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Chambre des représentants de Belgique
Séance du samedi 1er mars 1834
Sommaire
1) Projet de loi portant des transferts de crédits au sein du budget du département de la guerre. Motions d’ordre relative à l’arrestation du commissaire de district Hanno par le gouverneur militaire de la forteresse de Luxembourg (d’Hoffschmidt, F. de Mérode, Fleussu, Jullien, Rogier, Ernst, F. de Mérode, d’Hoffschmidt, F. de Mérode, d’Huart, Jullien, d’Hoffschmidt, F. de Mérode, Evain, d’Huart, Evain, Fleussu, F. de Mérode, Lebeau, (+droit pour les ministres d’être entendu) (de Brouckere, de Theux, d’Huart, Jullien, Lebeau, d’Hoffschmidt, Gendebien, de Theux, Gendebien, Lebeau, de Theux, de Brouckere, Evain, Fleussu, Lebeau, d’Huart, Rogier, de Brouckere, Fleussu, Rogier, de Brouckere), Evain, d’Huart, Jullien, F. de Mérode, Gendebien, (police de l’assemblée et manifestations des tribunes) (Raikem, Gendebien, de Theux), de Brouckere, d’Huart, (+mesures militaires ((+garde civique) Helias d’Huddeghem, Desmanet de Biesme, d’Huart, Gendebien, Evain), comptabilité de l’Etat (d’Huart, Evain), motifs d’abstention)
(Moniteur belge
n°61, du 2 mars 1834 et Moniteur belge n°62, du 3 mars 1834)
(Présidence de M.
Raikem.)
(Moniteur belge
n°61, du 2 mars 1834) M.
de Renesse fait l’appel nominal à midi et demi.
M.
Dellafaille lit le procès-verbal ; la rédaction
en est adoptée.
Les pièces adressées à la chambre sont renvoyées à la
commission des pétitions.
Première motion d’ordre relative à
l’arrestation du commissaire de district Hanno par le gouverneur militaire de
la forteresse de Luxembourg
M.
d’Hoffschmidt. - Avant de parler, je demanderai
aux ministres s’ils n’ont pas de nouvelles communications à nous faire. Nous
avons lu ce matin dans le Moniteur que
M. Hanno était mis en liberté ; je demande que le ministère s’explique sur ce
fait.
M. le ministre des affaires étrangères (M. F.
de Mérode) - Messieurs, la diète germanique a
communiqué le 26, à M. l’envoyé extraordinaire d’Angleterre à Francfort, en
réponse à ses réclamations, une résolution portant qu’elle avait donné l’ordre
à M. le général Dumoulin de mettre immédiatement M. Hanno en liberté. M.
Carlwrigt annonce en même temps que la diète a ordonné à M. le général Dumoulin
d’abandonner l’intention d’étendre le rayon militaire de la forteresse du
Luxembourg au-delà des limites auxquelles il a été jusqu’à présent fixé.
Ce qui a déjà été obtenu nous met à
même d’espérer que les réclamations de notre part auxquelles il y a lieu de
faire droit, seront fortement appuyées et équitablement accueillies.
M.
Fleussu. - Quelles sont ces réclamations ?
M.
Jullien. - Je prierai M. le ministre des affaires étrangères de vouloir
bien dire le nom de celui de qui il tient cette nouvelle.
M.
le ministre des affaires étrangères (M. F. de Mérode) - C’est l’ambassadeur anglais à Bruxelles qui nous a transmis cette
nouvelle.
M.
le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Comme confirmation de la
nouvelle transmise par l’ambassadeur anglais, je lirai à la chambre une lettre
de M. Hanno, datée du 27 du mois dernier. Elle est très courte et adressée au
gouverneur civil.
« Caserne du St.-Esprit, le 27 février
1834. »
« Monsieur le gouverneur,
« A l’instant, onze heures de la nuit, l’on vient
de m’annoncer ma mise en liberté. Demain matin je serai reconduit à ma résidence.
Aussitôt, mon retour à la maison, je m’empresserai d’entrer dans des
détails.
« Le commissaire provisoire du district de
Luxembourg,
« Hanno »
Deuxième motion d’ordre relative à l’arrestation
du commissaire de district Hanno par le gouverneur militaire de la forteresse
de Luxembourg
M.
Ernst. - Messieurs, les communications qu’on vient de faire, changent
absolument l’état de la question. Je prends la liberté d’attirer l’attention de
la chambre sur les interpellations suivantes que j’adresse au ministère.
Je demanderai d’abord communication de toutes les
pièces qu’on a refusé jusqu’ici de nous faire connaître. La mise en liberté de
M. Hanno permet ces communications qu’on nous déclarait inopportunes. Il faut
que le ministère nous donne toutes les explications nécessaires à
l’appréciation de sa conduite.
Secondement, je demanderai si le gouvernement
persévère dans la revendication des droits qu’il a invoqués pour la levée de la
milice dans le rayon de la forteresse, et la coupe de bois dans la forêt.
Troisièmement, s’il se propose de prendre des mesures
pour garantir l’exercice de ces droits, et s’il en a déjà pris.
Quatrièmement, je demanderai que le
gouvernement nous mette à même d’apprécier les circonstances qui ont précédé la
mise en liberté de M. Hanno. Je lui demanderai aussi qu’il nous fasse connaître
les circonstances qui ont accompagné et suivi cette mise en liberté. Mais je
pense qu’il ne connaît pas encore ces dernières circonstances.
Cinquièmement, je demanderai si le gouvernement
regarde comme une satisfaction suffisante la mise en liberté du commissaire de
district qui a été enlevé brutalement de chez lui.
M.
le ministre des affaires étrangères (M. F. de Mérode) - Mais cette série de questions ressemble à un catéchisme tout entier :
que l’honorable membre les dépose sur le bureau, et j’y répondrai quand j’en
aurai pris connaissance. Je ne puis pas répondre instantanément.
M.
Ernst. - Les questions que je viens d’adresser au ministre des affaires
étrangères ne sont pas des questions préparées à l’avance ; elles ne sont pas
rédigées ; elles m’ont été suggérées par les communications qui viennent d’être
faites ; je suis prêt à les rédiger. Je pense que la chambre doit attendre les
explications demandées avant de continuer la discussion ; on ne peut pas
discuter sans connaître les faits les plus importants ; la question est changée
ou modifiée, et je demande l’ajournement du débat.
M.
le ministre des affaires étrangères (M. F. de Mérode) - Il est très facile de faire des questions ; mais il n’est pas aussi
facile d’y répondre pertinemment. Je pourrais tout comme un autre improviser
vingt questions ; je ne crois pas qu’on puisse improviser aussi aisément des
réponses.
Toutefois il me semble que les choses sont assez
avancées pour que l’on puisse continuer la discussion du projet de loi présenté
par M. le ministre de la guerre.
M.
Ernst. - Je ne prétends pas exiger que M. le ministre des affaires
étrangères réponde sans réflexion ; je veux au contraire qu’il réponde après un
mûr examen des faits et des circonstances, afin que la discussion marche avec
ordre.
M. d’Hoffschmidt. - Messieurs, nous avons encore d’autres questions à adresser au
ministère. Après l’enlèvement de M. Hanno, le gouverneur de la forteresse,
d’après les ordres de la confédération germanique, à ce qu’il paraît, a étendu
son rayon stratégique jusqu’à quatre lieues ; il a chassé de ce rayon nos
gendarmes et nos douaniers : les ministres doivent avoir des communications à
nous faire à cet égard.
Si le rayon stratégique est étendu, la mise en liberté
de Hanno n’est pas une satisfaction suffisante.
Cette mise en liberté n’est-elle pas elle-même le
résultat d’une nouvelle concession du ministère ? Hanno est en liberté, mais
par quels moyens a-t-il recouvre sa liberté ? Si c’est par de nouvelles
lâchetés que ce commissaire de district nous est rendu, nous ne voulons pas de
la réparation qu’on nous offre.
M. le ministre des affaires étrangères (M. F.
de Mérode) - Je crois pouvoir tranquilliser
l’honorable M. d’Hoffschmidt à l’égard des gendarmes et des douaniers : il n’y
a eu ni douaniers, ni gendarmes expulsés du rayon stratégique. Quant à la
lâcheté, je ne crois pas qu’on puisse supposer que nous en mettions à défendre
les intérêts du pays.
M.
d’Huart. - Le ministère semble se réfugier
derrière la mise en liberté de M. Hanno ; mais si le ministère avait fait son
devoir pour obtenir l’élargissement de M. Hanno, il viendrait nous en faire
connaître toutes les circonstances ; s’il garde le silence, c’est qu’il est
inexcusable dans sa conduite. Supposons que la mise en liberté de M. Hanno soit
un fait avantageux pour le ministère, cela ne suffit pas pour le justifier
complètement ; a-t-il envoyé des troupes dans la province après l’enlèvement ?
M.
le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Oui.
M.
d’Huart. - Non, il n’en a pas envoyé
immédiatement après l’enlèvement, il les a envoyées plus de 10 jours après ;
voilà un fait que l’on ne contestera pas. Si le gouvernement avait envoyé
sur-le-champ des troupes dans le Luxembourg, il pourrait nous dire que c’est
leur présence qui a amené l’élargissement du commissaire de district ; mais
c’est à d’autres causes qu’on doit cet élargissement ; c’est à des conditions
qu’on nous cache.
M.
le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - On ne cache rien.
M. d’Huart. -
C’est à des causes qu’on nous cache. On prétend que les douaniers n’ont pas été
expulsés. Je dirai que depuis deux ans les gendarmes et les douaniers n’ont pas
approché la forteresse à plus de deux lieues.
Hanno, messieurs, est mon ami ; mais Hanno n’est rien
dans cette affaire ; il faut que le ministre s’explique sur les circonstances
de cette mise en liberté ; l’honneur de
la Belgique est tout.
M.
Jullien. - Messieurs, la nouvelle de la mise en liberté de M Hanno
vient sans doute fort à propos ; mais il ne me paraît pas qu’elle change tout à
fait la question : cependant elle peut la modifier ; et c’est sous ce rapport
que mon honorable collègue et ami M. Ernst a demandé des communications, a fait
des interpellations au ministère. La mise en liberté du commissaire de district
n’est que la cessation d’un acte de violence et non une réparation ; le tort
fait à M. Hanno n’est pas réparé par sa mise en liberté ; l’affront fait à
l’Etat à la face de la nation, à la face de l’Europe, n’est pas réparé, parce
qu’on a rendu la liberté un de nos concitoyens qu’on avait enlevé
arbitrairement et violemment. Vous voyez que la discussion actuelle doit
continuer, après toutefois que le ministre aura donné des explications.
