne dissimulera pas que je crains que ce projet ne soit
un pas fait pour nous faire abdiquer un droit infiniment plus précieux que le
projet lui-même.
Une voix. - C’est le Courrier
belge qui a imaginé cela.
M.
Dumortier. - Ce n’est pas dans le Courrier belge que j’ai puisé cette opinion. Mais si le Courrier belge a dit une chose juste, je
me fais gloire et honneur d’avoir rencontré son opinion.
Messieurs, beaucoup de
personnes ignorent que la conférence de Londres doit reprendre ses travaux au
commencement du mois de mai. Je viens ici avec ma franchise habituelle vous
exposer ma pensée. Quand j’ai vu de quelle manière le gouvernement pressait la
discussion du chemin de fer, j’ai pensé qu’il y avait des motifs secrets qui
pouvaient peut-être se rapporter à un système de transaction dans lequel on
voulait entraîner la représentation nationale ; j’ai craint que quand le
gouvernement venait demander à la chambre de s’occuper de la route avant que la
conférence fût réunie, sa chant qu’elle
allait se réunir, son but ne fût de s’en faire un moyen de concession ; qu’il
ne vînt nous demander d’abandonner les droits que le traité du 15 novembre nous
assure sur les routes de Sittard et de Maestricht et
la navigation des eaux intérieures. A cela on pourrait ajouter un droit de
tonnage sur l’Escaut en disant : puisque vous avez une route en fer, cela ne
doit vous rien faire.
Voilà la crainte que m’a
suggérée l’impatience du gouvernement. Cette crainte est très grave, je vous
prie d’y faire bien attention.
Dans ce moment, M. de Wessemberg, ambassadeur d’Autriche en Hollande et l’un des
membres de la conférence de Londres, est à Vienne où se traitent les affaires
du Luxembourg. Quad ces affaires seront terminées, il retournera à Londres où
il recommencera l’opération des protocoles. Je demande au gouvernement, avant
qu’on n’entame la discussion sur le chemin de fer, s’il peut prendre
l’engagement positif qu’on n’abdiquera aucun des droits garantis à
Quand nous en viendrons à la
discussion des détails, je crois que je pourrai démontrer que la route en fer
n’amènera pas de résultats aussi avantageux qu’on le pense généralement, et que
beaucoup d’illusions s’évanouiront devant la réalité. Pour le présent je
n’entrerai pas dans cette discussion, mais je ferai remarquer à l’assemblée que
le motif qui nous réunit est de procurer à
M. Lardinois. - Ce n’est
pas exact.
M.
Dumortier. - Je le prouverai pièces en mains.
M.
le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je
demande la parole pour un rappel au règlement.
M.
Dumortier. - On n’a pas le droit d’interrompre un orateur ; au
surplus je vais avoir terminé ; si M. le ministre de la justice a quelques
observations à faire, il pourra prendre la parole dans quelques minutes.
M.
le président. - M. le ministre de la justice a la parole pour un
rappel au règlement.
M.
le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je déclare que si l’honorable M. Dumortier n’en a plus que pour quelques
minutes, je n’insisterai pas sur le rappel au règlement.
M.
Dumortier. - Citez l’article du règlement auquel vous voulez me
rappeler.
M.
le ministre de la justice (M. Lebeau) - Il me serait facile de démontrer la convenance
du rappel que j’ai demandé.
M.
Dumortier. - Je vous défie de citer un article du règlement.
M.
le ministre de la justice (M. Lebeau) - Puisqu’on insiste, je vais le faire.
Ce qui
est à l’ordre du jour, c’est la discussion du projet de route en fer, présenté
par le gouvernement ; l’honorable M. de Puydt, sous forme de motion d’ordre, a
déposé des questions sur le bureau, et, développant sa pensée, a dit qu’il
n’exigeait pas de réponse immédiate, qu’il présentait ces questions comme
éléments de la discussion générale : dès lors tout était consomme ; et il est
évident que puisque la motion d’ordre, de l’avis même de son honorable auteur,
par le seul fait des explications qu’il donnait, n’exigeait pas de réponse
sur-le-champ, il n’y avait autre chose à faire que d’ouvrir la discussion
générale.
M.
Dumortier. - Je demande la parole pour un rappel au règlement.
M.
le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je parle moi-même sur un rappel au règlement ;
on ne peut m’interrompre.
M.
Dumortier. - J’invoque l’article 21 du règlement.
M.
le président. - La parole est à M. Dumortier pour un rappel au
règlement.
M.
Dumortier. - L’art. 21 est positif : Nul ne peut être interrompu
que pour un rappel au règlement ; il fallait donc que le ministre citât
l’article du règlement sur lequel il s’appuyait pour prendre la parole, et
c’est ce qu’il n’a pas fait ; il ne pouvait m’interrompre.
Maintenant je demande la
parole pour une motion d’ordre.
M.
le président. - Quelle est cette motion d’ordre ?
M.
Dumortier. - Cette motion d’ordre consiste en questions à
adresser au ministère. En voici une : Le gouvernement peut-il prendre
l’engagement que par l’établissement du chemin en fer nos droits stipulés par
les 24 articles ne seront pas lésés, ne seront pas abandonnes ? J’en aurai posé
une seconde depuis longtemps si l’on ne m’avait pas interrompu : Le
gouvernement peut-il nous donner l’assurance que le gouvernement prussien ôtera
le droit de transit existant maintenant sur toutes les provenances belges qui
entrent en Prusse par les frontières limitrophes.
M.
le président. - Il faut déposer ces questions sur le bureau.
M.
Dumortier. - On connaîtra mes questions par les développements
que je leur donnerai.
Je disais tout à l’heure que,
pendant la discussion générale, je démontrerais que le transport de Rotterdam à
Cologne est de 3 francs par 100 kilog., tandis que le
gouvernement prussien établit un droit de 3 fr. sur nos marchandises avant
d’entrer dans le Rhin. Il importe de savoir si le gouvernement a reçu du
gouvernement prussien l’assurance qu’il se désistera du droit de transit ; car
s’il ne s’en désistait pas, le chemin en fer serait une dépense tout à fait
illusoire. Je demande donc que le ministre s’explique clairement sur ce point.
Je demande en outre que le
ministre déclare quelles sont les dispositions du gouvernement prussien,
relativement à la construction de la route en fer sur son territoire ; car ce
serait une dépense réellement frustratoire que de venir grever notre budget de
30, 40 et même 50 millions, sans savoir si le gouvernement prussien terminera
la route de son côté. Ce que je demande est dans l’intérêt de la route ; mais
nous devons voter consciencieusement. Les explications doivent être positives ;
sans quoi il serait impossible d’entamer la discussion.
M.
le président. - Nous allons passer à l’ordre du jour.
M.
Gendebien. - Auparavant, je demande la parole pour une motion.
La chambre se rappelle que
dans la séance d’hier, nous avons suspendu la discussion du projet de loi sur
les enfants trouvés. Nous n’étions plus en nombre à la fin de la séance, quand
une proposition a été faite relativement à la discussion de cette loi ; on
demandait que tous les amendements proposés fussent déposés sur le bureau et
renvoyés à la section centrale, afin de connaître tous les éléments de la discussion.
La nécessité du dépôt a été sentie ;
mais on n’a pas pu prendre de décision. Je demande qu’il soit décidé,
aujourd’hui que la chambre est en nombre, que le dépôt des amendements sera
effectué, afin qu’on puisse discuter convenablement la loi sur les enfants
trouvés quand la discussion en sera reprise.
M.
le président. - s’il n’y a pas d’opposition à la demande faite
par M. Gendebien, j’invite les membres qui ont des amendements à proposer, à
vouloir bien les déposer sur le bureau.
M.
le président. - L’assemblée sait qu’il y a deux projets de loi,
celui présenté par le ministre de l’intérieur, celui présenté par la section
centrale ; M. le ministre se réunit-il à l’avis de la section centrale ?
M. le
ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Le gouvernement se réunit à l’opinion de la
section centrale ; il admet la proposition qu’elle a faite.
M.
le président. - En ce cas, la discussion générale est ouverte
sur le projet présenté par la section centrale. Plusieurs orateurs sont
inscrits, les uns pour, les autres contre l’établissement du chemin de fer ;
ils seront entendus alternativement.
La parole est à M. de Nef pour
le projet.
M. de Nef. - Le projet de loi sur la grande communication
de l’Escaut à
D’abord, pour ce qui concerne
l’utilité de l’entreprise, je pense que peu de voix s’élèveront pour le
contester :
Les motifs qui font voir
l’utilité du projet en démontrent en même temps l’extrême urgence ; aussi je ne
doute pas que le gouvernement n’en soit également convaincu et n’imprime aux
travaux la plus grande activité, à quel effet il pourrait les faire commencer à
la fois en plusieurs endroits : en tout cas, s’il fallait commencer par un seul
endroit, je ne balancerais pas à indiquer Anvers, d’une part, pour faire
connaître ainsi à la diplomatie que
Quant au tracé de la route, la
commission soutient que la direction actuelle, traversant des localités plus
industrielles, est non seulement la plus convenable sous le rapport commercial
et politique, la plus avantageuse à l’égard des trajets, mais encore la plus
économique pour le commerce en péages et en frais de transport.
Ces motifs sont certainement
plus que suffisants pour répondre à l’objection que la direction précédente
était plus courte, puisque, par la grande célérité qu’on parvient à obtenir sur
un chemin de fer, le trajet se fera encore plus lestement, malgré que la ligne
à parcourir ne soit plus aussi directe ; mais je dois cependant faire observer
que par le projet actuel,
Déjà du temps de l’empire
français, un canal devait la traverser ; mais les événements politiques qui
survinrent peu de temps après firent abandonner les travaux qui avaient déjà
été effectués. Les espérances qu’avaient conçues les habitants de
Finalement,
pour ce qui regarde le mode d’exécution du projet, j’approuve entièrement
l’idée de préférer la construction directe par l’Etat à une concession, soit
temporaire, soit à perpétuité ; il faut que le gouvernement reste libre de
modifier les tarifs des péages suivant qu’il le trouvera plus avantageux pour
le commerce et l’intérêt général du pays ; à cet égard l’avenir est incertain
et l’expérience seule pourra servir de guide ; ce serait donc s’exposer à
manquer totalement le but proposé, que de livrer à l’intérêt privé des
concessionnaires l’entreprise importante dont peut dépendre la prospérité de
M. H. Vilain XIIII. - Messieurs, c’est pour la première
fois, sur le continent, qu’une assemblée législative est appelée à prononcer
l’exécution d’un de ces vastes chemins de fer dont l’Angleterre seule nous offre
le modèle, et qui par ses résultats doit, d’après ses auteurs, opérer toute une
rénovation commerciale dans nos contrées ; et c’est aussi pour la première fois
qu’est posée devant cette chambre une des questions les plus difficiles
d’économie politique, question longtemps débattue chez les nations
industrielles, et que votre vote doit enfin trancher, à savoir l’exécution des
grands travaux publics par voie de concession ou par l’intervention du pouvoir.
Belle initiative pour
Cette prospérité du pays, nous
la désirons tous, messieurs. Mais pour l’obtenir, pour rendre féconds à notre
territoire ces débouchés qu’on nous demande d’ouvrir, combien n’importe-t-il
pas ici plus qu’ailleurs de se détendre de toute fâcheuse illusion, de ne point
s’abandonner à des calculs erronés, bientôt démentis par l’événement, et de ne
point prêter une foi trop facile à ces devis artistement groupés, présentant
une dépense médiocre et des bénéfices certains ! Combien n’importe-t-il pas,
dans cette question, que les députés se dépouillent plus que jamais de tout
esprit de localité, se détachent de toute influence de ville ou de province, et
que dans la grande décision que nous allons prendre, tant pour la direction que
pour le mode d’exécution de la route, ce ne soit point en faveur du pouvoir, et
bien moins encore au bénéfice de telle ou telle province, que nous votions !
