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Chambre des représentants de Belgique
Séance du mardi 16 juillet 1833
Sommaire
1) Proposition de loi visant
à permettre l’exécution immédiate de certains travaux publics (proposition
Teichmann). Second vote de l’article unique. Affectation du produit des
barrières au travaux des digues des polders et de l’Escaut (Verdussen, Liedts, d’Huart, Teichmann, de Brouckere, Teichmann, Verdussen, d’Huart, Teichmann, de Theux, Teichmann, d’Huart), aux routes
dans le Luxembourg et/ou priorité entre les amendements (Zoude,
de Brouckere, d’Huart, de Theux, Teichmann, de Brouckere, Dubois, A. Rodenbach), à la route entre Turnhout et Gheel (de Nef et Teichmann),
priorité entre les amendements (Verdussen, Teichmann, Jullien, d’Huart), route de Dinant à Neufchâteau (Pirson,
Teichmann)
2) Interpellation relative à
deux extraditions jugées abusives (de Robaulx, Lebeau, de Robaulx, de Brouckere, Lebeau, de Robaulx, Lebeau, de Brouckere, Jullien, Lebeau, de Robaulx, de Brouckere, F. de Mérode, d’Huart, de Brouckere, Jullien, de Robaulx)
3) Projet de loi portant des transferts de crédits
au sein du budget du département de l’intérieur pour l’exercice 1832 (I)
4) Projet de loi portant des
transferts de crédits au sein du budget du département de l’intérieur pour
l’exercice 1832. Encouragements aux beaux-arts (Lebeau, Duvivier, Liedts, Lebeau, Legrelle, de Brouckere)
(Moniteur belge n°199, du 18 juillet 1833)
(Présidence de M. Raikem)
A midi et demi, M. Raikem occupe le fauteuil.
M. de Renesse, l’un des secrétaires, fait l’appel
nominal. 38 membres seulement sont présents.
- Après un quart d’heure
d’attente, la chambre se trouvant en nombre, il est donné lecture du
procès-verbal de la dernière séance qui est adopté.
Quelques pétitions sont renvoyées
après analyse à la commission des pétitions.
_____________________
M. Brixhe et M. Vanderbelen demandent un congé de quelques jours.
- Accordé.
PROPOSITION DE LOI VISANT A PERMETTRE L’EXECUTION
IMMEDIATE DE CERTAINS TRAVAUX PUBLICS (PROPOSITION TEICHMANN)
Second vote de
l’article unique
Le 1er paragraphe,
auquel avait été introduit un amendement, est remis aux voix et adopté
définitivement.
M. le président. - Sur le paragraphe relatif aux
dignes de l’Escaut, M. Verdussen avait présenté un amendement qui a été ajourné
jusqu’au vote définitif. Il est ainsi conçu :
« Reconstruction
des dignes de l’Escaut et construction d’aqueducs pour écoulements à la mer par
le canal d’Ostende et l’écluse du Hazegras : fr.
970,000 »
M. Verdussen. - Messieurs, déjà dans la séance du 11 de ce
mois, j’ai présenté les développements de l’amendement que j’ai l’honneur de
reproduire aujourd’hui ; les détails dans lesquels je suis entré
pourraient me dispenser de prendre la parole sur une question aussi simple, si,
à mon grand étonnement, je n’avais entendu que quelques-uns de mes honorables
collègues ne sont pas pénétrés de la nécessité de voter un chiffre quelconque
dès que la législature autorise le gouvernement à exécuter des travaux
spécialement indiqués. Je crois donc devoir ajouter quelques considérations
nouvelles à celles que j’ai déjà produites à la chambre.
Je dois, avant tout,
déclarer, messieurs, que ma motion ne tend qu’à régulariser la comptabilité des
dépenses du budget de l’intérieur, et que je n’ai nullement en vue de modifier
ni de discuter le montant de la somme de 970,000 fr.
En réalité, messieurs,
je ne vous demande qu’à être conséquents avec nous-mêmes. Lorsqu’à l’art. A
nous avons énoncé une somme comme limite, nous avons établi un principe très
juste et très naturel dont l’oubli annulerait même l’effet de notre décision
pour l’exécution des ouvrages reconnus urgents, puisque la cour des comptes
devrait refuser son visa à un mandat imputable sur un crédit spécial laissé en
blanc.
Si quelques-uns de mes
honorables collègues reculent devant l’élévation du chiffre de 970,000 fr. que
je propose conformément à celui indiqué au budget, et si la crainte qu’ils
peuvent avoir que ce chiffre ne soit trop élevé leur fait préférer de n’en
admettre aucun, comment se fait-il qu’ils ne s’effraient pas davantage, et avec
plus de raison, d’un crédit illimité dont le gouvernement disposerait à son gré
?
Je sais
que quelques membres de cette assemblée n’envisagent point les travaux repris
dans le projet de loi que nous discutons comme une fraction du budget général
des dépenses ; ils pensent que ce n’est qu’une loi d’application du crédit
provisoire ouvert par la loi du 5 juillet 1833. Quoique je ne partage pas
l’opinion de ces honorables membres, ils seront au moins convaincus avec moi
que si le ministère pouvait recevoir de la législature l’autorisation de faire
exécuter les travaux de l’art. B sans l’obligation de se renfermer dans le
cercle d’une somme donnée, il pourrait se croire autorisé à y affecter la
totalité des crédits qui lui sont ouverts ; et dès lors l’irrégularité existe,
le vice est reconnu, et mon amendement est suffisamment justifié.
M. Liedts. - Je demande la question préalable sur l’amendement.
M. le président. - Mais cet amendement n’a pas été
rejeté, il n’a été qu’ajourné.
M. Liedts. - Je croyais qu’il avait été rejeté
; je retire ma proposition.
M. d’Huart. - Je ne m’oppose pas à ce qu’on
détermine une somme, mais il est impossible que le chiffre en soit porté à
970,000 fr. ; car, d’après le budget, ce chiffre s’applique à des travaux
beaucoup plus considérables que ceux désignés dans l’amendement, et les voici :
A.
Construction d’aqueducs pour écoulements à la mer par le canal d’Ostende et
l’écluse du Hazegras, fr. 11,700 ;
B. Entretien des endiguements
construits sur la rive gauche de l’Escaut, fermeture de la rupture de Burcht, surveillance et travaux imprévus, fr. 521,300 ;
C. Construction,
rechargement, exhaussement, entretien des digues de Liefkenfhoek
et du Doel, pour arrêter les inondations, fr. 100,000
;
D. Mêmes dépenses sur la
rive droite de l’Escaut, fr. 337,000.
Total : fr. 970,000.
Il faudrait, pour
pouvoir fixer la somme, que M. le commissaire
du Roi nous en dît le total.
M.
Teichmann, commissaire du Roi. - Par la loi du 5 juillet, il a été établi
que le ministre de l’intérieur pourrait prélever, sur les crédits provisoires
ouverts, toutes les sommes nécessaires pour tous les ouvrages d’entretien
indiqués dans la proposition que j’ai faite, et qui est devenue un projet de
loi.
Si telle est la
situation des choses, il n’est pas besoin d’établir un chiffre ; si on ne
l’entend pas ainsi, il faut peut-être établir ce chiffre ; mais je le crois
inutile, car on demande simplement de fixer certaines dépenses à prélever sur
les crédits provisoires déjà votés. Les chiffres sont dans le budget, et c’est
lorsque vous le discuterez, messieurs, que vous verrez s’il y a lieu de
l’adopter.
Les travaux dont il
s’agit dans la disposition qui nous occupe, sont des travaux d’entretien. Par
ce motif, et puisque vous avez accordé au gouvernement tout ce qui était
nécessaire pour ces frais, je demande qu’on s’en tienne à l’indication établie
dans le projet de loi.
M. de Brouckere. - Il me semble que la proposition de M. Verdussen est tellement juste,
qu’il n’est besoin d’aucun raisonnement pour l’appuyer. Que demande-t-il,
messieurs ? Qu’on fixe le maximum des crédits affectés aux dépenses de tels ou
tels travaux. Or, je ne pense pas qu’en aucune circonstance on en ait agi
autrement, et que la chambre ait jamais permis au gouvernement de faire des
travaux sans déterminer un maximum quelconque. L’honorable préopinant a dit que
nous votions seulement l’imputation de certaines dépenses.
Quant à moi, messieurs,
je veux non pas de certaines dépenses, mais des dépenses certaines, du moins
quant au maximum, et je ne suis nullement tranquillisé par la réflexion qu’on
nous fait que nous pourrons en fixer le chiffre lors de la délibération du
budget. Je ne vois pas ce qui nous empêche de le déterminer dès aujourd’hui, et
si ce crédit ne suffit pas, on pourra en demander de nouveaux lors du budget.