Je dirai donc aux ministres : Parlez ; répondez aux
interpellations qu’on vous adresse : quelle serait la cause d’un silence
obstiné ? On ne pourrait y voir qu’un défaut de franchise, pour ne pas dire
plus. A la taciturnité des ministres on pourrait croire qu’ils n’ont pas lu le
rapport de la commission ; je m’en vais avoir l’honneur de le leur rappeler.
« En conséquence,
messieurs, votre commission vous propose de passer à l’ordre du jour sur la
proposition du gouvernement, ou, tout au moins, d’en ajourner l’adoption
jusqu’à ce que les ministres se soient expliqués catégoriquement sur notre
situation politique à l’égard de la Hollande, de la conférence de Londres, de
la diète germanique et de nos alliés, et surtout jusqu’à ce qu’ils aient
instruit la chambre des mesures qu’ils ont prises pour replacer le pays dans
une attitude digne de sa régénération politique. »
Eh bien, qu’ont répondu les ministres à ces
interpellations ? Ils n’ont rien répondu. Ils nous parlent de la mise en
liberté de Hanno ; mais qui nous garantit qu’on ne viendra pas demain,
après-demain, enlever un autre de nos fonctionnaires ? Les explications qui
leur sont demandées ils doivent les donner ; s’ils ne le veulent pas, vous ne
pouvez pas les contraindre ; mais en ce cas la chambre saura ce qu’elle a
faire.
M.
d’Hoffschmidt. - Les ministres ne m’ont pas
répondu : j’ai demandé si le rayon stratégique était étendu à quatre lieues ;
je voudrais que cette question eût une solution avant d’entamer la discussion.
J’ai parlé de lâcheté tout à l’heure ; en effet,
comment croire que le ministère actuel soit capable d’obtenir réparation quand
il a cédé à toutes les menaces de la conférence, quand le général commandant la
forteresse du Luxembourg a lui-même menacé le gouvernement belge, relativement
à la levée de la milice et à la coupe des bois ?
Qui croira que la confédération s’est
rétractée devant les réclamations de notre cabinet ? Si elle a rendu Hanno à la
liberté, c’est parce que le gouvernement a montre de la faiblesse. Nous ne
connaissons pas, en effet, les motifs de l’élargissement du commissaire de
district ; nous n’en avons même connu la nouvelle que par l’ambassadeur
d’Angleterre. Ce n’est pas là une satisfaction pour la nation.
Le ministère va-t-il, après l’élargissement de Hanno,
rappeler les troupes qui sont en marche pour le Luxembourg ? S’il ne les retire
pas, c’est qu’il regarde la réparation comme insuffisante ; s’il les retire, le
Luxembourg serait-il de nouveau exposé à des actes de violence ?
Expliquez-vous, ministres.
M. le ministre des affaires étrangères (M. F.
de Mérode) - J’ai déjà dit que j’examinerais
les questions ; je ne sais pas pourquoi M. d’Hoffschmidt me forcerait à
répondre immédiatement. Relativement au rayon stratégique j’ai annoncé que la
diète germanique avait enjoint au général Dumoulin de se renfermer dans son
ancien rayon. Je n’ai pas d’autres nouvelles à communiquer. Je ne les fabrique
pas ; quand j’en ai, je les donne comme elles arrivent. On veut de l’énergie,
beaucoup d’énergie ; moi je n’aime pas plaies et bosses, et je préfère que les
choses s’arrangent autrement qu’à coups de fusil.
M.
le ministre de la guerre (M. Evain) - Le rayon stratégique de la
forteresse de Luxembourg a été fixé par le général Goethals et par le prince de
Hesse-Hombourg dans une convention du 20 mai 1831 : ce rayon de deux lieues a conservé
les mêmes limites. Il est vrai que dans le dernier différend avec le gouverneur
par interim, en l’absence du prince, ce gouverneur par intérim a agrandi le
rayon jusqu’à quatre lieues, assurant qu’il y était autorisé par des traités
existants que nous ne connaissons pas.
Cependant,
d’après les rapports du commandant de la province, les troupes de la garnison
n’ont pas dépassé deux lieues. Ainsi, il n’est pas exact d’avancer que les gendarmes
et les douaniers ont quitté leurs postes. J’ai ordonné, au contraire, au
commandant de les y maintenir.
M.
le président annonce que M. Ernst a remis sur le bureau les questions
qu’il adresse au ministre. Lecture est faite de ces questions.
Troisième motion d’ordre relative à l’arrestation du commissaire de district Hanno par le
gouverneur militaire de la forteresse de Luxembourg
M. d’Huart. -
Il me semble qu’avant de continuer la discussion sur la demande de crédit faite
par M. le ministre de la guerre, nous devrions connaître tout ce qui se
rattache à l’événement du Luxembourg : nous ne pouvons poursuivre cette
discussion sans obtenir des éclaircissements, sans avoir des explications : je
réclame donc que toute discussion cesse et ne soit reprise qu’après avoir
entendu les ministres sur ce qu’on leur demande.
M.
le ministre de la guerre (M. Evain) - Je demande la parole pour
répondre au rapport de la commission qui est chargée d’examiner le projet de
loi en discussion.
M.
Fleussu. - Mais vous répondrez après qu’on aura donné les explications.
M. le ministre des affaires étrangères (M. F.
de Mérode) - Nous ne nous opposons pas à la
motion d’ordre ; mais c’est à la chambre à décider si elle veut, ou ne veut
pas, continuer la discussion.
M.
le président. - Deux propositions sont faites ; l’une de continuer la
discussion, l’autre de l’ajourner.
M.
le ministre de la justice (M. Lebeau) - Le ministre de la guerre
annonce que les explications dans lesquelles il veut entrer, ont autant pour
but de combattre la motion d’ordre que de répondre à la commission ; il est
impossible de lui refuser la parole.
M.
de Brouckere. - Le ministre de la guerre a demandé la parole pour
combattre le rapport de M. Gendebien ; on a raison de lui objecter qu’il ne
s’agit pas ici de la discussion du projet de loi, mais de connaître les
conditions de la mise en liberté de M. Hanno. On nous demande par une loi des
fonds, en conséquence de ce qui est arrivé dans le Luxembourg le 18 du mois
dernier ; mais la question est changée ; Hanno est mis en liberté ; à quelles
conditions est-il mis en liberté ? voilà ce qu’il faut savoir. Il faut encore
savoir quel usage le ministre prétend faire du crédit ; on ne peut pas discuter
sans cela. J’appuie la motion de M. d’Huart.
M.
de Theux. - Il est constant que les ministres ont droit d’être entendus
quand ils demandent la parole. Si le ministre de la guerre insiste pour
prononcer son discours, il doit être écouté ; libre ensuite à la chambre de
donner suite à la motion d’ordre de M. d’Huart.
M.
d’Huart. - Oui, les ministres doivent être
entendus quand ils demandent la parole sur des objets à l’ordre du jour : avec
une doctrine contraire il appartiendrait aux ministres de rompre toutes les
discussions. Ils peuvent parler sur l’objet en discussion. Evidemment ils ne
peuvent pas venir ici parler sur la loi provinciale : or, l’objet en discussion
est ici la motion d’ordre.
M.
de Theux. - Je ne crois pas qu’un ministre soit assez absurde pour
parler de la loi provinciale quand il s’agit d’une proposition relative au
département de la guerre ; mais si le ministre croit opportun de donner à la
chambre des éclaircissements sur la loi qu’il a présentée et qui est à l’ordre
du jour, je soutiens qu’il doit être entendu, surtout quand ces
éclaircissements se lient intimement à la motion d’ordre qui est faite.
M.
Jullien. - Je ne crois pas à l’absurdité des ministres ; mais je crois
que les ministres doivent se conformer aux règlements et aux décisions de la
chambre.
Il vous a été très bien dit par M. de Brouckere que
quand il s’agit d’une motion d’ordre, personne n’avait le droit de déranger la
discussion qui la concerne. Si, comme l’insinue M. de Theux, le ministre de la
guerre veut combattre la motion d’ordre en combattant le rapport par le
discours qu’il désire prononcer, il doit être entendu ; mais si cet honorable
ministre ne peut pas nous dire à l’avance que c’est dans l’intention de
combattre la motion d’ordre, et non dans un autre but, qu’il réclame la parole,
alors il faut épuiser tout ce qui est relatif à la motion d’ordre ; il faut
suivre le règlement : on ne peut s’en écarter sans tomber dans la divagation.
M.
le ministre de la justice (M. Lebeau) - Il y a quelque chose qui domine
le règlement, et qui doit dominer toutes les résolutions de l’assemblée, c’est
la constitution. Ce n’est pas en vertu du règlement que le ministre peut
réclamer ici le droit d’être entendu, c’est en vertu de la constitution. Quand
le ministre demande à être entendu, il n’a pas besoin de dire sur quoi : il
peut avoir des communications urgentes à faire à la chambre sur des matières de
tout autre nature que celles qui sont en discussion ; vous ne pouvez pas ne pas
l’entendre. Si le ministre venait présenter un projet de loi qui ne serait pas
à l’ordre du jour, vous n’auriez pas le droit de l’empêcher d’exercer sa
prérogative, son initiative.
Lorsque le ministre déclare qu’il demande la parole
pour combattre la motion d’ordre, il fait un acte de déférence ; s’il ne
consultait que son droit, il prendrait la parole sans dire pourquoi. Je le
répète, le ministre parle en vertu de la constitution et non en vertu du
règlement.
M. d’Hoffschmidt. - Le ministre de la guerre veut sans doute défendre le projet qu’il a
présenté à la chambre, projet qui a pour objet notre armée ; mais remarquez,
messieurs, que cette demande est réellement sans but : nous sommes au
commencement de l’année ; nous avons déjà voté tous les fonds nécessaires à son
département ; il ne peut pas venir nous dire que ces fonds sont insuffisants,
ainsi qu’il pourrait le dire à la fin d’un exercice. Il a donc tous les fonds
dont il peut avoir besoin pour renforcer notre armée, et la demande qu’il nous
fait n’a rien de bien pressant. Attendons donc les explications avant de prononcer.
M.