Ici point de mesquines concessions, point de considérations personnelles ; et
n’imitons pas quelques-unes de ces villes appelées à se prononcer sur le
projet, et qui, dans des avis toujours favorables au gouvernement et dont
celui-ci aime à s’étayer, approuvent cette route et tout ce qu’elle doit
coûter, pourvu qu’elle vienne les traverser. Voyons la chose de plus haut, et
pesons-en toutes les conséquences. N’allons pas, sur des apparences que les
agents du pouvoir se plaisent toujours à embellir, hasarder follement les
ressources du trésor, afin d’atteindre un but qu’il nous est sans doute permis
de toucher par une autre voie sans danger et sans sacrifices. Pour moi, aucun de
ces motifs ne me fera balancer dans l’opinion que je me suis faite : ni la
position de ma province, ni celle de mon arrondissement, ni même le nouvel
embranchement consenti à travers les Flandres, ne me porteront à adopter la loi
telle que le ministère vous la présente ; et en la combattant, en y substituant
même tout autre projet ou les intérêts de l’Etat seraient moins compromis, je
me persuaderai avoir bien mieux accompli mon mandat de député, le mandat de ne
jamais aventurer légèrement la fortune publique et de toujours travailler dans
tous les cas possibles « pour la plus grande utilité du plus grand
nombre. »
Grande maxime dont
l’application rigoureuse est plus indispensable dans cette occurrence, où
l’énormité des sacrifices qui sont en jeu me fait d’abord demander si dans
l’état actuel de
Ainsi, je suis loin d’estimer
la construction d’une route en fer comme indifférente en elle-même au bien-être
du pays ; mais je ne puis l’envisager comme l’ancre de salut de
Après cet aperçu préliminaire
sur la nécessité relative de la route en fer, faisons l’examen du coût et de la
connaissance de son tracé, et de la direction même qu’il convient d’adopter.
Le projet ministériel
sollicite une route en fer à simple voie, se dirigeant de Malines sur Verviers,
avec embranchements éventuels sur les Flandres et le Hainaut.
Je ne m’occuperai point pour
le moment de ces embranchements qui quoique représentés sur de très belles
cartes et distribuées avec complaisance aux députés de ces provinces, me font
un peu l’effet de ces images qu’on donne aux enfants pour les faire taire. Je
ne m’en occuperai point ; car Dieu sait si après avoir achevé à grand-peine et
à grand renfort de millions le premier embranchement, il nous restera encore
quelque argent et quelque tentation pour en entamer un second et puis après un
troisième. La première leçon sera peut-être trop rude à la nation ; on
s’arrêtera là, je le crains, à moins que la simultanéité des travaux ou d’une
concession ne soit ordonnée.
Voyons plutôt le tracé du
railway.
La proposition est de
l’établir d’abord à simple voie avec des gares d’évitement
distancés à
Vous parlerai-je ici,
messieurs, à propos du tracé de la route, des mesquines proportions données aux
passages souterrains, ouverts également par une simple voie et dont le moindre
inconvénient est de mettre chaque jour en péril l’existence des passagers ? le devis même de ces passages voûtés, de ces ouvrages d’art,
de tous ces terrassements, dressé sans une enquête très approfondie du prix des
terrains, et pour la connaissance de la nature de ces mêmes terrains sans la
vérification de nombreux puits d’essai, vous offre-t-il tous les apaisements désirables
sur la suffisance du crédit demandé ? Je laisse aux hommes pratiques de la
chambre à vérifier et à discuter contradictoirement ce point culminant de la
question ; mais afin de constater par un seul fait l’insuffisance de
l’estimation, eu égard aux dépenses réelles et nécessaires, il suffit de vous
signaler le rachat de la concession de la route de
Par l’appréciation de ce seul
fait, je demande quelle créance il faut ajouter aux autres estimations, et s’il
est bien prudent de s’en rapporter entièrement au bon marché des ingénieurs.
Ajoutons, d’après l’aveu même des auteurs du mémoire (page 31, en réplique à
celui de M. Vifquain), que la durée des ornières d’une route en fer ne dépasse
point les 40 années, et qu’alors l’usure oblige de les renouveler entièrement.
Que devient, après cet aveu, le système d’amortissement basé dans le premier
mémoire (page 100), et dans le projet de la loi même (article 8) sur les
revenus de la route ? l’emprunt contracté pour
l’établissement de la première chaussée sera à peine remboursé de moitié, qu’il
faudra songer à en négocier un second pour renouveler l’ouvrage, et ainsi de
suite. N’oublions pas, du reste, qu’il s’agira encore d’un troisième emprunt
supplémentaire (page 101 du premier mémoire pour confection première des
locomotives), dépense que prudemment on ne suppose pas dans le devis, afin de
ne point effrayer la chambre par de gros chiffres. Où irons-nous, messieurs,
avec un tel système, et quelle plaie profonde n’allons-nous pas ouvrir de
gaieté de cœur au sein du pays ?
Quant à la direction de cette
grande communication, d’Anvers sur l’Allemagne par le Limbourg, de Malines sur
Tongres, de Malines sur Verviers par Louvain et Liége, la section centrale dont
j’avais l’honneur de faire partie a choisi, de commun accord avec l’Etat, cette
dernière voie. Vous savez que les obsessions des localités n’ont pas manqué au
pouvoir pour obtenir ce tracé, les habitants de ces localités s’imaginant qu’une
route en fer convertit tout en or sur son passage, et que par elle la
prospérité va se répandre jusque dans les moindres bourgades, tandis que, par
l’expérience acquise en Angleterre, on s’aperçoit qu’un tel ouvrage ne profite
souvent qu’aux deux extrémités, et que les intervalles éprouvent l’effet tout
contraire de celui des canaux et des routes ordinaires. La rapidité de ces
communications nouvelles et leur éloignement forcé du centre des villes
empêchent tout profit d’hébergeage, de relais, de transbordage de voitures ou de bateaux, de demeurer aux
hôtelleries et à la classe ouvrière des communes intermédiaires. On voit passer
la marchandise, les voyageurs devant sa porte et devant l’enceinte de ses
villes, et on les voit passer très vite ; mais il n’en reste rien. Telle est
cependant la séduction des choses nouvelles, que tout le monde veut avoir des
routes en fer, et ce n’est pas un des moindres embarras de la fâcheuse position
que le gouvernement vient de se créer, en se faisant entrepreneur de pareils
ouvrages. Le gouvernement voulant les établir aux dépens de la généralité,
chacun est convaincu de son droit de réclamer le partage des bénéfices. Chaque
province, chaque ville, chaque arrondissement veut arracher à l’Etat un lambeau
de route en fer, et dès qu’on mettra la main à l’œuvre, on verra quelle nuée de
demandes viendra accabler le pouvoir ; heureux, si, en échappant à
l’importunité des pétitions, il peut préserver le pays des divisions intestines
que son système aura fait surgir au sein des provinces délaissées.
Mécontentements qu’il ne devra imputer qu’à sa propre volonté, vu que
travaillant à la charge de tous, force lui sera d’exécuter au bénéfice de tous,
différent en cela du concessionnaire qui, n’opérant qu’à ses risques et avec
son argent, n’a de compte à rendre à personne, s’il choisit telle ou telle
direction, et ne doit, tout en faisant du bien à son pays, songer qu’à son
profit personnel.
Cela nous mène à parler des
concessions et des principaux arguments dont s’arme le ministère pour rejeter
loin de lui ce système. Remarquons-le d’abord : une considération non relevée
dans les nombreux mémoires dont la chambre se trouve pour ainsi dire accablée
et dont la plupart sont écrits dans un seul ordre d’idées, considération qui
semblerait devoir rester étrangère au grand but qu’on se propose d’atteindre, a
cependant paru servir de mobile secret à la détermination du ministère pour se
priver des concessions. Cette considération est (il faut bien le dire), une
question de monopole de travaux publics ; une question d’existence du corps des
ingénieurs. En abandonnant aux particuliers l’exécution des grands travaux
publics, on a cru voir l’abandon d’une des attributions les plus essentiels du
pouvoir, et l’affaiblissement de celui-ci. De plus, en laissant à l’industrie
privée le choix de ses moyens et de ses agents, on s’est aperçu que la
conservation du corps waterstaat, très estimable du
reste par son personnel comme corps spécial dans l’Etat, deviendrait à la
longue inutile ; et l’adoption de ces deux idées prédominantes, mais non
avouées, dont l’une du reste, me semble erronée et l’autre peu digne
d’attention explique toute l’insistance que met le gouvernement à travailler
par lui-même, croyant travailler pour lui, tandis qu’il ne fait que se préparer
des embarras fâcheux, par l’application de ses ressources les plus précieuses à
des entreprises hasardeuses que la fortune privée ou l’esprit d’association
seuls doivent tenter ainsi qu’ils font des entreprises commerciales,
industrielles et financières.
En France, en Belgique, on
s’obstine à fortifier le pouvoir en lui conservant le monopole des entreprises
; aussi n’y avance-t-on guère en Angleterre et même en Allemagne où on en est
encore au laissez-faire des individus ; et vous êtes témoins de ce qu’on y
achève. Les hommes d’Etat des deux premiers pays prétendent cependant suivre
une marche progressive et travailler à l’émancipation des esprits. Je crois,
messieurs, que sans s’en douter, ils n’opèrent qu’en faveur de vieilles
routines.
J’ai voulu, messieurs,
réveiller dès l’abord votre attention à ce sujet. Vos esprits frappés d’une
suspicion légitime pèseront ensuite avec plus de prudence ces motifs d’utilité
qu’on fait valoir si fastueusement en faveur des travaux exécutés par l’Etat.
Ces travaux on vous les dépeint comme très faciles à entreprendre, et j’avoue
que les commencements en seront très riants ; mais attendez-vous à de cruels
mécomptes ; car une fois livrés aux mains des ingénieurs, vous ne pourriez plus
en sortir. Force vous sera bien de réparer les erreurs, de combler les
déficits, et, pour achever ces onéreux travaux, d’ajouter de nouveaux millions
aux millions déjà consommés, ainsi que vous le voyez faire en France depuis
quinze ans pour les quatre canaux. Et remarquez bien que dans ce mode
d’exécution les auteurs échappent à la responsabilité pécuniaire de leurs
fautes, si les ingénieurs se trompent c’est l’Etat qui en paie la façon ; en
cela bien différents des concessionnaires qui supportent tout le poids de leurs
propres erreurs, et font jouir gratuitement le pays des résultats de leurs
entreprises ; avantage assez grand, ce me semble, pour ne point repousser ces
concessionnaires qu’on se plaît sans cesse à nous présenter comme des espèces
d’ogres engloutissant d’immenses bénéfices au détriment de la générosité, comme
d’avides accapareurs de la fortune publique ; eux, au contraire, qui
s’efforcent de la vivifier par le concours de leurs fortunes privées.
Mais, du reste, voyons si,
dans tous les développements de ce projet, ses promoteurs sont bien d’accord
avec eux-mêmes et avec leurs précédents. Je parle ici des ingénieurs et du
gouvernement. On va en Angleterre, on parcourt les routes en fer, on y lève des
plans ; de retour, et tout satisfait du spectacle merveilleux de cette grande
île présenté par la multiplicité de ses rapides communications, on proclame ce
pays modèle ; on annonce que par les routes en fer seulement
Là on a vu que le système des
concessions a tout créé, a tout vivifié, a tout enrichi, et on ne veut pas du
système des concessions ; on interpelle même ce mode de système rétrograde
anti-progressif, et c’est alors vers
On craint, dit-on, que dans
des entreprises aussi vastes, qui ne tendent à rien moins qu’à desservir toute
la circulation d’un royaume, une société ne devienne par l’influence de ses
tarifs, de ses transports, un Etat dans l’Etat, et que ses immenses bénéfices
ne lui fassent accaparer toutes les richesses, tous les profits des
particuliers ; mais je dirai d’abord qu’une société n’est qu’une réunion
collective des intérêts privés, et que si la société s’enrichit, ce sont
réellement les particuliers qui s’enrichissent. Mais cette objection étant
bonne contre les sociétés qui tendent à faciliter les grandes communications
d’un pays, pourquoi permettre l’établissement de celles dont le but est de
faire circuler les richesses monétaires d’un pays telles que les banques ?