M. Teichmann, commissaire du Roi. - Je ferai observer que le maximum
est fixé par l’allocation des trois quarts du budget total du ministre de
l’intérieur. Du reste, je ne m’oppose pas à ce qu’on établisse le chiffre,
puisque cela ne peut être nuisible.
M. de Brouckere. - Nous sommes d’accord alors. M. le commissaire du Roi reconnaît qu’il
n’y a aucune difficulté à fixer la somme. Eh bien ! fixons-la, et nous agirons
avec plus de régularité.
Il dit, et ici je dois
rendre hommage à sa bonne foi, il dit que la fixation de ce maximum ne peut
être nuisible, mais qu’il la trouve inutile. Mais nous, nous la trouvons utile,
très utile, et c’est pour cela que j’appuie l’amendement de M. Verdussen.
M. Verdussen. - Puisque M. le commissaire du Roi
est maintenant d’accord avec nous, je n’entrerai pas dans des détails
ultérieurs. Seulement je suis surpris qu’il tienne un langage tout différent de
celui qu’il avait tenu d’abord.
Je
dois maintenant répondre à ce qu’a dit l’honorable M. d’Huart. Il craint que
dans mon amendement ne soient pas compris les travaux auxquels étaient affectés
les 970,000 fr. Moi, au contraire, je crois que tous les travaux dont il a
parlé sont compris dans la reconstruction des digues de l’Escaut. Mon intention
est d’y comprendre tout l’art. 3 du chap. 8, lettres A, B, C, D du budget.
M. d’Huart. - Je persiste toujours à croire
qu’en accordant 970,000 fr., vous donnez plus au gouvernement qu’il n’a demande
lui-même dans le budget. Ainsi, il faut qu’on nous dise quelle somme est
nécessaire pour la reconstruction des digues de l’Escaut.
M.
Teichmann, commissaire du Roi. - Les travaux relatifs aux digues de l’Escaut
sont de deux natures, les travaux d’entretien et ceux de construction. Quant à
ceux d’entretien, les fonds en ont été faits par la loi du 5 juillet : quant à
ceux de construction, les fonds n’en sont pas faits. La somme totale de 970,000
fr. est indispensable pour les ouvrages d’entretien et de reconstruction des
digues de l’Escaut.
M. de Theux. - Je crois en effet, messieurs, qu’il y a ici
quelque confusion. Dans une loi antérieure on a voté les dépenses d’entretien
des digues de l’Escaut. Ici il s’agit des dépenses nécessaires pour la
reconstruction. Eh bien pour éviter cette confusion, il me semble qu’il
faudrait dire : « Pour l’entretien, la reconstruction des digues de
l’Escaut et la construction d’aqueducs dans les polders, 370,000 fr. »
M. Teichmann, commissaire du Roi et M. d’Huart se rallient à cet amendement, qui est mis aux
voix et adopté.
_____________________
- Les suppressions du
numéro intitulé : « Amélioration de la traverse de Braine-le-Comte, »
et de celui intitulé : « Achèvement de quelques lacunes de la route de
Namur à Luxembourg, » sont définitivement adoptées.
M. le président. - On passe à l’amendement de M.
Jullien précédemment adopté.
M. Pirson. - Je réclame la parole pour demander une explication à M. le
commissaire du Roi.
Plusieurs voix. - Cela ne se peut pas.
M. le président. - M. Zoude propose un amendement.
M. de Brouckere. - Je demande à faire une motion
d’ordre. Je crois, messieurs, que dans cette discussion il faudrait observer
rigoureusement les termes du règlement, et ne permettre de parler que sur les
amendements adoptés et non pour la reproduction d’amendements rejetés ; car nous
serions ramenés ainsi dans une discussion déjà vidée. L’honorable M. Zoude doit
donc nous faire connaître s’il a en vue de prendre la parole sur une
disposition adoptée, ou si, au contraire, il a l’intention de présenter un
nouvel article ou un amendement déjà rejeté.
M. Zoude. - J’ai modifié l’amendement que
j’ai eu l’honneur de proposer à la chambre, et il deviendra dès lors un nouvel
amendement. (La lecture ! la lecture !)
M.
le président. - Voici la proposition de M. Zoude :
« Je demande que la
route de Marche à Boulogne ainsi que celle demandée par M. de Nef soient
comprises dans la nomenclature de celles pour lesquelles a été allouée une
somme de 147,000 fr, d’après la proposition de M. Jullien. »
M. de Brouckere. - Il faut nécessairement adopter
la question préalable. C’est une demande qui a déjà été faite et rejetée. La
chambre ne peut plus s’en occuper.
M. d’Huart. - Je ferai remarquer que la chambre n’a pas eu l’occasion de rejeter
l’amendement de M. Zoude. Elle a accordé la priorité à la proposition de M.
Jullien qui fixait une somme globale, mais elle n’a pas repoussé l’amendement
dont il s’agit. Aujourd’hui M. Zoude demande que deux nouvelles routes soient
comprises dans le crédit global, et il n’y a pas lieu d’admettre la question
préalable.
M. de Theux. - Il me semble qu’il convient avant tout de
discuter l’amendement de M. Jullien. Si cet amendement est maintenu par la
chambre, alors il n’y a plus lieu d’examiner les demandes spéciales ; si au
contraire il est rejeté, c’est alors qu’on pourra reproduire les diverses
spécialités par lesquelles on voudrait le remplacer. (Appuyé !)
M.
Teichmann, commissaire du Roi. - En aucun cas, les routes demandées par MM.
Zoude et de Nef ne peuvent être comprises dans la disposition dont nous nous
occupons, parce qu’elles n’entrent pas dans la catégorie des routes de 1ère et
de 2ème classe. Il faudrait un crédit particulier comme pour celle de Dinant à
Neufchâteau.
M. de Brouckere. - L’observation faite par l’honorable M. de Theux est pleine de
justesse. Nous ne pouvons pas nous écarter de l’objet qui est en discussion,
c’est-à-dire l’amendement de M. Jullien.
C’est sur cet amendement
que nous devons voter, S’il est maintenu, alors toute discussion cesse ; si, au
contraire, il est rejeté, libre à tous les membres de présenter de nouveaux
amendements.
Mais voyez, messieurs,
ce qui arriverait si vous adoptiez l’opinion émise par M. d’Huart, que nous
pouvons discuter l’amendement parce qu’il n’a pas été rejeté. Il arriverait que
nous n’atteindrions pas le but que nous nous sommes proposé en accordant la
priorité à la proposition de M. Jullien. Lorsque cette proposition fut soumise
à la chambre, on a dit que c’était une question préalable ; que si elle était
admise, elle entraînerait le rejet des amendements de MM. Rodenbach, Zoude et de
Nef. On a donc, par le fait de cette admission, repoussé ces amendements, et
ils ne peuvent plus être reproduits.
M.
Dubois. - Je voulais faire la même observation. La question est de savoir si la
chambre se prescrira aujourd’hui le même ordre de délibération que celui
qu’elle a adopté précédemment.
Il y a eu une question
de priorité entre l’amendement de Fleussu et de M. Jullien d’une part, et tous
les amendements spéciaux de l’autre part. C’est celui de M. Jullien, qui
absorbait toutes les spécialités, qui l’a obtenue. Je crois que nous devons
encore aujourd’hui procéder dans le même ordre.
M.
A. Rodenbach. - Il y a un antécédent contraire au système soutenu par les derniers
préopinants. A l’occasion de la loi sur l’organisation judiciaire et lors du
vote définitif, divers sous-amendements ont été reproduits par le ministre de
la justice d’alors, et ils ont été acceptés. Je crois que nous avons le droit
aujourd’hui de sous-amender la proposition de M. Jullien. J’avais retiré mon
amendement parce que j’avais cru que nous aurions participé à la somme de
147,000 francs. Je le reproduis maintenant et je l’appuie sur un antécédent de
la chambre.
M.
de Nef.
- Messieurs, avant de voter sur le projet en discussion, je demanderai à M. le
commissaire du Roi de s’expliquer catégoriquement sur la route de Turnhout à
Diest par Gheel, dont l’urgence et la nécessite sont
incontestables ; c’est son explication qui me guidera pour m’abstenir ou bien
faire une proposition nouvelle et spéciale.