Gendebien. - Messieurs, on vous a cité la constitution pour justifier
les prétentions qu’ont les ministres d’être entendus toutes les fois qu’ils demandent
la parole, n’importe sur quel objet. La constitution dit bien, art. 88, que les
ministres ont leur entrée dans chacune des chambres et qu’ils doivent être
entendus quand ils demandent la parole ; mais comment cet article doit-il être
entendu ? C’est votre règlement qui établit des discussions ; les ministres ne
peuvent y jeter le désordre ; ils ne peuvent venir jeter un projet de loi ou
toute autre proposition à travers une discussion ; ils ne sauraient aller
jusque-là sans tomber dans l’absurde. Ainsi le règlement a limité les droits
des ministres. Mais il y a plus ; il y a un antécédent. L’honorable M. de
Theux, alors ministre de l’intérieur, est venu à la chambre avec une ordonnance royale pour
clore ou proroger la session ; il en avait déjà fait lecture au sénat : dans le
moment où il est entré, une motion d’ordre que j’avais faite était agitée ; et
quelques efforts que fit M. de Theux pour parler, bien qu’il eût monté deux ou
trois fois à la tribune, la chambre décida que la motion d’ordre devait être
discutée avant tout. Ne doit-on pas comme à cette époque, forcer le ministère à
ne parler qu’après qu’on aura vidé ce qui est relatif à la motion d’ordre faite
par M. d’Huart ?
M.
de Theux. - Il faut rectifier le fait dont on vient de parler. En 1832,
lorsqu’il s’agit de clore la session, je me suis présenté dans cette enceinte :
l’honorable préopinant fit une motion d’ordre tendant à obtenir des explications
du ministre des affaires étrangères ; et j’ai suspendu momentanément l’exercice
du droit dont j’étais revêtu, pour laisser discuter la motion d’ordre ; mais il
est vrai de dire que si j’avais voulu faire usage de mes prérogatives, j’aurais
lu l’ordonnance de clôture nonobstant toute réclamation.
M.
Gendebien. - Je déclare et j’affirme que ce pas moi qui ai avancé un
fait inexact, mais M. de Theux.
Tout le monde doit se rappeler qu’il est monté trois fois à la tribune et que
trois fois il a été obligé d’en descendre ; qu’ensuite il est allé appelé à son
secours M. de Muelenaere, qui est venu dans cette enceinte et qui a donné les
explications que j’exigeais.
M.
le ministre de la justice (M. Lebeau) - Les faits se sont passés comme
les expose M. de Theux, et la mémoire de préopinant est en défaut. Comme on
supposait que le ministre de l’intérieur était porteur de l’ordonnance de
clôture, on demanda que la chambre, avant de se séparer, fût informée par le
ministre des affaires étrangères de l’état de nos relations à l’extérieur ; sur
cette demande, le ministre de l’intérieur a suspendu son droit d’être entendu.
M. Devaux a pris la parole pour soutenir que le ministre devait être entendu
toutes les fois qu’il le demandait, sans qu’on pût s’y opposer en alléguant des
interpellations à faire ; mais M. Devaux, tout en reconnaissant le droit du
ministre, convint qu’il était plus dans les convenances parlementaires, dans
les habitudes de bienveillance réciproque entre la chambre et le gouvernement,
de condescendre à la demande de la chambre ; et c’est dans ce sens, et sans
abdiquer son droit, que M. de Theux suspendit la lecture de l’ordonnance de
clôture.
Vous voyez donc que cette suspension de l’exercice du
droit ministériel n’a eu lieu qu’après les sollicitations d’un orateur qui
avait rendu pleinement hommage aux prérogatives du gouvernement.
Remarquez ici, messieurs, que si le
ministre de la guerre s’était borné à demander purement et simplement la
parole, le président la lui aurait accordée et ne lui aurait pas dit : Sur quoi
voulez-vous parler ? car par cette question il aurait méconnu l’art. 88 de la
constitution qui est absolu. Un ministre peut se présenter en tout état de
cause : pour soumettre un projet de loi, pour faire une communication urgente,
pour lire une ordonnance d’ajournement, de clôture ou de dissolution. C’est un droit
qu’aucun orateur ne peut détruire par une motion d’ordre. Voilà dans quel sens
il faut entendre et votre règlement et la constitution. Bien entendu. qu’on ne
peut pas entamer une discussion sur un projet qui n’est pas à l’ordre du jour :
si un ministre divaguait ainsi, s’il tombait dans un pareil non-sens, M. le
président, à bon droit, le rappellerait à la question. Mais l’abus ne peut
porter atteinte à la prérogative ; la prérogative existe. La constitution à la
main, je persiste à demander que le ministre de la guerre soit entendu.
M.
de Theux. - Il est inexact de dire que trois fois je suis monté à la
tribune et que trois fois j’en suis descendu ; si j’avais tant fait que de
monter à la tribune, j’aurais donné lecture de l’arrêté de clôture.
Il est vrai qu’il s’est élevé une discussion semblable
à celle qui s’élève aujourd’hui ; mais le ministre des affaires étrangères
entra et je l’ai invité à satisfaire la chambre, sans préjudice toutefois des
prérogatives du gouvernement. Cette vérité est tellement incontestable que je
ne saurais comment on pourrait la contester : un ministre doit être entendu
quand il le demande ; je pourrais citer ici l’exemple récent de M. Thiers à la
chambre des députés : cette chambre a décidé qu’il devait être entendu
lorsqu’il se leva, au milieu d’une discussion, pour la présentation d’un projet
de loi.
M.
de Brouckere. - En vérité je ne conçois pas comment on peut pousser les
prétentions aussi loin que le ministre de la justice les pousse ici : parce
qu’un article de la constitution dit que les ministres sont entendus quand ils
le demandent, on prétendra que les ministres doivent être entendus sur des
matières qui ne sont pas à l’ordre du jour ! on soutiendra que le ministre peut
prendre la parole au milieu du discours d’un orateur ! Voilà les conséquences
des doctrines ministérielles.
Ainsi les ministres, à l’occasion d’une loi sur la
guerre, pourront venir parler, le ministre des finances sur les distilleries,
le ministre de l’intérieur sur la loi provinciale, le ministre de la justice
sur les justices de paix : il n’y aura pas d’ordre dans les discussions. Ce que
la constitution entend, c’est qu’il n’y a pas d’ordre de parole pour un
ministre ; que cinquante orateurs soient inscrits, il peut parler avant que les
cinquante orateurs soient entendus. Les ministres doivent encore être entendus
quand ils sont porteurs d’un projet de loi, quand ils sont porteurs, comme
était M. de Theux, d’une ordonnance de clôture ; mais est-ce à dire que quand
on discute sur une question, un ministre puisse prononcer un discours sur un
objet qui n’est pas en discussion ? C’est pousser l’interprétation de l’article
88 jusqu’à l’absurdité.
On avait mis à l’ordre du jour le
projet de loi relatif au crédit demandé ; M. d’Huart, par forme de motion
d’ordre demande que la discussion soit remise à un autre jour : nous ne pensons
pas que le ministre puisse être entendu sur le fond de la discussion avant que
la question relative à la motion d’ordre soit décidée, parce que les ministres
ne peuvent pas avoir la prétention de parler seuls ici. Si le ministre prononce
un discours contre le rapport de M. Gendebien, celui-ci aura droit de répondre
; moi j’aurai le droit de me mêler au débat, et la motion d’ordre sera rejetée
par le fait et sans décision.
Si le ministre de la guerre a des raisons à faire
valoir pour s’opposer à la motion d’ordre, je l’entendrai avec le plus grand
plaisir ; mais si son but est, comme il l’a annoncé, de combattre les
conclusions du rapport, je l’engage avec instance à renoncer à la parole.
M.
le ministre de la guerre (M. Evain) - Lorsque j’ai vu la discussion sur
le Luxembourg à peu près terminée, et que le ministre des affaires étrangères
demandait du temps pour répondre, j’ai cru naturellement qu’on allait passer à
la délibération sur le deuxième objet à l’ordre du jour, c’est-à-dire au
rapport de M. Gendebien. Aussi
la demande que j’ai faite d’être entendu est nécessairement contre la motion
d’ordre pour laquelle on demande l’ajournement. J’ai des motifs pour que la
discussion s’ouvre actuellement, et c’est pour cela que j’insiste pout demander
à répondre à la commission.
M.
Fleussu. - Dès que le ministre demande la parole pour combattre
l’ajournement, il est dans son droit ; mais avant que la question relative à la
motion d’ordre soit résolue, nous avons tous le droit de contester au ministre
d’entrer dans la discussion du fond. Le débat sur le fond est maintenant sur un
autre terrain : vous avez joint la discussion de la proposition du ministre de
la guerre à la discussion du rapport du ministre des affaires étrangères.
Vous avez pensé que ces objets
étaient intimement liés ; et il a été décidé par la chambre qu’on discuterait
simultanément les deux questions. C’est ainsi que le débat s’est engagé. Mais
depuis hier des événements favorables, j’aime à le reconnaître, sont venus à
notre connaissance et la question a pris une autre tournure. Des
interpellations ont été faites au ministre des affaires étrangères ; le
ministre a demandé un délai pour répondre. En conséquence de la décision que
vous avez prise de lier les deux discussions, la demande de crédit doit être
également ajournée : vous ne pouvez pas diviser aujourd’hui ce que vous avez
déclaré indivisible. D’après ces raisonnements il serait absurde, puisque ce
mot a été employé, de discuter sur le projet de loi du ministre de la guerre,
sans avoir les renseignements demandés au ministre des affaires étrangères. Ces
renseignements donnés, les explications du ministre de la guerre seront plus
efficaces.
M.
le ministre de la justice (M. Lebeau) - J’ai regret de tant insister,
mais la chambre sentira que notre devoir est de défendre ici, bien moins dans
l’intérêt personnel des ministres que dans l’intérêt du pouvoir royal, les
prérogatives pour lesquelles nous élevons en ce moment la voix. Remarquez un
fait, c’est que par son insistance le gouvernement vous prouve assez que,
malgré les événements qu’il est venu vous annoncer, il persiste dans l’opinion
que les mesures militaires sont utiles, et que le retard dans l’adoption de ces
mesures peut être préjudiciable à l’Etat et engager la responsabilité du
ministre. Personne mieux que le gouvernement n’est en position de savoir quel
degré d’activité et de développement il doit donner à des mesures purement
militaires. Tout ce qui concerne la paix et la guerre est dans les attributions
du gouvernement, sauf le vote des subsides et la censure des chambres.
Si le ministre de la guerre, alors
même que des événements favorables sont venus modifier notre position, a des
raisons de prévoir la possibilité de nouvelles complications, s’il croit utile
d’adopter des mesures que la prudence conseille, je crois que vous ne pouvez
refuser de l’entendre, et je crois que de cette manière il combat indirectement
la motion d’ordre qui n’est qu’une motion d’ajournement. La persistance de M.
le ministre de la guerre est une présomption qu’il regarde tout ajournement
comme inopportun. Je crois qu’il faut, avant d’apprécier ses motifs, qui
n’empêcheront pas de mettre aux voix la motion d’ordre, entendre ce ministre.