Pourquoi encourager les grandes sociétés commerciales, les sociétés cotonnières
? car là le danger est le même, car ces sociétés peuvent également s’emparer, à
la longue, de l’argent, du commerce, des fabriques d’un royaume, et en
monopoliser les bénéfices. Cependant ce danger n’est qu’illusoire, et on le
sait bien. Il l’est aussi pour la construction des routes. Mais ici comme en
France le gouvernement s’est, depuis longtemps, constitué fabricant de routes,
et il faut bien que lui et ses fonctionnaires travaillent.
Je ne m’arrêterai point à
réfuter dans ce moment tous les arguments, toutes les théories brillantes dont
on veut éblouir vos esprits pour justifier le projet en discussion. J’attendrai
le développement de cette discussion. Je verrai comment nos adversaires
expliqueront à la chambre la nature de l’hypothèque qu’ils prétendent offrir
aux bailleurs de fonds sur les revenus de la route, revenus qu’ils se réservent
cependant d’amoindrir par l’abaissement facultatif des tarifs. Les bailleurs ne
seront pas, je crois, gens à se contenter d’une pareille hypothèque, surtout
dans l’absence du tableau des tarifs qu’on nous refuse. Je serai curieux
d’entendre la réponse qu’on adressera aux griefs élevés par les provinces du
midi du royaume, dont on avoue, dans les mémoires, page 8, que l’exportation
pour les charbons en Hollande sera, pour ainsi dire, détruite par la
concurrence de ceux de Liége. Toutes ces explications seront fort embarrassantes,
moins embarrassantes cependant que l’exécution elle-même, dont je m’attriste de
voir le gouvernement s’attirer toute la responsabilité.
Mais enfin le gouvernement
fera sa route si nous lui en votons l’autorisation ; il la fera si une guerre,
si quelques grandes catastrophes ne viennent pas interrompre ses travaux ; car
alors les fonds votés pour les routes iront s’absorber dans des armements, et
il faudra recommencer à nouveaux frais et à de longs intervalles, tandis que
les concessionnaires doivent et peuvent toujours agir, agissant dans un but
spécial. Cependant la route achevée, craignez que le gouvernement ne soit alors
lui-même possédé de cet esprit étroit de propriétaire, qu’il reproche aux
sociétés, que ce gouvernement ne repousse toute concurrence, toute amélioration
progressive des voies de communication, dans les mêmes région
qu’il exploite. Que dis-je, cette jalousie d’entrepreneur, cet esprit de
monopole s’est déjà emparé de lui, depuis qu’il est descendu des hautes sphères
de surveillance qu’il n’aurait jamais dû quitter. Sans sa jalouse opposition
depuis trois années, nous posséderions une partie de cette route en fer qu’on
est encore réduit à discuter maintenant. L’esprit d’association vous ferait
déjà rouler en locomotives d’Anvers à Bruxelles.
Sans cette même préoccupation
de monopole, nos hommes du ministère, hommes, en toute autre circonstance, de
progrès et de haut libéralisme, rejetteraient-ils avec tant de dédain
l’invention et l’application de ces voitures à vapeur sur les routes ordinaires
; ils suivraient au contraire, d’un œil curieux tous ces essais chaque jour
plus heureux, des Gurney, des Hancock, des Mascerone, et se rappelleraient que, lorsqu’au 16ème
siècle, un mécanicien espagnol, et lorsqu’en 1811 l’Américain Fulton essayèrent,
l’un à Barcelone et l’autre à Boulogne, leurs informes bateaux à vapeur, deux
grands hommes Charles-Quint et Napoléon virent aussi la possibilité usuelle de
cette navigation nouvelle, et aujourd’hui ces vaisseaux sillonnent toutes les
mers. Il en sera sans doute ainsi des voitures à vapeur, car la perfectibilité
indéfinie est donnée au génie de l’homme ; perfectibilité d’autant plus rapide
que l’esprit humain devient plus éclairé et que plus de personnes le sont. Ces
voitures rouleront sans doute moins vite sur nos pavés actuels que ne le font
les locomotives sur les railways ; mais on pourra construire d’autres routes
pavées de dallées, et bien moins coûteuses que les chemins à rainures en fer ;
et c’est devant ces éventualités qu’on veut nous faire voter des millions !
Il me reste une dernière
considération à vous mettre sous les yeux : la révolution belge, parmi tous les
bienfaits qu’elle a répandus sur le pays, doit, selon moi, compter comme un des
plus précieux celui d’avoir fermé une plaie toujours plus saignante, toujours
plus profonde, que la main fiscale de
Voilà mon
opinion.. Elle se résume en peu de mots. Je regarde
une route en fer comme utile ; mais non comme indispensable au bien-être du
pays. J’estime que cette communication doit être construite à double voie,
contiguë de l’Océan à l’Allemagne, et par cela même je suis convaincu que les
millions demandés seront loin de suffire à son achèvement. Je désire éviter au
gouvernement des déficits et des embarras ; je veux que pour se préserver des
embarras, il essaie au préalable de la voie des concessions. Je veux enfin la
route en fer, mais je ne la veux point par le mode de construction actuelle.
M.
Donny. – Messieurs, député d’une ville dont les intérêts vitaux
sont intimement liés à l’objet en discussion, je ne suis pas sans crainte de voir
attribuer à l’esprit de localité l’opinion consciencieuse que je vais émettre.
Pour dissiper autant qu’il est en moi une prévention qui ne serait fondée en
aucune manière, je m’abstiendrai de tout argument qui ne soit pas tiré
directement de l’intérêt général du pays.
Je me suis posé cette question
: Faut-il construire une route en fer ? et je n’ai pu y répondre d’une manière
absolue ; j’ai trouvé que ma réponse devait être négative, si la route devait
être construite dans l’intérêt de quelques localités privilégiées, mais qu’elle
devait être affirmative si l’on voulait obtenir des résultats plus élevés ;
s’il s‘agissait de procurer au pays le moyen de lutter, quant au commerce
maritime, avec nos voisins ; s’il s’agissait encore de donner au pays un nouveau
moyen de s’affranchir des molestations que nous devons craindre de nos ennemis.
Messieurs, en m’exprimant
d’une manière aussi positive, j’éprouve le besoin de vous développer sur quels
motifs mon opinion se trouve fondée.
J’ai dit que je désapprouverais
la route, si elle devait avoir pour résultat de procurer à quelque point
privilégié du royaume des avantages nouveaux ; peut-être, messieurs,
quelques-uns d’entre vous seraient-ils d’opinion qu’il est assez inutile de
fixer son attention sur une hypothèse semblable, attendu qu’il ne peut entrer
dans l’esprit d’aucun homme sensé de vouloir faire construire une route en fer
par l’Etat dans la vue d’obtenir quelques avantages locaux. Mais, pour partager
cette manière de voir, je devrais avoir perdu complètement le souvenir du
premier projet de MM. les commissaires du Roi ; je devrais avoir oublié que ce
projet tendait évidemment à sacrifier l’intérêt général du pays aux exigences
d’une certaine localité. Et en effet, messieurs, n’était-ce pas là, évidemment la
tendance d’un projet qui donnait à un seul de nos points maritimes la
jouissance exclusive du chemin en fer, sans s’inquiéter le moins du monde de ce
que deviendraient tous les autres, sans s’inquiéter davantage de ce que
deviendra la route elle-même, alors que le commerce du point privilégié aurait
été suspendu ou par des entraves de la part de nos ennemis, ou par l’effet
naturel des saisons ?... N’était-ce pas encore là évidemment la tendance du
projet, lorsqu’il nous faisait voir en perspective la construction d’un immense
canal, coûtant des frais énormes, qui ne pouvait procurer au pays aucun
avantage général, et qui n’avait d’autre utilité que de permettre en certaines
circonstances de débarquer sur un point privilégié de
J’ai dit que pour obtenir
l’appui de mon vote, le chemin de fer devait procurer à notre commerce maritime
le moyen de lutter contre celui de nos voisins ; ici, messieurs, je dois vous
faire remarquer que je n’entends pas parler de cette espèce de commerce
maritime qui consiste dans l’exportation de nos produits et dans l’importation
des matières premières dons nous avons besoin ; ce commerce maritime-là mérite
sans doute aussi toute notre sollicitude, et je serai toujours un des premiers
à l’encourager, Mais ce n’est pas ce commerce que j’ai en vue pour le moment ;
j’ai voulu vous parler du commerce de transit ; et à cet égard je crois utile
d’entrer dans quelques explications.
Il existe un mouvement commercial
immense entre l’Allemagne et les pays occidentaux d’outre-mer ; ce mouvement
nécessite l’emploi d’un nombre considérable de bâtiments de mer.
Quelques-uns de ces bâtiments
naviguent des ports de l’Allemagne septentrionale ; mais d’autres, et c’est le
plus grand nombre, dans certaines circonstances au moins, fréquentent les ports
de
Le transit a toujours été
considéré par tous les pays, comme une source de prospérité.
Mais ce n’est pas assez sans
doute que de vous apprendre quelle est l’opinion que les nations voisines se
sont formées du commerce de transit. Il faut que je vous indique encore
quelques-uns des avantages qui résultent de ce commerce.
Ici je me montrerai fidèle à
la règle que je me suis prescrite en commençant ; je ne vous parlerai que des
avantages qui profitent à l’intérêt général du pays.
Je vous ferai remarquer
d’abord que l’embarquement, le déchargement et le passage d’une marchandise
étrangère sur notre territoire ne peut avoir lieu sans occasionner de grandes
dépenses ; que les dépenses sont supportées en totalité par la marchandise ; et
comme celle-ci voyage pour compte étranger, il en résulte que c’est en
définitive l’étranger qui supporte toutes ces dépenses. Une conséquence du
transit est donc de faire verser dans le pays, par l’étranger, des valeurs qui,
sans le transit n’y seraient pas arrivées.
Le transit doit attirer dans
nos ports une grande affluence de navires ; et cette affluence est par
elle-même une source de nombreux avantages pour le pays. D’abord elle produit
une augmentation directe des revenus du trésor : chaque navire qui fréquente
nos ports est obligé de payer un impôt en faveur de l’Etat ; impôt assez
considérable et connu sous le nom de tonnage. Attirer l’affluence des navires
dans nos ports, c’est augmenter considérablement les produits de cet impôt,
c’est augmenter les revenus du trésor.
Un second avantage de
l’affluence des navires, est l’augmentation de la consommation des produits de
notre pays : ces produits sont consommés par les navires ou en
approvisionnements de mer, ou sur les lieux mêmes ; ou bien ces produits sont
employés à la réparation des bâtiments. Un navire de mer est un espèce de
meuble qui se trouve en réparation constante : il n’est jamais un seul bâtiment
qui rentre dans un port quelconque sans avoir quelque chose à réparer, quelque
chose à compléter, soit au bâtiment, soit à ses agrès et apparaux ; et pour les
réparations l’on met à contribution le bois de nos forêts, les métaux de nos
mines, les produits de notre agriculture, les produits de nos fabriques. Tous
les produits du pays sont tour à tour employés à satisfaire aux besoins de la
navigation.
Un troisième avantage que doit
procurer au pays l’affluence des navires dans nos ports, c’est une plus grande
facilité donnée au transport de nos produits sur les marchés étrangers.
Lorsqu’un bâtiment étranger a
déchargé dans nos ports les marchandises destinées pour l’Allemagne et qu’il se
dispose à retourner dans son pays, il faut, de deux choses l’une, ou bien qu’il
retourne sur lest, ou bien qu’il tâche d’obtenir un chargement. Comme un retour
sur lest ne peut lui procurer aucun bénéfice et le soumet à quelque frais
particulier, son choix est bientôt fait : il tâche d’obtenir un chargement, et
pour l’obtenir, il se contente du fret le plus modique.
Lorsqu’il y a dans un port un
grand nombre de bâtiments qui se trouvent dans cette position, il s’établit
naturellement entre eux une concurrence qui fait baisser le prix du fret au
plus bas taux possible ; plus le fret est bas, plus l’on peut économiquement
transporter nos produits sur les marchés étrangers.