Ma réclamation, qui ne
tend point à obtenir une faveur, mais seulement un acte de justice, n’est
dictée par aucun intérêt local ; l’intérêt général exige que le district de
Turnhout, dont l’étendue est immense, et qui contient une population très
laborieuse d’environ cent mille habitants, ne reste pas plus longtemps séparé
en quelque sorte des autres parties du royaume par le défaut de communication.
Il n’y a dans tout le
district qu’une seule route établie ; c’est celle d’Anvers à Turnhout, et
encore y néglige-t-on les réparations nécessaires ; de tous les autres côtés il
n’y a que des chemins de terre qui, surtout en hiver, sont presque
impraticables ; ce manque de communication est cause qu’une grande quantité de
bruyères qui pourraient devenir productives restent incultes et sans valeur,
tandis que d’un autre côté la facilité des moyens de transport rendrait aussi
la consommation beaucoup plus importante au profit des autres provinces du
royaume.
Il est donc évident que
l’intérêt général du pays s’oppose à la continuation d’un état de choses aussi
nuisible et contre lequel je ne pourrai jamais assez fortement m’élever.
M.
Teichmann, commissaire du Roi. - Le gouvernement sent toute l’importance de
la route de Turnhout à Diest ; mais, dans la situation actuelle des choses, il
n’a pas cru qu’on pouvait cette année appliquer quelques fonds au commencement
de cette entreprise qui exigera au moins 600,000 fr. On ne méconnaît donc pas
le besoin de cette route et les avantages qu’elle procurerait, mais on a pensé
que la commencer ne serait pas harmonie avec les autres besoins du royaume.
Voilà pourquoi cette route n’a pu trouver place au budget de l’intérieur pour
l’exercice de 1833.
M. Verdussen. - Je m’attacherai à la motion
d’ordre dont se sont écartés les deux préopinants. J’appuie l’opinion de M.
d’Huart le règlement à la main. Et d’abord l’antécédent dont a parlé
l’honorable M. Rodenbach existe, et c’est une présomption que ce qui a été jugé
bon alors le sera encore aujourd’hui. Voyons maintenant l’art. 45 du règlement.
Il porte que dans une deuxième séance on discutera les amendements adoptés et
les articles rejetés et qu’il en sera de même des nouveaux amendements qui en
seront la conséquence. Eh bien que veut M. Zoude ? Il demande à faire un nouvel
amendement sur celui de M. Jullien qui a été adopté, et il propose de
comprendre deux autres routes dans la nomenclature de routes déjà indiquées. Je
ne vois pas là d’inconvenance ni de violation du règlement.
Quant
à l’objection qu’a faite M. Teichmann et relative aux routes de 1ère et de 2ème
classe, c’est une distinction qui n’a pas été établie par la législature.
M. Teichmann, commissaire du Roi. - La législature ne peut envisager
les choses autrement qu’elles existent. La classification des routes ne
provient pas d’un caprice de la part de l’administration. C’est un ordre de
choses réel et dont on ne peut s’écarter.
M. Jullien. - Messieurs, pour vider ce débat, il suffit de faire attention à l’art.
45 du règlement et d’examiner dans quelle position nous nous trouvons. L’art. 4
du règlement dit qu’à la seconde séance on discutera les amendements adoptés et
les articles rejetés. Maintenant dans quelle position vous trouvez-vous ? Dans
l’obligation de voter sur l’amendement qui a été adopté. C’est là-dessus que la
discussion doit être établie, et on ne peut produire d’autres amendements qui ne
soient la conséquence de cette adoption. Il faut donc se résoudre à émettre un
vote définitif sur cet amendement adopté, et le résultat de
ce vote définitif indiquera aux honorables membres ce qu’ils auront à faire.
Au reste, je prie la
chambre de se souvenir du motif qui a fait admettre mon amendement. Nous avons
dit que toutes les propositions spéciales étaient de véritables propositions
nouvelles, et qu’elles ne pouvaient être soumises à un vote parce qu’il ne
s’agissait que de voter sur un projet de loi pris en considération par la
chambre, discuté dans les sections et passé ensuite dans la section centrale.
Voilà pourquoi mon amendement a été adopté.
Il y a donc lieu de
demander, comme le règlement le prescrit, qu’on vote d’abord sur cet
amendement. (La clôture ! la clôture !)
M. d’Huart. - Il est évident qu’on peut amender
aujourd’hui un amendement adopté dans une précédente séance. Il ne s’agit plus
que de savoir si les amendements qu’on propose aujourd’hui sont la conséquence
du premier vote. Eh bien, je me prononce pour l’affirmative. En effet, on
demandait d’abord 62,000 fr. pour diverses routes ; sur la proposition de M.
Jullien on a porté la somme à 147,000 fr. Or, puisque la somme est devenue plus
forte, on peut maintenant la distribuer sur un plus grand nombre de
spécialités.
Quant aux routes de 1ère
et de 2ème classe, dont a parlé M. Teichmann, il n’en est point parlé dans
l’article.
L’amendement est donc
fondé, et il n’y a pas lieu de passer à la question préalable.
Ensuite la chambre
décide qu’il y a lieu de voter d’abord sur l’amendement de M. Jullien.
Cet amendement est remis
aux voix et définitivement adopté.
M. le président. - Avant de passer à l’appel nominal,
la chambre veut-elle entendre M. Pirson ?
M.
Pirson. - Je ne viens proposer aucune
modification au projet de loi, mais seulement demander à M. le commissaire du
Roi ce qu’on fera de 20,000 florins qui ont été réduits sur la somme de 144,000
florins votés pour la route de Dinant à Neufchâteau. Lorsqu’il s’est agi de
voter une somme aussi considérable, j’ai émis le vœu qu’on abandonnât cette
route et qu’on prît une autre direction, d’où il résulterait pour l’Etat un
boni de 300,000 fr. ; mais comme on a désiré la continuer par la même direction
on a proposé une réduction de 20,000 fl. Que deviendront ces 20,000 fl. ?
M. Teichmann, commissaire du Roi. - Je dois me borner à dire que les
100,000 fr. affectés à la route dont il s’agit suffiront, en 1833, pour
l’achever. S’il y a des reliquats de fonds pour les années antérieures, il en
sera rendu compte, et la chambre des comptes les apurera d’une manière légale.
M. Pirson. - M. le commissaire du Roi dit que les 100,000 francs votés suffiront ;
mais je demanderai si le redressement à Saint-Nicolas est compris dans cette
somme. Ce redressement est absolument nécessaire.
M. Teichmann, commissaire du Roi. - Je n’ai à justifier que l’emploi
des fonds pour l’exercice 1833 ; je n’ai pas d’autre mission en ce moment.
Vote sur
l’ensemble du projet
Il est procédé à l’appel
nominal sur l’ensemble du projet de loi.
Sur 69 votants, 50 se
prononcent pour et 14 contre ; 5 membres se sont abstenus. Ce sont MM.
Dellafaille, Devaux, Gendebien, Nothomb et Lebeau.
Les quatre premiers
déclarent s’être abstenus de voter, parce qu’ils n’ont point assisté à la
discussion.
M. Lebeau. - Je me suis abstenu pour le même motif par
suite d’une indisposition qui m’a empêché de me rendre à la chambre.
En conséquence le projet
de loi est adopté.
Ont voté pour :
MM. Bekaert, Berger,
Brabant, Coppieters, Corbisier, Dautrebande, de Brouckere, de Longrée, de Man
d’Attenrode, de Meer de Moorsel, F. de Mérode, W. de Mérode, de Nef, de
Renesse, de Robaulx, Desmaisières, Desmanet de Biesme, Desmet de Stembier, de
Terbecq, de Theux, de Witte, d’Hoffschmidt, d’Huart, Donny Eloy de Burdinne,
Ernst, Fleussu, Frison, Helias d’Huddeghem, Hye-Hoys, Jadot, Jullien,
Lardinois, Legrelle, Olislagers, Pirson, Poschet, Quirini, Raikem, Schaetzen,
Seron, Smits, Teichmann, Thienpont, Ullens, Vandenhove, Vergauwen, H. Vilain
XIIII.
Ont voté contre : MM. H.
Dellafaille, de Roo, de Sécus, Doignon, Domis, Dubus, Dugniolle, Duvivier,
Liedts, Milcamps, A. Rodenbach, Verdussen, Wallaert et Zoude.
M.
de Robaulx.