S’il avait demandé purement et simplement la parole, sans dire sur quoi, je
vous l’ai déjà dit, M. le président n’aurait pas pu lui demander sur quoi il
voulait parler, parce que ce serait méconnaître l’article 88 de la constitution
de la constitution qui domine tous les règlements, qui domine même les lois.
M. d’Huart. -
Le ministre de la justice s’appuie sur l’urgence pour soutenir que le ministre
de la guerre doit être entendu ; mais un argument auquel je n’avais pas d’abord
pensé, et que vient de faire valoir un honorable préopinant, réfute
parfaitement l’assertion ministérielle. Le ministre de la guerre avec les fonds
qui sont à sa disposition pour l’exercice 1834 tout entier, peut facilement
mettre en mouvement 30,000 hommes, s’il le veut ; ainsi la question d’urgence
n’est qu’un prétexte et non un motif. La demande du ministre de la guerre est
complexe ; ce n’est pas seulement de l’argent qu’on nous demande, c’est encore
notre confiance qu’il faut aux ministres ; mais pour avoir cette confiance il
faut prouver qu’on la mérite ; cette preuve ne peut être faite qu’en déposant
les pièces sur le bureau. Il n’y aurait plus possibilité de faire une motion
d’ordre, si un ministre pouvait venir demander la parole et intervertir l’ordre
de nos discussions.
M.
le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je rétorquerai au préopinant
son propre argument.
Il vient de dire que le droit conféré aux ministres
d’être entendus pourrait paralyser le droit de faire des motions d’ordre ; je
lui dirai que le droit de faire des motions d’ordre pourrait paralyser le droit
qu’ont les ministres de parler. Tel est, messieurs, le véritable état de la
question, et je demanderai à mon tour qu’on y réponde.
M.
de Brouckere. - Je m’en charge.
M.
le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Nous discutons un peu sur une
question de mots. Il est évident que le ministre de la guerre aurait pu dire :
Je demande la parole contre la motion d’ordre, et lire le discours où il combat
les conclusions du rapporteur de la commission. Il y a différentes manières de
combattre les motions d’ordre. Le ministre a donné à entendre qu’il se
proposait de combattre à la fois et les conclusions du rapport et la motion
d’ordre faite par l’honorable M. d’Huart ; il doit donc être entendu même pour
ce motif, quand il n’aurait pas, indépendamment de ce motif, un droit
incontestable.
Il me semble que le gouvernement
qu’on a voulu pousser aux mesures rigoureuses, aux mesures énergiques, alors
que M. Hanno était encore prisonnier, ne fait actuellement que se conformer aux
vœux de la chambre, ne fait que s’associer à sa pensée. S’il était mu, comme on
le lui reproche, par des sentiments de faiblesse, il pourrait vous dire : tout
danger de collision a disparu, nous croyons que désormais les fonctionnaires
seront garantis dans leurs domiciles, et nous n’avons pas besoin du crédit
demandé. Mais le gouvernement persiste dans sa demande de crédit ; il croit que
les sommes qu’il réclame peuvent encore être employées utilement ; et vous
voudriez, par une motion d’ordre, paralyser le droit que le gouvernement a
d’être entendu, et paralyser encore les intentions du gouvernement qui n’ont
pas cessé d’être conformes aux intentions de la chambre, alors même que des
événements favorables sont survenus.
M.
Fleussu. - Je ne comprends pas l’insistance du gouvernement. J’ai
expliqué comment il y avait liaison entre les deux objets ; entre le crédit
demandé et entre le rapport du ministre des affaires étrangères ; et je crois
que si on s’en rapportait à la bonne foi du ministre de la guerre, il ne
verrait point une question de prérogative dans le refus de l’entendre sur autre
chose que sur la motion d’ordre, car réellement il veut parler sur les
conclusions de la commission. Nous n’avons pas l’intention de violer la
constitution ; mais nous voulons qu’elle soit entendue comme elle doit l’être.
Sans doute, ministres, que vous pouvez prendre la parole quand vous le voulez,
c’est-à-dire quand vous avez des projets de loi à présenter ; mais lorsqu’une
motion d’ordre est faite, si elle est acceptée, il n’y a plus rien en
discussion ; elle change l’ordre du jour, et il serait absurde d’entendre un
ministre sur un objet interdit à la discussion de l’assemblée entière. Nous
nous serions interdit de parler sur une question complexe, et vous voudriez en
séparer une partie pour l’examiner à votre loisir, quoique nous ayons déclaré
l’indivisibilité des deux parties ? Cette prétention n’est pas soutenable.
Les raisonnements du ministère ne sont pas ce qu’il y
a de plus singulier dans ce débat ; voyez combien il est devenu énergique
depuis hier : nous ne voulons pas de retard dans les mesures à prendre,
s’écrie-t-il ; il y a encore des mesures énergiques à préparer pour assurer la
tranquillité du Luxembourg.
M.
le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Nous n’avons pas dit cela.
M.
Fleussu. - Vous venez de le dire à l’instant même, vous et le ministre
de la justice. Cependant lorsque dans les séances précédentes nous demandions
des mesures énergiques que répondiez-vous ?
Vous disiez : 24 heures ne nous feront rien perdre ;
donnez-nous du temps, Mais parce que Hanno est rendu à la liberté, vous venez
ici faire parade d’énergie, quand il est moins nécessaire d’en avoir. La nation
ne se méprendra pas sur ce subit élan de courage. (Des applaudissements se font entendre dans les tribunes publiques.)
M.
le président. - Si on applaudit encore, je ferai évacuer les tribunes.
M.
le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Non, messieurs, nous n’avons
pas fait entendre des paroles énergiques ; nous nous sommes constamment
renfermés dans les bornes de la modération. Les paroles que vous prononcez
comme individu ne compromettent que vous ; il n’en est pas de même des paroles
qu’on prononce comme ministre. Nous connaissons les conséquences qu’auraient
eues des paroles d’énergie placées dans notre bouche ; ce n’est pas nous
qu’elles auraient compromis, mais ceux qui les auraient traduites en action.
Nous n’avons pas voulu feindre d’entrer dans une voie
d’énergie à la suite de l’élargissement de M. Hanno ; personne n’a pu le croire
; mais nous avons pu dire que cet événement n’empêchait pas qu’il n’y eût lieu
à prendre des mesures militaires, et par conséquent à accorder la somme
demandée par M. le ministre de la guerre : c’est la vérité, et c’est ce que me
je suis borné à dire, non pas avec l’éloquence véhémente et énergique de
l’honorable M. Fleussu, mais modestement et avec modération, quoi qu’ait pu
dire l’honorable préopinant, qui, en embellissant beaucoup mes paroles, j’en
conviens, les a, il faut le dire aussi, complètement dénaturées.
M.
de Brouckere. - Messieurs, on a objecté l’urgence : à cela je ne
répondrai qu’un mot, c’est qu’avant-hier M. le ministre des affaires
étrangères, sommé de donner des explications, a dit qu’il ne pouvait pas encore
les donner ; qu’il n’y avait d’ailleurs aucune urgence. C’est ce qu’a dit M. le
ministre me répondant à moi-même.
Je dirai maintenant deux mots en réponse à M. le
ministre de l’intérieur. Il a prétendu que si la chambre adoptait sur la motion
d’ordre l’opinion professée par MM. Jullien, Gendebien et plusieurs antres
orateurs, il s’ensuivrait que les ministres seraient privés de la prérogative
qu’ils ont d’être entendus dans la chambre quand ils le demandent ; et que
s’ils se présentaient porteurs d’une communication importante, d’un projet de
loi, il suffirait, pour qu’ils ne pussent être entendus, qu’un membre fît une
motion d’ordre.
Mais, messieurs, il n’en est pas ainsi : tout à
l’heure, nous faisions à MM. les ministres l’honneur de ne pas les croire
portés à être absurdes ; ils devraient bien vraiment nous faire le même honneur
; or, ce serait donner un sens absurde à l’opinion que nous avons émise, que de
lui donner une interprétation aussi étendue : en effet, nous savons tous que
lorsqu’un ministre demande la parole, pour présenter un projet de loi, elle
doit lui être accordée, bien entendu cependant qu’il ne peut interrompre un
orateur qui parlerait, et aussi que le projet aurait du rapport avec l’objet en
discussion ou qu’une discussion viendrait d’être terminée.
Dans une telle occasion personne ne serait assez mal
avisé pour contester la parole au ministre et pour chercher, en élevant une
motion d’ordre, à l’empêcher de parler. Mais si par impossible il se trouvait
dans la chambre un membre assez mal avisé pour cela, il ne faut pas croire
qu’il pourrait arriver à son but et empêcher le ministre de présenter son
projet de loi.
En effet, de toutes parts on demanderait la question
préalable sur la motion d’ordre. Je dois expliquer ce que c’est que la question
préalable ; je demande pardon à la chambre d’entrer dans ce détail, mais j’y
suis obligé, parce que M. le ministre ne connaît pas le règlement. La question
préalable est celle sur laquelle il n’y a pas lieu à délibérer. La question
préalable serait donc mise aux voix et adoptée par l’unanimité des membres
présents, moins le malavisé qui aurait fait la motion et la parole serait
donnée au ministre pour la présentation d’un projet de loi.
Que messieurs les ministres soient donc tranquilles ;
ils seront toujours entendus quand ils auront des projets de loi à présenter,
ils seront entendus également lorsqu’ils voudront parler sur les matières qui
seront à l’ordre du jour. Or, maintenant ce qui est à l’ordre du jour, ce n’est
plus le projet de loi présenté par M. le ministre de la guerre, c’est la motion
d’ordre. Personne donc, fût-ce un ministre, ne peut parler sur autre chose que
sur la motion d’ordre.
La chambre entendra-t-elle M. le
général Evain ? Oui, s’il veut parler sur la motion d’ordre ; oui, s’il dit que
le discours qu’il veut prononcer a trait à la motion d’ordre ; mais si M. le
ministre de la guerre, qui d’ailleurs ne paraît pas aussi tenté de parler que
ses collègues, répète que ce n’est pas sur la motion d’ordre, mais sur le fond
de la question qu’il veut parler, la chambre ne pourra pas l’entendre et sera
obligée de passer à la matière à l’ordre du jour.