Messieurs, après vous avoir
entretenu de quelques-uns des avantages du transit, il me reste à vous dire de
quelle manière on peut assurer au pays la jouissance de ce commerce. A cet
égard je vous ferai remarquer que le commerce de transit comme tout autre
commerce se fixera toujours là où il trouvera les plus grands avantages. Il ne
s’agit donc que de procurer à ce commerce des avantages supérieurs à ceux que
lui offrent
Quant à la concurrence avec
Quant à
Le port de
J’ai dit qu’une autre
condition que doit remplir le projet de chemin en fer pour obtenir mon
approbation était de nous procurer le moyen de nous affranchir des entraves que
la rivalité de
Je sais que MM. les
commissaires du Roi ne partagent pas à cet égard ma manière de voir, qu’ils
sont dans une sécurité parfaite sur la navigation de l’Escaut dont, suivant
eux, la liberté ne saurait être mise eu doute. Si je vous demande, MM. les
commissaires du Roi, quels sont vos motifs de sécurité, vous me répondrez
probablement qu’ils sont tirés d’abord du traité de Vienne, qui consacre en
principe la liberté de la navigation de tous les fleuves, ensuite du traité du
15 novembre, qui stipule spécialement la libre navigation de l’Escaut, et
enfin, de la garantie dont
Croyez encore, si vous le
pouvez, que le traité du 15 novembre si péniblement élaboré, conclu, si
incomplètement ratifié, si peu exécuté encore, sera peut-être le seul traité
qui ne sera jamais violé dans aucune de ses dispositions, ni par aucune des
parties contractantes !... Croyez encore que le roi Guillaume, dont nous
connaissons tous le caractère, se fera un point de conscience d’exécuter fidèlement
ce traité du 15 novembre qui anéantit ce qu’il appelle encore ses droits
légitimes ; ce traité qui érige en nation libre et indépendance ces Belges qui
l’ont si honteusement chassé du trône, et qui ne seront jamais, à ses yeux, que
des infâmes rebelles !...
Croyez encore que la nation
hollandaise, qui n’a jamais reculé devant aucun sacrifice lorsqu’il s’est agi
de s’opposer à la navigation de l’Escaut, changera tout à coup, de caractère ;
qu’elle oubliera les intérêts vitaux de son commerce, et demeurera paisible
spectatrice d’une navigation qui doit tôt ou tard donner la mort à son commerce
! Croyez enfin, si vous le pouvez, que
Si votre croyance peut aller
jusqu’à ce point, je puis la respecter, mais il m’est impossible de la
partager.
Je partage au contraire
entièrement les craintes exprimées par toutes les autorités du pays sur la
manière dont le traite du 15 novembre sera exécuté par
D’ailleurs quand, à l’occasion
d’un objet aussi important pour le pays, il s’agit de calculer le degré de
confiance que nous devons avoir dans
Vous me direz que c’est encore
moins sur les traités que se fonde votre sécurité, que sur le courage de la
nation belge et sur la position respective de
Je vais vous suivre sur ce
terrain, et vous faire de plus les concessions les plus larges. Je vais vous
accorder des résultats auxquels l’imagination la plus brillante n’oserait pas
prétendre.
Je suppose qu’un navire belge
remontant l’Escaut soit arrêté par la marine hollandaise, non pendant quelques
jours, mais pendant quelques heures seulement. Aussitôt
Voilà, je pense un résultat assez
glorieux. Voici maintenant le revers de la médaille. Pour obtenir ces
résultats, le sang belge aura coulé à grands flots ; la dette publique aura été
augmentée de quelques centaines de millions ; le commerce étranger aura déserté
Après avoir porté vos regards
sur quelques-uns des résultats naturels d’une guerre même glorieuse, je me
crois fondé à dire qu’il est de l’intérêt général de ne point chercher dans la
force des garanties que l’on peut trouver ailleurs ; et j’ajoute qu’on peut en
trouver ailleurs. Il suffit en effet pour cela de construire une route en fer
et de lui donner une direction convenable.
Messieurs, je me résume en
déclarant que je voterai pour la construction d’une route en fer, si elle aboutit
au port de
M.
Lardinois. - Messieurs, si nous étions tous parfaitement
pénétrés de ce qui a été écrit depuis un an sur les chemins en fer, et
notamment sur le projet à l’ordre du jour, nous pourrions nous borner à une
courte discussion générale, et passer immédiatement à l’examen des articles ;
mais il est dans la nature des choses que les meilleures combinaisons trouvent
toujours des contradicteurs, parce que tous les intérêts ne sont pas identiques
: de là naissent les divergences d’opinion qui influent plus ou moins sur nos
résolutions. Je prends donc la parole avec la croyance de ne rien dire de
nouveau, mais persuadé aussi qu’il est de ces raisons qu’on est obligé de
reproduire souvent, afin d’amener es esprits rebelles céder aux vérités utiles.
Nous ne pouvons pas nous
dissimuler que, sous le rapport de sa constitution physique,
L’histoire des nations nous
apprend que la richesse fut la cause de la grandeur et de la puissance des
peuples. Ceux de l’antiquité et du moyen-âge acquéraient leurs richesses par la
conquête et le pillage ; mais ne profitant qu’aux plus forts elles se
concentraient dans un petit nombre de
familles et la masse de la population continuait à supporter le joug de
l’esclavage et de la misère. Avec le progrès des lumières la conduite de
l’homme s’est améliorée, il a pu travailler pour son profit, et le travail
libre, messieurs, fut un des grands bienfaits de la civilisation.
C’est par lui que la fortune
publique se forme et s’agrandit, et que la dispersion des richesses s’opère
dans toutes les classes de la société. Reconnaissons donc que la richesse est un puissant auxiliaire de
la force des empires, qu’elle en est même la base et la mesure : elle donne à
l’homme plus d’indépendance, il comprend mieux sa dignité, et la société est
d’autant plus forte, que tous les individus sont intéressés au succès des
affaires générales.
Inutile, messieurs,
d’expliquer de quoi se compose la richesse et quels en sont les effets. Nous
savons tous que, dans les rapports extérieurs des Etats modernes, elle exerce
une influence incommensurable. Cette digression a pour but de faire comprendre
qu’avec le secours de la richesse,
Nous tenons en nos mains ce
grand levier, sachons le fortifier et en user convenablement : alors nous
interviendrons avec succès dans les combinaisons politiques qui pourraient nous
intéresser. Je ne proclamerais pas ces vérités consolantes, messieurs, si
j’étais animé de sentiments hostiles à mon pays ; mais agissant sans
arrière-pensées, ne voulant ni la restauration, ni d’autres bouleversements
politiques, je combats l’opinion, répandue à dessein par nos ennemis, que nous
sommes un peuple ingouvernable : c’st pourquoi je me garderai bien de m’opposer
directement ou indirectement aux grandes mesures qui doivent consolider notre
Etat naissant, et donner à l’étranger une haute idée de la capacité des Belges.
Je pense que cette conduite doit être suivie par tous les vrais patriotes.
Une conception heureuse pour
la richesse publique est, sans contredit, celle du chemin en fer qui doit
parcourir
Et comment un homme d’Etat
n’abonderait-il pas dans un projet dont les résultats avantageux frappent tous
les yeux ? N’est-ce pas un des meilleurs moyens de diminuer nos difficultés
politiques, et notamment celle pour la liberté de l’Escaut ? N’est-ce pas le
plus sût moyen de rallier les esprits en ouvrant de nouvelles sources de
prospérité à l’agriculture, au commerce et aux manufactures ? Huskisson attribuait à l’industrie les succès militaires de
son pays.
La plupart des Etats de
l’Europe encouragent les améliorations intérieures, parce qu’avec de meilleurs
communications les produits agricoles manufacturés baissent de prix et
permettent aux classes ouvrières de se procurer à bon compte les objets de
première nécessité, et à atteindre plus d’aisance. Elles facilitent également
la concurrence des produits sur les marchés extérieurs. Animée de sa force
commerciale intérieure, l’Angleterre a pu renverser ses rivaux partout où elle
s’est présentée.
La baisse des prix des
matières premières amène essentiellement l’augmentation de consommation des produits
et les bénéfices se multiplient. Ce sont là des faits que l’expérience vérifie
chaque jour.
Il est aujourd’hui
manifestement reconnu que parmi les grandes voies de communications, les
chemins de fer sont préférés aux canaux. Une route en fer absorbe moins de
capitaux, présente plus d’économie, et l’on peut en faire usage dans toutes les
saisons. Elle ne craint ni les gelées ni les sécheresses, ni toute autre cause
de destruction ; elle peut être établie sous terre comme sur terre, et on peut
la dirigera à volonté sur tous les grands foyers industriels, ce qui ne peut
pas avoir lieu pour un canal qui enlève en outre les meilleures terres à
l’agriculture.
Un chemin en fer procure donc
vitesse, économie et agrément. Les contrées qu’il traverse en retirent un
avantage immense ; car vous avez pu remarquer que l’étendue des villes, leur
population et la richesse des habitants sont presque toujours en raison de la
facilité des communications. Les propriétés qui avoisinent augmentent de valeur
; en multipliant la vitesse, on abrège le temps et l’espace, et tel fermier qui
ne parcourait qu’une zone de deux lieues pour vendre ses denrées, pourra
fréquenter les marchés éloignés de six lieues, et revenir à son domicile en une
on deux heures. Je vous citerai pour exemple l’Irlande qui a trouvé un débouché
facile et considérable à ses produits par l’érection de sa route en fer de
Liverpool à Manchester.
Lorsque le projet de cette
route parut en Angleterre, mille objections s’élevèrent pour le combattre, et
rien ne fut épargné par les intérêts contraires, pour le faire avorter. Mais
toutes les ligues, toutes les ruses pour rendre son exécution impossible,
échouèrent devant le bon sens du peuple anglais. Malgré 800,000 francs de frais
préliminaires, on remarquait que les actions de cette route gagnaient 15 p.c.
avant l’approbation du parlement.
Nous devons nous féliciter,
messieurs, d’avoir été précédés dans la carrière des chemins de fer par
d’autres peuples ; nous pourrons profiter de leur expérience et éviter les
fautes inhérentes aux grands travaux qui n’ont pas encore été sanctionnés par
la pratique. Un autre avantage, c’est d’avoir des données certaines qui
permettent d’établir des calculs exacts contre lesquels viennent se briser les
allégations de la mauvaise foi. Suivant M. Cordier, les routes en fer offrent
une économie des six septièmes sur les meilleures routes de niveau. Il est
aussi démontré mathématiquement que sur un chemin de fer un cheval tire 180
fois sa force, tandis que sur une bonne route ordinaire, également de niveau,
il tire seulement 25 fois sa force, c’est-à-dire moins d’un septième : ainsi
donc diminution des six septièmes de la puissance employée aux transports.
Si je ne craignais pas de
sortir de la discussion générale, je m’appuierais des résultats justifiés du
produit des chemins de fer en Angleterre, aux Etats-Unis en en France ; mais je
devrais entrer dans beaucoup de calculs, et ils trouveront mieux leur place
lorsqu’il s’agira des articles. Je vous ferai seulement observer que, dans ces
pays, les actions de ces routes se vendent avec des bénéfices énormes, parce
qu’elles donnent des dividendes élevés, indépendamment des retenues que l’on
applique au remboursement des capitaux avancés. On compte qu’après avoir payé
les frais d’exploitation, d’entretien et les intérêts, il reste au moins un
quart de bénéfice du produit brut.
Vous avouerez, messieurs,
qu’en présence de ces faits, c’est bien gratuitement qu’on s’effraie d’une
avance considérable de fonds, fût-elle même de 40 millions, pour l’exécution du
chemin en fer projeté. Il n’y a pas de doute que le mouvement commercial actuel
suffit pour couvrir toutes les dépenses et forme un fond d’amortissement
capable de rembourser les coûts de route en très peu d’années. D’ailleurs en
quoi l’emprunt peut-il grever le trésor ? C’est une opération de crédit public
appliqué à une spéculation productive, nationale, qui fournira à
Pour cela qui s’occupe de
l’économie sociale, il y a dans l’argument que « la route grèvera le
trésor public », de quoi révolter la raison humaine. Et cependant l’on ne
craint pas de se présenter devant vous, messieurs, avec de pareilles armes pour
combattre une entreprise patriotique qui doit féconder la fortune publique ! mais c’est en vain, elles frappent à faux et viennent
s’émousser contre la solidité de son jugement. Comment, vous refuseriez votre
approbation à l’emploi d’un crédit qui multipliera les valeurs à l’infini, et
vous n’avez pas balancé un seul instant lorsqu’il s’est agi d’accorder
successivement au département de la guerre plus de 250 millions qui ont été
absorbés sans profit aucun pour l’Etat ? Raisonner de la sorte, c’est à mon
avis déclarer qu’on préfère l’art de détruire ou l’art de consommer sans rien
produire plutôt que l’art d’enrichir son pays.