- Messieurs, depuis quelques jours, nous avons appris que
diverses extraditions devaient avoir lieu. Je prie la chambre de me permettre
d’interpeller à cet égard M. le ministre de la justice. Je lui demanderai
d’abord s’il est vrai qu’on ait renvoyé et qu’on ait livré à la gendarmerie
française, à l’extrême frontière, un Français muni de papiers, non domicilié
mais résidant à Bruxelles. Je demanderai ensuite si pareille chose a eu lieu à
l’égard d’un sujet prussien, réfugié en Belgique. Si cela est vrai, je prie M.
le ministre de me dire sur quelles lois existantes entre
M. le ministre de la justice
(M. Lebeau) -
Avant de répondre à l’honorable membre, je voudrais savoir si la chambre juge
convenable de déroger à l’ordre du jour.
Quelques voix. - Oui ! oui
!
M.
le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je ferai remarquer qu’en faisant cette
déclaration je n’entends en aucune façon me soustraire au devoir qui m’est
imposé de donner des explications sur les actes de mon administration. Je ne
soulève qu’une question d’opportunité et je désire que ce soit la chambre qui
la décide. Si la chambre croit qu’il est du devoir du ministère de s’expliquer
immédiatement, je ne m’y refuserai pas.
M. de Robaulx. - Je trouve étonnant qu’après que la chambre
m’a permis de faire une interpellation directe, on demande si elle entend
interrompre l’ordre du jour. Malgré toute l’étiquette parlementaire de M. le
ministre, je crois n’avoir pas besoin de ses leçons à cet égard. S’il pense ne
pouvoir pas répondre aujourd’hui, je ne le presse pas de le faire à l’instant
même ; qu’il attende jusqu’à demain. Mais, s’il est prêt, et qu’il pousse
l’étiquette jusqu’à vouloir que la chambre se prononce avant d’une manière
expresse, je suis persuadé que chaque membre de cette assemblée est assez
soucieux de l’honneur du pays pour lui ordonner de répondre.
M. de Brouckere. - M. le ministre a dit qu’il n’élevait qu’une question d’opportunité
et qu’il était prêt à s’expliquer si la chambre croyait qu’il fallût suspendre
l’ordre du jour.
- La chambre, consultée
sur la question de savoir s’il y a lieu d’entendre M. le ministre de la justice
dès à présent, se prononce pour l’affirmative.
M. le ministre de la justice
(M. Lebeau) -
Messieurs, je commencerai par déclarer d’abord qu’en fait il y a eu réellement
extradition, dans la véritable acception du mot, pour un Français, et qu’il y a
eu expulsion du territoire pour un Prussien.
Voici les circonstances
qui ont amené ces deux faits. Déjà, depuis plusieurs semaines, il s’était
établi entre le ministère belge et la légation française des relations qui
devaient avoir pour résultat d’amener entre les deux gouvernements un
arrangement d’après lequel ils se rendraient mutuellement les habitants des
deux pays qui pourraient être frappés, par leurs juges naturels, de mandats
pour faits étrangers à la politique, et intéressant spécialement le commerce :
je veux parler du crime de banqueroute frauduleuse, et de faux en écriture de
commerce.
Je n’ai pas dès l’abord
exprimé mon opinion, parce que la législation ne m’a pas paru tellement claire
qu’il ne fallût pas réfléchir sérieusement avant de prendre une décision. Il va
sans dire que, dans la supposition même où l’art. 128 de la constitution et la
législation existante se conciliassent avec l’extradition, nous n’aurions
jamais reconnu son applicabilité aux délits politiques.
J’ai pensé que, sous le
rapport de la convenance et de l’utilité actuelle de la mesure, le commerce
belge est tout aussi intéressé que le commerce français à livrer aux tribunaux
de leur pays les hommes désignés, par un mandat émané de leur juge compétent,
comme prévenus de banqueroute frauduleuse ou de faux en écriture de commerce.
Le gouvernement français
s’engageait à user de réciprocité envers nous, et je n’ai pas hésité à prendre
la même obligation, sauf à m’en référer à la législature en cas de
contestation. C’est sous cette réserve qu’une sorte d’arrangement est intervenu
entre le gouvernement français et le gouvernement belge.
Les monuments
législatifs d’où l’on peut faire dériver le droit d’extradition ne sont pas
nombreux, je l’avoue. Cependant il existe un décret impérial du 25 octobre
1811, dont la légalité n’a jamais été régulièrement attaquée et qui prévoit le
cas d’extradition, même pour un Français qui a commis un crime en pays
étranger. Ici ce n’est pas ce dernier cas, puisqu’il s’agit d’un Français
traduit devant ses juges naturels, hypothèse beaucoup moins rigoureuse.
C’est sur cette
disposition que je me sois particulièrement appuyé. Il est certain que c’est
sur des motifs entièrement étrangers à la politique que j’ai cru devoir prendre
l’engagement dont j’ai parlé, engagement subordonné d’ailleurs à la manière
dont la législature envisagerait le droit d’extradition.
L’individu
auquel j’ai fait allusion a été livré à la gendarmerie française à
l’instigation même de ceux qui sont appelés à soutenir et à faire valoir ici
les droits des Français. Par conséquent, vous ne devez pas admettre ce qu’ont
dit les journaux sur le prétendu mépris que nous aurions fait des droits et des
garanties réclamées par la légation.
Voilà les faits qui
concernent le Français, prévenu de banqueroute frauduleuse, d’après les termes
mêmes d’un mandat émanant de son juge compétent et qui lui a été notifié.
Quant au sujet prussien,
il avait, autant que je m’en souviens, été condamné par un tribunal de notre
pays comme vagabond, et il a pu être régulièrement expulsé : l’article 272 du
code pénal est formel sur ce point.
M.
de Robaulx. - Où a-t-il été reconduit ?
M. le ministre de la justice
(M. Lebeau) -
Où il a voulu ; si on l’a dirigé vers la frontière de Prusse, c’est sans doute
parce qu’il l’avait désignée lui-même.
M.
de Robaulx. - Je me hâte de le déclarer, en ce qui regarde le Prussien, le
gouvernement était dans son droit. Si cet homme avait été condamné par un
tribunal du pays, il pouvait ne pas le recevoir ou l’expulser. Mais, dans ce
cas encore, le ministère devrait-il prendre l’autorisation du Roi. Quant à la
législature, il est bien entendu qu’interpellée elle aurait le droit d’expulser
tous ceux qui ont été condamnés dans le pays, et régler elle-même les
conditions de l’hospitalité qu’elle accorde. Je prends acte des paroles de M.
le ministre de la justice. Il nous a dit que le condamné avait été conduit où
il avait voulu ; et en effet, personne n’aurait le droit de livrer à ses
bourreaux un homme qui serait venu chercher l’hospitalité sur notre territoire.
Je reviens maintenant
sur le fait d’extradition avoué et consenti par le ministre de la justice.
C’est une chose singulière, messieurs, que lorsqu’il s’agit de liberté
individuelle, de la protection due aux malheureux, de la considération et de
l’honneur du pays, on ne juge pas à propos de consulter la législature et qu’on
s’en remette au caprice du ministère. M. Lebeau nous a dit qu’il avait cru dans
les convenances et l’utilité du commerce des deux pays de stipuler l’échange
réciproque des gens prévenus de banqueroute frauduleuse ou de faux en écriture
de commerce.
Cette convenance et
cette utilité que vous croyiez apercevoir devait vous engager à autre chose
qu’à tenir un conseil des ministres ; c’était là un motif pour présenter à la
chambre un projet de loi sur la matière, pour s’adresser à nous, afin de savoir
comment nous entendions restreindre la protection due aux étrangers.
Mais on a été plus loin
; des négociations se sont ouvertes avec la France, et il en est résulte une
sorte d’arrangement subordonné à la manière dont la chambre envisagera la
matière. Le ministre est convenu provisoirement de remettre tous ceux qui lui
seront désignés comme étant frappés par un mandat d’amener. Malgré la réserve
que l’on a faite, vous remarquerez que l’on commence par livrer les individus :
on livre tout d’abord les malheureux.
Est-ce ainsi que vous
deviez agir, si, comme vous le dites, vous n’aviez pas une opinion formelle ?
Si vous en aviez une, il fallait encore vous abstenir, consulter les chambres,
et ne pas exécuter provisoirement votre décision.
Comment a-t-on pu
s’appuyer sur un décret de 1811 ! Ah ! c’est bien là un appui digne du
ministère qui se fait un devoir de singer en tout les doctrinaires de France.
Il a été puiser dans l’arsenal impérial le pouvoir par lequel il pourra
maltraiter, non seulement les étrangers, mais tous ceux qu’il voudra atteindre.