M.
le ministre de la guerre (M. Evain) - La motion d’ordre est d’accord
avec les conclusions du rapport de la commission ; en effet, elle tend à ce que
la chambre ajourne l’adoption du projet de loi présenté par le gouvernement ;
et les conclusions du rapport sont que l’on passe à l’ordre du jour sur la
proposition du gouvernement, ou tout au moins qu’on en ajourne l’adoption
jusqu’à ce que le ministère se soit expliqué sur notre situation politique
extérieure, et qu’il ait rendu compte des mesures qu’il a prises pour le
maintien de la dignité nationale.
Je désire répondre aux conclusions de la commission ;
mais la motion d’ordre étant semblable à ces conclusions, il en résulte qu’en
les combattant je combattrai également la motion d’ordre.
M.
de Brouckere. - Dès lors, je suis le premier à demander que M, le
ministre de la guerre soit entendu.
M.
le ministre de la guerre (M. Evain) - Messieurs, la commission chargée
de vous présenter un rapport sur les diverses propositions que j’ai eu
l’honneur de vous faire, au nom du gouvernement, dans votre séance du 22 du
mois dernier, n’a traité qu’une seule de ces propositions, celle qui est
relative à une somme de 2,800,000 fr. qui reste disponible sur les fonds de
l’exercice 1833, et dont le gouvernement demande le transfert au budget des
dépenses du département de la guerre (exercice 1834), pour être appliquée aux
dépenses dudit exercice.
Je me bornerai aussi, pour le moment, à ne traiter que
cette seule proposition ; en attendant que la commission ait émis son avis sur
celles qui font partie des dispositions contenues dans les deux projets de loi
soumis à vos délibérations.
Votre commission vous a proposé, messieurs, de passer
à l’ordre du jour sur le projet de loi présente par le gouvernement, ou d’en
ajourner l’adoption jusqu’à ce qu’il vous soit donné des explications
catégoriques sur notre situation politique, et qu’on vous ait fait connaître
les mesures prises pour replacer le pays dans une attitude digne de sa
régénération politique.
Vous me permettrez de vous faire observer, messieurs,
qu’il n’est pas dans les usages parlementaires de passer à l’ordre du jour sur
des projets de loi proposés par le gouvernement,
Il est au contraire de l’essence des gouvernements
représentatifs de discuter et de délibérer sur les projets de loi qui leur sont
soumis par les ministres au nom du chef du gouvernement. Les chambres ont le droit
de modifier ou de rejeter ces projets de loi ; mais je ne peux croire qu’elles
tient celui de passer à l’ordre du jour, sans les soumettre à la discussion.
Aussi votre commission, après avoir proposé l’ordre du
jour, émet subsidiairement l’avis d’ajourner l’adoption du projet après les
explications politiques et le compte rendu des mesures militaires qui ont été
prises par le gouvernement,
Cependant, messieurs, le projet de loi, d’après les
explications que j’ai données à la commission, et qu’elle vous a fait
connaître, a un but utile patent, et que je regarde comme nécessaire dans toute
hypothèse.
En effet, messieurs, il s’agit de rappeler sous les
armes une partie des miliciens en congé, pour remplir le vide occasionné dans
les rangs de l’armée par l’envoi des troupes qui ont été dirigées vers la
province de Luxembourg, et de parer aux dépenses qui résulteront du
cantonnement de ces troupes dans cette province.
La première pensée du gouvernement, en envoyant des
troupes dans le Luxembourg, a été qu’elles devaient être immédiatement
remplacées dans l’effectif de l’armée présent sous les armes et avec d’autant
plus de motifs que le service de plusieurs places souffre de la faiblesse
actuelle de quelques garnisons, et de la nécessité d’y faire faire tout le
service par la troupe de ligne, par suite de la cessation de ce service par la
garde civique sédentaire.
Telle a été la première mesure qu’a prise le
gouvernement ; et pour qu’elle ne fût pas une charge pour le pays, la première
idée à laquelle il s’est aussi arrêté, a été qu’il suffisait de disposer des
fonds restant libres sur 1833, pour couvrir entièrement la dépense qu’elle
pourrait entraîner.
Et en cela, messieurs, le gouvernement s’applaudit
d’avoir ménager cette ressource pour assurer, sans nouvelles charges pour le
pays, les premières dépenses à faire en sus des prévisions du budget de 1834.
Le gouvernement, se trouvant dans l’obligation de vous
demander des fonds supplémentaires à ceux qu’accorde la loi du budget de 1834,
n’a pas cru devoir vous demander un crédit nouveau à prélever sur les voies et
moyens de l’année, et il a préféré sans attendre la clôture de l’exercice, vous
déclarer dès ce moment l’excédant de crédit qui lui restait sur l’exercice de
1833 et vous proposer son transfert sur l’exercice 1834.
La commission a pensé qu’il eût été plus convenable de
porter cette somme au budget des voies et moyens : mais je me permettrai de
vous faire observer, messieurs, que les comptes de l’exercice de 1833 ne devant
être clôturés qu’à la fin de 1834, cette ressource n’aurait pu figurer que dans
le budget des voies et moyens de l’année 1833 ; et cela est si vrai, que les
excédants de crédit de 1830, 1831 et 1832, que présentent quelques
départements, n’ont pas été pris en recette dans le budget des voies et moyens
de l’exercice de 1834.
Ainsi, messieurs, je crois avoir mieux agi en vous
faisant connaître cette première ressource que d’avoir attendu à la voir
comprise dans celles des voies et moyens pour l’exercice 1835.
Ces premiers fonds couvrent les dépenses que le
gouvernement a ordonnés et qu’il se propose encore, si vous lui accordez la
disposition des fonds qu’il vous demande.
Mais si vous passez à l’ordre du jour ou si vous
ajournez l’adoption de sa proposition, vous sentez qu’il ne lui est plus
loisible de donner suite aux mesures qu’il se proposait de prendre, et dont
l’exécution exige impérieusement l’ouverture du crédit demandé.
Je vous prie de remarquer, messieurs, que, dans le
rapport que j’ai eu l’honneur de vous présenter à l’appui des propositions
faites par le gouvernement, je vous annonçais son intention de vous demander de
nouveaux crédits, si les événements politiques venaient à exiger de nouvelles
dépenses.
En cela, messieurs, je sois d’accord avec votre
commission, et le gouvernement vous demandera tous les fonds qu’il jugera
nécessaires pour porter l’effectif de notre armée dans les proportions qu’il
jugera convenable d’assigner, d’après la marche des événements politiques ; et,
dans la seule vue d’épargner des dépenses inutiles et superflues, il a cru
devoir borner sa première demande de fonds à ceux qui restent disponibles sur
l’exercice de 1833, et c’est ce que sa prévoyance juge suffisant dans le moment
actuel.
Mais il vous a annoncé, messieurs, qu’il était
possible qu’il eût à vous demander un nouveau crédit ; et en cela, je le
répète, il est d’accord avec la commission pour n’ajourner aucune des dépenses
qui lui paraîtront utiles.
En attendant donc que nous soyons plus éclairés sur la
marche des événements il serait inconsidéré et superflu de vous demander de
nouveaux crédits ; car si le gouvernement doit veiller à la sûreté de l’Etat et
prendre à cet effet les mesures que lui dicte la prudence, il doit aussi
veiller aux intérêts des contribuables et au maintien du crédit public.
C’est donc pour remplir ce double devoir que le
gouvernement vous propose, messieurs, de poser des bornes à l’élan généreux que
votre commission et la chambre entière ont manifesté, et de ménager les
ressources du pays pour y avoir recours quand le moment arrivera d’en faire un
bon emploi.
Car il ne peut être question, dans la circonstance où
nous nous trouvons de déployer toute notre force militaire, et de faire usage
de toutes nos ressources, quand la convention de Londres du 21 mai nous assure
et nous garantit un armistice indéfini.
J’ai donc l’honneur de vous répéter,
messieurs, que les fonds que vous demande le gouvernement lui paraissent
suffisants, et que si les événements politiques lui révélaient quelques faits
qui dussent provoquer sa sollicitude, il recourrait avec confiance aux offres
que votre patriotisme vous porte à lui faire.
C’est d’après ces motifs, messieurs, que je demande
qu’on ouvre la discussion sur le projet de loi qui vous a été présenté par le
gouvernement, et je prends l’engagement de vous donner les explications qui me
seront demandées sur l’emploi des fonds dont le transfert est proposé.
M. d’Huart. -
Je ferai remarquer que M. le ministre de la guerre a constamment parlé sur le
fond de la question, et qu’il n’a pas dit un mot sur la motion d’ordre. Je
regrette que M. le président n’ait pas requis l’exécution formelle du règlement
et n’ait pas rappelé M. le ministre à la question. Je demande maintenant, M. le
président, que la chambre soit consultée sur la motion d’ordre que j’ai
proposée.
M.
Jullien. - C’est en effet, comme vient de le dire l’honorable
préopinant, le moment de soumettre la motion d’ordre au vote de la chambre,
mais comme je ne veux pas qu’on puisse nous accuser d’avoir enchaîné l’ardeur
et l’énergie du ministère, je tiens à ce qu’on sache que ce n’est pas nous qui
retardons l’adoption de la proposition du gouvernement, que ce n’est pas par
notre faute que ce retard aura lieu.
Est-ce nous qui avons occasionné du retard,
lorsqu’avant d’avoir fixé le jour de la discussion du rapport nous avons
demandé des explications aux ministres, lorsque nous avons répété cette demande
avant d’ouvrir la discussion, lorsqu’enfin cette demande forme les conclusions
du rapport de notre commission ? Ces explications on se refuse obstinément
à nous les donner. C’est, nous dit-on, un vote de confiance. C’est précisément
pour cela que nous avons le droit d’exiger des renseignements, de savoir dans
quelles vues, dans quelles intentions, vous demandez ce crédit pour le ministre
de la guerre.
Pour moi je tiens à connaître ces
explications, vous nous les devez d’ailleurs sous peine de voir rejeter le
crédit que vous demandez.
Ainsi j’insiste pour que la motion d’ordre soit mise
aux voix ; il nous suffit qu’il soit établi que l’ajournement ne doit pas être
imputé à la chambre.
M.
le ministre des affaires étrangères (M. F. de Mérode) - Le ministère sait montrer de l’énergie lorsqu’elle est nécessaire.
Un membre. - Oh !
M. le ministre des affaires étrangères (M. F.
de Mérode) - Oui sans doute, mais ce n’est pas
lorsqu’une négociation est pendante qu’il convient de parler des mesures qu’on
se propose de prendre de rendre compte, jour par jour, des circonstances
nouvelles qui peuvent survenir, non plus que des pièces que nous pouvons
recevoir. Il n’en est pas moins vrai, cependant, que des mesures de défense et
de précaution peuvent être nécessaires dans l’intérêt du pays. La chambre ne
doit pas d’ailleurs se méfier tellement du ministère, qu’elle ne puisse lui
accorder les fonds qu’il demande, sans qu’il soit obligé de donner dès à
présent de nouvelles explications.