Je crois avoir suffisamment
démontré la nécessité et l’utilité du chemin en fer. Si j’avais besoin d’autres
motifs je pourrais m’étayer des développements qui accompagnent la proposition
de l’honorable M. de Puydt ; mais vous les connaissez tous, et je terminerai
sur ce point par quelques courtes réflexions.
Beaucoup de branches d’industries
trouveront un avantage immédiat dans a construction d’une route en fer par
l’immense quantité de matériaux qu’elle exige. Elle offrira également un
débouché constant et rapproché pour une de nos principales industries, qui
mérite toute notre sollicitude, celle qui produit la fonte et le fer laminé ou
forgé. Elle procurera du travail aux classes ouvrières ainsi qu’aux
constructeurs de machines.
Sans moyens de communications
promptes et faciles, on est réduit à s’écrier comme le ministre français, M.
Thiers, dans son exposé des motifs sur les douanes : il faut maintenir les
prohibitions et les gros droits, notamment sur les fers et les houilles, car il
y aurait injustice à immoler les extracteurs français, parce que le pays n’a
pas rendu le sol viable, seule cause de la cherté des produits ! Notez cet
aveu, messieurs, il mérite d’être médité par des législateurs.
Après l’utilité du chemin de
fer reconnue, il reste à résoudre le problème du meilleur système à adopter
pour les travaux publics. Faut-il les abandonner au gouvernement, ou vaut-il
mieux les confier à l’industrie particulière ? En un mot, dans le cas qui nous
occupe, le gouvernement sera-t-il entrepreneur de la route en fer, ou bien
concédera-t-on l’entreprise à une association de particuliers ?
Ces questions sont d’un
intérêt immense, elles ont divisé et divisent encore les meilleurs esprits.
Cette division se manifeste actuellement parmi les membres de cette assemblée,
au sujet du chemin en fer, et cependant chacun de nous a fortement à cœur la prospérité
et la gloire de la patrie. Si nos opinions sont différentes, messieurs, nos
vues et nos intentions ne peuvent être suspectées, car jamais on ne fit en vain
un appel à notre patriotisme. Eclairons-nous donc par la discussion, afin que
la raison et l’intérêt du pays triomphent dans cette circonstance.
Je me plais à reconnaître que
parmi les auteurs qui ont écrit sur les travaux d’utilité publique, un certain
nombre donne la préférence au système des concessions. Ils puisent leurs
principaux motifs dans les ressources, l’habilité et l’activité de l’intérêt
privé qui, touchant une foule de particuliers, produit des résultats supérieurs
à l’action isolée d’une administration publique. Ils s’appuient aussi sur les
avantages qui retire un pays, en créant et en stimulant l’esprit d’association,
et en intéressant beaucoup de fortunes et d’existences à l’exécution des
entreprises publiques. Je me borne à citer ces deux arguments, parce qu’on peut
en tirer toutes les déductions possibles en faveur des concessions.
En thèse générale je crois que
cette proposition peut être soutenue avec succès ; mais vous savez, messieurs,
que dans les questions d’intérêts matériels, un gouvernement sage ne peut se
diriger par des principes absolus, attendu que l’expérience et la pratique
viennent combattre et souvent détruire les théories les plus vraies et les plus
solides en apparence. Un système quelconque n’est salutaire que pour autant
qu’il s’approprie son existence politique et civile. Sans cette règle pour
guide, vous tombez dans des utopies dont l’application compromet les sources de
la richesse publique.
Un principe d’une application
souvent utile, mais qui devient absurde et dangereux lorsqu’il est poussé dans
toutes ses conséquences, est celui des économistes qui veulent que
l’administration doit toujours « laisser faire et laisser passer » en
se reposant sur l’industrie privée, pour la direction et le profit des intérêts
généraux. Cette maxime, dans ce sens absolu, est un paradoxe. Lorsqu’il s’agit
surtout de grandes entreprises, il est indispensable que le gouvernement leur
donne l’impulsion, parce qu’il connaît mieux et qu’il est sensé agir dans les
intérêts du pays. Avec ce système, je vous demande quand se réaliseront les
améliorations que réclament les provinces du Limbourg et du Luxembourg ?
Croyez-vous que les particuliers dirigeront leurs capitaux vers ces contrées,
alors qu’ils ont la certitude de ne retirer aucun profit de leurs entreprises ?
Non, messieurs, ces provinces resteront stationnaires, le Limbourg avec ses
marais, ses bruyères, et le Luxembourg avec ses bois sans emploi, ses rochers
arides et son sol stérile. Ce n’est pas en abandonnant à l’intérêt privé la
direction des grands travaux que Elisabeth et Chatam
en Angleterre, Colbert et Turgot en France, ont fait prospérer le commerce, les
manufactures et l’agriculture. J’appelle, messieurs, votre attention sur ces
considérations, et je me flatte que dans cette occurrence vous ne la perdrez
pas de vue.
Les partisans des concessions
ne manqueront pas néanmoins d’invoquer ce qui se passe en Angleterre pour les
travaux des routes qui ont pris un si grand essor depuis quelques années.
A la vérité il est constant
que le pouvoir exécutif s’abstient de diriger la construction et l’entretien
des routes paroissiales ; il concède aux associations des curatelles
l’entreprise des routes à barrières ; il abandonne à l’intérêt particulier
celle des routes privées qui ne sont utiles qu’à une industrie particulière ;
mais le parlement anglais a toujours réservé au gouvernement l’exécution et
même les grandes améliorations des routes essentielles à la prospérité générale
de l’Etat, parce qu’il ne serait ni juste ni possible de faire supporter aux
seuls districts traversés par ces routes les frais d’un travail dont ils ne retireraient
pas seuls tous les avantages. Un système contraire conduirait à dire que nous
devons nous abstenir d’accorder les sommes énormes qui sont nécessaires pour
les routes, les canaux, les polders, les côtes, etc.., etc., et se reposer sur
les intérêts locaux ou particuliers.
Les grandes entreprises
s’exécutent facilement en Angleterre puisque l’esprit d’association y règne à
un haut degré ; ensuite que beaucoup de particuliers possèdent d’immenses
fortunes, ce qui leur permet de faire des avances considérables sans craindre
les longs sacrifices. On remarque aussi que les grands propriétaires de
l’aristocratie protègent de tout leur pouvoir les inventions favorables au
commerce et à l’industrie ; et en cela ils sont guidés par le sentiment du
patriotisme et non point par un intérêt sordide.
Les promoteurs du chemin en
fer par concession sont ou des hommes qui n’en veulent d’aucune manière, ou des
hommes qui veulent s’emparer de l’affaire pour la tripoter à leur profit, ou
des hommes qui sont absorbés par des intérêts de localité, ou enfin des hommes
qui ne comprennent pas bien la question.
La route en fer manque son but
essentiel si elle ne procure pas immédiatement à l’agriculture, au commerce et
à l’industrie des avantages réels sur les voies ordinaires. Si vous concédiez
le chemin en fer a une compagnie, elle stipulerait naturellement les conditions
les plus favorables, ou il faudrait renoncer à un traité de ce genre ; elle
perpétuerait l’élévation du tarif des péages, parce qu’après avoir détruit la
concurrence, elle aurait le monopole des transports et dicterait la loi ; elle
userait de tant de subterfuges et soulèverait tant de plaintes, que le
gouvernement serait à la fois forcé de racheter la concession un prix onéreux,
ainsi qu’on l’a fait pour le canal de Pommerœul.
Evitons, messieurs, de tomber dans un pareil leurre, et confions l’entreprise à
l’administration qui n’a d’autre mobile que l’intérêt général.
En admettant qu’on puisse
trouver des concessionnaires pour une aussi vaste opération, il n’y a pas de
doute qu’ils calculeront leurs conditions pour avoir un gros intérêt de leurs
capitaux, et un bénéfice considérable pour les chances à courir. En gardant
pour le pays ces avantages, nous les ferons tourner au profit de l’amortissement,
et dans un certain laps de temps, nous pourrons posséder une communication
immense qui ne coûtera pas un denier à l’Etat.
On parle avec emphase des
concessions ; mais je suis persuadé que si on rendait l’entreprise du chemin en
fer, il se trouverait plus de raisonneurs que de preneurs même parmi les
capitalistes. Je pose en fait qu’on ne pourrait former une compagnie qui
voudrait embrasser le système général. On trouverait bien des amateurs pour
entreprendre par concession la section de la route de Bruxelles à Anvers, mais
jamais pour la partie de Malines à Ostende, parce que les mouvements
commerciaux ne sont pas assez multipliés pour donner de grands bénéfices, de
sorte que les Flandres devraient rester privées de cette nouvelle voie de
communication.
L’esprit d’association règne
trop faiblement en Belgique pour croire que l’on pourrait établir une compagnie
dont le fonds social serait de 40 millions. Oui, au moyen de la banque et des
spéculateurs étrangers, on parviendrait peut-être à réunir ce capital ; mais
n’oublions pas, messieurs, les leçons du passé ; elles ont coûté assez cher au
trésor public. Mettre le chemin de fer en main d’une association qui est sans
concurrence, c’est abandonner un beau fruit à la voracité de quelques individus
qui, après en avoir exprimé tout le jus, vous jetteront l’écorce.
Sans doute le chemin en fer
nuira momentanément à certaines localités et à quelques industries
particulières ; mais doit-on jamais s’arrêter à des considérations de cette
espèce, lorsqu’il s’agit d’une mesure qui intéresse la généralité des citoyens.
La révolution de septembre a nui évidemment à plusieurs branches d’industrie,
est-ce à dire que nous devons le condamner sans tenir compte des résultats
moraux et matériels qu’elle a produits et qui sont profitables au pays entier.
Le premier principe de toute
association politique est l’aliénation des droits de chaque citoyen en faveur
de la communauté ; ce qui revient à dire, que l’intérêt personnel doit
s’effacer devant l’intérêt général.
La substitution de ce moyen de
transport aux anciens ne sera jamais assez brusque pour nuire d’une manière
irréparable à des industries particulières qui méritent intérêt. Ce sont les
propriétaires de mines de houille du Hainaut qui excitent le plus de
réclamations ; on craint et on va même jusqu’à assurer que cette industrie est
sacrifiée par le chemin en fer projeté, attendu que le charbon du Hainaut ne
pourra pas soutenir la concurrence contre celui de Liège. Je considère ces
craintes comme étant, pour la plupart, imaginaires.
D’abord les houilles de Mons ont leur principal débouché en France et dans
quelques parties des Flandres où les extracteurs liégeois ne pourraient lutter
de prix. Ceux-ci n’auront pour avantage que la facilité de concourir sur les
marches du Brabant et en Hollande, lorsque l’Escaut sera libre et les entraves
mises à l’entrée des houilles levées. Les exploitants des mines de Liége ont
beaucoup souffert depuis la révolution ; ne leur envions pas, messieurs, les
avantages présumés d’un accident heureux qui doit rallier au gouvernement
beaucoup d’honnêtes gens dont les intérêts ont été cruellement froissés par
notre séparation politique de septembre. Jamais Liége ne s’est récrié contre
les avantages en routes et en canaux dont le Hainaut a été doté dans tous les
temps.
Je termine ici mes
observations ; je désire qu’elles concourent à vous faire adopter le projet
patriotique qui vous est soumis par le gouvernement. Nationalité, indépendance,
force, richesse, tout vous convie à proclamer la nécessité et l’utilité de
cette œuvre. Prononcez, messieurs, le monde politique et. le
monde commercial ont les yeux fixés sur la décision que vous allez prendre.