Car, remarquez bien que le décret laisse le droit de citer un Belge devant les
tribunaux français. Ainsi donc, s’il est vrai qu’il ait encore force de loi,
voilà le ministère qui peut arrêter un Belge et le livrer à la justice
prévôtale, comme elle a été établie en France après les journées de juin. Mais,
est-ce que depuis 1811, nous ne nous sommes pas donné une constitution qui
règle tout en qui est relatif à la liberté individuelle ? Devons-nous souffrir
qu’on lacère notre pacte fondamental, qu’on détruise les garanties de la
liberté individuelle, qu’on livre un étranger qui respecte nos lois ? S’il est
utile et convenable de former un pacte d’extradition, faut-il pour cela
permettre aux ministres d’interpréter la constitution, de la tronquer ?
Messieurs,
je ne fais pas l’apologie des banqueroutiers, je parle dans l’intérêt des
étrangers de tous les pays. Je veux qu’on maintienne intacts les principes de
notre constitution, et je dis qu’on les a violés aujourd’hui en livrant un
Français. C’est à l’anéantissement du pacte fondamental que l’on veut nous
amener, et si nous ne nous opposons pas aux tentatives, nous nous verrons ravir
une à une toutes nos garanties. Je proteste contre ce fait que j’ai signalé, et
j’espère que la législature se montrera dans cette occasion digne d’elle-même
et du pays.
- M. le ministre de la justice
(M. Lebeau) se
lève pour répliquer.
M. de Brouckere. - Je demande la parole.
M. Jullien. - Je la demande aussi.
M.
le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je cède pour le moment la parole à M. de
Brouckere.
Une voix. - C’est plus facile que de
répondre.
M. le ministre de la justice
(M. Lebeau) -
Il serait étonnant qu’on me fît un crime d’un acte de déférence. Comme
ministre, ayant la parole toutes les fois que je la demande, je ne veux pas
abuser de cette faculté ; je préfère répondre à plusieurs orateurs à la fois.
Lorsque M. de Robaulx eût fini de parler, il y eut un intervalle assez long
avant que MM. de Brouckere et Julien demandassent la parole ; je me suis levé
croyant que personne n’avait plus rien à ajouter, mais puisque d’autres
orateurs ont des observations à émettre, j’attendrai ; j’éviterai par là une
perte de temps pour la chambre, et à moi-même, dont la santé demande encore
quelques ménagements, une inutile fatigue.
M. de Brouckere. - On n’a pas montré depuis
longtemps un grand respect pour la constitution ; cependant j’ai éprouvé un
sentiment extrêmement pénible à entendre M. le ministre de la justice faire
l’aveu devant la législature d’un fait que j’avais déjà lu dans les journaux,
et auquel j’avais jusqu’ici refusé d’ajouter foi, tant il me paraissait odieux.
Vous connaissez l’art. 128 de la constitution votée par le congrès ; vous vous
le rappelez, messieurs, cet article fut adopté sinon à l’unanimité, du moins à
une majorité immense ; il assure aux étrangers qui viennent se réfugier sur le
sol de
Eh bien ! un Français
dont je ne connais pas le nom, soupçonné de banqueroute frauduleuse, vient se
réfugier à Bruxelles ; le gouvernement français le réclame, et le ministre de
la justice le fait arrêter par la gendarmerie il est jeté dans les prisons,
garrotté comme un criminel et conduit jusqu’à la frontière où il est livré à
ceux qui le poursuivent. Sur quel texte s’est-on appuyé ? Sur un décret du 25
octobre 1811, que M. le ministre de la justice a découvert tout à coup. Je ne
connais pas ce décret, et il me paraît que M. le ministre de la justice ne le
connaissait pas non plus avant le fait dont il s’agit, car il nous en a parlé
comme d’une découverte. Mais s’il est remis en vigueur, le pacte fondamental
n’existe plus ; nous ferons aussi bien de déchirer la constitution et de nous
retirer chacun chez nous. Désormais le ministre est libre de nous faire arrêter
les uns après les autres, et de nous livrer les uns après les autres si les
gouvernements étrangers nous réclament ; le décret de 1811 lui en donne le
pouvoir.
Ce n’est pas que M. le
ministre n’ait hésité longtemps ; mais ce qui l’a déterminé, c’est l’utilité,
la convenance ; c’est le désir de protéger le commerce de
Voua avez pu voir que M.
le ministre de la justice n’était pas peu embarrassé de justifier sa conduite.
Car elle est injuste ;
elle est une violation flagrante de notre pacte fondamental. Si un pareil fait
pouvait se renouveler,
En vérité. je suis tenté
de croire que M. le ministre y mettait de l’ironie lorsqu’il affirmait que
l’extradition avait en lieu à l’instigation même de ceux qui sont chargés de
défendre ici les droits des Français.
Savez-vous à qui il
faisait allusion alors ? A l’agent du gouvernement français, à celui qui doit
faire exécuter ici les ordres de ce gouvernement, et l’on voudrait vous donner
sa demande comme une protection ! Ainsi donc c’est pour protéger le Français
que M. l’ambassadeur a demandé son extradition.
Je ne crois pas que
jamais, sous le gouvernement hollandais, on ait poussé les choses plus loin. On
s’est tant récrié à l’occasion de l’extradition de deux ou trois condamnés
français.
On accusait d’infamie le
ministère hollandais qui avait livré ces hommes. Eh bien ! ce qui s’est passé
est l’équivalent de ce fait ; c’est le ministère actuel qui a ouvert la voie
funeste des extraditions en Belgique : le gouvernement provisoire, lui, avait
constamment refusé de s’y engager.
Il
s’est présenté en Belgique, pendant le gouvernement provisoire, un employé
prussien qui avait soustrait des sommes considérables à l’administration des
postes dont il faisait partie. Cet homme a été pris nanti de tous les fonds
soustraits ; il avouait son crime. Un magistrat de son pays arriva chez nous
pour constater le délit et demander l’extradition du coupable. Le gouvernement
provisoire a refusé, parce qu’il sentait que nous n’avions pas fait une
révolution pour attenter aux droits que tous les hommes peuvent réclamer.
L’employé dont je parle
était arrivé sans papiers ; il avait été condamné comme vagabond. Le
gouvernement provisoire, reconnaissant qu’il y avait lieu à le faire conduire
hors des frontières lui demanda où il voulait aller. Il désigna le territoire
français, et c’est là qu’il fut conduit.
On avait jugé qu’il y
aurait infamie à livrer un homme à ses bourreaux.
M. Jullien. - Le discours des honorables préopinants m’ont laissé
peu de chose à ajouter. Il est à regretter qu’une question de cette gravité
s’agite incidemment dans cette chambre ; car il est difficile de traiter un
sujet de cette nature sans aucune espèce de préparation.
M. le ministre de la
justice nous a dit qu’il n’existait pas de législation précise d’extradition.
Mais, s’il n’existe pas de législation précise, c’était d’abord un motif pour
le ministre de s’abstenir et c’est une raison pour nous d’examiner les principes
généraux sur cette matière.
Je suis bien aise de
rappeler à M. le ministre de la justice que, toutes les fois qu’un individu a
touché le sol d’un pays libre, par ce fait seul il devient libre. C’est là une
vieille maxime du gouvernement français sous la monarchie. Alors cependant les
gouvernements constitutionnels n’existaient pas, et je vous demande si la
maxime que j’ai citée ne doit pas opérer, à bien plus forte raison, dans un
pays où l’on en a fait une disposition précise de la constitution.
Quand on touche le sol
d’un pays libre, on devient libre ; voilà donc le principe. Il s’agit de savoir
maintenant si l’espèce d’impunité qui en résulte ne pourrait pas recevoir
quelqu’exception.
Quand il s’agit d’un
crime qui blesse la société à laquelle le coupable appartient, on ne peut pas
le refouler dans le pays qu’il a quitté, pour le livrer à ses bourreaux. On
suppose que le crime n’intéresse que la société qu’il abandonne. En effet,
messieurs, il est possible que ce qui est crime dans un pays ne le soit plus
dans un autre ; il serait donc barbare de rejeter cet homme au milieu de la
société qu’il a voulu fuir.
On a été plus loin, et
l’on s’est demandé si l’on ne pourrait pas établir le droit d’extradition pour
les crimes qui intéresseraient la société tout entière. Ainsi, par exemple, le
faux en écriture de commerce : vous comprenez, en effet, qu’un billet faux peut
être souscrit à Paris et être payable à Londres, et compromettre ainsi le
commerce de plusieurs villes intéresser plusieurs sociétés à la fois. On s’est
demandé, dis-je, si ce crime pouvait légitimer l’extradition ? Sur ce point
plusieurs légistes ont répondu par l’affirmative. Mais ce n’était pas au
ministère lui-même à trancher une question aussi grave que celle de
l’extradition et de la réciprocité.