M.
Gendebien. - Messieurs, pour bien apprécier s’il y a lieu d’adopter ou
de rejeter la demande qui vous est faite par le ministère, il suffira, je
pense, de vous rappeler quelques souvenirs. Pourquoi avons-nous adressé des
interpellations au gouvernement ? Parce que les négociations entamées au sujet
de l’opposition du général Dumoulin à la levée de la milice, les événements du
Luxembourg, et la conduite du ministère à cette occasion nous avaient fait
juger qu’il avait perdu la confiance de la nation. Un événement plus nouveau,
l’arrestation de M. Hanno est venu nous révéler toute l’impuissance du
ministère pour faire face à des événements plus graves de jour en jour.
Nous avons exigé des explications et la communication
des pièces ; M le ministre s’y refuse obstinément, et déclare ne pouvoir
s’expliquer davantage. Nous voulons, nous, connaître la vérité tout entière,
afin de juger d’une part si la dépense est nécessaire, si elle est utile,
utilement employée et d’une autre part, si elle est suffisante.
Quel événement si heureux s’est-il
donc passé depuis huit jours pour que nous rendions notre confiance au
ministère ? La nation a elle-même donné le degré de confiance que mérite le
ministère.
M.
le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Oui, les tribunes.
M.
Gendebien. - Oui aussi les tribunes, comme l’a fort bien dit M. le
ministre de l’intérieur. La chambre a eu hier un exemple frappant que la nation
entière partage notre juste défiance.
Lorsqu’un honorable orateur exprimait le vœu que le
ministère actuel cessât de gouverner la Belgique, une explosion unanime et
spontanée d’applaudissements s’est fait entendre dans les tribunes. Cette
manifestation est illégale je le reconnais ; cependant elle ne peut être
récusée…
M.
le président (M. Raikem). - Il ne me paraît pas qu’il soit convenant de
parler ici de ce qui se passe dans les tribunes.
M.
Gendebien. - J’ai cru pouvoir citer cette manifestation comme un
témoignage de l’opinion publique. C’est un fait irrécusable.
M.
le président. - Je répète qu’on ne doit pas parler dans cette assemblée
des manifestations des tribunes, qui doivent être considérées comme en dehors
de la chambre.
M.
Gendebien. - L’impopularité du ministère n’en a pas moins été
consacrée, bien ou mal, par les tribunes en masse et spontanément.
M.
le président. - Je le répète, on ne doit pas parler des tribunes, je
prie l’honorable orateur de vouloir bien rectifier sa phase.
M.
Gendebien. - Je n’effacerai pas un mot de ce que j’ai dit, je demande
seulement qu’on me laisse développer ma pensée…
M.
le président. - Mais vous ne pouvez pas...
M.
Gendebien. - Je ne crois pas que M. le président ait le droit
d’interrompre un orateur au milieu d’une phrase et dont le sens par conséquent
est incomplet.
M.
le président. - Je crois avoir ce droit lorsqu’un orateur s’écarte des
convenances
M.
de Theux. - Si la voix de M. le président est méconnue, il n’y a qu’à
lever la séance.
M.
Gendebien. - Si M. de Theux veut parler, je l’écouterai avec beaucoup
de plaisir ; mais je lui répondrai ensuite.
M.
de Theux. - Je dis qu’on ne peut se refuser d’obtempérer aux
observations de M. le président, lorsqu’il trouve qu’un orateur s’écarte des
convenances. Il est inconvenant en effet d’avoir égard aux manifestations des
tribunes, et c’est porter atteinte à la liberté de la chambre, car si vous vous
laissez influencer par les applaudissements des tribunes, vous pourriez aussi
vous laisser influencer par leurs menaces, et dès lors la liberté de
l’assemblée serait violée. (Adhésion
générale.)
Je puis citer un exemple à l’appui de cette opinion.
Au congrès un membre crut pouvoir invoquer aussi les applaudissements des
tribunes, je demandai moi-même son rappel à l’ordre ; je ne le demande pas
maintenant, mais dans la circonstance que j’ai citée le rappel à l’ordre eut
lieu.
M.
Gendebien. - Libre à M. de Theux de demander mon rappel à l’ordre.
M.
de Theux. - J’ai fait observer que je ne le demandais pas.
M.
le président. - Avant que l’orateur reprenne la parole, je lui
rappellerai mon observation.
M.
Gendebien. - Soit, je ne parlerai pas des tribunes ; le fait d’ailleurs
est connu de tout le monde ; la nation entière et l’Europe eu auront été
instruites. Je n’avais pas l’intention d’insister. Ce qui résultera de là,
c’est que je ne pourrai pas achever ma pensée ; je la laisserai dans le sens
absolu qu’on lui a prêté, et je ne répondrai pas même à l’interprétation qu’on
lui a donnée.
Je dis quant à moi que la chambre a manifesté le désir
que le ministère justifiât avant tout de la nécessité ou de l’utilité de sa
demande, et qu’elle a déclaré en même temps que la dépense était superflue si
on ne voulait pas agir avec énergie ; dans ce cas au contraire la chambre
serait disposée à accorder beaucoup plus. Mais nous sommes encore dans la même
position.
La mise en liberté de M. Hanno, bien que cet événement
soit heureux, change-t-elle l’état des choses ? Le ministère nous a-t-il fait
quelque communication ? La chambre enfin a-t-elle été mise à même d’apprécier
l’utilité de la dépense proposée ?
Le fait de la libération de M. Hanno change-t-il nos
relations avec la confédération germanique ? Ce fait se renouvellera-t-il, ou
bien croit-on être en mesure d’empêcher qu’il ne se renouvelle ? Si vous avez
des craintes, rien ne vous empêche, comme l’a fait observer un honorable
membre, de prendre toutes les mesures nécessaires, de faire sous votre
responsabilité, sur les fonds déjà votés du budget de la guerre, les dépenses
que vous croirez utiles. Si vous ne craignez plus d’événements de ce genre,
restez dans le budget.
Prenons garde, messieurs, qu’on ne nous accuse dans le
public d’être encore une fois dupes du ministère ; prenons garde qu’il ne nous
demande un crédit pour réparer de faux calculs dans le budget de la guerre,
pour combler quelque déficit.
La chambre a décidé que de nouveaux
renseignements étaient nécessaires ; il lui est impossible en effet de discuter
le rapport des affaires étrangères et le projet de loi si elle ne sait pas les
mesures qu’on a prises, si elle ne connaît pas l’état de la question.
M.
le président. - Je vais d’abord mettre aux voix la question de savoir
si la chambre adressera à M. le ministre des affaires étrangères les questions
posées par M. Ernst.
M.
de Brouckere. - Il est bien entendu que ces interpellations n’ont rien
de restrictif, et que si le rapport de M. le ministre des affaires étrangères
se bornait à y répondre, d’autres membres seraient libres d’en adresser aussi à
M. le ministre.
Quant à moi j’aurais aussi quelques questions à lui
adresser, mais je m’en abstiens quant à présent parce que je suppose que M. le
ministre, dont nous connaissons tous la sincérité de caractère, nous fera sur
les événements du Luxembourg un rapport complet ; je ne ferais ces
interpellations que si ce rapport me paraissait incomplet.
- Les interpellations de M. Ernst sont mises aux voix
; la chambre décide qu’elles seront adressées à MM. les ministres.
La motion d’ordre de M. d’Huart est mise aux voix ;
les deux épreuves par assis et levé sont douteuses. On passe à l’appel nominal
sur la motion d’ordre ; elle n’est pas adoptée. La discussion est reprise sur
le projet de loi présenté par M. le ministre de la guerre.
(Moniteur belge
n°62, du 3 mars 1834) La motion d’ordre de M d’Huart, tendant à ce que la
discussion soit ajournée jusqu’à ce que MM. les ministres aient donné des
explications, est mise aux voix.
La première épreuve est douteuse. L’épreuve est
renouvelée et est également douteuse. La chambre passe à l’appel nominal ; en
voici le résultat :
Nombre des votants, 67
Majorité absolue, 34.
Pour la motion d’ordre, 31.
Contre la motion d’ordre, 36.
La motion d’ordre n’est pas adoptée.
Ont vote pour : MM. Angillis, Davignon, de Behr, de
Brouckere, de Puydt, de Renesse, Desmanet de Biesme, de Smet, d’Hoffschmidt,
d’Huart, Doignon, Domis, Dumont, Ernst, Fallon, Fleussu, Gendebien, Helias
d’Huddeghem, Hye-Hoys, Jadot, Jullien, Lardinois, Meeus, Pollénus, Poschet, A.
Rodenbach, Seron, Trentesaux, Vanderbelen, Vergauwen, Watlet.
Ont vote contre : MM. Bekaert, Brixhe, de Laminne, A.
Dellafaille, H. Dellafaille, de Man d’Attenrode, F. de Mérode, W. de Mérode, C.
Vuylsteke, de Sécus, de Stembier, de Terbecq, de Theux, Dewitte, Dugniolle,
Duvivier, Eloy de Burdinne, Lebeau, Milcamps, Morel-Danheel, Nothomb,
Olislagers, Raikem, C. Rodenbach, Rogier, Schaetzen, Smits, Ullens, Vandenhove,
Vanderheyden, Verdussen, C. Vilain XIIII, H. Vilain XIIII, L. Vuylsteke,
Wallaert, Zoude.
M.
le président. - En conséquence de la décision de la chambre, la
discussion est reprise sur le projet de loi présenté par M. le ministre de la
guerre. La parole est à M. d’Huart.
M.
d’Huart. - J’y renonce. Je ne puis pas
prendre part à la discussion si on se refuse à donner à la chambre connaissance
des pièces.
M.
le président. - La parole est à M.
Milcamps.
M.
Milcamps. - La communication qui a été faite par M. le ministre des
affaires étrangères me détermine à renoncer à la parole.
M.
le président. - M. Desmanet de Biesme a la parole.
M.
Desmanet de Biesme. - J’y renonce.
M. Helias d’Huddeghem. - L’unanimité des deux chambres dans le vote de l’adresse, à
l’occasion de l’attentat inouï dans les annales des nations civilisées, me
paraît prouver qu’il y a dans toute la Belgique une volonté fortement et
généralement sentie, celle d’assurer notre indépendance, de maintenir et de
faire respecter nos droits. Je sens, messieurs, que le langage des adresses ne
peut s’allier qu’à des mesures énergiques ; sinon, que les adresses seraient
illusoires.