M.
de Puydt. - Messieurs, dans la discussion générale du projet de
loi soumis à vos délibérations, je n’ai que très peu d’observations à faire, me
réservant de présenter des considérations plus étendues, lors de l’examen des
questions de principes qui se rattachent aux articles de la loi.
Je me bornerai pour le moment
à la question d’utilité absolue ou relative d’un système nouveau de
communications.
L’emploi des ornières en fer
dans un établissement particulier, entre plusieurs établissements appartenant à
une intime exploitation, ou seulement pour arriver d’un lieu de production vers
les communications publiques suivies par le commerce en général, a fait faire à
l’industrie anglaise un pas extraordinaire en diminuant les frais de transport
à la source même de la fabrication en abrégeant le temps. Sous ce point de vue
il y a progrès.
L’application des ornières en
fer à de grandes communications de ville à ville, lorsque ces villes sont
rapprochées, lorsqu’elles ont comme Liverpool et Manchester une immense
population et une industrie active ; lorsque l’un produit et que l’autre
consomme, on expédie à la consommation éloignée par la mer ou toute autre
grande voie de transports, est également un progrès, dont le succès est
constaté, au moins pour le cas particulier que j’ai cité.
Mais l’application des
ornières en fer à de très grandes communications, non plus de villes à villes,
mais à travers le territoire entier de plusieurs provinces de différents
royaumes, peut-elle être aussi considérée comme un progrès ? C’est là une tout
autre question, sur laquelle la spéculation seule ne peut pas prononcer ; il
faut y joindre l’expérience. Or ici, d’après tous les calculs que l’on établit,
la spéculation dit oui et l’expérience se tait. Je n’oserais donc prononcer
d’une manière décisive, et je ne puis voir dans la proposition qu’un grand
essai qui ne doit être tenté qu’avec la prudence la plus circonspecte.
En agir autrement, ce serait
frapper de discrédit les spéculations fondées sur l’état des communications
actuelles ; ce serait jeter dans les entreprises déjà faites un désordre qui ne
manquerait pas d’occasionner à l’industrie du pays des pertes supérieures de
beaucoup et pour longtemps aux avantages que l’on pourrait espérer des
perfectionnements présumés.
Le chemin de fer d’Anvers à
Cologne étant l’un des premiers progrès de ce genre conçus en Belgique, il
importe extrêmement que la question de son utilité soit vidée à fond avant
qu’on procède à son exécution. Car si, faute d’un mûr examen ou d’enquêtes
suffisamment lumineuses, on venait à manquer un premier essai, l’adoption des
chemins de fer même les plus immédiatement nécessaires, serait reculée pour
longtemps, et je crois que ce serait un grand mal.
Ce projet se présente sous
deux aspects.
Comme communication
indispensable pour enlever à
Comme perfectionnement utile à
introduire en Belgique dans l’intérêt de l’industrie indigène.
Messieurs il est évident pour
qui a lu les mémoires publiés par le gouvernement, que de prime abord on a eu
qu’un seul but, le transit vers l’Allemagne. Il est évident aussi que ce
transit n’a plus paru ensuite, sous le rapport matériel, offrir une importance
capable de justifier une entreprise aussi colossale, et que ses produits ne
pourraient couvrir les dépenses de construction.
En effet, le projet présenté
en 1832 se dirigeait par
Ce projet était moins
dispendieux que celui présenté depuis, et cependant le gouvernement y a
renoncé.
Mais comme c’est à cause du
manque de produits présumés que le gouvernement l’a abandonné, il a voulu par
une direction nouvelle trouver dans des transports auxiliaires un moyen de
suppléer le déficit ; c’est évidemment décliner le motif primitivement allégué.
En thèse générale, pour qu’un
ouvrage d’utilité publique ait véritablement ce caractère, il faut qu’il soit
au moins assez productif pour couvrir l’intérêt des dépenses nécessaires à la
construction, et, d’après cette manière de voir un projet de route qui ne
remplit pas cette condition me semble porter en soi sa condamnation.
Cependant, messieurs, ce n’est
pas là un principe absolu, en plus d’un cas, et par exception, des routes
peuvent être nécessitées par des motifs politiques, leur construction devenir
indispensable malgré l’insuffisance des produits présumés. Je dirai plus,
c’est, à mon avis, dans ces cas exceptionnels que ces ouvrages doivent être
exécutés par le gouvernement aux dépens du trésor, parce qu’alors la nature des
motifs qui en commandent l’exécution est avouée par tous les citoyens, dont la
volonté se manifeste par un assentiment unanime.
En exprimant cette opinion, je
demande cependant s’il y a lieu d’en faire l’application au chemin de fer.
C’est une question qui, pour moi, n’est pas douteuse, et si la solution avait
jamais pu être affirmative, ce n’eût été que dans le cas ou le gouvernement
aurait maintenu son premier tracé, parce qu’alors seulement il aurait atteint
le but primitivement avoué, parce que l’isolement de la route n’aurait porté
atteinte en aucune manière à l’équilibre des communications existantes, parce
qu’elle aurait procuré à une intéressante province une communication
importante, et qui aurait favorisé le développement de son agriculture, parce
qu’enfin la dépense est moindre de près de moitié, et quand c’est aux frais de
la nation qu’on travaille, il faut que ce soit au meilleur marche possible.
En abandonnant le premier
tracé, le seul que les motifs politiques pouvaient appuyer, le gouvernement a
fait rentrer le projet dans les conditions ordinaires et s’est ôté le droit
d’invoquer ces motifs.
Je ferai en passant une
remarque ; c’est que le gouvernement doit avoir à l’égard des travaux publics
des principes entièrement à lui ; car dans le cas du premier tracé, quand le
but ostensible de la route et l’impossibilité d’obtenir des produits suffisants,
lui faisaient un devoir de l’exécuter pour le compte de l’Etat, il proposait de
l’adjuger, par concession, et dans le second cas, lorsque par un tracé
différent, il assure les produits et change la destination de la route de
manière à n’être plus dans l’obligation exceptionnelle d’y pourvoir aux frais
du trésor, c’est alors qu’il prétend exclure l’intervention de l’industrie
particulière et imposer à l’Etat des sacrifices inutiles.
Au reste le premier projet
étant écarté, il me reste à peser les conséquences du second.
Le chemin tel qu’il est
aujourd’hui projeté ne résout pas la question de la liberté de l’Escaut, il y
reste subordonné par son point de départ, qui est Anvers. Il l’a compliqué, au
contraire, en ce qu’il est en quelque sorte un acte d’hostilité contre
Pour rendre nulle la question
de l’Escaut, il fallait agir comme s’il n’y avait pas eu d’Escaut et ouvrir une
route directe de la mer au Rhin. Si telle eût été la conception du
gouvernement, elle aurait porté un grand caractère d’intérêt national. Mais
loin de là. La pensée de se rattacher à Ostende n’est que secondaire ; c’est
même avec une répugnance marquée que le gouvernement semble se déterminer à un
embranchement dans cette direction ; je n’en donnerai d’autre preuve que le dernier
mémoire qu’il a publié à cet effet ; mémoire où les chemins de fer, qui jusque
là avaient été présentés comme supérieurs aux canaux, cèdent tout à coup le pas
à ces derniers, afin de pouvoir décliner l’utilité d’un embranchement de Gand à
la mer. Le gouvernement ne veut donc pas de la communication avec Ostende, d’où
il faut conclure que le véritable point de vue, sous lequel on pouvait
envisager l’intérêt politique du transit n’a point été le motif de ce projet.
Quant à l’utilité du projet de
chemin de fer, sous le rapport des produits du transit, elle me paraît
difficile à établir, si l’on se contente des renseignements fournis à cet effet
par les mémoires.
Il importe pour cela d’entrer
dans quelques détails qui ne sont pas sans intérêt pour la question.
On trouve dans les documents
publiés par le gouvernement les renseignements suivants sur le transit avant
1830.
Les expéditions d’Anvers sur
Cologne se sont accrues successivement depuis 1823 jusqu’en 1830 de 1,900 à
12,000 tonneaux, mais comme dans cette dernière année le calcul ne va que
jusqu’au 1er septembre, on est autorisé à croire que pour l’année entière les
expéditions auraient pu s’élever à 16,000 tonneaux..
Le transport de ces
marchandises s’effectuait partie par les bateaux à vapeur, partie par bateaux à
voile, et 2,000 tonneaux environ, destinés à la consommation du pays entre
Meuse et Rhin, prenaient la voie de terre.
Les mêmes documents donnent en
outre une quantité de 15.500 tonneaux expédies vers Cologne, par
l’intermédiaire de Rotterdam.
Ainsi donc le transit d’Anvers
à Cologne se borne à 16,000 tonneaux d’une part, et en supposant que les
marchandises expédiées par l’intermédiaire de Rotterdam d’autre part, dussent
être comprises dans le compte, la totalité des expéditions n’irait qu’à 30,000
tonneaux. Quant aux retours, on ne porte que 9,500 tonneaux, d’où le mouvement
entre le Rhin et Anvers ne s’élève qu’à 40,000 tonneaux.
C’est aujourd’hui
Voyons si le chemin de fer
remplit cette condition. D’après les calculs du projet, tel qu’il est présenté,
les frais de transport doivent être :
- Par le chemin de fer jusqu’à
Verviers, fr. 9 00
- Par le roulage de Verviers à
Cologne (prix moyen), fr. 27 50
Total, fr. 36 50
Mais à ce prix il faut ajouter
les droits à payer depuis la mer jusqu’à Anvers, et qui ne s’élèveront pas à
moins d’un florin, ou fr. 2 10
Total, fr. 38 60.
Les prix moyens du transport
de Rotterdam à Cologne. par bateau a vapeur, y compris
l’octroi prussien, sont respectivement à la remonte et à la descente de 37 fr.
et 22 fr.
Les mêmes prix par la
navigation à voile, sont dans les mêmes cas de 36 fr. et 25 fr.
Les droits hollandais n’ont
pas été compris dans ce calcul parce que dans la supposition où
On voit donc, que la
comparaison des prix n’est pas à l’avantage du projet jusqu’à Verviers. Il y a
même dans ce cas d’autant moins de chance de pouvoir combattre la concurrence
de Rotterdam, et attirer les transports par notre territoire, que les calculs
du mémoire en ce qui concerne le fret présumé par le chemin, sont portés si bas,
et supposent des circonstances si favorables, qu’il y aurait imprudence à en
admettre le taux sans l’augmenter.
Mais un transit qui ne
comporte qu’un mouvement de 40,000 tonneaux de marchandises ne serait dans
aucun cas suffisant pour motiver une construction spéciale d’une dépense aussi
considérable ; si cette question ne devait pas être envisagée sous un point de
vue plus élevé par ceux qui ont, sinon provoqué, au moins vivement soutenu le
projet.
La libre navigation de
l’Escaut ouvre le port d’Anvers aux nations commerçantes ; la prospérité de
cette ville y est intéressée ; mais cette prospérité sera toujours extrêmement
bornée, si l’établissement du transit par notre territoire ne devient pas
l’occasion d’un développement convenable d’opérations ; sans cela, le commerce
ne consisterait qu’en échanges entre les produits du pays nécessaires à la
consommation du dehors et les produits étrangers pour la consommation du pays.
Avec le transit, au contraire, cette prospérité n’a plus de limites ; Anvers
devient un marché européen où se traiteront des affaires embrassant le monde
entier.
Le transit importe donc à
cette ville, moins à cause de la quantité de marchandises qu’il ferait affluer
dans le port, qu’à cause de l’étendue des relations qu’acquerraient les capitalistes
pour les transactions extérieures. Ce n’est donc pas le mouvement des
marchandises, à travers le territoire belge qui est ici l’objet de la
sollicitude des commerçants d’Anvers, mais le fait de l’établissement d’un
marché dans cette place. Or, si le chemin de fer doit produire cet effet, même
en ne transportant qu’une quantité de marchandises insuffisante pour couvrir,
par un péage, l’intérêt de la dépense, ce chemin doit donc se faire pour le
bien-être d’Anvers, afin de ne pas permettre à la concurrence étrangère
d’attirer le marché sur une autre place. Voilà comme doivent raisonner les
Anversois ; voilà précisément aussi le motif qui porte la régence et la chambre
de commerce d’Anvers à proposer au gouvernement de le faire aux frais de l’Etat.