Il a paru sur le sol de
Belgique un Français ; il est prévenu, nous dit-on, de banqueroute frauduleuse.
Mais d’abord, messieurs,
faites une distinction entre la prévention et la culpabilité. La prévention
n’est pas même le premier degré de la culpabilité ; cette prévention peut être
purgée : souvent un homme sous le poids d’une prévention criminelle
s’épouvante, la terreur s’en empare. J’en ai vu beaucoup d’exemples dans ma
carrière d’avocat. Le prévenu alors prend la fuite, et c’est peut-être ce qui
est arrivé au Français dont il s’agit. Que la prévention soit fondée ou qu’elle
ne le soit pas, il n’y avait pas à son égard motif légal d’extradition ; il
fallait lui laisser le temps de purger sa contumace.
Est-ce une justification
maintenant de vous dire : Mais il était prévenu de tel crime ou de tel autre ;
ou, dans d’autres termes, on avait besoin de cet homme ? Si les rois de
Lisez
l’art. 128, et voyez si la doctrine ministérielle peut être admise. La
constitution a été sage, elle n’a pas voulu faire du pays un repaire de brigands,
elle n’a pas voulu faire un appel aux gens prévenus ou suspects de tous les
pays ; mais elle n’a voulu admettre à la loi qu’une exception légale. Or, je
défie M. le ministre de livrer un étranger qui est simplement prévenu. Sa
conduite dans cette occasion est donc impardonnable ; elle l’est encore à
l’égard du Prussien.
Un membre. - Mais le Prussien avait été
condamné par un tribunal du pays.
M. Jullien. - Je ne me rappelais pas cette circonstance ; il mérite alors les éloges
de la chambre et du pays. Il faut ajouter cependant que, sur ce point, il faut
que nous ayons assez de confiance dans le ministère pour le croire sur parole.
M. le ministre de la justice
(M. Lebeau) -
Messieurs, je crois que les honorables orateurs auxquels je vais répondre sont
moins préoccupés du fait en lui-même que des antécédents que le ministère
aurait posés par ce fait. Les préopinants ont craint, ce me semble, que le
gouvernement n’essayât, par une série de faits sur lesquels on garderait le
silence, de se créer un droit d’extradition en matière politique. Là est la
vraie question en matière d’extradition. Eh bien ! je n’hésite pas à déclarer
que je donnerais plutôt ma démission que d’ordonner, dans les circonstances
actuelles et sous l’empire des lois existantes, une extradition pour délit
politique. J’ajouterai, pour donner tout apaisement à des craintes qui prennent
leur source dans des sentiments honorables, pour prouver que le gouvernement
n’a pas d’arrière-pensées, qu’il est prêt à limiter, à préciser son droit en
soumettant à cet égard un projet de loi aux chambres.
Il reste maintenant un
fait dont on a cherché à démontrer l’illégalité. Je n’ai pas cru, je le
déclare, à cette illégalité ; mais, si la chambre pouvait croire qu’elle existe
en effet, je n’hésiterais pas, fort de la pureté de mes intentions dans cette
occurrence, à lui demander un bill d’indemnité.
Mais, d’un autre côté,
si je compare la constitution actuelle avec la loi fondamentale des Pays-Bas,
je vois que celle-ci stipulait, à l’égard des étrangers, des limites infiniment
plus rigoureuses que l’art. 128 de la constitution actuelle ; et en effet elle
assimilait complètement les étrangers aux indigènes. Eh bien ! malgré cette
disposition formelle, le gouvernement hollandais a procédé, sans réclamation de
la part des chambres et de la presse, à des extraditions d’étrangers. Pendant
le cours de ce gouvernement, on a rendu aux gouvernements voisins des
banqueroutiers, des assassins, des hommes coupables de crimes intéressant la
société tout entière.
Quand ce gouvernement a
livré des hommes prévenus de délits politiques, alors seulement les journaux et
les chambres ont retenti d’unanimes et d’énergiques réclamations. La France,
qui possède à peu près les mêmes institutions que
L’article 128 parle des
exceptions établies par la loi. Ce n’est pas seulement des lois à faire que
parle l’article, mais bien évidemment aussi des lois qui existent. Or, ici, il
en existe ; ces lois sont donc applicables ; et pour vous montrer combien le
gouvernement est en effet disposé à tourmenter sans motifs les étrangers, je
vous dirai qu’il existe une disposition beaucoup plus large dont nous aurions
pu nous autoriser pour agir contre eux. C’est une loi de vendémiaire an VI, qui
a force obligatoire. Le gouvernement français l’a récemment appliquée à un
puissant personnage.
Les chambres ont reconnu
unanimement que cette loi n’était pas abrogée. Le gouvernement est donc armé de
cette loi, et s’il était disposé à persécuter brutalement les étrangers, il ne
l’aurait pas laissée dormir jusqu’aujourd’hui dans l’arsenal des lois
anciennes.
J’ai cité un décret
impérial. Mais, dit-on, si vous ressuscitez la législation de l’empire, ce
n’était pas la peine de faire une révolution pour nous débarrasser de tout
l’attirail du despotisme.
Sous ce rapport, les
tribunaux ne sont pas de l’avis des honorables préopinants. Tous les jours dans
On a mal interprété mes
paroles, en disant que j’ai pris un engagement avec la France, en doutant de
mes droits à le contracter. J’ai pu dire à la légation de France que je ne
répondais pas de faire adopter mon opinion sur la légalité des extraditions ;
j’ai dû, au contraire, annoncer que je ne pouvais pas garantir que la
législature partageât mon opinion et sanctionnât la mesure, et que si elle ne
la consacrait pas, je m’en abstiendrais.
Il y a donc eu de la
bonne foi de la part du ministère à ne pas prendre d’engagement absolu afin
qu’on connût la portée de celle qu’on prenait par réciprocité.
Du reste, je ne tiens
pas à mon opinion ; je n’en fais pas une question de prérogative. Le
gouvernement est tout à fait désintéressé dans cette question ; il ne
vient pas vous demander de sanctionner une extradition en matière politique, et
nous présenterons volontiers à la chambre un projet qui pose les limites du
droit. Si l’on contestait le principe de la loi d’extradition, si l’on
prétendait que le territoire belge fût un asile inviolable pour tous les
étrangers qui s’y réfugient, vous feriez de notre pays un véritable Botany-Bay, un réceptacle de
banqueroutiers et d’assassins.
L’assassin
qui aurait commis un crime sur la frontière n’aurait donc qu’à s’avancer d’un
quart de lieue dans le pays limitrophe pour être à l’abri de toute espèce de
répression. Que deviendraient alors les garanties de la société en Belgique,
si, à leur tour, les criminels de ce pays devaient trouver l’impunité en
France, en Prusse, etc. ? L’exil est une peine sans doute ; mais, entre
l’exil et la peine capitale, la différence est grande ; si les criminels peuvent
avoir la certitude d’échapper aux poursuites judiciaires en mettant le pied sur
le territoire étranger, la société belge abdiquerait une partie précieuse de
ses garanties.
Quant aux circonstances
dont on dit que les faits avaient été environnés, j’affirme qu’il y a eu
inexactitude dans les renseignements qu’on vous a donnés. J’ai recommandé les
plus grands égards ; on a offert au prévenu de le conduire dans une voiture, il
a refusé ; on lui a remis de l’argent en lui demandant s’il en voulait
d’avantage, il a refusé. On a employé envers lui tous les égards compatibles
avec l’acte qu’on devait exécuter. Vous comprenez facilement l’impossibilité
qu’il n’y ait pas toujours, aux yeux de l’homme arrêté, quelque chose d’un peu
brutal dans l’exécution d’une pareille mesure. Mais il est au-dessous de moi de
défendre le gouvernement d’avoir aggravé, de gaieté de cœur, la position d’un
malheureux.
M.
de Robaulx. - Quand on est près de se noyer, on s’attache à la branche qui se
présente, fût-elle mauvaise, et c’est ce que vient de faire M. le ministre de
la justice.
L’art. 128 dit que les
étrangers jouiront de la protection accordée aux Belges, et ne reconnaît
d’exceptions que celles établies par la loi. Or, voici avec quelle puissance M.
le ministre a raisonné : il a dit : Les exceptions établies, quelles sont-elles
? Est-il question de peines établies par les lois à faire, ou bien de celles
que stipulent les lois déjà faites ? Et M. le ministre conclut qu’il s’agit des
exceptions établies par les lois déjà faites. Eh bien ! selon moi, cette
argumentation ne mérite pas d’être réfutée, et je l’ai vue avec peine dans la
bouche de M. Lebeau.