J’ai longtemps réfléchi avant de me déterminer à vous
présenter la véritable cause des insultes continuelles que la nation a dû
souffrir de la part de ses ennemis ; je craignais de troubler par des souvenirs
affligeants l’union de l’assemblée. Mais, messieurs, j’ai pensé que notre union
avait effacé le passé dans tout ce qui nous concerne personnellement, mais non
dans ce qui concerne la nation. J’ai pensé qu’elle n’avait changé ni le mal ni
les causes, et ne devait point changer le remède. Si, pour ne pas troubler le
calme de quelques personnes, qui dans une bonne intention sans doute croient et
disent que le silence guérira tout, j’allais garder ce funeste silence,
j’aurais à me reprocher ma faiblesse ; car ma conscience me dit que le nation
est exposée à de nouveaux malheurs, si les hommes qui connaissent le mal
n’élèvent pas la voix, s’ils trompent ou se laissent tromper par une surface
séduisante. Je dirai donc la vérité,
mais sans fiel et uniquement pour faire
saisir le remède.
La prévoyance n’est pas une qualité dont paraît animé
le pouvoir en Belgique ; l’inaction a été justement reprochée aux différents
ministères qui se sont succédé dans ce pays : les premiers agents depuis la
révolution obéissaient lentement à l’expression du vœu national ; en plusieurs
circonstances ils ont manifestement trahi les intérêts du pays, et lui ont fait
éprouver des pertes irréparables. Combien de fois à cette tribune n’avons-nous
pas prouvé l’importance de la position du Capitalendam pour l’écoulement des
eaux de Flandre. Il était à supposer que le gouvernement eût pris des mesures,
mais il n’a rien fait, messieurs, et quand les Hollandais se sont présentés
avec leurs chaloupes canonnières, cette écluse si importante leur a été en
quelque sorte livrée.
Jamais, messieurs, on n’a pris à temps des mesures de
précaution contre la rupture de nos digues, l’inondation de nos polders, le
massacre même de nos habitants. En vérité, il paraissait que quelques hommes ne
concevaient pas encore que le trône des Nassau se fût écroulé ; la victoire
éclatante des droits du peuple belge leur parut un triomphe passager devant
lequel ils consentirent à se courber un instant ; s’ils voulurent bien accepter
des places des patriotes, ils se cachaient toutefois des projets qui depuis ont
été dévoilés au grand jour. Heureusement que l’événement d’Anvers du mois de
mars
Instruits par une triste expérience, il faut une bonne
fois se pénétrer que les dangers qu’on pourrait éviter par la prévoyance et les
précautions acquièrent toujours de la réalité par une coupable sécurité ; c’est
pour prévenir le renouvellement d’événement semblables que je crois nécessaire
que nous mettions en action nos ressources naturelles, car ne vous dissimulez
pas que si vous cédez à une vaine terreur, il faudra bientôt combattre pour
repousser des prétentions nouvelles : mais vous combattez déshonorés par une
première défaite, déchus à vos propres yeux, et avilis aux yeux d’un ennemi qui
nous aurait fait plier sous ses injustes prétentions.
Vos premiers vœux, vos démarches constantes ont été
pour la paix ; je la désire aussi, messieurs, mais je veux que le gouvernement
se présente aux puissances ennemies avec force et modération, c’est-à-dire
qu’il leur dise que cette indépendance que la nation réclame pour elle, elle la
reconnaît dans les autres peuples ; que les Belges se font un devoir de rendre
hommage à tous les principes du droit naturel et du droit des gens ; que c’est
sur cette base qu’ils offrent et demandent la paix.
Que si nous étions trompés dans notre juste attente et
que par continuation nous ne rencontrions que la perfidie et les intrigues,
alors, messieurs, pénétrés des sentiments de nos intérêts les plus chers, de
celui de notre existence, de notre honneur, de la liberté, réunissons tous les
moyens de défense qui peuvent nous les garantir, que tous les sacrifices
nécessaires soient consentis par la nation pour qu’elle conserve le prix des
sacrifices qu’elle a déjà faits. Mais alors, messieurs, il ne faut pas recourir
à des demi-mesures comme le propose M. le ministre de la guerre, il est
indispensable que l’Etat ait à sa disposition une masse imposante de forces
défensives qui, préparées à agir au moment du besoin, ne soient point, en
attendant une utile activité, une charge extraordinaire au pays.
Nos moyens de défense peuvent se diviser en deux
parties, l’armée active et la garde civique. Il me paraît urgent d’adjoindre
comme moyen de défense, à notre armée active, une réserve de soldats
auxiliaires, c’est-à-dire d’hommes qui, vivant dans leur domicile et livrés à
leurs occupations habituelles, seraient prêts à marcher en cas de guerre, et
seraient répartis dans les régiments de ligne. Tous les citoyens actifs de 21 à
50 ans sont gardes civiques ; mais il n’est pas possible que les corps entiers
puissent servir et sortir de leurs foyers, ils ne peuvent marcher qu’en partie
: ainsi il me paraît nécessaire d’établir un mode suivant lequel le choix pût
s’opérer, et les corps s’organiser au moment où la patrie en danger invoquerait
leur secours.
En réorganisant la garde civique, il convient de faire
la division des corps par district et canton avec assez d’étendue et de
consistance pour donner l’ensemble et l’harmonie aux mouvements des gardes ;
cette division ne présente, ni le chaos d’une organisation trop circonscrite,
ni les inconvénients attachés à l’éloignement des lieux, qui résultent d’une
organisation qui a trop d’étendue. En cas de besoin il est plus facile de les
concentrer sur le point menacé. Il faut encore qu’on encourage les exercices au
moyen de récompenses qui seront déterminées dans le projet. Telles sont,
messieurs, les mesures que je vous propose d’adopter ; et à cet effet je désire
que M. le ministre nous présente le projet de loi qui est élaboré depuis un an,
et qu’il soit discuté d’urgence et avant tout autre projet. Ces mesures sont
simples et d’une exécution facile ; elles présentent des moyens vastes qui ne
seront pas achetés par de grands sacrifices. La Suisse nous fournit dans ce
moment même l’exemple de ce que peut un peuple qui a une milice citoyenne bien
aguerrie et bien exercée ; au premier signal elle a su mettre sur pied une
armée assez considérable pour empêcher que son territoire ne fût violé.
Qu’on récompense les anciens services
dans l’armée j’y consens pour autant qu’ils aient été utiles à la cause de
l’indépendance de la Belgique. Mais je m’étonne que le gouvernement n’ait pas
encore songé à récompenser la conduite des braves gardes civiques, tant
officiers que soldats, qui livrés à eux-mêmes, ont arrêté ma marche des
Hollandais dans les Flandres lors de la malheureuse expédition du mois d’août
1831, et qu’il n’ait pas même fait payer la dépense faite par les braves
commandants de la garde civique, qui ont avancé le paiement de l’entretien et
du logement des gardes qui s’étaient présentés spontanément pour la défense de
la patrie.
Depuis le commencement de la révolution la garde
civique prouve qu’il n’était pas de danger qui put l’intimider quand il
s’agissait de la défense de nos droits, et elle prouverait encore, s’il le
fallait qu’elle sait mourir pour défendre les libertés de la Belgique.
M.
Desmanet de Biesme. - J’avais
compté sur des nouvelles communications de la part du ministère lorsque j’avais
demandé la parole ; j’ai cru devoir y renoncer dès lors que le gouvernement
s’obstine à garder le silence ; il est impossible de discuter le rapport de M.
le ministre des Affaires étrangères sans avoir connaissance des faits qui lui
sont postérieurs. Je ne dirai qu’un mot en réponse à M. le ministre de la
guerre. M. le ministre a combattu les conclusions de la commission sur l’ordre
du jour ; il a dit que la chambre avait le droit de rejeter un projet de loi,
mais non celui de le repousser par l’ordre du jour.
Je ne sais pas s’il valait mieux proposer le rejet que
l’ordre du jour, mais je sais qu’au fond c’est absolument la même chose. Pour
mon compte, j’ai peu de sympathie pour ces querelles de mots. Cela me rappelle
trop le temps du bas-empire où discutait de vaines questions de scholastique
pendant que les barbares étaient aux portes de la capitale.
Le projet de loi proposé nous demande trop ou trop peu
: trop peu, si on veut réellement agir ; trop si on veut se contenter de vaines
démonstrations et n’exiger aucune réparation. Dans cette hypothèse je ne crois
pas nécessaire d’imposer de nouveaux sacrifices aux contribuables, d’enlever
des fonds à l’agriculture et au commerce.
Est-il d’ailleurs possible, non
seulement de voter, mais même de parler sur la loi dans l’ignorance où nous
sommes sur ce qu’a fait le ministère ? car toute sa conduite dans cette affaire
est singulière et inexplicable. Ainsi croyez-vous que tout ce qui a trait au
Luxembourg a été discuté en conseil des ministres ? Un conseil des ministres
n’est pas un conclave, on sait à peu près ce qui s’y fait et ce qui ne s’y fait
pas. Si j’en crois donc les renseignements qui m’ont été donnés, ces affaires
n’ont pas été traitées, non en conseil, mais isolément par chaque ministre. Le
ministre de l’intérieur, d’un côté, ordonne la levée de la milice ; le ministre
des finances de l’autre, ordonne les coupes de bois, sans s’embarrasser des
conséquences que cela pouvait avoir. Il me semble qu’il n’y aurait pas grand
mal à ce que ces messieurs se concertassent pour ces mesures, lorsque la sûreté
du pays en dépend.
Pour revenir au projet de loi, je ne puis que déplorer
la situation embarrassante où nous a mis la résolution de la chambre ; elle nous
a placés entre la crainte de refuser une somme nécessaire à la sûreté du pays,
et celle de voter une dépense qu’on n’a pas justifiée et qui peut être inutile.
M. d’Huart. -
Je ne ferai qu’une observation qui m’est suggérée par les dernières paroles de
l’honorable préopinant, et qui n’est d’ailleurs que la reproduction de ce qu’a
dit mon honorable collègue et ami M. d’Hoffschmidt. On allègue l’urgence des
besoins pour demander un nouveau crédit ; mais, avec les fonds que nous avons
voté au budget de la guerre, M. le ministre peut rappeler, s’il le veut, 40,000
hommes sous les drapeaux. Ainsi la demande de crédit n’est pas justifiée par
l’urgence.
M.