Messieurs, hors cette
considération, je ne vois donc pas que le mouvement présumé de transports en
transit puisse justifier le projet d’un chemin de fer, pour cet objet spécial,
et je crois, au contraire, que tout se résout en une question d’intérêt du haut
commerce anversois. Dans mon opinion, la chambre aurait donc à examiner
l’importance de cet intérêt pour décider, soit l’utilité absolue de la
construction, si elle ne devait avoir que le transit pour objet, soit
l’opportunité de l’exécution aux frais de l’Etat.
Je sais bien que la route
projetée, doit d’après les prévisions du gouvernement, être continuée en Prusse
et qu’alors les frais de transport du roulage de Verviers à Cologne seront
réduits à leur minimum. Mais je sais aussi que l’un des premiers effets du
prolongement de cette route sur le territoire prussien sera l’établissement
d’une route rivale le long du Rhin et de
Il suffit de remarquer que le
terrain où elle serait tracée est entièrement favorable à un semblable ouvrage,
pour comprendre l’économie des terrassements et des travaux d’art ; et comme la
compagnie hollandaise fait exécuter ses railways en Angleterre à un prix
tellement bas, que nous ne pourrions jamais l’atteindre, il ne fait pas
s’étonner si cette route coûte en définitive 2/5 de moins par ilomètre que la route
belge. Cela m’a été démontré par la nature des documents que j’ai eus sous les
yeux ; l’exécution en est confiée à une compagnie d’Amsterdam, et quelque
diligence que nous puissions mettre dans nos propres travaux, nous
n’empêcherons jamais les Hollandais, quand même ils commenceraient après nous,
de terminer leur ouvrage au moins un an avant nous, d’où il suit que comme ils
sont en possession pleine et entière du transit, rien ne peut mettre obstacle à
ce qu’ils le conservent avec plus d’avantages encore que dans la position
actuelle des choses, puisque leur route fera baisser le fret dans un rapport
beaucoup plus favorable que la nôtre.
Abandonnant ce point de vue de
la question, je sais l’envisager sous le rapport des intérêts de l’industrie
indigène.
Malgré les avantages que nous
procure notre système de communications intérieures, comparé à celui des autres
Etats du continent, ce système est cependant loin de satisfaire tous les
besoins.
Un coup d’œil sur la
configuration générale du pays le démontre.
Le premier généralement plus
élevé que l’autre renferme la presque totalité des foyers d’industrie ; là sont
les usines, les mines, les minières et carrières, les usines et la plupart des
établissements dont l’activité dépend de l’emploi des charbons de terre.
Le second plus abaissé, situé
vers la mer, est riche de son agriculture et des fabriques qui s’y rattachent.
Les produits du bassin de
Cependant, c’est le bassin de
Les provinces de
Si dans tel état de choses, le
gouvernement a conçu le projet de porter remède à cette partie des souffrances
de notre industrie ; s’il a considéré que la réduction des frais de transport
est le premier et le plus sûr moyen de l’aider à concourir avec l’industrie de
pays rivaux du nôtre sur les marchés étrangers, je comprends son but et
j’applaudis à ses vues ; mais je dois avouer en même temps que le projet qu’il
propose est alors loin d’être complet.
Quand on a reconnu un mal
existant dans l’organisation matérielle d’un pays, il ne suffit pas de jeter au
hasard, comme remède à ce mal, une amélioration quelconque pour produire un
effet satisfaisant. Une chose peut être bonne en soit et manquer son but par
une fausse application. Ainsi, par exemple, un chemin de fer est un
perfectionnement ; mais si, au lieu d’employer ce perfectionnement, soit en le
combinant avec les communications anciennes comme leur complément, soit en le
substituant entièrement à ces communications, ou sans discernement, de manière
à déranger l’économie des diverses routes existantes, il devient alors
impossible que ce perfectionnement fasse autant de bien qu’il aura causé de
mal.
Eh bien ! messieurs
c’est le cas de la proposition du gouvernement. Un chemin de fer unique, suivant
le tracé proposé, détruirait l’équilibre qui maintient les différentes branches
de l’industrie belge ; tandis qu’un système général, un réseau composé des
communications principales et de première nécessité, d’après le développement
actuel de nos établissements d’exploitation, placerait tout d’un coup
l’industrie belge, sans nuire aux rapports de concurrence mutuelle, à un degré
très élevé dans des perfectionnements, et lui imprimerait une activité d’autant
plus grande que ces perfectionnements lui auraient mérite plus de faveur à
l’étranger.
Le gouvernement me paraît donc
avoir mal compris ce qu’il y avait à faire dans l’intérêt de l’industrie.
Il faut certainement appliquer
toutes les forces disponibles au développement des moyens matériels ; mais pour
cela il est nécessaire de s’attacher d’abord à l’industrie elle-même et l’aider
à la rendre plus perfectionnée.
L’amélioration des
communications est le procédé le plus sûr ; mais il doit être immédiatement mis
en œuvre dans les localités mêmes où la population laborieuse opère, où la
production a lieu. C’est-à-dire dans les différents cantons houillers, dans le
pays des mines et de la forgerie. Ainsi, par exemple, à Liége il y a un chemin
de fer à construire, qui circulera à travers toutes les houillères, pour en
ramasser les produits et les amener aux bords de
A Charleroy, un semblable
système servira à rapprocher les fosses de
Près de Mons, on rattachera
par des chemins de fer les établissements du Borinage aux canaux de Condé et de
Pommeroeul, et les établissements du couchant avec
ceux de Marimont au canal de Charleroy.
Dans l’entre Sambre et Meuse,
il importe de rapprocher entre elles par la facilité des transports les
différentes usines composant un même groupe d’exploitation de forgerie, et de
rendre aussi aisé que possible l’accès des minières et carrières de chaux,
pierre, etc. C’est encore près des chemins de fer habilement tracés que l’on
produira cet effet, et tous ces différents systèmes particuliers de routes,
nécessités par les divisions naturelles d’un terrain aussi accidenté, se
rattachant ensuite à une branche principale, seront mis en communication avec
l’une ou l’autre ligne de navigation telles que
Ces vues, exposées ici, quant
à ce qui concerne l’exploitation de la houille et la forgerie, s’étendraient à
tous les cantons où une industrie principale nécessite des transports dont les
frais influent sur la valeur des produits.
Il paraît rationnel de
travailler au perfectionnement de l’industrie à sa source, avant de s’occuper
sur une aussi grande échelle d’un nouveau moyen d’écoulement. Que fait
cependant ici le gouvernement ? Précisément l’inverse : il propose de
construire une grande voie pour l’exportation avant d’avoir pourvu au moyen
d’augmenter la valeur des produits, par conséquent avant d’avoir rendu
l’exportation possible ; car ce n’est pas la facilité seule des voies de
transport qui assure la vente au-dehors, c’est l’excellence et le bas prix des
matières fabriquées dont il faut immédiatement pourvoir à ce qui peut donner à
ces matières les qualités qui leur manquent encore.
Je vais ajouter maintenant une
considération majeure et qui, dans mon opinion, contrebalance ou remplace
plutôt la destination de la route en transit.
Si le gouvernement avait
combiné son système de voies à ornières de fer d’après le principe que je viens
de vous exprimer brièvement, il y aurait fait entrer, non comme base, non comme
condition principale, mais comme conséquence, une route de communication avec
l’Allemagne, une avec
La communication avec
l’Allemagne ne suppose en aucune manière la nécessité d’une lutte avec
La coalition commerciale
prussienne offrira à ceux qui en feront partie d’autant plus de chances
favorables, que le nombre de pays qui y entreront sera plus grand ; une nation
qui comme la nôtre possède tant de moyens de perfectionner son industrie, ne
peut que gagner à faire partie d’une alliance de peuples ; en levant de commun
accord les barrières de douanes qui existaient entre eux ; c’est en résultat
comme si tous les peuples coalisées ne faisaient qu’un seul et même peuple ; ce
serait donc alors comme si
Mais, je le répète, une route
de ce genre ne doit pas être la base, mais le complément du système de
perfectionnements que l’état du pays rend nécessaire, car vouloir commencer par
la communication avec l’Allemagne, c’est à mon avis un contre-sens.
Faut-il au reste s’étonner
d’un contre-sens semblable ?
Il en sera toujours de même
quand un gouvernement se mêlera de ce qui ne le regarde pas. Quand un
gouvernement, au lieu de laisser faire l’industrie, au lieu de lui procurer les
facultés de faire par de bonnes lois, et la liberté d’agir qui lui manque,
voudra substituer son action à celle du commerce même.
On conçoit de grands projets,
on les publie avec éclat ; on construit ensuite avec luxe, on cherche à se
faire un nom ; c’est là l’essentiel pour les hommes qui gouvernent. Quant au
but utile, on l’atteint si l’on peut.
Messieurs, ce n’est pas ainsi
que
Le grand défaut de toute cette
affaire, c’est qu’elle n’a pas été instruite comme elle devrait l’être.
Le gouvernement s’est donné
beaucoup de mouvement pour consulter les états des provinces, les régences et
les chambres de commerce ; mais son enquête n’a produit qu’un résultat où tout
est confusion.
Les opinions des véritables
intéressés sont neutralisées par celles qui, d’après la nature du débat,
auraient dû être écartées.
Les questions que l’on a
posées ne pouvaient pas être résolues d’une manière impartiale par ceux à qui
on les a soumises ; ou pour mieux dire, on a mis chacun dans la nécessité de
répondre à peu près dans le sens que désirait le gouvernement.
Les rapports, à l’appui du
projet de loi, constatent que les questions suivantes ont été adressés à treize
chambres de commerce, dix régences et aux états de deux provinces :
1° L’utilité d’une
communication à établir d’Anvers au Rhin, au moyen d’un chemin de fer ?
2° La direction à suivre pour
son tracé ?
3° Le mode d’exécution et
d’administration ?
Les chambres de commerce et
les régences ont été unanimes pour reconnaître l’utilité de communications
nouvelles, sans s’attacher plutôt à la communication projetée qu’à un système
plus développé.
Cette unanimité quant à ce qui
concerne les chambres de commerce est d’un certain poids dans la décision de
pareille question parce que l’examen qui base l’avis a dû envisager les
communications possible dans leur rapport avec la prospérité actuelle ou future
des différentes branches d’industrie auxquelles appartiennent les membres
composant ces chambres de commerce ; il y a donc là concours de lumières
spéciales propres à éclairer une discussion.
De la part des régences, cet
accord n’a rien qui doive surprendre. Une communication nouvelle, utile ou non
au développement de l’industrie, sera toujours approuvée par les
administrations communales, surtout si elles ne doivent pas contribuer à son
établissement. L’avis des régences s’applique dont plutôt aux communications en
général, qu’au cas spécial dont il s’agit.
Pour ce qui concerne la
question du tracé, les chambres de commerce ont fait valoir des considérations
diverses en faveur de telle ou telle direction à suivre, ou d’embranchement à
créer, selon l’importance des industries locales, dont la prospérité pouvait
être influencée par ce tracé.
Quant aux régences de villes,
comme on n’a consulté que celles dans le ressort desquelles la route doit
passer, suivant le projet, elles n’ont pu qu’applaudir au tracé.
La troisième question, celle
du mode d’exécution, a soulevé des opinions contradictoires de la part des
chambres de commerce ; cette même question était indifférente aux régences, ou
plutôt les communes ayant intérêt à n’être pas directement taxées pour
concourir à cette dépense, les régences ont dû trouver convenable que le
gouvernement se charge de ces travaux.
C’est donc principalement aux
avis des chambres de commerce qu’il faut encore s’attacher. Ce sont ces avis
qui pourraient constituer un résultat d’enquête utile à consulter par la chambre,
si cette enquête eût été faite avec plus de développement, au moyen de
questions plus multipliées et plus propres à donner des solutions importantes.