Qu’avons-nous voulu dire
lorsque, dans l’art. 17, nous avons stipulé que l’enseignement public serait
réglé par la loi ? Avons-nous entendu qu’il serait réglé par les lois anciennes
? Non sans doute ; nous n’avons pas voulu rétablir des règlements contre
lesquels on s’est tant récrié. En parlant de lois, vous avez compris les lois à
faire, les lois organiques du principe que vous avez posé. On ne peut affirmer
le contraire qu’en usant d’un jeu de mots, subterfuge auquel personne ne se
laissera prendre. Je n’insisterai pas davantage. D’ailleurs le discours de M.
Lebeau est moins une défense qu’une défaite, et il y est habitué, j’en
conviens.
J’ai été scandalisée d
un argument présenté par M. le ministre. Il a comparé la loi fondamentale à
l’ancienne constitution. Il nous a demandé si on pouvait trouver mauvais ce qui
n’a soulevé aucune réclamation sous le gouvernement hollandais. Mais, après ces
paroles, je vous demande à quoi bon une révolution ; pourquoi l’avons-nous
faite ? Oh ! alors M. le ministre a bien raison d’aller où il va, car il nous
ramène où nous étions. Je réprouve autant la comparaison qu’il a faite que je
trouve exacte l’assimilation de son ministère avec celui de Van Maanen ; et comme la mesure que je dénonce aurait soulevé
les imprécations contre le ministre hollandais, je livre aux imprécations
l’acte du ministère actuel.
Ainsi donc on va travailler
chaque jour à détruire la constitution. Vous avez conclu, dites-vous, une sorte
d’engagement ; mais maintenant vous avez donc tendu un guet-apens contre les
étrangers ? Vous tenez le traité dans vos cartons ; il reste décret, et quand
un étranger se présente, vous lui mettez la main sur le collet, vous le livrez
à ses bourreaux. Est-ce là ce patriotisme dont on se vante ? Est-ce là ce
respect de la constitution dont on est fier ? Messieurs j’ai confiance dans
votre patriotisme à vous, et j’espère que vous flétrirez une pareille conduite.
Du reste, blâmez tout ce
que vous voudrez, vous n’aurez pas mieux d’ici à longtemps.
Toutes ces importations
funestes nous viennent de France, non pas de cette France de juillet que
j’admire et pour laquelle je n’ai cessé de faire des vœux, mais du gouvernement
français qui gouverne tout ici, et dont un simple ordre a suffi pour faire
reconduire chez lui un étranger qui devait trouver secours et protection sur
notre territoire.
Mais,
nous a-t-on dit,
Un Botany-Bay, c’est le pays où l’administration ne laisse aucune
liberté aux citoyens ; un Botany-Bay,
c’est le pays où l’on ne veut que des esclaves, et c’est la prétention du
ministère qui nous régit.
M. de Brouckere. - M. le ministre nous prête un
langage autre que celui que nous avons tenu. Les préopinants, a-t-il dit, se sont
plaints du fait en lui-même bien moins qu’ils n’ont exprimé des craintes sur
les antécédents qu’il pourrait consacrer. Il est vrai, la conduite du ministre
est bien faite pour inspirer ces craintes ; mais nous nous récrions surtout
contre le fait en lui-même. Vous avez fait un malheureux, et vous aurez à vous
le reprocher dans tous les temps.
Oui, je regrette
amèrement le fait en lui-même, bien que je ne connaisse pas le malheureux qui
en a été victime. Au reste, le ministère lui-même reconnaît ses torts, et se
borne à vous demander un bill d’indemnité. Quand un coupable avoue sa faute,
c’est l’ordinaire de se montrer indulgent. Pour moi, je le déclare, je ne
traiterai jamais avec indulgence celui qui déchire la constitution.
On nous a dit : Pourquoi
vos craintes ? voyez si le gouvernement cherche à user de la loi de
vendémiaire. D’abord il y a une différence immense entre l’extradition et
l’expulsion. Le ministère serait bien moins coupable s’il eût laissé au
malheureux le choix de la frontière. Mais non, le ministère a livré à ses
bourreaux un homme dont tous les papiers étaient en règle, et qui n’était
coupable d’aucun délit selon nos lois. On nous a fait entendre que nous étions
plus ignorants que les tribunaux qui appliquent tous les jours des décrets de
l’empire. Nous n’avons pas dit l’absurdité qu’on nous prête ; nous avons
prétendu seulement qu’on ne devait pas faire revivre les dispositions
contraires à la constitution, ces décrets infâmes à jamais abolis par notre
pacte fondamental. Il fallait une administration comme celle qui nous régit
pour pousser l’impudeur à ce point.
S’il était vrai que
Quant
à la conduite tenue envers le malheureux dont il est question, si j’ai dit
qu’il avait été garrotté, c’est que je l’ai lu, et comme les autres
circonstances relatives à cette arrestation et à cette extradition sont avouées
par M. Lebeau, je crois à la première. Le ministre prétend avoir recommandé
l’individu ; mais la gendarmerie garrotte quand bon lui semble. Si les
gendarmes de Bruxelles ont pu ne pas faire usage de cette rigueur, ceux d’une
autre brigade ont pu l’employer s’ils ont cru cela nécessaire pour garder
l’individu. Et il s’en est suivi qu’un homme contre lequel il n’y a que de
simples soupçons, contre lequel il n’y a qu’un mandat d’amener, qu’un homme qui
appartient peut-être à une famille considérée, a été traité comme un vil
brigand, a été conduit à la frontière et livré à ses bourreaux qui,
aujourd’hui, en feront ce qu’ils voudront.
M.
le comte F. de Mérode. - Je me trouve fort souvent, messieurs, dans
un pays limitrophe des deux frontières belge et française, et là plus que
partout ailleurs on sent la nécessité des cartels d’échange pour les crimes
contre les personnes et les propriétés. Figurer-vous, en effet, qu’oun citoyen belge, assassiné sur notre sol, perd la vie
avec pleine impunité pour le meurtrier français ou belge, n’importe, si
celui-ci quitte le territoire où il a commis le crime. Considérez la
malheureuse situation des habitants d’une longue frontière, si tel est l’ordre
naturel des choses, si telle est la justice libérale et constitutionnelle
établie par notre loi fondamentale, il en résulterait pour les citoyens la plus
périlleuse des situations, la plus criante iniquité. Doit-on supposer sans
preuve évidente que la constitution a placé en quelque sorte hors la loi les
honnêtes gens, en les mettant à la merci des voleurs et des assassins qui
passent avec autant de facilité du territoire belge sur le territoire français,
et réciproquement ? Messieurs, on s’est échauffé à froid contre le ministère à
propos d’un fait qui, selon moi, est parfaitement motivé en raison. Je ne suis
pas assez fort sur le code civil, sur la valeur des décrets impériaux pour
décider la question légale ; mais je trouve contraire au sens commun, comme à
l’humanité bien entendue, de mettre un criminel souvent infâme à l’abri de
toute poursuite, parce qu’il a eu l’adresse de passer d’un territoire sur un
autre territoire.
M. d’Huart. - Je demanderai quelle est la conclusion du débat soulevé par
l’incident. On a demandé, je crois, le jugement de la chambre sur la conduite
du ministre ; ce jugement me paraît extrêmement important. Nous ne pouvons
laisser une pareille chose inaperçue. Il est évident que la constitution a été
violée ; il ne nous été donné aucune raison à l’appui d’une telle conduite. Le
ministre dit qu’il demandera un bill d’indemnité ; je ne suis pas d’avis qu’on
le lui accorde. Si l’individu était un assassin, je pourrais être indulgent sur
un acte aussi irrégulier ; mais c’est peut-être un homme fort innocent qu’on
livre à ses persécuteurs, à ses bourreaux.
M. de Brouckere. - La chambre et la nation tout entière doivent des remerciements à
l’honorable M. de Robaulx. Dorénavant, grâce à lui, le ministère n’osera plus
se permettre d’extraditions sans y être autorisé par une loi ; grâce à notre
honorable collègue, le cartel, consenti si imprudemment, si
inconstitutionnellement par M. Lebeau, ne sera plus appliqué.
L’incident soulevé dans
la chambre aura des résultats dont le pays s’applaudira ; cet incident aura ce
résultat important, c’est qu’il mettra le pays en état d’apprécier M. Lebeau à
sa valeur. Qu’on appelle le jugement de la chambre sur la conduite de ce
ministre ; qu’on aille aux voix ; qu’il demande un bill d’indemnité ; je ne
m’occupe pas de ces choses ; pour moi je refuserai tout bill d’indemnité ; mais
je vois une utilité dans le débat qui vient d’avoir lieu, c’est que, malgré son
audace, le ministre n’aura pas celle de renouveler un acte aussi attentatoire à
l’honneur national, aussi attentatoire à la constitution.