Gendebien. - Je n’ai pas demandé la parole pour défendre les
conclusions de la commission dont j’avais l’honneur d’être rapporteur. Je ne
l’ai pas demandée non plus pour combattre le projet de loi ; je suis persuadé
que toute discussion est maintenant prématurée. Conséquent avec moi-même, avec
les conclusions de la commission adoptées par l’unanimité de ses membres, et
enfin avec les précédentes décisions de la chambre qui viennent d’être
contrariées par une décision prise à la majorité de 5 membres, je m’abstiens de
prendre part à la discussion ; je me bornerai à lire les conclusions de la
commission, et la chambre verra si, dans l’état des choses, je puis prendre la
parole.
« La commission a donc été unanimement d’avis que
la proposition du gouvernement était peu satisfaisante. Elle l’a considérée
comme insuffisante si le gouvernement est décidé à prendre l’attitude digne
d’un peuple libre et indépendant ; elle l’a trouvée superflue et inutilement
onéreuse, si le gouvernement ne veut faire qu’une vaine démonstration et s’en
rapporter aveuglément aux décisions des cabinets étrangers.
« La commission a pensé que les événements du
Luxembourg, combinés avec les armements clandestins de la Hollande, peuvent
être considérés comme un commencement d’exécution d’un plan plus vaste. Les
souvenirs si douloureux des désastres du mois d’août se sont reproduits plus
vifs et plus poignants ; elle a pensé qu’instruit par l’expérience,
le gouvernement serait inexcusable si une irruption soudaine venait punir une
seconde fois la Belgique de l’imprévoyance de ses ministres.
« En conséquence, messieurs, votre commission
vous propose de passer à l’ordre du jour sur la proposition du gouvernement,
ou, tout au moins, d’en ajourner l’adoption jusqu’à ce que les ministres se
soient expliqués catégoriquement sur notre situation politique à l’égard de la
Hollande, de la conférence de Londres, de la diète germanique et de nos alliés,
et surtout jusqu’à ce qu’ils aient instruit la chambre des mesures qu’ils ont
prises pour replacer le pays dans une attitude digne de sa régénération
politique. »
M.
le ministre de la guerre (M. Evain) - J’aurai l’honneur de répondre à
l’observation de M. d’Huart qu’il est très vrai que la somme votée au budget de
la guerre me permet de doubler l’effectif de l’armée et de pourvoir aux besoins
du service pour le 1er semestre de 1834. La demande que nous vous faisons vous
prouve que nous ne voulons pas outrepasser le budget. La somme demandée est
nécessaire pour parer au vide occasionné par l’envoi de troupes dans le
Luxembourg et aussi pour renforcer quelques régiments qui souffrent des
fatigues du service et qui ont dans les hôpitaux un assez grand nombre de malades.
C’est dans ce but que nous avons proposé d’accorder la somme portée au projet
de loi.
- La discussion générale est close. La chambre passe à
la discussion des articles.
« Art 1er. Une somme de 2,800,000 fr. des fonds
restant disponibles sur le budget de la guerre pour l’exercice 1833 est
transférée au budget de ce département pour l’exercice 1834, et sera déduite
des chapitres et articles ci-après désignés, savoir :
« Chap. II. art. 6 : fr. 500,000
« Chap. II. art. 7 : fr. 50,000
« Chap. II. art. 8 : fr. 800,000
« Chap. II. art. 9 : fr. 500,000
« Chap. II. art. 11 : fr. 500,000
« Chap. III. art. 4 : fr. 50,000
« Chap. VIII. art. unique : fr. 400,000
« Total : fr. fr. 2,800,000. »
M.
d’Huart. - Je ferai observer que ce
transport de fonds est contraire aux règles de la comptabilité ; je ne puis pas
discuter le fond de la question, mais je n’ai pas voulu que ceci passât
inaperçu.
M.
le ministre de la guerre (M. Evain) - Ce n’est pas la première fois que
l’on propose un transport d’un exercice à l’autre. Des propositions semblables
ont été faites et accueillies par la chambre, non seulement pour le ministère
de la guerre, mais également pour celui de l’intérieur. Le vote de la chambre
permettra d’utiliser de suite une somme dont on ne pourrait disposer qu’en
1835. Il y a d’ailleurs concordance dans les écritures : diminution d’une part
et augmentation de l’autre. Je ne pense donc pas que ce soit contraire aux
règles de la comptabilité.
- L’article 1er est mis aux voix et adopté.
Articles 2 à 4
- Les trois autres articles du projet sont adoptés successivement
et sans discussion ; en voici le texte :
« Art. 2. Le gouvernement est autorisé à répartir
provisoirement ce crédit extraordinaire entre les chapitres qui composent le
budget de la guerre pour 1834. »
« Art. 3. Cette répartition sera proposée, en
forme de loi, à la prochaine session.
« Art. 4. Une somme de 50,000 fr. du chapitre
VIII du budget de la guerre, exercice 1833, sera transférée aux chapitres et
articles suivants, du même exercice, savoir :
« A l’art. 2 du chap. II : fr. 14,000
« A l’art. 1 du chap. III : fr. 15,000
« A l’art. 2 du chap. V : fr. 1,000
« A l’art. unique du chapitre VII : fr. 20,000
« Total : fr. 50,000. »
Vote
sur l’ensemble du projet
On procède à l’appel nominal sur l’ensemble du projet
; en voici le résultat :
Nombre des votants : 62.
Majorité absolue : 32.
38 membres ont voté pour le projet.
24 se sont abstenus.
La chambre a adopté.
Ont voté pour : MM. Brixhe, de Behr, de Laminne, A.
Dellafaille, H. Dellafaille, de Man d’Attenrode, F. de Mérode, W. de Mérode, C.
Vuylsteke, de Sécus, de Stembier, de Terbecq, de Theux, Dewitte, Donny,
Dugniolle, Schaetzen, Smits, Duvivier, Eloy de Burdinne, Lardinois, Lebeau,
Milcamps, Morel-Danheel, Nothomb,
Olislagers, A. Rodenbach, C. Rodenbach, Rogier, Ullens, Vandenhove, Vanderbelen,
Verdussen, C. Vilain XIIII, L. Vuylsteke, Wallaert, Zoude.
M.
le président. - Messieurs les membres qui se sont abstenus sont
invités, aux termes du règlement à exposer les motifs de leur abstention.
M.
Angillis. - Dans mon discours d’hier, j’ai dit que j’étais disposé à
voter les sommes que le ministère demanderait pour venger l’honneur national.
Je n’ai point changé d’opinion. Une série de questions a été adressée au
ministère. Il refuse de répondre. Jusqu’à ce qu’il l’ait fait d’une manière
satisfaisante, je crois devoir m’abstenir.
M.
de Brouckere. - Mon vote dépendait absolument des explications que nous
avions le droit d’exiger, et que le ministère s’obstine à ne pas nous donner.
Je ne puis, par un non, exposer le pays, et empêcher le ministère de prendre
des mesures qui pourraient lui être utiles. Dans le doute, je me suis abstenu.
M.
de Puydt. - Je m’abstiens par les mêmes raisons que M. de Brouckere
vient d’exprimer.
M.
de Renesse. - Je m’abstiens parce que je crois pour le moment ne
pouvoir confier des fonds à un ministère qui ne s’est pas justifié devant la
chambre de l’inconduite qu’il a tenue dans les affaires du Luxembourg.
M.
Desmanet de Biesme. - Je m’abstiens par les motifs qui ont été si bien
énoncés par M. de Brouckere.
M.
Desmet. Pour défendre notre indépendance et conserver ce que nous avons
gagné par notre glorieuse révolution, certainement que je ne refuserai ni fonds
ni sacrifices à ce sujet : je ne crains point qu’ici ou ailleurs on puisse
calomnier mes intentions.
Mais, dans un moment où nous demandons des
explications dont nous avons vraiment besoin pour éclaircir une question, nous
ne pouvons les obtenir ; il m’est donc impossible de voter des fonds sans
savoir à quoi ces fonds doivent servir ; et j’ai tant de méfiance dans le
ministère Lebeau que je ne pourrai jamais lui accorder un vote de confiance. Je
m’abstiendrai.
M.
d’Hoffschmidt. - Je crois devoir m’abstenir par
les motifs énoncés par M. de Brouckere.
M.
d’Huart. - Je m’abstiens par les considérations
énoncées par mes honorables collègues MM. de Brouckere et de Renesse.
M.
Doignon. Je m’abstiens par les
motifs exprimés par les honorables préopinants.
M.
Dumont. - Je me suis abstenu par les considérations exposées par MM. de
Brouckere et Angillis.
M.
Ernst. - Je m’abstiens, attendu que je n’ai pas encore obtenu
satisfaction sur les questions que j’ai adressées au ministère.
M.
Fallon. - Je m’abstiens par les motifs qui ont guidé MM. Angillis et de
Brouckere.
M.
Fleussu. - Je ne puis voter sans connaître exactement la conduite du
ministère ; j’ai donc dû m’abstenir.
M.
Gendebien. - Je me suis abstenu par les raisons si bien exprimées par
mes honorables amis, et plus particulièrement par les raisons données par M de
Renesse.
M. Helias d’Huddeghem. - Je me suis abstenu parce que le rapport de M. le ministre des
affaires étrangères n’a pas suffisamment fait connaître notre position dans le
Luxembourg.
M.
Hye-Hoys. - Je m’abstiens par les mêmes motifs que M. de Renesse.
M.
Jullien. - Ayant l’honneur d’appartenir au corps des avocats, et
sachant par conséquent, par expérience, qu’il est impossible de décider dans un
procès sans voir toutes les pièces, je crois devoir m’abstenir.
M.
Meeus. - Je m’abstiens par les mêmes
motifs que le préopinant.
M.
Pollénus. - Je m’abstiens par les raisons exprimées tout à l’heure par M. Angillis.
M.
Poschet. - Je m’abstiens par les mêmes motifs qui ont été si bien
énoncés par M. de Brouckere.
M.
Rouppe. - Entré en séance au moment où l’on posait les questions, et
n’ayant point assisté à la discussion qui les a précédées, je crois devoir
m’abstenir, dans cette occurrence, d’émettre un vote quelconque.
M.
Seron. - N’ayant rien vu, rien entendu qui pût déterminer mon vote, je
ne puis en émettre un, surtout quand il s’agit de continuer à manger la nation.
M.
Vergauwen. - Je m’abstiens par les mêmes motifs que le préopinant.
M.
Watlet. - Je m’abstiens par les mêmes raisons que l’honorable M. de Brouckere.
- La séance est levée à 3 heures et demie.