Sur les treize chambres de
commerce consultées, quatre se sont prononcées pour l’exécution par le
gouvernement ; ce sont celles d’Anvers, de Liége, de Verviers et de Venloo ;
quatre se sont prononcées pour le mode d’exécution par l’industrie
particulière, ce sont celles de Bruxelles, Mons, Charleroy et Tournay, et l’on
peut y ajouter la régence de Bruges, qui, reconnaissant l’utilité des
concessions, a réfuté les raisons contraires données par les auteurs du projet
dans leur premier mémoire.
Enfin, cinq chambres de
commerce, celles d’Ostende, de Gand, de Namur Louvain et Bruges ont laissé la
question indécise ; mais cependant il est à remarquer que ces dernières, à
l’exception de Namur, se sont occupées en détail des développements du projet
dans un sens différent de la proposition du gouvernement, à l’arbitraire duquel
elles paraissent peu disposées à laisser la décisions des importantes questions
que le projet soulève.
On peut donc conclure de ces
divers rapports que le commerce est plus généralement favorable au système
d’exécution par l’industrie particulière que par le gouvernement.
Les avis des états du Brabant
et du Limbourg, en se prononçant pour l’utilité de la route, s’en réfèrent
entièrement au gouvernement pour le mode d’exécution. Ces avis ne me semblent
pas devoir être pris en considération, à cause de la source dont ils émanent,
et parce que d’ailleurs ils ne sont pas motivés.
Enfin, une pétition de
sociétés charbonnières de Liége est jointe au projet : elle exprime des vœux
favorables. Il me semble que quelque fondées que pourraient être les assertions
de ces sociétés, il n’est pas convenable de prendre en considération une
pétition isolée ; car si l’intérêt des exploitations charbonnières doit être
consulté, ce que je suis loin de contester, il serait de toute équité de
provoquer également les observations des sociétés du Hainaut.
Il est donc bien clair que
l’enquête prétendue n’en est pas une, que son résultat ne prouve rien, et qu’il
n’est nullement convenable de l’invoquer dans la discussion.
Après ces observations
relatives au projet et à son but, il me reste, messieurs, à peser la moralité
de la proposition.
Mais dans l’état où sont nos
communications, elles constituent un système de routes, canaux et rivières
canalisées tellement coordonné, que de leur ensemble résulte un équilibre de
frais de transport, qui maintient plus ou moins la balance entre les moyens de
production des divers centres d’industrie du pays ; équilibre dont la
conservation est nécessaire aux spéculations du commerce et qui en garantit les
bénéfices.
Les changements partiels qui
peuvent survenir dans ce système par l’établissement de routes nouvelles, par
des canaux ou canalisation de rivières, ne rompent jamais entièrement cet
équilibre, et ne peuvent causer aucune perturbation générale. Ce danger serait
dans tous les cas d’autant moins à craindre, que les travaux de cette nature
s’exécuteraient par l’industrie à laquelle ils devraient profiter.
La contrée où un nouveau canal
s’ouvrirait de la sorte, serait dans le cas d’un établissement qui fait des
dépenses extraordinaires pour perfectionner ses procédés, et qui par le succès
qu’il obtient entraîne un établissement rival à suivre son exemple.
Mais si l’on suppose qu’au
sein d’un pays ainsi favorisé d’un système de communication dont les progrès et
les améliorations croissent avec les besoins, en maintenant par la force des
choses l’ordre général établi, la juste proportion des bénéfices de tous, il
s’élève tout à coup une compagnie puissante, une compagnie usant d’un privilège
absolu, qui n’a pas de concurrents à redouter et qui imagine de changer
entièrement le système des transports dans une moitié seulement du pays à
l’exclusion de l’autre moitié, il est clair que voilà l’équilibre rompu, et
qu’une partie des industriels, violemment lésés dans leurs intérêts, sont
placés entre le danger de voir chômer leurs établissements et la nécessité de
faire des dépenses ruineuses.
Mais, ce qui pouvant n’être
qu’une spéculation particulière, est cependant un mal sans remède dans
l’hypothèse citée, devient bien autrement extraordinaire si l’on suppose qu’au
lieu d’une compagnie particulière, c’est le gouvernement même du pays qui se
constitue entrepreneur de travaux publics pour bouleverser de la sorte
l’économie des communications existantes, et ce même fait devient odieux, si ce
gouvernement se sert du crédit public et des fonds de l’Etat pour exécuter, aux
dépens de tous, ces travaux qui ne doivent profiter qu’à quelques-uns et ruiner
les autres.
Dans mon opinion, la
proposition du gouvernement présente un caractère d’iniquité si révoltant par
sa forme, que les considérations politiques les plus graves ne pourront jamais
la justifier. C’est l’effet qu’elle a produit sur moi dès le premier jour où je
l’ai connue ; mais alors j’ai pu la prendre pour une erreur que la réflexion
ferait bientôt rectifier ; j’ai pu croire que le gouvernement, éclairé par
l’opinion publique, comprendrait le tort qu’il allait faire aux intérêts
généraux.
Je me suis trompé, le
gouvernement n’a tenu nul compte des avis de la presse et des chambres de
commerce ; fera-t-il meilleur accueil aux lumières de la discussion ?
Le but avoué de
l’établissement du chemin de fer, c’est la conquête du transit dont
L’intention de favoriser
exclusivement les établissements charbonniers de Liége n’est pas un mystère,
chaque mémoire à l’appui du projet la révèle, et ces mémoires sont des
documents avoués par le gouvernement.
Le tableau de la page 80 du
premier mémoire fait connaître quelle est aujourd’hui la consommation du
charbon de terre dans tout le pays qui sera soumis à l’influence du chemin de
fer. Cette consommation s’élève à 420,000 tonneaux, dont 90,000 fournis par
Liége et le reste par le Hainaut.
Après l’établissement du
chemin de fer on suppose que la proportion changera et que Liége devant alors,
sur la même quantité totale, fournir 186,000 tonneaux, la différence sera en
perte pour le Hainaut. Mais il y a ici, messieurs, une singulière erreur,
commise volontairement sans doute pour ne pas trop effrayer la partie
intéressée ; c’est que si les consommateurs doivent trouver un avantage à
perdre leur charbon à Liége pour une partie de leur consommation respective,
ils trouveront bien plus d’avantages encore à prendre à Liége la totalité de
leur approvisionnement. Ce ne sera donc pas de 90,000 tonneaux que le Hainaut
se trouvera en déficit, mais de toute la quantité qui s’exporte actuellement de
cette province dans la direction dont il s’agit.
Or, ce qui est vrai pour le
produit des houillères s’appliquant à tous autres produits industriels, le tort
fait au Hainaut me semble suffisamment prouvé.
A la vérité on a cru trouver
une espèce d’excuse de ces desseins, en alléguant d’une part la perte des
débouchés des produits de Liége par l’effet de la guerre avec
Ces faits, messieurs, sont
exposé sous un faux jour et avec certaines réticences qui me portent à les
rectifier.
La guerre avec
Depuis un temps immémorial,
l’arrondissement de Charleroy est en possession d’expédier par
En 1831 une émeute d’ouvriers
et de bateliers de Namur combla en partie l’écluse d’embouchure de
Quant aux communications, je
n’ai que deux mots à dire. Liége a toujours été mieux favorisé que Mons, par
exemple, car avant que l’on creusât dans le Hainaut les canaux artificiels qui
existent aujourd’hui, le district houiller de Liége était traversé par un grand
fleuve navigable, qui facilitait ses relations avec
Le Hainaut n’a point étendu
ses marchés aux dépens de Liége, puisqu’il n’a fait qu’améliorer ses
communications avec les centres de consommation qu’il était en possession
d’approvisionner, et l’eût-il fait, on n’aurait eu aucun droit de s’en
plaindre, car les travaux s’exécutant aux dépens du commerce du Hainaut, la
même faculté était réservée au commerce de Liége.
Vous voyez donc bien aussi que
sous ce rapport encore les faveurs étaient réellement pour Liége, et les
sacrifices pour le Hainaut.
Pour revenir aux intentions
manifestées par les auteurs du projet, de faire arriver les charbons de Liége
sur les marchés actuellement exploités par Mons ou Charleroy, je dirai qu’en
thèse générale, ce serait un résultat ordinaire et naturel dans un pays
commerçant, où les efforts mutuels dirigés par une émulation spéculative ont
pour but de se devancer les uns les autres dans les perfectionnements ;
combattre son adversaire par des innovations heureuses est un droit qu’acquiert
tout industriel qui use de ses ressources, de son activité, de son génie, parce
qu’il le fait à ses risques et périls, et qu’il met en jeu les moyens que
chacun peut employer. Mais le gouvernement ! de quel droit vient-il
s’interposer dans la concurrence du commerce ; de quel droit, enlevant les capitaux
de l’un, va-t-il les appliquer au profit exclusif de l’autre ; de quel droit
enfin vient-il réclamer des subsides à une province ou sa part de garantie du
crédit public, pour s’en faire une arme contre elle, pour fermer les marchés
ouverts à son industrie en favorisant sur ces marchés l’introduction des
produits d’une autre province, au profit de laquelle il aura employé et ces
subsides et ce crédit ?
Quand j’ai qualifié cette
proposition de révoltante et odieuse iniquité, je n’ai pas été trop loin.
On parle quelquefois dans
cette chambre d’esprit de localité ; chacun s’empresse alors de se défendre du
reproche d’être dirigé par cet esprit. Il y a erreur à trop généraliser. Sans
doute tous les députés, de quelque province qu’ils soient, sont les députés de
la nation, et doivent s’occuper d’intérêts généraux ; mais les intérêts
généraux, d’où naissent-ils ? de l’accord de tous les
intérêts de localité. En déterminant le nombre proportionnel de représentants
par province, en faisant la répartition de ce nombre par district, nos lois
fondamentales ont voulu que les intérêts de localité eussent des organes
séparés dans une assemblée qui doit mettre, par ses décisions, tous les
intérêts en harmonie, et c’est avec la connaissance spéciale des besoins de
chaque canton que les députés viennent de toutes parts opposer les besoins les
uns les autres, pour faire jaillir de ce conflit les lumières utiles à la
discussion.
Voilà, à mon avis, la
véritable doctrine, Il est donc naturel qu’en certain cas on parle au nom des
localités, et précisément parce que le devoir de chaque député lui impose la
loi de faire fléchir les intérêts du petit nombre devant les intérêts de tous,
son devoir aussi lui commande de ne pas souffrir que les intérêts d’un
arrondissement soient sacrifiés à ceux d’un autre sans avantages suffisants
pour tous. C’est ainsi que j’interprète mon mandat et que j’y rattache au
besoin l’esprit de localité.
Je répéterai donc ici ce qu’a
dit précédemment mon honorable collègue M. Gendebien : la province de Hainaut
ne doit pas souffrir qu’on l’impose extraordinairement pour créer un système de
bascule commerciale qui amènerait sa ruine ; et il ne faut pas que la
susceptibilité ministérielle prenne ces paroles à contre-sens ; il ne faut pas
que l’on affecte d’y voir une menace de révolte, ce n’est pas là l’intention.
La province de Hainaut ne
souffrira pas une telle injustice ! C’est-à dire que par l’organe de ses
députés, de sa régence, des chambres de commerce, de ses associations
industrielles et par la voie de la presse elle fera retentir ses plaintes dans
Messieurs, de toutes ces
observations, je conclus que le gouvernement n’a point eu de raison suffisante
pour motiver la proposition d’un chemin de fer pour le transit seul dont les
transports proprement dits n’ont pas assez d’importance pour justifier et
couvrir la dépense.
Que voulant rattacher ce
projet aux communications intérieures et y intéresser l’industrie nationale, le
gouvernement a manqué son but faute de développements suffisants et bien
entendus ; enfin que pour l’application si utile des chemins de fer, il faut le
libre concours de l’industrie, et qu’une enquête pourrait seule, en faisant
connaître toutes les opinions des localités, servir à arrêter un système
général et complet dont l’exécution satisfasse à tous les besoins.
J’attendrai la discussion des
articles pour traiter les questions importantes du mode d’exécution par voie de
concession et du mode d’exécution par le gouvernement, tel qu’il est proposé
par son projet.
- La séance est levée à quatre
heures et demie.