M. Jullien. - Existe-t-il réellement entre le gouvernement français et le
gouvernement belge un cartel d’extradition pour les individus accusés de crimes
et de banqueroutes ? J’ai entendu M. le ministre parler de cartel ; mais je ne
sais s’il est échangé entre les deux pays ou s’il est en projet.
Si
le cartel existe, il faudrait que la chambre se prononçât sur-le-champ contre
ce cartel ; mais s’il n’existe pas, si le ministre veut présenter un projet de
loi, c’est autre chose. On dit que la France extraduit
les banqueroutiers belges ; c’est une allégation que les faits ne confirment
pas : je connais beaucoup de banqueroutiers belges qui sont en France fort
tranquilles ; le gouvernement, quelles que soient les inquiétudes dont il est
agité, ne prendrait pas sur lui une tache semblable.
On a cité des lois, maïs
elles parlent d’expulsion et non d’extradition. Un individu était-il signalé
comme un criminel, les lois autorisaient l’administration à l’expulser, mais on
ne le livrait pas à la société qu’il venait de fuir.
De quelque manière qu’on
présente cet acte, il n’est pas excusable, il n’est pas pardonnable. Veut-on un
bill d’indemnité, qu’on le demande, nous nous consulterons pour savoir s’il
faut l’accorder ; niais que le ministre le demande ou non, il ne pourra jamais
se justifier ni aux yeux de la chambre, ni aux yeux de la nation.
M.
de Robaulx. - Si le ministre ne présente pas un projet de loi sur la matière il
sera libre à chacun de nous d’en présenter un puisque nous avons l’initiative.
Quant au bill d’indemnité, je ne l’accorderai pas, parce que ce grief sera un
de plus à ajouter à ceux en grand nombre qui figureront dans l’acte
d’accusation contre le ministre, acte d’accusation que je me chargerai de
rédiger quand il en sera temps.
M. de Brouckere. - Je demande qu’on passe à l’ordre
du jour. (Appuyé ! Appuyé !)
PROJET DE LOI PORTANT DES TRANSFERTS
D’UN EXERCICE À L’AUTRE AU BUDGET DU DÉPARTEMENT DE L’INTÉRIEUR (I)
M. Liedts, organe de la commission à laquelle
le projet a été renvoyé, est appelé à la tribune. - En l’absence de M. Fallon,
dit-il, la commission m’a chargé de vous rendre compte du résultat de son
nouvel examen.
Le ministre de
l’intérieur demandait à l’art. 2 du projet un transfert pour une somme de 129
fr. Cette dépense était relative au personnel du ministère. Elle avait été
rejetée par la commission parce qu’elle n’avait pas été justifiée. Dans votre
précédente séance, il a été dit par M. de Mérode que la dépense avait été
occasionnée par un travail extraordinaire ; depuis on a justifié, devant la
commission, une dépense de 50 florins : la différence de 29 fr. étant minime,
la commission croit devoir vous proposer d’accorder l’augmentation de 129 fr.
Le ministre demande sur
un autre chapitre une augmentation de 5,633 fr. La commission n’avait admis
qu’une partie de cette somme.
Il a été mis sous les
yeux de votre commission un relevé détaillé des dépenses extraordinaires faites
en 1832 pour le matériel de ce ministère, et il a été prouvé qu’une somme de
1,836 fr. avait été dépensée pour le matériel des bureaux. La commission croit
donc avoir obtenu la conviction que l’allocation demandée est nécessaire, et
elle vous propose de l’accorder.
M. le président donne lecture des deux articles du
projet de loi ; ils sont ainsi conçus :
« Art. 1er. Le
crédit ouvert à l’art.. 3 du chapitre VII, pour le service séparé au budget des
dépenses du ministère de l’intérieur pour l’exercice est diminué d’une somme de
trente-quatre mille deux cent vingt-huit fr. quarante-un cent. (34,228 fr. 41
c.) »
« Art. 2. Au moyen
de la diminution mentionnée ci-dessus, le ministre de l’intérieur est autorisé
à majorer :
« 1° D’une somme de
cent vingt-neuf francs soixante-dix centimes, l’art 2. du chapitre Ier du
budget de 1832 (fr. 129 66) ;
« 2° D’une somme de
cinq mille huit cent trente-trois fr. dix centimes, l’art. 3 du chapitre Ier du
même budget (fr. 5,833 10) ;
« 3° D’une somme de
quatre mille cinq cents francs l’art. 2 du chapitre III dudit budget (fr.
4,500)
« 4° D’une somme de
vingt-trois mille sept cent soixante-cinq francs soixante-cinq centimes, l’art.
unique du chapitre XV du même budget (fr. 23,765 65)
« Ensemble : fr.
34,228 41 »
M. Dubus. - La section centrale a proposé un
changement de rédaction à l’art. 2. Le ministre ne peut être autorisé à
augmenter les chiffres d’un budget ; mais le ministre peut être autorisé à
appliquer les sommes restées sans emploi aux dépenses qu’il indique.
- L’avis de M. Dubus est
adopté.
Les deux articles sont
également adoptés.
La loi, dans son
ensemble, est ensuite soumise à l’appel
nominal. Elle est adoptée à l’unanimité des 57 membres présents.
PROJET DE LOI PORTANT
DES TRANSFERTS D’UN EXERCICE À L’AUTRE AU BUDGET DU DÉPARTEMENT DE L’INTÉRIEUR
(II)
M. le président. - Le ministère se rallie-t-il aux
conclusions présentées par la commission ?
M. le ministre de la justice
(M. Lebeau) -
M. Rogier, qui ne peut encore s’occuper d’affaires, m’a dit que de nouvelles
relations s’étaient établies entre la commission et des employés de son
ministère. Je ne sais si je fais confusion, mais il me semble qu’il m’a annoncé
que la commission avait admis les explications...
Plusieurs membres. - C’est pour l’autre projet !
c’est pour l’autre projet !
M.
le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je demanderai alors que la discussion du
projet actuel soit remise à une autre séance ; je n’ai pas de renseignements
suffisants. Je crois que le ministre de l’intérieur tiendra à son projet
primitif, parce que les dépenses que la commission propose de supprimer, et
qui, il est vrai, sont assez bizarres, résultent de contrats... La chambre
voudra bien excuser l’incertitude des explications que je donne, incertitude
qui s’explique elle-même par la situation où est le ministre.
M.
le ministre des finances (M. Duvivier) - Je crois que l’intention du ministre de
l’intérieur est de se rallier au projet de la section centrale. Il s’agit d’une
somme de 2,500 fr. environ que l’on ne veut pas allouer entièrement. Toutefois
le ministre, en se ralliant à l’avis de la commission, désire pouvoir liquider
les dépenses relatives à un tableau fourni à
M. Liedts. - Messieurs, vous entendez avec quelles restrictions le ministre se
rallie à l’opinion de la commission. Il s’agit d’éviter ici un antécédent
fâcheux plutôt que d’éviter le paiement de la somme. Je conçois que dans le
budget, à l’article encouragement des arts, on puisse demander une somme qui
serait distribuée entre les artistes et au moyen de laquelle on pourrait payer
les créances dont parle le ministre de l’intérieur ; mais, par cela seul que
les réclamants sont Belges, il ne faut pas autoriser le paiement de leurs
créances. Il est beaucoup de Belges créanciers de
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - En définitive tout cela revient à ce que je
disais : que je ne croyais pas que le ministère se ralliât complètement au rapport
de la section centrale. Dans cette occurrence, je crois qu’il est plus prudent
d’ajourner la discussion. Il y a acte de franchise et de loyauté de la part du
ministre de l’intérieur de déclarer dans quel sens il entend employer la somme
globale qu’il demande.
M. Legrelle. - Il me semble que le ministre,
connaissant les intentions de la chambre, s’y conformera et qu’on peut toujours
délibérer sur la loi.
M. de Brouckere. - Je ne vois pas pourquoi la
chambre serait plus empressée que le ministère à voter des crédits provisoires.
Avant de voter, il faut que nous connaissions les intentions de
l’administration, et tant que nous ne les connaîtrons pas il faut interpeller les
ministres. Le ministre demande un délai ; il faut l’accorder.
- La chambre ajourne la
délibération sur le projet de loi.
La séance est levée à
quatre heures.